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Bourdoiseau
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L’erreur, vice du consentement et réforme des obligations


By Aurélien Bamdé Posted 12 février 2017 In Droit des contrats, Droit des obligations

La question qui se pose ici est de savoir si les parties ont voulu contracter l’une avec l’autre ?

🡺La difficile appréhension de la notion de consentement

Simple en apparence, l’appréhension de la notion de consentement n’est pas sans soulever de nombreuses difficultés.

Que l’on doit exactement entendre par consentement ?

Le consentement est seulement défini de façon négative par le Code civil, les articles 1129 et suivants se bornant à
énumérer les cas où le défaut de consentement constitue une cause de nullité du contrat.

L’altération de la volonté d’une partie est, en effet, susceptible de renvoyer à des situations très diverses :

L’une des parties peut être atteinte d’un trouble mental


Le consentement d’un contractant peut avoir été obtenu sous la contrainte physique ou morale
Une partie peut encore avoir été conduite à s’engager sans que son consentement ait été donné en connaissance de cause, car une
information déterminante lui a été dissimulée
Une partie peut, en outre, avoir été contrainte de contracter en raison de la relation de dépendance économique qu’elle entretient avec
son cocontractant
Un contractant peut également s’être engagé par erreur

Il ressort de toutes ces situations que le défaut de consentement d’une partie peut être d’intensité variable et prendre
différentes formes.

La question alors se pose de savoir dans quels cas le défaut de consentement fait- il obstacle à la formation du
contrat ?
Autrement dit, le trouble mental dont est atteinte une partie doit- il être sanctionné de la même qu’une erreur commise
par un consommateur compulsif ?

🡺Existence du consentement et vice du consentement

Il ressort des dispositions relatives au consentement que la satisfaction de cette condition est subordonnée à la
réunion de deux éléments :

Le consentement doit exister


À défaut, le contrat n’a pas pu se former dans la mesure où l’une des parties n’a pas exprimé sa volonté
Or cela constitue un obstacle à la rencontre de l’offre et l’acceptation.
Dans cette hypothèse, l’absence de consentement porte dès lors, non pas sur la validité du contrat, mais sur sa conclusion même.
Autrement dit, le contrat est inexistant.

Le consentement ne doit pas être vicié


À la différence de l’hypothèse précédente, dans cette situation les parties ont toutes deux exprimé leurs volontés.
Seulement, le consentement de l’une d’elles n’était pas libre et éclairé :
soit qu’il n’a pas été donné librement
soit qu’il n’a pas été donné en connaissance de cause
En toutes hypothèses, le consentement de l’un des cocontractants est vicié, de sorte que le contrat, s’il existe bien, n’en est pas
moins invalide, car entaché d’une irrégularité.

Nous ne nous focaliserons ici que sur l’exigence relative à l’absence de vices du consentement.

🡺Place des vices du consentement dans le Code civil

Il ne suffit pas que les cocontractants soient sains d’esprit pour que la condition tenant au consentement soit remplie.

Il faut encore que ledit consentement ne soit pas vicié, ce qui signifie qu’il doit être libre et éclairé :

Libre signifie que le consentement ne doit pas avoir été sous la contrainte
Éclairé signifie que le consentement doit avoir été donné en connaissance de cause

Manifestement, le Code civil fait une large place aux vices du consentement. Cela se justifie par le principe d’autonomie
de la volonté qui préside à la formation du contrat.

Dès lors, en effet, que l’on fait de la volonté le seul fait générateur du contrat, il est nécessaire qu’elle présente
certaines qualités.

Pour autant, les rédacteurs du Code civil ont eu conscience de ce que la prise en considération de la seule psychologie
des contractants aurait conduit à une trop grande insécurité juridique.

Car en tenant compte de tout ce qui est susceptible d’altérer le consentement, cela aurait permis aux parties d’invoquer
le moindre vice en vue d’obtenir l’annulation du contrat.

C’est la raison pour laquelle, tout en réservant une place importante aux vices du consentement, tant les rédacteurs du
Code civil que le législateur contemporain n’ont admis qu’ils puissent entraîner la nullité du contrat qu’à des conditions
très précises.

🡺Énumération des vices du consentement

Aux termes de l’article 1130, al. 1 du Code civil « l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de
telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions
substantiellement différentes ».

Pour mémoire, l’ancien article 1109 prévoyait que « il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été
donné que par erreur ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol. »
Quelle différence y a- t- il entre ces deux dispositions ?

Point commun
Il ressort de la comparaison de l’ancienne et la nouvelle version, que les vices du consentement énumérés sont identiques.
Il n’y a, ni ajout, ni suppression.
Ainsi, les vices du consentement qui constituent une cause de nullité du contrat sont-ils toujours au nombre de trois :
L’erreur
Le dol
La violence

Différence
Contrairement à l’ancien article 1109, l’article 1130 énonce des règles communes aux trois vices du consentement
Ainsi, pour être constitutifs d’une cause de nullité du contrat, les vices du consentement doivent être de « telle nature que, sans
eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. »
Autrement dit, le vice doit être déterminant du consentement de celui qui s’en prévaut.
De surcroît, l’alinéa 2 de l’article 1130 précise que « leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux
circonstances dans lesquelles le consentement a été donné »
Cette disposition commande, en d’autres termes, d’adopter la méthode d’appréciation in concreto pour déterminer si la condition
commune aux trois vices du consentement visée à l’alinéa 1 est remplie.

Le propos se focalisera ici sur l’erreur.

🡺Notion

L’erreur peut se définir comme le fait pour une personne de se méprendre sur la réalité. Cette représentation inexacte
de la réalité vient de ce que l’errans considère, soit comme vrai ce qui est faux, soit comme faux ce qui est vrai.

L’erreur consiste, en d’autres termes, en la discordance, le décalage entre la croyance de celui qui se trompe et la
réalité.

Lorsqu’elle est commise à l’occasion de la conclusion d’un contrat, l’erreur consiste ainsi dans l’idée fausse que se fait
le contractant sur tel ou tel autre élément du contrat.

Il peut donc exister de multiples erreurs :

L’erreur sur la valeur des prestations : j’acquiers un tableau en pensant qu’il s’agit d’une toile de maître, alors que, en réalité, il n’en est
rien. Je m’aperçois peu de temps après que le tableau a été mal expertisé.
L’erreur sur la personne : je crois solliciter les services d’un avocat célèbre, alors qu’il est inconnu de tous
Erreur sur les motifs de l’engagement : j’acquiers un appartement dans le VIe arrondissement de Paris car je crois y être muté. En
réalité, je suis affecté dans la ville de Bordeaux

Manifestement, ces hypothèses ont toutes en commun de se rapporter à une représentation fausse que l’errans se fait
de la réalité.

Cela justifie- t- il, pour autant, qu’elles entraînent la nullité du contrat ? Les rédacteurs du Code civil ont estimé que non.

Afin de concilier l’impératif de protection du consentement des parties au contrat avec la nécessité d’assurer la
sécurité des transactions juridiques, le législateur, tant en 1804, qu’à l’occasion de la réforme du droit des obligations, a
décidé que toutes les erreurs ne constituaient pas des causes de nullité.

Aussi, certaines erreurs sont sans incidence sur la validité du contrat. D’où la distinction qu’il convient d’opérer entre les
erreurs sanctionnées et les erreurs indifférentes.

I) Les conditions communes

Pour constituer une cause de nullité l’erreur doit, en toutes hypothèses, être :

Déterminante
Excusable

Il peut être ajouté qu’il importe peu que l’erreur soit de fait ou de droit.

