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: J2152 V2
Procédés d’émulsification -
Date de publication :
10 décembre 2021
Mécanismes de formation des
émulsions
Mots-clés Résumé Les émulsions sont des dispersions diphasiques liquide-liquide, utilisées dans
Dispersion | Eau dans huile | de nombreux domaines industriels. Les propriétés des émulsions (type, viscosité,
Huile dans eau | Tension
interfaciale granulométrie, stabilité) dépendent à la fois de la composition, de la température et du
mode de fabrication. Cet article présente des notions sur la formulation et la
caractérisation des émulsions, puis il aborde les mécanismes intervenant au cours de
l’émulsification.
Keywords Abstract Emulsions are biphasic liquid-liquid dispersions used in a lot of industrial fields.
dispersion | water in oil | oil in Emulsion properties (type, viscosity, particle size distribution, stability) depend on their
water | interfacial tension
composition as well as temperature and processing. This article introduces some notions
on emulsion formulation and characterization, then discusses the mechanisms involved in
emulsification processes.
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Procédés d’émulsification
Mécanismes de formation des émulsions
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critères permettant de préparer des émulsions les plus stables possible afin de
les conserver longtemps. Après quelques rappels sur la formulation et la carac-
térisation des émulsions, dans cet article, on s’intéresse à l’énergie mise en jeu
au cours de l’émulsification (dissipation visqueuse, déformation des gouttes...)
et on présente les mécanismes intervenant au cours des procédés : formation
et rupture de gouttes, effet de l’émulsifiant.
Dans l’article suivant [J 2 153] sont décrits les principaux procédés industriels
de préparation, leur technologie et l’appareillage nécessaire.
1. Émulsions : formulation moyenne des gouttes est d’un ordre de grandeur supérieur ou égal
à 1 μm, de nano-émulsions ou mini-émulsions pour des goutte-
et caractérisation lettes de diamètre moyen compris entre 20 et 200 nm. Quant aux
micro-émulsions, ce sont des systèmes thermodynamiquement
stables (micelles gonflées ou phases bicontinues) n’appartenant
pas à la famille des émulsions [J 2 157]. Les émulsions doubles
On peut définir une émulsion comme une dispersion de (ou émulsions multiples) consistent en une émulsion simple dis-
gouttelettes d’un liquide A dans une phase liquide continue persée à son tour dans une phase continue externe. Elles sont du
B [J 2 150]. Les émulsions, instables thermodynamiquement, type E/H/E ou H/E/H.
possèdent un minimum de stabilité cinétique assurée le plus
souvent par l’addition d’agents tensioactifs, de solides finement La phase aqueuse (ou assimilée) peut contenir des électrolytes,
divisés, de polymères ou de macromolécules biologiques des composés organiques plus ou moins solubles (hydrophiles)...
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(émulsifiants) [1] [2]. La phase organique est constituée au sens large par une huile
d’origine « minérale » (hydrocarbure, mélange d’hydrocarbures,
dérivés halogénés ou autres composés « synthétiques » non ou
La production d’émulsion (ou émulsification) s’accompagne d’un peu polaires et très peu miscibles à l’eau), végétale ou animale, ou
accroissement considérable de l’aire interfaciale et nécessite un encore par une huile de silicone. Dans les émulsions commer-
apport d’énergie, fournie, par exemple par agitation mécanique. La ciales, la phase « huile » consiste fréquemment en un mélange de
fabrication des émulsions doit prendre en compte les variables de substances. Quant à l’interface, elle consiste le plus souvent en
composition ou de formulation proprement dites (nature et propor- une monocouche d’émulsifiant adsorbée, mais elle peut aussi ren-
tion des phases, choix et quantité d’additifs, en particulier émulsi- fermer des cristaux liquides lyotropes, de fines particules solides
fiants) et les conditions dans lesquelles ces émulsions sont ou même des électrolytes inorganiques.
produites (température...) : ces paramètres conditionnent le type
de l’émulsion. Par ailleurs, les variables de procédé, relatives à la Comme pour les systèmes de Winsor (cf. glossaire, § 4), les
technique d’émulsification, déterminent en grande partie la qualité aspects quantitatifs de la composition des émulsions comprennent
de l’émulsion (finesse, stabilité). la fraction volumique de la phase dispersée et les proportions
d’ingrédients dans chacune des phases [J 2 150] [J 2 157] [J 2 158].
Le premier paramètre est théoriquement simple : un empilement
1.1 Classification. Composition aléatoire de sphères dures identiques (système monodispersé) cor-
respond à une fraction volumique de phase dispersée ϕ de 0,64.
L’absence de miscibilité de deux liquides, ou leur miscibilité très Lorsque l’on atteint la densité maximale d’empilement, que les
limitée, nécessaire à la formation d’une émulsion provient d’une sphères soient disposées selon un arrangement hexagonal com-
différence de nature entre les interactions majoritairement respon- pact (motif à deux couches selon ABAB...) ou selon un arrange-
sables de leur cohésion respective. Pour que deux liquides A et B ment cubique compact (motif à trois couches ABCABC...), ϕ admet
se mélangent dans des proportions données, il faut que leur comme limite 0,74, chaque sphère étant entourée de 12 voisines.
enthalpie libre de mélange (ΔGm = ΔHm – TΔSm) soit négative : Cependant, en pratique, dans les émulsions, ϕ peut être bien supé-
– soit la somme des énergies d’interaction A-B est supérieure à rieur à cette dernière valeur pour deux raisons : la déformabilité
la somme des énergies d’interaction A-A et B-B (ΔHm < 0) ; des gouttelettes (pouvant adopter une structure polyédrique
– soit la valeur faiblement positive de ΔHm est compensée par le comme dans une mousse), puisque la phase dispersée est fluide,
terme entropique, ΔSm, toujours positif et de signe contraire. et la polydispersité du système (distribution plus ou moins large
de la taille des gouttes), ce qui permet aux gouttes les plus petites
La théorie des solutions régulières et les paramètres de solubi- de remplir une partie de l’espace laissé libre par les plus grosses.
lité associés à cette théorie fournissent une description quantita-
tive correcte du comportement des mélanges liquides, pourvu que
les interactions entre dipôles et les phénomènes d’association (A-
A, B-B ou A-B) ne soient pas trop importants. Les deux types 1.2 Importance industrielle.
extrêmes de liquides sont représentés par les « huiles » (liquides Secteurs d’application
apolaires) dont la cohésion est due uniquement aux forces de dis-
persion et les liquides constitués de molécules fortement asso-
ciées, par exemple par des liaisons hydrogène, dont le Les domaines où l’on rencontre des émulsions sont extrême-
représentant le plus important est l’eau. ment nombreux.
