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FACULTÉ DE DROIT
B.P. 204
KINSHASA/XI
1
2
INTRODUCTION
1. LE CONTEXTE DU COURS
2. L’INTITULE DU COURS
Le programme des études de droit dans les universités congolaises prévoit dans le cycle de
graduat un de criminologie générale, qui se distingue du cours de criminologie clinique
dispensé, comme un cours de l’option droit privé et judiciaire en deuxième année de licence.
Cependant, étant donné qu’il s’agit d’un cours complémentaire pour des juristes, d’une part,
et qu’il existe toute une filière d’enseignement de la criminologie en plusieurs années
d’études avec diplômassions jusqu’au doctorat, le cours de criminologie dispensé en troisième
année des études de droit, se voudra en fait une introduction à la criminologie. L’étudiant
désireux de se former plus en profondeur en criminologie, pourra compléter utilement sa
formation de juriste par celle de criminologue en s’inscrivant dans une école de criminologie,
comme celle qui fonctionne au sein de l’Université de Lubumbashi.
3. LA METHODE D’ENSEIGNEMENT
Le cours consistera en une série d’exposés magistraux clairs, structurés et captivants à la fois
à travers lesquels seront communiquées aux étudiants les principales notions et théories
criminologiques. Au cours de ces exposés, les étudiants auront le loisir de soumettre à
l’enseignant leurs préoccupations, doutes ou réflexions sous forme de questions.
L’enseignement théorique sera suivi des travaux pratiques portant notamment sur la
discussion de certains textes d’auteurs criminologiques ou sur la méthodologie de recherche
en criminologie, de nature à permettre aux étudiants à réaliser des recherches sur des objets
relevant de la criminologie. Par ailleurs, les étudiants désireux d’approfondir ces aspects
pourront s’inscrire au séminaire de criminologie prévu en deuxième année de licence dans
l’option droit privé et judiciaire. Les étudiants seront donc invités à faire certaines lectures
3
obligatoires en complément utile des exposés magistraux. Une liste bibliographique leur sera
communiquée à cette fin.
A. Objectifs généraux
B. Objectifs spécifiques
Le cours de criminologie dispensé en troisième année des études de droit comprend 45 heures
de cours théoriques et 15 heures de travaux pratiques, soit au total 60 heures. Il s’agit donc
d’un cours de pondération 4. Cela veut dire que dans le total des points à obtenir, il vaut pour
80 points.
Compte tenu des difficultés pratiques pour l’organisation des interrogations en cours d’années
en raison du nombre souvent fort élevé d’étudiants et de la breveté de la période consacrée à
4
la dispensation effective des cours, l’évaluation est généralement reportée à la fin du cours
lors des sessions d’examens.
Néanmoins, tout au long de l’année, l’enseignant pourra effectuer des contrôles des
connaissances pré-requises. Les étudiants qui répondront correctement à ces questions
mériteront des bonus à prendre en compte lors de la session d’examen.
7. BIBLIOGRAPHIE RECOMMANDÉE
5
18. KIENGE-KIENGE INTUDI, R., Le contrôle policier de la délinquance des jeunes
à Kinshasa. Une approche ethnographique en criminologie, Louvain-la-
Neuve/Kinshasa, Academia-Bruylant/Éditions Kazi, 2011.
19. KIENGE-KIENGE INTUDI, R (dir), La recherche en criminologie en RDC,
Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, coll. Publications du Centre de
criminologie de l’Université de Kinshasa, 1/2014.
20. KIENGE-KIENGE INTUDI, R et LIWERANT, S (dir.), Violence urbaine et
réaction policière. Sens et non-sens, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan,
coll. Publications du Centre de criminologie de l’Université de Kinshasa, 2/2017.
21. NYABIRUNGU mwene SONGA, Traité de droit pénal général congolais,
Kinshasa, EUA, 2007.
22. PIRES, A. P., « De quelques en jeux épistémologiques d’une méthodologie
générale pour les sciences sociales » in La recherche qualitative. Enjeux
épistémologiques et méthodologiques, 1997.
23. PIRES, A. P., « La criminologie d’hier et d’aujourd’hui », in Ch. DEBUYST, Fr.
DIGNEFFE, J.-M. LABADIE et A.P. PIRES, Histoire des savoirs sur le crime et
la peine. Tome 1 : Des savoirs diffus à la notion de criminel-né, 1re éd. Montréal,
Ottawa, Bruxelles, Les Presses de l’Université de Montréal, Les presses de
l’Université d’Ottawa, De Boeck Université, 1995.
24. QUIVY, R. et VAN CAMPENHOUDT, L., Manuel de recherche en sciences
sociales, Paris, Dunod, 1995.
25. ROBERT, Ph., « De la ‘criminologie de la réaction sociale’ à une sociologie
pénale », in Année sociologique, 31, 1981, pp. 253-283.
26. ROBERT, Ph., « Les statistiques criminelles et la recherche. Réflexions
conceptuelles », Déviance et société, Genève, 1977, vol. 1, n° 1, p. 3-27.
27. TULKENS, Fr. , « Criminologie et droits humains, une rencontre indispensable »,
in Fr. DIGNEFFE et KAUMBA LUFUNDA (dir.), Criminologie et droits humains
en République démocratique du Congo, Bruxelles, Larcier, 2008.
6
8. PLAN DU COURS
Conclusion
7
CHAPITRE PREMIER : LA DEFINITION DE LA
CRIMINOLOGIE
On abordera dans ce chapitre le problème de la définition de la criminologie (I), son statut
théorique (II), sa définition actuelle et son explicitation (III), le problème des objets de la
criminologie (IV) l’invention du terme « criminologie » et ses équivalents (V) et ses rapports
avec les autres disciplines voisines (VI).
Une discipline est définie par son objet et la manière dont cet objet s’est construit dans le
temps (c’est-à-dire sa méthode et son histoire). Dans le cas de la criminologie, écrit Alvaro
Pires1, « il est permis de regrouper l’ensemble des savoirs (philosophiques, juridiques et
scientifiques) sur le crime et la peine sous la rubrique générale d’une « histoire de la
criminologie ». Or, poursuit-il, faire une introduction à la « criminologie » et à « son
histoire », semble poser des problèmes particuliers. En général, l’introduction à l’histoire d’un
savoir commence par la supposition que ce savoir constitue une discipline autonome et par
une définition préalable de son objet. Et une méthode courante commence alors à élucider le
nom de la discipline en question, car on espère trouver dans le nom même de la discipline une
sorte de renvoi utile et condensé à l’objet d’étude.
Par rapport à la criminologie, cette manière de procéder ne peut tenir, car « on ne s’entend pas
sur le statut de science autonome, le consensus sur ses objets a toujours été éphémère et
partiel, la détermination de sa date de naissance fait l’objet des discussions interminables, et à
part les cas les plus évidents, on ne sait pas dire facilement à partir de quel critère un ouvrage
sera considéré comme étant ou non de la ‘criminologie’. En plus, le nom même
‘criminologie’, qui a été inventé dans le dernier quart du 19e siècle, n’a pas été la seule
appellation, ni probablement la première, par laquelle on a désigné ce savoir. Les expressions
‘anthropologie criminelle’ et ‘sociologie criminelle’ semblent avoir précédé celle de
‘criminologie’ et d’autres appellations ont été mises à contribution par après »2, notamment
celle de « sociologie de la justice pénale et de la délinquance ».
Il y a lieu de noter la difficulté de définir de manière précise l’objet de la criminologie en
raison de la diversité des discours sur le crime et la peine – entre autres questions traitées dans
le champ de la criminologie – qui accompagnent d’une certaine manière les discours sur
l’organisation de toutes les formes de sociétés. En dépit de cette difficulté, il y a néanmoins
lieu de mettre en évidence la spécificité que ces divers discours ont acquise, laquelle
spécificité pourrait alors servir à caractériser l’objet de la criminologie3.
1
A.P. PIRES, « La criminologie d’hier et d’aujourd’hui », in Ch. DEBUYST, Fr. DIGNEFFE, J.-M. LABADIE
et A.P. PIRES, Histoire des savoirs sur le crime et la peine. Tome 1 : Des savoirs diffus à la notion de criminel-
né, 1re éd. Montréal, Ottawa, Bruxelles, Les Presses de l’Université de Montréal, Les presses de l’Université
d’Ottawa, De Boeck Université, 1995, p. 15.
2
Ibid., p. 16.
3
Ch. DEBUYST, Fr. DIGNEFFE, J.-M. LABADIE et A.P. PIRES, Histoire des savoirs sur le crime et la peine.
Tome 1 : Des savoirs diffus à la notion de criminel-né, 1re éd. Montréal, Ottawa, Bruxelles, Les Presses de
l’Université de Montréal, Les presses de l’Université d’Ottawa, De Boeck Université, 1995, p. 9.
8
1 De la criminologie comme science ou du phénomène criminel
« Nous constatons l’existence d’un certain nombre d’actes, qui présentent tous ce caractère
extérieur que, une fois accomplis, ils déterminent de la part de la société cette réaction
particulière qu’on nomme la peine. Nous en faisons un groupe sui generis, auquel nous
imposons une rubrique commune : nous appelons crime tout acte puni et nous faisons du crime
ainsi défini, l’objet d’une science spéciale, la criminologie. »
De cette définition du crime, « acte puni », on pourrait relever l’importance du processus judiciaire,
qui conduit à l’application d’une peine. Nous verrons plus tard le problème que pose cette définition
du crime (sa substantialisation). Néanmoins, il y a lieu d’indiquer d’ores et déjà qu’elle permet de
définir le crime comme un acte puni, à ne pas confondre avec un acte punissable. Définir le crime
comme tout acte puni fait du crime, non pas une réalité sociale ou un fait social brut (naturel), ni une
réalité psychologique ou comportementale, mais bien une réalité juridique, dont l’existence est le fait
d’un processus judiciaire de confrontation des faits à la loi, qui les rend punissables. C’est donc le fruit
de la qualification judiciaire des faits, à la suite d’une décision politique d’incrimination. Il y a, en
effet, un écart entre l’ordre social et l’ordre public défini par la loi pénale. Tout fait qui trouble social
ne constitue pas toujours une infraction à la loi pénale. L’inverse est admissible. Un fait criminel est
donc un fait pénal. Le qualificatif « criminel » fait référence à la propriété du fait de pouvoir être puni
(punissable), à donner lieu à l’application d’une peine.
4
E. YAMARELLOS et G. KELLENS, Le crime et la criminologie, 1. De « adultère » à « jeux de hasard »,
Verviers, Marabout Université, 1970, V° criminologie.
5
Ibid.
9
criminologie générale6. Il n’y a pas de contenu unitaire susceptible de constituer l’objet de la
criminologie. Cela fit dire à Thorsten Sellin que le criminologue ne serait dans ces conditions
qu’un roi sans royaume, un spécialiste de tout et de rien7. Les mêmes auteurs relèvent que
face à cette conception « encyclopédique », une conception moniste, qui résulte de la
confrontation des points de vue, partiellement exacts, des anthropologues, des sociologues,
des psychiatres et des psychologues, dans les matières criminelles, et permet d’arriver
progressivement à la conception synthétique.
b- Une autre définition large de la criminologie est donnée par l’école américaine
classique à travers Sutherland dans son ouvrage intitulé Principes de criminologie : en
partant de l’idée que la « criminologie est la science qui étudie l’infraction en tant que
phénomène social », il lui assigne un vaste domaine englobant « les processus de
l’élaboration des lois, de l’infraction aux lois et des réactions provoquées par
l’infraction aux lois » ; de sorte que la criminologie serait composée de la sociologie
du droit pénal, de l’étiologie criminelle et de la pénologie8. La criminologie serait dans
ce cas un conglomérat de disciplines.
Ces définitions étroites traduisent un certain effort de définir la criminologie à partir d’un
objet unitaire, précis. Nous prendrons la définition de Raymond Gassin (France) et de Martin
Killias (Suisse), et nous relèverons le problème qu’elles posent.
6
Cette conception justifie l’intitulé de ce cours dans le programme des études de droit. La criminologie générale
renverrait à des notions générales sur le phénomène criminel et enseigné dans le cycle de graduat, tandis que la
criminologie clinique et la sociologie criminelle, qui étudieraient des aspects plus spécifiques, sont enseignées en
dernière année de licence et en troisième cycle dans le programme de DES.
7
E. YAMARELLOS et G. KELLENS, op. cit.
8
SUTHERLAND –CRESSEY, Principes de criminologie, pp. 11-32, cité par R. GASSIN, Précis de
criminologie, 3e éd., Paris, Dalloz, 1994, p. 5.
9
R. GASSIN, Précis de criminologie, 3e éd., Paris, Dalloz, 1994, p. 3.
10
Ibid., p. 21.
11
M. KILLIAS, Précis de criminologie, Berne, Éditions Staempfli, 1991, p. 17.
10
4. Risque de rabattement du « crime » sur son aspect substantiel et recours à son
étymologie
Toutes ces conceptions étroites de la criminologie ainsi que toutes les formules
qui la définissent comme la science du crime, du phénomène criminel ou de la réalité
criminelle, ou encore de l’action criminelle, n’ont pas notre faveur dans la mesure où elles
« sont toutes ambiguës et ont tendance à produire un rabattement du crime sur son aspect
‘substantiel’, palpable, en ignorant la part de construction pénale des événements »12. En plus,
souligne cet auteur, le sens étymologique du mot « crime », ne correspond pas, jusqu’à la fin
des années 1960, à l’utilisation que le criminologue en a fait depuis qu’il emploie ce mot.