A) Une erreur déterminante

Principe
L’article1130 du Code civil prévoit que l’erreur vicie le consentement lorsque sans elle « l’une des parties n’aurait pas contracté ou
aurait contracté à des conditions substantiellement différentes »
Autrement dit, l’erreur est une cause de consentement lorsqu’elle a été déterminante du consentement de l’errans.
Cette exigence est conforme à la position de la Cour de cassation.
Dans un arrêt du 21 septembre 2010, la troisième chambre civile a, par exemple, rejeté le pourvoi formé par la partie à une
promesse synallagmatique de vente estimant que cette dernière « ne justifiait pas du caractère déterminant pour son
e
consentement de l’erreur qu’il prétendait avoir commise » (Cass. 3 civ., 21 sept. 2010, n°09-66.297).

Appréciation du caractère déterminant


L’article 1130, al. 2 précise que le caractère déterminant de l’erreur « s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans
lesquelles le consentement a été donné »
Le juge est ainsi invité à se livrer à une appréciation in concreto du caractère déterminant de l’erreur

B) Une erreur excusable

Principe
Il ressort de l’article 1132 du Code civil que, pour constituer une cause de nullité, l’erreur doit être excusable
Par excusable, il faut entendre l’erreur commise une partie au contrat qui, malgré la diligence raisonnable dont elle a fait preuve,
n’a pas pu l’éviter.
Cette règle se justifie par le fait que l’erreur ne doit pas être la conséquence d’une faute de l’errans.
Celui qui s’est trompé ne saurait, en d’autres termes, tirer profit de son erreur lorsqu’elle est grossière.
C’est la raison pour laquelle la jurisprudence refuse systématiquement de sanctionner l’erreur inexcusable (V. en ce sens par
e
exemple Cass. 3 civ., 13 sept. 2005, n°04-16.144).

Domaine
Le caractère excusable n’est exigé qu’en matière d’erreur sur les qualités essentielles de la prestation ou de la personne.
En matière de dol, l’erreur commise par le cocontractant sera toujours sanctionnée par la nullité, quand bien même ladite erreur
serait grossière.
Dans un arrêt du 21 février 2001, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que la « réticence dolosive à la supposer établie, rend
toujours excusable l’erreur provoquée » (Cass. 3e civ., 21 févr. 2001, n°98-20.817).

Appréciation
L’examen de la jurisprudence révèle que les juges se livrent à une appréciation in concreto de l’erreur pour déterminer si elle est
ou non inexcusable.
Lorsque, de la sorte, l’erreur est commise par un professionnel, il sera tenu compte des compétences de l’errans (V. en ce sens
Cass. soc., 3 juill. 1990, n°87-40.349).
Les juges feront également preuve d’une plus grande sévérité lorsque l’erreur porte sur sa propre prestation.

C) L’indifférence de l’erreur de droit ou de fait

Il ressort de l’article 1130 du Code civil que l’erreur peut indifféremment être de fait ou de droit.

Contrairement à ce que l’on pourrait être légitimement en droit de penser, cette règle n’est nullement contraire à l’adage
« nul n’est censé ignoré la loi ».

Ce principe signifie, en effet, que l’on ne saurait invoquer son ignorance de la loi aux fins de s’exonérer de sa
responsabilité.

En matière d’erreur de droit, la situation est tout autre. Il ne s’agit pas pour l’errans de se soustraire à l’application d’un
texte.
Celui- ci revendique simplement l’annulation d’un acte conclu en considération d’une norme qu’il croyait exister alors que,
en réalité, soit aucune règle n’existe, soit ses conditions de mise en œuvre ou ses effets sont différents de ceux
initialement envisagés par l’errans.

Dans un arrêt du 4 novembre 1975, la Cour de cassation a ainsi décidé que « si l’erreur de droit peut justifier l’annulation
d’un acte juridique pour vice du consentement ou défaut de cause, elle ne prive pas d’efficacité les dispositions légales
qui produisent leurs effets en dehors de toute manifestation de volonté de la part de celui qui se prévaut de leur
ère
ignorance » (Cass. 1 civ. 4 nov. 1975, n°73-13.701).

ère
Cass. 1 civ. 4 nov. 1975

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaque qu’André x…
est décédé en 1966, laissant à sa survivance sa y… commune en biens avec laquelle il était marie en secondes
noces, cinq enfants issus d’un précèdent mariage prénommes Julie, Josèphe, Aimée, Georges et Emilie, et quatre
enfants issus de sa seconde union, Lucienne, robert, Thérèse et jeanne, épouse saint prix ;

Sue les enfants du premier lit, a l’exception d’Emilie, ayant assigne y… Alexandre et leurs cohéritiers en comptes,
liquidation et partage de la communauté ayant existé entre les époux x… et de la succession d’André x…, sa y… a
prétendu exercer la reprise d’un certain nombre de biens qui constituaient d’après elle des biens réserves ;

Attendu qu’il est reproche à la cour d’appel d’avoir décidé que veuve Alexandre ne pouvait conserver ses biens
réserves, faute d’avoir renoncé à la communauté ou fait inventaire dans les délais prévus par la loi, alors que, selon
le moyen, les juges du fond se devaient de rechercher si l’ignorance de la loi n’avait pas mis ladite y… dans
l’impossibilité absolue d’accomplir les formalités prescrites par les articles 1456 et 1457 anciens du code civil
applicables en la cause, et alors qu’ils n’auraient pas répondu aux conclusions dans lesquelles elle faisait valoir
qu’elle croyait que le droit de reprendre ses biens réserves lui était acquis du seul fait de leur existence sans
qu’aucune formalité ne fut nécessaire ;

Mais attendu que si l’erreur de droit peut justifier l’annulation d’un acte juridique pour vice du consentement ou défaut
de cause, elle ne prive pas d’efficacité les dispositions légales qui produisent leurs effets en dehors de toute
manifestation de volonté de la part de celui qui se prévaut de leur ignorance ;

Que par application de ce principe la y… commune en biens, déchue de la faculté de renoncer en vertu de l’article
1457 ancien du code civil, ne peut échapper aux conséquences, ignorées d’elle, que la loi attache à son inaction ;

Qu’en décidant que la méconnaissance de la loi par y… Alexandre ne pouvait que rester sans incidence sur un effet
de cette loi qui se réalisait sans requérir le consentement de l’intéressée et qu’en conséquence cette dernière
n’était pas fondée a exercer la reprise de ses biens réserves, la cour d’appel a répondu, en les écartant, aux
conclusions prétendument délaissées et légalement justifie sa décision ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fonde ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l’arrêté rendu le 19 juillet 1973 par la cour d’appel de Fort- de- France.

II) Les variétés d’erreurs

A) Les erreurs sanctionnées

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause
de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

Il ressort de cette disposition que seules deux catégories d’erreur sont constitutives d’une cause de nullité du contrat :
L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due
L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

À ces deux catégories d’erreur, il convient toutefois d’en ajouter une troisième à laquelle ne fait nullement référence
l’ordonnance du 10 février 2016 et qui, pourtant regroupe des hypothèses où l’erreur est si grave qu’elle empêche la
rencontre même des volontés. Il s’agit de la catégorie des erreurs obstacles.

1. L’erreur obstacle

a. Notion

Il s’agit de l’erreur qui procède d’un malentendu en ce sens que les parties n’ont pas voulu la même chose.

Aussi, l’erreur est si grave que la rencontre des volontés n’a pas pu se réaliser. Traditionnellement, on distingue deux
sortes d’erreur obstacle :

L’erreur porte sur la nature de l’acte : une partie croyait acheter un bien alors que l’autre souhaitait simplement la louer.
L’erreur porte sur l’objet de la prestation : une partie croyait acheter un immeuble, alors que l’autre entendait vendre un immeuble
voisin

b. Effets

L’erreur obstacle a pour effet de priver les parties de leur consentement, de sorte que leurs volontés n’ont pas pu se
rencontrer.

Plus qu’un vice du consentement, l’erreur obstacle rend le consentement inexistant

c. Sanction

🡺La reconnaissance souhaitable de l’inexistence

Dans la mesure où l’erreur obstacle a pour effet de faire « obstacle » à la rencontre des volontés, elle devrait être
sanctionnée par l’inexistence.