Les émulsions simples (une phase dispersée dans une phase – Premièrement, malgré leur caractère métastable, il existe des
continue) sont donc de type huile dans l’eau (H/E), appelées par- émulsions naturelles : c’est le cas du lait (émulsion de type H/E sta-
fois « directes », ou eau dans l’huile (E/H), appelées « inverses », bilisée par des glycoprotéines) et du latex d’hévéa, consistant en
l’inversion de phases étant d’ailleurs possible dans certaines gouttelettes de phase organique (hydrocarbures et composés fonc-
conditions. On parle de macro-émulsions lorsque la taille tionnalisés) dispersées dans l’eau.
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Alimentation [3] [4] [5] Vinaigrette domestique : E/H ; stabilisée : H/E, dm (diamètre moyen des gouttelettes)
Mayonnaise (très faible volume de phase aqueuse continue et tensioactifs : lécithines du jaune
d’œuf) : H/E, dm = 3 à 100 μm selon nature de l’émulsifiant et vitesse d’agitation
Beurre et margarines : émulsions figées E/H ; crèmes glacées : émulsions H/E aérées (« foisonnées »)
Cosmétique [6] [7] [8] Shampooings (phase huileuse : alcools gras C16-C40, huile de ricin hydrogénée, dérivés de la
lanoline...), crèmes, lotions
Lubrifiants Produits pour décapage, dégraissage, fluides de coupe pour usinage [BM 7 064] [BM 7 065] [20]
Explosifs [28] [29] Émulsion E/H mélangée à un gel aqueux (mines, etc.)
– Deuxièmement, des émulsions interviennent temporairement 1.3.1 Migration des gouttelettes : floculation,
dans certaines étapes d’un procédé industriel : extraction liquide- crémage, sédimentation
liquide, polymérisation en émulsion...
– Troisièmement, certaines émulsions sont indésirables, comme
celles qui se forment lors de l’exploitation des gisements pétroliers Sous l’influence de l’agitation thermique (mouvement
(émulsions E/H, que l’on cherche à casser). brownien), la migration des gouttelettes commence par une
association de gouttelettes (floculation) et, selon les masses
Mais les émulsions formulées constituent principalement des
volumiques relatives des phases, aboutit le plus souvent à un
produits finis ou produits d’usage courant dans des secteurs
crémage (ascension de la phase dispersée) ou à une sédi-
d’application domestiques ou industriels très variés dont les princi-
mentation (chute de la phase dispersée).
paux sont rassemblés dans le tableau 1.
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Sédimentation
Il tire son origine de la solubilité non nulle de la première dans
la seconde et du fait que la pression de Laplace (§ 2.1.2) est plus
grande dans les petites gouttes, ce qui explique un potentiel
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L’évolution de l’état initial métastable de l’émulsion vers son – l’agent émulsifiant risque d’être désactivé (stabilité thermique
état final, énergétiquement stable, peut être caractérisée par une insuffisante) ;
cinétique de coalescence. Celle-ci dépend des interactions entre les – la viscosité diminue ;
gouttes, qui s’expliquent elles-mêmes par l’existence d’une bar-
rière électrique et/ou stérique. La hauteur de la barrière d’énergie – si les masses volumiques des phases ont été ajustées à une
s’opposant à la coalescence, par conséquent la stabilité cinétique certaine température, une variation de ce paramètre ne peut qu’en
de l’émulsion, dépend en grande partie de la qualité de la protec- accroître l’écart.
tion colloïdale des gouttelettes. D’une part, dans l’eau, ces der-
Selon la théorie DLVO (cf. glossaire, § 4) [2], l’énergie totale
nières sont souvent chargées électriquement, notamment grâce à
d’interaction entre deux particules colloïdales lyophobes est la
l’adsorption de tensioactifs ioniques, et se repoussent donc
somme de l’énergie coulombienne répulsive et de l’énergie attrac-
mutuellement (stabilisation électrostatique). D’autre part, en milieu
tive due aux forces de Van der Waals. Les émulsions sont d’autant
non polaire, des forces répulsives s’exercent également entre gout-
plus stables que cette résultante est élevée.
telettes d’eau recouvertes de tensioactif orientant leur chaîne
hydrophobe vers la phase continue ; ces forces répulsives ont une Quant à la rupture d’une émulsion (désémulsification), elle fait
portée plus grande dans le cas de macromolécules adsorbées. Les intervenir des moyens chimiques, électriques ou mécaniques [33].
copolymères séquencés, composés de deux sous-chaînes d’affini-
tés différentes, sont particulièrement efficaces : une partie (l’ancre)
s’adsorbe sur la gouttelette et laisse l’autre (la bouée) libre de se
dérouler dans le solvant et de protéger ainsi la gouttelette [31]. 1.4 Caractérisation d’une émulsion
La taille des gouttes étant d’un ordre de grandeur nettement
supérieur à celui des molécules d’émulsifiant, la courbure sponta- Trois critères principaux permettent de caractériser une
née du film interfacial, liée à la structure moléculaire de l’émulsi- émulsion :
fiant, ne devrait guère influer sur la coalescence. Cependant, – la nature des deux phases, continue et dispersée ;
l’existence d’une barrière énergétique due à l’énergie de courbure
contribue à retarder la coalescence [J 2 150]. – la taille et la distribution de taille des gouttes (granulométrie) ;
Le cas des émulsions doubles est naturellement plus complexe. – la rhéologie.
Le type E1/H/E2, le plus utile et le plus étudié, donne lieu à trois
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1.4.2 Taille des gouttes et distribution de taille 1.4.2.3 Modèles de distribution. Corrélations
des gouttes Pour des raisons de commodité, les corrélations permettant le
calcul du diamètre moyen des gouttes dans les systèmes liquide-
1.4.2.1 Notion de diamètre moyen liquide agités sont généralement exprimées en fonction de d32. La
relation entre le rapport du diamètre de Sauter (d32) au diamètre
On sait réaliser des émulsions monodispersées soit par un pro- de l’agitateur (D) et la fraction volumique de phase dispersée (ϕ)
cédé voisin de la cristallisation fractionnée [36], soit par cisaille- est souvent de forme affine (1 + Cst ϕ) avec Cst > 0 (cf. [J 2 153]
ment d’une émulsion grossière polydispersée en milieu § 3.1.3).
