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Critique des sources partie 3

L’IMAGE NON-MOBILE AVANT 1800

COURS 1
INTRODUCTION

Dans l’optique de la critique historique, intérêt pour la peinture, sculpture, gravure, avant 1800.
Intégration de représentations figurées dans le cours est une nouveauté. Dans les années 80,
« critique historique » était donné par un historien et traitait seulement de l’utilisation critique de
textes écrits.
Primauté de l’écrit était encore évidente dans la formation en philo et en lettres, c’était considéré
comme normal.
Cette primauté plus ou moins absolue de l’écrit comme source historique allait de pair avec le
contexte pédagogique depuis le secondaire. Ce contexte n’a pas tout à fait changé, dans la
formation actuelle au secondaire, cette primauté est manifeste (nombre d’heures de français vs
histoire de l’art).
Peu de ressources adaptées aux images (projecteurs à diapos), document visuel reste une rareté
dans le secondaire en Belgique francophone.

Cette situation est extrêmement ancienne et il n’est pas difficile de la mettre en relation avec des
traditions qui ont modelé notre culture judéo-chrétienne. Dans le monde gréco-romain, la présence
de la divinité sur terre s’incarne via des statues, des images, conservées dans les temples. Le
contraste est net avec la culture judéo-chrétienne, qui avance que la seule manifestation de la
divinité c’est le livre, l’écrit, qu’il s’agisse de l’Ancien ou Nouveau Testament ou du Coran. Les
religions de la révélation donnent place exclusive aux textes sacrés au dépend de l’image, même la
religion chrétienne qui a produit des images valorisées.
Preuve dans le document ppt, registre supérieur du polyptyque de l’Agneau Mystique des frères Van
Eyck, 1432. Au centre, image de Dieu le Père sous la forme du Christ, à gauche la vierge et à droite
Saint Jean Baptiste. Ces deux derniers sont représentés tenant des livres, qui occupent une place
importante dans l’image, même lorsqu’on donne une image picturale de ces 3 personnages, il
importe de mettre en scène des actes de lecture. Non seulement ça, mais en plus les 3 personnages
sont entourés par des inscriptions. Omniprésence du texte = caractéristique de l’imagerie
chrétienne, vs la gréco-romaine qui en était avare.

Dans ce contexte de texte > image, on peut comprendre que l’enseignement suive ce format.
Primauté des lettres et de l’histoire vs les arts.
Souvent historiquement, les images se limitaient à l’archéologie et l’HdA. La révolution digitale a
permis l’accessibilité des documents visuels au plus grand nombre. Tous les professeurs montrent
maintenant des contenus visuels, pas seulement les professeurs des 2 disciplines citées.
En 2009 ça change, plus seulement critique des documents historiques mais des documents figurés,
on passe à la critique des sources.

Le but sera de définir un document historique figuré vs écrit. Intérêt pour ceux qui se présentent
comment des images qui prétendent reproduire une réalité ancienne donnée. On s’intéressera aussi
à d’autres qui ne se donnent pas comme des documents à priori mais que les historiens d’art peuvent
comprendre comme documents. Quels risques de l’exploitation ?

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CHAPITRE 1 : DOCUMENTS FIGURÉS EXPLICITES

❖ On s’intéressera aux représentations qui, par le biais d’un texte, se présentent comme la
reproduction de quelque chose. Comment ces documents figurés tiennent-ils après une
analyse qui considère le caractère d’image, de fabrication, avec une intention
particulière de ces documents.

➢ Antonius SANDERUS, Flandria illustrata, sive Descriptio comitatus istius per totum
terrarum orbem celeberrimi, III tomis absoluta (Description du très célèbre Comté de
Flandre dans sa totalité en trois tomes), I, Cologne, 1641.
Gravure du 17ème siècle, dans un ouvrage savant publié en 1641 à Amsterdam, contexte des guerres
de religion. Auteur a voulu qu’on dise que l’ouvrage avait été publié à Cologne pour raisons
religieuses. Antonius Sanderus, nom flamand latinisé, Flandria illustrata, la Flandre illustrée,
description en 3 tomes. Titre à rallonge qui annonce de quoi il s’agit. Description historique et
géographique du comté de Flandre.
Cette gravure retient notre attention car elle est accompagnée d’une légende, il s’agit du château de
Middleburg qui appartient à un Duc. Château représenté dans un environnement pittoresque, avec
des personnages habillés à la mode du temps. Il s’agit d’un document illustré explicite, la légende
établit un lien entre l’image et la localité de Middelburg, et le château qui s’y trouve.
Middelburg, près de Knokke-Heist. Ville où on ne trouve aucun château, s’il y en avait il a disparu.
Que penser de la gravure alors ? Aucun document plus tardif ne le mentionne.

Comment juger ce qu’on peut considérer comme le témoignage de Sanderus, ou du graveur qui a
œuvré pour lui ? On doit parcourir le reste de la source. Ce faisant, on trouve des représentations
d’édifices qui existent encore maintenant. Confrontation utile alors entre images du tome 1 et l’état
actuel des bâtiments.
Sur la place du Burg à Bruges, où se trouve l’hôtel de ville, la basilique du Saint Sang et le tribunal du
Franc, les édifices se trouvent bien dans la gravure, quoique les proportions soient un peu modifiées,
classique des illustrations du 17ème. Les représentations sont donc fidèles.
Pareil pour la place du Beffroi à Bruges, dans Sanderus. Une des structures a disparu au 18 ème mais
une autre est encore conservée, « la halle de Bruges que l’on appelle la tour aux halles » dit la
légende. Comparaison avec photo contemporaine, on retrouve l’architecture gravée.

À priori donc, les gravures semblent être fiables. Encore un exemple dans la Cathédrale Saint-
Donatien à Bruges. Cathédrale détruite dans le contexte de la république française, aujourd’hui
disparue, est ici reproduite avec une intention particulière. On peut suivre l’évolution des phases de
construction, le cœur est roman du 12 ème siècle, le transept date du début du 13ème, dans un style de
transition vers le gothique. Enfin la nef remonte au 14ème, dans un style véritablement gothique. On
construisait de l’ouest vers l’est, et donc le graveur a fort bien reproduit ces variations dans les
phases.

L’intention de Sanderus était de représenter le château de Middelburg, mais il convient de juger un


document historique en fonction de ses intentions, de l’auteur ou du graveur.

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Ici, photo page de titre de la Flandria illustrata. Les livres n’avaient pas de reliures, c’était l’acheteur
qui s’en chargeait selon ses moyens. Donc pas de couvertures standardisées, mais on avait des
frontispices, une page de titre qui présentait parfois un décor très élaboré, comme c’est le cas ici.
Type d’image qui ne se donne pas comme une image documentaire, mais plutôt allégorique.
Personnifications d’un fleuve et d’une mer, allégories masculines, conventionnelles, sur le modèle
antique. La Mer du Nord et l’Escaut. Imagerie donc pas documentaire comme vu précédemment
mais une imagerie qui conceptualise des éléments naturels. L’agriculture est une femme tenant
dans ses bras une corne d’abondance.

Sur base de cette gravure, le château de Middelburg a été identifié dans l’arrière-plan du triptyque
Bladelin, de Rogier van der Weyden (fun fact : s’appelait de le Pasture, mais il a flamandisé son nom
en arrivant à Bruxelles). Le château de la peinture ressemble en tout point à celui de la gravure. On a
considéré que le château du triptyque devait être celui de Middelburg. Le portrait de commanditeur
(en noir) a pu être identifié comme le fondateur de Middelburg, un fonctionnaire appelé Pierre
Bladelin.
Ce qui plaide en faveur du fait que le tableau a été trouvé à Middelburg c’est qu’on conserve une
copie de substitution en échange de l’original au 17ème.

On voit comment fonctionne la démarche historique : à partir de ce qui est considéré comme un
document, on peut faire des identifications. La valeur de document de la gravure a été pendant
longtemps considérée comme parfaitement établie, pour preuve ouvrage de 1934, Architecture chez
les peintres des anciens Pays-Bas avant la réforme de Jan de JONG.

Jan DE JONG, Architektuur bij de Nederlandsche schilders voor de Hervorming, Amsterdam/


Malines, 1934, pp. 36-40 : « A l’arrière-plan (du triptyque Bladelin) se trouve une vue de ville,
traitée avec un amour particulier pour la réalité. On est amené à supposer que nous avons ici
une représentation fidèle à la nature, un véritable portrait de la ville de Middelburg, telle
qu’elle venait d’être érigée, ville dont le fondateur est reproduit sur le même panneau (...)
Une gravure dans l’ouvrage de Sanderus nous montre ce château, tel qu’il se présentait aux
alentours de 1700. La représentation ne montre que le château entouré de murs au milieu
d’une étendue sablonneuse. La ville elle-même, qui avait été prise d’assaut en 1488 par les
Brugeois et dont les murs furent rasés (ce dont parle Sanderus), n’a plus jamais connu la
prospérité de jadis et a finalement totalement disparu. En ce qui concerne la représentation
de la ville de Middelbourg par Rogier, on ne peut déterminer dans quelle mesure le peintre a
reproduit la réalité que pour une petite partie de celle-ci, à savoir le château. Une
comparaison de l’arrière-plan du tableau avec la gravure fait bien ressortir le rapport. La
disposition des murs crénelés, l’agencement général du bâtiment, les particularités du
couronnement de la tour et de sa toiture, le type de fenêtres, leur position, oui, tous les
détails confirment le rapport. Enfin, on signalera le pignon à degrés avec annexe visible du
côté gauche, au-dessus de l’aile gauche du château, et la tour ronde à créneaux avec toit
conique, qui s’élève derrière. En ce qui concerne le reste de la ville, nous n’avons aucune
indication et il serait absurde de faire des suppositions à ce sujet».

« En dat de burcht van Middelburg is weergegeven zal niemand betwisten ». = et personne ne


contestera que ce soit bien le château de Middelburg qui est représenté.

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L’identification est-elle pourtant si certaine ? La gravure du 17ème reproduirait le château vieux à


cette époque de plus d’un siècle et demi sans aucune modification, ni modernisation. Détail de la
porte ouverte de la même façon, même la girouette est dans la même direction.
Trop de ressemblances, on se dit alors que la gravure a une dépendance trop importante à la
peinture. La gravure laisse entendre qu’elle représente le château au 17ème, mais le château est
représenté trop similairement.
Les spécialistes de l’histoire des châteaux on fait remarquer que Pierre Bladelin qui fait construire la
ville au 15ème se soit fait construire un château dans un style si démodé au 15 ème. Le château de la
gravure ressemble plus à un donjon du 12 ème ou début 13ème. Les historiens des châteaux sont
étonnés qu’on considère ce vieux donjon comme celui de Bladelin, à moins qu’il en existe un plus
ancien à Middelburg dont on n’aurait rien conservé.

Ce château serait une anomalie. Dans l’œuvre de Van der Weyden, on retrouve des éléments
architecturaux d’inspiration romaine. L’importance à contextualiser une source, plusieurs gravures
du même ouvrage ou alors d’autres œuvres de l’auteur de la peinture de comparaison, en utilisant
les codes décoratifs de l’auteur. VDW représentait souvent des éléments architecturaux romans,
ainsi que gothiques modernes.
Il apparaît qu’en réalité, l’architecture de la gravure relève de formules qui s’observent fréquemment
à l’arrière de peintures de VDW. C’est une formule qui lui permettait de représenter une ville d’un
certain âge. VDW estimait qu’il représenterait par exemple Bethleem de manière suggestive avec
des bâtiments gothiques et romans.

Le château de Middelburg est une fantaisie. Ce qui est intéressant c’est qu’on a dû considérer au
17ème que le château représenté de manière aussi réaliste par VdW aurait existé, alors que que le
peintre l’aurait inventé de toute pièce, bien qu’inspiré par des constructions réelles.

À partir du 17ème, les tableaux du 15ème sont rejetés pour raisons théologiques et de goût, elles ne
seront conservées que pour des raisons de gloire familiale, comme d’autres documents familiaux. Au
17ème est donc née la légende du château de Middelburg, qui, en raison du pouvoir de suggestion
d’un tableau du 15ème siècle, a commencé à exister au point d’être reproduit par un graveur qui
travaillait pour Sanderus. Le graveur aura estimé qu’il rendrait ce château encore plus suggestif en
ajoutant des promeneurs du 17ème, ainsi qu’un saule typique du style pittoresques flamand de
l’époque. Ceci explique qu’on l’ait considéré si longtemps comme une source crédible.

➢ Wenceslas Hollar, Saint Thomas de Cantorbéry, 1647.


« Vera effigies Sancti Thomae Archiepiscopi Cantuariensis et Martyris Wenceslaus Hollar fecit
secundum originale Iohannis Ab Eyck ex collectione arundeliana 1647 ».
C’est dans la légende que réside la prétention documentaire de l’image. Gravure sur cuivre aussi,
représentant un personnage très important dans l’histoire religieuse en Europe.
Graveur virtuose, formé à Anvers et Londres. La légende en latin (langue internationale de
l’époque), dit « véritable effigie, portrait authentique de Saint Thomas, archevêque de Canterbury et
martyre,
Wenceslas Hollar a fait cette gravure selon l’originale de Jean Van Eyck apparentant au Duc
d’Arundelle ».

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Qui est Saint Thomas Beckett ? Associé à Canterbury, à la cathédrale la plus prestigieuse de
l’Angleterre chrétienne, l’archevêque est le primat de l’église d’Angleterre. Évêque du 12ème siècle et
même archevêque en 1163. Conflit entre royauté et église. Henry II décide d’éliminer Thomas
Beckett et le fait assassiner en 1170. Grand émoi et condamnation de la part du Pape. Henry II
s’excuse, fait enterrer St. Thomas dignement dans la cathédrale. Dès lors, la dépouille de Beckett,
considérée comme un corps saint, va être l’objet de pèlerinage. Canterbury devient très populaire
lieu de pèlerinage au M-â.
Lorsque Henry VIII introduit la réforme anglicane il fait retirer de la cathédrale St Thomas et ses
reliques, qui disparaissent en 1538.

Culte de st. Thomas Beckett était extrêmement populaire. C’est pour ce milieu de catholiques
anglais, en partie vivant en exile dans les anciens Pays-Bas espagnols, que Hollar aurait fait la
gravure.
La gravure tient de la stratégie commerciale, on espérait que l’image se vendrait à bon prix. Il s’agit
de vendre le produit par une légende suggestive qui rencontrera l’intérêt du public potentiel. « Vera
effigies » terme utilisé souvent dans la tradition chrétienne pour les images dont l’authenticité est
pleinement établie, dès le Moyen-âge pour la relique de Sainte Véronique (visage du Christ).
2ème élément de commentaire censé établir pour un public d’amateurs d’art la validité de la pièce. Il
cite avoir travaillé d’après l’original de Jan Van Eyck, considéré encore au 17ème comme un des
portraitistes les plus réaliste. On a identifié l’original comme étant le Portrait de chanoine de
Albrecht van Ouwater, peintre hollandais, influencé par JVE. Peut-être ce portait a été pris pour un
JVE, indépendamment de Hollar. Hollar a quand même modifié le portait, notamment le sabre qui
fend le crâne de Beckett. Le modèle du portrait a été transformé en st. Thomas Beckett en
respectant l’iconographie traditionnelle de Beckett de l’époque.
Pour une deuxième gravure, aucune mention de JVE. Donc on peut supposer que Hollar aurait fait
exprès de mentionner la peinture de JVE.

