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Communication et organisation

Revue scientifique francophone en Communication


organisationnelle
55 | 2019
Les « organisations collaboratives » en question

Communication engagée au sein des associations


d’auditeurs de radio en Afrique subsaharienne
Committed Communication within Radio Audience Associations in Sub-Saharan
Africa

Etienne Damome

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/communicationorganisation/7945
DOI : 10.4000/communicationorganisation.7945
ISSN : 1775-3546

Éditeur
Presses universitaires de Bordeaux

Édition imprimée
Date de publication : 1 juin 2019
Pagination : 155-170
ISBN : 979-10-300-0370-3
ISSN : 1168-5549

Référence électronique
Etienne Damome, « Communication engagée au sein des associations d’auditeurs de radio en Afrique
subsaharienne », Communication et organisation [En ligne], 55 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2023,
consulté le 04 janvier 2023. URL : http://journals.openedition.org/communicationorganisation/7945 ;
DOI : https://doi.org/10.4000/communicationorganisation.7945

Tous droits réservés


VARIA

Communication engagée au sein des associations


d’auditeurs de radio en Afrique subsaharienne
Etienne Damome1

Résumé : La participation est une des caractéristiques majeures de la culture


contemporaine. Elle dépasse donc le domaine médiatique. Dans ce dernier
cependant, elle est en vogue. En témoignent les nombreuses études publiées sur
le sujet ces dernières années. Elles mettent en avant l’engagement des publics
médiatiques. Cet article analyse, à l’aune des concepts d’engagement et de
communication participative, les formes d’actions observables au sein des collectifs
d’auditeurs qui se développent autour des stations de radio en Afrique de l’Ouest
francophone.
Mots-clés : engagement, communication engagée, participation médiatique,
associations d’auditeurs, collectifs d’usagers des radios.

Committed Communication within Radio Audience Associations in Sub-Saharan Africa


Abstract: Participation is one of the major characteristics of contemporary culture. It thus
reaches beyond the media field. In the latter however, it is in fashion. This is emphasized
by the numerous studies published on the subject in recent years, highlighting the media
audiences’ commitment. In the light of the concepts of commitment and participative
communication, this article analyzes the forms of observable actions within groups of
listeners developing round the radio stations in Francophone West Africa.
Keywords: commitment, committed communication, media participation, audience
associations, groups of radio stations users.

1- Biographie de l’auteur en fin d’article.

Communication & Organisation 55, juin 2019, p. 155-170.


Communication & Organisation 55

Les auditeurs radiophoniques en Afrique : quelle participation


médiatique ?
La formation de groupes d’auditeurs n’est pas un phénomène nouveau
en Afrique noire. Formés autour du média radiophonique à la fin des
années 1950 et bien installés dans l’espace public à partir des années
1960 comme en témoignent Robert (1967a & b), McAnani (1972) et
Cassirer (1977), ils ont pourtant brutalement disparu un peu partout
dans les années 1980, avant de marquer un retour spectaculaire dans les
années 1990 grâce au libéralisme médiatique qui a succédé à une phase
de fort monopole étatique. Les manifestations contemporaines de ce
phénomène ont fait l’objet de plusieurs études en Afrique australe (Banda
2007 et Mhagama 2015) et en Afrique occidentale (Damome 2011,
2012, 2015 et 2017). Ces groupes d’auditeurs participent pleinement
à l’élaboration des contenus et à la gestion des émissions ainsi qu’au
débat public. Ils organisent des rassemblements et des manifestations
dans les quartiers, des regroupements à la maison de la radio pour
s’opposer à sa fermeture, des envois de courriers au siège des instances de
régulation des médias pour rétablir une émission suspendue, des actions
d’information et de communication en vue de recruter de nouveaux
auditeurs pour la radio ou de nouveaux membres pour l’association, des
projets de développement local, etc. L’observation empirique et l’analyse
de ces formes d’engagement autour d’un média nous amènent à nous
demander si ce modèle de communication, fondé sur la co-construction
de contenus et d’expériences médiatiques, constitue une alternative au
modèle radiophonique plus classique de l’audience ? Peut-on l’envisager
comme une fonction médiatique stimulante reposant sur du hors-média
ou de l’après-média ? Plus généralement, l’engagement de collectifs
d’usagers des radios invite-t-il à élargir notre définition de la participa-
tion médiatique ?
Nous formulons l’hypothèse selon laquelle les associations d’auditeurs
font émerger un public militant (associatif ), et non plus seulement des
acteurs de l’interactivité médiatique. En effet, la plupart des actions
de ces groupes formels et informels donne à voir d’autres formes de
mobilisation prolongeant le média, ancrées dans des formes tangibles
de solidarités, notamment intergénérationnelles, et dans l’initiation de
projets de développement social, économique et culturel…

