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Bataille de Sedan : la débâcle

française en question
Napoléon III SUIVRE CE THÈME

Capitulation de Napoléon III après la défaite de Sedan le 2 septembre 1870. © DEA /


G. DAGLI ORTI
Cet épisode de 1870 reste une blessure profonde pour la France.
Déroute militaire, chute du régime, amputation du territoire…
Comment le Second Empire qui rayonnait sur l’Europe a-t-il pu
sombrer si vite devant les troupes prussiennes ?
FRANCISQUE OESCHGER Publié le 18/10/2018 à 15h30 - Mis à jour le 18/10/2018
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Une défaite sans précédent, une humiliation historique. Le 2 septembre 1870,


l’annonce de la capitulation de Sedan se propage dans toute la France comme
une onde de choc. L’empereur est prisonnier, l’armée défaite, l’Alsace et une partie
de la Lorraine sont occupées par les Prussiens. Les soldats, en débandade, brûlent
le drapeau bleu-blanc-rouge, jettent leurs fusils et refusent d’obéir à leurs officiers. A
Paris, le peuple descend dans la rue et réclame la proclamation de la République. Il
a suffi d’un mois d’une campagne militaire désastreuse pour mettre fin au Second
Empire. Comment expliquer une pareille déroute ?

La déclaration de guerre : la France est-elle tombée dans un


piège ?
Parler d’une provocation savamment orchestrée serait plus juste. A la fin des
années 1860, l’équilibre des forces en Europe est menacé par l’agressivité de
la Prusse. Otto von Bismarck, Premier ministre de Guillaume Ier depuis 1862,
rêve en effet d’unifier l’Allemagne autour de son pays. Dans ce but, il commence par
déclarer la guerre à l’Autriche. Le conflit se règle en une seule bataille : à Sadowa, en
Bohême, dans le nord de l’actuelle République tchèque, le 3 juillet 1866, les
Prussiens écrasent les troupes autrichiennes. A la stupeur de toute l’Europe,
l’empire d’Autriche est mis hors jeu. Dans la foulée, Bismarck signe une alliance de
défense entre la Confédération de l’Allemagne du Nord (vingt et un Etats regroupés
autour de Berlin). Dans le même temps, il signe des traités secrets avec les Etats du
Sud (Bavière, Wurtemberg, Bade, Hesse-Darmstadt), jusque-là méfiants vis-à-vis de
l’hégémonie prussienne. En cas de nouveau conflit, ces Etats, obligés de respecter
leur engagement, devraient alors se ranger sous la bannière du roi de Prusse. Et
dans cette optique, la France paraît un adversaire tout désigné à Bismarck. Il ne lui
manque qu’un prétexte pour défier Paris et la cour impériale.

Ce prétexte, le chancelier prussien ne tarde pas à le trouver lorsque la reine


d’Espagne, Isabelle II, abdique sous la pression d’une junte militaire. Bismarck
pousse alors Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen, un cousin du roi de Prusse
Guillaume Ier, à présenter sa candidature au trône d’Espagne. La nouvelle, rendue
officielle le 2 juillet 1870, suscite à Paris une levée de boucliers. Pas question d’avoir
des Prussiens à la fois à l’est, sur le Rhin, et au sud, sur la frontière pyrénéenne, qui
prendraient le pays en tenailles. La France se dresse contre les prétentions
germaniques. Faut-il déclarer la guerre ? Napoléon III, miné par la maladie de la
pierre – il souffre d’une inflammation de la vessie –, estime l’armée française
insuffisamment préparée. Il a en outre conscience de n’être soutenu que du bout
des lèvres par ses deux alliés, l’Autrichien François-Joseph et l’Italien Victor-
Emmanuel II, peu enclins à se lancer dans une pareille aventure militaire.