Coup de bluff fait rire aujourd’hui, car on sait que JVE n’est nullement contemporain de Beckett,
mort en 1170. À l’époque ou Beckett a été assassiné, il n’y avait aucune pratique du portrait
physionomique, qui ne se met en place qu’au 14ème en Italie, et au 15ème dans le nord de l’Europe. JVE
est un des premiers portraitistes accomplis au sens moderne.
La légende qui figure en dessous est en réalité une stratégie commerciale pourra ajouter de la valeur
à une œuvre. Important à considérer dans le cas d’une critique de la source.

Conclusion
Les légendes au pieds des gravures peuvent donner lieu à ce qu’on appellerait une illusion
documentaire. L’image tient-elle la route de sa légende ? On aura vu que ça n’est pas toujours le cas,
et que certains historiens de l’art se sont fait berner.

COURS 2
❖ On s’intéressera aux images qui se donnent à connaître comme des documents, des
images qui ramènent à un fragment de réalité, par le biais d’une inscription affirmant
que l’image en question représente tel ou tel fragment du monde réel.
Il apparaît que les inscriptions sur les images ont été apposées dessus avec des intentions qui
relèvent de stratégies commerciales. L’inscription permet de renforcer le potentiel économique

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d’une image en établissant un lien avec une réalité extérieure, +/- importante pour l’acheteur. Cette
inscription est intrinsèquement constitutive de la valeur de l’image. Elle n’est pas nécessairement
« honnête ». Cela a été notamment le cas pour des œuvres du 15ème, des portraits qui ne
présentaient plus nécessairement un intérêt considérable au siècle suivant, où le modèle était oublié
ou décédé. Des collectionneurs, pour contrer la diminution de valeur, ont donné à l’image une
nouvelle identité.

Exemple :
➢ Hans Memling, Sibylle Sambetha. Bruges, Sint-Janshospital.
Il devient le peintre favori des élites bourgeoises de la ville. 1480, date de l’encadrement, réalise ce
portrait de jeune femme appartenant à une famille huppée de la bourgeoisie de Bruges, fille de
bourgmestre.

Un siècle après, la personne est décédée et oubliée, même si l’identité était conservée, on n’y porte
plus d’intérêt. Fin du 16ème, on ajoute des inscriptions qui donnent une nouvelle identité à la femme,
plus intéressante. Ces inscriptions ne sont donc pas originales. On le détermine facilement, les
caractères sont des capitales romaines, dont l’usage s’installe à Bruges vers 1520-30 et non des
lettres gothiques. Le cartouche à gauche est typique de la seconde moitié du 16 ème. Ces inscriptions
affirment que la jeune femme est la Sibylle Sambetha, Persique, une des Sibylles qui aurait annoncé
la venue du messie sur terre.
Ce portrait a été transformé par l’inscription en portrait de Sibylle de tradition gréco-romaine, qui
intéressait beaucoup plus le public potentiel d’acheteurs.
Le phylactère en bas de cadre contient une citation qui fait l’attribution à la Sibylle persique, en
relation avec le salut de l’humanité.

Ce genre de changement met clairement en évidence que l’inscription dans l’art occidental est un
levier pour augmenter la valeur d’une œuvre.

D’autres portraits de Memling ont reçu une nouvelle identité :

➢ Memling, Portrait d’homme. NY, The Met.


On lui avait ajouté une auréole et une flèche, le transformant en effigie de Saint Sébastien. L’auréole
a été ensuite effacée par une restauration moderne ainsi que la flèche. Ici, pas d’inscription mais des
marqueurs visuels attribués au saint en question.

❖ Dossier de Lambert Lombard


➢ « Portait-obiit de Lambert Lombard ». Liège, musée de l’Art Wallon.
LL a orné pendant longtemps pendant les années 60-70 un billet de 100 francs. Pourquoi ? Dans le
contexte de l’état belge qui veut affirmer via les billets de banque une identité collective belge, alors
que depuis 1963 la Belgique se constitue de deux peuples, les wallons et les flamands, Il convient que
les symboles nationaux soient symétriquement repartis entre les 2 communautés. S’il y avait là des
grands maîtres flamands de la renaissance, il fallait faire pareil avec les wallons. LL étant un peintre
liégeois, il était un personnage digne d’être honoré par un billet de banque.

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LL intéresse depuis de milieu du 19ème, les milieux érudits voulaient créer une histoire de l’art wallon
pour répondre à celle de l’art flamand. LL retient d’autant plus l’attention des chercheurs qu’il avait
été reconnu par ses contemporains. Il était le premier, en 1565, à être le sujet de la première
monographie d’art de nos régions. Dominique Lampson, publie du vivant de l’artiste une vie du très
célèbre peintre Éburon (= peuple mentionné par César qui aurait peuplé +/- la région de Liège).

➢ Dominicus Lampsonius, Lamberti Lombardi apud Eburones pictoris celeberrimi vita,


Bruges, 1565.
➢ Légende de la gravure: Lambertus Lombardus Pictor Eburonensis Anno Aetatis XLV.

En 1954, la ville de Liège fait l’acquisition du portrait obiit. Sur l’arc qui surmonte le cadre, on trouve
l’inscription :

«IN OMNIBUS DEO SPERAVI LAMBERTUS LOMBARDUS / OBIIT ANNO 1566 13 AUGUSTO »
Lambert Lombard, en toute chose, j’ai espéré en Dieu./ Il mourut le 13 août 1566.

La ville de Liège était heureuse d’acquérir un document concernait une des plus grandes figures de la
renaissance Liégeoise. Ce portrait complétait la galerie de portraits qu’on associe à LL.

Le plus connu :
➢ Anonyme (XVIème s.), Portrait de Lambert Lombard. Liège, musée de l’Art wallon
Portrait aux bésicles (vieux mot pour lunettes). Autoportrait de LL, quoique parfois contesté.
Il y a une tradition ancienne, érudite, remontant à Abry, qui reconnaît Lambert Lombard dans ce
personnage tenant des lunettes.

Il y a donc le portrait gravé sur le frontispice de la monographie de 1565, en latin. Lambertus


Lombardus Pictor Eburonensis Anno Aetatis XLV, = LL peintre liégeois avec son âge, 45 ans en 1551.
Au portait gravé et au portrait peint s’ajoutait en 1954, le troisième portrait avec cette possibilité
exceptionnelle pour l’historien de l’art du 16ème, pouvoir contempler le même personnage à 3 âges
différents. La confrontation du portrait aux lunettes avec le portrait obiit de LL est apparue comme
une possibilité de se faire une idée concrète du parcours de vie de l’artiste.

[Extrait ppt] —> portait du musée de Cassel (aux lunettes), autre exemplaire. Piriforme = en forme
de poire.
L’Historien de l’art est convaincu que les deux représentations sont du même personnage.

«La confrontation du portrait de Cassel avec le portrait-obiit de Lombard, entré


récemment au Musée de l’Art wallon, confirmera cette conclusion d’une manière
éclatante.
[...]
Or, en les confrontant, nous avons, d’un côté, un homme à la fleur de l’âge, au regard
énergique, aux cheveux noirs, en boucle, à la barbe de même, au port tout de
souplesse et presque juvénile ; de l’autre, un vieillard au regard éteint, aux cheveux
et à la barbe blancs comme neige, la tête rentrant dans les épaules, la main égrenant
son chapelet. Sans doute, sous ce béret, on perçoit des traits du rude gaillard de

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l’autoportrait : on retrouve notamment le nez piriforme du concierge delle Chiff d’Or


(il est fait référence ici au vignoble de le Chiff d’or de la chèvre d’or à Sclessin,
vignoble de haute qualité dont le prince-évêque de Liège avait attribué la gestion à
Lambert Lombard), ses arcades sourcilières exhaussées, les creux sous les yeux, le
profil de l’oreille, la moustache tombante, les doigts aux extrémités carrées, aux
angles rectangulaires.
Jean Yernaux, dans: La Vie wallonne, 29, 1955, p. 140

Voir, dans le même sens, André Piron, La peinture wallonne ancienne, Charleroi, 1962, p. 42, publiée
par l’Institut Jules Destrée :
« Après son séjour en Angleterre comme secrétaire du cardinal Pole, Lampson vécut
dans l’intimité de Lombard depuis 1558 jusqu’au décès de son maître en 1566. Jeune,
il avait été son élève. Lorsqu’il publia son opuscule, la vie de Lombard touchait à sa
fin. On éprouve quelque émotion, au musée d’art wallon de Liège, à imaginer leurs
conversations.
On se trouve en effet devant deux portraits de Lombard ; l’un, probablement de sa
main, représente un homme solide, légèrement bedonnant, au regard vif, au visage
expressif et plein de sève. L’autre est celui du même Lombard, petit vieillard bien
net, endimanché, chenu et dont le teint se colore d’un rose fragile. Sur le cadre court
l’inscription suivante : Lambertus Lombardus Deo omnibus superavi (sic). Obiit 13
augusto 1566. C’est ce vieillard prématuré qui entendit la lecture ou du moins la
traduction du manuscrit et put ainsi repasser mentalement les étapes de son
existence ».

On voit les conclusions tirées des inscriptions figurées sur le portrait obiit. Ça se présente comme un
document figuré d’une personne x à un âge x, tenu comme fiable par les historiens de l’art, contents
de mettre un visage, si complet à travers les âges, de ce personnage. Ceci n’est que très peu
commun pour les artistes du milieu du 16ème. Ceci enrichit la bibliographie de LL de manière
exceptionnelle.

En réalité, il apparaît que ce prétendu portrait obiit de LL n’est nullement véritable. L’œuvre ne
présente aucune relation avec le milieu artistique liégeois du 16 ème. L’œuvre est attribuée à Barthel
Bruyn Le Jeune, fils de Barthel Bruyn L’Ancien, portraitiste polonais du 16ème.

Les deux ont été des figures dominantes de la peinture polonaise de la renaissance, surtout dans
l’art du portrait. C’est à Cologne que s’impose une formule qu’on ne rencontre quasi jamais dans l’art
des anciens Pays-Bas ni dans celui la principauté de Liège : la formule des panneaux cintrés. Cette
formule est attestée au 16ème dans la peinture flamande mais uniquement pour des thèmes religieux,
du Christ ou de la Vierge, quasi jamais dans le portrait courant. Pourtant, extrêmement présent dans
le portrait polonais, c’est une marque de provenance polonaise. Il n’y a pas de doute, le portrait obiit
est une œuvre polonaise.

On conserve de très nombreux portraits polonais du 16 ème, certainement dû à la grande quantité de


portraits produits à Cologne, et à leur grande qualité, donc conservés par collectionneurs.

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Il est apparent qu’un de ces portraits s’est retrouvé entre les mains d’un peintre liégeois. Ici
comparaison avec un de ces tableaux, ressemblance avec le portrait funéraire de LL. Il est apparu il y
a quelques années, à la suite d’un examen de labo, que l’inscription du dessus du cadre « in omnibus
etc.» recouvert une inscription en allemand, fragmentaire, en partie traduite en latin. Identité de ce
bourgeois polonais n’intéressait guère le public liégeois ou belge de la fin du 19ème, époque où
l’inscription a été falsifiée. Il s’agissait d’augmenter la valeur du tableau pour le marchand.
Le portrait polonais a été maquillé, l’inscription allemande a été remplacée par une latine.

❖ Albrecht Dürer, Rhinocéros. 1515.


Autre légende, qui ne peut être suspectée d’être ajoutée par un collectionneur avare. La légende
figure dans la gravure, même si elle n’a pas été gravée dans le bois mais disposée avec des
caractères en plomb, comme un livre.
Une des plus fameuses gravures de L’HdA. Signait avec ce logogramme AD. Toute l’histoire des
monogrammes modernes se retrouve dans ces signatures d’artistes, créant une sorte de marque
associée à des images.
Pièces uniques mais des multiples, comme ces gravures sur bois ou cuivre.
Ici, sur bois. Succès énorme, et qui a marqué toute l’autorité de Dürer, a contribué au succès de cet
image jusqu’au début du 18ème siècle.
Gravure accompagnée d’un commentaire en allemand :

« En la 1513ème année après la naissance du Christ, le 1er mai, on a apporté


depuis l’Inde au très puissant roi de Portugal Emmanuel un semblable animal
vivant. C’est ce que l’on appelle un rhinocéros. Il est portraituré ici dans toute
sa figure. Il a la couleur d’une tortue tachetée. Et il est tout entièrement
recouvert de grosses plaques. Et du point de vue de la taille, il est comme
l’éléphant. Mais plus trapu dans les pattes et bien protégé. Sur le nez, en
avant, il a une corne très forte. Quand il voit des pierres, il commence
toujours à affûter cette corne. L’animal somnolent est l’ennemi mortel de
l’éléphant. L’éléphant en a une peur terrible car quand le rhinocéros le
rencontre, il lui rentre dedans avec sa tête entre les deux pattes antérieures.
Et il ouvre le ventre de l’éléphant dans le bas et l’étrangle. L’éléphant ne peut
rien faire. Car le rhinocéros est armé de telle manière que l’éléphant ne peut
rien lui faire. On dit également que le rhinocéros est rapide, joyeux et rusé »

La gravure étant un objet connaissant une grande distribution, leurs légendes sont écrites soit en
latin, soit en langues vulgaires, dans une forme du langage compréhensible de tous. Ça n’est pas
l’allemand que parlait Dürer mais un autre qui pouvait être compris hors sa région.

Légende en capitales romaines « Rinocerus », mais également ce texte qui accompagne. Précision
documentaire, affirmation que le rhinocéros est ici portraituré et le mot allemand utilisé correspond
bien au mot portraituré.
Ce portrait de rhinocéros présente un intérêt particulier dans le contexte historique de 1515, puisque
depuis l’Empire romain on ne le connaissait que d’après des sources écrites, notamment Historia
Naturalis de Pline l’Ancien. On n’en avait plus vu depuis que les romains ont arrêté leur pratique
d’amener des bêtes sauvages d’Afrique pour les mettre dans le cirque.

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Le texte reprend des éléments du texte de Pline l’Ancien, notamment le fait que les rhinocéros
auraient l’habitude d’affûter leur corne, et qu’il serait l’ennemi de l’éléphant.
La stratégie commerciale de Dürer était de produire une image du rhinocéros qui avait du sens avec
les attentes du public, qui connaissait la description de Pline l’Ancien.

Un élégant a bien été offert au roi Emmanuel de Portugal en 1513, mais Dürer ne l’a jamais vu. Son
dessin est donc inventé, par exemple ces plaques de tortue. Idée calquée sur les armures que
portaient les hommes et les chevaux à partir du 15ème. Imaginaire de l’armure animale. Pointe sur le
dos de l’animal évoque une sorte de corne de licorne, imaginaire qui crée une image tout à fait
séduisante du rhinocéros, en le rapprochant du monstre.
Ce qui rend vraiment l’image attractive commercialement c’est la prétention d’authenticité. AD
affirme qu’il a fait le portrait sur base d’observations. Il aurait eu sous la main un dessin synthétique,
qu’il a embelli sur base de la tradition encyclopédique de PA, et sur des éléments de l’imaginaire
moderne (armure de chevaux et monde du tournoi).

