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SÉQUENCE 3

Partie 3 – la france : une nouvelle place dans le monde

Affaiblie et ruinée par la Seconde Guerre mondiale, la France, en 1945, ne peut plus être considérée
comme une grande puissance. Aussi le projet mis en place à la Libération est celui d’une restauration de
cette puissance dans toutes ses dimensions. Le projet de reconstruction économique et sociale s’appuie
sur une intervention massive de l’État dans l’économie et la résolution des inégalités sociales, et cette
inscription dans les Trente Glorieuses, que décrit Jean Fourastié, tient au moins jusqu’au premier choc
pétrolier de 1973.
Pourtant, dans cette recherche de la puissance, la IVe République doit faire face à de nouveaux défis,
dont les moindres ne sont pas la bipolarisation induite par la Guerre froide et la volonté d’émancipation
des colonies françaises, qui se traduit par un état de guerre outre-mer permanent de 1946 à 1962. C’est
dans l’alliance américaine, au sein du bloc occidental, ainsi que dans la construction européenne, que la
IVe République trouve les réponses, sans que cela ne l’empêche d’échouer sur la guerre d’Algérie.
C’est à Charles de Gaulle qu’il revient de pousser plus loin la modernisation de la France, mais au
prix d’un abandon de la quasi-totalité des colonies françaises, d’une rupture relative dans la politique
internationale de la France et d’un changement d’institutions. En incarnant « une certaine idée de la
France », de Gaulle fonde une nouvelle France, que ses successeurs reprendront sans apporter beaucoup
de changements, si ce n’est, dès son départ, le retour à une intégration européenne plus poussée, telle
que l’avait envisagée la IVe République, qui n’aura pas tant déméritée.

Vocabulaire
• Trente Glorieuses : Période de forte croissance économique que connaissent la plupart des pays
occidentaux de la fin des années 1940 jusqu’aux débuts des années 1970

A. La IVe République entre décolonisation, guerre froide et


construction européenne

1. La IVe République modernise la France


→ À la sortie de la guerre, les partis politiques, à l’exception du Parti communiste et des partisans de
De Gaulle, choisissent le retour à un régime d’assemblée. Le projet gaulliste d’un pouvoir exécutif
renforcé, énoncé lors du discours de Bayeux du 16 juin 1946, se heurte à l’opposition des Français
qui sortent de quatre ans de régime de Vichy. La Constitution de la IVe République est adoptée par
référendum en octobre 1946 malgré une forte abstention.
La nouvelle Constitution met donc en place un régime parlementaire, dans lequel le pouvoir est
exercé par les coalitions qui se succèdent à l’Assemblée nationale et qui se structurent autour d’un
axe composé des partis centristes dont le plus important est le Mouvement républicain populaire
(MRP). Schématiquement, ces coalitions balancent soit vers la gauche, intégrant alors la SFIO
(Section Française de l’Internationale Ouvrière devenue Parti socialiste en 19669) pour mener une
politique davantage tournée vers le social, soit vers la droite pour mener une politique économique
plus libérale, rejetant alors la SFIO dans l’opposition. Ces coalitions sont rendues nécessaires par le

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refus des gaullistes de participer au gouvernement et par le rejet des communistes dans l’opposition
à partir de juin 1947, la France se plaçant alors résolument dans l’alliance américaine qui découle
explicitement du Plan Marshall.
L’Assemblée nationale, ou plutôt la coalition qui s’est entendue pour gouverner, contrôle donc le
pouvoir exécutif, dans la mesure où elle prononce l’investiture du chef du gouvernement (le président
du Conseil dont le rôle est dorénavant inscrit dans la Constitution), désigné par le président de
la République au sein de cette même coalition ; le président de la République voit donc son rôle
presque ramené à celui qu’il était avant-guerre, puisque son choix en matière de nomination du
chef du gouvernement est restreint (sauf en 1958, nous le verrons par la suite) et que son pouvoir
de dissolution est très encadré. Le président du Conseil, quant à lui, n’est investi que pour mener la
politique de coalition décidée par les partis politiques.
Cette situation explique l’idée d’une instabilité ministérielle : la IVe République aurait été
incapable de mener une politique cohérente et suivie, faute de stabilité des gouvernements. Or, si
les gouvernements changent parfois très rapidement (on compte vingt-quatre présidents du Conseil
de 1946 à 1958), les équipes qui les composent sont souvent constituées des mêmes hommes
(Robert Schuman, MRP, est ainsi ministre des Affaires étrangères de juillet 1948 à janvier 1953 sans
discontinuer), ou alors ce sont les mêmes partis qui choisissent le titulaire de la fonction (le MRP
occupe le ministère des Affaires étrangères de janvier 1947 à juin 1954), ce qui assure le suivi des
politiques puisque le ministre n’est que l’exécutant de la politique de son parti et, par extension,
de l’accord de coalition dans lequel son parti s’est inscrit. Il vaut mieux donc parler d’instabilité
gouvernementale que d’instabilité ministérielle.

Exercice 1
Document 1 Les institutions de la IVe République, octobre 1946

Source : Alankazame, Lichnowsky and Tiago

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Répondez aux questions suivantes sur votre support de cours :
1. Pourquoi peut-on dire que la IVe République est un régime d’assemblée ?
2. Quel est le rôle du pouvoir exécutif dans ces institutions ?
Pour vérifier vos réponses, rendez-vous à la fin de cette partie.

→ La nature du régime ne gêne en rien l’intervention de l’État dans l’économie et la société, dans la
foulée du programme élaboré par le Conseil national de la Résistance. L’État se donne dès la fin de
la guerre les moyens de son interventionnisme : principales banques et assurances, compagnies
d’énergie et de transport aérien sont nationalisées dès 1945. Aussi, pour encadrer la reconstruction
et surtout la modernisation du pays, l’ordonnance du 9 octobre 1945 crée l’ENA (École Nationale de
l’Administration) pour faire face à la complexification des rouages politiques, administratifs et écono-
miques d’un État moderne.
La modernisation passe aussi par la planification. S’appuyant sur le secteur nationalisé, ainsi que
sur les études de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), créé en juin
1946, le gouvernement décide, en décembre 1945, de la création du Commissariat général au Plan,
confié à Jean Monnet. Cette planification, qui, pour commencer, se consacre à la reconstruction de la
France puis au développement d’infrastructures modernes, se distingue de la planification soviétique
par son caractère purement incitatif ; le secteur privé continue de dominer la vie économique française.
→ La IVe République fonde l’État-providence en France : il s’agit de redistribuer la richesse natio-
nale par le biais de la Sécurité sociale, destinée à assurer les salariés contre les accidents de la
vie et à leur assurer une retraite, mais aussi à mener une politique familiale dynamique par le biais
des caisses d’allocations familiales. Cette politique se prolonge pendant toute la IVe République,
notamment avec des mesures d’amélioration des conditions de travail : loi de 1946 qui réinstaure
les quarante heures de travail hebdomadaires, création d’un salaire minimum (le SMIG ou salaire
minimum interprofessionnel garanti) en 1950, troisième semaine de congés payés en 1956, instau-
ration de la vignette automobile pour améliorer la retraite des vieux salariés les plus démunis… En
tout état de cause, cette redistribution de la richesse nationale a pour corollaire l’augmentation des
revenus et du niveau de vie, ce qui soutient la croissance.
→ Jusqu’à la fin des années 1960, le pouvoir d’achat des Français augmente globalement, permettant
progressivement à ceux-ci d’entrer dans la société de consommation. La consommation se porte
d’abord sur l’équipement des ménages (lave-linge, réfrigérateur et aspirateur), attestant des progrès
de l’électrification jusque dans les campagnes. L’automobile et les loisirs (à travers la télévision et les
vacances) deviennent des postes croissants de dépenses.

2. La IVe République fait le choix de la construction européenne et de


l’alliance atlantique
→ Alors que les partis de la Résistance, SFIO, PCF et MRP, se sont entendus pour gouverner ensemble
dès la Libération – c’est le Tripartisme –, la conjoncture internationale et économique jette les com-
munistes dans l’opposition :
– Le début de la guerre d’Indochine en 1946, qui oppose l’armée française aux communistes vietna-
miens, ainsi que la répression du soulèvement malgache en 1947, entraîne l’opposition du PCF :
les communistes mènent ainsi une campagne contre les « guerres coloniales » tandis que leurs
députés refusent de voter les crédits militaires.
– La persistance de la pénurie (les derniers tickets de rationnement ne sont supprimés qu’en 1949) et
le coût élevé de la vie expliquent la multiplication des grèves.
– L’acceptation par la France de l’aide américaine du Plan Marshall rend difficile la présence de
ministres communistes au sein du gouvernement. Ces derniers sont renvoyés du gouvernement le 5
mai 1947. Avec l’énoncé de la doctrine Jdanov, le PCF entre dans une opposition presque systéma-
e
tique aux gouvernements de la IV République.

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À partir de 1949, la France choisit l’intégration au camp libéral américain. Elle ratifie le Pacte
atlantique et intègre l’OTAN, dont le Haut-commandement est localisé à Paris. L’alliance américaine
procure notamment le matériel et le soutien nécessaire à la France dans son engagement dans la guerre
d’Indochine.

Document 2 : Siège provisoire de l’OTAN à Paris


De 1949 à 1966, la France accueille le siège de l’OTAN ainsi que le Haut-Commandement de
l’Organisation. De 1952 à 1959, ce siège est installé au Palais de Chaillot.

→ C’est au crédit de la IVe République qu’il faut inscrire l’inscription de la France dans la construction
européenne comme facteur de paix mais aussi de modernisation. Cette politique européenne n’est
pas opposée à l’atlantisme puisque c’est la peur grandissante de l’URSS, avec le blocus de Berlin-
Ouest, qui pousse les Européens à envisager avec intérêt l’idée d’une unité des États européens.
En mai 1948, les représentants français au Congrès international à La Haye défendent l’idée d’Assem-
blée européenne composée de parlementaires des pays d’Europe de l’Ouest et axée sur la défense des
droits de l’homme : le 5 mai 1949, la Convention européenne qui met en place le Conseil de l’Europe (dont
le siège est installé symboliquement à Strasbourg) est signée. L’année suivante, une Cour européenne
est mise en place pour faire respecter une Charte des droits et des libertés fondamentales. En 1955, le
Conseil de l’Europe se dote d’un drapeau (qui est le drapeau européen actuel, avec 12 étoiles sur fond bleu).
Dès cette date, les « Pères de l’Europe » : les Français Jean Monnet et Maurice Schuman, l’Italien Alcide
De Gasperi, l’Allemand Konrad Adenauer et le Belge Paul-Henri Spaak, optent pour une construction
concrète de l’Europe. Le 9 mai 1950, dans une déclaration préparée par Jean Monnet, Robert Schuman
propose de placer la production européenne de charbon et d’acier sous une « haute autorité commune » de
nature supranationale. Ce projet est rejeté par le Royaume-Uni en raison de son caractère supranational.
En avril 1951, la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg créent la
Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), dont l’objectif est de faciliter la recons-
truction et le développement de l’Europe de l’Ouest par la libre circulation des produits sidérurgiques,
mais aussi d’éviter tout risque de guerre future en ancrant les industries lourdes européennes, né-
cessaires à la fabrication d’armements, les unes aux autres.