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Communication engagée au sein des associations d’auditeurs de radio...

Méthodologie
Cette hypothèse est discutée à la lumière de plusieurs études de terrain
réalisées en Afrique de l’Ouest entre 2010 et 2017. Six associations au
total ont fait l’objet d’observations systématiques et participantes d’une
durée d’un mois. Ces associations sont issues du Burkina Faso, du Ghana
et du Togo, à raison de deux par pays. Elles portent des noms liés aux
stations de radio auprès desquelles elles sont engagées : Progress et Blis
(Ghana), La voix du paysan et Munyu (Burkina Faso), MECAP FR et
Maria (Togo). Ces stations locales sont privées commerciales (Progress,
Blis et MECAP FR) et privées communautaires (La voix du paysan,
Munyu et Maria).
Un protocole d’observation spécifique à chacun de ces collectifs a été
mis en place en fonction du contexte local, des habitudes particulières
de la station radiophonique considérée et également des pratiques post-
réceptions des groupes d’auditeurs. Après avoir dressé une typologie de
l’offre radiophonique en matière d’émissions interactives et communau-
taires, la participation des groupes sur l’antenne, hors antenne et après
l’exposition aux contenus a fait l’objet d’un suivi régulier, par séquences
temporelles moyennes de deux semaines au cours de trois visites pour
chacun des six collectifs. La démarche d’observation participante
concernait les actions organisées par les groupes dans l’espace public
physique (marchés, places publiques, carrefours de routes, etc.) et sur
les réseaux sociaux. Ces observations de terrain ont été complétées,
pour le besoin de la clarification des interprétations, par 38 entretiens
semi-directifs avec des auditeurs, obtenus en fonction des rencontres et
de la position des acteurs dans le groupe. Les données analysées pour
étayer notre hypothèse proviennent donc de quatre carnets de bord
et de verbatim extraits des entretiens, mais aussi recueillis au cours de
conversations plus informelles.

Les marqueurs de la participation médiatique


Si la notion d’engagement est de façon générale peu mobilisée en
SIC, elle fait néanmoins l’objet de quelques travaux en communication
organisationnelle. Andry (2016) la convoque ainsi dans un article publié
dans la revue Communication & organisation sous l’angle de « l’impli-
cation », dans le sens anglais commitment, pour analyser des pratiques
organisationnelles liées aux dispositifs de communication interne. Elle
définit la notion, en empruntant les termes d’Allen et Meyer (1990),

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Communication & Organisation 55

