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TD Relations internationales 2022/2023

Omid MAJIDI AHI

Séance 7 – La responsabilité internationale des entreprises multinationales


en matière de droits de l’homme et de l’environnement

 Qu’est-ce qu’une entreprise multinationale ?

Au sens minimaliste, il s’agit d’une entreprise implantée dans plusieurs États au moyen de
filiales dont elle détient tout ou une partie du capital. Si l’on s’en tient à cette définition, la
taille de l’entreprise multinationale importe peu, ce qui compte c’est son caractère
international.

En réalité, bien que les documents de la fiche ne différencient pas toujours sur la base de ce
critère, c’est bien les entreprises multinationales de taille importante qui sont visées. Avec le
plus souvent une société mère et une multitude de filiales directes ou indirectes, elles
cumulent des sommes importantes de capitaux et de ressources, emploient directement ou
indirectement des milliers de personnes dans le monde et ont des activités commerciales et/ou
de production qui s’étendent sur plusieurs États.

La difficulté est donc la suivante :


a) comment réglementer les activités des entreprises multinationales ?
b) et surtout, pour ce qui nous intéresse ici : les entreprises multinationales, vu l’impact
grandissant de leurs activités, sont-elles tenus de respecter les règles du droit
international ? Peut-on engager leur responsabilité sur ce fondement en cas
d’infraction aux droits de l’homme et de l’environnement ?

En l’état actuel du droit, la responsabilité internationale des entreprises multinationales est


encadrée au niveau international par des instruments non contraignants (majoritairement)
mais des instruments contraignants émergent petit à petit (tant en droit interne
qu’international).

 Les sources non contraignantes : les codes de conduite privés/publics en matière


de RSE

1) La RSE, c’est quoi ?


La Responsabilité sociétale des entreprises ou Responsabilité sociale des entreprises
(RSE), c’est l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales
(notamment les droits de l’homme) et environnementales à leurs activités
commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes.

La mise en oevure de la RSE prend la forme de codes de conduite. Ce sont des actes
volontaires adoptés par les entreprises et qui vont présenter leurs engagements en
matière de respect des droits de l’homme, des droits sociaux, de l’environnement. Ces
codes privés ont été largement adoptés par les entreprises multinationales à partir du
début des années 1990. Ex : Doc. 3 : voir la partie II.B de l’arrêt qui analyse le
contenu du code d’éthique de la société Alstom.
La RSE est encouragée et guidée par des standards normatifs que les organisations
internationales publiques incitent à adopter par le biais d’instruments de soft law (=
instruments non contraignants). Ex : Documents 1 et 2 de la fiche.

2) Les codes de conduite privés :

La question qui se pose est la suivante : peut-on engager la responsabilité


internationale d’une entreprise qui aurait commis une infraction à son propre code de
conduite, vu le caractère non contraignant et privé de ces instruments ?

Doc 3. C.Civ, 3ème, Associations France Palestine solidarité « AFPS » c. Société Alstom
Transport SA : (section II.B)

- Dans cette partie de l’arrêt, L’OLP (Organisation de Libération de la Palestine)


soutient que les règles de droit international public tirées du droit humanitaire sont
applicables aux sociétés en cause dans la mesure où elles se sont engagées à les
respecter au sein de leurs codes de conduite. En effet, le code d’éthique de la société
Alstom/Veolia mentionne que la société s’attache à respecter certaines dispositions
relatives aux droits de l’Homme, dont le Pacte Mondial (2000) et la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme (1948).
- Est-ce que ces codes sont opposables aux sociétés (en l’espèce : Alstom) et
susceptibles d’être invoqués par les tiers (en l’espèce : l’OLP) en cas de violation ?
- Réponse de la Cour : « Ce guide, qui émane d’une démarche personnelle, sans
sanction prévue ne peut être considéré comme un acte valant engagement dont
les tiers peuvent se prévaloir ». « Parmi les textes visés n’ont de caractère obligatoire
que ceux directement liés au droit du travail ».
- Donc ici l’argument est rejeté.

Doc 4. Arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, 25 septembre 2012,


Affaire Erika

- Faits : Le 12 décembre 1999, l'Erika, un navire pétrolier de la société Total, fait


naufrage au large de la Bretagne. Une gigantesque marée noire (400km) souille les
côtes françaises (du Finistère à la Charente -Maritime) et des milliers d'oiseaux
mazoutés périssent. L’action visait ici à établir la responsabilité de la société Total.
(notamment pour préjudice écologique, notion consacrée par la Cour dans cette
affaire puis codifiée plus tard: article 1247 C.Civ : « Est réparable, dans les
conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte
non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices
collectifs tirés par l'homme de l'environnement »)

- Textes applicables :
o Convention CLC 69/92 : Convention internationale sur la responsabilité civile
pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de 1969
o Convention de MARPOL : Convention internationale pour la prévention de la
pollution par les navires, entrée en vigueur de 1983.
Les articles applicables de ces deux textes stipulent que : « une demande en
réparation de dommage par pollution peut être formée contre le propriétaire du
navire ainsi qu'à l'encontre des autres personnes qui y sont énumérées lorsque
le dommage a été commis témérairement et avec conscience qu'un tel
dommage en résulterait probablement ».
o Procédures volontaires de vetting (Code de conduite de Total) : contrôle de
conformité des exigences de sécurité et de protection de l’environnement

