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Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 132 (2015) 169–173

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Article original

Les cellulites cervico-faciales : l’impact de l’utilisation des


anti-inflammatoires non stéroïdiens. À propos de 70 cas夽
A.A. Bennani-Baïti a,∗ , A. Benbouzid a , L. Essakalli-Hossyni a,b
a
Service d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale, hôpital des spécialités de Rabat, faculté de médecine et de pharmacie, 10000 Rabat, Maroc
b
UFR d’ORL et de CMF, faculté de médecine et de pharmacie, université Mohmamed V, Rabat, Maroc

i n f o a r t i c l e r é s u m é

Mots clés : Introduction. – Les cellulites cervico-faciales (CCF) sont des infections sévères des tissus cellulaires sous-
Cellulite cervico-faciale cutanés. Elles constituent l’une des urgences infectieuses ORL les plus graves. Sur une série de 70 cellulites
Anti-inflammatoire non stéroïdien colligées sur la période 2007–2012, nous avons constaté une forte corrélation entre l’utilisation des anti-
inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et l’évolution d’infections de la sphère ORL vers des cellulites
cervico-faciales, dont deux cas de CCF nécrosante étendue au médiastin d’évolution fatale.
Matériel et méthodes. – Les cas retenus étaient des patients admis aux urgences et qui ont nécessité une
hospitalisation en rapport avec la gravité de leur tableau clinique. Nous avons pu colliger 70 cas de CCF
sur la période 2007–2012 alors que ceux qui ont été traités en ambulatoire ont été exclus de l’étude. Par
ailleurs, les cellulites orbitaires, d’origine sinusienne, et les mastoïdites ont été exclues de cette étude.
Résultats. – La prise d’AINS a été retrouvée chez 80 % des patients, en automédication ou sous prescrip-
tion dans les autres cas (médecin généraliste, dentiste, pharmacie). Les deux molécules les plus souvent
prescrites étaient l’acide tiaprofénique et le diclofénac. L’extension de la cellulite était limitée à la région
jugale et/ou à la région sus-hyoïdienne homolatérale dans la majorité des cas, avec cinq cas d’extension
cervicale basse et deux cas d’atteinte médiastinale avec issue fatale.
Conclusion. – Les cellulites cervico-faciales sont des infections graves qui peuvent mettre en jeu le pro-
nostic vital ; ce sont de véritables urgences diagnostiques et thérapeutiques. Parmi les facteurs de risque
d’évolution vers les CCF, l’utilisation des AINS est fréquemment observée, d’où la nécessité d’une utili-
sation raisonnée, voire contre-indiquée dans les infections de la sphère ORL, et en particulier dans les
infections d’origine odonto-stomatologiques.
© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

1. Introduction charge médico-chirurgicale correcte, certaines formes mettent en


jeu le pronostic vital par leur tendance rapide à la diffusion, réa-
Les cellulites cervico-faciales constituent l’une des urgences lisant des cellulites extensives pouvant atteindre le médiastin, ou
infectieuses les plus fréquentes en ORL, mais également parmi les par leur agressivité particulière, avec une nécrose étendue, cas des
plus graves. Leur mortalité reste non négligeable malgré les progrès fasciites nécrosantes.
diagnostiques et thérapeutiques. Il est à noter que d’un point de vue nosologique l’appellation
Cette infection des espaces cellulo-adipeux de la face et du cou fasciite nécrosante est utilisée par les Anglo-Saxons comme terme
a pour principale origine un point de départ bucco-dentaire (70 %) générique englobant tous les types de cellulites, or en réalité, le
ou oropharyngé (20 %) [1,2]. Si la plupart des cas sont représentés terme de cellulite comprend un spectre très large d’affections allant
par des formes aiguës circonscrites, sans signes de gravité (formes de la collection séreuse à la nécrose étendue réalisant pour les
séreuses et suppurées) s’amendant rapidement après une prise en francophones la véritable fasciite nécrosante.
Ces formes graves peuvent être la conséquence d’un trai-
tement incomplet ou inadapté (antibiothérapie inadaptée à la
flore bactérienne en cause, excision chirurgicale insuffisante des
DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.anorl.2015.06.004. tissus nécrotiques), ou encore la conséquence d’un terrain sous-
夽 Ne pas utiliser pour citation la référence française de cet article mais celle de
jacent favorisant, responsable d’une défaillance des défenses de
l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck
l’organisme (diabète, immunodépression congénitale ou acquise).
Diseases en utilisant le DOI ci-dessus.
∗ Auteur correspondant. À côté de ces facteurs favorisants reconnus, la prescription abu-
Adresse e-mail : dr.a.bennani@gmail.com (A.A. Bennani-Baïti). sive et non justifiée d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) a

