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DUBOIS HK3

Nina

Fiche de lecture n°4

Albert Ogien et Sandra Laugier, Pourquoi désobéir en démocratie ?, éditions La


Découverte, 2010

→ Introduction
La France de la fin des années 2000 voit les appels à la désobéissance civile, qui
correspond au refus délibéré de suivre les prescriptions d’une loi, d’un décret ou d’une
circulaire tenus pour indignes ou injustes, proliférer. De plus, la liste des groupes d’individus
qui s’engagent dans ce genre de protestation, qui est devenue une forme courante d’action
politique, s’allonge: cela va cela va des militants associatifs qui viennent en aide aux
clandestins dans la «zone de transit» de Calais aux inspecteurs du travail qui n’acceptent
pas de traquer les étrangers en situation irrégulière sur leur lieu de travail. Ces actes posent
alors une question: «Qu’est-ce qui conduit un individu à encourir les rigueurs de la
répression (en acceptant les sanctions financières, le licenciement, l’arrestation, la mise en
examen, la garde à vue, le fichage ou le procès) afin de défendre ce qu’il ressent comme
une atteinte grave à la liberté, à la démocratie, à la justice ou à l’égalité ?»
Par ailleurs, il apparaît aux yeux de certains que ce refus d’appliquer une loi porte en lui une
menace pour le principe même de de la démocratie, et c’est pourquoi il est si difficile de
reconnaître un droit à la désobéissance civile, droit qui permettrait aux citoyens de se
soustraire à la «loi républicaine» et semble ainsi contradictoire.
La désobéissance civile est l’expression d’une exigence des pouvoirs du citoyen dans le
cadre d’une démocratie accomplie, elle ne se réduit plus à l’expression souveraine du désir
perfectionniste d’être en accord avec le meilleur de soi-même. En réponse à l’idée de la
désobéissance civile comme danger pour la démocratie, nous pouvons répondre qu’une
démocratie se grandit en oeuvrant à élargir l’espace de liberté et à garantir l’exercice des
contre-pouvoirs dont les citoyens disposent, et qu’elle s'affaiblit lorsqu’elle cherche à étouffer
les revendications d’extension des droits individuels «au nom de la règle majoritaire, de la
raison d'Etat ou en décrétant que la légalité ou la sécurité sont en péril.
La résistance à l’oppression, à la domination peut prendre de multiples formes. La
désobéissance civile est une de ces formes, mais celle-ci est prise dans une contradiction:
soit elle s’institutionnalise pour faire aboutir la revendication qu’elle porte, et elle cesse d’être
ce qu’elle est, soit elle demeure une manifestation «éphémère et émotionnelle», et reste
alors en marge des «mécanismes officiels de la démocratie», s’excluant délibérément du
processus de prise de décision. Ce qui fait ainsi la grandeur de la désobéissance civile
-«une voix qui ose s’élever pour dire non et refuser d’appliquer les prescriptions d’une
autorité légale au nom des principes supérieurs de l’humanité ou de la démocratie et au
mépris des sanctions»- en fait aussi la faiblesse.

Les questions qui guideront l’analyse de la désobéissance civile sont les suivantes:
-Le refus délibéré de respecter une loi est-il justifiable en démocratie ?
-En quoi la désobéissance civile est-elle une forme d’action politique ?
-Cette forme d’action se réduit-elle à l’expression tout individuelle d’une personne dont le
sentiment démocratique est froissé ?
-Pour quelles raisons concrètes et dans quelles circonstances en vient-on, de nos jours, à
désobéir ?
=> L’ambition de ce livre écrit par un sociologue et par une philosophe est donc de préciser
la place que vient occuper la désobéissance civile en démocratie

I) Cadrage
1) Désaccord, dissentiment, désobéissance, démocratie
Le désir de désobéissance en démocratie peut paraître, au mieux, comme un caprice, un
luxe, au pire comme un danger. En effet, il semble y avoir une contradiction entre résistance
et démocratie. Néanmoins, la désobéissance n’est pas une résistance comme les autres,
elle est plus complexe: c’est une résistance au conformisme. L’idée de résistance en
démocratie n’est pas un refus de la démocratie, au contraire, elle est liée à la définition
même d’une démocratie, d’un gouvernement du peuple par le peuple. Cette notion de
désobéissance est d’ailleurs née en contexte démocratique: elle a été inventée par le
philosophe américain Henry David Thoreau (1817-1862) et reprise par son confrère Ralph
Waldo Emerson (1803-1882). Elle exprime alors une approche américaine de la démocratie,
à une époque où elle essaie de se réinventer sur le sol américain.