Énorme succès donc pour la gravure. Dessin préparatoire au British Muséum. Tradition chez AD
d’offrir des images d’animaux monstrueux. Gravure = art commercial. En 1494, AD avait déjà réalisé
une gravure d’une truie monstrueuse, née dans un petit village alsacien, Landser, et qu’il n’avait
jamais vue. Se basant sur une description écrite, il avait mis sur le marché cette image de monstre.
Le paysage n’évoque pas tant l’Alsace mais la région alpine. Cette gravure a été un succès.

Procédant sur cette même voie, mais en ajoutant une légende qui renforce l’attractivité du produit, il
met cette image sur le marché.
Il y a encore des tirages au 17ème. Comme il n’y a pas de copyright à l’époque, on voit des imitations.

Ici, version sur cuivre :


Enea Vico, Rhinocéros. 1548.
« Nascano questi Animali nelle diserte montagne del’India: E di la ne fu portato uno in Portogallo,
dal quale fedelimente e fatto questo ritratto; e come qui si comprende e di Scaglie durissime
coperto, della similitudine e colore di quelle de la Testuggine [...]

Hans Liefrinck, Copie du Rhinocéros de Dürer, 2nde moitié du XVIème.


Lorsqu’on représente dans l’art occidental dans la 2ème moitié du 16ème et encore au 17ème, on utilise
encore la référence de Dürer.

Pieter Check van Aalst, Projet de tapisserie. Londres, The British Museum.

Jan Griffier, d’après Francis Barlow, A True Representation of the Elephant and the
Rhinoceros (1684).
Ici encore, thème de l’ennemi entre les deux animaux. À cette époque a été amené à Londres un vrai
rhinocéros, mais tout le monde ne l’a pas vu. La gravure officielle de cette monstration est inspirée
toujours par el rhinocéros d’AD.

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Critique des sources partie 3

“A true representation of the two great masterpieces of nature, the Elephant and the
Rhinoceros, drawne after the life, lately brought over from the East Indies to
London, the like never seen before in England, the manner how they fight, being
mortall enemyes one to another: both of them of prodigious strength though it is in
their nature not to be easily moved to anger”.

Il faut attendre le 18ème pour que d’autres rhinocéros soient présentés en Europe, notamment en
1751 :
Pietro Longhi, Rhinocéros. Venise, Ca’ Rezzonico.
Ceci a mis fin au règne de la gravure d’AD. Elle a apporté une réfutation à cette image au succès
exceptionnel. Usage du mot portraituré, de la part d’AD, qui était connu comme portraitiste, donnait
du poids à cette gravure.

Exemple d’une inscription qui apporte une dimension documentaire :


❖ Jan van Eyck, Portrait de Jan de Leeuw. Vienne, Kunsthistorisches Museum.
Ici, encadrement d’origine a été conservé. Rare, car au 17 ème on avait l’habitude, au cours de
restauration, de retirer le cadre dans lequel la peinture flamande avait été peinte. Signatures parfois
sur l’encadrement, et ces informations étaient alors perdues.
Ici donc tableau portait avec une inscription qui est apposée en néerlandais du 15 ème.

Ian de Leeuw op Sant Orselen Dach/ Dat Claer eerst met oghen sagh 1401 : C’est le
jour de la Sainte-Ursule que Jan de Leeuw vit la lumière du jour pour la première
fois.

Gheconterfeit nu heeft mi Ian/ Van Eyck wel bliict wanneert bega(n) 1436 : Jan Van
Eyck m’a maintenant portraituré. On voit bien quand il a commencé : en 1436.

Il était d’usage de donner les jours selon de la fête du saint plutôt que le chiffre. Ici 21 octobre, sainte
Ursule.
Il n’y a fondamentalement pas de raisons pour l’historien de douter des informations qui figurent ici.
Ces infos sont multiples et concernent un personnage connu par ailleurs des historiens via des
documents d’archives de Bruges et de Damme.
Jan de Leeuw est mentionné comme doyen de la corporation des orfèvres, la plus riche de Bruges.
C’est pourquoi il tient dans la main droite une bague, attribut de son métier. Au 15 ème, il est rare de
se faire représenter par son métier, mais comme celui-ci c’est si prestigieux, on a tenu à le faire.

On sait aussi que en 1455 il va offrir de ses deniers un prix pour un concours de façades ornées. Le
magistrat de Bruges avait décidé que les maisons de la ville devaient être ornées en honneur de
Philippe le Bon. Pour encourager les bourgeois, JDL avait financé un prix destiné à récompenser la
meilleure façade. Ces infos de documents d’archives devaient être complétées par ce tableau, qui a
valeur d’archive. Le tableau nous donne notamment la date de naissance de JDL. C’est extrêmement
rare que la date d’un artisan soit conservée, au 15ème c’est réservé à la haute noblesse.
Il faut attendre fin 16-debut 17ème pour trouver ce genre de recensement.

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Critique des sources partie 3

Autre détail intéressant : inscription commence par une croix, puis Jan, puis de, puis un lion, qui est
le poinçon de l’orfèvre. De Leeuw remplacé par le symbole, le poinçon du lion. Aucune orfèvrerie de
JDL ne reste, en général c’est mal conservé car le matériau précieux a été réutilisé.
Absolument donc aucune raison de considérer que ce personnage représente quelqu’un d’autre.
Nous avons ici un souvenir du visage de ce personnage.
La chose mérite d’être soulignée, car nous n’avons pas d’autoportraits de JVE, mais lui aura fixé les
traits de ce personnage.
La fidélité de JVE en tant que portraitiste est très bien établie. Dessin de Dresde réalisé pour un
portrait souvent dénommé le Cardinal Albergati. Sur ce dessin, annotations extrêmement précises
sur ces personnages. Cette valeur documentaire des peintures de JVE est également visible devant
la Madone au chanoine Van der Paele. Encore, aucun doute sur l’identité sur le personnage en blanc,
car le cadre est encore accroché au tableau. VDP est non seulement le donateur de ce tableau mais il
est connu de documents d’archives du chapitre de Saint Donatien, carrière ecclésiastique
formidable. Les infos fournies par les archives peuvent être complétées par le portrait de JVE.

Au début des années 50, un auteur belge a publié un livre qui porterait un diagnostic d’un
dermatologue sur la condition cutanée de Georges Van der Paele.
Illustration tirée de Jules Desneux, Rigueur de Jean van Eyck. A propos d’un diagnostic
médical sur un tableau de 1436, Bruxelles 1951.
Il n’y a aucune raison de récuser une utilisation documentaire de ce portrait.

CHAPITRE 2 : DOCUMENTS FIGURÉS IMPLICITES


❖ Ici, infos ne se donnent pas de manière ouverte et évidente, sans inscriptions. Séries
d’images dont on peut, avec +/- de précision, compter comme document.
Toute représentation figurée possède un potentiel documentaire plus ou moins important.
L’existence de ce potentiel s’explique par la nature même des signes visuels de la représentation
figurée.

❖ Reprendre les concepts de Lessing, philosophe allemand, dans le Laocoon, 1764.


Peintres, sculpteurs et autres artisans travaillent avec des singes naturels, par opposition aux
musiciens et poètes, qui travaillent avec des signes arbitraires. Dans chaque langue, les objets ont
leur propre nom, et la relation entre signifiant et signifié est arbitraire. Apfel, Apple, pomme,
manzana, etc. ont tous un lien qui repose sur une convention par rapport à la réalité de pomme.

À contrario, les arts figurés, comme la peinture ou la sculpture œuvrent avec des singes naturels, par
un rapport de ressemblance visuelle entre la tour à créneaux dans l’exemple et une véritable tour à
créneaux. C’est cette désignation par ressemblance qui fait qu’une part de réalité visible de l’époque
où elle a été réalisée entre dans l’image.

Au degré de la simple identification, le degré de ressemblance fait qu’une partie de réalité naturelle
de l’époque de l’artiste entre dans l’image.
Cette part peut être plus ou moins importante. Degré de ressemblance entre le figuré et la réalité est
variable. Il y a également une part importante de convention. Il y a une part du monde naturel qui
entre en partie dans la composition, quand bien même la culture de la peinture nous soit étrangère.

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Critique des sources partie 3

La quantité d’info utilisable qui entre dans l’image, même dans une image « réaliste » varie d’époque
en époque. La qualité documentaire d’une représentation figurée est une variable historique.

Annibale Carracci, Lapidation de saint Etienne. Paris, musée du Louvre. Au début du


17ème.
Épisode se serait déroulé dans les années 30-40 du premier siècle après la mort du christ L’artiste,
actif entre la fin du 16e et le début du 17è, a connaissance du texte biblique de référence. L’époque et
le milieu dans lequel l’artiste a vécu est peu reflétée dans l’œuvre. En prenant l’œuvre dans ce sens,
elle ne nous apporte pas beaucoup d’infos. En peintre moderne, il peint des scènes bibliques en les
transposant dans l’antiquité, à partir des sarcophages et des bas-reliefs romains. Dans ces
compositions, les personnages sont habillés à l’Antique, Carracci veut reconstituer Jérusalem du
début de notre ère.

Si Carracci ne nous fournit que peu d’infos dans ses peintures bibliques, ce n’est pas du tout le même
cas pour ce peintre flamand du 15ème. Dans les anciens Pays-Bas, l’usage est d’actualiser l’épisode
chrétien et de le projeter dans le monde contemporain à l’artiste.

Rogier Van der Weyden, Visitation. Leipzig. 1450s.


Évangile de Luc, rencontre entre Marie et sa cousine Élisabeth, qui constatent qu’elles sont tombées
enceinte de manière surnaturelle, l’une vierge, l’autre trop âgée.
L’épisode se serait déroulé autour de l’an 1 de l’ère chrétienne. Ce qui est intéressant, c’est que le
paradigme de la représentation historique de goût renaissant n’existant pas encore. L’épisode
biblique est mis au goût du jour. Les femmes sont habillées à la mode du 15 ème, lourdes robes
rigoureuses pour l’hiver de nos régions, mode bourguignonne contemporaine.
À l’arrière-plan, édifice avec une tour 12-13ème, et salle du 15ème. Projection dans l’espace-temps
contemporain de l’épisode biblique, qui dans ce cas a une valeur de document historique, de témoin
visuel de l’époque.
La quantité de réalité visuelle contemporaine que peut contenir une image à caractère religieux est
une variable. 15ème siècle flamand pratique l’actualisation et appropriation des mythes chrétiens,
alors que le 16ème 17ème, dans la même région, on a recours à l’actualisation des images dans une
antiquité plus ou moins convaincante.

Au 15ème, même les épisodes de l’Antiquité classique étaient représentés dans des habits et des
architectures contemporaines :

Atelier bruxellois, Histoire de Tarquin l’Ancien. Zamora, Cathédrale. (Tapisserie).


Difficile de s’imaginer un épisode de la vie de Tarquin l’ancien d’après Tite-Live. Cette pratique se
retrouve dans des textes religieux aussi bien que des textes profanes.

Bas-relief du Mastaba de Thy à Saqqarah, 5 ème dynastie, CA. 2300 ACN


Potentiel documentaire de cette image varie d’époque en époque et réside dans la nature du signe
figuratif, qui ressemble à ce qu’il représente. Il y a toujours une part de convention, on ne peut
distiller une info documentaire sur le monde de l’artiste, que pour autant qu’on connaisse certains
codes et conventions de représentations.

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Critique des sources partie 3

En art égyptien pharaonique entre le 3ème millénaire avant notre époque et l’époque augustéenne,
les conventions sont bien connues (rabattement sur le plan en peinture comme relief).
Il faut tenir compte de ces conventions, et éviter de considérer que la représentation figurée serait
fondamentalement une simple reproduction de la réalité visible.

Dessin de Daniel Alain (1955), tiré de E.H. Gombrich, Art and Illusion. Oxford 1960.
Représentation humoristique d’une mauvaise interprétation, trop littérale, de ce qu’on trouve dans
des vestiges égyptiens. Le dessin imagine une sorte d’académie des beaux-arts où les élèves
dessinent une femme qui pose de profil avec le corps rabattu dans le plan. Cette fiction de travail sur
le modèle vivant est celle d’un humoriste, projetée. Fiction parfois entretenue à des époques
anciennes dans les régions occidentales lorsque se développe le thème du St. Luc peignant la vierge.

Rogier de le Pasture: Saint Luc peignant la Vierge. Boston, The Museum of Fine Arts.
Un peintre faisait un modèle dessiné puis travaillait dans son atelier la peinture.
Maître de la Légende de sainte Ursule, Saint Michel avec donatrice. Bruges, Museum
OLV
Donateurs dessinés de manière plus petite pour marquer la ≠ entre le divin et les humains, qui sont
alors tous petits par souci d’humilité.

Anonyme brugeois, fin XVème s., Vierge à l’Enfant avec donateurs. Gand, Museum voor
Schone Kunsten.
Sainte Barbe, qui aurait été enfermée dans une tour car elle refusait d’épouser un prince païen.
Couleurs conventionnelles attribuées aux saints, comme le manteau rouge de st. Baptiste ou le
manteau vert de sainte Barbe. Tous ces détails sont des conventions (versus des vrais faits du réel).

Hans Memling, Triptyque Moreel. Bruges.


Relève aussi de la convention les personnages agenouillés en prière devant un prie-Dieu, en pleine
nature. Famille du bourgmestre de Bruges, sa femme et ses filles, présence aussi d’une Ste. Barbe.
Ces prie-Dieu sont en pleine nature, non pas parce que cette famille priait en extérieur, mais parce
que le peintre a voulu montrer combien la famille était pieuse et dévouée.

Anonyme brugeois. Vers 1500-1510, volets de triptyques. Londres, National Gallery.


Parfois, ce sont inversement les peintres qui sont plus petits que les personnages qui commandent
l’œuvre. Saint pierre et Saint Paul, sont avec leur clé et auréole, mais petits.

Relations entre les figures et leur environnement, 1 ère moitié du 15ème, les personnages sont plus
grands que le décor architectural, qui est en format réduit, soumis aux figures du premier plan. Cette
disproportion est caractéristique par exemple de Van Eyck (cf. agneau mystique, anges). Modèle de
la niche de sculpture, le fond n’est plus ornemental mais un espace profond inspiré d’architecture
réelle, mais sans toujours respecter les proportions.

❖ Anonyme, Portrait de Jean sans Peur. Paris.


Si on cherche la valeur documentaire hors des conventions, il faut tenir en compte le paradigme du
style. Celui-ci tient des conventions, mais plus difficile à saisir. Une fois pris en considération, il
oblige à relativiser la valeur documentaire d’une image.

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Critique des sources partie 3

Ici, duc de Bourgogne. Il existe beaucoup de portraits posthumes, de ¾, formule qui se met en place
à partir des années 1420-30. Série d’exemplaires du 15,16,17ème.
Ce qui est frappant ici c’est le nez avec une arête concave, visage allongé. Ce même visage est sur
d’autres exemplaires de portrais de JSP, comme celui d’un anonyme conservé à Paris dans la
collection Heugel (anciennement).

Maître de la Légende de sainte Catherine, Portrait de Jean sans Peur. Anvers.


Puis, à la fin du 15ème siècle, une autre série de représentations (les commandes étaient plutôt
régulières, notamment pour les tribunaux et hôtels de ville jusqu’au 18ème).
Clairement, la physionomie change, le visage est plus massif et l’arête du nez est rectiligne.

❖ Qu’en penser, quel était son nez et son visage ?


