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Revue Philosophique de Louvain

Adriano Fabris, Linguaggio délia rivelazione. Filosofia e teologia nel


pensiero di Franz Rosenzweig
Fabio Ciaramelli

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Ciaramelli Fabio. Adriano Fabris, Linguaggio délia rivelazione. Filosofia e teologia nel pensiero di Franz Rosenzweig. In:
Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 89, n°84, 1991. pp. 684-687;

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ture, sans plus. Il n'existe dès lors, par exemple, pas de monde en soi:
parler de l'univers signifie directement parler du nôtre et de celui de
Dieu. On ne peut parler de l'un sans jeter immédiatement des
pas erelles vers les deux autres.
Cette cure par le verbe replace l'homme dans le mouvement où la
vie se dérobe au lieu d'être, dans le mouvement du réel qui est tissu, sans
cesse renouvelé de relations, avec leurs modes d'approche et d'éloigne-
ment, de perception et d'expression, d'action et de contemplation, de
veille et de sommeil, de prière et d'action de grâce. Car le langage est le
seul compagnon extérieur de toute chose, personne ou événement, qui
lui emboîte immédiatement le pas pour le porter dans le flux de la vie
qui est tissu de relations. Lui seul permet de replacer l'homme dans sa
vie, vie difficile, certes, car confrontée à la mort et à son angoisse, mais
vie pleine de rencontres et d'événements qui, par-delà la lassitude et la
déception du quotidien, dessine petit à petit et pas à pas dans la
patience de son exigence la figure souriante d'un Visage attentif.

Edouard Robberechts.

Adriano Fabris, Linguaggio délia rivelazione. Filosofia e teologia


nel pensiero di Franz Rosenzweig (Ricerche, Studi e Strumenti. Filosofia,
15). Un vol. de 21x16 de 159 pp. Gênes, Marietti, 1990. Prix:
30.000 L.
Dans un essai très fermement pensé et très bien écrit, A. Fabris
parcourt l'ensemble de l'œuvre de Franz Rosenzweig et, en s'aidant
d'une connaissance remarquable du débat philosophique et théologique
contemporain ainsi que de son enracinement dans les problématiques
de l'idéalisme allemand, interroge les enjeux spéculatifs et aporétiques
de la nouvelle manière de penser proposée et inaugurée par
Rosenzweig. Ce qui permet d'aborder le noyau de l'innovation théorique
pratiquée à partir de la première guerre mondiale jusqu'à sa fin
prématurée en 1929 par cette figure singulière de spécialiste de Hegel
qui soudain redécouvre son appartenance au judaïsme et consacre la
dernière partie de sa vie à la recherche d'une nouvelle manière
d'articuler foi et savoir, philosophie et théologie, judaïsme et christianisme,
c'est la question du langage. Il s'agit, comme on sait, d'une question
centrale dans la pensée contemporaine, où elle reçoit les traitements les
plus variés dans diverses disciplines, mais dont on peut voir chez
Rosenzweig, d'une certaine manière à l'état naissant, une formulation et
un déploiement qui anticipent sur quelques paradoxes auxquels la
pensée heideggerienne et post-heideggerienne nous auront habitués.
Qu'on nous permette d'évoquer cette question dans ses termes les
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plus généraux et les plus problématiques: comment est-il possible, dans


