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française en question
Napoléon III SUIVRE CE THÈME
Guillaume Ier, malgré l’insistance de Bismarck, semble décidé, lui aussi, à éviter un
conflit. Il fait pression sur son cousin. Le 12 juillet, le prince de Hohenzollern-
Sigmaringen annonce qu’il «décline sa candidature au trône» d’Espagne. Pour la
France, il s’agit d’une victoire diplomatique incontestable. Pourtant, le ministre des
Affaires étrangères de Napoléon III, le duc de Gramont, souhaite que Guillaume Ier
entérine en personne cette décision. Le comte Benedetti, ambassadeur de France
en Prusse, est chargé de le lui faire savoir. Il rencontre le roi de Prusse à Bad Ems,
une cité thermale de Rhénanie. L’entretien est «courtois», d’après le ministère des
Affaires étrangères. Le souverain prussien confirme le retrait de la candidature du
prince. Mais dans un second temps, Gramont veut que Guillaume Ier s’engage à ne
soutenir, à l’avenir, aucun autre prétendant allemand au trône d’Espagne. Cette
exigence s’apparente à un ultimatum. Etait-ce bien utile ? Car cette fois, le roi de
Prusse refuse de recevoir Benedetti. Il lui fait dire, par l’un de ses aides de camp,
qu’il «n’a plus rien à [lui] dire d’autre». Pour Guillaume Ier, l’incident est clos. Pas
pour Bismarck qui saute sur l’occasion. Le chancelier prussien fait diffuser dans les
journaux le compte rendu que le roi de Prusse lui a envoyé de l’affaire. Mais ce
document, entré dans l’Histoire sous le nom de la «dépêche d’Ems», a été
habilement réécrit, laissant entendre que Benedetti a été humilié par le roi de
Prusse. En outre, une malencontreuse erreur de traduction, dans la presse
française, fait croire que l’ambassadeur de France a été éconduit par un simple
adjudant alors que le terme allemand Adjutant signifie aide de camp. «Ce texte fera
sur le taureau gaulois l’effet d’un chiffon rouge», avait prédit Bismarck. Il avait vu
juste. Les Parisiens descendent dans la rue aux cris de «A Berlin ! A Berlin !», alors
que la province, qui représente près de 80 % de la population, reste chez elle. Le 19
juillet 1870, Napoléon III, estimant néanmoins que «c’est la nation entière qui, dans
son irrésistible élan, a dicté nos résolutions», déclare la guerre à la Prusse. Les dés
sont jetés.
Sur le papier, l’armée française aligne moins de 300 000 soldats de métier alors que
la Prusse compte 500 000 hommes sous les drapeaux, auxquels s’ajoutent les 300
000 soldats des Etats allemands du Sud. Après la mobilisation, l’écart sera un peu
réduit mais restera conséquent : 900 000 Français contre 1 200 000 Prussiens et
Allemands. En ce qui concerne l’armement, la France peut compter sur la
supériorité du fusil Chassepot et de la mitrailleuse de Reffye. En revanche, le reste
du matériel – les pistolets à un coup, les 1 000 vieux canons se chargeant par la
gueule – est dépassé et l’intendance mal préparée. La Prusse, elle, possède 2 000
canons Krupp modernes qui se chargent par la culasse, avec une portée et une
cadence de tir supérieures. En outre, les Prussiens sont mieux organisés, ils
possèdent un système de transmission efficace et ils peuvent compter sur cette
discipline militaire qui fait leur réputation depuis le XVIIIe siècle. Placés sous le
commandement du chef d’état-major Moltke, les principaux chefs d’armée
allemands, Steinmetz, Mantenffel, Blumenthal et le prince royal Frédéric-Charles,
ont reçu une formation rigoureuse à l’Académie militaire de Prusse. Et ils ont pour
eux l’expérience de la récente guerre contre l’Autriche qu’ils ont gagnée quatre ans
plus tôt.
Napoléon III pressent que la campagne qui s’ouvre sur le Rhin sera beaucoup plus
difficile. La Prusse a, comme prévu, obtenu le ralliement des quatre Etats allemands
du Sud. «De franco-prussienne qu’elle était, la guerre devient franco-allemande,
écrit François Roth. Ce n’est plus une guerre entre deux Etats, c’est une guerre entre
deux nations» (La Guerre de 70, Librairie Arthème Fayard, 1990). Le 28 juillet 1870 au
matin, l’empereur quitte Paris en train, en compagnie de son fils, de l’état-major et
de sa suite. Il arrive à la préfecture de Metz en fin d’après-midi. Il mesure vite l’état
d’impréparation de l’armée. «Tout n’est que désordre, incohérence, retards,
disputes et confusion», note-t-il. L’intendance est déficiente. L’état-major n’a pas de
cartes de la région et ignore les positions exactes de l’ennemi. Il est trop tard pour
reculer. Le 2 août, Napoléon III ordonne d’attaquer Sarrebruck, une garnison
allemande peu défendue. Il a voulu se montrer à la tête des troupes à cheval mais il
souffre tellement qu’il doit abandonner sa monture pour suivre les combats en
voiture. Mal conseillé, il ne profite pas de cette victoire facilement obtenue. Alors
qu’il faudrait attaquer, les sept corps d’armée français restent alignés le long de la
frontière, laissant l’initiative à l’ennemi. «Il est évident qu’aucune stratégie n’a été
conçue du côté français», constate Louis Girard (Napoléon III, Librairie Arthème
Fayard, 1986). Moltke réplique par une contre-offensive massive.
