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(2017),
http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2017.01.004
Dossier thématique
Mise au point
Cancers de la cavité buccale :
facteurs de risque et prise en charge
Disponible sur internet le : CHU de Tours, hôpital Trousseau, université François-Rabelais de Tours, service de
chirurgie maxillo-faciale et plastique de la face, avenue de la République, 37170
Chambray-lès-Tours, France
Correspondance :
Arnaud Paré, CHU de Tours, hôpital Trousseau, université François-Rabelais de Tours,
service de chirurgie maxillo-faciale et plastique de la face, avenue de la
République, 37170 Chambray-lès-Tours, France.
arnaud.pare@univ-tours.fr
Points essentiels
La cavité buccale est la localisation la plus fréquente des cancers des voies aérodigestives
supérieures (VADS). Le carcinome épidermoïde est le sous-type histologique le plus fréquent
et représente plus de 95 % des cancers de la cavité buccale (CCB). Les principaux facteurs de
risques sont l'intoxication alcoolo-tabagique mais également les lésions dites précancéreuses. Ces
lésions précancéreuses sont des maladies chroniques de la muqueuse buccale et sont responsa-
bles de quasiment 20 % des cas de cancer. Le plan traitement des CCB est décidé de façon
collégiale en réunion de concertation pluridisciplinaire après réalisation d'un bilan clinique,
radiologique et endoscopique. Ce bilan permet d'évaluer l'extension locorégionale de la tumeur
ainsi que son statut métastatique. La chirurgie, la radiothérapie ou encore la chimiothérapie font
partie de l'arsenal thérapeutique possible. Cependant, le pronostic dépend principalement de la
résécabilité de la tumeur ainsi que des comorbidités du patient pouvant limiter les possibilités de
traitement. La chirurgie d'exérèse s'associe fréquemment à des techniques de reconstructions qui
ont comme objectif de restituer les fonctions de phonation, de déglutition et de respiration et de
limiter les séquelles esthétiques. Souvent diagnostiqués à un stade tardif, le pronostic de ces
tumeurs reste mauvais malgré les progrès thérapeutiques et les efforts croissants de prévention.
Le profil des patients alcoolo-tabagiques échappant au circuit médical, le taux élevé de récidive
ainsi que la fréquence des secondes localisations expliquent en grande partie l'absence d'amé-
lioration de la survie depuis de nombreuses années.
Key points
Oral cancer: Risk factors and management
Oral cavity is the most frequent anatomical subsite of upper aero-digestive tract malignancies.
Squamous cell carcinoma is the most common histological type and totalizes more than 95% of
http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2017.01.004
© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
LPM-3266
Pour citer cet article : Paré A, Joly A. Cancers de la cavité buccale : facteurs de risque et prise en charge. Presse Med. (2017),
http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2017.01.004
A. Paré, A. Joly
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oral cancer. Main risk factors are tobacco and alcohol exposure and also potentially malignant
lesions. These precancerous lesions are a chronic disease of oral mucosa and are responsible for
about 20% of oral cancer. The treatment of oral cancer depends on clinical, radiological and
endoscopic staging and according to the multidisciplinary tumor board decision. Indeed, tumor
staging gives information about loco-regional and metastatic spread. Treatment can include
surgery, radiation therapy and chemotherapy. However, the prognostic mainly depends on tumor
resectability and patient comorbidities. Tumor removal is often associated with reconstruction
procedures in order to restore phonation, swallowing and breathing functions with acceptable
aesthetic outcomes. The usual delayed diagnosis explains the poor prognostic of oral cancer in
spite of prevention attempt and therapeutic improvement. Indeed, the profile of tobacco and
alcoholic patients outside of medical system, the high rate of recurrence and the frequency of
second primary malignancies explain the stable incidence for years.