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→ En 1950, pour faire face à la menace soviétique, les États-Unis appellent à un réarmement de la RFA. Le
succès de la CECA permet alors d’envisager d’autres intégrations sectorielles, mais le projet de Com-
munauté Européenne de Défense (CED), signé à Paris en 1952, échoue en 1954 devant la division de la
classe politique française (ce qui provoque l’entrée de la RFA dans l’OTAN). Avec l’échec de la CED, c’est
la perspective d’une Europe fédérale, c’est-à-dire une Europe dans laquelle les États auraient volontai-
rement renoncé à un élément fondamental de la souveraineté (ici leur politique de défense), qui s’éloigne
durablement. Si tôt après la Seconde Guerre mondiale, seule l’approche économique semble acceptable.
En revanche, la France souscrit aux traités de Rome de mars 1957, signés entre les partenaires
de la CECA, qui relancent l’intégration économique de l’Europe de l’Ouest en mettant en place la
Communauté Economique Européenne (CEE) et la Communauté Européenne de l’Énergie Atomique
(CEEA ou Euratom). L’objectif est la réalisation d’un Marché commun par l’établissement progressif de
la libre circulation des marchandises, des capitaux, des hommes et des services, ainsi que par la mise
en œuvre d’une politique commune dans les domaines économiques et financiers.

Exercice 2
Document 3 : Affiche italienne pour le Traité de Rome de 1957
En 1957, la France fait partie des six pays qui créent la Communauté économique européenne par le
traité de Rome

©Europa Grafica - Commission européenne / CVCE

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Document 4 : Une opinion française divisée face à la CED
De 1952 à 1954, la Communauté européenne de défense fait l’objet d’un intense débat en France. Si les
communistes et les gaullistes sont unanimement contre, tous les autres partis sont divisés entre partisans et
adversaires.

A. Affiche en faveur de la CED B. Affiche hostile à la CED

Bundesarchiv Koblenz / CVCE Bibliothèque marxiste de Paris, droits réservés

Répondez à la question suivante sur votre support de cours :


À l’aide des documents 3 et 4, montrez quels sont les grands axes de la politique étrangère française
sous la IVe République.
Pour vérifier votre réponse, rendez-vous à la fin de cette partie.

3. La IVe République jette les bases de la décolonisation mais échoue sur la


guerre d’Algérie
→ À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la France n’entend pas renoncer à son Empire colonial. En
1946, les colonies sont intégrées au sein de l’Union française qui, théoriquement, doit consacrer
l’égalité entre la métropole et ses colonies, qui deviennent des territoires d’outre-mer. Cette appa-
rente égalité se traduit notamment par l’obtention de la nationalité française par tous les Algériens en
1944 ; dans les autres colonies, le suffrage est élargi et chaque territoire élit sa propre assemblée qui
gouverne avec le haut-commissaire français.
Pour accélérer la marche des territoires de l’Union française vers une autonomie accrue, la loi-cadre
Defferre de 1956 met en place l’élection des assemblées territoriales au suffrage universel et instaure
l’indigénisation des cadres : les fonctionnaires sont recrutés localement et le haut-commissaire est
assisté d’un vice-président dont le rôle est de représenter les populations.

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→ Pourtant les aspirations à l’indépendance sont nombreuses et s’expriment dès la fin de la guerre :
– En Algérie, des émeutes éclatent à Sétif et à Guelma le 8 mai 1945 : à la mort d’une centaine
de Pieds noirs (les Français d’Algérie) répond une répression policière et militaire extrêmement
violente qui fait entre 2500 et 6000 morts (selon les historiens).
– Au Moyen-Orient, la France doit abandonner en 1946 ses mandats sur le Liban et le Syrie.
– En mars 1947, une partie de la population malgache se soulève contre la présence française : la
répression par les troupes coloniales rétablit l’ordre au prix de plusieurs milliers de victimes.
– L’agitation croissante et les manifestations des indépendantistes en Tunisie et au Maroc conduisent
à l’indépendance de ces deux pays en 1956.
→ En Indochine, l’insurrection est lancée dès le mois d’août 1945 par le Vietminh (Front pour l’indé-
pendance du Vietnam) et se traduit par la proclamation de la République démocratique du Vietnam.
Celle-ci est reconnue par la France en mars 1946, mais, dès le mois de décembre, les relations sont
rompues après le bombardement du port d’Haiphong par la marine française. C’est le début de la
guerre d’Indochine : les forces du Vietminh, commandées par le général Giap, utilisent la tactique de
la guérilla contre les forces françaises, qui, incapables de venir à bout du Vietminh, font appel à l’aide
des États-Unis ; de son côté, le Vietminh reçoit l’aide de la nouvelle République populaire de Chine.
La guerre d’Indochine est devenue un conflit de Guerre froide. Alors que des négociations s’ouvrent
à Genève en avril 1954, la France subit un grave revers militaire à Dien Bien Phu en mai et doit
conclure les Accords de juillet qui prévoient l’indépendance du Vietnam, divisé en deux États : au
nord, un État communiste, au Sud un État inscrit dans le camp occidental ; le Cambodge et le Laos
sont devenus indépendants l’année précédente.

Exercice 3
Document 5 : La guerre d’Indochine
Des bombardiers français fournis par les États-Unis lâchent du napalm sur les positions du Vietminh en
novembre 1953.

Source : Warner Pathé News

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Document 6 : Les Accords de Genève
Pierre Mendès-France (1907-1982), président du Conseil français, en compagnie d’Anthony Eden (1897-
1977), diplomate et ministre des Affaires étrangères britannique, et Viatcheslav Molotov (1890-1986),
ministre des Affaires étrangères soviétique à l’issue de la Conférence de Genève, au quartier général de la
délégation française le 21 juillet 1954.

Source : AFP / Journal Le Monde

Répondez à la question suivante sur votre support de cours :


À l’aide des documents 5 et 6, montrez que la guerre d’Indochine n’est pas seulement, pour la France,
un conflit de décolonisation mais aussi un conflit de Guerre froide.
Pour vérifier votre réponse, rendez-vous à la fin de cette partie.

Pour la politique coloniale de la France, le répit est de courte durée. Dès la Toussaint 1954, des attentats
en Algérie marquent le début du grand conflit de décolonisation qui marque durablement la France.
Le président du Conseil, Pierre Mendès-France, qui s’était donné un mois pour mettre fin à la guerre
d’Indochine, chute en février 1955 pour avoir essayé de résoudre la crise algérienne par des réformes.

Exercice 4
Document 7 : La Toussaint rouge en
Algérie, 1er novembre 1954
Une du journal français « France-Soir »
au lendemain des attentats commis par
le FLN sur le sol algérien.

Répondez à la question suivante sur


votre support de cours :
Que se passe-t-il le 1er novembre 1954
en Algérie ?
Pour vérifier votre réponse, rendez-vous
à la fin de cette partie.

Source : France Soir

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B. La crise algérienne de la République française et la naissance d’un
nouveau régime

1. La Guerre d’Algérie, une guerre qui ne dit pas son nom


→ La Guerre d’Algérie, qui ne fut reconnue comme guerre par la France qu’en 1999, est une guerre de
décolonisation, au sein d’un territoire que la France pensait avoir intégré politiquement depuis la
départementalisation de 1848. Ce conflit oppose donc les Français, qui pensaient se battre pour l’inté-
grité du territoire, aux Algériens qui se battaient pour une Algérie indépendante. Surtout, la Guerre
d’Algérie oppose, de façon croissante au fur et à mesure du conflit, une opinion publique métropoli-
taine – de plus en plus hostile à une guerre impopulaire en France comme à l’étranger – aux Pieds
Noirs qui refusent jusqu’au bout non seulement l’indépendance mais aussi toute réforme.
En effet, l’Algérie est une colonie spécifique au sein de l’Empire français : elle est la plus ancienne
et la plus peuplée des colonies françaises (elle a été rattachée à la France avant Nice et la Savoie,
comme se plaisent à le rappeler les opposants à toute évolution de son statut). La population musul-
mane y représente environ 8,4 millions d’habitants en 1954, alors que la population européenne, les
« Pieds Noirs », est inférieure à un million. La société algérienne est particulièrement inégalitaire,
mais cette inégalité n’est véritablement ressentie que par les Algériens. Les habitants ont tous la
nationalité française, mais les musulmans ne l’ont obtenue qu’en 1944 et le statut de 1947 permet
aux Pieds Noirs, pourtant minoritaires, d’élire autant de députés que les musulmans.
Devant l’échec du nationalisme politique, les partisans d’une indépendance par l’insurrection ont
fondé le Front de Libération Nationale (FLN) et déclenchent, le 1er novembre 1954, une série d’atten-
tats (insurrection de la Toussaint ou « Toussaint rouge »). L’Algérie entre alors dans un cycle qui fait
alterner répression et attentats.
→ La France est rapidement engagée dans une véritable guerre : l’armée française affronte l’ALN,
l’armée du FLN, tandis que la police poursuit les auteurs d’attentats. En 1956, la lutte contre les indé-
pendantistes se militarise avec l’envoi du contingent (les appelés du service militaire) et d’un maté-
riel militaire considérable. Le 12 mars 1956, le président du Conseil socialiste, Guy Mollet, obtient
les « pouvoirs spéciaux » pour résoudre la situation en Algérie ; votés par presque tous les partis, ils
engagent le gouvernement dans une politique qui fait se confondre en Algérie les pouvoirs exécutif et
législatif et laisse de plus en plus l’autorité aux mains de l’armée. Les pouvoirs publics français ont
donc abandonné l’Algérie à l’armée.
→ Les militaires remportent plusieurs succès au prix de méthodes exceptionnelles :
– De janvier à octobre 1957, les parachutistes du général Massu engagent ainsi la bataille d’Alger pour
en éradiquer le terrorisme, en réalisant l’ilotage de la population et en généralisant usage de la
torture.
– En octobre 1957, l’armée parvient à neutraliser le terrorisme urbain et édifie la ligne Morice pour
contrer les passages à travers la frontière tunisienne.

