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Le dossier

Goutte réfractaire

Mécanismes de régulation
de l'uricémie pendant la crise
de goutte et en dehors

RÉSUMÉ : Un certain nombre de patients goutteux ont une uricémie normale (11-49 %) lors d’une crise de
goutte, probablement en raison de l’effet uricosurique de la réaction inflammatoire. Cette proportion de
patients peut varier substantiellement avec la définition de l’uricémie normale (normes de laboratoire,
seuil de saturation). Cette possibilité est d’ailleurs mentionnée dans les recommandations Eular, l’uricémie
ayant “une valeur diagnostique limitée” durant la crise de goutte. Cette notion doit être connue du médecin
généraliste, l’uricémie devant être contrôlée dans les 15 jours suivant une crise de goutte.

S i la physiopathologie de l’inflam­
mation goutteuse est aujourd’hui
bien connue, mettant en jeu une
réaction de défense de l’organisme qui
fait appel essentiellement à l’immunité
au risque de goutte [2]. On connaît bien
aujourd’hui (www.crisedegoutte.fr) les
mécanismes et facteurs déclenchants
de l’hyperuricémie et de la goutte :
apport alimentaire excessif de purines
innée [1], et si les mécanismes et les fac­ (protéines d’origine animale, bière),
teurs déclenchants de l’hyperuricémie et consommation trop fréquente de bois­
de la goutte sont bien répertoriés [2], les sons sucrées (sodas, colas, jus de fruits
relations entre l’uricémie et l’inflamma­ riches en fructose), situations parti­
tion ont été peu explorées chez l’Homme, culières (déshydratation, jeûne, effort
notamment les variations de l’uricémie musculaire, syndrome de lyse tumorale),
au cours de la phase de crise de goutte situations de stress (intervention chirur­
et de la phase intercritique. Un certain gicale, infarctus…), arrêt brutal (hypo­
nombre d’études viennent apporter un uricémiants, uricosuriques) ou mise en

➞ G. CHALES, G. COIFFIER
éclairage nouveau sur cette question qui route (aspirine, diurétiques) de certains
Service de Rhumatologie,
a des implications cliniques (définition médicaments.
Pôle locomoteur, de l’hyperuricémie, diagnostic biolo­
CHU et Université de Rennes 1, gique de la goutte, facteurs intervenant L’hyperuricémie peut être due à une aug­
RENNES.
dans la crise de goutte). mentation de la production d’urate ou à
une diminution de l’excrétion urinaire
de l’acide urique. C’est le cas en parti­

[ Variations de l’uricémie
au cours de la crise de goutte :
les faits
culier de l’alcool ; mais ce mécanisme
n’est pas constant, notamment chez
les buveurs excessifs : une diminution
de l’uricémie a été rapportée chez des
1. Les faits connus patients ayant une cirrhose d’origine
nutritionnelle, due à une perte de l’ac­
La normative ageing study a montré que tivité de la xanthine oxydase hépatique
l’hyperuricémie était très fortement liée aboutissant à une diminution de la pro­

