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Thème 5 : Les EFO / Polynésie française de 1945 à nos jours

Chapitre 1 : L’éveil politique polynésien 1945-1960

Introduction :
En 1945, la seconde guerre mondiale et le choix des Polynésiens de se rallier à la France Libre ouvre une nouvelle ère pour la
Polynésie française. Elle se traduit par un changement de statut politique et surtout l'éveil des polynésiens à la vie politique.

Comment se traduit l’éveil politique des Polynésiens entre 1945 et 1960 ?

I) Des EFO à la Polynésie française : une politique coloniale qui s’assouplit

La seconde guerre mondiale a largement contribué à amorcer le processus de décolonisation dès la conférence
de Brazzaville en janvier 1944. La France semble disposée à adopter une attitude plus souple à l’égard de son
empire et les EFO sont naturellement concernés.

Une fois la paix revenue, la France respecte la plupart de ses engagements. La constitution de la IVe République
crée « l’Union française » et concerne bien sûr les EFO malgré les réticences de certains en France. Le projet
est donc peu ambitieux. L’Union française devait permettre l’égalité des droits et des devoirs. En réalité elle
limite ces mêmes droits et devoirs en plaçant les territoires d’outre-mer sous l’autorité d’un gouverneur qui
ne rend des comptes qu’à son ministère de tutelle (ministère de l’outre-mer).

L’union française : présidée par le chef de l’État elle est composée d’un haut conseil et d’une assemblée
législative, l’assemblée de l’Union française. Celle-ci est formé pour moitié d’élus métropolitains et pour moitié
d’élus ultra marins. Elle n’a qu’un rôle consultatif. On ne doit plus parler désormais de colonies mais de
départements d’outre-mer, de territoires d’outre-mer et d’États associés.

Ainsi les EFO sont devenus territoires d’outre-mer. Cela implique une évolution institutionnelle importante
même si les schémas coloniaux demeurent longtemps bien présents dans les esprits ce qui ne facilite pas l’éveil
des populations polynésienne à la vie publique et aux responsabilités.

Trois changements majeurs :


• La citoyenneté française pour les habitants de Polynésie française sauf les ressortissants chinois.
• La création d’un siège de député, d’un siège de sénateur et d’un siège de délégué à l’assemblée de l’Union
française.
• La création d’une assemblée représentative

La première assemblée représentative est composée de 20 membres (10 pour Tahiti et 10 pour les îles). Elle
est élue au scrutin de liste un tour pour une durée de cinq ans par l’ensemble des citoyens. Mais le budget
reste préparé par le gouverneur et les dépenses obligatoires ne sont toujours pas discutées par l’assemblée.
Elle a donc peu d’influence et de pouvoirs. On ne délibère que sur les dépenses marginales. La véritable
évolution se trouve davantage dans l’élargissement de la citoyenneté qui autorise désormais les polynésiens
de tous les archipels à participer aux élections.

Les EFO s’apprêtent à entrer dans le monde moderne mais les années 50 voient encore peu de
bouleversements même si l’on constate une amélioration de l’espérance de vie qui passe de 44 à 54 ans. La
population augmente (de 50 000 personnes en 1940 elle passe à 80 000 habitants en 1960) mais on est encore
à plus de six enfants par femme en moyenne. Cette société montre des signes d’amélioration du niveau de vie.
Elle s’urbanise également. Sur le plan économique, la deuxième guerre mondiale a eu des conséquences plutôt
bénéfiques pour la colonie car ses produits ont été achetés par les alliés riverains du Pacifique à des prix
souvent élevés (ex : coprah, vanille, phosphate, nacre). Si l’industrie reste peu développée, les infrastructures
ont été améliorées (ex : Port de Papeete, aéroport de Bora Bora…) mais les EFO affichent encore un retard
économique et social important par rapport à la métropole.