Notion
Pour mémoire, l’inexistence consiste en la sanction généralement prononcée à l’encontre d’un acte dont l’un des éléments
constitutifs essentiels à sa formation fait défaut.
Plus précisément l’inexistence est prononcée lorsque la défaillance qui atteint l’une des conditions de validité de l’acte porte sur
son processus de formation
Aussi, en matière de contrat, l’inexistence vient-elle généralement sanctionner l’absence d’échange des consentements.
Dans un arrêt du 5 mars 1991, la Cour de cassation a approuvé en ce sens une Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’aucun
ère
échange de consentement n’était intervenu entre les parties, a estimé qu’il n’y avait pas pu y avoir de contrat elles (Cass. 1 civ.,
5 mars 1991, n° 89-17.167)
Conformément à cette jurisprudence, l’erreur obstacle devrait donc, en toute logique, être sanctionnée par l’inexistence, comme
[1]
le soutiennent certains auteurs
Tel n’est cependant pas, pour l’heure, la voie empruntée par la Cour de cassation.

Intérêt
Pourquoi, préférer la sanction de l’inexistence à la nullité ?
Dans l’hypothèse, où le non-respect d’une condition de validité du contrat est sanctionné par la nullité, celui qui entend contester
l’acte dispose d’un délai de 5 ans pour agir.
Conformément à l’article 2224 du Code civil, le point de départ de ce délai de prescription court à compter « du jour où le titulaire
d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
Il s’agira, le plus souvent, du jour de la conclusion du contrat
Dans l’hypothèse toutefois où la sanction prononcée est l’inexistence de l’acte, le contrat n’a jamais été formé puisque les
volontés ne se sont pas rencontrées.
Il en résulte que les parties à l’acte inexistant ne sauraient se prévaloir d’aucun droit, sinon de celui de faire constater l’inexistence.
Aussi, l’exercice de l’action en inexistence n’est-il subordonné à l’observation d’un quelconque délai de prescription.
L’intérêt de la sanction de l’inexistence ne tient pas seulement à l’absence de prescription de l’action.
Elle réside également dans l’impossibilité pour les parties de confirmer l’acte.
On ne saurait, en effet, confirmer la validité d’un acte qui n’a jamais existé.

🡺L’indéboulonnable admission de la nullité

Bien que l’inexistence soit, eu égard à tout ce qui vient d’être rappelé, la sanction la plus appropriée quant à répondre à
la situation à laquelle conduit l’erreur obstacle, soit l’absence de rencontre des volontés des parties, la jurisprudence a
e
néanmoins préféré opter pour la nullité du contrat (Cass. 3 civ. 16 déc. 2014, n°14-14.168).

e
Cass. 3 civ., 16 déc. 2014

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Fort- de- France, 24 janvier 2014), que, suivant document d’arpentage du 10 janvier
2000, une parcelle cadastrée K 2, dont Mme Maryse X… et M. Roy X… (les consorts X…) étaient propriétaires indivis,
a été divisée en deux parcelles, la première supportant une maison d’habitation et la seconde un garage ; qu’aux
termes d’un acte dressé le 3 avril 2001 par M. C…, notaire, membre de la SCP, les consorts X… ont vendu la parcelle
cadastrée K 2 à Mme Y… ; que, faisant valoir que la vente ne portait en réalité que sur la parcelle supportant la
maison, Mme X… a assigné Mme Y…, M. C… et la SCP en nullité de la vente et en indemnisation de son préjudice ;
que M. X…, assisté de son curateur, est intervenu à l’instance ;

Sur le premier moyen :

Vu les articles 1109 et 1110 du code civil ;

Attendu que pour rejeter la demande des consorts X… en nullité de la vente, l’arrêt retient que les vendeurs qui
avaient fait procéder à la division du terrain étaient les mieux à même de relever l’erreur de désignation du bien
vendu et ne pouvaient opposer leur propre carence à l’acquéreur ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que l’erreur portait sur l’objet même de la vente et faisait obstacle à
la rencontre des consentements de sorte que, fût- elle inexcusable, elle entraînait l’annulation de la vente, la cour
d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il déboute les consorts X… de leur demande contre M. C… et la société civile
professionnelle C…, D… et E…, l’arrêt rendu le 24 janvier 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Fort- de- France
; remet, en conséquence, sur le surplus, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et,
pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Basse- Terre ;

2. L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause
de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due »

Directement issue de la réforme du droit des obligations à laquelle le législateur s’est livré en 2016, cette disposition
est manifestement venue codifier les solutions jurisprudentielles adoptées sous l’empire du droit antérieur.

a. L’état du droit avant la réforme des obligations

Pour mémoire, l’ancien article prévoyait que « l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe
sur la substance même de la chose qui en est l’objet ».

La question alors se posait de savoir ce que l’on devait entendre par la substance de la chose.
Grosso modo, deux conceptions s’affrontaient :

🡺La conception objective

La substance est considérée comme la matière dont est faite la chose, objet du contrat.

Exemple : je crois acheter un objet un or alors qu’il est en airain (il s’agit là de l’exemple pris par le célèbre juriste
Pothier)

Avantage
Cette conception offre un critère précis

Inconvénient
Cette conception a l’inconvénient d’être trop étroite
En effet, elle ne permet pas d’obtenir la nullité du contrat dans l’hypothèse où j’ai acheté une sculpture que je croyais de Rodin,
alors qu’elle a en réalité été réalisée par un anonyme.
L’erreur ne porte pas ici, sur la matière dont la chose est faite.
C’est la raison pour laquelle la jurisprudence s’est rapidement déportée vers une conception subjective de la notion de substance.

🡺La conception subjective

La substance correspond ici aux qualités substantielles de la chose.

Il s’agit, plus exactement, des qualités de la chose qui ont déterminé la volonté de l’errans, soit celles sans lesquelles
il n’aurait pas contracté.

Très tôt, la jurisprudence a amis cette conception de l’erreur, afin d’apprécier la notion de « substance de la chose » (V.
en ce sens Cass. req., 16 mars 1898).

Avantages
L’erreur peut ainsi porter indifféremment :
Soit sur la matière dont est faite la chose
Soit sur l’authenticité de la chose
Soit sur l’aptitude de la chose à remplir l’usage auquel on la destine
Exemple : la constructibilité d’un terrain, l’achat d’une jument qui s’avère être en gestation alors qu’on la prédestinait à
la course etc.

Inconvénients
Le juge est obligé de rechercher la volonté de l’errans afin de déterminer si la qualité de la chose qui n’est pas conforme avec la
représentation qu’il s’en faisait, était ou non essentielle, pour lui, quant à la conclusion du contrat
Une partie pourrait alors prétendre que telle qualité de la chose était essentielle à ses yeux au moment de la conclusion du
contrat, alors qu’elle n’en avait jamais fait état à son cocontractant.
L’erreur sur la substance risque alors de se révéler dangereuse pour la sécurité juridique du contrat
Aussi, afin de limiter ce risque, la jurisprudence a-t-elle posé une exigence.

