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UNIVERSITÉ DE KINSHASA

FACULTÉ DE DROIT
B.P. 204
KINSHASA/XI

COURS DE CRIMINOLOGIE GÉNÉRALE

Notes synthétiques à l’intention des étudiants de


Troisième graduat – Option Droit privé et judiciaire

Raoul KIENGE-KIENGE INTUDI


Professeur ordinaire

Année académique 2018-2019

1
2
INTRODUCTION

1. LE CONTEXTE DU COURS

Initialement enseigné à la deuxième année des études de droit à l’Université de Kinshasa, le


cours de criminologie a été ramené en troisième année de graduat pour permettre aux
étudiants d’assimiler les principes et la théorie générale du droit pénal, ainsi que l’histoire du
droit pénal dans le cours de droit pénal général, dispensé en deuxième année, avant d’aborder
les théories criminologiques, qui, grâce à leur perspective critique vis-à-vis du droit pénal,
permettent de donner un visage humain à ce droit pénal et de le faire évoluer.
Le cours de criminologie générale s’analyse en un complément indispensable à la formation
d’un juriste en général et d’un pénaliste en particulier, ainsi qu’à la pratique du droit pénal,
notamment au cours d’un procès pénal. Aussi est-il un cours obligatoire à tous ou de tronc
commun, à distinguer avec les cours à option laissés au libre choix des étudiants.
Il est donc requis aux étudiants d’avoir des connaissances certaines en droit pénal et de se
souvenir des notions de sociologie et d’anthropologie, de science politique autant que de
philosophie étudiées en première année. Car, comme nous aurons l’occasion de le voir, la
criminologie est une discipline, qui s’est construite et qui se développe dans une approche
interdisciplinaire.

2. L’INTITULE DU COURS

Le programme des études de droit dans les universités congolaises prévoit dans le cycle de
graduat un de criminologie générale, qui se distingue du cours de criminologie clinique
dispensé, comme un cours de l’option droit privé et judiciaire en deuxième année de licence.
Cependant, étant donné qu’il s’agit d’un cours complémentaire pour des juristes, d’une part,
et qu’il existe toute une filière d’enseignement de la criminologie en plusieurs années
d’études avec diplômassions jusqu’au doctorat, le cours de criminologie dispensé en troisième
année des études de droit, se voudra en fait une introduction à la criminologie. L’étudiant
désireux de se former plus en profondeur en criminologie, pourra compléter utilement sa
formation de juriste par celle de criminologue en s’inscrivant dans une école de criminologie,
comme celle qui fonctionne au sein de l’Université de Lubumbashi.

3. LA METHODE D’ENSEIGNEMENT

Le cours consistera en une série d’exposés magistraux clairs, structurés et captivants à la fois
à travers lesquels seront communiquées aux étudiants les principales notions et théories
criminologiques. Au cours de ces exposés, les étudiants auront le loisir de soumettre à
l’enseignant leurs préoccupations, doutes ou réflexions sous forme de questions.

L’enseignement théorique sera suivi des travaux pratiques portant notamment sur la
discussion de certains textes d’auteurs criminologiques ou sur la méthodologie de recherche
en criminologie, de nature à permettre aux étudiants à réaliser des recherches sur des objets
relevant de la criminologie. Par ailleurs, les étudiants désireux d’approfondir ces aspects
pourront s’inscrire au séminaire de criminologie prévu en deuxième année de licence dans
l’option droit privé et judiciaire. Les étudiants seront donc invités à faire certaines lectures

3
obligatoires en complément utile des exposés magistraux. Une liste bibliographique leur sera
communiquée à cette fin.

4. LES OBJECTIFS DU COURS

Nous distinguerons les objectifs généraux des objectifs spécifiques.

A. Objectifs généraux

Le cours de criminologie vise à permettre aux étudiants :


- d’acquérir des connaissances criminologiques susceptibles de mieux comprendre tout
ce qui se réfère à la question pénale, à savoir la naissance d’une infraction à la loi
pénale, c’est-à-dire la définition d’un fait ou d’un comportement comme une
infraction ; le traitement de cette infraction dans le cadre de la justice pénale et
l’intervention des différents organes dans l’administration de cette justice pénale, la
gestion des suites d’un jugement pénal de condamnation, par exemple au niveau de la
prison, etc. ;
- aiguiser le sens de l’analyse, de la synthèse et du jugement critique par rapport à la
théorie générale du droit pénal et aux principes de la procédure pénale, et cela
moyennant la perspective empirique et le goût du concret qu’apportent la
criminologie ;
- d’être sensibilisés aux différents aspects de la criminologie, lesquels sont non
seulement d’ordre historique (concernant par exemple les travaux de Lombroso avec
sa théorie de criminel-né), mais de plus en plus actuels compte tenu des différentes
manifestations de la criminalité, de la délinquance et de la déviance dans la société
congolaise actuelle, en proie aux changements rapides et profonds (le phénomène
Kuluna, phénomène enfants en situation de rue et enfants sorciers, opération Likofi, la
corruption et le blanchiment des capitaux, la prostitution « pakadjuma »).

B. Objectifs spécifiques

À l’issue de cet enseignement, les étudiants devront être capables de :


- connaître l’objet ainsi que l’histoire de la criminologie ;
- comprendre les différents aspects de la question pénale et non pas seulement du crime
en tant que phénomène individuel ;
- connaître la démarche scientifique de production des connaissances en criminologie.

5. ORGANISATION DE L’ENSEIGNEMENT (VOLUME HORAIRE)

Le cours de criminologie dispensé en troisième année des études de droit comprend 45 heures
de cours théoriques et 15 heures de travaux pratiques, soit au total 60 heures. Il s’agit donc
d’un cours de pondération 4. Cela veut dire que dans le total des points à obtenir, il vaut pour
80 points.

6. ÉVALUATION ET CONTRÔLE DES CONNAISSANCES

Compte tenu des difficultés pratiques pour l’organisation des interrogations en cours d’années
en raison du nombre souvent fort élevé d’étudiants et de la breveté de la période consacrée à

4
la dispensation effective des cours, l’évaluation est généralement reportée à la fin du cours
lors des sessions d’examens.

Néanmoins, tout au long de l’année, l’enseignant pourra effectuer des contrôles des
connaissances pré-requises. Les étudiants qui répondront correctement à ces questions
mériteront des bonus à prendre en compte lors de la session d’examen.

7. BIBLIOGRAPHIE RECOMMANDÉE

1. ACOSTA, F, « De l’évènement à l’infraction, le processus de mise en forme


pénale », Déviance et société, 1987 ; vol. 11, n° 1, pp. 1-40.
2. Acteur et social et délinquance, une grille de lecture du système de justice pénale.
En hommage au professeur Christian Debuyst, Liège, Mardaga, 1990.
3. ADAM, C., CAUCHIE, J.-F., DEVRESSE, M.-S., DIGNEFFE, F.-D.,
KAMINSKI, D., Crime, justice et lieux communs. Une introduction à la
criminologie, Bruxelles, Larcier, 2014.
4. AKELE ADAU (dir.), La réforme du Code pénal congolais, tome II, A la
recherche des options fondamentales du Code pénal congolais, Kinshasa, CEPAS,
2008.
5. AKELE ADAU (dir.), La réforme du Code pénal congolais, tome III, Options
axiologiques et techniques fondamentales, vol. 1. Options axiologiques, Kinshasa,
CEPAS, 2009.
6. BARATTA, A., « Droits de l’homme et politique criminelle », Déviance et
société, 1999, vol. 23, n° 3, pp. 239-257.
7. BEAUD, S. et WEBER, F., Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte,
1998.
8. DEBUYST, Ch., « Acteur social et délinquance », Diogène, n° 150, pp. 97-120.
9. DEBUYST, Ch., « Passage à l’acte, comportements et situations problématiques »,
Bulletin de Psychologie, n° 359, 1983, 273-278.
10. DEBUYST, Ch., Essais de criminologie clinique. Entre psychologie et justice
pénale, Bruxelles, Larcier, 2009.
11. DEBUYST, Ch., Modèle éthologique et criminologie, Liège, Mardaga, 1985.
12. DIGNEFFE, Fr. et KAUMBA LUFUNDA (dir.), Criminologie et droits humains
en République Démocratique du Congo, Bruxelles, Larcier, 2008.
13. FECTEAU, J.M., Un nouvel ordre des choses : la pauvreté, le crime, l’État au
Québec, de la fin du XVIIIe siècle à 1840, Outremont, VLB Éditeur, coll. « Études
québécoises », 1989.
14. GASSIN, R., Criminologie, 6e éd., Paris, Précis Dalloz, 2007.
15. HULSMAN, L. et BERNAT DE CELIS, J., Peines perdues, le système pénal en
question, Paris, Le Centurion, 1982.
16. HULSMAN, L., « Une perspective abolitionniste du système de justice pénale et
un schéma d’approche des situations problématiques », in Ch. DEBUYST (éd.),
Dangerosité et justice pénale, Genève, Masson, Médecine et hygiène, 1981.
17. KIENGE-KIENGE INTUDI, R., « L’ethnographie des interactions entre policiers
et jeunes marginalisés dans un marché de Kinshasa. Une expérience de recherche
criminologique au Congo », in Fr. DIGNEFFE et KAUMBA LUFUNDA (dir.),
Criminologie et droits humains en République Démocratique du Congo, Bruxelles,
Larcier, 2008, 221-244.

5
18. KIENGE-KIENGE INTUDI, R., Le contrôle policier de la délinquance des jeunes
à Kinshasa. Une approche ethnographique en criminologie, Louvain-la-
Neuve/Kinshasa, Academia-Bruylant/Éditions Kazi, 2011.
19. KIENGE-KIENGE INTUDI, R (dir), La recherche en criminologie en RDC,
Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, coll. Publications du Centre de
criminologie de l’Université de Kinshasa, 1/2014.
20. KIENGE-KIENGE INTUDI, R et LIWERANT, S (dir.), Violence urbaine et
réaction policière. Sens et non-sens, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan,
coll. Publications du Centre de criminologie de l’Université de Kinshasa, 2/2017.
21. NYABIRUNGU mwene SONGA, Traité de droit pénal général congolais,
Kinshasa, EUA, 2007.
22. PIRES, A. P., « De quelques en jeux épistémologiques d’une méthodologie
générale pour les sciences sociales » in La recherche qualitative. Enjeux
épistémologiques et méthodologiques, 1997.
23. PIRES, A. P., « La criminologie d’hier et d’aujourd’hui », in Ch. DEBUYST, Fr.
DIGNEFFE, J.-M. LABADIE et A.P. PIRES, Histoire des savoirs sur le crime et
la peine. Tome 1 : Des savoirs diffus à la notion de criminel-né, 1re éd. Montréal,
Ottawa, Bruxelles, Les Presses de l’Université de Montréal, Les presses de
l’Université d’Ottawa, De Boeck Université, 1995.
24. QUIVY, R. et VAN CAMPENHOUDT, L., Manuel de recherche en sciences
sociales, Paris, Dunod, 1995.
25. ROBERT, Ph., « De la ‘criminologie de la réaction sociale’ à une sociologie
pénale », in Année sociologique, 31, 1981, pp. 253-283.
26. ROBERT, Ph., « Les statistiques criminelles et la recherche. Réflexions
conceptuelles », Déviance et société, Genève, 1977, vol. 1, n° 1, p. 3-27.
27. TULKENS, Fr. , « Criminologie et droits humains, une rencontre indispensable »,
in Fr. DIGNEFFE et KAUMBA LUFUNDA (dir.), Criminologie et droits humains
en République démocratique du Congo, Bruxelles, Larcier, 2008.

6
8. PLAN DU COURS

Chapitre premier : La définition de la criminologie

I. Le problème de la définition de la criminologie

II. Le statut théorique ou scientifique de la criminologie

III. Explicitation du double statut scientifique de la criminologie

IV. Problèmes des objets d’étude de la criminologie

V. L’invention du terme « criminologie » et ses équivalents

VI. La criminologie et ses disciplines voisines

Chapitre deuxième : La méthodologie de la criminologie

I. Définition de la méthodologie et spécificité de la méthodologie


de la criminologie

II. Considérations épistémologiques sur la méthodologie de la


criminologie

III. Le problème de la mesure de la criminalité au moyen des


statistiques dites criminelles

Chapitre troisième : Principales théories criminologiques (en cours de


rédaction, à enseigner si le temps le permet)

I. Histoire critique, sociale et politique de la pensée


criminologique
II. Les théories criminologiques « classiques »
III. Les théories criminologiques positivistes
IV. Les théories criminologiques interactionnistes ou de la réaction
sociale
V. Les théories criminologiques du contrôle social
VI. Le courant humaniste des droits humains en criminologie
VII. Le courant victimologique en criminologie

Conclusion

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CHAPITRE PREMIER : LA DEFINITION DE LA
CRIMINOLOGIE
On abordera dans ce chapitre le problème de la définition de la criminologie (I), son statut
théorique (II), sa définition actuelle et son explicitation (III), le problème des objets de la
criminologie (IV) l’invention du terme « criminologie » et ses équivalents (V) et ses rapports
avec les autres disciplines voisines (VI).

I. LE PROBLÈME DE LA DÉFINITION DE LA CRIMINOLOGIE

Une discipline est définie par son objet et la manière dont cet objet s’est construit dans le
temps (c’est-à-dire sa méthode et son histoire). Dans le cas de la criminologie, écrit Alvaro
Pires1, « il est permis de regrouper l’ensemble des savoirs (philosophiques, juridiques et
scientifiques) sur le crime et la peine sous la rubrique générale d’une « histoire de la
criminologie ». Or, poursuit-il, faire une introduction à la « criminologie » et à « son
histoire », semble poser des problèmes particuliers. En général, l’introduction à l’histoire d’un
savoir commence par la supposition que ce savoir constitue une discipline autonome et par
une définition préalable de son objet. Et une méthode courante commence alors à élucider le
nom de la discipline en question, car on espère trouver dans le nom même de la discipline une
sorte de renvoi utile et condensé à l’objet d’étude.

Par rapport à la criminologie, cette manière de procéder ne peut tenir, car « on ne s’entend pas
sur le statut de science autonome, le consensus sur ses objets a toujours été éphémère et
partiel, la détermination de sa date de naissance fait l’objet des discussions interminables, et à
part les cas les plus évidents, on ne sait pas dire facilement à partir de quel critère un ouvrage
sera considéré comme étant ou non de la ‘criminologie’. En plus, le nom même
‘criminologie’, qui a été inventé dans le dernier quart du 19e siècle, n’a pas été la seule
appellation, ni probablement la première, par laquelle on a désigné ce savoir. Les expressions
‘anthropologie criminelle’ et ‘sociologie criminelle’ semblent avoir précédé celle de
‘criminologie’ et d’autres appellations ont été mises à contribution par après »2, notamment
celle de « sociologie de la justice pénale et de la délinquance ».
Il y a lieu de noter la difficulté de définir de manière précise l’objet de la criminologie en
raison de la diversité des discours sur le crime et la peine – entre autres questions traitées dans
le champ de la criminologie – qui accompagnent d’une certaine manière les discours sur
l’organisation de toutes les formes de sociétés. En dépit de cette difficulté, il y a néanmoins
lieu de mettre en évidence la spécificité que ces divers discours ont acquise, laquelle
spécificité pourrait alors servir à caractériser l’objet de la criminologie3.

