Vous êtes sur la page 1sur 16

COMMUNICATION 12/12

1
2
Transformation digitale : quel rôle pour la
fonction RH

ZINEELABIDINE Maroua
PHD en Sciences de Gestion à la FSJES-Agdal, Université Mohammed V de
Rabat
Maroua.zineelabidinee@gmail.com

EL KADIRI Kenza
Enseignante chercheuse à la FSJES Kenitra, Université Ibn Tofail
elkadirikenza@hotmail.com
ZINEELABIDINE Sara
ZINEELABIDINE Sara, Doctorante à la FSJES Kenitra, Université Ibn
Tofail.
sarazineelabidine@gmail.com
RESUME
Dans un contexte en changement permanent marqué par l’amplification des technologies de
l’information et la communication (TIC) et le développement de leurs usages (applications,
plateformes…), les organisations ne cessent de se transformer au gré des mutations
technologiques pour faire face à la complexité et l’évolution effrénée de l’environnement, qui
bouleversent leur fonctionnement et leurs systèmes managériaux. Dès lors, l’entreprise doit se
transformer, promouvoir les nouveaux usages et encourager les nouvelles pratiques pour
répondre aux défis d’innovation, d’agilité, de collaboration et d’expérience-utilisateur. Face à
ce constat, les leviers de la transformation ne sont plus à prouver, les entreprises sont de plus
en conscientes de l’opportunité qu’elle peut apporter aussi bien dans leur rapport interne
(collaborateurs) qu’en externe (clients, fournisseurs, prospect…), il est donc essentiel que la
fonction RH endosse un rôle moteur d’accompagnement de ce changement digital et ce à
deux niveaux : au niveau de la fonction RH elle-même pour la transformation de son
processus et au niveau de toute l’entreprise pour accompagner la transformation des
habitudes, de l’organisation, des valeurs, des métiers et des usages, ce qui offre l’opportunité
de devenir une source de pratiques innovantes et se positionner en partenaire stratégique.
Avec l’engouement du numérique, la digitalisation devient alors un enjeu vital de
compétitivité, pour répondre aux enjeux de la transformation digitale qui nécessite un
changement organisationnel et un réel accompagnement pour son aboutissement, en
impliquant le facteur humain dans un rôle capital d’adaptabilité et d’acculturation à un nouvel
univers digital.
L’objectif de cette communication est de passer en revue les principales définitions et
approches conceptuelles portant sur la transformation digitale (TD), ainsi que le rôle de la
fonction RH dans cette transformation.
Mots clés : Transformation digitale, fonction RH, changement organisationnel, facteur
humain.

3
Introduction :

Avec l’engouement du numérique, la digitalisation des entreprises devient un enjeu vital de


compétitivité, pour répondre aux nouveaux défis d’innovation, d’agilité, de collaboration et
d’expérience-utilisateur. Automatisation des processus, intelligence artificielle, Big Data,
réalité virtuelle, sont autant de technologies qui font progressivement leur apparition dans
l’entreprise et vont transformer de manière spectaculaire sa façon de travailler, d’interagir et
de décider.

Dans ce contexte de mouvance et de course à l’innovation, la transformation digitale (TD)


concerne toutes les organisations. Celles-ci sont désormais confrontées au besoin de
promouvoir les nouveaux usages et de transformer pour demeurer performantes. Les
technologies numériques leur permettent de s’adapter rapidement aux changements de
l’environnement, d’être en coopétition (Fitzgerald 2016 ; Günther et al., 2017 ; Hong et Lee
2017; Huang et al., 2017) tout en étant agiles (Sambamurthy et al., 2003).

Pourtant, il n’est pas rare d’observer que certaines entreprises ont plutôt tendance à adopter
des outils digitaux par imitation, voire par effet de mode, sans réellement comprendre les
enjeux réels du digital. En effet, près de 75% des projets de transformation échouent, non pas
pour des raisons techniques mais liées au facteur humain ((Gartner, IDC, Towers Watson) ; «
la technologie n’est qu’une partie du puzzle qui doit être résolu pour que les organisations
restent compétitives dans un monde numérique » (Vial, 2019 : 2).

L’objectif de notre communication est de répondre à la question suivante : Quel est le rôle
moteur de la fonction RH dans la conduite de la transformation digitale ?

