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Jean-Christophe Dubé

536 778 065

Travail final

Travail présenté à
Madame Sophie-Jan Arrien

Dans le cadre du cours


PHI-3000

Département de philosophie
Université Laval
Session d’automne 2023
Dans les Idées directrices pour une phénoménologie, Husserl avance que l’empirisme
échoue à fonder la connaissance comme il le prétend. Il réduit faussement le fondement
de toutes connaissances aux faits empiriques et arrive à des conséquences absurdes
comme l’idée que les mathématiques sont fondées sur des faits 1. Mon travail tentera de
présenter la réponse de Husserl à cet empirisme réducteur et de montrer en quoi
l’intuition fonde correctement la connaissance en retournant aux choses même 2. Dans un
premier temps j’expliquerai ce qu’est l’intuition pour Husserl, comment elle fonde la
connaissance en confirmant la visée significative par une donation de l’objet. Dans un
deuxième temps, je montrerai les différents mode de d’intuition tout en expliquant s’ils
donnent l’objet de façon adéquate ou non et originaire ou non. Je conclurai que de
remplacer le concept d’expérience sensible par l’intuition corrige l’erreur des empiristes
en rendant compte de tous les types de donation d’objets à la conscience et de tous les
types d’objets. J’insisterai sur le fait qu’avoir des connaissances renvoyant à des
intuitions et donc à des sols de validation distincts permet de rendre compte de la
spécificité des domaines et ouvre une théorie de la connaissance plus complète que les
sciences empiriques qui développent une connaissance rigoureuse sur un type de donné
seulement. Je rajouterai que le rôle fondamental de l’intuition est de se rapporter aux
essences par l’intuition eidétique et de fonder la plus haute science, principe des
principes, l’intuition des essences. Par cette dernière, elle réussit une connaissance plus
approfondie des choses à la place de se contenter de leur signification partielle avec les
sciences.

1. Le sens de l’intuition

Avant d’expliquer le sens de l’intuition, il semble nécessaire d’expliquer ce qu’est


l’intention significative pour Husserl, car l’intuition a pour premier sens de permettre
cette visée significative. L’intention significative est un acte par lequel la conscience vise
une chose en tant qu’unité de sens. Par exemple, je regarde mon ordinateur devant moi et
je l’identifie à mon ordinateur. Husserl exprime cette orientation vers un objet dans sa
cinquième recherche logique en citant Brentano sur la visée intentionnelle : « Tout

1
Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, France, Gallimard, 1985, p. 65.
2
J’utiliserai le « je » à la place du « nous » pour éviter tout malentendu en parlant du rapport de la
conscience du sujet à l’objet.

.1
phénomène psychique est caractérisé par ce que les scolastiques du Moyen Âge ont
appelé l’existence intentionnelle (ou encore mentale) d’un objet, et ce que nous pourrions
appeler, bien qu’avec des expressions un peu univoques, la relation à un contenu,
l’orientation à un objet3. » Grâce à cet acte, les choses autour de moi ne sont pas de
simples matériaux sans sens, mais des objets avec un sens, identifiés, objectifiés. Bien
que, pour Husserl, tous les vécus ne sont pas intentionnels, sinon j’identifierais des objets
partout et tout le temps4.

Or, cette visée est impossible s’il n’y a pas un objet qui est donné, la conscience ne peut
être en relation avec rien, elle est conscience de quelque chose : « Tout phénomène
physique contient quelque chose comme un objet5. » Cet objet, il est donné dans un
deuxième acte, l’acte intuitif. L’acte intuitif a donc pour premier sens d’être l’acte qui
donne l’objet à la conscience et qui permet la visée intentionnelle d’être visée de quelque
chose. Bien que la visée significative soit aussi nécessaire pour qu’une intuition ait lieu, il
n’y a pas de donné si une conscience ne le vise.