le cadre d'une pensée voulant «dépasser» la tradition philosophique et
théologique jugée incapable de faire droit à la différence et à la
transcendance qui la débordent, comment est-il possible de dire cela
même qui se refuse au concept? Si le langage et la conceptualité de la
tradition s'avèrent étroitement solidaires du geste de refus et de
réduction de la différence et de la transcendance, où trouver les ressources
pour penser et dire la concrétude et l'excellence de leur irréductibilité?
Situation paradoxale et aporétique, qui n'est pas toujours
explicitée et formulée par Rosenzweig, mais dont il est possible — à la
lumière de sa thématisation dans la pensée contemporaine — de
montrer la présence, la pertinence et la signifiance au cœur même du
projet de la «nouvelle pensée», poursuivi par le penseur de Kassel.
Le mérite philosophique majeur de l'essai de Fabris consiste
précisément à serrer de près, dès le début de son ouvrage et jusqu'à sa fin, la
corrélation étroite entre cette question le plus souvent implicite et les
développements positifs des analyses de Rosenzweig, soit dans L'étoile
de la rédemption, soit dans ses autres textes maintenant disponibles dans
les Gesammelte Schriften parus chez Nijhoff. Toutefois, malgré sa
familiarité avec l'œuvre de Rosenzweig dans ses moindres détails, et
malgré l'attention réservée à la littérature secondaire, Fabris n'écrit ni
un commentaire ni une paraphrase mais reste toujours fidèle à sa
question propre, à partir de laquelle il interroge l'articulation et les
tensions de la «nouvelle pensée».
Compte tenu de son caractère à la fois philosophique et
théologique, il s'agit avant tout de définir la nouveauté de cette pensée sur les
deux versants. Au niveau philosophique, il n'y a pas de doute: le
réfèrent polémique est l'idéalisme hégélien — l'œuvre du plus grand des
philosophes allemands à laquelle Rosenzweig avait consacré, à l'époque
de ses études avec F. Meinecke avant la guerre, une monographie
remarquable {Hegel und der Staat, qui cependant ne fut publiée qu'en
1920). Hegel est vu par Rosenzweig comme l'aboutissement de la
philosophie occidentale d'origine grecque, et de ses efforts
d'universalisation et de totalisation; à cela, il oppose une sensibilité d'origine juive,
visant à sauvegarder ce qui déborde et excède la totalisation, ce qui
échappe à l'universalisation, ce qui se refuse à la réduction spéculative.
Le judaïsme n'est pas considéré ici dans ses contenus dogmatiques ou
théoriques, mais comme une attitude vécue qui apporterait une
perspective ou un point de vue irréductibles à la philosophie et capables de la
mettre en question. De l'autre côté, sur le plan théologique, il est moins
aisé de déterminer à quoi s'oppose la nouvelle pensée. Fabris propose
d'y voir en général un refus de ce que Rosenzweig appellait en 1914
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«atheistische Théologie», à savoir une théologie sans Dieu, une


théologie qui se propose de comprendre le divin comme une pure et simple
auto-projection de l'humain, en détruisant par là la transcendance. Une
telle position se retrouve aussi bien dans la théologie chrétienne que
dans la juive, et il s'agit de revendiquer contre les deux une disparité
irréductible entre homme et Dieu, à partir de laquelle la révélation
acquiert sa valeur et son poids véritables. Le contenu de la révélation
est accueilli et reçu par l'homme, et non pas produit et projeté par lui.
On peut maintenant voir dans quel sens la question du langage
s'avère centrale dans les deux versants de la nouvelle pensée. Car, au
plan philosophique, le refus de la totalité hégélienne — aboutissement
d'une approche philosophique insensible à la singularité de l'événement,
de l'individuel, de Firrépétable — s'axe autour du refus du concept et de
la recherche d'un langage capable de dire ce qui se dérobe au concept.
Mais, à y regarder de près, la revendication de la révélation provenant
de la transcendance de Dieu et accueillie par l'homme, pose tout de
suite le problème de son expression dans un langage qui se refuse à
soumettre son objet à la maîtrise du concept. Sur les deux plans se pose
donc le problème d'une pensée capable d'exprimer le réel sans le trahir.
«La question du langage de la révélation, du langage de l'événement, la
possibilité d'exprimer un devenir sans le figer moyennant des assertions
identifiantes» (p. 21), représente donc le point d'intersection et de
liaison entre philosophie et théologie, dans la pensée nouvelle annoncée
et poursuivie par Rosenzweig.
Même si les analyses toujours sûres et très claires de Fabris visent
précisément à interroger cet enchaînement réciproque de philosophie et
de théologie, elles ne négligent pas la discussion du statut et de la teneur
de sens spécifiques à chacune des deux disciplines. Le refus de l'hégélia-
nisme — qui va de pair, cependant, avec une persistante intention
systématique où l'on peut voir l'influence du dernier Schelling et aussi,
comme Fabris le suggère au passage (pp. 36-37), une certaine reprise de
Spinoza — part de la réflexion sur la notion aporétique du «Nichts»,
qui s'annonce de manière immédiate dans l'expérience de la mort et qui
permet de revendiquer une possibilité de la signification extérieure à
toute positivité, étrangère à la sphère du Tout, irréductible au cercle du
système. Il en résulte une relativisation de la totalité à laquelle aspirait
l'idéalisme hégélien, et en même temps une production originaire de la
réalité dans trois éléments irréductibles entre eux, incapables de faire
système, dotés d'une signification ultime dans leur respective autonomie
spéculative. Ces trois éléments sont, comme on sait, l'homme, le monde
et Dieu, dont la philosophie peut saisir l'individualité irréductible —
résultant de l'éclat de la totalité — mais qu'elle est incapable de mettre
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en rapport entre eux. Toutefois, la concrétude de l'expérience humaine


