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Chapitre 2/ Section 2.

Limites et prolongements de la théorie des


proportions de facteurs :

La théorie des proportions des facteurs a été soumise à des vérifications empiriques et à des
modifications de certaines de ses hypothèses. Elles permettront de rendre compte de ses
limites et serviront à son enrichissement.

2.1. Le paradoxe de Leontief :


Les tests du modèle HOS ont été dominés par les travaux de Wassily Leontief (1905-1999)
qui vont déboucher sur ce que l’on appellera le paradoxe de Leontief. La démarche de l’auteur
a consisté à vérifier que, si les différences de dotations factorielles constituaient le plus
important déterminant des échanges, alors les exportations des Etats-Unis d’Amérique
devaient être relativement intensives en facteur abondant, c’est à dire le capital, et leurs
importations relativement intensives en facteur relativement plus rare, le travail. L’hypothèse
sous – jacente est que les Etats Unis sont relativement abondants en capital.

2.1.1. La méthodologie et les résultats de Léontief (1954):


Afin de vérifier les conclusions du théorème HOS, Leontief va commencer par déterminer les
quantités de capital et de travail contenues dans les exportations américaines en utilisant le
tableau des échanges industriels (TEI) de l’année 1947 qui fournit les coefficients techniques
du capital et du travail pour les différentes branches de l’économie américaine. Leontief
estime également le contenu en travail et capital des substituts d’importations à partir desquels
il déduit le contenu en facteur des importations américaines. Il lui était en effet statistiquement
impossible de déterminer les contenus en facteurs des importations américaines en
provenance de tous les pays du monde. Il choisit donc d’estimer l’intensité factorielle des
importations par l’intermédiaire de celle des fabrications nationales qui leurs sont
substituables, faisant l’hypothèse, conformément au modèle HOS, de l’identité internationale
des techniques de production pour un même produit.

A partir de ces éléments, Leontief (1954) calcule le contenu d’1 million de dollars
d’exportations et d’importations américaines en capital et en travail, et fait apparaître que les
Etats Unis exportent des biens relativement intensifs en travail et importent des biens
1

relativement intensifs en capital1. Leontief conclut que la participation américaine à la


division internationale du travail repose sur une spécialisation caractérisée par des types de
production comprenant relativement plus de travail que de capital. Il s’agit d’un paradoxe par
rapport au résultat qu’on aurait obtenu si la conclusion du modèle HOS était vérifiée : c’est le
paradoxe de Leontief.

Cherchant à expliquer ce résultat, Leontief avance l’idée (sans remettre en cause la loi de
proportion des facteurs) que le travail étant plus efficient aux Etats Unis qu’ailleurs, il
convenait de l’apprécier non pas en volume absolu mais en équivalent – travail étranger. C’est
ainsi qu’il a considéré qu’à combinaison productive et capital donnés, une année de travailleur
américain correspondrait à trois années de travailleur étranger. Cette hypothèse lui a permis
de multiplier par trois les dotations en facteur travail des Etats Unis et de faire apparaître dans
ce pays une dotation en capital relativement plus faible que celle de nombreux pays. Leontief
est parvenu ainsi à contourner son paradoxe, mais en remettant en cause l’hypothèse de la
parité technologique entre les pays.

2.1.2. Critiques de la démarche de Leontief :


Le test et les conclusions de Leontief ont fait l’objet de nombreuses critiques. Celles ci ont
concerné la méthode, le mode de calcul et les hypothèses de départ. On a reproché notamment
à Leontief :
- De ne pas prendre en compte les ressources naturelles qui contribuent à la production
et qui influent sur l’intensité capitalistique des biens produits.
- L’utilisation du TEI qui débouche sur une hypothèse de fixité des coefficients
technologiques à long terme.
- L’appréhension du contenu en facteur des importations par le biais des fabrications
locales substituts aux importations. La raison fondamentale à cette critique est que ces
substituts utilisent des proportions de facteur rare inférieures à celle des produits
importés sans quoi ils ne seraient pas compétitifs.
- -L’appréhension des facteurs capital et travail. Il a notamment été reproché à Leontief
de faire l’hypothèse de l’homogénéité du facteur capital et d’utiliser la version
physique et non pas économique dans l’appréciation de la rareté des facteurs.

