Vous êtes sur la page 1sur 3

Thème du mois

L’hygiène dans les hôpitaux, un exemple de gestion de la qualité


L’hygiène hospitalière joue un rôle
important dans la sécurité des
patients et le système de santé.
Son but consiste principalement à
mesurer et à réduire les formes
larvées d’infection endémique,
ainsi qu’à diagnostiquer, étudier
et endiguer les épidémies. Le
groupe Swissnoso a lancé cette
année une initiative – qui s’est
avérée une réussite – en faveur de
la sécurité des patients dans les
services stationnaires d’un ré-
seau de 116 hôpitaux répartis
dans toute la Suisse. Rien qu’en
améliorant la propreté des mains,
il a été possible d’éviter environ
17 000 infections et d’économiser
L’hygiène des mains est une mesure simple et la plupart du temps sous-estimée contre les infections nosocomiales. Sa
60 millions de francs. mise en pratique systématique s’est accrue de 25% en l’espace de quatre mois. Photo: Sax

1 Du grec *nosos, maladie, et *komein, soins hospitaliers.


L’hygiène hospitalière – que les anglopho- pourra intervenir rapidement dans les proces-
nes appellent plus correctement «infection sus de décision.
control» – est une forme particulière de la
gestion de la qualité, qui s’attache à prévenir
Les infections contractées
les infections liées aux soins médicaux. La
en milieu hospitalier ont un coût
notion d’infection «nosocomiale»1 reflète
l’interprétation moderne du phénomène et Grâce aux enquêtes du groupe Swissnoso
renvoie à une infection liée à toute forme de (voir encadré 1), nous savons que dans les hô-
soins médicaux, ce qui va plus loin que la no- pitaux suisses de soins aigus, 2 à 14% des pa-
tion populaire d’«infection hospitalière». tients (selon la taille de l’établissement) con-
La Suisse ne connaît pas de dispositions tractent une infection nosocomiale. Par
légales astreignant les hôpitaux à se doter de extrapolation, on estime donc que 70 000 pa-
divisions d’hygiène hospitalière. La plupart tients sont ainsi infectés chaque année. Il en
des hôpitaux emploient, cependant, du per- résulte des coûts supplémentaires de 240 mil-
sonnel spécialisé, même si les effectifs diffèrent lions de francs et une prolongation du séjour à
suivant les établissements: il peut s’agir d’une l’hôpital de 300 000 journées. Le calcul des
simple soignante, à qui l’on assigne une tâche surcoûts se fonde sur une moyenne prudente
supplémentaire, d’équipes interdisciplinaires de 3500 francs supplémentaires par infection.
composées d’infectiologues et épidémiologis- Certaines d’entre elles peuvent être graves et
tes comme responsables, de microbiologistes, entraîner des traitements de l’ordre de plu-
d’informaticiens ou de personnel soignant sieurs milliers de francs. Si l’on applique un
ayant suivi une formation spéciale offerte en forfait par cas, ces surcoûts représentent une
Suisse. Il faudrait en fait un médecin diplômé charge directement perceptible par les pres-
Dr Hugo Sax responsable par hôpital et un hygiéniste pour tataires de soins.
Médecin adjoint , Swiss- 125–250 lits, selon l’établissement. L’impor- À des fins de surveillance, les infections
noso et Service préven-
tion et contrôle de l’infec-
tant est que, dans la hiérarchie hospitalière, sont classées en 13 groupes définis selon des
tion, Hôpitaux universi- l’équipe soit rattachée à l’état-major directo- critères objectifs élaborés en 1988 par les
taires de Genève rial. Ainsi, grâce à sa position transversale, elle «Centres for Disease Control and Prevention»

