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REVUE DE DROIT BANCAIRE ET FINANCIER - N° 6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2019 - © LEXISNEXIS SA Dossier

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L’open banking et ses enjeux
Libres propos 1
Pierre STORRER,
avocat au barreau de Paris, Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP 2

1 - L’open banking et ses enjeux. – À dire vrai, nous avions déjà maniés avec facilité. Banque ouverte, ou qui s’ouvre, en effet,
abordé le sujet 3, sous l’angle de l’apport des fintechs au droit des mais pourquoi, mais à qui et, surtout, pour qui ?
services de paiement, à la suite, encore, d’une conférence 3 - La banque s’ouvre : pourquoi ?. – La question, telle quelle,
donnée dans le cadre d’un colloque organisé le 17 novembre est vertigineuse. S’ouvre-t-elle, d’abord, parce que le temps est
2016 par l’université Paris-Descartes, sur le thème : l’apport des à l’ouverture : open innovation, open source, open data, etc. ?
fintechs au droit bancaire 4. Plus récemment, nous avons tourné Il y a de cela incontestablement. Si la banque s’ouvre, n’est-ce
autour de ce même thème en suivant l’évolution des modèles pas, ensuite, parce qu’auparavant, elle était (par caractéristique
d’offres de paiement de la DSP 1 à la DSP 2 5. Cela dit, non pas essentielle) fermée, voire cadenassée ? Demandez – ce qui ne
tellement pour céder au genre, mineur, de l’autocitation, mais serait pas du meilleur goût – au Petit Prince de vous dessiner...sa
davantage pour replacer nos propos dans la lignée des précé- banque, et il se pourrait qu’il représentât son compte en banque,
dents, en espérant qu’ils auront muri depuis. gardé derrière les lourdes portes d’un coffre-fort. D’autres, plus
Pourquoi, au demeurant, le phénomène fintech, hier, ou la avertis, songeraient au secret bancaire inscrit à l’article L. 511-33
vague « de » l’open banking, aujourd’hui touchent-ils en prio- du Code monétaire et financier. Les Sages, eux, disserteraient sur
rité le marché des paiements ? Le premier sous-gouverneur de le monopole bancaire 7.
la Banque de France, M. Denis Beau, y a apporté récemment Et bien tout cela est révolu, balayé, ou peu s’en faut. Ne
cette réponse intéressante : « Les services de paiement, qui serait-ce que les comptes en banque, nos bons vieux « comptes
pèsent peu sur les bilans financiers, ont été jusqu’à présent la de dépôt », qui, désormais, se déclinent en « comptes de paie-
principale voie d’entrée dans le secteur financier pour les entre- ment », que d’autres que les établissements de crédit peuvent
prises technologiques. Du paiement, celles-ci peuvent ensuite ouvrir et tenir. C’est là le fruit de la « révolution DSP 1 8 » :
remonter la chaîne de valeur, en s’attaquant à l’activité de l’ouverture du monopole bancaire des services de paiement et
banque de détail et commerciale, à la gestion de patrimoine et (peu après) des services de monnaie électronique, que des
à l’assurance », ajoutant à la suite que « le modèle des entre- établissements d’un genre nouveau (établissements de paiement,
prises technologiques se fonde sur la dissociation des activités établissements de monnaie électronique) peuvent désormais
de la banque universelle traditionnelle en une série de fonctions fournir, dans le cadre d’un autre monopole qui leur est conféré :
essentielles distinctes, telles que l’acheminement des paiements, le monopole des prestataires de services de paiement (et de
la fourniture de financements, le partage des risques et la répar- monnaie électronique le cas échéant). Cela n’est pas si vieux, et
pourtant : une dizaine d’années, à l’heure des fintechs (désor-
tition des capitaux, qui sont réassemblées sur une plateforme en
mais des bigtechs 9, de la blockchain conquérante 10 et de l’intel-
ligne. Dans ce modèle, le contrôle de la plateforme est plus stra-
ligence artificielle (IA) 11 galopante, c’est terriblement daté...
tégique que l’offre de services financiers elle-même » 6.
En réponse au « pourquoi », nous trouvons donc la DSP 1, qui
Notre sujet présente la commodité (il n’en est pas beaucoup
portait avant tout le projet politique européen de construire un
d’autres) d’annoncer de lui-même le plan pour en parler. Aussi
marché unique des paiements électroniques de détail : le projet
nous demanderons-nous d’abord ce qu’est, au-delà du succès Sepa (pour Single Euro Payments Area). En d’autres termes, la
de l’expression, l’open banking (1), après quoi nous nous inté- Commission européenne a voulu, et est parvenue à ses fins, un
resserons à ses enjeux, aussi nombreux que cruciaux (2).

