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1C11C Histoire des médias

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FICHE D'IDENTIFICATION
Niveau : 1
Section : Communication
Activité d'enseignement : Histoire des médias
Volume horaire : 12h
Nombre de crédits : 1
Titulaire de l'AA : P. Rummens
Intitulé de l'UE contenant l'AA : Introduction à l’univers des médias
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OBJECTIFS de l'AA :
 Prendre conscience que les médias d’aujourd’hui s’inscrivent dans une longue évolution ; que
cette évolution est en partie la conséquence des avancées techniques (la presse à imprimer,
l'émulsion photographique, les réseaux informatiques, …) et des multiples transformations de la
société européenne (Renaissance, siècle des lumières et Révolution française, révolution
industrielle, deux guerres mondiales, société des loisirs et de la consommation, révolution
numérique).
 Comprendre les dynamiques sous-jacentes à la création et au développement de nouveaux
médias. Mesurer l’importance des médias dans la société et cela dans leur contexte historique
(par exemple : presse écrite et libertés fondamentales…) mais également les enjeux politiques
et sociaux actuels issus de ce long cheminement historique. Les questions économiques seront
approfondies dans le cours d'Économie des médias et de la culture.
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COMPETENCES :
 Inscrire sa pratique dans une réflexion critique, citoyenne et responsable.
 Mobiliser des savoirs généraux et spécifiques aux domaines de l’information, de la
communication, à l’univers des médias et de la culture.
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ACQUIS D'APPRENTISSAGE
Au terme de l'activité d'enseignement, l’étudiant(e) sera capable,
pour chaque média :
 de situer les moments clés de son évolution historique (genèse, naissance, grandes étapes de
son développement : avancées ou régressions) (par périodes de 50 ans) ;
 d'identifier les dynamiques sous-jacentes à la création et au développement de nouveaux
médias ; d’identifier les enjeux politiques et sociaux aux périodes étudiées ;
 ainsi que de questionner l'évolution des technologies de l'information.
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CONTENU DE L'ACTIVITE
Le cours aborde pour chaque média (presse écrite, photographie, cinéma, radio, télévision, Internet et
médias sociaux) :
1. le type de société au moment où apparaît le média ;
2. les dynamiques sous-jacentes à la création et au développement de nouveaux médias, les
enjeux politiques et sociaux aux périodes étudiées ;
3. les innovations techniques nécessaires au développement du média ;
4. les grandes étapes de son évolution dans le temps ;
5. les apports majeurs ou les régressions en termes de libertés et de circulation de l’information.
Ceci constitue la grille de base du cours.
Quelques dates importantes apparaissent au fil des séances. Nous évoquerons aussi quelques
personnages dans le but de mieux comprendre les processus d'innovation.
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MÉTHODE(S) D'ENSEIGNEMENT
Exposés avec, lorsque c’est possible et pertinent, des illustrations visuelles, sonores et
audiovisuelles.
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MODALITÉS D'ÉVALUATION
 Première session : examen écrit ;
 seconde session : examen écrit.
 Autres situations spécifiques (passerelles, crédits résiduels, …) : examen écrit.
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SUPPORTS
Les documents vus et/ou distribués en séance ainsi que les éléments disponibles via Claroline forment
les supports du cours.

Bibliographie :
 Balle F., Médias et société, 17e édition, Lextenso éditions, France, 2016
 D'Almeida F., Images de propagande, Casterman – Giunti, 1995 ;
 Delepeleire M., Olyff M., Thoveron G., Les médias à découvert, Vie ouvrière, Bruxelles, 1988 ;
 Grandcoing C., Communication et médias. Évolution et révolution, Economica, Paris, 2007 ;
 Jeanneney J-N., Une histoire des médias des origines à nos jours, Éditions du Seuil, Paris,
2015 ;
 Mattelart A., Histoire de la société de l'information, La Découverte, Paris, 2009 ;
 Mathien M., Les journalistes. Histoire, pratiques et enjeux, Ellipses, Paris, 2007 ;
 Muhlman G., Une histoire politique du journalisme, Presses universitaires de France, 2004 ;
 Ortoleva P., La société des médias, Casterman – Giunti, 1995.
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PRÉLUDE : un groupe de citadins est invité à découvrir une forêt. Ils n'ont malheureusement ni carnet
de notes, ni dispositif électronique. Leur guide, naturaliste, a un léger handicap : il est muet. Malgré
cela la balade est enrichissante. Il pointe le doigt vers le ciel. Le groupe découvre un rapace. Un peu
plus tard il l'invite à sentir une plante et à la goûter. A un moment, il saisit le bras d'un enfant qui
s'apprêtait à mordre un champignon vénéneux. A un certain moment le vent se lève ; quelques éclairs
et coups de tonnerre brisent la sérénité.

Cette expérience est


 multisensorielle,
 ouverte,
 locale et
 éphémère.
 Elle ne répond pas à un format prédéterminé.

Certes, même à une époque très reculée, il y avait des astuces pour communiquer à distance ou de
manière moins publique. Citons «l'épisode du coureur de Marathon, en 490 av. Jésus-Christ : après la
victoire des Grecs sur les Perses, le messager parcourt les 42,195 kilomètres jusqu'à Athènes, où, après
avoir dans un souffle annoncé le succès de sa patrie, il meurt d'épuisement. Comme s'il s'était confondu
avec la nouvelle qu'il portait et que, l'ayant expulsée de lui-même, il disparaissait symboliquement...