http://dx.doi.org/10.1016/j.aforl.2015.01.004
1879-7261/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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été rapportée dans de nombreuses études de la littérature médicale l’ouverture buccale de gravité variable (celle-ci faisant par ailleurs
comme un facteur de risque d’évolution compliquée des cellulites partie des éléments motivant l’hospitalisation). Tous les patients
cervico-faciales, même si le lien de causalité n’a pu encore être ont présenté une douleur, exacerbée à la palpation, du siège de la
affirmé avec certitude. cellulite, alors que la fièvre était peu marquée (probablement en
C’est à partir du constat, au cours de notre pratique quotidienne rapport avec la prise d’AINS ou de paracétamol).
au sein du service d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-
faciale de l’hôpital des spécialités de Rabat, de la forte incidence 3.3. L’origine de la cellulite
d’utilisation des AINS au cours de cellulites cervico-faciales graves
hospitalisées au sein de notre formation, qu’a été motivé notre tra- Elle était dentaire chez 61 patients (87,14 %). L’origine dentaire
vail. Il s’agit d’une étude prospective de cohorte étalée sur 5 ans était évoquée d’emblée dès l’admission par le patient lui-même ou
visant à déterminer l’impact de l’utilisation des AINS sur l’évolution lors de l’interrogatoire devant la notion de douleurs ou de soins
des cellulites cervico-faciales. dentaires (53 patients).
L’origine dentaire était ensuite confirmée cliniquement par la
2. Patients et méthodes constatation d’une dent cariée ou une racine résiduelle, et/ou
radiologiquement par la réalisation systématique d’un orthopan-
Il s’agit d’une étude prospective réalisée entre septembre tomogramme permettant de rattacher le diagnostic à une origine
2007 et janvier 2012, dans le service d’ORL et de chirurgie cervico- dentaire chez le reste des patients qui ne présentaient pas de signes
faciale de l’hôpital des spécialités de Rabat. d’appel dentaire.
Les cas retenus ont concerné des patients admis aux urgences L’origine de la cellulite était présumée amygdalienne dans 2 cas,
de l’hôpital des spécialités de Rabat pour cellulite cervico-faciale et une adénite a été mise en cause dans un autre cas et est restée
qui ont nécessité une hospitalisation du fait de la gravité de leur indéterminée chez 6 de nos patients.
tableau. Les nombreux cas qui pouvaient être pris en charge en
ambulatoire n’ont pu être inclus dans notre étude pour des raisons 3.4. Les signes associés
organisationnelles (perte du suivi ; données insuffisantes, etc.).
Les données suivantes ont été recueillies selon une fiche Quarante-sept patients avaient une limitation de l’ouverture
d’exploitation détaillant un certain nombre d’éléments parmi les- buccale (67,14 % de la totalité des patients et 77,05 % des patients
quels : présentant une cellulite d’origine dentaire), 11 avaient un œdème
associé du plancher buccal, et 5 patients avaient une discrète dys-
• l’origine probable ou avérée de l’infection (dentaire, buccale, oro- phagie. Le retentissement sur l’état général était modéré chez tous
pharyngée, adénite, etc.) ; nos patients.
• la prise d’AINS durant la période précédant l’installation de la cel-
lulite : la molécule, la dose, la durée de traitement ainsi que les 3.5. Siège et extension de la cellulite
modalités de prescription (automédication, prescription médi-
cale, spécialisée ou non) ; La cellulite était limitée à la région jugale et à la région latéro-
• la présence de facteurs de risque (diabète, corticothérapie au long cervicale haute chez 60 patients (85 % des cas).
cours, autres facteurs d’immunodépression) ; La tuméfaction était dure, pré-collectée sans signes inflamma-
• le bilan entrepris avant et après admission : le bilan biologique, toires cutanés dans 22 cas et fluctuante avec signes inflammatoires
l’étude bactériologique, la tomodensitométrie (TDM) avec injec- cutanés dans 48 cas.
tion de produit de contraste, et les soins nécessaires à la prise en L’extension s’est faite vers la région temporale chez 3 patients,
charge de cette complication après hospitalisation (intervention vers la région latéro-cervicale basse chez 5 patients. Une atteinte
chirurgicale, séjour en réanimation). médiastinale a été prise en charge chez 2 patients (qui avaient
consommé des AINS) mais l’issue a été fatale malgré une réani-
3. Résultats mation intensive (Fig. 1).