7. V. Haut Comité Juridique de la Place financière de Paris, Rapp. sur le mono-


1. L’open banking et ensuite ? pole bancaire, 14 mars 2016 : « Ce qu’il est convenu d’appeler « monopole
bancaire » en France repose sur l’interdiction faite à toute personne autre que
2 - Open banking ?. – Littéralement, open banking signifie certaines catégories d’entités régulées d’effectuer des opérations de banque
« banque ouverte », ou à peu près. Cela est vrai, mais trompeur, à titre habituel. Il ne s’agit donc pas d’un monopole au sens économique du
terme mais de la réservation de l’exercice de certaines activités à certaines
comme tous les slogans, a fortiori lorsqu’ils sont importés et catégories de personnes ».
8. Dir. 2007/64/CE, 13 nov. 2007, concernant les services de paiement dans
le marché intérieur, transposée en droit français par Ord. n° 2009-866,
1. Le style oral de la conférence a été conservé. 15 juill. 2009.
2. Les propos de l’auteur n’engagent que celui-ci. 9. V. en dernier lieu, BIS Working Papers n° 779, BigTech and the changing
3. V. en premier lieu, D. Legeais, Open Banking : menace ou opportunité pour structure of financial intermediation, April 2019. – Adde, D. Beau, Finance
les banques ? : RD bancaire et fin. 2017, repère 5. digitale, disruption du marché et stabilité financière : Conférence Banque de
4. V. P. Storrer, L’apport des Fintechs au droit des services de paiement : RD France-TSE, 12 nov. 2018, p. 3 : « Cela étant, les Fintechs font beaucoup
bancaire et fin 2017, dossier 6. parler, mais l’important, ce sont les BigTechs ».
5. V. P. Storrer, De la DSP 1 à la DSP 2 : d’un modèle à l’autre : Banque avr. 10. Depuis ce colloque, la loi Pacte a été publiée au JO 23 mai 2019, 155 p.,
2019, p. 20. dont quelques-unes relatives aux émetteurs de jetons et autres prestataires
6. D. Beau, Les enjeux de réglementation et de surveillance financières liés à de services sur actifs numériques.
l’impact des entreprises technologiques sur les services financiers : Interven- 11. V. ACPR, Intelligence artificielle : enjeux pour les secteur financier – Docu-
tion à l’Essec, 29 janv. 2019, p. 3. ment de réflexion, déc. 2018.
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marché concurrentiel des paiements, au bénéfice des consom- une sorte de « triangulation » entre prestataires avec et sans
mateurs (on les appelle les « utilisateurs de services de paie- compte et utilisateurs de services de paiement, là où, auparavant,
ment ») qui, toujours, gagnent à la fin. Puis voici que l’innova- seules des relations bilatérales et verticales entre prestataires et
tion technologique s’accélère considérablement et a tôt fait de utilisateurs existaient.
rendre la première directive sur les services de paiement dépas- 5 - La banque s’ouvre : pas seulement à qui mais pour qui ?. –
sée. De nouveaux services sont en effet apparus qui, sans être Nous touchons ici l’ambivalence foncière de la DSP 2. Certes,
tout à fait contra legem, méritent que l’on s’y intéresse et, pour- l’ouverture des (données de) compte profite bien aux prestataires
quoi pas, qu’on les règlemente un peu. Ces services portent sur de services nouveaux qui vont pouvoir les exploiter, participant
l’accès aux comptes, s’intéressent donc à ce que l’on appelait ainsi de cette 4e révolution industrielle qui serait celle de la data
parfois « l’or noir » des banques, c’est-à-dire l’immense réservoir numérisée et augmentée. Mais, que l’on ne s’y trompe pas : si les
de données qu’elles détiennent. Ils se nomment initiation de comptes s’ouvrent « à eux », ce n’est que par la médiation de
paiement et information sur les comptes (ou agrégation de leurs titulaires, les utilisateurs de services de paiement qui, seuls,
données), sans oublier, quoique plus marginale, la confirmation sont censés détenir les clefs du coffre 14.