Dans cette relation intentionnelle entre la conscience et son objet, la conscience veut un
objet qui soit le plus présent possible, car plus un objet est présent et clair à la conscience,
plus la conscience a de contenu pour s’imprégner de l’objet et plus la signification de
l’objet est pleine : « Plus la représentation est claire, plus sa vivacité est grande plus le
degré de figuration auquel elle est arrivée est élevé : plus elle est riche en plénitude. En
conséquent, l’idéal de plénitude serait atteint dans une représentation qui enfermerait
dans son contenu phénoménologique son objet plein et entier6. »

Husserl donne deux critères pour déterminer le niveau de remplissement. L’intuition peut
être originaire. C’est-à-dire que l’objet peut se donner en chair et en os, directement,
simplement : « C’est une seule et même chose qu’une réalité naturelle nous soit
originairement donnée et que nous nous en apercevions et que nous la percevions dans
une intuition simple7 ». Puis, elle peut être adéquate, c’est-à-dire que l’objet se donne

3
Edmond Husserl, Recherches logiques tome second 2e partie, Paris, Presse universitaire de France, 1962,
p. 168.
4
Ibid., P. 171.
5
Ibid., p. 168.
6
Edmond Husserl, Recherches logiques tome 3, Paris, Presse universitaire de France, 1963, p. 99.
7
Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, France, Gallimard, 1985, p. 15.

.2
comme unité de sens complète et toute la signification visée par la conscience est
remplie, comme le soutient Husserl : « La représentation intuitive représente son objet
adéquatement, c’est-à-dire avec un contenu intuitif d’un plénitude telle qu’à chaque
composante de l’objet tel qu’il est visé dans cette représentation correspond une
composante représentative du contenu intuitif8. » La visée significative est alors
parfaitement remplie, tout de ce qui est visé est présent à la conscience, la signification
est pleine et satisfaite. Husserl nomme le vécu d’un parfait remplissement une évidence 9.

L’acte intuitif a donc pour deuxième sens d’être donné de l’objet plus ou moins adéquat
et originaire, de manière à plus ou moins remplir la visée significative.

Or, en donnant l’objet à la visée significative, l’intuition ne fait pas que permettre à la
visée significative d’être, elle lui donne une preuve. Elle appuie la signification de l’objet
par la présence de la chose même. L’intuition a donc pour dernier sens d’être fondation
de la connaissance comme le supporte Husserl dans Les Idées directrices : « toute
intuition originaire est une source de droit pour la connaissance 10. » En ce sens, elle fait
en sorte que nous ne fassions faussement sens du monde autour de nous, en nous
présentant le monde et en appuyant nos réflexions sur ce monde par sa présence. Plus elle
donnera de l’objet et plus l’objet sera originaire, plus le sens que nous nous faisons du
monde sera rempli et plus notre connaissance se rapprochera de l’évidence.

2. Les formes de l’intuition

Pour Husserl, les relations intentionnelles ne se font pas que par la perception empirique
comme quand je regarde mon ordinateur. Les relations intentionnelles, l’intention et
l’intuition correspondante se font dans plusieurs modes. Je ne me rapporte pas au sens
d’un objet d’une seule façon. Je le perçois, je l’imagine, je le désire. À son tour, l’objet ne
se donne pas à moi d’une seule façon, il se donne de manière correspondante à ma visée,
en tant que perçu, qu’imaginé, que désiré. Husserl décrit ces différents modes de visées et
d’intuitions correspondantes : « Dans la perception, quelque chose est perçu, dans
8
Edmond Husserl, Recherches logiques tome 3, Paris, Presse universitaire de France, 1963, p. 123.
9
Edmond Husserl, Recherches logiques prolégomène à la logique pure tome 1, Paris, Presse universitaire
de France, p. 210.
10
Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, France, Gallimard, 1985, p. 78.

.3
l’imagination quelque chose est imaginé, dans l’énonciation quelque chose est énoncé,
dans l’amour quelque chose est aimé11. »

Les formes de l’intuition ont donc pour sens d’être les différentes façons par lesquels les
objets se donnent. Elles correspondent à nos visées intentionnelles, mais, elles ne sont pas
choisies par nous. Comme le soutient Husserl, c’est l’essence de l’objet qui détermine
dans quelle intuition l’objet peut se donner : « ces intuitions sont divisées en espèces,
comme le prescrit le sens de ces jugements ou l’essence propre des objets et des états-
de-choses impliqués dans le jugement12. » En ce sens, chaque objet a une essence. Selon
son essence, l’objet se donne d’une certaine façon, ou de plusieurs façons, comme fait
empirique, comme fait imaginaire, comme émotion, comme objet formel. Une licorne par
exemple ne peut être un fait empirique, mais qu’un fait imaginaire, un ordinateur peut
être fait empirique et imaginaire. Ces différentes façons qu’ont les objets de se donner
font en sorte qu’il existe plusieurs types de donations d’objet à la conscience, plusieurs
types d’intuitions. L’essence des objets prescrit donc différents types d’intuitions.
Emmanuel Levinas le soutient aussi dans son texte En découvrant l’existence avec
Husserl et Heidegger : « S’il est absurde que des sons soient vus ou des couleurs
entendues, il est tout aussi absurde que les formes catégoriales soient saisies comme des
couleurs et des sons ; chaque objet, précisément parce qu’il a un sens, n’est accessible
dans sa spécificité qu’à une pensée de type déterminée13. »