Une civilisation, avant de sombrer, porta ce système à l'extrême pointe de son efficacité : le Pérou des
Incas avant la conquête des Espagnols. Ce vaste empire puissamment centralisé ne connaissait ni
l'écriture ni le cheval, et l'empereur inca, pour exercer son pouvoir, avait besoin constamment d'une
circulation très rapide de nouvelles exactes et secrètes. Donc on avait construit sur toute la longueur du
territoire, de Quito à Cuzco, soit 2 400 kilomètres, une grande route dallée toute droite et franchissant les
montagnes par des escaliers monumentaux. Cet axe majeur était parcouru en permanence par des
coureurs à pied qui se succédaient, coudes au corps, de relais en relais, à une vitesse moyenne de dix
kilomètres à l'heure. Lorsque chacun d'eux avait parcouru une vingtaine de kilomètres, il commençait d'être
fatigué ; le suivant le rejoignait alors, courait à côté de lui ; l'autre lui récitait le message dans ses détails, il
le répétait pour vérifier qu'il l'avait bien compris et bien appris et il continuait seul sa course, jusqu'au relais
suivant. Ainsi les nouvelles parcouraient-elles l'empire en volant de bouche en bouche et il leur fallait
seulement dix jours pour parcourir les 2 400 kilomètres de la grand-route. » 1 Beaucoup d'entre vous
connaissent probablement le jeu d'enfant qui consiste à faire circuler fidèlement une phrase d'oreille en
oreille jusqu'à ce qu'elle revienne à l'émetteur initial : même lorsque les joueurs sont de bonne foi, ce qui
en résulte est parfois surprenant.
Cette méthode pose la question de la fiabilité de la transmission des informations. Le manque de fiabilité
peut provenir comme dans toute chaîne de communication de la malveillance d'un des relayeurs, mais
dans ce cas il peut aussi être lié à un problème de capacité.
L'usage du cheval comme monture ne changera que la vitesse de circulation. Capacité et vitesse sont
deux souhaits difficilement compatibles.

1 Jeanneney J-N., Une histoire des médias des origines à nos jours, Éditions du Seuil, Paris, 2015, p. 26
Quant à l'usage des pigeons voyageurs, l'apprentissage est long. Les pigeons doivent ensuite être amenés
sur le lieu d'où doit partir le message. Et la taille du message est extrêmement limitée si on ne veut pas
handicaper le volatile, sans compter tout ce qui peut arriver en cours de route.

L'émergence de l'écriture change la donne. Les archéologues situent les premières gravures manuscrites à
5000 ans avant notre ère.
A chaque fois nous nous poserons la question : que change cette invention ? L'écriture manuscrite est
unisensorielle, codée et laisse une trace matérielle.

DÉFINITIONS

Média vient du terme latin medius = qui est au milieu. La communication médiatique se sert d'outils
techniques pour établir la communication entre les personnes.

Dans ses notes de cours d'Introduction à l'univers des médias de la section Écriture multimédia, L.
Mundschau parle des mass médias de la manière suivante : « terme désignant habituellement les
supports de diffusion massive de l’information et correspondant ici aux technologies modernes de
l’information et de la communication en tant qu’elles transforment (par exemple via le montage
audiovisuel) les différents processus cognitifs dans le rapport à l’information : accès, compréhension et
interaction. »2 Le mot mass est tombé en désuétude.
Diffusion vient du latin diffundere qui signifie répandre en tous sens.

« Qu'appelle-t-on, aujourd'hui, média ? TF1 est un média, tout comme Le Vif... » 3


« Le livre et la télévision sont des médias, au même titre que la radio, le cinéma, l'affichage ou les
médias sociaux. » Mais dans ce cas on fait référence à des techniques. Elles évoluent d'ailleurs au fil
du temps. Exemple : de papier imprimé le livre est devenu numérique. Une technique ne chasse pas
forcément la technique de la précédente.

Les médias ont pour vocation des activités différentes comme l'information et la communication, le
divertissement, l'éducation, la propagande et la publicité... Au fil des années, ils ont souvent donné
naissance à des formes d'expression : le journalisme de débat, le talk-show, le reportage, le
documentaire, la série de télévision...

En s'imposant, au tournant des années 1980, le mot média a rejoint son étymologie. En effet, un
média est d'abord et avant tout un moyen — un outil, une technique, un intermédiaire — qui permet
aux hommes de s'exprimer et de communiquer à autrui cette expression, quel qu'en soit l'objet ou la
forme... » (Balle F., ibidem)

L'étymologie nous renvoie aussi à la notion de moyen de communication. Un média permet à une
information de parcourir une certaine distance.

« Les médias sont des techniques, et elles valent seulement par l'usage qui en est fait. La technique
n'impose rien : elle propose et l'homme dispose ou compose. Et la destinée d'un média … connaît
des accidents, elle rencontre des bifurcations et elle change souvent de direction. » (Balle F.,ibidem)

L'analyse des mots « livre » et « mouton » en début de ce chapitre doit attirer notre attention sur la
question des codes. Nous verrons que dans tous les médias les communicants font usages de
codes. Ce terme vient du latin codex qui signifie tablette à écrire, puis registre ainsi que recueil de loi.
Nous trouvons là une préoccupation de certains communicants qui veulent fixer une pensée, une
idée... de façon à ce qu'elle puisse faire autorité. Actuellement le terme code signifie système de
symboles. Sa connaissance permet la bonne compréhension de la communication, voire tout
simplement d'y avoir accès. Pensez aux concepts dérivés : code d'accès, code secret... Un système
est un ensemble abstrait dont les éléments sont coordonnés par une théorie. Exemple : une langue

2 Béslile C. et alii, Pratiques médiatiques. 50 mots-clés, Paris, CNRS Éditions, 1999, p. 199, cité par Lits M., Du
récit au récit médiatique, Bruxelles, De Boeck, 2009, p. 210
3 Balle F., Les médias, Que sais-je ?, Presses universitaires de France, Paris, 2014, pages 3 à 5
est un système de communication. Autre exemple : le code de la route.4 On pourrait l'analyser au
moyen de chacune des deux grilles présentées plus haut.

La base du système du code de la route est constituée de lignes, de formes et de couleurs. Les
pictogrammes expriment un message au moyen de scènes figurées. Le procédé est plus ouvert que
l'écriture mais demande beaucoup d'espace pour ne finalement réussir qu'à exprimer un nombre
restreint d'idées.

Le plus ancien alphabet connu 5 est celui des Phéniciens, un peuple de marchands qui, à partir du
10ème siècle avant notre ère et pendant plus de 400 ans a fondé des colonies tout autour de la
Méditerranée. Leur alphabet était constitué de signes représentant les sons de la langue parlée.
Il fût adopté par les peuples avec lesquels ils commerçaient. Naturellement, chacun de ces
peuples modifiait en partie cet alphabet pour l'adapter à sa propre langue. Ceci était
indispensable puisque chaque langue possède des sons qui n'apparaissent pas dans d'autres.
L'alphabet phénicien comptait 22 signes alors que l'alphabet grec classique en comptera 24, le
russe 32 et le nôtre 26.