Durant la période 2007–2012, 70 patients ont été colligés


3.6. Le bilan effectué
(43 hommes et 27 femmes, sex-ratio de 1,59), âgés de 8 à 65 ans
avec une médiane à 33 ans.
Un bilan biologique standard a été réalisé à tous les patients,
Quinze dossiers n’ont pas pu être exploités pour insuffisance de
comportant une numération de la formule sanguine et un iono-
données (patients ayant pris avant l’installation du tableau clinique
gramme sanguin complet (à la recherche d’un déséquilibre de la
des médicaments qui n’ont pu être déterminés [en automédication
glycémie, des troubles hydroélectrolytiques associés).
ou à la suite d’une prescription]).
Un prélèvement bactériologique a été effectué chaque fois
qu’une collection était individualisée, même pour les patients chez
3.1. Antécédents
qui une antibiothérapie avait été instaurée avant l’admission. Dans
Dix-neuf patients avaient un diabète type 2 (27,41 %). Tous ces dix cas (10,83 %), cet examen révélait une flore poly-microbienne
patients étaient en situation de déséquilibre glycémique à leur avec des cocci et des bacilles Gram négatif.
admission (glycémie supérieure à 2 g/dL). Pour 5 patients, la cel- Un orthopantomogramme a été réalisé chez 61 patients et une
lulite a été l’occasion de la découverte du diabète. TDM cervico-faciale avec injection de produit de contraste a été
Aucun de nos patients n’avait de notion de prise de corticoïdes pratiquée à tous les patients à la recherche d’une collection, et pour
au long cours, ni de notion d’immunodépression congénitale ou apprécier l’extension profonde de l’infection.
acquise.
3.7. Les traitements pris avant l’admission
3.2. Symptomatologie fonctionnelle
La prise d’AINS a été observée dans 80 % des cas, soit 56 patients.
Une douleur dentaire ou des soins dentaires ont été rapportés Les deux molécules les plus souvent prescrites étaient l’acide tia-
chez 53 patients (75,7 %) les jours ayant précédé l’installation de profénique et le diclofénac. L’association des 2 anti-inflammatoires
la symptomatologie. Ces patients ont présenté une limitation de a été relevée à plusieurs reprises.
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Pour trois patients, une incision de Sebilleau a été réalisée,


avec nécrosectomie soigneuse et lavage à l’eau oxygénée et à la
polyvidone iodée. Un drainage étendu avec abord médiastinal par
thoracotomie a été réalisé chez 2 patients.
Une antibiothérapie par voie parentérale a été délivrée jusqu’à
amélioration de la symptomatologie clinique avant relais per os.
Celle-ci a consisté en une association :

• amoxicilline-acide clavulanique à raison de 100 mg/kg/j


en 3 prises, gentamycine en i.m. à raison de 3 mg/kg/j :
n = 37 patients ;
• amoxicilline-acide clavulanique et gentamycine aux doses préci-
tées associées à la métronidazole à raison de 1 g/j : n = 12 patients ;
• ceftriaxone à la dose de 8 mg/kg/j : n = 13 patients ;
• moxifloxacine à la dose de 400 mg/j : n = 8 patients.