1
A.P. PIRES, « La criminologie d’hier et d’aujourd’hui », in Ch. DEBUYST, Fr. DIGNEFFE, J.-M. LABADIE
et A.P. PIRES, Histoire des savoirs sur le crime et la peine. Tome 1 : Des savoirs diffus à la notion de criminel-
né, 1re éd. Montréal, Ottawa, Bruxelles, Les Presses de l’Université de Montréal, Les presses de l’Université
d’Ottawa, De Boeck Université, 1995, p. 15.
2
Ibid., p. 16.
3
Ch. DEBUYST, Fr. DIGNEFFE, J.-M. LABADIE et A.P. PIRES, Histoire des savoirs sur le crime et la peine.
Tome 1 : Des savoirs diffus à la notion de criminel-né, 1re éd. Montréal, Ottawa, Bruxelles, Les Presses de
l’Université de Montréal, Les presses de l’Université d’Ottawa, De Boeck Université, 1995, p. 9.
8
1 De la criminologie comme science ou du phénomène criminel

Ainsi, certaines formules, tirées de l’étymologie de la criminologie (crimen-inis, logos),


présentent la criminologie comme « la science qui étudie le crime », ou la « science du
phénomène criminel » ou encore « la science qui a pour objet l’étude du crime, du criminel et
de la criminalité ». Ainsi, Yamarellos et Kellens de l’Université de Liège, écrivent que « la
criminologie est la science du phénomène criminel »4. Emile Durkheim (dans Les règles de la
méthode sociologique) a donné la définition très générale suivante de la criminologie, après
avoir défini le crime, dans la vue d’admettre la criminologie dans le concert des sciences :

« Nous constatons l’existence d’un certain nombre d’actes, qui présentent tous ce caractère
extérieur que, une fois accomplis, ils déterminent de la part de la société cette réaction
particulière qu’on nomme la peine. Nous en faisons un groupe sui generis, auquel nous
imposons une rubrique commune : nous appelons crime tout acte puni et nous faisons du crime
ainsi défini, l’objet d’une science spéciale, la criminologie. »

De cette définition du crime, « acte puni », on pourrait relever l’importance du processus judiciaire,
qui conduit à l’application d’une peine. Nous verrons plus tard le problème que pose cette définition
du crime (sa substantialisation). Néanmoins, il y a lieu d’indiquer d’ores et déjà qu’elle permet de
définir le crime comme un acte puni, à ne pas confondre avec un acte punissable. Définir le crime
comme tout acte puni fait du crime, non pas une réalité sociale ou un fait social brut (naturel), ni une
réalité psychologique ou comportementale, mais bien une réalité juridique, dont l’existence est le fait
d’un processus judiciaire de confrontation des faits à la loi, qui les rend punissables. C’est donc le fruit
de la qualification judiciaire des faits, à la suite d’une décision politique d’incrimination. Il y a, en
effet, un écart entre l’ordre social et l’ordre public défini par la loi pénale. Tout fait qui trouble social
ne constitue pas toujours une infraction à la loi pénale. L’inverse est admissible. Un fait criminel est
donc un fait pénal. Le qualificatif « criminel » fait référence à la propriété du fait de pouvoir être puni
(punissable), à donner lieu à l’application d’une peine.

2. Les définitions larges de la criminologie

a- La conception encyclopédique de l’école autrichienne (Hans Gross, Seelig,


Grassberger) présente la criminologie comme comprenant « de nombreuses disciplines
particulières consacrées soit à l’étude de la réalité criminelle, soit à l’étude des faits
de la procédure, soit à l’étude de la défense contre le crime »5. Parmi ces disciplines,
on citerait la phénoménologie criminelle (description des formes extérieures du crime
et des formes d’existence des criminels), l’anthropologie criminelle (description des
particularités purement physiques des criminels), la psychologie criminelle (étude des
raisons de la détermination criminelle), et la sociologie criminelle (étude des
influences criminogènes externes), l’étude de l’administration de la justice pénale, la
psychologie et la sociologie judiciaires, la prophylaxie criminelle (étude des moyens
de lutte contre le renouvellement de la criminalité), ainsi que la pénologie ou la
science de la réaction sociale contre le crime.
Cependant, cette conception encyclopédique réduit la criminologie à un
agglomérat de sciences, à une « constellation criminologique » suivant l’expression de
Niceforo (Criminologia, t. I, Milan, Bocca, 1949, pp. 13-14), se confondant dans une

4
E. YAMARELLOS et G. KELLENS, Le crime et la criminologie, 1. De « adultère » à « jeux de hasard »,
Verviers, Marabout Université, 1970, V° criminologie.
5
Ibid.
9
criminologie générale6. Il n’y a pas de contenu unitaire susceptible de constituer l’objet de la
criminologie. Cela fit dire à Thorsten Sellin que le criminologue ne serait dans ces conditions
qu’un roi sans royaume, un spécialiste de tout et de rien7. Les mêmes auteurs relèvent que
face à cette conception « encyclopédique », une conception moniste, qui résulte de la
confrontation des points de vue, partiellement exacts, des anthropologues, des sociologues,
des psychiatres et des psychologues, dans les matières criminelles, et permet d’arriver
progressivement à la conception synthétique.
b- Une autre définition large de la criminologie est donnée par l’école américaine
classique à travers Sutherland dans son ouvrage intitulé Principes de criminologie : en
partant de l’idée que la « criminologie est la science qui étudie l’infraction en tant que
phénomène social », il lui assigne un vaste domaine englobant « les processus de
l’élaboration des lois, de l’infraction aux lois et des réactions provoquées par
l’infraction aux lois » ; de sorte que la criminologie serait composée de la sociologie
du droit pénal, de l’étiologie criminelle et de la pénologie8. La criminologie serait dans
ce cas un conglomérat de disciplines.

3. Les définitions étroites de la criminologie

Ces définitions étroites traduisent un certain effort de définir la criminologie à partir d’un
objet unitaire, précis. Nous prendrons la définition de Raymond Gassin (France) et de Martin
Killias (Suisse), et nous relèverons le problème qu’elles posent.

a- La conception de l’école française : Raymond Gassin9 relève que les définitions de la


criminologie comme « l’étude scientifique du phénomène criminel », ou la « science
du phénomène criminel », ou encore la « science du crime », bien que séduisantes à
première vue par leur simplicité et leur généralité, sont en réalité purement nominales
et recouvrent des notions extrêmement variables de la criminologie. Déterminant le
contenu de la criminologie, il définit cette discipline comme « la science qui étudie les
facteurs de l’action criminelle, leur interaction et les processus qui conduisent au
passage à l’acte délictueux, ainsi que les conséquences que l’on peut tirer de ces
connaissances pour une lutte efficace contre la délinquance »10.
b- La conception de l’école helvétique de la criminologie est tirée des travaux de Martin
Killias, de l’Université de Lausanne, pour qui « la criminologie est une science sociale
qui vérifie des hypothèses concernant les causes du crime et de la réaction sociale face
au crime, ou qui explique des crimes ou certaines manifestations de la réaction sociale
par de telles hypothèses »11.

6
Cette conception justifie l’intitulé de ce cours dans le programme des études de droit. La criminologie générale
renverrait à des notions générales sur le phénomène criminel et enseigné dans le cycle de graduat, tandis que la
criminologie clinique et la sociologie criminelle, qui étudieraient des aspects plus spécifiques, sont enseignées en
dernière année de licence et en troisième cycle dans le programme de DES.
7
E. YAMARELLOS et G. KELLENS, op. cit.
8
SUTHERLAND –CRESSEY, Principes de criminologie, pp. 11-32, cité par R. GASSIN, Précis de
criminologie, 3e éd., Paris, Dalloz, 1994, p. 5.
9
R. GASSIN, Précis de criminologie, 3e éd., Paris, Dalloz, 1994, p. 3.
10
Ibid., p. 21.
11
M. KILLIAS, Précis de criminologie, Berne, Éditions Staempfli, 1991, p. 17.
10
4. Risque de rabattement du « crime » sur son aspect substantiel et recours à son
étymologie

Toutes ces conceptions étroites de la criminologie ainsi que toutes les formules
qui la définissent comme la science du crime, du phénomène criminel ou de la réalité
criminelle, ou encore de l’action criminelle, n’ont pas notre faveur dans la mesure où elles
« sont toutes ambiguës et ont tendance à produire un rabattement du crime sur son aspect
‘substantiel’, palpable, en ignorant la part de construction pénale des événements »12. En plus,
souligne cet auteur, le sens étymologique du mot « crime », ne correspond pas, jusqu’à la fin
des années 1960, à l’utilisation que le criminologue en a fait depuis qu’il emploie ce mot.
Il y a lieu de se référer à Jeffery13 qui rappelle que, dans son sens
étymologique, « le terme ‘crime’ fait référence à l’acte de juger ou d’étiqueter le
comportement, plutôt qu’au comportement lui-même »14. En effet, commente Alvaro Pires, le
mot ‘crime’ vient du latin ‘crimen(-inis)’, qui signifiait à l’origine ‘décision judiciaire’. Ce
mot vient à son tour du grec ‘krimen’, c’est-à-dire ‘juger’, ‘choisir’, ‘séparer’. Dans le latin
classique, le mot ‘crimen’ a aussi pris le sens d’‘accusation’ ou de ‘chef d’accusation’. Cela
veut dire que, dans son sens étymologique’, le mot crime ne désigne pas directement une
action, un acte ou un comportement particulier, mais plutôt l’acte de juger un comportement
dans le cadre d’un processus institutionnel de type judiciaire »15. Donc se demander « quel est
son crime ? » ne revenait pas à demander « quel acte a-t-il commis ? », mais plutôt « quel est
le chef d’accusation ? ».
Alvaro Pires poursuit en relevant que le sens étymologique du mot « crime » rejoint ces
phrases célèbres du juriste italien Francesco Carrara qui soulignait déjà en 1859 qu’on ne doit
pas concevoir « le crime comme une action, mais comme une infraction »16 (à la loi pénale),
c’est-à-dire comme une construction pénale. Il rejoint, par ailleurs, la définition juridique du
crime, à savoir « un comportement humain punissable en vertu d’une loi pénale »17 ou, mieux,
« tout comportement antisocial donnant lieu à une application d’une sanction de nature
punitive prononcée par un organe juridictionnel émanant de la puissance publique »18. Car, tel
comportement est effectivement considéré comme un crime par tel législateur et non tel autre,
sous l’influence de telles conceptions politiques »19.
Le sens étymologique du « crime » nous amène donc à considérer que le crime
n’existe pas sans la loi pénale. Il s’agit d’une construction pénale et non d’une réalité
substantielle ni d’un fait social brut. « Le crime en tant qu’infraction pénale, n’est pas avant
tout un acte, mais plutôt un jugement de valeur particulier de type judiciaire porté sur un
acte »20. C’est donc en voulant ranger la criminologie parmi les sciences objectives au XIX e
siècle sur le modèle des sciences naturelles comme la physique ou la biologie et en voulant
étudier scientifiquement « le crime », que « ce qui a prévalu a été ce rabattement du ‘crime’
sur son aspect substantiel ». Car, ce qui gênait le plus le criminologue, dans la notion

12
A.P. PIRES, op. cit., p. 16.
13
C.R. JEFFERY, “The Historical Development of Criminology”, Journal of Criminal Law, Criminology and
Police science, 1959, n° 50 (1), p. 6.
14
Cité par A.P. PIRES, op. cit., p. 16.
15
Ibid., p. 17.
16
F. CARRARA, Programma del Curso de Derecho Criminal Desarollado en la Universidad de Pisa, San José,
Costa Rica, Impressa Española, 1917, cité par A. PIRES, Ibid.
17
E. YAMARELLOS et G. KELLENS, op. cit., V° crime.
18
Ibid., p. 105.
19
Ibid., p. 103.
20
A. PIRES, op. cit., p. 18.
11
juridique du crime, « c’est son essentielle relativité (…) [pourtant] il n’est de science que du
général, et la criminologie s’accommode difficilement d’une notion de crime limitée aux
frontières étriquées d’un État, à une époque déterminée »21. Cela donnait au moins au
criminologue, en apparence du moins, un objet d’étude palpable et non un objet qui dépendait
de la construction juridique (du droit pénal). D’où le débat sur l’autonomie de la criminologie
comme science du crime vis-à-vis du droit pénal. Et « la définition du crime par le droit pénal
n’apparaissait alors pour lui (le criminologue) que comme (…) une conséquence obligée sur
le plan législatif de la nature (criminelle) de l’acte même »22. En effet, objectait-on, « le
concept légal recouvre une réalité humaine et sociale qui, en tant que phénomène, est
antérieur à la loi et, en principe, la motive. Le choix du législateur aboutit à l’intégration de la
protection des valeurs considérées comme essentielles, dans les mécanismes juridiques
existants, mais le phénomène humain et social est préexistant par rapport à la loi pénale, qui
l’érige juridiquement en crime »23.
Par rapport à cette définition du crime, des auteurs comme Ferri, Garofalo, Gabriel Tarde et
Émile Durkheim pensent tous de la même manière. En effet, Ferri, auteur de la Sociologie
criminelle a énoncé la formule selon laquelle la criminologie « se propose l’étude complète du
délit, non comme abstraction juridique, mais comme action humaine, comme fait naturel et
social »24. Garofalo, quant à lui, s’est efforcé de découvrir les éléments constitutifs et
permanents du « délit naturel », c’est-à-dire des actes sont, ou devraient être, en principe,
condamnés par tous les peuples. Aussi considère-t-il que le crime est l’offense faite au sens
moral de l’humanité, c’est-à-dire « la lésion de cette partie du sens moral qui consiste dans les
sentiments altruistes fondamentaux, c’est-à-dire la pitié et la probité (à un certain niveau de
civilisation) »25. C’est cette conception qui a prévalu dans la première moitié du XXe siècle, et
qui prévaut encore dans les écoles françaises ainsi que dans plusieurs travaux des
criminologues et dans l’opinion commune. Cette conception prévaut aussi actuellement dans
les enseignements de la criminologie au sein de notre faculté, et il convient de la corriger. Ce
que nous essayerons de faire dans le cadre de ce cours à partir de maintenant.
Il convient de noter, en effet, qu’aujourd’hui, le sens étymologique du mot « crime », qui le
considère comme une construction pénale, est revenu sur le tableau et fait l’objet de nouveaux
débats en criminologie. Et c’est sur cette base plus sûre, que nous chercherons à retenir une
définition de la criminologie26. Pour ce faire, examinons son statut théorique.

II. LE STATUT THÉORIQUE OU SCIENTIFIQUE DE LA CRIMINOLOGIE27

La question du statut théorique de la criminologie consiste à examiner les différentes


manières dont la criminologie a été représentée depuis la naissance, dans le dernier quart du
19e siècle, de l’École positive italienne avec les trois auteurs considérés comme les pères
fondateurs de la criminologie, à savoir Lombroso, Ferri et Garofalo.

21
E. YAMARELLOS et G. KELLENS, op. cit., V° crime, p. 104.
22
Ibid.
23
Ibid., p. 103.
24
Ibid.
25
Ibid.
26
Ainsi, la délinquance des jeunes par exemple a été conçue comme une « délinquance en soi », « un
comportement qui est lié à un déséquilibre de la personnalité ». Nous avons critiqué cette conception de la
délinquance. Lire R. KIENGE-KIENGE INTUDI, Le contrôle policier de la délinquance des jeunes à Kinshasa.
Une approche ethnographique en criminologie, Louvain-la-Neuve, Kinshasa, Academia-Bruylant, Éditions
Kazi, 2010, p. 18.
27
Lire A. PIRES, op. cit., pp. 20-22.
12
Alvaro Pires28 identifie trois représentations majeures qui ont été véhiculées par les différents
auteurs dans champ de la criminologie, auxquelles il ajoute une quatrième qui englobe et
dépasse les deux dernières:
- la criminologie comme une branche d’une autre science ;
- la criminologie comme une science autonome au même titre que les autres sciences
humaines ;
- la criminologie comme un « champ d’étude » ou un « corpus de connaissance ».

1. La criminologie comme une branche d’une autre science

La représentation de la criminologie comme une branche d’une autre science est


historiquement la première des représentations de la criminologie, et probablement la plus
ancienne. Le choix de « la science-mère » de la criminologie, c’est-à-dire dont elle est une
branche, dépend des préférences théoriques de chaque auteur en particulier. Cette
représentation a été véhiculée par Lombroso, pour qui la criminologie est une subdivision de
la biologie, et par Ferri, qui voyait dans la criminologie une branche de la sociologie.
Actuellement, cette représentation n’a plus une place importante.