Le code fait naître un paradoxe : outil de communication, il la bloque ou désavantage ceux qui ne le
maîtrisent pas.

кни́га / kitap / 书籍 / 本 / ‫ كتاب‬/ bog / Buch / boek / book / libro / livro / livre / lĭber

бара́н / koyun / 綿羊 / 羊 / ‫ خروف‬/ får / Schaf / schaap / sheep – mutton / oveja6 / pecora / carneiro 7 /
mouton8 / vervex

Le monde se divise en zones langagières. Nous sommes dans la zone qui écrit au moyen de l'alphabet. Des
études ont montré que l'organisation du cerveau d'un enfant se construit en fonction du langage. L'Asie du
sud-est utilise des idéogrammes. En Europe nous utilisons des lettres qui représentent les sons des paroles.
L'Europe est divisée en plusieurs zones langagières : l'alphabet y compte de 32 à 24 signes selon les zones,
auxquels s'ajoutent une série de signes destinés à symboliser la prononciation. Parmi ces zones, il y a la
région russophone, la région turque, la région slave, la région anglosaxonne, la région latine, la région balte...
Au cours du 20e siècle, la langue dominante est passée du français à l'anglais.

Vers 500 de notre ère, les Indiens (Inde) inventent la numérotation décimale, du zéro à l’infini, c’est-à-dire la
définition de ce qui ne représente rien et de ce qui est supérieur à toute quantité mesurable. Le système fut
transmis à l’Europe occidentale par les Arabes à la fin du IXe siècle.

Une manière de questionner les médias a été proposée aux chercheurs en communication par Harold Laswell
(1902-1978). Sur Wikipedia il est défini comme « un pionnier américain de la communication de masse et de
la science politique. Travaillant avec d´autres libéraux de la même période.., il défend la théorie selon laquelle
les démocraties ont besoin de propagande (« gestion gouvernementale des opinions ») permettant à
l´ensemble des citoyens d´approuver ce que les spécialistes ont déterminé comme étant bon pour eux. » 9 Ce
paragraphe contient un paradoxe : lequel ?
Il est surtout connu pour sa définition de la communication selon son modèle d'analyse en 5 points : qui
dit quoi par quel canal à qui avec quel effet. « On parle du modèle de la « piqûre hypodermique » car,
explique-t-il, les médias injectent leurs messages dans le corps social (comme le ferait une seringue
dans le corps humain)... Dans son ouvrage de 1927 intitulé « Propaganda Techniques in the World
War » où il préconise un contrôle gouvernemental des techniques de communication, du télégraphe et
du téléphone au cinéma en passant par la radio.» (ibidem) Harold Laswell fait partie de ceux qui voient en

4 Contexte historique : la Convention sur la circulation routière a été élaborée et ouverte à la signature par la
Conférence des Nations Unies sur les transports routiers et les transports automobiles, qui s'est tenue à Genève du 23
août au19 septembre 1949. Cette Conférence avait été convoquée par le Secrétaire général de l'Organisation des
Nations Unies. Une vingtaine de pays l'ont signée le 19 septembre 1949.
5 l'alphabet étant une forme particulière d'écriture
6 Du latin ovis, qui a donné ovidés en français.
7 Du latin carno, qui a donné carne en français = viande de mauvaise qualité.
8 Du gaulois multo = mâle ovin châtré. Source : Baumgartner E., Ménard P., Dictionnaire étymologique et
historique de la langue française, Librairie Générale Française, Paris, 1996.
9 Wikipedia.org, consulté le 19/8/2016
la presse un quatrième pouvoir. Par quels événements historiques aurait-il pu être influencé ?
Ce modèle d'analyse est fonctionnaliste. Comme nous ne nous situons pas dans cette logique dans ce cours,
nous y ajouterons un sixième point : dans quel but ?

1. « Qui dit » : ce qui nous intéressera c'est d'identifier les personnes ou groupes qui ont un pouvoir de
décision ou de contrôle sur les cas que nous évoquerons, ainsi que ce qui les caractérise sur un plan
social : statut social, profession, sexe, âge, origine géographique, parcours de vie... Ce sont des
questions que vous approfondirez dans vos cours de Sociologie.
2. « Dit quoi » nous obligera à faire un peu d'analyse de contenu.
3. « Dans quel but » : ce que nous essaierons de comprendre, ce sont les objectifs du des personnes
qui contrôlent les cas que nous évoquons. Nous verrons que médias et pouvoir sont intimement liés.
4. Par quel canal nous amènera à nous intéresser aux caractéristiques de la technique comme nous
venons de le faire pour l'écriture manuscrite.
5. « A qui » : ce qui nous intéressera c'est d'identifier les destinataires et leurs caractéristiques sociales.
6. « Avec quels effets » : en plus de ce qui motivait Laswell, à savoir l'efficacité de la communication
auprès des destinataires, nous nous intéresserons aux retombées involontaires par celles et ceux qui
ont le contrôle : évolution des comportements, des attitudes, des opinions...

Et nous ajouterons un 7e point, suggéré par Gabriel Thoveron : « dans quelles circonstances ? », c'est-à-dire
la question du contexte.10
Nous venons de voir la deuxième grille d'analyse qui s'ajoute à celle présentée dans la fiche descriptive du
cours.

« En déterminant un programme pour l'étude de toute « action de communication », Harold D. Lasswell


ouvre un âge d'or pour une discipline qui, pour emprunter beaucoup à la psychologie dite scientifique et
à la théorie mathématique de l'information, n'en est pas moins marquée, profondément, par les
préjugés de l'époque concernant le « pouvoir » des médias...»11 En matière de psychologie il s'inscrit
dans le courant behavioriste qui étudie la manière de créer des réflexes conditionnés. A la fin des
années mille neuf-cent quarante, des chercheurs comme Paul Lazarsfeld ont rapidement relativisé la
vision de d'Harold Laswell. Selon leurs recherches, « la plupart des gens s'exposent en priorité aux
communications qui s'accordent avec leurs opinions préalables...
Les courants dominants de la sociologie de l'époque furent un allié pour le schéma de Lasswell. À
mesure que s'imposaient les statistiques et les enquêtes par sondage, la sociologie s'engageait, sous
le couvert de la science, dans la voie de l'observation empirique, de l'analyse et du quantitatif. Jamais
la recommandation de Durkheim — « il faut considérer les faits sociaux comme des choses » —
n'avait été à ce point suivie. » » (Balle, ibidem) Mais des chercheurs en psychologie comme Kurt
Lewin et Jacob Moreno contestèrent que les médias soient capables de faire croire n'importe quoi à
n'importe qui. Tout dépendrait de la manière dont les groupes percevaient et filtraient les messages en
provenance de l'extérieur. En 1955, dans leur livre « Personal influence » Paul Lazarsfeld et Elihu Katz
expliquent que l'influence du public par les médias passe par deux étapes (« two step flow »).
L'influence des médias sur la plupart des destinataires passe par le biais de guides d'opinion. La grille
d'Harold Laswell s'avère incomplète pour étudier l'influence des médias, c'est à dire la question des
effets.