II) L’éveil à la vie politique et l’émergence d’un nationalisme tahitien


La période 1945-1960 est marquée par l’éveil de la population polynésienne à la vie politique symbolisée par
la figure de Pouvana’a a Oopa.
Les dépenses obligatoires concernent essentiellement le salaire des fonctionnaires, postes le plus souvent
occupés par des métropolitains. C’est la principale source de conflit car la venue de ces fonctionnaires est
jugée inutile et coûte de l’argent à la colonie.

Rapport Ahnne–Charron (1944) :


« Notre colonie (…) succombe sous une armature administrative beaucoup trop lourde (…) Ne peut-on pas recruter sur place la
plupart des fonctionnaires ? Nos jeunes tahitiens feraient tout aussi bien (…) que les incapables, les détraqués, les fils à papa
qu’on nous envoie des antipodes pour s’en débarrasser… »

Ce sujet sensible est ravivé par le retour des volontaires du bataillon du Pacifique qui, après avoir été absents
pendant plus de cinq ans, rentrent au fenua en mai 1946 et attendent une reconnaissance des services rendus
à la patrie. Ils s’aperçoivent vite que les bonnes places ont été prises soit par ceux qui ne sont pas partis ou par
des fonctionnaires métropolitains. Il décide alors de créer en janvier 1947 une association chargée de défendre
leurs droits et de se faire entendre par les autorités (l’Union des volontaires). Au même moment un autre
groupe se construit autour de Pouvana’a a Oopa.
Né le 10 mai 1895 à Huahine dans un milieu modeste. Homme des îles, il est aussi homme du peuple. Il
abandonne l’école de bonne heure et on le retrouve un peu plus tard à Papeete dans le quartier pauvre de
Manuhoe où il s’installe comme menuisier. Il a 18 ans. Fervent patriote il est engagé volontaire lors de la
première guerre mondiale et dans les jours qui suivent l’armistice de 1940 il est de ceux qui militent pour la
continuation du combat derrière le général De Gaulle. Durant la seconde guerre mondiale, il est nommé
responsable de l’un des 6 secteurs de « défense passive » de la ville de Papeete, mais il lutte déjà contre les
injustices qui accompagnent l’économie de guerre en signant des pétitions. Il est ainsi envoyé par le
gouverneur en résidence surveillée puis en prison. La paix revenue, Il continue le combat mais échoue aux
législatives de 1945. Il semble cependant être le recours possible pour lutter contre les excès de
l’administration. Ainsi un mouvement contestataire se construit autour de sa personne et devient le comité
Pouvana’a en avril 1947. C’est dans ce contexte qu’éclate l’affaire du Ville d’Amiens le 22 juin 1947.
Contre l’avis de l’assemblée représentative, toujours peu écoutée par les gouverneurs, la métropole a décidé
de dépêcher sur Tahiti trois nouveaux fonctionnaires. Or deux d’entre eux sont promis à des postes que
pourraient occuper des Polynésiens. Cette décision, qui va à l’encontre de la nécessaire « océanisation » des
cadres et du reclassement des soldats partis combattre suscite un tollé général. Le 22 juin 1947, Volontaires
et partisans de Pouvana’a (environ 100 personnes) s’opposent les armes à la main au débarquement des
fonctionnaires. Les forces de police se retire plutôt que de risquer un bain de sang. Le paquebot lève l’ancre le
28 juin et stationne au milieu de la rade. Les trois fonctionnaires sont acheminés en catimini. Une partie des
meneurs est traduit en justice mais les pressions sont telles au sein de la population que le tribunal conclut à
un non-lieu. Après cinq mois de préventive, les accusés sont libérés et apparaissent comme de véritables héros
ayant su faire front aux autorités qu’ils ont tournées en ridicule. L’événement est lourd de conséquences
puisqu’il mène à l’association des membres de l’union des volontaires et du comité Pouvana’a qui devient le
leader.

Pouvana’a est élu député à 62 % des suffrages devant le candidat de l’administration en 1949 avec pour slogan
de campagne « Tahiti aux tahitiens ! ». Les deux mouvements soutenant Pouvana’a fusionnent en un parti
politique : le RDPT (rassemblement démocratique des populations tahitiennes)
La lutte politique s’engage pour 10 ans.