17 La Vie économique Revue de politique économique 12-2006


Thème du mois

Encadré 1 (centres américains de contrôle et de préven- rents. Une grande partie d’entre eux ont été
tion des maladies). Les quatre principales ca- identifiés pour certaines infections; celles-ci
L’activité de Swissnoso
tégories – celles qui totalisent plus de 80% des présentent aujourd’hui un meilleur potentiel
L’activité de Swissnoso comprend des con-
cas – sont: de prévention que les autres. Parmi ces risques
seils à l’Office fédéral de la santé publique − les infections des voies urinaires; importants mais définis, citons les interven-
(OFSP) dans des domaines tels que la dange- − celles liées aux interventions chirurgicales; tions chirurgicales et la mise en place de corps
rosité de la nouvelle variante de la maladie de − les pneumonies; étrangers. Pour les infections urinaires, ce sera
Creutzfeldt-Jakob, le sras, la grippe aviaire et
la pandémie imminente de grippe, l’édition − les infections sanguines (bactériémies). le cathéter urinaire, pour l’infection chirurgi-
d’un bulletin trimestriel comprenant des di- cale l’acte opératoire, et pour les bactériémies
rectives nationales, et des cours d’instruc- Ces dernières connaissent un fort taux de l’accès aux veines centrales. La majorité des
tion. Le groupe dirigé par l’auteur a mesuré
mortalité (environ 20% des cas), alors que les infections contractées pendant une interven-
plusieurs infections nosocomiales dans toute
la Suisse, ce qui a permis de chiffrer l’ampleur infections urinaires guérissent en général sans tion proviennent de germes que le patient
du problème. Un réseau destiné à faciliter le problème après traitement aux antibiotiques. portait déjà en lui ou sur lui. Ces derniers peu-
transfert des connaissances des centres uni- vent, d’ailleurs, lui avoir été transmis quelques
versitaires vers les hôpitaux périphériques a,
jours plus tôt faute d’hygiène des mains de la
dès lors, été constitué. Un double facteur de risque
part du personnel. Si ces germes présentent, en
Pour plus d’informations et la liste des L’état de santé du patient et de ses défenses outre, une résistance aux antibiotiques typi-
membres, taper www.swiss-noso.ch. immunitaires représente un premier facteur de que des hôpitaux, le succès de la thérapie peut
risque. Les maladies chroniques comme le être menacé.
diabète, le cancer ou le sida accroissent la sen-
sibilité aux infections. Il en va de même des
Agir tout en approfondissant
états aigus comme les polytraumatismes où
les recherches
plusieurs organes sont atteints à la suite d’un
grave accident ou d’une infection contractée La qualité déterminante d’un traitement
en dehors de l’hôpital. dépend, d’une part, d’une procédure précise
Le risque d’infection dépend également de et aseptique lors des interventions, de l’autre
la qualité des soins médicaux en général et de la d’un recours modéré et ciblé aux antibio-
stratégie de prévention en particulier. Les divers tiques et aux techniques invasives. Il est, certes,
facteurs en jeu suivent le modèle proposé dès nécessaire d’approfondir les recherches sur
1966 par Donabedian, qui distingue entre la la cause des infections et leur prévention. Il
qualité des structures, des procédures et des faut, cependant, reconnaître qu’entre les con-
résultats. Celui-ci intègre également des élé- naissances scientifiques déjà disponibles et
ments structurels comme le degré de forma- leur mise en œuvre dans la routine hospita-
tion et l’organisation de l’équipe interdiscipli- lière, il y a encore un gouffre à combler.
naire, l’architecture de l’hôpital, la qualité des La répartition des risques entre patient et
produits désinfectants et des instruments, traitement pose directement la question de la
ainsi que la présence, la qualité et l’accessibi- réduction maximale des infections nosoco-
lité de protocoles thérapeutiques. Une étude2, miales. En passant en revue toutes les études
réalisée dans les années septante, a démontré publiées à ce sujet, nous avons trouvé un po-
que la présence d’un médecin responsable et tentiel de réduction de 20%, dans une four-
d’un ou une soignante diplômée était un élé- chette allant de 10 à 70%. Un travail tout ré-
ment d’hygiène hospitalière propre à réduire cent annonce cependant la réduction à zéro,
le nombre des infections nosocomiales. L’er- pendant plusieurs mois, des dangereuses bac-
gonomie des structures (au sens le plus large) tériémies dues à la pose de cathéters. Ce résul-
a un impact direct et très marqué sur la qualité tat a manifestement été possible grâce au
des prestations du personnel hospitalier. La contrôle rigoureux, à chaque mise en place, de
conception moderne du traitement des er- toutes les stratégies de préventions connues.
reurs implique aussi qu’on analyse les facteurs On peut donc espérer une baisse progressive
qui ont abouti à l’erreur «humaine» d’un col- des taux tolérables d’infection après de nou-
laborateur. Dans le même esprit, l’hygiène velles recherches sur les facteurs de risque et
hospitalière actuelle tire les leçons de la psy- une application davantage ciblée de procédu-
chologie du comportement et de l’ergonomie res aménagées.
pour améliorer les protocoles thérapeutiques,
les produits médicaux et l’environnement
Mesurer la qualité de la prévention
hospitalier dans le sens de la sécurité.
des infections
Pour mesurer la qualité de la prévention
Les spécificités des infections
des infections, on peut se référer soit:
nosocomiales
− aux résultats, c’est-à-dire le taux d’infec-
Une des particularités des infections noso- tion;
2 «Study on the Efficacy of Nosocomial Infection Control»
comiales est qu’elles naissent souvent de la − aux procédures, c’est-à-dire l’application
(Senic). conjonction de plusieurs facteurs très diffé- effective des mesures préventives.

