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Faculté des lettres et des sciences humaines Chouaib Doukkali

Département de langue et littérature française

Master : culture et littérature francophone moderne

Module : poétique et esthétique comparées

Le temps dans « la Route des Flandres » de Claude Simon

Encadré par : Monsieur. EL Mahi Réalisé par : RAZZOUKI Aziza

Année universitaire : 2023/ 2024


Le plan

Introduction :

I. L’entremêlement du temps dans la route des Flandres

II. Le refus de la chronologique n’est pas une abolition du temps

III. Le personnage simonien médiateur du temps

IV. le temps de l’écriture

V. Le temps et sa relation avec l’espace

VI. Le temps historique et la géographie

VII. Le temps cyclique

VIII. Le temps sensoriel

IX. : Le temps mémorial

Conclusion :
Introduction :

La "Route des Flandres" est un roman de l'écrivain français Claude Simon,


lauréat du prix Nobel de littérature en 1985. Publié en 1960, le livre est connu pour son
style expérimental et son utilisation novatrice de la narration. L'œuvre de Simon est
souvent associée au Nouveau Roman un mouvement littéraire émergeant dans la
seconde moitié du XXe siècle, qui se caractérise par un rejet des formes traditionnelles
de narration, par une remise en question des formes narratives traditionnelles et une
exploration de la subjectivité.

La Route des Flandres" comme beaucoup d'œuvres du Nouveau Roman,


présente une approche particulière du temps. L'auteur utilise une narration non linéaire
et fragmentée pour représenter le flux de la conscience humaine et pour refléter les
expériences subjectives des personnages. Il donne naissance à un nouveau langage
temporel, où le temps se distend, se plie, et se dérobe aux conventions. Dans ce
paysage littéraire, chaque mot est une molécule temporelle, chaque phrase une
exploration du temps subjective. Nous allons donc voir quelques aspects liés à la
représentation du temps dans le roman.
I. L’entremêlement du temps dans la route des Flandres :

Avant d’aborder les différents types de temps, il serait nécessaire de parler de


l’organisation temporelle générale du roman « la route des Flandres » Plusieurs
périodes s’entremêlent constamment dans le roman, à tel point que l’auteur à éprouver
lui-même le besoin de fixer par un schéma des différentes périodes. Les différents
moments du roman peuvent être répartis en trois périodes.

 La première période : c’est le présent du roman apparait comme une


prolepse cinq ans plus tard

C’est un récit qui s’étend sur neuf mois de l’hiver de 1939 à L’automne de 1940 ,
il alterne le 1 er et la 3 ème personne, là on parle d’un cantonnement dans le nord de la
France, non loin de la route des Flandres,: C’est là qu’intervient le tout premier
incident avec la lettre de Sabine à De Reixach, et La dispute entre les paysans.

En juin1940 :

 Georges le seul survivant d’une embuscade au cours de laquelle l’ensemble du


régiment sera tué.
 Le suicide de Reixach. Georges et Iglésia sont faits prisonnier
 L’automne de 1940 : Georges et Iglésia sont transférés en Allemagne

 Deuxième période : Une première couche de passé : (une première


analepse)

Les années qui précédent la guerre de 1936 à 1939 constituent une première
analepse dont les évènements majeurs sont :

 Le mariage de Reixach avec Corine


 La tremperie de Corine avec un jocky Iglésia
 La course manqué de Reixach
Troisième période Une seconde couche du passé, beaucoup plus ancienne
qui remonte au 18 ème siècle (une deuxième analepse)

Elle représente une sorte de préparation à l’histoire de Reixach : un homme mal


marié, trompé par sa femme avec un valet, et qui se suicide pour des motifs plus au
moins énigmatiques

II. Le refus de la chronologique n’est pas une abolition du temps :

Le nouveau roman duquel gravite Claude Simon a inversé, rédupliqué, et


bouleversé les modalités temporelles qui caractérisent les paradigmes du roman
traditionnel. Le temps chronologique n’est pas le seul temps convenable pour la
fiction. Celle-ci est capable d’inventer ses propres mesures temporelles. La
déchronologisation , et la dé linéarisation ne signifie pas l’abolition du temps, mais au
contraire le roman simonien est hanté par lui au niveau du récit ,comme de l’histoire.
« La route des Flandres » est voyage dans le passé et la mémoire, c’est l’histoire
collective des guerres meurtrières et des instabilités politiques. Claude Simon refuse
le temps chronologique, le temps des horloges car selon lui, il n’est pas conforme à la
façon dont les choses se présentent dans la mémoire.

