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Charlotte TD n°7 : DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ Groupe 511

MILLION La méthode de la reconnaissance


La circulation des personnes physiques au sein de l’Union européenne et la méthode de la
reconnaissance.

Les personnes physiques 1 citoyennes2 de l’Union Européenne3 possèdent le droit de


circuler4 librement sur ce territoire, liberté affirmée au sein du Traité de Rome de 1957. Elles
ont la liberté de traverser les pays sans entraver les frontières nationales au sein de l’Union
Européenne. Cette libre circulation se matérialise pour les personnes physiques notamment par
la possibilité de résider au sein de l’État membre de leur choix. En circulant par-delà les
frontières, ces personnes emportent avec elles des situations et/ou des droits acquis dans un État
et qui ne sont pas forcément en accord avec l’ordre juridique de l’État dans lequel elles
souhaitent invoquer les effets de ces situations ou ces droits acquis. Pour pallier cette difficulté,
il incombe au juge du for d’apprécier ou non la validité de la situation étrangère créée. Il lui est
ouverte la possibilité d’user de plusieurs méthodes telles que les règles de conflit de lois, les
lois de police mais celle qui retient notre attention demeure la méthode de la reconnaissance 5.

En effet, en matière de filiation ou de nom de famille, les États n’ont pas les mêmes
règles de droit, pouvant entraîner un préjudice pour la personne titulaire de droits acquis et, la
concurrence de plusieurs ordres juridiques. Ainsi, pour ne pas faire obstacle au principe de non-
discrimination entre les ressortissants européens et, surtout réduire considérablement les
entraves au droit à la libre circulation, l’usage de la méthode de la reconnaissance est un moyen
fortement utilisé mais qui entraîne de fait, pour le juge, selon le Professeur Mayer 6 de « renoncer
à l’application de sa propre règle de conflit de lois pour en vérifier la validité, au profit de la loi
qui fait surgir la situation ». Le juge devra alors s’appuyer sur des critères de rattachement
suffisants7 entre la situation créée et l’État membre du droit invoqué pour évincer ou non sa
propre loi et abandonner ainsi la mise en œuvre de la règle de conflit du for. À défaut, l’ordre
juridique d’accueil ne pourra faire prévaloir son point de vue. On retient de cette méthode un

1
G. Cornu, Vocabulaire juridique. Association Henri Capitant, Paris : PUF, coll. Quadrige, 14e éd. 2020. La personne physique est désignée comme étant un « être
humain, tel qu’il est considéré par le Droit ; la personne humaine prise comme sujet de droit, par opposition à la personne morale (sujet de droit fictif) ».
2
Article 9 du Traité de l’Union Européenne : « Est un citoyen de l'Union Européenne toute personne ayant la nationalité d'un État membre ».
3
G. Cornu, Vocabulaire juridique. Association Henri Capitant, Paris : PUF, coll. Quadrige, 14e éd. 2020. L’Union Européenne est définie comme « groupement
des peuples et États d’Europe ayant pour mission d’organiser de façon cohérente et solidaire l’ensemble de leurs relations politiques, économiques, monétaires et
culturelles », en vertu du traité de Maastricht, 7 février 1992. Actuellement 27 États sont partis à l’Union Européenne.
4
G. Cornu, Vocabulaire juridique. Association Henri Capitant, Paris : PUF, coll. Quadrige, 14e éd. 2020. La circulation a plusieurs objets tels que les personnes,
les biens, les engins de locomotions et leurs conducteurs, ainsi qu’un système juridique. En l’espèce, pour les personnes, la circulation renvoie à̀ « l’action d’aller
et venir ; faculté de se déplacer, plus ou moins librement, d’un lieu, d’un pays à un autre, parfois dans un espace déterminé ».
5
G. Cornu, Vocabulaire juridique. Association Henri Capitant, Paris : PUF, coll. Quadrige, 14e éd. 2020. La reconnaissance des jugements renvoie à deux
dimensions : « a/ admission dans un État de tout ou partie des effets d’un acte émanant d’une autorité étrangère ; b/ Spécialement en matière de jugements étrangers,
admission à la suite ou non d’une procédure particulière, des effets de jugements autres que ceux qui entraîneraient des mesures d’exécution ».
6
P. Lagarde, « Introduction au thème de la reconnaissance des situations : rappel des points les plus discutés », La reconnaissance des situations en droit
international privé. Actes du colloque international de La Haye du 18 janvier 2013, Paris : A. Pedone, 2013, pp. 19-25.
7
CA Rabat, 24 octobre 1950, Machet (JDI, 898, obs. B. Goldman, B. Ancel et P. Lagarde ; RCDIP 1952, 85, n. Ph. Francescakis).