L’étude projetée à travers notre communication, se propose de passer en revue les principales
définitions et approches conceptuelles portant sur la transformation digitale, ainsi que le rôle
de la fonction RH dans cette transformation. Ces approches permettront d’offrir un cadre
d’analyse propice pour une prochaine intervention, dans le sens où la contribution active et
éclairée de la fonction RH au chantier du digital reste aujourd’hui rarement voire pas abordée
dans les travaux et les cas pratiques, et plus particulièrement dans le secteur public vue que ce
dernier est confronté à des difficultés dans la conduite de leur transformation digitale à cause
des ancrages structurels, culturels et managériaux qui persistent dans ce type d’organisations.

4
1. Transformation digitale : Principales approches conceptuelles

La notion de TD est apparue dans les discours des entreprises dès 2012, l’année charnière du
digital (Métais-Wiersch et Autissier, 2016 : 9). Elle est le plus souvent rapprochée à d’autres
concepts comme numérisation, digitalisation, e-transformation et ubérisation, … pour décrire
enfin une même réalité, l’entrée des entreprises dans une nouvelle révolution industrielle.

Basé sur une revue de la littérature en systèmes d’informations (282 travaux), Vial (2019)
décrit la TD comme « un processus qui vise à améliorer une entité en déclencher des
modifications significatives de ses propriétés par des combinaisons d’informations,
technologies informatiques, de communication et de connectivité ». Selon Dudézert, c’est une
démarche volontaire qui consiste en « l’exploration et l’exploitation des nouveaux possibles
engendrés par ces technologies de l’information, en particulier au niveau organisationnel ».
Elle implique « une transformation des pratiques de travail internes […] vers une organisation
plus collaborative plate, moins centralisée et laissant une large autonomie d’action à l’acteur »
(Dudézert, 2018 : 14). Pour cet auteur, le développement des technologies numériques ouvre
de nouvelles opportunités de travail collaboratif basées sur la créativité, l’ajustement mutuel
et la co-construction. Pour Autissier (2017), la transformation digitale s’apparente à « une
vague de dématérialisation des processus internes de l’entreprise au service du client qui passe
par un changement des métiers, des business models et des compétences ».

Cet auteur place l’expérience-client au cœur du succès de la transformation digitale. Pour


ceci, le digital doit être envisagé par les organisations non plus comme une forme
d’équipement technologique mais « une stratégie différenciante » (Métais-Wiersch et
Autissier, 2016). Bien que certains écrits fassent une utilisation indifférenciée des concepts «
numérisation » et « digital » , bien d’autres les font s’opposer (Métais-Wiersch et Autissier,
2016 ; Storhaye, 2016 ; Dudézert, 2018). La numérisation renvoie plus à la notion
d’informatisation de la donnée et l’automatisation de son traitement grâce au développement
de logiciels, progiciels et des plateformes web, ayant permis la prise de décision individuelle
et collective (Dudézert, 2018). Le digital, par contre, dépasse largement le cadre réducteur des
systèmes d’informatisation. Il désigne « la technologie portable en termes d’usage » et
modifie profondément l’accès à l’information, la communication, la culture, la consommation
(Corniou, 2013). La TD ne se résume donc pas à une transformation d’ordre technique. Elle
repose sur les usages qui en sont faits et sur l’adoption de nouvelles façons de travailler que
ces outils les favorisent. L’enjeu est donc double : réussir les projets digitaux et leur
transformation digitale.

5
Passant en revue les principales approches théoriques ayant abordé la question de la TD, les
premières approches se sont penchées sur l’étude du changement technologique en termes
d’assimilation et d’appropriation de la technologie par les usagers. Ces approches étant
limitatives, des approches ultérieures ont focalisé sur la conduite du changement
organisationnel puisque la réussite de toute TD implique des changements organisationnels
profonds en créant un environnement de travail digitalisé, plus collaboratif.