1
Leontief, W. (1954) « Domestic Production and Foreign Trade: The American Capital Position Re-Examined »
Economia Internazionale, 3, 3-32
2

En réaction à ces critiques, Leontief avait renouvelé son étude (1956) en introduisant les
éléments ci-après2 :
- Une distinction dans les degrés de qualification du travail,
- L’exclusion de de son échantillon ses industries fortement dépendantes des ressources
naturelles,
- La modification de la manière d’aborder les besoins en capital.

Les résultats obtenus ont été conformes à ceux du premier test et ont relancé l’explication que
Leontief avait avancée le concernant, à savoir que la plus grande productivité du travail
américain semble jouer un rôle décisif dans la détermination de la composition des
exportations et des substituts d’importation des Etats Unis.

L’argument de l’équivalence-travail évaluée à 1 pour 3 en faveur des Etats Unis est cependant
rejeté par un grand nombre d’économistes qui considèrent que cette parité est irréaliste. Pour
d’autres, qui ont cherché des prolongements dans le modèle HOS, l’explication du paradoxe
doit être trouvée dans la remise en cause de certaines des hypothèses du modèle théorique de
base telle que l’homogénéité du facteur travail.

2.2. Les prolongements du modèle HOS :


Ils sont représentés essentiellement par le modèle à facteurs spécifiques et par l’approche dite
néo-factorielle.

2.2.1. Le modèle à facteurs spécifiques :


Le modèle à facteurs spécifiques a été développé par Paul. A. Samuelson en 19713. Ce
modèle est construit sur une différenciation des facteurs basée sur leur caractère spécifique ou
générique. Les facteurs sont dits spécifiques lorsqu’ils ne peuvent pas être utilisés en dehors
de leur propre secteur et génériques quand ils sont mobiles, c’est à dire qu’ils peuvent être
réalloués sans difficulté d’un secteur à un autre.

Supposons par exemple le cas d’une économie simplifiée à deux secteurs, l’agriculture et
l’industrie, et à trois facteurs de production, la terre, le capital industriel et le travail. La terre

2
Wassily Leontief (1956) : « Factor Proportions and the Structure of American Trade: Further Theoretical and
Empirical Analysis », The Review of Economics and Statistics, vol. 38, no 4, p. 386-407
3
Samuelson P. (1971), « Ohlin was right », Swedish Journal of Economics, 73 (4) : 365-384
3

est spécifique au secteur agricole (elle ne peut être utilisée dans l’industrie) et le capital
industriel est spécifique à l’industrie (il ne peut être utilisé dans l’agriculture). Le travail est
en revanche un facteur générique dans ce sens qu’il peut être utilisé dans les deux secteurs et
qu’il peut donc se déplacer d’un secteur à un autre.

Dans ce modèle, ce sont les différences de dotations en facteurs spécifiques qui apparaissent
comme les déterminants de l’échange international et qui permettent aux pays de bénéficier
d’avantages comparatifs sectoriels et de se spécialiser en fonction de ces derniers. Comme le
modèle HOS, le modèle à facteurs spécifiques conclut que :
- La spécialisation est incomplète, la mobilité des facteurs étant limitée par leur
caractère spécifique.
- L’ouverture à l’échange modifie les prix relatifs des biens, donc la pente de la
contrainte budgétaire de l’économie.
- La spécialisation affecte la distribution interne des revenus, favorisant les détenteurs
du facteur spécifique sur la base duquel elle a été construite. Il est démontré en effet
que le commerce international bénéficie au facteur de production spécifique au secteur
exportateur de chaque pays ; qu’il détériore la position du facteur de production
spécifique au secteur concurrent des importations ; et qu’il a des effets ambigus sur le
facteur mobile.

Le modèle à facteurs spécifiques rejette en revanche la thèse de l’égalisation des prix relatifs
des facteurs. Il considère en effet qu’en situation de libre échange, les rémunérations relatives
des facteurs peuvent tout au plus se rapprocher mais non s’égaliser.