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réel intérêt à renforcer les libertés accordées aux citoyens européens permettant ainsi de
favoriser l’harmonie internationale des solutions, comme la permanence de traitement du statut
personnel des personnes au-delà de leurs déplacements transfrontaliers. Cette faveur joue sur le
terrain substantiel car elle garantit la continuité d’une situation d’une personne physique d’un
État membre à un autre.

Ainsi, dans quelle mesure la méthode de la reconnaissance permet-elle de favoriser la liberté


de circulation des personnes physiques au sein de l’Union Européenne, tout en garantissant
l’égalité entre les ressortissants ? Afin de répondre à cette interrogation, il est nécessaire
d’examiner la méthode de la reconnaissance à savoir ses différents moyens et conditions
d’emploi ainsi que son usage en vue de renforcer les libertés accordées aux citoyens européens
en développant ses effets et ses limites. À cette fin, nous envisagerons successivement que la
méthode de la reconnaissance est un outil au service des objectifs de l’Union Européenne (I),
mais que son usage demeure limité afin de garantir l’égalité entre les ressortissants de l’Union
Européenne (II). Ce développement permettra de saisir l’importance de l’usage de cette
même méthode au regard de la liberté de circulation des personnes physiques au sein de l’Union
Européenne.

I. La méthode de la reconnaissance comme outil au service des objectifs de


l’Union Européenne

La méthode de la reconnaissance est un outil garantissant d’une part la liberté de


circulation des personnes physiques au sein de l’Union Européenne (A) et d’autre part la
sauvegarde des droits fondamentaux des personnes physiques (B).

A. Un outil garantissant la liberté de circulation des personnes physiques

La méthode de la reconnaissance permet de reconnaître une décision correspondant à la


cristallisation du point de vue d’un ordre juridique à une situation donnée. Les parties
concernées par la décision emprunte de forte solennité peuvent légitimement fonder des
prévisions à partir de cette décision. Elles en adaptent leurs comportements et de fait, l’ordre
juridique français entre autres, ne peut complètement ignorer cette réalité de prévisions des
parties. Cette méthode a ainsi pour conséquence de donner à la volonté des individus une valeur
plus importante, puisque les règles qui leur sont applicables dépendent des autorités qu’ils
auront choisies. Elle permet ainsi d’assurer la continuité du statut personnel au-delà des

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frontières traversées et participe activement à l’objectif des États membres de promouvoir la
liberté de circulation des personne, sauf intérêt supérieur. Afin de faciliter administrativement
cet objectif, le principe de reconnaissance mutuelle entre les États s’avère essentiel.

De nombreux arrêts illustrant cette tendance ont été rendus, notamment en matière de
noms de famille8 et de filiation9. En effet, la circulation du nom est nécessaire pour assurer la
circulation du citoyen au regard de son identification au sein de la société. Pour n’en citer qu’un
en matière de nom, l’arrêt Garcia Alvello10 évoque que « tous les citoyens de l’Union
Européenne, indépendant de la nationalité de leurs parents, peuvent jouir pleinement de leurs
droits ». En l’espèce, un enfant avait la double nationalité belgo-espagnole et s’est vu refusé le
changement de nom par l’État d’accueil (Belgique), au motif que porter un double-nom,
autorisé par le droit espagnol, n’est pas reconnu en Belgique. La Cour de Justice de l’Union
Européenne saisie a ainsi jugé contraire au droit de la libre circulation cette décision belge. Ici,
il n’est pas vraiment fait application de la méthode de reconnaissance car aucune décision de
justice n’a été rendue par la Belgique, contrairement à l’arrêt Grunkin-Paul qui a donné lieu à
une décision rendue par l’État mis en cause dans l’affaire. Ainsi, la Cour de Justice ne
s’intéresse pas à la méthode choisie mais au résultat. Cependant pour qu’il y ait reconnaissance,
il faut justifier d’un lien étroit entre la situation et la loi considérée afin d’empêcher tout risque
de forum shopping11.

Tout en garantissant la liberté de circulation des personnes physiques, la méthode de la


reconnaissance joue aussi sur le terrain des droits fondamentaux. Bien qu’étant extra-européens,
il convient de les évoquer au regard de la circulation des personnes physiques entre des pays
tiers et membres de l’Union Européenne.