Lorsqu’on étudie l’évolution du style pictural entre 1400-40, on voit un changement de paradigme.
Vers 1400, l’esthétique prédominante est celle du gothique dit international, valorisation des
courbes, allongement des personnages versus l’ange de l’agneau mystique, les drapés ont changé,
ils ne sont plus courbes mais droits, angulaires, cassés. Même chose pour les inscriptions, d’un côté
les phylactères sont courbes, de l’autre le texte est en ligne droite. La vierge Marie vers 1400 est très
courbe, avec des nez recourbés, à arête concave, alors que chez van Eyck les nez sont rectilignes. La
même recherche de lignes brisées dans le drapé quand la physionomie.

Dans ces conditions, il est clair que dans les 2 portraits de JSP, le visage porte les marques du style
de l’époque. Le premier est plus gothique, l’autre est dans la tradition des primitifs flamands.
Difficile de savoir quel nez était le plus proche de la réalité.

On constate lorsqu’on prend des portraits du 16 ème , c’est la formule de la fin du 15ème qui est reprise
(arête droite, visage plus massif). Au 17ème, les portraits sont inscrits, pas de doute sur
l’identification, mais doutes donc par rapport au style. On installe ici des volumes saillants qui
déforment le visage, caractéristique de l’esthétique baroque.

Le paradigme esthétique dominant influence chaque portrait de Jean Sans Peur selon l’époque. La
forme exacte de son nez ne peut être posée, car même les portraits les plus anciens attribuent des
paradigmes esthétiques de l’époque plutôt que la réalité physionomique réelle.

COURS 4
❖ Représentations figurées non-explicites comprises en tant que documents car elles sont
sans inscriptions, mais où l’historien peut quand même chercher des éléments
documentaires de la réalité du peintre.

André d’Ypres : Crucifixion du Parlement de Paris. Paris, Louvre.


Ceci est un panneau de justice : suspendu à un mur d’un tribunal pour rappeler aux juges qu’ils
auraient à rendre compte de leur exercice devant dieu.

Miniature d’un manuscrit d’une chambre des Comptes, Paris, fin du 15 ème.
On y voit un panneau qui ressemble à celui d’André Ypres dans une salle où on rendait la justice.
Fond doré dans le fond de la peinture, typique à cette époque, fond abstrait ornemental ou doré.

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Critique des sources partie 3

L’œuvre en question, postérieure à l’époque de la miniature, présente dans les années 1440, place
les personnages dans un monde de la ville ou de la campagne, un arrière-plan très élaboré. Ad’Y
amène cette mode flamande à Paris.
À partir du moment où on renonce au fond doré, la valeur documentaire potentielle augmente. Le
paysage fait entrer dans l’image une certaine quantité d’impressions naturelles, une réalité observée
par le peintre qui donne au premier-plan une impression de contemporanéité. Potentiellement, une
série d’éléments du monde de l’artiste entrent dans la représentation, possibilité de considérer que
des fragments ont été greffés sur un épisode biblique.

Quelle valeur documentaire peut-on donner à cette crucifixion ?


Au 1er plan, le calvaire avec un certain nombre de saints : St. Louis roi de France, Louis IX au 13ème
canonisé à la fin du siècle. Aucun portrait ressemblant à celui-ci au 13ème, le visage de St. Louis nous
est inconnu, aucune valeur documentaire de ce côté-là, pareil pour le St. Jean Baptiste. À droite, St.
Denis qu’on voit tenant sa tête entre ses mains. Il aurait apporté le témoignage de la foi nouvelle à
Paris, martyrisé à Montmartre. Après son martyr, il aurait attrapé sa tête tombée au sol et l’aurait
portée jusqu’à l’abbaye de St. Denis où il aurait été enterré. C’est ce qu’on appelle un saint
céphalophore. Ici également, pas de documents de cet évènement. Encore à droite, St.
Charlemagne canonisé au 12ème, montré selon un schéma du 14ème. Il est une effigie sans relation
avec le Charlemagne historique. Le calvaire lui-même est très inspiré d’un triptyque de Rogier VDW.
On n’a pas de document historique au sens strict.

L’esthétique des primitifs flamands (importée à Paris par AdY) se signale par la nouveauté des fonds
naturels, pouvant intégrer des fragments plus ou moins importants, individualisés de la réalité
contemporaine de l’époque du peintre. Les spécialistes de l’histoire de Paris ont remarqué que se
trouvaient représentés 2 bâtiments importants : l’ancien Louvre à gauche et le Palais de la Cité à
droite.
Porte du beau roi Philippe au Palais de la Cité (détail arrière-plan)
Portail élevé sous le règne de Philippe le Bel, orné de statues ; sur le trumeau, une effigie du roi lui-
même, en dessous d’un baldaquin.
André d’Ypres a eu l’intention de faire un vrai portrait de l’édifice, il a reproduit le portail mais aussi
la sculpture du trumeau, et il a tenu à reproduire la polychromie de la statue (dorure du baldaquin et
habit bleu du roi, et mantelet d’hermine).
La sculpture des portails d’époque gothique du 12-13-14ème était polychromée, et cette couleur était
entretenue assez régulièrement jusqu’au 17ème, où s’impose la monochromie blanche sous influence
de la renaissance italienne.
Des restes de la polychromie sont encore visibles pourtant :
Reims, Cathédrale, XIII ème. Les visages étaient couleur chair, et les colonnettes étaient
décorées de chevrons.
Lausanne, Cathédrale, 18ème siècle. Portail se trouve sous une voûte, les visages ont la couleur
des carnations, bien que le reste soit moins bien conservé.
Amiens, années 90. Municipalité a cherché à reconstituer par des jeux de lumière
la polychromie des portails occidentaux de la cathédrale.
Grâce à une étude chimique, on a déterminé quels pigments
et donc quelles couleurs avaient été utilisées.

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Critique des sources partie 3

Rien d’étonnant donc à ce que le portail ait été peint derrière la crucifixion.
Plus encore, le peintre a cherché un effet de réalité : il reproduit une statue polychrome mais une
statue dont la polychromie est usée. On ne rencontre ce détail que très rarement au 15-16ème siècle.
Le pauvre état de conservation serait dû aux grandes dépenses à la suite de la guerre de 100 ans. Pas
de doute sur le fait que ce détail soit véridique, le peintre ne l’a pas inventé, mais a crédibilisé, non
sans audace son premier plan, en détaillant ce 2 nd plan de cette manière.

Il ne faut pas surestimer cette valeur documentaire. Dans le portail royal, il y a non seulement la
statue du roi à moitié polychromé, mais également des zones sombres qui correspondent à des
dépôts d’humidité. Les colonnes étant en oblique au lieu de verticales, la pluie coule moins bien et
crée des taches. Le peintre aurait vraisemblablement également pu observer ces détails d’humidité.
Pourtant, ça n’est pas absolument certain.

Ces motifs de taches sont aussi utilisés par les peintres flamands du 15 ème sur des architectures
pseudo-médiévales lorsqu’ils veulent représenter Jérusalem par exemple, comme c’est le cas dans :
Hans Memling, Panorama de la passion. Turin. 1470-80.
Le peintre, ne s’étant jamais rendu à Jérusalem, donne à la ville l’aspect d’une ville flamande du
15ème. Le climat étant celui de la Flandre belge dans la peinture, il crédibilise son architecture
inventée en insérant des tâches d’humidité pour imiter l’architecture gothique de l’époque.

Memling, Sacra Conversazione. New York, The Met.


On retrouve même les taches dans un autre tableau de HM, la tour de droite est un attribut
symbolique, arbitraire de Ste. Barbe.

Miniaturiste flamand vers 1500. Sainte Catherine. Anvers.


Parfois, même des taches d’humidité dans des surfaces verticales, où elles n’apparaîtraient pas
naturellement. Le motif a une valeur rhétorique, c’est une manière de donner de la crédibilité à la
représentation. Le motif qui comporte des effets de réalité peut être une pure création du peintre,
sans valeur documentaire reconnaissable, en prenant pour définition de document la représentation
d’un objet singulier produit par le peintre.

Revenant à André d’Ypres, de l’autre côté du calvaire, une représentation du Palais du Louvre. La
relation entre la représentation du Louvre et le palais de la Cité correspond à peu près à la
topographie de Paris.
Détail des deux badauds (passants) dans le fond, c’est aussi un détail qui apparaît dans la Madone au
Chancelier Rolin de JVE auparavant. Van der Weyden également reprendra ce motif, dans Saint Luc
peignant la vierge. Ce dernier accompagne d’autres marques d’humidité dans l’architecture et des
plantes qui poussent. Il s’agit ici d’un motif rhétorique plutôt que d’une réalité documentaire au sens
strict.

Dans quelle mesure, néanmoins, peut-on évaluer le potentiel documentaire d’une représentation du
15-16-17-18ème siècle ? Qu’est-ce qui, dans ces représentations, peut-être considéré comme
intégrant des fragments de réalité contemporaine, reproduite individuellement ou générique ?

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Bon exemple dans :


Jan van Eyck, Madone dans l’église. Berlin 1428-30. Petit format
On étudiera cette image en tenant compte du fait que l’église représentée n’existe pas dan la vie
réelle là où JVE a travaillé. C’est une image générale d’une cathédrale. La taille de la vierge relève de
conventions figurées (elle est bien trop grande par rapport à l’arrière-plan).
Cependant, la présence de vitraux, bien que limitée, montre qu’on remplace partiellement le verre
transparent blanc par du verre coloré. Les verrières du haut sont colorées.
Autre élément de valeur documentaire, absence complète de chaises, dans nef que dans le côté
gauche. Cette absence est un élément frappant pour les spectateurs d’aujourd’hui, car à partir du
19ème on installe toujours des chaises dans la nef, ou du moins quelques bancs. Avant ça donc,
l’espace architectural était principalement vide, ce qui a été saisi dans le tableau.
3ème détail, on voit des disparités stylistiques considérables, parce que la construction des
cathédrales et des églises pouvait prendre un siècle, même plusieurs. Ici, des détails depuis la nef
vers le cœur vont du 12ème jusqu’à la moitié du 13ème. Dans la cathédrale d’Amiens, on voit que la nef
est de la 1ère moitié du 13e, alors que le triforium est de la fin du siècle. Cette mise au goût du jour du
plan s’observe dans des cathédrales françaises connues. On peut mettre en parallèle la collégiale
cathédrale fictive de JVE et la cathédrale d’Amiens (même sens de construction).

❖ Autre cas d’images qui n’ont pas été réalisées intentionnellement comme documents mais
qui peuvent être utilisées comme tels par des historiens cherchant à rendre visible la réalité
d’un passé donné.

Pietro Longhi (1702-85)


On s’intéressera à un peintre vénitien du 18ème, il travaille dans le dernier siècle de l’indépendance de
Venise jusqu’à la conquise napoléonienne.
On peut visualiser certains aspects de cette indépendance dans les œuvres de Longhi, qui montrent
des scènes de la vie quotidienne vénitienne.

Bergère au coq. Ca. 1740


La valeur documentaire de ses œuvres varie : certaines sont des stéréotypes de la peinture de scène
de la vie populaire du 16ème. On exerce également une forte influence d’un peintre flamand (David
Teniers) dans certaines de ses scènes campagnardes. Cette peinture semble fondamentalement une
variation sur des modèles iconiques préexistants répétés par des peintres vivant en milieu urbain qui
n’ont pas observé la paysannerie.
C’est le cas pour le couple joyeux de Longhi. Tons bruns, terre battue dans le sol, est-ce vraiment une
taverne vénitienne ou est-ce du remâché de Teniers ?

Le tailleur. Venise. Ca. 1741


La visite à la Dame. New York, The Met. 1746.
En revanche, lorsqu’il représente le monde de la ville, qui lui était familier, il y a des infos qui peuvent
être utilisées par les historiens de la vie privée de Venise au 18 ème. Par exemple, ce tableau
représente une famille importante de Venise, ils ont accroché au mur un portrait de sénateur
vénitien.
2ème tableau, un autre portrait de glorieux ancêtre sénateur orne les murs du palais familial.

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On voit aussi un dispositif pour neutraliser les courants d’air, lourde tenture en velours vert, un
élément de l’équipement des demeures vénitiennes au 18ème. L’usage comme tapis d’orient comme
nappes est largement attestés, objets exotiques se trouvant non pas sur le sol mais sur des tables,
selon un usage certainement curieux pour les turcs ou les persans.

La visite à Monsieur. New York, The Met. 1746.


Le monsieur en question est entrain de se faire raser à domicile, déesses antiques dénudées au mur,
genre d’images qu’on plaçait dans les chambres à coucher à l’époque. La dame qui rend visite à
Monsieur doit avoir des rapports intimes. De nouveau, une porte couverte d’une lourde draperie de
velours vert.

La diseuse de bonne aventure. Venise, Ca’Rezzonico. Ca. 1752.


Peinture intéressante ici. Les peintures de Longhi ont conservé l’état des galeries du Palais ducal,
construit en style gothique au 14ème. La galerie inférieure était régulièrement couverte avec des
sortes d’affiches électorales. Les seuls propriétaires avaient la possibilité d’élire le curé de la
paroisse. Les candidats à la cure faisaient campagne sous la forme de médaillons comportant une
inscription, ces médaillons étaient réalisés au pinceau sur les murs mêmes de la galerie des doges.
Ces affiches ont été reproduites plusieurs fois par Longhi, ce qui a permis de dater avec assez de
précision les tableaux.

Chez l’apothicaire. Venise. Ca. 1752


Valeur documentaire aussi pour ce tableau représentant une pharmacie au milieu du 18 ème. On
observe la présence d’une représentation de l’adoration des bergers sur un meuble entre deux
porcelaines de chine. Le dispositif rappelle un autel avec un retable. Ceci donne une aura sacrée
particulière à cette pharmacie. Il était coutume de convoquer le sacré même dans une pharmacie.

Il mondo novo. Venise. Ca. 1756


Ce qui est peut-être le plus intéressant chez Pietro Longhi, c’est la présence du monde du spectacle,
qui à priori est une réalité éphémère, sur laquelle nous sommes souvent peu informés via les sources
écrites. Ici, vue de cette galerie basse du palais ducal de Venise, avec les inscriptions « électorales ».
Ici, le nouveau monde était un paysage mobile de l’Amérique qu’on contemplait dans une grande
caisse à travers 2 orifices. En tirant des cordes, le montreur faisait s’animer des figures plates
d’animaux en bois, souvent des gravures.

Le Charlatan. Venise. 1757.


Le coiffeur. Vicence. Idem.
Personnage cherche à vendre quelque objet. Ici, le coiffeur qui se rend à domicile en plus du barbier
et du tailleur. Présence de ces métiers qui s’exercent à domicile dans les familles patriciennes, info
documentaire des peintures. Sur cette peinture du coiffeur on observe également un portrait au
mur, qui contient une inscription détaillant le nom d’un doge vénitien, auquel la dame représentée
(en plus de son enfant, sa nourrice et son coiffeur) serait apparentée. Ce portrait ainsi fait est très
valorisant pour elle et son statut.

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Longhi, Il Casotto del Leone. Venise. 1762


La baraque aux lions. Il s’agit de représenter quelque chose qui a existé, présentation d’un spectacle
forain où on faisait danser des chiots et des souris en habits du 18ème. Pour spectateur, un lion est un
spectacle sonore et visuel. Inscription en bas : « La baraque aux lions vue a Venise au carnaval en
1762, peinte au naturel par Pietro Longhi. ». On voit, sur l’image, Longhi et son commanditaire. Il se
présente comme un témoin de la scène. Document certainement crédible, mais qui relève aussi
d’une mise en scène (tous les éléments apparaissent de la manière la plus convenable possible pour
la composition du tableau.

