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13/11/2018 4.

La décentralisation : l'enjeu institutionnel comme modèle de gestion

147-200

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4. La décentralisation : l’enjeu institutionnel comme

modèle de gestion

Christelle Marsault

Christelle Marsault est maître de conférences à l’Université de Strasbourg et y enseigne l’histoire et la


sociologie de l’ .

« Ceux qui ont voulu introduire le sport en le traitant (1967-1975), en le


gisant (1975-1980), en l’évaluant (1980-1985) ou en le didactisant (1985-
1990) sont restés aux manettes et ont maintenu leur contrôle sur la discipline. »
- , 1996.

L’identité de l’ n’est pas seulement bouleversée par une évolution de la culture 1

sportive, scolaire et sociale ; la culture administrative et organisationnelle pèse


également sur les modèles d’ . Le processus de décentralisation impulsé dans les
années 1980 apporte par exemple une transformation importante des modes
d’organisation politique que va subir l’école et l’ .

Qu’est-ce que la décentralisation ? C’est un transfert de pouvoir entre deux 2

institutions ayant une capacité de décision (Ohnet, 1996). Elle est d’abord
territoriale : certaines décisions politiques sont transférées du pouvoir étatique vers
des structures locales comme les collectivités territoriales (municipalité, département
ou région). Elle peut être également fonctionnelle ou technique : certaines
institutions publiques accèdent à la personnalité morale, c’est-à-dire à un pouvoir de
décision autonome dans un champ d’application spécifique. Par exemple, les
établissements scolaires, en devenant des , acquièrent une autonomie juridique
et financière [1]
, et donc un pouvoir de décider par eux-mêmes. La décentralisation est
issue d’une volonté politique qui répond à deux objectifs : rapprocher le processus de
décision des citoyens (démocratie de proximité) et améliorer l’efficacité de l’action
publique pour mieux répondre aux besoins différents de la population. Toutefois, le
transfert des pouvoirs ne peut être total en matière d’enseignement car il est inscrit
dans la Constitution. « L’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïque à
tous les degrés de l’enseignement est un devoir de l’État » (Préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946, repris dans la Constitution du 4 octobre 1958.
Disposition figurant dans l’article L. 141-1 du Code de l’éducation). Ainsi, en matière
d’éducation, l’État ne peut se démettre complètement de cette mission. Il en délègue
en partie la charge. Il n’y a donc pas autonomie complète de décision. D’ailleurs, le
rapport Pochart (2008) souligne combien le système éducatif français reste normatif
et centralisé. Quelle est alors la part qui revient au local ? S’il existe une dévolution du
pouvoir par la régionalisation (Gosselin, Filion, 2007), peut-on parler
d’autodétermination (Tousignant, Dionne-Tousignant, 1999) des établissements ?
Est-ce la reconnaissance d’une plus grande autonomie des équipes pédagogiques
(Pochard, 2008) ou d’une liberté pédagogique [2]
de l’enseignant ? S’agit-il d’une
auto-émancipation [3]
(Pinsker, 1985) qui rompt avec la croyance en une autorité
étatique transcendante (Castoriadis, 1975) ou d’une autonomie de l’espace
disciplinaire, c’est-à-dire la capacité qu’a un espace social à être réfractaire à des
déterminations externes (Bourdieu, 1991) ?

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Selon les conditions dans laquelle elle s’exerce, la décentralisation va jouer un rôle 3

différent. En accordant de nouveaux pouvoirs de décision à différents échelons, elle


recompose l’espace des décisions. Le passage d’un centre de décision national à une
multitude d’institutions investies de missions dans des domaines proches crée des
luttes pour définir la nature de leurs relations. Qui s’imposera en imposant ses
décisions aux autres ? Tout se passe comme si la définition de l’ n’était pas
seulement la conséquence de transformations sociales, mais aussi le résultat de
conflits de territoires d’attribution de compétences (Clément, 1993). Le changement
de mode d’organisation joue alors sur le rapport de force entre les acteurs accordant,
selon les modèles organisationnels, plus ou moins de pouvoir pour agir sur la
définition légitime de la discipline.

Ainsi, la complexification de l’organisation sociale pèse sur l’institution des pratiques 4

et des valeurs à l’école et en . Cette métamorphose institutionnelle n’est pas


seulement le fruit de revendications d’autonomie disciplinaire, elle est également la
conséquence d’une reconnaissance de nouveaux lieux de définition de la pratique et
d’un renouvellement des logiques d’action publiques.

L’EPS, entre identité disciplinaire et identité scolaire

L’ n’est pas une entité décisionnelle autonome. C’est une pratique instituée, c’est- 5

à-dire que sa réalité rend compte de décisions prises par des acteurs à chaque période
en fonction de contextes spécifiques qui offrent des ressources, mais également des
limites à leurs actions. Les contextes ont une influence sur les pratiques et sur les
acteurs. Ainsi, nous montrerons comment s’instituent les transformations de l’ en
nous intéressant à trois éléments qui instituent une pratique, à savoir : les textes qui
fixent la pratique de façon légale, les usages en cours dans la profession qui
définissent une pratique coutumière et l’organisation des compétences au sein de la
corporation.

L’ est d’abord une pratique instituée par des textes qui l’officialisent et en 6

définissent une certaine identité. Les textes ont un rôle légitimant en entérinant des
pratiques en usage, mais peuvent avoir un rôle subversif en bousculant celles-ci.
L’analyse des textes ne révèle pas seulement un changement de contenu ou de valeurs
de la discipline, elle signale un mode de fonctionnement légaliste plutôt que
coutumier qui intervient quand la définition ordinaire ne va plus de soi. La
décentralisation des pouvoirs va rendre plus visibles les conflits au moment de
l’écriture des textes en donnant une plus grande liberté d’expression aux différentes
composantes de la corporation.

L’ est également une pratique instituée par des dispositifs particuliers. D’un point 7

de vue ethnographique, l’utilisation de lieux et de matériels fonctionne comme un


contrôle coutumier. Le contexte sportif dans lequel intervient l’enseignant d’ n’est
pas neutre. Il est dépositaire d’un ensemble de valeurs et d’usages (Latour, Woolgar,
1988). Nonobstant une distance au sport annoncée par les instructions officielles, les
conceptions sportives s’objectivent dans le matériel ou, si l’on préfère, se
matérialisent dans les objets et les lieux aux normes fédérales. Ainsi, malgré la
séparation de l’ et du sport au niveau des instances ministérielles, les politiques
sportives pèsent toujours sur la pratique de l’ par la gestion décentralisée des
installations sportives.

C’est enfin une pratique instituée au sens sociologique dans la mesure où l’ se 8

définit par une corporation structurée de personnes qui fonctionne selon un


ensemble de règles du jeu. Le changement de mode de gestion des services publics a
modifié la structure de cet espace disciplinaire, notamment son ordre hiérarchique.
La recomposition des pouvoirs décisionnaires s’est réalisée en même temps qu’une
nouvelle définition de la discipline émergeait. Tout se passe comme si finalement

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l’identité disciplinaire servait d’objet et d’instrument de positionnement dans cet


espace en recomposition, du fait de la décentralisation des pouvoirs.

Nous allons donc montrer dans cette partie que le mode de fonctionnement 9

décentralisé a une emprise directe sur la manière de définir l’ de façon officielle,


mais aussi indirecte en modelant les lieux de pratique. Il a enfin un effet sur la marge
de liberté accordée aux enseignants dans la définition de leur pratique.

Projet/programme : entre gestion nationale et locale

Le projet ou le programme ? Quelle différence existe-t-il entre les deux modèles ? Les 10

deux relèvent d’une formalisation de l’activité d’enseignement, c’est-à-dire


finalement de sa rationalisation et de sa planification. Il s’agit de définir à l’avance ce
qu’il y a à faire. La notion de programme est ancienne. Le retour des programmes
dans les années 1990 n’est donc pas une nouveauté (Saint-Martin, Terret, 2000).
L’idée de projet est plus récente à l’école. Elle marque un changement de conception
de l’organisation politique liée à la décentralisation. Le programme se définit comme
« l’organisation rationnelle et hiérarchisée des contenus d’une discipline scolaire
permettant d’atteindre les objectifs déterminés par les instructions officielles dans
des conditions fixées » (« La charte des programmes du 13 novembre 1991 », BOEN
no 8 du 20 février 1992). Il permet l’identification d’une discipline à travers son unité,
c’est-à-dire finalement sa normalisation. Il vient en contrepoint du projet qui
reconnaît les écarts entre les établissements. Ainsi, le changement d’attribution de
compétence porte l’intérêt sur l’établissement scolaire au détriment de l’unité
nationale et de la sectorisation disciplinaire.

Philippe Perrenoud (1993) préfère parler de curriculum pour recouvrir « toutes 11

sortes de mode de programmation de l’enseignement et des apprentissages », c’est-à-


dire un itinéraire planifié à suivre. Il montre qu’il existe toujours un curriculum
prescrit, c’est-à-dire une formalisation de ce qu’il y a à apprendre. Cependant, la
nature et l’ampleur de la prescription varient selon les époques. Ainsi, la construction
du curriculum se réalise différemment : d’un curriculum prescrit par des experts à
une culture élaborée par une base sociale plus large. La forme des programmes
change aussi. Les programmes standardisés laissent la place à une certaine
autonomie curriculaire des établissements. Le passage du programme au projet ne
révèle pas seulement une transformation des modes d’organisation de la pensée, mais
également une évolution des mises en œuvre. La décentralisation rend possibles ces
changements grâce à une volonté politique qui apparaît vers la fin des années 1970,
mais qui se heurte à un centralisme important du système administratif français. À
travers ces deux modes d’organisation, deux logiques politiques s’opposent : faire
l’unité par l’imposition de normes identiques ou être efficace en prenant en compte
les différences au niveau local. Trois modèles d’organisation administrative semblent
se détacher : au mode centralisé privilégiant l’unité nationale se substitue un mode
décentralisé accordant une liberté individuelle, puis un mode décentralisé renforçant
les pouvoirs intermédiaires.

Dans un mode de fonctionnement centralisé comme c’est le cas dans les années 1970, 12

le programme décrit l’ensemble des connaissances légitimes qui s’impose à tous. Pour
l’ , il se définit comme la « combinaison du classement des selon l’intérêt
qu’elles présentent pour l’élève et du classement des intentions pédagogiques dont le
professeur peut charger tel ou tel geste particulier qui permet l’élaboration d’un
programme cohérent » (circulaire du 19 octobre 1967). Pour Pierre Parlebas, il se
limite à une juxtaposition de techniques (1967). Dans un contexte technico-sportif, la
référence sportive suffit à légitimer les pratiques en et, par là, la pratique de l’ .
Ainsi, les instructions de 1967 valident l’idée d’un programme d’activités sportives
légitimées par des intentions éducatives particulières. Le programme se présente
plutôt comme un outil de revendication d’une identité scolaire, en incluant les
données récentes de la sociologie de l’éducation.

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Ainsi, la sociologie de l’éducation qui se constitue après les années 1970 en France va 13

se centrer sur le curriculum et sur la question des déterminants sociaux et politiques


pour la sélection des savoirs scolaires. Elle va s’appuyer sur les travaux anglo-saxons
comme ceux de Benjamin Bloom (1956) ou de Hilda Taba (1962) pour réorganiser
l’écriture des programmes scolaires et sera reprise en France par Jean-Claude
Forquin (1989). Les taxonomies de Benjamin Bloom seront par exemple utilisées
pour hiérarchiser les savoirs par rapport à une échelle d’objectifs comportementaux
qui peut s’organiser en trois pôles : cognitif, affectif et psychomoteur. Elles
permettront l’introduction d’une planification de ce qu’il y a à apprendre grâce à la
pédagogie par objectifs. Hilda Taba introduit des programmes d’étude dont les
enseignants ont un rôle actif pour établir des buts et des objectifs. Ainsi, le
programme d’étude change de nature. Il ne s’agit plus seulement d’un corpus de
connaissances légitimes à transmettre, mais il se présente comme des tentatives
d’atteindre certains objectifs prédéfinis. Il fait alors une part plus importante à
l’enseignant. La définition du programme s’enrichit également des travaux anglais
sur le projet qui constitue une adaptation du programme aux besoins par son
opérationnalisation. Pour Laurence Stenhouse (1975), il ne peut y avoir de
préconisation de méthode particulière préalable à tout enseignement. Ainsi, ces
travaux éclairent la situation de l’enseignant repérable dans la circulaire du 19
octobre 1967 : « Les programmes types pour chaque niveau scolaire n’ont que valeur
d’exemple (…). Chaque enseignant devra adapter les exigences de ce programme au
niveau des élèves qu’il contrôle. »

L’idée d’un mode d’organisation plus autonome pour faciliter l’adaptation des 14

programmes nationaux se développe également auprès du système politique. La


décentralisation des pouvoirs politiques émerge d’abord au niveau de la gestion des
municipalités. Les lois du 3 janvier 1979 et du 10 janvier 1980 vont accorder une
autonomie financière aux municipalités. Ce sera le point de départ d’un mode
d’organisation [4]
qui s’attachera à développer l’autonomie des institutions publiques
pour répondre aux besoins différents de la population locale, les pouvoirs locaux
n’étant jusqu’alors « que des administrateurs des affaires au quotidien » (Merrien,
1991). Toutefois, le mode de gestion reste centralisé, les municipalités sont le dernier
chaînon de la hiérarchie étatique. Ainsi, même dans un système centralisé, une marge
de liberté est reconnue aux opérateurs pour mieux faire appliquer les directives
nationales aux conditions locales.

Les années 1980 vont constituer une période charnière pour la mise en place d’un 15

premier mode d’organisation décentralisé. Les lois Defferre des 10 et 15 juillet 1981
vont transformer l’organisation territoriale en libérant les hiérarchies entre les
régions, les départements et les communes. Les collectivités locales deviennent
financièrement autonomes [5]
. La décentralisation va avoir des conséquences sur la
gestion du système éducatif. La loi du 22 juillet 1983 stipule le transfert de
compétences de l’État pour la gestion des écoles aux municipalités, des collèges aux
départements et des lycées aux régions. La gestion par le local permet de répondre
plus rapidement aux besoins (démocratie de proximité). Elle contient également
l’idée d’une démocratie participative (la loi du 16 mars 1986 propose l’élection des
conseils régionaux). Alain Savary applique cette idée au domaine de l’éducation. Il
veut donner plus d’initiatives aux enseignants pour innover. Le projet
d’établissement est instauré à titre expérimental en 1983 (« Projet d’établissement,
projet éducatif, projet pédagogique », EPS, no 182, juillet-août 1983) et rendu
obligatoire dans les collèges à partir de 1986 et dans les lycées à partir de 1988. Il est
institué par la loi d’orientation de 1989. Après une décentralisation financière en
1986, les établissements vont peu à peu entrer dans une réforme politique en matière
de pédagogie. Une autonomie d’action de l’équipe est revendiquée par rapport au
programme national (Legrand, 1982). Le projet pédagogique offre la possibilité
aux enseignants de définir leur propre politique de formation (Rousseau, 1986). « Le
temps n’est plus à la contrainte, mais à susciter la volonté de transformer et aider
ceux qui tentent l’aventure » (Prost, 1992). Il s’agit de formaliser un projet qui tienne

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compte à la fois de l’analyse des besoins des élèves et de l’application des


programmes. En effet, « l’équipe pédagogique ne peut présenter les finalités sous une
forme différente de la loi. Les voies d’accès aux connaissances générales et aux
compétences définies dans les programmes sont déterminées par l’environnement
local » (Rouziès, 1997). Mais l’arrivée des projets d’établissement et des projets
pédagogiques va également modifier la conception et l’écriture du programme
national. Les programmes ne peuvent qu’être des « cadres généraux » laissant une
souplesse au niveau local (arrêté du 14 novembre 1985 fixant les programmes des
classes de collège). Il se présente comme « un cadre de référence national qui décrit
les savoirs et savoir-faire enseignés dans une discipline selon les moments de la
scolarité » (Hébrard, 1986). Le projet se présente surtout comme une adaptation du
programme au contexte local. Pourtant, le projet se limite souvent à « un
planning de cycles d’ » (Prévost, 1991). Le programme d’ et le projet
d’établissement restent encore à la fin des années 1980 un exercice d’écriture
(Malglaive, 1975) plus qu’une véritable réforme politique de gestion de
l’établissement.