8
CJCE 2 oct. 2003, aff. C-148/02, Garcia Avello, D. 2004. 1476, note M. Audit ; Rev. crit. DIP 2004. 184, note P. Lagarde ; RTD eur. 2004. 559, note A. Iliopoulou
/ CJCE 14 oct. 2008, aff. C-353/06, Grunkin et Paul, Rev. crit. DIP 2009. 80, note P. Lagarde / CJUE 22 déc. 2010, aff. C-208/09, Sayn Wittgenstein, Clunet 2011,
p. 639, obs. J. Heymann, RTD eur. 2011. 571, obs. E. Pataut / CJUE 12 mai 2011, aff. C-391/09, Runevic Wardin, RTD eur. 2011. 571, obs. E. Pataut / CJUE 2
juin 2016, aff. C-438/14, Bogendorff von Wolffersdorff / CJUE 8 juin 2017, Freitag, aff. C-541/15, Rev. crit. DIP 2017. 549, note H. Fulchiron.
9
CJUE 14 déc. 2021, aff. C-490/20, Pancharevo, D. 2022. 331, note L. d'Avout et R. Legendre (relatif au droit à la libre circulation de l’enfant).
10
Voir supra, n°8
11
Ou « law Shopping » - G. Cornu, Vocabulaire juridique. Association Henri Capitant, Paris : PUF, coll. Quadrige, 14e éd. 2020. Le forum shopping est la
« possibilité qu’offre à un demandeur la diversité des règles de compétence internationale de saisir les tribunaux du pays appelé à rendre la décision la plus favorable
à ses intérêts ».

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B. Un instrument essentiel à la sauvegarde des droits fondamentaux des personnes
physiques

Comme énoncé précédemment, la méthode de la reconnaissance joue un rôle majeur en


matière familiale au profit de la circulation des personnes, mais aussi en faveur des droits
fondamentaux tels que le respect à la vie privée ou encore le droit au respect de la vie familiale,
confirmé au sein de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. En
mentionnant les Droits de l’Homme, nous sortons du cadre uniquement européen. Pour autant,
les décisions sont appréciées ici au regard des juridictions des États membres, c'est-à-dire qu’il
convient d’étudier l’accueil d’une décision acquise dans un État tiers, par un pays membre de
l’Union Européenne. La Convention EDH impose aux États non seulement de respecter les
droits acquis dans leur ordre juridique mais aussi de respecter celui qui a été acquis à l’étranger.
En ce sens, de nombreux arrêts sujets à la reconnaissance de la filiation ont été rendus 12. Ainsi,
l’arrêt Wagner13 dispose l’obligation pour les États de reconnaître les effets des jugements
étrangers établissant un lien familial même si ce dernier est contraire à l’Ordre Public national.
En l’espèce, une Luxembourgeoise a adopté un enfant au Pérou ne pouvant le faire au
Luxembourg du fait de son statut de célibataire. Pour autant, les tribunaux luxembourgeois lui
ont refusé l’exequatur au motif que la loi appliquée à l’étranger n’était pas celle désignée par la
règle de conflit luxembourgeoise. L’application de la méthode de la reconnaissance s’avère
dans ce cas être une alternative nécessaire à la méthode des conflits de loi, permettant de
sauvegarder le droit fondamental d’une vie familiale normale mais aussi de répondre aux
attentes de l’Union Européenne.

Il convient de mentionner l’arrêt majeur Mennesson14 où il est question de reconnaître


en France les effets d’une gestation pour autrui (GPA) réalisée à l’étranger, c'est-à-dire qu’il est
demandé à l’officier d’État civil de transcrire sur les registres de l’état civil le lien de filiation
biologique entre les enfants issus de la GPA et la mère d’intention. En l’espèce, la France a
refusé cette transcription au motif que la GPA est contraire à l’ordre public national. Pour
autant, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) alors saisie a condamné la France
pour atteinte à l’intérêt supérieur de l’identité de l’enfant. Il est ainsi fait par la Cour une
distinction entre les droits de l’enfant et les choix des parents. La France a usé de la

12
CEDH, 28 juin 2007, Wagner c. Luxembourg n° 76240/01 / CEDH, 3 mai 2011, Negrepontis et Giannisis c. Grèce, n° 56759/08 (filiation issue d’une adoption)
/ CEDH, 26 juin 2014, Menneson et Labassée c. France, n° 65192/11 et n° 65941/11
13
Voir intra, n°12
14
Voir supra, n°12