2. La criminologie comme une science autonome au même titre que les autres
sciences humaines

La deuxième représentation considère la criminologie comme une science autonome au même


titre que les autres sciences humaines, mais c’est une science qui aurait un caractère
interdisciplinaire, à la fois fondamentale et appliquée. Cette autonomie scientifique de la
criminologie a été soutenue de deux manières différentes. Pour certains auteurs, la
criminologie serait une science autonome du fait qu’elle aurait des théories, des concepts, des
méthodes et un domaine d’étude propres, tout comme les autres sciences humaines. Ainsi, elle
ne se confondrait pas, mais garderait des liens très étroits avec le droit pénal et avec les trois
autres sciences principales, à savoir la biologie, la sociologie et la psychologie. Pour d’autres
auteurs, l’autonomie de la criminologie comme science se fonderait sur l’activité de synthèse
et d’intégration des connaissances produites par les disciplines de base comme la biologie, la
sociologie et la psychologie, dont elle s’efforcerait de corriger les distorsions. D’où les
expressions de « science-carrefour » ou de « science-synthèse » utilisées par divers auteurs
pour caractériser la criminologie. Par ailleurs, le caractère interdisciplinaire de la criminologie
résulterait de la « causalité multiple » dans l’explication du crime.

Cette deuxième représentation, qui a émergé dans la première moitié du XXe siècle et
dominante chez des auteurs comme Seelig, Ellenberger, Mannheim, Szabo, Pinatel, est
encore soutenue par certains criminologues contemporains.

3. La criminologie comme un « champ d’étude » ou un « corpus de connaissance »

La troisième représentation présente la criminologie comme étant exclusivement une sorte de


« champ d’étude » (field of study, field of criminology) ou de « corpus de connaissance »
(body of knowledge) composé de savoirs épars, mais portant néanmoins sur un thème
commun. Ainsi, dans la première édition de son ouvrage intitulé Criminology29, Sutherland

28
Ibid.
29
E. H. SUTHERLAND, Criminology, Philadelphia & London, J.B. Lippincott, 1924, p. 11.
13
écrit que « la criminologie est le corpus de connaissance concernant le crime comme
problème social ». Et dans la deuxième édition de ce livre, qui paraîtra en 1934 sous le titre de
Principles of Criminology, qui sera traduit en français en 1960 sous le titre de Principes de
criminologie, définit la criminologie comme : « le corpus de connaissance (body of
knowledge) concernant le crime comme phénomène social. Il comprend dans sa portée les
processus de production des lois, de transgression des lois et de réaction à l’égard des
transgressions des lois »30.
Cette représentation de la criminologie, qui a commencé aussi dans la première moitié
du siècle passé, était dominante surtout aux USA parmi les criminologues
d’orientation sociologique comme Lindesmith, Sellin, etc. Elle va se répandre sur le
plan international à partir des années 1970.

4. Une quatrième et actuelle représentation de la criminologie

Alvaro Pires énonce une quatrième représentation de la criminologie qui englobe et dépasse
les deux dernières :
« Pour nous, la criminologie n’est pas tout à fait une science autonome comme on l’a prétendu, mais
elle n’est pas exclusivement un champ d’étude. En effet, nous attribuons à la criminologie un double
statut. Elle est à la fois – et paradoxalement – deux choses relativement différentes : un champ d’étude
comme certains l’ont vu (voir la troisième représentation), et une activité complexe de connaissance
interdisciplinaire, de nature à la fois scientifique et éthique, ayant pour but l’élucidation et la
compréhension de la question criminelle au sens large (i.e., des situations problèmes et du contrôle
social) »31.

Cet auteur commente cette manière de définir la criminologie en considérant que « la notion
d’activité de connaissance remplace, d’une part, celle de ‘science autonome’ – qui nous paraît
moins appropriée pour rendre compte du statut particulier de la criminologie – et, d’autre part,
elle complète et est complétée par celle de ‘champ d’étude’, ce qui permet de tenir compte de
certains aspects du problème qui sont perdus par une représentation axée exclusivement sur
les différents aspects de cette proposition »32. Cette manière d’envisager la criminologie,
précise-t-il, aide à résoudre un certain nombre de difficultés et d’impasses dans la manière de
la présenter33.
Dans le cadre de notre cours, nous retenons donc la définition de la criminologie proposée par
Alvaro Pires ci-dessus, à savoir un champ d’étude et une activité complexe de connaissance
interdisciplinaire, de nature à la fois scientifique et éthique, ayant pour but l’élucidation et la
compréhension de la question criminelle au sens large.
Cependant, nous préférons remplacer la notion de « question criminelle » par l’expression « question
pénale ». En effet, l’expression « question criminelle » nous paraît aussi ambiguë que le mot crime,
qui renvoie aussi bien à son sens juridique d’une catégorie d’infractions qualifiées de crime par
opposition au délit et à la contravention, qu’à son sens générique de toute conduite sanctionnée
pénalement. Par contre l’expression « question pénale » nous semble à la fois univoque et précise, car
c’est la peine assortie à une conduite, qui caractérise et spécifie cette dernière. Par ailleurs,
l’expression de « question pénale » permet de s’intéresser au fonctionnement de la justice pénale et de
ses différentes agences, sans exclure les situations problématiques non assorties des peines.

30
E.H. SUTHERLAND, Principles of Criminology, Philadelphia, 2ème édition, J.B. Lippincott, 1934, p. 3.
31
A.P. PIRES, op. cit., p. 22.
32
Ibid., p. 23.
33
Ibid.
14
D’ailleurs, Alvaro Pires lui-même précise que les expressions « question criminelle » ou « question
pénale » « ne désignent pas seulement les comportements criminalisés par le système pénal ni même
l’étude exclusive de ce système particulier de contrôle social ; elles comprennent tout ce que la
communauté scientifique juge nécessaire d’y inclure. Elles sont, en ce sens, plutôt indicatives d’une
problématique théorique que du fonctionnement effectif d’une institution sociale. Dès lors, les
diverses et successives extensions du champ criminologique, c’est-à-dire l’étude des diverses formes
de déviance et de contrôle social, font partie de la ‘question criminelle’»34.

III. EXPLICITATION DU DOUBLE STATUT SCIENTIFIQUE DE LA CRIMINOLOGIE

Il convient d’analyser en vue de l’expliciter le double statut scientifique de la criminologie


découlant de la définition ci-dessus. En effet, plutôt que d’être définie comme « une science »,
de surcroît « autonome », la criminologie est présentée, d’une part, comme « un champ
d’étude » ou un « corpus de connaissance » (1), et d’autre part, comme une « activité de
connaissance » (2).

1. La criminologie comme un « champ d’étude » ou un « corpus de connaissance »35

La notion de champ d’étude (ou de corpus de connaissance) n’est pas du tout synonyme de
celle d’activité de connaissance. Elle fait plutôt référence à « l’idée qu’il y a divers savoirs
disciplinaires qui ont néanmoins un thème commun, ou encore qui se réfèrent à des thèmes
reliés et jugés pertinents, et que l’on pourrait regrouper sous le terme de ‘criminologie’ ou de
champ criminologique »36. Ces savoirs peuvent avoir ou non la prétention d’être scientifiques.

Et les thèmes communs sur lesquels ces divers savoirs portent sont des thèmes reliés à la
question pénale ou jugés pertinents par rapport à cette question. La question pénale est
envisagée ici au sens large et comprend aussi bien les situations-problèmes ou les
comportements problématiques et la déviance que la transgression et le contrôle social.

Il y a lieu de noter, de ce qui précède, que la notion de champ d’étude a donc non seulement
une dimension relativement ouverte (et non fermée) (a), en même temps conventionnelle,
variable et évolutive, mais aussi un aspect contraignant ou « objectif » (b). La notion de
champ d’étude inclut même des savoirs non scientifiques ou sans la prétention de l’être (c).

a. La dimension ouverte, conventionnelle, variable et évolutive du champ


criminologique

La dimension ouverte, conventionnelle, variable et évolutive renvoie au fait que les frontières
de ce champ sont en principe susceptibles de négociation et indéfiniment déterminables par
les membres de la communauté scientifique préoccupés de parvenir à une compréhension plus
adéquate de la question pénale. Autrement dit, les représentations du contenu de ce champ
d’étude criminologique varient et se modifient selon le point de vue des membres de la
communauté scientifique préoccupés par ces thèmes communs37.

L’avantage de cette manière de considérer la criminologie comme un champ d’étude ou un


corpus de connaissance consiste notamment à la possibilité d’intégrer à ce champ des

34
Ibid., p. 24.
35
Ibid., p. 23 et s.
36
Ibid.
37
Ibid.
15
ouvrages ou des fractions de savoir qu’on ne considérait pas auparavant comme
« criminologique ». Par ailleurs, le criminologue peut s’encourager à développer de nouvelles
problématiques de recherche pour mieux saisir ce qui se passe dans les différents aspects de la
question pénale.

b. L’aspect contraignant ou « objectif » du champ criminologique

L’aspect contraignant ou objectif de la notion de « champ d’étude », explique Pires, renvoie


aux pratiques effectives de recherche et aux différents systèmes de rationalité ou aux manières
de penser qui se forment nécessairement et que le criminologue est ‘obligé’, pour ainsi dire,
d’identifier et de prendre en ligne de compte. Dit autrement : le criminologue ne peut pas, par
un simple acte de volonté, exclure de son champ ce qui ne lui plaît pas et retenir, comme étant
‘criminologique’, seulement ce qui conforte sa propre pensée. La notion de champ a sans
doute ici une dimension contraignante, car elle renvoie à ce qui a été effectivement réalisé
dans la pratique de la recherche et dans le domaine plus vaste de la production des idées. Que
ces idées nous plaisent ou non, elles ne sont pas moins ‘criminologiques’ pour autant »38.

Ainsi par exemple, la pensée pénale classique des auteurs du 18e siècle comme Kant, Hobbes,
Montesquieu, Rousseau, John Locke, Beccaria, Jérémie Bentham, etc. ne saurait être exclue
de la criminologie sous prétexte qu’elle est antérieure à l’École positive italienne qui marque
la naissance de la criminologie dans le dernier quart du 19e siècle avec les travaux de
Lombroso, Ferri et Garofalo. On ne peut non plus exclure la pensée de l’École positive
italienne au motif qu’elle serait dépassée à cause de son déterminisme strict et sa tendance à
« naturaliser » le crime, ainsi de suite.

Donc, la notion de champ d’étude, relève Pires, a une dimension objective « qui relève
de ce qui ‘est là’ et non simplement de ce qu’on aimerait qui y soit »39.

c. Le caractère (non) scientifique des savoirs compris dans le champ criminologique

Une autre particularité de la notion de champ d’étude est sa capacité à inclure des savoirs qui
ne sont pas scientifiques ou qui n’ont pas (encore) la prétention de l’être, pourvu qu’ils soient
reconnus comme « sérieux » et portent sur la question pénale, peu importe du reste leur nature
juridique, politique ou philosophique. Ainsi sont compris dans le champ criminologique
certains savoirs pré-scientifiques, c’est-à-dire parus avant même la naissance des sciences
humaines. Ils ont ainsi intégrés a posteriori dans le champ criminologique par la force des
choses ou en fonction des problématiques particulières abordées. Certains de ces savoirs
sérieux sont dits « diffus » dans la mesure où bien qu’ayant abordé la question du crime et de
la peine, n’étaient pas consacrés explicitement à ces thèmes.

Par contre, le domaine du roman policier n’est pas considéré comme un savoir sérieux
et, par conséquent, ne peut être inclus dans le champ criminologique.
2. La criminologie comme une activité de connaissance
La notion d’activité de connaissance remplace aussi celle de « science autonome » appliquée
à la criminologie (a) sans exclure son autonomie institutionnelle (b). Elle admet également
l’existence objective d’une démarche ou d’un projet spéciale (c), ce qui exclut la possibilité de

38
Ibid., pp. 24-25.
39
Ibid.
16
sa dévalorisation (d), car elle répond à des caractéristiques spécifiques (e). Voyons en détails
ces cinq points.

a. La notion d’activité de connaissance remplace celle de « science autonome »


appliquée à la criminologie

On distingue l’autonomie institutionnelle de l’autonomie d’un savoir scientifique. Dans ce


point, il est question de l’autonomie de la criminologie en tant qu’un savoir scientifique. À ce
sujet, il y a lieu de noter que la catégorie de « science autonome » appliquée à la criminologie
est inadéquate pour décrire la situation particulière de la « criminologie » du point de vue de
la connaissance qu’elle produit.
Alvaro Pires relève, en effet, qu’on « reconnaît aujourd’hui qu’une science est ‘autonome’
lorsqu’elle répond à deux conditions étroitement liées : quand elle a un objet-domaine propre
et quand elle a des théories propres. La criminologie répond très mal à ces deux conditions :
elle est obligée de partager ses objets et son domaine avec d’une part les sciences comme la
psychologie et la sociologie, et d’autre part, avec des savoirs comme l’éthique et le droit. Et
ce, à tel point qu’un criminologue reconnu a dit avec raison que ‘le criminologue est un roi
sans royaume’40 ». Le comportement criminalisé (plutôt que le crime) et la réaction sociale,
poursuit Alvaro Pires, « sont étudiés autant par le sociologue-criminologue, ou le
psychologue-criminologue, que par le sociologue ou le psychologue tout court ». « Plus
important encore : il n’existe aucune théorie criminologique qui ne soit en même temps une
théorie sociologique ou psychologique ou biologique, etc. Cela vaut également pour les
concepts. Les trois seuls concepts souvent évoqués comme étant ‘criminologiques’ – celui de
dangérosité, de personnalité criminelle et de sous-culture criminelle – sont fort contestés
aujourd’hui et relèvent aussi des autres sciences : du droit, de la psychologie et de la
sociologie »41.

Quant à la possibilité d’affirmer l’autonomie d’une science par ses méthodes, il y a lieu de
relever que dans le passé, on croyait que chaque science avait (…) des méthodes propres ou
que les différentes adaptations des méthodes par les disciplines étaient un signe de leur
autonomie. Mais aujourd’hui, cette vision des choses s’est considérablement modifiée et cet
argument de l’autonomie d’une science par des méthodes propres a perdu son importance. En
effet, les formes d’observation (participante ou non participante ou in situ) et de collecte des
données sont largement communes à toutes les sciences humaines. Et les différences de
méthode, lorsqu’elles existent, relèvent plus des objets que des sciences elles-mêmes.
L’entretien ou l’interview, par exemple, n’est pas plus criminologique qu’il n’est
psychologique, sociologique ou anthropologique. Donc, même les sciences dites autonomes
empruntent et combinent des méthodes les unes des autres. « On peut dire qu’il existe à cet
égard ‘un stock commun de techniques suffisamment interchangeables’42. En plus les grandes
questions méthodologiques sont aussi communes aux différentes sciences ».

40
T. SELLIN, « L’étude sociologique de la criminalité », Actes du deuxième congrès international de
criminologie (Paris, 1950), Paris, PUF, 4e tome, 1955, pp. 109-130, cité par A. PIRES, op. cit., p. 27.
41
A. PIRES, op. cit., p. 27.
42
G. HOUCHON, « Applied aspects of interdisciplinarity in criminology”, in Criminologie als interdisciplinaire
menswetenschap, criminologische monografieen, n° 15, school voor criminology (K.U.L), Leuven, pp. 74-88,
cité par A. PIRES, Ibid., p. 28.
17
b. La notion d’activité de connaissance affirme l’autonomie institutionnelle de la
criminologie

Dans ce point, il est question de l’autonomie institutionnelle. Il y a lieu de noter, à ce propos,


qu’une activité de connaissance, qui est scientifique ou qui implique une connaissance
scientifique, mais qui n’est pas autonome, peut toutefois connaître un processus
d’institutionnalisation autonome en tant que discipline d’enseignement académique ou
professionnel (c’est-à-dire avec un programme d’études et délivrance de diplômes dans les
écoles et universités) et en tant que lieu d’échanges ou de production de résultats scientifiques
(instituts, centres de recherche, congrès, revues spécialisées, etc.). « Ce n’est pas parce que
l’institutionnalisation est autonome que la science l’est aussi ; inversement, ce n’est pas parce
que l’activité de connaissance n’est pas une science autonome que l’institutionnalisation ne
l’est pas ou ne doit pas l’être » fait observer Alvaro Pires43. Ces critères d’autonomie
institutionnelle montrent que la criminologie est une activité particulière de connaissance
autour d’une problématique particulière.