de la disponibilité des fonds. L’évolution technologique, pour ne
Le commandement du consentement (express ou explicite) de
pas dire la révolution numérique 12, fut ainsi l’aiguillon de la
la « personne concernée » (pour reprendre une expression du
DSP 2 : « La directive 2007/64/CE a été adoptée en décembre
RGPD) peut seul, en principe, déclencher les nouveaux
2007, sur la base d’une proposition présentée par la Commission
services 7 (initiation de paiement) et 8 (information sur les
en décembre 2005. Depuis lors, avec l’apparition de nouveaux
comptes). Seul l’utilisateur, le payeur, le consommateur devrait
types de services de paiement et la croissance rapide des paie-
avoir, et garder (mais ne nous faisons pas d’illusions...), « à sa
ments électroniques et mobiles, le marché des paiements de
main » les données de son compte, tout à la fois parce qu’il y
détail a connu d’importantes innovations techniques qui mettent
accède en mettant en œuvre ses « données de sécurité person-
à l’épreuve le cadre actuel » 13.
nalisées » 15, parce que de telles données sont assurément des
Le « pourquoi », ici, renvoie à une réponse réglementaire
« données de paiement sensibles » 16 et, puis, à l’évidence, par
apportée à une pratique naissante, plutôt qu’un vœu politique
(de politique juridique) entraînant dans son sillage un nouveau ce que celles-ci valent de l’or, et plus encore. La DSP 2 a bien
modèle : non plus tellement celui de « néobanque » ou de remis les « clés de sa banque » (les « clés de son compte ») au
« compte sans banque », associé à la DSP 1, mais précisément titulaire du compte, hors toute question (indue) de propriété que
d’open banking, cette fois de « banque sans compte », caracté- pouvait jusqu’alors faire valoir son teneur.
ristique de la DSP 2. Le balancement est intéressant à observer Point, dès lors, de relations contractuelles obligées entre
par ceux à qui la question est posée : le droit précède-t-il la nouveaux prestataires de services de paiement et gestionnaires
pratique ou court-il après ? Réponse : les deux, tantôt la première de comptes : la fourniture du service d’initiation de paiement ou
hypothèse, tantôt la seconde, souvent un peu des deux. d’information sur les comptes « n’est pas subordonnée à l’exis-
4 - La banque s’ouvre : à qui ? – La banque ou, pour être plus tence de relations contractuelles » entre eux, disposent expres-
précis, les comptes de paiement (en ligne) qu’elle tient, sément les articles 66 et 67 de la DSP 2 et, en écho, les articles
s’ouvre(nt) remarquablement à des prestataires que la proposi- L. 133-40 et L. 133-41 du Code monétaire et financier. Il est par
tion de DSP 2 nommait encore des prestataires de services de ailleurs interdit au gestionnaire du compte d’en refuser l’accès,
paiement « tiers », que l’expression anglaise de « third party sauf « pour des raisons objectivement motivées et documentées
providers » (ou TPP) a contribué à vulgariser, à tort nous semble- liées à un accès non autorisé ou frauduleux » ; refus valant inci-
t-il, dès lors que ceux-ci ne sont plus tiers....puisque dans le cadre dent notifié immédiatement à la Banque de France (C. mon. fin.,
de la réglementation nouvelle, et tellement dans le cadre qu’ils art. 133-17-1). Un partage « obligé » des données de compte est
sont soit déjà réglementés (émetteurs de cartes), soit doivent être bel et bien, désormais, inscrit dans la loi 17.
agréés établissement de paiement (initiation de paiement), soit
enregistrés (information sur les comptes).
Lesquels sont-ils donc ces prestataires « sans compte » ou « du
2. Les enjeux et alors ?
compte des autres » – autres qui, en contrepoint, ont été rebap- 6 - Enjeux ? – Le dictionnaire de l’Académie française (en ligne)
tisés « prestataires de services de paiement gestionnaires de nous apprend qu’outre l’acception première de « somme mise
comptes » (PSPGC) ? D’une part, même s’ils ont moins été mis en jeu par chacun des joueurs et destinée à revenir au gagnant
en valeur, les émetteurs d’instruments de paiement liés à une de la partie », l’enjeu est aussi « ce qui fait l’objet d’une compé-
carte, autorisés à s’assurer de la disponibilité des fonds détenus tition, d’un affrontement, d’une discussion ». Compétition,
par leurs clients auprès d’autres ; les prestataires de services affrontement, discussion : voilà des mots qui vont assez bien
d’initiation de paiement (PSIP), d’autre part, qui sont à même de avec notre sujet. Alors lesquels sont-ils ces enjeux de la
déclencher des ordres de paiement (virement) à partir du compte prochaine open banking society ? Ils sont nombreux et divers,
d’un PSPGC ; et, de troisième part, les « fameux » prestataires de mais on peut en isoler trois principaux : les enjeux de modèle
services d’information sur les comptes (PSIC) (communément économique, les enjeux de conformité réglementaire et les
dénommés « agrégateurs de données »), faisant remonter les enjeux technologiques.
données de compte(s) consolidées de l’utilisateur de services de
paiement.