2.2.2. L’approche néo-factorielle :


Cette approche a cherché à distinguer dans le facteur travail entre travail qualifié et travail
non qualifié. Cette distinction a été établie de deux manières : en décomposant le facteur
travail selon différents niveaux de qualifications et en considérant que le travail qualifié est le
résultat de la combinaison du capital et du travail non qualifié.
4

2.2.2.1. Décomposition du facteur travail en sous catégories de niveaux de qualifications


distincts :
La distinction dans le facteur travail entre des sous catégories plus ou moins qualifiées a été
développée de façon théorique principalement par Vanek (1968)4 et de façon empirique par
Keesing (1971)5. Les travaux de Vanek ont permis une réinterprétation du théorème
d’Heckscher-Ohlin en remettant en cause l’homogénéité du facteur travail. Il établi en effet
qu’un pays exporte les services de ses facteurs abondants et importe les services de ses
facteurs rares. Ce sont donc les services de facteurs qui sont échangés à travers les produits.
L’auteur conclu que chaque pays exporte le bien relativement plus intensif dans les catégories
de travail relativement plus abondants sur son territoire.

2.2.2.2. La théorie du capital humain :


La théorie du capital humain considère que les investissements réalisés dans le système
éducatif transforment le travail non qualifié en travail qualifié et ajoutent ainsi une valeur
supplémentaire aux flux des services rendus par le facteur travail. Le niveau de qualification
est considéré donc comme entièrement dû à la quantité de capital investit dans l’éducation par
un individu ou par une nation. Cette quantité de capital est appelée capital humain.

Appliquée à l’échange international, cette démarche conduit à énoncer que le pays abondant
en capital exportera les biens intensifs en travail qualifié, alors que le pays dont les
disponibilités en travail qualifié sont rares exportera des biens intensifs en travail non qualifié
(Kenen (1965))6. Cette spécialisation fera que la rémunération du travail qualifié augmente
dans le pays abondant en capital et diminue dans le pays pauvre en capital, ce qui peut se
traduire par une fuite des cerveaux (migration du travail qualifié) du 2ème pays vers le premier.
L’approche néo-factorielle va être à l’origine d’une nouvelle génération de tests empiriques,
enrichis par l’approfondissement de la notion de facteur de production ainsi que par
l’amélioration des données statistiques, et qui vont notamment permettre de dépasser le
paradoxe de Leontief. La prise en compte du capital humain va aboutir à une interprétation
différente des résultats de Leontief en montrant que les exportations américaines sont

4
Jaroslav Vanek (1968) « The factor proportions theory: the N-factor case », Kyklos, Volume21, Issue4,
November 1968, Pages 749-756
5
Donald B. Keesing (1971) : « Different countries' labor skill coefficients and the skill intensity of international
trade flows », Journal of International Economics, vol. 1, issue 4, 443-452
6
Peter B. Kenen (1965) : « Nature, Capital, and Trade », Journal of Political Economy, Vol. 73, No. 5, October,
pp. 437-460.
5

intensives en travail qualifié (ce dernier étant considéré comme le résultat de la combinaison
du travail non qualifié et du capital).

2.2.2.3. Avantages comparatifs dynamiques :


Les dotations en facteurs de production sont le résultat des processus d’accumulation du
capital, d’évolution démographique, de découvertes, de politiques économiques
(investissement en capital humain par exemple),.. etc. Il est donc possible de voir les
avantages comparatifs d’un pays évoluer dans le temps en fonction de l’évolution relative
de ses facteurs de production. Un pays relativement plus abondant en travail par exemple
pourra voir son avantage comparatif évoluer vers des biens intensifs en capital lorsque ce
dernier évolue plus rapidement que le premier.

Ainsi, lorsqu’un pays connait une croissance d’un facteur de production, c’est la production
du bien intensif dans ce facteur qui croit ; le pays obtient ainsi un glissement de son avantage
comparatif en faveur de ce produit. Ce résultat est connu sous le nom de théorème de
Rybczynski7.

7
T. M. Rybczynski (1955) : « Factor Endowment and Relative Commodity Prices » , Economica, vol. 22, no 88,
novembre, p. 336-341

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