Si l’autonomie de savoir scientifique ne correspond pas à la criminologie, l’autonomie


institutionnelle paraît attribuable à la criminologie en tant qu’une activité de connaissance, de
nature scientifique et éthique (mais non une science autonome), qui a connu cependant un
processus d’institutionnalisation autonome dans plusieurs pays occidentaux et récemment en
République démocratique du Congo avec la création de l’École de criminologie à l’Université
de Lubumbashi.

Donc, si la sociologie et la psychologie peuvent revendiquer plus facilement le statut de


« science autonome », la particularité de la criminologie est celle d’être une activité complexe
de connaissance de nature scientifique et éthique, sans être pour autant une « science
autonome ».

43
A. PIRES, op. cit., p. 29.
18
c. La notion d’activité de connaissance admet l’existence objective d’une démarche
ou d’un projet spécialement criminologique

La représentation de la criminologie comme un champ d’étude ne rend pas compte du fait


qu’il existe objectivement une démarche ou un projet « spécial » de connaissance
criminologique. C’est pourquoi il convient de la compléter par la notion d’activité de
connaissance, dans la mesure où « la notion d’activité relève de l’idée d’un projet spécial de
connaissance qui implique (ou peut impliquer) la connaissance scientifique, et qui porte sur
un champ d’étude ou sur une problématique particulière »44. En effet, la criminologie est une
activité de connaissance qui s’articule autour de la question criminelle et qui possède un
certain nombre de caractéristiques propres pouvant la distinguer des savoirs purement
disciplinaires comme la psychologie et la sociologie. Signalons que Françoise Tulkens
observe notamment à ce sujet, que la criminologie n’est pas uniquement un savoir
scientifique, elle est aussi « un état d’esprit qui nous apprend une manière d’être et de penser :
refuser les évidences et les préjugés, (oser) poser les questions essentielles, confronter les
points de vue et les disciplines, se remettre en cause et parfois même aussi les institutions »45.
C’est cet état d’esprit qui permet de réaliser une activité de connaissance spécifique dont les
caractéristiques sont les suivantes :

Aujourd’hui, quatre grandes caractéristiques sont attachées à cette activité de connaissance


spécifique, qu’est la criminologie, à savoir :
 une activité qui se veut scientifique.

Gaston Bachelard46 distingue trois grandes périodes de la pensée scientifique :


 la première période, qui correspond à l’état préscientifique
comprendrait à la fois l’antiquité classique et les siècles de renaissance
et d’efforts nouveaux avec le XVIe, le XVIIe et même le XVIIIe siècles.
 la deuxième période, qui correspond à l’état scientifique, en préparation
à la fin du XVIIIe siècle, s’étendrait sur tout le XIXe siècle et sur le
début du XXe siècle.
 en troisième lieu, il fixe l’ère du nouvel esprit scientifique en 1905, « au
moment où la Relativité einsteinienne vient déformer les concepts
primordiaux que l’on croyait à jamais immobiles. À partir de cette date,
la raison multiplie ses objections, elle dissocie et réapparente les
notions fondamentales, elle essaie les abstractions les plus
audacieuses ». Il cite à cet effet, l’apparition des pensées comme la
mécanique quantique, la mécanique ondulatoire de Louis Broglie, la
physique des matrices de Heinsenberg, la mécanique de Dirac, les
mécaniques abstraites, les physiques abstraites qui ordonneront toutes
les possibilités de l’expérience.
Par rapport à cette distinction de Bachelard, l’activité de connaissance
criminologique relève de la deuxième période, celle de l’état scientifique.
À ce sujet, Granger réserve le nom « science » à un type de connaissance

44
Ibid., p. 28.
45
Fr. TULKENS, « Criminologie et droits humains, une rencontre indispensable », in Fr. DIGNEFFE et
KAUMBA LUFUNDA (dir.), Criminologie et droits humains en République démocratique du Congo, Bruxelles,
Larcier, 2008, pp. 31-45, p. 32.
46
G. BACHELARD, La formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance
objective (1934), Paris, Vrin, 5è éd. 1967, édition électronique réalisée par Jean-Marie Tremblay, 2012, révisée
en 2015, p. 9.
19
consacré de façon apparemment définitive, non pas en ce qu’elle institue
pour toujours une définition de l’objet et des méthodes, mais en ce qu’elle
poursuit de façon constante un projet dont les objectifs sont les suivants:
- la science vise une « réalité » par opposition à toute production que
l’imagination construirait sans obstacle ;
- la science cherche une « explication », c’est-à-dire l’insertion de la
réalité qu’elle décrit dans un système abstrait de concepts, débordant le
fait singulier que l’expérience nous propose (importance éventuelle des
hypothèses) ;
- la science se soumet à des critères de « validité » qui sont explicitement
formulables et qui font l’objet d’un consensus47.
Par conséquent, l’activité de connaissance criminologique respecte ces
critères de scientificité, car il s’agit d’un projet scientifique. De ce point de
vue, l’activité criminologique se veut empirique et descriptive, par
opposition notamment au savoir juridique qui est prescriptif.

 une activité interdisciplinaire incluant même le savoir juridique.

L’activité criminologique traverse les points de vue de plusieurs disciplines,


notamment la sociologie, l’anthropologie, la psychologie, le droit, la
philosophie. C’est pourquoi, certains auteurs parlent du caractère
transdisciplinaire48 de la criminologie.

 une activité qui s’implique directement et inévitablement dans le domaine des


jugements de valeur et des normes juridiques.

En effet, une des particularités de la criminologie est qu’elle travaille non


seulement avec des concepts scientifiques, mais aussi avec des concepts
exprimant des jugements de valeur, en raison de la nature même des objets
étudiés (le comportement criminalisé, la déviance, le contrôle social, etc.). Ces
objets semblent propulser le criminologue dans le champ éthique, sans qu’il le
veuille. Cette caractéristique de l’activité de connaissance criminologique,
relève Alvaro Pires, constitue à la fois sa richesse et sa malédiction, et réclame
de la part du criminologue, « une vigilance accrue autant du point de vue
épistémologique qu’éthique »49.

 une activité qui relie la théorie à la pratique et qui est socialement utile

En effet, la connaissance produite par l’activité criminologique se veut à la fois


fondamentale et appliquée. La théorie renvoie aux travaux de recherche
fondamentale ou pure, qui est celle qui est orientée vers l’étude des fondements
d’une discipline (son objet, ses méthodes, ses théories et concepts) pour faire
avancer la connaissance du réel. La pratique, par contre, renvoie aux travaux
de recherche appliquée, qui est celle qui consiste à utiliser les découvertes ou
les résultats de la recherche fondamentale pour des applications pratiques.
Ainsi, par exemple, l’exploitation des connaissances criminologiques pour
47
GRANGER, “Épistémologie”, in Encyclopedia Universalis, p. 65.
48
L. ANIYAR de CASTRO, R. CODINO, Manual de criminología sociopolítica, 1a ed. Ciudad Autónoma de
Buenos Aires, Ediar, 2013, p. 26.
49
Fr. TULKENS, « Criminologie et droits humains, une rencontre indispensable », op. cit., p. 31.
20
définir des politiques criminelles en vue d’une gestion plus adéquate des
situations criminalisées ou pour la transformation des pratiques des acteurs
intervenant dans un domaine déterminé, ou même pour des réformes
législatives. Aussi, Françoise Tulkens écrit-elle que « la criminologie n’est pas
seulement un savoir scientifique, mais elle est aussi un savoir social orienté
vers un modèle démocratique d’intervention et d’action »50. Cela veut dire que
l’activité criminologique pourrait conduire à valoriser les personnes victimes
d’exclusion sociale, à faire reconnaître leurs droits en tant que citoyens ou à
militer pour leur émancipation.
Ces quatre caractéristiques font en sorte que la criminologie apparaisse comme une activité
complexe de connaissance parce qu’elle pose des difficultés au moins sur trois plans :

 la difficulté d’articuler une connaissance scientifique avec une réflexion


éthique ;
 la difficulté d’articuler une connaissance interdisciplinaire qui inclut, par
surcroît, le savoir juridique ;
 la difficulté d’articuler la théorie à la pratique, y compris le projet de contribuer
à la construction d’une société moins violente et moins répressive.

d. La notion d’activité de connaissance ne dévalorise pas scientifiquement la


criminologie

Affirmer que la criminologie est une activité de connaissance plutôt qu’une science autonome
ne dévalorise pas pour autant la criminologie. En effet, ce qui compte le plus dans
l’expression de « science autonome », indique Alvaro Pires, « c’est l’idée d’activité
scientifique et non celle d’autonomie ». Or, poursuit-il, « la criminologie est aussi une
activité de connaissance scientifique bien que, du point de vue de la théorie qu’elle produit et
du domaine qu’elle occupe, elle ne soit pas autonome »51. En fait, l’insistance de certains
criminologues sur l’idée de la criminologie comme une « science autonome » s’explique par
le fait que, « dans le passé, pour valoriser un savoir, il fallait le présenter comme science
autonome, surtout si on cherchait à lui créer une place propre et convenable dans les
institutions d’enseignement existantes ; [mais] aujourd’hui, on peut plus sereinement séparer
la question de l’autonomie scientifique de l’autonomie institutionnelle »52. Donc, ce n’est pas
parce que l’activité de connaissance criminologique n’est pas « autonome » qu’elle serait
inférieure ou moins « bonne » qu’une connaissance purement autonome53.

En effet, l’activité de connaissance criminologique consiste dans l’« idée d’avoir une vue
globale, la plus globale possible à un moment donné, des problèmes, questions et
connaissances produites à l’égard de la question criminelle ou pénale (comportements
problématiques et contrôle social) et d’en tenir compte dans la production de nouvelles
connaissances »54. C’est dans ce sens, poursuit Alvaro Pires, qu’on peut parler aujourd’hui de
la criminologie comme une activité de connaissance interdisciplinaire, comme une activité-
carrefour »55 au lieu d’une science-carrefour.

50
Ibid., p. 32.
51
A. PIRES, op. cit., p. 29.
52
Ibid., p. 29-30.
53
Ibid., p. 30.
54
Ibid.
55
Ibid.
21
On pourrait cependant se demander à quel moment apparaît une telle « activité spéciale » de
connaissance sur la question pénale, qui sera finalement baptisée de « criminologie ». Pour
Alvaro Pires, c’est dans le dernier quart du 19e siècle qu’on voit apparaître justement l’idée de
mettre en branle une telle « activité spéciale ». Mais le temps fort de cette activité de
connaissance sur la question pénale prend forme avec l’École positive italienne composée de
trois auteurs suivants : Lombroso, Ferri et Garofalo, qui sont considérés comme les pères
fondateurs de la criminologie56.

Dans le cas de la République démocratique du Congo, l’activité criminologique, qui s’est


développée à partir de l’École de criminologie de l’Université de Lubumbashi en 200457, a été
intimement liée à la question des droits humains58, de sorte que à l’École de criminologie
fonctionnant au sein de l’Université de Lubumbashi est rattaché un Centre d’études et de
formation en criminologie et droits humains, qui sert d’interface entre l’École et la société, et
qui assurent la formation des acteurs sociaux pertinents (policiers, magistrats, etc.) en vue de
la transformation de leurs pratiques professionnelles. En effet, le programme d’enseignement
et de recherche en criminologie dans ce pays a été inscrit dans la rencontre de la criminologie
et des droits humains. Cette rencontre de la criminologie et des droits humains en terres
africaines et congolaises est, de l’avis de Françoise Tulkens, « un véritable enjeu ou plus
exactement, une opportunité qu’il faut saisir, celle de permettre un renversement de
perspectives dans le champ pénal sur d’autres bases et avec d’autres présupposés […]. Les
droits humains, les droits fondamentaux, les droits et libertés apparaissent de plus en plus
comme des ressources qui peuvent et doivent être mobilisées pour renouveler la manière de
poser la question de la déviance, de la délinquance et de la réaction sociale. […]. D’une part,
les droits humains sont présentés comme établissant un système de garanties destinées à
limiter l’emprise du système punitif. Tel est le rôle défensif des droits humains […]. Mais il y
a aussi […] un autre rôle que les droits humains peuvent et doivent jouer dans le champ de la
criminalité et de la réaction sociale : il s’agit d’un rôle offensif »59. Nos travaux ont montré
que dans le cas de la République démocratique du Congo, la délinquance se dissout dans toute
une variété de situations-problèmes relevant du contexte de précarité et de la déliquescence de
l’État importé au Congo60. Ce constat de la dissolution de la dissolution de la délinquance
dans une variété de situations-problèmes devrait amener à puiser dans les droits humains, les
droits fondamentaux, des « garanties positives pour resituer l’intervention pénale dans le
champ de la justice sociale »61. Françoise Tulkens fait justement observer qu’« il est fréquent
que les personnes vulnérables qui sont atteintes dans leurs droits fondamentaux, qu’ils soient

56
Ibid.
57
Antérieurement à la création de cette école, l’activité criminologique en République Démocratique du Congo
s’est développée par Professeur Guy Houchon, criminologue, chargé de cours ordinaire à la Faculté de Droit de
l’Université Lovanium (actuelle Université de Kinshasa) au sein du Centre de criminologie et de pathologie
sociale qu’il créa en 1966. Ce centre fonctionna initialement comme un Service de criminologie et de pathologie
sociale au sein de la Faculté de Droit de cette université, avant d’obtenir un crédit de recherche au sein de
l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) de la même université. Lire pour plus de détails R.
KIENGE-KIENGE INTUDI (dir.), La recherche en criminologie en République Démocratique du Congo,
Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, Coll. Publication du Centre de criminologie de l’Université de
Kinshasa, 2014, pp. 17 et s.
58
En témoigne le titre évocateur de l’ouvrage dirigé par Fr. DIGNEFFE et KAUMBA LUFUNDA, op. cit.,
publiant les actes du premier colloque international de criminologie tenu à l’Ecole de criminologie de
l’Université de Lubumbashi en novembre 2006 : criminologie et droits humains en République Démocratique du
Congo.
59
Fr. TULKENS, op. cit., p. 32.
60
R. KIENGE-KIENGE INTUDI, Le contrôle policier de la délinquance des jeunes à Kinshasa. Une approche
ethnographique en criminologie, Louvain-laNeuve , Kinshasa, Academia Bruylant, Éditions Kazi, 2011.
61
Fr. TULKENS, op. cit., p. 39.
22
civils et politiques ou économiques, sociaux et culturels, trouvent dans la déviance ou la
délinquance une mauvaise réponse à une bonne question »62.