comme « un attachement affectif ou émotionnel envers l’organisation


tel qu’un individu fortement impliqué s’identifie, s’engage et prend
plaisir à être membre de l’organisation qui l’emploie ». La dimension
affective de l’implication y est soulignée parce que la motivation
(autre terme convoqué par Andry) peut en être le moteur et expliquer
le plaisir de travailler ensemble (Thévenet 2004). C’est en ce premier
sens que cette notion peut être mobilisée dans ce travail. Même si les
dispositifs de communication interne ne sont pas formalisés dans les
cas à l’étude (les associations dont il est question étant pour la plupart
des organisations informelles), ils ne peuvent pour autant être réduits à
des collectifs purement spontanés ou désordonnés, les échanges en leur
sein obéissant à des objectifs militants précis, et impliquant de la part de
leurs membres un rapport d’engagement au collectif inscrit dans la durée.
Ainsi appréhendée, l’implication peut être considérée comme vecteur
d’engagement individuel et collectif, d’ailleurs observable sur le terrain
dans les actions militantes pro-média et citoyennes.
La notion d’engagement peut également être convoquée sous l’angle
de la « participation » citoyenne, et dans une logique de communica-
tion externe (Bernard 2015). La participation, surtout lorsqu’elle est
active, s’inscrit alors, selon Bernard, dans une logique de valorisation
d’instances participatives qui constituent autant d’espaces d’appren-
tissage démocratique. Dans cette optique, cette notion peut ainsi
s’avérer féconde pour l’étude de la communication engagée de publics
médiatiques, à plus forte raison lorsqu’elle est portée par des groupes
d’auditeurs décidés à prendre part de façon active aux grandes débats
sociétaux contemporains de leur pays, notamment sur des questions
environnementale, citoyenne et démocratique. Là encore, même si ces
associations ne sont pas formalisées, elles n’engagent pas moins des
actions concertées et coordonnées en tant que collectifs d’usagers.
Ce double fonctionnement organisationnel – intra-associatif et
tourné vers des publics et des institutions qui lui sont extérieurs – est
tout à fait pertinent pour traduire l’engagement communicationnel
multiforme des associations d’auditeurs. Cette notion d’engagement
communicationnel peut d’ailleurs être décryptée à l’aune des théories de
la participation médiatique, comme moteur des relations multiformes
qui se développent au sein d’un groupe formé autour d’un intérêt
commun. Jenkins (1992) par exemple défend l’idée, à travers la culture
de la convergence, notamment celle des fan-clubs, d’un environnement
dans lequel les membres sont liés par la force de leurs interactions

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Communication engagée au sein des associations d’auditeurs de radio...

sociales dans le cadre de leur consommation culturelle ou médiatique.


Le partage d’informations, de sens et la convergence autour de leurs
intérêts communs y demeurent essentiels. Les meetings de fan-clubs, les
newsletters et les fanzines fournissent un espace collectif de socialisation
où se constitue une communauté. Wenger (1998) quant à lui met en
exergue trois dimensions différentes mais interdépendantes de petits
groupes informels, non reconnus et souvent invisibles de l’extérieur,
qu’il appelle communautés de pratiques : une entreprise conjointe, un
engagement mutuel, un répertoire partagé. Dans ce nouveau contexte
domine le sentiment d’appartenance, de solidarité, de générosité et de
mise en réseau. Les dynamiques internes favorisent la collaboration et
la compréhension mutuelle (Donjean 2006). Les dispositifs de commu-
nication des « groupes d’amis », des « familles » et des fan-clubs des
stations de radio peuvent donc être analysés sous ces éclairages différents
mais complémentaires.
D’autres chercheurs, à l’instar d’Arnstein (1969), Berrigan (1979) et
Carpentier (2011) analysent les formes d’engagement que les groupes de
pratiques médiatiques développent vis-à-vis de la sphère médiatique en
tant qu’entités plus ou moins constituées. Ils proposent de ce fait deux
formes de participation médiatique : la participation aux médias et la
participation par les médias. La première se réfère à la part que prennent
les publics à la production médiatique (participation liée au contenu) et à
la prise de décision organisationnelle. La seconde, c’est-à-dire la partici-
pation par les médias, traite, quant à elle, des possibilités de participation
médiatisée au débat public et d’autoreprésentation dans la variété des
espaces publics qui caractérisent les médias.
C’est cette deuxième forme de participation qui nous intéresse plus
particulièrement ici (d’autres travaux ayant déjà été consacrés à la
première, cf. Damome 2012 et 2015). L’objectif dans le cadre de cet
article est de reprendre ces catégories en y adjoignant une nouvelle
dimension : la participation à travers les médias. Ce niveau d’analyse des
pratiques médiatiques est encore rare dans la littérature spécialisée dans
ce champ. Le primat est dans ce cas accordé aux formes d’engagement
des publics médiatiques qui utilisent le média et le rapport médiatique
comme support de militantisme. Il apparaît cependant utile de rappeler
les éléments de la première forme de participation afin de mieux spécifier
ensuite les caractéristiques de la seconde. Les observations de terrain
montrent que ces deux formes de participation sont également présentes
dans les activités des collectifs d’auditeurs engagés.