→«We the people»


La position de Thoreau et Emerson est la suivante: «on a non seulement le droit mais le
devoir de résister, et donc de désobéir, lorsque le gouvernement agit contre ses propres
principes». Thoreau refuse ainsi à son époque de reconnaître le gouvernement américain
comme sien lorsque ce dernier promeut l’esclavage ou fait la guerre au Mexique. Mais une
question se pose dès lors qu’on affirme «l’autorité suprême réside dans le peuple seul»:
comment envisager le consentement du peuple , c’est-à-dire de chacun, à l’entité politique
qui le constitue ? Gordon Wood, historien du XXème siècle, a montré les Américains ont
commencé leur révolution en considérant le peuple comme une entité homogène dressée
contre les gouvernants mais que leur problème est de prolonger cette désobéissance en
résistant, non pas en tant que «people» unifié, mais en tant que «people» éclaté. «A l’avenir
les luttes politiques seraient internes au peuple, elles opposeraient les divers groupes et les
divers individus qui aspirent à créer l’inégalité à partir de leur égalité»

→«Lives of quiet desperation»


«La désobéissance n’est pas une mise en cause du contrat social mais sa réinterprétation»:
c’est parce que sa société nie l’égalité des droits pourtant prônée par sa propre constitution
que Thoreau revendique le droit de se retirer de cette société, refusant de payer ses impôts
(ce qui le conduira en prison).
Il y a une nécessité de consentement individuel dans la démocratie: si je ne le donne pas
pour une quelconque mesure, alors je peux me révolter. Cette possibilité du dissentement
existe car mon consentement est en perpétuel suspens, il ne doit jamais être pris pour
acquis. Emerson et Thoreau défendent l’idée selon laquelle «l’intellectuel doit être vigilant,
ne pas cautionner la violation des principes mêmes qu’il prétend défendre». De cette
manière, Emerson et Thoreau, qui sont contre l’esclavage, recommandent de «désobéir à la
loi». Nous pouvons prendre l’exemple d’Emerson qui dénonce la loi sur les esclaves fugitifs.

→Conversation et conformisme
Pour que le gouvernement soit légitime, tous doivent y avoir, ou y trouver leur voix. Contre la
conformité, Emerson et Thoreau, comme John Stuart Mill, demandent donc «une vie qui soit
à nous, à laquelle nous ayons consenti, avec notre propre voix: une vie comme
conversation, bref la démocratie». Penser la désobéissance, c’est penser non seulement
qu’il n’y a pas de règles prédéterminées du fonctionnement social mais surtout qu’il n’y a
pas de règles qui limitent l’acceptabilité des revendications et leur forme. S. Cavell et
Emerson vont à l’encontre de l'idée selon laquelle il existe des règles qui nous disent
comment revendiquer: «quand je choisis ma règle, je n’en suis pas moins esclave».

→Independence Day
Thoreau se moque de l'Independence Day, au point que sa déclaration a été prise comme
sa déclaration d’indépendance par rapport à la société. Mais qu’entend Thoreau par son
retrait de la société ? Aurait-on le droit de se séparer d’une société insatisfaisante ?
S.Cavell fait un parallèle entre la question de la communauté politique et celle du divorce
dans son livre sur la comédie hollywoodienne, A la recherche du bonheur. D’après lui, ce qui
est en jeu dans la comédie du remariage, c’est le sort de la démocratie. En effet, il est
question dans les deux cas de conversation, concept qui se révèle être un pivot entre le
public et le privé, entre la question de la justification de l’Etat et celle de la relation privée.
Ainsi, la désobéissance civile est le recours interne à la démocratie de ceux qui se sentent
dépossédés d’une voix dans leur histoire. Il s’agit pour chacun d’exprimer ses convictions de
manière à ce qu’il soit entendu.

→Le perfectionnisme comme résistance


Le parallèle qu’instaure Cavell entre le mariage et la démocratie se justifie par la question
d’une justice politique dans le privé. Mais ce modèle posent, selon certains, des limites:
l’idéal de conversation serait une illusion, il faudrait alors introduire l’idée de la conversation
ordinaire qui comporte plus de violence et de revendication. Cavell met en évidence, dans la
comédie du remariage et dans le mélodrame, l’expression d’une injustice générale, qui ne
peut être réglée par les conventions existantes. D’après ce dernier, la résistance au pouvoir
n’est cependant pas pour autant une simple mise en cause du consentement à la société:
«Je ne suis pas en train de dire qu’il faudrait prendre congé, claquer la porte au nez de
toutes les sociétés qui s’écartent intuitivement d’une conformité d’une conformité idéale à la
justice». Thoreau va lui mettre en avant le caractère inévitable, même pour celui qui veut
s’en retirer, de l’appartenance à la société. La solution qui apparaît alors est celle de la
désobéissance civile: «Contre l’injustice en général, on ne peut parfois rien faire d’autre que
désobéir. Et voilà pourquoi la désobéissance civile serait, non à la marge ou à la limite de la
démocratie, mais à son fondement même.

→Divorce et désobéissance
C’est dans le cinéma américain qu’il existe une importance du thème du remariage, où les
couples montrent la possibilité de recommencer et, en parvenant à se retrouver, d’accepter
une perte initiale, et de la surmonter par la conversation. Il y a ainsi une réappropriation à
l’écran de l’autre et de la parole, de la conversation (c’est ce à quoi Emerson et Thoreau
aspiraient). Cavell écrivait alors: «Au cœur de chaque moment de la texture et de l’humeur
de la comédie du remariage, il y a le mode de conversation qui unit le couple central. Il y a
une belle théorie de la conversation de Milton qui justifie le divorce, et fait de la volonté de
conversation le fondement du mariage, et même le fait du mariage». On retrouve alors avec
le divorce le thème propre à Thoreau du droit de rupture avec un État qu’on ne reconnaît
plus comme le sien. Si le contrat du mariage est une «miniature du contrat fondateur de la
république», alors nous devons à la république une participation qui prend la forme d’une
«conversation assortie et joyeuse». Cette obligation est pour Emerson le seul moyen
d’exprimer l’exigence perfectionniste; ce n’est qu’en exigeant un «bonheur authentique»
pour moi que je le revendique pour les autres. Cette revendication absolue de
perfectionnisme moral ne relève pas d’une «exigence morale particulière» selon Cavell
mais plutôt de la «condition de la morale démocratique». Pour poursuivre le parallèle avec le
mariage, il est dit que le consentement à la société, comme le consentement amoureux,
n’est pas un donné; il est constamment en question, «autrement dit, irrémédiablement
ouvert et toujours à reconduire».