Il y a lieu de se référer à Jeffery13 qui rappelle que, dans son sens
étymologique, « le terme ‘crime’ fait référence à l’acte de juger ou d’étiqueter le
comportement, plutôt qu’au comportement lui-même »14. En effet, commente Alvaro Pires, le
mot ‘crime’ vient du latin ‘crimen(-inis)’, qui signifiait à l’origine ‘décision judiciaire’. Ce
mot vient à son tour du grec ‘krimen’, c’est-à-dire ‘juger’, ‘choisir’, ‘séparer’. Dans le latin
classique, le mot ‘crimen’ a aussi pris le sens d’‘accusation’ ou de ‘chef d’accusation’. Cela
veut dire que, dans son sens étymologique’, le mot crime ne désigne pas directement une
action, un acte ou un comportement particulier, mais plutôt l’acte de juger un comportement
dans le cadre d’un processus institutionnel de type judiciaire »15. Donc se demander « quel est
son crime ? » ne revenait pas à demander « quel acte a-t-il commis ? », mais plutôt « quel est
le chef d’accusation ? ».
Alvaro Pires poursuit en relevant que le sens étymologique du mot « crime » rejoint ces
phrases célèbres du juriste italien Francesco Carrara qui soulignait déjà en 1859 qu’on ne doit
pas concevoir « le crime comme une action, mais comme une infraction »16 (à la loi pénale),
c’est-à-dire comme une construction pénale. Il rejoint, par ailleurs, la définition juridique du
crime, à savoir « un comportement humain punissable en vertu d’une loi pénale »17 ou, mieux,
« tout comportement antisocial donnant lieu à une application d’une sanction de nature
punitive prononcée par un organe juridictionnel émanant de la puissance publique »18. Car, tel
comportement est effectivement considéré comme un crime par tel législateur et non tel autre,
sous l’influence de telles conceptions politiques »19.
Le sens étymologique du « crime » nous amène donc à considérer que le crime
n’existe pas sans la loi pénale. Il s’agit d’une construction pénale et non d’une réalité
substantielle ni d’un fait social brut. « Le crime en tant qu’infraction pénale, n’est pas avant
tout un acte, mais plutôt un jugement de valeur particulier de type judiciaire porté sur un
acte »20. C’est donc en voulant ranger la criminologie parmi les sciences objectives au XIX e
siècle sur le modèle des sciences naturelles comme la physique ou la biologie et en voulant
étudier scientifiquement « le crime », que « ce qui a prévalu a été ce rabattement du ‘crime’
sur son aspect substantiel ». Car, ce qui gênait le plus le criminologue, dans la notion
12
A.P. PIRES, op. cit., p. 16.
13
C.R. JEFFERY, “The Historical Development of Criminology”, Journal of Criminal Law, Criminology and
Police science, 1959, n° 50 (1), p. 6.
14
Cité par A.P. PIRES, op. cit., p. 16.
15
Ibid., p. 17.
16
F. CARRARA, Programma del Curso de Derecho Criminal Desarollado en la Universidad de Pisa, San José,
Costa Rica, Impressa Española, 1917, cité par A. PIRES, Ibid.
17
E. YAMARELLOS et G. KELLENS, op. cit., V° crime.
18
Ibid., p. 105.
19
Ibid., p. 103.
20
A. PIRES, op. cit., p. 18.
11
juridique du crime, « c’est son essentielle relativité (…) [pourtant] il n’est de science que du
général, et la criminologie s’accommode difficilement d’une notion de crime limitée aux
frontières étriquées d’un État, à une époque déterminée »21. Cela donnait au moins au
criminologue, en apparence du moins, un objet d’étude palpable et non un objet qui dépendait
de la construction juridique (du droit pénal). D’où le débat sur l’autonomie de la criminologie
comme science du crime vis-à-vis du droit pénal. Et « la définition du crime par le droit pénal
n’apparaissait alors pour lui (le criminologue) que comme (…) une conséquence obligée sur
le plan législatif de la nature (criminelle) de l’acte même »22. En effet, objectait-on, « le
concept légal recouvre une réalité humaine et sociale qui, en tant que phénomène, est
antérieur à la loi et, en principe, la motive. Le choix du législateur aboutit à l’intégration de la
protection des valeurs considérées comme essentielles, dans les mécanismes juridiques
existants, mais le phénomène humain et social est préexistant par rapport à la loi pénale, qui
l’érige juridiquement en crime »23.
Par rapport à cette définition du crime, des auteurs comme Ferri, Garofalo, Gabriel Tarde et
Émile Durkheim pensent tous de la même manière. En effet, Ferri, auteur de la Sociologie
criminelle a énoncé la formule selon laquelle la criminologie « se propose l’étude complète du
délit, non comme abstraction juridique, mais comme action humaine, comme fait naturel et
social »24. Garofalo, quant à lui, s’est efforcé de découvrir les éléments constitutifs et
permanents du « délit naturel », c’est-à-dire des actes sont, ou devraient être, en principe,
condamnés par tous les peuples. Aussi considère-t-il que le crime est l’offense faite au sens
moral de l’humanité, c’est-à-dire « la lésion de cette partie du sens moral qui consiste dans les
sentiments altruistes fondamentaux, c’est-à-dire la pitié et la probité (à un certain niveau de
civilisation) »25. C’est cette conception qui a prévalu dans la première moitié du XXe siècle, et
qui prévaut encore dans les écoles françaises ainsi que dans plusieurs travaux des
criminologues et dans l’opinion commune. Cette conception prévaut aussi actuellement dans
les enseignements de la criminologie au sein de notre faculté, et il convient de la corriger. Ce
que nous essayerons de faire dans le cadre de ce cours à partir de maintenant.
Il convient de noter, en effet, qu’aujourd’hui, le sens étymologique du mot « crime », qui le
considère comme une construction pénale, est revenu sur le tableau et fait l’objet de nouveaux
débats en criminologie. Et c’est sur cette base plus sûre, que nous chercherons à retenir une
définition de la criminologie26. Pour ce faire, examinons son statut théorique.
21
E. YAMARELLOS et G. KELLENS, op. cit., V° crime, p. 104.
22
Ibid.
23
Ibid., p. 103.
24
Ibid.
25
Ibid.
26
Ainsi, la délinquance des jeunes par exemple a été conçue comme une « délinquance en soi », « un
comportement qui est lié à un déséquilibre de la personnalité ». Nous avons critiqué cette conception de la
délinquance. Lire R. KIENGE-KIENGE INTUDI, Le contrôle policier de la délinquance des jeunes à Kinshasa.
Une approche ethnographique en criminologie, Louvain-la-Neuve, Kinshasa, Academia-Bruylant, Éditions
Kazi, 2010, p. 18.
27
Lire A. PIRES, op. cit., pp. 20-22.
12
Alvaro Pires28 identifie trois représentations majeures qui ont été véhiculées par les différents
auteurs dans champ de la criminologie, auxquelles il ajoute une quatrième qui englobe et
dépasse les deux dernières:
- la criminologie comme une branche d’une autre science ;
- la criminologie comme une science autonome au même titre que les autres sciences
humaines ;
- la criminologie comme un « champ d’étude » ou un « corpus de connaissance ».
2. La criminologie comme une science autonome au même titre que les autres
sciences humaines
Cette deuxième représentation, qui a émergé dans la première moitié du XXe siècle et
dominante chez des auteurs comme Seelig, Ellenberger, Mannheim, Szabo, Pinatel, est
encore soutenue par certains criminologues contemporains.
28
Ibid.
29
E. H. SUTHERLAND, Criminology, Philadelphia & London, J.B. Lippincott, 1924, p. 11.
13
écrit que « la criminologie est le corpus de connaissance concernant le crime comme
problème social ». Et dans la deuxième édition de ce livre, qui paraîtra en 1934 sous le titre de
Principles of Criminology, qui sera traduit en français en 1960 sous le titre de Principes de
criminologie, définit la criminologie comme : « le corpus de connaissance (body of
knowledge) concernant le crime comme phénomène social. Il comprend dans sa portée les
processus de production des lois, de transgression des lois et de réaction à l’égard des
transgressions des lois »30.
Cette représentation de la criminologie, qui a commencé aussi dans la première moitié
du siècle passé, était dominante surtout aux USA parmi les criminologues
d’orientation sociologique comme Lindesmith, Sellin, etc. Elle va se répandre sur le
plan international à partir des années 1970.
Alvaro Pires énonce une quatrième représentation de la criminologie qui englobe et dépasse
les deux dernières :
« Pour nous, la criminologie n’est pas tout à fait une science autonome comme on l’a prétendu, mais
elle n’est pas exclusivement un champ d’étude. En effet, nous attribuons à la criminologie un double
statut. Elle est à la fois – et paradoxalement – deux choses relativement différentes : un champ d’étude
comme certains l’ont vu (voir la troisième représentation), et une activité complexe de connaissance
interdisciplinaire, de nature à la fois scientifique et éthique, ayant pour but l’élucidation et la
compréhension de la question criminelle au sens large (i.e., des situations problèmes et du contrôle
social) »31.
Cet auteur commente cette manière de définir la criminologie en considérant que « la notion
d’activité de connaissance remplace, d’une part, celle de ‘science autonome’ – qui nous paraît
moins appropriée pour rendre compte du statut particulier de la criminologie – et, d’autre part,
elle complète et est complétée par celle de ‘champ d’étude’, ce qui permet de tenir compte de
certains aspects du problème qui sont perdus par une représentation axée exclusivement sur
les différents aspects de cette proposition »32. Cette manière d’envisager la criminologie,
précise-t-il, aide à résoudre un certain nombre de difficultés et d’impasses dans la manière de
la présenter33.
Dans le cadre de notre cours, nous retenons donc la définition de la criminologie proposée par
Alvaro Pires ci-dessus, à savoir un champ d’étude et une activité complexe de connaissance
interdisciplinaire, de nature à la fois scientifique et éthique, ayant pour but l’élucidation et la
compréhension de la question criminelle au sens large.
Cependant, nous préférons remplacer la notion de « question criminelle » par l’expression « question
pénale ». En effet, l’expression « question criminelle » nous paraît aussi ambiguë que le mot crime,
qui renvoie aussi bien à son sens juridique d’une catégorie d’infractions qualifiées de crime par
opposition au délit et à la contravention, qu’à son sens générique de toute conduite sanctionnée
pénalement. Par contre l’expression « question pénale » nous semble à la fois univoque et précise, car
c’est la peine assortie à une conduite, qui caractérise et spécifie cette dernière. Par ailleurs,
l’expression de « question pénale » permet de s’intéresser au fonctionnement de la justice pénale et de
ses différentes agences, sans exclure les situations problématiques non assorties des peines.
30
E.H. SUTHERLAND, Principles of Criminology, Philadelphia, 2ème édition, J.B. Lippincott, 1934, p. 3.
31
A.P. PIRES, op. cit., p. 22.
32
Ibid., p. 23.
33
Ibid.
14
D’ailleurs, Alvaro Pires lui-même précise que les expressions « question criminelle » ou « question
pénale » « ne désignent pas seulement les comportements criminalisés par le système pénal ni même
l’étude exclusive de ce système particulier de contrôle social ; elles comprennent tout ce que la
communauté scientifique juge nécessaire d’y inclure. Elles sont, en ce sens, plutôt indicatives d’une
problématique théorique que du fonctionnement effectif d’une institution sociale. Dès lors, les
diverses et successives extensions du champ criminologique, c’est-à-dire l’étude des diverses formes
de déviance et de contrôle social, font partie de la ‘question criminelle’»34.
La notion de champ d’étude (ou de corpus de connaissance) n’est pas du tout synonyme de
celle d’activité de connaissance. Elle fait plutôt référence à « l’idée qu’il y a divers savoirs
disciplinaires qui ont néanmoins un thème commun, ou encore qui se réfèrent à des thèmes
reliés et jugés pertinents, et que l’on pourrait regrouper sous le terme de ‘criminologie’ ou de
champ criminologique »36. Ces savoirs peuvent avoir ou non la prétention d’être scientifiques.
Et les thèmes communs sur lesquels ces divers savoirs portent sont des thèmes reliés à la
question pénale ou jugés pertinents par rapport à cette question. La question pénale est
envisagée ici au sens large et comprend aussi bien les situations-problèmes ou les
comportements problématiques et la déviance que la transgression et le contrôle social.
Il y a lieu de noter, de ce qui précède, que la notion de champ d’étude a donc non seulement
une dimension relativement ouverte (et non fermée) (a), en même temps conventionnelle,
variable et évolutive, mais aussi un aspect contraignant ou « objectif » (b). La notion de
champ d’étude inclut même des savoirs non scientifiques ou sans la prétention de l’être (c).
La dimension ouverte, conventionnelle, variable et évolutive renvoie au fait que les frontières
de ce champ sont en principe susceptibles de négociation et indéfiniment déterminables par
les membres de la communauté scientifique préoccupés de parvenir à une compréhension plus
adéquate de la question pénale. Autrement dit, les représentations du contenu de ce champ
d’étude criminologique varient et se modifient selon le point de vue des membres de la
communauté scientifique préoccupés par ces thèmes communs37.
34
Ibid., p. 24.
35
Ibid., p. 23 et s.