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Communication & Organisation 55

L’engagement « envers » les médias


Cette forme de militantisme a trait à toutes formes de participations
aux médias impliquant individuellement ou collectivement les membres
de l’association. Il s’agit de la participation aux contenus diffusés et à la
gestion organisationnelle des stations.

La participation aux contenus diffusés


La participation aux contenus concerne dans un premier temps l’inte-
ractivité médiatique. L’intervention des auditeurs détermine le contenu
des émissions. Dans ce cas, la participation des auditeurs en est le
principe directif. Elle est liée à un besoin d’expression spontanée ou à un
besoin de savoir directement formulé. C’est le cas des forums d’auditeurs
ou des microphones ouverts. Dans le dispositif radiophonique, l’auditeur
est invité à poser des questions ou à donner son avis sur un thème. Ici
l’auditeur « n’est plus perçu comme un médiateur venant chercher un
savoir transmis par le média, mais comme un citoyen souhaitant que son
opinion soit reconnue par les autres. » (Deleu 60). Les stations restent
attentives aux suggestions des auditeurs, même si leur agenda obéit plutôt
aux axes prioritaires de leurs promoteurs. Les associations d’auditeurs
participent donc activement au renouvellement des programmes. C’est
ce que nous avons constaté durant la semaine du 5 au 11 septembre
2010 à propos de la radio MECAP FR au Togo. Des émissions entières
ont été consacrées à des échanges entre animateurs et l’association des
amis de la radio. Ces derniers pouvaient intervenir en direct, envoyer
des SMS lus à l’antenne, publier des commentaires sur les forums de
discussions sur le site ou le blog. Ces pratiques constituent un élément
central dans la légitimité des espaces délibératifs qu’incarnent les radios
de proximité. Néanmoins, la participation des amis de la radio ne prend
pas part à la phase initiale de « définition des problèmes » (Berrigan 26)
et ne permet donc pas de décider d’un commun accord des orientations
de la communication des programmes.
La deuxième forme de participation rend au contraire possible la prise
de décision sur les contenus propres des programmes. Pour satisfaire leurs
besoins sociaux et culturels et pour améliorer la qualité de l’offre radio-
phonique, les collectifs d’auditeurs peuvent ainsi produire eux-mêmes des
programmes. L’accès à la technologie radio et la possibilité de l’utiliser
comme moyen de communiquer et de recevoir des informations permet
alors aux auditeurs engagés d’être présents dans la réalisation de contenus
médiatiques. Ceci constitue la forme la plus aboutie de la participation

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Communication engagée au sein des associations d’auditeurs de radio...