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Goutte réfractaire

duction d’urate ; d’autres auteurs ont uricémie était le critère le plus sen­ la crise de goutte et ont comparé l’uricé­
montré que l’uricémie était légèrement sible des critères pour le diagnostic de mie durant la crise de goutte et durant
plus basse chez les patients alcooliques goutte aiguë. Cependant trois (11 %) des la phase intercritique chez 59 hommes
sans hépatopathie que dans la popula­ 28 patients dont le diagnostic de goutte goutteux (diagnostic confirmé par la
tion témoin. L’abus d’alcool pourrait a été porté sur la présence de microcris­ mise en évidence de cristaux dans le
entraîner un dysfonctionnement tubu­ taux avaient une uricémie normale [4]. liquide synovial) sous allopurinol (ALP)
laire proximal responsable d’une aug­ (n = 25) et sans ALP (n = 34).
mentation de l’uricosurie [3]. Logan et al. [5] ont montré, dans
une étude longitudinale portant sur Il faut cependant souligner que les
2. Les faits moins connus 38 patients lors de 42 épisodes de crise valeurs “cadres” de l’uricémie (mesu­
de goutte observés dans des conditions rée par la méthode enzymatique) chez
Les médecins non rhumatologues ne variées (patients hospitalisés, vus en l’Homme étaient comprises entre 39 et
savent pas toujours que l’uricémie peut consultations ou dans un service d’ur­ 80 mg/L – il est fréquent pour les labora­
être normale durant une crise de goutte. gence), que l’uricémie diminuait et/ou toires de définir l’hyperuricémie comme
Certains rhumatologues considèrent était souvent normale (limite supérieure un taux d’acide urique supérieur à deux
même que cette éventualité n’est pas de la normale fixée à 75 mg/L selon les écarts­type au­dessus de la moyenne
ordinaire même si elle devient habituel­ normes du laboratoire, voir ci­dessous) d’une population saine appariée selon
lement mentionnée dans les ouvrages dans 43 % des cas lors de la crise de le sexe et l’âge, méthode statistique inap­
consacrés à la rhumatologie. Une uricé­ goutte diagnostiquée sur des critères propriée pour l’uricémie puisque tout
mie normale n’exclut pas le diagnostic cliniques ou la présence de microcris­ individu avec une uricémie supérieure
de goutte. Sept études ont évalué l’uri­ taux, suggérant que l’uricémie diminuait à 68 mg/L (considérée comme valeur
cémie lors de crises de goutte. Malgré invariablement durant la crise de goutte. “normale”) est à risque de goutte, 68 mg
des variations dans l’approche diagnos­ étant la valeur “pathogénique” corres­
tique (critères cliniques versus présence La plus grande étude rétrospective de pondant au seuil de solubilité de l’urate
de cristaux dans le liquide synovial) et cohorte a évalué 226 patients coréens de sodium dans le plasma.
dans la définition de l’uricémie normale hospitalisés pour goutte aiguë diagnos­
(valeurs cadres définis par le laboratoire tiquée à partir de la présence de micro­ Dans cette étude [7], 39 % des patients
ou seuil de solubilité de l’urate), toutes cristaux ou des critères de l’American avaient une uricémie située dans les
les études ont mis en évidence une uricé­ College of Rheumatology : 12 % (27) valeurs cadres durant la crise de goutte.
mie normale chez 11 à 49 % des patients avaient une uricémie normale lors du La moyenne de l’uricémie durant
lors d’une crise de goutte (tableau I). diagnostic. Fait intéressant, 81 % sont la crise de goutte était significative­
devenus hyperuricémiques quelque ment plus basse dans le groupe traité
Une étude de cohorte prospective com­ temps après le diagnostic [6]. par ALP ; 60 % des patients sous ALP
prenant 82 patients vus dans une cli­ avaient une uricémie “normale” durant
nique rhumatologique de la Veterans Schlesinger et al. [7] ont étudié la fré­ la crise de goutte. Chez les 59 patients,
Administrations a montré que l’hyper­ quence d’une uricémie normale durant 20 % avaient une uricémie inférieure
Type de cohorte (n) Niveau Environnement Critères % avec uricémie Référence
de preuve** diagnostiques normale (< mg/L)
Prospective (28) 1b Clinique Cristaux + 11 % (< 68) 4
rhumatologique
Prospective (38) 1b Varié Cliniques ou cristaux + 43 % (< 75) 5
Rétrospective (226) 2b Patients hospitalisés Cliniques ou cristaux + 12 % (< 70) 6
Prospective (59) 1b Ambulatoire Cristaux + 39 % (< 80) 7
Rétrospective (339) 2b Varié Cristaux + 32 % (< 80) 8
14 % (< 60)
Rétrospective (20) 2b Clinique Cliniques 49 % (< 75) 11
et prospective (21) rhumatologique
Rétrospective (69) 2b varié Cliniques 33 %* (< 60) 9
* pas nécessairement durant la crise de goutte ; ** 1b, cohorte prospective avec suivi (> 80 %) ; 2b, cohorte rétrospective ou prospective avec faible suivi.

Tableau I : Uricémie et crise de goutte : niveau de preuve.