Anatomie et sous-localisations des cancers que la pointe. La « zone de jonction » est une zone frontière se
de la cavité buccale situant entre la langue mobile et la base de langue. La base de
La cavité buccale est une dénomination anatomique large langue ne fait pas partie de la cavité buccale au sens strict. Elle
regroupant plusieurs sous-localisations (figure 1). Elle comprend constitue une partie de l'anneau lymphoïde de Waldeyer avec
les régions allant des arcades dentaires jusqu'à la jonction avec les amygdales et appartient à l'oropharynx ;
le plancher buccal est la seconde localisation la plus fréquente
l'oropharynx. Elle inclut également la face interne des joues, les
lèvres muqueuses et le vestibule correspondant à la muqueuse et représente 20 à 30 % des CCB. Il regroupe les régions
située entre les arcades dentaires et la face interne des joues et latérales et une partie antérieure. Il est délimité latéralement
de lèvres. Par conséquent, l'examen clinque de la cavité buccale par le sillon pelvi-gingival et médialement par le sillon pelvi-
nécessite une palpation et une inspection en déplissant la lingual ;
les autres localisations moins fréquentes sont les lèvres
muqueuse de nombreux sillons anatomiques.
Les principales localisations des cancers de la cavité buccale muqueuses avec une nette prédominance de la lèvre infé-
(CCB) sont [1] : rieure, la face interne des joues, la commissure intermaxillaire,
la langue mobile qui totalise 20 à 30 % des cas. Elle comprend les gencives ou le palais dur (figure 2). Le palais dur ou palais
une face dorsale et une face ventrale, les bords latéraux ainsi osseux appartient également à la cavité buccale
Figure 1
Sous-localisations anatomiques de la cavité buccale (Collection Dr A. Paré, CHU de Tours)
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Figure 2
Carcinome épidermoïde de la gencive maxillaire (A), de la gencive mandibulaire (B) et du palais dur (C) (Collection Dr A. Paré et Dr
M. Samimi, CHU de Tours)
contrairement au palais mou communément appelé voile du 20 ans. La survie relative à 5 ans et de l'ordre de 35 % chez
palais qui constitue la partie supérieure et antérieure de l'homme et de 50 % chez la femme. Cette stabilité est à mettre
l'oropharynx. en parallèle avec la persistance de l'exposition chronique au
tabac et à l'alcool ainsi que la difficulté de suivi médical régulier
Épidémiologie chez des patients possédant fréquemment des comorbidités [3].
Incidence et survie
À l'échelle mondiale, les dernières données d'incidence et de Histologie
mortalité de l'International Agency for Research on Cancer Les carcinomes épidermoïdes représentent la très grande majo-
(IARC) rapportaient 300 000 nouveaux cas et 145 000 décès rité des CCB et totalisent plus de 95 % des cas [3]. En cas de
par an [2]. dégénérescence maligne, les lésions précancéreuses sont éga-
La dernière étude épidémiologique en France relatée par l'InVS lement responsables de ce même type histologique.
remonte à 2007 [1]. Parmi les autres les tumeurs épithéliales, les carcinomes glan-
Avec environ 7000 nouveaux cas et 1750 décès annuels, les CCB dulaires comme les adénocarcinomes et les carcinomes adé-
sont la première localisation des cancers des VADS (35 %) et noïdes kystiques sont beaucoup plus rares. Développées aux
sont responsables de 1,2 % des décès par cancer. L'âge moyen dépens de glandes salivaires accessoires, l'évolution est en
au diagnostic est 60,3 ans chez les hommes et de 64,1 ans chez générale plus lente et paucisymptomatique. La localisation
les femmes. L'augmentation de l'incidence chez les femmes est palatine est fréquente et explique l'envahissement osseux
une donnée observée depuis plusieurs années avec notamment habituel.
une augmentation du taux d'incidence de 51,7 % entre 1980 à Les tumeurs non épithéliales comme les sarcomes (ostéosar-
2005. A contrario, une diminution chez les hommes de 43,2 % a comes ou rhabdomysarcomes principalement) sont également
été observée durant cette même période. Cette tendance tra- des cancers rares de la cavité buccale et touchent en général des
duit principalement l'augmentation de la consommation taba- patients plus jeunes. D'autres sous-groupes histologiques
gique par les femmes [1,3]. Cependant, le sex-ratio homme/ comme les mélanomes muqueux ou encore les hémopathies
femme de 4,9 montre toujours une nette prédominance sont également décrits mais restent exceptionnels.
masculine.