La décentralisation n’est pas une idée partagée par tous. Le ministère de Jean-Pierre 16

Chevènement n’est pas favorable à l’autonomie des établissements au nom de l’unité


nationale. Ainsi, dans la conjoncture des années 1980, deux conceptions politiques
s’opposent : autonomiste contre unitariste (Avanzini, 1991). Les enseignants doivent
composer avec ces deux outils qui définissent en retour différemment leur identité
(Combaz, 2002). L’identité de l’enseignant se construit entre la discipline et
l’établissement (Begyn, 1998). En effet, dans ce modèle de gestion scolaire, les
enseignants ne doivent pas seulement militer pour défendre leur discipline au niveau
national, la décentralisation les conduit à devoir s’imposer aussi au niveau de
l’établissement, en justifiant leur action pédagogique. La globalisation des moyens
suite à leur intégration au ministère de l’Éducation nationale en 1981 et la
décentralisation mettent l’ en concurrence directe avec les autres disciplines du
point de vue budgétaire (avant 1981, le budget arrivait sur une ligne séparée),
mais également dans le recrutement des enseignants. Dorénavant, ce sont les conseils
d’administration qui décident de la répartition de la dotation par discipline. Le
problème de l’identité disciplinaire se décale vers des luttes locales pour ne pas voir le
budget ou l’emploi du temps régresser.

Après la première vague de décentralisation qui octroie une certaine marge de 17

manœuvre aux établissements (Devineau, 1998), la contractualisation va offrir des


moyens différents en fonction des projets construits par les équipes d’enseignants.
Les établissements n’auront dorénavant plus un financement identique, celui-ci se
réalise en fonction de contrats à partir de projets précis, comme les (note de
service du 24 août 1981). L’identité de l’établissement se construit dans une
concurrence entre les établissements. Celle-ci se développe non seulement à travers le
détournement de la carte scolaire par les parents, mais aussi pour l’obtention de
moyens financiers à travers les projets. La sociologie de l’éducation révèle un « effet
établissement » (Cousin, 1993 ; Picquenot, 1997) qui se conjugue aux capacités
culturelles et stratégiques des familles (Dubet, 2001). Les établissements scolaires
vont peu à peu se différencier moins par l’offre de formation que par l’offre d’accueil
et d’animation périscolaire (Duval, Dubreuil, 2000). Le paysage éducatif se présente
comme un marché concurrentiel. La réputation, le type de populations qu’ils
drainent, mais aussi l’hétérogénéité des offres de formation les démarquent les uns
des autres. Cette différence sera également amplifiée (Pelage, 2000) par un nouveau
statut des personnels de direction (BOEN no 29 du 8 septembre 1988, portant
réforme du statut des personnels de direction) qui deviennent des managers de
projets.

Dans ce nouvel espace concurrentiel, les enseignants doivent défendre ou améliorer 18

l’image de leur établissement. « Un enseignant du secondaire doit se sentir davantage


membre de son établissement que de son groupe professionnel » (Bourdoncle,
Demailly, 1998). Pourtant, « les vraies affiliations vont à la discipline davantage qu’au
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corps ou à l’établissement » (Perrenoud, 1998). Les enjeux disciplinaires changent de


lieu. Ce sont moins les conditions d’enseignement générales (qui restent délimitées
par les programmes) que la reconnaissance des contributions individuelles au projet
de l’établissement qui marque ce nouveau modèle de gestion. En effet, l’introduction
du projet d’établissement apporte une nouvelle division du travail des enseignants
(Klein, 1998). Le professeur d’ et son équipe vont prendre plus d’importance dans
la gestion de l’établissement. Ils vont profiter de cette renégociation de la division
sociale du travail éducatif (Van Zanten, 1998) pour asseoir leur place au sein des
établissements.

La décentralisation conduit dans les années 1990 à une territorialisation de 19

l’enseignement (Charlot, 1994). Elle se présente comme une offre locale dans un
bassin de formation (Duru-Bellat, Mingat, 1993 a). L’hétérogénéité des situations
d’enseignement suite à la décentralisation nécessite une régulation qui donne aux
collectivités régionales un nouveau pouvoir au détriment de l’État. Il y a
complémentarité, mais aussi concurrence, entre le local et le national. Les
collectivités territoriales ont pour compétence le champ social, culturel et la
formation professionnelle. Leurs projets vont se développer dans les espaces de la
formation non occupés par l’Éducation nationale. Certaines collectivités territoriales
dépassent la décentralisation des moyens pour développer une véritable
décentralisation des finalités (Dutercq, 2000), qui pose le problème de la définition
d’un service public scolaire national. Les établissements vont devoir se positionner
dans des projets de développement local et se différencier pour obtenir des moyens
qui viennent dorénavant plus souvent des collectivités locales. Le projet passe d’une
accumulation de plans d’action destinés à obtenir des financements complémentaires
(Obin, 1995) à une stratégie globale caractérisant l’établissement, inscrite dans une
politique de bassin (Simon, Toulemonde, 2003). L’implication des établissements
dans les politiques territoriales permet le glissement d’une logique de concurrence à
celle de complémentarité au sein d’un bassin de formation.

Cette hétérogénéité relance l’idée d’un programme national dans le but de réaffirmer 20

l’unité nationale en 1992. Dans le programme, il y a l’idée d’une fixation des moyens
communs pour garantir une unité de fonctionnement. « Le programme aide les
enseignants à faire des choix pertinents en fonction de leurs objectifs qui s’inscrivent
dans le cadre d’objectifs généraux, donc une garantie de continuité, de progressivité
et d’harmonisation des apprentissages » (Malvezin, 1996). L’idée de projet prend ses
distances avec le programme. « La gestion par projet concrétise les nouvelles
pratiques organisationnelles » (Boutinet, 1990). Elle suppose une coordination des
actions qui passe par un compromis. Celui-ci ne peut se réaliser qu’au niveau local
(Grundy, 1987). Le projet vise à s’accorder sur un but à atteindre. Il s’agit moins de
faire valoir des savoirs constitués, normalisés, structurés et hiérarchisés que de se
projeter dans l’avenir (Bayer, 1990). En devenant une pratique redéfinissable en
cours d’action (van Zanten, 2004), le programme curriculaire change de nouveau de
nature. De fait, les projets d’établissement ne découlent plus de programmes
disciplinaires à appliquer. Projet et programme ne sont plus hiérarchisés, mais
offrent une répartition différente des pouvoirs entre le local et le national. Ainsi, la
marge de liberté de l’enseignant est différente selon la définition accordée aux
programmes. Pour certains, « un programme contribue à prolétariser les
enseignants » (Durand, 1996) en définissant de manière trop stricte les contenus
disciplinaires. Pour d’autres, « les programmes sont des trames. L’enseignant a une
liberté d’interprétation dont il n’a pas toujours conscience » (Perrenoud, 1995). La
coexistence des deux modes d’organisation peut s’expliquer en partie par une
résistance au changement. Toutefois, la réintroduction d’un programme national n’a
pas seulement pour motif une unification de la discipline. « Jamais l’ n’a pu être
vraiment unifiée malgré les efforts des autorités responsables pour rassembler ou des
courants dominants pour s’imposer » (René, 1996). Tandis que la réorganisation
scolaire par projet a permis à la corporation d’asseoir sa place au sein du système
scolaire, le retour des programmes favorise plutôt une réorganisation interne de la

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corporation (Klein, 2003) et des rapports de force entre les différentes fractions
(Mennesson, 1994). Le programme va servir surtout d’outil de légitimation de
nouvelles positions d’autorité après un changement de mode de fonctionnement,
mais aussi d’outil de réaffirmation de la doxa pour le maintien des positions en place.

Au tournant du siècle, Michel Mercier (2000) prône la réactivation de la 21

décentralisation. En accordant plus de responsabilité au niveau local et en l’inscrivant


dans la Constitution même de la République, la loi constitutionnelle crée une
« république de proximité » (loi constitutionnelle no 2003-276 du 28 mars 2003
relative à l’organisation de la République). La relance de la décentralisation en 2004
(loi no 2004-809 du 13 août 2004 relative à la liberté et aux responsabilités locales)
ne s’est pas faite sans résistance. L’acte II de la décentralisation (Fialaire, 2005)
n’offre pas plus de liberté aux enseignants. Il renforce en réalité les compétences des
acteurs intermédiaires et notamment la région, en développant l’idée d’une
« intercommunalité éducative ». Par exemple, la loi no 2005-380 du 23 avril 2005
d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école poursuit le processus de
contractualisation entre l’autorité académique et les . Les établissements
scolaires doivent s’associer, « au sein d’un réseau, au niveau d’un bassin de formation
pour faciliter les parcours scolaires et permettre une offre de formation cohérente,
pour mettre en œuvre des projets communs et des politiques de partenariat en
relation avec les collectivités territoriales et leur environnement économique, culturel
et social ». La décentralisation a un effet induit, elle favorise un espace intermédiaire
de décision ( - , 2006) en développant les politiques académiques (Barrère,
2006). Ce qui fait dire à André Pouille (2003) que, « pour les , les lycées et
collèges, la situation est bien pire. L’autonomie est une douce plaisanterie ». L’État
garde le contrôle sur les établissements par l’intermédiaire d’un système déconcentré
qui voit ses pouvoirs se développer (Filiaire, 1992). Comme le stipule la loi
d’orientation de l’école de 2005, « la liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce
dans le respect des programmes et instructions du ministre de l’Éducation
nationale », « dans le cadre du projet d’établissement » et « sous le contrôle des corps
d’inspection ». C’est dire que la marge de manœuvre n’est pas aussi importante. En
outre, la loi de 2005 crée un « conseil pédagogique de l’établissement », chargé de
préparer la partie pédagogique du projet d’établissement. Ce dernier « peut porter
atteinte à la liberté pédagogique de l’enseignant ». Pour lutter contre l’hétéronomie,
le système institutionnel développe ainsi le contrôle intermédiaire et latéral (les
autres établissements, les autres collègues de travail). Ainsi, ce n’est pas tant la liberté
de l’enseignant qui augmente que le mode d’imposition qui se transforme.

La décentralisation répondait à plusieurs objectifs : rapprocher les acteurs de la 22

décision des citoyens pour une meilleure adaptation des moyens aux problèmes
locaux différents, créer plus de flexibilité pour innover et produire une plus grande
variété de l’offre et une plus grande implication des acteurs. Elle a surtout « forger de
nouvelles identités et de nouvelles formes d’action » (van Zanten, 1993) conduisant à
une diversité des établissements. En réalité, « la différence entre établissements n’est
pas neuve, elle était masquée par la fiction de l’uniformité des programmes »
(Demailly, 2000). Comme le soulignent Anne Barrère et Nicolas Sembel (1998), « le
changement d’échelle (global/local) contribue seulement à redéfinir le problème, pas
à le résoudre ». Ainsi, les différents modèles d’organisation scolaire modifient surtout
la manière d’agir. La marge de liberté de l’enseignant n’est pas plus importante. La
tâche de l’enseignant est seulement devenue plus complexe dans sa mise en œuvre.

Les installations sportives : entre politiques sportives et

obligation scolaire

Un autre effet de la décentralisation est visible du fait de la bascule des compétences 23

dans la gestion du monde sportif. Même si l’enseignant ne fait pas du sport, il en


utilise les pratiques, les lieux et les objets. Les contraintes en termes d’installations
sportives sont souvent avancées pour justifier le choix de pratiques sportives. Selon

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13/11/2018 4. La décentralisation : l'enjeu institutionnel comme modèle de gestion

Pierre Arnaud, « les conditions matérielles, les normes de coût et de sécurité


condamnent les enseignants d’ à ne programmer que l’athlétisme, la natation, la
gymnastique et quelques sports collectifs de petits terrains » (1996 b). Le changement
de politiques va jouer sur le panel d’installations sportives et sur la nature de celles-ci
(Arnaud, 1992). Aujourd’hui, ce qui pose problème en , c’est moins le manque
d’installations que celles qui correspondent à sa pratique. Dans ce cas, est-ce
réellement une limite ? Il semblerait que le choix et l’usage des soient déterminés
surtout par les normes sociales (Baillette, 1994 a). Les dispositifs ne sont pas
seulement des contraintes, mais des éléments à partir desquels les conceptions
peuvent se fixer et se justifier. En effet, ils sont dépositaires de conceptions
spécifiques qui permettent de percevoir ce qu’il est possible ou impossible de faire
avec eux. C’est difficile de faire natation sans piscine, pourrait-on dire. Mais ces
limites matérielles ne sont qu’apparente puisque la natation a été enseignée en
dehors de l’eau. La nécessité de faire du football sur un terrain de football ou de faire
des lancers à partir d’aires de lancer aux normes athlétiques dépend de la manière
dont l’enseignant perçoit et s’approprie l’espace de pratique et le matériel dont il
dispose. Pour comprendre l’impact des installations dans la définition de la
discipline, il s’agit de prendre en compte l’ensemble du dispositif matériel dans lequel
la pratique est enserrée. Michel Foucault (1975) montre comment un dispositif
(carcéral, par exemple) objective une conception particulière et révèle un changement
de normes. La sociologie compréhensive permet de comprendre comment
l’utilisation de ces objets objective des logiques d’action différentes (Boltanski,
Thévenot, 1991). Face aux différents modèles d’organisation politique du sport, les
dispositifs d’enseignement utilisés en révèlent l’attachement des enseignants aux
valeurs sportives traditionnelles inscrites dans les lieux et les matériels.