IV. LE PROBLÈME DES OBJETS D’ÉTUDE DE LA CRIMINOLOGIE

1. Position du problème

Le problème des objets d’étude de la criminologie se pose dans les termes suivants : En règle
générale, écrit Alvaro Pires, « on peut dire que les objets d’une science sont ceux que l’on
observe dans sa propre pratique de recherche ; les objets de la biologie, par exemple, sont
ceux-là même que les biologistes se donnent à certains moments, etc. ». Mais la difficulté de
la criminologie, poursuit-il, est justement qu’elle n’est pas une science autonome, mais plutôt
une activité de connaissance. Dès lors, elle n’a pas un domaine propre […]. Ses objets et ses
théories appartiennent aussi en même temps à d’autres disciplines »63. Il se pose donc le
problème de choix et de détermination des objets d’étude de la criminologie, lequel problème
est formulé dans les termes suivants : quelle est la partie des objets (et des savoirs) des autres
disciplines dont les criminologues vont s’approprier pour en faire aussi des objets de la
criminologie ?64

En effet, pourrait-on se demander, entre l’étude des causes du comportement criminalisé et


une recherche sur la création de la loi pénale, qu’est-ce qui relève véritablement d’un objet
d’étude de la criminologie ? Pour sortir de ce dilemme, on devrait considérer que « les objets
de la criminologie relèvent, jusqu’à un certain point, de la convention ou de l’avis des
pairs »65. En d’autres mots, les criminologues choisissent ce qui constituera leurs objets. En
effet, nous avons déjà relevé le fait que le contenu du champ d’étude de la criminologie varie
et se modifie selon le point de vue des membres de la communauté scientifique préoccupés
par l’élucidation de la question pénale.
Donc dans le cas de la criminologie, il n’y a vraiment aucun objet a priori qui lui appartient
plus qu’à d’autres sciences. L’activité de recherche en criminologie, écrit Alvaro Pires,
« recouvre toujours celle des autres disciplines ». Dès lors, poursuit-il, « le criminologue n’a
pas à créer des barrières disciplinaires artificielles comme s’il avait un domaine propre ; ce
qui doit compter c’est l’intérêt théorique des objets pour l’activité de connaissance elle-même,
pour l’élucidation et la compréhension de la question pénale »66. En définitive, « c’est une
illusion de croire que la criminologie a des objets ; il vaut mieux dire qu’elle s’approprie des
objets »67.

Cependant, suite à la capacité de « choisir » ou de s’approprier ses objets d’étude avec une
certaine liberté, sans dogmatisme, et suite à certaines convictions a priori qui présentent le
crime comme un fait social ou naturel, et en tant que tel comme l’objet d’étude de la
criminologie, les criminologues en sont arrivés à engager un débat interminable sur les objets
qui devaient faire partie de cette activité de connaissance, qu’est la criminologie. Ce débat a
été mené autour de la sélection, de la signification et de la portée de deux aspects de la
question pénale, que Alvaro Pires, appelle « les deux codes de langage » pour désigner les
deux aspects de la question pénale.
62
Ibid., p. 42.
63
A. PIRES, op. cit., p. 57.
64
Ibid.
65
Ibid.
66
Ibid., p. 58.
67
Ibid.
23
68
2. Les deux aspects de la question pénale ou « les deux codes de langage »68

L’activité criminologique, en tant qu’activité de connaissance, renvoie aujourd’hui à deux


types de langage ou de code : le code institutionnel ou substantiel et le code descriptif. Ces
deux codes correspondent à deux représentations opposées de l’objet de l’activité
criminologique et ont trois caractéristiques opposées.

a. Le code institutionnel ou substantiel

Les trois caractéristiques du code institutionnel ou substantiel sont :


 Le code institutionnel ou substantiel nous amène à adopter, pour parler des
comportements de transgression, le langage juridique ou institutionnel du droit,
utile pour la pratique du droit, mais qui ne fait pas certaines distinctions qui
peuvent être fondamentales pour une meilleure compréhension théorique et
empirique adéquate du sujet traité. La conséquence en est que ce code a
tendance à se rabattre sur l’aspect substantiel ou factuel de la notion de crime
et à concevoir le crime comme un acte, un comportement ou un fait social brut,
ce qui correspond aux « délits naturels » de Garofalo dans son livre
criminology (1914, 14), ou aux « délits essentiels » de Gabriel Tarde69.

 Le code institutionnel ou substantiel a tendance à donner une portée très limitée


et très circonscrite aux objets de la criminologie.

 Ce code correspond au système de rationalité pénale et, par conséquent se


laisse guider par un intérêt technique : la lutte contre le crime, la gestion de la
criminalité, etc. plutôt que de chercher à comprendre ce « crime » ou cette
criminalité.

b. Le code descriptif

Le code descriptif présente les caractéristiques suivantes :

 Ce code s’éloigne des notions du langage juridique et institutionnel en vue


d’examiner les présupposés de base. Il arrive alors que le code descriptif
abandonne les concepts juridiques (pénaux), modifie leur signification ou
élabore de nouveaux concepts70. L’objectif de ce code est de nous amener à
maximaliser la capacité descriptive de notre langage. Le code descriptif permet
alors d’éviter l’utilisation d’un langage à connotation juridique, justement
parce que ce langage se prête mal à la tâche de la description empirique. En
effet, explique Alvaro Pires, « le propre des concepts juridiques (pénaux) n’est
ni de voir ni de décrire, mais d’interpréter pour juger. or, lorsque nous
étudions le comportement des gens qui ont été institutionnellement

68
Ibid., p. 58-62.
69
G. TARDE, La philosophie pénale, Paris, Cujas, 1890, p. 72-73.
70
Dans notre recherche, nous sommes arrivé à proposer le concept de situation-problème (en lingala likambo ya
mabé) au lieu de parler de la « délinquance » des jeunes à Kinshasa (R. KIENGE-KIENGE INTUDI, op. cit., p.
22).
24
criminalisés, nous n’étudions pas les comportements antisociaux en général ni
les comportements problématiques tout court : nous étudions seulement les
personnes dont le comportement a été jugé institutionnellement comme
‘criminel’. Le comportement criminel est alors un fait institutionnel, et non un
fait brut ou empirique. En effet, c’est seulement dans le droit criminel que nous
trouvons la distinction entre comportement criminel et non-criminel. Le code
descriptif essaie donc d’employer des concepts plus descriptifs et plus ouverts,
plutôt que les concepts affiliés au droit pénal. Exemple, le concept de situation-
problème.

 Le code descriptif a tendance à donner une portée plus large aux objets de la
criminologie justement parce qu’il ne se laisse pas limiter par le langage et les
objectifs institutionnels et juge nécessaire d’explorer, théoriquement et
empiriquement, les présupposés du code substantiel et sa tendance à prendre
pour acquis la configuration que les institutions sociales donnent à la réalité.

 Le code descriptif est plus relié à un intérêt herméneutique ou émancipatoire


(qui permet de comprendre le sens et la signification des comportements
criminalisés ou l’émancipation des personnes criminalisées : voir le discours
sur l’amélioration des conditions de prisonniers…).

Nota bene : Il ne faut pas oublier que les mots ne traduisent pas, en eux-mêmes, les deux
codes. Autrement dit, ce n’est pas seulement une question de mots, car on peut parfois utiliser
les mots du langage institutionnel sans donner la connotation factuelle ou substantielle qui
relève du code institutionnel.
Ainsi les deux objets de la criminologie selon les deux codes de langage se présentent dans le
tableau suivant :

Le code « institutionnel » ou Le code descriptif


« substantiel »
La criminologie comprend comme objets : La criminologie comprend comme
objets :

a) L’étiologie criminelle (ou l’étude du a) L’étude des situations-problèmes


crime, du criminel et de la criminalité) ou des comportements
problématiques

b) La pénologie ou l’étude de la défense b) L’étude de formes de régulation,


contre le crime) de contrôle ou de réaction
sociale

Il y a lieu de relever que les termes utilisés par le code institutionnel pour désigner les objets
de la criminologie laissent transparaître l’ancienne représentation plus étroite du champ de la
criminologie. Cette représentation est présente chez des auteurs comme Jean Pinatel dans son
Traité de droit pénal et de criminologie (1970) qui parle de deux chapitres de la
criminologie : celui de l’étiologie criminelle et celui de la pénologie. Il en est de même de
Seelig dans son Traité de criminologie (1951) et de Mannheim dans son Comparative
criminology (1965).

25
Nota bene : Ce tableau ne renseigne pas sur les perspectives théoriques suivant
lesquelles ces objets sont traités par différents criminologues. Il ne désigne que les
objets selon les deux codes de langage.

3. Les objets de la criminologie aujourd’hui

Adoptant le code descriptif pour traiter de la question pénale, nous présenterons


comme objets de la criminologie, d’une part, les situations problèmes et d’autre part,
le contrôle social (social control) que nous indiquons ci-dessous:

PRINCIPAUX ASPECTS DES OBJETS


Étude des situations-problèmes Étude du contrôle social ou de la réaction
ou des comportements problématiques sociale ou encore de la régulation sociale
° Situations-problèmes pertinentes sans ° La création des lois (pénales)
régulation juridique ° Le fonctionnement de la justice (pénale,
° Comportements de transgression aux administrative, civile ou autre) : police
normes morales ou juridiques publique et privée ; tribunaux, décision
pertinentes de type judiciaire
° Comportements criminalisés ° Système correctionnel (pénitentiaire) et
intervention psychosociale auprès des
personnes ayant eu des démêlés avec la
justice (pénale)
° Politique criminelle, modes alternatifs de
résolution des conflits et programmes
sociaux de prévention
° Histoire et analyse des aspects pertinents
du droit et des pratiques et institutions de
contrôle social.

Voyons de plus près chacun de ces principaux objets :

a. La notion de situation-problème

1) Contexte d’émergence et définition de la notion de situation-problème

La notion de situation-problème a été proposée dans le cadre de la perspective abolitionniste


de la justice pénale à travers les travaux du néerlandais Louk Hulsman (Une perspective
abolitionniste du système de justice pénale et un schéma d’approche des situations
problématiques, 1981)71 et Bernat de Celis (Peines perdues, le système pénal en question,
1982)72. Cette notion a été soutenue aussi dans le cadre de la nouvelle criminologie clinique
de l’École de Louvain avec Christian Debuyst (Passage à l’acte, comportements et situations
problématiques, 1983)73. Elle « désigne simplement le fait que pour au moins un acteur

71
L. HULSMAN, « Une perspective abolitionniste du système de justice pénale et un schéma d’approche des
situations problématiques », in C. DEBUYST (éd.), Dangerosité et justice pénale, Génève, Masson, Médecine et
hygiène, 1981.
72
L. HULSMAN et J. BERNAT DE CELIS, Peines perdues, le système pénal en question, Paris, Le Centurion,
1982.
73
Ch. DEBUYST, « Passage à l’acte, comportements et situations problématiques », Bulletin de Psychologie, n°
359, 1983, 273-278.
26
quelconque une situation donnée est vécue ou perçue comme ‘créant un problème’ ou comme
étant négative, inacceptable, indésirable »74. Bien entendu, expose Pires, cette notion renvoie
en premier lieu à la « victime » directe de la situation problématique et non à un concept
abstrait de « société ». Il ne s’agit pas ici de nier la valeur d’un point de vue qui prend en
considération les intérêts collectifs, mais tout simplement d’empêcher qu’au nom d’un tel
intérêt on adopte des solutions à la fois répressives, inefficaces et contraires aux intérêts des
personnes directement impliquées dans la situation75.

Telle est la situation de la justice pénale congolaise actuelle (Pensez ici au problème de
l’effectivité de la réparation due aux victimes des actes de violences sexuelles pour lesquelles
on a préconisé une répression rapide et sévère, excluant toute transaction).

Pour Christian Debuyst, « parler de comportements problématiques indique qu’il ne s’agit pas
seulement d’un comportement qui pose problème au groupe, mais que sa signification ou son
explication pose problème si nous voulons l’aborder en termes de causalité, ou même au-delà
de la causalité en termes de signification »76. En effet, explique-t-il :

« Si au départ, nous posions la question sous la forme générale : ‘à quel type


d’explication l’analyse du passage à l’acte nous réfère-t-elle ?’, la réponse que nous
serions amenés à donner nous limiterait presque fatalement à une perspective étiologique
reposant sur la mise en lumière d’un certain nombre de facteurs explicatifs ou encore, à
une analyse du vécu poursuivie d’une manière plus ou moins systématique et à travers
laquelle il serait sans doute possible de dégager un processus dans lequel le
comportement prendrait place et qui permettrait d’en saisir la signification. Une telle
réponse, qui effectivement nous réfère à des travaux qui furent et qui restent fort
importants, nous amènent néanmoins à définir le comportement comme un ‘donné’ qui
s’impose à la manière d’un fait dont on pourrait déterminer les causes ou les conditions
d’apparition particulières, et qui formerait en lui-même une entité propre, isolable et
contrôlable. Une telle manière de poser le problème soulève deux ordres de
difficultés »77 : d’une part, il y a la complexité des variables et la dissolution de la notion
de « cause », car « la notion de comportement nous réfère au jeu d’un ensemble
considérable de variables dont le statut et les modalités d’intervention diffèrent
sensiblement selon les cas. Une telle constatation oblige dès lors le chercheur à
différencier les situations d’analyse en fonction d’une série de variables intervenantes
telles que l’âge, le niveau social, le niveau intellectuel, les conditions situationnelles, etc.
pour qu’une liaison entre un ‘facteur’ causal et l’apparition d’un comportement puisse ne
pas induire en erreur et devenir quelque peu éclairante »78.
D’autre part, la qualification de délinquance est une déf ²inition préalable d’un
comportement, car « la manière dont un ‘donné’ a été préalablement défini par rapport à
un cadre plus général, détermine le type de lecture qu’on en fera. Dans le cas qui nous
occupe, cette définition préalable est celle d’avoir fait d’un comportement un acte
délinquant. En d’autres termes, définir un acte comme délinquant, n’est pas sans
conséquence. C’est en quelque sorte une interprétation quel ‘on donne ou une définition à
travers laquelle un comportement est vu et prendra ainsi le caractère problématique qui
est en réalité le sien, du fait d’être d’emblée placé dans une catégorie présentant des

74
A. PIRES, op. cit., p. 62-63.
75
Ibid.
76
Ch. DEBUYST, op. cit., p. 274.
77
Ibid.
78
Ibid.
27
caractéristiques précises : celle précisément de constituer une transgression et d’inclure
de ce fait des processus d’attribution à l’égard de son auteur (attribution d’une série de
qualifications négatives) »79.

« Lorsqu’on aborde l’étude du passage à l’acte, poursuit Debuyst, la réaction sociale est
présente comme [une] donnée constitutive à la fois de la manière dont les événements se
déroulent et sont vécus, et d’autre part, de l’optique dans laquelle l’analyse s’organise.
Lorsque dans cette perspective, nous parlons de comportement problématique, nous
opposons en quelque sorte ce terme à celui de [comportement] délinquant, parce que ce
dernier nous réfère déjà à un système d’interprétation susceptible d’opérer un
rabattement des explications dans un sens précis qui sera celui d’une analyse réductrice,
ou d’une analyse axée sur la gestion des risques.
Parler au contraire de comportements problématiques ne veut pas dire qu’il s’agit des
comportements qui ne soient, en tant que tels, intolérables. Mais le faire implique, pour le
psychologue ou le criminologue clinicien, que l’on maintienne une possibilité d’explication de
ces comportements permettant aux différents points de vue de s’exprimer sans qu’il n’y ait
d’a priori à partir desquels la lecture des faits se soit déjà faite. Vouloir tenir compte de la
possibilité d’expression des différents points de vue c’est en même temps se référer aux
différences qui existent entre les statuts qu’occupent les uns et les autres dans le cadre de
divers systèmes sociaux, que ceux-ci soient la famille, l’école, ou la société en général. Parce
qu’en effet, les différences de point de vue sont liés aux différences de statuts ou de situations,
et que celles-ci nous réfèrent au système sociopolitique »80.
Le but premier de cette notion est de permettre de décrire certains événements, certains
conflits, etc. sans utiliser immédiatement une notion morale (comme crime) ou, pire encore,
une notion juridico-pénale qui introduit souvent une tendance à vouloir expliquer la situation
d’une certaine manière et à présupposer que l’intervention pénale (répressive) est la manière
« adéquate » de résoudre le problème81.
2) Caractéristiques
Les principales caractéristiques de cette notion de « situation-problème » sont :
 Il s’agit d’un concept descriptif qui nous renvoie avant tout à un champ événementiel
plutôt qu’à un champ normatif. En effet, une situation peut-être perçue comme
problématique même s’il n’existe aucune norme préalable visant à gérer cette
situation. Dit autrement, un comportement n’est pas nécessairement un
comportement de transgression ni un comportement déviant, puis qu’il peut se
présenter dans des situations « hors-normes »82.