1.1 La transformation digitale : un changement technologique

Différentes approches théoriques se sont intéressées à l’étude de l’appropriation des


changements technologiques. Dans ce qui suit, nous présenterons l’essentiel de ces approches,
en l’occurrence les théories d’assimilation de la technologie, le modèle de la capacité
d’absorption et enfin les travaux sur la maturité digitale. L’adoption de la technologie au
niveau organisationnel et l’acceptation de son usage par les salariés est un problème qui a
longtemps été étudié par les premières approches en management des systèmes
d’informations par les théories d’assimilation de la technologie telles que la théorie de la
diffusion de Rogers (1962) et le modèle de l’acceptation de la technologie (TAM)
(Technological Acceptance Model) (Davis, 1989). Le modèle de la diffusion des innovations
de Rogers (1983, 1995) est promu comme l’un des modèles les plus répandus dans le domaine
de l’adoption des technologies. Il suppose que la rapidité de l’adoption et de l’usage d’une
nouvelle technologie par les destinataires repose exclusivement sur ses caractéristiques
intrinsèques et sur les perceptions individuelles quant à son usage relatif à savoir la perception
des avantages reliés à l’adoption, à la compatibilité, à la faible complexité, à la facilité d’essai
et l’observabilité d’une innovation.

La deuxième approche mobilisée dans les travaux en systèmes d’informations en tant que
changement technologique, est le modèle de l’acceptation de la technologie (TAM) de Davis
et al. (1989). Ce modèle considère que l’acceptation et le refus de l’utilisation d’une
technologie est tributaire de deux facteurs : la perception de l’utilité et la perception de la
facilité d’utilisation. Ces deux critères déterminent l’attitude d’une personne à l’égard d’un
système et son intention à l’utiliser (Davis, 1989). De plus la perception de l’utilité est
considérée comme directement influencée par la facilité d’utilisation perçue. Ainsi, ce modèle
explique le succès de la technologie par des critères exclusivement liés à la technologie elle-
même (facilité d’utilisation) et aux individus (utilité d’adoption).

Ces approches d’assimilation de la technologie s’inscrivent bel et bien dans un courant de «


déterminisme technologique » (Rhchim et Bentaleb, 2019 : 720) qui risque d’éclairer peu sur
6
les logiques sous-jacentes à l’acceptation et à la mise en usage d’une technologie par un
groupe d’acteurs. En effet, si une technologie collaborative est adoptée par l’entreprise et
assimilée par les individus (notamment dans leur vie personnelle) elle n’entraîne pas
forcément une acceptation et une appropriation par les salariés pour faire évoluer leurs
pratiques de travail dans la lignée de la stratégie digitale de leur entreprise (Karoui et
Dudézert, 2016). Ainsi des approches théoriques plaçant l’usage et l’appropriation par
l’usager au cœur de la conception des Technologies de l’Information (TI), comme celui de la
capacité d’absorption des TI et le modèle de la maturité digitale, furent développées.

Le modèle d’absorption (Cohen et Levinthal, 1990 ; Boynton et al., 1994) permet de prendre
en compte certaines dimensions organisationnelles qui interviennent dans l’appropriation et
l’usage de la technologie comme le climat social, la gestion des SI, la culture partagée SI, les
processus internes de collaboration et le rôle des managers. Le concept d’absorption repose
sur « une mosaïque de connaissances » nécessaires à l’assimilation de la technologie : les
connaissances relatives à la gestion des TI et l’efficacité des processus de gestion des TI. Ces
connaissances favorisant le lien entre managers spécialistes TI et managers métiers,
permettent de promouvoir un climat d’échange, le développement d’une planification solide,
d’une vision TI claire et partagée, d’un soutien managérial, d’un contrôle des structures. Ainsi
ce modèle suppose que les TI ne sont assimilées, adoptées et utilisées efficacement qu’en
présence d’un climat organisationnel favorable, des savoir-faire autour des TI partagés et des
processus de gestion des TI efficaces (Cohen et Levinthal, 1990). Longtemps appréhendée
comme un simple empilement de technologies (Autissier et al., 2014), la TD des organisations
a connu l’essor de travaux ayant remis en cause cette logique d’empilement au profit d’une
analyse en termes de maturité digitale. Fayon et Tartar (2019), par exemple, proposent un
outil de mesure de la maturité numérique d’une organisation articulé autour de six leviers
pertinents pour parer aux disruptions : stratégie, organisation, personnel, offre,
technologie/innovation et environnement. Basé sur un processus d’amélioration continue, le
modèle de maturité internet et digital et numérique baptisée DIMM (Digital Internet Maturity
Model) de Fayon et Tartar, permet de mesurer à l’aide d’indicateurs, la maturité numérique de
l’entreprise et repérer à quel stade de transformation numérique elle se situe et quels sont les
efforts à poursuivre.