Par suite de la transposition de la DSP 2 par une ordonnance 14. V. P. Storrer, Du droit de donner libre accès à son compte de paiement, Hors-
n° 2017-1252 du 9 août 2017, un droit nouveau a intégré le Série : Banque et droit 2016, p. 14.
15. V. C. mon. fin., art. L. 133-4, a : « Les données de sécurité personnalisées
Code monétaire et financier, aux articles L. 133-39 à L. 133-41,
s’entendent des données personnalisées fournies à un utilisateur de services
celui des « modalités d’accès aux comptes de paiement », créant de paiement par le prestataire de services de paiement à des fins d’authen-
tification ».
16. V. C. mon. fin., art. L. 133-4, g : « Les données de paiement sensibles
12. V. ACPR, Étude sur la révolution numérique dans le secteur bancaire fran- s’entendent des données, y compris les données de sécurité personnalisées,
çais : Analyses et Synthèses n° 88, mars 2018. qui sont susceptibles d’être utilisées pour commettre une fraude [...] ».
13. PE et Cons. UE, dir. (UE) 2015/2366, 25 nov. 2015, cons. 3, concernant les 17. Comp., Th. Bonneau, L’accès aux données bancaires au regard du respect
services de paiement dans le marché intérieur. de la vie privée : RD bancaire et fin. 2018, dossier 39.
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7 - Enjeux de modèle économique. – Les enjeux de modèle surveillance (AES) : l’Autorité bancaire européenne, plus connue
économique 18 – la littérature économico-juridique préfère sous son acronyme anglais d’EBA, en ce qui nous concerne.
parler d’« écosystème » – le sont d’abord pour les banques tradi- Les « rendez-vous de la conformité » vont ainsi grandement se
tionnelles elles-mêmes, pour les insiders dit-on parfois, non pas multiplier, entre reportings exigés, obligations renforcées
tellement qu’ils soient encore bousculés sur le terrain de leur (authentification forte du payeur) ou nécessités de communica-
PNB (on ne se fait pas trop de soucis pour elles), mais qui pour- tion nouvelles liées à l’ouverture de l’accès aux comptes
raient se trouver, à terme 19, marginalisés par la concurrence (communication sécurisée). Sans compter que des autorités de
« exogène » des fintechs. Quand un gouverneur de la Banque de contrôle se sont surajoutées à l’ACPR, qui n’est désormais plus
France fait le constat que « le centre de gravité du processus seule à gouverner les paiements. Aussi bien, par dérogation au
d’innovation financière s’est déplacé du secteur bancaire vers de champ de compétence de l’ACPR qu’elle tient de l’article
nouveaux acteurs historiquement étrangers au système financier L. 612-1 du Code monétaire et financier, la Commission natio-
utilisant des technologies numériques » 20, c’est qu’il y a peut- nale de l’informatique et des libertés (CNIL) est invitée à veiller
être matière à prendre au sérieux les bouleversements en cours. particulièrement au respect des dispositions relatives à la protec-
Quand d’autres, de la même maison, évoquent une « rupture tion des données à caractère personnel auxquelles ont accès les
digitale » accélérée et envisagent plusieurs scénarios possibles 21 prestataires de services de paiement, et recevra toutes plaintes
pour la « banque-assurance », dont la fragmentation, la réinter- à cet égard 26. De son côté, la Banque de France, qui était
médiation, voire la désintermédiation 22, on se dit, en effet, qu’il jusqu’alors en charge de s’assurer de la sécurité des moyens de
se passe quelque chose ; qu’on ne peut exclure, par exemple, paiement (V. C. mon. fin., art. L. 141-1, I, al. 4 et 5), voit sa
qu’à terme, la banque soit renvoyée « au rôle de back-office et mission étendue à la surveillance de « la sécurité de l’accès aux
de porteur de risques » 23. comptes de paiement et à leurs informations dans le cadre de la
À l’inverse, le modèle d’affaires des nouveaux entrants, des fourniture des services de paiement mentionnés au 7° et 8° du
outsiders, qu’ils opèrent selon un mode de néobanque ou d’open II de l’article L. 314-1 par tout prestataire de services de paiement
banking, est loin d’être assuré. Une récente étude de l’Autorité et de la pertinence des normes applicables en la matière ».