médiatique chez Carpentier (2011). La formation radiophonique sur le


tas (techniques de prise de son notamment) rend les auditeurs capables
d’enregistrer des témoignages qu’ils soumettent ensuite directement à
l’antenne. Farmers talk to Farmers (les paysans parlent aux paysans) de
Blis en est un exemple typique. Les membres des radio-clubs partagent
avec d’autres auditeurs la façon dont ils ont bénéficié de l’adoption de
techniques agricoles modernes. L’on aura remarqué au passage que
cela correspond au partage du même répertoire et à la circulation des
informations intragroupales dont parle Wenger (1998) ou à « la création
de savoirs tacites, un mode efficace et souple de coordination, un espace
identitaire et de socialisation qui procure sens et motivation à s’engager
ensemble » évoquée par Soulier (51). Par conséquent, ce sont les voix des
populations locales qui sont entendues dans les programmes et non celles
des animateurs. Les clubs d’écoute produisent leurs propres programmes
qu’ils envoient pour diffusion. Le club recueille également au sein de
son village des informations sur des sujets divers qui servent à produire
des mini-drames, programme chansons et danses afin de sensibiliser les
populations à divers sujets de société. Les associations invitent les radios
à venir dans les quartiers et les villages enregistrer l’actualité directement
accessible et à l’échelle de la collectivité, comme des veillées spectacles
enregistrées le soir, dans les lieux de rassemblement des membres de
l’association. C’est cet aspect quotidien et immédiatement concret de la
vie des auditeurs que les soirées mettent en relief via ce mode d’inter-
vention directe. L’intervention du public sera également requise dans
les émissions de sensibilisation, comme vulgariser des pratiques afin
de prévenir des maladies. Ces émissions occupent l’intégralité de la
programmation diurne. L’ensemble de ces processus autorise ainsi tout
un chacun à devenir producteur actif, et pas simplement « destinataire
passif de l’information » et de l’opinion, selon l’expression de Bresnaham
(2007). La participation des auditeurs à la production et à la gestion de
l’organisation du programme est le signe le plus probant de l’autonomi-
sation des médias locaux.
La participation aux contenus concerne dans un troisième temps
le feed-back. C’est une sorte de mission de contrôle, mais également
de suggestion que les stations consentent à déléguer aux associations.
Lorsque l’association des auditeurs de la station Progress du Ghana n’est
pas satisfaite de la manière dont certains programmes sont gérés, elle
en informe la station directement à travers les différents événements
interactifs ou par un appel téléphonique. À la réception d’une plainte,
la direction de la station se réunit pour prendre une décision. Dans une

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Communication & Organisation 55

sorte de mouvement ascendant, ce type de participation aux médias ouvre


aux publics engagés la possibilité d’exercer une certaine influence sur le
système médiatique Charpentier (2011). Les associations encouragent
par ailleurs leurs membres à rendre visite aux stations, à leur envoyer des
courriers, des messages électroniques de salutations, des annonces, des
dédicaces et à signaler aux reporters les événements qui se produisent
autour d’eux. Nous avons observé à Ouahigouya, au Burkina Faso, que
des auditeurs viennent remercier les membres du personnel de La Voix
du paysan pour avoir diffusé leurs messages, par exemple, en lien avec la
perte de biens ou de proches, ou demandé de remercier sur les antennes
quelqu’un d’avoir fait don de sang à l’hôpital pour sauver une vie. Nous
avons également constaté que les accueils des stations ne désemplissent
pas, où des passants pour la plupart viennent saluer un animateur avant
de continuer leur chemin. Ces exemples illustrent l’importance du rôle
que les groupes d’auditeurs peuvent jouer.

Participation à la gestion des stations


L’attachement affectif et émotionnel envers l’organisation dont
parlent Allen et Meyer (1990) peut parfois conduire l’individu à
s’impliquer plus fortement encore. Cette participation peut aller jusqu’à
l’implication concrète dans le fonctionnement de la radio – les auditeurs
n’étant pas seulement membres de l’association parce qu’ils partagent la
philosophie de la station et apprécient ses programmes –peut prendre
plusieurs formes, parmi lesquelles la contribution au financement et à
la gestion de la radio. Les observations montrent que les associations
sont les principales sources de soutien financier pour le fonctionnement
quotidien des stations. Pour tous les groupes, des systèmes de cotisations
sont institués, destinés à renflouer les caisses. Le sponsoring de certains
programmes constitue une autre forme d’opération de contribution
financière, notamment grâce au parrainage d’institutions de la place. La
contribution financière s’étend également aux annonces et à la publicité.
Aussi modeste soit-elle, la participation au coût de la diffusion d’une
annonce ou d’un communiqué permet aux stations de s’autofinancer en
partie, mais surtout de compter sur la contribution de ses auditeurs à son
projet. Les membres des collectifs engagés qui sont commerçants font la
publicité de leurs entreprises et les membres autres que les commerçants
placent des messages sur les mariages, les biens perdus… ce qui fournit
également d’autres sources de financement.

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Communication engagée au sein des associations d’auditeurs de radio...