viscoélastique [37], par émulsification spontanée (§ 2.5) ou encore
par un procédé microfluidique [J 8 010]. Mais, en général, dans Les expressions de la DTG les plus fréquemment rencontrées
une émulsion, les gouttelettes de phase dispersée n’ont pas une dans la littérature pour des dispersions macroscopiques sont nor-
taille unique. Pour caractériser une émulsion il est donc nécessaire mées en volume autour du diamètre de Sauter [40] [41]. En
de déterminer la distribution de taille des gouttes (DTG). Cepen- revanche, lorsqu’on s’intéresse aux milieux colloïdaux ou finement
dant, on préfère souvent choisir une seule valeur représentative : dispersés, la distribution normale est difficilement applicable, les
le diamètre moyen. À partir de la DTG, il est possible de définir distributions réelles, non symétriques, s’étalant souvent vers les
plusieurs moyennes. Comme en extraction liquide-liquide, le para- grands diamètres. C’est pourquoi, tant en émulsification sous agi-
mètre important est ici l’aire interfaciale A. Dans le cas où la frac- tation mécanique (régime turbulent isotrope) [42], que dans le cas
tion volumique est bien inférieure à 0,74, l’hypothèse de la des émulsions visqueuses préparées dans un moulin colloïdal [43],
sphéricité des gouttes est en principe vérifiée, et on a : on considère de préférence une distribution log-normale (histo-
gramme de fréquences) [34] :
(5)
(8)
avec A (m2) aire interfaciale,
n nombre de gouttes, avec probabilité (exprimée en fraction volumique) de
rencontrer une goutte de diamètre di,
r (m) rayon de la goutte,
σ
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avec d10, d50, et d90 diamètres des gouttes tels que respectivement
(7) 10, 50 et 90 % des gouttes ont un diamètre inférieur.
1.4.3 Viscosité
Facile à obtenir par granulométrie, le diamètre de Sauter permet D’une manière très générale, la viscosité des émulsions dépend
donc de calculer directement la surface spécifique A/V (en m2/m3) des paramètres suivants :
d’une phase dispersée.
– la fraction volumique de phase dispersée ϕ, nominale pour les
émulsions diluées, effective pour les milieux concentrées ;
1.4.2.2 Détermination expérimentale – la taille des gouttelettes et la DTG ;
La taille moyenne des gouttes ainsi que la distribution de taille – la tension interfaciale eau/huile ;
des gouttes (histogramme de répartition des diamètres de gouttes, – la viscosité de la phase continue et, à un degré moindre, celle
DTG) sont accessibles à l’aide de différentes techniques instrumen- de la phase dispersée ;
tales telles que la granulométrie laser ou la microscopie [J 2 150]. – la rhéologie interfaciale.
Deux émulsions de même composition peuvent avoir des compor- Le cas le plus simple est celui des dispersions diluées ,
tements différents dus à leurs DTG. L’analyse granulométrique comprenant les émulsions dont la viscosité est donnée par la loi
peut expliquer le comportement rhéologique et la stabilité d’une limite d’Einstein [2] [J 2 150] :
émulsion. L’inconvénient majeur de cette technique d’analyse, uti-
lisant la diffraction de la lumière, est la nécessité d’une dilution par (10)
la phase continue (on suppose que la taille des gouttes et la DTG
de l’émulsion restent les mêmes après dilution, ce qui constitue avec ηr viscosité relative (rapport de la viscosité de la dispersion
une hypothèse parfois hardie). En revanche, le granulomètre à à celle de phase continue),
ultrasons permet de travailler directement sur l’émulsion, même [η] viscosité intrinsèque,
concentrée [J 2 150] [38]. C’est également le cas de l’analyse calori- ϕ fraction volumique de la phase dispersée.
métrique différentielle (ACD), fondée sur les propriétés de solidifi-
cation et de fusion des gouttelettes de phase dispersée [P 1 275]. Cette relation est valable dans les conditions suivantes :
Signalons en outre que les appareils de la série Turbiscan (Formu- – ϕ est très faible : il n’y a pas d’interaction entre gouttelettes,
laction), qui mesurent l’intensité rétrodiffusée par un milieu dis- c’est-à-dire que les forces de répulsion (double couche électrique)
persé, peuvent fournir une valeur du diamètre moyen des et les forces d’attraction (de Van der Waals) sont négligeables ;
gouttelettes d’une émulsion concentrée et enregistrer sa variation – les gouttelettes sont des sphères rigides et ne se déforment
en continu au cours du temps [39]. pas ;
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ϕ100 fraction volumique de phase dispersée pour ηr = 100. 2.1.1 Énergie libre superficielle
Pour plus de détails, on trouvera quelques mises au point dans L’état initial présentant une interface plane entre les deux
les références [2] [46] [47]. La rhéologie des émulsions doubles liquides, la variation d’énergie libre, ΔGform, due à la formation des
est évidemment beaucoup plus complexe à représenter : une gouttes (phénomène global intervenant dans le processus d’émul-
modélisation du comportement des émulsions H/E/H en fonction sification) s’exprime comme suit :
de cinq variables a néanmoins été proposée [48].
(13)
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pratique, cette énergie nécessaire à la création d’interface ne doit pas être trop faible sous peine d’épuisement rapide de sa pré-
représente qu’une fraction négligeable de l’énergie mise en œuvre. sence dans le film. En revanche, avec une quantité suffisante de
tensioactif, la partie du film la plus mince ayant l’élasticité la plus
Exemple : énergie mise en jeu dans les procédés d’émul- élevée présente une plus grande résistance à l’étirement, ce qui
sification entraîne une stabilisation [49].
Pour une fraction volumique d’huile ϕ de 0,1 et des gouttes de dia-
mètre 1 μm dans l’eau, la surface spécifique A (assimilée à ΔA), est 2.2.2 Rupture d’une interface plane
de 3 × 105 m–1. Si la tension interfaciale est de 10 mN/m (valeur
proche d’un maximum pour γ), l’accroissement d’énergie libre superfi- Les principaux mécanismes connus amenant la rupture d’une
cielle (γA) nécessaire pour créer cette surface est égal à 3 kJ/m3. Il interface plane sont la turbulence, les ondulations capillaires, les
est difficile d’évaluer précisément l’énergie consommée pour vaincre instabilités de Rayleigh-Taylor et de Kelvin-Helmholtz. En régime
les forces inertielles et les forces visqueuses. En pratique toutefois, turbulent, des différences de pression générées par les tourbil-
on peut estimer avoir besoin de 3 MJ/m3 pour obtenir l’émulsion lons peuvent surpasser la pression de Laplace, d’autant plus que la
décrite ci-dessus. La contribution du terme ΔGform (≈ γ ΔA) à l’énergie tension interfaciale est plus faible [50]. Par ailleurs, une perturba-
réellement apportée pour réaliser une émulsion n’est donc que de tion de l’interface peut provoquer l’apparition d’ondes capillaires,
l’ordre de 0,1 %. liées aux forces interfaciales : la viscosité du liquide et la présence
de tensioactif favorisent leur amortissement, mais une valeur
2.1.2 Pression de Laplace locale faible de γ peut augmenter l’amplitude de l’onde et amener
la formation de gouttelettes. L’instabilité de Rayleigh-Taylor se
Avant rupture, une goutte passe par une étape de déformation, à produit lorsque l’interface est accélérée perpendiculairement à son
laquelle s’oppose l’énergie due à la pression de Laplace pL. Cette plan et dirigée de la phase légère vers la phase lourde : même
dernière représente la différence de pression entre la partie pour γ très faible, ce type d’instabilité ne semble permettre que la
convexe et la partie concave de l’interface de la goutte : formation de gouttes relativement grosses, ce qui laisse planer un
doute sur sa contribution à l’émulsification. L’instabilité de
Kelvin-Helmholtz, observée quand les deux phases se déplacent
(14) à des vitesses différentes parallèlement à l’interface, est sensible à
la viscosité et aux gradients de tension interfaciale. Il est probable
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avec pL (Pa) pression de Laplace, que la formation des gouttes à partir d’une interface plane résulte
d’une combinaison de tous ces mécanismes.