2
à 68 mg/L durant la crise de goutte. Une analyse rétrospective de la critères, ayant fait l’objet, pendant et
L’uricémie peut donc être plus élevée Framingham Heart Study (1967) a mon­ après la crise, d’une mesure de la CRP,
(patient sans ALP) ou plus basse (patient tré qu’un tiers des patients goutteux (dia­ de l’IL­6, du cortisol, de l’ACTH, de la
sous ALP) durant la crise de goutte que gnostic clinique) avaient une uricémie clairance de l’acide urique, de l’excré­
durant la phase intercritique. normale [9]. tion fractionnelle des urates, en évitant
toute prise d’alcool entre les mesures).
L’analyse des données des 339 patients McCarty [10] a décrit quatre situations
inclus dans les deux essais cliniques où une uricémie normale peut se voir L’uricémie était significativement plus
randomisés concernant le traitement de dans la goutte : basse pendant la crise de goutte (75 ±
la goutte aiguë par l’étoricoxib 120 mg 14 mg/L) que pendant la phase intercri­
versus indométacine 150 mg a permis de >>> patients dont le taux d’urate n’est tique (85 ± 9 mg/L). L’uricémie était dans
mieux préciser la fréquence d’une uricé­ jamais assez élevé pour saturer le plasma les valeurs cadres chez 20 des 41 gout­
mie normale durant la crise de goutte [8]. à 37 °C ; teux (49 %). La CRP durant la crise de
L’uricémie a été mesurée par méthode goutte était significativement corrélée au
enzymatique à l’entrée de l’étude (crise >>> patients avec une hyperuricémie taux plasmatique d’IL­6 et de cortisol.
de goutte) et huit jours après la crise. due à un facteur connu (diurétiques, La modification du taux d’acide urique
Une uricémie normale était définie par alcool) qui deviennent normo­uricé­ pendant la crise de goutte, exprimée en
un taux soit inférieur à 80 mg/L (données miques quand ce facteur est éliminé ; pourcentage, était corrélée à la CRP et
du laboratoire) soit inférieur à 60 mg/L l’IL­6, mais aussi à l’augmentation de
(au­dessous du seuil de saturation). Il >>> uricémie normale durant la crise de l’excrétion urinaire de l’acide urique
s’agissait de patients de sexe masculin goutte due à une augmentation de l’éli­ (modification de l’excrétion fraction­
(94 %), d’origine caucasienne (45 %), mination urinaire de l’acide urique ; nelle de l’acide urique correspondant à
avec une moyenne d’âge de 50 ans. une réponse tubulaire rénale médiée par
>>> uricémie normale due à un traite­ la réponse inflammatoire).
A l’entrée de l’étude, l’uricémie était ment par inhibiteur de la xanthine oxy­
plus basse chez les patients sous ALP dase ou uricosurique. L’IL­6 recombinante en perfusion (0,5
(n = 55) que chez les patients sans ALP à 10 mg/kg/j pendant sept jours) admi­
(n = 284), avec des taux respectivement nistrée (phase I) chez des patients ayant
de 71 mg versus 85 mg/L, différence
qui persistait à la deuxième mesure.
Durant la crise de goutte, une uricé­
mie inférieure à 80 mg/L était observée
[ Régulation de l’uricémie
au cours de la crise de goutte :
les hypothèses
une thrombocytopénie réfractaire entraî­
nait une diminution de l’uricémie et une
augmentation réversible de l’excrétion
urinaire de l’acide urique [12]. Beaucoup
chez 32 % (n = 109) de l’ensemble des Une étude japonaise [11] a essayé de de données montrent que L’IL­6, cyto­
patients, comprenant 49 % (n = 27) des comprendre le mécanisme de cette dimi­ kine pro­inflammatoire, est augmentée
patients sous ALP et 29 % (n = 82) sans nution de l’uricémie durant la crise de dans le sérum et le liquide synovial des
ALP. Une uricémie normale “vraie” goutte : existait­il une augmentation de patients lors d’une goutte aiguë, activant
inférieure à 60 mg/L était observée chez la clairance de l’acide urique ? La réac­ aussi l’axe hypothalamo­hypophysaire,
14 % (n = 48), comprenant respective­ tion inflammatoire développée lors de la et partant, la sécrétion de cortisol qui
ment 29 % (ALP, n = 16) et 11 % (n = 32). crise de goutte jouait­elle un rôle ? peut avoir un effet uricosurique. L’IL­6
pourrait enfin augmenter l’expression
En conséquence, les patients sous ALP Cette étude était à la fois rétrospective – des gènes des transporteurs de l’urate
avaient une uricémie plus basse au début analyse de 20 hommes définis comme du tubule rénal. Ces données confortent
de la crise de goutte que les patients non goutteux sur les critères ACR, sans trai­ l’hypothèse que la diminution de l’uricé­
traités par ALP. Des crises de goutte peu­ tement hypo­uricémiant et diurétiques, mie observée durant la crise de goutte est
vent survenir chez des goutteux sous ayant eu un dosage d’uricémie (valeur associée à une augmentation de l’excré­
ALP, dues à la présence de tophus ou supérieure normale de 75 mg/L chez tion urinaire de l’acide urique, possible­
d’une augmentation du pool de l’acide l’Homme) et de CRP pendant la crise de ment induite par la réaction inflamma­
urique, d’une dose insuffisante d’ALP goutte et dans les deux semaines ayant toire et médiée par la production d’IL­6.
pour obtenir l’uricémie cible de 60 mg/L. suivi la crise, traités principalement par
Chez certains patients, l’uricémie pour­ AINS (naproxène) ou corticoïdes en cas Cette hypothèse est renforcée par un
rait ne pas représenter fidèlement l’état d’inflammation sévère – et prospective travail récent [13] étudiant l’uricémie
du pool de l’acide urique. (21 goutteux sélectionnés sur les mêmes et l’excrétion rénale de l’acide urique