Le programme du RDPT porte sur l’idée de liberté, ce qui laisse entendre que le système colonial continue à
fonctionner. Il réclame également l’élargissement des pouvoirs de l’assemblée représentative, l’océanisation
des cadres, la lutte contre les profiteurs, l’amélioration des conditions sanitaires et éducatives, la lutte contre
l’alcoolisme. De nouvelles préoccupations apparaissent également sous l’influence de Jean-Baptiste Céran-
Jérusalemy avec notamment l’institution d’un impôt progressif sur le revenu, l’application des lois sociales de
la République, l’encouragement aux coopératives de production et de consommation et enfin la protection de
la propriété tahitienne.
Il est populaire car il sait parler aux Polynésiens. Il est des leurs. Il est un rassembleur et il apparaît vite comme
un metua, un guide empreint de religion. Sa popularité se renforce aux élections législatives de 1951 où il
remporte 70 % des suffrages. Son parti est parfaitement organisé, divisé dès 1951 en 121 sections pour 12 000
adhérents. Pouvana’a est peu présent à l’assemblée nationale mais très actif à Tahiti sur tous les dossiers où
des polynésiens affrontent l’administration française. Il multiplie les réunions et combat les pratiques
coloniales encore en vigueur mais ne trouve pas toujours l’appui de l’assemblée représentative de l’époque.
Malgré sa détermination, Pouvana’a entretient des rapports courtois avec le gouverneur Toby ainsi qu’avec le
général De Gaulle qui voit en lui le résistant plus que le contestataire. Ainsi de 1947 à 1957 le bilan est mitigé.
La vie politique est dominée par un homme et un parti qui a repris la main à l’assemblée territoriale après
plusieurs renversements d’alliance mais le statut de 1946 donne peu de pouvoirs à l’assemblée et le RDPT
semble fragilisé au moment où la métropole met en place des pouvoirs locaux aux compétences élargies (loi-
cadre Defferre de 1956 modifiant les institutions des territoires de l’Union française).

III) L’échec de la première expérience d’autonomie interne

Dans le cadre du processus de décolonisation largement amorcé dans le monde, l’État souhaite accorder aux
TOM une plus large autonomie. Il s’agit de confier à un Conseil de gouvernement composé de « ministres »
désignés par l’assemblée territoriale la gestion des affaires intérieures (sauf ce qui concerne l’armée, les
finances, la justice, les relations extérieures). La loi-cadre doit conduire progressivement vers l’indépendance
dans l’esprit de son concepteur.

Le 27 juillet 1957 le territoire devient la Polynésie française. Par rapport au statut de 1946, la réforme accorde
aux « îles » une répartition des sièges plus favorable (moitié des sièges alors qu’elles ne rassemblent que le
quart de la population). Cette situation favorise le parti du RDPT moins bien implanté à Papeete que dans les
îles ou les districts. En novembre 1957, il remporte 17 sièges sur 30 mais seulement 45 % des suffrages et des
dissensions entre Pouvana’a et Céran-Jérusalemy affaiblissent le parti. Deux combats menés par le parti vont
lui faire perdre sa popularité et le conduisent à s’entre-déchirer laissant place à l’opposition. Le premier est la
radicalisation de la lutte contre le colonialisme et pour l’océanisation des cadres. Le deuxième touche à la mise
en place de l’impôt sur le revenu. Devant ces deux affaires l’opposition décide d’unir ses forces. Les
Indépendants rejoignent l’Union tahitienne et forment l’Union tahitienne démocratique (UTD).

Le référendum sur l’indépendance marque la fin du RDPT.