γ (N · m–1) tension interfaciale,
r1 et r2 (m) rayons de courbure principaux de la goutte.
2.2.3 Rupture d’un cylindre liquide
Dans le cas d’une sphère de rayon r, l’expression (14) s’écrit :
En cours d’émulsification, des filets cylindriques peuvent être
(15) présents soit par suite de la formation de « pointes » produites par
des instabilités interfaciales, soit par injection d’un jet de liquide
dans la phase continue, soit encore par étirement d’une grosse
Exemple goutte. Il existe une longueur d’onde optimale pour laquelle les
Pour un rayon de goutte de 0,2 μm et une valeur de γ de déformations axisymétriques d’un cylindre stationnaire conduisent
10 mN · m–1, la pression de Laplace est égale à 1 bar. à sa rupture en gouttes accompagnées de gouttelettes satellites.
Le cas du jet n’est pas fondamentalement différent de celui du
Le calcul du cisaillement nécessaire dans ces conditions pour cylindre stationnaire sauf si sa vitesse est très faible ou très
qu’une goutte se déforme jusqu’à se rompre est traité plus loin grande : à très faible vitesse, les gouttes se détachent directement
(§ 2.3.2). de l’orifice tandis que, à vitesse élevée, le filet de liquide étant sou-
mis à des déformations sinusoïdales, des gouttes plus petites sont
formées en un temps plus court. Lorsque le jet devient turbulent,
2.1.3 Dissipation visqueuse la distribution de taille des gouttes peut être très étendue ; on peut
En fait, l’énergie fournie par le système de dispersion est répar- cependant calculer un diamètre moyen dépendant des viscosités et
tie en dissipation visqueuse (le cisaillement local, associé à un gra- des masses volumiques des deux phases ainsi que de la vitesse du
dient de vitesse, nécessaire pour la fragmentation des gouttes, jet. Si le filet est issu d’une grosse goutte, les gouttelettes résul-
s’accompagne du frottement des veines liquides) et en énergie tantes sont d’autant plus petites que l’étirement est important.
réellement utilisée pour la fragmentation, qui comprend l’énergie En écoulement laminaire, le phénomène est relativement
d’accroissement de l’aire interfaciale et l’énergie de déformation simple et gouverné par deux types de forces : celle associée à la
des gouttes, due à la viscosité de la phase dispersée, à la viscosité pression de Laplace (la tension superficielle), qui s’oppose à la
interfaciale et à la pression de Laplace. Finalement, la plus grande déformation, l’autre associée à la contrainte de cisaillement (les
partie de l’énergie fournie au système est dissipée sous forme de forces visqueuses), qui provoque la déformation, dont le rapport
chaleur [49]. est appelé nombre capillaire Ca. Ce nombre adimensionnel
s’exprime comme suit :
2.2.1 Formation d’un film avec G (s–1) gradient de vitesse ou taux de cisaillement,
r (m) rayon de la goutte,
Le processus d’émulsification débute par la formation d’un film
de ce qui deviendra la phase continue autour de la future phase γ (N · m–1) tension interfaciale,
dispersée. En l’absence d’émulsifiant, ce film est extrêmement ins-
ηc (Pa · s) viscosité de la phase continue.
table. La grandeur physique importante est ici l’élasticité de Gibbs
ou module de dilatation de surface, lié au gradient de tension ηcG représente la contrainte exercée sur une goutte dans l’écou-
interfaciale (E = dγ/d (ln A)). Si le film est mince, la concentration lement laminaire. Un nombre capillaire suffisamment élevé permet
en émulsifiant (par exemple, tensioactif) est déterminante : elle ne la rupture du cylindre par les forces visqueuses [50].
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2.3.3 Écoulement turbulent : expression avec τ (N · m–2) force externe par unité de surface,
des diamètres limites en fonction
des paramètres d’agitation d (m) diamètre de la goutte,
ηd (Pa · s) viscosité de la phase dispersée,
La concurrence entre les deux phénomènes de rupture et de
coalescence amène à définir deux limites de stabilité au diamètre ρd (kg · m–3) masse volumique de la goutte.
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Avec deux hypothèses : Dans une cuve agitée, pour Re supérieur à 104, Rushton et
– la dispersion est diluée ; coll. [57] ont trouvé :
– la présence des gouttelettes n’influe pas sur les propriétés de (22)
la phase continue,
on peut admettre le schéma suivant en fonction du temps : en avec N (s–1) vitesse de rotation de l’agitateur,
début de processus, l’énergie fournie a effectivement pour origine D (m) diamètre de l’agitateur,
les trois forces mentionnées ci-dessus, tandis que, lorsque le
régime stationnaire est atteint, toute l’énergie (particulièrement C1 constante.
celle associée aux forces visqueuses) est dissipée sous forme de
Le diamètre dmax peut alors s’exprimer en fonction des para-
chaleur.
mètres liés à l’agitation mécanique :
Si l’écoulement est turbulent (fluctuations chaotiques des
vitesses locales autour de valeurs moyennes), les forces inertielles (23)
mais aussi parfois les forces visqueuses peuvent participer simul-
tanément au processus de rupture d’une gouttelette. En régime avec C2 constante.
turbulent homogène et isotrope, on distingue deux cas, selon que
On définit comme suit le nombre de Weber d’agitation :
les premières ou les secondes sont prédominantes.