est le paradoxe vécu d'une relation ou d'un rapport toujours déjà
entretenu entre ces trois dimensions de la réalité dont la conceptualité
philosophique ne peut que souligner la séparation. C'est le propre de la
théologie — ayant recours aux notions de création, révélation et
rédemption — d'apporter les moyens spéculatifs adéquats à une
compréhension de la relation entre les trois éléments de la réalité, qui —
sans les rendre réciproquement corrélatifs — en sauvegarde
l'ir éductibilité mutuelle.
Entre philosophie et théologie il n'y a donc aucune synthèse, mais
un accord et un recoupement basés sur leur autonomie et sur leur
nécessité. Les trois éléments de la réalité et le mouvement de leur
«rapport» exceptionnel doivent être exprimés aussi bien par la
philosophie que par la théologie: en effet, la première, «même transformée par
la rupture de la totalité idéaliste et par l'expérience de l'excès réciproque
de ses concepts fondamentaux, n'est pas à même de saisir la concrétude
de ce qui n'est tour à tour présent qu'à l'intérieur d'un rapport. Une
tâche pareille, par contre, c'est la théologie qui peut l'assurer», une
théologie sans doute «modifiée et renouvelée afin d'exprimer la liaison
dynamique des trois éléments» (p. 96).
Il est dès lors légitime de s'interroger — et c'est sans doute là la
partie la plus originale et la plus personnelle du questionnement de
Fabris — sur le statut philosophique de la nouvelle pensée, et
notamment sur ses aspects «logiques», à savoir sur la possibilité d'exprimer
d'une façon qui ne soit pas objectivante et conceptuelle — mais
toujours obligée de recourir à un langage enraciné dans la tradition —
les contenus et les événements liés à l'expérience de la foi, thématisés
par la théologie (cfr. p. 88). Le problème philosophique majeur posé
par le langage de la révélation concerne ainsi le rapport entre le contenu
du vécu humain — la concrétude d'une expérience exceptionnelle, qui
n'est pas cependant une expérience mystique mais l'expérience
quotidienne de l'irréductibilité de la réalité au concept — et le caractère
formel et logique de la connaissance et de la dimension linguistique.
Comment est-il possible de «structurer et [d']exprimer la contradiction
entre un contenu et sa manifestation: voilà le problème philosophique
radical posé par le «langage de la révélation» (p. 124). Malgré l'apport
décisif des dimensions extra-philosophiques, c'est finalement toujours à
la philosophie — à une philosophie qui surveille son discours et qui
n'oublie pas son caractère problématique — que revient la tâche
d'approfondir «ce logos qui articule le caractère dynamique d'un
contenu privilégié, sans toutefois qu'un tel contenu ne se résolve tout à
fait dans sa manifestation» (ib.; cfr. aussi pp. 136-137).

Fabio Ciaramelli.

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