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Goutte réfractaire

durant des modèles d’inflammation 1,2 mg/L, 0,34 pg/mL chez l’homme, et pour la synthèse de l’acide nucléique
aiguë non goutteuse d’origine diffé­ de 262 µmol/L, 1,21 pg/mL, 2,74 pg/mL, quand ils sont convertis en ribonucléo­
rente : 11 patients ayant une chirurgie 1,3 mg/L, 0,45 pg/mL chez la femme. sides et ribonucléotides, précurseurs
pour cancer colique, 7 patients hospita­ L’uricémie était positivement corrélée à de l’ARN, l’ADN et l’AMP cyclique. La
lisés pour pancréatite aiguë, 7 patients l’IL­6, le TNFa et la CRP, et négativement voie métabolique [15] est résumée dans
hospitalisés pour infection des parties corrélée à l’IL­1b, particulièrement chez la figure 1 et démontre trois points :
molles ou pneumonie. L’uricémie, la la femme. Après ajustement pour l’IMC,
CRP ultrasensible et l’excrétion fraction­ ces corrélations devenaient plus faibles. >>> La contribution au pool miscible
nelle de l’acide urique ont été mesurées à de l’acide urique est assurée seulement
J2 et J7 suivant la survenue du processus Ces données supportent l’hypothèse par l’ingestion des purines d’origine
inflammatoire, et une à quatre semaines que l’acide urique est impliqué dans alimentaire et la synthèse endogène des
après la résolution clinique de l’épisode l’inflammation stérile (non infectieuse), nucléotides puriques dans le processus
inflammatoire. Les valeurs cadres de en stimulant le relargage de cytokines de biosynthèse de novo en deux temps,
l’uricémie étaient 25­75 mg/L. inflammatoires, en particulier la CRP et consommateur d’énergie (6 moles
le TNFa. L’association avec la CRP res­ d’ATP pour chaque mole d’IMP géné­
L’uricémie était à 37, 40, et 56 mg/L, l’ex­ tait fortement significative, même après rée). L’enzyme clé est la phosphoribosyl
crétion fractionnelle de l’acide urique à ajustement pour les facteurs de confu­ pyrophosphate transférase.
9,1, 10,1 et 6,1 % respectivement à J2, J2 sion comme l’IMC. L’association avec
et après résolution de l’épisode inflam­ l’IL­6 disparaissait après ajustement >>> La biosynthèse des ribonucléo­
matoire. Il existait une corrélation néga­ pour l’IMC (hyperuricémie cause ou tides puriques selon la voie d’épargne
tive entre l’uricémie et l’excrétion frac­ conséquence de l’obésité ?). L’association ou de recyclage peut se faire en un seul
tionnelle de l’acide urique uniquement négative de l’uricémie à l’IL­1b était inat­ temps (épargne d’énergie) grâce à deux
durant l’épisode inflammatoire. tendue (l’IL­1b circulante pourrait ne pas enzymes : l’Adénine Phospho Ribosyl
être un bon reflet de la production locale Transférase (APRT) convertissant l’adé­
Cette étude a donc démontré que dans d’IL­1b). nine en AMP ; l’Hypoxanthine Guanine
trois groupes de patients ayant une Phospho Ribosyl Transférase (HGPRT),