Guillaume Ier, malgré l’insistance de Bismarck, semble décidé, lui aussi, à éviter un
conflit. Il fait pression sur son cousin. Le 12 juillet, le prince de Hohenzollern-
Sigmaringen annonce qu’il «décline sa candidature au trône» d’Espagne. Pour la
France, il s’agit d’une victoire diplomatique incontestable. Pourtant, le ministre des
Affaires étrangères de Napoléon III, le duc de Gramont, souhaite que Guillaume Ier
entérine en personne cette décision. Le comte Benedetti, ambassadeur de France
en Prusse, est chargé de le lui faire savoir. Il rencontre le roi de Prusse à Bad Ems,
une cité thermale de Rhénanie. L’entretien est «courtois», d’après le ministère des
Affaires étrangères. Le souverain prussien confirme le retrait de la candidature du
prince. Mais dans un second temps, Gramont veut que Guillaume Ier s’engage à ne
soutenir, à l’avenir, aucun autre prétendant allemand au trône d’Espagne. Cette
exigence s’apparente à un ultimatum. Etait-ce bien utile ? Car cette fois, le roi de
Prusse refuse de recevoir Benedetti. Il lui fait dire, par l’un de ses aides de camp,
qu’il «n’a plus rien à [lui] dire d’autre». Pour Guillaume Ier, l’incident est clos. Pas
pour Bismarck qui saute sur l’occasion. Le chancelier prussien fait diffuser dans les
journaux le compte rendu que le roi de Prusse lui a envoyé de l’affaire. Mais ce
document, entré dans l’Histoire sous le nom de la «dépêche d’Ems», a été
habilement réécrit, laissant entendre que Benedetti a été humilié par le roi de
Prusse. En outre, une malencontreuse erreur de traduction, dans la presse
française, fait croire que l’ambassadeur de France a été éconduit par un simple
adjudant alors que le terme allemand Adjutant signifie aide de camp. «Ce texte fera
sur le taureau gaulois l’effet d’un chiffon rouge», avait prédit Bismarck. Il avait vu
juste. Les Parisiens descendent dans la rue aux cris de «A Berlin ! A Berlin !», alors
que la province, qui représente près de 80 % de la population, reste chez elle. Le 19
juillet 1870, Napoléon III, estimant néanmoins que «c’est la nation entière qui, dans
son irrésistible élan, a dicté nos résolutions», déclare la guerre à la Prusse. Les dés
sont jetés.

Les forces militaires en présence : un combat inégal ?


Le maréchal Le Bœuf, ministre de la Guerre, a-t-il vraiment déclaré que «pas un
bouton de guêtre ne manquerait au fourniment du soldat ». Si la formule n’est pas
de lui, elle reflète bien l’état d’esprit de nombre d’hommes politiques, de la presse et
d’une opinion publique belliqueuse. L’armée française, fière de ses victoires en
Algérie, Crimée et Italie, passe, au milieu du siècle, pour la meilleure d’Europe. Seul,
ou presque, l’empereur ne partage pas cet optimisme. Il se méfie de la puissance de
l’armée allemande. «Il savait combien incertaine était l’issue de la campagne», note
Eric Anceau (Napoléon III, éd. Tallandier, 2008).

Sur le papier, l’armée française aligne moins de 300 000 soldats de métier alors que
la Prusse compte 500 000 hommes sous les drapeaux, auxquels s’ajoutent les 300
000 soldats des Etats allemands du Sud. Après la mobilisation, l’écart sera un peu
réduit mais restera conséquent : 900 000 Français contre 1 200 000 Prussiens et
Allemands. En ce qui concerne l’armement, la France peut compter sur la
supériorité du fusil Chassepot et de la mitrailleuse de Reffye. En revanche, le reste
du matériel – les pistolets à un coup, les 1 000 vieux canons se chargeant par la
gueule – est dépassé et l’intendance mal préparée. La Prusse, elle, possède 2 000
canons Krupp modernes qui se chargent par la culasse, avec une portée et une
cadence de tir supérieures. En outre, les Prussiens sont mieux organisés, ils
possèdent un système de transmission efficace et ils peuvent compter sur cette
discipline militaire qui fait leur réputation depuis le XVIIIe siècle. Placés sous le
commandement du chef d’état-major Moltke, les principaux chefs d’armée
allemands, Steinmetz, Mantenffel, Blumenthal et le prince royal Frédéric-Charles,
ont reçu une formation rigoureuse à l’Académie militaire de Prusse. Et ils ont pour
eux l’expérience de la récente guerre contre l’Autriche qu’ils ont gagnée quatre ans
plus tôt.

Les opérations : Napoléon III a-t-il eu raison de prendre le


commandement ?
Napoléon III décide, le 19 juillet 1870, de prendre en personne la tête de l’armée
comme il l’a fait en 1859 durant la campagne d’Italie. Il confie la régence à
l’impératrice Eugénie. C’est un homme âgé de 62 ans, diminué par la maladie. Le
souverain est lucide. «Je suis bien vieux pour une pareille campagne et je ne suis pas
valide du tout», confie-t-il au maréchal Randon. Il estime pourtant que sa présence
au front et celle du prince impérial sont indispensables alors que vont se jouer sur
le Rhin l’avenir de la France et celui de la dynastie.