La volonté politique des années 1960 va essayer de combler le déficit en matière 24

d’installations par une politique sportive ambitieuse basée sur le développement


d’installations traditionnelles, normalisées. « 4 000 gymnases, 1 500 piscines et 8
000 terrains de sport » (Falcoz, Chifflet, 1998) ont été construits durant les trois lois-
programmes de 1962 à 1975 (Combeau-Mari, 1998). L’État planifie de façon
systématique la construction d’installations en imposant des modèles types. La
troisième loi-programme (1971-1975) propose par exemple trois opérations : les
« mille piscines », les « mille clubs de jeunes » et les . La pratique sportive,
déléguée au mouvement sportif, impose ses normes fédérales dans l’établissement
des grilles d’équipements qui standardisent les lieux de pratiques sportives (Le
Moniteur des travaux publics et du bâtiment. Les équipements sportifs et éducatifs,
mai 1974). Le centralisme gaullien va développer le mouvement sportif en le dotant
de nouvelles installations dont la répartition se fait par un rééquilibrage national. Les
enseignants d’ trouvent un intérêt à s’associer au sport fédéral pour bénéficier de
ces lieux de pratique spécifiques. En effet, ce sont encore souvent le préau et la cour
qui servent de lieu d’évolution (Piédou, 1972). Si l’ devient sportive par sa
pratique, ses objets et ses lieux, le développement, au cours des années 1960, du
matériel spécifiquement pédagogique va permettre d’aménager le milieu pour le
rendre éducatif. L’innovation pédagogique est soutenue par le développement de
matériels nouveaux réalisés à partir de matériaux plus souples et plus malléables, et
surtout, dont le coût de fabrication est diminué grâce à l’arrivée du plastique. Le
matériel est adapté aux possibilités de l’enfant : par exemple, en volley-ball, un ballon
plus léger et un filet moins haut (Cassignol, 1961). Mais c’est également une
transformation du milieu qui s’opère dans les années 1960. Les nouveaux tapis de
réception vont permettre des expérimentations motrices et laisser plus de liberté
d’action aux élèves dans la recherche de solutions techniques (Pociello, 1963). Ainsi,
la normalisation des installations et du matériel sportif et pédagogique favorise la
sportivisation de l’ et son unification. Mais l’arrivée du matériel pédagogique
permet de modifier l’espace de pratique sportif en un espace éducatif à visée sportive.
Les tenants du courant critique revendiquent également une utilisation différente du
matériel pour « dénaturer le sport ». Ils proposent d’utiliser le matériel pour « en
faire autre chose qui (…) n’a plus du tout la même finalité », de

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13/11/2018 4. La décentralisation : l'enjeu institutionnel comme modèle de gestion

« désinstitutionnaliser les installations : par exemple, de créer des jeux différents »


(Domange, Audrain, 1976). Le type de matériel et son utilisation deviennent ainsi des
outils d’imposition ou de subversion idéologique. Malgré les critiques, la pratique
sportive pénètre par l’usage des lieux, du matériel sportif et des techniques.

La période régalienne s’arrête en 1975. L’État se retire peu à peu de la construction 25

d’équipements sportifs au profit des municipalités. Les municipalités ne subissent


plus la dépendance de l’État et les contraintes administratives de la planification
centralisée (Andreff, 1989). L’architecture des équipements sportifs se diversifie
(Vigneau, 1995). La décentralisation des compétences (loi du 2 mars 1982, loi du 13
juillet 1992) accompagne une différenciation des réponses aux demandes sociales
(Haumont, 1995). Les politiques locales (Callède, Dane, 1991) viennent soutenir des
projets sportifs différents (vélodrome, aquacity). Les collectivités locales (Chazaud,
1989) s’intéressent au sport non seulement au titre de la gestion des activités sociales
qui leur incombe, mais encore pour faire valoir leur identité et promouvoir leur image
à partir du sport de haut niveau (Noe, 1991 ; Loudcher, Vivier, 1998). Les difficultés
de l’ seront différentes selon les contextes d’enseignement, accentuées ou freinées
par des politiques municipales. En choisissant d’utiliser des lieux spécifiques à la
pratique sportive, la corporation subit de fait l’évolution des politiques sportives.
Ainsi, les contraintes matérielles vont accélérer le processus d’ouverture vers
certaines activités nouvelles (patinage, bowling, squash), dans les villes où la
concurrence est particulièrement vive sur les installations traditionnelles. Le passage
d’une conception unitaire fédérale des équipements à des réponses multiples aux
demandes diversifiées des pratiquants (Vigneau, 1998) renforce de fait
l’hétérogénéité des pratiques en .

La spécialisation des installations sportives se conjugue avec l’évolution du matériel 26

dans la construction sportive de l’ . Le plastique amène une baisse du coût du


matériel par la fabrication en série et favorise la démocratisation des pratiques
instrumentées. La spécialisation sportive du matériel en entérine la sportivisation
de la discipline. Or l’instrumentalisation des pratiques transforme les techniques
corporelles. L’ passe de pratiques motrices, où les capacités physiques étaient plus
importantes (type athlétisme) à des pratiques sportives où il s’agit de gérer l’espace,
le temps et le matériel (type sport de raquette ou ). La gestion du matériel
relègue au deuxième plan les aptitudes physiques (Gleyse, 2004 a). Elle met au
premier plan les connaissances nécessaires à la gestion du matériel. La
technologisation des pratiques sportives sanctionne le glissement des pratiques en
force vers des pratiques de contrôle (Pociello, 1981). Les conditions matérielles
révèlent une évolution des mentalités où les usages sportifs sont inscrits dans les
usages du matériel sportif. Ainsi, l’ s’appuie sur une utilisation plus importante du
matériel spécialisé. Cette évolution, qui conduit à une mise en norme du matériel,
favorise une homogénéisation de la pratique (Chantelat, 1995) à partir de la référence
fédérale. Néanmoins, l’utilisation du matériel sportif se différencie selon l’usage
social. À côté d’un matériel plus performant se développe un matériel pour gagner en
sensations (Loret, 1996). L’utilisation du matériel pédagogique va transformer
l’enseignement des pratiques vers une valorisation des sensations, comme en
natation (Terret, 1996).

L’enseignement secondaire n’étant ni sous la gestion étatique, ni sous celle des 27

municipalités, l’ subit les conflits d’intérêt dans l’utilisation des infrastructures


locales. Malgré la circulaire interministérielle du 9 mars 1992 qui vient rappeler la
nécessité pour l’ de disposer d’installations sportives et les arrêts en Conseil d’État
du 10 janvier 1994 et du 3 septembre 1997 qui stipulent que « les collectivités locales
sont tenues d’offrir aux élèves des établissements scolaires dont elles ont la charge un
accès approprié aux équipements sportifs », l’arbitrage des demandes d’installations
ne se réalise pas toujours en faveur de l’ du second degré ( , 1995).

Le développement des politiques locales en matière de pratique sportive ne va guère 28

améliorer le sort de l’ , bien que l’on soit passé d’une rareté des équipements à une

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abondance. En effet, les demandes ne se situent plus seulement dans les secteurs
associatifs et éducatifs, mais également dans des secteurs moins institutionnels
(« Satisfaire tous les sportifs : le défi des services sports », La Gazette des communes,
no 26, juin 1996, p. 14-21). Les pouvoirs politiques (Augustin, 2000) ne construisent
plus seulement des stades, mais doivent aménager les espaces urbains et périurbains
pour gérer les conflits dans l’usage de ces lieux comme nouveaux lieux de pratique
(sport de rue). Le sport a un effet intégrateur et les politiques municipales s’y
intéressent au titre de l’aménagement des quartiers (loi no 95-115 du 4 février 1995
portant sur l’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire).
Elles construisent des lieux de socialisation comme les play-ground ou les skateparks.
Les nouveaux équipements sont plus centrés sur la convivialité, sur l’ouverture au
public et sur les aspects plus ludiques que compétitifs (Bayeux, 1999). Toutefois, les
installations nouvelles ne sont pas adaptées aux normes d’un enseignement collectif.
Le produit un état des lieux (Tournaire, Le Ferrand-Couzis, 1995) démontrant la
faiblesse d’installations spécifiques à la pratique de l’ et regrettant en même temps
la multiplication d’installations hyperspécialisées diverses impropres à un usage
collectif et scolaire. La crise d’installations que subit l’ peut s’expliquer alors par
un décalage entre les lieux de pratique sociale (Adamkiewicz, 1998) et ceux de l’
(Durali, 2002).

Les revendications des enseignants en matière d’installations ne s’éteignent pas au 29

tournant du siècle. L’article 40 de la loi no 2000-627 du 6 juillet 2000 dite loi Buffet
renouvelle l’obligation de conventions entre les collectivités propriétaires, l’ et les
collectivités de rattachement pour donner des installations sportives au public
scolaire. La circulaire no 2004-138 du 13 juillet 2004 réitère la nécessité pour l’ de
disposer d’ « équipements sportifs : environnement habituel de pratique ». Le
rapport de Laurent Cathelat (2002) fait état d’un parc d’installations traditionnelles
vieillissant et peu en adéquation avec l’usage scolaire. Les problèmes d’installations
restent présents, mais la stratégie de la corporation change. Le dénonce par
exemple la disparité des situations éducatives et propose ses propres normes à
travers un référentiel d’équipements [6]
. Il défend notamment la réhabilitation et le
développement d’installations intra-muros. La revendication de lieux de pratique
spécifique à l’ dans l’enceinte scolaire marque la volonté d’inscrire dans les lieux
sa place au sein de l’école. Ce repli sur l’espace scolaire devient plus pressant avec les
nouveaux modes de gestion politique. En effet, la procédure de délégation de service
public dans la gestion des équipements sportifs qui se développe dans les
municipalités peut inquiéter les utilisateurs à titre gratuit, comme les scolaires, par
exemple. Ce repli entérine également la coupure entre l’ et les nouvelles modalités
de pratiques sociales.

Ainsi, les lois de décentralisation ont modifié le cadre des responsabilités en regard 30

des conditions matérielles d’enseignement. Les revendications pour des installations


spécifiques et suffisantes restent une constante dans l’histoire de l’ . Pourtant, cette
spécificité se décline différemment : d’une spécificité culturelle (par rapport au
préau) à un usage sportif traditionnel (par rapport aux autres modalités émergentes),
pour enfin se recentrer sur ses propres normes d’usages éducatifs (par rapport à
d’autres publics). Cette quête constante d’équipements spécifiques révèle d’une part
une certaine résistance de la corporation à une évolution des pratiques sociales et de
leurs nouveaux lieux, mais d’autre part une transformation de la demande
corporatiste en fonction de ses propres intérêts identitaires.

Les politiques sportives semblent donc encore peser sur l’ . En aménageant les 31

lieux, elles en favorisent ou en limitent la pratique. Cependant, la réalité pédagogique


est tout autant une histoire de choix politiques qu’une histoire de compétences
d’enseignants inscrite dans les objets et les lieux. En effet, l’utilisation de lieux
normalisés de la pratique sportive participe à l’institution d’une tradition enseignante
qui organise l’espace des possibilités pédagogiques. Les nouveaux usages des objets
pédagogiques et sportifs vont de pair avec les nouveaux objets (Vigarello, 1988 ;
Defrance, 1985). Le matériel n’est porteur d’un usage particulier que si l’individu
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possède cette culture pour interpréter son usage et acquiert un savoir-faire pour en
faire le bon usage, c’est-à-dire celui pour lequel il a été inventé (Latour, 1993). Or
cette culture n’est pas donnée avec l’objet, mais construite par l’individu (Thévenot,
Conein, Dodier, 1993). Ainsi, l’évolution de l’ se réalise non seulement par la
nécessité d’utiliser de nouveaux espaces, mais également par la capacité qu’ont les
nouveaux enseignants à opter pour de nouvelles activités. Le changement n’a lieu que
si de nouveaux acteurs ont les propriétés (sociales ou culturelles) nécessaires pour
accéder à ces nouveaux usages (Bourdieu, 1965).

Les compétences professionnelles : un métier ou une carrière ?

La décentralisation va également bouleverser le rôle et les fonctions de l’enseignant. 32

Les nouveaux modes d’organisation sociale introduits à l’école vont exiger des
enseignants de nouvelles compétences (Tardif, Duval, Laliberte, Gauthier, 1998).
L’enseignant n’est plus un simple technicien-applicateur de programme national, il
devient un concepteur-ingénieur en projet local. Les modèles du didacticien et du
praticien réflexif inscrivent la reconnaissance disciplinaire dans le modèle des
compétences scolaires, ce dernier évoluant d’une compétence pédagogique vers une
compétence de gestionnaire. Les compétences professionnelles servent donc à
démontrer leur appartenance à l’école (Terret, 1991), mais elles servent aussi à se
démarquer des autres secteurs qui se développent. Face à ce modèle scolaire
d’enseignant qui s’impose à tous mais qui mène à une déstandardisation de
l’enseignement, la décentralisation des pouvoirs va également conduire à une
diversification des lieux d’intervention et du métier en favorisant la carriérisation du
métier. Les propriétés composites des enseignants vont décliner le modèle
d’enseignant différemment selon les contextes, réorganisant la corporation en un
espace hiérarchisé de positions (Marsault, 2001 b). Ainsi, les compétences
professionnelles révèlent des modèles d’enseignant d’ qui s’éclairent par une
modification du contexte.

Jusque dans les années 1960, la compétence professionnelle de l’enseignant est une 33

personne charismatique sachant motiver les élèves dans le cadre d’un enseignement
normé (Marsenach, 1982). C’est un technicien et un animateur, deux images que les
enseignants d’ vont s’attacher à modifier. « Le professeur veille à ne pas être
considéré comme un amuseur ou un pourvoyeur de ballons » (Limat, 1975). Les
années 1970 marquent la dénonciation de ce modèle d’enseignant trop proche de
l’animateur sportif (Rauch, 1975). Ginette Berthaud (1968) critique cette
représentation d’un « sergent recruteur, entraîneur au service de la politique
gouvernementale ». Les enseignants d’ veulent marquer leur spécificité dans un
ministère de la Jeunesse et des Sports qui chapeaute l’ensemble des métiers du sport.
Se différencient officiellement les moniteurs de sport (dont le métier est géré par
l’obtention du brevet d’État d’éducateur sportif, décret du 6 août 1963) et les
enseignants d’ (maître et professeurs d’ ) qui interviennent indifféremment
dans les fédérations, comme animateurs sportifs, administrateurs du monde sportif,
ou dans le système scolaire, comme enseignants. Ainsi, la différence entre les
intervenants du monde sportif et ceux du milieu scolaire n’est pas d’ordre statutaire.
Le métier d’enseignant se différencie peu de celui d’animateur sportif. La pédagogie
va permettre une première différence. La compétence organisationnelle cède alors la
place à la compétence pédagogique (Amade-Escot, 1993). Cependant, ce modèle du
technicien pédagogue est peu valorisant à l’école (Rauch, 1978). L’enseignant
développe un « sentiment de marginalité dans une école privilégiant l’examen »
(Josse, 1975). Ce besoin de reconnaissance nourrit des revendications d’intégration
scolaire devenant plus pressante lorsque les économies budgétaires laissent entrevoir
des solutions extrascolaires à l’encadrement de l’ (comme les ). L’ « ère des
inquiétudes » fait alors suite à l’ « ère des certitudes » (Parlebas, 1996). Les
revendications scolaires ne portent pas seulement sur la discipline, mais également
sur la compétence des enseignants à travers la revendication d’une identité de
formation (universitaire) et de recrutement (agrégation). Il faut cependant noter que

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le rattachement au ministère de l’Éducation nationale est davantage voulu par le


, porté par les ambitions des nouveaux professeurs d’ issues des (Attali,
2004 a), que par la volonté des maîtres d’ , plus proches du milieu sportif (Martin,
2002) et syndiqués au .