2) Opposants, désobéisseurs et désobéissants


Les raisons de se révolter ne manquent pas: il existe une multitude de causes justes, et il y
aura toujours des militants pour les défendre. De même, les manières de se révolter sont
multiples: cela va du vote à l’insurrection, «en passant par l’abstention, le boycott, la pétition,
la manifestation, la grève, l’usage modéré ou symbolique de la violence, l’émeute». Celle qui
nous intéresse est la désobéissance civile, qui est le refus de respecter une loi, manière de
se révolter devenue suspecte depuis la fin des grands mouvements des années 1970-1980.
Il s’agit alors d’éclairer la nature de ces formes d’actions afin de ne pas tomber dans une
vision qui tend à disqualifier le refus de se plier à la loi.
→Le savoir-faire politique des citoyens
L’existence d’un savoir-faire se vérifie par de nombreux exemples: «soit une décision prise
par la direction d’une firme multinationale de fermer une usine en France en mettant ses
ouvriers au chômage», des formes d’action admises sont «immédiatement» mises en
œuvre, comme l’occupation, la manifestation ou encore la grève. Ces protestations sont
relayées par les syndicats, les partis politiques, les élus locaux, voire nationaux et
l’opposition parlementaire peut s’emparer de cette fermeture pour en faire un thème
électoral, et tout cela se passe avec des règles établies. L’opposition qui se déploie suit une
convention: l’expression du désaccord s’inscrit dans un système où une minorité admet de
respecter la règle de la majorité. La cause progresse alors par la négociation, la pression ou
le rapport de forces. Néanmoins, il peut s’opérer un changement dans la forme des
revendications avec un tournant violent si les employés menacent par exemple de détruire
les installations industrielles contre l’avis des syndicats et des responsables politiques.
Une autre forme d’action politique acceptant un degré raisonnable de recours à la violence
est celle notamment adoptée par les militants: cela peut s’illustrer par la violation de la
propriété privée.
Certaines formes d’action politique rejettent l’usage de la violence, tout en se situant
néanmoins «hors du système représentatif». C’est le cas des citoyens qui viennent en aide
à des étrangers en situation irrégulière.
Pour le cas de la désobéissance civile, on peut distinguer deux types d’activistes. Il y a
tout d’abord les «désobéisseurs» qui exigent, en se mettant pacifiquement hors la loi, le
retrait d’une disposition qu’ils jugent attentatoire à un principe «supérieur» de la démocratie
ou de l’humanité. Il y a également les «désobéissants» qui poursuivent des objectifs
identiques à ceux des syndicats ou d’une opposition politique, mais avec l’espoir de faire
aboutir la lutte plus rapidement en utilisant des tactiques inédites et exploitant les ressources
qu’offrent le «buzz» que crée une médiatisation. L’action des désobéissants visent plus les
«appareils usés de l’opposition politique que les mesures prises par le pouvoir en place».
=>«Si tout acte de désobéissance civile est un geste de résistance, toute résistance
n’implique pas le recours à la désobéissance civile»

→Les attributs de la désobéissance civile


La désobéissance civile est donc une forme d’action politique. Etienne Balibar, philosophe,
propose 3 conditions à respecter pour qu’un acte de désobéissance soit considérée comme
«politiquement responsable»:
-il faut se trouver dans une situation d’urgence
-l’acceptation de ses propres conséquences
-la possibilité d’une action collective
Une autre interprétation de la désobéissance civile, formulée par Hugo Bedau au début des
années 1960, pose d’autres conditions pour cet acte:
-l’existence d’une démocratie dans laquelle l’indépendance de la justice est une pratique
établie
-4 attributs: être public, être personnel, le caractère général de la protestation et l’expression
d’une contestation au nom de principes politiques ou de motifs moraux «supérieurs»
L’essentiel de ces conditions peut se être résumé en une définition, formulée par Hugo
Bedau au début des années 1960: «Un individu commet un acte de désobéissance civile si
et seulement s’il s’agit de façon illégale, publique, non violente et délibérée dans l’intention
de s’opposer à une des lois, politiques ou décisions de son gouvernement».

→Un droit à la désobéissance ?