Longhi, Éléphant. Venise. 1774.


Il va de même pour ce tableau dont l’inscription dit : Vero Ritratto del Elefante Condotto a Venetia
l’anno 1774. Dipinto per mano di Pietro Longhi. Per commissione della N(obile) D(onna) Marina
Sagrado Pisani.
« Vera ifigies », cf. Le rhinocéros de Dürer, même genre de formule. Le terme était également utilisé
pour la version italienne du rhinocéros de Dürer. On peut assumer qu’il y a vraiment eu un éléphant à
Venise, et que la dame a réellement existé. Le peintre se place sur le côté de la composition, non pas
par soucis documentaire (on l’imagine plutôt devant pour le dessiner), mais par soucis visuel pour le
tableau. Le montreur a aussi été déplacé près des spectateurs, alors qu’il aurait été plutôt près de
l’éléphant.

Voilà ici une série de documents avec une réelle valeur informative pour les historiens de la vie
quotidienne vénitienne au 18ème, tout en tenant en compte les valeurs esthétiques de chaque
tableau, du fait que ces documents, font partie d’un système des beaux-arts, et que donc certains
éléments seront influencés par ça.

COURS 5
CHAPITRE 3 : DOCUMENTS FIGURÉS FAUX, LE CAS ALAIN TARICA
Quels discours produits par les historiens de l’art pour démasquer des documents figurés faux ?
La dénonciation de faux en sculpture, dessin, gravure, peinture, occupe une place importante ces
dernières décennies dans les médias. Les histoires de faux sont d’un grand intérêt pour le grand
public. La production de faux a un effet égalisant, dans bien des cas les prétendues élites
scientifiques sont victimes de faussaires et se trompent au même titre que le profane.
Il s’est développé une rhétorique de la dénonciation de faux, et on va aborder un cas de figure d’une
dénonciation de faux qui en réalité relève plus de la calomnie que de la démonstration scientifique.

On va étudier de quelle manière un HdA peut espérer démontrer qu’une œuvre ancienne est un faux,
quelles règles d’argumentation faut-il suivre et de quelles formules rhétoriques faut-il se méfier ?

❖ Point de départ :
7 millions de dollars pour un faux. Alain Tarica, 1991.
Résumé visuel dans la couverture de la thèse du livre, on voit de quelle œuvre il s’agit : un tableau
avec une dominante rouge-grise, qui est mis en relation avec le titre en caractères noirs et rouges, ce
qui suggère une sorte de relation d’identité entre le titre et le tableau. Le titre est disposé dans une
sorte de carré, rappelant les dimensions du tableau (relation d’équation entre les deux).

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Critique des sources partie 3

Après avoir vu la couverture, 1ère page. Nom de l’auteur, titre ici accompagné d’un « ! », l’ouvrage est
fait en collaboration avec Lorraine Lévy. Cette dernière aurait joué un rôle décisif dans la rédaction,
car l’auteur n’est pas lui-même connu comme auteur de publications d’histoire de l’art (il se serait
fait interviewer par LL, qui aurait ensuite donné forme à l’ouvrage).

La peinture en question :
❖ Dirk Bouts, Annonciation. Malibu, The J. Paul Getty Museum.
Conservée à Malibu depuis les années 80. La lecture de quelques extraits de ce livre permettra de
comprendre comment s’organise une argumentation visant à démontrer le caractère faux d’un
tableau ancien.

« Autopsie d’un faux Septembre 1984


Un de mes clients, Ronald Lauder, alors sous-secrétaire d’État à la Défense aux États-Unis,
m’appelle pour me demander mon avis sur un tableau qu’il vient d’acheter sept millions de
dollars à Eugene Thaw, un grand marchand de tableaux new-yorkais. Je me rends donc chez
Thaw qui, tout en me montrant la toile, m’explique qu’il s’agit d’une remarquable Annonciation
du peintre flamand Dirk Bouts. Au premier regard, je comprends que nous sommes en présence
d’un faux, à deux mains de surcroit. Le premier faussaire ayant probablement opéré au siècle
dernier, le second, infiniment moins habile, il y a moins de vingt ans. Cet ensemble, absolument
grotesque, sera pourtant le point de départ d’une formidable polémique à laquelle seront
confrontés aussi bien de très grands experts que le Metropolitan Museum de New York, le Getty
Museum et la National Gallery de Londres » (pp. 11-12).

→ « Autopsie », le tableau ne serait qu’un cadavre. Dévalorisation de l’objet est une stratégie
omniprésente.
Le décor ainsi planté, le tableau est introduit, et l’autorité d’ AT est établie, c’est un homme qui a de
riches clients, œuvre acquise par un grand marchand new-yorkais, « au premier regard » il comprend
qu’il s’agit d’un faux, il est un quasi-visionnaire, son profil est signalé dès le tout début du livre.
L’expert est dans un milieu social très haut, sa vision savante permet de voir ce qui échappe au
commun des mortels.

« Quels étaient donc les attributs classiques d’une Annonciation ?


Il s’agissait de faire comprendre au spectateur que la femme représentée était Marie et non une
autre sainte, et l’ange, Gabriel, l’Annonciateur de l’Immaculée Conception.
On utilisait alors différents symboles : un vase aux trois lys blancs pour Marie, soulignant qu’elle
était trois fois Vierge (Ante partum, Virginitas in Partu, Post Partum), ainsi qu’une colombe
blanche dans un halo lumineux (l’Esprit Saint qui va devenir le Christ dans son corps) et, pour
caractériser Gabriel, un sceptre à la main (il est le messager de Dieu) ou un phylactère, long
ruban emmêlé́ à sa robe, sur lequel est écrite la prière de l’Annonciation qui commence par Ave
Maria.
L’Annonciation que venait d’acheter Ronald Lauder représentait bien un ange agenouillé devant
une femme, mais sans aucun des symboles, aucun des attributs iconographiques classiques
propres à toutes les Annonciations de ce siècle. Et personne ne songeait à s’en étonner » (pp.
20-21).

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Critique des sources partie 3

→ La doctrine de l’immaculée conception porte sur la naissance de la vierge, c’est la vierge qui aurait
été conçue de manière immaculée, mais l’auteur n’est pas théologiquement précis.
→ Triple virginité de la vierge, importante doctrine dans la religion chrétienne.
AT fait ici référence de manière implicite à d’autres représentations de l’Annonciation au 15 ème, par
exemple celle de l’atelier de VDW, à New- York. On retrouve là effectivement les éléments cités par
l’auteur. Autre exemple chez Hans Memling, Annonciation. New York, The Met. De nouveau, le vase
avec les lys symbole de virginité, et le sceptre tenu par l’archange Gabriel, ainsi que la colombe sur la
tête de la vierge. Qui apporte la semence divine dans le corps de Marie.

Il n’y a effectivement aucun de ces symboles dans le supposé faux. Fondamentalement, l’info d’AT
est extrêmement lacunaire. S’il avait poussé plus loin la recherche, il aurait vu qu’il existe au 15ème
des Annonciations dans le nord de l’Europe dans lesquelles ces symboles ont été omis. Ce schéma de
la vierge avec un ange agenouillé devant elle était un schéma à ce point caractéristique qu’il suffisait
à signifier l’Annonciation pour le public.

Atelier flamand (milieu du XVème s.), Annonciation. Traduction française du Speculum


humanae salvationis. Malibu, The J. Paul Getty Museum.
Illustration de l’annonciation sous une forme abrégée, forme similaire au tableau de Malibu.

Cette obligation d’utiliser des attributs pour identifier la vierge Marie et l’archange Gabriel par AT
n’est pas historiquement fondée. Un peintre du 15ème peut montrer l’annonciation sans l’encombrer,
plus comme une image de la vie quotidienne (vase directement au sol est une anomalie dans les
usages communs, par exemple).

« Je m’amusai à relever les erreurs et à les attribuer à leurs auteurs respectifs :


D’abord le baldaquin. Qu’est-ce qu’un baldaquin au XVème siècle ? C’est un dais rectangulaire
placé au-dessus d’un lit, et garni de rideaux destinés à protéger efficacement du froid pendant
la nuit. Or, le baldaquin de ce tableau, de forme étrangement trapézoïdale, surplombe une sorte
de banc qu’on ne peut prendre pour un lit, étant donné son étroitesse (...).
De plus, ce baldaquin est dépourvu de rideau sur l’un des côtés, preuve que l’auteur de la peinture
ignore à la fois l’‘anatomie’ du meuble et son utilité.
Les artistes de l’époque, eux, reproduisaient les baldaquins tels qu’ils les voyaient, c’est-à- dire
obligatoirement rectangulaires et garnis de lourds rideaux sur tout leur périmètre. Il suffit, pour
s’en persuader, de consulter l’étude très documentée sur les lits à baldaquin au XVème siècle de
E.K. Hicks, parue dans la revue savante Antiek (Antiek, 1982, 16, n° 8, pp. 481-486), ou d’aller
découvrir l’un de ces meubles d’époque au Musée des Arts décoratifs de Paris ou au
Gruuthusemuseum de Bruges. » (pp. 23-26)

→ référence à un article en néerlandais est censée valoriser le discours de AT.

Que penser de ce 2ème argument ? le baldaquin est-il réellement anormal, le lit l’est-il également ? Le
baldaquin suscite les plus grandes critiques de la part de l’auteur :

« Examinons notre baldaquin d’encore plus près : le coin droit n’a manifestement pas été
dessiné, au contraire du coin gauche qui est, lui, nettement précisé. Le résultat est que le

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Critique des sources partie 3

baldaquin, au lieu d’être rectangulaire, a une découpe trapézoïdale, créant un effet de ‘tente de
harem’.
Le second faussaire a compris son erreur et, pour la dissimuler, a choisi de ne pas accuser le
dessin du coin droit. C’est probablement à ce même ‘artiste’ que l’on doit l’extension de la zone
rouge du baldaquin, et le geste, incroyable et encore jamais vu dans une Annonciation, de
l’ange dont la main se perd dans les plis du rideau. » (pp. 23-26)

→ on retrouve ici l’ironie de l’expert qui cherche à dévaloriser l’objet qu’on a vendu pour une grande
somme. Il y aurait donc une « tente de harem ».

Assez clairement, AT compare l’Annonciation de Malibu à des Annonciations connues du Met par
exemple celles de VDW et Memling (citées plus haut). On voit effectivement que les deux présentent
des baldaquins rouges, couleur faite avec des pigments très chers. Ces rouges constituaient un objet
de luxe dont la vierge était ornée.

Ces baldaquins au 15ème siècle ne se trouvaient pas spécialement au-dessus de lits :


Maître d’Antoine de Bourgogne, Miniature de Valère etc. (Sur un bain public)
Jean Prévost, Annonciation. Rotterdam.
Le baldaquin de Bouts est donc au-dessus d’un banc avec un coussin, ce qui est tout à fait normal, et
non pas au-dessus d’un lit mal dessiné. Cette formule du baldaquin se retrouve aussi chez Prévost.
Ici le baldaquin surmonte simplement un banc qui sert de prie-Dieu.
Il apparaît qu’AT est mal informé, confond sa culture générale avec le corpus dans sa totalité, et
parce qu’en général le baldaquin est associé à un lit, ça n’est pas le cas toujours au 15 ème siècle.

Quant au motif de l’ange qui saisit une tenture, on le retrouve souvent dans le 15-16ème dans le nord-
ouest de l’Europe :
Martin Schongauer, Annonciation.
L’ange attrape une partie du tissu de la tente où se trouve Marie. Les églises de l’époque étaient
froides et venteuses, les fidèles les plus privilégiés obtenaient l’autorisation d’installer des petites
tentes ou des cabines en bois pour suivre la messe à l’abri des courants d’air. C’est de ceci qu’a doté
MS la vierge Marie.

Sculpteur du sud de l’Allemagne, vers 1500, Annonciation, Graz.


Dispositif semblable dans ce relief du 16e .

Albrecht Dürer, Annonciation


Même dispositif de l’ange qui tient le rideau du baldaquin dans les années 1510.
Encore une fois, un baldaquin sur un banc plutôt que sur un lit. Cette gravure est sûrement la plus
proche du tableau de Malibu, par le baldaquin et l’ange qui en tient le rideau.

Ces œuvres sont plus tardives que l’annonciation de Malibu, elles sont de la fin15 début 16 e, mais on
retrouve les mêmes motifs.
Ici pourtant, une œuvre contemporaine à Bouts, qui reprend le motif de l’ange dans le coin supérieur
droit :
Maître westphalien de 1473, Retable de la sainte Parenté. Soest, Wiesenkirche.

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Critique des sources partie 3

Il est donc complètement erroné pour AT de dire que le geste de l’ange est du « jamais vu ».

« Autre erreur stupéfiante : la position du livre sur le mur.


Au XVème siècle, un livre est un objet rare, précieux, très cher puisque fait à la main, traité
d’autant plus religieusement qu’il s’agit presque toujours d’un livre de prières. Toutes les
Annonciation de cette époque montrent l’extrême précaution avec laquelle on traite le livre, qui
repose soit à plat sur un prie-Dieu, soit sur un coussin. Le second faussaire ignorait
probablement qu’un peintre de l’école flamande n’aurait jamais représenté le Livre ouvert
appuyé négligemment contre un mur. C’est pourquoi il n’a pas craint de badigeonner ce qui
auparavant devait être la seconde draperie rouge du baldaquin au bas de laquelle se trouvait le
prie-Dieu, le transformant en un mur gris-violacé. »
(pp. 23-26)

→ livre de prière : AT a raison, les livres sont effectivement précieux (surtout ceux de prière sur
parchemin). Il y avait des versions plus ou moins bon marché, mais ce sont des objets faits par des
experts, uniques.

→ Pour AT, le baldaquin aurait été retouché par un 2 nd faussaire, le rideau de droite aurait été
dissimulé par un mur gris (confirmé au rayon X).

Le livre de prière est-il ici traité de manière désinvolte ? Il convient de tenir compte d’autres
représentations de l’époque. Le 15ème vise à montrer la vierge Marie comme modèle de la dévotion
personnelle, privée, dans l’espace domestique, qui joue un rôle majeur en occident depuis le 14ème.
Ceci mène à l’aménagement de l’espace privé pour qu’il accueille la prière. On va utiliser certains
éléments du mobilier domestique comme des prie-Dieu. Dans la peinture de Prévost, on voit ce
phénomène, la vierge est devant un banc, sur lequel on se serait normalement assis. Le banc est un
objet multifonctions. Cette manière de faire nous l’observons dans de nombreuses peintures du
15ème, ici chez Bouts on voit très bien qu’il s’agit d’un coffre. Les coffres étaient communs, on avait
peu de grandes armoires par exemple. Ce coffre ici a été poussé contre le mur et est utilisé par la
vierge comme un prie-Dieu. On voit donc une volonté de montrer à quel point la vierge avait
transformé sa chambre à coucher en chapelle de façon à pouvoir prier dans son espace privé.
L’Annonciation n’est jamais seulement la représentation de l’épisode biblique, mais une image
pensée comme un exemple pour le spectateur, le fidèle.
Il n’y a aucun mépris du peintre de la toile de Malibu vis-à-vis des livres sacrés.