La durée moyenne d’hospitalisation était de 5 jours (3–12 jours)


à l’exception de 2 patients qui ont nécessité un séjour en réani-
mation pour cellulite étendue au médiastin. Ces 2 patients sont
décédés malgré une réanimation intensive et un débridement chi-
rurgical étendu au médiastin.

4. Discussion

Si la responsabilité directe des AINS dans les cellulites cervico-


faciales n’a pu être affirmée avec certitude, de multiples séries,
y compris la nôtre, tendent à les incriminer, sinon comme fac-
teur causal direct, tout au moins comme facteur favorisant ou
aggravant. Ainsi, Mathieu et al. [2] ont mis en évidence sur une
série de 45 patients hospitalisés pour cellulite cervico-faciale, une
prise d’AINS dans 44 % des cas. Merle et al. [3] ont souligné le
rôle favorisant des AINS et ont observé un pourcentage similaire
au nôtre (soit 76,46 % de prise d’AINS) mais la série était plus
restreinte (17 patients seulement, présentant une cellulite cervico-
faciale odontogénique) ; dans cette même série, 8 patients ayant
présenté une médiastinite, dont 4 avaient consommé des AINS, et
7 patients qui avaient une médiastinite sont décédés.
Sur une série plus importante de 94 patients présentant une cel-
lulite cervico-faciale admis en unité de soins intensifs et colligés
entre 1995–2005, Shaikh et al. ont observé une prise d’AINS chez
80 % des patients [4]. L’association cellulite compliquée de médias-
tinite odontogénique et prise d’AINS est également retrouvée dans
de nombreuses autres séries [3–9].
D’autres cas ont été rapportés dans la littérature, de cellulites
de localisations autres que cervico-faciales le rôle des AINS dans
l’évolution vers une fasciite nécrosante se soldant par le décès [10]
où le rôle des AINS a été incriminé.
Cette relation peut être expliquée par le mécanisme d’action des
Fig. 1. a : cellulite cervicale étendue au thorax avec nécrose cutanée ; b : cellulite AINS sur l’inflammation, qui reste avant tout un moyen de défense
étendue au creux sus-claviculaire ; c : abord du médiastin par thoracotomie mon-
trant la présence de pus dans le médiastin antérieur.
non spécifique de l’organisme contre les invasions microbiennes.
Les AINS bloquent la dégradation d’acide arachidonique cellu-
Associés aux AINS, tous les patients avaient consommé un laire par la voie cyclo-oxygénase, s’opposant ainsi à la production
ou plusieurs antibiotiques avant leur admission aux urgences, de thromboxane A2 et de prostaglandines qui jouent un rôle impor-
prescrits par le médecin généralise (n = 22), le dentiste (n = 19), le tant dans le chimiotactisme cellulaire ; ils freinent ainsi la migration
médecin spécialiste (n = 2) ou encore la prise de médicaments ou et l’activité phagocytaire des polynucléaires et des macrophages.
en automédication (n = 27). Les molécules les plus fréquemment Par ailleurs, les AINS diminuent les premiers signes de
prescrites étaient représentées par : l’association métronidazole- l’inflammation retardant ainsi le délai de consultation [11,12].
spiramycine, métronidazole, amoxicilline-acide clavulanique, Le rôle délétère des AINS en situation infectieuse est appuyé
ciprofloxacine, ofloxacine. par des études expérimentales dont celle de Solberg et al. sur la
phénylbutazone démontrant la réduction in vitro de l’activation des
3.8. Traitements et soins délivrés au cours de l’hospitalisation granulocytes, de la phagocytose et de la destruction intracellulaire
du streptocoque et du staphylocoque [13].
Tous les patients qui avaient une collection ont eu une ponc- Cependant, si le rôle clinique et in vitro des AINS dans
tion évacuatrice pour les petites collections ou un drainage pour l’aggravation des infections a été rapporté en de nombreuses études
les collections suppurées plus importantes. [11], d’autres études sur modèle animal n’ont pas mis en évidence
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de différence statistiquement significative entre le groupe expéri- Dans notre série, l’origine dentaire était la principale cause de
