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LE CONTRAT SOCIAL

HOBBES :
Rousseau serait inconcevable sans Hobbes ; L’Esprit des lois le prend pour cible ; le livre I du Contrat
social est rédigé avec le De cive sous les yeux.
Hobbes va proposer ici une théorie du pouvoir qui a manifestement pour ambition de préparer la suite,
soit l’analyse du contrat : le plus grand des pouvoirs humains est composé des pouvoirs des autres
hommes, unis par consentement, en une personne naturelle ou civile qui a l’usage de leurs pouvoirs.
Ainsi le pouvoir peut-il être conçu comme le quantum qui permettra de composer par la suite le
pouvoir terrifiant de l’Etat-Léviathan.
Dans cette optique, Hobbes va précisément définir le contrat comme un transfert mutuel de droit. De là
découle l’importance de la troisième loi de nature, énoncée au début du chapitre XV ; que les hommes
exécutent leurs contrats (that men perform their covenants made), sans quoi les contrats seraient de
vains mots, et le droit de tous sur toutes choses resterait en vigueur, avec l’état de guerre.
Comme l’a montré Julie Saada dans Hobbes et le sujet de droit (Paris, CNRS, 2010), pour Hobbes,
l’obligation apparaît avec l’abandon ou la transmission du droit naturel dans la troisième loi de nature.
Seule la politique pourra rendre effective la morale en faisant passer les lois de nature dans les lois
civiles, et en faisant en sorte que l’individu obéisse parce qu’il aura été préalablement obligé. Telle est
la raison pour laquelle une théorie du contrat et de la souveraineté est requise.
La théorie de la Souveraineté chez Hobbes est originale : ce n’est plus, comme chez ses prédécesseurs,
un contrat entre le peuple et le roi qui doit bien gouverner. Le pacte hobbesien n’a rien à voir avec ce
contrat de confiance : avec lui, chacun se dessaisit de son droit naturel (la seule chose qu’il « possède
»). En adoptant ce dispositif, Hobbes rompt avec tous les penseurs qui ont usé de la notion de contrat
pour penser l’origine de la société civile : il refuse toute convention ou pacte de soumission entre le
souverain et ses sujets ; il défend le principe d’une souveraineté absolue : le contrat sera inconditionnel
ou ne sera pas.
Tel est également le sens du frontispice célèbre du Léviathan, œuvre du graveur Abraham Bosse, qui
propose une anamorphose 13 . Monstre marin de la Bible, le Léviathan est composé de nombreux
individus (et non d’écailles) afin d’illustrer la théorie hobbesienne du contrat social. Le corps du roi
est composé d’une multitude d’individus. Les individus dispersés de l’état de nature deviennent ainsi
un corps unique, et leur vie est personnifiée par le Prince auquel ils sont tous également assujettis. Le
verset en haut de la page l’illustre : tel Dieu, plus grande puissance concevable, « Il n’y a pas de
puissance sur terre à laquelle il (le Léviathan, le souverain, l'Etat) puisse être comparé ». Le frontispice
de l’édition imprimée fait paraître audessus du colosse la citation de Job 41, 24, non est potestas super
terram quae comparetur.
Telle est la formule du contrat comme aliénation totale de chacun avec tous ses droits à la personne
fictive de l’Etat : je cède mon droit naturel à me gouverner moi-même à condition que tu en fasses
autant, et nous le cédons conjointement à un tiers non contractant. Pourquoi s’agit-il de céder son droit
? Parce qu’il n’existe aucune autre manière de le transférer par contrat. Seule l’autorisation permet de
céder ainsi à un tiers non contractant, bénéficiaire du transfert de droits. Ainsi passe-t-on de la nature à
la politique : le droit naturel est une liberté de se gouverner soi-même en vue de sa conservation, et ce
droit naturel peut être cédé (dans une certaine mesure on le verra) ou aliéné à un tiers qui sera alors
représentant ou acteur jugeant et agissant au nom de l’auteur qu’il représente.
ROUSSEAU :
En 1762, L’Emile et le Contrat Social sont condamnés à être lacérés et brûlés car scandaleux et
impies, tendant ainsi à détruire la religion chrétienne et tous les gouvernements. Dans sa philosophie
politique, Rousseau se veut réaliste. Il attache donc une grande importance au réel, à la raison et aux
consciences humaines. Chez Rousseau, les Hommes vont inventer leur propre mode de gestion de
l’Etat en établissant un contrat social. Il s’agit d’un pacte volontaire conclu entre tous les citoyens, qui
permet ainsi de fonder une communauté politique. Le pacte social revient à placer les individus sous la
suprême direction de la volonté générale. De cette manière, les Hommes imitent les décrets de la
divinité. Nous pouvons donner deux sens au terme “volonté générale” : le premier représente la
volonté de l’Etat en tant qu’elle s’applique de façon identique à tout un peuple ; le deuxième
représente la volonté exprimée collectivement par l’ensemble d’un peuple. Dire que la volonté
générale doit diriger l’Etat, c’est dire que l’Etat doit agir à travers des lois faites par tout le peuple et
s’appliquant à tout le peuple.