D'autres chercheurs suggèrent de changer la perspective et d'étudier ce que le public attend des
médias, à travers ce qu'il leur demande et des besoins qu'il espère ainsi satisfaire. Ce seraient autant
le public qui influencerait les médias que l'inverse.

Dans ce cours nous nous focaliserons notre attention sue les cinq derniers siècles de l'histoire occidentale.

L'impression en occident date du 15e siècle de notre ère. Il a fallu quatre cents ans avant que l'imprimé ne
touche un large public. « S'il a fallu respectivement 37 à la radio et 15 ans et à la télévision pour
atteindre 50 millions d'utilisateurs au monde, Internet a dépassé ce seuil en trois ans. De même, s'il a

10 Delepeleire M., Olyff M., Thoveron G., Les médias à découvert, Vie ouvrière, Bruxelles, 1988. Marc Delepeleire,
journaliste, a écrit sa partie dans le cadre du cours d'Introduction à l'univers des médias qu'il a inauguré l'année lors de
la création de la section Communication. Il est malheureusement décédé prématurément. J'ai repris son cours dès 1989.
Michel Delepeleire fut rédacteur en chef du Ligueur, revue éditée par la Ligue de la famille, ainsi que de la Revue
nouvelle.
11 Balle F., Médias et sociétés, Lextenso, France, 2016, p. 682
fallu 45 ans à la radio et 10 ans à la télévision pour générer 1 milliard de dollars de revenus
publicitaires, Internet a atteint ce chiffre en trois ans. » 12 On observe un emballement à tel point que
l'information via des médias nous inonde. Avant les gens n'y voyaient pas clair par manque
d'informations ; actuellement c'est par excès d'informations.

« Pour l'historien traditionnel, la presse n'était guère qu'une source où il cherchait et croyait trouver un
compte-rendu des faits et un état des opinions. Le canadien Herbert Marshall Mc Luhan (1911-1980)
renverse radicalement ce point de vue; pour lui le message c'est le média, et les sociétés ont toujours
été déterminées plus par la nature des moyens par lesquels les hommes communiquent que par le
contenu de cette communication». Mac Luhan a brossé à grands traits l'évolution de l'humanité en trois
épisodes :
 l'âge préalphabétique, où l'homme vit en tribus, où, pour communiquer, il utilise
harmonieusement tous ses sens, où toutes les relations sont simultanées... ;
 l'âge de l'écriture phonétique, qui «réduit à un simple code visuel l'utilisation simultanée de tous
les sens qu'est l'expression orale ». De manière un peu excessive Mac Luhan écrit que «la
plume d'oie mit fin à la parole. Elle supprima le mystère, elle créa ... la bureaucratie».
 L'invention de l'imprimerie va amplifier ces effets... La galaxie Gutenberg sera le temps de
l'individualisation, l'alphabet développera le sens visuel de la continuité, de l'uniformité, de la
connexité; toute l'organisation psychique et sociale en sera imprégnée, et ce nouveau sens de
la logique et de l'analyse contribuera à l'établissement de la domination occidentale sur la
nature et sur le monde.
 La galaxie Marconi, nouvelle ère qu'annonce surtout la télévision, nous ramène à
l'interdépendance. Avec l'électricité, l'électronique, c'est tout notre système nerveux central qui
est jeté comme un filet sur le monde, qui, l'espace et le temps étant abolis, implose, se rétrécit :
nous vivons désormais dans un village global.» 13

Herbert Marshall Mc Luhan a surtout attiré l'attention des chercheurs sur l'importance des médias dans
l'évolution des sociétés. Il fut professeur de littérature anglaise et théoricien de la communication. Il est
un des fondateurs des études contemporaines sur les médias. « En 1934, il demande une pour aller
étudier à Oxford (en Grande-Bretagne), mais sa candidature est rejetée parce qu'il a défendu lors de
l'entrevue la validité de l'étude des bandes dessinées. En revanche, il est accepté à Cambridge, où il
passera deux ans. En 1936, McLuhan accepte un poste de professeur adjoint au département d'anglais
de l'Université du Wisconsin (États-Unis). Durant l'année 1936-37, il se convertit au catholicisme et
devient un fervent pratiquant, ce qui lui vaudra d'être nommé conseiller du Vatican en 1976.
En 1944, McLuhan retourne au Canada. Il se lie avec Harold Innis (professeur d'économie politique
canadien, 1894-1952) dont les théories sur le rôle des systèmes de communication dans l'histoire
(« Empire and communications » et « The Bias14 of Communication ») l'influenceront profondément, au
point qu'il dira de la Galaxie Gutenberg qu'elle est une note de bas de page aux travaux d'Innis.
Marginalisé au sein de son département, il abandonne la littérature, se plonge dans l'étude des média
et devient membre de l'école de communication de Toronto... Mac Luhan impressionne ses collègues
par sa capacité à repérer des structures récurrentes (patterns) dans tout ce qui lui tombe sous les yeux.
En 1953, il obtient une bourse de la Fondation Ford pour une étude sur les nouveaux traits de langage
et de comportement en relation avec les nouveaux médias (= la télévision).