En 2014, les travaux réalisés par le MIT et le cabinet de conseil Capgemini Consulting sur
l’avantage digital ouvrent un champ d’investigation sur le concept d’intensité digitale ou
maturité digitale endogène selon Autissier (2016). L’étude réalisée auprès de 400 dirigeants

7
d’entreprises mondiales révèle que les entreprises qui ont fait preuve d’une plus grande
maturité digitale, acquièrent un « avantage digital » et sont plus performantes que leurs
concurrentes. L’intensité digitale est appréciée selon deux axes fondamentaux. Le premier axe
est celui de la digitalisation des processus de l’entreprise (« le quoi »). Il apprécie le niveau de
digitalisation en termes d’efforts digitaux consentis. Le deuxième axe est celui de l’intensité
de portage du digital par la ligne managériale. Il recouvre entre autres les efforts et moyens,
les méthodes déployées par l’entreprise en vue de piloter sa transformation (« le comment »).

La considération de ce deuxième axe dans l’évaluation des projets digitaux est primordiale,
car elle dépasse la vision réductionniste de la transformation digitale comme un simple
empilement des technologies et reconnaît le rôle de relais et de co-constructeur de la ligne
managériale et des processus organisationnels pour l’accompagnement des changements
organisationnels induits par les projets digitaux. Selon George Westerman (2012) Professeur
au MIT : « il faut plus que des investissements financiers pour réussir la transformation
digitale d’une entreprise. Cela requiert leadership et vision de la direction générale. La
transformation digitale requiert une réelle organisation managériale et la mise en place d’une
stratégie de conduite du changement tout autant que le bon usage des nouvelles technologies
».

Le croisement des deux axes (intensité digitale et intensité de portage) permet de produire la
matrice de l’intensité digitale permettant de distinguer entre quatre types d’organisations. Les
débutants qui se caractérisent par peu de processus digitaux et un faible portage par la ligne
managériale et des initiatives digitales isolées. Les conservateurs sont des entreprises
marquées par une ligne managériale fortement mobilisée et compétente pour la conduite d’un
changement digital mais qui souffre d’une carence dans les processus digitaux en place.

Les imitateurs technologiques correspondent à la catégorie des entreprises qui sont habitées
par le déterminisme technologique en pensant que le changement se fait uniquement par
l’outil. Ils ont donc tendance à suivre « l’effet mode », à entasser toutes sortes de technologies
sans s’assurer de leur utilité en interne, ni de leur portage par la ligne managériale. Enfin, les
digitaliseurs ou « Digital Masters » sont celles les plus performantes car elles savent mobiliser
les technologies adéquates à leur besoin tout en veillant à impliquer la ligne managériale dans
un changement organisationnel.

Autissier et al. (2014) évoquent même le développement d’un ADN digital chez ces
entreprises qualifiées de « Digirati », grâce à une forte vision sur le digital, portée par la
direction digitale et diffusée dans l’ensemble de l’entreprise, des programmes de formation
8
massifs sur le digital et un rapprochement entre les managers TI et les managers métiers. Ceci
dit, les travaux sur la maturité ont constitué une avancée dans la reconceptualisation des
projets digitaux non pas comme un simple changement technique qui s’impose aux usagers,
mais comme des « opportunités de changements » (Barley, 1986) qui suppriment les anciens
processus et changent le fonctionnement d’une organisation vers « une logique plus
constructiviste, une dynamique sociale constitutive de sens et des résultats opérationnels »
(Autissier et al., 2014) et en stimulant le portage et l’appropriation du digital par les acteurs.
Au-delà de l’intégration de la technologie, la réussite des projets digitaux est liée à la capacité
de l’organisation à porter les changements organisationnels et transformer les processus et les
modes de fonctionnement internes pour que cette technologie se déploie.

1.2. La Transformation digitale : un changement organisationnel

Les bouleversements induits par les projets techniques ou organisationnels ont longtemps
négligé la dimension humaine. Entraînant une remise en cause très souvent dérangeante des
méthodes traditionnelles de travail, ces projets conduisaient, très souvent, à des
comportements de résistance remettant en cause tout l’effort de transformation entrepris. Il a
fallu quelques échecs retentissants pour que les entreprises prennent conscience du risque
humain et développent la pratique de conduite de changement vers les années 1990, comme
pratique située « à la jonction du déploiement d’un projet et de sa mise en œuvre » (Autissier,
2014 : 97). A partir de là, plusieurs auteurs se sont penchés sur l’étude des processus de
conduite de changement et d’accompagnement du changement technologique pour la réussite
d’une transformation digitale. Comme toute initiative modifiant profondément l’organisation,
la TD s’associe à un certain nombre de changements stratégiques, structurels et culturels
importants.