 Le concept de « situation-problème » est un concept ouvert en ce sens qu’on ne


présuppose pas d’avance qu’une situation-problème quelconque réclame
nécessairement une réponse punitive ou qu’elle réclame même une solution
quelconque. Toute situation-problème ne prend pas nécessairement la forme d’un
problème qui doit être résolu coûte que coûte. Par ailleurs, une situation-problème
peut faire l’objet de différentes formes organisationnelles du droit et on ne
présuppose pas que le mode pénal, avec les caractéristiques qui sont siennes, soit

79
Ibid., p. 275.
80
Ibid., p. 275-276.
81
Ibid.
82
Ibid., p. 63.
28
nécessairement la solution appropriée pour un grand nombre de cas qui sont
susceptibles de tomber sous son emprise à un moment donné83.
 Enfin, le concept de situation-problème est moins unilatéral que le concept étatique de
« crime ». En effet, d’une part, il tient compte des victimes réelles et, d’autre part, le
chercheur n’est pas limité par le choix du législateur. Il peut alors étudier plus
librement, comme étant possiblement semblables du point de vue biologique,
psychologique ou sociologique, des situations-problèmes que l’État représente au
plan du droit (ou au plan institutionnel) comme étant différentes.
Exemples : la violence policière, le blanchiment d’argent, les fraudes douanières ou
fiscales, les négligences à la réglementation sur la sécurité ou l’hygiène sur le lieu de
travail, etc.
3) L’aporie de la définition de situation-problème et son complément
Dans notre recherche sur « le contrôle policier de la délinquance des jeunes à Kinshasa »,
nous avons complété et précisé la définition de « situation-problème » ainsi donnée par
Alvaro Pires en nous référant aux droits fondamentaux de chaque personne.
En effet, pourrait-on se demander, de quel point de vue de l’acteur la situation constitue-t-elle
un problème pour lui ? Cette question renvoie à la référence à partir de laquelle un acteur
déterminé définit une situation donnée comme constitutive d’un problème pour lui. Il ne
pourrait évidemment pas s’agir d’une référence normative posée a priori par le chercheur,
car le concept de situation-problème, tel que défini ci-dessus « nous renvoie avant tout à un
champ événementiel plutôt qu’à un champ normatif ». […]
À la lumière des intéressants développements de Baratta (Droits de l’homme et politique
criminelle »84, on pourrait ainsi considérer une situation-problème comme une situation
d’insécurité pour un acteur par rapport à ses droits fondamentaux, la sécurité étant définie
par Baratta comme correspondant « au besoin d’être et de se sentir sûr dans l’exercice de
tous les droits : le droit à la vie, à la liberté, au développement de la personnalité et des
capacités, à l’expression et à la communication, à une haute qualité de la vie ainsi que le
droit de contrôle et d’influence réelle sur les conditions dont dépend, concrètement,
l’existence de chacun », ou au « droit élémentaire d’être ‘citoyen’ » (Baratta, 1999 : 253). De
manière raccourcie, on pourrait donc affirmer que la sécurité correspond simplement au
droit de cité ou de citoyenneté, dont la violation constitue un problème.
Ce concept de sécurité et son contraire, l’insécurité, ont soutenu de façon centrale les
développements du chapitre de l’ouvrage consacré au repérage des situations-problèmes
dans lesquelles se dissolvent celles impliquant les jeunes sur le terrain de recherche et
qualifiées de « délinquance »85.
La notion de situation-problème a été ainsi saisie par le biais de la politique criminelle, c’est-
à-dire par le bout, pour déterminer à rebrousse-poil les critères de sa définition. Une
situation-problème se reconnaîtrait donc par trois éléments : 1) une situation de violation des
droits fondamentaux des individus ; 2) situation dont les conséquences sont vécues comme
négatives par certaines personnes ; 3) et face à laquelle il y a absence ou inadéquation des
dispositifs de contrôle destinés à garantir plus de sécurité à ces personnes86.

83
Ibid.
84
A. BARATTA, « Droits de l’homme et politique criminelle », Déviance et société, 1999, vol. 23, n° 3, pp.
239-257.
85
R. KIENGE-KIENGE INTUDI, op. cit., pp. 173-177.
86
Ibid.
29
b. La notion de contrôle social

Ce concept a été développé dans les travaux des auteurs comme Philippe Robert (« De la
‘criminologie de la réaction sociale’ à une sociologie pénale », 1981)87 et Fecteau (Un nouvel
ordre des choses : la pauvreté, le crime, l’État au Québec, de la fin du XVIIIe siècle à 1840,
1989)88.
Le concept de contrôle est aussi un concept-ouvert en ce sens que le criminologue va explorer
ce qui lui paraît pertinent pour mieux saisir et faire avancer la réflexion théorique sur la
question pénale. En général, le contrôle social comprend la question de la création et du
maintien des lois pénales ainsi que celle de l’application des lois et ses conséquences. En
même temps, on s’accorde pour dire que l’étude du contrôle social déborde largement ce
cadre dans la mesure où il comprend aussi les questions relatives au système correctionnel ou
pénitentiaire et à l’intervention psychosociologique (notamment le travail des éducateurs et
autres intervenants sociaux), les aspects psycho-sociaux de la réaction sociale, les questions
de politique sociale et criminelle (la prévention, la décriminalisation, la déjudiciarisation, les
formes alternatives de résolution des conflits ou de justice dite douce comme la médiation
pénale, le travail d’intérêt communautaire), etc.89.

V. L’INVENTION DU TERME « CRIMINOLOGIE » ET SES ÉQUIVALENTS

Comme l’expose Alvaro Pires90, dans le dernier quart du 19e siècle, et dans la mouvance de
l’École positive, on se mit à chercher une appellation pour désigner cette nouvelle activité de
connaissance à prétention scientifique, qui s’articulait progressivement autour de la question
pénale. Plusieurs appellations furent alors proposées, voire adoptées, à tour de rôle et testées
pendant une période relativement longue jusqu’à ce que le terme « criminologie » finisse par
l’emporter définitivement sur les autres.
Les principales appellations, par ordre probable de parution, ont été « anthropologie
criminelle », « sociologie criminelle », « criminologie » et « biologie criminelle ». Les
expressions « science criminelle » et « politique criminelle » ont aussi été mises à
contribution. Le débat autour de ces appellations fut marqué par des enjeux de différents
ordres et ce débat est autant relié à la tradition culturelle et institutionnelle de chaque pays
qu’à la trajectoire intellectuelle de chaque auteur91.

1. S’agissant de l’appellation d’«anthropologie criminelle »

Selon toute vraisemblance, l’appellation d’« anthropologie criminelle » est la première


appellation qui a été d’abord retenue en Europe continentale à partir de 1880 pour désigner ce
que nous appelons aujourd’hui « la criminologie ». Il paraît qu’au départ, l’appellation
d’«anthropologie criminelle » était en quelque sorte liée à la thèse de l’hérédité de Lombroso,
qui publia L’homme criminel en 1876, La femme criminelle et la prostituée avec Ferrero en
1893. Cependant, il utilisa l’expression d’«anthropologie criminelle » dans le titre d’un autre
ouvrage intitulé L’anthropologie criminelle et ses récents progrès (1890).

87
Ph. ROBERT, « De la ‘criminologie de la réaction sociale’ à une sociologie pénale », in Année sociologique,
31, 1981, pp. 253-283.
88
J.M. FECTEAU, Un nouvel ordre des choses : la pauvreté, le crime, l’État au Québec, de la fin du XVIIIe
siècle à 1840, Outremont, VLB Éditeur, coll. « Études québécoises », 1989.
89
A. PIRES, Op. cit., p. 64.
90
Ibid., p. 44.
91
Ibid.
30
Bien qu’attachée à Lombroso, cette appellation évolua rapidement pour s’étendre aux
différentes positions de l’École positive italienne (Lombroso, Ferri, Garofalo) ainsi qu’à la
position d’auteurs aussi divergents entre eux que Gabriel Tarde, Alexandre Lacassagne et
Paul Topinard. On pense même que le succès de cette expression est dû au fait qu’elle a réussi
à se détacher de la thèse de l’hérédité pour couvrir l’étude totale de l’individu dans ses aspects
biologiques, psychologiques et sociaux. Le sens du mot « anthropologie » semble alors avoir
glissé vers sa signification étymologique (de l’homme ou anthropos), c’est-à-dire, l’étude de
la personne humaine ou de l’humanité. En effet, l’anthropologie désignait à cette époque la
discipline qui étudiait l’être humain du point de vue physique, en tant qu’espèce animale.
Quant au qualificatif « criminel » attaché à l’anthropologie, il se référait, pour certains, au
champ d’application de cette étude de la personne humaine criminalisée (le criminel), et pour
d’autres, il laissait entendre qu’il existerait une forme d’anomalie ou quelque chose de
« spécifique » dans l’explication du comportement de transgression d’une loi pénale ou
criminelle.

Mais l’expression d’«anthropologie criminelle » n’impliquait pas nécessairement une certaine


prédominance des facteurs d’ordre biologique, car des auteurs comme Garofalo et Tarde qui
accordaient une dominance aux facteurs psychologiques ou d’autres auteurs comme Ferri qui
accordait une dominance aux facteurs sociologiques avaient pu l’adopter.

Le terme d’« anthropologie criminelle » a donc connu fortune surtout en Europe continentale,
même s’il est connu et utilisé aussi en Amérique du Nord. Ce terme est adopté en hommage à
Lombroso pour désigner les premiers congrès internationaux de criminologie tenus en Europe
continentale, soit à Rome en 1885, à Paris en 1889, à Bruxelles en 1892, à Genève en 1896, à
Amsterdam en 1901, à Turin en 1906 et à Cologne en 1911.

Cependant, l’appellation d’« anthropologie criminelle » n’a pas duré aussi longtemps que le
titre des congrès internationaux semble le suggérer. En effet, cette expression devenait de
nouveau attachée à la notion lombrosienne de criminel-né, laquelle notion devenait de plus en
plus contestée pour deux raisons : d’une part, elle était contestée dans sa dimension spécifique
de « traits physiques », d’autre part, par la perte progressive de confiance en la capacité de la
biologie d’expliquer le comportement criminalisé, du fait d’exclure les facteurs liés au milieu.
Le débat entre les dispositions biologiques ou héréditaires, d’une part, et d’autre part
l’influence du milieu comme explication du comportement criminalisé prit tellement
d’importance qu’il contribua à l’abandon de l’appellation d’« anthropologie criminelle ».

En effet, dès 1887, Paul Topinard, alors directeur de l’École d’Anthropologie de Paris,
désavouait la théorie du criminel-né de Lombroso. Dans un article intitulé L’anthropologie
criminelle publié en 1887 dans la revue d’anthropologie (n° 2, pages 658-691), il avait écrit
qu’il n’y avait pas de types anthropologiques du criminel et pas de branche de l’anthropologie
méritant le titre d’anthropologie criminelle. Il critique L’homme criminel de Lombroso en
écrivant qu’en somme Lombroso n’a pas prouvé l’existence d’un type général de criminel et,
à plus forte raison, d’un type de criminel-né, méritant tant soit la qualification
d’anthropologique92. Pour rescaper l’anthropologie de cette pernicieuse thèse de Lombroso, il
en arrive à suggérer deux autres expressions pour caractériser cette nouvelle activité de
connaissance : celle de criminalogie et celle de sociologie criminelle. Il écrit respectivement à
ce sujet :

92
Ibid., p. 48.
31
« Admettre l’atavisme, c’est-à-dire la fatalité du crime ou d’une constitution organique
conduisant au crime, serait saper à sa base la branche nouvelle de la science appliquée qui
se crée sous le nom de criminalogie », par référence, sans doute, à la criminalité93.

Par conséquent, poursuit-il, « la dénomination d’anthropologie criminelle n’a donc aucune


raison d’être (…). Au titre de sociologie criminelle il n’y eût pas eu d’objection, mais celui
qui a été adopté, pour profiter sans doute de la popularité dont jouit le mot anthropologie,
n’est nullement autorisé »94.

2. S’agissant de l’appellation de « sociologie criminelle »

L’appellation de « sociologie criminelle » fait partie des premiers noms donnés à la


criminologie. Il semble que c’est dans la mouvance à la fois du mouvement italien de « droit
pénal social » (1883-1912), appelé aussi « socialisme juridique », et des écrits de Enrico Ferri,
que l’appellation de « sociologie criminelle » fut proposée dans le dernier quart du 19e siècle.
Ferri serait donc l’inventeur de cette appellation de « sociologie criminelle » dans un article
publié en 1882 et dans deux livres publiés en 188395.

Contrairement à l’expression d’anthropologie criminelle, celle de sociologie criminelle n’a


pas pu recevoir de reconnaissance internationale à travers les titres de congrès ou
d’associations académiques ou professionnelles. Cette expression n’a même pas été accueillie
aux USA où va se développer une véritable sociologie théorique et empirique portant sur la
question pénale. On utilisera dans ce pays, l’expression de « sociologie de la déviance » qui
n’est pas synonyme de celle de « sociologie criminelle », mais qui est une branche de la
sociologie.

L’expression de « sociologie criminelle » proposée par Ferri avait donc une signification
équivalente à celle d’«anthropologie criminelle », et exprimait de manière explicite un parti-
pris favorable à la thèse du milieu social par opposition à celle des prédispositions
personnelles dans l’explication du comportement de transgression de la loi criminelle. Ce
faisant, la thèse du milieu social semblait prendre une certaine distance des thèses héréditaires
de Lombroso.

Cependant, pour prendre ses distances du mouvement de droit pénal social, Garofalo va
inventer un titre plus neutre, celui de « criminologie », pour désigner le même projet
interdisciplinaire de connaissance qui vise à introduire la « science positive » au cœur même
du droit pénal de sorte que le droit pénal se conforme aux conclusions de cette science
positive. C’est de cette science positive ou empirique (appliquée) que découle la
dénomination de l’École positive donnée à ce courant de pensée. En effet, même si Ferri va
mettre l’accent sur la sociologie et Garofalo sur la psychologie, écrit Pires, « il reste que tous

93
TOPINARD, cité par A. PIRES, ibid., p. 49.
94
Ibid.
95
Ibid., p. 50.
32
les deux soutiennent les thèses du criminel-né et de l’anomalie psychologique des
transgresseurs »96.

3. S’agissant de l’appellation de « criminologie »

Jean Constant enseigne, dans Éléments de criminologie (publié à Liège en 1949, page 9), que
le mot « criminologie » aurait été employé pour la première fois par un médecin français
répondant au nom de Topinard (1830-1911) ; mais, indique-t-on, c’est Garofalo qui fit sa
fortune en publiant, à Turin, en 1885, son célèbre ouvrage intitulé La criminologie97.
Corrigeons cette assertion en précisant que Paul Topinard parla de « criminalogie » et non de
« criminologie ». La paternité de cette expression revient donc à Raffaele Garofalo, qui
publia en 1885 un ouvrage portant le titre de criminologie. En 1894, Durkheim va employer le
terme de criminologie dans Les règles de la méthode sociologique, tout en se limitant à dire
que la criminologie est une « science spéciale », sans faire allusion à ses rapports avec la
sociologie, à ses objets ou à sa nature d’être soit une science fondamentale, soit une science
appliquée.

L’expression de criminologie apparaîtra aussi comme titre de la revue intitulé Archives


d’anthropologie criminelle, de criminologie et de psychologie normale et pathologique
fondée en 1886 par Lacassagne et Tarde. C’est surtout au début du 20e siècle que l’expression
de « criminologie » va commencer à se répandre du point de vue institutionnel. En 1907, cette
expression est intégrée au nom d’une revue savante belge, la Revue de droit pénal et de
criminologie. De même, la Revue pénitentiaire et de droit pénal fondée en 1877 et publiée par
la Société générale des prisons située à Paris, ajoute à son titre les mots « et études
criminologiques » à partir de 1931. En 1938, les congrès internationaux d’anthropologie
criminelle sur le continent européen deviennent des congrès internationaux de criminologie.
Plusieurs écoles et instituts de criminologie seront créés dans toute l’Europe continentale
(exemples : École de criminologie de l’Université catholique de Louvain, celle dénommée
Léon Cornil de l’Université Libre de Bruxelles, ou encore celle dénommée Jean Constant de
l’Université de Liège, l’Institut national de criminologie et de criminalistique à Bruxelles, le
Laboratoire de droit pénal et de criminologie, qui deviendra l’Institut de criminologie de Paris
en sigle, ICP, à l’Université Panthéon, etc.).