En 1981, le changement de tutelle ministérielle satisfait les enseignants (Martin, 34

2004) et introduit le modèle scolaire d’enseignant. Pour autant, débute, selon Pierre
Parlebas, « l’ère des servitudes ». L’introduction en 1982 de la didactique (Terral,
1998) comme nouveau champ de compétences aux concours de recrutement (Amade-
Escot, 1993) marque une similitude de compétences entre les enseignants des
différentes matières. « La didactique a supplanté la pédagogie parce qu’elle (…)
constitue un vecteur de crédibilité pour la profession » (André, 1994). Les
compétences professionnelles dans les années 1980 sont plus orientées vers la
présentation des contenus, leur articulation avec les objectifs et le niveau des élèves.
Les connaissances de l’enseignant ne se limitent plus au développement de l’enfant,
aux aspects techniques et pédagogiques de l’acte d’enseignement, mais prennent en
compte une multitude de facteurs environnementaux. Ainsi, les compétences de
l’enseignant se théorisent dans une formation qui devient universitaire. « L’accès de
la formation à un statut universitaire s’est accompagné dans le vocabulaire d’une
déprofessionnalisation apparente » (Michon, 1983). La culture du métier recule au
profit d’une culture universitaire, conséquence des revendications statutaires des
enseignants. Elle correspond à une véritable spécification des intérêts scolaires
défendus par la profession au même moment (Martin, 2004). Le décret du 10 juillet
1985, en créant le statut du professorat de sport, entérine définitivement la
séparation entre le milieu scolaire et le milieu sportif. L’ marque sa différence au
sport de façon statutaire et sa proximité à l’école par ses conceptions didacticiennes.

À partir des années 1990, la compétence de l’enseignant d’ se confond avec celle 35

des autres disciplines (circulaire no 97-123 du 25 mai 1997 portant sur les missions de
l’enseignant). La plupart des enseignants d’ participent à des actions éducatives
comme le tutorat. Son rôle au sein de l’école est reconnu à l’identique, mais il perd du
coup sa spécificité. Il devient enseignant plus que sportif [7]
. La formation à l’
symbolise cette similitude et contribue à la diffusion du modèle didactique. Le
développement de l’ingénierie en didactique fait de l’enseignant d’ un
constructeur de la pratique. « Les enseignants ne doivent pas être des répétiteurs de
fiches de mémento » (Parlebas, 1993). Anne Barrère en 2002 observe une
« déstandardisation » des enseignements par la construction spécifique des contenus
et de leur mise en forme. Son expertise ne relève plus d’une rationalité s’appuyant sur
des savoirs, mais se définit en termes d’ « improvisation réglée » (Tochon, 1993). Le
rôle de l’enseignant n’est plus d’imposer un cheminement prédéterminé à
l’apprenant. Il réside essentiellement dans la planification des contraintes de la tâche
ou dans la communication des informations pertinentes pour orienter la recherche de
solutions. « Les compétences professionnelles se définissent à partir de la gestion des
incidents critiques, la pratique réflexive permet de construire ses compétences
professionnelles et de réguler ses actions » (Euzet, Méard, 1998). L’expertise passe
par la recherche de compétences situées (Durand, 1998) « dans des situations
d’incertitude, d’instabilité, de singularité et de conflit de valeurs » (Schön, 1994).
L’ajustement réflexif aux différentes situations d’enseignement entraîne un
éclatement du modèle enseignant. Le métier se décline différemment selon les lieux
d’exercice (Poggi-Combaz, 2002). Alors que son travail se confond dans les missions
de l’école, une liberté plus grande de conception offre à l’enseignant la possibilité de
définir lui-même son métier (Pochart, 2008 ; Legras, 1996). Il n’y a plus un seul
modèle de professeur d’ . « Les modalités d’exercice et le rapport au métier sont
générés par les conditions sociales d’exercice du métier » (Thin, 1998). Le métier se
différencie non seulement selon les contextes, mais également dans la construction
personnelle qu’opère l’enseignant selon ses propriétés sociales, sportives et scolaires
(Marsault, 2001 b). La multiplication des tâches et des responsabilités dans et hors de
l’établissement et la possibilité offerte de changer de statuts par voie de concours ou

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de promotion conduisent à une mise en carrière symbolique de la profession


(Marsault, 2001 b). Selon Agnès van Zanten (2001), la décentralisation consacre la
dissociation entre le statut et le métier, et favorise la construction d’une carrière
enseignante. L’éclatement du modèle hiérarchique lié à la décentralisation a pour
conséquence la recomposition de nouvelles positions de pouvoir symbolique dans
l’espace disciplinaire, notamment au niveau local. Tout se passe comme si la
reconnaissance des enseignants d’ se réalisait aujourd’hui par l’acquisition d’une
position personnelle, dans un espace en train de se construire [8]
, et moins par des
revendications collectives. Faut-il y voir l’extinction d’un besoin de reconnaissance
scolaire ou le développement de stratégies plus individualistes ? Pour autant,
l’enseignant n’est pas plus libre. Sa responsabilité est engagée tout au long du
processus éducatif. Cette responsabilité exercée en équipe nécessite des compétences
dans la négociation collective.

Bien ancrée dans le système éducatif, la peur des enseignants d’ n’est pas éteinte 36

pour autant. La profession d’enseignant d’ doit se construire face au


développement des métiers d’animation et d’encadrement sportif (décret du 1er avril
1992 portant création de trois corps d’éducateurs territoriaux des ) qui se
structurent (Chantelat, 2001) et qui développent une professionnalité propre. Mais
surtout elle doit également se définir dans une identification à l’école qui subit aussi
une extension des métiers d’éducation et de formation. « Les changements de culture
de pratiques professionnelles sont liés aux transformations de la scolarisation »
(Lang, 2000). En effet, la régionalisation des pouvoirs (la loi du 7 janvier 1983 octroie
la compétence de l’organisation de l’apprentissage et de la formation continue aux
régions) tend à modifier l’équilibre entre service public de formation et service privé
ayant des missions de service public. La loi du 27 février 2002 complétée par celle du
13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales permet aux régions de
développer des politiques de formation et d’insertion professionnelle dans le cadre
des actions de développement économique. C’est alors la formation professionnelle
initiale des jeunes et des adultes qui bascule dans la compétence régionale au titre de
l’insertion professionnelle. Les collectivités locales s’immiscent de plus en plus dans
les actions éducatives « en lisière de la pédagogie » (Belloubet, 2007). Le problème de
l’identité publique (ou privée) des formations laisse la place à celui de leur identité
nationale (locale ou européenne). Si les enseignants d’ semblent avoir acquis leur
place à l’école, c’est tout le système scolaire qui est aujourd’hui questionné sur son
caractère public et national à travers la problématique de la décentralisation. Ainsi,
pour comprendre l’évolution des compétences attendues des enseignants d’ , il faut
aujourd’hui appréhender l’enjeu des formations professionnelles dans un contexte
non seulement local, mais aussi supranational.

Pour conclure, la décentralisation conduit au développement de nouvelles 37

compétences professionnelles plaçant l’enseignant non plus en bout de la chaîne de


décision, mais au cœur d’un maillage plus complexe dont il doit cerner les logiques de
fonctionnement. Toutefois, les nouvelles compétences ne sont pas seulement liées
aux transformations de la discipline, mais également à l’évolution des intérêts de
l’enseignant et de la corporation. En effet, le renouvellement de la discipline relève
d’un « illusionnisme qui ne cache que la défense d’un territoire et la reproduction
d’un corps professionnel » (Vaugrand, 1996). La recomposition des pouvoirs de
décision a conduit à une réorganisation des territoires scolaires et sportifs.
L’enseignant doit non seulement faire valoir des compétences scolaires pour être
reconnu comme pair au sein du système scolaire, mais également développer des
compétences spécifiques pour revendiquer une place spécifique au sein du système.
Le savoir professionnel est alors composite (Amade-Escot, 1996).

La décentralisation : entre liberté et contrainte de gestion

L’évolution des modes d’organisation peut laisser croire à une plus grande liberté 38

d’action accordée à l’enseignant. Toutefois, le changement d’organisation de l’État ne

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conduit ni à l’autodétermination de l’enseignant, ni à l’autonomie de la discipline ou


de l’établissement. De quelle latitude dispose alors l’enseignant ?

Son action est d’abord contrainte par un dispositif législatif. Le respect des textes 39

instaure une première limite à son indépendance. Mais les textes constituent surtout
des lieux d’inscription de conceptions particulières, résultats de compromis locaux
(projet) ou nationaux (programme). Ils se présentent comme une limite pour ceux
qui ont une conception divergente, mais comme une garantie légitime pour les autres.

Les installations sportives constituent un deuxième facteur souvent évoqué comme 40

limite à la pratique. En réalité, les dispositifs matériels contribuent à définir la


pratique, moins en restreignant les possibilités qu’en ancrant les conceptions des
enseignants dans les lieux et les objets. Ces derniers se présentent comme le témoin
des habitudes professionnelles, mais servent également d’instrument de
revendication.

Enfin, les compétences professionnelles des enseignants sont fréquemment citées 41

comme facteur limitatif de la pratique. En fait, elles dépassent largement le cadre de


la nécessité pédagogique pour répondre aux enjeux de positionnement disciplinaire.
Les compétences de l’enseignant doivent s’inscrire dans un contexte incluant la
définition des autres métiers du sport et de l’enseignement (Marsault, 2000). De fait,
les modifications politiques et économiques qui organisent l’insertion professionnelle
pèsent sur la construction de la profession.

Ainsi, les textes, les lieux de la pratique ou encore les curricula de la formation 42

professionnelle sont des lieux d’inscription de conceptions particulières de la


discipline. Les modes d’organisation de la discipline sont alors dépositaires
d’idéologies, ils contribuent à faciliter ou freiner l’institutionnalisation de nouvelles
conceptions. Le changement de mode d’organisation constitue l’occasion de
renouveler les conceptions et les positions des acteurs dans la corporation. Chaque
mode d’organisation offre un cadre aux règles du jeu modifiant les rapports de force.

La pérennité d’un territoire scolaire, mais spécifique

Les institutions n’incarnent pas seulement des valeurs à travers des règles, mais 43

relèvent d’un ensemble de structures et de procédures de négociation conduisant à la


production de décisions légitimes. Comment évoluent ces institutions ? Comment
passe-t-on d’un modèle institutionnel à un autre ? Les transformations de
l’organisation de l’ apparaissent sous au moins trois conditions : l’existence d’un
modèle de gestion légitime disponible, l’avènement d’une conjoncture politique
favorable au changement et l’intérêt à provoquer le changement pour un certain
nombre d’acteurs. En effet, « les innovations deviennent des mutations s’il existe un
modèle préalable et l’apparition d’une conjoncture politique favorable qui procure un
large consensus » (Avanzini, 1991). À ces trois éléments qui conditionnent le
changement au niveau politique, nous ajouterons un autre élément qui donne un sens
symbolique à cette évolution. À la suite de Cornelius Castoriadis, le changement
émerge aussi à travers l’imaginaire social qui offre une représentation du sens de
cette transformation. Toutes les sociétés construisent leur propre imaginaire.
Toutefois, une forme de domination techno-scientifique persiste comme modèle de
justification ou comme « ontologie sociale-historique ». Elle trouve sa source dans les
modèles de rationalité économique repris par le système politique pour organiser
l’espace public. Pour Cornelius Castoriadis, une ontologie est une représentation
partagée par un groupe d’individus qui a pour but de se mettre d’accord sur un sujet
particulier. Au-delà des différents modèles empruntés (sportif, scolaire, éthique ou
économique) qui s’accordent avec l’ontologie techno-scientifique, nous défendrons
l’idée selon laquelle la corporation des enseignants d’ organise aussi ses choix en
fonction d’une peur viscérale d’être évincé de l’école. Cette peur, supposée ou bien
réelle à certains moments de son histoire, constitue non seulement le motif des

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13/11/2018 4. La décentralisation : l'enjeu institutionnel comme modèle de gestion

revendications et le ferment des changements historiques, mais aussi le lien qui unit
la corporation et qui en fait son identité. Ce souci d’intégration cache en réalité la
crainte d’un changement de statut (public ou privé). En effet, ce n’est pas tant
l’existence de la discipline que l’organisation de son enseignement par des
professeurs d’ agents du service public, qui est remise en question au tournant des
années 1970. Cette ontologie identitaire nourrit autant les motifs de reconnaissance
scolaire de la discipline que son projet d’autonomie. Le « complexe du prof de gym »
tel que le décrivait Jacques Comiti reste au fondement de l’identité professionnelle, il
fonctionne dans l’imaginaire collectif des enseignants et sert de processus
dynamique. En effet, si les enseignants d’ subissent comme leurs collègues des
autres disciplines les évolutions sociales, ils sont plus sensibles aux effets de mode et
plus prompts au renouvellement de leur discipline que les matières plus ancrées dans
la légitimité scolaire chez lesquelles de plus grandes résistances au changement
peuvent se percevoir (comme en lettres). « L’ est marquée par une empathie
réformatrice chronique » (Attali, Saint-Martin, 2004 b). Les choix de la corporation
peuvent alors se comprendre comme le résultat de décisions prises, en fonction du
contexte économique et politique, pour défendre un espace public d’intervention
scolaire.

Les modèles de gestion comme modèles de légitimité scolaire

D’où proviennent les formes majeures d’organisations rencontrées à l’école ? L’école 44

ne s’inspire pas seulement des sciences sociales, psychologiques ou scolaires. En


puisant ses modèles dans les sciences économiques de gestion, elle s’appuie
également sur le mode de légitimation de l’idéologie managériale (Garcia, 2002). Ces
modèles définissent une culture organisationnelle qui « repose sur des artefacts
(symboles, comportements, rites, histoire de l’organisation), des valeurs et des
croyances qui s’expriment dans l’organisation » (Schein, 1985). En imposant certains
modèles de la rationalité économique, cette culture influence les innovations
pédagogiques et organisationnelles de l’école et de l’ . C’est la thèse défendue par
Jacques Gleyse (1993 a). « L’ , si elle présente une certaine autonomie du champ,
est fondamentalement déterminée dans ses contenus, ses discours, ses structures par
les formes et les structures laborieuses ainsi que par les discours scientifiques (qui en
sont indissociables). » Ces modèles économiques influencent non seulement les
contenus à travers, par exemple, l’usage d’un vocabulaire issu de ces théories
scientifiques (comme la compétence), mais également modifient le rôle des
enseignants (comme la ) et leur pouvoir sur la définition de la discipline (comme
le fonctionnement par projet). Ce n’est pas seulement le modèle industriel (Maurice,
Sellier, Silvestre, 1982), mais plus globalement ceux de l’entreprise et du travail qui
vont servir de mode dominant de rationalisation du travail scolaire et d’organisation
des tâches. Les sciences de gestion et notamment la sociologie du travail vont dévoiler
certains modèles organisationnels. En adoptant ces modèles, l’école mute d’une
institution vers une organisation (Laval, 2003), c’est-à-dire que l’institution se définit
moins par des valeurs incarnées par les personnes, les structures et les objets
d’enseignement, que par des actions efficaces en faveur d’objectifs déterminés. « La
professionnalisation opère un déplacement de la légitimité car la légitimité en valeurs
(caractère sacré de l’institution) cède le pas devant une légitimité rationnelle fondée
sur l’efficacité du travail accompli et sur des compétences estampillées par des
procédures légales » (Dubet, 2002). Cette évolution s’éclaire par différents modèles
de l’entreprise dont l’école s’inspire : l’organisation scientifique du travail ( ), le
management par projet et l’organisation apprenante.

La sociologie du travail nous renseigne également sur la transformation des rapports 45

entre l’homme et son travail (Parlier, Minet, de Witte, 1994). Le modèle économique
n’agit pas seulement au niveau du vocabulaire, ni du type d’organisation, mais offre
également une idéologie particulière, c’est-à-dire un regard particulier sur le monde
et sur les relations aux autres. Si l’école s’appuie sur ce vocabulaire et prend comme
modèle le monde industriel, c’est parce que ce dernier constitue un modèle légitime.