L’enjeu est donc double pour les entreprises : réussir leurs projets digitaux et leur
transformation digitale. Une des premières approches théoriques ayant abordé le processus
d’adaptation au changement et les risques de résistance au changement est l’approche socio-
technique en Grande-Bretagne, au Tavistock Institute dans les années 1950. Le mérite de cette
approche est d’insister sur la nécessité de gérer (diagnostiquer, prévenir et agir)
simultanément les changements techniques et les aspects humains et sociaux, car tout
changement dans un système ouvert nécessite les connaissances et l’engagement des membres
de ce système. Cette approche est particulièrement pertinente de nos jours notamment dans le
contexte de la TD, où la plupart des problèmes qui se posent proviennent surtout de la
négligence des aspects humains. Ces idées creusent également dans les premières approches

9
du changement planifié (Lewin ,1951 ; Pettigrew, 1987 ; Kotter, 1996 ; …). Datant de plus de
50 ans, le modèle des champs et des forces de Lewin est considéré comme un outil conceptuel
et pratique pour aborder le changement (Mschane et al., 2013).

Il se base sur l’identification de deux champs de forces : des forces motrices poussent les
organisations au changement, pour promouvoir de nouveaux comportements et de nouvelles
valeurs dans le sens du changement ; des forces antagonistes de résistance tendent à maintenir
le statuquo dans l’entreprise. Lorsque ces deux forces sont d’égales intensités et opposées, le
système organisationnel maintient son équilibre et le changement se produit en acheminant
d’une phase de dégel (ou décristallisation), à une phase de transition vers une phase de regel
(ou recristallisation). Tout d’abord, la situation à modifier connaît un « dégel » par la mise en
place d’un ensemble d’actions visant la prise de conscience du besoin de changer et une
remise en cause des pratiques en vigueur. Le terrain est ainsi mûr pour opérer le changement et
passer à une phase de « transition » caractérisée par l’abandon d’anciennes pratiques et
l’adoption de celles qui sont souhaitées. Enfin, le processus se clôt par un « regel », où un
nouvel équilibre se renforce par l’appropriation de nouveaux comportements et le
développement de compétences (Lewin, 1951). Être conscient de l’existence de ces trois
phases et des forces sur lesquelles il faut agir est important pour le pilotage d’un changement
comme la transformation digitale.

Dans la même lignée, les travaux fondamentaux de Pettigrew (1987) reposent sur une
approche contextualiste du changement, articulée autour de trois dimensions centrales à savoir
le contexte, le contenu et les processus. Dans cette perspective, la TD considérée comme un
processus de changement organisationnel à gérer, prendrait en compte non seulement le
(quoi), mais aussi le « comment » et le « pourquoi » du changement. Le contenu fait référence
au domaine spécifique concerné par les changements étudiés. Le contexte interne renvoie à la
structure, la culture, le système politique et de management propre à l’entreprise et à travers
lesquels les idées associées au changement vont être véhiculées. Le contexte externe couvre
les environnements socioéconomique, politique, technologique et concurrentiel. Les processus
renvoient aux actions, réactions, interactions des différents acteurs impliqués dans le
changement pour évoluer d’un état présent à un état futur. Le maintien d’une cohérence
relative entre les trois pôles favorise une meilleure intégration du changement organisationnel
(Pettigrew, 1987).

La difficulté vient souvent du fait que, lors d’un changement organisationnel, l’apprentissage
de nouvelles pratiques se fait à l’intérieur de l’ancienne organisation. C’est par exemple le cas

10
lorsque la TD s’opère dans une bureaucratie qui renforce les silos fonctionnels au lieu de
favoriser la collaboration entre les unités organisationnelles.

Un changement de culture est aussi un point primordial lors d’un changement organisationnel,
notamment que l’évolution de la culture est rarement radicale, mais progressive. Elle évolue
moins rapidement et plus difficilement que les autres sphères de l’organisation car elle touche
les fondamentaux partagés par les acteurs (valeurs, habitudes, normes, …). Töytäri et al.
(2017) ont constaté que la culture et l’identité organisationnelles forment de solides barrières
institutionnelles qui entravent le développement de services intelligents.