Pour John Rawls, dans une démocratie où la justice y est réellement un pouvoir
indépendant et intègre et où l’alternance politique s’y réalise régulièrement, la
désobéissance civile devrait être en principe exclue puisque d’après lui: «Le devoir de civilité
impose d’accepter les défauts des institutions, dans une mesure raisonnable, et de ne pas
chercher à trop en profiter. Sans une certaine reconnaissance de ce devoir, la confiance
mutuelle risque d’être détruite. Ainsi, dans une situation presque juste du moins, il y a
normalement un devoir d’obéir à des lois injustes à condition qu’elles ne dépassent pas un
certain degré d’injustice.».
=>Ce qui est déterminant pour Rawls, c’est donc le travail collectif accompli pour préserver
et accroître le caractère juste des institutions de base de la société.
De son côté, Hannah Arendt propose de «régulariser» la désobéissance civile en
l’assimilant à «une expression du droit d’association garanti par la Constitution américaine».
Il y a ici un but louable: celui de rétablir la paix civile «gravement perturbée en reconnaissant
la justesse des combats pour la liberté et l’égalité». Néanmoins, la proposition de cette
philosophe et politologue se heurte au concept même de désobéissance: instituer un droit à
la désobéissance est une démarche risquée quand on ne peut pas savoir à l’avance «de
quel refus elle sera l’émanation». Il y a en effet un fort risque de dérive: comment refuser ce
droit à des individus ou des organisations qui rejettent les principes démocratiques ?
Finalement, il s’agit de dégager l’enjeu inhérent à l’acte de désobéissance civile. Alors que
Rawls défendait l’idée selon laquelle cette forme de protestation n’appartiendrait pas au
registre des formes d’action politique légitimes, ce dernier ignore un fait d’observation: ces
actes mettent en effet au jour «le souci croissant des citoyens d’exercer leur vigilance à
l’égard du contenu pratique des textes législatifs».
Les individus qui exercent une forme de désobéissance civile, en le revendiquant,
souhaitent ainsi avant tout agir politiquement «en se laissant guider par [...] leur sens
démocratique». La désobéissance civile ne correspond donc pas à «un déni du politique et
une remise en cause des principes républicains» mais plutôt à un appel à «une extension
des droits que la démocratie devrait assurer aux citoyens».

II) Enquête
3) Gouverner au résultat
Dès les années 1970, une modernisation de l’Etat s’opère , notamment dans ses manières
de gouverner. Ainsi, c’est une «marchandisation» de l’Etat qui se met en place. Un autre
phénomène intervient: celui de la quantification de l’action publique. C’est cette
quantification que vise de nombreux actes de désobéissance civile.

→Une affaire de légitimité


L’exercice du pouvoir politique s’accompagne toujours d’un discours de légitimation, et
depuis les années 1990, c’est «gouverner au résultat» qui est devenu le nouveau registre de
légitimation. Il s’agit de mesurer «la performance de l’action de l’Etat selon le degré de
réalisation des objectifs chiffrés qui sont fixés aux politiques publiques». Néanmoins, il peut
être difficile de savoir ce que «vouloir obtenir des résultats» signifie réellement, cette
affirmation paraît assez vague.
La notion de résultat renvoie à trois usages:
-un usage par rapport au problème de légitimité: s’engager à rendre des comptes en toute
transparence sur l’action conduite vise à «réhabiliter le politique», à regagner la confiance
des citoyens
-un usage du pouvoir exécutif, qui exige des résultats des services qu’il dirige
-un usage qui introduit la «culture du résultat»

→Ce que moderniser veut dire


La modernisation de l’Etat a commencé à se déployer avec l’introduction du projet de
«Rationalisation des choix budgétaires». P.Massé résumait ce projet: «Pour rationaliser
leurs choix, les administrations doivent s’inspirer de l’exemple des entreprises». Les
ambitions planificatrices des années 1970 ont été remplacées dans les années 1990 par «le
souci de respecter les principes de l’économie de marché». Ainsi, deux priorités font
surface: assujettir la décision politique aux données chiffrées et soumettre l’activité du
gouvernement et des administrations publiques à l’évaluation et à la mesure de leurs
performances. De cette manière, l’Etat est passé d’une «logique de moyens» à une «logique
de résultats» en se soumettant au principe d’efficacité.

→Le principe d’efficacité


Pour émettre un jugement d’efficacité, il faut établir une relation entre une fin poursuivie et
des moyens explicités, traduire cette relation en engagements, et justifier la correction des
moyens employés pour remplir ces engagements. C’est la mise en relation des ces termes
qui permet de juger de l’efficacité d’une action. Ce jugement dépend de critères tels que des
critères d’utilité, de rationalité ou de moralité. Ces critères de quantification sont prescrits par
le management public. Cette démarche d’efficacité est contestable, tout comme la mise en
place d’une «politique du chiffre», qui est devenue une valeur en soi.

→Le système du chiffre gestionnaire


Toute activité de quantification prend place dans un «système du chiffre», la statistique
devient alors instrument objet central dont s’empare l’Etat. Celle-ci est cruciale pour le
projet de modernisation: «sans chiffres, on ne peut ni fixer des objectifs, ni définir des
indicateurs de performance, ni contrôler la productivité, ni annoncer des résultats, ni évaluer
le degré de réussite d’une disposition de politique publique».