inflammation aiguë d’origine différente, Cette inflammation systémique peut convertissant l’hypoxanthine et la gua­
l’uricémie diminuait durant l’épisode éventuellement contribuer au dévelop­ nine en respectivement IMP et GMP.
inflammatoire et s’associait à une aug­ pement de l’athérosclérose, de l’hyper­ Cette voie d’épargne est efficace (récu­
mentation de l’excrétion fractionnelle de tension et du diabète. Ces résultats sont pération de 90 % des purines libres).
l’acide urique. Cela suggère que la dimi­ en accord avec les données expérimen­
nution de l’uricémie est un phénomène tales chez la souris, montrant que l’acide >>> La xanthine­oxydase joue un rôle
commun à l’inflammation aiguë et que urique représente un DAMP (damage clé dans cette voie métabolique. Elle est
cette diminution est due à une augmen­ associated molecular pattern) pro­ responsable de la conversion de la xan­
tation de la clairance de l’acide urique. inflammatoire majeur et rappellent que thine en acide urique. Cette enzyme se
Cette modification brutale de l’uricémie de nombreuses données expérimentales localise principalement dans le foie et
pourrait expliquer l’augmentation de la et épidémiologiques ont montré que dans l’intestin grêle, sites de synthèse de
fréquence des crises de goutte lors de la l’hyperuricémie est un facteur de risque la majorité de l’acide urique circulant.
survenue d’un processus inflammatoire. indépendant des maladies cardiovascu­
laires, des maladies rénales chroniques Il existe une régulation complexe molé­
Les relations entre l’uricémie et l’in­ et du diabète [2]. culaire de la production de nucléotides
flammation ont été peu explorées chez puriques (enzyme inhibée par un feed-
l’Homme et les résultats sont contra­ back négatif ou régulation allostérique)
dictoires. Une étude transversale [14]
portant sur un échantillon (n = 6085, [ Régulation de l’uricémie en
dehors des crises de goutte
et de l’abondance relative des nucléo­
tides puriques (maintien de la balance
âgés de 35 à 75 ans) d’une population entre ATP et GTP) [16].
de Lausanne (19 830 participants, étude 1. Régulation moléculaire
Colaus) a permis l’analyse de l’associa­ (biosynthèse des purines) 2. Homéostasie de l’acide urique
tion entre l’uricémie et les taux circu­
lants d’IL­6, de TNF­a, de CRP et d’IL­1b L’acide urique est le produit final de la La perte de l’uricase (enzyme convertis­
dont le taux médian était respectivement voie métabolique des purines. L’adénine sant l’acide urique en allantoïne, qui est
de 355 µmol/L, 1,46 pg/mL, 3,04 pg/mL, et la guanine sont des éléments essentiels beaucoup plus soluble dans le plasma)

4
{
Ribose-5-phosphate

PRPP synthétase

PRPP

Phosphoribosyl-amido-transférase Catabolisme des nucléoprotéines


Synthèse de novo – tissulaires
– alimentaires

{
Phosphoribosylamine

{
AMP
IMP XMP GMP Nucléotides
APRT
Voie de recyclage
Adénine
Guanine
Hypoxanthine Nucléosides
HGPRT