« Une autre erreur, encore plus grossière, tient aux proportions de l’ange : il est agenouillé et la
longueur de sa cuisse, au regard de sa taille, est démesurée. Si on le faisait mentalement se
relever, il paraîtrait immense (et ses ailes ridiculement petites), plus grand que la Vierge elle-
même, alors qu’il se trouve au second plan. C’est qu’à l’origine, l’ange peint par le premier
faussaire se trouvait en position de génuflexion, et non agenouillé.
Sa génuflexion, que l’on retrouve dans toutes les Annonciation de cette époque, était aussi une
marque de déférence envers la Vierge Marie. Mais le second faussaire, en remaniant l’ange,
transforme sa posture et le met à genoux sur le sol, sans déplacer la position de la ceinture,
créant ainsi des cuisses exagérément allongées. De telles erreurs ne sauraient être imputables à
un maître de la perspective comme Dirk Bouts, qui poussa probablement le perfectionnisme

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Critique des sources partie 3

jusqu’à concevoir un cadre ajouré afin de renforcer les perspectives de son Jugement de Dieu, ou
Justice d’Othon, conservé aux Musées Royaux de Bruxelles » (pp. 23-26)

→ Il fait allusion au panneau qui contient un décor réel, avec une comtesse qui défend l’innocence de
son mari, décapité.

Incontestablement, Bouts maitrisait la perspective comme on voit dans ces deux peintures. Il
n’empêche qu'un peintre du 5ème n’avait pas la même conception de la vérité perspective qu’un
peintre du 19e . De façon à rendre compréhensible une action, le peintre avait ouvrent tendance à
représenter les protagonistes de l’action au même format indépendamment de leur disposition dans
l’espace. On voit ce phénomène dans les deux tableaux que mentionne AT, notamment dans La
justice d’Othon. Pour des soucis narratifs, les proportions ne sont pas toujours respectées, en exprès
donc en dépit des capacités picturales de l’artiste.
C’est donc ce phénomène qu’on voit dans la toile de Malibu. L’ange est plus loin, mais est dessiné
largement plus grand. Comme les deux personnages sont dans une action commune, pour
immédiatement percevoir le lien narratif, l’ange est « trop grand ».
C’est une manière de faire caractéristique des peintres flamands du 15ème , et donc pas une erreur
comme l’avance AT.

Toute l’argumentation d’AT tourne autour de la « rhétorique » du cas unique, et toute une série de
traits présentés par AT comme suspects, seraient suspects car ils ne seraient attestés dans aucune
autre œuvre de l’époque et la région.

On constate qu’AT a mal effectué sa recherche, lorsqu’il prétend que certains détails sont uniques, il
se trompe (baldaquin, tenture tenue par l’ange, disproportions narratives volontaires, etc.).

Il faut remarquer que, au-delà des limites assez étroites de ses connaissances en peinture flamande,
le fait qu’un motif ne soit jamais attesté au 15ème ne constitue pas nécessairement un indice en
faveur du caractère non-authentique d’une image.

Maître de Flémalle, Triptyque de Mérode. New York, The Cloisters.


Comme on l’avait remarqué depuis longtemps, cette peinture est unique en tant qu’image de
l’Annonciation. C’est le seul exemple, en tout cas au 15ème, d’une vierge de l’Annonciation qui
continue à lire dans son livre de prière alors que l’ange est entré. C’est une composition unique, et
pourtant l’attribution et l’authenticité n’ont jamais été remises en question.

Memling, Annonciation. The Met.


Comme est d’ailleurs absolument unique cette autre peinture de Memling. Bien qu’elle contienne
tous les symboles cités plus haut, il y a une particularité unique dans toute la peinture européenne
du 15ème, c’est la présence de 2 anges et qui semblent aider Marie à ne pas tomber dans les pommes
suite à la nouvelle bouleversante. Il y a à droite un ange qui l’attrape par le bras gauche, l’autre lui
passe le bras gauche dans le dos. Cette idée de l’évanouissement de Marie est une idée que Memling
a été le seul à visualiser.

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Critique des sources partie 3

Il faut considérer que beaucoup de ces tableaux du 15 ème sont uniques et sont le résultat d’une
commande, d’une relation étroite entre le peintre et le commanditeur, qui pouvait avoir une
interprétation personnelle très claire, qu’il pouvait souhaiter voir accomplie. Le fait que ces œuvres
soient des commandes leur donne souvent une qualité très individuelle, elles ne sont pas destinées à
un large public, mais à une chapelle ou espace privé. Les conceptions du client ont pu être illustrées
de manière précise par le peintre.

L’argument de AT de l’unicité comme étant la preuve du caractère faux n’est pas recevable. On a vu,
dans les exemples cités, des représentations plus excentriques que celle traitée dans le livre. Cette
dernière a une certaine originalité dans ce souci de dépouillement, cette tendance à la bichromie par
exemple, mais aucune anomalie. Même s’il y en avait eu, ça n’aurait pas été en soi un argument
décisif en faveur d’une falsification.

Nous avons donc dans le livre d’AT un très bel exemple de fausse démonstration du caractère faux
d’un tableau du 15ème, un entassement de figures rhétoriques qui visent à dévaloriser un objet pour
valoriser le dénonciateur. En réalité, l’argumentation développée relève du mensonge pseudo-
scientifique et est un exemple à éviter lorsqu’il s’agit d’argumenter pour un faux.

COURS 6
CHAPITRE 4 : DOCUMENTS FIGURÉS FAUX, LE CAS JOSEPH VAN DER VEKEN
❖ On va s’intéresser à des documents figurés faux, qui cette fois-ci sont vraiment faux, et qui
aujourd’hui encore se retrouvent dans des salles de ventes et des musées.
On va proposer une méthode d’argumentation qui permet de mettre en évidence des falsifications
et de mettre en évidence le corpus d’un faussaire.

On différencie 2 grands types de faussaires :

1. Les faussaires intuitifs


Faussaires qui, sur la base de connaissances d’une production d’une telle époque, estiment pouvoir
être capables de réaliser des œuvres dans le même style. Ils regardent des œuvres de l’artiste à
contrefaire, étudient sa manière stylistique et graphique. Puis, estimant s’en être suffisamment
imprégné, ils produisent une œuvre nouvelle de cet artiste.

Han van Meegeren, Dernière cène (dans le style de Vermeer).


Un des plus connus, Han van Meegeren. Produit des faux Vermeer, qui est considéré comme un des
plus grands génies. Le corpus étant très réduit (40aine d’œuvres certaines), c’est là que repose tout
l’enjeu du faussaire. C’est ce que va faire HMV, avec un talent particulier. Il va imiter le style de
Vermeer et aussi sa technique, ses pigments naturels (plutôt que les pigments chimiques
contemporains). Il ne copie pourtant jamais aucune œuvre existante, ses faux sont une démarche
intuitive fondée sur la capacité que peut avoir un individu à s’approprier un style. Ce type de faux se
signale par leur faible durabilité. Les modes changent, tout ce qu’il peut y avoir de 20ème siècle,
même inconsciemment, apparaît en pleine lumière lorsque le gout a changé. Les faux intuitifs ont
une durée de vie assez courte. Ceux de HMV ne tromperaient plus personne de nos jours. Ce qui
nous frappe dans les faux Vermeer est tout ce qui relève du goût des années 30-40 du 20e . Le
faussaire n’avait pas conscience de ces traits qui le trahissent, c’est fondamentalement dans les

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Critique des sources partie 3

années 60-70, quand les idéaux avaient changé, que les œuvres de HMV sont apparues comme
fausses.

Han van Meegeren, Le Christ au Temple parmi les docteurs (juifs) de la Loi.
Peint pendant la WW2. L’influence de l’antisémitisme des années 30 est manifeste, qui a été vendue
au maréchal Göring pendant l’occupation. Cette image se rapproche des caricatures antisémites de
l’époque, les valeurs aryennes du visage du jeune jésus contrastes avec les visages stéréotypés juifs.

Ces faussaires intuitifs réalisent des imitations qui sont rapidement reconnaissables avec un peu de
recul. L’illusion est de courte durée

2. Les faussaires collagistes


Bien plus difficiles à déceler. Ces faux sont le résultat d’emprunts de tableaux de l’époque à simuler.
Le faussaire s’inspire directement des tableaux et reprend des fragments de visages, vêtements,
paysages et les combine différemment dans une même toile. Démarche de copiste, au début on
travaille à partir d’originaux anciens, soit dans les musées ou des œuvres qui leur étaient confiées
(les photographies étaient pendant longtemps trop floues, surtout dans les drapés, pour servir de
modèle). Souvent ils étaient des restaurateurs, qui avaient pour side-hustle d’être faussaires.

Cette manière de créer une image nouvelle n’est pas une invention des faussaires. Au 15ème début
16e, il existait déjà cette pratique combinatoire au sein des ateliers.
Exemple :
Maître des Portraits Baroncelli, Madone au trône arqué. Berlin.
Elle est due à un peintre brugeois. Ce tableau est le résultat d’un collage d’emprunt. La Madone au
chanoine Van der Paele a donné notamment le modèle de l’enfant jésus et le carrelage. Une autre
source est celle d’un autre tableau du peintre, cette fois la Madone au trône arqué de Grenade, à la
Capilla Real.

Fabriquer une image nouvelle à partir d’emprunts était une méthode déjà existante, ce n’est donc
pas la marque distincte d’un faussaire.
Cette étude des emprunts par un faussaire permet de rattacher des œuvres certaines de ce faussaire
à d’autres œuvres qui pourraient sembler authentiques.

❖ Point de départ :
Faussaire moderne, Portrait d’homme. New York, collection privée.
Faussaire moderne, Portrait de femme. New York, collection privée.
Deux panneaux confiés au Met de NY en 1996. Ces portraits étaient considérés comme des œuvres
de Memling. Après analyse au labo, les 2 panneaux ne pouvaient être des originaux.

Comment le savoir ?
- Présence dans la couche picturale de sulfites de baryum, pigment chimique du 19 e
- Cette couche picturale repose sur une couche de laque, qui a pour caractéristique de se
craqueler rapidement, ce qui amène un réseau de craquelures précoce. Technique
caractéristique des faussaires d’œuvres de l’époque médiévale (il ne suffit pas de copier le

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Critique des sources partie 3

style, mais aussi donner l’apparence de l’âge et du vieillissement, dû à l’instabilité du support


bois).
Pour des fausses craquelures : placer la peinture dans un four, forte altération de la surface
picturale. Technique un peu brutale.
Autre technique, peindre sur une couche de gomme laque, qui fissure immédiatement la
surface de la couche picturale.

Pas de doute donc sur le fait que ces deux tableaux imitent Memling avec une intention de fraude.
Ces panneaux faisaient partie d’un triptyque jusqu’en 93. Le propriétaire avait vendu le panneau
central, qui lui aussi était faux. Ce triptyque était fragmentaire, le fond ne correspond pas. Beaucoup
d’œuvres du 15ème flamandes ont été victimes des iconoclastes, il existe donc beaucoup de
triptyques fragmentaires (Calvinistes au 16ème). La mutilation donnait de la crédibilité comme
document historique.

- Volet gauche : inspiré d’un portrait de donateur conservé à Bucarest.


- Volet droit : portrait de femme du musée des beaux-arts de Bucarest. Elle tient dans le faux
un rosaire, sa chemise translucide est maintenant opaque (plus austère et plus dans le style
des primitifs flamands?)
- Panneau central : à partir de ≠s emprunts. Le drapé de la vierge s’inspire partiellement d’une
vierge posant pour St. Luc d’un peintre allemand Westphalien.

Dirk Baegert, Saint Luc peignant la Vierge. Münster, Westphälisches Landesmuseum.


Il se trouvait d’abord dans une collection privée anversoise, le faussaire l’aurait étudiée lorsqu’on la
lui aurait confiée pour restauration. Ce drapé du 15e est difficile à imiter pour les faussaires, car en
suivant formation du 19ème ils avaient appris les drapés sur le modèle antique des drapés sur le corps
nu. Ici les drapés couvrent quasi-complètement le corps, c’est donc plus difficile à reproduire
spontanément. Il était très important de s’appuyer sur des peintures du 15 ème .

2 sources d’inspiration pour le drapé, celle de Münster et un détail de :


Frères Van Eyck, Vierge de l’Annonciation. Polyptyque de l’Agneau mystique.
On retrouve des éléments très précis, on a donc affaire à un collage d’une grande précision, d’une
greffe.

Cette étude des sources d’un faux est importante pour l’HdA. À partir des sources utilisées pour un
faux, il devient possible de rattacher à ce faux d’autres faux, sur base de l’argument du répertoire.
De nombreux faussaires, lorsqu’ils faisaient des études dessinées, ont réutilisé des modèles. Ils
avaient un répertoire de motifs, à une époque où les moyens photographiques ne sont pas
suffisamment bons pour rendre les drapés. On peut considérer comme très improbable que 2
faussaires ≠s aient utilisé au même moment le même motif d’un même tableau. Les faussaires ont
accès à un corpus très large au 19ème siècle, les corps de modèles disponibles au grand public étaient
de plus en plus grands. Encore plus improbable que 2 faussaires combinent dans une même œuvre
des mêmes emprunts.
Sur ce raisonnement, on peut rattacher d’autres faux entre eux qui se trouvent dans des collections
privées ou des catalogues de ventes.

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Critique des sources partie 3

Autre exemple de faux :


Faussaire moderne, Triptyque de la Vierge à l’Enfant. University Park, Pennsylvania,
Palmer Museum of Art.
Elle a longtemps été considérée comme légitime. Elle est pourtant une imitation, et plus
précisément à l’auteur du triptyque précédent, on voit de grandes similitudes au niveau des mains et
du livre de prière. Il est assez peu probable que 2 faussaires aient emprunté le même détail au même
moment.

Autre preuve, document de labo, photo en infrarouge. Les visages des personnages se présentent
comme des taches blanches, sans aucun modelé, sont symptomatiques d’un faux. Un authentique
peintre flamand mettait toujours le modelé en dessous, au niveau du dessin sous-jacent. La
préfiguration était même plutôt précise. Exemple ici avec une œuvre de Memling.

On peut identifier d’autres sources pour le volet gauche et droit. Il s’agit d’un portrait d’homme et de
femme d’un peintre polonais de la renaissance du 16ème .
Barthel Bruyn l’Ancien, Portrait d’homme. Anvers, Koninklijk Museum voor Schone
Kunsten.
Barthel Bruyn l’Ancien, Portrait de femme.

Dans ce triptyque, le pseudo-donateur reproduit les traits d’un bourgeois peint par Bruyn. Ces 2
volets étaient considérés comme des peintures d’un peintre flamand, ce n’est qu’après qu’on les a
attribuées au peintre polonais. Le faussaire les a donc pris comme inspiration de manière erronée.

Musée national de Cuba, La Havane. S’y trouve une pièce considérée pendant longtemps comme la
meilleure pièce de la collection. Triptyque attribué à Memling, La vierge et l’enfant avec donateurs.
Dans le premier cartel, c’est Memling, mais dans le cartel récent c’est attribué plus largement à
l’école de Bruges.
Il s’agit en fait de l’œuvre d’un faussaire, le même dont on parle. Les volets s’inspirent clairement du
triptyque Moreel. Le lien avec le triptyque de NY est manifeste, on retrouve dans la toile de fond le
même motif, dont on ne connait pas l’origine.