→Le politique sous régime de performance


La LOLF , loi organique relative aux lois de finances, votée en 2001, transforme l’Etat
puisqu’il cesse d’être une institution chargée d’assurer des «fonctions collectives» pour
devenir une organisation qui remplit «trente-trois missions de la façon la plus efficace
possible». Cette loi introduit dans l’Etat trois principes de management prévalents dans
l’entreprise: une «quantification détaillée en objectifs et en indicateurs de performance»,
«l'institution de niveaux de pouvoir intermédiaire confiés à des «managers»» et une
«nouvelle organisation comptable». Cette loi s’ancre dans le contexte de la modernisation
de la fonction publique, se présentant aujourd’hui sous la Révision générale des politiques
publiques (RGPP).

→Le chiffre entre performance et démocratie


La domination de l’usage gestionnaire du chiffre n’est pas complète puisque sa propagation
provoque des contestations, voire parfois de la désobéissance. Il existe en effet un rejet du
«régime de performance» qui se caractérise par un «refus d’appliquer les critères
d’évaluation» qui sont imposés. Ce refus peut être motivé par la défense des principes
démocratiques (libertés individuelles, droits sociaux, égalité des chances) mais il pose aussi
la question des limites de l’efficacité, notamment dans l’application de la politique de
«tolérance zéro», semblable à la méthode «zéro défaut» dont usent les usines. C’est
l’exercice de la démocratie qui est alors en jeu dans la politique de la performance : le souci
d’efficacité tendrait plutôt à la concentration du pouvoir entre «des mains de moins en moins
nombreuses». Ainsi, les «exigences de la démocratie sont souvent les ennemies de
l’efficacité».

4) Expérience de la dépossession
→Naissance d’une nouvelle exigence démocratique
De nos jours, les actes de désobéissance civile les plus emblématiques sont ceux
portés au nom de la défense des droits des étrangers sans papiers. Par ailleurs, de
plus en plus de ces actes visent à refuser de suivre des instructions qui font peser des
menaces sur l’égal accès des citoyens à des besoins fondamentaux (santé, éducation,
justice). Cela peut s’illustrer par la fusion de l’ANPE avec les Assedic en 2009 qui
deviennent alors une seule et même entité: Pôle Emploi. Les dossiers fusionnent ainsi, et
«lorsqu’un chômeur s’inscrira, le système informatique repérera s’il est d’origine
non-européenne et transmettra alors son dossier à la préfecture pour vérifications». Les
syndicats déclarent alors: «Nous nous opposons à toutes ces dispositions réglementaires
qui n’ont pour but que la stigmatisation de la personne étrangère». Certains agents
désobéissent pour s’opposer à ces usages de la quantification de l’action publique. De la
même manière, la mise en place de «Base élèves», sorte de fichage des élèves, a conduit à
un mouvement de rejet, forçant le ministère à supprimer le critère de nationalité et de
maladie du logiciel.

→Le travail de l’information: l’exemple de la santé


Une politique de «maîtrise médicalisée des dépenses de santé» a été mise en place, avec
une «codification de l’ensemble des actes, prestations et formes de traitement déployés
pour soigner des pathologies identifiées». Une question a alors été soulevée à propos de la
vocation du système d’information de santé: vise-t-il la maîtrise des dépenses ou
l’amélioration des pratiques médicales ? Les standards d'efficacité imposés trahissent la
nature gestionnaire de ce système: mais le critère de rentabilité peut-il s’appliquer à la
médecine ? Des médecins ont alors pris la décision de boycotter le codage, grâce à des
tactiques de retardement, «défiant ouvertement les lois et réglementations»

→Le privé et le public face à la désobéissance


Les secteurs privé et public n’entretiennent pas un rapport au politique. Dans les
administrations d’Etat, il existe une relation interne entre les actes qui composent le travail
quotidien et «la nature intrinsèquement politique» des instructions qui doivent être suivies.

→Une certaine idée de la performance scolaire


Un des relais de la désobéissance civile est l’école, avec le développement d’actions de
défense d’élèves dont les parents sont en situation de séjour irrégulier par exemple. Ces
révoltes ont donné naissance au Réseau éducation sans frontières (RESF). Par ailleurs,
trois mesures prises par le gouvernement en 2009 ont conduit certains enseignants à
refuser de les appliquer:
-la réduction de deux de la durée d’enseignement
-la modification des programmes et la suppression de certaines matières et options
-l’introduction de nouvelles évaluations des résultats scolaires
Celles-ci ont été prises suite à un audit de modernisation visant à faire des économies
budgétaires, afin d’éviter le «gaspillage d’argent public», et à améliorer la productivité et la
rentabilité. Le rapport d’audit met en évidence le fait que la logique de performance requiert
une centralisation du recueil et du traitement de l’information au niveau national. De là, des
conflits naissent entre nécessité de centralisation et affirmation de l’autonomie. Mais dans
tous les cas, cela a mené à des actes de désobéissance civile, avec le refus des acteurs de
base de se plier aux injonctions des gouvernants. C’est pour s’opposer à l’introduction de la
logique du résultat et de la performance dans l’Education Nationale que des enseignants ont
fait de l’organisation des évaluations dans leurs classes le motif de désobéissance civile.