18 La Vie économique Revue de politique économique 12-2006


Thème du mois

Encadré 2 En Suisse, contrairement aux autres pays ves, l’antibiotique doit toujours être adminis-
européens, il n’y a pas de prescriptions légales tré exactement une demi-heure avant l’inci-
Swiss Hand Hygiene Campaign
explicites qui astreignent les établissements sion.
5 moments pour l’hygiène des mains sanitaires à mesurer les infections nosocomia-
1. Immédiatement avant de toucher un les. Or cette disposition est souvent considérée
patient.
La campagne d’amélioration de l’hygiène
comme la première étape de toute prévention.
2. Immédiatement après avoir touché un des mains
Il a même été démontré à diverses reprises que
patient.
3. Immédiatement avant un geste aseptique. communiquer confidentiellement les taux Étant donné la constance du taux d’infec-
4. Immédiatement après exposition à des d’infection aux collaborateurs impliqués pro- tion des dernières années, le groupe Swissnoso
liquides biologiques. voquait une réduction des infections sans a décidé de lancer une campagne pour amélio-
5. Immédiatement après tout contact avec
l’environnement proche d’un patient.
même qu’aucune mesure n’ait été prise. rer l’hygiène des mains (voir encadré 2). Il
La mesure des infections nosocomiales s’agit là d’une mesure simple et la plupart du
6 stratégies pour promouvoir l’hygiène pose, toutefois, deux problèmes fondamen- temps sous-estimée contre les infections no-
des mains (modèle genevois) taux. L’un tient paradoxalement à leur relative socomiales. Elle se fonde sur l’application
1. Soutien visible et durable de la part de la
direction de l’établissement.
rareté, qui fait que, sur une année, les chiffres fréquente et ciblée d’une solution désinfec-
2. Mise à disposition de la solution hydro- fournis par un hôpital de 200 lits ou moins ne tante à base d’alcool. Au total, 116 hôpitaux
alcoolique à proximité immédiate de cha- sont guère utilisables en statistique, alors que répartis dans toute la Suisse y ont pris part.
que lit (distributeur ou flacon de poche). ce serait indispensable pour mieux piloter les La campagne s’inspire du «modèle gene-
3. Consignes écrites facilement accessibles.
4. Formation de chaque collaborateur à systèmes. De surcroît, la surveillance des infec- vois», qui part du constat que seule une straté-
l’application de l’hygiène des mains. tions est une activité absorbante, étant donné gie multi-modale peut modifier un système et
5. Contrôle répété de l’application de que chaque patient doit être évalué plusieurs des comportements. Après une mise au point
l’hygiène des mains et notification des
fois par semaine. Cet unique fait explique laborieuse, il est devenu possible de mesurer
résultats aux collaborateurs.
6. Rappels visuels au lieu de travail. pourquoi ce sont surtout les grands hôpitaux l’hygiène des mains. Les étapes à suivre ont été
qui pratiquent une telle surveillance. décrites de façon simple et frappante. Entre-
Pour plus d’informations, taper L’autre problème vient de ce que, comme temps, la méthode a été reprise dans plusieurs
www.swisshandhygiene.ch.
on l’a vu, les infections dépendent aussi forte- pays et utilisée aussi dans une campagne mon-
ment de l’état du patient. Le taux d’infection diale de l’Organisation mondiale de la santé
d’un hôpital ne reflète donc pas seulement sa (OMS).
qualité en matière de prévention, mais aussi
l’état de santé cumulé des patients traités. Un rapide succès
Or – ironie du sort –, ce dernier est inverse- Les premiers résultats ont été publiés il y a