Condition posée par la jurisprudence


Lors de la conclusion d’un contrat, il appartient aux parties de définir l’objet de leurs obligations, ce qui suppose de leur reconnaître
un ou plusieurs caractères essentiels en considérations desquelles chacune d’elles s’engage.
Aussi, comme le relève Jacques Ghestin, « l’erreur ne justifie l’annulation du contrat que lorsqu’elle s’analyse en un désaccord entre
l’objet réel et sa définition contractuelle ».
La jurisprudence en a tiré la conséquence que pour constituer une cause de nullité, l’erreur doit porter sur une qualité défaillante
de la chose qui est entrée dans le champ contractuel
Autrement dit, pour être fondé à se prévaloir d’un vice du consentement, l’errans doit établir qu’il a informé son cocontractant de
la qualité de la chose qu’il jugeait comme essentielle pour conclure le contrat.
Il en résulte que le cocontractant doit avoir su que ladite qualité était déterminante du consentement de celui qui s’est trompé.
L’erreur doit donc porter sur la « qualité convenue » de la chose.
La preuve
Afin d’établir que la qualité défaillante est entrée dans le champ contractuel, le juge tiendra compte des stipulations du
contrat
En l’absence de stipulations, la charge de la preuve pèsera sur l’errans.
Deux options s’offrent alors au juge :
Ou bien la qualité de la chose est jugée comme essentielle pour l’opinion commune auquel cas le juge admettra assez
facilement l’erreur
Ou bien la qualité de la chose est jugée comme essentielle par le seul errans, auquel cas c’est à lui qu’il incombera de
rapporter la preuve, en cas d’absence de stipulations contractuelles, que telle qualité de la chose était déterminante
pour lui quant à la conclusion du contrat.

b. L’état du droit positif après la réforme des obligations

Contrairement aux rédacteurs du Code civil qui, en 1804, n’avaient nullement défini la notion de « substance de la
chose », le législateur a, en 2016, remédié à cette carence en introduisant dans le Code civil un article 1133.

Cette disposition prévoit désormais que « les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été
expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ».

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

i. Substitution de vocable

Il ressort de l’article 1133 du Code civil que le législateur a préféré au terme « substance de la chose », le vocable
« qualités essentielles ».

Cela témoigne de sa volonté de mettre un terme définitif au débat qui avait porté sur l’interprétation du terme
« substance » :

Devait-on retenir une conception objective : dans cette hypothèse l’erreur ne pouvait être reconnue que si l’errans se trompait sur la
matière de la chose
Devait-on, au contraire, adopter une conception subjective, auquel cas cela permettait d’admettre que l’erreur puisse être une cause
de nullité, tant lorsqu’elle portait sur la matière de chose, que lorsqu’elle portait sur son authenticité ou sur son aptitude à remplir une
fonction déterminée

En retenant le terme de « qualités essentielles » le législateur a manifestement entendu sortir de cette difficulté
d’interprétation en optant, sans ambiguïté, pour la solution adoptée par la jurisprudence : la conception objective.

ii. Éléments constitutifs de l’erreur sur les qualités essentielles

🡺Une erreur

L’erreur se définit classiquement comme une représentation inexacte de la réalité

Elle, consiste, en d’autres termes, en un décalage entre la croyance de celui qui se trompe et la réalité

Plus précisément, en matière contractuelle, l’erreur ne peut être reconnue que si elle porte sur un élément du contrat,
dans la mesure où c’est à elles qu’il revient de définir le contenu de leurs prestations respectives.

🡺Des qualités essentielles expressément ou tacitement convenues

Il ressort de l’article 1133 du Code civil que le législateur a entendu consacrer la solution retenue par la jurisprudence
s’agissant de l’appréciation du caractère essentiel des éléments du contrat.

Cette disposition prévoit en ce sens que les qualités essentielles sont celles « qui ont été expressément ou
tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ».

Autrement dit, pour être qualifiées d’essentielles, les qualités de la prestation sur lesquelles porte l’erreur doivent être
entrées dans le champ contractuel.
C’est donc à l’aune de la commune intention des parties que le juge décidera si tel, ou tel autre élément du contrat revêt
un caractère essentiel.

À défaut de stipulations contractuelles, il appartiendra à l’errans d’établir que son cocontractant savait que la qualité de
la prestation sur laquelle a porté son erreur était déterminante de son consentement.

🡺Le domaine de l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation

L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation est susceptible d’être reconnue dans plusieurs cas.

Nous en évoquerons deux à titre d’illustration :

L’erreur sur les caractéristiques de la chose


L’erreur sur les caractéristiques de la chose se rapporte à une infinité de situations
Il peut, en effet, s’agir d’une erreur sur :
le matériau ou la matière dont est faite la chose
l’usure de la chose
l’ancienneté de la chose
l’emplacement de la chose
la surface du terrain
Si les caractéristiques de la chose reconnues par la jurisprudence comme susceptibles de faire l’objet d’une erreur, l’une d’elles a,
en particulier, été au centre d’un important débat :
L’erreur sur l’authenticité d’une œuvre d’art
Quid dans l’hypothèse où l’erreur porte sur l’authenticité d’une œuvre d’art ?
Dans un arrêt Poussin du 22 février 1978, la Cour de cassation a estimé que l’erreur commise par le vendeur d’un
ère
tableau sur l’authenticité de ce dernier était une cause de nullité (Cass. 1 civ., 22 févr. 1978, n°76-11.551).

ère
Cass. 1 civ., 22 févr. 1978

Sur le premier moyen : vu l’article 1110 du code civil ;

Attendu que, les époux z… ayant charge Rheims, commissaire- priseur, de la vente d’un tableau attribue par l’expert
x… a “l’école des Carrache”, la réunion des musées nationaux a exerce son droit de préemption, puis a présente le
tableau comme une œuvre originale de Nicolas y… ;

Que les époux z… ayant demandé la nullité de la vente pour erreur sur la qualité substantielle de la chose vendue, la
cour d’appel, estimant qu’il n’était pas prouve que le tableau litigieux fut une œuvre authentique de y…, et qu’ainsi
l’erreur alléguée n’était pas établie, a débouté les époux z… de leur demande ;

Qu’en statuant ainsi, sans rechercher si, au moment de la vente, le consentement des vendeurs n’avait pas été vicie
par leur conviction erronée que le tableau ne pouvait pas être une œuvre de Nicolas y…, la cour d’appel n’a pas donné
de base légale a sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

Casse et annule en son entier l’arrêt rendu entre les parties le 2 février 1976 par la cour d’appel de paris

Faits
Vente d’un tableau, dans le cadre d’une vente aux enchères, attribué à l’école des Carrache.
Exerçant son droit de préemption, la réunion des musées nationaux acquiert le tableau, affirmant dans la foulée que le tableau a,
en réalité, pour peintre le très célèbre Nicolas Poussin.

Demande
Les vendeurs du tableau engagent une action en nullité de la vente
Procédure
Par un arrêt du 2 février 1976, la Cour d’appel de Paris déboute les vendeurs de leur demande
Les juges parisiens estiment qu’il n’est pas établi que le tableau litigieux était de Nicolas Poussin, nonobstant les dires de
l’acquéreur.
Il en résulte, selon elle que l’erreur ne saurait être caractérisée, dans la mesure où il existe un doute sur l’authenticité du tableau.

Solution
Par un arrêt du 22 février 1978, la Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond
La Cour de cassation considère ici que la Cour d’appel aurait dû, pour débouter l’auteur du pourvoi, se demander si, au moment de
la vente, un doute existait quant à l’authenticité du tableau, chez les vendeurs, ou s’ils avaient la certitude que ledit tableau n’était
pas l’œuvre de Nicolas Poussin.
Autrement dit, selon la haute juridiction, si aucun doute n’existait au moment de la vente chez les vendeurs quant à l’authenticité
du tableau et que ce doute n’est apparu qu’une fois la vente conclue, alors l’erreur est bien caractérisée.