→Efficacité et équité contre liberté et égalité


L’idée de résultat est intimement liée à l’activité quotidienne des professeurs. Néanmoins,
cette conception du résultat n’est pas celle des «modernisateurs» lorsqu’ils emploient ce
mot. Les notions d’efficacité et d’équité n’ont donc pas le même sens dans le monde de
l’école et dans le dialecte gestionnaire. C’est alors au nom de l’autonomie et de l’égalité que
des enseignants optent pour la désobéissance civile .

→L’hôpital soumis à la qualité


Alors que les années 1970 marquent une volonté de l’Etat d’améliorer l’état d’hygiène et de
santé de la population avec une extension de la Sécurité sociale à l’ensemble des citoyens,
cette politique de santé a été remise en cause lorsque le problème de son coût s’est posé.
C’est alors la quantification qui a été imposée dès 1989, dans le cadre du Programme de
médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Celui-ci a vite été appréhendé comme
«un pur instrument de gestion» par les médecins, qui ont alors freiné sa mise en place

→Tarification à l’activité
Le financement des établissements de santé reprend le principe du coût par pathologie,
avec le «paiement au séjour», la «tarification à l’activité» (T2A). Les avantages de cette
méthode sont l’obligation de transparence des actes et prestations dispensés et la mise en
place d’un instrument de contrôle budgétaire. Néanmoins, ce «paiement au séjour» fait
courir le risque d’une dégradation dans la dispensation des soins. En effet, cela
entraîne certaines dérives comme la réduction des durées de séjour, avec une sortie parfois
trop précoce des patients vers leur domicile. Par ailleurs, la mesure de la «qualité à
l’hôpital» pose une question d’éthique. La qualité est mesurée à partir d’indicateurs
statistiques, de «cases à cocher». La quantification réduit le terme de qualité à ce qui est
chiffrable.

→La qualité comme impératif moral et comme instrument de gestion


Pour les uns, la notion de qualité désigne un impératif moral sur l’activité du médecin , pour
les autres, elle qualifie la valeur d’un produit. Dans le premier cas, la qualité est une affaire
de confiance, elle ne se quantifie donc pas, dans le second cas, c’est la quantification qui
est essentielle . Ces deux manières d'envisager la qualité expriment deux conceptions de
l’activité médicale : la première pour une pratique clinique reposant sur sur une relation
directe au client, la seconde pour une technique de soin dont l’efficacité se mesure à son
résultat, prenant pour base le modèle économique. Avec le développement de l’emprise du
système d’information sur l’activité médicale, la santé publique est aujourd’hui moins une
question de relation que d’efficacité.

→L’université livrée à l’autonomie


A sa promulgation en 2007, la Loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités
(LRU) n’a pas suscité d’opposition chez les professionnels, alors qu’elle modifiait leur cadre
de travail. Le terme d’«autonomie» utilisé dans la loi peut expliquer ce manque de réaction.
La loi met en œuvre une politique de contractualisation, nécessitant un vaste travail de
rationalisation administrative. Devenant un enjeu majeur, avec l’émergence d’une
«économie de la connaissance», l’enseignement supérieur et la recherche font l’objet d’une
modernisation. La réforme de l’enseignement supérieur relève elle aussi d’une production de
chiffre, étayée par la «publication régulière de tableaux de comparaison des performances».
Ce mouvement de réforme s’appuie sur la confluence de trois forces de transformation: une
dévalorisation de l’Etat face à la montée de l’initiative privée, une volonté d’ajustement aux
mutations sociales et économiques et la mise en application des innovations techniques,
avec un recours aux méthodes de management moderne pour un nouveau type de
quantification.

→La violence arithmétique


Qu’il s’agisse de l’école, de l’hôpital ou de l’université, ces trois domaines d’action publique
ont tous connu une évolution vers une logique du résultat et de la performance, visant
à réduire la dépense publique. Ainsi, les actes de désobéissance civile qui naissent dans
le service public sont commis lorsque les individus constatent une dépossession de leur
métier.

→Politique de la quantification
Avec la «numérisation du politique», justifiée par un impératif d’efficacité, une maxime est
posée: «l’Etat doit être géré comme on gère une entreprise». Il y a alors un retour de la
figure du chef, se caractérisant par un «patron de la nation», qui répond à la nécessité de
«réhabiliter le politique en instaurant son autorité». Le refus du régime de performance
repose sur la,sur la dénonciation des principes qui l’ont guidée: contrôle, intégration des
données et autoritarisme. Il s’agit de dénoncer l’atteinte que les réformes gestionnaires
portent aux principes de civilité (dignité, respect, autonomie, solidarité, gratuité)

III) Politique
5) Une conception ordinaire du politique
Le recours à la désobéissance civile pose une question: est-ce une forme d’action
politique ? Si on entend la notion de politique au sens théorique, alors oui, la
désobéissance civile marque une défiance des gouvernés à l’égard de ceux qui les dirigent

→Le phénomène politique


Il existe quatre manières d’envisager la politique:
-La manière «essentialiste» où le politique se réduit à l’exercice du pouvoir de gouverner un
groupement humain, en agissant au nom d’un bien commun
-La manière «absolutiste» qui conduit à penser que la moindre des affaires humaines traduit
toujours l’état des rapports de force d’une société donnée
- La manière «institutionnelle» où le concept de politique recouvre un espace institutionnel
dans lequel évoluent les personnes occupées à travailler dans les instances de
gouvernement, les administrations d’Etat, les organes de formation de l’opinion et les
associations, lobbies ou groupes d’activistes
-Une manière «pluraliste» où l’ordre politique est diffus, son institutionnalisation se réalise
sous de multiples formes et où l’action collective s’ancre dans ce domaine.