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13/11/2018 4. La décentralisation : l'enjeu institutionnel comme modèle de gestion

Toutefois, la légitimité du modèle industriel technico-scientifique tient sans doute au


fait qu’il est d’abord dépositaire de valeurs dominantes dans la société, passant de la
prédominance de l’efficacité de la technique à l’efficience de la connaissance pour
s’intéresser à l’expertise des savoirs d’action.

Ainsi, dès les années 1960, l’enseignement devient une véritable industrie culturelle 46

de masse qu’il s’agit de gérer au mieux. L’État se dote de catégories d’analyse et


d’outils de gestion destinés à réguler les flux d’élèves. C’est à partir du IVe Plan (1960-
1965) que débute une planification coordonnée entre la formation et la production
d’une main-d’œuvre. Le Ve Plan (1965-1970) renforce cette politique par un
ajustement entre main-d’œuvre et besoin de l’économie. L’efficacité de l’école se
mesure à la production d’individus formés pour les besoins du marché économique.
« À partir de 1960, le système scolaire recevra comme mission prioritaire de
contribuer au développement économique du pays. Il n’y a plus de sélection, mais
une régulation du système par répartition des flux » (Charlot, 1992). Dans un
enseignement de masse, l’école devient un produit accessible grâce au modèle de la
société industrielle (Aron, 1962). Dans la société de consommation, l’entreprise est
un modèle d’efficacité permettant l’accès de tous aux produits industriels. « Voyant
dans l’usine l’instrument de production le plus avancé et le plus efficace, les
innovateurs sociaux lui empruntent quelques-unes de ses caractéristiques : division
du travail, structure hiérarchisée et impersonnalité glacée » (Toffler, 1980). Les
modes d’organisation des entreprises se caractérisent par leur standardisation, leur
centralisation, leur spécialisation et leur concentration. Ils sont issus de l’ (Taylor,
1967). Ce modèle d’organisation sera introduit en France après la Seconde Guerre
mondiale et adapté à l’administration par Henry Fayol (1979). Ces deux références
(Taylor et Fayol) vont servir de modèles au management public des années 1970. Par
exemple, la planification et la hiérarchisation figurent parmi les principes développés
par Henry Fayol que l’on retrouve dans la pédagogie par objectifs. La planifie
l’enseignement en hiérarchisant les objectifs selon un modèle déductif. Les objectifs
généraux définissent le type d’homme à former. De ceux-ci, découlent les objectifs
intermédiaires, disciplinaires, puis les objectifs techniques développés à travers les
savoirs et les savoir-faire. La permet d’évaluer l’efficacité de la formation (Mager,
1977). Elle s’inspire de la (direction par objectifs) issue des travaux de
management de Peter Drucker (2006). Octave Gelinier (1980) reprend en France ces
travaux et introduit la (direction participative par objectif). La améliore le
climat motivationnel en permettant aux salariés de négocier les objectifs. Ce modèle
d’organisation plus souple redonne un peu d’autonomie aux travailleurs réduits au
rang de simples exécutants (Seeman, 1967). La n’est pas seulement une mise en
forme des apprentissages, elle introduit une marge de liberté sur les moyens. Ce
modèle permet aux enseignants d’adopter une gestion plus souple des programmes.
Pour l’heure, il s’agit seulement d’un peu de latitude pour satisfaire aux normes
étatiques.

À travers l’exemple de la , ce sont en réalité les valeurs du monde industriel qui 47

sont importées comme modèle d’efficacité à l’école et en . C’est ce que développe


Jacques Gleyse (1993 b) : « La structuration de l’activité laborieuse sert de référence
conceptuelle au discours de la pédagogie des pratiques corporelles. La rationalisation
du travail de F. W. Taylor est transposée à l’entraînement physique. La est la
réplique des diagrammes de computers. » L’idéologie du monde industriel se
retrouve également dans la pratique qui sert de référence. « Le sport est le reflet des
catégories du système capitaliste industriel : compétition, rendement, mesure et
record » (Laguillaumie, 1968). Les reproches concernant l’organisation du sport et de
l’école s’inscrivent dans un courant critique qui touche également la sociologie du
travail. Les critiques portent sur le caractère parcellaire et éclaté des tâches qui crée
de la fatigue et de la démotivation chez les ouvriers (Friedman, 1956). L’ fonde sa
rationalité sur l’analyse des fonctions et des aptitudes nécessaires pour réaliser un
produit à travers la description du poste de travail. Être qualifié, c’est posséder
« l’ensemble de savoirs et savoir-faire des ouvriers de métier » (Friedman, 1970),

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c’est-à-dire un ensemble de solutions théoriques et techniques qui ont fait leur


preuve. Le travail productif et son organisation technique vont perdre leur valeur
heuristique, lorsque la sociologie du travail va quitter l’étude des ateliers pour
s’intéresser à l’entreprise et aux décideurs (Laroche, Nioche, 2006), mais surtout
lorsque la société va entrer peu à peu dans l’ère postindustrielle des services quittant
l’ère industrielle de production de biens.

Pourtant, le modèle productif se poursuit à l’école dans les années 1980. L’évaluation 48

du système scolaire s’inscrit dans ce modèle culturel de l’entreprise visant la


rentabilité. Les modèles de gestion se centrent sur l’évaluation des objectifs. Les
établissements sont évalués sur leur taux de passage, de réussite aux examens…
L’Éducation nationale se donne des objectifs chiffrés : 80 % au baccalauréat. Ce souci
de la rationalisation économique se rencontre dans l’ensemble du système scolaire
(Duru-Bellat, van Zanten, 1999). L’importance de l’évaluation n’est donc pas
spécifique à l’ . La définition d’objectifs chiffrés ne suffit pourtant pas à résoudre
les problèmes de l’école.

La décentralisation instaurée à partir de 1982 introduit une culture organisationnelle 49

postindustrielle. « L’unité de logiques de l’action qui fut au principe de la formation


des sociétés industrielles laisse la place à une diversification des cultures et des
registres de l’action dans la société postindustrielle » (Bell, 1979). Les nouvelles
approches en sociologie du travail orientent la réflexion sur les transformations
sociales du travail et de l’organisation (Sainsaulieu, 1990) en s’appuyant sur les
modèles de réussite nippons et sur la corporate culture. La culture d’entreprise
(Sainsaulieu, 1977) définie comme la mobilisation autour de valeurs clés est un des
huit principes de la performance de l’entreprise (Peters, Waterman, 1983). Elle
permet de donner du sens au travail et accorde une place à l’individu (Thévenet,
1993). Les personnels doivent marquer leur attachement aux valeurs de l’entreprise
(Le Maitre, 1984). De plus, la sociologie du travail rejette l’hypothèse taylorienne
d’une bonne organisation ou d’une forme structurelle meilleure en soi. Pour Henry
Mintzberg (1982), la structure est liée à l’environnement, mais pas de manière
mécanique. Elle dépend aussi des buts que proposent les dirigeants. Le processus de
décision ne découle plus du sommet de la hiérarchie, mais dépend de la configuration
locale. Les « cercles vicieux bureaucratiques » deviennent des « cercles vertueux » du
management grâce au développement des projets. Les nouvelles organisations luttent
contre la hiérarchie qui met une distance entre les besoins du client et le système
productif, par l’introduction des cercles de qualité. Ce sont des groupes de travail qui
se réunissent régulièrement pour identifier et résoudre des problèmes relatifs à leur
activité. Le produit est conçu avec la collaboration de tous les intervenants. Cette
volonté politique d’impliquer le travailleur apparaît dans les lois Auroux en 1982 [9]

qui introduisent les groupes d’expression. L’idée des cercles de qualité se retrouve
également dans le rapport Bourdieu-Gros en 1989, comme modèle pour la gestion
par projet dans le système scolaire facilitant l’adaptation de l’école à son public. Le
fonctionnement par projet est issu du modèle de management japonais et instauré à
partir des études psycho-sociales sur la dynamique de groupe. Ainsi, comme le
souligne Jean-Pierre Boutinet (1990), « la gestion par projet concrétise les nouvelles
pratiques organisationnelles ». Par l’effacement de la hiérarchie, elle améliore
l’efficacité grâce à une meilleure prise en compte de la réalité. Il s’agit de
responsabiliser l’individu dans son travail en lui permettant de comprendre sa tâche
(Potocki, Malicet, 1997). Les sciences de gestion soulignent ainsi l’importance des
ressources humaines dans l’efficacité de l’organisation (Crozier, Friedberg, 1977) et
sanctionnent le primat du savoir sur la technique (Tripier, 1994). Le fonctionnement
par l’imposition de normes (Crozier, 1979) ne satisfait plus car il conduit à des
dysfonctionnements et des résistances au changement. Ainsi, selon Yves Le Pogam
(1994), l’innovation pédagogique serait « la conséquence d’une politique étatique
sensible au modèle de l’autogestion qui délègue son pouvoir d’innovation à l’école
dans les années 1980 pour réguler la crise sur le modèle des entreprises ». De ce fait,
le travail a changé de nature, il se recentre autour de la motivation et de la décision,

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condition première de l’adaptation (Le Menestrel, Schpilberg, 1999). Ainsi, le


fonctionnement en projet qui intègre l’école dans les années 1980 véhicule les
idéologies managériales développées au même moment dans la culture d’entreprise.

Afin d’être toujours plus performantes, les entreprises, dans les années 1990, doivent 50

devenir des organisations flexibles (Tarondeau, 1999) pour répondre plus rapidement
au changement du contexte. La nouvelle culture du management, ou learning
organization (Wheatley, 1992), développe l’auto-organisation des entreprises. Peter
Senge (1992) décrit l’organisation apprenante comme « celle dont les membres
peuvent sans cesse développer leurs capacités à atteindre les résultats qu’ils
recherchent, où des nouveaux modes de pensée sont mis au point, où les aspirations
collectives ne sont pas freinées, où les gens apprennent en permanence comment
apprendre ensemble ». L’entreprise ne doit pas seulement s’adapter aux
changements du marché, mais innover. Pour innover, il ne suffit pas de reproduire
des normes ou des procédures. L’idée de planification préalable est remise en
question (Mintzberg, 2004). L’ « organisation apprenante » développe ses propres
compétences et les fait évoluer (Choain, Moreau, 1996) par l’échange des savoirs. La
nouvelle division du travail apparaît fondée sur les qualités et les capacités de chaque
employé plutôt que sur l’organisation des tâches (Castells, 1998). L’entreprise
abandonne l’organisation fonctionnelle en faveur d’une organisation dans laquelle la
prise de décision est déléguée aux acteurs opérationnels en front-office. Par exemple,
le (business process reengineering) est une refonte radicale des process. Il rejette
la séparation entre la planification et l’action (Hammer, Champy, 1993). La décision
revient à celui qui agit. Cette approche vise à repenser les processus d’organisation de
l’entreprise pour les rendre plus réactifs par rapport au marché. Dans ce contexte de
travail soumis aux aléas, la compétence prend une importance centrale (Le Boterf,
1994) et remplace la qualification au sein des entreprises (Zarifian, 1999). « La
compétence apparaît dans les entreprises pour qualifier de nouvelles pratiques de
gestion du personnel » (Piotet, 2002). Il s’agit moins de savoir faire que de savoir
décider. L’expertise est analysée à travers les process, c’est-à-dire les manières de
penser et de réaliser les tâches. Selon Jean-Marie Barbier (1996), « ces nouvelles
formes d’organisation ne transforment pas les rapports sociaux, mais déplacent les
conditions de leur exercice sur d’autres terrains. Elles font du recours aux capacités
cognitives et affectives d’implication de l’ensemble du personnel un axe essentiel des
nouvelles politiques de gestion du personnel ». La notion de compétence va se
développer dans le milieu du travail (Parlier, 1996) avec le bilan de compétences [10]
et
le référentiel des métiers [11]
. L’expertise se définit dans l’adaptation des actions aux
problèmes soulevés (Stankiewicz, 1998). La sociologie du travail modifie son analyse,
d’une logique des acteurs aux logiques d’action (Bernoux, 1995). En effet, le travail du
process en équipe sous-entend de communiquer et de se coordonner. Les mêmes
modèles s’appliquent en comme le souligne Mahmoud Miliani (1994 b) : « Les
compétences sont issues des modèles de management industriel. » Ainsi, dans le
cadre d’une logique de marché, l’entreprise compétitive doit développer sa capacité
de décision.

Les années 2000 voient se renforcer la nécessité d’une collaboration des différents 51

segments qui constituent aujourd’hui les entreprises. Le contexte de la


mondialisation et les nouvelles technologies ( ) vont mobiliser de nouvelles
approches du management. Le modèle quitte le capitalisme industriel pour le
capitalisme cognitif (Lebert, Vercellone, 2004). Face à la nouvelle répartition de
l’économie mondiale, il ne s’agit plus de vendre des produits, ou même des services,
mais des idées. L’innovation devient le leitmotiv. Les travaux en sociologie du travail
s’interrogent sur les freins à la création : la culture et l’éthique sont des voies de
recherche privilégiées. Si les entreprises pouvaient s’appuyer sur une culture
d’entreprise, aujourd’hui la diversité des collaborateurs dans le cadre de fusion des
grandes multinationales nécessite de poser les bases d’une éthique commune et
explicite (Mercier, 1999). Le travail doit se réaliser dans un monde en réseau (Cabin,
2000). « Le néolibéralisme parachève ce que le libéralisme avait amorcé dans le

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13/11/2018 4. La décentralisation : l'enjeu institutionnel comme modèle de gestion

mode en réseau de la nouvelle économie » (Gautherin, 2000). La collaboration


devient primordiale (Depret, Hamdouch, 2004) et suscite le développement de la
communication interculturelle entre salariés, devenus des collaborateurs (Lévy-
Leboyer, 2007). Les établissements scolaires s’inscrivent dans cette culture
managériale. Le chef d’établissement n’administre plus. À l’image du , il est le
leader d’une équipe qui doit définir sa place dans un tissu social complexe.
L’établissement scolaire doit communiquer (en interne comme en externe) pour
valoriser son image. Il entre dans une « stratégie de marketing » (Dubet, Duru-Bellat,
2000).

Le dialogue social et le consensus sont devenus nécessaires pour transformer les 52

organisations. Les travaux en sociologie du travail développent l’analyse des conflits


en mettant en évidence une pluralité de principes de légitimité (Boltanski, Thévenot,
1991) sur lesquelles peuvent se construire des compromis (Boltanski, Thévenot,
1989). Le dispositif légal reprend cette nécessité de dialogue en mettant en place des
espaces de parole dans l’organisation du travail (loi du 12 novembre 1996 relative à
l’information et à la consultation des salariés dans les entreprises). Il ne peut y avoir
de développement économique sans prendre en compte le développement social de
l’entreprise (la loi du 17 janvier 2002, dite de modernisation sociale, crée un projet
social négocié) et sans dialogue social (loi du 4 mai 2002 relative à la formation
professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social). La sociologie du travail
s’intéresse à la régulation sociale comme système d’interaction entre les acteurs
(Reynaud, 1997). L’identité de l’entreprise se centre moins sur la culture d’entreprise
(Sainsaulieu, 1987 a) ; elle se construit autour du projet d’entreprise (Ehinger,
Wittmeur, 2003) où les salariés doivent inscrire leur projet professionnel, voire
personnel, dans celui de l’entreprise (Asquin, Falcoz, Picq, 2005). L’action
managériale est devenue une action sociale située. Il s’agit de résoudre les conflits
émergents entre les différents partenaires (Thévenot, 2006). En , l’idée d’une
collaboration des élèves (Imbert, Méard, 2006) dans la gestion des conflits (Flavier,
Bertone, Méard, Durand, 2002) se développe au cours de la même période. Dans ce
nouveau contexte économique, l’innovation devient capitale. Le type d’organisation
et les compétences nécessaires (notamment sociales) s’en trouvent bouleversés.