Xanthine oxydase Xanthine


Catabolisme Purine libre

Acide urique Acide urique


Allopurinol Pool
miscible
Urate oxydase

Intestin Rein Benzbromarone

Fig. 1 : Biosynthèse et élimination des purines. PRPP : phosphoribosyl-pyrophosphate ; AMP, IMP, XMP, GMP : adénine, inosine, xanthine, guanosine-monophos-
phate ; HGPRT : hypoxanthine-guanine-phosphoribosyl transférase ; APRT : adénosine-phosphoribosyl transférase.

est la première circonstance expliquant de la goutte. Enfin, troisième circons­ ponible par jour et l’uricolyse intestinale
que la concentration plasmatique d’acide tance “prédisposante”, 90 % de l’urate prend en compte l’acide urique dispo­
urique soit plus élevée chez l’Homme filtré par le glomérule sont normalement nible par voie extrarénale. Chez l’homme
que chez les autres mammifères, et le réabsorbés plutôt qu’excrétés ; malgré ce normal, le pool miscible de l’acide urique
maintien d’un taux stable reflète une processus favorisant la rétention d’urate, est en moyenne de 1 200 mg (± 300 mg)
balance délicate entre la synthèse de tout individu excrète une urine acide avec un turnover moyen de 700 mg/j
l’acide urique et son élimination. L’urate avec des concentrations d’acide urique (500­1 100 mg/j). Les goutteux non traités
de sodium a une solubilité limitée et la en excès de saturation [16]. ont un pool miscible plus important, de
limite théorique de solubilité de l’acide 2000 à 4 000 mg en l’absence de tophus,
urique non dissocié est de 68 mg/L dans Malgré toutes ces circonstances “prédis­ pouvant atteindre 30 000 mg ou plus en
le plasma. Lorsqu’on dépasse la solu­ posantes”, l’apparition de dépôts d’urate cas de goutte tophacée [16].
bilité plasmatique, qui se trouve aux et ses conséquences cliniques sont relati­
alentours de 420 mmol/L, il y a une for­ vement peu fréquentes. L’excrétion uri­ Il existe donc une certaine hétérogénéité
mation de cristaux d’urate de sodium, naire de l’acide urique représente deux dans les mécanismes aboutissant à l’ac­
éléments qui entraînent l’inflammation tiers à trois quarts de l’acide urique dis­ cumulation d’urate. La production exces­

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Goutte réfractaire

sive d’urate (le plus souvent acquise par gies complexes étudiées. Les généticiens port de vitamine C diminuait ce risque
régime riche en purines, ingestion de fruc­ se posent donc la question de “l’hérita­ [2]. La prise récente de diurétiques est
tose, consommation d’alcool, désordres bilité manquante”. Plusieurs hypothèses associée à une augmentation significa­
associés à un turnover cellulaire élevé, sont à l’étude, dont celle de “variants tive du risque de goutte récurrente (diu­
rarement génétique) et l’altération de rares”. Dans ce cas, à des variants à rétiques thiazidiques ou diurétiques de
la clairance de l’acide urique (à la fois risque fréquents dans la population l’anse). L’aspirine à faible dose, en dimi­
acquise [syndrome métabolique, prise pour des maladies courantes s’ajoute nuant l’excrétion de l’acide urique, peut
de diurétiques, néphropathie, lactates, une panoplie de variants rares “privés” aussi être un facteur de risque de goutte,
cétones…] et génétique) représentent les propres à chaque patient. Sulem et al. particulièrement chez les sujets âgés [2].
anomalies majeures démontrées chez les [19] ont récemment découvert un variant
individus ayant une hyperuricémie per­ rare sur un locus (19q13) de susceptibi­ 4. Comorbidités
sistante avec ou sans goutte. Des facteurs lité de la goutte non identifié aupara­
génétiques, sociodémographiques et des vant, qui aurait un effet important sur la La question fondamentale est de savoir
facteurs d’environnement interviennent régulation de l’uricémie et le développe­ si l’hyperuricémie et/ou la goutte sont la
dans la régulation de l’uricémie. ment de la goutte ; ce variant serait plus conséquence ou la cause d’une comorbi­
fortement associé aux goutteux de sexe dité (composantes du syndrome métabo­
masculin et à un début plus précoce de lique, maladies cardiovasculaires, insuf­

[ Régulation de l’uricémie
par les facteurs génétiques
et d’environnement
la maladie goutteuse.