L’armée française est alors à l’apogée de sa gloire. Elle a achevé la conquête et la


pacification de l’Algérie, de 1830 à 1848. Avec les Anglais et les Ottomans, de 1853 à
1856, elle a battu l’armée russe en Crimée (victoires de l’Alma, d’Inkerman,
Malakoff , Sébastopol) ; avec les Piémontais, en 1859, elle a gagné la guerre de
libération de l’Italie septentrionale contre les Autrichiens (Montebello, Turbigo,
Magenta, Solférino) ; avec les Anglais, toujours, elle s’est imposée, en 1860, en Chine
(victoire de Palikao et sac du palais d’Eté, à Pékin) ; la même année, au Liban, un
corps expéditionnaire français a soutenu victorieusement les chrétiens maronites
en but aux attaques des musulmans druzes, soutenus par l’Empire ottoman. Seule
ombre au tableau, la désastreuse campagne du Mexique, de 1861 à 1866, destinée
à mettre l’archiduc autrichien Ferdinand-Maximilien sur le trône du pays. Le corps
expéditionnaire, commandé par le général Bazaine, avait échoué, en dépit d’une
bataille livrée par la Légion étrangère à Camerone, devenue légendaire (le 30 avril
1863, 63 légionnaires français avaient résisté à une armée mexicaine de plus de 2
000 hommes.)

Napoléon III pressent que la campagne qui s’ouvre sur le Rhin sera beaucoup plus
difficile. La Prusse a, comme prévu, obtenu le ralliement des quatre Etats allemands
du Sud. «De franco-prussienne qu’elle était, la guerre devient franco-allemande,
écrit François Roth. Ce n’est plus une guerre entre deux Etats, c’est une guerre entre
deux nations» (La Guerre de 70, Librairie Arthème Fayard, 1990). Le 28 juillet 1870 au
matin, l’empereur quitte Paris en train, en compagnie de son fils, de l’état-major et
de sa suite. Il arrive à la préfecture de Metz en fin d’après-midi. Il mesure vite l’état
d’impréparation de l’armée. «Tout n’est que désordre, incohérence, retards,
disputes et confusion», note-t-il. L’intendance est déficiente. L’état-major n’a pas de
cartes de la région et ignore les positions exactes de l’ennemi. Il est trop tard pour
reculer. Le 2 août, Napoléon III ordonne d’attaquer Sarrebruck, une garnison
allemande peu défendue. Il a voulu se montrer à la tête des troupes à cheval mais il
souffre tellement qu’il doit abandonner sa monture pour suivre les combats en
voiture. Mal conseillé, il ne profite pas de cette victoire facilement obtenue. Alors
qu’il faudrait attaquer, les sept corps d’armée français restent alignés le long de la
frontière, laissant l’initiative à l’ennemi. «Il est évident qu’aucune stratégie n’a été
conçue du côté français», constate Louis Girard (Napoléon III, Librairie Arthème
Fayard, 1986). Moltke réplique par une contre-offensive massive.

Le 4 août, le maréchal Mac-Mahon est bousculé à Wissembourg. Le 6, il est battu


entre Woerth et Froeschwiller, malgré la charge aussi héroïque que désastreuse de
la cavalerie à Reichshoffen. Guillaume Ier, qui voit à la jumelle les cavaliers français,
sabre au clair, se faire déchiqueter par son artillerie lâche : «Oh ! Les braves gens !»
L’Alsace est perdue. Des troupes désorganisées et affamées se concentrent autour
de Metz. Napoléon III assiste, impuissant, à la débandade. Un témoin le décrit
«désolé, gémissant, atterré par les lugubres dépêches qui arrivaient à tout instant».
Paris s’alarme de ces défaites. Le 11 août, l’état de siège est décrété dans la capitale
et l’empereur, sous la pression du gouvernement, remet le commandement
suprême de l’armée du Rhin à Bazaine. Le 16, l’empereur se replie sur le camp de
Châlons (aujourd’hui, camp de Mourmelon, près de Châlons-en Champagne) afin de
barrer la route de Paris aux Prussiens. Dans les jours qui suivent, il hésite. Rejoindre
Metz ou rentrer à Paris, où les reculs successifs de l’armée ont soulevé l’opinion
contre le régime ? Le souverain confie à son cousin, le prince Napoléon : «La vérité,
c’est qu’on me chasse : on ne veut pas de moi à l’armée ; on n’en veut pas à Paris.»
Son entourage le presse de partir à Mézières d’où il pourrait gagner la Belgique en
cas de péril. Mais il refuse d’abandonner ses soldats. Le 23 août, après la défaite de
Saint-Privat, l’empereur décide de suivre Mac-Mahon, qui marche sur Metz pour
porter secours à Bazaine. Les Allemands accentuent leur pression. Face à eux, Mac-
Mahon tente en vain de franchir la Meuse le 30. Il s’arrête à Sedan pour s’y ravitailler
et réorganiser ses troupes. L’étau prussien se referme sur les Français. «Nous ne
sortirons jamais d’ici», déclare l’empereur à ses proches. A l’aube du 1er septembre,
les Allemands pilonnent la ville. La défaite est inéluctable. Une «effroyable
catastrophe dont la France a failli mourir», écrira Emile Zola.