→Le pluralisme comme fait


Le pluralisme est un concept qui se fonde sur trois postulats:
-Le politique n’a pas d’essence et aucun problème particulier n’est prédisposé à être
politique: tous ont la même chance de le devenir ou pas.
-L’Etat n’est pas à la genèse du politique, celui-ci est utile pour qualifier «toute espèce de
relation stable qui dépasse le cercle de la famille et permet d’entretenir des rapports de
réciprocité avec des partenaires étrangers à ce cercle»
-L’Etat n’est pas la source unique de la régulation sociale

→Le social et le politique


La validité de ces postulats se confirme dans la philosophie politique de John Rawls. Ce
dernier cherche à répondre à la question: «Comment la structure de base d’une société
peut-elle être juste ?». D’après lui, la société est une «association de personnes qui
reconnaissent certaines règles de conduite comme obligatoires et qui, pour la plupart,
agissent en conformité avec elles». C’est donc la forme du contrat, présentant des principes
de justice qui peuvent mener à des conflits, qui permet à des individus de devenir des
membres d’une société. Ce concept de «contrat» souligne une nécessaire «acceptation de
certains principes moraux» qui doit être partagée, avec «la connaissance ordinaire des
manières de faire et de penser correctes», il ne s’agit pas d’un système d’obligations
extérieures.

→L’ordre réflexif du politique


L'établissement d’une société s’accompagne alors de la mise en place d’un organe de
direction. La longévité d’un pouvoir politique dépend de la capacité de ses détenteurs
provisoires à faire fonctionner, de manière légitime, les institutions. Mais comment s’opère
cette délégation ? Rien n’est jamais définitif, ce qui, à un moment, paraît relever à l’évidence
de l’action publique peut cesser de le paraître un moment plus tard: «les dimensions de la
vie des individus qu’un gouvernement reçoit la responsabilité de prendre en charge sont
déterminées dans une confrontation publique dont le terme reste incertain». Par ailleurs, le
pouvoir dont jouissent les dirigeants n’est jamais absolu: les gouvernants sont toujours
contraints par le regard des gouvernés. Revendication syndicale, élection et désobéissance
civile sont toutes des manières d’exprimer des critiques à l’égard de l’exercice de ce pouvoir.

→Conséquences du pluralisme
Pour qu’une action collective soit reconnue comme politique, elle doit être identifiée comme
telle par ceux qui y participent. Elle doit remplir également viser à ce qu’une question
d’intérêt général soit prise en charge par l’organe de gouvernement. L’idée de conception
ordinaire du politique confirme la thèse de Thoreau et Emerson, reprise par S.Cavell: la
désobéissance est au fondement de la démocratie. Cette forme de mobilisation repose
sur «l’engagement personnel des individus à manifester leur refus de ce qui, à leurs yeux,
est inacceptable en démocratie».

6) La démocratie radicale et l’individu


Quel consentement l’individu a-t-il donné à la démocratie ? L’idée de démocratie absolue
soulève le fait que cette adhésion n’est et ne sera jamais achevée. La conception de la
désobéissance civile émerge alors comme phénomène inhérent à la démocratie, et elle est
étroitement liée à une approche américaine de la démocratie.

→S’extraire du conformisme
«Pour que le gouvernement soit légitime, tous doivent y avoir, ou y trouver, leur voix»: cela
renvoie au concept de conversation démocratique, où chacun vaut autant que les autres.
Mais alors comment faire cohabiter des individus ayant des intérêts individuels ou
communautaires divergents dans une même entité politique ?
Par ailleurs, il faut que la voix privée de tous les citoyens soit rendue publique: ici repose le
problème de la démocratie, celui de la difficulté d’expression. Le concept de démocratie
radicale, selon lequel le consentement de chacun n’est jamais définitivement acquis, peut
alors intervenir. En effet, un «individualisme radical» est une porte ouverte à la
redécouverte de la démocratie. Il s’agit de différencier les multiples notions de
l’individualisme. Le thème le plus couramment employé est celui de l’individualisme du
néolibéralisme, égoïste et dépourvu de sens et d’idéal avec la mise en avant de
l'individualisme marchand. Néanmoins, il existe une forme d'individualisme qui semble être
essentielle à la démocratie.