36
Ibid.
37
Ibid.
15
ouvrages ou des fractions de savoir qu’on ne considérait pas auparavant comme
« criminologique ». Par ailleurs, le criminologue peut s’encourager à développer de nouvelles
problématiques de recherche pour mieux saisir ce qui se passe dans les différents aspects de la
question pénale.
Ainsi par exemple, la pensée pénale classique des auteurs du 18e siècle comme Kant, Hobbes,
Montesquieu, Rousseau, John Locke, Beccaria, Jérémie Bentham, etc. ne saurait être exclue
de la criminologie sous prétexte qu’elle est antérieure à l’École positive italienne qui marque
la naissance de la criminologie dans le dernier quart du 19e siècle avec les travaux de
Lombroso, Ferri et Garofalo. On ne peut non plus exclure la pensée de l’École positive
italienne au motif qu’elle serait dépassée à cause de son déterminisme strict et sa tendance à
« naturaliser » le crime, ainsi de suite.
Donc, la notion de champ d’étude, relève Pires, a une dimension objective « qui relève
de ce qui ‘est là’ et non simplement de ce qu’on aimerait qui y soit »39.
Une autre particularité de la notion de champ d’étude est sa capacité à inclure des savoirs qui
ne sont pas scientifiques ou qui n’ont pas (encore) la prétention de l’être, pourvu qu’ils soient
reconnus comme « sérieux » et portent sur la question pénale, peu importe du reste leur nature
juridique, politique ou philosophique. Ainsi sont compris dans le champ criminologique
certains savoirs pré-scientifiques, c’est-à-dire parus avant même la naissance des sciences
humaines. Ils ont ainsi intégrés a posteriori dans le champ criminologique par la force des
choses ou en fonction des problématiques particulières abordées. Certains de ces savoirs
sérieux sont dits « diffus » dans la mesure où bien qu’ayant abordé la question du crime et de
la peine, n’étaient pas consacrés explicitement à ces thèmes.
Par contre, le domaine du roman policier n’est pas considéré comme un savoir sérieux
et, par conséquent, ne peut être inclus dans le champ criminologique.
2. La criminologie comme une activité de connaissance
La notion d’activité de connaissance remplace aussi celle de « science autonome » appliquée
à la criminologie (a) sans exclure son autonomie institutionnelle (b). Elle admet également
l’existence objective d’une démarche ou d’un projet spéciale (c), ce qui exclut la possibilité de
38
Ibid., pp. 24-25.
39
Ibid.
16
sa dévalorisation (d), car elle répond à des caractéristiques spécifiques (e). Voyons en détails
ces cinq points.
Quant à la possibilité d’affirmer l’autonomie d’une science par ses méthodes, il y a lieu de
relever que dans le passé, on croyait que chaque science avait (…) des méthodes propres ou
que les différentes adaptations des méthodes par les disciplines étaient un signe de leur
autonomie. Mais aujourd’hui, cette vision des choses s’est considérablement modifiée et cet
argument de l’autonomie d’une science par des méthodes propres a perdu son importance. En
effet, les formes d’observation (participante ou non participante ou in situ) et de collecte des
données sont largement communes à toutes les sciences humaines. Et les différences de
méthode, lorsqu’elles existent, relèvent plus des objets que des sciences elles-mêmes.
L’entretien ou l’interview, par exemple, n’est pas plus criminologique qu’il n’est
psychologique, sociologique ou anthropologique. Donc, même les sciences dites autonomes
empruntent et combinent des méthodes les unes des autres. « On peut dire qu’il existe à cet
égard ‘un stock commun de techniques suffisamment interchangeables’42. En plus les grandes
questions méthodologiques sont aussi communes aux différentes sciences ».
40
T. SELLIN, « L’étude sociologique de la criminalité », Actes du deuxième congrès international de
criminologie (Paris, 1950), Paris, PUF, 4e tome, 1955, pp. 109-130, cité par A. PIRES, op. cit., p. 27.
41
A. PIRES, op. cit., p. 27.
42
G. HOUCHON, « Applied aspects of interdisciplinarity in criminology”, in Criminologie als interdisciplinaire
menswetenschap, criminologische monografieen, n° 15, school voor criminology (K.U.L), Leuven, pp. 74-88,
cité par A. PIRES, Ibid., p. 28.
17
b. La notion d’activité de connaissance affirme l’autonomie institutionnelle de la
criminologie
43
A. PIRES, op. cit., p. 29.
18
c. La notion d’activité de connaissance admet l’existence objective d’une démarche
ou d’un projet spécialement criminologique
44
Ibid., p. 28.
45
Fr. TULKENS, « Criminologie et droits humains, une rencontre indispensable », in Fr. DIGNEFFE et
KAUMBA LUFUNDA (dir.), Criminologie et droits humains en République démocratique du Congo, Bruxelles,
Larcier, 2008, pp. 31-45, p. 32.
46
G. BACHELARD, La formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance
objective (1934), Paris, Vrin, 5è éd. 1967, édition électronique réalisée par Jean-Marie Tremblay, 2012, révisée
en 2015, p. 9.
19
consacré de façon apparemment définitive, non pas en ce qu’elle institue
pour toujours une définition de l’objet et des méthodes, mais en ce qu’elle
poursuit de façon constante un projet dont les objectifs sont les suivants:
- la science vise une « réalité » par opposition à toute production que
l’imagination construirait sans obstacle ;
- la science cherche une « explication », c’est-à-dire l’insertion de la
réalité qu’elle décrit dans un système abstrait de concepts, débordant le
fait singulier que l’expérience nous propose (importance éventuelle des
hypothèses) ;
- la science se soumet à des critères de « validité » qui sont explicitement
formulables et qui font l’objet d’un consensus47.
Par conséquent, l’activité de connaissance criminologique respecte ces
critères de scientificité, car il s’agit d’un projet scientifique. De ce point de
vue, l’activité criminologique se veut empirique et descriptive, par
opposition notamment au savoir juridique qui est prescriptif.
une activité qui relie la théorie à la pratique et qui est socialement utile
Affirmer que la criminologie est une activité de connaissance plutôt qu’une science autonome
ne dévalorise pas pour autant la criminologie. En effet, ce qui compte le plus dans
l’expression de « science autonome », indique Alvaro Pires, « c’est l’idée d’activité
scientifique et non celle d’autonomie ». Or, poursuit-il, « la criminologie est aussi une
activité de connaissance scientifique bien que, du point de vue de la théorie qu’elle produit et
du domaine qu’elle occupe, elle ne soit pas autonome »51. En fait, l’insistance de certains
criminologues sur l’idée de la criminologie comme une « science autonome » s’explique par
le fait que, « dans le passé, pour valoriser un savoir, il fallait le présenter comme science
autonome, surtout si on cherchait à lui créer une place propre et convenable dans les
institutions d’enseignement existantes ; [mais] aujourd’hui, on peut plus sereinement séparer
la question de l’autonomie scientifique de l’autonomie institutionnelle »52. Donc, ce n’est pas
parce que l’activité de connaissance criminologique n’est pas « autonome » qu’elle serait
inférieure ou moins « bonne » qu’une connaissance purement autonome53.
En effet, l’activité de connaissance criminologique consiste dans l’« idée d’avoir une vue
globale, la plus globale possible à un moment donné, des problèmes, questions et
connaissances produites à l’égard de la question criminelle ou pénale (comportements
problématiques et contrôle social) et d’en tenir compte dans la production de nouvelles
connaissances »54. C’est dans ce sens, poursuit Alvaro Pires, qu’on peut parler aujourd’hui de
la criminologie comme une activité de connaissance interdisciplinaire, comme une activité-
carrefour »55 au lieu d’une science-carrefour.
50
Ibid., p. 32.
51
A. PIRES, op. cit., p. 29.
52
Ibid., p. 29-30.
53
Ibid., p. 30.
54
Ibid.
55
Ibid.
21
On pourrait cependant se demander à quel moment apparaît une telle « activité spéciale » de
connaissance sur la question pénale, qui sera finalement baptisée de « criminologie ». Pour
Alvaro Pires, c’est dans le dernier quart du 19e siècle qu’on voit apparaître justement l’idée de
mettre en branle une telle « activité spéciale ». Mais le temps fort de cette activité de
connaissance sur la question pénale prend forme avec l’École positive italienne composée de
trois auteurs suivants : Lombroso, Ferri et Garofalo, qui sont considérés comme les pères
fondateurs de la criminologie56.
56
Ibid.
57
Antérieurement à la création de cette école, l’activité criminologique en République Démocratique du Congo
s’est développée par Professeur Guy Houchon, criminologue, chargé de cours ordinaire à la Faculté de Droit de
l’Université Lovanium (actuelle Université de Kinshasa) au sein du Centre de criminologie et de pathologie
sociale qu’il créa en 1966. Ce centre fonctionna initialement comme un Service de criminologie et de pathologie
sociale au sein de la Faculté de Droit de cette université, avant d’obtenir un crédit de recherche au sein de
l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) de la même université. Lire pour plus de détails R.
KIENGE-KIENGE INTUDI (dir.), La recherche en criminologie en République Démocratique du Congo,
Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, Coll. Publication du Centre de criminologie de l’Université de
Kinshasa, 2014, pp. 17 et s.
58
En témoigne le titre évocateur de l’ouvrage dirigé par Fr. DIGNEFFE et KAUMBA LUFUNDA, op. cit.,
publiant les actes du premier colloque international de criminologie tenu à l’Ecole de criminologie de
l’Université de Lubumbashi en novembre 2006 : criminologie et droits humains en République Démocratique du
Congo.
59
Fr. TULKENS, op. cit., p. 32.
60
R. KIENGE-KIENGE INTUDI, Le contrôle policier de la délinquance des jeunes à Kinshasa. Une approche
ethnographique en criminologie, Louvain-laNeuve , Kinshasa, Academia Bruylant, Éditions Kazi, 2011.
61
Fr. TULKENS, op. cit., p. 39.
22
civils et politiques ou économiques, sociaux et culturels, trouvent dans la déviance ou la
délinquance une mauvaise réponse à une bonne question »62.
1. Position du problème
Le problème des objets d’étude de la criminologie se pose dans les termes suivants : En règle
générale, écrit Alvaro Pires, « on peut dire que les objets d’une science sont ceux que l’on
observe dans sa propre pratique de recherche ; les objets de la biologie, par exemple, sont
ceux-là même que les biologistes se donnent à certains moments, etc. ». Mais la difficulté de
la criminologie, poursuit-il, est justement qu’elle n’est pas une science autonome, mais plutôt
une activité de connaissance. Dès lors, elle n’a pas un domaine propre […]. Ses objets et ses
théories appartiennent aussi en même temps à d’autres disciplines »63. Il se pose donc le
problème de choix et de détermination des objets d’étude de la criminologie, lequel problème
est formulé dans les termes suivants : quelle est la partie des objets (et des savoirs) des autres
disciplines dont les criminologues vont s’approprier pour en faire aussi des objets de la
criminologie ?64
Cependant, suite à la capacité de « choisir » ou de s’approprier ses objets d’étude avec une
certaine liberté, sans dogmatisme, et suite à certaines convictions a priori qui présentent le
crime comme un fait social ou naturel, et en tant que tel comme l’objet d’étude de la
criminologie, les criminologues en sont arrivés à engager un débat interminable sur les objets
qui devaient faire partie de cette activité de connaissance, qu’est la criminologie. Ce débat a
été mené autour de la sélection, de la signification et de la portée de deux aspects de la
question pénale, que Alvaro Pires, appelle « les deux codes de langage » pour désigner les
deux aspects de la question pénale.
62
Ibid., p. 42.
63
A. PIRES, op. cit., p. 57.
64
Ibid.
65
Ibid.
66
Ibid., p. 58.
67
Ibid.
23
68
2. Les deux aspects de la question pénale ou « les deux codes de langage »68
b. Le code descriptif
68
Ibid., p. 58-62.
69
G. TARDE, La philosophie pénale, Paris, Cujas, 1890, p. 72-73.
70
Dans notre recherche, nous sommes arrivé à proposer le concept de situation-problème (en lingala likambo ya
mabé) au lieu de parler de la « délinquance » des jeunes à Kinshasa (R. KIENGE-KIENGE INTUDI, op. cit., p.
22).
24
criminalisés, nous n’étudions pas les comportements antisociaux en général ni
les comportements problématiques tout court : nous étudions seulement les
personnes dont le comportement a été jugé institutionnellement comme
‘criminel’. Le comportement criminel est alors un fait institutionnel, et non un
fait brut ou empirique. En effet, c’est seulement dans le droit criminel que nous
trouvons la distinction entre comportement criminel et non-criminel. Le code
descriptif essaie donc d’employer des concepts plus descriptifs et plus ouverts,
plutôt que les concepts affiliés au droit pénal. Exemple, le concept de situation-
problème.
Le code descriptif a tendance à donner une portée plus large aux objets de la
criminologie justement parce qu’il ne se laisse pas limiter par le langage et les
objectifs institutionnels et juge nécessaire d’explorer, théoriquement et
empiriquement, les présupposés du code substantiel et sa tendance à prendre
pour acquis la configuration que les institutions sociales donnent à la réalité.
Nota bene : Il ne faut pas oublier que les mots ne traduisent pas, en eux-mêmes, les deux
codes. Autrement dit, ce n’est pas seulement une question de mots, car on peut parfois utiliser
les mots du langage institutionnel sans donner la connotation factuelle ou substantielle qui
relève du code institutionnel.