Exercice 5
Document 8 : Discours de François Mitterrand devant l’Assemblée nationale, le 12 novembre 1954

En 1954, François Mitterrand (1916-1995) est ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Pierre Mendès-
France et, à ce titre, en charge des départements de l’Algérie

« C’est ainsi que, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, des attaques à main armée, des attentats à la
bombe, des sabotages de lignes et de voies de communication, des incendies enfin ont eu lieu sur l’ensemble
du territoire algérien, de Constantine à Alger et d’Alger à Oran. Dans le département de Constantine, vous le
savez, se produisirent les événements les plus graves. Là, cinq personnes furent tuées, un officier, deux soldats
qui remplissaient leur devoir, un caïd et un instituteur, dans des conditions qui furent rappelées à cette tribune
et dont personne ne dira suffisamment le caractère symbolique. […]

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De même que le Maroc et la Tunisie ont connu ce phénomène du terrorisme individuel dans les villes et dans
les campagnes, faut-il que l’Algérie ferme la boucle de cette ceinture du monde en révolte depuis quinze ans
contre les nations qui prétendaient les tenir en tutelle ? Eh bien ! Non, cela ne sera pas, parce qu’il se trouve
que l’Algérie, c’est la France, parce qu’il se trouve que les départements de l’Algérie sont des départements
de la République française. Des Flandres jusqu’au Congo, s’il y a quelque différence dans l’application de nos
lois, partout la loi s’impose et cette loi est la loi française ; c’est celle que vous votez parce qu’il n’y a qu’un seul
Parlement et qu’une seule nation dans les territoires d’outre-mer comme dans les départements d’Algérie
comme dans la métropole.
Telle est notre règle, non seulement parce que la Constitution nous l’impose, mais parce que cela est conforme
à nos volontés. […] Comment pourrait-on expliquer, autrement qu’avec beaucoup de vilenie, le règlement
des affaires françaises que nous avons été contraints de conclure en Asie […]. C’est pourquoi il n’est certes
pas contradictoire qu’on traite, lorsque cela paraît nécessaire, à Genève, et qu’on se batte parce que cela est
également nécessaire dans l’Aurès ou en tout lieu où on tentera d’abattre, de détruire, de s’attaquer à l’unité de
la patrie. »

« Les grands débats parlementaires de 1875 à nos jours », rassemblés et commentés par Michel Mopin,
Notes et études documentaires, La Documentation française, 1988

Répondez aux questions suivantes sur votre support de cours :


1. Quelle dimension François Mitterrand donne-t-il aux attentats de la Toussaint 1954 dans son
discours ?
2. Pourquoi n’envisage-t-il pas que ces attentats puissent marquer le début d’un conflit de
décolonisation ?
Pour vérifier vos réponses, rendez-vous à la fin de cette partie.

2. Le tournant de 1958
→ En février 1958, l’armée française provoque un incident international en bombardant un village tuni-
sien. Le gouvernement doit démissionner. Un choix éventuel de président du Conseil se porte sur
Pierre Pflimlin, aussitôt soupçonné en Algérie de vouloir résoudre la situation en passant des ré-
formes favorables à une évolution du statut des Algériens. Pour faire pression sur la métropole, les
Pieds Noirs et des militaires se soulèvent le 13 mai 1958 à Alger puis dans toute l’Algérie. Devant
la menace d’une intervention militaire en métropole et alors que les partis ne parviennent pas à
s’accorder sur la formation d’un nouveau gouvernement, le général de Gaulle organise son retour au
pouvoir en se posant comme le seul recours.
Devenu le dernier président du Conseil de la IVe République, il obtient les pleins pouvoirs pour
rédiger une nouvelle Constitution et ramener le calme en Algérie, tout en reprenant le contrôle de
l’armée qui ne se voit plus assigner que des objectifs militaires.
Les intentions du Général sont alors peu claires. Dans un premier temps, ses intentions apparaissent
ambiguës, ce que traduisent des phrases prononcées comme : « Je vous ai compris », le 4 juin à Al-
ger, et « Vive l’Algérie française », le 6 juin 1958, en toute fin de son discours et pour satisfaire la foule.
Quelles qu’aient été ses intentions, ses deux phrases fondent à elles seules un malentendu profond
avec les Pieds Noirs, qui sont persuadés que de Gaulle leur assurera l’Algérie française à jamais. En
fait, pour ce qu’on en sait en l’absence de témoignages concordants, l’opinion de De Gaulle est alors
encore imprécise ; il allait s’en remettre aux événements, à savoir la réussite de l’action militaire mais
aussi l’opprobre internationale et l’impopularité de la poursuite de la guerre.

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Exercice 6
Document 9 : Soulèvement des pieds noirs à Alger, le 13 mai 1958

Source : Rue des Archives / AGIP

Document 10 : Manifestation de défense de la République à Paris, 28 mai 1958


Ce jour-là, un défilé est organisé à Paris, entre la Bastille et la place de la République. Il réunit nombre de
personnalités de gauche, dont Pierre Mendès-France (1er à partir de la gauche), Édouard Daladier, ancien
président du Parti radical et président du Conseil en 1938 (5e à partir de la gauche) et François Mitterrand
(6e à partir de la gauche).

Source : AFP

11 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Répondez aux questions suivantes sur votre support de cours :
Expliquez dans quelles conditions se fait le retour du général de Gaulle au pouvoir.
Pour vérifier vos réponses, rendez-vous à la fin de cette partie.

3. La naissance de la Ve République
→ Préparée l’été de 1958, la nouvelle Constitution est acceptée par près de 80 % des votants lors du
référendum du 28 septembre 1958. En novembre 1958, De Gaulle est élu président de la Répub-
lique par un collège de grands électeurs, mais le nouveau parti politique gaulliste, l’Union pour la
Nouvelle République (UNR), ne dispose pas de la majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Par rapport aux Constitutions précédentes, celle de la Cinquième présente plusieurs nouveautés
importantes. Si le pouvoir exécutif appartient au président de la République et au Premier ministre, le
chef de l’État devient la clef de voûte de l’exécutif :
– Il est élu pour sept ans (pour cinq ans depuis la réforme constitutionnelle de 2000), dispose du droit
de grâce et est le chef des armées.
– À partir de 1958, c’est lui qui fixe les grandes orientations du programme politique du gouvernement
et nomme à cette fin le Premier ministre.
– Il peut dissoudre l’Assemblée nationale, pour proposer de nouvelles élections, mais ne peut plus le
faire dans l’année qui suit ; cette procédure a été utilisée à cinq reprises pour donner une majorité
au président de la République, ce que De Gaulle a réalisé deux fois avec succès, en 1962 et en 1968.
– Il peut consulter directement la population par référendum, court-circuitant ainsi les députés dans
leur rôle de représentants de la nation. Cette procédure a été utilisée cinq fois par De Gaulle : en
septembre 1958 pour l’approbation de la Constitution, en janvier 1961 sur l’autodétermination de
l’Algérie, en mars 1962 sur l’indépendance de l’Algérie, en octobre 1962 sur l’élection du président
de la République au suffrage universel direct, et enfin en avril 1969 sur la réforme du Sénat et la
régionalisation. De Gaulle utilisait ces référendums comme des plébiscites, ce qui explique sa
démission en 1969 à la suite de la majorité de non (52,41 %).
→ Enfin, il peut utiliser l’article 16 de la Constitution qui lui donne les pleins pouvoirs en cas de crise
exceptionnelle. Cette possibilité n’a été utilisée qu’une fois : en 1961, suite au putsch des généraux
d’Alger.
Le Premier ministre est nommé par le président de la République et dirige le gouvernement. C’est lui
qui applique la politique du gouvernement, telle que l’a définie le chef de l’État. Il est issu de la majo-
rité parlementaire qui est généralement de la couleur politique du président. Dans la plupart des cas,
le président de la République met fin aux fonctions du Premier ministre.
→ Le pouvoir législatif est donc très affaibli. Il appartient à l’Assemblée nationale et au Sénat, dont
la réunion forme le Congrès. Les députés, élus pour cinq ans au suffrage universel direct, et les
sénateurs, élus pour neuf ans (six ans depuis 2003) au suffrage universel indirect, discutent et votent
les lois. Le mode de scrutin aux législatives – scrutin majoritaire uninominal à deux tours – permet
de dégager des majorités stables, mais valorise l’activité du pouvoir exécutif au détriment du législatif
qui n’apparaît plus guère que comme une chambre d’enregistrement. Toutefois, l’Assemblée natio-
nale dispose du pouvoir de renverser le gouvernement par le vote d’une motion de censure ; les
conditions de vote de cette motion sont très précises : le vote doit être obtenu à la majorité absolue ou
procéder d’un rejet d’une question de confiance posée par le gouvernement.
De la même façon, l’exécutif peut passer outre le vote des députés, même lorsqu’il dispose de la
majorité, en recourant à l’article 49-3 de la Constitution qui lui permet de faire adopter un texte
sans vote, à condition que l’opposition ne parvienne pas à faire voter une motion de censure, ce qui
n’arrive jamais tant que l’exécutif dispose d’une majorité à l’Assemblée.
De fait, le pouvoir législatif a été considérablement amoindri avec l’adoption de la Constitution de
1958. Ainsi, la grande majorité des lois votées sont des projets de loi, c’est-à-dire préparés par le
gouvernement, alors que les propositions de loi, préparées par les parlementaires, ne représentent
qu’une petite proportion des lois examinées et adoptées.

12 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Point de passage et d’ouverture – La Constitution de 1958

Exercice 7
Document 11 : Le général de Gaulle présente le projet de Constitution place de la République à Paris, le 4
septembre 1958.
Préparé pendant l’été 1958, le projet de
Constitution, qui doit être soumis à référendum,
est officiellement présenté par De Gaulle, qui
est encore chef du gouvernement de la IVe
République. Ici, la « Une » de Paris Match,
n°492, du 13 septembre 1958.

Source : PARIS MATCH

Document 12 : Le Président de la République, « clef de voûte » des institutions

Principal rédacteur de la nouvelle Constitution, Michel Debré en présente le projet devant le Conseil d’Etat, le
27 août 1958

« Avec une rapidité inouïe, au cours des dernières années, l’unité et la force de la France se sont dégradées,
nos intérêts essentiels ont été gravement menacés, notre existence en tant que nation indépendante et libre
mise en cause. À cette crise politique majeure, bien des causes ont contribué. La défaillance de nos institutions
est, doublement, une des causes ; nos institutions n’étaient plus adaptées, c’est le moins qu’on puisse dire,
et leur inadaptation était aggravée par de mauvaises mœurs politiques qu’elles n’arrivaient point à corriger.
L’objet de la réforme constitutionnelle est donc clair. Il est d’abord, et avant tout, d’essayer de reconstruire
un pouvoir sans lequel il n’est ni État, ni démocratie, c’est-à-dire, en ce qui nous concerne, ni France, ni
République. […]
Une première volonté a dominé ce projet : refaire le régime parlementaire de la République. […] Le
Gouvernement a voulu rénover le régime parlementaire. Je serai même tenté de dire qu’il veut l’établir, car
pour de nombreuses raisons, la République n’a jamais réussi à l’instaurer. […] Le régime d’assemblée, ou
régime conventionnel, est impraticable et dangereux. Le régime présidentiel est présentement hors d’état de
fonctionner en France. […]
Pas de régime conventionnel, pas de régime présidentiel : la voie devant nous est étroite, c’est celle du régime
parlementaire. À la confusion des pouvoirs dans une seule assemblée, à la stricte séparation avec priorité au
chef de l’État, il convient de préférer la collaboration des pouvoirs : un chef de l’État et un Parlement séparés,
encadrant un Gouvernement issu du premier et responsable devant le second, entre eux un partage des
attributions donnant à chacun une semblable importance dans la marche de l’État et assurant les moyens de
résoudre les conflits qui sont, dans tout système démocratique, la rançon de la liberté. […]

13 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Si vous me permettez […], je dirai qu’à ce régime parlementaire neuf […] il faut une clef de voûte. Cette
clef de voûte, c’est le Président de la République. […] C’est dire que le président de notre République ne
peut être seulement […] le chef d’État qui désigne le Premier ministre, […] au nom de qui les négociations
internationales sont conduites et les traités signés, sous l’autorité duquel sont placées l’armée et
l’administration. Il est, dans notre France, où les divisions intestines ont un tel pouvoir sur la scène politique, le
juge supérieur de l’intérêt national. »

Discours de Michel Debré devant le Conseil d’État, 27 août 1958

Document 13 : Les pouvoirs du Président de la République dans la Constitution de 1958

« Article 5 – Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le garant de
l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. […]
Article 8 – Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la
présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. […]
Article 9 – Le Président de la République préside le conseil des ministres.
Article 10 – Le Président promulgue les lois […].
Article 11 – Le Président de la République […] peut soumettre référendum tout projet de loi portant sur
l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale
[…] ou tendant à autoriser la ratification d’un traité […].
Article 12 – Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des
assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale. […]
Article 16 – Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire
ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et
immédiate […], le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances
[…]. »
Source : Conseil constitutionnel

Document 14 : Affiche socialiste, dessinée par Maurice Henry, en faveur du « non » au référendum de
septembre 1958 sur l’adoption de la Constitution de la Ve République.