de contrôle prudentielle et de résolution (ACPR) – à qui l’on La DSP 2, en somme, a rejoint ses grandes sœurs du droit
pourrait toutefois objecter de traiter en même temps des banques bancaire (CRD 4, etc.) et financier (MiFID 2, etc.), voyant gros-
en ligne et des néo-banques, qui ne nous semblent pas avoir sir, à côté du texte de base, les normes de deuxième, voire de
grand-chose en commun – met ainsi en lumière la difficulté troisième niveau, et participe ainsi à l’inflation des règles euro-
rencontrée par ces dernières d’« établir un modèle d’affaires péennes. Mais il n’empêche que la question affleure : l’innova-
rentable », même si elles ont manifestement « réussi à s’instal- tion numérique sans cesse plus rapide exigera-t-elle que l’on
ler dans le paysage bancaire français pourtant mature » 24. double, bientôt, la régulation prudentielle par une régulation
De sorte que l’on assiste, aujourd’hui, aux rachats (ou à des technologique ?
prises de participation, souvent majoritaires) de nombreuses 9 - Enjeux technologiques. – On a pu le constater : même un
fintechs par les acteurs historiques du marché 25, comme si, à un « texte princeps » comme la DSP 2 a été littéralement éclipsé par
moment, la fin de la récréation était sifflée. Allons-nous vers une l’une de ses normes dérivées : le (trop) fameux règlement délé-
consolidation du marché bancaire et financier ? gué (UE) 2018/389 du 27 novembre 2017 complétant la direc-
8 - Enjeux de conformité réglementaire. – L’ouverture, certes, tive (UE) 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil par
mais à quel prix ? Une fois le vent de la liberté passé, que de des normes techniques de réglementation relatives à l’authen-
textes et de règles diverses ne sont-elles pas venues encadrer un tification forte du client et à des normes ouvertes communes et
droit des services de paiement qui, jusqu’alors, demeurait tout sécurisées de communication.
entier dans sa loi fondamentale : la DSP 1, telle que transposée, Un prestataire de services de paiement voudra-t-il échapper à
pour l’essentiel, dans notre Code monétaire et financier. Cela est l’obligation d’authentification forte de ses clients, sans pour
bel et bien fini, d’autant que le droit des paiements a rejoint, à autant être éligible aux dérogations réglementaires ? Il lui reste
l’occasion de l’édiction de la DSP 2, le système européen de l’opportunité d’utiliser une exemption générale fondée sur le risk
surveillance financière (SESF) et ses autorités européennes de scoring. Parfait, se dit-il, avant de se confronter aux conditions
posées pour que l’opération de paiement puisse être considérée
18. V. Parlement européen, Fin Tech : l’influence de la technologie sur l’avenir comme présentant un faible niveau de risque : un taux de fraude,
du secteur financier, rés. 17 mai 2017 (2016/2243(INI) : JOCE 30 août pour tel type d’opération, qui n’est pas supérieur à un taux de
2018, p. 57. fraude de référence, ainsi qu’un montant qui ne dépasse pas une
19. V. Deloitte, Open Banking : la révolution de l’industrie bancaire – Comment valeur-seuil de dérogation correspondante ; et, surtout, une
les banques doivent se réinventer, juin 2018, p. 2 : « À l’heure de l’Open
Banking, les services financiers sont indispensables à l’économie, mais pas « analyse en temps réel des risques » susceptible de détecter (rien
les banques ». moins que) « des dépenses anormales ou un type de comporte-
20. V. F. Villeroy de Galhau, Construire le triangle de compatibilité de la finance ment anormal du payeur », « des informations inhabituelles
numérique : innovations, stabilité, régulation : Revue de la stabilité financière concernant l’utilisation du dispositif ou logiciel du payeur à des
n° 20, avr. 2016, p. 8.