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queux en turbulence homogène isotrope, le gradient de vitesse est Cette rupture semble d’ailleurs s’effectuer selon un processus ana-
uniforme et de la forme : logue à celui mis en jeu en régime turbulent. La cavitation est par-
tiellement supprimée par l’augmentation de la pression
(26) hydrostatique. La densité énergétique apparaît comme le para-
mètre clé : lorsque celle-ci est constante, on ne constate pas d’effet
La prédominance des forces visqueuses conduit à considérer à de la pression hydrostatique sur le résultat de l’émulsification, en
nouveau le nombre capillaire défini selon [16] ; il vient alors : particulier sur la taille des gouttes.
(27)
d’où : 2.5 Émulsification spontanée
(28) Comme déja envisagé (§ 2.1) les paramètres énergétiques sont à
considérer lors de la formation d’une émulsion (variation d’énergie
avec dmin (m) diamètre minimal de la goutte, libre superficielle ou énergie libre de formation, pression de
Laplace...). En fait, il est pratiquement impossible d’obtenir une
γ (N · m–1) tension interfaciale,
émulsion stable à partir de deux liquides purs. Au contraire, dans
ε (W · m–3) puissance dissipée par unité de volume un mélange liquide renfermant au moins trois constituants (eau/
(« densité énergétique »), huile/composé amphiphile, par exemple eau/toluène/méthanol), il
ηc (Pa · s) viscosité de la phase continue, n’est pas rare d’observer une émulsification spontanée, c’est-à-
dire sans apport d’énergie externe, sous réserve du choix conve-
ρc (kg · m–3) masse volumique de la phase continue, nable du ou des amphiphiles. La nature de ce composé rendant
C4, C5 constantes. possible l’émulsification spontanée dépend du type d’huile, de la
salinité de l’eau et du type d’émulsion désirée (H/E ou E/H). Il
Alors que, dans le domaine inertiel, dmax est proportionnel à ε –2/5, s’agit, la plupart du temps, de mélanges à comportement newto-
dans le cas où les forces visqueuses sont prédominantes, dmin est nien de faible viscosité, très stables au cours du temps et peu sen-
ici approximativement proportionnel à ε –1/2. sibles aux variations de température. De nombreux types de tels
En exprimant la puissance moyenne dissipée par unité de systèmes, formant en général des nano-émulsions, ont été réperto-
volume dans une cuve munie d’un agitateur de diamètre D tour- riés, la « spontanéité » de l’émulsification étant favorisée par la
nant à une vitesse N, on arrive à l’expression adimensionnelle : solubilité de l’huile dans l’eau [60] [61]. Dans les systèmes compor-
tant des tensioactifs, où l’on rencontre des structures variées (solu-
tions micellaires, micro-émulsions, cristaux liquides lyotropes), il
(29) est important de connaître le diagramme de phases pour
comprendre l’origine de l’émulsification [62]. L’ordre d’addition
des constituants intervient également. On parle plus précisément
avec We nombre de Weber d’agitation, d’auto-émulsification lorsqu’on introduit dans une phase
Re nombre de Reynolds. aqueuse un mélange d’huile et de tensioactif lipophile [63].
L’exemple à la fois le plus spectaculaire et le plus familier consiste
Finalement, les corrélations donnant la valeur de dmin ou dmax en l’effet « ouzo » : l’addition d’eau à une solution hydroalcoo-
s’écrivent généralement sous la forme suivante : lique de trans-anéthole amène le système pseudo-ternaire dans
une région du diagramme de phases comprise entre les courbes
(30) binodale et spinodale (figure 4), dans laquelle se produit une
nucléation homogène générant de très fines gouttelettes qui vont
avec C6, a et b constantes. croître lentement par mûrissement d’Ostwald [64].
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Air
Goutte d’huile
Effet Marangoni
L’huile diffuse dans l’eau,
consommant du
tensioactif, gonflant ainsi
les micelles
Cellule de
convection
de Bénard-
Le tensioactif
Marangoni
réapprovisionne
Micelle l’interface
Molécule de tensioactif air/eau
de tensioactif
Figure 5 – Formation spontanée d’une émulsion H/E par gonflement de micelles [61]
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l’origine de la formation des gouttelettes, donc de l’émulsification, de même que la distorsion de l’interface sous
l’émulsification [63]. L’obtention d’une très faible valeur de γ n’est l’effet Marangoni (§ 4), tendant à « déchirer » les gouttes.
pas une condition nécessaire à l’émulsification spontanée puisque
celle-ci peut se produire avec des valeurs de tension interfaciale 2.6.1.3 Taille des gouttelettes
bien supérieures à 1 mN/m [61] [65].
La valeur effective de la tension interfaciale durant la rupture des
L’émulsification spontanée est un phénomène assez lent, gouttelettes, mais non celle de γ à l’équilibre, affecte la taille de ces
demandant parfois plusieurs heures. Une faible agitation est géné- dernières. Une augmentation de la concentration en émulsifiant
ralement recommandée pour l’obtention d’une émulsion fine, provoque généralement une diminution de la taille des goutte-
même si les gouttelettes sont recouvertes par la phase lamellaire. lettes, mais le paramètre pertinent est la concentration résiduelle
Signalons en revanche que, malgré une forte contribution de la en émulsifiant dans la phase continue, rarement déterminée, et
turbulence interfaciale, le comportement des concentrés émulsi- non sa concentration totale. De plus, les tensioactifs appartenant à
fiables, couramment utilisés dans le domaine phytosanitaire, ne différentes classes (anioniques, non ioniques...), ou même à l’inté-
correspond pas strictement à l’émulsification spontanée (rôle rieur d’une classe donnée, et, a fortiori, les cristaux liquides
important de la gravité) [2]. lyotropes, les polymères et les particules solides présentent des
comportements spécifiques. Rappelons notamment que l’adsorp-
tion des polymères est pratiquement irréversible, et que les parti-
2.6 Effet de l’émulsifiant cules solides, comme les polymères, peuvent permettre la
formation, et parfois la stabilisation, d’agrégats de gouttelettes.