Analyse
Dans l’arrêt Poussin, les juges n’admettent pas directement qu’il y a erreur sur la substance.
La Cour de cassation dit simplement, que les juges auraient dû recherche des éléments de fait quant à la question de savoir :
Si un doute existait au moment de la formation du contrat
Si le doute des vendeurs est seulement né après que la réunion des musées nationaux a déclaré que le tableau était de
Nicolas Poussin
En invitant les juges du fond à faire cette recherche, on peut en déduire que la Cour de cassation considère, dans cette décision,
que pour que l’erreur soit caractérisée, il suffit que l’errans ait la certitude de la qualité qui fait défaut à la chose au moment de la
conclusion du contrat.
Aussi, c’est seulement si le vendeur du tableau avait eu un doute sur son authenticité au moment de la vente que l’erreur n’aurait
pas pu être retenue.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation apporte manifestement une précision importante sur la notion d’erreur.
Ce qui importe ce que l’errans ait la certitude, au moment de la formation du contrat, que la chose possède la qualité qu’il croit,
alors qu’en réalité elle ne les a pas ou qu’il y a un doute qui pèse sur l’existence de ces qualités.
En somme, pour qu’il y ait erreur, il est nécessaire que le décalage entre la croyance de l’errans et la réalité intervienne au
moment de la formation du contrat.
Si le doute survient postérieurement, il n’aura aucune incidence sur l’erreur : elle demeure caractérisée
Est-ce à dire que l’erreur sera toujours prise en compte ?

L’arrêt Fragonard
Dans un arrêt Fragonard du 24 mars 1987, la Cour de cassation est venue apporter une précision à la règle dégagée dans l’arrêt
ère
Poussin (Cass. 1 civ. 24 mars 1987, n°85-15.736).
Elle a, en effet, jugé que lorsqu’un doute sur l’authenticité du tableau existait au moment de conclusion du contrat, l’erreur ne
constitue plus une cause de nullité.

ère
Cass. 1 civ. 24 mars 1987

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu que, selon les juges du fond, Jean, André Vincent, depuis lors décédé, a vendu en 1933 aux enchères
publiques, comme étant ” attribué à Fragonard “, un tableau intitulé Le Verrou ; que, l’authenticité du tableau ayant été
ultérieurement reconnue, l’arrêt confirmatif attaqué a refusé d’annuler cette vente, pour erreur, à la demande des
héritiers de Jean, André Vincent ;

Attendu que ceux- ci reprochent à la cour d’appel (Paris, 12 juin 1985) de s’être déterminée au motif essentiel que
l’expression ” attribué à…. ” laisse planer un doute sur l’authenticité de l’œuvre mais n’en exclut pas la possibilité ;
qu’ils soutiennent, d’une part, qu’en s’attachant seulement à déterminer le sens objectif de la mention ” attribué à…. ”
et en s’abstenant de rechercher quelle était la conviction du vendeur, alors que leurs conclusions faisaient valoir qu’il
était persuadé, à la suite des avis formels des experts, que l’authenticité de l’oeuvre était exclue, la cour d’appel a
violé à la fois les articles 1110 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ; qu’il est, d’autre part,
prétendu qu’en toute hypothèse, le vendeur commet une erreur quand il vend sous l’empire de la conviction que
l’authenticité est discutable, alors qu’elle est en réalité certaine et que tout aléa à ce sujet est inexistant ;
Mais attendu, en premier lieu, qu’il résulte des énonciations souveraines du jugement confirmé ” qu’en vendant ou en
achetant, en 1933, une oeuvre attribuée à Fragonard, les contractants ont accepté un aléa sur l’authenticité de
l’oeuvre, que les héritiers de Jean- André Vincent ne rapportent pas la preuve, qui leur incombe, que leur auteur a
consenti à la vente de son tableau sous l’empire d’une conviction erronée quant à l’auteur de celui- ci ” ; que le
moyen, en sa première branche, ne peut dès lors être accueilli ;

Et attendu, en second lieu, que, ainsi accepté de part et d’autre, l’aléa sur l’authenticité de l’oeuvre avait été dans le
champ contractuel ; qu’en conséquence, aucune des deux parties ne pouvait alléguer l’erreur en cas de dissipation
ultérieure de l’incertitude commune, et notamment pas le vendeur ni ses ayants- cause en cas d’authenticité devenue
certaine ; que le moyen doit donc être entièrement écarté ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Faits
Vente d’un tableau intitulé « Le Verrou » qui était attribué à Fragonard, bien qu’il existe un doute sur son authenticité
Après que la vente a été effectuée, l’authenticité de l’œuvre est confirmée.

Demande
Les héritiers du vendeur engagent une action en nullité de la vente

Procédure
Par un arrêt du 12 juin 1985, la Cour d’appel de Paris déboute les héritiers du vendeur de leur demande en annulation de la vente.
Les juges du fond estiment qu’il existait un doute sur l’authenticité du tableau que les vendeurs du tableau ne pouvaient ignorer
au moment de la conclusion du contrat, de sorte que l’erreur commise par ces derniers ne constitue pas une cause de nullité.

Moyens
Les vendeurs soutiennent que l’erreur est caractérisée dès lors qu’il existe un décalage entre leur croyance (le doute sur
l’authenticité du tableau) et la réalité (l’authenticité du tableau).

Solution
Par un arrêt du 24 mars 1987, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les héritiers du vendeur.
La première chambre civile relève tout d’abord « qu’en vendant ou en achetant, en 1933, une œuvre attribuée à Fragonard, les
contractants ont accepté un aléa sur l’authenticité de l’œuvre ».
Elle en déduit que « ainsi accepté de part et d’autre, l’aléa sur l’authenticité de l’œuvre avait été dans le champ contractuel. »
Il en résulte alors « qu’aucune des deux parties ne pouvait alléguer l’erreur en cas de dissipation ultérieure de l’incertitude commune,
et notamment pas le vendeur ni ses ayants-cause en cas d’authenticité devenue certaine ; que le moyen doit donc être entièrement
écarté »
Autrement dit, pour la Cour de cassation, dans la mesure où le doute sur l’authenticité du tableau était connu du vendeur au
moment de la vente, l’opération litigieuse a été réalisée en connaissance de cause.
Le doute étant entré dans le champ contractuel, aucune des deux parties ne pouvait donc soutenir qu’elle avait commis une
erreur une fois l’authenticité du tableau avérée.
Ainsi, la haute juridiction vient-elle préciser la solution adoptée dix ans plus tôt dans l’arrêt Poussin.
Pour que la vente soit annulée en l’espèce, il aurait fallu que le vendeur ait eu la certitude, au moment de la vente, que le tableau
n’était pas de Fragonard.
Or ce n’était pas le cas, puisqu’il était « attribué » à Fragonard, ce qui laissait à penser que le tableau était authentique.
L’erreur sur l’utilité de la chose
L’erreur sur l’utilité de la chose se rapporte à la fausse croyance que l’on a sur l’usage que l’on est légitimement en droit
d’attente de la chose
Il pourra ainsi s’agir d’une erreur sur :
La constructibilité du terrain
L’inaptitude de la chose à remplir une certaine fonction
Les aptitudes d’un animal
Le potentiel d’une société à réaliser son objet social

🡺Des qualités essentielles qui portent sur la prestation de l’une ou l’autre partie
L’article 1133, al. 2 du Code civil prévoit que « l’erreur est une cause de nullité qu’elle porte sur la prestation de l’une ou
de l’autre partie. »

Pourquoi cette précision ?

Le législateur est ici venu consacrer la position de la Cour de cassation qui s’est prononcée sur la question de savoir si
l’erreur peut constituer une cause de nullité lorsqu’elle porte sur la propre prestation de l’errans.

Le plus souvent, l’erreur portera, non pas sur la prestation fournie, mais sur la prestation reçue, soit celle exécutée par
le cocontractant.

Aussi, quid dans l’hypothèse où l’erreur porte sur la prestation dont est débiteur l’e rrans ?

Dans le silence des textes, la Cour de cassation a, très tôt, estimé que l’erreur pouvait parfaitement porter sur sa
propre prestation (Cass. civ. 23 juin 1873)

Dans un arrêt du 17 novembre 1930, la haute juridiction a, par exemple, considéré que « il y a erreur sur la substance,
notamment quand le consentement de l’une des parties a été déterminé par l’idée fausse que cette partie avait de la
nature des droits dont elle croyait se dépouiller ou qu’elle croyait acquérir par l’effet du contrat » (Cass. civ. 17 nov.
1930).