Source : Adagp

14 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Document 15 : De Gaulle présente le projet de réforme constitutionnelle visant à faire élire le président
de la République au suffrage universel direct

Dans une allocution retransmise à la radio et à la télévision, le président de la République explique pourquoi il
est devenu, à son avis, nécessaire de faire élire le président de la République par l’ensemble des électeurs

« Or, la clef de voûte de notre régime, c’est l’institution nouvelle d’un Président de la République désigné
par la raison et le sentiment des Français pour être le chef de l’État et le guide de la France. Bien loin que
le président doive, comme naguère, demeurer confiné dans un rôle de conseil et de représentation, la
Constitution lui confère, à présent, la charge insigne du destin de la France et de celui de la République.
Suivant la Constitution, le président est, en effet, garant […] de l’indépendance et de l’intégrité du pays […]. Bref,
il répond de la France. D’autre part, il lui appartient d’assurer la continuité de l’Etat et le fonctionnement des
pouvoirs. Bref, il répond de la République. […] Par-dessus-tout, s’il arrive que la patrie et la République soient
immédiatement en danger, alors le Président se trouve investi en personne de tous les devoirs et de tous les
droits que comporte le service public. […]
Cependant, pour que le Président de la République puisse porter et exercer effectivement une charge pareille,
il lui faut la confiance explicite de la nation. »

Allocution du général de Gaulle du12 septembre 1962

Document 16 : Une critique virulente de la Constitution de 1958 par François Mitterrand

Alors qu’il s’est opposé à l’investiture de De Gaulle en juin 1958 et qu’il a refusé la Constitution de 1958,
François Mitterrand publie, un an avant la première élection du président de la République au suffrage
universel direct, un pamphlet contre l’utilisation que le président de la République fait des pouvoirs qu’il tire de
la Constitution mais aussi de pratique de sa fonction.

« Qu’est-ce que la Ve République, sinon la possession du pouvoir par un seul homme, dont la moindre
défaillance est guettée avec une égale attention par ses adversaires et par le clan de ses amis? Magistrature
temporaire? Monarchie personnelle? Consulat à vie? […] Et qui est-il, lui, de Gaulle? Duce, führer, caudillo,
conducator, guide? A quoi bon poser ces questions? Les spécialistes du droit constitutionnel eux-mêmes ont
perdu pied, et ne se livrent que par habitude au petit jeu des définitions. J’appelle le régime gaulliste dictature
parce que, tout compte fait, c’est à cela qu’il ressemble le plus, parce que c’est vers un renforcement continu
du pouvoir personnel qu’inévitablement il tend, parce qu’il ne dépend plus de lui de changer de cap. Je veux
bien que cette dictature s’instaure en dépit de De Gaulle. Je veux bien, par complaisance, appeler ce dictateur
d’un nom plus aimable: consul, podestat, roi sans couronne, sans chrême et sans ancêtres. Alors, elle
m’apparaît comme plus redoutable encore. »
François Mitterrand, Le coup d’État permanent, 1964, p. 99

Répondez aux questions suivantes sur votre support de cours :


1. Quelle est la principale différence entre la IVe République et la Ve République ?
2. P
 ourquoi De Gaulle fait-il procéder à l’élection du Président de la République au suffrage universel
direct ? En quoi cela constitue-t-il une rupture profonde avec la tradition républicaine ?
3. Q
 uels sont les principales critiques adressées à la nouvelle Constitution ainsi qu’à la pratique
gaullienne des institutions ? Quelle portée ont-elles rencontrée ?
Pour vérifier vos réponses, rendez-vous à la fin de cette partie.

15 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


C. Les débuts de la Ve République : un projet liant volonté
d’indépendance nationale et modernisation du pays

1. Un préalable : la résolution de la Guerre d’Algérie


→ Sitôt la Constitution adoptée, De Gaulle propose la « paix des braves » au FLN, c’est-à-dire un arrêt
des combats, ce que le FLN refuse. Celui-ci constitue, en décembre 1958 au Caire, un Gouvernement
provisoire de la République algérienne (GPRA), pour rappeler le GPRF français de 1944. L’armée fran-
çaise continue donc la guerre, mais participe aussi à la modernisation de l’Algérie.
Fort des succès militaires, mais aussi conscient de l’opprobre internationale, de Gaulle prononce, le
16 octobre 1959, un discours sur l’autodétermination du peuple algérien. Il offre alors trois choix
aux Algériens : la sécession, la francisation et l’autonomie la plus large en association avec la France.
Si les Français de métropole le soutiennent, les adversaires à une solution négociée se multiplient
chez les Français d’Algérie et dans une large fraction de l’armée, tandis que de Gaulle se rallie de
plus en plus à l’idée d’un État algérien souverain. De plus, la croissance économique suppose le
retour du contingent et l’arrêt des dépenses stériles liées à la guerre. Pour la puissance, de Gaulle a
compris qu’elle ne résidait plus dans l’importance démographique et la présence coloniale, mais
dans l’arme atomique dont le premier essai est effectué en février 1960 dans le Sahara. C’est pour-
quoi l’autodétermination est approuvée par près des trois-quarts des votants lors du référendum de
janvier 1961.
→ En Algérie, l’opposition à l’indépendance de l’Algérie se traduit, en février 1961, par la fondation de
l’Organisation Armée Secrète (OAS), organisation terroriste composée de Pieds Noirs et de militaires
qui multiplie les attentats, mais aussi dans le putsch des généraux d’avril 1961, qui échoue faute
d’un soutien des militaires du contingent. Le 5 octobre 1961, à la suite d’attentats du FLN à Paris,
un couvre-feu est imposé aux Algériens de la capitale et de la banlieue, enjoignant « aux travailleurs
algériens de s’abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris ». En signe de protestation, le FLN
organise une manifestation le 17 octobre 1961 au soir ; la répression policière est extrêmement vio-
lente : des dizaines d’Algériens sont tués et des milliers d’autres arrêtés… Le 1er novembre 1961, les
étudiants parisiens défilent contre les violences policières.
→ Parallèlement, le gouvernement français recherche l’approbation de la population, qu’il obtient
lors du référendum de janvier 1961, pour engager et mener à leur terme des négociations avec
le FLN, qui aboutissent aux Accords d’Évian du 18 mars 1962. Ceux-ci prévoient la complète sou-
veraineté de l’État algérien, Sahara compris ; les Pieds Noirs peuvent conserver pendant trois ans la
double nationalité. Le 5 juillet 1962, l’Algérie proclame son indépendance. En raison de la politique
de la terre brûlée de l’OAS et des règlements de comptes divers, les Français ont commencé à partir
massivement. Les exactions algériennes, comme celle du 5 juillet 1962 au cours de laquelle des cen-
taines de Pieds Noirs sont enlevés et pour la plupart exécutés à Oran, empêchent ceux qui auraient
voulu rester de pouvoir le faire.
Alors que l’Algérie fête son indépendance en juillet 1962 et que les Pieds Noirs prennent le chemin de
l’exode, les pouvoirs publics de métropole ont déjà soldé la mémoire de la guerre d’Algérie en pre-
nant, dès le mois de mars précédent, deux décrets d’amnistie couvrant les faits commis durant ce
que l’on refuse encore d’appeler une guerre. Alors que plusieurs lois dans les années 1960 amnistient
à nouveau les crimes commis durant la guerre, la politique officielle des gouvernements est celle de
l’oubli et du refoulement des diverses mémoires.

16 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Exercice 8
Document 17 Discours télévisé du président de la République sur l’autodétermination en Algérie, le 16
septembre 1959

Un an après l’adoption de la nouvelle Constitution, le président de la République fait un premier bilan et ouvre au
débat la question de l’avenir de l’Algérie.

« Notre redressement se poursuit. Certes, il ne faut pas nous vanter. Dans le domaine technique, par exemple,
nous n’en sommes pas encore au point de lancer des fusées dans la lune. Cependant, depuis quinze mois, nos
affaires ont avancé.
L’unité nationale est ressoudée. La République dispose d’institutions solides et stables. L’équilibre des
finances, des échanges, de la monnaie, est fortement établi. Par là même, la condition des Français et,
d’abord, celle des travailleurs industriels et agricoles, échappe au drame de l’inflation et à celui de la
récession. Sur la base ainsi fixée et à mesure de l’expansion nouvelle, on peut bâtir le progrès social et
organiser la coopération des diverses catégories dont l’économie dépend, poursuivre la tâche essentielle de
formation de notre jeunesse, développer nos moyens de recherche scientifique et technique. […]
Pourtant, devant la France, un problème difficile et sanglant reste posé : celui de l’Algérie. Il nous faut le
résoudre. Nous ne le ferons certainement pas en nous jetant les uns aux autres à la face les slogans stériles
et simplistes de ceux-ci ou bien de ceux-là qu’obnubilent, en sens opposé, leurs intérêts, leurs passions, leurs
chimères. Nous le ferons comme une grande nation et par la seule voie qui vaille, je veux dire par le libre choix
que les Algériens eux-mêmes voudront faire de leur avenir. […]
Mais le destin politique, qu’Algériennes et Algériens auront à choisir dans la paix, quel peut-il être ? Chacun
sait que, théoriquement, il est possible d’en imaginer trois. Comme l’intérêt de tout le monde, et d’abord celui
de la France, est que l’affaire soit tranchée sans aucune ambiguïté, les trois solutions concevables feront l’objet
de la consultation. Ou bien : la sécession, où certains croient trouver l’indépendance. La France quitterait alors
les Algériens qui exprimeraient la volonté, de se séparer d’elle. Ceux-ci organiseraient, sans elle, le territoire
où ils vivent, les ressources dont ils peuvent disposer, le gouvernement qu’ils souhaitent. Je suis, pour ma
part, convaincu qu’un tel aboutissement serait invraisemblable et désastreux. […] Ou bien : la francisation
complète, telle qu’elle est impliquée dans l’égalité des droits ; les Algériens pouvant accéder à toutes les
fonctions politiques, administratives et judiciaires de l’État et entrer dans tous les services publics, bénéficiant,
en matière de traitements, de salaires, de sécurité sociale, d’instruction, de formation professionnelle,
de toutes les dispositions prévues pour la métropole ; résidant et travaillant où bon leur semble sur toute
l’étendue du territoire de la République ; bref, vivant à tous les égards, quelles que soient leur religion et leur
communauté, en moyenne sur le même pied et au même niveau que les autres citoyens et devenant partie
intégrante du peuple français, qui s’étendrait, dès lors, effectivement, de Dunkerque à Tamanrasset. Ou bien :
le gouvernement des Algériens par les Algériens, appuyé sur l’aide de la France et en union étroite avec elle,
pour l’économie, l’enseignement, la défense, les relations extérieures. »

Discours télévisé du président de la République sur l’autodétermination en Algérie, le 16 septembre 1959

17 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Document 18 : Campagne du référendum sur l’autodétermination en Algérie, janvier 1961
Alors que le discours du président de la République envisageait l’autodétermination, celle-ci est proposée
aux Français lors du référendum du 8 janvier 1961. Près de 75 % des suffrages exprimés se portent sur le
Oui, ouvrant la voie à l’indépendance de l’Algérie.