Les données épidémiologiques montrent également une dis- Facteurs de risques
parité géographique avec un taux d'incidence plus élevé dans Éthylo-tabagisme
les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et du Doubs et plus L'association du tabac et d'alcool est de loin le facteur de risque
particulièrement chez les hommes. Ces données reflètent pro- principal. Pour le tabac, le risque de développement de CCB
bablement le gradient nord-sud classique de l'éthylisme chro- augmente avec la durée d'exposition et plus particulièrement
nique plus important dans la moitié nord de la France. à partir 20 paquets années [3]. Inversement, après 20 ans
Par ailleurs, les efforts de prévention et les progrès techniques d'arrêt, le risque n'est plus significativement différent des per-
dans la prise en charge des CCB (imagerie, techniques de sonnes non fumeuses. Le tabac à chiquer est également un
reconstruction, radiothérapie par modulation d'intensité) ont facteur carcinogène avec notamment l'adjonction de bétel qui
permis d'améliorer les séquelles post-thérapeutiques mais sans donne des localisations préférentiellement au niveau de la face
retentissement sur la survie qui reste stable depuis plus de interne des joues ou des lèvres.
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A. Paré, A. Joly
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Figure 3
Leucoplasie homogène du bord latéral de la langue à droite (A). Leucoplasie inhomogène de la face interne de joue à droite (B)
(Collection Dr M. Samimi, CHU de Tours)
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Figure 4
Lichen plan étendu de la face interne de joue (A) et du bord latéral de la langue (B) (Collection Dr M. Samimi, CHU de Tours)
La leucoplasie proliférative verruqueuse desquamatif réactionnel évolue ensuite vers une hyperkératose
Anciennement appelée papillomatose orale floride, c'est une fissuraire (figure 6). Principalement localisée au niveau de la
lésion rugueuse mais souple à la palpation qui touche préfé- lèvre inférieure, ce type de lésion apparaît en général après
rentiellement le sujet âgé (figure 5). L'aspect peut aller d'un 45 ans. Le traitement repose sur l'arrêt du tabac et d'une exérèse
simple papillome bénin jusqu'au placard papillomateux étendu. en cas de persistance lésionnelle (vermillonectomie).
Son évolution en carcinome verruqueux voire en carcinome
épidermoïde infiltrant est quasi systématique. Le traitement Human papilloma virus (HPV)
par exérèse itérative est en général nécessaire. La guérison Le rôle carcinogène de l'HPV 16 et 18 dans le développement de
est rare est difficile. certains cancers des VADS est désormais admis [8]. En effet, 15 à
20 % des cancers des VADS touchent des adultes jeunes non
L'érythroplasie
buveurs non fumeurs pouvant être en lien avec une infection par
L'érythroplasie touche en général le sujet âgé et se caractérise
l'HPV. L'incidence des infections HPV dans les cancers des VADS
par une plage veloutée, rouge brillant, uniforme, à limites
est d'ailleurs inversement proportionnelle à la consommation
nettes, souvent très étendue et indolore. Le risque de dégéné-
alcoolo-tabagique [9]. Cependant, le rôle de l'HPV dans les CCB
rescence de ce type de lésion est élevé et implique l'exérèse
ne semble concerner qu'une minorité des cas. L'étude de
quand elle est possible.