Ainsi, selon Schmid et al. (2017), la résistance au changement est enracinée dans le travail
quotidien et ne peut être résolue en modifiant simplement le comportement des employés. Les
changements d’organisation, de la structure, des processus et de la culture (Selander et
Jarvenpaa, 2016) sont nécessaires pour permettre une certaine flexibilité face au changement.
Dans un tel contexte de TD, les leaders organisationnels joueraient un rôle levier pour
mobiliser les employés (dialogue, proximité, formations, reconnaissance, …), développer une
mentalité numérique, cultiver une volonté de prise de risque et d’expérimentation (Fehér et
Varga 2017) tout en apaisant leurs perturbations associées à l’utilisation des technologies
numériques (Hansen et al., 2011). Autissier et Moutot (2013) ont modélisé le dispositif de
conduite de changement des projets digitaux avec un noyau central de diagnostic et des
ateliers participatifs alimentant un cycle d’actions d’accompagnement (études d’impacts,
communication et formation) et un cycle de pilotage (pilotage du changement, gestion des
hommes et des résistances) et ce dans une logique continue.

2. Le rôle clé de la fonction RH dans la transformation digitale :

Les développements présentés jusque-là soutiennent que le succès de la digitalisation dans les
entreprises ne repose pas uniquement sur une simple transformation d’ordre technologique
mais bien aussi sur une transformation de ses modes de travail, de son organisation et de ses
processus managériaux. Selon Storhaye (2016), « les entreprises actuelles sont confrontées à
des bouleversements multiples qui rendent caduques les recettes habituelles […] se réinventer
passe par une transformation vers des organisations « agiles », capables de s’adapter en
permanence à la réalité des affaires ». En parallèle, les RH vivent une transformation digitale,
impliquant une conduite de changement forte où culture et communication sont bousculées. Il
n’est pas rare que des projets importants au sein de grandes entreprises, travaillant en relatif
isolement par rapport à la fonction RH se trouvent autant troublés que le domaine des RH se

11
situe au cœur même de ces projets. La réussite de tels projets est étroitement liée à la stratégie
de conduite et d’accompagnement de ce changement, visant à assurer une bonne appropriation
par les futurs utilisateurs. Sous-estimée, l’entreprise pourrait subir des conséquences
dramatiques.

2.2.1 RH et accompagnement du changement digital :

Le digital est un vecteur catalyseur du changement. Il transforme inéluctablement le travail,


les organisations et les processus de GRH par l’intégration du potentiel offert par le
numérique. Ce concept a totalement aboli les barrières temporelles et les modes de gestion
traditionnels et a graduellement impacté le monde culturel, structurel et organisationnel des
entreprises : nouveaux métiers, temps accélérés, travail à distance, transformation des modes
de management, entreprise libérée, … Face à ces enjeux, plusieurs auteurs ont souligné le rôle
capital que joue la fonction RH dans ce processus de changement (Coron et al., 2019 ;
Dudézert, 2018 ; Baudoin et al., 2019 ; Storhaye, 2016). Elle se place en première ligne dans
son rôle d’acteur de changement pour mettre en place les actions nécessaires, convaincre et
accompagner les différents utilisateurs à une meilleure appropriation par le plus grand
nombre. Selon Ulrich (1996) « L’agent de changement doit accompagner les employés en
facilitant leur adhésion et en réduisant les irritants inhérents. Il doit également aider les cadres
à prendre le virage du nouveau management en identifiant les problèmes potentiels » (Ulrich,
Guérin et Wils, 1996 : 50).

Selon Coron et al. (2019), la fonction RH doit répondre à quatre défis majeurs : d’abord, la
disruption qui consiste à booster la capacité d’adaptation et d’innovation de l’entreprise face à
la concurrence accrue et les évolutions technologiques rapides et ce par le développement et
l’adaptation permanente des effectifs et des compétences. La marchandisation de la relation
sociale est un second phénomène qui amène à gérer des populations aux statuts divers sur le
marché du travail. La collaboration se place comme un troisième défi RH à l’ère du digital en
remettant en cause les schémas d’organisation classiques et les modes de fonctionnement
traditionnels en faveur des formes plus agiles, plus collaboratives nécessaires à la survie des
entreprises. Enfin, la robotisation consiste à penser les collaborations humain-machine et aux
risques d’un asservissement de l’homme à la machine.