Le postulat de sa théorie des médias repose sur la notion de l’équilibre des sens, équilibre qui serait
présent chez l’enfant comme chez le primitif, mais que les technologies et l’éducation perturbent, en
donnant la primauté à la vue dans l’école traditionnelle, puis à l’ouïe depuis l’apparition de la radio et,
enfin, au système nerveux central depuis l’arrivée de la télévision : « L'enfant très jeune est comme le
primitif : ses cinq sens sont utilisés et ont trouvé un équilibre. Mais les technologies changent cet
équilibre ainsi que les sociétés. L'éducation développe un sens en particulier. Hier c'était la vue, par
l'alphabet et l'imprimerie. Depuis plusieurs décennies, c'est l'ouïe. Et désormais, c'est notre système
nerveux central. Video-boy a été élevé par la télévision. Sa perception est programmée autrement, par
un autre médium. » (ibidem)
Il désigne la somme et l'interaction des divers sens sous le nom de sensorium. L'arrivée d'un nouveau
médium bouleverse le sensorium, avec des répercussions touchant tout le développement d'une
civilisation : « Si l'alphabet phonétique est tombé comme une bombe sur l'homme tribal, l'arrivée de

12 Bressolles G., Le marketing digital, Les topos, Dunod, Paris, 2016


13 Delepeleire M., ea op.cit. p. 118
14 biais, préjugé en français
l'imprimerie l'a frappé comme une bombe.» (ibidem)

Un médium est une extension de nos sens, une « métaphore active [qui permet de] traduire
l'expérience en des formes nouvelles». La parole a été le premier média, « la première technologie qui
a permis à l'homme de lâcher son milieu pour le saisir d'une autre façon».
Cette conception du médium permet à McLuhan d'appliquer ce terme à un large éventail de réalités.
Exemple : qui n'a pas été étonné de voir un personnage entendu à la radio, l'ayant imaginé très
différent. Même sensation lorsqu'un roman est transposé au cinéma.

Dans « Pour comprendre les média », il consacre un chapitre à chacun des principaux « médias » : la
parole, l'écriture, les routes, les chiffres, le vêtement, l'habitat, la monnaie, les horloges, l'imprimé, les
bandes dessinées, la roue, la photographie, la presse, la voiture, la publicité, les jeux, le télégraphe, la
machine à écrire, le téléphone, le phonographe, le cinéma, la radio, la télévision, les armes,
l'automation. Au total, il identifie ainsi 26 médias, soit exactement le nombre de lettres dans l'alphabet.
Les médias connaissent une hiérarchisation en fonction de l'ampleur des effets qu'ils ont sur le public.
Avec la technologie de l'électricité, « nous approchons rapidement de la phase finale des
prolongements de l'homme : la simulation technologique de la conscience. Dans cette phase, le
processus créateur de la connaissance s'étendra collectivement à l'ensemble de la société humaine,
tout comme nous avons déjà, par le truchement des divers média, prolongé nos sens et notre système
nerveux. »

L'idée maîtresse que l'on retrouve à travers les ouvrages de McLuhan tient en une seule phrase : « Le
médium est le message », ce qui veut dire que le canal de communication utilisé constitue en fait le
véritable message. Cette idée est développée à travers toute l'œuvre de McLuhan, et sert de titre au
premier chapitre de son livre « Pour comprendre les médias ». Ce n'est donc pas d'abord le contenu
qui affecte le public consommateur d'un médium, comme on le croit souvent, mais le canal de
transmission lui-même. Un exemple simple permet de mieux saisir cette affirmation : l'imprimé est un
média15, car il permet de transmettre une information depuis un émetteur vers un récepteur. En tant
que médium, il est plus rapide que la parole transmise de bouche à oreille, par exemple. Mais plus que
le gain de temps, c'est la plus grande distance parcourue par cet imprimé dans un laps de temps
constant qui importe. Considérons une cité donnant des ordres à ses garnisons via l'imprimé,
l'association de celui-ci avec la roue et la route permet de contrôler une région notablement plus vaste.
Ce médium a un rôle profondément centralisateur : il induit automatiquement une société structurée
autour d'un centre donneur d'ordres.
McLuhan situe le message non pas dans le seul sens exprimé par l'émetteur, mais dans la
combinaison unique de l'effet message/médium (pragmatique de la communication16). Ainsi,
l'expérience vécue du médium utilisé (téléphone, Internet, etc.) est mise au premier plan, lui
subordonnant le message, et inversant la traditionnelle opposition fond/forme.
En énonçant l'idée que le médium est le message, il affirme entre autres que l'important c'est la forme
prise par le médium (l'effet de la technologie), ainsi que sa combinaison avec le message.
Il va même plus loin : «l'important, ce n'est pas la diffusion des messages, la divulgation des idées et
des nouvelles, mais bien davantage, sinon exclusivement, une sorte de massage, au sens de
McLuhan, exercé par les médias sur les modes d'appréhension et de perception à la fois du monde
sensible et de la réalité humaine. Dans cette voie, le discrédit atteint les analyses de contenu tout
autant que les études menées jusque-là sur les effets. »17

Contrairement à l'idée courante véhiculée par le McLuhanisme, McLuhan n'était cependant pas un
amateur des média modernes et restait inquiet quant à leur impact sur la culture, tout en estimant qu'il
fallait les étudier pour éviter d'être emporté par eux...
Son attitude est parfois plus positive..., comme dans l'entrevue donnée au magazine Playboy, où il dit
sentir que nous sommes sur le seuil d'un monde excitant et libérateur dans lequel la tribu humaine peut
devenir réellement une même famille et où la conscience peut se libérer des chaînes de la culture
mécanique et se mettre à sillonner le cosmos. Cette idée d'extension de la conscience était déjà
présente dans l'introduction de Pour comprendre les médias (1964). » 18 Quelles hypothèses peut-on

15 Développé dans « La galaxie Gutenberg »


16 La Pragmatique est une théorie qui est expliquée dans le cadre du cours de Théories de la communication.
17 Balle F. op.cit. p. 694
18 Extraits de Wikipedia.org, consulté le 208/2016 et vérifiés via les ouvrages de Mc Luhan H.M., La Galaxie
Gutenberg, Seuil, Paris, 1962 et Pour comprendre les médias, Mame, Paris, 1968.
faire lorsqu'on regarde les thèses de Mc Luhan à la lumière de la période à laquelle elles ont été
publiées ?

« Dans son analyse de l'imprimerie, McLuhan rend hommage à Alexis de Tocqueville, qui (...) dans
« L'Ancien régime et la Révolution » (1856), avait montré que l'imprimerie avait contribué à
homogénéiser la nation française.