Mais la motivation évoquée par Andry (2016) qui naît de cette


association à la vie du média peut constituer un moteur (Thévenet 2014)
pour la participation à une gestion plus directe d’une station, l’association
des auditeurs prenant, comme institution, des responsabilités de gestion
de leur station préférée. Ainsi le président de l’association des auditeurs
de Radio Maria est de facto le directeur administratif de la station. De
fait, il gère les nombreux bénévoles issus de l’association qui donnent de
leur temps pour contribuer à la marche quotidienne de la station, qui
pour animer une émission, qui pour assurer la technique, le secrétariat
ou pour recevoir les nombreux appels enregistrés quotidiennement, qui
enfin pour entretenir les studios et la cour ou encore réparer du matériel
défectueux. La gestion de la station MECAP FR a également été
confiée à la fédération des radio-clubs, de sorte que c’est en leur sein
qu’on choisit les membres d’un comité de gestion et donc l’équipe de
direction. C’est à travers ces comités ou conseils d’administration que
des auditeurs pleinement engagés trouvent le moyen de participer à la
gestion d’une radio. Ces éléments d’observation illustrent la thèse de
Carpentier (2011) selon laquelle la participation à la gestion des stations
correspond, avec l’accès aux moyens de production de programmes, à
un niveau optimal de participation. La programmation reste néanmoins
l’affaire des propriétaires des médias. En dépit de l’émergence de formes
participatives comme la direction tournante, la prise de décision sur la
programmation et la gestion restent donc centralisées. Par ailleurs, ces
possibilités de participation ne sont pas accessibles à tous les acteurs
sociaux. En conclusion, même optimale, la participation aux médias ne
constitue qu’un aspect et finalement qu’un premier niveau d’engagement.

L’engagement « à travers » les médias


En tant que groupes plus ou moins institutionnalisés, les associations
peuvent adopter des stratégies d’engagement médiatique qui visent en
réalité la défense de leurs intérêts propres en tant que groupes militants
ou associatifs. Il en est ainsi de la participation politique au débat public,
ou de l’exercice d’une forme de surveillance et de contrôle citoyen au
moyen des médias. Et en ce sens, « à travers » peut être traduit par « par »
ou « via » ou encore « grâce à ».

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Communication & Organisation 55

Autoreprésentation
Cette forme de participation correspond à la conception de (Bernard
2015) en ce sens qu’elle valorise la contribution des instances partici-
patives à la démocratie. Le contexte de démocratie locale qui a suivi
les politiques de décentralisation amorcées dans plusieurs pays durant
les années 2000, permet aux citoyens d’être actifs dans l’une ou l’autre
des nombreuses microsphères sociales au sein desquelles ils évoluent. Ce
contexte en effet contribué dans plusieurs pays d’Afrique au développe-
ment de formes de participation citoyenne au débat public sur des sujets
sociétaux importants. Cette nouvelle participation contribue également
à réduire le sentiment d’éloignement des centres de pouvoir, comme elle
nourrit la réflexion collective sur les problèmes sociaux, et contribue à
la formation d’une population compétente capable de prendre plus de
risques et de montrer de l’intérêt pour les affaires gouvernementales.
Ces manifestations de participation « par » les médias sont là encore
observables sur notre propre terrain d’enquête.
La contribution des groupes d’auditeurs aux débats publics, « via » la
participation radiophonique aux questions locales, notamment à travers
l’usage des appels téléphoniques, des SMS et des forums sur les réseaux
sociaux s’est ainsi progressivement banalisée. Plusieurs associations
d’auditeurs invitent leurs membres à intervenir sur des questions
publiques et politiques et les forment aux règles élémentaires de partici-
pation aux débats publics (respect des autres, éviter des propos injurieux
et diffamatoires…) via par exemple le micro ouvert ou la libre antenne
(Glevarec 2005). Les collectifs d’auditeurs de MECAP FR et Maria
en fournissent des exemples au Togo. Ces deux associations contribuent
amplement à l’animation des émissions interactives en langue locale qui
favorisent des prises de position politique. Témoignages, joutes verbales
et confrontations de points de vue animent les échanges au sein même
des membres de l’association et avec des personnes extérieures. C’est
par ce biais que les citoyens, le plus souvent privés de droit de partici-
pation aux questions politiques, peuvent les aborder. La radio devient
un espace public dans lequel les citoyens délibèrent de problématiques
sociétales, posent des questions et explorent des solutions pour résoudre
les problèmes qu’ils rencontrent.
La participation « par » les médias traduit également l’utilisation
des stations pour faire connaître les problèmes de la communauté aux
dirigeants et aux élus. Les associations discutent de projets de dévelop-
pement économique et social et les présentent ensuite dans des forums