l'expression de la protéine P16 ou celle des transcrits des
La kératose actinique labiale oncogènes E6 et E7 sont le gold standard actuels pour détecter
Également appelée chéilite actinique, elle est secondaire à l'ex- l'infection par HPV. Le nombre de CCB lié à l'HPV semble au final
position solaire ainsi qu'au tabagisme. Son aspect initial très restreint et semble ne concerner qu'une très faible
Figure 5
Leucoplasie profilérative verruqueuse du vestibule inférieur gauche (A). Dégénérescence en carcinome verruqueux (B) (Collection Dr
M. Samimi, CHU de Tours)
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A. Paré, A. Joly
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Figure 7
Figure 6 Carcinome épidermoïde de la gencive mandibulaire droite étendu
Kératose actinique labiale inférieure avec un foyer de carcinome à la commisure intermaxillaire (Collection Dr A. Paré, CHU de
épidermoïde in situ paramédian à droite (Collection Dr A. Paré, Tours)
CHU de tours)
Présentation clinique
Dans la majorité des cas, le développement des CCB se fait après
l'évolution d'une dysplasie en carcinome in situ évoluant ensuite
vers un carcinome épidermoïde infiltrant. La présentation habi-
tuelle est celle d'une lésion ulcérée, bourgeonnante, saignant
au contact avec une induration péri-lésionnelle correspondant
à l'infiltration sous-muqueuse de la tumeur (figure 7). L'aspect
peut parfois être trompeur notamment dans les formes nodu-
laires peu ulcérées ou celles principalement sous-muqueuses.
Dans les localisations gingivales ainsi que du palais ou de la
commissure intermaxillaire, l'atteinte osseuse est souvent pré-
coce de par la contiguïté anatomique. En portion dentée,
l'atteinte osseuse peut être responsable de mobilité dentaire
Figure 8
voire de déchaussement.
Niveaux des aires ganglionnaires cervicales (Collection Dr
Un trismus peu parfois être présent. Il traduit l'infiltration des
A. Paré, CHU de Tours)
muscles masticateurs (ptérygoïdiens médiaux) principalement I : sub-mento-mandibulaire ; IA : sub-mental ; IB : sub-mandibulaire ; II : jugulo-
dans les localisations de la commissure intermaxillaire ou du carotidien supérieur ; IIA : sous-digastrique ; IIB : rétro-spinal ; III : jugulo-caratidien
plancher buccal postérieur. moyen ; IV : jugulo-carotidien inférieur ; V : triangle postérieur ; VI : cervical antérieur.
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carences nutritionnelles ainsi que les pathologies cardiovascu- qu'une éventuelle localisation pulmonaire. L'analyse de l'infil-
laires sont à dépister systématiquement en vue des traitements tration des tissus mous est cependant limitée et moins fine que
potentiels (chirurgies lourdes, radio-chimiothérapie). l'imagerie par résonance magnétique (IRM). Les artefacts den-
taires (prothèses métalliques) gênent habituellement l'inter-
Bilan préthérapeutique prétation et peuvent parasiter la qualité de l'image ainsi que
L'objectif du bilan pré-thérapeutique est de confirmer le la délimitation de la tumeur.
diagnostic, de déterminer le stade local, l'extension régionale IRM
et à distance et d'évaluer les comorbidités du patient. Ce bilan L'IRM est un examen permettant une analyse plus fine des tissus
permet ensuite d'évaluer de façon collégiale en réunion de concer- mous que le scanner. Cependant, le délai plus long relègue
tation pluridisciplinaire (RCP) les possibilités thérapeutiques. encore l'l'IRM à un examen de seconde intention. Les acquisi-
Une biopsie initiale est indispensable pour confirmer le sous- tions en pondération T1 avec et sans injection de Chélate de
type histologique de la tumeur. Elle peut être réalisée préco- gadolinium et T2 permettent une analyse plus précise de la
cement en cabinet de consultation sous anesthésie locale ou délimitation de la tumeur ainsi que son extension locale. L'IRM
lors de la panendoscopie. La biopsie doit être réalisée préfé- est particulièrement informative sur les tumeurs de la langue ou
rentiellement en périphérie de l'ulcération au niveau de l'indu- du plancher buccal (figure 9). C'est également un examen de
ration. Cela permet d'éviter d'envoyer un tissu nécrotique plus qualité pour rechercher une infiltration de la médullaire osseuse
difficile à analyser pour le médecin anatomo-cytopathologiste. mandibulaire [14]. Cet examen permet aussi d'évaluer l'atteinte
Une fois le diagnostic confirmé, le bilan d'extension comprend ganglionnaire cervicale. L'IRM est par conséquent un excellent
les éléments suivants. examen d'exploration locorégional et permet de compléter le
Une panendoscopie des VADS scanner cervicofacial.