Ainsi les deux objets de la criminologie selon les deux codes de langage se présentent dans le
tableau suivant :
Il y a lieu de relever que les termes utilisés par le code institutionnel pour désigner les objets
de la criminologie laissent transparaître l’ancienne représentation plus étroite du champ de la
criminologie. Cette représentation est présente chez des auteurs comme Jean Pinatel dans son
Traité de droit pénal et de criminologie (1970) qui parle de deux chapitres de la
criminologie : celui de l’étiologie criminelle et celui de la pénologie. Il en est de même de
Seelig dans son Traité de criminologie (1951) et de Mannheim dans son Comparative
criminology (1965).
25
Nota bene : Ce tableau ne renseigne pas sur les perspectives théoriques suivant
lesquelles ces objets sont traités par différents criminologues. Il ne désigne que les
objets selon les deux codes de langage.
a. La notion de situation-problème
71
L. HULSMAN, « Une perspective abolitionniste du système de justice pénale et un schéma d’approche des
situations problématiques », in C. DEBUYST (éd.), Dangerosité et justice pénale, Génève, Masson, Médecine et
hygiène, 1981.
72
L. HULSMAN et J. BERNAT DE CELIS, Peines perdues, le système pénal en question, Paris, Le Centurion,
1982.
73
Ch. DEBUYST, « Passage à l’acte, comportements et situations problématiques », Bulletin de Psychologie, n°
359, 1983, 273-278.
26
quelconque une situation donnée est vécue ou perçue comme ‘créant un problème’ ou comme
étant négative, inacceptable, indésirable »74. Bien entendu, expose Pires, cette notion renvoie
en premier lieu à la « victime » directe de la situation problématique et non à un concept
abstrait de « société ». Il ne s’agit pas ici de nier la valeur d’un point de vue qui prend en
considération les intérêts collectifs, mais tout simplement d’empêcher qu’au nom d’un tel
intérêt on adopte des solutions à la fois répressives, inefficaces et contraires aux intérêts des
personnes directement impliquées dans la situation75.
Telle est la situation de la justice pénale congolaise actuelle (Pensez ici au problème de
l’effectivité de la réparation due aux victimes des actes de violences sexuelles pour lesquelles
on a préconisé une répression rapide et sévère, excluant toute transaction).
Pour Christian Debuyst, « parler de comportements problématiques indique qu’il ne s’agit pas
seulement d’un comportement qui pose problème au groupe, mais que sa signification ou son
explication pose problème si nous voulons l’aborder en termes de causalité, ou même au-delà
de la causalité en termes de signification »76. En effet, explique-t-il :
74
A. PIRES, op. cit., p. 62-63.
75
Ibid.
76
Ch. DEBUYST, op. cit., p. 274.
77
Ibid.
78
Ibid.
27
caractéristiques précises : celle précisément de constituer une transgression et d’inclure
de ce fait des processus d’attribution à l’égard de son auteur (attribution d’une série de
qualifications négatives) »79.
« Lorsqu’on aborde l’étude du passage à l’acte, poursuit Debuyst, la réaction sociale est
présente comme [une] donnée constitutive à la fois de la manière dont les événements se
déroulent et sont vécus, et d’autre part, de l’optique dans laquelle l’analyse s’organise.
Lorsque dans cette perspective, nous parlons de comportement problématique, nous
opposons en quelque sorte ce terme à celui de [comportement] délinquant, parce que ce
dernier nous réfère déjà à un système d’interprétation susceptible d’opérer un
rabattement des explications dans un sens précis qui sera celui d’une analyse réductrice,
ou d’une analyse axée sur la gestion des risques.
Parler au contraire de comportements problématiques ne veut pas dire qu’il s’agit des
comportements qui ne soient, en tant que tels, intolérables. Mais le faire implique, pour le
psychologue ou le criminologue clinicien, que l’on maintienne une possibilité d’explication de
ces comportements permettant aux différents points de vue de s’exprimer sans qu’il n’y ait
d’a priori à partir desquels la lecture des faits se soit déjà faite. Vouloir tenir compte de la
possibilité d’expression des différents points de vue c’est en même temps se référer aux
différences qui existent entre les statuts qu’occupent les uns et les autres dans le cadre de
divers systèmes sociaux, que ceux-ci soient la famille, l’école, ou la société en général. Parce
qu’en effet, les différences de point de vue sont liés aux différences de statuts ou de situations,
et que celles-ci nous réfèrent au système sociopolitique »80.
Le but premier de cette notion est de permettre de décrire certains événements, certains
conflits, etc. sans utiliser immédiatement une notion morale (comme crime) ou, pire encore,
une notion juridico-pénale qui introduit souvent une tendance à vouloir expliquer la situation
d’une certaine manière et à présupposer que l’intervention pénale (répressive) est la manière
« adéquate » de résoudre le problème81.
2) Caractéristiques
Les principales caractéristiques de cette notion de « situation-problème » sont :
Il s’agit d’un concept descriptif qui nous renvoie avant tout à un champ événementiel
plutôt qu’à un champ normatif. En effet, une situation peut-être perçue comme
problématique même s’il n’existe aucune norme préalable visant à gérer cette
situation. Dit autrement, un comportement n’est pas nécessairement un
comportement de transgression ni un comportement déviant, puis qu’il peut se
présenter dans des situations « hors-normes »82.
79
Ibid., p. 275.
80
Ibid., p. 275-276.
81
Ibid.
82
Ibid., p. 63.
28
nécessairement la solution appropriée pour un grand nombre de cas qui sont
susceptibles de tomber sous son emprise à un moment donné83.
Enfin, le concept de situation-problème est moins unilatéral que le concept étatique de
« crime ». En effet, d’une part, il tient compte des victimes réelles et, d’autre part, le
chercheur n’est pas limité par le choix du législateur. Il peut alors étudier plus
librement, comme étant possiblement semblables du point de vue biologique,
psychologique ou sociologique, des situations-problèmes que l’État représente au
plan du droit (ou au plan institutionnel) comme étant différentes.
Exemples : la violence policière, le blanchiment d’argent, les fraudes douanières ou
fiscales, les négligences à la réglementation sur la sécurité ou l’hygiène sur le lieu de
travail, etc.
3) L’aporie de la définition de situation-problème et son complément
Dans notre recherche sur « le contrôle policier de la délinquance des jeunes à Kinshasa »,
nous avons complété et précisé la définition de « situation-problème » ainsi donnée par
Alvaro Pires en nous référant aux droits fondamentaux de chaque personne.
En effet, pourrait-on se demander, de quel point de vue de l’acteur la situation constitue-t-elle
un problème pour lui ? Cette question renvoie à la référence à partir de laquelle un acteur
déterminé définit une situation donnée comme constitutive d’un problème pour lui. Il ne
pourrait évidemment pas s’agir d’une référence normative posée a priori par le chercheur,
car le concept de situation-problème, tel que défini ci-dessus « nous renvoie avant tout à un
champ événementiel plutôt qu’à un champ normatif ». […]
À la lumière des intéressants développements de Baratta (Droits de l’homme et politique
criminelle »84, on pourrait ainsi considérer une situation-problème comme une situation
d’insécurité pour un acteur par rapport à ses droits fondamentaux, la sécurité étant définie
par Baratta comme correspondant « au besoin d’être et de se sentir sûr dans l’exercice de
tous les droits : le droit à la vie, à la liberté, au développement de la personnalité et des
capacités, à l’expression et à la communication, à une haute qualité de la vie ainsi que le
droit de contrôle et d’influence réelle sur les conditions dont dépend, concrètement,
l’existence de chacun », ou au « droit élémentaire d’être ‘citoyen’ » (Baratta, 1999 : 253). De
manière raccourcie, on pourrait donc affirmer que la sécurité correspond simplement au
droit de cité ou de citoyenneté, dont la violation constitue un problème.
Ce concept de sécurité et son contraire, l’insécurité, ont soutenu de façon centrale les
développements du chapitre de l’ouvrage consacré au repérage des situations-problèmes
dans lesquelles se dissolvent celles impliquant les jeunes sur le terrain de recherche et
qualifiées de « délinquance »85.
La notion de situation-problème a été ainsi saisie par le biais de la politique criminelle, c’est-
à-dire par le bout, pour déterminer à rebrousse-poil les critères de sa définition. Une
situation-problème se reconnaîtrait donc par trois éléments : 1) une situation de violation des
droits fondamentaux des individus ; 2) situation dont les conséquences sont vécues comme
négatives par certaines personnes ; 3) et face à laquelle il y a absence ou inadéquation des
dispositifs de contrôle destinés à garantir plus de sécurité à ces personnes86.
83
Ibid.
84
A. BARATTA, « Droits de l’homme et politique criminelle », Déviance et société, 1999, vol. 23, n° 3, pp.
239-257.
85
R. KIENGE-KIENGE INTUDI, op. cit., pp. 173-177.
86
Ibid.
29
b. La notion de contrôle social
Ce concept a été développé dans les travaux des auteurs comme Philippe Robert (« De la
‘criminologie de la réaction sociale’ à une sociologie pénale », 1981)87 et Fecteau (Un nouvel
ordre des choses : la pauvreté, le crime, l’État au Québec, de la fin du XVIIIe siècle à 1840,
1989)88.
Le concept de contrôle est aussi un concept-ouvert en ce sens que le criminologue va explorer
ce qui lui paraît pertinent pour mieux saisir et faire avancer la réflexion théorique sur la
question pénale. En général, le contrôle social comprend la question de la création et du
maintien des lois pénales ainsi que celle de l’application des lois et ses conséquences. En
même temps, on s’accorde pour dire que l’étude du contrôle social déborde largement ce
cadre dans la mesure où il comprend aussi les questions relatives au système correctionnel ou
pénitentiaire et à l’intervention psychosociologique (notamment le travail des éducateurs et
autres intervenants sociaux), les aspects psycho-sociaux de la réaction sociale, les questions
de politique sociale et criminelle (la prévention, la décriminalisation, la déjudiciarisation, les
formes alternatives de résolution des conflits ou de justice dite douce comme la médiation
pénale, le travail d’intérêt communautaire), etc.89.
Comme l’expose Alvaro Pires90, dans le dernier quart du 19e siècle, et dans la mouvance de
l’École positive, on se mit à chercher une appellation pour désigner cette nouvelle activité de
connaissance à prétention scientifique, qui s’articulait progressivement autour de la question
pénale. Plusieurs appellations furent alors proposées, voire adoptées, à tour de rôle et testées
pendant une période relativement longue jusqu’à ce que le terme « criminologie » finisse par
l’emporter définitivement sur les autres.
Les principales appellations, par ordre probable de parution, ont été « anthropologie
criminelle », « sociologie criminelle », « criminologie » et « biologie criminelle ». Les
expressions « science criminelle » et « politique criminelle » ont aussi été mises à
contribution. Le débat autour de ces appellations fut marqué par des enjeux de différents
ordres et ce débat est autant relié à la tradition culturelle et institutionnelle de chaque pays
qu’à la trajectoire intellectuelle de chaque auteur91.
87
Ph. ROBERT, « De la ‘criminologie de la réaction sociale’ à une sociologie pénale », in Année sociologique,
31, 1981, pp. 253-283.
88
J.M. FECTEAU, Un nouvel ordre des choses : la pauvreté, le crime, l’État au Québec, de la fin du XVIIIe
siècle à 1840, Outremont, VLB Éditeur, coll. « Études québécoises », 1989.
89
A. PIRES, Op. cit., p. 64.
90
Ibid., p. 44.
91
Ibid.
30
Bien qu’attachée à Lombroso, cette appellation évolua rapidement pour s’étendre aux
différentes positions de l’École positive italienne (Lombroso, Ferri, Garofalo) ainsi qu’à la
position d’auteurs aussi divergents entre eux que Gabriel Tarde, Alexandre Lacassagne et
Paul Topinard. On pense même que le succès de cette expression est dû au fait qu’elle a réussi
à se détacher de la thèse de l’hérédité pour couvrir l’étude totale de l’individu dans ses aspects
biologiques, psychologiques et sociaux. Le sens du mot « anthropologie » semble alors avoir
glissé vers sa signification étymologique (de l’homme ou anthropos), c’est-à-dire, l’étude de
la personne humaine ou de l’humanité. En effet, l’anthropologie désignait à cette époque la
discipline qui étudiait l’être humain du point de vue physique, en tant qu’espèce animale.
Quant au qualificatif « criminel » attaché à l’anthropologie, il se référait, pour certains, au
champ d’application de cette étude de la personne humaine criminalisée (le criminel), et pour
d’autres, il laissait entendre qu’il existerait une forme d’anomalie ou quelque chose de
« spécifique » dans l’explication du comportement de transgression d’une loi pénale ou
criminelle.
Le terme d’« anthropologie criminelle » a donc connu fortune surtout en Europe continentale,
même s’il est connu et utilisé aussi en Amérique du Nord. Ce terme est adopté en hommage à
Lombroso pour désigner les premiers congrès internationaux de criminologie tenus en Europe
continentale, soit à Rome en 1885, à Paris en 1889, à Bruxelles en 1892, à Genève en 1896, à
Amsterdam en 1901, à Turin en 1906 et à Cologne en 1911.