ère
Cette solution a été réitérée par la suite, notamment, dans le célèbre arrêt Poussin du 22 février 1978 (Cass. 1 civ.,
22 févr. 1978, n°76-11.551).

L’article 1133, al. 2 du Code civil ne vient, dès lors, que confirmer une jurisprudence déjà bien établie.

🡺Des qualités essentielles non affectées d’un aléa

Aux termes du nouvel article 1133, alinéa 3 du Code civil « l’acceptation d’un aléa sur une qualité de la prestation exclut
l’erreur relative à cette qualité. »

De toute évidence, cette précision faite par le législateur vise à entériner la règle dégagée par la Cour de cassation
dans l’arrêt Fragonard

La haute juridiction avait en effet estimé que lorsqu’un doute sur les qualités essentielles de la prestation existe au
moment de la conclusion du contrat, soit que ce doute est entré dans le champ contractuel, alors les parties ne sont
ère
pas fondées à se prévaloir d’une erreur (Cass. 1 civ. 24 mars 1987, n°85-15.736).

L’erreur sur les qualités essentielles ne pourra être invoquée que si le doute naît postérieurement à la formation du
contrat.

Aussi, l’erreur ne peut être une cause de nullité que si l’errans avait la certitude, au moment où il contractait, que la
prestation qu’il fournit ou qui lui est due possède les qualités qu’il croit.

3. L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

🡺Principe

Au même titre que l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation, le législateur a entendu faire de l’erreur sur les
qualités essentielles du cocontractant une cause de nullité (art. 1133, al. 1 C. civ.).

Le législateur a ainsi reconduit la solution retenue en 1804 à la nuance près toutefois qu’il a inversé le principe et
l’exception.
L’ancien article 1110 prévoyait, en effet, que l’erreur « n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la
personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause
principale de la convention. »

Ainsi, l’erreur sur les qualités essentielles de la personne n’était, par principe, pas sanctionnée.

Elle ne constituait une cause de nullité qu’à la condition que le contrat ait été conclu intuitu personae, soit en
considération de la personne du cocontractant.

Aujourd’hui, le nouvel article 1134 du Code civil prévoit que « l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est
une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne. »

L’exception instaurée en 1804 est, de la sorte, devenue le principe en 2016.

Cette inversion n’a cependant aucune incidence sur le contenu de la règle dans la mesure où, in fine, l’erreur sur les
qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité qu’en matière de contrats conclus intuitu personae.

🡺Notion d’erreur sur la personne

L’erreur sur la personne du cocontractant peut porter

sur son identité


sur ses aptitudes physiques
sur ses compétences
sur sa solvabilité
sur son passé professionnel
sur sa nationalité
sur son âge

B) Les erreurs indifférentes

Les erreurs indifférences peuvent être classées en quatre catégories

L’erreur sur les qualités non-essentielles de la prestation


L’erreur sur les qualités essentielles de la personne lorsque le contrat n’est pas conclu en considération de cette dernière
L’erreur sur les motifs
L’erreur sur la valeur

Nous ne nous focaliserons que sur les deux dernières catégories d’erreur.

1. L’erreur sur les motifs

🡺Principe

L’article 1135 du Code civil prévoit que « l’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation
due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un
élément déterminant de leur consentement ».

Ainsi, lorsque l’erreur porte sur les motifs, soit sur les raisons qui ont déterminé les parties à contracter, elle ne
constitue pas une cause de nullité

Exemple : j’ai acheté une maison à Marseille car je pensais être muté dans cette ville. Or il s’avère que je suis affecté à
Lille.

L’article 1135 précise qu’il importe peu que le motif sur lequel porte l’erreur ait été déterminant du consentement de
l’errans, elle demeure indifférence.
Cette solution est conforme à la position de la Cour de cassation qui, notamment dans un arrêt du 13 février 2001, a eu
l’occasion d’affirmer que « l’erreur sur un motif du contrat extérieur à l’objet de celui-ci n’est pas une cause de nullité de
ère
la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant » (Cass.1 , Civ. 13 févr. 2001, n°98-15.092).

Une question immédiatement alors se pose : pourquoi avoir exclu des causes de nullité l’erreur sur les motifs ?

À bien y réfléchir, les qualités essentielles de la prestation ou du cocontractant peuvent également être regardées
comme des motifs du contrat.

Or lorsque l’erreur porte sur ces dernières, la nullité est encourue.

Dès lors, pourquoi cette différence de traitement entre les simples motifs de l’article 1135 et ceux évoqués à l’article
1132 du Code civil ?

Cette solution se justifie par le caractère trop lointain des motifs visés à l’article 1135.

En effet, les motifs qui président à la décision d’une partie de contracter sont, par nature, indécelables pour son
cocontractant.

Ils constituent, en d’autres termes, des circonstances totalement extérieures au contrat.

Tel n’est pas le cas des qualités essentielles de la prestation ou du cocontractant qui sont connues des parties.

C’est la raison pour laquelle seule l’erreur qui porte sur ces dernières constitue une cause de nullité, l’erreur sur les
simples motifs étant indifférente.

Cass.1ère, Civ. 13 févr. 2001

Attendu que, par un acte passé le 20 novembre 1981 en l’étude de M. Geoffroy d’X…, notaire, M. Alain Y… a acquis, de
la Société anonyme de gestion de patrimoines (SAGEP), des lots d’un immeuble en copropriété à rénover ; que M.
Y… a subi, par la suite, différents redressements fiscaux ; que, faisant valoir qu’il avait acheté ce bien immobilier pour
bénéficier d’avantages fiscaux qui n’avaient pu être obtenus, il a, en 1992, assigné la SAGEP, aujourd’hui en
liquidation judiciaire et représentée par M. Villa, liquidateur, le syndicat des copropriétaires de la résidence le Cloître
Saint- Martin, et M. Geoffroy d’X…, en nullité pour erreur ou en résolution de la vente, et en dommages- intérêts ; que
l’arrêt confirmatif attaqué (Orléans, 23 mars 1998) l’a débouté de ses prétentions ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que M. Y… fait grief à l’arrêt de s’être ainsi prononcé, alors, selon le moyen :

1° qu’en refusant d’annuler la vente faute de réalisation de l’objectif de défiscalisation, bien qu’il résultât des
constatations de l’arrêt que la cause de l’engagement de M. Y… avait été le désir de réaliser des économies fiscales
et que la SAGEP connaissait ce motif déterminant, la cour d’appel aurait méconnu les conséquences de ses
constatations et violé l’article 1110 du Code civil ;

2° qu’en ne recherchant pas, comme il lui était demandé, si en sa qualité de professionnel de l’immobilier spécialiste
de la défiscalisation, la SAGEP n’était pas censée connaître et maîtriser parfaitement les prescriptions de la loi
Malraux et n’avait pas manqué à son devoir de conseil, la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au
regard de l’article 1116 du Code civil ;
Mais attendu, d’abord, que l’erreur sur un motif du contrat extérieur à l’objet de celui- ci n’est pas une cause de nullité
de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant ; que c’est donc à bon droit que l’arrêt énonce que
l’absence de satisfaction du motif considéré savoir la recherche d’avantages d’ordre fiscal alors même que ce motif
était connu de l’autre partie, ne pouvait entraîner l’annulation du contrat faute d’une stipulation expresse qui aurait fait
entrer ce motif dans le champ contractuel en l’érigeant en condition de ce contrat ; qu’ensuite, ayant relevé qu’en
1983, la SAGEP pouvait croire à l’adéquation de l’opération avec les prescriptions de la loi Malraux, étant observé
qu’il n’était pas démontré qu’à l’époque de la vente cette société ait eu connaissance du risque de ne pas bénéficier
des avantages fiscaux de cette loi, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision au regard
de l’article 1116 du Code civil ; que le moyen n’est donc fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen : (Publication sans intérêt) ;

Et, sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :

(Publication sans intérêt) ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

🡺Tempérament

Si l’indifférence de l’erreur sur les motifs se justifie par le caractère extérieur au contrat des circonstances qui ont
conduit l’errans à contracter, dans l’hypothèse où lesdites circonstances seraient connues du cocontractant, l’erreur sur
les motifs devrait alors en toute logique affecter la validité du contrat.