Ainsi, l’école, en reproduisant les modèles de l’entreprise, ne se contente pas 53

seulement de puiser dans des modèles légitimes d’efficacité, mais s’adapte aux
évolutions des mentalités. En effet, les modèles d’organisation du monde économique
révèlent des formes de régulation identiques aux différents niveaux d’une société :
politique, social et culturel (d’Iribarne, 2003). Comment ne pourraient-ils pas
toucher l’ et l’école qui ont pour mission, entre autres, de préparer l’insertion de
l’individu dans la société ? Mais l’école doit aussi participer à la construction de la
société. Or l’organisation du travail n’est pas neutre, elle s’inscrit dans une idéologie
politique et sociale. Il existe une cohérence entre l’idéologie des organisations, leur
culture et leur modalité de fonctionnement. « La culture est un système de
connaissances, de standards appris pour juger, percevoir, croire, évaluer et agir »
(Goodenough, 1971). Si les travaux en sociologie du travail semblent peser autant sur
les changements organisationnels, c’est qu’ils contribuent à renouveler les mentalités
en les faisant exister en tant que modèle légitime. Les modèles de la sociologie du
travail évoluent, d’une sociologie d’inspiration marxiste dénonçant les conditions
aliénantes du travail dans un rapport de classe à une sociologie des
dysfonctionnements et des résistances au changement. Aujourd’hui, la sociologie du
travail s’intéresse à la gestion des conflits dans un monde où la coopération est
devenue nécessaire. Elle questionne finalement l’organisation du monde et la place
de l’individu dans celui-ci. Les systèmes sociaux et culturels constituent un répertoire
de forme d’organisations. Les décideurs politiques saisissent, parmi ces regards
portés sur la société, les formes ayant un sens social porteur en fonction des
mentalités du moment.

Le service public : désengagement de l’État ou nouvelles normes ?

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13/11/2018 4. La décentralisation : l'enjeu institutionnel comme modèle de gestion

Qui maîtrise l’école (Perrenoud, Montandon, 1989) ? L’institution scolaire n’est pas 54

une institution autonome. Elle s’inscrit dans un ensemble d’institutions étatiques


chargées d’exécuter une politique gouvernementale. Or l’organisation des institutions
publiques fluctue au gré des projets gouvernementaux. Ces transformations vont agir
non seulement sur les lieux de décision de la pratique, mais également sur la
définition du service public (Bauby, 1997). L’État différencie son rôle d’opérateur et
de régulateur en distinguant le secteur public, les institutions et entreprises publiques
et le service public. Les dénationalisations conduisent à réduire le secteur public,
faisant basculer certaines entreprises dans le secteur de libre concurrence. Le service
public n’est plus seulement assuré par des structures publiques (Cohen, Henry, 1997),
il est délégué à certaines structures privées. Quant aux institutions publiques, elles ne
sont plus nécessairement encadrées par des agents de la fonction publique, c’est-à-
dire des fonctionnaires. Si l’État tend à se retirer notamment des domaines
économiques et financiers, de nouveaux besoins sociaux et culturels apparaissent
cependant pris en charge. Mais, pour ces dernières, l’État se retire également, par la
déconcentration et la décentralisation, en faveur des collectivités locales qui restent
des institutions publiques. Finalement, relève du service public ce que la puissance
publique définit à un moment donné comme telle. Sa définition dépend donc du
système politique, mais également de la sphère économique car l’activité de service
public nécessite un financement. La gestion du secteur public devient multiple et
embrouillée. Cette frontière fluctuante entre gestion publique et gestion privée
orchestrée par des enjeux politiques et économiques entretient la peur des
enseignants d’ , par la menace souvent réelle qui pèse sur son organisation. L’
doit justifier sa place dans un service public aux formes différentes. Trois modèles de
gestion (normatif, clientéliste et participatif) sous-tendant trois conceptions du
service public serviront d’archétypes pour définir son utilité publique.

La fin de la guerre marque une extension du service public impulsée par la politique 55

de relance économique de Charles de Gaulle et soutenue par la croissance


économique des « Trente Glorieuses » (Fourastié, 1979). Des nationalisations dans
les secteurs stratégiques de l’économie (transport, énergie, communication, banque)
et la création d’institutions à caractère social vont développer le secteur public qui se
présente sous une multitude d’institutions et d’entreprises aux caractéristiques
diverses (de la régie Renault à l’ ). L’ « État paternaliste » (Sainsaulieu, 1987 b)
s’implique dans le développement de nombreuses pratiques sociales comme le sport.
Le développement des services publics relève d’une même politique : soutenir la
croissance et faire partager au plus grand nombre ses retombées sociales. La gestion
publique de l’économie française est déjà critiquée (Nora, 1967) lorsque la crise
économique des années 1970 précipite la chute du modèle nationaliste. La crise de
l’État-providence s’explique alors par l’incapacité de l’État à résoudre les difficultés
économiques suite aux chocs pétroliers (Rosanvallon, 1981) et par une
bureaucratisation importante qui bloque le système étatique (Crozier, 1963, 1971).
Sous un gouvernement de droite, Raymond Barre démarre un processus de libération
de l’économie à la fin des années 1970. L’État se retire de certains domaines
(industriel et financier) dont la concurrence privée montre une plus grande efficacité
face aux lourdeurs du système public : éclatement du système bancaire, des télécom
et de l’ en 1975. Puis l’économie d’énergie devient une priorité (1974, campagne
anti-gaspi ; 1976, changement d’heure été/hiver). Cette phase d’économie aura des
conséquences sur le statut du sport et sur l’ . L’allégement du budget du ministère
de la Jeunesse et des Sports éclaire en partie la rigueur du plan Soisson du 31 août
1978. On peut alors comprendre, dans le contexte de ces premières privatisations, le
fondement de la peur des enseignants d’ . La diminution des postes (circulaire du
24 mars 1972, transfert de postes pour rééquilibrer la répartition des enseignants) et
des horaires (circulaire du 9 septembre 1971 relative à la répartition des horaires
d’ ), la mise en place des (circulaires du 1er juillet 1972, du 5 octobre 1973, du 6
mai 1974, du 1er octobre 1975 et du 22 octobre 1975) puis celle des (circulaires du
25 mars 1977 et du 10 mai 1977) sont autant de mesures qui visent une économie de
moyens. Le fait de cette tentative de « déscolarisation de l’ », son cheval de

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bataille. Les revendications disciplinaires d’intégration au ministère de l’Éducation


nationale trouvent ainsi leurs motifs, dans le fait de mettre la profession à l’abri, dans
un contexte de crise (Martin, 2002). Elles se réaliseront dans la défense d’un service
public pour tous qui constitue le fondement politique des années 1970.

En effet, l’organisation du service public se construit selon un principe d’uniformité 56

et d’égalité de traitement par le truchement de normes administratives. Ainsi, le


service public d’enseignement se développe au nom de l’égalité, à partir d’un système
centralisé et normatif. La loi du 11 juillet 1975, dite loi Haby, harmonise les structures
d’enseignement et dote tous les établissements d’un statut public national. Alors que
le secteur public diminue par la privatisation de certaines entreprises,
l’administration publique tend au contraire à devenir une technostructure
tentaculaire au caractère impersonnel et aux décisions absconses. L’administration se
développe en créant de nouveaux services et de nouvelles normes pour tenter de
résoudre ses propres dysfonctionnements. Les institutions publiques ont alors
mauvaise presse. La modernisation des services publics va s’amorcer à la fin des
années 1970 pour améliorer les relations entre l’administration et ses administrés (loi
du 17 juillet 1978 portant sur l’amélioration des relations entre l’administration et le
public, loi no 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes
administratifs).

Dans les années 1980, l’arrivée de la gauche au pouvoir met fin à la privatisation. Au 57

contraire, une nouvelle vague de nationalisations (loi de nationalisation du 13 février


1982) va soutenir les entreprises en difficulté. La politique de François Mitterrand ne
réduit pas le service public dans le domaine social, mais les services publics doivent
faire preuve de leur efficacité. Le renversement politique à droite en 1986 met fin à
cette nouvelle vague de nationalisations. De nouvelles privatisations ont lieu au
moment de la cohabitation [12]
. Pour réformer l’État, il s’agit non seulement de libérer
le marché public, mais également de prendre modèle sur le système privé en
s’interrogeant sur la qualité des prestations et sur de nouvelles méthodes de gestion
plus réactives. Le modèle économique devient la manière de penser le service public.
Certaines entreprises publiques vont développer de nouveaux produits et même des
filiales privées (comme La Poste). Ce modèle sanctionne le passage de l’action
publique en termes de règlement à la gestion publique en termes de résultat.
« L’administration publique française connaît une forte transformation de la forme
dominante de son ordre normatif, un certain remplacement de l’obligation de moyens
par l’obligation de résultat. L’obligation de moyen présuppose le fait qu’il est possible
à l’État national de définir les bonnes manières de faire, donc qu’existent des
finalités, des contenus et des méthodes dignes en soi d’être imposées universellement
sur le territoire national. L’idée d’obligation de résultat naît dans les années 1980
avec la déstabilisation de la forme scolaire et avec la naissance du modernisme
organisationnel » (Demailly, 1999).

L’individualisation des services publics s’inscrit dans une politique de revalorisation 58

de son image. Le service public doit répondre aux attentes nouvelles des citoyens, le
défi de modernisation (de Quatrebarres, 1998) s’appuie sur une démarche de qualité.
La personnalisation de l’usager (décret no 83-10025 du 28 novembre 1983
concernant les relations entre l’administration et les usagers) transforme le service
public en service commercial. La tâche du fonctionnaire s’en trouve modifiée : du
respect des règles à la satisfaction de l’usager devenu client. L’efficience et
l’individualisation touchent l’organisation scolaire (Legrand, 2000). L’éclatement des
institutions de formation correspond à une diversification des demandes. « L’État
n’est plus un simple prescripteur de valeurs et de normes, il devient un immense
prestataire de services » (Vigarello, 1994).

Le modèle clientéliste se poursuit dans les années 1990. L’alternance politique va 59

rythmer tour à tour nationalisation et dénationalisation [13]


. Alors que la gauche
introduit des financements publics dans les entreprises privées pour les remettre à
flot (comme le Crédit lyonnais), les politiques de droite ouvrent le capital des

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13/11/2018 4. La décentralisation : l'enjeu institutionnel comme modèle de gestion

entreprises publiques au marché. De fait, la participation de l’État se développe dans


une économie mixte. Toutefois, à la fin des années 1990, même le gouvernement de
Lionel Jospin va dénationaliser [14]
l’espace public industriel et commercial, poussé
entre autres par les directives européennes de la libre concurrence. Les nouvelles
attributions des collectivités locales (région, département et municipalité) vont se
développer dans une concurrence effrénée pour leur image de marque. Cette
concurrence s’observe dans le domaine du sport, par le glissement « d’une
municipalité passive comme exécuteur à une décentralisation active » (Dulac,
Chifflet, Raspaud, 1995). L’identité locale est valorisée par rapport à l’identité
nationale et conduit à une hétérogénéité des actions publiques. Ce sera le cas pour les
établissements scolaires. « La subvention de l’État assure un fonctionnement
minimum, mais le financement des initiatives originales qui donnent une identité aux
établissements repose sur le soutien des collectivités territoriales » (Derouet, 2000
a). À cette diversité qui segmente l’action de l’État s’associe un nouveau mode de
gestion (loi d’orientation sur l’administration territoriale de la République du 6
février 1992). « La décentralisation relève d’un mouvement plus vaste qui valorise
une politique pluraliste, centrée sur la diversité d’option, la négociation, la
contractualisation et la responsabilité individuelle, comme nouveau mode de
régulation » (Vasconcellos, 2000). Le nouveau management public privilégie la
négociation et la contractualisation (Alecian, Foucher, 2002). Jean-Émile Charlier
(1998) observe ainsi « l’abandon du modèle institutionnel au profit du modèle
contractuel pour l’école ». « Devenue ordinaire et multiforme, la négociation se
démocratise » (Houssaye, 1999). La décentralisation apporte une relative
indépendance des opérateurs qui revendiquent une plus grande autonomie de
décision. L’école se reconstruit à partir d’un ordre local tenant compte de principes de
justice différents (Derouet, Besson, 1993). Ainsi, l’externalisation et la privatisation
de l’offre de service public soulignent les changements institutionnels qui consacrent
finalement la séparation entre service public et mission de service public. Les
institutions publiques s’écartent d’un rôle d’administration pour des missions de
contrôle. Pour autant, « la hiérarchie garde un pouvoir de contrôle des dérives et se
redéfinit comme un service d’audit et de conseil » (Derouet, 2000 a). C’est aussi ce
que note Jacques Defrance (1994) concernant l’organisation sportive en France : « La
décentralisation marque un desserrement des relations entre les et les États
centraux. La relation au politique est plus brouillée par la multiplication des
instances de contrôle. »

En 2002, la modification de la politique de protection sociale, la réduction des 60

prestations ainsi qu’une nouvelle vague de privatisation vont rencontrer une


résistance plus importante de la part des prestataires (les chômeurs, les stes) et
des employés du secteur public ( ). L’enseignement résiste, à son tour, à la
décentralisation de la gestion du personnel non enseignant par une grève importante
en 2003. Les réformes étatiques pour réduire la dette publique touchent tous les
secteurs. Les politiques publiques resserrent la gestion pour une utilisation plus
rentable des ressources (fermeture de classes, de guichets de poste…). L’intérêt
commun qui fonde la notion de service public se limite à ce que le marché
économique ne peut pas offrir (cf. La participation des usagers, clients, citoyens au
service public, Paris, La Documentation française, 2004). De plus, le service public
ne peut plus répondre aux besoins de tous les membres, il concentre ses mesures sur
les plus démunis (loi no 2000-231 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens
dans leur relation avec l’administration). Enfin, la spécificité du service public
français se heurte aux directives européennes (Denoix de Saint-Marc, 1996) qui
bousculent les monopoles nationaux (transports, courrier, électricité). L’ouverture du
marché européen remet en cause les formes nationales d’organisation et de
régulation des services publics [15]
. Mais la libération des marchés publics a ses
propres limites. Se développe l’idée d’un service minimum universel et d’une
régulation du marché plus importante, comme le suggère Jean Bergougnoux (2000).
Ce dernier avance la nécessité d’institutions de régulation du marché pour concilier

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13/11/2018 4. La décentralisation : l'enjeu institutionnel comme modèle de gestion

mission de service public et concurrence loyale. L’État développeur régresse au profit


d’un État régulateur (Legrand, 2000).

Le management territorial favorise alors le développement des pouvoirs 61

intermédiaires. Face à la régionalisation, les politiques publiques cherchent à


compenser les inégalités de territoire, en proposant des projets territoriaux (1999-
2003) et des (circulaire du 13 mai 2004 relative à la préparation des Projets
d’action stratégique de l’État) qui se présentent comme des outils de référence pour
définir les relations entre l’État et les régions. Les contrats État-région permettent de
coordonner les actions entre l’administration centrale et les collectivités territoriales.
Le service public ne se caractérise plus par un ensemble d’institutions hiérarchisées,
clairement identifiées, aux normes précises, mais par un tissu d’organismes différents
en réseau (Pochart, 2008). La multiplication des instances oblige les équipes
pédagogiques à jongler avec différents partenaires selon la nature des problèmes. Le
- se plaint d’ailleurs d’une « dilution de la responsabilité au travers
d’instances multiples, superposées et empiétantes ».