Cependant, l’appellation d’« anthropologie criminelle » n’a pas duré aussi longtemps que le
titre des congrès internationaux semble le suggérer. En effet, cette expression devenait de
nouveau attachée à la notion lombrosienne de criminel-né, laquelle notion devenait de plus en
plus contestée pour deux raisons : d’une part, elle était contestée dans sa dimension spécifique
de « traits physiques », d’autre part, par la perte progressive de confiance en la capacité de la
biologie d’expliquer le comportement criminalisé, du fait d’exclure les facteurs liés au milieu.
Le débat entre les dispositions biologiques ou héréditaires, d’une part, et d’autre part
l’influence du milieu comme explication du comportement criminalisé prit tellement
d’importance qu’il contribua à l’abandon de l’appellation d’« anthropologie criminelle ».
En effet, dès 1887, Paul Topinard, alors directeur de l’École d’Anthropologie de Paris,
désavouait la théorie du criminel-né de Lombroso. Dans un article intitulé L’anthropologie
criminelle publié en 1887 dans la revue d’anthropologie (n° 2, pages 658-691), il avait écrit
qu’il n’y avait pas de types anthropologiques du criminel et pas de branche de l’anthropologie
méritant le titre d’anthropologie criminelle. Il critique L’homme criminel de Lombroso en
écrivant qu’en somme Lombroso n’a pas prouvé l’existence d’un type général de criminel et,
à plus forte raison, d’un type de criminel-né, méritant tant soit la qualification
d’anthropologique92. Pour rescaper l’anthropologie de cette pernicieuse thèse de Lombroso, il
en arrive à suggérer deux autres expressions pour caractériser cette nouvelle activité de
connaissance : celle de criminalogie et celle de sociologie criminelle. Il écrit respectivement à
ce sujet :
92
Ibid., p. 48.
31
« Admettre l’atavisme, c’est-à-dire la fatalité du crime ou d’une constitution organique
conduisant au crime, serait saper à sa base la branche nouvelle de la science appliquée qui
se crée sous le nom de criminalogie », par référence, sans doute, à la criminalité93.
L’expression de « sociologie criminelle » proposée par Ferri avait donc une signification
équivalente à celle d’«anthropologie criminelle », et exprimait de manière explicite un parti-
pris favorable à la thèse du milieu social par opposition à celle des prédispositions
personnelles dans l’explication du comportement de transgression de la loi criminelle. Ce
faisant, la thèse du milieu social semblait prendre une certaine distance des thèses héréditaires
de Lombroso.
Cependant, pour prendre ses distances du mouvement de droit pénal social, Garofalo va
inventer un titre plus neutre, celui de « criminologie », pour désigner le même projet
interdisciplinaire de connaissance qui vise à introduire la « science positive » au cœur même
du droit pénal de sorte que le droit pénal se conforme aux conclusions de cette science
positive. C’est de cette science positive ou empirique (appliquée) que découle la
dénomination de l’École positive donnée à ce courant de pensée. En effet, même si Ferri va
mettre l’accent sur la sociologie et Garofalo sur la psychologie, écrit Pires, « il reste que tous
93
TOPINARD, cité par A. PIRES, ibid., p. 49.
94
Ibid.
95
Ibid., p. 50.
32
les deux soutiennent les thèses du criminel-né et de l’anomalie psychologique des
transgresseurs »96.
Jean Constant enseigne, dans Éléments de criminologie (publié à Liège en 1949, page 9), que
le mot « criminologie » aurait été employé pour la première fois par un médecin français
répondant au nom de Topinard (1830-1911) ; mais, indique-t-on, c’est Garofalo qui fit sa
fortune en publiant, à Turin, en 1885, son célèbre ouvrage intitulé La criminologie97.
Corrigeons cette assertion en précisant que Paul Topinard parla de « criminalogie » et non de
« criminologie ». La paternité de cette expression revient donc à Raffaele Garofalo, qui
publia en 1885 un ouvrage portant le titre de criminologie. En 1894, Durkheim va employer le
terme de criminologie dans Les règles de la méthode sociologique, tout en se limitant à dire
que la criminologie est une « science spéciale », sans faire allusion à ses rapports avec la
sociologie, à ses objets ou à sa nature d’être soit une science fondamentale, soit une science
appliquée.
Du côté des États-Unis d’Amérique, le terme de « criminologie » est bien reçu et perce
rapidement. En effet, en 1892, Mac Donald publie le premier manuel étasuniens portant le
titre de Criminology, et en 1909 à Northwestern University à Chicaco se tient le premier
congrès portant le nom de criminology : la National Conference of Criminal Law and
Criminology. Lors de ce congrès, on organise l’American Institute of Criminal Law and
Criminology. Et en 1910, est créé la revue savante américaine Journal of Criminal Law and
Criminology. En 1924, Edwin Sutherland publie son ouvrage classique intitulé Criminology,
qui deviendra à partir de 1934 Principles of Criminology.
Au Canada à l’Université de Montréal, Denis Szabo fonde en 1968, une revue savante portant
le titre de « Criminologie », dont l’adresse du site web est la suivante :
(http://www.cicc.umontreal.ca/publications/revue_criminologie/index.htm). Une École de
criminologie fonctionne aussi à Montréal et au Québec.
96
Ibid., p. 51.
97
E. YAMARELLOS et G. KELLENS, Le crime et la criminologie, 1. De « adultère » à « jeux de hasard »,
Verviers, Marabout Université, 1970, V° criminologie (notions générales).
33
En Afrique, un Institut de criminologie est créé en 1965 à Abidjan en Côte d’Ivoire où Yves
Brillon effectue des recherches qui sont publiées dans un ouvrage intitulé Ethnocriminologie
de l’Afrique noire (1980). Guy Houchon crée le Centre de criminologie et de pathologie au
sein de l’Université de Kinshasa en 1966, dont les travaux tariront faute de ressources
nécessaires. C’est en 2004 que, dans le cadre de la coopération interuniversitaire entre
l’Université de Lubumbashi et quelques universités belges où fonctionne une école de
criminologie, sera créée la première école de criminologie en RDC. Un tout premier colloque
international de criminologie aura lieu en 2006 sous le titre Criminologie et droits humains en
République démocratique du Congo. C’est en 2005 que nous défendrons à l’École de
criminologie de Louvain-la-Neuve notre thèse de doctorat en criminologie ayant porté sur Le
contrôle policier de la délinquance des jeunes à Kinshasa, une approche ethnographique en
criminologie. L’ouvrage portant ce titre sera publié seulement en 2010 et sera le tout premier
ouvrage de criminologie écrit par un chercheur congolais.
Alvaro Pires trouve étrange que le mot « politique criminelle » ait aussi été employé pour
désigner l’ensemble du projet criminologique. En effet, un certain nombre de chercheurs
jugeaient important de séparer complètement l’activité scientifique des applications politiques
pour assurer l’objectivité du chercheur et pour sauvegarder la crédibilité de la science99.
L’idée d’appeler la criminologie sous le nom de politique criminelle revient à Von Liszt qui
l’emploie dans un article daté de 1889. Il définit la politique criminelle comme « l’ensemble
systématique des principes fondés sur l’examen scientifique des origines du délit et des effets
de la peine, principes selon lesquels l’État doit combattre la délinquance à l’aide des peines et
d’institutions analogues »100. Cette définition s’approche des définitions proposées à l’époque
pour désigner la criminologie. En effet, le livre publié par Mezger en 1934 sous le titre de
Politique criminelle sur un fondement criminologique fut traduit en espagnole en 1950 par
Criminología. La seconde édition allemande de 1951 portera aussi le titre de Criminologie.
Un manuel.
6. L’émergence de la victimologie
Étant donné que la criminologie, telle est l’appellation qui a fini par s’imposer sur toutes les
autres, a en général soumis ou sacrifié les besoins et les intérêts des victimes « réelles » des
situations-problèmes aux intérêts et au système de rationalité du droit pénal, on assistera au
détachement de la criminologie vers les années 1970 d’un nouveau mouvement qui fait aussi
usage de la connaissance scientifique. Il s’agit de la « victimologie ». En effet, comme
98
A. PIRES, op. cit., p. 55.
99
Ibid.
100
Cité par A. PIRES, Ibid.
34
l’expose Alvaro Pires, « dans la représentation véhiculée par le droit criminel, c’est la
‘société’ qui est la victime des infractions, même si une partie considérable de celles-ci
relèvent directement d’une situation problématique concernant les personnes en tant
qu’individus. La tendance a donc été d’accepter le point de vue des victimes lorsqu’il
s’intégrait bien à la logique pénale (instrumentalisation des victimes), mais de l’ignorer
lorsqu’il mettait en cause la ‘solution pénale’ en faveur d’autres modes de résolution des
conflits (dédommagement, etc.) »101.
Cependant la victimologie n’a pas encore d’autonomie institutionnelle, car elle se développe à
côté de la criminologie.
Il y a lieu de constater avec Alvaro Pires102, qu’il est possible de voir, au-delà du débat sur les
différentes appellations et de ce processus de recherche d’un nom, qu’on voulait bâtir et
nommer un nouveau projet de connaissance, qui naissait dans le dernier quart du 19e siècle.
Ce nouveau projet de connaissance amalgamait progressivement à la fois différentes
« tranches » de disciplines tournées vers l’observation empirique et le savoir pénal lui-même.
Autrement dit, ce nouveau projet visait à fusionner les diverses branches de la « science
positive » (anthropologie, sociologie, biologie) et à appliquer ce nouveau regard au domaine
du comportement criminalisé et du droit pénal.
L’histoire des différentes appellations de la criminologie dans ce 19e siècle finissant indique
qu’il apparaissait à cette époque « quelque chose de nouveau » qu’on sentait le besoin de
nommer. Et ce « quelque chose de nouveau » ne pouvait être simplement l’étude des causes
du « crime » comme champ de recherche, puis que cela avait déjà commencé bien avant. La
nouveauté de ce projet ne résidait pas non plus dans les thèses particulières de l’École positive
italienne. En effet l’École italienne avait son ordre du jour propre. Car, d’une part, du point de
vue de ses présupposés théoriques, elle croyait au déterminisme universel et à une
représentation du comportement criminalisé comme une sorte d’anomalie du corps ou de
l’âme. L’infracteur était considéré à cet égard comme différent des honnêtes citoyens. Et
d’autre part, du point de vue de ses orientations de réforme du droit pénal, l’École italienne
préconisait une philosophie de la peine adaptée aux types d’infracteurs. Mais au-delà de ce
point de vue particulier de l’École positive italienne, l’idée d’un projet de connaissance plus
collectif se dessinait également de sorte qu’il n’était pas nécessaire d’être d’accord avec les
thèses de l’École positive italienne pour s’inscrire dans ce nouveau projet de connaissance sur
les comportements de transgression103.
Corrigeons d’abord ce qui a été écrit sur le rapport que la criminologie entretient avec le droit
pénal avant de spécifier la criminologie à ce savoir juridique.
Dans la deuxième édition de son Traité de droit pénal général congolais (2007)104, le
professeur Nyabirungu mwene Songa, s’appuyant sur Stefani et Levasseur105 se représente la
criminologie comme « l’ensemble des disciplines qui étudient la criminalité pour en
rechercher les causes, en connaître l’évolution et les conséquences ». Il poursuit : « Peut aussi
être retenue cette ‘belle’ définition qui nous vient de Pologne106 : ‘La criminologie étudie de
façon universelle le crime, la criminalité, le criminel ainsi que les mesures de réaction à la
criminalité’. Montrant sa contribution au champ pénal, il écrit que la criminologie ainsi
définie «éclaire le législateur sur la politique criminelle à suivre et aide le magistrat du
parquet, le juge et le personnel chargé de l’application des peines à comprendre la
personnalité du délinquant et à en tenir compte dans la conduite de l’instruction, le choix des
peines et mesures, et des modalités de leur exécution »107.
104
NYABIRUNGU mwene SONGA, Traité de droit pénal général congolais, Kinshasa, EUA, 2007, p. 36 et s.
105
G. STEFANI et G. LEVASSEUR, Droit pénal général, Paris, Précis Dalloz, 1978, n° 14.
106
L. TYSZKIEWICZ, Criminologie, esquisse d’un système, 2e édition, Katowice, 1986, p. 14, cité par P.
STEPNIAK, « Des recherches polonaises relatives à la criminologie », in R.D.P.C., 1994, 734.
107
NYABIRUNGU mwene SONGA, op. cit., p. 39.
108
Ibid.
36
objets d’étude et de les maintenir dans le seul code institutionnel, ce qui retreint l’objet
d’étude de la criminologie. On saurait donc envisager les rapports de la criminologie avec le
droit pénal sur cette base erronée.
Nous partirons de ce qu’en dit Raymond Gassin109, tout en apportant des correctifs dictés,
d’une part, par la représentation de la criminologie comme un champ d’étude et une activité
de connaissance, et d’autre part, par le code descriptif employé pour caractériser les objets de
la criminologie.
Il poursuit qu’à l’origine, « le débat était dominé par l’opposition entre les partisans de
l’‘impérialisme criminologique’ pour qui le droit pénal ne devait plus être considéré que
comme un chapitre de la criminologie, et les tenants de l’école technico-juridique du droit
pénal selon laquelle criminologie et droit pénal étaient deux disciplines entièrement distinctes,
sans rapports l’une de l’autre. Aujourd’hui, à la suite d’inflexions successives du débat, il
n’est plus grand monde pour nier que les deux matières sont à la fois distinctes et liées entre
elles par certaines relations ; mais la discussion porte sur la question cruciale de savoir quelle
doit être l’influence de la criminologie sur le contenu du droit pénal et de la politique
criminelle »111.