La vierge à l’enfant dérive de la vierge à l’enfant posant, on retrouve clairement le drapé et la


position de l’enfant, notamment au niveau du genoux. Détail aussi le lave à la lèvre quadrilobée.
Sur le volet gauche, personnage calqué sur l’effigie du donateur, sur la droite le personnage est
calqué sur son épouse. La démarche du faussaire n’était pas de produire un écho de l’épouse, mais le
modèle est le portrait de la donatrice de l’agneau mystique, Élizabeth Borluut, le drapé est
largement le même. Borluut, ayant un visage plutôt ingrat, a vu son visage remplacé pour le
remplacer pour le visage plus avenant de Barbara van der Berg. La démarche du faussaire va dans le
sens d’une trivialisation de ses modèles.

On constate que la robe de la vierge de La Havane combine la Madone de st. Luc avec le drapé de
l’agneau mystique. Cette combinaison indique qu’il s’agit bien du même faussaire.
La pose de la madone est appelée « pose de l’humilité « , elle apparait dans l’iconographie au 14ème.
Elle apparaît assise à même le sol sur un coussin.

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Critique des sources partie 3

Bartolomeo de Camogli, Madone de l’Humilité. Palerme, Galleria regionale della Sicilia.


La formule tombe en désuétude au 17ème. Au cours du 19e , la vierge devient la 4ème personne de la
trinité, on lui attribue une origine surnaturelle. On la voit alors comme extrêmement distante,
comme on voit ici, sur un trône, inaccessible :

Jean-Guillaume Rosier, Beata Virgo vallis liliorum. Malines, Stedelijke Musea.


Cette manière de rehausser la vierge transparait dans le traitement de la vierge du faussaire.

Hans Memling, Vierge à l’Enfant. London, The National Gallery.


Les faussaires travaillant sur le modèle du collage ne sont donc eux aussi pas exempts d’appliquer les
gouts et les couleurs de leur propre époque à leurs copies.
Un autre détail qui trahit le faussaire : le sexe de l’enfant jésus. À partir du 15e, il est courant de
montrer les parties génitales de l’enfant. C’est une manière de suggérer que Dieu s’est entièrement
incarné en l’enfant. Ces parties génitales étaient relativement évoquées dans la Madone de St. Luc,
mais de manière trop concrète pour le faussaire, qui les a cachées derrière un tissu.
Le faussaire se présente comme héritier du puritanisme des temps modernes. Au 17e, la nudité de
l’enfant jésus est condamnée. Même si le faussaire avait pour mission de copier le 15e, il ne pouvait le
faire qu’en respectant les normes de présentation selon les consignes du Concile de Trente.

❖ Autre encore du même faussaire, proche du triptyque de La Havane :


Faussaire moderne, Vierge à l’Enfant. Zurich, Vente Koller, 1992.
À nouveau, Guillaume Moreel a été le modèle pour le donateur de ce panneau. Ils partagent le
drapé, mais le visage est celui de son fils, choisi car moins sévère et plus charmant. Le visage de la
donatrice est celui de Borluut. Pour la vierge, c’est la vierge de The National Gallery de Londres. Ici
aussi, parties génitales dissimulées. L’habit inférieur de la vierge s’inspire de celle de :

Hans Memling, Triptyque des deux saint Jean. Vienne, Kunsthistorisches Museum.
La robe est remontée au niveau du genoux gauche, laissant voir une autre robe. On retrouve cette
même inspiration dans un tableau conservé à Bruxelles.
Faussaire moderne, Vierge à l’Enfant. Bruxelles, collection Wansart (anciennement).

Pour la partie supérieure :


Hans Memling, Vierge à l’Enfant. New York, Aurora Fund Inc.
C’est cette source aussi qui a été utilisée dans une faux du Michigan. L’enfant jésus de ce tableau
provient de Dirk Bouts, Vierge à l’Enfant. Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, mais
avec cette fois-ci encore l’enfant n’est pas complètement dénudé. De nouveau, le même détail aux
genoux.

Faussaire moderne, Vierge à l’Enfant. Munich, vente Helbing, 1904.


Le faussaire a répété à plusieurs reprises certaines de ces compositions. Ici exemple rare, qui a un
TAQ. La technologie du support est fausse, ça n’était pas du tout produit à l’époque et dans la région
d’inspiration. Il n’y avait pas vraiment de connaissances élaborées et formulées textuellement en ce
qui concerne les supports. On a un type de triptyque qui n’avait rien à voir avec ce qui était fait dans
les anciens Pays-Bas.

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Critique des sources partie 3

Faussaire moderne, Vierge à l’Enfant avec anges. New York, commerce Wildenstein,
vers 1950.
Œuvre des débuts du faussaire, car sont combinées des sources connues :
Jan van Eyck, Madone à la fontaine. Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten. (bras
d’honneur tenu par des anges)
Jan van Eyck, Madone de Lucques. Francfort-sur-le- Main, Städel-Institut. (vierge et l’enfant)
Hans Memling, Vierge à l’Enfant entre deux anges. Florence, Galleria degli Uffizi.
Hans Memling, Vierge à l’Enfant entre quatre anges. Munich, Alte Pinakothek. (ange de gauche)
Encore une fois, drapé du genou du triptyque de Vienne.

Faussaire moderne, Triptyque de la Vierge à l’Enfant. Brno, Moravská Galerie.


Un des plus grands succès du faussaire. Il a suscité des commentaires élogieux dès le début.
Panneau central restauré sans qu’on sache si c’était volontaire ou le temps qui a endommagé. Le
drapé de la donatrice est celle de Borluut (avec visage plus gracieux). Plusieurs drapés sont
empruntés à Quentin Metsys. L’enfant et sa mère une source n’a pas été identifiée clairement,
sûrement venant d’une collection privée.

Faussaire moderne, Saint Michel avec donateur. Paris, Musée du Petit Palais.
Faussaire moderne, Saint Sébastien (?). Paris, Musée du Petit Palais.

Ces deux œuvres avaient été présentées dans le catalogue du Louvre comme appartenant à :
Bartolomé Bermejo, Saint Michel avec donateur. Londres, The National Gallery
Saint Michel avec donateur et St. Sébastien. La figure du St. Michel de Bermejo a été reprise. Le
diable a été remplacé par un dragon, pris dans le revers d’un triptyque de l’atelier de VDW. Le st. Seb
vient d’un st. Seb de Venise. Le pseudo-donateur est un collage de deux portraits du 15ème : l’homme
au turban, autoportrait de JVE (même coiffure), et des éléments du portrait de Philippe de Croÿ de
VDW (chevelure, nez, les mains). Les habits ont été calqués sur le portrait de Borluut.

Il existe un faisceau permettant d’identifier le faussaire. Cela a été une grande révélation en 2005
lors d’une exposition au sujet des faux. On a montré des outils et des dessins d’un restaurateur belge
qui depuis longtemps passait pour un restaurateur douteux, et avait réalisé des faux : Joseph Van
der Veken, (Anvers 1872- Ixelles 1964).

VDV avait hyper-restauré un tableau de VDW. Il était un restaurateur très interventionniste, visant à
créer de la plus-value. Il réalisait des chefs-d’œuvre en repeignant des parties endommagées.
Il a également fait de la falsification intégrale, comme on voit sur cette planchette d’études. C’est un
artiste belge qui a effectué des recherches et a découvert toute cette pratique de faux. On retrouve
le brocard de la planchette sur plusieurs des faux.
Dans les archives des descendants de VDV, on retrouve des dessins préparatoires, auxquels le St.
Seb est fort semblable. VDV est né à Anvers, il avait donc accès aux musées locaux. À travers de la
reconstitution de son corpus, on peut développer une argumentation scientifique pour déterminer le
caractère de faux d’une œuvre, sur base de raisonnements probabilistes, qui créent un cadre de
références, avec lequel établir le caractère faux d’un cadre avec quasi-certitude.

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Critique des sources partie 3

COURS 7
CHAPITRE 5 : IMAGES DE LA VIERGE NOIRE DE LIESSE, OU COMMENT REPRÉSENTER UNE
STATUE MIRACULEUSE
❖ Reprise de certaines notions abordées précédemment en étudiant le cas particulier des
représentations suscitées par une image miraculeuse, la vierge noire de Liesse.

Sur la carte :
Liesse est une petite localité en France, à quelques 150km de Bruxelles et Paris. Liesse n’est plus
connue aujourd’hui que des érudits d’histoire du catholicisme. Avant le 19 ème, et depuis la fin du
15ème siècle, c’est le lieu de pèlerinage le plus célèbre, attirant le plus important public de pèlerins
dans le nord de la France.

Liesse est dominée par cette église de Notre-Dame construite au 15e en style gothique flamboyant.
Si Liesse a attiré un très vaste public depuis le 19e, la localité est tout à fait éclipsée en termes de
rayonnement touristique par la ville de Laon, avec sa superbe cathédrale, concentre le tourisme
dans la région.
➢ Laon, Cathédrale, XIIème siècle.

Liesse attirait les foules en raison d’une statue de la vierge qui passait pour miraculeuse.
Ici, frontispice d’une Histoire de Notre-Dame de Liesse, par un certain chanoine Villette. Il a déposé
un ouvrage destiné aux pèlerins les plus fortunés, qui souhaitaient s’informer de la légende.
Le livre est luxueux, illustré.

❖ Résumé de la légende en parcourant certaines des illustrations gravées d’après des


compositions de Jacques Stella au 17ème.
Jacques Stella (d’après) : Vénération de Notre-Dame de Liesse.
Sanctuaire de NDdL, à l’époque de la publication. Inexacte du POV architectural mais montre bien
les compétences attribuées à la statue miraculeuse : on voit dans l’assistée un possédé crachant un
diable sous l’influence positive de la vierge. Également un couple de paralytiques qui attendent leur
guérison, une mère avec son enfant malade, des ex-voto à la paroi.

Jacques Stella (d’après) : Arrestation des Trois Chevaliers.


Cette statue est associée à un récit de conversion qui met en scène 3 croisés nobles picards, qui
seraient partis au 12e en terre sainte. Ils ont dans cette gravure avec une croix sur le torse, ils sont
arrêtés par les Mamelouk au 12 e, ils sont faits prisonniers et conduits au Sultan. L’histoire se passe
dans une certaine antiquité chrétienne, ils sont dessinés en cuirasse romaine. Ils sont représentés
comme des légionnaires romains, conforme à l’usage du 17 e, manière d’appréhender le passé
médiéval.

Jacques Stella (d’après) : Les Trois Chevaliers devant le Sultan.


Les croisés se retrouvent devant le Sultan, sorte de roi d’Égypte avec une couronne sur le turban. Ils
sont confrontés à des théologiens musulmans qui veulent les convertir, mais ils résistent et sont
enfermés dans un cachot.

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Critique des sources partie 3

Jacques Stella (d’après) : Ismérie reçoit la statue de Notre-Dame de Liesse des mains des
Trois Chevaliers.
Ils reçoivent là la visite d’Ismérie, fille du Sultan, qui avait quelques doutes quant à la foi musulmane,
et désirait voir de ses propres yeux la vierge Marie. Elle est habillée « à l’égyptienne », avec une
coiffure plate « de gitane », qui étaient considérées comme égyptiens, elle est dans un costume
pseudo-antique. On voit combien les systèmes de représentation, de convention ont changé par
rapport aux systèmes actuels.
Un des croisés lui demande de lui fournir des outils de sculpteur et du bois pour réaliser une statue
de la vierge pour qu’elle puisse la voir. Ismérie accepte, et revient le lendemain avec la demande. Le
croisé se rend compte qu’il n’est pas capable de sculpter. Pendant la nuit, un ange arrive avec une
statue toute faite, c’est ce qu’on voit sur l’image.
Les croisés remettent la statue d’origine surnaturelle.

Jacques Stella (d’après) : Ismérie vénère la statue de Notre-Dame de Liesse.


Ismérie prend la statue, elle est fascinée et la vénère (premier-plan). Pendant la nuit, elle voit en rêve
la vierge et la reconnait (arrière-plan).

Jacques Stella (d’après) : Ismérie et les Trois Chevaliers se réveillent en Picardie.


Elle fuit avec les 3 croisés et la statue, traversent le Nile et sont transportés par un nuage porté par
des anges. Ce nuage ramène les 5 en Picardie.

Jacques Stella (d’après) : Baptême d’Ismérie.


Ismérie demande le baptême, les 3 croisés sont ses parrains.

Jacques Stella (d’après) : Construction de l’église Notre-Dame de Liesse.


Elle demande qu’on construise une église pour la statue. L’histoire est censée se passer au 12 e, mais
la façade du dessin correspond à la façade du 15 e .

La Vierge et l’Enfant remettant la statue de Notre-Dame de Liesse aux Trois Chevaliers.


Saint-Jean de la Vallette, Chapelle Notre-Dame de Liesse.
Ce culte de NDdL a connu une certaine diffusion, il y a une chapelle en son nom à Malte. On voit les 3
croisés et la vierge Marie qui envoie la statue.

Duval : Le parvis de Notre-Dame de Liesse. Illustration de J. De Saint- Pérés, Histoire


miraculeuse de Nostre-Dame de Liesse [...], Paris, 1657.
Ce lieu de pèlerinage accueillait toutes les classes sociales, estropiés et mendiants et bourgeois, un
des rares lieux de mixité sociale. Sur le plan médian, l’église (aujourd’hui basilique) avec une
représentation intéressante, dont on peut tirer une leçon de la confrontation entre la gravure de
1657 avec l’état authentique de la façade de l’église.
La grande baie de la façade occidentale de la gravure est en plein cintre, alors qu’en vrai elle
comporte un arc brisé gothique, de style flamboyant. Il faut considérer qu’entre l’achèvement en
1500 et la gravure de 1657, la baie de façade avait été modifiée. Au 17 e, climat de grande hostilité au
style gothique, senti comme barbare et non-conforme aux principes de l’art romain. Même lorsqu’on
reproduit un bâtiment gothique, on le représentait autrement. Il est donc important de connaître les

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Critique des sources partie 3

codes de style ne vigueur à l’époque de la représentation pour correctement interpréter le document


comme référence historique.
À l’arrière-plan, la colline de Laon avec sa cathédrale. Laon a été placée incorrectement
géographiquement (Laon est au sud-ouest et non pas à l’est). Il s’agissait d’introduire une référence
à l’évêché dont dépendait Liesse.

Vierge à l’Enfant. Soissons, Cathédrale.


À quoi ressemblait la statue ? La statue originale a été jetée dans un four de boulanger lors de la
Révolution française, mais on peut s’en faire une idée vague. On peut supposer qu’il s’agirait d’une
ce ces statues du 12-13e dont beaucoup de sanctuaires étaient dotés. Marqueur de l’époque romane :
retour d’une imagerie statuaire dans les pratiques religieuses après l’effacement de la pratique de la
statue dans le culte païen.

Notre-Dame de Liesse. Laon, Cathédrale.


Il y a des images datant du 19e qui auraient été créées à partir d’une nouvelle statue qui contiendrait
des charbons retrouvés dans le four où la statue authentique aurait brûlé.
Ces statues du 19e donnent une impression de vérité (elles sont nombreuses), mais ne se basent sur
aucun prototype ancien.

Graveur français : Notre-Dame de Liesse. Liesse, Musée de la Basilique.