Du côté des États-Unis d’Amérique, le terme de « criminologie » est bien reçu et perce
rapidement. En effet, en 1892, Mac Donald publie le premier manuel étasuniens portant le
titre de Criminology, et en 1909 à Northwestern University à Chicaco se tient le premier
congrès portant le nom de criminology : la National Conference of Criminal Law and
Criminology. Lors de ce congrès, on organise l’American Institute of Criminal Law and
Criminology. Et en 1910, est créé la revue savante américaine Journal of Criminal Law and
Criminology. En 1924, Edwin Sutherland publie son ouvrage classique intitulé Criminology,
qui deviendra à partir de 1934 Principles of Criminology.

Au Canada à l’Université de Montréal, Denis Szabo fonde en 1968, une revue savante portant
le titre de « Criminologie », dont l’adresse du site web est la suivante :
(http://www.cicc.umontreal.ca/publications/revue_criminologie/index.htm). Une École de
criminologie fonctionne aussi à Montréal et au Québec.

96
Ibid., p. 51.
97
E. YAMARELLOS et G. KELLENS, Le crime et la criminologie, 1. De « adultère » à « jeux de hasard »,
Verviers, Marabout Université, 1970, V° criminologie (notions générales).
33
En Afrique, un Institut de criminologie est créé en 1965 à Abidjan en Côte d’Ivoire où Yves
Brillon effectue des recherches qui sont publiées dans un ouvrage intitulé Ethnocriminologie
de l’Afrique noire (1980). Guy Houchon crée le Centre de criminologie et de pathologie au
sein de l’Université de Kinshasa en 1966, dont les travaux tariront faute de ressources
nécessaires. C’est en 2004 que, dans le cadre de la coopération interuniversitaire entre
l’Université de Lubumbashi et quelques universités belges où fonctionne une école de
criminologie, sera créée la première école de criminologie en RDC. Un tout premier colloque
international de criminologie aura lieu en 2006 sous le titre Criminologie et droits humains en
République démocratique du Congo. C’est en 2005 que nous défendrons à l’École de
criminologie de Louvain-la-Neuve notre thèse de doctorat en criminologie ayant porté sur Le
contrôle policier de la délinquance des jeunes à Kinshasa, une approche ethnographique en
criminologie. L’ouvrage portant ce titre sera publié seulement en 2010 et sera le tout premier
ouvrage de criminologie écrit par un chercheur congolais.

4. S’agissant de l’appellation de « biologie criminelle »

Le terme de « biologie criminelle » (Kriminalbiologie) a été utilisé en Allemagne et en


Autriche. Bien que n’ayant jamais désigné de façon courante la simple étude physiologique
ou constitutionnelle de la personne criminalisée, l’expression de « biologie criminelle »
servira à désigner la criminologie, mais écrit Pires, « la proposition arrive trop tard sur la
scène internationale : avec la fondation de la Société internationale de Criminologie en 1934,
et avec le succès remporté aux États-Unis d’Amérique, le terme ‘criminologie’ avait déjà une
bonne longueur d’avance »98.

5. Quant à l’expression de « politique criminelle »

Alvaro Pires trouve étrange que le mot « politique criminelle » ait aussi été employé pour
désigner l’ensemble du projet criminologique. En effet, un certain nombre de chercheurs
jugeaient important de séparer complètement l’activité scientifique des applications politiques
pour assurer l’objectivité du chercheur et pour sauvegarder la crédibilité de la science99.
L’idée d’appeler la criminologie sous le nom de politique criminelle revient à Von Liszt qui
l’emploie dans un article daté de 1889. Il définit la politique criminelle comme « l’ensemble
systématique des principes fondés sur l’examen scientifique des origines du délit et des effets
de la peine, principes selon lesquels l’État doit combattre la délinquance à l’aide des peines et
d’institutions analogues »100. Cette définition s’approche des définitions proposées à l’époque
pour désigner la criminologie. En effet, le livre publié par Mezger en 1934 sous le titre de
Politique criminelle sur un fondement criminologique fut traduit en espagnole en 1950 par
Criminología. La seconde édition allemande de 1951 portera aussi le titre de Criminologie.
Un manuel.

6. L’émergence de la victimologie

Étant donné que la criminologie, telle est l’appellation qui a fini par s’imposer sur toutes les
autres, a en général soumis ou sacrifié les besoins et les intérêts des victimes « réelles » des
situations-problèmes aux intérêts et au système de rationalité du droit pénal, on assistera au
détachement de la criminologie vers les années 1970 d’un nouveau mouvement qui fait aussi
usage de la connaissance scientifique. Il s’agit de la « victimologie ». En effet, comme

98
A. PIRES, op. cit., p. 55.
99
Ibid.
100
Cité par A. PIRES, Ibid.
34
l’expose Alvaro Pires, « dans la représentation véhiculée par le droit criminel, c’est la
‘société’ qui est la victime des infractions, même si une partie considérable de celles-ci
relèvent directement d’une situation problématique concernant les personnes en tant
qu’individus. La tendance a donc été d’accepter le point de vue des victimes lorsqu’il
s’intégrait bien à la logique pénale (instrumentalisation des victimes), mais de l’ignorer
lorsqu’il mettait en cause la ‘solution pénale’ en faveur d’autres modes de résolution des
conflits (dédommagement, etc.) »101.

Cependant la victimologie n’a pas encore d’autonomie institutionnelle, car elle se développe à
côté de la criminologie.

7. Que retenir de toutes ces appellations de la criminologie depuis la fin du 19e


siècle ?

Il y a lieu de constater avec Alvaro Pires102, qu’il est possible de voir, au-delà du débat sur les
différentes appellations et de ce processus de recherche d’un nom, qu’on voulait bâtir et
nommer un nouveau projet de connaissance, qui naissait dans le dernier quart du 19e siècle.
Ce nouveau projet de connaissance amalgamait progressivement à la fois différentes
« tranches » de disciplines tournées vers l’observation empirique et le savoir pénal lui-même.
Autrement dit, ce nouveau projet visait à fusionner les diverses branches de la « science
positive » (anthropologie, sociologie, biologie) et à appliquer ce nouveau regard au domaine
du comportement criminalisé et du droit pénal.

L’histoire des différentes appellations de la criminologie dans ce 19e siècle finissant indique
qu’il apparaissait à cette époque « quelque chose de nouveau » qu’on sentait le besoin de
nommer. Et ce « quelque chose de nouveau » ne pouvait être simplement l’étude des causes
du « crime » comme champ de recherche, puis que cela avait déjà commencé bien avant. La
nouveauté de ce projet ne résidait pas non plus dans les thèses particulières de l’École positive
italienne. En effet l’École italienne avait son ordre du jour propre. Car, d’une part, du point de
vue de ses présupposés théoriques, elle croyait au déterminisme universel et à une
représentation du comportement criminalisé comme une sorte d’anomalie du corps ou de
l’âme. L’infracteur était considéré à cet égard comme différent des honnêtes citoyens. Et
d’autre part, du point de vue de ses orientations de réforme du droit pénal, l’École italienne
préconisait une philosophie de la peine adaptée aux types d’infracteurs. Mais au-delà de ce
point de vue particulier de l’École positive italienne, l’idée d’un projet de connaissance plus
collectif se dessinait également de sorte qu’il n’était pas nécessaire d’être d’accord avec les
thèses de l’École positive italienne pour s’inscrire dans ce nouveau projet de connaissance sur
les comportements de transgression103.

Les dispositions biologiques ou héréditaires ne peuvent offrir une explication suffisante du


comportement criminalisé, et moins encore les circonstances familiales et sociales. Il n’y a
pas lieu d’admettre une explication déterministe. En effet, le sujet humain est protagoniste de
sa propre vie. Et être protagoniste implique de reconnaître que les circonstances familiales ou
sociales ne déterminent pas notre caractère de façon absolue, même si on admet qu’elles
exercent une influence sur le comportement. Il en est de même des instincts les plus
élémentaires, liés à la constitution corporelle et à l’hérédité : tout en marquant sans doute
certaines tendances, ils peuvent cependant être façonnés et orientés par l’exercice de la
101
Ibid., p. 56.
102
Ibid., p. 44.
103
Ibid., p. 45.
35
volonté, qui suit la raison bien formée. La personnalité de chaque personne se forge dans la
mesure même où nous prenons librement des décisions. L’agir humain reste soumis à la
volonté libre guidée par la raison. C’est en cela que chaque personne est protagoniste de sa
vie du moment qu’elle est dotée d’une volonté libre. D’où l’importance de la formation
humaine pour former la volonté et s’exercer à agir librement.

VI. LA CRIMINOLOGIE ET LES DISCIPLINES VOISINES

Au regard des développements ci-dessus sur la définition de la criminologie et les différents


aspects des objets qu’elle étudie, on aurait bien pu se passer de l’examen de la spécificité de la
criminologie par rapport aux autres disciplines qui interviennent également dans le champ
pénal ou de la justice pénale. Cependant, compte tenu du fait que, d’une part, la criminologie
a généralement été définie comme une « science autonome » et que, d’autre part, ses objets
d’étude ont, par voie de conséquence, été substantialisés, il convient de repréciser le rapport
que la criminologie, définie comme un champ d’étude et une activité de connaissance,
entretient avec les autres disciplines intervenant dans le champ pénal, principalement avec le
droit pénal et subsidiairement avec la criminalistique et la pénologie.

1. La criminologie et le droit pénal de fond et de forme

Corrigeons d’abord ce qui a été écrit sur le rapport que la criminologie entretient avec le droit
pénal avant de spécifier la criminologie à ce savoir juridique.

Dans la deuxième édition de son Traité de droit pénal général congolais (2007)104, le
professeur Nyabirungu mwene Songa, s’appuyant sur Stefani et Levasseur105 se représente la
criminologie comme « l’ensemble des disciplines qui étudient la criminalité pour en
rechercher les causes, en connaître l’évolution et les conséquences ». Il poursuit : « Peut aussi
être retenue cette ‘belle’ définition qui nous vient de Pologne106 : ‘La criminologie étudie de
façon universelle le crime, la criminalité, le criminel ainsi que les mesures de réaction à la
criminalité’. Montrant sa contribution au champ pénal, il écrit que la criminologie ainsi
définie «éclaire le législateur sur la politique criminelle à suivre et aide le magistrat du
parquet, le juge et le personnel chargé de l’application des peines à comprendre la
personnalité du délinquant et à en tenir compte dans la conduite de l’instruction, le choix des
peines et mesures, et des modalités de leur exécution »107.

Ces développements traduisent l’embarras de l’auteur de définir de manière précise la


criminologie, car il propose deux définitions, dont l’une serait ‘belle’, ce qui vaudrait dire que
l’autre serait mauvaise, et on ignore en quoi. Par ailleurs, on ne saurait caractériser la
criminologie comme un « ensemble des disciplines » qui comprendrait « l’anthropologie
criminelle, la biologie criminelle, la psychiatrie criminelle, la sociologie criminelle »108. Plus
que le contenu de la criminologie, ces prétendues disciplines sont en fait les différentes
appellations ayant été utilisées pour parler de cette activité de connaissance qui a émergé dans
le dernier quart du 19e siècle comme nous avons eu le privilège de le voir ci-dessus. Ces deux
définitions proposées de la criminologie présentent l’inconvénient d’en substantialiser les

104
NYABIRUNGU mwene SONGA, Traité de droit pénal général congolais, Kinshasa, EUA, 2007, p. 36 et s.
105
G. STEFANI et G. LEVASSEUR, Droit pénal général, Paris, Précis Dalloz, 1978, n° 14.
106
L. TYSZKIEWICZ, Criminologie, esquisse d’un système, 2e édition, Katowice, 1986, p. 14, cité par P.
STEPNIAK, « Des recherches polonaises relatives à la criminologie », in R.D.P.C., 1994, 734.
107
NYABIRUNGU mwene SONGA, op. cit., p. 39.
108
Ibid.
36
objets d’étude et de les maintenir dans le seul code institutionnel, ce qui retreint l’objet
d’étude de la criminologie. On saurait donc envisager les rapports de la criminologie avec le
droit pénal sur cette base erronée.

Nous partirons de ce qu’en dit Raymond Gassin109, tout en apportant des correctifs dictés,
d’une part, par la représentation de la criminologie comme un champ d’étude et une activité
de connaissance, et d’autre part, par le code descriptif employé pour caractériser les objets de
la criminologie.

Raymond Gassin pose le problème de la distinction entre la criminologie et le droit pénal en


ces termes : « Le problème de la distinction entre la criminologie et le droit pénal et la
politique criminelle est la querelle la plus ancienne suscitée par l’apparition de la criminologie
puisque celle-ci s’est constituée contre le droit pénal néo-classique, mais cette querelle
demeure aujourd’hui encore vivace et elle est loin d’être résolue par un accord entre toutes les
parties prenantes. Toutefois la manière de poser le problème a profondément évolué depuis la
fin du XIXe siècle »110.

Il poursuit qu’à l’origine, « le débat était dominé par l’opposition entre les partisans de
l’‘impérialisme criminologique’ pour qui le droit pénal ne devait plus être considéré que
comme un chapitre de la criminologie, et les tenants de l’école technico-juridique du droit
pénal selon laquelle criminologie et droit pénal étaient deux disciplines entièrement distinctes,
sans rapports l’une de l’autre. Aujourd’hui, à la suite d’inflexions successives du débat, il
n’est plus grand monde pour nier que les deux matières sont à la fois distinctes et liées entre
elles par certaines relations ; mais la discussion porte sur la question cruciale de savoir quelle
doit être l’influence de la criminologie sur le contenu du droit pénal et de la politique
criminelle »111.

Il relève les points acquis qui sont au nombre de deux :

 Le droit pénal est « une branche du droit public qui traite des infractions et des peines, et
dont l’objet essentiel est de déterminer les faits punissables et de fixer les sanctions qui
doivent leur être appliquées »112. Il est acquis que la criminologie et le droit pénal, ainsi
défini, sont aujourd’hui deux disciplines distinctes. « Le droit pénal n’est pas plus un
chapitre de la criminologie que cette dernière n’est une simple science annexe du droit
pénal »113. La distinction procède du fait que des objets qu’étudie la criminologie, tous
ne sont pas l’objet d’étude du droit pénal. Même lorsque ces deux disciplines partagent
l’étude des comportements criminalisés (les infractions à la loi pénale) ainsi que les
peines en tant que modalités de la réaction sociale institutionnelle contre ces infractions,
elles le font suivant des points de vue ou des perspectives différentes. En effet, le droit
pénal est une discipline normative qui déclare « ce qui doit être », et il utilise les
méthodes caractéristiques de la science du droit qui reposent sur l’analyse interprétative
de la loi pénale (l’exégèse ou l’interprétation littérale et téléologique), tandis que la
criminologie est une discipline empirique, qui étudie « ce qui est »114 suivant un registre

109
R. GASSIN, Criminologie, 6e éd., Paris, Précis Dalloz, 2007, n° 20 et s.
110
Ibid., n° 20.
111
Ibid.
112
NYABIRUNGU mwene SONGA, op. cit., p. 22.
113
R. GASSIN, op. cit., n° 21.
114
Ibid.
37
descriptif, et elle utilise pour ce faire les méthodes empiriques des sciences sociales en
les adaptant à la complexité particulière de son objet.