Le droit pénal est « une branche du droit public qui traite des infractions et des peines, et
dont l’objet essentiel est de déterminer les faits punissables et de fixer les sanctions qui
doivent leur être appliquées »112. Il est acquis que la criminologie et le droit pénal, ainsi
défini, sont aujourd’hui deux disciplines distinctes. « Le droit pénal n’est pas plus un
chapitre de la criminologie que cette dernière n’est une simple science annexe du droit
pénal »113. La distinction procède du fait que des objets qu’étudie la criminologie, tous
ne sont pas l’objet d’étude du droit pénal. Même lorsque ces deux disciplines partagent
l’étude des comportements criminalisés (les infractions à la loi pénale) ainsi que les
peines en tant que modalités de la réaction sociale institutionnelle contre ces infractions,
elles le font suivant des points de vue ou des perspectives différentes. En effet, le droit
pénal est une discipline normative qui déclare « ce qui doit être », et il utilise les
méthodes caractéristiques de la science du droit qui reposent sur l’analyse interprétative
de la loi pénale (l’exégèse ou l’interprétation littérale et téléologique), tandis que la
criminologie est une discipline empirique, qui étudie « ce qui est »114 suivant un registre
109
R. GASSIN, Criminologie, 6e éd., Paris, Précis Dalloz, 2007, n° 20 et s.
110
Ibid., n° 20.
111
Ibid.
112
NYABIRUNGU mwene SONGA, op. cit., p. 22.
113
R. GASSIN, op. cit., n° 21.
114
Ibid.
37
descriptif, et elle utilise pour ce faire les méthodes empiriques des sciences sociales en
les adaptant à la complexité particulière de son objet.
Le second point qui paraît également acquis aujourd’hui par la plupart des parties au
débat est qu’il ne saurait exister de cloison étanche entre les deux séries de disciplines.
En effet, le champ pénal fait aujourd’hui partie du champ criminologique aussi bien au
niveau de l’étude des situations-problèmes que des modalités du contrôle social (cf.
tableau des principaux aspects des objets de la criminologie). Les mécanismes
constitutifs de la politique criminelle constituent dès lors un aspect du contrôle social et
donc de la question pénale. Par ailleurs, nombreux pénalistes contemporains admettent
que le droit pénal ne saurait ignorer les résultats des recherches menées dans le champ
de la criminologie, qui permettent de faire évoluer positivement le droit pénal dans le
sens de lui doter d’un visage plus humain. Ainsi en est-il, dans l’évolution du droit pénal
du principe de l’individualisation des peines ayant introduit des mécanismes comme le
sursis, la libération conditionnelle ; des mesures de sûretés, et actuellement des mesures
alternatives à l’application des peines…).
Toutefois le seul point en discussion porte sur l’ampleur de l’influence que la criminologie
exerce sur le droit pénal. Néanmoins, certains auteurs affirment que « il n’est pas exagéré de
dire que si entre la criminologie et le droit pénal, le mariage n’est que de raison, les nécessités
lui imposent une solide indissolubilité »115.
2. La criminologie et la criminalistique
Cela dit, on devrait retenir que la criminalistique n’est pas à confondre avec la criminologie.
De plus, contrairement à la conception encyclopédique de la criminologie de l’école
autrichienne incluant la criminalistique dans la criminologie, elle ne fait pas partie de la
criminologie au sens strict. En effet, elle a un but exclusivement probatoire (c’est la science
de la preuve pénale) et, de fait, est une discipline auxiliaire de la procédure pénale117, alors
que la criminologie, dans son double statut de champ d’étude et d’activité de connaissance, a
pour but l’élucidation de la question criminelle ou pénale, largement entendue c’est-à-dire les
situations problèmes et le contrôle social. Toutefois, la criminologie s’intéresse également aux
mécanismes de sélection qui se réalisent au niveau de la police judiciaire, et qui contribuent à
la constitution du crime au niveau judiciaire. Dès lors, l’étude du travail de la police judiciaire
ou même du travail d’investigation criminelle, dans sa dimension empirique, est comprise
dans le champ de la criminologie.
115
G. STEFANI, G. LEVASSEUR, et JAMBU-MERLIN, Criminologie et science pénitentiaire, Paris, Précis
Dalloz, 1985, n° 10, cités par R. GASSIN, op. cit., n° 22, note de bas de page n° 2.
116
R. GASSIN, op. cit., n° 24.
117
Ibid.
38
L’importance de la criminalistique, au regard de cette manière de considérer le crime, comme
une réalité juridique et judiciaire, est de permettre la constitution du crime et du criminel au
moyen des preuves techniques qu’elle peut recueillir. On peut donc retenir qu’il n’existe ni
crime, ni criminel sans une preuve convaincante.
3. La criminologie et la pénologie
La pénologie, écrit Raymond Gassin, « est la branche des sciences criminelles qui étudie les
fonctions des sanctions pénales, les règles de leur exécution et les méthodes utilisées dans leur
application »118. Autrefois, elle était réduite à la science pénitentiaire dans la mesure où son
objet se rapportait aux seules peines privatives de liberté. Mais la science pénitentiaire s’est
élargie à la pénologie à partir du moment où elle a pris également pour objet d’étude les
peines et les mesures de sûreté autres que l’emprisonnement. « L’étude de la privation de
liberté est aujourd’hui souvent appelée ‘carcérologie’ »119.
Revenons au rapport de la pénologie avec la criminologie pour indiquer qu’il s’agit d’un
rapport d’inclusion. En effet, l’étude des sanctions pénales dans leur création, leurs fonctions,
leurs effets, etc. constitue un aspect de la criminologie à travers le contrôle social, dans la
mesure où le savoir criminologique articule, dans une perspective interdisciplinaire le savoir
juridique avec les autres savoirs produits dans les sciences humaines. Ainsi, même la
dimension juridique des sanctions pénales entre dans le champ de la criminologie.
Avant de clore ce point consacré aux rapports que la criminologie entretient avec les
disciplines voisines, il y a lieu de relever que le professeur Raymond Gassin établit une
distinction entre la criminologie et la sociologie pénale. Il exclut celle-ci du champ de la
criminologie qu’il considère, du reste, comme ayant essentiellement pour objet d’expliquer
les facteurs et les processus de l’action criminelle »120. Pour lui, la sociologie pénale n’a rien à
avoir avec la criminologie ainsi définie. Il caractérise la sociologie pénale par son triple
contenu ci-après: 1) la sociologie du droit pénal proprement dit qui consiste dans l’étude
empirique des lois pénales ; 2) la sociologie de la peine, qui s’interroge sur les conditions
sociologiques de leur apparition et de leur développement ou de leur abolition, ainsi que les
effets qu’elles entraînent dans la société ; 3) la sociologie du procès pénal enfin qui étudie le
fonctionnement des divers organes de la justice pénale (police, parquets, juges d’instruction,
118
Ibid., n° 27.
119
R. GASSIN, op. cit., n° 27.
120
Ibid., n° 29-30.
39
juridictions de jugement, auxiliaires de la justice pénale : avocats, experts…) et les résultats
sociologiques de leurs activités121.
Il y a lieu de noter que la difficulté pour le professeur Gassin d’admettre la sociologie pénale
dans la criminologie résulte du fait qu’il définit la criminologie comme l’étude de l’action
criminelle, c’est-à-dire d’un comportement criminel comme un fait brut, substantiel et il en
fait l’étiologie. Il fait par conséquent la criminologie du passage à l’acte ou étiologique. C’est
pourquoi il exclut même la criminologie de la réaction sociale. En effet, lorsque l’on
considère le crime comme un construit pénal, on ne peut pas s’empêcher d’étudier la réaction
sociale dans sa double manifestation, d’abord sous la forme de la criminalisation primaire de
certains comportements, ensuite, sous la forme de la criminalisation secondaire à travers la
judiciarisation de la situation problématique.
C’est sur cette même base étiologique qu’il distingue aussi la criminologie appliquée ou
l’étude scientifique de la valeur des moyens de lutte contre la délinquance, laquelle
comprendrait la « criminologie de la politique criminelle et des techniques pénales » qu’il
appelait autrement de « criminologie juridique »122, la criminologie clinique ainsi que « la
criminologie préventive ». Ces subdivisions, qu’il consacre, traduisent le souci de la gestion
de la délinquance ou de la criminalité, considérée comme une réalité substantielle.
121
Ibid., n° 29.
122
R. GASSIN, Criminologie, 3e éd., Paris, Précis Dalloz, 1994, p. 459 et s.
40
CHAPITRE DEUXIÈME : LA METHODOLOGIE DE LA
CRIMINOLOGIE
Trois questions seront examinées dans ce chapitre : la définition de la méthodologie et
spécificité de la méthodologie de la criminologie, des considérations épistémologiques sur
cette méthodologie, enfin, le problème de la mesure de la criminalité au moyen des
statistiques dites criminelles.
Après avoir su ce qu’est la criminologie et son objet d’étude, il convient de s’interroger sur la
manière dont cet objet est connu et étudié. C’est le problème de la méthodologie. Dans son
Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales publié à Paris chez
Armand Colin, Laurent Mucchielli (1996 : 29), définit la méthodologie comme « la réflexion
préalable sur la méthode qu’il convient de mettre au point pour conduire une recherche ».
S’appuyant sur cette définition de la méthodologie comme « réflexion préalable », Dan
Kaminski (2005 : 5) écrit que « La méthodologie n’est donc pas (ou pas seulement) l’exposé
des méthodes (qui sont à réinventer à chaque recherche). La « réflexion préalable » (qui est le
véritable objet de la méthodologie) contient 1) des questions de type épistémologique sur la
connaissance (scientifique) et ses conditions de production ; 2) des questions de méthodologie
générale (par exemple les questions relatives à la validité, à l’échantillonnage et au ‘tracé’ de
la recherche) ; des questions propres aux techniques de recueil et d’analyse de données
utilisées en criminologie ».
Raymond Gassin (2007 : 38) caractérise la méthodologie de la criminologie par trois traits
essentiels :
- Le premier de ces traits est le recours à l’induction ou aux recherches de type inductif,
du fait que « la criminologie est une science empirique fondée sur l’observation de la
réalité et sur l’expérience, par opposition aux sciences normatives, dont fait partie le
droit pénal, et qui recourent au raisonnement déductif ». Ce trait relève du tracé de la
recherche. Sans opposer à l’extrême ces deux tracés, « les démarches déductive et
inductive s’inscrivent dans la circularité du rapport entre théorie et données »
(Kaminski, 2005 : 32) et forment le cercle de la recherche qui part des données vers la
théorie en passant par des généralisations empiriques (induction) et de la théorie vers
les données en passant par les hypothèses (déduction).
41
Raoul Kienge-Kienge Intudi, Initiation à la recherche scientifique, Faculté de Droit,
Université de Kinshasa, 2009).
Cet auteur s’interroge sur « la valeur des données que, dans les sciences humaines, nous
sommes à même de recueillir ». « S’agit-il d’un ‘réel’ qui se dévoile d’une manière non
problématique et dans son objectivité, en fonction des moyens qui s’imposent à son propos du
fait de leur ‘utilité’ ou du fait de la position que nous occupons par rapport à ce ‘donné’»
(2009 : 309).
42
L’auteur nous invite à « reconnaître qu’à ce point de vue, la criminologie comme le droit
pénal posent un problème particulier. En effet, poursuit-il, le comportement ‘délinquant’ est
un comportement qui porte atteinte aux valeurs du groupe social ou de ses membres et du fait
même, menace l’intégrité de ce groupe et sa cohésion. C’est-à-dire qu’il appelle une réaction
de défense, de telle sorte que l’on peut s’attendre à ce que ce soit à partir de cette réaction que
les connaissances s’ordonnent, ou encore, que les normes de la vie sociale sont affirmées. Il y
aurait donc, derrière ces connaissances acquises ou derrière cette affirmation des normes, un
implicite qu’il serait particulièrement difficile d’éliminer et qui nous paraît lié au fait que
toute réaction de défense implique réduction de l’autre (si c’est d’un autre qu’émane le
danger) à ce qu’il importe de connaître pour maîtriser la menace qu’il représente ». On peut
imaginer sans trop de difficulté l’angoisse et le sentiment d’insécurité que produisent dans un
groupe social les situations qualifiées de délinquantes ou de criminelles. Ils justifient
l’adoption, de façon quasi naturelle, par les différents protagonistes de ces situations et les
instances de contrôle social, d’une « grille de lecture réductrice » sur ces situations. Pour
Christian Debuyst, il s’agit là d’un fait, qu’on le veuille ou non : droit pénal et criminologie
de trouvent confrontés à ce même modèle de connaissance. En effet, « la connaissance que
nous avons du réel ne peut se faire qu’à travers une grille de lecture qui conduit à une
déformation de celui-ci ou à une sélection qui s’y opère. De ce qui précède, trois
considérations peuvent être déduites :
Cet implicite pourrait se comprendre à partir du modèle éthologique ainsi que des
analyses faites par des psychologues sociaux sur ce qu’on a appelé les mécanismes
d’attribution. Il s’agit là d’une manière générale d’appréhender la réalité extérieure qui
s’impose comme interprétation préalable et qui nous paraît valoir pour l’homme comme
pour l’animal (d’où l’expression du modèle éthologique que Christian Debuyst présente
comme un mode de connaissance).