La panendoscopie des VADS est l'examen qui permet d'évaluer PET scan
le stade local de la tumeur. Elles est indiquée pour les carcino- Le PET scan est l'imagerie métabolique utilisée en cas de suspicion
mes épidermoïdes. C'est un examen court, sous anesthésie de maladie métastatique [15]. L'utilisation de 18F-FDG révèle les
générale qui donne des informations parfois difficile à obtenir foyers hyper-métaboliques potentiellement tumoraux. Cet exa-
en cas de douleur ou de trismus lors de l'examen clinique. Cet men ne permet pas une analyse fine de l'infiltration locale de la
examen permet ainsi d'évaluer la topographie précise de la tumeur mais son excellente spécificité classe cet examen devant
lésion, son extension et le degré d'infiltration des tissus voisins. le scanner ou l'IRM pour la recherche de localisations métastati-
La panendoscopie a également comme objectif de dépister des ques [16]. L'intérêt et les indications sont donc multiples. Cet
lésions synchrones des VADS incluant l'oropharynx, l'hypopha- examen permet de dépister les adénopathies cervicales ou les
rynx, le larynx et la partie proximale de l'œsophage. Des biop- métastases à distance (pulmonaire, hépatique) mais également
sies peuvent être réalisées dans le même temps à but une éventuelle seconde localisation synchrone des VADS. Devant
diagnostique ou pour confirmer une éventuelle deuxième loca- le fort potentiel métastatique des CCB, le PET scan est indiqué dans
lisation des VADS. Des photographies ainsi qu'un schéma sont les tumeurs volumineuses ( T3) ou lors de l'atteinte ganglion-
reportés dans le dossier en vue de la RCP. naire multiples ( N2b). Le délai de cet examen étant court, il ne
En cas d'éthylisme chronique, une fibroscopie œso-gastro-duo- retarde en pas en général la prise en charge.
dénale est recommandée. Elle permet une exploration Classification clinico-radiologique
complète de l'œsophage et le dépistage des lésions synchrones Les données cliniques et d'imagerie permettent de donner un
de la partie proximale du tube digestif. La réalisation d'une stade à la maladie selon classification TNM de l'Union for Inter-
fiboscopie bronchique chez les fumeurs peut également être national Cancer Control (UICC) (tableau I). Cette classification
réalisée. Cependant, il n' y a pas clairement de recommandation pronostique reflète notamment la résécabilité de la tumeur
actuelle en France sur l'intérêt de réaliser d'emblée cet examen ainsi que son statut métastatique.
de par la rareté d'une lésion synchrone bronchopulmonaire [12].
Bilan dentaire
Imagerie Un bilan dentaire est réalisé pour éradiquer les foyers infectieux
Le scanner fréquemment retrouvés chez les patients alcoolo-tabagiques. La
Le scanner cervicofacial et thoracique est l'imagerie à réaliser en persistance de délabrement dentaire expose au risque d'ostéo-
première intention [13]. Son délai rapide permet d'évaluer radionécrose (ORN) des mâchoires en cas d'irradiation. Ce bilan
l'envahissement locorégional et à distance. L'injection d'iode permet la réalisation de soins dentaires et la prise d'empreinte
et les coupes millimétriques permettent d'explorer l'extension pour la confection de gouttières fluorée. Ces gouttières fluorées
tumorale au niveau des tissus voisins. Le scanner est l'examen seront appliquées quotidiennement au long court en cas de
de choix pour dépister une lyse osseuse corticale. Cet examen radiothérapie pour limiter le risque de survenue d'ORN des
informe également sur le statut ganglionnaire cervical ainsi mâchoires.