ment proportionnel à la qualité de l’offre mé- peu. La pratique systématique de l’hygiène des
dicale, car les patients gravement malades ne mains, qui, avant la campagne, n’était prati-
peuvent être, la plupart du temps, traités que quée que dans un ou deux cas, s’est accrue de
Encadré 3
dans des cliniques ou des divisions de pointe. 25% en l’espace de quatre mois. Deux hôpi-
Bibliographie C’est ainsi que, dans les stations suisses de taux mesuraient en même temps le taux d’in-
soins intensifs, le taux d’infection se situe en fection et ont pu annoncer une réduction de
− Sax H., Ruef C. et Widmer AF., «Quality temps ordinaire au-dessus de 25%, alors qu’il 25%. En extrapolant à l’échelle suisse, on
standards for hospital hygiene in inter-
doit être inférieur à 3% dans les services de aurait déjà empêché de la sorte 17 000 infec-
mediate and large hospitals in Switzer-
land: a recommended concept», Swiss maternité. Il est donc patent que cette diffé- tions et économisé 60 millions de francs en
Medical Weekly, 1999; 129(7), p. 276–84. rence ne reflète pas la qualité du traitement, coûts supplémentaires. Le calcul des dépenses
− Haley RW., Culver DH., White JW. et al., mais bien l’état des patients. Or de nos jours, le consenties pour la campagne en cours n’est
«The efficacy of infection surveillance and
risque d’infection lié aux patients ne peut pas pas encore terminé, mais sur la base des chif-
control programs in preventing nosoco-
mial infections in US hospitals», American encore être mesuré de façon fiable et à peu de fres genevois, on peut tabler sur un rapport
Journal of Epidemiology ,1985, 121(2), frais. dépenses/économies de 1 à 100, ce qui fait de
p. 182–205 l’opération une des campagnes les plus réus-
− Harbarth S., Sax H. et Gastmeier P., Une possibilité: mesurer la qualité
«The preventable proportion of nosoco-
sies pour la sécurité des patients suisses traités
des procédures dans le système stationnaire de santé et révèle
mial infections: an overview of published
reports», Journal of Hospital Infection, Mesurer la qualité des procédures est une le potentiel d’un réseau d’hygiène hospitalière
2003, 54(4), p. 258–66; quiz 321. possibilité intéressante, pour autant qu’elle entraîné par un «centre stratégique d’innova-
− Berenholtz S.M., Pronovost P.J., Lipsett
P.A. et al., «Eliminating catheter-related
puisse être liée à des résultats. C’est par exem- tion». 
bloodstream infections in the intensive ple le cas si l’on administre à temps une pro-
care unit», Critical Care Medicine, 2004, phylaxie aux antibiotiques avant une inter-
32(10), p. 2014–20. vention chirurgicale. Si le lien de cause à effet
− Pittet D., Hugonnet S., Harbarth S. et al.,
«Effectiveness of a hospital-wide pro- est prouvé, mesurer la qualité des procédures
gramme to improve compliance with hand comporte de nombreux avantages. Les événe-
hygiene. Infection Control Programme», ments de la procédure étant beaucoup plus
The Lancet, 2000, 356(9238), p.1307–12.
nombreux, on obtiendra rapidement des chif-
− Pittet D., Sax H., Hugonnet S. et Harbarth
S., «Cost implications of successful hand fres utilisables en statistique. En outre, la qua-
hygiene promotion», Infection Control and lité des procédures est presque indépendante
Hospital Epidemiology, 2004, 25(3), du risque lié au patient et se prête donc mieux
p. 264–6.
à un étalonnage: même pour les malades gra-

19 La Vie économique Revue de politique économique 12-2006

Vous aimerez peut-être aussi