LOCKE :
Il faut désormais aborder la question du contrat, dont l’objectif est clairement établi : connaître
l’origine et les droits du gouvernement doit permettre d’en « réprimer les excès » et de prévenir les
abus de pouvoir que les hommes n’ont confié que pour leur propre bien (§111, p. 82). Il faut donc
comprendre ce qui rend nécessaire l’institution du gouvernement civil. Quelles sont les conséquences
de l’historicité introduite dans l’état de nature ? Selon Locke, les inégalités croissantes ne peuvent
qu’engendrer l’envie, et l’envie mène inévitablement à des conflits liés à la propriété. Dès lors, les
hommes devront se faire juges de ces disputes, quitte à ne pas partager la même interprétation de la loi
de nature. La conséquence est décisive. Si l’état de nature est d’abord conçu aux antipodes de celui de
Hobbes, il finit néanmoins par le rejoindre. Car si certains transgressent la loi de nature et usent de
violence, ne serait-ce que pour voler et non tuer, les autres sont en droit de les punir et d’éliminer par
une légitime défense les agresseurs injustes (c’est le pouvoir exécutif de chacun). Autrement dit, la
force sans droit crée un état de guerre par le recours légitime à la force en représailles ; or tous ne le
feront pas de manière proportionnée – ce qui peut rapidement conduire à la propagation de la violence,
en raison de la vengeance et des représailles mutuelles.
Pour résumer le propos lockien : c’est parce que les hommes ne sont pas tous spontanément justes, en
punissant les transgresseurs à bon escient, qu’il sera nécessaire de déléguer le pouvoir de juger et de
punir à une institution – le gouvernement et les tribunaux – afin de réguler et de protéger la propriété
(vie, biens, liberté). Pour cela, un consentement des hommes est requis. La société civile de Locke a
pour origine un contrat social dont la finalité est de garantir les droits naturels.
Au chapitre 8 (« Du commencement des sociétés politiques »), Locke décrira le contrat comme un acte
de consentement par lequel des hommes libres et égaux renoncent à leur liberté naturelle et se «
chargent des liens de la société civile » : ils s’accordent alors avec d’autres « pour se joindre et s’unir
en une communauté, afin de mener ensemble une existence faite de bien-être, de sécurité et de paix,
dans une jouissance assurée de leurs propriétés, et dans une sécurité accrue vis-à-vis de ceux qui ne
sont pas membres de cette communauté » (§95, p. 70)
Enfin, Locke insiste sur le fait qu’il n’y a qu’un seul contrat dans l’Etat, qui est un pacte d’association ,
un abandon de « tout le pouvoir nécessaire » entre les mains de la majorité par les individus qui
s’unissent en société. Tout gouvernement légitime naît de ce pacte conçu comme « abandon » de ses
pouvoirs naturels : « Cet abandon se fait par la seule convention de s’unir pour former une société
politique ; c’est le seul contrat qui ait lieu et qui soit nécessaire entre des individus, qui entrent dans
une république ou en créent une nouvelle » (§99, p. 73).
Seule l’incertitude dans la jouissance des droits naturels peut donc rendre raison du contrat
d’association ; comme chez Hobbes, c’est la précarité de cette jouissance qui va conduire les hommes
à vouloir sécuriser leurs possessions.
Pour toutes ces raisons, l’individu va donc entrer par contrat en société et renoncer aux deux pouvoirs
qu’il possédait à l’état de nature : le pouvoir de décider des moyens de se conserver selon la loi de
nature ; le pouvoir de punir les infractions de la loi de nature. Locke ne développe pas, contrairement à
Hobbes et plus tard à Rousseau, le contenu du contrat.

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