On est confrontés à des images extrêmement différentes lorsqu’on essaye de restituer la statue. On
a des images comme celle-ci, où elle est habillée avec l’enfant sur les genoux.

Jean-Baptiste Letourmy, éditeur : Notre-Dame de Liesse. Marseille, Musée des


Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée.
Mais on en a d’autres comme ici au 17e où elle est habillée mais debout avec l’enfant dans le bras
gauche.

→ Images contradictoires posent la question de la réelle apparence de cette statue.

Jean Messager, éditeur : Notre-Dame de Liesse. Paris, Bibliothèque nationale de France,


Cabinet des Estampes.
Cette gravure d’un graveur relativement connu ne ressemble à aucune des images précédentes. Il
s’agit de NDdL, pas de doutes là-dessus. On trouve une inscription en bas de l’image, ainsi qu’un
rébus : 2 vases contenant des lys et la lettre S. Au 17e, la fleur de lys se prononçait « li ». Par cette
logique, Li + S (esse) = Liesse.

Enseignes du pèlerinage de Notre-Dame de Liesse, XVème siècle. Paris, Musée National


du Moyen Âge – Thermes de Cluny.
Ce motif du lys et le S se retrouve sur des enseignes de pèlerinage. La formule était déjà ancienne du
15e au moment où la gravure a été faite. La vierge à l’enfant est plus ancienne que la gravure. Le
drapé de sa figure est celle des plis cassés sur le corps, donc typique du des peintres du 15e dans le
nord-ouest de l’Europe.

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Critique des sources partie 3

Quentin Metsys, atelier (?) : Vierge à l’Enfant. Varsovie, Muzeum Narodowe w


Warszawie. (1490-1500)
Cette NDdL a pour origine une peinture de QM. De cette composition il existe plusieurs exemplaires.
Même composition, dans la robe et la manche. Cet exemplaire de Varsovie est certainement le plus
proche. Encre deux autres exemplaires de cette composition :

Maître de la Madeleine Mansi : Vierge à l’Enfant. Museo de Zaragoza. (1510-20)


Peintre anversois : Vierge à l’Enfant. (1530-40).
Ces 3 exemplaires anversois sont les plus anciens qu’on connaisse.

Jérôme Wierix : Vierge à l’Enfant. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet


des Estampes.
JW (graveur) a repris la composition à la fin du 16 début 17. Il a fait beaucoup d’images de dévotion.
Puisque ses clients étaient très conservateurs, il choisit des images relevant de l’esthétique des
primitifs flamands. Il en existe 2 versions, cf. ppt.

L’existence de ≠ exemplaires d’une même composition permet à l’historien de restituer un modèle


commun. On considère alors que la critique de copie est un cas de figure de la critique de
témoignage, chaque copiste apporte un témoignage sur un modèle d’un original disparu qu’on peut
essayer de restituer en confrontant les témoignages.
On peut reconstituer ici par exemple avec beaucoup de précision les drapés de la vierge, 3
témoignages indépendants à partir d’un même modèle.
Pourtant, certains détails sont trop différents et la composition d’origine est floue : l’enfant tenait-il
un oiseau ou avec un rosaire autour du cou ? On ne connait pas non plus le vrai arrière-plan.

On peut reconstituer en grandes lignes une composition attestée du début du 16e dans l’atelier de
QM, qui remonte à un modèle de la fin du 15e.

C’est donc via JW que le graveur de Messager connaissait la composition de QM.


Pour le reste, l’utilisation d’un modèle du 15e pour la dame de Liesse interpelle :

❖ pourquoi avoir pris ce modèle, perçu comme ancien, pour représenter cette statue
miraculeuse ?

Jean Messager, éditeur : Notre-Dame de Liesse. Paris, Bibliothèque nationale de France,


Cabinet des Estampes.
e
2 représentation éditée par JM. Ici image commandée par une confrérie de NDdL établie à Paris.
Commandée en 1614, un an après la fondation de la confrérie. Cette gravure montre les dévots de
NDdL, qui ne ressemble à aucune des autres représentations. On voit aussi des anges qui font
pleuvoir des lys.

La source est une gravure de JW :


Jérôme Wierix : Vierge à l’Enfant. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet
des Estampes.

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Critique des sources partie 3

Cette gravure a été retournée, combinée à d’autres sources d’inspiration. Les figures d’ange sont
éclairées par la gauche, alors que la vierge et son fils le sont par la droite, anomalie dans l’art haut de
gamme, à moins de rendre évidentes d’autres sources d’éclairages. On sent un artiste peut expert
qui n’a pas reconstruit le modelé correctement.
En contre-bas, on a des dévots, des marches sous le trône de la vierge. Cet artiste ne maîtrise pas la
perspective ou le modelé. Les figures sont éclairées curieusement, de manière symétrique, les torses
sont de face et les visages de profil. Tout cela n’est pas conforme au haut de gamme de l’art des 16-
17-18. C’est ici un collage d’un artiste peu formé.

Le même éditeur publie 2 images très différentes. Dans tous les cas, il s’est inspiré de la tradition
flamande, même si ça n’est que par le biais de JW.
Ces deux ne représentent nullement la sculpture miraculeuse. La seule ressemblance possible est
que la première des deux montre la figure comme une sculpture de pied.

Jean Messager : Adoration des Mages. Paris, Bibliothèque nationale de France, Cabinet
des Estampes.
JM était parfaitement conscient du fait qu’il utilisait des prototypes anciens via JW. Nous
connaissons
le style de JM par cette gravure. Lorsqu’il gravait dans le style moderne, il est marqué par le
classicisme raphaélien.

Pourquoi avoir eu recours à des œuvres flamandes, relativement anciennes ? On constate au 16e que
la peinture flamande ancienne est considérée comme apte à porter l’esprit de dévotion.
1ère attestation de cette association entre peinture flamande ancienne et dévotion est dans la
bouche de Michel-Ange, selon le témoignage de François de Hollande, qui retranscrit les dialogues
entre MA et la Marquise Colonna. Ces dialogues sont publiés au 17 e, et ils suscitent l’intérêt des
historiens de l’art. L’un deux ici fournit un témoignage sur la perception de la peinture flamande :

La Marquise Colonna dit en souriant :


« Je désire savoir, puisque nous voilà sur ce sujet, ce qu’est la peinture flamande et à qui
elle donne satisfaction, car on y trouve me semble-t-il plus de dévotion que dans la
peinture italienne ».
« La peinture flamande » répondit calmement le peintre (Michel- Ange), « procure
généralement à un dévot, quel qu’il soit, plus de satisfaction que la peinture italienne ;
cette dernière ne lui arrachera pas une larme, alors que celle des Flandres lui en fera
verser en abondance, et ce, non en vertu de la vigueur ou bonté de cette peinture mais
de la bonté de ce même dévot. Elle doit plaire beaucoup aux femmes, en particulier aux
femmes très âgées, ou très jeunes, et de la même manière aux moines, aux religieuses,
et à quelque gentilhomme dénué du sens musical de la véritable harmonie » (...)
François de Hollande, De la peinture. Dialogues avec Michel-Ange, manuscrit vers
1538-1540 ( ?)

→ Ici, sous forme négative de la part d’un artiste d’avant-garde, associe la peinture flamande à la
dévotion.

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Critique des sources partie 3

Frères Van Eyck : Retable de l’Agneau mystique. Gand, Cathédrale Saint-Bavon.


Dans la 2nde moitié de 16e on constante que la peinture flamande du 15e est un support adéquat pour
la dévotion, et c’est à ce moment-là qu’en Espagne Philippe II fait réaliser une copie de l’agneau
mystique, destinée à être posée sur l’autel de la chapelle du Palais de Madrid, de l’Alcazar.
Ce retable vieux de 130 ans était le summum de l’art pictural religieux.

Lerme, église Saint-Blaise, chœur avec copie partielle de l’Agneau mystique .


Cette valorisation du retable donne lieu en Espagne au début du 17 e à la réalisation de toute une
série de copies du retable.

Rogier de le Pasture. Calvaire, El Escorial, Real Monasterio de San Lorenzo. Années


1450.
Philippe II fait venir en Espagne ce calvaire qui se trouvait à Anderlecht.

Jan van Eyck : Madone au chanoine Van der Paele. Bruges, Groeningemuseum.
Celui-ci sera placé sera placé sur un autel à Bruges

Jean Gossart : Adoration des Mages. Londres, National Gallery. Début 16ème
Se trouvait à st. Adrien de Gramont et sera placé sur l’autel de la chapelle du palais de Bruxelles.

Quentin Metsys : Vierge à l’Enfant. Berlin, Staatliche Museen.


L’archiduchesse Isabel avait dans son oratoire personnel cette peinture, veille de plus d’un siècle.

Willem Van Haecht : Visite des archiducs Albert et Isabelle à Cornelis van der Geest.
Anvers, Rubenshuis.
Vraiment cette idée que la peinture des primitifs flamands donnait cette idée de contemplation
religieuse idéale. Ici, représentation des tels à un collectionneur anversois, il se font montrer une
œuvre de QM du siècle précédent.

Graveur français : Notre-Dame de Liesse. Illustration de Giacomo Bosio, Histoire de


Nostre Dame de Liesse [...], Troyes, 1602.
Donc, style des primitifs flamands a semblé tout à fait adéquat pour NDdL. Autre représentation
gravée ici avant JM.

Peintre flamand : Repos pendant la Fuite en Égypte. Bruges, Memlingmuseum – Sint-


Janshospitaal.
Ici elle est représentée sur un talus selon l’iconographie qui s’inspire de celle du repos pendant la
fuite en Égypte.

Graveur français : Vierge de l’Apocalypse. Illustration de Giacomo Bosio, Histoire de


Nostre Dame de Liesse [...], Troyes, 1602 .
Ici, sous la forme de la vierge de l’apocalypse.

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Critique des sources partie 3

Graveur français : Exorcisme de Nicole Obry. Illustration de Giacomo Bosio, Histoire de


Nostre Dame de Liesse [...], Troyes, 1602.
Ici, dans un exorcisme, difficile car en 2 séances 16 diables sont sortis de son diable. La scène se
déroule devant l’autel principal de la basilique de Liesse. Selon la tradition, 3 statues de la vierge
étaient présentes.

Graveur français : Notre-Dame de Liesse. Illustration de René de Cériziers, Image de


Nostre Dame de Liesse [...], Reims, 1632.
Ici, elle illustre un ouvrage de dévotion illustré par un berger jésuite. Cette image suggère que la
vierge était une statue ou la vierge vivante, l’image est ambiguë.

❖ Comment expliquer ces images contradictoires, comment expliquer le véritable


processus de substitution par lequel la statue a été remplacée par un primitif flamand ?
Ce texte donne des indications et permet de comprendre le conflit entre goût et dévotion. La statue
miraculeuse était perçue comme étant très laide par son public le plus cultivé, ce qui explique des
représentations qui changent la figure originale.

René de Cériziers, Image de Nostre Dame de Liesse [...], Reims, 1632 :


« Quelqu’un en voyant la sainte Image de Liesse pourroit bien s’étonner de voir
si peu d’art en sa sculpture, & treuver étrange que la Vierge ayt elle mesme donné un si
rude crayon de son incomparable beauté. Que si les Anges l’ont faite, qui pourra croire
qu’ils ne soient meilleurs ouvriers ; & que les yeux d’une Princesse se soient laissez
surprendre à de si foibles attraits » (p. 222) ?

→ RdC est une des rares sources qui formalise ce qui devait être une discussion largement courante
au 17e.
« Il ne serviroit à rien de dire que [la Vierge] a voulu former l’Image d’une beauté
sur l’idée de celle[s] de l’Egypte, qui sont ordinairement brunes, car outre que les
femmes de ce pays là sont les plus belles de toute l’Afrique, & que l’Italie n’a rien admiré
à l’égal d’une Cleopatre, & d’une Berenice, c’est chose asseurée qu’Ismerie demandoit le
portrait de la Mere de Dieu, & non pas d’une Egyptienne » (pp. 222-223).
→ Il s’agissait d’une vierge peinte en noire.

Vierge à l’Enfant. Soissons, Cathédrale.


Exemple de l’aspect que devait avoir la statue.

Quelques exemples de vierges noires :


1. Notre-Dame de Montserrat.
2. Notre-Dame de la belle mort. Clermont Ferrand, Cathédrale.
3. Notre-Dame du Puy-en-Velay.

Tradition de statues peintes en noir à partir du 13 ème car elles s’étaient obscurcies avec la fumée des
cierges. La statue choque le gout de RdC mais en tire un argument pour fonder son caractère
miraculeux :

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Critique des sources partie 3

« C’est l’ordinaire de nostre Dieu d’employer les petites choses, pour en faire de
grandes » (pp. 224-225).
« Une simple baguette, luy a autrefois soumis l’orgueil de Pharaon : il a remply
la Iudée de prodiges avec un petit coffre de bois, qui n’estoit plein que de Manne: quand
il veut ruiner des Villes entieres ses machines ne font qu’un peu de bruit : pour donter les
puissances de la terre, il fait ses armes de guespes, & de moucherons » (pp. 225).

Ceux « qui ont voulu faire adorer le Diable dans un morceau de cuivre, ou
d’argent, ont employé toute l’industrie de l’Art pour donner quelque perfection à ces
divinitez, qui n’avoient rien de precieux que leur matiere » (pp. 225-226).

« C’est donc une merveille plus digne de nos admirations, que le Ciel fasse tant
de prodiges avec un morceau de bois, que s’il se servoit d’un ouvrage, qui pût hazarder
sa gloire, & notre salut, & faire des Idolatres au lieu d’acquerir des serviteurs à
l’incomparable Marie » (p. 228).

« Quelque nécessité que vous souffriez, quelque infirmité qui vous afflige,
n’avez vous pas de quoy acheter une Image de la Vierge, ny assés de force pour la
regarder » (pp. 500-501) ?

« Or c’est une vérité, qui ne souffre aucune doute, que la devotion des saintes
Images de la Vierge est familiere a toutes les belles ames, & à ceux mesme, qui
pourroient en former de plus parfaites idées que le pinceau » (p. 501).

→ Se développe ici une argumentation qui permet de sauver théologiquement la laideur de la


statue. Instrument imparfait, mais c’est justement cette imperfection qui indique que derrière son
pouvoir exceptionnel ne peut se trouver autre que Dieu.

Le raisonnement sauve et justifie la laideur de la statue, mais ne permet pas de la requalifier


esthétiquement. Toutes les représentations de NDdL sont une stratégie d’évitement historique, elle
n’a jamais été représentée telle quelle, et les reproductions relèvent de mécanismes de substitution
comme c’en est le cas de JM.
On change cette esthétique dite d’un M-â laid par une plus acceptable du MA tardif, du 15ème, plus
proche des conventions esthétiques du 17ème, plutôt que le style roman tardif.

Cette étude de la statue de NDdL met en perspective historique la notion de représentation, qu’est-
ce que représenter dans le 16e-17e-18e, on se rend compte que la représenter c’est simplement
évoquer son nom, et visualiser la statue miraculeuse selon des démarches de substitution qui
correspondent à un fort idéal esthétique dont il n’était pas question de priver une représentation de
la vierge même au nom de la représentation documentaire.

Pour conclure, on mettra en évidence l’extrême complexité de la notion de représentation, qui


doit toujours être abordée dans une perspective historique, en tenant compte que la notion
même de de reproduction, peut recouvrir des pratiques culturelles bien différentes de celle de la
photo documentaire.

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