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Communication engagée au sein des associations d’auditeurs de radio...

proposés à l’antenne ou organisés dans les clubs d’écoute. Dans certains


cas, leurs préoccupations sont ensuite transmises aux autorités locales qui
les répercutent au député de la région ou aux cadres et autres leaders issus
de la région. Il en est ainsi à Wa où l’association d’auditeurs de Progress
a organisé un comité de développement qui se réunit une fois par mois
pour faire le point sur les projets en cours et pour en élaborer de nouveaux.
Ses membres présentent ensuite les fruits de leurs discussions à la radio
pour recueillir les réactions de la population. Si la majorité approuve les
idées ainsi soumises, ils les transmettent par courrier au représentant
des ressortissants de leur région à Accra. Mais le plus souvent, ils se
contentent de présenter leurs griefs aux chefs des villages, c’est-à-dire
à l’autorité traditionnelle qui se chargera ensuite de parler au député
en leur nom. Apparaît à ce propos un résultat que l’on peut qualifier de
contre-intuitif. Ce n’est pas grâce à la radio communautaire que « les
autorités locales et les politiciens peuvent entendre, individuellement
ou en groupe, les citoyens marginalisés, opprimés et sans aucun moyen
de se plaindre », comme l’ont montré Fraser et Estrada (20). C’est bien
l’association des auditeurs qui assume ce rôle. C’est notamment le cas
lorsque les associations mettent en place une interface, généralement un
programme téléphonique de questions et réponses, ou un exposé suivi
de questions entre les responsables locaux et les auditeurs sur divers
sujets (politique, droit, santé, développement, etc.), comme The Future
of Ower District (Le futur de notre District) de Blis. Les responsables
du conseil de district y viennent expliquer les plans de développement et
répondre aux préoccupations des populations. Ces échanges offrent une
occasion unique aux citoyens ordinaires de faire connaître directement
leurs opinions aux fonctionnaires, alors même que l’asymétrie liée aux
relations de pouvoir ne le permet pas. Des opportunités de dialogue
s’instaurent ainsi entre différents décideurs et les populations « à travers »
l’engagement médiatique.

Mise en place de projets de développement


Cette forme de participation fait ressortir l’idée la notion d’empower-
ment associée à l’engagement organisationnel. Cette forme d’engagement
« à travers » les médias peut en effet, par certains aspects, évoquer ce
que des sociologues de l’action collective et du changement – comme
Crozier et Friedberg (1977), Touraine (1984) – ont appelé l’approche
ascendante ou bottom-up du pouvoir organisationnel.

165
Communication & Organisation 55

Dans certains contextes, les associations ne se contentent pas de


faire des propositions ou d’interpeller les décideurs. Elles initient
elles-mêmes des projets à but lucratif dont peut bénéficier leur station,
mais dont le but ultime est en réalité le développement économique et
social de leur localité, renforçant la dimension empowement par le bas
(Craig et Mayo 1995, Carmen 1996, Prakash et Esteva 1998) de ces
groupes. Ici, la radio se révèle un véritable catalyseur d’action collective.
L’engagement est rendu possible « grâce à » l’existence de la station.
C’est le cas de l’association des auditeurs de Radio Munyu de Banfora
au Burkina Faso. Elle a ainsi mis en place un centre pluridimensionnel
composé d’un restaurant, d’un cybercafé, d’un centre téléphonique et
d’une auberge. Les membres exploitent également un champ collectif et
un jardin maraicher au bénéfice de l’association. Cette dernière développe
également des activités artisanales avec la production de toutes sortes
d’objets (poteries, sculptures, pagnes, bijoux traditionnels, etc.). L’asso-
ciation produit par ailleurs des contenus audio, essentiellement des
enseignements destinés à sensibiliser les populations locales sur divers
sujets intéressant la population. Ces contenus sont vendus sous forme
de K7 ou de CD Rom à des prix abordables. Avec cette autre opération
de vente, l’association contribue ainsi, comme l’explique sa présidente
en 2010, au développement social et culturel de sa localité. L’association
des auditeurs de MECAP FR du Togo a installé quant à elle un moulin
et créé un forage pour acheminer l’eau potable à plusieurs localités. Elle
développe également des activités culturelles. Elle gère ainsi un centre
culturel, d’alphabétisation et d’éducation fonctionnelle des adultes.
La Famille de Radio Marie du Togo intègre quant à elle des visites
aux malades et aux prisonniers. L’ensemble de ces observations illustre
comment ces collectifs partagent d’authentiques projets communs au
travers de leur engagement promédia, et comment ils peuvent, de ce
fait, en contexte africain, constituer une force mobilisatrice pour agir
dans la cité.

