Vous êtes sur la page 1sur 1

« L’homme n’a pas d’autres devoirs que les devoirs envers l’homme (envers lui-

même ou envers un autre). En effet son devoir envers un sujet quel qu’il soit
résulte de la contrainte morale déterminée par la volonté de ce sujet. Le sujet qui
contraint (qui oblige) doit donc être une personne, car seule une personne peut
en déterminer une autre à collaborer volontairement à la réalisation de la fin
qu’elle poursuit. Or dans toute notre expérience, nous n’avons pas connaissance
d’un être capable d’obligation (active ou passive) autre que l’homme. L’homme
ne peut donc avoir de devoirs envers un autre être que l’homme ; ses prétendus
devoirs envers d’autres êtres ne sont que des devoirs envers lui-même ; il est
amené à cette erreur par le fait de confondre ses devoirs à l’égard de ces êtres,
avec un devoir concernant directement ces êtres.
Ce prétendu devoir se rapporte à des êtres impersonnels, qui peuvent être soit la
simple nature matérielle (les minéraux), soit cette partie de la nature (les plantes
et les animaux) qui est douée de sensation et de volonté. Relativement à la
nature en ce qu’il peut y avoir de beau en elle, un penchant à la destruction tout
simple est contraire au devoir de l’homme envers soi. En effet, il affaiblit ou
détruit en l’homme ce sentiment qui, sans être déjà par lui-même moral sans
doute, prépare à tout le moins cette disposition de la sensibilité, et favorise
beaucoup la moralité : je veux dire, celle qui consiste à aimer quelque chose
indépendamment de toute considération d’utilité (par exemple les belles
cristallisations, l’indescriptible beauté du règne végétal). Relativement à cette
partie des créatures qui est vivante, quoique dépourvue de raison, traiter les
animaux avec violence, ainsi que cruauté, est intérieurement plus opposé au
devoir de l’homme envers lui-même, parce qu’ainsi l’on émousse en l’homme le
sentiment de sympathie qui concerne leurs souffrances, et par là aussi une
disposition naturelle très favorable à la moralité dans les rapports aux autres
hommes se voit affaiblie et peu à peu anéantie. L’homme compte parmi ses
droits de tuer les animaux (mais sans torture) ou de leur imposer un travail (à
condition qu’il n’excède point leur force) ; en revanche, il faut mépriser les
expérimentations cruelles que l’on pratique sur eux pour le simple profit de la
spéculation, alors que le but pourrait être atteint sans elle. – La reconnaissance
même pour les services longtemps donnés par un vieux cheval ou un vieux chien
(comme si c’étaient des personnes de la maison) appartient indirectement au
devoir de l’homme, si on le considère relativement à ces animaux, mais
considéré directement il s’agit toujours d’un devoir de l’homme en vers lui-
même. »
E. Kant, Métaphysique des mœurs : Doctrine de la vertu.

Vous aimerez peut-être aussi