Né le 1er avril 1815 à Schönhausen, près de Magdebourg (Saxe), dans une famille
d’aristocrates prussiens, les fameux Junkers, Bismarck, après des études de droit,
consacre les premières années de sa vie à l’exploitation du domaine familial.
Jouisseur, séducteur, joueur – il perd beaucoup d’argent au casino –, ce luthérien
n’entre en politique, en 1843, que pour défendre les intérêts de sa caste face à la
montée du libéralisme qui prospère alors en Europe. Conservateur sans état d’âme,
il est élu en 1847 au parlement prussien où il se fait remarquer par un nationalisme
intransigeant. Il plaide alors pour une «petite Allemagne», une Confédération de
l’Allemagne du Nord dominée par Berlin, alors que les Autrichiens sont partisans
d’une «grande Allemagne», sous la tutelle de Vienne. La suite lui donnera raison. En
1862, nommé ministre-président et ministre des Affaires étrangères par le roi
Guillaume Ier, il déclare : «Les grandes questions de notre temps ne se décideront
pas par des discours et des votes à la majorité, mais par le fer et le sang.» Le 3 juillet
1866, en battant les Autrichiens à Sadowa, l’armée prussienne met fin aux rêves
hégémoniques de Vienne. Mais les Etats du Sud (Bavière, Wurtemberg, Bad, Hesse-
Darmstadt) préfèrent rester en dehors de la Confédération du Nord. Bismarck
comprend que seule une guerre pourrait les contraindre à se ranger dans le camp
de la Prusse. Le différend avec la France, à propos de la succession d’Espagne, et la
fameuse «dépêche d’Ems» vont offrir à ce fin tacticien l’occasion de
provoquer Napoléon III et de le pousser à déclarer une guerre à laquelle il n’est
pas préparé, alors que l’armée allemande s’y entraînait depuis des
années. Bismarck, le «chancelier de fer», connaîtra la gloire suprême le 18 janvier
1871 lorsqu’il fera proclamer l’Empire allemand dans la galerie des Glaces du
château de Versailles.
Les Français, retranchés dans la ville, vont connaître l’enfer. Le 1er septembre,
Moltke, dont les forces sont supérieures en nombre (180 000 hommes contre un
peu plus de 100 000 Français) et disposent d’une puissante artillerie, fait pilonner la
ville qui se réveille sous un orage d’acier. Dans son livre La Débâcle, Emile Zola fait le
récit du siège, du bruit du canon, «un roulement de foudre dont tremblaient les
vitres et les murs», des soldats épuisés, des officiers affolés, des civiles affamés, des
blessés qu’on ampute dans des infirmeries de fortune, des charniers où s’amassent
les cadavres. Mac-Mahon est grièvement blessé par un éclat d’obus. Napoléon
III passe la journée au milieu de ses hommes, s’exposant volontairement aux points
les plus chauds du combat. Manifestement, il cherche la mort, «une fin
shakespearienne digne de son extraordinaire destin», écrit l’historien Eric Anceau.
Mais la mort ne veut pas de lui. Pour éviter un carnage devenu inéluctable,
l’empereur fait hisser le drapeau blanc sur la citadelle. Le général de Wimpffen, qui
a succédé à Mac-Mahon, est envoyé dans le camp prussien pour négocier la
reddition. Le bilan, pour l’armée française, est lourd : 3 000 tués, 14 000 blessés et
quelque 100 000 prisonniers qui se retrouvent parqués, sur la presqu’île d’Iges,
située dans une boucle de la Meuse.
La capitulation : que pouvait négocier l’empereur déchu ?
Rien. «Monsieur mon frère, n’ayant pu mourir à la tête de mes troupes, il ne me
reste qu’à remettre mon épée entre les mains de votre majesté», écrit Napoléon
III, le soir du 1er septembre, au roi de Prusse. Guillaume Ier, Bismarck et Moltke
découvrent alors que l’empereur n’a pas quitté Sedan. Pour eux, c’est une aubaine.
Un souverain prisonnier de l’ennemi a peu de latitude pour négocier. Entamer des
pourparlers de paix ? Les Prussiens y sont favorables. Ils craignent que la chute de
l’Empire n’entraîne la formation d’un gouvernement révolutionnaire à Paris et une
mobilisation générale, comme en 1792. Ils ont des gages sérieux : la personne de
l’empereur, les territoires conquis et les 100 000 prisonniers français. Napoléon
III, de son côté, préfèrerait que les Allemands négocient avec l’impératrice régente,
ce qui préserverait les chances militaires de la France. A ce moment-là, l’armée
française n’est pas totalement vaincue : Bazaine, assiégé dans la ville de Metz,
dispose de 150 000 hommes, les troupes d’Algérie et les garnisons de province
peuvent aligner 70 000 soldats. Mais les Prussiens sont intraitables. Ils exigent une
capitulation sans condition. Elle est signée le 2 septembre 1870 par le général de
Wimpffen au château de Bellevue, près de Sedan. L’empereur, désespéré par cette
«capitulation si désastreuse», comme il l’écrit à l’impératrice, est fait prisonnier au
château de Wilhelmshöhe, en Westphalie. Le dimanche 4 septembre, les députés
français proclament la République et un gouvernement provisoire signe la fin
du Second Empire. Sans gloire.
Tableau de Wilhelm Camphausen représentant Otto von Bismarck escortant l'empereur Napoléon III. Deutsches
Historisches Museum Berlin