En plus d’être différentes et de dépendre de l’objet, les formes de l’intuition ne


permettent pas aux objets d’apparaître avec la même clarté et ne permettent pas aux
visées significatives de s’imprégner de l’objet au même niveau. Comme le soutient
Emmanuel Levinas dans Théorie de l’intuition dans la phénoménologie de Husserl :
« toute représentation ne pose pas son objet avec le même droit. Nous pouvons avoir
affaire, en effet à des objets purement imaginaires, et à d’autres '' seulement pensées ''14. »
Nous allons repasser les différentes formes de l’intuition afin de voir dans chacune le
type d’objet en question et de voir si ce dernier est donné adéquatement et en personne.

11
Edmond Husserl, Recherches logiques tome 2 2e partie, Paris, Presse universitaire de France, 1962, p.
168.
12
Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, France, Gallimard, 1985, p. 65.
13
Emmanuel Levinas, En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin, 1982, p. 27-28.
14
Emmanuel Levinas, Théorie de l’intuition dans la phénoménologie de Husserl, Paris, Vrin, 1984, p. 101.

.4
L’intuition catégorique est l’intuition par laquelle se donne le purement formel. Dans
cette intuition se donne à nous non pas des objets en tant qu’objets, mais les formes dans
lesquelles peuvent se donner les objets. Une telle intuition fait en sorte que se donnent à
nous les calculs, les lois logiques et tous les concepts purement formels dans lesquels les
objets s’insèrent comme le soutient Husserl : « dans le langage usuel, ensemble, pluralité,
indéterminées, totalités, nombres, termes disjonctifs, prédicats (l’être-juste), états de
chose deviennent ''objets'', et les actes au moyen desquels ils apparaissent comme donnés
deviennent ''perception''15. » La perception de ces formes est d’abord originaire. Quand
nous comprenons un problème de mathématique, ou un nombre nous comprenons
« l’objet » en lui-même et non à travers une autre étape, comme le soutient Husserl,
l’intention place le formel « lui-même sous nos yeux16 ». Puis elle est adéquate. Si un
calcul mathématique se donne à nous, que nous le comprenons, tout de « l’objet » formel
est présent et la visée est pleine. Il n’y a rien à rajouter à un calcul compris. C’est
pourquoi Husserl soutient dans les Prolégomènes à la logique pure que les calculs se
donnent dans l’évidence17.

L’intuition empirique pour sa part est l’intuition du sensible. Dans cette intuition se
donnent les objets autour de nous que nous percevons. C’est une intuition qui est
originaire. Dans l’intuition empirique, l’objet se donne directement. J’ai une vue de
l’objet tel qu’il est dans le monde, tel qu’il se donne en lui-même. Husserl le soutient :
« Nous avons une expérience originaire des choses physiques dans la ''perception
externe''18.» Cependant, l’intuition empirique n’est pas adéquate. Ce qui se donne dans
une telle intuition, c’est un fait, donc un être individuel, qui vaut pour le moment où je le
vois, mais qui ne vaut que pour ce moment, car il peut changer. De fait, rien ne m’assure
que le fait empirique va se répéter tel qu’il est, le soleil ne se lèvera peut-être pas demain,
nous n’avons pas de certitude sur les objets en tant que faits, j’ai inféré leur traits, mais ils
peuvent changer : « L’être individuel sous toutes ses formes est, d’un mot très général
''contingent''. Tel il est ; autre il pourrait être en vertu de son essence 19. » L’objet n’est
15
Edmond Husserl, Recherches logiques tome 3, Paris, Presse universitaire de France, 1963, p. 176.
16
Ibid., p. 175.
17
Edmond Husserl, Recherches logiques prolégomène à la logique pure tome 1, Paris, Presse universitaire
de France, p. 210-211.
18
Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, France, Gallimard, 1985, p. 15.
19
Ibid., p. 16.