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reconnaissance des droits acquis 15 par les enfants du fait de la GPA, mais n’a pas reconnu la
GPA en elle-même, c'est-à-dire qu’elle a reconnu un rapport juridique déjà existant au for de la
reconnaissance, mais pas la GPA, seulement son résultat. L’évolution des traditions juridiques
françaises comme l’ouverture au mariage homosexuel et la reconnaissance des effets d’une
GPA ne cesse de poser de nouvelles problématiques. Récemment, après une demande d’avis
posée à la CEDH concernant la transcription sur les registres français de l'état civil des actes de
naissance étrangers d'enfants issus de gestation pour autrui désignant un homme comme père
et un autre comme « parent », la Cour de cassation a jugé16 suite à un avis rendu par la CEDH
que « le refus de transcrire sur les registres d'état civil la filiation envers le parent d'intention
mentionnée dans l'acte de naissance étranger, au prétexte que cette filiation n'est pas consacrée
par une adoption était une atteinte au respect de la vie privée et familiale de l’enfant et
constituait une discrimination envers eux ». Ainsi, les évolutions jurisprudentielles portent leurs
fruits, et la méthode de la reconnaissance est un atout considérable à la consécration de ces
évolutions.

Bien que permettant de tendre à la réalisation des objectifs de l’Union Européenne au


travers de la garantie de la liberté de circulation des personnes et de leurs droits fondamentaux,
la méthode de la reconnaissance est soumise à certaines limites qui elles-mêmes participent et
tendent à la réalisation des projets de l’Union Européenne. En effet, tout comme la liberté de
circulation, le principe d’égalité entre les ressortissants des pays membres est essentiel à
l’harmonie entre les États membres. C’est pourquoi des limites doivent être appliquées comme
le critère de lien de rattachement pour prévenir des fraudes, ou encore la reconnaissance
mutuelle d’actes administratifs.

II. Les limites à l’usage de la méthode de la reconnaissance comme garanties au


principe d’égalité entre les ressortissants

Le méthode de la reconnaissance se voit limitée par ses conditions d’application dont


celle de l’exception d’ordre public (A), mais aussi par les risques de conflit de statuts entre les
différentes juridictions (B).

15
E. Pataut, « Le renouveau de la théorie des droits acquis », TCFDIP, 18e année, 2006-2008, 2009, pp. 71-114.
16
Cass. Civ. 1ère, 20 déc. 2019, n°18-11.815

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A. Une limitation par ses conditions d’usage notamment celle de l’exception
d’ordre public

Pour que la méthode de la reconnaissance puisse être appliquée, elle doit respecter
quatre conditions essentielles17 : La première est la condition de proximité, un lien de
rattachement entre la situation créée et l’État de reconnaissance ; la seconde que la situation
soit cristallisée c'est-à-dire que l’ordre juridique étranger a confirmé son point de vue sur la
situation en cause en dehors d’une décision de justice ; la troisième que l’État étranger doit être
légitime à exposer son point de vue sur la situation pour éviter tout risque de fraude à la loi 18 ;
et enfin la quatrième consiste à ce que l’ordre public19 ne soit pas contrarié, c'est-à-dire qu’un
État ne peut reconnaître une situation inacceptable du point de vue de son ordre juridique. En
matière de conflit de lois et de justice étrangère, des listes 20 relevant les exigences de l’ordre
public ont été dressées, il serait bénéfique qu’une liste soit également créée dans le cadre de la
reconnaissance des situations.

Dans un objectif de protection du principe d’égalité entre les ressortissants des États
membre, La Cour de justice de l’Union Européenne retient dans son arrêt Sayn-Wittgenstein21
que « l’abolition des privilèges et l’interdiction de porter des titres de noblesse ou de recréer
l’apparence d’une origine nobiliaire peut justifier le refus de reconnaissance en tant
qu’expression du principe d’égalité, qui est « à interpréter comme se rapportant à un motif
d’ordre public » », il s’agit de lutter ici contre « l’usurpation de titres aristocratiques 22 » et que
de plus, il n’est pas fait état d’une atteinte injustifiée à la libre circulation et de séjour de la
requérante. Cette limite présente ainsi une restriction importante à la réalisation de « l’objectif
préalablement retenu de l’unité du statut personnel et familial, puisqu’en matière de statut
personnel et familial, presque toutes les raisons qu’a un État pour intervenir se rapporteront à
un motif d’ordre public23 ». Pour autant, un contrôle de proportionnalité est mis en œuvre et
c’est ce qu’affirme la Cour dans l’arrêt susmentionné : « l’appréciation du caractère