Ce n’est plus seulement la qualité du service public, mais son rôle dans le maintien du 62

lien social qui semble définir aujourd’hui le cœur du service public. L’importance
d’un service minimum est avancée dans les villages et les banlieues pour maintenir la
logique communautaire. Le service public (éducation, justice et police) offre un
service de proximité (loi de démocratie de proximité du 27 février 2002) qui tient
compte de la demande sociale (Crémoin, Fraisse, 1996). La mission de l’État s’oriente
vers l’insertion (Rosanvallon, 1995 ; Rosanvallon, Fitoussi, 1998). Le service public
lutte contre l’effritement des corps intermédiaires qui fragilise le lien
communautaire. La cohésion sociale est aujourd’hui au centre des politiques
publiques (circulaire du 31 décembre 1998 portant sur les objectifs des contrats de la
ville) qui consacrent un mode de régulation nécessitant le consentement des citoyens.
La nécessité d’enquêtes publiques devient un préalable avant la déclaration d’utilité
publique pour les travaux d’intérêt général (Engels, Hely, Peyrin, Trouvé, 2006). La
décentralisation renverse la logique entre l’État et l’individu en mettant le citoyen au
centre du service public et en redessinant les territoires à partir de projets communs
(Prax, 2002).

Le souci de l’efficience par le local cède la place aux enjeux de la gouvernance 63

(Arnaud, 2000). La gouvernance « fait intervenir des réseaux d’acteurs autonomes et


part du principe qu’il est possible d’agir sans se remettre au pouvoir de l’État »
(Stocker, 1998). Elle renvoie à la participation des acteurs à leur décision. Mais, plus
encore, elle fait appel à plus de transparence dans les choix effectués par l’institution
(ou l’entreprise) par un droit de regard sur les décisions. Que ce soit la surveillance
des actionnaires [16]
de l’entreprise (la corporate governance : Peltier, 2004), des
citoyens par rapport aux institutions (gouvernance publique : Trosa, Perret, 2005),
des patients face à leur médecin (loi no 2002-303 du 4 mars 2002 portant sur le droit
des patients), les organisations doivent clarifier leurs choix et justifier leurs décisions.
Il en est de même à l’école. Le développement des droits de la famille [17]
remet en
cause les décisions des enseignants en matière d’orientation. Les parents n’ont pas
seulement un droit de regard, mais donnent leur consentement dans le devenir de
leur enfant. L’importance de la transparence administrative témoigne d’un
changement dans le pouvoir de décision. La gouvernance est donc un nouveau mode
de gestion des affaires publiques fondé sur la participation de la société civile à tous
les niveaux et sur le consentement des usagers. « Les organisations sociales
contemporaines vivent un processus de décentrement qui fait voler en éclats tout
monopole institutionnel » (de Munck, 1999). La fin des monopoles préfigure une plus
grande liberté de décisions et de choix. Pourtant, parlant de l’encadrement des
maladies mentales, Jean de Munck montre que les organisations hospitalières ou
asilaires « sont enserrées dans un large éventail de dispositifs ». Il en est de même
pour l’enseignant. Les valeurs ne s’imposent plus d’en haut, sous la forme de normes
contraignantes, mais se construisent dans les mailles du réseau dans lequel les
enseignants se trouvent pris. Sa liberté est assujettie à la nécessité de coordonner ses
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13/11/2018 4. La décentralisation : l'enjeu institutionnel comme modèle de gestion

actions avec différents partenaires. L’individu est enfermé dans un « cadre culturel »
(Hofstede, 1994). Comme le souligne Marie-Claude Derouet (1993), « l’existence d’un
système de règlement, de hiérarchie, de routines cognitives mises en place à l’époque
de la centralisation définit une bonne manière de poser le problème, de repérer les
éléments pertinents et de dégager les principes d’accord ». Au-delà de cette culture
publique commune, la gestion des établissements scolaires est encore loin d’une
décentralisation complète tant ses moyens sont encore dépendants d’une
administration centralisée.

Pour conclure, il est clair que le statut public fluctuant des pratiques sociales assujetti 64

à une définition politique et un contexte économique moins favorable ne peut


qu’alimenter la peur des enseignants d’ . Comme la nature des missions du service
public évolue en fonction des mœurs, de la politique et de l’économie, la corporation
n’est pas autonome. Ses orientations doivent s’inscrire dans le renouvellement de la
définition d’utilité publique pour conserver sa place au cœur d’un service public en
mutation (Jeannot, 1998).

L’action de l’État change en même temps qu’évolue la place de l’individu dans la 65

société. Elle va avoir des conséquences sur les critères et les modalités de la
légitimité. Aussi, la légitimité scientifique et technique par l’appel aux experts qui
définissent la bonne manière d’organiser la pratique cède peu à peu la place à une
légitimité de la procédure par la construction d’accords sociaux (Klein, 1998).
Aujourd’hui, le consentement des parties nécessite le passage à une définition locale
qui inclut non seulement les agents de l’État, mais aussi les bénéficiaires du service.
Mais la légitimité du pouvoir décisionnaire n’est pas résolue pour autant. Raphaël
Hadas-Lebel (2006) pose le problème de la légitimité des acteurs sociaux pour fonder
la légitimité des accords. Le fait d’occuper une position de décideur ne suffit plus
pour valider la décision. Mais le fait de devoir appliquer ou supporter cette décision
n’est pas pour autant un critère suffisant. Se pose la question de la représentativité
sociale des personnes appelées à prendre part à la décision. Ainsi, les conflits de
légitimité glissent de conflits sur l’objet des décisions vers des conflits sur les auteurs
légitimes qui devront prendre cette décision.

L’impact des politiques sur la gestion interne de l’EPS

Selon Jean-Paul Clément et Jacques Defrance (1987), pour comprendre l’évolution de 66

la discipline il s’agit d’abord de repérer les configurations sociales, économiques,


politiques et culturelles, conjonctures externes dont l’ doit faire face. La
corporation redéfinit ensuite, à travers ses propres enjeux, les évolutions sociales.
Elle les retarde ou se les approprie plus rapidement, selon l’état des rapports de force
interne. La définition de l’ se jouerait entre enjeux externes et enjeux internes
(Léziart, 1998). Pierre Bourdieu (1992) définit ce mécanisme à travers le concept
d’autonomie du champ. Un champ social se définit comme la constitution d’un
espace autour d’une loi propre et qui le rend relativement indépendant des logiques
externes. La relative autonomie du champ de l’ expliquerait l’effet de filtre social.
Mais alors, pourquoi les transformations pédagogiques ont-elles surtout lieu au
moment des bouleversements politiques ? Au-delà des mutations sociales, les
réformateurs doivent trouver une conjoncture politique favorable leur procurant un
large consensus pour transformer la discipline. Ils se heurtent aux traditionalistes qui
freinent l’introduction de nouvelles valeurs. Les conflits entre traditionalistes et
modernistes s’inscrivent dans une logique interne qui modifie l’influence externe.
Mais le résultat des luttes externes au champ (sociales, politiques, économiques) pèse
également sur le rapport de force interne. Il est alors possible de repérer des formes
et des instruments de légitimité différents selon les périodes, qui vont influencer le
rapport de force entre les acteurs de l’ . Les évolutions récentes de la discipline
sont le fait de nouveaux entrants porteurs d’une conception différente de la
discipline. Ils vont s’appuyer sur les mutations institutionnelles pour tenter de faire
reconnaître leur point de vue. Profitant de la mise en place de nouvelles institutions

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13/11/2018 4. La décentralisation : l'enjeu institutionnel comme modèle de gestion

pour porter leurs conceptions (groupe de réflexion, revue, institutions de


formation…), ils vont participer à la reconstruction des lieux de décisions
disciplinaires. L’innovation conceptuelle va permettre ainsi le repositionnement de
ces individus dans une hiérarchie interne qui se recompose. L’alternance des
programmes dans les années 1990 s’éclaire par conséquent par le jeu pour la
reconnaissance des pouvoirs à l’intérieur de la discipline. « L’enjeu dans un jeu
conflictuel qui possède ses règles internes est d’imposer une direction dominante,
d’obtenir le pouvoir sur les actes des autres, d’instituer cette domination dans les
textes officiels ou des productions – bref, de se placer en tant que groupe organisé au
centre du système de production, de représentation et de pratiques » (Clément,
1993). Finalement, la décentralisation des pouvoirs est l’occasion d’une
recomposition de l’espace. Selon Michel Callon (1986), pour objectiver l’état des
conceptions, il s’agit de repérer les acteurs déterminants et leurs disciples, les appuis
des publications et les institutions qui les cautionnent. Sans encore une fois
prétendre à l’exhaustivité, nous mettrons en évidence différents acteurs (individus ou
institutions) soutenant des conceptions divergentes de l’ . Pour comprendre
comment certaines conceptions parviennent à s’imposer, il faut également tenir
compte de leurs positions dans le champ de lutte et d’alliance. Or les changements de
mode d’organisation vont faciliter certaines positions et bouleverser les rapports de
force au sein de la discipline. Ainsi, les politiques de décentralisation modifient les
lieux de débat et d’arbitrage, mais aussi les lieux de création et de diffusion des
conceptions (Callon, 1988). Les problèmes de gestion vont donc avoir un impact non
seulement sur les choix politiques et pédagogiques des enseignants, mais également
sur la manière de présenter les problèmes et la désignation des acteurs qui ont la
légitimité d’y répondre.

Dans les années 1970, les luttes s’organisent dans un système centralisé au niveau du 67

ministère pour imposer son point de vue politique à la tête de la discipline, que
représente l’Inspection générale de la Jeunesse et des Sports. Celle-ci adapte la
politique disciplinaire à la politique gouvernementale en matière de sport et
d’éducation. Les inspecteurs régionaux de Jeunesse et Sport sont les relais de cette
politique nationale définie à Paris. Représentant la majorité des enseignants, le
se présente comme un organe politique incontournable de débat politique ( ,
1968). Il entre dans son ère pédagogique (Attali, 2003), incarné, en 1969, par un
renversement des tendances : la tendance Unité-Action devient dominante [18]
,
défendant les valeurs d’un sport éducatif (Bergé, 1981). Mais cette consécration au
est liée à une conjoncture favorable aux tenants du sport éducatif. Cette
conception s’impose au sein de la corporation grâce à certaines figures
emblématiques qui se trouvent dans des positions institutionnelles stratégiques. Les
innovations pédagogiques proviennent essentiellement des institutions de formation,
et notamment de l’ [19]
. Dans le même temps, le renouvellement de la définition
s’impose par la formation continue qui se met officiellement en place en 1971 [20]
,
faisant suite aux formations proposées par certaines associations ( [21]
,
[22]
). Des stages « Baquet » organisés par la sont ainsi proposés aux
enseignants d’ dans la colonie Gai Soleil à Sète (Moustard, 1999). Le -
(conseil pédagogique et scientifique) publie ses travaux dans les mémentos [23]
. Ces
stages ainsi que les mémentos seront des moyens essentiels pour diffuser auprès des
enseignants un modèle de sport éducatif. Robert Mérand réussit à imposer « une
grille de lecture de la réalité pédagogique » à partir de la transformation des
pratiques professionnelles (Klein, 2003). Il s’appuie également sur la revue Sport et
plein air de la pour développer ses idées. L’expérience de la « République des
sports » (de Rette, 1969) est une autre manière de concevoir un sport éducatif. Cette
conception sportive se développe grâce à la (Fédération des animateurs de la
République des sports) qui devient en 1968 la (Fédération des animateurs de la
République éducative). De 1965 à 1970, cette fédération organise également des
stages de formation pour les enseignants. Les années 1970 consacrent les tenants du
sport éducatif. Les innovateurs sont des enseignants issus du terrain, mais plus
souvent des centres de formation. Cette position leur permet, avec l’appui de

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13/11/2018 4. La décentralisation : l'enjeu institutionnel comme modèle de gestion

structures affinitaires du milieu sportif associatif dans lesquelles ils sont investis, de
diffuser leur conception auprès des enseignants. Comme le fait remarquer
l’inspecteur pédagogique principal en parlant de la légitimation du sport éducatif
dans les instructions de 1967 : « En vérité, les textes viennent légitimer une pratique
pédagogique qui, sans être généralisée, est déjà largement répandue » (Delaubert,
1968). La réforme sportive est d’autant mieux acceptée que la corporation y est déjà
préparée. Malgré cette synergie en faveur du sport en portée par une politique
sportive en plein développement (Martin, 1999), certains enseignants développent
une ludique et non sportive (Gleyse, 1998) militant au - , une centrée
sur la motricité (Parlebas, 1968 ; Le Boulch, 1968), une critique antisportive au
sein du dans « la tendance du manifeste » (Brohm, 1978), ou développent un
autre regard sur le corps dans d’autres structures associatives ( [24]
). La
formation initiale des enseignants est le lieu privilégié d’innovation des conceptions,
étayée par une formation continue qui se structure et qui permet leur diffusion. Mais
les syndicats et plus particulièrement le constituent les lieux de débat et tentent
d’influencer les décisions au sein de l’Inspection générale. De simples interlocuteurs,
les syndicats ( et ) représentant les enseignants (respectivement les
professeurs et les maîtres d’ ) dans les commissions paritaires, deviennent des
acteurs de la transformation officielle de l’ (Attali, 2004 a). Le va d’ailleurs
orchestrer les revendications de la corporation pour une intégration au ministère de
l’Éducation nationale (Martin, 2002). Sous l’impulsion de Claude Pineau, le
s’engage dans la recherche d’une scolaire, pour justifier l’intégration statutaire
revendiquée. Selon Michaël Attali (2004 a), « l’émergence d’une conscience
pédagogique est liée à la situation difficile dans laquelle se trouvent les enseignants
d’ ».

L’intégration de l’ à l’Éducation nationale en 1981 est le résultat de l’arrivée de la 68

gauche au pouvoir et de revendications syndicales inscrites dans son programme


politique. Pour autant, les années 1980 vont renverser le pouvoir syndical au profit
du pouvoir des experts issus du milieu universitaire. Différentes commissions sont
mises en place pour réfléchir à de nouveaux programmes de l’école dont l’ fait
partie intégrante – par exemple, la commission verticale . Les travaux de cette
commission (Hébrard, 1986) portent sur l’évaluation au baccalauréat de 1983 et vont
peser sur l’écriture des textes de 1985. Ils valorisent un traitement didactique des .
D’ailleurs, le modèle didactique s’impose institutionnellement avec la nomination de
Robert Mérand et de Jacqueline Marsenach à l’ . La « Recherche-Action »
s’institutionnalise avec le développement de la formation continue. La position de
chercheur et de responsable de la « formation continue » place Jacqueline Marsenach
au cœur des enjeux didactiques de la période des années 1980. L’intégration scolaire
va favoriser les tenants d’une scolaire. L’idéologie didactique sert l’intégration
statutaire des enseignants et la légitimité universitaire. Elle favorise les tenants du
formalisme (Miliani, 1993). La vague didactique s’étend jusqu’aux syndicats avec le
repositionnement du dans le champ didactique ( , 1985, 1986).