→Constitution de l’individu démocratique


Même dans l’action collective, l’individualisme semble être devenu central, où il est envisagé
dans une «perspective progressiste». La voix individuelle cherche sa place dans la voix
collective, ce qui assoit une certaine légitimité dans l’implication des individus. Selon
l’approche de la démocratie radicale, toute société démocratique véritable serait
individualiste, en donnant une «voix pleine et entière à la critique» et laissant libre court à la
capacité politique et expressive de chacun. L’instauration d’une conversation démocratique
serait alors possible.
→L’expertise contre l’expressivité
Les actes de désobéissance civile analysés dans cet ouvrage sont motivés par un
sentiment: la dépossession de soi, «qui naît de la domination qu’exerce ce type de savoir
expert fondé sur la quantification de l’action publique et le contrôle des usages qu’il est
possible d’en faire pour transformer l’Etat et le politique». Emerson, au sujet de cette mise
en place d’une «expertise d’Etat», insiste sur «un triple perte de la confiance en soi»:
-celle de l’individu, qui se sent obligé d’avoir recours à des plus compétents que lui pour
avoir une position valide
-celle du politique
-celle de l’expert, dont le jugement n’est souvent que le reflet de conformismes
Une question inhérente à l’existence de démocratie représentative est celle de cette même
représentation: comment peut-on parler pour d’autres ? Le point de départ est la confiance
en soi, au sens philosophique et politique, il faut «savoir faire usage de soi».
Réciproquement, le citoyen peut légitimement se poser la question suivante: comment
puis-je céder ma voix et considérer que quelqu’un me représente ?
L’individualisme d’Emerson s’oppose ainsi au l’individualisme libérale qui justifie la
concurrence puisque selon ce dernier, l’individualisme ne revendique pas l’individu, ou le
privé, contre la communauté, mais travaille plutôt à faire de l’individu et du commun
«l’expression des uns des autres». Dans cette perspective, dès lors que les individus ne se
reconnaissent plus dans le discours public, il leur est possible d’avoir recours à la
désobéissance civile.

→Trouver sa voix
Pour S.Cavell, il est capital de souligner le fait que nous nous accordons non pas sur le
langage mais dans le langage. «S’accorder dans le langage» signifie que le langage produit
notre entente autant qu’il est le produit d’un accord. S.Cavell définit l’accord comme n’étant
fondé sur rien d’autre que sur la validité d’une voix: «ma voix individuelle prétend à être
(claim), est une voix universelle».
L’échec du langage se situe alors dans la tentation, et la menace, de l’inexpressivité. «Ma
société doit être mon expression»: voici ce qu’espèrent les théoriciens de la démocratie, ce
qui forme une illusion dénoncée par S.Cavell. Ce dernier affirme en effet que «si les autres
étouffent ma voix, prétendent parler pour moi, en quoi ai-je consenti ?», défendant l’idée que
trouver sa voix consiste non plus à «trouver un accord avec tous» mais à «formuler une
revendication». La possibilité de cette revendication par la voix permet de prolonger
aujourd’hui le modèle de la désobéissance civile.

→L’ordinaire de la revendication
La désobéissance civile est «une forme d’action dont le caractère politique n’est ni
systématiquement ni unanimement reconnu par les théoriciens du politique». La
désobéissance met effectivement en cause l’expression légitime. La question de la
capacité à dire «nous» à partir du «je» se pose alors. Par définition, personne ne peut
prétendre, n’est légitime, à parler au nom du «nous». Ainsi, la désobéissance civile est un
moyen d’exprimer son désaccord avec des actions de l’Etat menées au nom du «nous»
alors que tous n’ont pas consenti à ces dernières.

● Conclusion
→La guerre des mondes
L’argument qu’a essayé de défendre ce livre est le suivant: la désobéissance civile est une
forme d’action politique constitutive de la démocratie. «Récupérer sa voix et la faire entendre
en se révoltant à désobéir est une démarche qui repose sur une idée exigeante du politique,
qui prend au sérieux la définition radicale qui donne qui donne la démocratie pour un
gouvernement du peuple par le peuple». Alors que les urnes, lieu désigné pour s’exprimer,
semble être un moyen d’expression devenu approprié pour se faire entendre, la
désobéissance civile apparaît comme nécessaire.
Néanmoins, désobéir en démocratie reste une attitude suspecte, la désobéissance ne
s'impose donc que dans des circonstances particulières.
Nous l’avons vu, la désobéissance civile relève, de nos jours, d’une opposition à
l’imposition de la logique du résultat et de la performance dans l’activité de
gouvernement. Il s’agissait de comprendre pourquoi ce qui semble se présenter comme
une simple modernisation du travail des administrations d’Etat conduit des agents et des
professionnels de service public à s’engager dans une forme d’action politique assez
radicale, telle que la désobéissance civile. De nombreuses critiques sont portées à
l’encontre de l’émergence d’une politique du chiffre, dont une qui dénonce les menaces que
la quantification fait peser sur les libertés publiques et la vie privée. Certains peuvent trouver
cette crainte excessive, mais s’en tenir là serait un manquement à la réalité. En effet,
l’époque est à la numérisation dans et pour l'exercice du pouvoir ainsi qu’à la diminution de
la dépense publique. De cette manière, certaines décisions qui engagent des valeurs
politiques collectives sont justifiées par les seuls critères d’efficacité et de rentabilité.
La peur de la sanction n’est pas parvenue à étouffer la contestation de l’emprise de la
quantification, les citoyens réagissent toujours à ce sentiment de dépossession de soi («de
son métier, de sa langue et de sa voix»).
Ainsi, les actes de désobéissance civile qui expriment le refus de la numérisation participent
à ce «conflit» politique qui oppose les citoyens aux serviteurs du chiffre que sont devenus
les gouvernants et leurs conseillers.

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