.5
donc pas parfaitement donné, je ne vois qu’un fragment de l’objet, qui peut changer, ma
visée significative n’est pas remplie. Aussi, l’objet ne se donne que par esquisse dans la
perception. Si je regarde une table selon Husserl, cette dernière ne se donne que par un
certain côté et ne peut toujours se donner que par un côté, je n’ai jamais une perception
complète, mais changeante sur elle : « j’ai sans cesse conscience de l’existence corporelle
d’une seule et même table, d’une table qui en soi demeure inchangée. Or la perception de
la table ne cesse de varier ; c’est une série de perceptions changeantes 20. » L’intuition est
donc inadéquate aussi parce que l’objet empirique ne se donne pas sous toutes ses faces
en même temps et ne permet à la visée de cerner complètement l’objet physique. La
table comme objet empirique se donne aussi comme souvenir, j’ai souvenir de ce que je
ne vois pas et je fais une synthèse de vu et non-vu pour former l’objet : « Seule la table
est la même : je prends conscience de son identité dans la conscience synthétique qui
rattache la nouvelle perception au souvenir 21. » Mais, ce souvenir n’est pas originaire, il
ne permet pas d’avoir un accès originaire à toutes les faces cachées de l’objet.

L’intuition imaginative est l’intuition des objets imaginés, souvenus. Une telle intuition
n’est pas originaire. L’objet ne se donne en personne, mais en image, il est reproduit.
Aussi, dans cette imagination, l’objet ne se donne que par esquisse comme dans la
perception, je ne peux imaginer l’objet au complet comme le soutient Husserl : « Elle
aussi [la représentation imaginative] reproduit elle-même objet, tantôt sous tel aspect,
tantôt sous tel autre ; à la synthèse de perceptions multiples dans lesquelles c’est toujours
le même objet qui vient à se présenter en personne correspond la synthèse d’imagination
multiple dans lesquelles ce même objet vient à se présenter en image 22. » De fait, la
madeleine que je me souviens de mon enfance n’est pas présente comme elle l’était
quand j’étais petit, devant moi et la signification que j’en fais n’est toujours que par
esquisse, je ne la cerne jamais complètement dans mes souvenirs, mais que par face.

Les intuitions des vécus internes pour leur part sont des intuitions de nos sentiments et de
tous nos vécus. De telles intuitions sont originaires pour Husserl, car nous avons une vue
directe de nos états internes, ils se donnent directement : « nous avons une expérience

20
Ibid., p. 131.
21
Ibid., p. 131.
22
Edmond Husserl, Recherches logiques tome 3, Paris, Presse universitaire de France, 1963, p. 77.

.6
originaire de nous-même et de nos états de conscience dans la perception dite interne ou
perception de soi23. » Ces intuitions sont aussi adéquates pour Husserl, car nous sommes
en adéquation avec notre vécu. Le philosophe s’oppose justement au psychologue Watt
qui soutient que nous ne connaissons pas nos vécus. Il commence par le citer dans les
Idées directrices pour une phénoménologie : « Vivre, chacun en dernier ressort le fait.
Seulement il ne le sait pas. Et s’il le savait, comment pourrait-il savoir que son vécu est
en vérité absolument tel qu’il pense qu’il est ? 24. » Puis il répond que ne pas voir nos
vécus avec évidence pousse à des positions absurdes comme celle d’ignorer que je
regarde ce livre en ce moment si je le regarde 25. Le vécu est donc donné en personne et
adéquatement.

Le vécu des autres, par contre, n’est pas donné de manière originaire. Je ne vois pas
directement ce que l’autre pense, regarde et ressent : « Nous apercevons (anseehen) les
vécus d’autrui en nous fondant sur la perception de ses manifestations corporelles. Cette
aperception par intropathie est bien un acte intuitif et donateur, mais non plus donateur
originaire26. » Or, n’étant originaire, la donation n’est pas adéquate. Je ne peux tout
cerner de ce que vit l’autre si je ne le vois pas en personne.