La route des Flandres selon Simon lui-même est « la description


fragmentaire d’un désastre »l’univers narratif se construit selon le mécanisme de la
mémoire sur une succession de moments remémorés qui ne constituent aucunement
une progression temporelle, car ils sont empruntés à des époques différentes. Ainsi
toute discontinuité narrative renvoie à une discontinuité temporelle.

III. Le personnage simonien médiateur du temps :

Les personnages de "La Route des Flandres" ne sont pas simplement des
agents qui vivent dans le temps, mais ils sont également des médiateurs du temps.
Leurs expériences individuelles influent sur la manière dont le temps est perçu et
représenté dans le récit. Chaque personnage, en fonction de sa mémoire et de ses
émotions, façonne le temps à sa manière. Les flashbacks et les analepses, souvent
associés aux pensées des personnages, révèlent comment le temps est continuellement
reconstruit à travers le filtre de la mémoire individuelle.

Nous avons l’exemple de Georges et Sabine qui ont pour fonction de dévoiler
l’histoire familiale, l’histoire généalogique, et les drames ancestraux. Ils reconstituent
histoire de l’ancêtre de Reixach, sa défaite dans la guerre, son suicide …grâce à ces
deux personnages « un pont est ainsi jeté entre passé historique et mémoire par le récit
ancestral, qui opère comme un relais de la mémoire en direction du passé historique,
conçus comme temps des morts, et temps d’avant ma naissance. »

IV. le temps de l’écriture :

Le choix du temps du présent comme un temps de l’écriture est justifié par


Claude Simon de la sorte : « on n’écrit (ou ne décrit) jamais quelque chose qui s’est
passé avant le travail d’écrire,( ….) Se produit au cours de ce travail, au présent de
celui-ci » Le présent de l'écriture dans le roman peut être décrit comme une tentative
de capturer le flux de la conscience humaine, sans se soucier nécessairement de la
chronologie traditionnelle. Cela crée une atmosphère d'incertitude et de fragmentation,
reflétant peut-être les thèmes plus larges du roman, tels que la nature subjective de la
mémoire et la difficulté de reconstituer l'histoire de manière linéaire. .

Les flashbacks, les retours en arrière et les avancements rapides dans le temps
contribuent à brouiller les frontières entre le passé, le présent et le futur. Cette
approche souligne comment l'histoire est constamment réinterprétée à la lumière du
présent.

V. Le temps et sa relation avec l’espace :

Le concept espace-temps est indispensable à la compréhension du roman


simonien. Pour chaque personnage un temps est toujours lié à un lieu. Ainsi par
exemple pour Georges la période de l’enfance est associée à la maison familiale où
l’enfant Georges a entendu les légendes familiales raconté par sa mère Sabine. Le lieu
revoie à des moments paisibles dans la mémoire de Georges.
Ainsi le héros simonien déduit l’heure à partir de la position du soleil et des
ombres comme Georges qui conclut : « le soleil se trouve dans la position du Sud-
ouest, donc environ deux heures de l’après-midi ». C’est donc l’espace qui permet de
mesurer le temps à travers le mouvement.

Chez Claude Simon le temps et l’espace s’interchangent au présent de


l’énonciation, même si l’espace-temps présent est celui où s’engage le processus de
mémorisation ou d’anticipation, s’en trouve parfaitement gommé. Ainsi l’exemple
extrême de cette abolition du repérage spatio- temporel présent est celui de Georges. Il
est impossible de répondre aux questions : où et quand Georges parle-t-il ? Où et
quand se souvient –il ?

VI. Le temps historique et la géographie

Dans "La Route des Flandres" le temps et l'histoire sont des thèmes centraux,
étroitement liés à la géographie .L'œuvre de Simon, explore la manière dont le temps
et l'espace se mêlent et se superposent

Les personnages simoniens sont profondément influencés par l'histoire


personnelle qui se déroule dans des lieux spécifiques. « les Flandres » « la maison
familiale » La géographie devient le décor où se déploient les événements, mais elle
est aussi façonnée par les expériences passées des personnages. Les lieux deviennent
des réceptacles de mémoire, portant les traces des histoires individuelles et collectives.