Source : SIPA

Document 19 : Bulletin « oui » pour le référendum du 1er juillet 1962 sur l’indépendance de l’Algérie
À l’issue des Accords d’Évian, les populations de l’Algérie sont appelées à se prononcer sur l’indépendance de
celle-ci. Les Oui l’emportent avec plus de 99 % des suffrages exprimés. À l’issue du référendum,
l’indépendance de l’Algérie est proclamée le 5 juillet.

Source : Imprimerie nationale

18 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Répondez aux questions suivantes sur votre support de cours :
1. Quelles sont les grandes étapes qui conduisent le gouvernement français à accepter l’indépendance
de l’Algérie ?
2. Quelles raisons le président de la République met-il en avant pour justifier le choix de
l’autodétermination ?
Pour vérifier vos réponses, rendez-vous à la fin de cette partie.

Point de passage et d’ouverture – L’Année 1968 dans le monde

Chronologie :
– 1er novembre 1954 : « Toussaint rouge » : attentats perpétrés par le FLN
– 1956 : Le gouvernement français décide d’envoyer les appelés du contingent faire leur service
militaire en Algérie
– 1957 : Bataille d’Alger : les parachutistes français de la 10e division parviennent à éradiquer le
terrorisme urbain
– 13 mai 1958 : Soulèvement de la population pied noir d’Algérie
– 19 septembre 1958 : le FLN annonce la formation d’un Gouvernement provisoire de la
République française
– 16 septembre 1959 : discours du général de Gaulle annonçant un référendum sur l’autodétermi-
nation en Algérie
– Février 1961 : création de l’OAS
– 21 avril 1961 : « putsch des généraux » français en Algérie
– 18 mars 1962 : Accords d’Evian qui instaurent un cessez-le-feu ; exode massif des Pieds Noirs
– 5 juillet 1962 : indépendance officielle de l’Algérie
– Décembre 1964 : première loi d’amnistie sur les événements survenus en Algérie
– Juillet 1968 : loi d’amnistie générale concernant la guerre d’Algérie
– Décembre 1982 : loi réintégrant dans l’armée les généraux putschistes
– Octobre 1999 : loi reconnaissant officiellement le caractère de guerre au conflit algérien
– 2003 : instauration d’une Journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la
guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie, fixée au 5 décembre

Exercice 9
Document 20 Quel bilan humain de la Guerre d’Algérie ?
Présentés par l’historien Guy Pervillé, ces chiffres sont une estimation, dans la mesure où ils restent très
controversés. Ainsi les historiens français établissent un lourd bilan de 300.000 à 400.000 Algériens tués,
tandis que le FLN en revendique environ 1 million.

Côté algérien Côté français

Combattants Combattants du FLN : 150.000 Soldats engagés ou appelés : 25.000


Harkis exécutés par le FLN après 1962 :
15.000

Civils Victimes des rivalités internes entre Victimes des attentats et des actions du FLN
indépendantistes et des opérations comme de l’OAS : 2800
militaires françaises : 150.000 à 250.000

Total 300.000 à 400.000 42.800

19 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Document 21 : Une multiplicité des mémoires

Spécialiste des mémoires de la Guerre d’Algérie, l’historien Benjamin Stora explique les enjeux que portent en
elles ces différentes mémoires.

« Le consensus n’arrive plus à s’établir autour de la commémoration de la fin de cette guerre. Proposée
à l’Assemblée nationale le 28 février 2006, la date du 19 mars, en souvenir du cessez-le-feu suivant les
accords d’Evian en 1962, est rejetée. […] Le risque existe d’une apparition de mémoire communautarisée,
où chacun regarde l’histoire de l’Algérie à travers son vécu, son appartenance familiale. Ainsi, le problème
soulevé par la date du 19 mars comme moment de commémoration signifiant la fin de la guerre d’Algérie est
symptomatique. Les Européens d’Algérie considèrent que la guerre n’est pas terminée le 19 mars 1962. Ils
invoquent le massacre de la rue d’Isly du 26 mars 1962, où 46 Français d’Algérie ont été tués, et les centaines
d’enlèvements d’Européens à Oran le 5 juillet. Alors que pour la masse des appelés, le 19 mars signifie la fin
de la guerre et le retour dans leur foyer. Pour les immigrés algériens et leurs enfants, la date du 17 octobre
1961, moment du massacre de travailleurs algériens, s’est imposée comme date du souvenir. […] L’histoire de
la guerre d’Algérie a brusquement fait irruption dans le débat politique international. Au moment de l’adoption
par l’Assemblée nationale française de la condamnation du génocide arménien, en janvier 2012, le premier
ministre turc a alors fait référence à la guerre d’Algérie, pour établir des comparaisons et tenter de faire
condamner l’attitude française. »

Benjamin Stora, « Algérie-France, mémoires sous tension », Le Monde, 18 mars 2012

Document 22 : La bataille des dates commémoratives

Cette manifestation a été organisée à Valence le 14 mars 2009 par des rapatriés et anciens combattants
d’Algérie contre l’inauguration d’un square baptisé « Square du 19 mars 1962 ».

Source : blog de l’Union nationale des parachutistes

20 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Document 23 : La guerre d’Algérie vue par un combattant du FLN

« Toutes les opérations d’ampleur des maquisards se déroulaient surtout dans les maquis, dans le bled. Nous,
nous agissions dans le cadre de la guérilla urbaine, nous pratiquions plutôt ce que les Français appelaient des
« actes terroristes » et que nous considérions comme des « actes patriotiques ». Il y avait aussi des actions
commandos qui dépendaient des Fidaï [combattants], des jeunes militants qui, quand le FLN condamnait
quelqu’un à mort, étaient chargés d’exécuter la sentence soit au revolver, soit au couteau. »

Témoignage de Mohamed Ladhi Chérif, in Club histoire du lycée Buffon, Guerre d’Algérie, mémoires plurielles, 2014

Document 24 La torture en Algérie

Prêtre aumônier pendant la Résistance, en Indochine, à Suez en 1956 et pendant la guerre d’Algérie, Louis
Delarue défend, pendant la Bataille d’Alger, l’usage de la torture employée par les régiments de parachutistes
auprès desquels il sert. Bien que blâmé par ses supérieurs ecclésiastiques, il n’en reste pas moins aumônier
jusqu’en octobre 1960. Son texte, rédigé après des attentats du FLN est diffusé au sein de la 10e division
parachutiste.

« Nous nous retrouvons en face d’une guerre d’un type nouveau […]. Nous sommes en face du terrorisme dans
toute sa lâcheté, dans toute son horreur. […] À vrai dire, il ne s’agit plus de faire la guerre, mais d’annihiler une
entreprise d’assassinat organisée, généralisée… Dans ce cas, qu’exige de vous vote conscience de chrétien,
d’homme civilisé ? […] C’est que, d’une part, vous protégiez efficacement les innocents […] et que d’autre
part, vous évitiez tout arbitraire. […] Il n’est jamais permis de prendre au hasard un passant, le premier venu,
et d’essayer par la violence de lui extorquer l’aveu d’une culpabilité dont on prétend le charger – sans avoir
recueilli par ailleurs aucune véritable preuve. […] Entre deux maux : faire souffrir passagèrement un bandit
pris sur le fait – et qui d’ailleurs mérite la mort – en venant à bout de son obstination criminelle par le moyen
d’un interrogatoire obstiné, harassant, et, d’autre part, laisser massacrer des innocents que l’on sauverait si,
de par les révélations de ce criminel, on parvenait à anéantir le gang, il faut sans hésiter choisir le moindre : un
interrogatoire sans sadisme mais efficace. […] L’horreur de ces assassinats de femmes, d’enfants, d’hommes
dont le seul crime fut d’avoir voulu, par un bel après-midi de février, voir un beau match de football, nous
autorise à faire sans joie, mais aussi sans honte, par seul souci du devoir, cette rude besogne si contraire à nos
habitudes de soldats, de civilisés. »
Louis Delarue, « Réflexions d’un prêtre sur la torture », 10 février 1957

Document 25 : La nostalgie de l’Algérie et la douleur de l’exil

D’origine berbère, Enrico Macias quitte l’Algérie en 1961 après l’assassinat de son beau-père par le FLN. Cette
chanson, composée sur le bateau, est devenue le symbole de l’exil des Pieds Noirs, alors que lui-même ne l’est pas.
Adieu mon pays Je vois encore ses yeux La mer les a noyés
J’ai quitté mon pays Ses yeux mouillés de pluie Dans le flot du regret
J’ai quitté ma maison De la pluie de l’adieu Soleil, soleil…
Ma vie, ma triste vie Je revois son sourire
Se traîne sans raisons Si près de mon visage
J’ai quitté mon soleil Il faisait resplendir
J’ai quitté ma mer bleue Les soirs de mon village
Leurs souvenirs se réveillent Mais du bord du bateau
Bien après mon adieu Qui m’éloignait du quai
Soleil, soleil de mon pays perdu Une chaîne dans l’eau
Des villes blanches que j’aimais A claqué comme un fouet
Des filles que j’ai jadis connues J’ai longtemps regardé
J’ai quitté une amie Ses yeux bleus qui fuyaient
Adieu mon pays, chanson d’Enrico Macias, 1962

21 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Document 26 : La mémoire du massacre du 17 octobre 1961
Cette photographie a été prise en novembre 1961 et porte témoignage des quelque 200 morts de la
répression de la manifestation du 17 octobre 1961, organisée par le FLN et qui avait vu les Algériens de la
banlieue parisienne boycotter le couvre-feu qui leur avait été imposé.