À faible fraction volumique de phase dispersée, des émulsions
H/E stables composées seulement d’huile et d’eau ont pu être 2.6.1.4 Ralentissement de la coalescence
obtenues, notamment par sonication [66] [67] [68] [69]. Générale-
ment, seule l’addition d’un ou de plusieurs émulsifiants permet Les émulsions relativement stables renferment une quantité de
d’augmenter la stabilité cinétique d’une émulsion de composition tensioactif bien supérieure à celle nécessaire pour tapisser l’inter-
donnée. face. À condition que l’excès de tensioactif soit dissous dans la
phase continue, la coalescence des nouvelles gouttes est ralentie
grâce à la présence de ce tensioactif (effet Marangoni) qui réagit à
2.6.1 Agents tensioactifs la déplétion entre les gouttes. Au contraire, si le tensioactif est
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Les agents tensioactifs [K 342] sont les stabilisants les plus cou- dans la phase dispersée, aucun gradient de tension interfaciale, Δγ,
ramment utilisés : constitués de molécules amphiphiles (« tête » n’apparaît et l’écoulement ne se produit pas. Ce pourrait être
polaire, hydrophile, et « queue » lipophile), ils s’adsorbent faible- l’explication de la vieille règle de Bancroft [1].
ment, donc de manière réversible, à l’interface eau/huile : énergie
d’adsorption de l’ordre de kBT (avec kB constante de Boltzmann et T 2.6.2 Particules solides
température absolue). Pour les émulsions simples, la règle de
Bancroft, très largement applicable, stipule que la phase dans Les émulsions stabilisées par des particules solides sont appelées
laquelle un émulsifiant est plus soluble constitue la phase émulsions de Pickering : c’est le cas de la silice colloïdale, par
continue [1]. Dans le cas des émulsions doubles, on utilise donc géné- exemple, mais aussi d’argiles, de latex ou même de particules d’ori-
ralement un tensioactif lipophile et un tensioactif hydrophile afin de gine biologique telles que des spores, des virus ou des
stabiliser respectivement les interfaces E/H et H/E. Les discussions bactéries [70]. Ces particules fortement adsorbées à l’interface huile/
approfondies du choix des tensioactifs sont nombreuses [exemple 1, eau (énergie d’adsorption égale à plusieurs milliers de fois kBT) sont
[J 2 150]]. Les émulsions, stabilisées par des tensioactifs, sont géné- un frein très efficace à la coalescence et souvent à la floculation
ralement polydispersées (distribution de taille assez large) [IN 121]. (répulsion électrostatique). En raison de cette stabilité élevée et de
leur moindre toxicité, permettant un grand nombre d’applications
2.6.1.1 Abaissement de la tension interfaciale dans des domaines très divers, la proportion des publications trai-
tant des émulsions de Pickering parmi l’ensemble de celles sur tout
Les émulsifiants efficaces abaissent la tension interfaciale γ eau/ type d’émulsions est passée de 0,05 à 8 % entre 2000 et 2018 [11]
huile de 30 à 50 mN/m à quelques mN/m ou même à quelques μN/ [71]. La stabilisation des émulsions par des particules solides per-
m, en présence d’un cotensioactif. Cela a pour effet, non seulement met aussi de réduire leur polydispersité. Le caractère hydrophobe, la
de diminuer l’énergie nécessaire pour accroître l’aire interfaciale, taille et la forme des particules influent fortement sur la stabilité de
(γ ΔA), dont la contribution relative est négligeable, mais surtout de l’émulsion. L’angle de contact, θ, de la particule avec l’eau, claire-
réduire l’énergie correspondant à la pression de Laplace (2γ /r). ment défini pour des particules (quasi)-sphériques est le paramètre
Cependant, de nombreux processus à l’œuvre dans l’émulsification essentiel : en général, la phase qui mouille préférentiellement la par-
prennent moins de 0,1 ms, les propriétés superficielles dynamiques ticule est la phase continue (règle de Finkle) [70] [72]. Par consé-
du système ne sont pas connues et, durant l’émulsification, la ten- quent, une bentonite (hydrophile, θ < 90°) stabilise les émulsions H/
sion interfaciale effective est probablement à mi-chemin de γ0 (ten- E, tandis que des particules de carbone (hydrophobes, θ > 90°) stabi-
sion interfaciale initiale, c’est-à-dire au moment de la mise en lisent les émulsions E/H (figure 6) [71]. Cependant, pour s’adsorber
contact des phases) et de γ à l’équilibre. Lorsque la quantité de ten- à l’interface, les particules ne doivent pas être purement hydrophiles
sioactif est insuffisante pour couvrir l’interface, γ est plus proche de (respectivement hydrophobes). L’énergie d’ancrage d’une parti-
γ0. Lors de l’utilisation de mélanges d’émulsifiants ou en présence cule à l’interface E/H s’écrit :
d’impuretés, la couche adsorbée est enrichie en composés aux pro-
priétés tensioactives les plus fortes. Cependant, lorsque l’aire inter- (31)
faciale est élevée, les constituants minoritaires sont très vite
épuisés. L’élasticité de Gibbs E décroît au cours de l’émulsification. avec r rayon de la particule, supposée sphérique.
On voit que les grosses particules ont de meilleures propriétés
2.6.1.2 Gradients de tension interfaciale stabilisantes.
Un gradient de tension interfaciale prend naissance lors de ΔE est maximal pour θ = 90°, ce qui devrait conduire le formula-
l’écoulement du liquide le long de l’interface. La contrainte tangen- teur à chercher une telle situation. En fait, aucun résultat expéri-
tielle – dγ/dz (par exemple, 104 Pa) et la vitesse ne sont plus conti- mental ne confirme cet optimum ; au contraire, des particules
nues quand on traverse l’interface ; la circulation interne dans la « équilibrées » forment des émulsions instables, probablement
goutte est gênée ou même empêchée, ce qui facilite la déforma- parce que l’expression (32) ne tient compte que des énergies de
tion et la rupture des gouttes. L’instabilité interfaciale facilite contact, Pour des valeurs de θ voisines de 90°, les particules
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θ
θ
devraient favoriser la formation d’émulsions doubles, grâce à leur lique) se comportent également comme des stabilisants efficaces,
affinité comparable pour les deux phases. Pour obtenir des émul- l’abaissement de la tension interfaciale n’étant pas une condition
sions multiples stables, on préfère utiliser deux types de particules nécessaire. Ils s’opposent à la coalescence, même sur des temps
de mouillabilité légèrement différentes. D’autres propriétés intéres- longs, du fait de la réduction des interactions attractives de Van
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santes des émulsions de Pickering sont la coalescence limitée, leur der Waals et de la répulsion stérique entre gouttelettes. Avec les
caractère stimulable et la possibilité d’obtenir des formulations polyélectrolytes, la stabilisation est due principalement aux forces
« anti-Bancroft » [73]. électrostatiques répulsives. Des mélanges de tensioactifs et de
Si on suppose que toutes les particules sont adsorbées, la polymères peuvent apporter une solution idéale à la fois pour une
masse de particules mp de diamètre dp nécessaire pour stabiliser émulsification facile et une bonne stabilité. Un cas particulier
une émulsion de gouttes de diamètre moyen D est donnée par : remarquable est celui des cyclodextrines [74]. Par leurs propriétés,
ces émulsions peuvent être rattachées aux émulsions de Pickering.