Pour leur part, Baudoin et al. (2019) attribuent à la fonction RH le rôle « d’architecte social »
en assurant l’accompagnement de l’organisation dans sa transformation digitale sur quatre
plans:

12
 L’accompagnement de la transformation des métiers, des compétences, des rôles, des
postures, des carrières : L’automatisation des processus impacte quantitativement et
qualitativement les emplois de l’entreprise dans une logique de destruction créatrice
(Schumpeter, 1942). Dans une logique proactive, la GRH doit miser sur la GPEC pour
repérer, recruter et développer des profils « agiles » capables de s’adapter aux
turbulences d’une époque incertaine ;
 Accompagnement de la transformation des modes d’organisation du travail :
L’organisation taylorienne, les modes de fonctionnement classiques, les relations
hiérarchiques et de subordination sont totalement abolis avec la « dématérialisation »
et la déspécialisation générée par le numérique. La contribution de la fonction RH est
indispensable pour la réorganisation de l’espace de travail, la flexibilisation du temps
de travail, le développement de nouveaux modes de travail favorisant la transversalité,
la communication, la collaboration portés par l’usage des outils digitaux. A ce niveau,
Dudézert (2016) ne manque pas de soulever, dans l’autonomie favorisée par le digital,
une nouvelle forme d’aliénation à la machine et des problèmes d’isolement du
travailleur ;
 L’accompagnement à l’évolution des modes de management et à la remise en cause
des systèmes hiérarchiques classiques : La virtualisation des relations managériales, la
transversalité de la communication et la digitalisation des pratiques et des méthodes de
travail appellent une culture et des principes de management radicalement différents,
encourageant l’initiative, l’autonomie, l’apprentissage par essais/erreurs ;
 L’accompagnement d’actions de conduite de changement pour assurer une bonne
appropriation par les futurs utilisateurs.

2.2.2. La transformation digitale de la fonction RH :

Dans la démarche de TD, la fonction RH doit aussi se digitaliser et devenir un modèle du


changement pour le reste de l’entreprise (Cianni & Steckler, 2017). La digitalisation de la
fonction RH favorise l’automatisation de différentes activités RH (recrutement, formation,
paie, évaluation, développement audit…) en proposant davantage de self-service RH (Cianni
& Steckler, 2017) permettant de réduire les coûts, d’améliorer la rapidité et la qualité des
processus RH (Strohmeier & Parry, 2014) ainsi que de libérer plus de temps aux
professionnels RH pour se pencher sur des actions à forte valeur ajoutée. Ce faisant, elle
permet également de développer la mesure de la performance de la fonction RH, de repérer
ses dysfonctionnements et orienter la prise de décision RH et ce grâce à l’analyse des données

13
(Analytics RH), rendue aisée par le digital (Stone et al., 2015 ; Holland & Bardoel, 2016). La
transformation digitale de la fonction RH renvoie selon Baudoin et al., (2019) à six
dimensions principales :

La dimension technologique qui comporte l’ensemble des composantes matérielles et


logicielles du système technologique de l’entreprise et solutions numériques RH. Cette
composante est bien évidemment la pierre angulaire de toute transformation numérique RH.
La dimension humaine considérée comme clé de succès de la transformation digitale de la
fonction RH et apparaît dans différentes composantes. La composante « ressources » recouvre
l’ensemble des compétences internes et externes à une entreprise, permettant de mettre en
œuvre de manière effective cette transformation numérique RH. La composante «
appropriation » correspond aux actions de formation, communication et de mobilisation. La
composante « conception » correspond aux éléments ergonomiques et psychologiques à
prendre en compte dans la conception des solutions RH pour faciliter leur appropriation et
manipulation par les futurs utilisateurs. La dimension organisation recouvre l’organisation des
services, des processus RH, des modes organisationnels du travail dans un projet de
transformation digitale RH. La dimension financière renvoie au budget requis pour
l’implantation d’un projet de transformation. La dimension « juridique » recouvre l’ensemble
des contrats matériels, logiciels nécessaires pour mettre en œuvre et utiliser les solutions
numériques RH. La dimension conceptuelle correspond à la définition et au sens des thèmes
sur lesquels portent les solutions numériques RH mises en place.