Source : Jean Texier / L’Humanité

Document 27 : Les difficultés de la mémoire en Algérie vue par un historien algérien

Mohammed Harbi est l’un des premiers Algériens à avoir étudié l’histoire de la guerre d’Algérie ; il a été membre du
FLN et a participé aux négociations d’Evian.

« L’Histoire chez nous, c’est le serpent de mer de la culture algérienne, dans ce sens qu’elle est tout le temps
falsifiée, tout le temps piétinée […] L’histoire, c’est une série de dogmes qu’on diffuse dans la société, comme
on diffuse des dogmes religieux. Et dans la société, et y compris parmi les gens au pouvoir – ce qui est curieux
–, il y a une très grande insatisfaction. Personne ne se retrouve vraiment dans l’histoire officielle qu’on raconte.
[…]
[En 1975] on a commencé à faire, à partir de l’Etat, une histoire qui avait des fondements religieux, et on a
propulsé sur le devant de la scène les anciens leaders religieux, pour en faire la source de la révolution. Et
donc, les gens comme […] les populistes, les anciens communistes, tous étaient totalement écartés. Il fallait
réagir contre cette histoire, parce qu’en réalité, c’était une recomposition de la société qui était en marche sur
des bases religieuses. »

Entretien avec Emmanuel Laurentin, France Culture, 21 novembre 2005

22 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Document 28 : Célébrer les soldats algériens de l’armée française
Sur les quelque 300.000 combattants algériens, ou Harkis, engagés en faveur de la France, seule une
minorité (environ 40.000 d’entre eux) est rapatriée en France en 1962. Ceux qui sont restés en Algérie ont
été en partie massacrés. En France, ils ont été longtemps oubliés. En 2001, l’Etat français crée une
Journée d’hommage national aux membres des « forces supplétives », fixée au 25 septembre ; la
première cérémonie a été célébrée par le président de la République, Jacques Chirac, accompagné du
Premier ministre, Lionel Jospin.

Source : La Croix

Répondez aux questions suivantes sur votre support de cours :


1. Après avoir étudié les documents 20 à 28, déterminez quels sont les principaux protagonistes de la
Guerre d’Algérie, en rappelant brièvement les principales étapes.
2. Remplissez le tableau ci-dessous en :
- identifiant les différents groupes porteurs de mémoires (première colonne) ;
- en rappelant quels étaient leurs objectifs dans la guerre d’Algérie (deuxième colonne) ;
- en expliquant la nature de la mémoire qu’ils portent avec eux (troisième colonne).

Protagonistes / groupes Quels objectifs


Quelle(s) mémoire (s) ?
porteurs de mémoire pendant la guerre ?

23 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


3. Pourquoi la torture occupe-t-elle une place importante dans la mémoire de la guerre d’Algérie ?
4. Pourquoi les mémoires de la guerre sont-elles irréductibles et irréconciliables ?
Pour vérifier vos réponses, rendez-vous à la fin de cette partie.

2. « Une certaine idée de la France » …


Document 29 : De Gaulle expose sa vision de la France

« Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France… Le sentiment me l’inspire aussi bien que la
raison. Ce qu’il y a, en moi, d’affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la
madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J’ai, d’instinct,
l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S’il advient
que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie,
imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me
convainc que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang ; que, seules, de vastes entreprises
sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre
pays, tel qu’il est, parmi les autres, tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir
droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans grandeur. »

Charles de Gaulle, Mémoires de guerre – Tome 1 : L’Appel, 1940-1942, Plon, 1954

→ Pour le président de la République, la France ne saurait rechercher que la grandeur et celle-ci ne


saurait se trouver que dans l’« indépendance nationale ». Dans les faits, cette indépendance se tra-
duit par :
– Une force de dissuasion nucléaire, indépendante de celles des États-Unis : en 1960, la France fait
exploser sa première bombe atomique, Gerboise bleue, à Reggane dans le Sahara.
– La France se démarque de l’alliance américaine en refusant tout réaménagement de l’OTAN en
1963, notamment en retirant sa flotte du commandement de l’OTAN, puis en quittant l’organisation
intégrée en 1966. Si la France reste l’alliée des États-Unis et membre du Pacte atlantique, elle dégage
son armée de toute possible sujétion et ferme les bases américaines sur son sol.

De Gaulle entend tenir la France à égale distance entre le bloc américain et le bloc soviétique :
– Il multiplie les voyages dans la sphère d’influence américaine : en 1964 en Amérique latine et en
er
1967 au Canada ; en visite au Cambodge, il prononce, le 1 septembre 1966 à Phnom Penh, un grand
discours dans lequel il critique ouvertement la guerre du Vietnam, donnant comme exemple aux
États-Unis le désengagement français d’Indochine en 1954 et d’Algérie en 1962.

24 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


– En janvier 1964, la France reconnaît officiellement la République populaire de Chine afin d’affirmer
son indépendance sur la scène internationale ; en sortant relativement la Chine de son isolement
diplomatique, De Gaulle veut montrer que la voix de la France est celle d’une puissance.
– En juin 1966, de Gaulle se rend en URSS. Il est le premier chef d’État occidental à y aller depuis la
fin de la Seconde Guerre mondiale, visite suivie par celle du président du Conseil des ministres sovié-
tique, Alexis Kossyguine. Mais les tentatives de coopération économique entre les deux pays restent à
un niveau négligeable. En mai 1968, de Gaulle se rend en Roumanie, présenté alors comme relative-
ment indépendante au sein du bloc soviétique.
En matière de construction européenne, le refus de la supranationalité est manifeste dans l’attitude
de la France sous la présidence de Charles de Gaulle. La France refuse par deux fois (en 1962 et 1967)
l’élargissement au Royaume-Uni, au motif que les Britanniques auraient permis ainsi aux États-Unis
de se mêler des affaires européennes ; elle refuse aussi l’approfondissement qui aurait permis la
prise de décision à la majorité simple, et mène une « politique de la chaise vide » en 1965 : la France
n’assiste plus aux Conseils européens, bloquant toute décision devant être prise à l’unanimité. La
sortie de la crise se fait par le compromis de Luxembourg qui impose la règle de l’unanimité des États
membres pour les votes importants.
À l’Europe, de Gaulle préfère une politique bilatérale de réconciliation avec l’Allemagne, multipliant les
gestes forts avec Konrad Adenauer (messe de réconciliation à Reims le 4 juillet 1962, traité de l’Elysée
en 1963). Mais de Gaulle ne parvient pas à détourner la RFA de sa politique atlantiste.
Si les fondamentaux de la politique étrangère gaulliste restent identiques, même après le départ
de Gaulle en 1969, la position de la France évolue sur la construction européenne, ce qui permet au
Royaume-Uni d’entrer dans la CEE en 1973 (en même temps que l’Irlande et le Danemark).
→ La résolution du conflit algérien permet à de Gaulle de mener une politique de prestige et de puis-
sance économique. La croissance, amorcée sous la IVe République, se poursuit par la dévaluation du
franc dès 1958, ce qui permet de relancer les exportations. Mais la politique monétaire de lutte contre
l’hégémonie du dollar est un échec.
Par la planification, le gouvernement encourage les investissements dans l’industrie et entend
remodeler l’agriculture pour la rendre compétitive au sein du Marché commun européen : les lois
d’orientation agricole améliorent la productivité des exploitations, ce qui se traduit par une baisse du
nombre d’agriculteurs. Créée en 1963, la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et l’action
régionale) doit permettre de combler l’écart de développement entre les régions françaises. Les plans
autoroutiers se multiplient pour rattraper le retard français. Par ailleurs, l’État s’engage dans une
politique de grands projets :
– achèvement de l’électrification du territoire au milieu des années 1960 ;
– politique de création de « grands ensembles » pour pallier les déficits de la politique du logement et
lancement de projets de « villes nouvelles » ;
– développement du programme d’énergie nucléaire civile, pour rompre la dépendance française au
pétrole ;
– développement d’une industrie de pointe à travers des projets emblématiques : produit à partir de
1965, le Concorde était le premier avion de transport civil supersonique, mais dont le succès commer-
cial fut gêné par les États-Unis ; en revanche, l’aérotrain turbopropulsé sur un rail unique et qui devait
relier Lyon à Paris en 1h30 ne dépassa pas le stade des essais… En 1966, le gouvernement lance le
« Plan Calcul », destiné à doter la France d’une industrie informatique nationale et indépendante,
mais elle échouera à devenir compétitive dans ce secteur ;
– enfin, la mise en service du Paquebot France tient surtout de la réalisation de prestige, le dévelop-
pement du transport aérien ne permettant plus la rentabilité du transport transatlantique…
Depuis 1958, l’État se veut aussi un acteur majeur de la culture en France. En 1959, André Malraux
devient le premier occupant d’un ministère des Affaires culturelles nouvellement créé, dont la
vocation n’est plus de se limiter aux Beaux-Arts mais d’englober tous les aspects de la culture.
Avec Georges Pompidou, féru d’art contemporain, l’État n’est plus seulement gestionnaire mais
aussi initiateur avec le lancement du Centre national d’art et de culture en 1969 (le futur « Centre
Pompidou »)…

25 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Exercice 10
Document 30 : La France sort de l’OTAN, 1966

En 1966, le gouvernement français annonce sa décision de ne plus participer à l’Organisation du Traité


de l’Atlantique Nord et donc de ne plus intégrer ses forces militaires à celles des pays membres du Pacte
atlantique.

« Cher monsieur le Président,

Notre Alliance atlantique achèvera dans trois ans son premier terme. Je tiens à vous dire que la France
mesure à quel point la solidarité de défense ainsi établie entre quinze peuples libres de l’Occident contribue à
assurer leur sécurité et, notamment, quel rôle essentiel jouent à cet égard les États-Unis d’Amérique. Aussi, la
France envisage-t‐elle, dès à présent, de rester, le moment venu, partie au Traité signé à Washington le 4 avril
1949. […]
Cependant, la France considère que les changements accomplis ou en voie de l’être, depuis 1949, en Europe,
en Asie et ailleurs, ainsi que l’évolution de sa propre situation et de ses propres forces, ne justifient plus, pour
ce qui la concerne, les dispositions d’ordre militaire prises après la conclusion de l’alliance […]. C’est pourquoi
la France se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entamé
par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation habituelle qui est faite de son ciel,
de cesser sa participation aux commandements « intégrés » et de ne plus mettre de forces à la disposition de
l’OTAN. […]
Mais, afin de répondre à l’esprit d’amicale franchise qui doit inspirer les rapports entre nos deux pays […],
j’ai tenu, tout d’abord, à vous indiquer personnellement pour quelles raisons, dans quel but et dans quelles
limites la France croit devoir, pour son compte, modifier la forme de notre alliance sans en altérer le fond. Je
vous prie de bien vouloir agréer, cher monsieur le président, les assurances de ma très haute considération et
l’expression de mes très cordiaux sentiments.
Charles de GAULLE »

Lettre du président de la République française, Charles de Gaulle, au président des États-Unis, Lyndon B.
Johnson, le 7 mars 1966, in Charles de Gaulle, Lettres, notes et carnets (janvier 1964-juin 1966), Plon, 1987, p.
261-262

Document 31 : « Vive le Québec libre », 1967


Le 24 juillet 1967, le général de Gaulle, en visite officielle, au Québec prononce la phrase « Vive le Québec
libre », créant une crise politique entre la France et le Canada. En prononçant cette phrase, De Gaulle
entendait rappeler aux États-Unis l’ancienneté de la présence française et l’absence de considération pour
toute « chasse gardée » américaine.