McLuhan a joui d'un succès considérable dans les années 1960. Il faisait la couverture des magazines
et était recherché comme conférencier... Toutefois, il est ignoré par la plupart des universitaires, même
au Canada, et sa réception en France est largement négative.
Dès 1974, certains critiquent son « déterminisme technologique », et cette critique sera souvent
reprise. La pensée de McLuhan tombe alors dans l'oubli et ne commence à être réexaminée qu'au
début des années 1990 avec l'arrivée du Web, une autre révolution technologique qui bouleverse notre
rapport aux contenus.
La vision simplifiée et fausse de ce qu'a apporté Herbert Marshall McLuhan serait due au fait qu'il était
un penseur non linéaire, qui a développé sa pensée à travers 25 livres, des centaines d'articles et des
milliers de lettres, ainsi que dans des entrevues, des disques, des vidéos et des films. Une des phrases
de McLuhan les plus mal comprises est celle du « village global », souvent interprétée comme un
retour à un état édénique de communication directe et bienveillante, alors qu'il a parlé de la terreur que
produirait la rencontre de la culture de l'imprimé et de l'oralité électronique. Il était bien conscient des
risques de violence liée au phénomène de retribalisation.
Contrairement à la pratique en milieu universitaire, McLuhan aimait lancer des idées même si elles
n'étaient pas solidement étayées, les considérant comme des « sondes » visant à explorer l’inconnu et
à faire naître de nouvelles pistes de recherche. » (ibidem) Pour certains il ne s'agit que de
reconstructions historiques a posteriori. Mais n'est-ce pas toujours le cas en histoire ?

«L'histoire... est une reconstruction intelligible et critique du passé vécu... Son intelligibilité et sa
capacité critique dépendant des outils dont on dispose au moment de l'écrire. On voit bien que l'histoire
est reconstruction permanente, et jamais achevée. » 19 A nouveau prudence lorsqu'on tire des
conclusions !

« En 1983, le Québécois Jean Cloutier, pour sa part, dessine un historique en quatre passages :
1. de l'extériorisation (expression corporelle et verbale, comme le cri de Tarzan par exemple) à la
communication interpersonnelle (les gestes sont codifiés, les sons deviennent des paroles) ;
2. de la transposition (dessins, pictogrammes, idéogrammes, signaux, musique) à la
communication d'élite (favorisée par l'apparition de l'écriture phonétique) : le fossé se creuse
entre ceux qui savent et les autres, entre ceux qui possèdent les codes et ceux qui les ignorent
;
3. de l'amplification (dès l'apparition de l'imprimerie) à la communication de masse que permettent
les médias de diffusion (presse, ciné, radio, télé) et d'édition (livre, disque, affiche...) ;
4. de l’enregistrement (photo, magnétophone, magnétoscope...) à la communication individuelle à
l'aide de ce qu'il appelle les «self-médias». Ici, Cloutier marque sa foi dans un monde nouveau:
"la communication individuelle, c'est donc d'une part la possibilité d'avoir accès à des messages
toujours disponibles dans les langages les plus appropriés, c'est aussi d'autre part, la capacité
de s'exprimer non seulement par le mot parlé ou écrit, mais également par l'image et le son (...)
Emerec (l'homme, à la fois émetteur et récepteur) est le point de départ et le point d'arrivée de
la communication. Il n'est plus seulement informé, il informe, il s'informe. Il n'est plus l'étudiant
qui suit des cours pendant quelques années, il est le «s'éduquant» de l'éducation permanente».
Ces quatre «épisodes» se superposent, l'histoire de la communication est cumulative: l'apparition d'un
nouveau mode d'échanges ne conduit pas à la disparition de ceux qui l'ont précédé. » 20 C'était pour le
moins visionnaire.
« L’auteur du " Petit traité de communication, EMEREC à l’heure des Technologies Numériques ", Jean
Cloutier, est un communicateur qui a touché à tous les métiers de la communication et qui est devenu
au fil des ans communicologue. Juriste de formation, détenteur d’un diplôme de journalisme de
l’université de Strasbourg et d’un doctorat d’État de l’Université de Bordeaux, il a travaillé à l’UNESCO,
a été le premier correspondant des réseaux français de Radio-Canada aux Nations-Unies, a créé le
Bureau de l’information et le Centre audiovisuel de l’Université de Montréal, s’est occupé de formation

19 Delepeleire M., ea op.cit., p. 117


20 Delepeleire M., ea op.cit., p. 119
de communicateurs africains et a fondé l’Institut International de la Communication.
Il dirige actuellement sa propre société, Télémédiatique, spécialisée dans le domaine des technologies
d’information et de communication. En 1973, il a publié aux Presses de l’Université de Montréal un
premier ouvrage intitulé " L’ère d’Emerec ou la communication audio-scripto-visuelle à l’heure des self-
médias " préfacé par Abraham Moles »21 dont nous reparlerons.
« La révolution récente des TIC (technologies de l'information et de la communication) a ébranlé
l'équilibre fragile installé il y a un peu plus de deux siècles. La sphère de l'édition (écrite, visuelle,
audio, audiovisuelle ou scrypto-audio-visuelle) s'est ouverte aux citoyens, aux consommateurs, aux
usagers, aux manifestants, aux résistants. Tous, en quelques clics, peuvent informer, avertir,
questionner, dénoncer... La Toile a permis la naissance du cinquième pouvoir, « cette nébuleuse de
blogueurs, de hackeurs, de lanceurs d'alerte qui, ces dernières années, ont régulièrement bouleversé
22
le monde de l'information ». Pour le meilleur (parfois) et pour le pire (trop souvent)... un peu comme,
en somme, dans les médias en général. »23

PREMIERE CONCLUSION. Nous avons vu les premiers critères de différenciation des médias :
 multisensorielle ou monosensoriel,
 éphémère ou adaptée à l'archivage,
 ouverte ou discriminante à cause des conditions d'accès ou du code,
 locale, centralisatrice ou favorable à la communication à distance,
 fiable dans la transmission des informations ou au contraire aléatoire ou manipulable,
 unidirectionnelle ou interactive,
 formatée ou libre...
Ceci constitue la 3e grille du cours.

Mais le cours ne se limitera pas aux aspects techniques. Les médias sont souvent qualifiés de 4e
pouvoir, à côté des pouvoirs officiels : législatif, exécutif et judiciaire.
C'est grâce à l'influence sur l'opinion publique qu'il s'exerce.