L’état-major : les chefs militaires étaient-ils compétents ?


Pas tous… Napoléon III, en prenant le commandement de l’armée du Rhin, n’a pas
nommé de chef d’état-major mais un major-général, le maréchal Le Bœuf, son
ministre de la Guerre, aux attributions mal définies. Il confie aux maréchaux Mac-
Mahon, Bazaine et Canrobert, et aux généraux Frossard, Failly, Ladmirault et Douay,
le commandement des sept corps d’armée français tandis que le général Bourbaki
est placé à la tête de la garde impériale. Le général de Wimpffen, resté à Paris, ne
rejoindra le front que pour succéder à Mac Mahon, blessé à Sedan. Agés de 50 à 60
ans, tous sont des officiers qui se sont illustrés lors des campagnes de l’Empire en
Algérie, en Crimée, en Italie, au Mexique ou en Asie. Mais ces opérations, qui ne
menaçaient pas l’intégrité de la France, étaient sans commune mesure avec une
guerre frontale contre la Prusse. Plusieurs de ces officiers généraux devaient
d’ailleurs montrer leurs limites : Le Bœuf, brillant artilleur mais «bureaucrate
médiocre», selon l’historien François Roth, n’était pas préparé à diriger l’état-major ;
Bazaine, affairiste et intrigant, sera accusé de trahison et condamné à mort par le
conseil de guerre, peine commuée en vingt ans de prison en 1872 ; Failly,
incompétent et timoré, échappera de peu au même conseil de guerre… Du 2 août,
début des combats, au 2 septembre, date de la capitulation de Sedan, l’armée
française, à de rares exceptions près, n’aura fait que réagir d’une manière
désordonnée et inadaptée aux attaques des Prussiens, sans jamais prendre
l’initiative, malgré l’héroïsme de certaines troupes.

Otto von Bismarck : les Français l’ont-ils sous-estimé ?


Au lieu de le caricaturer en uhlan (cavalier armé d’une lance dans les armées slaves
et germaniques), coiffé du casque à pointe, ou, comme l’illustrateur Daumier, en
Barbe bleue prussien, les Français auraient mieux fait de le lire. Otto von
Bismarck, «l’Allemand le plus détesté des Français », n’avait jamais caché son
ambition : unifier l’Allemagne et en faire une grande puissance européenne, au
détriment de la France.

Né le 1er avril 1815 à Schönhausen, près de Magdebourg (Saxe), dans une famille
d’aristocrates prussiens, les fameux Junkers, Bismarck, après des études de droit,
consacre les premières années de sa vie à l’exploitation du domaine familial.
Jouisseur, séducteur, joueur – il perd beaucoup d’argent au casino –, ce luthérien
n’entre en politique, en 1843, que pour défendre les intérêts de sa caste face à la
montée du libéralisme qui prospère alors en Europe. Conservateur sans état d’âme,
il est élu en 1847 au parlement prussien où il se fait remarquer par un nationalisme
intransigeant. Il plaide alors pour une «petite Allemagne», une Confédération de
l’Allemagne du Nord dominée par Berlin, alors que les Autrichiens sont partisans
d’une «grande Allemagne», sous la tutelle de Vienne. La suite lui donnera raison. En
1862, nommé ministre-président et ministre des Affaires étrangères par le roi
Guillaume Ier, il déclare : «Les grandes questions de notre temps ne se décideront
pas par des discours et des votes à la majorité, mais par le fer et le sang.» Le 3 juillet
1866, en battant les Autrichiens à Sadowa, l’armée prussienne met fin aux rêves
hégémoniques de Vienne. Mais les Etats du Sud (Bavière, Wurtemberg, Bad, Hesse-
Darmstadt) préfèrent rester en dehors de la Confédération du Nord. Bismarck
comprend que seule une guerre pourrait les contraindre à se ranger dans le camp
de la Prusse. Le différend avec la France, à propos de la succession d’Espagne, et la
fameuse «dépêche d’Ems» vont offrir à ce fin tacticien l’occasion de
provoquer Napoléon III et de le pousser à déclarer une guerre à laquelle il n’est
pas préparé, alors que l’armée allemande s’y entraînait depuis des
années. Bismarck, le «chancelier de fer», connaîtra la gloire suprême le 18 janvier
1871 lorsqu’il fera proclamer l’Empire allemand dans la galerie des Glaces du
château de Versailles.

