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Lectures

Les comptes rendus | 2021

Thomas Delemotte, Francis Kramarz, Benoît


Schmutz, L’emploi et le territoire
Gabriele Orlandi

Electronic version
URL: https://journals.openedition.org/lectures/52620
DOI: 10.4000/lectures.52620
ISSN: 2116-5289

Publisher
Centre Max Weber

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Gabriele Orlandi, “Thomas Delemotte, Francis Kramarz, Benoît Schmutz, L’emploi et le territoire”,
Lectures [Online], Reviews, Online since 19 November 2021, connection on 27 September 2023. URL:
http://journals.openedition.org/lectures/52620 ; DOI: https://doi.org/10.4000/lectures.52620

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Thomas Delemotte, Francis Kramarz, Benoît Schmutz, L’emploi et le territoire 1

Thomas Delemotte, Francis


Kramarz, Benoît Schmutz, L’emploi
et le territoire
Gabriele Orlandi

1 À l’heure où certains territoires sont affectés par un chômage chronique et que d’autres
souffrent les effets de la congestion des emplois et des activités économiques, quel rôle
les politiques publiques peuvent-elles encore jouer ? Voici la question qui traverse cet
essai, publié par trois spécialistes de l’économie du travail au sein d’une collection
consacrée à l’évaluation des politiques de l’emploi. Compte tenu des logiques de
localisation des activités productives, on comprend tout l’intérêt d’une réflexion
informée sur les politiques territoriales et notamment sur leur adéquation aux
dynamiques des marchés de l’emploi, en particulier lorsque l’on considère les manières
dont s’articulent les échelons de l’action publique, ainsi que les effets, souvent moins
prévisibles, de cette dernière à longue terme.
2 En effet, la prophétie d’un marché de l’emploi s’ajustant instantanément grâce aux
bienfaits de la mondialisation ne s’est pas accomplie. Même entre zones proches, les
divergences spatiales s’exacerbent depuis quelques décennies, ce qui semble éloigner la
perspective d’un aplatissement du monde. Une telle affirmation, à laquelle la majorité
des géographes n’hésite pas à souscrire, ne constitue pas encore un constat partagé au
sein de la science économique. C’est ce retard que cet ouvrage au petit format tente de
combler, en mobilisant les recherches les plus récentes en économétrie et en économie
du travail. En particulier, on constate aujourd’hui que les espaces où se concentrent les
activités productives et ceux où l’on trouve les aménités pourchassées par les ménagés
le plus qualifiées difficilement se superposent, rarement se rapprochent. Au contraire
les territoires où l’accès à l’emploi est le plus facile ne sont pas ceux qui assurent le
meilleur niveau de vie. De plus, et bien que nous observions aujourd’hui en France une
convergence entre les taux de croissance respectifs des centres-villes, des banlieues et
des zones péri-urbaines, les disparités en termes de revenus restent significatives. Pour
mieux comprendre ces phénomènes et leurs corrélations, l’ouvrage examine de plus

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près les logiques qui informent les mobilités des travailleurs au quotidien, ainsi que les
choix de localisation des ménages et des entreprises.
3 Les dernières décennies ont été globalement marquées par une progressive
augmentation des distances entre le domicile et les lieux de travail, les populations
souhaitant habiter dans des lieux pourvus des biens (y compris l’environnement
naturel ou les occasions de sociabilité) et ces services qu’elles considèrent comme des
aménités. Cela implique également que les ménages sont prêts à accepter des emplois
qui correspondent moins bien à leurs compétences si ce choix leur permet de se
rapprocher de leur quartier préféré. Peut-on alors supposer que le recours au
télétravail puisse favoriser un meilleur appariement entre les recruteurs et les profils
recherchés ? Seulement en partie, car la nature et la valeur de ces aménités évolue dans
le temps selon des dynamiques sur lesquelles les pouvoirs publics n’ont pas de prise. De
plus, des « frictions » segmentent le marché de l’emploi sur une base spatiale : postuler
un emploi éloigné demande souvent davantage d’investissements en temps et en
recherche d’information ; de plus, le choix de déménager entraîne une perte de capital
social, et il représente ainsi un coût de plus en plus important à mesure que le
travailleur avance dans son cycle de vie, donc constitue un obstacle important à un
meilleur appariement entre emploi et compétences. Contrairement aux logiques des
individus, les stratégies de localisation des entreprises ont été beaucoup moins
étudiées. On retient toutefois le fait que le capital physique dont elles disposent,
généralement difficile à revendre, constitue une contrainte importante à leur
relocalisation, même en présence de chocs économiques importants qui entraînent une
diminution de rentabilité. Dans de tels cas, les entrepreneurs seront amenés à
maintenir un niveau minimum de production plutôt qu’à arrêter un établissement en
activité.
4 Comment alors les pouvoirs publics peuvent-ils agir pour réduire ces coûts et favoriser
la rencontre entre des opportunités d’emploi qui se déplacent au fil du temps et des
populations de travailleurs qui, elles aussi, sont mouvantes ? La réflexion sur la
dimension spatiale des politiques de l’emploi se poursuit dans la troisième et dernière
partie de l’ouvrage, qui esquisse un bilan des initiatives mises en œuvre, en Europe ou
ailleurs, pour rendre plus mobiles travailleurs et demandeurs d’emploi, d’une part, et
rendre les territoires plus attractifs, d’autre part, notamment envers les entreprises qui
génèrent des productions à haute valeur ajoutée. Les dispositifs présentés dans
l’ouvrage constituent autant d’études de cas, mais, en raison de la complexité des
facteurs impliqués, il est difficile d’en mesurer l’impact et ainsi établir des constats
généralisables. Les politiques zonées obtiennent également des résultats très mitigés et
hétérogènes. En France, la création des territoires à fiscalité abaissée n’a pas amené à
une amélioration du taux d’emploi chez la population résidente, ni produit une
dynamique endogène. En effet, les entreprises qu’y s’implantent ne sont pas créées ex
novo : il s’agit le plus souvent d’entreprises existantes qui se relocalisent dans ces zones,
si bien que le bilan numérique reste inchangé – à l’échelle agrégée.
5 Le lecteur comprend bien, au long de l’ouvrage, à quel point la matière est complexe et
vaut bien un tel compendium. Le bilan esquissé par les auteurs en guise de conclusion
incite ainsi à davantage d’études. Ils estiment, en même temps, que la plupart des
politiques spatialisées se sont avérées peu efficaces, à l’exception des interventions sur
l’offre immobilière, qui apparaissent prometteuses. À cet égard, le fort morcellement
administratif du territoire français représente un obstacle qui pourrait être dépassé par

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la fusion de communes. Une attention particulière est requise afin que ces fusions
n’engendrent pas une perte de services de proximité pour les communes les plus
isolées. Il s’agit encore une fois de trouver, au cas par cas, les manières de concilier le
ciblage de l’action politique avec les injonctions d’équité qui fondent nos démocraties.

AUTHOR
GABRIELE ORLANDI
Doctorant en anthropologie à Aix-Marseille Université, membre de l’Institut d'ethnologie
méditerranéenne, européenne et comparative (Idemec).

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