Le dernier type d’intuitions est l’intuition des essences. Par cette intuition se donnent à
nous les traits essentiels des objets. De tels traits existent bel et bien pour le philosophe,
les objets qui se donnent à nous ne sont pas que de simples êtres individuels ils ont une
essence, parce que sans certains traits ils ne seraient plus considérés comme ce qu’ils
sont : « Un objet individuel n’est pas simplement un ''ceci là'' (ein Dies da!), quelque
chose d’unique ; du fait qu’il a ''en soi-même'' telle ou telle constitution, il a sa spécificité,
son faisceau permanent (seinen Bestand) de prédicats essentiels qui lui surviennent
nécessairement (en tant '' qu’il est tel qu’en soi-même il est'') 27. » Chacun peut atteindre
l’essence des objets en effectuant une réduction eidétique. Une telle réduction nécessite
de prendre l’objet et de le faire varier par imagination jusqu’à ce que certains traits en lui
restent tout le temps et confirment ainsi qu’ils sont essentiels et non accessoires 28. Par
23
Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, France, Gallimard, 1985, p. 15.
24
Ibid., p. 260.
25
Ibid., p. 263.
26
Ibid., p. 15
27
Ibid., p. 17-18.
28
Edmond Husserl, Recherches logiques tome 2 2e partie, Paris, Presse universitaire de France, 1962, p. 17

.7
exemple, si je prends mon ordinateur et que je le fais varier par imagination dans plein de
contextes, que j’imagine dans l’espace, dans l’océan, avec du poil dessus, peu importe, il
reste au moins une étendue ce qui fait donc partie de son essence. Cependant, il peut
changer de couleur, sa couleur est donc accessoire. Quand la réduction eidétique est
achevée et réussie, une telle intuition est originaire, l’objet m’est donné en chair et en os,
directement, parce que je vois directement son essence. Puis, elle est adéquate, car toute
la visée significative de l’objet est remplie. L’essence de l’objet m’est donnée, je peux
donc faire sens jusqu’au bout de l’objet, le cerner complètement29.

Bref, les formes de l’intuition sont les différentes façons par lesquels un objet peut se
donner à la conscience. Ces façons par lesquels l’objet se donne sont déterminées par
l’essence même de l’objet, car c’est l’essence de l’objet qui détermine s’il se donne
comme vécu interne, comme fait empirique, imaginaire, comme essence ou comme objet
formel. Une équation mathématique se donnera de manière formelle, tandis qu’un
centaure se donnera dans l’imaginaire et en tant qu’essence. Aussi, chaque type
d’intuition donne l’objet de manière plus ou moins adéquate et originaire. Or, plus un
objet est donné de manière adéquate et originaire, plus il est apte à fonder la connaissance
sur lui-même. Certaines intuitions, les intuitions catégoriales par exemple, sont donc plus
aptes à fonder la connaissance.

3. Le rôle de l’intuition

Pour Husserl, un premier rôle de l’intuition est de corriger l’erreur des empiristes tout en
continuant leur avancée vers la connaissance. En effet, les empiristes pour Husserl ont
exercé une avancée dans le domaine de la connaissance. Ils ont délaissé toutes thèses sur
le monde qui ne se rapportait pas aux choses mêmes. Ils ont alors épuré la connaissance
des objets de tous les présupposés métaphysiques, qui ne se rapportaient pas à ces mêmes
objets. Cependant, en essayant de fonder tout savoir sur les choses même, les empiristes
ont commis l’erreur de croire que les choses ne se donnaient que par l’expérience
sensible et que le seul type d’objet connaissable était les faits empiriques : « La faute
cardinale de l’argumentation empiriste est d’identifier ou de confondre l’exigence
fondamentale d’un retour ''aux choses (Sachen) mêmes'', avec l’exigence de fonder toute

29
Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, France, Gallimard, 1985, p. 20.

.8
connaissance dans l’expérience30. » Ils ont alors manqué le fait que les objets se donnent
autrement que comme fait empirique et que certains objets ne se donnent même pas
comme faits empiriques : « En limitant les au nom de sa conception naturaliste le
domaine des ''choses'' connaissables, il tient pour acquis sans autre examen que
l’expérience est le seul acte qui donne les choses mêmes. Or les choses ne sont pas
purement et simplement les choses de la nature 31. » Les empiristes sont alors arrivés à
l’idée absurde que les idées logiques sur lesquelles se fonde leur théorie n’étaient que le
résultat de processus psychiques, puisqu’elles devaient nécessairement se donner comme
faits empiriques32. Ils ont mis en péril le caractère certain et évident du purement formel
en le faisant passer pour des faits empirique, ils ont mis en jeu la validité de la logique.