La bataille de Sedan : pouvait-on éviter le désastre ?


Dans l’imaginaire français, la citadelle de Sedan, située sur les bords de la Meuse,
est associée au nom de Vauban et à ses fortifications réputées imprenables. En
réalité, l’architecte militaire de Louis XIV s’est contenté d’y construire, à la fin du XVIIe
siècle, la Porte des Princes et d’y faire quelques aménagements adaptés aux
besoins de l’artillerie naissante. En 1870, Sedan, qui a vu naître Turenne, un des
meilleurs généraux de Louis XIV, et mourir les rêves dynastiques du Second
Empire, n’a plus de place forte que le nom. Située dans une cuvette, la vieille
forteresse, construite au XVe siècle, est devenue indéfendable à l’heure où les
canons à longue portée permettent de la bombarder à partir des collines
environnantes.

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La bataille de Sedan au 1er septembre 1870.

Les Français, retranchés dans la ville, vont connaître l’enfer. Le 1er septembre,
Moltke, dont les forces sont supérieures en nombre (180 000 hommes contre un
peu plus de 100 000 Français) et disposent d’une puissante artillerie, fait pilonner la
ville qui se réveille sous un orage d’acier. Dans son livre La Débâcle, Emile Zola fait le
récit du siège, du bruit du canon, «un roulement de foudre dont tremblaient les
vitres et les murs», des soldats épuisés, des officiers affolés, des civiles affamés, des
blessés qu’on ampute dans des infirmeries de fortune, des charniers où s’amassent
les cadavres. Mac-Mahon est grièvement blessé par un éclat d’obus. Napoléon
III passe la journée au milieu de ses hommes, s’exposant volontairement aux points
les plus chauds du combat. Manifestement, il cherche la mort, «une fin
shakespearienne digne de son extraordinaire destin», écrit l’historien Eric Anceau.
Mais la mort ne veut pas de lui. Pour éviter un carnage devenu inéluctable,
l’empereur fait hisser le drapeau blanc sur la citadelle. Le général de Wimpffen, qui
a succédé à Mac-Mahon, est envoyé dans le camp prussien pour négocier la
reddition. Le bilan, pour l’armée française, est lourd : 3 000 tués, 14 000 blessés et
quelque 100 000 prisonniers qui se retrouvent parqués, sur la presqu’île d’Iges,
située dans une boucle de la Meuse.
La capitulation : que pouvait négocier l’empereur déchu ?
Rien. «Monsieur mon frère, n’ayant pu mourir à la tête de mes troupes, il ne me
reste qu’à remettre mon épée entre les mains de votre majesté», écrit Napoléon
III, le soir du 1er septembre, au roi de Prusse. Guillaume Ier, Bismarck et Moltke
découvrent alors que l’empereur n’a pas quitté Sedan. Pour eux, c’est une aubaine.
Un souverain prisonnier de l’ennemi a peu de latitude pour négocier. Entamer des
pourparlers de paix ? Les Prussiens y sont favorables. Ils craignent que la chute de
l’Empire n’entraîne la formation d’un gouvernement révolutionnaire à Paris et une
mobilisation générale, comme en 1792. Ils ont des gages sérieux : la personne de
l’empereur, les territoires conquis et les 100 000 prisonniers français. Napoléon
III, de son côté, préfèrerait que les Allemands négocient avec l’impératrice régente,
ce qui préserverait les chances militaires de la France. A ce moment-là, l’armée
française n’est pas totalement vaincue : Bazaine, assiégé dans la ville de Metz,
dispose de 150 000 hommes, les troupes d’Algérie et les garnisons de province
peuvent aligner 70 000 soldats. Mais les Prussiens sont intraitables. Ils exigent une
capitulation sans condition. Elle est signée le 2 septembre 1870 par le général de
Wimpffen au château de Bellevue, près de Sedan. L’empereur, désespéré par cette
«capitulation si désastreuse», comme il l’écrit à l’impératrice, est fait prisonnier au
château de Wilhelmshöhe, en Westphalie. Le dimanche 4 septembre, les députés
français proclament la République et un gouvernement provisoire signe la fin
du Second Empire. Sans gloire.

Tableau de Wilhelm Camphausen représentant Otto von Bismarck escortant l'empereur Napoléon III. Deutsches
Historisches Museum Berlin

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