- Résumé de l’arrêt : Les juges du fond avaient écarté la demande de réparation civile
des victimes formée contre la société Total SA en estimant notamment que la société
n’avait pas eu d’éléments d’informations suffisants pour constater la présence
d’anomalies et justifiant d’empêcher le départ du navire Erika. Une simple négligence
et non une faute dans la procédure de contrôle avait alors été retenue. La Cour de
cassation affirme en revanche que : « alors que les constatations de fait,
souverainement appréciées par la cour d'appel, caractérisaient une faute de témérité, au
sens de la Convention CLC 69/92, à la charge de la société Total SA, et qu'il en
résultait que son représentant avait nécessairement conscience qu'il s'ensuivrait
probablement un dommage par pollution »

Quel apport en ce qui concerne les codes de conduite ? la Cour de cassation leur
accorde une importance décisive pour établir la faute de témérité de la société. Elle
estime que le code de conduite lui est opposable dans ce contexte : « qu’une inspection
du navire, réalisée dans le cadre de sa mission de contrôle de conformité aux
exigences de sécurité et de protection de l’environnement, dénommée « vetting », si
elle avait été correctement effectuée dans les conditions et les délais prévus par les
procédures internes, aurait dû mettre en évidence […] les faiblesses de l’Erika, inapte
à naviguer en Atlantique ».

Donc on voit que la prise en compte de ces codes de conduite est assez variable. La
plupart du temps, le juge ne les considère pas comme des actes contraignants mais
selon la formulation et le contexte de l’affaire, ils peuvent parfois servir à confirmer
l’engagement de la responsabilité de l’entreprise.

3) Les codes de conduites publics :

Il s’agit ici plutôt d’instruments de soft law (donc non contraignants), principalement élaborés
par des organisations internationales, dans le but d’encadrer les codes de conduites privés et
d’orienter les entreprises et les États vers une meilleure mise en œuvre de la RSE.

Deux exemples dans la fiche.

Doc. 2 : Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales


[extraits]

Historiquement l'OCDE représente la première organisation à avoir tenté d’encadrer les


activités des multinationales en adoptant en 1976 les Principes directeurs à l'intention des
entreprises multinationales. Ces principes sont porteurs de recommandations étatiques
adressées aux entreprises multinationales afin de « responsabiliser » leur comportement
social, environnemental ou plus largement sociétal.

- Champ d’application des principes directeurs : Toutes les entreprises qui opèrent à
partir d’un État membre de l’OCDE ou qui agit sur l’un d’eux.
- Recommandations aux entreprises : les principes directeurs s’en remettent à la volonté
des entreprises mais tentent de les pousser dans des domaines variés :
o Respect des droits de l’homme des personnes affectées par leurs activités
o S’abstenir de rechercher ou d’accepter des exemptions non prévues dans le
dispositif législatif ou réglementaire concernant l’environnement, la santé, la
sécurité etc
o Encourager les fournisseurs, sous-traitants à se conformer aux principes
directeurs des Nations Unies
- Donc globalement, on reste dans une démarche de recommandation, pas d’obligation.
Toutefois les principes de l’OCDE sont assez bien repris par les multinationales dans
leurs codes de conduites.

Doc. 1 : Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme : mise en
oeuvre du cadre de référence « protéger, respecter et réparer » des Nations Unies
[extraits]

- Essayez de lire les parties I et II et de voir la différence entre les dispositions


destinées aux États et celles destinées aux entreprises.

- Partie I : Les Etats : Destinataires des principes fondateurs : Ils ont l’obligation de
protéger les droits de l’homme des atteintes commises par les tiers notamment les
entreprises. Cela implique : l’adoption de mesures de prévention +
enquête/punition/réparation en cas d’atteinte

- Partie II : Les Entreprises : Destinataires des principes directeurs : ici les


entreprises ne sont pas destinataires d’obligations mais de
recommandation/d’incitations. Vocabulaire utilisé : « devraient » « évitent »
« s’efforcent »
▪ Entreprises concernées (§14) : toute entreprise quelle que soit sa taille,
son secteur d’activité, son cadre de fonctionnement, son régime de
propriété, sa structure
▪ Droits de l’homme concernés : Droits de l’homme internationalement
reconnus. Au minimum : Charte internationale des DH (DUDH + les 2
Pactes) + principes concernant les droits fondamentaux énoncés dans la
Déclaration OIT sur les principes et droits fondamentaux au travail de
1998 (liberté d’association, négociation collective, élimination de toute
forme de travail obligatoire ou forcé, abolition du travail des enfants
ect)
▪ Recommandations aux EMN :

● Elles doivent respecter les droits de l’homme : prévenir les


atteintes liées à leurs activités + remédier aux atteintes déjà
commises par leurs activités (§11 et §13).
● Mettre en place des procédures pour s’acquitter de leur
responsabilité en matière de droits de l’homme (§15) :
engagement politique/public + diligence raisonnable +
procédure pour remédier aux atteintes.
● Les entreprises doivent formuler une déclaration de principe,
qui doit être approuvé au plus haut niveau de l’EMN, est rendue
public etc (§16)
● Mettre en œuvre une diligence raisonnable (effectuer une
vérification) de leurs activités.

 Les sources contraigantes : les tentatives du droit interne et du droit


international

(suite en TD)

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