21. Comp. les scénarios prospectifs analysés par le Comité de Bâle, Saines fins d’accès », « des signes d’infection par un logiciel malveillant
pratiques – Implications des évolutions de la technologie financière pour les lors d’une session de la procédure d’authentification », « un
banques et les autorités de contrôle bancaire, févr. 2018, p. 11. scénario connu de fraude dans le cadre de la prestation de
22. V. N. Beaudemoulin, P. Bienvenu, A.-S. Lawniczak et D. Warzee (pôle
services de paiement », « une localisation anormale du payeur »
FinTech-Innovation de l’ACPR), Les enjeux de régulation et de supervision
liés aux fintechs et à la rupture digitale : Bull. Banque Fr. juill.-août 2017, ou « une localisation du bénéficiaire présentant des risques
p. 39 et s.
23. V. ACPR, Étude sur la révolution numérique dans le secteur bancaire fran-
çais, préc, spéc. p. 18. 26. V. C. mon. fin., art. L. 521-7, faisant référence à C. mon. fin., art. L. 521-5 :
24. ACPR, Étude sur les modèles d’affaires des banques en ligne et des « Les prestataires de services de paiement n’ont accès à des données à carac-
néobanques : Analyses et Synthèses n° 96, oct. 2018. tère personnel nécessaires à l’exécution de leurs services de paiement, ne les
25. V. à ce propos, Galitt, DSP 2 & Open API : menaces et opportunités pour le traitent et ne les conservent qu’avec le consentement exprès de l’utilisateur
secteur bancaire... En route vers l’Open-Banking : Livre blanc août 2018, de services de paiement ». – V. encore, s’agissant de la lutte contre la fraude,
p. 39 et s. C. mon. fin., art. L. 521-6.
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élevés » 27. Le plus simple est encore de recourir à l’authentifi- naire de comptes décide de lancer une interface dédiée, sa
cation forte, d’autant que, sinon, le prestataire de services de conformité au RSIAC est effectuée est évaluée par un centre
paiement sera automatiquement, sauf agissement frauduleux du d’évaluation agréé par l’Agence nationale de la sécurité des
payeur, responsable d’une opération de paiement non autori- systèmes d’information (Anssi) (V. C. mon. fin., art. D. 133-10).
sée 28. Une régulation technologique des paiements est bel et bien en
Et puis, et enfin, open banking rime indéniablement avec open train de se mettre en place 30.
API (Application Programming Interface), le grand, le seul
presque, sujet du moment. Qu’est-ce à dire ? Que l’accès aux Conclusion
comptes de paiement en ligne suppose la définition de « normes 10 - Ce n’est plus un enjeu, mais un pari : services de l’écono-
ouvertes communes et sécurisées de communication » ; mie de la donnée, les services d’initiation de paiement et d’infor-
communication qui se coule dans une (des) « interface d’accès » mation sur les comptes mettent en jeu (cette fois au sens premier
que doivent proposer les gestionnaires de comptes, soit sous la que nous citions tout à l’heure) assurément la destination,
forme d’une « interface dédiée », soit en ouvrant aux prestataires l’exploitation, la marchandisation des données à caractère
sans comptes l’interface servant à l’authentification et à la personnel 31. Ce pourquoi il est intéressant que ce texte qui a pris
communication avec les utilisateurs de services de paiement 29. toute la lumière : le RGPD, soit presque contemporain de la
Les objectifs de sécurité des interfaces d’accès sont par suite DSP 2. Qui sera le gagnant de la partie, puisqu’au jeu, il en faut
précisés par un « Référentiel de sécurité des interfaces d’accès un ? On n’en sait rien. Mais l’on peut déjà deviner quels seront
aux comptes de paiement » (RSIAC) élaboré par la Banque de les perdants... ê
France. Et lorsqu’un prestataire de services de paiement gestion-
Mots-Clés : Digitalisation des banques - Open banking - Enjeux

27. Règl. délégué (UE) 2018/389, préc., art. 18.


28. V. C. mon. fin., art. L. 133-19, V : « Sauf agissement frauduleux de sa part, 30. V. ACPR, instr. n° 2019-I-01 créant le formulaire de demande d’exemption
le payeur ne supporte aucune conséquence financière si l’opération de paie- de mécanisme d’urgence applicable à une interface dédiée d’accès aux
ment non autorisée a été effectuée sans que le prestataire de services de paie- comptes tenus par un prestataire de services de paiement gestionnaire de
ment du payeur n’exige une authentification forte du payeur prévue à l’article compte.
L. 133-44 ». 31. V. Les données à l’heure de la DSP 2 et du RGPD, Colloque AEDBF du
29. V. Règl. délégué (UE) 2018/389, préc., art. 30 à 36. 9 octobre 2018, Hors-Série : Banque et droit 2019.

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