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Georges Mathieu, Hommage au maréchal de Turenne, 19 janvier 1952, Huile sur toile,

MNAM

L’huile sur toile intitulée Hommage au maréchal de Turenne fut peinte par Georges
Mathieu le 19 janvier 1952 dans le cadre de la préparation de l’exposition qui était consacrée
la même année au studio Facchetti. Aujourd’hui conservée au musée national d’art moderne
de la ville de Paris, cette toile de très grand format était exposée aux cotés de L’hommage à
Philippe III le Hardi, dont le titre se réfère également, comme il est de coutume pour le
peintre de le faire à partir des années cinquante, à une personnalité de l’histoire de France.

L’hommage au maréchal de Turenne se fait l’illustration du travail de Mathieu tel que


celui-ci oriente sa pratique vers une peinture gestuelle à partir des années 40. Sur un fond
rouge uniforme, l’artiste convoque un vocabulaire de formes abstraites qu’il projette en rouge
et noir sur la toile comme autant de tâches démultipliées qui éclatent dans l’espace de la toile
et en blesse l’unité. L’abstraction qui est proposée est fondée sur la pulsion et la dépense.
Contrairement à l’abstraction géométrique, ce langage se place du coté du sentiment et de
l’expression de l’intériorité du peintre. C’est son caractère sentimental qui inspirera le terme
forgé par Mathieu et le critique Jean-José Marchand de « lyrique ». L’avènement officiel de
l’abstraction lyrique est daté de l’exposition organisée en 1947 à la galerie du Luxembourg,
intitulée L’imaginaire, qui exposait les œuvres de Mathieu, Hartung, Wols, Atlan, Bryen et
Riopelle.

Mathieu en théorise les principaux fondements. Parmi lesquels, le geste se voit


accordé une importance sans précédent. Il est désormais l’outil du peintre qui veut enregistrer
son action sur sa toile. La peinture devient alors le témoin de la pulsion créatrice telle qu’elle
a explosé pendant l’acte créateur, et la trace d’une vitalité que le peintre expulse et épuise. Ce
geste se doit d’être rapide dans son exécution et ne doit pas être prémédité. Ainsi, formes et
lignes sont comme jaillies de cette zone de risque, d’immédiateté et de spontanéité ou le
contrôle de la raison s’en est allé, faisant alors de l’artiste son propre spectateur. Cette
esthétique de la liberté et de la vitesse a été nourrie par son voyage au Japon au cours duquel
il s’est confronté à la calligraphie. Celui que Malraux nomme le « premier calligraphe
occidental » convoque alors ici la leçon d’une écriture rapide, en la transposant dans un amas
de formes distribuées horizontalement comme s’il s’agissait d’un texte, dont les signes
pourtant ne veulent rien dire. Mathieu théorise dans Dans la réponse de l’abstraction lyrique
une peinture qui rejette la référence et au sein de laquelle, « le signe précède sa
signification. »

L’œuvre fut réalisée sur le lieu de l’exposition, en moins d’une heure, quelques jours
avant le vernissage, et sa réalisation fut documentée par un reportage photographique.
Georges Mathieu avait en effet pour habitude de révéler le processus de création de la toile à
son public dans des prestations qui avaient pour but, non pas de s’assimiler au genre de la
performance, mais de montrer la rapidité de l’exécution et de restituer au geste son
importance.
La texture picturale quant à elle, alterne entre des couches en aplat très diluées,
réalisées à l’aide d’un pinceau peu chargé en peinture laissant des traces noires essoufflées, et
des formes très lourdes de peinture exécutées selon la technique du tubisme. Le principe du
tubisme consiste à peindre en apposant directement le tube de peinture contre la toile, dont on
devine par endroits qu’il écrase la matière et y laisse les traces de ses griffures. A cela s’ajoute
le travail de la matière par coulures et éclaboussures (conformément à ce que certains
désignent comme du dripping). C’est cette capacité qu’a la matière de désormais porter en elle
le moment qui l’a précédée, de contenir la célérité et la précipitation avec lesquelles le peintre
lui a donné vie, qui est particulièrement novateur et qui permet au regardeur de recomposer le
mouvement qui l’a précédée.

Mathieu participe de la mouvance par laquelle, au lendemain de la seconde guerre


mondiale, de nouvelles manières d’appréhender la matière voient le jour. Ainsi, si Georges
Mathieu donne naissance au tachisme, Jean Fautrier est, quant à lui, considéré comme le père
du matiérisme. Tout comme Mathieu, Fautrier propose une peinture abstraite, à la matérialité
très lourde traitée par empâtements et que le geste est venu meurtrir. Toutefois, dans sa série
des otages datée de 1945, Fautrier, travaille la matière dans une logique de pulvérisation du
sujet qui porte en elle une fin plus tragique. En effet, l’abstraction de Fautrier, se fait le
témoignage de la vision horrifique des corps qu’avaient fusillé les nazis. Il convoque alors des
moyens similaires, mais au service d’une représentation pulvérisée, décomposée, noyée dans
cette boue originelle à laquelle la guerre menace l’humanité de retourner.

L’affirmation de l’abstraction lyrique sur la scène européenne dans les années


cinquante coïncide avec la constitution d’une école américaine de peinture appelée
l’expressionnisme abstrait qui la critique tiendra comme sa rivale et dont la réception en
France est amorcée en 1951 lors de l’exposition Véhémences confrontées, à la galerie Nina
Dausset qui introduit à Paris les œuvres de Pollock et de Kooning, en regard à celles de
Hartung ou de Mathieu.

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