Source : Le Devoir (Québec)

26 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Document 32 : Le rapprochement franco-soviétique
En juin 1966, De Gaulle entame un voyage officiel en URSS, dont il attend la mise en place d’une
coopération économique. Le 25 juin 1966, il est à Leningrad.

Source : www.francetvinfo.fr

Document 33 : L’obstacle français à l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE


Dans ce dessin de presse, Fritz Behrendt montre l’obstacle que le général De Gaulle constitue pour le
Royaume-Uni et son Premier ministre, Harold Wilson.

Source : Sohu.com

27 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Document 34 : La réconciliation franco-allemande, juillet 1962
Du 2 au 8 juillet 1962, le chancelier de la RFA, Konrad Adenauer, est en visite officielle en France ; le 8, les
deux hommes assistent à une messe dans la cathédrale de Reims. Quelques semaines plus tard, c’est au tour
de de Gaulle de se rendre en RFA ; Les deux pays signent en janvier 1963 le traité d’amitié franco-allemand, ou
traité de l’Élysée.

Crédit : SIPA

Répondez aux questions suivantes sur votre support de cours :


1. Quels sont les deux grands thèmes présentés par les documents 15 à 20 ?
2. Quelle politique étrangère le général de Gaulle entend-il mener envers les États-Unis et l’URSS ?
3. Comment de Gaulle conçoit-il la construction européenne ?
4. Montrez que ces documents traduisent la vision gaullienne de la France.
Pour vérifier vos réponses, rendez-vous à la fin de cette partie.

3. L’affirmation du pouvoir présidentiel et ses contestations


→ Avec la conclusion du conflit algérien, le président de la République affirme son autorité personnelle,
au détriment notamment du gouvernement et de son Premier ministre. Aux yeux de l’opinion, de Gaulle
préside et gouverne à la fois  ; il entend dépasser le seul texte et «  façonner  » les institutions pour
mieux les adapter aux circonstances. Il livre sa pensée dans ses Mémoires d’espoir : « Les institutions
nouvelles sont en place. Du sommet de l’État, comment vais-je les façonner ? Dans une large mesure, il
m’appartient de le faire. Car les raisons qui m’y ont amené et les conditions dans lesquelles je m’y trouve
ne ressortent pas des textes. »

28 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


– De Gaulle estime ainsi être légitimement fondé à s’adresser directement aux Français, soit par le
biais de conférences de presse télévisées, soit directement par le biais d’allocutions. Il multiplie les
voyages en province et préside à de nombreuses cérémonies.
– Sans aucune légitimité constitutionnelle, le président de la République s’est attribué un « domaine
réservé » d’intervention dans la vie gouvernementale, à savoir la Défense nationale et les Affaires
étrangères ; ainsi, il est le seul chef d’État des démocraties à représenter son pays lors des sommets
internationaux, notamment au sein de l’Union européenne.
– Cette pratique personnelle est renforcée par le mode d’élection du président instituée par
référendum en 1962 ; désormais élu du suffrage universel direct, le chef de l’État est amené à
fonder son action sur ce lien direct établi avec les Français, reléguant aux oubliettes le rôle d’inter-
médiation des parlementaires. Ses adversaires se rallient implicitement à cette pratique en présen-
tant des candidats dès les élections présidentielles de 1965.
– L’usage du référendum lui permet aussi de s’adresser directement aux Français, qui, devant
répondre par oui ou par non, ont l’impression que le chef de l’Etat s’adresse directement à eux…
→ Pour diriger le pays, le gouvernement peut, à partir de 1962, s’appuyer sur des majorités stables.
Pour exprimer leur mécontentement devant la pratique constitutionnelle de de Gaulle – nomination
de Georges Pompidou au poste de Premier ministre alors qu’il n’est pas parlementaire, annonce du
projet de révision constitutionnelle en août-septembre pour permettre l’élection du président de la
République au suffrage universel direct –, les partis politiques, à l’exception des gaullistes et des
républicains indépendants de Valéry Giscard d’Estaing, se coalisent autour du vote d’une motion de
censure qui fait chuter le gouvernement. De Gaulle prononce alors la dissolution de l’Assemblée
nationale.
Le référendum, organisé le 28 octobre 1962, a pratiquement valeur de plébiscite puisque le projet est
adopté avec 62 % de « oui ». Dans la foulée, les élections législatives donnent une majorité absolue
aux gaullistes de l’UNR (Union pour la Nouvelle République) et aux Républicains indépendants. Les
partis de la IVe République sont laminés.
→ Pourtant, les sources d’opposition demeurent nombreuses. Une opposition politique se constitue, qui
s’exprime lors des élections présidentielles de 1965 au cours desquelles les centristes, en la per-
sonne de Jean Lecanuet, présentent leur propre candidat, permettant à François Mitterrand, candidat
unique de la gauche, à mettre en ballottage le président de la République. Les syndicats demeurent
une source importante de contestation : la Confédération française et démocratique du travail (CFDT),
créée en 1964, cherche à promouvoir un nouveau type de société.
À partir de 1965-1966, les manifestations et les grèves, touchant tous les milieux professionnels,
se multiplient en France, tandis que le chômage apparaît (450.000 personnes fin 1967), conduisant le
gouvernement à créer l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE). À partir de 1967, l’agitation est per-
ceptible dans les universités, spécialement à Nanterre, université créée en 1964 pour absorber les
effets de la massification débutante de l’enseignement supérieur. Très marqués par l’extrême gauche
révolutionnaire, les étudiants de Nanterre dénoncent non seulement la guerre du Vietnam mais aussi
une société productiviste et la marche du monde.
En avril 1968, des incidents provoquent le soulèvement des étudiants de Nanterre au tout début du
mois de mai, ce qui entraîne la fermeture de l’Université par le gouvernement ; s’étant portés sur la
Sorbonne, les étudiants doivent affronter la police. Les heurts se multiplient ; dans la nuit du 10 au 11
mai, des barricades sont élevées dans le Quartier latin. À partir du 13 mai, les syndicats se rallient
au mouvement étudiant tandis que le mouvement de grève se généralise ; le 27 mai, on recense
environ 9 millions de grévistes. Le pays est paralysé.
Alors que les partis sont dépassés par des revendications plus qualitatives que quantitatives, le gou-
vernement négocie le 27 mai les Accords de Grenelle avec les syndicats. Ceux-ci prévoient une aug-
mentation de 35 % du SMIG et la création de sections syndicales dans les entreprises. Ces Accords
sont globalement rejetés par les grévistes.
Alors que la situation semble dans l’impasse, le président de la République annonce, le 30 mai, la
dissolution de l’Assemblée nationale, tandis que plus de 300.000 manifestants manifestent sur les
Champs-Elysées, à Paris, pour lui apporter leur soutien. De fait, les partis politiques, qui n’avaient
pas de prise sur le mouvement, sont soulagés de revenir à un système démocratique classique et

29 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


acceptent la solution proposée par De Gaulle. Les élections législatives de juin donnent la majorité
absolue au parti gaulliste, tandis que le travail reprend partout. Pour tenter de reprendre la main, le pré-
sident de la République organise un référendum en avril 1969 sur la réforme du Sénat et une nouvelle
organisation des régions. Ce référendum se transforme en vote d’opinion sur la personne du chef de
l’État. La victoire du « non » par 55 % des suffrages entraine la démission de De Gaulle.
Élu président de la République, Georges Pompidou confie à son Premier ministre, Jacques Chaban-Del-
mas la tâche de répondre aux attentes des Français. Celui-ci élabore un projet de « nouvelle société »,
destiné à atténuer les inégalités, mais se heurte au scepticisme puis à l’hostilité des syndicats et des
partis d’opposition qui s’associent en 1972 au sein d’un Programme commun de gouvernement.

Exercice 11
Document 35 : L’absence de perspectives, une explication aux manifestations et aux grèves de Mai 68 ?

Chef du service politique au journal Le Monde, Pierre Viansson-Ponté livre une analyse de la situation politique et
sociale en France à la veille des événements de Mai 68.

« Ce qui caractérise actuellement notre vie publique, c’est l’ennui. Les Français s’ennuient. Ils ne participent
ni de près ni de loin aux grandes convulsions qui secouent le monde, la guerre du Vietnam les émeut, certes,
mais elle ne les touche pas vraiment. […] Le conflit du Moyen-Orient a provoqué une petite fièvre au début de
l’été dernier […]. Les guérillas d’Amérique latine et l’effervescence cubaine ont été, un temps, à la mode ; elles
ne sont plus guère qu’un sujet de travaux pratiques pour sociologues et l’objet de motions pour intellectuels.
[…] De toute façon, ce sont leurs affaires, pas les nôtres […] d’ailleurs la télévision nous répète au moins trois
fois chaque soir que la France est en paix depuis bientôt trente ans et qu’elle n’est ni impliquée ni concernée
nulle part dans le monde.
La jeunesse s’ennuie. Les étudiants manifestent, bougent, se battent en Espagne, en Italie, en Belgique, en
Algérie, au Japon, en Amérique, en Égypte, en Allemagne, en Pologne même. […] Quant aux jeunes ouvriers, ils
cherchent du travail et n’en trouvent pas. […] Heureusement, la télévision est là pour détourner l’attention vers
les vrais problèmes : […] l’encombrement des autoroutes, le tiercé […].
Le général de Gaulle s’ennuie ; Il s’était bien juré de ne plus inaugurer les chrysanthèmes et il continue d’aller,
officiel et bonhomme, du Salon de l’agriculture à la Foire de Lyon. Que faire d’autre ? Il s’efforce parfois,
sans grand succès, de dramatiser la vie quotidienne en s’exagérant à haute voix les dangers extérieurs et les
périls intérieurs. A voix basse, il soupire de découragement devant « la vachardise » de ses compatriotes, qui,
pourtant, s’en sont remis à lui une fois pour toutes. »
Pierre Viansson-Ponté, « Quand la France s’ennuie… », Le Monde, 15 mars 1968

Document 36 : Mai 68, un mouvement de la jeunesse


À l’initiative des élèves
architectes, un comité de grève
se constitue à l’école des Beaux
Arts, le 8 mai 1968. Le 14 mai
1968, ils impriment une première
affiche en lithographie. C’est la
naissance de l’Atelier populaire.
L’affiche devient ainsi le média
privilégié des étudiants et des
contestataires de tout ordre.