Tel est le sens de l’article 1135 du Code civil qui après avoir exclu, par principe, des causes de nullité l’erreur sur les
motifs, précise qu’elle est toujours susceptible de le devenir lorsque les parties ont en fait un élément de leur
consentement, soit lorsque le motif du contrat est entré dans le champ contractuel.

Là encore, cette exception au principe, n’est autre qu’une consécration de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Dans un arrêt du 11 avril 2012, la chambre commerciale avait jugé en ce sens que « l’erreur sur un motif du contrat
extérieur à l’objet de celui-ci n’est pas une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été
déterminant, à moins qu’une stipulation expresse ne l’ait fait entrer dans le champ contractuel en l’érigeant en
condition du contrat » (Cass. com. 11 avr. 2012, n°11-15.429).

Cass. com. 11 avr. 2012

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 7 décembre 2010), que Mme X… a souscrit le 3 juillet 2002, pour financer
l’acquisition d’équipements médicaux destinés à l’exercice de son activité d’infirmière libérale deux contrats de
crédit- bail auprès de la société BNP Paribas et deux contrats de crédit- bail auprès de la société Lixxbail, ces quatre
contrats représentant une charge totale mensuelle de 1 529,82 euros toutes taxes comprises ; que les matériels
fournis par la société Formes et performances ont été livrés à Mme X…, qui a signé un procès- verbal de réception ;
que cette dernière ayant cessé de payer les loyers à compter du mois de novembre 2003, la société Lixxbail lui a
notifié la résiliation des contrats et fait procéder à la saisie des matériels qui ont été revendus pour la somme de
0,18 euro chacun ; que le tribunal d’instance a déclaré recevable l’opposition de Mme X… aux ordonnances
d’injonction de payer prononcées à son encontre ; que devant le tribunal de grande instance, Mme X… a demandé
l’annulation des contrats de crédit- bail, invoquant une erreur substantielle et recherché subsidiairement la
responsabilité du crédit- bailleur pour manquement à ses obligations d’information et de conseil ;

Sur le premier moyen :


Attendu que Mme X… reproche à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande d’annulation des contrats conclus avec la société
Lixxbail, alors, selon le moyen :

1°/ que constitue une qualité essentielle toute caractéristique du bien entrée dans le champ contractuel qui
détermine son usage ; qu’en jugeant, pour débouter Mme X… de sa demande de nullité du contrat de crédit- bail que
“Mme X… en faisant valoir que la colonne d’électrothérapie et la colonne bilan louées à la société Fores et
performances ne répondaient pas à ses besoins dans son activité paramédicale d’infirmière en milieu rural,
n’invoque aucune erreur sur les qualités substantielles de ces matériels” sans rechercher si la destination
commerciale n’était pas inhérente aux biens donnés à bail et entrée dans le champ contractuel, la cour d’appel a
privé sa décision de base légale au regard de l’article 1110 du code civil ;

2°/ que Mme X… faisait valoir, dans ses conclusions, que le matériel donné à bail ne pouvait être utilisé que par un
médecin ; qu’en se bornant à juger pour débouter Mme X… de sa demande de nullité du contrat de crédit- bail que
l’inadéquation du matériel “à ses besoins dans son activité para- médicale d’infirmière en milieu rural” n’était pas une
qualité substantielle des biens objet du contrat litigieux, sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d’appel a
violé l’article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que l’erreur sur un motif du contrat extérieur à l’objet de celui- ci n’est pas une cause de nullité de la
convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant, à moins qu’une stipulation expresse ne l’ait fait entrer
dans le champ contractuel en l’érigeant en condition du contrat ; qu’après avoir énoncé que l’erreur n’est une cause de
nullité du contrat que lorsqu’elle porte sur les qualités substantielles de la chose qui en est l’objet, et que seule
l’erreur excusable peut entraîner la nullité d’une convention, l’arrêt retient que Mme X…, en faisant valoir que les
équipements litigieux ne répondaient pas à ses besoins dans son activité para- médicale d’infirmière en milieu rural,
n’invoque aucune erreur sur les qualités substantielles de ces matériels, mais se borne à constater leur
inadéquation à cette activité ; qu’ayant ainsi fait ressortir que l’erreur invoquée par le preneur ne portait pas sur les
qualités substantielles des matériels litigieux, mais sur les motifs de leur acquisition, la cour d’appel, qui n’était pas
tenue d’effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée, a légalement justifié sa décision; que le moyen n’est
fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

🡺Exception

Le second alinéa de l’article 1135 du Code civil pose une exception au principe d’indifférence de l’erreur sur les motifs.

Cette disposition prévoit que « l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé,
est une cause de nullité. »

L’instauration de cette exception procède, manifestement, de l’abandon par le législateur de la référence à la cause
dans la liste des conditions de validité du contrat (V en ce sens le nouvel article 1128 du Code civil).

L’exigence de la cause supposait, en effet, antérieurement à l’ordonnance du 10 février 2016, qu’une contrepartie à
l’engagement de chaque partie existe, à défaut de quoi le contrat encourait la nullité.

Rapidement la question s’est alors posée de savoir en quoi la cause pouvait- elle bien consister dans les contrats à
titre gratuit dans la mesure où, par définition, celui qui consent une libéralité s’engage sans contrepartie.

Très tôt, la jurisprudence a néanmoins répondu à cette question en considérant que, dans les actes à titre gratuit, la
cause de l’engagement de l’auteur d’une libéralité consiste en un élément subjectif : l’intention libérale de celui qui
s’engage.
Afin de contrôler l’existence de la cause, condition de validité du contrat, cela a conduit les juridictions à tenir compte
des motifs du disposant.

Autrement dit, dès lors que l’auteur d’une libéralité se trompait sur les motifs de son engagement, l’acte conclu
encourait la nullité.

Exemple : je crois consentir une donation à une personne que je crois être mon fils, alors qu’en réalité il ne l’est pas car
il est né d’une relation adultérine de mon épouse

Aussi, cela revenait- il pour la Cour de cassation à assimiler, en matière de libéralités, l’erreur sur les motifs à l’absence
ère
de cause (V. en ce sens Cass. 1 civ., 11 févr. 1986, n°84-15.513).

En édictant, à l’article 1133, al. 2, la règle selon laquelle « l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son
auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité », le législateur a manifestement entendu palier la suppression de
la cause de la liste des conditions de validité du contrat.

Cette exception au principe d’indifférence de l’erreur sur les motifs révèle, de la sorte, une résurgence de la cause qui
est loin d’avoir disparu.