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A. Paré, A. Joly
Mise au point
Figure 9
Apport de l'IRM dans la délimitation tumorale
Coupe coronales et axiales d'un scanner (A) et d'une IRM (B) pour un carcinome épidermoïde pelvi-glosso-gingival gauche (Collection Dr A. Paré, CHU de Tours).
SM : sinus maxillaire ; LM : langue mobile ; M : mandibule ; PB : plancher buccal ; CE : carcinome épidermoïde.
Mise au point
TABLEAU I
Classification TNM des cancers de la cavité buccale
T Tumeur primitive
T1 Tumeur 2 cm
T3 Tumeur > 4 cm
T4a Cancer de la cavité orale : envahissement de l'os cortical, des mucles extrinsèques de la language,
du sinus maxillaire ou de la peau du visage
Cancer de la lèvre : envahissement de l'os cortical, du nerf alvéolaire inférieur, du plancher buccal ou de la peau du visage
T4b Tumeur envahissant l'espace masticateur, les apophyses ptérygoïdes, la base du crâne ou englobant l'artère carotide interne
N Ganglions lymphatiques régionaux
ou la respiration. Les conséquences esthétiques peuvent éga- xérostomie, la dysgueusies, les caries dentaires ou encore le
lement être majeures. trismus.
Par conséquent, la chirurgie réparatrice est souvent nécessaire L'indication de radiothérapie postopératoires est systématique-
et associée dans le même temps que l'exérèse. Elle permet de ment discutée en RCP. Elle peut être réalisée sur le site tumoral
restituer au mieux la ou les fonctions altérées liées aux pertes de ainsi que sur les aires ganglionnaires cervicales selon le stade de
substance muqueuses, musculaires ou osseuses. Les techniques la maladie. La radiothérapie est principalement indiquée dans
de reconstruction peuvent aller du simple lambeau local au les tumeurs volumineuses classées histologiquement pT3 ou
transplant libre micro-anastomosé (figure 10). pT4, en cas d'envahissement ganglionnaire, de présence
d'emboles vasculaires et/ou d'engainements périnerveux et
Radiothérapie en cas d'exérèse courte (< 5 mm).
La radiothérapie peut être indiquée pour les patients inopéra- La radio-chimiothérapie concomitante (RCC) postopératoire
bles ou en postopératoire. Les progrès de ces dernières années peut également être réalisée. Le cisplatine (sels de platine)
reposent principalement sur la diminution des séquelles post- reste le traitement systémique standard dans la RCC postopé-
radiques via la radiothérapie conformationnelle ou plus récem- ratoire. La rupture capsulaire ganglionnaire ainsi qu'une résec-
ment la radiothérapie par modulation d'intensité (IMRT). Ces tion tumorale incomplète sont des critères formels de RCC.
techniques permettent une diminution de l'irradiation des D'autres facteurs péjoratifs comme les emboles vasculaires
tissus sains péri-tumoraux ainsi que des séquelles comme ou les engainements périnerveux peuvent également faire
l'ostéoradionécrose maxillo-mandibulaire, les mucites, la discuter une RCC postopératoire.
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A. Paré, A. Joly
Mise au point
Figure 10
Mandibulectomie interruptrice (A) pour un carcinome épidermoïde gingival mandibulaire (B)
Reconstruction par lambeau libre de fibula (C) (Collection Dr A. Paré, CHU de Tours).