« Dans la philosophie des Lumières, l'opinion publique était conçue comme l'expression de l'intérêt général,
résultat de discussions où chacun faisait un usage public de sa raison. Aujourd'hui, l'opinion publique se
réduit la plupart du temps à l'expression de sa mesure par les sondages sur les sujets les plus divers »,
même si à l'heure des réseaux sociaux on retrouve d'une certaine manière la première définition, toutefois
pas toujours dans l'intérêt général. « Principe et mécanisme fondamental de la vie politique des démocraties
occidentales, l'opinion publique ne s'appréhende pourtant que comme un objet ambigu, fiction juridique qui
s'exprime dans une fiction statistique, et qui est tout à la fois contrepartie du pouvoir, légitimation de la
domination politique, instrument de l'exercice du pouvoir et objet de manipulation.

1. Principe et mécanisme fondamental de la vie démocratique


L'opinion publique est la pierre angulaire du fonctionnement des démocraties libérales. Elle résulte de la
reconnaissance de la liberté d'expression et de l'égalité des citoyens devant la loi, principes reconnus par
la constitution de tous les pays qui se proclament démocratiques. Les philosophes des Lumières, au XVIlle
siècle, ont voulu libérer les peuples de l'arbitraire royal et religieux en proposant un régime politique fondé
sur l'exercice public de la raison. Le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, ne pouvait
se baser que sur la libre expression de l'opinion publique. Faisant presque de la Raison le dogme d'une
nouvelle religion, ils étaient confiants que l'ensemble des citoyens, placés devant l'ensemble des faits
pertinents, aboutiraient nécessairement, en usant de leur raison dans le processus de confrontation de
leurs différents points de vue, à une décision consensuelle qui exprimerait le bien commun. 24 Deux
exigences fondamentales en découlaient. Premièrement, tous les citoyens devaient avoir le droit de
s'exprimer et de voter. Deuxièmement, les enjeux collectifs devaient faire l'objet de débats publics. D'une
part, il a fallu plus d'un siècle pour que le droit de vote soit étendu à tous les citoyens ayant atteint l'âge de
raison (lequel varie cependant encore d'un pays à l'autre, étant établi entre 18 et 21 ans !)
indépendamment de leur instruction, de leur fortune, de leur race ou de leur sexe. Le suffrage universel est
une conquête récente. D'autre part, comme nous le verrons plus loin, le débat public prend de plus en plus
les formes du marketing politique.

21 Thot cursus, cursus.edu, consulté le 27/9/2016


22 Marthoz J-P., Face au Cinquième pouvoir in « Le Soir », 27/9/2013
23 Laviolette P., Découverte de l'univers de l'information, ISFSC, Bruxelles, 2015
24 Ce fut, à la même époque, aussi l'illusion des premiers économistes libéraux.
2. Fiction juridique et statistique
L'opinion publique est une fiction juridique parce que les textes qui la proclament présupposent que chaque
individu, confronté à différentes alternatives, se prononcera nécessairement en faveur d'une solution qui
prône le bien commun25. Plusieurs décennies de démocraties libérales nous ont appris qu'un tel point de
vue était naïf. Dans les faits, les démocraties libérales donnent plutôt le spectacle d'une multiplicité de
groupes qui s'affrontent et cherchent à faire prévaloir leur propre intérêt. Il en résulte souvent une décision
qui reflète davantage le poids relatif de chacun de ces groupes que la recherche objective du plus grand
intérêt de tous. Dans la pratique, le fonctionnement démocratique offre plus les apparences d'un arbitrage
entre des tendances centrifuges que d'une poursuite désintéressée de la vérité ou de la meilleure solution
pour tous.
Le sociologue Pierre Bourdieu a bien montré comment la mesure de l'opinion publique constituait
également une fiction statistique. Depuis la Deuxième Guerre Mondiale, les sondages26 sont devenus
l'instrument d'interrogation et d'expression privilégié de l'opinion publique. La rigueur mathématique
(apparente) sur laquelle la méthodologie s'appuie a fait son succès et ne suscite guère de contestation, sauf
dans quelques cas douteux relativement isolés. Mais cette rigueur et ce succès occultent les postulats
contestables sur lesquels elle repose. On présume tout d'abord, affirme Bourdieu, que toutes les personnes
interrogées sont suffisamment informées et comprennent de manière équivalente les questions qui leur
sont adressées. On additionne ensuite leurs opinions sans tenir compte de leur solidité et de leurs
réactions à d'éventuelles expressions contradictoires. Enfin, on oublie de prendre en considération le
pouvoir de celui — sondeur ou commanditaire — qui formule les questions à partir de sa perspective et de
ses intérêts spécifiques, et dans ses propres termes. En aplatissant ainsi les différentes opinions
individuelles, on rend possible leur décompte et leur addition. Mais on en réduit la richesse et la diversité et
on construit une image factice de consensus social.27 C'est peut-être là l'une des fonctions primordiales
des sondages qu'on multiplie sur les sujets les plus divers.

3. Légitimation de la domination politique


Principe fondamental des régimes démocratiques, l'opinion publique est le recours ultime de légitimation de
la domination politique. Sous l'Ancien Régime, l'élection divine et la sanction du pouvoir religieux
constituaient les arguments sur lesquels reposait l'arbitraire royal. Dans les démocraties occidentales, la
justification de la légalité du pouvoir se fonde toujours sur l'expression de la volonté majoritaire, si ce n'est
consensuelle. Cette dernière se manifeste par le vote, lors des élections. Mais elle intervient de plus en plus,
avec la généralisation du recours aux sondages, dans la gestion quotidienne des affaires
gouvernementales. Un gouvernement en dissonance continuelle avec l'expression de l'opinion publique sait
que ses jours sont comptés.

4.Contrepartie du pouvoir
Si les sondages sont devenus les instruments indispensables de mesure de l'opinion publique, les médias
sont le canal de leur diffusion et le lieu principal où l'on en débat. Le quatrième pouvoir dont on auréole les
médias s'en trouve conforté. Les exemples sont nombreux, de la Guerre du Vietnam à celle du Golfe, de
cas où la publicité accordée à tel ou tel sondage a fait reculer des gouvernements, de sorte qu'il n'est pas
exagéré de parler de l'opinion publique comme une contrepartie réelle et efficace à l'exercice du pouvoir.
Les gouvernants ne peuvent ignorer ce que pense la population de leurs projets et de leurs réalisations.
Reste à savoir comment se construit cette opinion et ce qu'elle signifie !