Source : UNIC – Beaux-Arts Paris

30 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Document 37 Défilé unitaire du 13 mai 1968 à Paris
Ce jour-là, à l’appel des syndicats de travailleurs (le journal La Vie ouvrière est affilié à la CGT) et des
organisations étudiantes, environ un million de manifestants (200.000 selon la police) défilent à partir de
la place de la République en direction de la place Denfert-Rochereau. Alors qu’ouvriers et étudiants
devaient partir de deux points différents, les deux cortèges se mélangent mais, à l’issue de la journée,
chacun repart de son côté.

Source : UPI/AFP

Document 38 : Manifestation en faveur du général de Gaulle, le 30 mai 1968


Organisée par les gaullistes à la suite de l’allocution radiodiffusée du président de la République annonçant son
intention de rester en fonction et de dissoudre l’Assemblée nationale, la manifestation géante (entre 500.000 et 1
million de personnes) qui défile sur les Champs-Elysées est l’acte symbolique par lequel le pouvoir reprend la main.
Les Français reprennent progressivement le chemin du travail.

Source : AFP – Marc Garanger / Aurimages

31 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Document 39: À l’issue du référendum du 27 avril 1969, le général de Gaulle démissionne
Alors que le président semble avoir repris la main après les événements de Mai 68 – remplacement de
son Premier ministre, victoire écrasante aux élections législatives de juin 1968 –, il entend, par le biais du
référendum, passer un test de popularité auprès des Français. Mais, la coalition des « non », qui s’étend
de la gauche aux centristes, voire aux républicains indépendants de Giscard d’Estaing, fait pencher la
balance en défaveur du président de la République. Comme il l’avait annoncé, de Gaulle démissionne
dans la foulée des résultats.

Source : Le Figaro

Répondez aux questions suivantes sur votre support de cours :


1. Quelle analyse Pierre Viansson-Ponté fait-il de la situation politique et sociale en France en mars
1968 ?
2. Les slogans de Mai 68 ont-ils concerné tous les Français ?
3. Quelles conséquences les événements de Mai 68 ont-ils eu sur les institutions dix ans après leur
adoption ?
Pour vérifier vos réponses, rendez-vous à la fin de cette partie.

32 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Point de passage et d’ouverture – Charles de Gaulle et Pierre Mendès-France, deux conceptions de
la République

Exercice 12
Document 40 : Deux carrières et deux engagements au service de la République

Charles de Gaulle Pierre Mendès-France

– Naissance en 1890 – Naissance en 1907


– Études à Saint-Cyr : officier en 1912 – Études de droit : avocat en 1928
– Participe à la Première Guerre mondiale – Élu député en 1932
– 1940 : général de brigade ; sous-secrétaire d’Etat – 1938 – sous-secrétaire d’Etat au Trésor
à la Guerre
– Officier en 1939
– 1940 : exil à Londres ; appel du 18 juin : fonde les
– 1941 : emprisonné par Vichy, s’évade et rejoint les
Forces françaises libres
FFL
– 1943 : président du CFLN
– 1943 : membre du CFLN
– 1944-1946 : président du GPRF
– 1944-1945 : ministre de l’Economie du GPRF :
– 1946-1958 : discours de Bayeux puis « traversée participe à Bretton Woods
du désert »
– 1951-1958 : député
– Juin 1958 : président du Conseil avec les pleins
– 1954-1955 : président du Conseil
pouvoirs
– Février-mai 1956 : ministre
– Septembre 1958 : fait adopter une nouvelle
Constitution – Juin 1958 : s’oppose à l’investiture de De Gaulle
– Novembre 1958 : élu président de la République – Septembre 1958 : fait campagne pour le « non »
– Octobre 1962 : référendum pour l’élection du – Novembre 1958 : perd son mandat de député
président de la République au suffrage universel – Octobre 1962 : fait campagne pour le « non »
direct
– 1965 : soutient la candidature de Mitterrand
– 1965 : réélu président de la République
– Mai 1968 : se pose en recours en cas de démis-
– 1969 : démission de De Gaulle sion de De Gaulle
– 1970 : décès du général de Gaulle – 1969 : fait campagne en faveur de Gaston Defferre
– 1981 : soutient François Mitterrand
– 1982 : décès de Pierre Mendès-France

CFLN : Comité français de la Libération nationale – FFL : Forces Françaises Libres – GPRF : Gouvernement
provisoire de la République française.

33 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Document 41 : Le président « au-dessus des partis » : les conceptions institutionnelles du général de
Gaulle

En 1946 et alors que le premier projet de Constitution a été rejeté quelques semaines auparavant, De Gaulle
exprime, dans un discours prononcé à Bayeux le 16 juin, ses conceptions institutionnelles, s’opposant ainsi
frontalement aux partis de gouvernement.

« Du Parlement, composé de deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif, il va de soi que le pouvoir exécutif
ne saurait procéder, sous peine d’aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le Gouvernement
ne serait bientôt plus rien qu’un assemblage de délégations. […] En vérité, l’unité, la cohésion, la discipline
intérieure du gouvernement de la France doivent être des choses sacrées, sous peine de voir rapidement la
direction même du pays impuissante et disqualifiée. Or, comment cette unité, cette cohésion, cette discipline
seraient-elles maintenues à la longue si le pouvoir exécutif émanait de l’autre pouvoir auquel il doit faire
équilibre, et si chacun des membres du Gouvernement, lequel est collectivement responsable devant la
représentation nationale tout entière, n’était, à son poste, que le mandataire d’un parti ? C’est donc du chef de
l’Etat, placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement mais beaucoup plus large […]
que doit procéder le pouvoir exécutif. »
Discours de Bayeux, 16 juin 1946

Document 42 : Des Français regardent l’allocution télévisée du président de la République, le 20 avril


1963
Ce jour-là, l’allocution du général de Gaulle est consacrée à l’économie, la construction européenne et
l’alliance américaine, dans le contexte d’une France apaisée un an après la fin de la Guerre d’Algérie.

Source : AFP

34 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Document 43 : Les conceptions institutionnelles de Pierre Mendès-France

A - Conférence de Pierre Mendès-France à l’hôtel-de-ville de Versailles, devant la section locale du PSU, le


21 juin 1961

Alors que Pierre Mendès-France appartient au Parti radical depuis sa jeunesse, il intègre, en 1959, le Parti social
autonome (qui devient le Parti social unifié en 1960). C’est devant la section de Versailles qu’il définit ses idées
politiques comme « incompatibles » avec celles du Général.

« De Gaulle dit au pays « faites-moi confiance » […] Rapportez-vous en à moi et de règlerai les problèmes
comme je crois devoir le faire ». En définitive, le gaullisme est donc incompatible avec la conception
démocratique à laquelle, pour ma part, j’ai toujours été fidèle. Lorsque j’étais à la tête du gouvernement, je
voulais associer au maximum le pays à mon action. On s’est étonné, par moments, de l’initiative que j’avais
prise de parler à la radio tous les samedis. Ceux d’entre vous qui m’ont entendu savent que je faisais un effort
d’explication, d’information, donc de démocratisation de la politique. Je voulais que le pays sache quelles
étaient les solutions possibles, quelles étaient les propositions du gouvernement pour lesquelles il demandait
le soutien du pays. Ce n’était pas un blanc-seing, ce n’était pas la confiance aveugle faite à un homme. C’était
au contraire, un mandat démocratique sur lequel le gouvernement entendait fonder sa force et son action. »

Pierre Mendès-France, Œuvres complètes, tome IV : pour une République moderne (1955-1962), Gallimard, 1988

B - Pierre Mendès France contre le risque de pouvoir personnel


Dans une conférence à l’École des sciences économiques et sociales de Paris, le 17 novembre 1964, PMF fait
une comparaison entre les régimes politiques français et américain.
e
« J’ajoute et je précise que ce qui nous est proposé par la V République, ce n’est pas du tout, […] un
système mixte, intermédiaire entre le parlementarisme et le régime présidentiel. C’est un régime que
j’appellerai ultra-présidentiel, puisque le président de la République dispose aujourd’hui de beaucoup
plus de pouvoirs que le président des États-Unis. En France, le chef de l’Etat peut dissoudre l’Assemblée,
ce n’est pas le cas aux États-Unis. En France, il dispose d’une large fraction du pouvoir législatif, […] ce
qui n’est pas le cas aux États-Unis. En France, le président n’est pas contrôlé par une Cour suprême
alors qu’il l’est, et sévèrement, aux États-Unis. En France, il peut recourir au référendum, et pas là-bas.
[…] Nous avons un système qui va, dans la concentration, la monopolisation du pouvoir entre les mains
d’une seule autorité, d’un seul homme, beaucoup plus loin que le véritable système présidentiel. »

Pierre Mendès-France, Œuvres complètes, tome V : préparer l’avenir (1963-1973), Gallimard, 1989

Document 44 : Le 27 mai 1968, Pierre Mendès-France participe au meeting du Stade Charléty


Organisé par les syndicats étudiants ainsi que
par le PSU et la CFDT, mais sans la CGT, le
rassemblement est surtout l’occasion pour
les leaders étudiants de s’exprimer. Pierre
Mendès-France, invité à prendre la parole,
préfère ne pas s’exprimer.

CFDT : Confédération française démocratique


du travail – PSU : Parti socialiste unifié –
UNEF : Union nationale des étudiants de
France
Source : Elie Kagan / MHC-BDIC

35 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Document 45 : Le « ticket présidentiel » de gauche pour les élections présidentielles de 1969
Pour succéder au général de Gaulle qui vient de démissionner, sept candidats s’affrontent, chaque camp
se présentant dans la désunion : Georges Pompidou et Poher pour la droite ; le PCF présente un candidat
et la SFIO présente Gaston Defferre, le maire de Marseille. Ce dernier fait campagne avec l’aide de Pierre
Mendès-France, qui doit devenir Premier ministre en cas de victoire. Mais le « ticket » socialiste n’obtient
qu’à peine plus de 5 % des suffrages.

Source : Collection Archives Larousse

Répondez aux questions suivantes sur votre support de cours.

1. Comment de Gaulle conçoit-il le rôle du chef de l’Etat ?


2. Pourquoi et comment Pierre Mendès-France s’oppose-t-il au général de De Gaulle ?
3. Peut-on tout de même établir des points communs entre les deux parcours ?
Pour vérifier vos réponses, rendez-vous à la fin de cette partie.

36 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE


Synthèse

Restauration républicaine :
GPRF + IVe République

Régime d’Assemblée :
Reconstruction/ Démocratie sociale Construction
Prépondérance - Guerre d’Indochine
modernisation/ / Européenne
du pouvoir législatif - Guerre d’Algérie
croissance économique État providence Atlantique
et des partis politiques

1958 : Ve République

- Renforcement - Blocage de la - Fin de la guerre


du pouvoir exécutif - Modernisation construction européenne d’Algérie
- Marginalisation État providence
- Croissance économique - Remise en cause - Indépendance
des partis politiques de l’atlantisme de l’Afrique noire

37 CNED TERMINALE  HISTOIRE GÉOGRAPHIE

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