Accepter qu’à ces niveaux, différents points de vue puissent être exprimés,
avec les limites que constituent forcément dans ce domaine, les impératifs
politiques (2009 : 330).
43
Ainsi, fait observer Christian Debuyst, la connaissance n’est pas « donnée » au chercheur à la
manière d’une chose, mais elle « résulte au contraire d’un processus dont la caractéristique
essentielle est l’analyse critique des données telles qu’elles apparaissent et à travers lesquelles
s’exprime déjà une forme de connaissance préalable ou de théorie implicite qui se constitue
progressivement et s’actualise à travers la manière de découper le réel. Cela étant, la fonction
du langage scientifique doit consister non pas à « décrire non donné qui se découvrirait à
l’observateur dans sa réalité, mais à analyser les biais et les filtrages à travers lesquels ce
donné nous apparaît en vue de dépasser ces interprétations préalables, peut-être utiles, mais
déformantes par rapport à la réalité »123.
Il est donc indispensable que le chercheur, qui étudie le réel défini comme délinquance prenne
la distance nécessaire et crée une rupture avec cette connaissance préalable ou cette théorie
implicite sur l’objet de recherche. Il est appelé également à adopter une posture critique à
l’égard du savoir construit antérieurement sur l’objet d’étude.
Le colloque tendait à substituer à ces deux grilles de lecture (perspectives), celle de l’acteur
social.
« Sous le terme d’acteur social, sont présentes les idées que, d’abord, le sujet n’est pas
un être passif dont le comportement résulterait du jeu des déterminismes ; que d’autre
part, il ne constitue pas une abstraction dans la mesure où il est porteur d’un point de
vue propre qui dépend de la position qu’il occupe dans le cadre social, de l’histoire qui
a été la sienne et des projets autour desquels son activité s’organise ; que finalement, il
est appelé, dans le cadre des interrelations (ce terme étant entendu dans un sens large)
à être acteur, c’est-à-dire ‘agissant’ ou intervenant, et qu’il se trouve de ce fait
confronté à des jeux de pouvoir et, à l’intérieur ou au-delà de ces jeux, à l’importance
qu’ont, dans l’élaboration de sa propre identité, les processus de reconnaissance »124.
Et compte tenu du type de découvertes qu’elles font, les sciences sociales ne peuvent
prétendre se passer d’une recherche de la vérité sur le monde empirique. En effet, comme le
relève la Commission GULBENKIAN, « leurs racines plongent dans la tentative, pleinement
affirmée depuis le XVIe siècle, de développer une connaissance séculière systématique du
réel, valide empiriquement d’une quelconque manière »126. Au moment de son
autonomisation de la philosophie, la science avait pour objectif de développer une
connaissance ‘objective’ de la ‘réalité’ sur la base des découvertes empiriques par opposition
aux spéculations et à toute connaissance dite a priori ou aux prénotions au sens large. Même
si à la fin, l’orientation théorique donnée à la description d’un ensemble des faits dans une
recherche est toujours une forme de construction de la réalité, la référence à la réalité permet
de dire que certaines constructions sont plus valables que d’autres autant d’un point de vue
empirique que sous l’angle des valeurs. Car la recherche comporte toujours une sélection
d’aspects de la réalité et des déformations, acceptables ou non, de cette réalité127.
Cette exigence de l’empirie s’impose aussi bien à l’étude des phénomènes sociaux qu’à celle
des phénomènes naturels, car « le problème de la connaissance scientifique se pose de la
même manière pour les phénomènes sociaux et les phénomènes naturels : dans les deux cas,
des hypothèses théoriques doivent être confrontées à des données d’observation ou
d’expérimentation »128. Aussi Gaston Bachelard caractérise-t-il le fait scientifique comme un
fait conquis sur les préjugés, u n fait construit par la raison et un fait constaté dans les faits129.
Dans le cadre de cette empirie, nous nous permettons d’avantager l’enquête de terrain, et
particulièrement l’approche ethnographique130, pour des objets qui relèvent de la
criminologie. En effet, l’ethnographie « a pour vocation originaire de rendre la parole aux
humbles, à ceux qui par définition n’ont jamais la parole […]. L’ethnographie ne juge pas, ne
condamne pas au nom d’un point de vue ‘supérieur’. Elle cherche avant tout à
comprendre »131 et permet de mettre au jour la complexité des pratiques sociales les plus
125
G. GRANGER, « Épistémologie », Encyclopedia Universalis, pp. 61-68.
126
Commission GULBENKIAN, Ouvrir les sciences sociales, Paris, Descartes et Cie, 1996, p. 8, citée par A.
PIRES, « De quelques en jeux épistémologiques d’une méthodologie générale pour les sciences sociales » in La
recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques, 1997, p. 6.
127
A. PIRES, « De quelques en jeux épistémologiques d’une méthodologie générale pour les sciences sociales »
in La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques, 1997, pp. 18-19.
128
R. QUIVY et L. VAN CAMPENHOUDT, Manuel de recherche en sciences sociales, Paris, Dunod, 1995, p.
14.
129
Voir à ce sujet le syllabus du cours d’Initiation à la recherche scientifique (G2 A).
130
Voir R. KIENGE-KIENGE INTUDI, Le contrôle policier de la délinquance des jeunes à Kinshasa. Une
approche ethnographique en criminologie, 2010.
131
S. BEAUD et F. WEBER, Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte, p. 8.
45
ordinaires des enquêtés, celles qui vont tellement de soi qu’elles finissent par passer
inaperçues, celles qu’on croit « naturelles » parce qu’elles ont été naturalisées par l’ordre
social132.
Compte tenu du fait que la délinquance et le délinquant sont le produit d’une définition légale
et institutionnelle, seule une recherche empirique permet d’observer le réel en rapport avec
pareil objet. L’ethnographie permet ainsi de rendre la parole aux personnes définies comme
délinquantes, et particulièrement aux personnes souvent marginalisées dont le point de vue est
souvent dominé.
132
Ibid., p. 9.
133
A. PIRES, « De quelques en jeux épistémologiques d’une méthodologie générale pour les sciences sociales »
in La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques, 1997, p. 51.
134
Lire R. KIENGE-KIENGE INTUDI, Le contrôle policier de la délinquance des jeunes (déjà cité).
46
III. LE PROBLÈME DE LA MESURE DE LA CRIMINALITÉ AU MOYEN DES
STATISTIQUES DITES CRIMINELLES
Nous définirons la criminalité avant de nous pencher sur le problème de sa mesure au moyen
des statistiques dites criminelles et de la valeur que présentent ces statistiques.
La criminalité est communément définie comme l’ensemble des faits infractionnels (ou
criminels) commis au cours d’une période de temps déterminé dans une aire géographique
donnée135. Il s’agit d’un phénomène de masse ou essentiellement quantitatif. Par conséquent,
« les techniques d’approche de la criminalité se ramènent principalement aux procédés de
mesure de la criminalité »136.
La criminalité apparente est l’ensemble des faits infractionnels (ou criminels) portés à la
connaissance des autorités de police (criminalité apparente policière) ou des organes
judiciaires de poursuite (criminalité apparente judiciaire)138.
La criminalité légale est l’ensemble des faits infractionnels ou criminels ayant donné lieu aux
condamnations pénales prononcées par les cours et tribunaux139.
L’écart, plus ou moins important, qui existe entre la criminalité réelle et la criminalité connue
(au niveau apparent) est appelé chiffre noir de la criminalité (« darknumber » en anglais) ou
encore criminalité cachée. Du chiffre noir, on distingue le chiffre gris, qui correspond au
nombre des auteurs de faits criminels non identifiés par la police, bien que ces faits soient
connus par cette dernière140.
Il convient de faire remarquer au sujet de cette définition de la criminalité, que celle-ci est
composée des faits infractionnels commis ou constatés. Ce qui revient à dire que lorsque l’on
aborde le problème de la criminalité, on se situe par rapport au Code pénal qui définit les
infractions. Le code adopté est donc le code institutionnel des objets de la criminologie. La
perspective est juridique et la finalité est technique : il s’agit de lutter contre cette criminalité
(de la combattre ou de l’éradiquer). Il ne s’agit donc pas d’une perspective descriptive et plus
criminologique, qui viserait la compréhension de ces faits infractionnels envisagés comme des
situations-problèmes.
135
R. GASSIN, Criminologie, Paris, Dalloz, 6e éd. 2007, p. 117, n° 147. Cet auteur parle plutôt d’infractions au
lieu des faits infractionnels (au niveau réel et apparent).
136
Ibid.
137
Ibid., p. 127, n° 156.
138
Ibid.
139
Ibid.
140
Ibid., p. 127, note 1.
47
2. La mesure de la criminalité au moyen des statistiques
La mesure de la criminalité n’est pas chose facile, comme le reconnaît Raymond Gassin ; elle
est même particulièrement difficile, dans la mesure où « la criminalité est une variable qui, en
règle générale, ne peut être mesurée que d’une manière indirecte »141, et ce à la différence des
variables comme l’âge ou le sexe, qui sont directement observables.
Ce constat donne raison aux tenants de la criminologie de la réaction sociale, pour qui le
crime ou la criminalité ne sont pas des réalités substantielles observables directement. Il s’agit
des réalités juridiques ou construites pénalement ou encore des êtres de raison, quoique l’on
reconnaisse l’existence des actes ou des manières d’agir ou de faire concrets et observables,
qui posent problème (situations problématiques).
Mais ces indicateurs posent généralement le problème de leur validité et de leur fiabilité. En
effet, ainsi que l’indique Raymond Gassin, « traditionnellement, la mesure de la criminalité
s’est faite et continue à se faire au moyen des statistiques criminelles ou de la criminalité »142.
Mais, poursuit-il, comme précisément les indicateurs utilisés par ces statistiques sont de
simples manifestations de réactions (sociales au niveau formel ou des agences de la justice
pénale) aux faits criminels connus (procès-verbaux dressés par la police, poursuites engagées
par les parquets, condamnations prononcées par les juridictions répressives), ils ont suscité de
violentes critiques143, notamment de la part des tenants de la criminologie de la réaction
sociale, qui estiment que les statistiques ne sont pas en réalité une mesure fiable de la
criminalité. Face à ces critiques, on a commencé à compléter les statistiques par d’autres
techniques d’évaluation de la criminalité. Nous examinerons d’abord les statistiques
criminelles, puis les techniques d’évaluation de la criminalité.
1) Les statistiques publiques et les statistiques privées. Cette classification repose sur
la qualité de la personne ou de l’organisme qui dresse la statistique. Ainsi les
statistiques publiques ou officielles sont celles qui sont dressées par les organismes
officiels (comme par exemple les statistiques du ministère de la Justice) ; tandis
141
Ibid., p. 117.
142
Ibid., p. 118.
143
Ibid.
144
Ibid., n° 149.
145
Voir Ibid., pp. 119-120, n°s 150 à 153.
48
que les statistiques privées ou scientifiques sont celles qui sont établies par des
chercheurs. Compte tenu des moyens importants que requiert l’élaboration des
statistiques de la criminalité, la plupart d’entre elles sont des statistiques
officielles. Cependant, en RDC, on ne dispose pas des statistiques officielles ou
publiques de la criminalité, particulièrement au niveau du ministère de la Justice.
Ainsi, les statistiques policières sont celles qui sont dressées par les services de police et qui
comptabilisent les faits infractionnels connus de la police ainsi que les personnes arrêtées par
ses services. Elles peuvent être réparties selon l’âge, le sexe, l’origine des personnes arrêtées
ou interpellées ou selon le type d’infractions constatées. Ainsi, selon l’âge, on distingue la
criminalité (délinquance) des jeunes (délinquance juvénile) de la criminalité sénile (pour les
adultes). Selon le sexe, on distingue la criminalité féminine de la criminalité masculine. Selon
l’origine des personnes arrêtées ou interpellées, on distingue la criminalité d’origine nationale
de la criminalité d’origine étrangère ou celles qui implique les immigrés. Enfin, selon le type
d’infractions constatées, on distingue la criminalité d’atteinte aux biens ou à la propriété, la
criminalité violente (d’atteintes aux personnes ou aux biens impliquant l’usage de la violence)
de la criminalité astucieuse ou encore la criminalité financière ou économique, la criminalité
en col blanc. Selon Kellens et Yamarellos, qui reprennent la célèbre définition de Sutherland,
l’expression « crime en col blanc » (White collar crime) désigne les activités illégales
déployées par des personnes respectables et de classe sociale élevée, – qui normalement
portent le ‘col blanc’ – en relation avec leurs activités professionnelles »146.
Les statistiques judiciaires et des Parquets comptabilisent soit les condamnations prononcées
par les Cours et tribunaux, soit les plaintes, dénonciations et procès-verbaux portés à la
connaissance des Parquets et le sort qui leur est réservé. Elles peuvent également être réparties
selon l’âge, le sexe, l’origine des personnes inculpées ou des victimes identifiées ou selon le
type d’infractions constatées.
Les statistiques pénitentiaires et de rééducation sont celles qui concernent tant le nombre et la
répartition des détenus dans les établissements pénitentiaires et les établissements de garde et
d’éducation de l’État (EGEE) pour les enfants en conflits avec la loi que les données
numériques relatives à l’application des mesures de traitement en milieu ouvert (sursis avec
mise à l’épreuve, liberté surveillée des enfants en conflits avec la loi, travail d’intérêt
général…).