Les enjeux de cette transformation digitale sont multiples pour la fonction RH. Ils se résument
selon Baudoin et al. (2019) en cinq points :

• Le développement de nouveaux services RH tels l’analyse de performance RH,


l’analytique RH permettant d’orienter et de piloter la prise de décisions ;

• Le développement de nouveaux modes de fonctionnement pour répondre aux attentes


évolutives des collaborateurs et/ou des candidats potentiels ultra-connectés (e-learning,
télétravail, e-recrutement, …) ;

• L’harmonisation des pratiques RH ;

• L’optimisation des processus RH par l’automatisation et la décentralisation (système


de workflow, chatbot,…) ;

• La maîtrise des données RH et de la mesure de performance. Outre ces enjeux


précités, Samama (2017) souligne l’importance de l’amélioration de « l’expérience

14
collaborateur » grâce à la transformation digitale de la fonction RH. Pour cet auteur, «
l’expérience collaborateur » est indissociable de la transformation digitale de l’entreprise.
Plus les collaborateurs disposeront de nouveaux outils pour donner leur avis sur leur
entreprise via les réseaux sociaux d’entreprises ou encore, les plateformes collaboratives, les
workflow, site internet d’évaluation anonyme, plus les entreprises seront à mesure de
connaitre les besoins et modes de fonctionnement des collaborateurs pour y répondre au bon
moment, par des actions adaptées, ce qui permet d’améliorer l’expérience collaborateur.

Conclusion :

Bien plus qu’une affaire de technologies et d’équipements, la transformation digitale se veut


un profond changement requérant une vraie réflexion stratégique et une transformation des
modes de management, de collabo - ration, d’apprentissage traditionnels qui dominent la
structure bureaucratique d’une entreprise publique… Une réelle transformation culturelle,
managériale et organisationnelle s’impose et devrait asseoir ce changement organisationnel.
La fonction RH ne doit pas céder à un déterminisme technologique ; plus que jamais, la
révolution digitale lui offre l’opportunité de devenir une source de pratiques innovantes et de
se positionner en partenaire stratégique pour répondre aux enjeux de la digitalisation et
accompagner les transformations requises au sein de l’organisation, en impliquant les
collaborateurs dans un rôle capital d’adaptabilité et d’acculturation à un nouvel univers
digital.

Références bibliographiques :

Peng, H. (2017). L’espace numérique professionnel et l’évolution de la fonction RH:


observation de deux cas différents. GRH, (3), 77-99.

Cherkaoui, A., & Belgaid, A. (2021). Les nouveaux défis des managers de proximité face à la
décentralisation de la fonction RH au Maroc–Cas d’un groupe financier panafricain. Question
(s) de management, (2), 43-68.

Adla, L., & Gallego-Roquelaure, V. (2016). La transformation des pratiques de GRH en PME
innovantes. @ GRH, (4), 47-69.

Calvez, V., & Dolidon, O. (2014). Le management stratégique des ressources humaines face
au défi des compétences clés collectives. Humanisme et Entreprise, (2), 45-67

Drioua, W. La rareté des talents: quels rôles pour la fonction Ressources Humaines?

15
Dubouloz, S. (2014). Innovation organisationnelle et pratiques de mobilisation des RH. Revue
française de gestion, (1), 59-85.

Reydet, S., & Carsana, L. (2020). L’impact d’un changement organisationnel sur les salariés et
les clients. Revue française de gestion, 46(288), 61-82.

Mollard, D. (2016). Innovation organisationnelle et technologies de l’information. Gestion de


projet et conduite de changement. Prospective et stratégie, (1), 97-108.

Bastien, A., Berard, A., Defélix, C., Le Boulaire, M., & Picq, T. (2019). La transformation des
organisations: des innovations managériales multiples, la GRH au rendez-vous?. Question (s)
de management, (3), 47-60.

Frimousse, S., & Peretti, J. M. (2018). Comment développer la capacité de transformation


d’une organisation?. Question (s) de management, (2), 157-180.

Pelletier, C., & Martel, V. (2019). Accompagner la transformation numérique des PME: une
perspective écosystémique de la création de valeur. Revue Organisations & territoires, 28(3),
63-75.

Laval, F., & Diallo, A. T. (2007). L'e-RH: un processus de modernisation de la gestion des
ressources humaines à la mairie de Paris. Management Avenir, (3), 124-148.

Chouaib, A. (2020). La transformation digitale: quel rôle pour la fonction RH?. Recherche et
Cas en Sciences de Gestion, (2), 47-69.

16

Vous aimerez peut-être aussi