Dès son arrivée au pouvoir, De Gaulle donne une nouvelle constitution à la France qui doit être approuvée par
référendum. L’Union française est remplacée par une nouvelle structure, plus libérale, la Communauté. Le
choix est donné aux TOM d’intégrer la communauté en votant « oui » ou d’accéder immédiatement à
l’indépendance en votant « non ». Le référendum est fixé au 28 septembre 1958. L’UTD se range derrière
l’administration et milite en faveur du « oui » alors que le RDPT se déchire une fois de plus : Pouvana’a fait
campagne pour le « non » alors que Ceran-Jerusalemy se prononce pour le « oui » et fonde son propre parti
(RDPT-Te Aratai). Le « oui » l’emporte largement à 64,5 % des suffrages. Pouvana’a conteste ces résultats qui
ont été truqués selon lui. Cette lourde défaite aigrit le metua d’autant plus que son gouvernement est
suspendu sur-le-champ par le gouverneur. La gendarmerie vient le 9 octobre saisir la voiture de fonction qu’il
refusait de rendre. Il s’enferme alors dans sa résidence les 10 et 11, entouré des éléments les plus durs de son
parti. Il est bientôt soupçonné d’avoir donné l’ordre d’incendier Papeete. Il est arrêté à son domicile et la
perquisition fait état de tout un « arsenal de guerre ». Il est décidé que Pouvana’a sera jugé à Papeete et non
en métropole où le risque d’acquittement est grand. Mais beaucoup de questions se posent : ne fait-on pas
du Metua un martyr de la cause nationaliste ?

Tout semble indiquer que l’État a fait ce qu’il fallait pour écarter Pouvana’a de la vie politique locale. Il s’agissait
d’éliminer un fauteur de troubles à un moment où l’on commençait à penser à la Polynésie française comme
un terrain possible pour les futures expérimentations nucléaires. Dans ce contexte, la raison d’État impose de
ne pas laisser se développer la moindre opposition indépendantiste.

Le 19 octobre 1958 s’ouvre le procès de Pouvana’a et de 14 de ses compagnons. Il est condamné à huit ans de
prison, 36 000 cfp d’amende et 15 ans d’interdiction de séjour. Ses compagnons écopent de peines plus
légères. Les partisans de Pouvana’a attendaient un acquittement, se rappelant de l’affaire du Ville d’Amiens.
C’est donc la stupeur et l’indignation. Il dénonce une justice coloniale. Mais à l’opposé, nombreux sont ceux
qui regrettent que les peines n’aient pas été plus lourdes. Le 24 octobre, Pouvana’a se pourvoit en cassation
qui est rejeté en février 1960. Le 15 mars, il est embarqué sur le Calédonien pour être incarcéré en métropole.
Il ne reviendra en Polynésie française qu’en 1968, à 73 ans.

Le « oui » au référendum implique pour les populations des territoires d’outre-mer le maintien dans
l’ensemble français mais chaque territoire doit choisir librement le lien qui les unit à la métropole.
C’est un retour en arrière des institutions et le conseil de gouvernement se trouve à la botte du pouvoir central.
Les marques de bonne volonté, après l’affaire de Pouvana’a et des discussions sur le nouveau statut, reflètent
une volonté d’apaisement et de trêve.

La croissance démographique est plus rapide que l’essor économique. Ce déséquilibre est accentué par l’exode
rural des îles vers l’agglomération de Papeete. La pénurie d’embauche pousse certains tahitiens à choisir
l’émigration vers la Nouvelle-Calédonie. L’économie polynésienne repose sur des bases fragiles. La production
de coprah stagne. La production de vanille est menacée du fait de graves problèmes de débouchés et de
qualité. L’exploitation des nacres et des phosphates s’amenuise car la ressource s’épuise. Les liaisons
interinsulaires demeurent insuffisantes. Ainsi agriculture traditionnelle, pêche, artisanat et petites industries
ne peuvent compenser le déclin des quatre principales activités économiques du territoire et la balance
commerciale est régulièrement déficitaire. La dépendance économique envers la métropole risque donc de
s’accroître encore à une époque où paradoxalement on parle d’autonomie interne.

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