Le contexte de la Seconde Guerre mondiale est essentiel dans "La Route des
Flandres". La guerre agit comme un élément structurant qui influence la temporalité du
récit. Les événements de la guerre résonnent à travers le temps, créant des connexions
entre les différentes époques. Les descriptions des batailles, des destructions et des
conséquences de la guerre révèlent également l'impact physique et psychologique sur
la géographie.

La description détaillée de la géographie, en particulier des paysages des


Flandres, joue un rôle crucial. La topographie devient le témoin silencieux des
événements historiques. Les champs, les rivières et les villages portent les cicatrices de
l'histoire,. Les lieux sont porteurs de temps et de mémoires. Le temps simonien
s’infiltre dans la conscience des lieux.

VII. Le temps cyclique :

Claude Simon a souvent exploré le temps de manière cyclique dans ses romans.
Sa conception du temps se distingue par une approche non linéaire et fragmentée, et il
utilise des motifs récurrents pour créer une sensation de répétition et de circularité.

Cela est visible à travers des répétitions et des motifs récurrents tout au long de ses
œuvres. Ces éléments peuvent être des images, des événements ou des phrases.

La répétition crée une sensation de retour, suggérant que le temps ne progresse


pas simplement linéairement, mais qu'il tourne en boucle. Un exemple frappant du
temps cyclique peut être observé à travers la thématique de la guerre, en particulier de
la Seconde Guerre mondiale. L'événement de la guerre agit comme un motif récurrent
qui revient de manière cyclique, influençant la vie des personnages à différentes
époques. L’exemple le plus frappant est celui de l’ancêtre Reixach au 18 ème siècle
et de Reixach, au20 siècle, les mêmes évènements reviennent tremperie, défaite puis
suicide, ces deux personnages ont subi le même sort, et portent le même nom. Ce cycle
de illustre comment le passé continue d'exercer son influence sur le présent et le futur,
créant une temporalité qui semble se répéter.

Un autre exemple particulièrement marquant est la manière dont les


personnages sont touchés par la guerre à différentes époques de leur vie. Les souvenirs
de combats, de pertes et de traumatismes de la guerre se manifestent de manière
cyclique à travers les générations, affectant les descendants des soldats. Les
réminiscences de la guerre se transmettent comme un héritage invisible, créant des
parallèles frappants entre les différentes époques du roman.

De plus, la présence de lieux géographiques spécifiques liés à la guerre, comme


les champs de bataille ou les villages détruits, contribue à renforcer ce sens de la
récurrence. Ces lieux deviennent des points de convergence temporelle où les
événements du passé résonnent dans le présent. Les personnages, en interagissant avec
ces lieux, réactivent le cycle temporel de la guerre, soulignant ainsi la continuité de
son impact à travers le temps.

VIII. Le temps sensoriel :

Le temps sensoriel est une dimension importante dans « la Route des


Flandres" Claude Simon utilise capture les expériences sensorielles des personnages
et pour représenter le temps à travers les perceptions subjectives.

Il plonge le lecteur dans des expériences sensorielles riches et détaillées. Les


descriptions des paysages, des sons, des odeurs et des sensations tactiles sont utilisées
pour recréer l'atmosphère et l'environnement dans lesquels se déroulent les
événements.

Egalement les souvenirs des personnages sont souvent liés à des stimuli sensoriels
spécifiques. Les odeurs, les goûts ou les sons peuvent déclencher des flashbacks ou
des associations, créant une représentation sensorielle du passé dans l'esprit des
personnages

Les descriptions sensorielles contribuent à la subjectivité temporelle du roman.


Le temps n'est pas seulement une mesure objective, mais il est vécu et ressenti de
manière individuelle par les personnages, en fonction de leurs expériences sensorielles
uniques. Claude Simon utilise parfois des motifs sensoriels récurrents tout au long du
roman. Certains sons, odeurs ou sensations peuvent être répétés, créant une continuité
sensorielle

Le temps sensoriel devient ainsi un moyen de saisir l'expérience humaine dans toute
sa richesse et sa subjectivité.