La création d’un corps d’inspecteurs spécifique de l’ avec à sa tête une - (le 69

décret du 7 novembre 1984 fixe les missions d’une - ) consacre Claude Pineau
comme doyen. Mais elle est dessaisie de la responsabilité des contenus disciplinaires.
La commission verticale est cependant remerciée en 1986 du fait de l’alternance
politique. En 1987, la droite redonne le pouvoir aux inspecteurs qui reprennent en
main la construction des programmes avec la création des groupes d’innovation
pédagogique (Pineau, 1988) missionnés par la Direction des lycées et collèges du
ministère. Sept groupes académiques ( ) et l’ complètent le dispositif en
matière de recherche pour proposer une didactique de l’ . La décentralisation des
pouvoirs offre une nouvelle légitimité aux académies qui développent des
conceptions différentes de l’ . Elle permet aux de prendre une place laissée par
les instituts de formation devenus des et conduit à une régionalisation des
conceptions peu à peu visible. « Le corps d’inspection occupe une place laissée libre
par les concepteurs de méthodes » (Legras, 1995). Différentes définitions sont alors

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13/11/2018 4. La décentralisation : l'enjeu institutionnel comme modèle de gestion

défendues par certains inspecteurs régionaux qui occupent une nouvelle position
dans le développement de compétences pédagogiques. C’est le cas de Michel
Delaunay (1991 a) dans les pays de la Loire, de Jean Roche (1991) en Bourgogne,
d’Annick Davisse (1998) ou de Liliane Forestier (1991) en Île-de-France et de Jacques
Labiche et Jean-Jacques Pélaudeix (1995) en région Rhône-Alpes, par exemple. Des
équipes de recherche sont mises en place dans les académies, soutenues par la
formation continue. Une grande diversité des productions académiques se fait jour au
début des années 1990. La décentralisation des pouvoirs a offert une possibilité de
définition régionale de la pratique, portée par l’enquête nationale [25]
et le
développement des commissions académiques. La diffusion se régionalise également
(« Strasbourg », « Bulles » à Reims, « Spirales » à Lyon, « Nantes »).
L’Inspection générale de l’ publie une synthèse des travaux des à Mulhouse
en mai 1990 (Hébrard, 1993) et tente d’imposer un modèle didactique de l’
(Pineau, 1990). Mais elle n’est plus le lieu unique de définition de la pratique. La loi
d’orientation de 1989 en créant la a pour conséquence de retirer, de nouveau, à
l’Inspection générale la tâche de réformer les contenus d’enseignement (décret no 89-
833 du 9 novembre 1989 portant statut de l’ ). Le corps des inspecteurs est aussi
dépossédé de la formation des enseignants en 1991 par la création des . Il garde
pour mission d’évaluer les programmes, les méthodes pédagogiques, les procédures
et les moyens mis en œuvre (note de service no 90-143 du 4 juillet 1990). Comme le
souligne Gilles Klein (2003), « le dispositif institutionnel créé par la loi de 1989
modifie les équilibres ».

L’opposition entre l’Inspection générale et les commissions du gouvernement sont à 70

l’origine d’une nouvelle crise de l’ durant les années 1990 [26]


. Finalement, ces
deux commissions vont se rapprocher pour proposer le « schéma directeur des
programmes » (Hébrard, Pineau, 1994). Le document n’est pas officiel, mais l’arrêté
du 24 mars 1993 portant sur l’évaluation au baccalauréat y fait référence. Le
s’insurge contre cette définition de l’ qui ne tient pas assez compte de la valeur
culturelle des (Becker, 1995). L’arrêté du 22 novembre 1995 abroge celui du 24
mars 1993. Le 12 juillet 1995, lors du Conseil supérieur de l’Éducation nationale, le
ministre, à la demande du (Becker, 1996), retire également le projet de
programme de sixième présenté par le et l’Inspection générale. Il en sera de
même en 1999 avec le retrait du texte sur les secondes proposé par Gilles Klein [27]
.

Les tergiversations des programmes (Klein, 1998) sont ainsi le résultat d’un rapport 71

de force fluctuant au rythme des changements gouvernementaux [28]


, entre les
différents acteurs pour savoir qui va les définir. Comme le souligne Jacques Gleyse
(1999), « les rapports de pouvoir politique entre l’Inspection générale et les
émanations gouvernementales que sont les seront arbitrés par les syndicats ».
Ces derniers doivent par ailleurs redéfinir leur mission [29]
. Ils mobilisent leurs
militants autour de l’importance d’inscrire dans les textes une définition de l’ qui
leur soit proche (Klein, 1996). Il s’agit d’ « imposer une conception pour affirmer sa
légitimité » (Veziers, 2000). Le s’engage dans la bataille des contenus et de la
définition d’une qui doit rester sportive (Rouyer, 1995 c). Il développe un centre
d’études, « et société », et une revue, Contre-pied, pour défendre une «
culturaliste ». Le - (1996) se positionne en faveur d’une didactique de l’ .
Appuyées par des structures syndicales en quête de redéfinition, et soutenues par un
ensemble de revues et d’éditeurs pour diffuser les différents points de vue, les
conceptions divergentes s’instituent en véritables sous-cultures professionnelles
(Klein, 2001). Les tergiversations des programmes sont la conséquence d’une
restructuration interne dont la définition de la discipline pourrait apparaître moins
comme un enjeu disciplinaire qu’un enjeu de positionnement au sein de cette
organisation (Marsault, 1999). Autrement dit, il ne s’agit plus de défendre une place
dans l’école, mais à l’intérieur de l’ (Klein, 1996). En effet, la décentralisation a
bousculé les hiérarchies et les pouvoirs. De nouveaux acteurs revendiquent leur
reconnaissance en s’appuyant sur de nouvelles structures pour se faire entendre ( ,
). Les anciens acteurs font pression pour ne pas être évincés ( , ). Ainsi, le

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13/11/2018 4. La décentralisation : l'enjeu institutionnel comme modèle de gestion

flottement des programmes entre 1996 et 2001 suit les aléas politiques (Gleyse, 2004
b), octroyant, tantôt aux uns, tantôt aux autres, le droit d’écrire ce que doit être l’
(Klein, 2003 ; Martin, 2004). Le renouvellement des modes d’organisation va offrir
surtout la possibilité à certains acteurs de construire des nouvelles positions internes,
sans toutefois réussir à remettre en cause la doxa disciplinaire. En effet, l’autorité
acquise dans le cadre de négociations (comme celle des syndicats) et l’importance
accordée aux réseaux de diffusion procurent un avantage non négligeable pour
imposer un modèle de pratique particulier. Dans le modèle en réseaux, le rôle des
institutions relais (formation continue, associations d’enseignants et syndicats)
devient important pour propager les conceptions. Par exemple, l’ (Association
des enseignants d’ ) publie la revue Hyper et Les Cahiers du . Elle organise
des débats d’idées et concurrence le rôle des syndicats. Ces acteurs intermédiaires
pèsent d’autant plus sur la culture des enseignants d’ que celle-ci n’est pas la
propriété d’une institution.

Tout se passe comme si les institutions, tout en revendiquant leur autonomie, se 72

transformaient plus en fonction du rapport de force entre les différents segments


internes (Musgrove, 1968) qu’en fonction des conjonctures externes. Toutefois, le
contexte social, à travers les modèles politiques, pèse sur ce rapport de force.

Autonomie ou intégration, comment s’institue la pratique ?

La définition du territoire requiert le choix de certaines options disciplinaires, 73

selon les contextes sociaux et politiques. La crise du modèle sportif en est liée au
déclin d’une gestion publique et nationale des dans les années 1970. Le repli sur
l’école devient salutaire pour la discipline dans les années 1980. Le fondement
scolaire apporte une assurance à la discipline, mais en même temps l’ subit cette
fois la crise identitaire de l’école. Aujourd’hui, l’orientation morale apporte une
nouvelle utilité publique pour l’école comme pour l’ , en lien avec les politiques
publiques centrées sur la cohésion sociale. Ainsi, les choix de la corporation se
présentent moins comme une conquête de territoire (Martin, 2002) que comme la
défense d’un espace au cœur d’un service public (Marsault, 2001 a), dans des
contextes politiques et économiques différents.

Le changement de mode d’organisation étatique dote les enseignants de plus 74

d’autonomie pour résoudre les problèmes divers. Cependant, cette latitude apparente
est assujettie à un contrôle de l’environnement qui limite cette liberté d’action.
L’institution opère de façon incorporée. Déposée dans les objets et les lieux du
quotidien et opérant dans les modes de pensée, l’institution agit, de façon tacite, en
constituant une part implicite de la culture du métier. Les manières de faire et de
gérer l’ ne sont alors pas si personnelles.

o
[1] Loi n 83-633 du 22 juillet 1983 portant répartition des compétences entre les communes, les

o
départements, les régions et l’État. Décret n 85-924 du 30 août 1985 portant sur le fonctionnement de

l’EPLE.

o
[2] La loi n 2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation pour l’avenir de l’école reconnaît la liberté de

l’enseignant dans les limites des programmes nationaux et des projets locaux.

[3] Gilles Klein (2003) fait référence à la tentation autogestionnaire du SNEP lors du colloque « L’EP à

l’Éducation nationale, l’EP et la réussite de tous » en 1982.

[4] L’idée de décentralisation s’oppose à celle de modernisation centralisatrice impulsée par Charles de

Gaulle (Jenson, Ross, 1991).

[5] La loi du 2 mars 1982 accorde une liberté de décision aux collectivités locales, la loi du 9 janvier 1983

définit la répartition des compétences entre les différentes instances.

[6] Trois ouvrages publiés par le SNEP : Les grandes salles pour l’EPS, Les piscines pour l’EPS et Les salles spécialisées

et semi-spécialisées pour l’EPS.

[7] En 1975, Daniel Limat et Annie Josse dépeignent un enseignant différent, par son attitude, sa capacité

de communication, perçu par les élèves comme porteur d’une culture essentiellement sportive.

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13/11/2018 4. La décentralisation : l'enjeu institutionnel comme modèle de gestion
[8] Le témoignage d’Alain Schmitt est éloquent. « La participation au GAIP dont je fais toujours partie s’est

avérée extrêmement bénéfique pour moi, transformant radicalement mon enseignement et mon

profil de carrière, me permettant d’avoir un statut d’enseignant-chercheur-formateur comblant mes

attentes vis-à-vis de ce métier » (Seners, 2005).

[9] Notamment la loi du 13 novembre 1982 portant sur la négociation collective et le règlement des

conflits collectifs du travail, et qui rend l’obligation de négocier, la loi du 28 octobre 1982 portant

création du délégué du personnel.

o
[10] La loi n 91-1404 du 31 décembre 1991 définit le bilan de compétences comme un projet professionnel

ou de formation au sein de l’entreprise. La VAE (validation des acquis de l’expérience) permet de

sanctionner l’expertise acquise dans l’entreprise en qualification diplômante.

o
[11] La loi n 2002-616 du 26 avril 2002 relative au référentiel de certification professionnel définit le

diplôme en termes de compétences spécifiques selon des emplois types dans des secteurs d’activités

précis.

[12] 1 000 entreprises seront privatisées entre 1986 et 1988 touchant 500 000 salariés, dont Saint-Gobain

en 1986, la Société générale et Paribas en 1987, par exemple (Le Monde du 9 avril 2002).

[13] De 1993 à 1997, sous les gouvernements d’Édouard Balladur puis d’Alain Juppé, la privatisation de 1

000 entreprises concernant 400 000 salariés dont Rhône-Poulenc, la BNP et ELF en 1993, l’ouverture du

capital de Renault et d’Usinor-Sacilor en 1996, par exemple (Le Monde du 9 avril 2002).

[14] De 1997 à 2002, sous le gouvernement de Lionel Jospin, 900 entreprises seront privatisées ou subiront

une ouverture du capital touchant 145 000 salariés dont France Télécom en 1997, le CIC, le GAN et RMC en

1998, le Crédit lyonnais et Air France (ouverture du capital) en 1999 (Le Monde du 9 avril 2002).

o o
[15] La loi n 90-568 du 2 juillet 1990, dite loi Quilès, crée La Poste et France Télécom. La loi n 96-659 du 26

juillet 1996 de réglementation des télécommunications ouvre le secteur à la concurrence, France

Télécom devient une SA. En 1996, démarre une dérégulation progressive du secteur ferroviaire. Le 25

juin 1999, la concurrence dans les services postaux est ouverte. En 2000, l’électricité s’ouvre à la

concurrence.

[16] La transparence des décisions est devenue importante pour redonner confiance dans les entreprises

aux investisseurs suite aux affaires ENRON et PARMALAT. Elle se double d’une éthique des entreprises qui

responsabilise les décideurs.

o
[17] Décret n 2006-935 du 28 juillet 2006 portant sur le rôle des parents et des associations de parents,

o
circulaire n 2001-078 du 3 mai 2001 portant sur l’intervention des associations de parents dans les

établissements scolaires.

[18] Dans la tendance UA, on y retrouve, par exemple, Robert Mérand, Paul Goirand ou Annick Davisse qui

prônent un sport éducatif. La tendance UID sera défendue par Philippe Néaumet proche d’une EP sur le

modèle sportif fédéral. La tendance du manifeste regroupe les antisportifs comme Jean-Marie Brohm

ou Jean Le Boulch.

[19] Dans les deux ENSEP, enseignent Robert Mérand, René Deleplace, Pierre Parlebas, Jacqueline

Marsenach…

[20] Jacqueline Marsenach y joue un rôle important jusqu’en 1982 où elle intègre l’INRP.

[21] La FSGT fait appel aux enseignants des ENSEP pour la formation de leur propre encadrement. On

retrouve Robert Mérand, Jacqueline Marsenach, René Deleplace…

[22] Pierre Parlebas va s’appuyer sur la revue Vers l’éducation nouvelle (revue des CEMEA) pour développer ses

propres idées de l’EPS (Parlebas, 1979).

[23] On y retrouve Jacqueline Marsenach et Robert Mérand.

[24] Les Cahiers du GREC sont publiés à l’IREP de Toulouse.

[25] Le 23 février 1993, l’Inspection générale (Claude Pineau) et le GTD (Alain Hébrard) adressent une

enquête pour une écriture concertée des programmes en EPS. Une deuxième consultation des

enseignants a lieu en octobre 1994.

[26] Le groupe de pilotage national constitué par l’IG d’EPS est chargé de la rénovation des modalités

d’évaluation (14 septembre 1991, groupe innovation sur l’évaluation). Les GTD-EPS (29 mai 1990, groupes

techniques disciplinaires) rattachés au CNP sont chargés de la rénovation des programmes.

o
[27] Le programme des classes de seconde des lycées (BOEN n 6 du 12 août 1999) est abrogé et remplacé

o
par le programme des enseignements de la classe de seconde générale et technologique (BOEN n 6,

hors-série du 31 août 2000).

[28] Le GTD créé en 1991 et dirigé par Alain Hébrard est supprimé le 30 mars 1993. Il est reconstitué en

janvier 1994 et codirigé par Alain Hébrard et Claude Pineau. Ils publieront le schéma directeur des

programmes. Un deuxième GTD officiera de 1995 à 1998 sous l’autorité conjointe de Jean Eisenbeis et

d’Alain Hébrard devant déboucher sur les programmes de collège. Enfin, un troisième GTD se constitue

en janvier 1999 sous la direction de Gilles Klein pour l’écriture des programmes de lycée.

[29] En 1992, c’est l’éclatement de la FEN (Fédération de l’Éducation nationale) qui regroupait les différents

syndicats de l’enseignement dont le SNEP. La FSU (Fédération syndicale unitaire) regroupe le SNES et le

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SNEP. Mais la scission a fait naître d’autres syndicats comme le SE (Syndicats des enseignants).

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