La radiothérapie exclusive est également utilisée pour les ou de patient fragile, un anticorps monoclonal ciblant le récep-
tumeurs non résécables ou les patients inopérables. Elle peut teur de l'EGF (cétuximab, ERBITUX®) peut également être asso-
être associée à de la chimiothérapie en cas d'atteinte ganglion- cié à la radiothérapie [17].
naire si les comorbidités et l'état général du patient le En cas rechutes inopérables ou métastatiques, la chimiothérapie
permettent. palliative de première ligne associe sels de platine-cétuximab-
La curiethérapie garde quelques indications dans les CCB. Elle 5 FU (protocole EXTREME) [18] ou docétaxel, cétuximab, sels de
peut être proposée en cas de petites tumeurs de la lèvre (T1 et platine (protocole TPEX) [19]. En cas de contre-indications ou de
T2) et montre une efficacité proche de la chirurgie avec une chimiothérapie de deuxième ligne, le méthotrexate ou le pacli-
rançon esthétique de très bonne qualité. La curiethérapie peut taxel (TAXOL®) peuvent être utilisés.
également être une alternative à la chirurgie en cas de petites La chimiothérapie préopératoire dite d'induction n'a pas d'indi-
tumeurs superficielles (T1 et T2) de la face interne de joue ou de cation validée dans les CCB ou avant un traitement par RCC. Elle
la langue mobile. peut être discutée en cas de maladie agressive rapidement
évolutive (T et N). Préférentiellement réalisée chez le sujet
Chimiothérapie est jeune et sans comorbidité, elle repose sur 3 cures de
La chimiothérapie peut être proposée à visée curative en asso- docétaxel, cisplatine, 5 FU (TPF).
ciation à la radiothérapie ou seule à visée palliative.
En cas de chimiothérapie concomitante à une radiothérapie Surveillance et prévention
exclusive, l'association de sels de platine (cisplatine ou carbo- Les CCB nécessitent une surveillance de par le risque important
platine) et de 5 fluoro uracile (5 FU) est recommandée. En cas de de récidive ou de seconde localisation des VADS. En effet, le taux
contre-indication à la chimiothérapie à base de sels de platine de récidive locale à 5 ans est de l'ordre 20 à 30 %, celui de
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Mise au point
récidive ganglionnaire autour de 20 % et celui de métastase Conclusion
à distance de 5 à 10 %. Se surajoute le risque de cancer Les cancers de la cavité buccale sont les tumeurs malignes les plus
métachrone qui est évalué de 15 à 20 % à 5 ans [3]. fréquentes de VADS et sont majoritairement représentés par les
Habituellement, un contrôle clinique est réalisé tous les 3 mois carcinomes épidermoïdes. L'intoxication alcoolo-tabagique reste
pendant 2 ans où le risque de récidive est maximum, puis le principal facteur de risque mais le développement chez des
espacé à tous les 6 mois les 3 années suivantes. Au-delà patients pouvant être non buveurs/non fumeurs à partir de
de 5 ans et en l'absence de récidive, une surveillance lésions précancéreuses préexistantes représente près de 20 %
annuelle au long court est à discuter d'autant plus si le sevrage des cas. Le bilan clinique, endoscopique et radiologique permet de
alcoolo-tabagique n'est pas acquis. Une consultation en odon- définir le stade de la maladie ainsi que le plan thérapeutique. Le
tologie est également à prévoir tous les 6 mois. Elle permet la pronostic des CCB repose principalement sur la résécabilité de la
réalisation des soins dentaires et la surveillance de l'apparition tumeur. Pour les tumeurs localement avancées, la radio-chimio-
de foyer d'ostéoradionécrose. thérapie concomitante est proposée seule ou en post opératoire.
Un contrôle radiologique annuel est également recommandé et Cependant le taux élevé de récidive ou de seconde localisation
repose sur la réalisation d'un scanner cervicofacial et thoracique des VADS explique le mauvais pronostic des CCB. Les progrès
injecté. thérapeutiques viendront probablement des thérapeutiques asso-
Parallèlement, la prévention secondaire repose sur le sevrage ciées et notamment des thérapies moléculaires ciblées.
alcoolo-tabagique. Même si son obtention est difficile elle per-
met de diminuer progressivement le risque de récidive ou de Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
nouvelle localisation. liens d'intérêts.
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