Husserl a alors tenté de corriger le tir des empiristes tout en conservant leur volonté de se
débarrasser des présupposés pour fonder la connaissance. Par l’intuition, il fonde la
connaissance en retournant aux choses mêmes telles qu’elles se donnent immédiatement
et non seulement en tant que fait empirique : « C’est la ''vision'' immédiate, non pas
uniquement la vision sensible, empirique, mais la vision en général, en tant que
conscience donatrice originaire sous toutes ses formes, qui est l’ultime source de droit
pour toute affirmation rationnelle33. » Cette nouvelle fondation de la connaissance sur la
chose même lui permet de développer un savoir des différents objets basé sur la réelle
donation des objets. Elle lui permet de connaître les objets qui se donnent comme fait
empirique en tant que faits empiriques, les objets formels en tant que formel, etc.

Husserl vise même dans cet effort de fonder non pas de simples connaissances, mais
plusieurs sciences. Il cherche à développer des sciences à partir de chaque donné, donc
une science sur les faits empiriques, mais aussi une science de l’imaginaire, une science
du formel, une science des vécus interne, même si les sciences de la nature cherchent à
conserver le monopole de la recherche rigoureuse : « Si par ''positivsme'' on entend
l’effort absolument libre de préjugés, pour fonder toutes les sciences sur ce qui est
''positif'', c’est-à-dire susceptible d’être saisi de façon originaire, c’est nous qui sommes
les véritables positivistes. Nous ne laissons effectivement aucune autorité restreindre
30
Ibid., p. 65.
31
Ibid., p. 65.
32
Ibid., p. 70.
33
Ibid., p. 66.

.9
notre droit à reconnaitre dans tous les types d’intuitions des sources de droit pour la
connaissance dotée d’une égale dignité – pas même l’autorité des ''sciences modernes de
la nature''34.» L’intuition sert donc à créer de nouvelles sciences fondées non plus sur le
seul donné empirique, mais sur tous les types de données qui permettra une connaissance
rigoureuse de chacun d’eux.

Dans ces sciences qui étudient les objets tels qu’ils se donnent, Husserl proclame aussi la
naissance d’une nouvelle science, la science eidétique. Par cette dernière, le philosophe
veut étudier les essences mêmes des choses et alors acquérir une connaissance adéquate
et originaire de ces dernières. Par cette science, l’homme sera capable d’énoncer des
principes sur les choses, comme le fait l’empiriste qui dit que les énoncés sur des faits
empiriques doivent être vérifiés à l’aide de l’expérience sur ces faits. Il le fera en rendant
clair le sens des expressions du principe et en montrant que ces expressions ont pour
essence ce que dicte le principe35. La connaissance des différents types d’objets
s’améliora. Mais ses connaissances des objets en général s’amélioreront aussi, car
l’homme sera capable, par l’intuition eidétique, d’accéder aux essences des objets et de
déterminer des principes assumés sur eux. Le retour aux choses sera alors poussé
jusqu’au bout.

Ainsi, l’intuition a pour rôle de fonder la visée significative et donc la connaissance de


l’objet en donnant l’objet de manière plus ou moins adéquate à la conscience. Cette
donation de l’objet peut se faire sous différentes formes. Elle peut être faite par l’intuition
catégoriale, si l’objet se donne comme chose formelle. La perception sera alors adéquate
et originaire. Elle peut être faite par la perception si l’objet se donne comme fait
individuel. La perception est alors inadéquate, mais originaire. L’intuition peut aussi être
celle de l’imagination, si l’objet se donne comme imaginé. L’intuition peut sinon être
celle d’un vécu interne adéquat et originaire s’ils viennent du sujet, mais inadéquat et
indirecte s’ils viennent de l’autre. La perception peut finalement être adéquate et
originaire si c’est une intuition des essences. Les différents types d’intuitions par lesquels
chaque objet se donne sont dictés par l’essence des objets. Le rôle de l’intuition en
séparant toutes ces différentes façons qu’ont les choses de se donner est d’abord d’éviter
34
Ibid., p. 69.
35
Ibid., p. 79.

.10
l’erreur des empiristes de penser que les objets se donnent tous par l’expérience et que la
connaissance doit justement se fonder que sur l’expérience empirique. L’intuition permet
de voir qu’il existe plusieurs types de donation d’objets et que la connaissance pour
rendre compte de ses objets doit les étudier tel qu’ils se donnent. Elle permet de créer une
science des différents types de donation d’objets et non du seul donné empirique.
Finalement, son rôle est aussi de retourner à l’essence des choses pour bâtir des principes
assumés sur ces objets et développer la connaissance.

.11

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