5.Instrument de l'exercice du pouvoir


« Le gouvernement par sondages » ! L'expression a déjà fait l'objet d'un titre de livre. Elle reflète bien
l'importance que les sondages ont acquis dans l'exercice de la « gouvernementalité », pour reprendre une
expression de Michel Foucault. Il n'est guère de sujets sur lesquels la population ne soit régulièrement
sondée, de ses habitudes sexuelles à ses convictions religieuses. Mais surtout, les responsables
politiques ne prennent presque plus de décisions, importantes ou secondaires, sans effectuer de
sondages sur la réaction éventuelles du public » et actuellement sans prendre la température des
réseaux sociaux. On peut se réjouir de l'importance que prend ainsi l'opinion publique. Mais on peut aussi
s'interroger — compte tenu des réserves énoncées par Pierre Bourdieu — sur la signification du débat
public qu'impliquait, pour les Philosophes des Lumières, la recherche du bien commun... Une telle

25 Encore faudrait-il que tous les citoyens soient capables de comprendre les arguments des uns et des autres,
ce qui n'est pas le cas.
26 Pire, les micros-trottoirs.
27 C'est particulièrement le cas des cartes perceptuelles.
pratique permet-elle de mettre en œuvre une politique conforme aux intérêts supérieurs de la nation ? Ou
ne conduit-elle pas... à gouverner à courte vue en fonction des humeurs du moment ?

6. Objet de manipulation
La méthodologie des sondages est bien rodée et peut s'enorgueillir d'un taux de prédictibilité fort
acceptable. Nul ne le conteste. Est-ce pour autant une juste expression de l'opinion publique ? Certes oui, si
l'on concède à ceux qui formulent les questions la légitimité de la définition de la situation. L'expression
discordante de nombreux groupes de pression permet toutefois d'en douter. L'opinion publique, telle que
révélée par les sondages, est une opinion construite, voire manipulée. Sans tomber dans les exagérations
de la théorie du modelage des esprits, on doit reconnaître l'existence de certains faits. Les partis politiques,
les entreprises et les groupes qui en ont les moyens, effectuent régulièrement des sondages dans le seul
but de défendre leur point de vue sur la place publique. Les sondages constituent aussi pour eux un feed-
back, c'est-à-dire un instrument qui leur permet de corriger leur communication en fonction de leurs
objectifs... La stratégie de couverture de la Guerre du Golfe, par exemple, autorisée par les autorités
américaines, avait pour principal but de contrôler les réactions de l'opinion publique américaine.
George Bush ne voulait surtout pas d'une répétition du scénario de la Guerre du Vietnam ! Pour certains
hommes et femmes politiques, l'opinion publique peut et doit être influencée. Elle ne l'est
malheureusement plus par un processus de discussion démocratique... »28 (à discuter)

En 1840, l'écrivain français Honoré de Balzac écrivait : « La presse est en France un quatrième
pouvoir dans l'État ; elle attaque tout et personne ne l'attaque. Elle blâme à tort et à travers. Elle
prétend que les hommes politiques et littéraires lui appartiennent et ne veut pas qu'il y ait réciprocité ;
ses hommes à elles doivent être sacrés. Ils font et disent des sottises effroyables, c'est leur droit ! Il est
bien temps de discuter ces hommes inconnus et médiocres qui tiennent autant de place dans leur
temps et qui font mouvoir une presse égale, en production, à la presse des livres. »29
A chaque apparition d'un nouveau média, le même genre de critique apparaît.
« Le comportement des intellectuels mérite ici d'être observé. Leur hostilité à tout nouveau moyen de
disperser la culture est ancienne et tenace. Déjà Socrate critiquait l'écriture: «cette connaissance
aura pour résultat, chez ceux qui l'auront acquise, de rendre leurs âmes oublieuses, parce qu'ils
cesseront d'exercer leur mémoire; mettant, en effet, leur confiance dans l'écrit, c'est du dehors,
grâce à des empreintes étrangères, non du dedans et grâce à eux-mêmes, qu'ils se remémoreront
les choses. Lorsqu'ils regorgeront de connaissances sans avoir reçu d'enseignement, ils sembleront
être bons à juger de mille choses au lieu que, la plupart du temps, ils seront dénués de tout
jugement; et ils seront en outre insupportables parce qu'ils seront des semblants d'hommes instruits,
au lieu d'être des hommes instruits». 30
Le philosophe Jean-Jacques Rousseau écrivit : « Rousseau: «Qu'est-ce qu'un livre périodique? Un
ouvrage éphémère, sans mérite et sans utilité, dont la lecture, négligée et méprisée par les gens
lettrés, ne sert qu'à donner aux femmes et aux sots de la vanité sans instruction et dont le sort,
après avoir brillé le matin sur la toilette, est de mourir le soir dans la garde-robe.» (ibidem p. 170)
Comme quoi on peut être grand philosophe et écrire parfois des sottises.
En 1840 le philosophe danois Soren Kierkegaard (1813-1855) écrivit : «le mal de la presse
quotidienne consiste en ce qu'elle est faite tout exprès pour gonfler l'instant et, si possible, le grossir
d'importance des milliers, des dizaines de milliers de fois plus qu'il n'en a déjà ! Alors que toute
éducation morale consiste avant tout à sevrer les hommes de la sujétion de l'instant.» (ibi dem p.
170) A méditer.
« C'est la recherche d'une diffusion plus large et plus aisée qui rend suspecte une nouvelle technique:
celle-ci semble rompre les privilèges des «élites». Au contraire, au moment où elle décline, perd de
son public, elle est un sujet d'apitoiement; et en même temps, contrainte de se choisir une cible, elle
trouve intéressant de viser un public intellectuel certes minoritaire, mais socialement et culturellement
riche. Un rapprochement mutuel s'opère. La radio crée les «Troisièmes Programmes»... Plus un
média décline, plus il fait intello. » (ibidem p. 171)

28 Lamizet B., Silem A., Dictionnaire encyclopédique des sciences de l'information et de la communication,
Ellipses, Paris, 1997
29 Balle F., op.cit. p. 697
30 Delepeleire M., op.cit. pp. 169-170

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