(32)
2.6.4 Macromolécules biologiques
avec Vd volume de phase dispersée,
Les protéines sont constituées d’acides aminés, groupés en
ρp masse volumique des particules, chaînes polypeptidiques, et peuvent aussi être utilisées comme
C taux de couverture des gouttes (rapport de la surface émulsifiants. Ces macromolécules permettent de préparer des
occupée par les particules adsorbées à la surface des émulsions très stables dans le temps grâce aux répulsions stérique
gouttes). et électrostatique. Les protéines permettent notamment la stabili-
sation efficace d’émulsions multiples en deux étapes d’émulsifica-
Exemple : pour une monocouche de particules sphériques assem- tion. Le lait homogénéisé est un exemple d’émulsion ainsi
blées de façon hexagonale compacte, la valeur de C est égale à 0,9. stabilisée : la β-caséine est adsorbée à la surface des globules de
corps gras (triglycérides), remplaçant la membrane de ces glo-
bules, endommagée au cours de l’homogénéisation [75].
Or, le cisaillement appliqué lors de l’émulsification peut former
des gouttes de diamètre moyen inférieur à D. Le taux de couver- Parmi les polysaccharides (gomme arabique, amidon modifié,
ture étant inférieur à C, les gouttes coalescent jusqu’à ce que leur cellulose...), très utilisés dans l’industrie alimentaire, les pectines,
diamètre moyen atteigne la valeur de D donnée par [32], inverse- agissent comme émulsifiants, probablement grâce à leur fraction
ment proportionnelle à la masse de particules. L’adsorption des protéinique, tandis que leurs propriétés stabilisantes, expliquées
particules étant irréversible, la coalescence se limite à ce stade. par différents modèles d’adsorption, sont principalement attri-
buées à la partie carbohydrate [76].
Si l’on utilise des particules chimiquement réactives (exemple :
hydroxydes de métaux), magnétiques (oxydes de fer), biologiques Une comparaison détaillée des mécanismes de formation et de
(spores, virus, bactéries) ou fonctionnalisées en surface, l’émulsion stabilisation des émulsions par les tensioactifs, les particules
peut devenir sensible à un « stimulus », tel qu’une variation de pH, solides et les protéines globulaires a été publiée [77].
de température, de salinité, de champ magnétique, d’intensité
lumineuse... Cela permet de commander la déstabilisation de
l’émulsion [70].
2.6.5 Cristaux liquides
Certaines émulsions peuvent être stabilisées par des particules Les films (multicouches) de cristaux liquides lyotropes lamel-
initialement présentes en majorité dans la phase dispersée, mais le laires, formés par des tensioactifs, s’opposent à la coalescence du
critère de courbure défini par Finkle reste vérifié car une fois adsor- fait de la réduction des interactions attractives de Van der Waals
bées à l’interface, elles sont mouillées majoritairement par la entre gouttelettes.
phase continue de l’émulsion. Il existe en outre des émulsions à base cristal liquide de struc-
ture cubique ou hexagonale : le cristal liquide est alors un consti-
2.6.3 Polymères tuant important de la phase continue. Les émulsions H/E sont
préparées par addition d’huile à un cristal liquide renfermant de
Les polymères, synthétiques chargés (polyélectrolytes, comme l’eau, de l’huile et un tensioactif en proportions souhaitables ; des
l’acide poly(méthacrylique) ou neutres (comme l’alcool polyviny- étapes de chauffage, pour faire fondre le cristal liquide, et de
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refroidissement produisent une émulsion-gel, rendue éventuelle- Dans l’ensemble, le temps d’émulsification dépend des variables
ment translucide, voire transparente (par égalisation des indices de de procédé ainsi que de la nature et de la proportion de tensioactif.
réfraction) extrêmement visqueuse (le mélange ne coule pas Par exemple, en ce qui concerne l’équilibre dynamique rupture-
quand on renverse le tube à essais). La grande stabilité de ces coalescence au cours de l’émulsification, on a montré récemment
émulsions provient de la très forte viscosité de leur phase conti- que la distribution finale de tailles de gouttes reflète totalement
nue, mais, au contraire des émulsions concentrées usuelles, la vis- l’efficacité de l’émulseur seulement à concentration élevée en
cosité décroît avec l’augmentation de la fraction volumique de tensioactif [80].
phase dispersée. Ces émulsions trouvent des applications en cos-
métique et dans la fabrication de matériaux poreux [78] [79].
À retenir
2.7 Aspects cinétiques – L’émulsification, souvent conduite en régime turbulent,
comporte la formation de gouttes et leur rupture, due au
cisaillement.
2.7.1 Temps caractéristiques
– L’énergie fournie est très supérieure à celle nécessitée par
Trois temps caractéristiques sont impliqués dans le processus l’accroissement de l’aire interfaciale.
d’émulsification : le temps de déformation (ou de relaxation sui- – Avec certains systèmes cependant, une émulsification
vant une petite déformation de la gouttelette) τdef, le temps spontanée se produit selon différents mécanismes.
d’adsorption τads, nécessaire au transport du tensioactif (par
convection) vers la nouvelle interface et le temps moyen s’écou- – Les émulsifiants sont des tensioactifs, des particules
lant entre deux collisions τcol. solides, des macromolécules ou des cristaux liquides.
τdef est généralement de l’ordre de 0,01 à 0,1 ms, excepté pour
de grosses gouttes en régime turbulent, où il peut
atteindre 10 ms.
τads augmente de 10– 4 ms en écoulement laminaire à 0,5 ms en
3. Conclusion
écoulement turbulent pour de grosses gouttes, et de 0,1 ms (lami-
Les propriétés des émulsions ne sont pas indépendantes : pour
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trope, obtenu avec une substance pure dans un certain domaine Microfluidique ; microfluidics
de température.
Science et technique des systèmes manipulant des fluides et
Diffusion multiple de la lumière (mode statique) ; static mul- dont au moins l’une des dimensions caractéristiques est de l’ordre
tiple light scattering du micromètre ou, du moins, inférieure au millimètre.
Les photons (dans le proche infrarouge : λ = 880 nm), envoyés Mûrissement d’Ostwald ; Ostwald ripening
sur un échantillon et diffusés un grand nombre de fois par les par-
ticules (ou gouttelettes) du milieu dispersé, sont analysés par deux Le mûrissement d’Ostwald est l’augmentation spontanée de la
détecteurs synchrones placés respectivement à 135° (rétrodiffu- taille moyenne des gouttes d’une phase dispersée. C’est un phéno-
sion, pour les échantillons opaques) et 0° (transmission, pour les mène irréversible au cours duquel les plus petites gouttelettes se
échantillons transparents) par rapport à la source lumineuse. dissolvent de façon transitoire dans la phase continue, tandis que
les plus grosses croissent.