IX. Le temps mémorial :

Le temps mémorial est une thématique centrale qui explore la persistance des
souvenirs à travers les générations. Les personnages sont enveloppés dans une
temporalité où le passé demeure vivant, influençant leur présent de manière
significative. Ce temps mémorial est illustré chez certains personnages
Comme Georges dont La mémoire est hantée par les souvenirs de la guerre, en
particulier la bataille des Flandres. Ces souvenirs réapparaissent à différents moments
du récit, qui donne lieu à une continuité mémorielle qui transcende le temps linéaire.

Les descendants des soldats impliqués dans la guerre portent le poids des
souvenirs de leurs ancêtres. Les traumatismes et les répercussions de la guerre se
manifestent à travers les générations, illustrant comment le passé continue de modeler
le présent.

Certains lieux géographiques, tels que les champs de bataille, agissent comme
des dépositaires mémoriels. Les personnages interagissent avec ces lieux, déclenchant
des flashbacks et des réflexions qui révèlent la permanence du passé dans le présent.
En somme, le temps mémorial dans "La Route des Flandres" est manifeste à travers la
manière dont les souvenirs de la guerre persistent et résonnent chez les personnages.

Conclusion :

La Route des Flandres" de Claude Simon offre une exploration profonde du


temps, transcendant les conventions narratives traditionnelles pour créer une œuvre où
le temps n'est pas une ligne droite, mais plutôt un tissu complexe d'expériences, de
mémoires et d'interactions. À travers une prose innovante et une temporalité non
linéaire, l'auteur crée un espace littéraire où le passé, le présent et le futur s'entrelacent
et coexistent. Les personnages, en tant que médiateurs du temps, façonnent et
réinterprètent continuellement l'histoire, révélant la subjectivité inhérente à la
perception du temps.

L'utilisation de flashbacks, d'analepses et de la spatialisation du temps contribue


à créer une expérience de lecture immersive, défiant les attentes linéaires du récit. Les
lieux géographiques deviennent des marqueurs temporels, portant les traces des
événements passés et servant de toile de fond à une réflexion sur la nature éphémère
de la vie humaine.
En explorant la Seconde Guerre mondiale comme contexte historique,
Claude Simon examine également les traumatismes individuels et collectifs liés à cette
période. Les conséquences de la guerre, tout comme les souvenirs des personnages qui
créent une temporalité où les cicatrices du passé ne disparaissent jamais
complètement.

En défiant les conventions temporelles, Claude Simon offre aux lecteurs une
méditation profonde sur la nature subjective de la mémoire et la façon dont le temps
est perçu et reconstruit individuellement. "La Route des Flandres" ne se contente pas
de raconter une histoire, mais elle propose une expérience littéraire où le temps devient
un protagoniste, et où la complexité du tissu temporel défie toute simplification
linéaire. Ainsi, l'œuvre de Claude Simon reste un témoignage audacieux de la capacité
de la littérature à sonder les mystères du temps et à offrir une vision unique de la
condition humaine.
La bibliographie :

CLAUDE SIMON, « la Route des Flandres » ,Edition de Minuit ,1982

CLAIR GUIZARD, Claude Simon la répétition à l’œuvre, Ed l’Harmattan ,2005.


Collectif, Claude Simon, La Route des Flandres, Klincksieck, coll. « Littératures
contemporaines », 1997.

ALLEMAND ROGER-MICHEL, Le Nouveau Roman, Éd. Ellipses, 1996.

BUTOR MICHEL ET CALLE-GRUBER MIREILLE, Claude Simon, Chemins de la


mémoire, Pug – Le Griffon d’argile, 1993.

CALLE-GRUBER MIREILLE, Le Grand Temps : Essai sur l’œuvre de Claude


Simon, Presses universitaires du Septentrion, 2004.

CALLE-GRUBER MIREILLE, Claude Simon. Une vie à écrire, Paris, Éditions du


Seuil, collection Biographie, 2011.

Webographie

https://www.cairn.info/revue-nord-2016-2-page-13.htmhttps://www.persee.fr/doc/
igram_0222-9838_1998_num_76_1_2890

https://philo-lettres.fr/litterature-francaise/litterature-francaise-20e-siecle/claude-
simon-1913-2005/claude-simon-la-route-des-flandres-1960/

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