mental ayant une cellulite cervico-faciale sous diclofénac et celui la cellulite (87,14 % des cas). Cette fréquence était légèrement plus
sous une injection de placebo [11,12]. élevée que les chiffres rapportés dans la littérature. Ceci peut être
Il peut cependant être reproché à ces études le nombre très res- expliqué par des mesures d’hygiène bucco-dentaire insuffisantes
treint des effectifs étudiés (une vingtaine d’individus dans chaque ou encore par un faible niveau socio-économique.
bras de l’étude), et l’origine de l’infection (injection sous-cutanée La cellulite cervico-faciale extensive est, comme cela a été sou-
chez le modèle animal contre une origine odontogène ou oropha- ligné auparavant, une infection dite de « contiguïté », l’infection se
ryngée dans la grande majorité des séries humaines publiées). Ces faisant de proche en proche le long des fascias et des zones de
animaux ne reproduisent pas à l’identique les conditions anato- communication de la face et du cou [1]. La nécrose atteint initiale-
miques et bactériologiques retrouvées comme facteur favorisant ment les tissus moins bien vascularisés, peu oxygénés tels que les
dans les cellulites cervico-faciales humaines. fascias, puis s’étend aux tissus mieux vascularisés, comme la graisse
En revanche, il faut souligner que d’autres études sur modèle sous-cutanée et les muscles [1].
animal ont confirmé le rôle des AINS dans l’aggravation des infec- Ces infections sont le plus souvent dues à une flore poly-
tions tissulaires [14]. microbienne, le plus souvent aérobie-anaérobie [1,24,25], à action
Ainsi, aux États-Unis, le Center for Disease Control and Pre- synergique : les germes aérobies épuisent les défenses oxydatives
vention (CDC) recommande d’éviter la prescription d’AINS lors des cellules immunitaires (macrophages, granulocytes et mono-
d’infections non contrôlées, ou en cas de prescription, de réali- cytes), créant ainsi des conditions propices au développement des
ser une évaluation systématique en 48 à 72 heures pour juger de bactéries anaérobies [1].
l’évolution [1]. Les germes les plus fréquemment en cause sont les strepto-
La cellulite cervico-faciale est une infection qui atteint tous les coques pyogènes ; cependant, d’autres germes ont également été
âges avec une moyenne d’âge autour de 40 ans [15,16]. Dans notre isolés chez des patients présentant une cellulite cervico-faciale
série, la moyenne d’âge était de 33 ans (probablement en rapport tels que : Enterobacter, Fusobacterium, bactéroïdes, staphylocoques
avec une pyramide d’âge plus jeune au Maroc). [24]. Il a ainsi été rapporté dans une étude jusqu’à 11 germes diffé-
Les formes pédiatriques sont beaucoup moins fréquentes, rents chez le même patient [25].
comme cela est le cas dans notre série (7 enfants de 8 à 15 ans). Dans notre série, 10 prélèvements bactériologiques étaient en
Ceci pouvant s’expliquer par l’absence de certains facteurs de risque faveur d’une flore poly-microbienne cocci et Gram négatif. La
incriminés dans les cellulites cervico-faciales (tels le tabagisme négativité des autres prélèvements peut être mise sur le compte
et la prise d’alcool). Cependant, plusieurs cas pédiatriques ont de la prise préalable d’un ou de plusieurs antibiotiques avant
été rapportés dans la littérature faisant état de cellulites cervico- l’admission.
faciales extensives, dont des cas d’extension médiastinale [17]. La nature poly-microbienne de cette infection souligne l’intérêt
L’extension médiastinale peut survenir d’emblée lors de certaines de démarrer dans les plus brefs délais une antibiothérapie probabi-
formes particulièrement agressives (survenant sur terrain débi- liste à large spectre, dans l’attente des résultats des prélèvements
lité notamment ou lors de prise d’AINS) ou suite à une prise en bactériologiques et de l’antibiogramme [24,26]. Cependant, le seul