17
P. Lagarde, « Introduction au thème de la reconnaissance des situations : rappel des points les plus discutés », La reconnaissance des situations en droit
international privé. Actes du colloque international de La Haye du 18 janvier 2013, Paris : A. Pedone, 2013, pp. 19-25.
18
Voir supra, n°11
19
G. Cornu, Vocabulaire juridique. Association Henri Capitant, Paris : PUF, coll. Quadrige, 14e éd. 2020. L’ordre public au sens du droit international privé est
« l’ensemble des principes écrits ou non, qui sont, au moment où l’on résonne, considérés, dans un ordre juridique, comme fondamentaux et qui, pour cette raison,
imposent d’écarter l’effet dans cet ordre juridique, non seulement de la volonté privée, mais aussi des lois étrangères et des actes des autorités étrangères (en quoi
il est dit parfois ordre public d’éviction) ».
20
Comme le font les conventions de la Haye sur le mariage
21
CJUE 22 déc. 2010, aff. C-208/09, Sayn Wittgenstein, Clunet 2011, p. 639, obs. J. Heymann, RTD eur. 2011. 571, obs. E. Pataut et dans le même sens: CJUE 2
juin 2016, Bogendorff von Wolffersdorff, aff. C-438/14
22
E. Pataut, RTD eur.2016. 648, spéc. 651
23
Rass-Masson, Lukas. « L’ordre public, limite confirmée à la reconnaissance du nom acquis dans un autre État membre de l’Union européenne. Cour de justice
de l’Union européenne, 2 juin 2016, Aff. C-438/14 », RCDIP, vol. 2, no. 2, 2017, pp. 278-289.

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proportionné d’une pratique telle que celle en cause au principal requiert une analyse et une
mise en balance de divers éléments de droit et de fait propres à l’État membre concerné que la
juridiction de renvoi est mieux à même que la Cour d’effectuer », même s’ils ne pourront servir
de justification, leur considération est primordiale, comme le critère de « localisation objective
de la situation » de l’intéressé. Ces critères se rapportent finalement à la condition de liens de
rattachement.

Toutefois, la volonté de reconnaitre un statut tiré d’un droit acquis se confronte à une
autre barrière que le juge : celle d’un risque de conflit avec un autre statut reconnu ou créé dans
l’État d’accueil.

B. Une limitation par les risques de conflit de statuts

Dans certains cas, il peut y avoir un risque « d’inconciliabilité des reconnaissances »24.
Ce serait l’hypothèse d’un cas où une situation n’est pas reconnue car elle est inconciliable avec
une autre situation déjà créée dans l’État membre de reconnaissance ou précédemment reconnue
dans ce même État. En vertu de l’article 33 du règlement Bruxelles I25, les décisions rendues
dans un État membre de l’Union Européenne sont reconnues dans les autres États membres,
sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure, sauf exceptions prévues à l’article 34,
3°, ce dernier indiquant qu’une décision ne peut être reconnue si elle est inconciliable avec une
décision rendue entre les mêmes parties dans l’État membre requis. En ce sens, la Cour de
cassation est venue rappeler 26 sous le visa de cet article que l’inconciliabilité doit être retenue
lorsque les décisions en cause entraînent des conséquences juridiques qui s’excluent
mutuellement. En l’espèce, il s’agissait de reconnaître en France une décision rendue par la
Hight court of Justice de Londres27 qui avait jugé nul un contrat de prêt, contrairement au
jugement du Tribunal de Grande Instance de Nice qui a reconnu la validité dudit contrat. Dans
ce cadre, il y a un risque de forum shopping puisque l’on cherche l’autorité avec laquelle on
obtiendra le droit interdit dans un autre pays.

Pour évoquer un autre exemple, concernant les partenariats enregistrés à l’étranger, la


France pourrait ne pas les reconnaître au motif que les intéressés ont déjà enregistré un pacte

24
Michel Farge, Dalloz action Droit de la famille, chapitre 512 – détermination du droit applicable, 2023-2024.
25
Règlement (CE) CE n°44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la matière civile et commerciale (Bruxelles I)
26
Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 16 septembre 2020, n°18-20.023.
27
Le Royaume-Uni était membre de l’Union Européenne lors du litige soit avant le Brexit le 1er fev.2020. La décision de la Cour d’appel attaquée date du 18 mars
2018.