2. Facteurs sociodémographiques
fisance rénale chronique) ou encore si le
complexe hyperuricémie­goutte­comor­
bidités est issu d’un antécédent commun.
Par exemple, lorsque l’hyperuricémie et
1. Facteurs génétiques Le rôle protecteur des estrogènes a bien une maladie cardiovasculaire coexis­
été démontré chez la femme, l’étude la tent chez le même patient, l’obésité peut
La goutte peut être considérée comme un plus récente ayant montré une incidence être un facteur de risque commun à ces
défaut génétique de l’excrétion urinaire de 0,6/1000 chez les femmes de moins deux comorbidités ; la relation entre le
de l’acide urique. Les études d’associa­ de 45 ans, et de 2,5/1000 chez les femmes syndrome métabolique et la goutte est
tion à l’échelle du génome entier pour les de plus de 75 ans, et l’étude Framingham supposée être médiée par l’hyperuricé­
gènes régulant les concentrations sériques a montré, elle, l’élévation de l’uricémie mie ; les concentrations sériques d’acide
d’urates ont identifié deux régulateurs chez la femme après la ménopause [2]. urique sont corrélées au degré d’adipo­
majeurs de l’hyperuricémie – les trans­ sité abdominale et aux mesures d’insuli­
porteurs rénaux d’acide urique SLC2A9 3. Facteurs d’environnement norésistance, et l’insuline inhibe l’excré­
et ABCG2. Le risque de variante de chaque tion rénale tubulaire d’acide urique [2].
gène conduit approximativement au Presque toutes les études ont prouvé que
doublement du risque de goutte dans les la consommation d’alcool augmentait la
populations d’ascendance caucasienne,
SLC2A9 ayant également pour consé­
prévalence et l’incidence de la goutte [2],
et plusieurs que l’alimentation est un fac­
[ Conclusion
quence un risque plus élevé de goutte teur de risque de goutte [2]. Dans l’étude Un certain nombre de patients goutteux
dans les populations d’ascendance poly­ du suivi des professionnels de santé ont une uricémie normale (11­49 %) lors
nésienne, autre population caractérisée américains, l’augmentation de l’apport d’une crise de goutte, probablement en
par une prévalence élevée de goutte [17]. journalier de viande ou de produits de raison de l’effet uricosurique de la réac­
S’il existait une association forte avec l’uri­ la mer était associée à une augmentation tion inflammatoire. Cette proportion de
cémie et la goutte (odds ratio de 12,4 pour de l’incidence de la goutte, tandis que les patients peut varier substantiellement
100 mmol/L), il n’y avait pas d’association produits laitiers avaient un effet protec­ avec la définition de l’uricémie normale
avec la pression artérielle, la glycémie, teur en favorisant l’excrétion de l’acide (normes de laboratoire, seuil de satu­
la filtration glomérulaire, l’insuffisance urique. Plus récemment, on a montré que ration). Cette possibilité est d’ailleurs
rénale ou la maladie coronarienne [18]. la consommation de plus de deux sodas mentionnée dans les recommandations
classiques ou édulcorés au fructose, ou EULAR, l’uricémie ayant “une valeur
L’héritabilité des taux plasmatiques de jus de fruits riches en fructose, aug­ diagnostique limitée” durant la crise de
d’acide urique est estimée à environ mentait le risque de goutte ; que l’apport goutte [20]. Cette notion doit être connue
40 %. Cependant les gènes identifiés à ce modéré de légumes riches en purines ou du médecin généraliste, l’uricémie
jour n’expliquent qu’une faible partie de en protéines n’augmentait pas ce risque ; devant être contrôlée dans les 15 jours
l’héritabilité (environ 10 %) des patholo­ et que la consommation de café et l’ap­ suivant une crise de goutte.

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