charge tardive ou mal adaptée. Cette extension est facilitée par traitement médical ne saurait, seul, traiter ces infections, car les col-
l’accolement des aponévroses cervicales réalisant de véritables lections purulentes cloisonnées par les tissus nécrotiques ne sont
gouttières à la diffusion de l’infection. Ainsi, les infections issues plus reliées au système vasculaire et empêchent la diffusion des
des dernières molaires mandibulaires peuvent-elles contaminer antibiotiques, même si l’administration de ceux-ci se fait par voie
directement la région cervicale et para-amygdalienne (appelée éga- parentérale. C’est ainsi que, dans notre série, une antibiothérapie
lement espace sous-parotidien antérieur ou ptérygo-pharyngien) probabiliste à large spectre a été administrée de première inten-
qui constitue un véritable carrefour stratégique pour la diffu- tion, et suivie, chaque fois que cela était nécessaire, d’un drainage
sion de l’infection vers les autres espaces cervicaux et vers le plus ou moins complété par un débridement chirurgical.
médiastin à travers la gouttière vasculaire et l’espace décollable S’il est rapporté dans la littérature un taux de mortalité de 19 à
de Reinke. 40 % [24], soulignant la gravité extrême de cette infection, nous rap-
La cellulite cervico-faciale affecterait plus souvent l’homme que portons un taux de guérison de 98,59 %. Deux décès sont survenus
la femme ; ainsi, Umeda et al. [18] sur une revue de 125 cas avaient suite à une atteinte médiastinale extensive.
mis en évidence un sex-ratio de 3/1. Dans notre série, nous avons
observé également une prédominance masculine. 5. Conclusion
Dans notre série, le principal facteur de risque de cellulite
cervico-faciale observé (indépendamment de la prise d’AINS) était La cellulite cervico-faciale demeure une urgence infectieuse
le diabète (27,41 % des patients). La majorité de ces patients était importante nécessitant une prise en charge rapide et correcte.
en situation de déséquilibre glycémique. Le diabète est un facteur Les anti-inflammatoires non stéroïdiens interfèrent avec le
reconnu de dysfonctionnement du système immunitaire [18–21] et fonctionnement normal du système immunitaire et masquent le
les patients diabétiques sont des patients à risque accru de dévelop- tableau clinique, retardant ainsi le diagnostic, et constituent donc
pement d’infections non spécifiques [19]. En dehors des infections un facteur certain d’aggravation des cellulites cervico-faciales.
des extrémités, les cellulites sont parmi les infections les plus fré- Nous tenons à souligner que, si nous avons observé dans notre
quentes chez le diabétique [21], en particulier lors de la présence de série une forte corrélation entre AINS et cellulite, celle-ci ne peut
foyers infectieux tels les caries dentaires et les granulomes apicaux être interprétée comme preuve de lien de causalité (biais de recru-
dentaires. tement, forte habitude de prescription des AINS), mais tout au
D’autres facteurs de risque compromettant le bon fonctionne- moins comme facteur aggravant, faisant prévaloir le principe de
ment du système immunitaire ont été rapportés (infection par VIH, précaution.
cirrhose hépatique, insuffisance rénale, insuffisance cardiaque) Ainsi, il est recommandé, par de nombreuses instances sani-
[18]. Nous n’avons pas observé ces facteurs dans notre série. taires dont le CDC américain, de remplacer judicieusement la
Les cellulites cervico-faciales se propagent par contiguïté à par- prescription AINS pas des antalgiques et antipyrétiques usuels.
tir d’une porte d’entrée dentaire (dans 70 %) ou pharyngée (20 % des Notre étude constitue ainsi un appel à tous les intervenants de la
cas) [2,22–24]. Les autres causes possibles sont représentées par les sphère ORL (ORL, chirurgiens maxillo-faciaux, dentistes) ainsi que
inoculations cutanées et les périadénites. les médecins généralistes à une rationalisation de la prescription
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