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de solidarité en France ou ont enregistré, célébré valablement ou valablement transcrit un
mariage28. Un problème se pose cependant en matière successorale concernant les partenariats
enregistrés 29. En effet, « certains États connaissent une forme de partenariat qui produit tous les
effets d’un mariage (en Allemagne) tandis que d’autres ne connaissent qu’un partenariat dont
l’objet n’est que d’organiser les rapports patrimoniaux de la vie commune au sein du couple
(en France), certains y voient aussi un pacte de famille entre collatéraux (Belgique) »30. Pour
pallier ce problème, un règlement31 portant sur les partenariats enregistrés a été créé en 2016
posant le principe de reconnaissance des pactes. En revanche, la France ne reconnaitra pas la
vocation successorale d’un partenaire allemand dont le conjoint est décédé même si le pacte a
été enregistré en Allemagne. En effet, le règlement donne compétence à l’État saisi en cas de
décès d’un des partenaires de « statuer sur les effets patrimoniaux du partenariat enregistré en
relation avec ladite affaire de succession 32». Or, le Pacte Civil de Solidarité33 (PACS) prévoit
des règles successorales n’administrant pas la qualité d’héritier au partenaire34.

Les professeurs Marie-Laure Niboyet et Etienne Pataut ont débattu35 du problème


résultant de ces divergences entre les juridictions en matière successorale. Mme Niboyet évoque
le fait que « la reconnaissance d’un statut dont on vous retire des éléments essentiels devient
une enveloppe vide », ce à quoi M. Pataut répond que ces propos sont à nuancer dans la mesure
où certains effets seront reconnus, même si c’est « en adaptant ». Il reconnaît aussi que cela est
« insuffisant », et que « le droit international privé en général et le conflit de lois en particulier
subsisteront tant qu’il y aura une diversité législative », dont la solution pourrait éventuellement
être apportée par la création d’un code de droit international privé. Pour autant, malgré les
différentes propositions des auteurs pour une meilleure harmonie des solutions, elles ne peuvent
« englober l’ensemble de la difficulté, qui est celle de la circulation d’une situation juridique
d’un État à l’autre, dont les enjeux dépassent largement la seule question de la loi applicable. »

28
Michel Farge, Dalloz action Droit de la famille, chapitre 512 – détermination du droit applicable, 2023-2024.
29
G. Cornu, Vocabulaire juridique. Association Henri Capitant, Paris : PUF, coll. Quadrige, 14e éd. 2020. Le partenariat enregistré est « en droit de la famille, la
convention, enregistrée auprès d’une autorité publique et soumis à un statut légal, conclue entre deux personnes pour organiser leur vie commune ».
30
Legrand, V. (2020). Fiche 1. Les composantes identitaires de la personne. Dans : V. Legrand, Droit international privé (pp. 8-20). Paris : Ellipses.
31
Règlement (UE) 2016/1104 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de
la reconnaissance et de l'exécution des décisions en matière d'effets patrimoniaux des partenariats enregistrés
32
Règlement (UE) 2016/1104 du Conseil, Chapitre II, Article 4 : compétence en cas de décès d’un des partenaires.
33
Ministère de la Justice, Le PACS, 2 décembre 2019, Le PACS (pacte civil de solidarité) est défini comme étant « un contrat conclu entre deux personnes majeures,
de sexes différents ou de même sexe, pour organiser leur vie commune. Avant de pouvoir conclure le PACS, les partenaires doivent remplir certaines conditions
et rédiger une convention de PACS, qui peut être modifiée par la suite. Depuis le 1er novembre 2017, l’enregistrement d’un PACS s’effectue en mairie ou devant
un notaire. La fin d’un PACS peut s’opérer de différentes manières ». Son entrée en vigueur date du 15 novembre 1999.
34
Jessurun d'Oliveira Hans Ulrich. Le partenariat enregistré et le droit international privé. In : Droit international privé : travaux du Comité français de droit
international privé, 15e année, 2000-2002. 2004. pp. 86
35
E. Pataut, « Le renouveau de la théorie des droits acquis », TCFDIP, 18e année, 2006-2008, 2009, pp. 71-114.

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