146
E. YAMARELLOS et G. KELLENS, op. cit., v° col blanc (crime en), pp. 90 et s. ; E.H. SUTHERLAND,
« White Collar Criminality », American Sociological Review, 1940, p. 1.
49
Avant de discuter la valeur des statistiques en tant que mesure de la criminalité, examinons les
autres techniques complémentaires d’évaluation de la criminalité.
Comme les statistiques criminelles ne peuvent mesurer, dans le meilleur des cas que la
criminalité connue (au niveau apparent ou légal), on a eu recours à de nouvelles techniques
d’évaluation de la criminalité qui complètent les statistiques. Il s’agit des techniques
d’approche du chiffre noir, des évaluations du coût du crime, des sondages sur le sentiment
d’insécurité, et enfin, des recherches qualitatives sur la criminalité147.
147
Lire R. GASSIN, op. cit., pp. 132 et s.
148
Ibid., n° 164.
149
Ibid., n° 165.
50
cours de ces enquêtes, en sont pas toujours infractionnels ni ne tombent sous le coup
de la loi pénale. Par ailleurs, ces enquêtes sont parfois inexactes dans la mesure où les
victimes participant à l’enquête, peuvent commettre des erreurs de mémoire sur les
lieux des faits ou même sur la nature des faits. Il est possible que la qualité de victime
ne soit pas bien comprise par les répondants, qui peuvent s’attribuer ce qui est arrivé à
un proche.
150
Ibid., p. 137, n° 166.
151
Ibid., pp. 137-138, n° 167.
152
Ibid., p. 138.
51
qualifiés au 5e colloque criminologique du Conseil de l’Europe (Strasbourg, 1981, p. 30)
d’approche descriptive –interprétative »153.
Il est évident que les statistiques « criminelles » ne mesurent pas la criminalité réelle, à cause
de l’existence du chiffre noir de la criminalité. La question fondamentale, dès lors, observe
Raymond Gassin, « est de savoir à quoi correspond ce chiffre noir »155. Au XIXe siècle,
poursuit-il, le statisticien belge Quetelet avait formulé l’hypothèse que l’écart qui sépare la
criminalité connue de la criminalité réelle était un écart constant. Mais aujourd’hui, l’opinion
quasi unanime des criminologues, appuyée par des recherches empiriques, est que, loin d’être
constant, le chiffre noir varie constamment d’une période à une autre, comme d’un pays à
l’autre, sous l’influence des facteurs divers, notamment des variations de l’activité des
services de police et de justice156.
Partant de ce constat, Philippe Robert se pose la question préalable suivante sur les
statistiques criminelles : que mesurent-elles ? Que peuvent-elles mesurer ?157Cet auteur fait
remarquer que le statut de ces statistiques doit être déterminé et cette détermination ne peut se
faire d’après leur appellation. Elles ne sont pas nécessairement une mesure de la criminalité
parce qu’on les nomme « criminelles » ; on pourrait tout aussi bien les dire « pénales »158.
Philippe Robert engage une discussion conceptuelle (sur l’appellation des statistiques :
criminelles ou pénales) en examinant, dans un premier temps, les conditions de production
des statistiques criminelles (à savoir les mécanismes de reportabilité, d’une part, qui prennent
en compte la visibilité des faits et leur renvoi, et qui président à la naissance statistique d’une
affaire, et d’autre part, la reconstruction d’objet, qui montre que la survie statistique d’une
affaire est tributaire de son acceptation par le système pénal, conçu comme un entonnoir en
cascades muni d’étages successifs que sont la police, le ministère public, les juridictions
d’instruction préparatoire, les juridictions de jugement et les organes d’exécution des
sentences, chaque étage accomplissant la double fonction de sélection et d’orientation). Dans
un deuxième temps, il procède à la comparaison des statistiques avec la criminalité (voir les
techniques d’évaluation de la criminalité examinées ci-dessus).
153
Cité par R. GASSIN, op. cit., p. 141.
154
Ibid., p. 128.
155
Ibid., p. 127.
156
Ibid., p. 127-128, n° 156.
157
Ph. ROBERT, « Les statistiques criminelles et la recherche. Réflexions conceptuelles », Déviance et société,
Genève, 1977, vol. 1, n° 1, p. 3-27.
158
Ibid., p. 4.
52
Philippe Robert aboutit à la conclusion qu’« il n’est pas correct d’user des statistiques
pénales pour connaître la criminalité. Il n’est même pas légitime d’avancer qu’elles mesurent
une partie de la criminalité »159. Les données chiffrées, poursuit-il, « peuvent, en effet,
apporter beaucoup dans l’analyse d’un mécanisme de contrôle social, dans la révélation de sa
logique propre. Elles permettent, en effet, d’apprécier le système pénal à ses fruits
puisqu’elles sont fondamentalement comptage de ses produits »160. Aussi qualifie-t-il les
statistiques de pénales plutôt que de criminelles, ce qu’elles ne sont pas. Donc, conclut-il,
« une utilisation correcte des statistiques pénales permet d’analyser et de comprendre la
justice pénale par la considération successive de ses modes d’opérer et ses clientèles »161.
159
Ibid., p. 20.
160
Ibid., p. 22.
161
Ibid.
53
CONCLUSION
Dans cette introduction à la criminologie, destinée aux candidats juristes, nous avons abordé
deux chapitres, consacrés respectivement à la définition de la criminologie et à sa méthode.
Le nombre d’heures consacré à cette matière ne nous a pas permis de passer en revue les
théories criminologiques. Ce point pourra être examiné dans le cadre du cours de criminologie
clinique en deuxième licence, dans l’option droit privé et judiciaire.
Au sujet de la définition de la criminologie, il convient donc de retenir que nous nous sommes
représenté la criminologie comme un champ d’étude et une activité complexe de connaissance
interdisciplinaire, de nature à la fois scientifique et éthique, ayant pour but l’élucidation et la
compréhension de la question pénale (situation-problème et contrôle social). La manière dont
le contenu de la question pénale a été abordé a certainement bousculé vos évidences sur le
droit pénal et sur la justice pénale de manière générale, ses objectifs déclarés et son
importance dans la société.
« À mes yeux, il y a dans [la] rencontre de la criminologie et des droits humains, ici en terre
africaine, un véritable enjeu ou, plus exactement, une opportunité qu’il faut saisir, celle de
permettre un renversement de perspectives dans le champ pénal sur d’autres bases et avec
d’autres présupposés. D’un côté, les droits humains, les droits fondamentaux, les droits et
libertés m’apparaissent de plus en plus comme des ressources qui peuvent et doivent être
mobilisés pour renouveler la manière de poser la question de la déviance, de la délinquance
et de la réaction sociale. Je ne me réfère pas ici aux droits humains comme catégorie
juridique mais comme expérience éthique et politique. D’un autre côté, la criminologie n’est
pas seulement un savoir scientifique mais elle est aussi un savoir social orienté vers un
modèle démocratique d’intervention et d’action. Enfin, la criminologie est aussi un état
d’esprit qui nous apprend une manière d’être et de penser : refuser les évidences et les
préjugés, (oser) poser les questions essentielles, confronter les points de vue et les
disciplines, se remettre en cause et parfois même aussi les institutions. Cette relative
impertinence ou insolence de la criminologie – qui, disons-le, perturbe les juristes – est à
mes yeux essentielle car elle nous oblige de reprendre, modestement mais sérieusement, les
choses à la racine »162.
* * *
162
Fr. TULKENS, op. cit., pp. 31-32.
54
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION ................................................................................................................................................. 3
INTRODUCTION ................................................................................................................................................. 3
1. LE CONTEXTE DU COURS.................................................................................................................................. 3
2. L’INTITULE DU COURS ..................................................................................................................................... 3
3. LA METHODE D’ENSEIGNEMENT ...................................................................................................................... 3
4. LES OBJECTIFS DU COURS ................................................................................................................................ 4
A. Objectifs généraux ..................................................................................................................................... 4
B. Objectifs spécifiques .................................................................................................................................. 4
5. ORGANISATION DE L’ENSEIGNEMENT (VOLUME HORAIRE) .............................................................................. 4
6. ÉVALUATION ET CONTRÔLE DES CONNAISSANCES ........................................................................................... 4
7. BIBLIOGRAPHIE RECOMMANDÉE ...................................................................................................................... 5
8. PLAN DU COURS ............................................................................................................................................... 7
CHAPITRE PREMIER : LA DEFINITION DE LA CRIMINOLOGIE ........................................................ 8
I. LE PROBLÈME DE LA DÉFINITION DE LA CRIMINOLOGIE .................................................................................... 8
1. De la criminilogie comme science du crime ou du phénomène criminel………………………………………9
2. Les définitions larges de la criminologie ................................................................................................... 9
3. Les définitions étroites de la criminologie ............................................................................................... 10
4. Risque de rabattement du « crime » sur son aspect substantiel et recours à son étymologie .................. 11
II. LE STATUT THÉORIQUE OU SCIENTIFIQUE DE LA CRIMINOLOGIE ................................................................... 12
1. La criminologie comme une branche d’une autre science ....................................................................... 13
2. La criminologie comme une science autonome au même titre que les autres sciences humaines ............ 13
3. La criminologie comme un « champ d’étude » ou un « corpus de connaissance » .................................. 13
4. Une quatrième et actuelle représentation de la criminologie .................................................................. 14
III. EXPLICITATION DU DOUBLE STATUT SCIENTIFIQUE DE LA CRIMINOLOGIE ................................................... 15
1. La criminologie comme un « champ d’étude » ou un « corpus de connaissance » .................................. 15
a. La dimension ouverte, conventionnelle, variable et évolutive du champ criminologique ........................ 15
b. L’aspect contraignant ou « objectif » du champ criminologique ............................................................. 16
c. Le caractère (non) scientifique des savoirs compris dans le champ criminologique ............................... 16
2. La criminologie comme une activité de connaissance.............................................................................. 16
a. La notion d’activité de connaissance remplace celle de « science autonome » appliquée à la
criminologie ................................................................................................................................................. 17
b. La notion d’activité de connaissance affirme l’autonomie institutionnelle de la criminologie ................ 18
c. La notion d’activité de connaissance admet l’existence objective d’une démarche ou d’un projet
spécialement criminologique ........................................................................................................................ 19
d. La notion d’activité de connaissance ne dévalorise pas scientifiquement la criminologie ...................... 21
IV. LE PROBLÈME DES OBJETS D’ÉTUDE DE LA CRIMINOLOGIE .......................................................................... 23
1. Position du problème................................................................................................................................ 23
2. Les deux aspects de la question pénale ou « les deux codes de langage » ............................................... 24
a. Le code institutionnel ou substantiel ........................................................................................................ 24
b. Le code descriptif ..................................................................................................................................... 24
3. Les objets de la criminologie aujourd’hui ................................................................................................ 26
a. La notion de situation-problème .............................................................................................................. 26
b. La notion de contrôle social ..................................................................................................................... 30
V. L’INVENTION DU TERME « CRIMINOLOGIE » ET SES ÉQUIVALENTS ............................................................... 30
1. S’agissant de l’appellation d’«anthropologie criminelle » ...................................................................... 30
2. S’agissant de l’appellation de « sociologie criminelle » .......................................................................... 32
3. S’agissant de l’appellation de « criminologie » ....................................................................................... 33
55
4. S’agissant de l’appellation de « biologie criminelle » ............................................................................. 34
5. Quant à l’expression de « politique criminelle »...................................................................................... 34
6. L’émergence de la victimologie................................................................................................................ 34
7. Que retenir de toutes ces appellations de la criminologie depuis la fin du 19e siècle ?........................... 35
VI. LA CRIMINOLOGIE ET LES DISCIPLINES VOISINES ......................................................................................... 36
1. La criminologie et le droit pénal de fond et de forme .............................................................................. 36
2. La criminologie et la criminalistique ....................................................................................................... 38
3. La criminologie et la pénologie ................................................................................................................ 39
4. Quid de la sociologie pénale et de la criminologie ? ............................................................................... 39
CHAPITRE DEUXIÈME : LA METHODOLOGIE DE LA CRIMINOLOGIE ......................................... 41
I. DÉFINITION DE LA MÉTHODOLOGIE ET SPÉCIFICITÉ DE LA MÉTHODOLOGIE DE LA CRIMINOLOGIE .................. 41
II. CONSIDÉRATIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES SUR LA MÉTHODOLOGIE DE LA CRIMINOLOGIE ................................. 42
A. Une double mise en garde sous le signe d’une double nécessité ............................................................. 42
B. La pertinence des recherches empiriques et qualitatives ......................................................................... 45
III. LE PROBLÈME DE LA MESURE DE LA CRIMINALITÉ AU MOYEN DES STATISTIQUES DITES CRIMINELLES ........ 47
1. La criminalité : définition et classification ............................................................................................... 47
2. La mesure de la criminalité au moyen des statistiques ............................................................................ 48
a. Les statistiques criminelles ....................................................................................................................... 48
b. Les autres techniques d’évaluation de la criminalité ............................................................................... 50
3. La valeur des statistiques criminelles ....................................................................................................... 52
CONCLUSION ................................................................................................................................................... 54
TABLE DES MATIÈRES .................................................................................................................................. 55
56