DLVO (théorie) ; DLVO theory
Newtonien (fluide) ; Newtonian fluid
Due à Deryaguin, Landau, Verwey et Overbeek, elle explique
quantitativement l’agrégation des dispersions aqueuses et décrit la Se dit d’un fluide dont la viscosité (en général peu élevée) ne
force entre des surfaces chargées interagissant à travers un milieu varie pas en fonction du cisaillement.
liquide, en combinant les effets de l’attraction de van der Waals et
de la répulsion électrostatique due à la double couche (Stern et Potentiel chimique ; chemical potential
Gouy-Chapman) de contre-ions.
Le potentiel chimique μi , d’une espèce chimique i correspond à
Finkle (critère ou règle de) ; Finkle rule la variation d’énergie d’un système thermodynamique due à la
variation de la quantité (nombre de moles) de cette espèce dans ce
Corrélation entre le type d’émulsion et l’angle de contact eau/ système. C’est la dérivée partielle de l’enthalpie libre par rapport
particule (H/E pour θ < 90° et E/H pour θ > 90°). au nombre de moles de l’espèce i.
Hydrophile (-phobe) Reynolds (nombre de) ; Reynolds number
Qui possède (respectivement ne possède pas) une affinité pour
Nombre adimensionnel utilisé en mécanique des fluides, carac-
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l’eau.
térisant un écoulement, en particulier la nature de son régime
Interactions de van der Waals ; Lifshitz-van der Waals inter- (laminaire, transitoire, turbulent).
actions
Re = vLρ/η : v, vitesse du fluide (loin d’une paroi) ; L, longueur
Les interactions de van der Waals sont des liaisons intermolécu- caractéristique ; ρ, masse volumique du fluide ; η, viscosité dyna-
laires non covalentes qui s’exercent entre molécules globalement mique du fluide.
neutres, possédant un moment dipolaire permanent ou instantané.
On en distingue ainsi trois types : les interactions d’orientation ou Rhéoépaississant ; shear thickening
de Keesom entre dipôles permanents, d’autant plus fortes que le Se dit d’un fluide dont la viscosité croît avec la contrainte de
moment dipolaire est élevé ; les interactions d’induction ou de cisaillement.
Debye, entre dipôle permanent et dipôle induit, et les interactions
de dispersion ou de London, les plus faibles, entre dipôle instan- Rhéofluidifiant ; shear thinning
tané et dipôle induit. En l’absence de liaisons ioniques (électrova-
lentes) et/ou de liaisons hydrogène, ce sont les principales Se dit d’un fluide dont la viscosité décroît quand la contrainte de
interactions moléculaires. Dans un solvant polaire, tel que l’eau, cisaillement croît.
les molécules apolaires et peu polarisables s’attirent mutuellement
par des forces de dispersion (London) et ont tendance à se regrou- Sonotrode
per en présentant la surface de contact avec le solvant la plus Pièce métallique ou outil qui, soumis aux ultrasons, restitue
faible possible, ce qui crée l’interaction hydrophobe. cette énergie vibratoire dans un élément à appliquer.
Kolmogorov (dimension ou échelle de) ; Kolmogorov scale
Spinodale (courbe) ; spinodal (curve)
Échelle spatiale des plus petits tourbillons en écoulement
turbulent : dimension à laquelle la viscosité domine et l’énergie Courbe qui délimite les domaines d’instabilité et de métastabi-
cinétique est dissipée sous forme de chaleur. lité. C’est le lieu géométrique des points d’inflexion de la courbe
représentant les variations de l’enthalpie libre de mélange en fonc-
Laminaire (écoulement) ; laminar flow tion de sa composition.
Mode d’écoulement d’un fluide où l’ensemble du fluide s’écoule Tension superficielle (G/L), interfaciale (L/L) ; surface/interfa-
plus ou moins dans la même direction, sans que les différences cial tension
locales se contrarient.
Énergie à fournir pour augmenter l’aire interfaciale (mJ/m2), le plus
Lipophile (-phobe) souvent exprimée comme une force par unité de longueur (mN/m).
Qui possède (respectivement ne possède pas) une affinité pour Thixotropie ; thixotropy
la phase huileuse.
Propriété physique caractéristique d’un matériau dont les pro-
Lyophile (-phobe) priétés d’écoulement varient avec le temps : sous contrainte (ou
Qui possède (respectivement ne possède pas) une affinité pour gradient de vitesse) constant(e) sa viscosité apparente diminue au
le solvant. cours du temps.
Marangoni (effet) ; Marangoni effect Tensioactif (agent) ; surface active agent or surfactant
Phénomènes de transport de matière le long d’une interface Substance formée de molécules amphiphiles, c’est-à-dire com-
sous l’effet d’un gradient de tension superficielle (exemple : larmes portant une partie hydrophile (tête) et une partie hydrophobe
de vin). (queue lipophile).
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Turbulent (régime ou écoulement) ; turbulent flow au-delà de laquelle les forces d’inertie l’emportent sur les forces de
tension superficielle : la gouttelette se désintègre alors en goutte-
L’écoulement turbulent est caractérisé par le mouvement irrégulier lettes plus petites.
(chaotique) des particules du fluide. Un écoulement turbulent a ten-
dance à se produire à des vitesses élevées et à une faible viscosité. Winsor (systèmes de) ; Winsor systems
Weber (nombre de) ; Weber number Dans les diagrammes de phases isothermes de systèmes multi-
constituants liquides du type eau/huile/tensioactif (+ éventuellement
Nombre adimensionnel utilisé en mécanique des fluides : il alcool et électrolyte), on distingue principalement les zones
caractérise l’écoulement de fluides à l’interface d’un système mul- suivantes : W I, micro-émulsion + huile ; W II, micro-émulsion +
tiphasique et correspond au rapport des forces d’inertie à la ten- phase aqueuse ; W III, micro-émulsion + phases aqueuse et huileuse ;
sion superficielle. Le nombre de Weber critique désigne la valeur W IV, micro-émulsion.
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O
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Procédés d’émulsification R
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Martine POUX
S
Ingénieur ENSCT
Docteur de l’INPT, HDR
A
Ingénieur de recherche à l’INP de Toulouse
Laboratoire de génie chimique UMR CNRS 5503 INPT/UPS
École nationale supérieure des ingénieurs en arts chimiques et technologiques, Toulouse
V
(ENSIACET), France
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