Conclusion
Les analyses dérivant de nos observations de terrain étayent l’hypothèse
principale qui les guidait. Pour rappel, la préoccupation centrale de cet
article interroge l’engagement des collectifs d’auditeurs pour savoir s’il
invite à élargir notre définition de la participation médiatique. Nous
postulons dans ce cadre que la problématique des collectifs médiatiques
radiophoniques en Afrique dépasse la seule question de l’interactivité

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Communication engagée au sein des associations d’auditeurs de radio...

médiatique. Nous observons en effet sur le terrain qu’en prenant part


aux activités radiophoniques, ces collectifs engagés exercent leur sens
critique sur les contenus correspondant à leurs centres d’intérêt, et font
ainsi de la radio un espace d’expression publique et de médiation sociale.
Le développement de pratiques médiatiques engagées dans l’espace
public accompagne et promeut l’action sociale, culturelle et économique
et participe ainsi indirectement à l’amélioration de la qualité de vie et des
liens sociaux au niveau local.
Une interrogation demeure cependant. Aucun collectif d’auditeurs
engagés étudié ne s’est, pour l’instant, mué en parti politique. Les
échanges avec leurs membres montrent que s’ils deviennent en effet plus
sensibles aux questions sociales et citoyennes, leur engagement dans ces
groupes ne débouche pas pour autant sur une volonté d’utiliser la force
ainsi mobilisée pour mener des actions plus politisées. Et pourtant, nul
ne peut nier que dans l’histoire récente de l’Afrique au sud du Sahara,
plusieurs associations de la société civile ont joué un rôle significatif dans
la constitution de mouvements de mobilisation sociale et de construction
d’identités politiques. Plusieurs mouvements (comme par exemple
Balai citoyen, Y’en a marre…) ont ainsi, notamment par leurs activités
médiatiques engagées, participé des processus d’alternances politiques
au Burkina Faso et au Sénégal. Quelles seraient alors les conditions
pour que les pratiques de communication au sein de ces communautés
radiophoniques se transforment en engagement politique effectif ? Car
comme nous l’observons, et contrairement à l’affirmation de Jenkins
(2012) selon laquelle la participation politique peut émerger de la culture
fan elle-même, l’engagement civique des associations d’auditeurs se
limite à défendre des causes sociales, culturelles et caritatives, qui restent
du domaine pré-politique. Ce questionnement mériterait une nouvelle
investigation spécifique, qui éclairerait sur des enjeux pour l’instant
difficilement accessibles à l’observateur à l’aune de ces premiers constats
de terrain.

167
Communication & Organisation 55

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Biographie de l’auteur

Etienne DAMOME est maître de conférences habilité à diriger les recherches


en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Bordeaux
Montaigne. Il est responsable de l’équipe Médias, sociétés et cultures du MICA
(EA 4426) et membre associé de l’UMR ‘‘Les Afriques dans le monde’’ (LAM).
Sa recherche porte sur les relations entre médias et sociétés, et plus spécifiquement
sur les processus de construction communautaire via les médias traditionnels et les
pratiques des TIC.

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