ère
Cass. 1 civ., 11 févr. 1986

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les époux X… ont, par acte du 22 juillet 1981, fait donation, à titre de partage
anticipé, à leurs trois enfants, de la nue propriété de partie d’un ensemble immobilier ; que le 27 janvier 1982 ils ont
assigné les bénéficiaires à fin que soit déclarée nulle et de nul effet cette donation- partage, comme étant
dépourvue de cause, en faisant valoir que les avantages fiscaux dont bénéficiaient les donations- partages et qui ont
été supprimés rétroactivement au 9 juillet 1981 par la loi de finances rectificative du 3 août 1981, les avaient
déterminés à consentir ce partage anticipé ; que les juges de première instance ont accueilli leur demande ; qu’appel
de cette décision a été interjeté par le ministère public qui, tout en reconnaissant n’avoir été que partie jointe à
l’instance, invoquait l’atteinte à l’ordre public ; que son appel a été déclaré irrecevable ;

Attendu que le procureur général près la Cour d’appel fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir ainsi statué, alors, selon le
moyen, que, d’une part, les juges de première instance, en faisant droit à la demande d’annulation par les époux X…
de la donation- partage qu’ils ont consentie, n’ont pas prononcé, ainsi qu’ils l’ont affirmé, un jugement ” strictement
civil rendu par référence aux conditions de validité d’une donation- partage. “, mais une décision portant atteinte à
l’ordre public et plus précisément à l’ordre public fiscal, et alors, d’autre part, que ce faisant, ils ont nécessairement
méconnu la rétroactivité au 9 juillet 1981 du nouveau régime fiscal des donations- partages expressément prévue à
l’article 4- 1 de la loi de finances rectificative du 3 août 1981 dans le souci d’éviter une source importante d’évasion
fiscale à partir du moment où il était devenu de notoriété publique que la loi de finances en préparation se proposait
de soumettre, en ce qui concerne les droits de mutation à titre gratuit, les donations- partages au régime du droit
commun des libéralités ;
Mais attendu que la Cour d’appel, qui a relevé que les premiers juges avaient seulement recherché les
circonstances et l’esprit dans lesquels les parties avaient agi pour en tirer les conséquences, sur le plan civil, au
regard de la validité des donations- partages, a justement énoncé que ces juges n’avaient pas statué par une
décision portant atteinte à l’ordre public en déclarant nulle pour absence de cause une donation- partage, acte
purement privé intervenu entre personnes privées parce que l’application rétroactive d’une loi de finances
promulguée postérieurement à l’acte avait eu pour conséquence que celui- ci ne se trouvait plus justifié par le mobile
qui avait incité les parties à y recourir ; que c’est dès lors à bon droit qu’elle a déclaré le Ministère public, partie
jointe, irrecevable en son appel ; que les juges du second degré, qui ont encore estimé qu’il n’y avait pas eu fraude à
la loi dès lors que donateurs et donataires avaient opéré strictement dans le cadre de la législation en vigueur, n’ont
pas méconnu la rétroactivité du nouveau régime fiscal, rétroactivité rendue inopérante par la nullité qu’ils
prononçaient ; d’où il suit que le moyen est, en chacune de ses branches, dépourvu du moindre fondement ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

2. L’erreur sur la valeur

🡺Principe

L’article 1136 du Code civil prévoit que « l’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles
de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause
de nullité. »

L’erreur sur la valeur doit donc être entendue comme l’erreur sur l’évaluation économique de l’objet du contrat

Exemple : l’erreur sur la valeur se rapporte à l’hypothèse où une partie se rend compte que le prix de la prestation qui lui
a été fournie est trop élevé.

Bien que l’erreur sur la valeur consiste en un décalage entre la croyance de l’errans et la réalité, ce déséquilibre objectif
des prestations ne constitue cependant pas une cause de nullité du contrat.

Si le législateur avait adopté la solution inverse, cela serait revenu à admettre la lésion.

Or conformément à l’article 1168 du Code civil « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des
prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement. ».

La solution retenue en l’espèce est conforme à la jurisprudence antérieure qui a toujours refusé de reconnaître l’erreur
sur la valeur (V. en ce sens Cass. req., 17 mai 1832 ; Cass. 3e civ., 31 mars 2005, n°03-20.096).

🡺Exception : l’erreur sur la rentabilité

En principe, lorsque l’erreur porte sur sa rentabilité de l’opération, soit sur son aptitude à procurer les avantages
économiques que l’on en attend, elle devrait être indifférente, car cela revient à porter une appréciation de la valeur de la
prestation fournie.

Dans un arrêt du 31 mars 2005 la Cour de cassation a estimé en ce sens que « l’appréciation erronée de la rentabilité
économique de l’opération n’était pas constitutive d’une erreur sur la substance de nature à vicier le consentement de la
SCI à qui il appartenait d’apprécier la valeur économique et les obligations qu’elle souscrivait » (Cass. 3e civ., 31 mars
2005, n°03-20.096).
Toutefois, dans un arrêt du 4 octobre 2011, la Cour de cassation a reproché à une Cour d’appel qui « après avoir
constaté que les résultats de l’activité du franchisé s’étaient révélés très inférieurs aux prévisions et avaient entraîné
rapidement sa mise en liquidation judiciaire » de n’avoir pas recherché « si ces circonstances ne révélaient pas, même
en l’absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d’information, que le consentement du
franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise » (Cass. com. 4 oct.
2011, n°10-20.956).

Autrement dit, pour la Cour de cassation, l’erreur commise par le franchisé s’apparentait en l’espèce, non pas à une
simple erreur sur la valeur de l’opération, mais à une erreur sur les qualités essentielles du contrat de franchise qui, par
nature, a vocation à procurer à son bénéficiaire une certaine rentabilité.

Ainsi, lorsque la rentabilité est inhérente à l’opération, la haute juridiction considère que l’erreur s’apparente, en réalité, à
une erreur sur les qualités essentielles de la chose, de sorte qu’elle constitue une cause de nullité.

Cass. com. 4 oct. 2011

Sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche :

Vu l’article 1110 du code civil ;

Attendu selon l’arrêt attaqué, que la société Equip’buro 59 a conclu avec la société Sodecob un contrat de franchise
pour l’exploitation de son fonds de commerce sous l’enseigne “Bureau center”, impliquant l’adhésion à une
coopérative de commerçants détaillants indépendants, constituée par la société Majuscule ; que les résultats
obtenus, très inférieurs aux prévisions transmises par le franchiseur, ont conduit rapidement à la mise en liquidation
judiciaire de la société Equip’buro 59, M. X… étant désigné liquidateur ; que ce dernier, agissant ès qualités, a
demandé la nullité du contrat de franchise et la condamnation solidaire des sociétés Sodecob et Majuscule au
paiement de dommages- intérêts, en invoquant, notamment, l’insuffisance de l’information précontractuelle fournie au
franchisé ;

Attendu que pour rejeter la demande d’annulation fondée sur l’erreur commise par le franchisé lors de la conclusion
du contrat, l’arrêt retient que les insuffisances ponctuelles dans la documentation fournie ne peuvent être regardées,
à les supposer établies, comme un élément essentiel dont la révélation eût été susceptible de conduire la société
Equip Buro 59 à ne pas conclure le contrat, qu’en sa qualité de professionnel averti du commerce qui avait exercé
pendant plus de vingt ans dans le domaine de la grande distribution, son dirigeant se devait d’apprécier la valeur et
la faisabilité des promesses de rentabilité qui lui avaient été faites dans la mesure où celles- ci ne pouvaient
comporter de la part du promettant aucune obligation de résultat, que le seul fait qu’un écart soit effectivement
apparu entre les prévisions de chiffre d’affaires telles qu’indiquées par le franchiseur et les résultats concrets nés
de l’exploitation poursuivie par la société Equip’buro 59 ne saurait être démonstratif, à lui seul, de l’insincérité ou du
manque de crédibilité des chiffres et documents fournis par le franchiseur, lequel n’avait pas à garantir la réalisation
de quelconques prévisions comptables et qu’il s’ensuit que M. X…, ès qualités, ne rapporte la preuve d’aucun dol ni
d’aucune erreur de nature à justifier sa demande ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, après avoir constaté que les résultats de l’activité du franchisé s’étaient révélés
très inférieurs aux prévisions et avaient entraîné rapidement sa mise en liquidation judiciaire, sans rechercher si ces
circonstances ne révélaient pas, même en l’absence de manquement du franchiseur à son obligation
précontractuelle d’information, que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur
la rentabilité de l’activité entreprise, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a rejeté les demandes de nullité et d’octroi de dommages- intérêts
formées par M. X…, ès qualités, l’arrêt rendu le 19 mai 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en
conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être
fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

1. N. Rias, « La sanction de l’erreur- obstacle : pour un remplacement de la nullité par l’inexistence », RRJ, 2009,
pp.1251 et s. ↑

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