 Le second point qui paraît également acquis aujourd’hui par la plupart des parties au
débat est qu’il ne saurait exister de cloison étanche entre les deux séries de disciplines.
En effet, le champ pénal fait aujourd’hui partie du champ criminologique aussi bien au
niveau de l’étude des situations-problèmes que des modalités du contrôle social (cf.
tableau des principaux aspects des objets de la criminologie). Les mécanismes
constitutifs de la politique criminelle constituent dès lors un aspect du contrôle social et
donc de la question pénale. Par ailleurs, nombreux pénalistes contemporains admettent
que le droit pénal ne saurait ignorer les résultats des recherches menées dans le champ
de la criminologie, qui permettent de faire évoluer positivement le droit pénal dans le
sens de lui doter d’un visage plus humain. Ainsi en est-il, dans l’évolution du droit pénal
du principe de l’individualisation des peines ayant introduit des mécanismes comme le
sursis, la libération conditionnelle ; des mesures de sûretés, et actuellement des mesures
alternatives à l’application des peines…).

Toutefois le seul point en discussion porte sur l’ampleur de l’influence que la criminologie
exerce sur le droit pénal. Néanmoins, certains auteurs affirment que « il n’est pas exagéré de
dire que si entre la criminologie et le droit pénal, le mariage n’est que de raison, les nécessités
lui imposent une solide indissolubilité »115.

2. La criminologie et la criminalistique

On pourrait définir la criminalistique comme « l’ensemble des sciences et des techniques


utilisées en justice pour établir les faits matériels constitutifs de l’acte délictueux et la
culpabilité de la personne qui l’a commis »116. Elle comprend ainsi la police technique et la
police scientifique. Parfois, on y inclut la médecine légale, même si celle-ci n’intervient pas
uniquement dans les cas d’actes délictueux. La police scientifique, par exemple, a connu
récemment de nouveaux champs d’application avec les découvertes de la génétique qui ont
permis le recours à la preuve par l’ADN, ce qui inclut la génétique parmi les disciplines
faisant partie de la criminalistique, à côté de la biométrie ou l’identité corporelle et de
l’odorologie (technique d’identification des odeurs recueillies sur les lieux de l’infraction).

Cela dit, on devrait retenir que la criminalistique n’est pas à confondre avec la criminologie.
De plus, contrairement à la conception encyclopédique de la criminologie de l’école
autrichienne incluant la criminalistique dans la criminologie, elle ne fait pas partie de la
criminologie au sens strict. En effet, elle a un but exclusivement probatoire (c’est la science
de la preuve pénale) et, de fait, est une discipline auxiliaire de la procédure pénale117, alors
que la criminologie, dans son double statut de champ d’étude et d’activité de connaissance, a
pour but l’élucidation de la question criminelle ou pénale, largement entendue c’est-à-dire les
situations problèmes et le contrôle social. Toutefois, la criminologie s’intéresse également aux
mécanismes de sélection qui se réalisent au niveau de la police judiciaire, et qui contribuent à
la constitution du crime au niveau judiciaire. Dès lors, l’étude du travail de la police judiciaire
ou même du travail d’investigation criminelle, dans sa dimension empirique, est comprise
dans le champ de la criminologie.
115
G. STEFANI, G. LEVASSEUR, et JAMBU-MERLIN, Criminologie et science pénitentiaire, Paris, Précis
Dalloz, 1985, n° 10, cités par R. GASSIN, op. cit., n° 22, note de bas de page n° 2.
116
R. GASSIN, op. cit., n° 24.
117
Ibid.
38
L’importance de la criminalistique, au regard de cette manière de considérer le crime, comme
une réalité juridique et judiciaire, est de permettre la constitution du crime et du criminel au
moyen des preuves techniques qu’elle peut recueillir. On peut donc retenir qu’il n’existe ni
crime, ni criminel sans une preuve convaincante.

3. La criminologie et la pénologie

La pénologie, écrit Raymond Gassin, « est la branche des sciences criminelles qui étudie les
fonctions des sanctions pénales, les règles de leur exécution et les méthodes utilisées dans leur
application »118. Autrefois, elle était réduite à la science pénitentiaire dans la mesure où son
objet se rapportait aux seules peines privatives de liberté. Mais la science pénitentiaire s’est
élargie à la pénologie à partir du moment où elle a pris également pour objet d’étude les
peines et les mesures de sûreté autres que l’emprisonnement. « L’étude de la privation de
liberté est aujourd’hui souvent appelée ‘carcérologie’ »119.

Avant d’établir le rapport de la pénologie avec la criminologie, il y a lieu de relever dans la


définition qu’en donne Raymond Gassin ci-dessus, l’inopportunité et même l’ambigüité du
concept de « sciences criminelles ». Il est difficile de déterminer le contenu de cette
expression si l’on ne substantialise pas le crime, qui serait alors l’objet commun de ces
différentes sciences dites criminelles. Si par exemple nous retenons la définition de la
criminologie examinée dans le cadre de ce cours où n’apparaît pas le concept de crime, il est
difficile de dire que la criminologie fait partie des sciences criminelles.

Revenons au rapport de la pénologie avec la criminologie pour indiquer qu’il s’agit d’un
rapport d’inclusion. En effet, l’étude des sanctions pénales dans leur création, leurs fonctions,
leurs effets, etc. constitue un aspect de la criminologie à travers le contrôle social, dans la
mesure où le savoir criminologique articule, dans une perspective interdisciplinaire le savoir
juridique avec les autres savoirs produits dans les sciences humaines. Ainsi, même la
dimension juridique des sanctions pénales entre dans le champ de la criminologie.

4. Quid de la sociologie pénale et de la criminologie ?

Avant de clore ce point consacré aux rapports que la criminologie entretient avec les
disciplines voisines, il y a lieu de relever que le professeur Raymond Gassin établit une
distinction entre la criminologie et la sociologie pénale. Il exclut celle-ci du champ de la
criminologie qu’il considère, du reste, comme ayant essentiellement pour objet d’expliquer
les facteurs et les processus de l’action criminelle »120. Pour lui, la sociologie pénale n’a rien à
avoir avec la criminologie ainsi définie. Il caractérise la sociologie pénale par son triple
contenu ci-après: 1) la sociologie du droit pénal proprement dit qui consiste dans l’étude
empirique des lois pénales ; 2) la sociologie de la peine, qui s’interroge sur les conditions
sociologiques de leur apparition et de leur développement ou de leur abolition, ainsi que les
effets qu’elles entraînent dans la société ; 3) la sociologie du procès pénal enfin qui étudie le
fonctionnement des divers organes de la justice pénale (police, parquets, juges d’instruction,

118
Ibid., n° 27.
119
R. GASSIN, op. cit., n° 27.
120
Ibid., n° 29-30.
39
juridictions de jugement, auxiliaires de la justice pénale : avocats, experts…) et les résultats
sociologiques de leurs activités121.

Il y a lieu de noter que la difficulté pour le professeur Gassin d’admettre la sociologie pénale
dans la criminologie résulte du fait qu’il définit la criminologie comme l’étude de l’action
criminelle, c’est-à-dire d’un comportement criminel comme un fait brut, substantiel et il en
fait l’étiologie. Il fait par conséquent la criminologie du passage à l’acte ou étiologique. C’est
pourquoi il exclut même la criminologie de la réaction sociale. En effet, lorsque l’on
considère le crime comme un construit pénal, on ne peut pas s’empêcher d’étudier la réaction
sociale dans sa double manifestation, d’abord sous la forme de la criminalisation primaire de
certains comportements, ensuite, sous la forme de la criminalisation secondaire à travers la
judiciarisation de la situation problématique.

C’est sur cette même base étiologique qu’il distingue aussi la criminologie appliquée ou
l’étude scientifique de la valeur des moyens de lutte contre la délinquance, laquelle
comprendrait la « criminologie de la politique criminelle et des techniques pénales » qu’il
appelait autrement de « criminologie juridique »122, la criminologie clinique ainsi que « la
criminologie préventive ». Ces subdivisions, qu’il consacre, traduisent le souci de la gestion
de la délinquance ou de la criminalité, considérée comme une réalité substantielle.

121
Ibid., n° 29.
122
R. GASSIN, Criminologie, 3e éd., Paris, Précis Dalloz, 1994, p. 459 et s.
40
CHAPITRE DEUXIÈME : LA METHODOLOGIE DE LA
CRIMINOLOGIE
Trois questions seront examinées dans ce chapitre : la définition de la méthodologie et
spécificité de la méthodologie de la criminologie, des considérations épistémologiques sur
cette méthodologie, enfin, le problème de la mesure de la criminalité au moyen des
statistiques dites criminelles.

I. DÉFINITION DE LA MÉTHODOLOGIE ET SPÉCIFICITÉ DE LA


MÉTHODOLOGIE DE LA CRIMINOLOGIE

Après avoir su ce qu’est la criminologie et son objet d’étude, il convient de s’interroger sur la
manière dont cet objet est connu et étudié. C’est le problème de la méthodologie. Dans son
Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales publié à Paris chez
Armand Colin, Laurent Mucchielli (1996 : 29), définit la méthodologie comme « la réflexion
préalable sur la méthode qu’il convient de mettre au point pour conduire une recherche ».
S’appuyant sur cette définition de la méthodologie comme « réflexion préalable », Dan
Kaminski (2005 : 5) écrit que « La méthodologie n’est donc pas (ou pas seulement) l’exposé
des méthodes (qui sont à réinventer à chaque recherche). La « réflexion préalable » (qui est le
véritable objet de la méthodologie) contient 1) des questions de type épistémologique sur la
connaissance (scientifique) et ses conditions de production ; 2) des questions de méthodologie
générale (par exemple les questions relatives à la validité, à l’échantillonnage et au ‘tracé’ de
la recherche) ; des questions propres aux techniques de recueil et d’analyse de données
utilisées en criminologie ».

Raymond Gassin (2007 : 38) caractérise la méthodologie de la criminologie par trois traits
essentiels :

- Le premier de ces traits est le recours à l’induction ou aux recherches de type inductif,
du fait que « la criminologie est une science empirique fondée sur l’observation de la
réalité et sur l’expérience, par opposition aux sciences normatives, dont fait partie le
droit pénal, et qui recourent au raisonnement déductif ». Ce trait relève du tracé de la
recherche. Sans opposer à l’extrême ces deux tracés, « les démarches déductive et
inductive s’inscrivent dans la circularité du rapport entre théorie et données »
(Kaminski, 2005 : 32) et forment le cercle de la recherche qui part des données vers la
théorie en passant par des généralisations empiriques (induction) et de la théorie vers
les données en passant par les hypothèses (déduction).

- Le deuxième trait est l’appartenance de la méthodologie de la criminologie au cadre


plus large des méthodologies des sciences humaines et sociales qui se distinguent des
méthodes des sciences de la nature en raison de la nature particulière du fait humain
ou social dans les sciences humaines. Dan Kaminski relève que « la plupart des
connaissances méthodologiques sont communes à l’ensemble des sciences sociales.
On admettra ainsi que la criminologie, comme pratique de recherche, appartient au
groupe de sciences sociales » (2005 : 5). De ce point de vue, poursuit cet auteur, la
spécificité d’une méthodologie pour la criminologie n’est pas évidente, car on recourt
aux manuels de recherche en sciences sociales (voir à ce sujet Raymond Quivy et Luc
van Campenhoudt, Manuel de recherche en sciences sociales, Paris, Dunod, 1997 ;

41
Raoul Kienge-Kienge Intudi, Initiation à la recherche scientifique, Faculté de Droit,
Université de Kinshasa, 2009).

- Le troisième trait caractéristique de la méthodologie de la criminologie est sa


spécificité au sein des méthodologies des sciences humaines. Certes l’objet de la
criminologie emporte quelques spécificités, mais pour l’essentiel la spécificité d’une
méthodologie de la criminologie réside dans le fait que « c’est la manière de construire
l’objet de recherche en criminologie qui détermine les choix méthodologiques du
chercheur » (Kaminski, 2005 : 5). Elle ne résulte pas comme l’écrit Raymond Gassin
« du caractère unitaire et autonome de la criminologie » ni du fait qu’elle soit « une
science à la fois théorique et appliquée » (2007 : 39). Déjà nous avons vu que la
criminologie n’est pas une science autonome mais une activité de connaissance.

II. CONSIDÉRATIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES SUR LA MÉTHODOLOGIE DE LA


CRIMINOLOGIE

Lire pour ce point :


- Christian DEBUYST, Modèle éthologique et criminologie, Liège, Mardaga, 1985.
- Acteur et social et délinquance, une grille de lecture du système de justice pénale. En
hommage au professeur Christian DEBUYST (voir particulièrement l’introduction au
thème), Liège, Mardaga, 1990.
- Question d’épistémologie : l’étude du comportement délinquant et ses implicites in
Christian DEBUYST, Essais de criminologie clinique. Entre psychologie et justice
pénale, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 307 et s.
- Raoul KIENGE-KIENGE INTUDI, « L’ethnographie des interactions entre policiers
et jeunes marginalisés dans un marché de Kinshasa. Une expérience de recherche
criminologique au Congo », in Fr. DIGNEFFE et KAUMBA LUFUNDA (dir.),
Criminologie et droits humains en République Démocratique du Congo, Bruxelles,
Larcier, 2008, 221-244.
- Raoul KIENGE-KIENGE INTUDI, Le contrôle policier de la délinquance des jeunes
à Kinshasa. Une approche ethnographique en criminologie, Louvain-la-
Neuve/Kinshasa, Academia-Bruylant/Éditions Kazi, 2010 (lire la première partie :
l’étude de la délinquance juvénile : la méthodologie).

A. Une double mise en garde sous le signe d’une double nécessité

1. Nécessité de la distanciation par rapport à la théorie implicite ou la


connaissance préalable du réel

Nous exploitons pour ce point le texte de Christian Debuyst (Question d’épistémologie :


l’étude du comportement délinquant et ses implicites in Christian DEBUYST, Essais de
criminologie clinique. Entre psychologie et justice pénale, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 307 et
s.).

Cet auteur s’interroge sur « la valeur des données que, dans les sciences humaines, nous
sommes à même de recueillir ». « S’agit-il d’un ‘réel’ qui se dévoile d’une manière non
problématique et dans son objectivité, en fonction des moyens qui s’imposent à son propos du
fait de leur ‘utilité’ ou du fait de la position que nous occupons par rapport à ce ‘donné’»
(2009 : 309).

42
L’auteur nous invite à « reconnaître qu’à ce point de vue, la criminologie comme le droit
pénal posent un problème particulier. En effet, poursuit-il, le comportement ‘délinquant’ est
un comportement qui porte atteinte aux valeurs du groupe social ou de ses membres et du fait
même, menace l’intégrité de ce groupe et sa cohésion. C’est-à-dire qu’il appelle une réaction
de défense, de telle sorte que l’on peut s’attendre à ce que ce soit à partir de cette réaction que
les connaissances s’ordonnent, ou encore, que les normes de la vie sociale sont affirmées. Il y
aurait donc, derrière ces connaissances acquises ou derrière cette affirmation des normes, un
implicite qu’il serait particulièrement difficile d’éliminer et qui nous paraît lié au fait que
toute réaction de défense implique réduction de l’autre (si c’est d’un autre qu’émane le
danger) à ce qu’il importe de connaître pour maîtriser la menace qu’il représente ». On peut
imaginer sans trop de difficulté l’angoisse et le sentiment d’insécurité que produisent dans un
groupe social les situations qualifiées de délinquantes ou de criminelles. Ils justifient
l’adoption, de façon quasi naturelle, par les différents protagonistes de ces situations et les
instances de contrôle social, d’une « grille de lecture réductrice » sur ces situations. Pour
Christian Debuyst, il s’agit là d’un fait, qu’on le veuille ou non : droit pénal et criminologie
de trouvent confrontés à ce même modèle de connaissance. En effet, « la connaissance que
nous avons du réel ne peut se faire qu’à travers une grille de lecture qui conduit à une
déformation de celui-ci ou à une sélection qui s’y opère. De ce qui précède, trois
considérations peuvent être déduites :

 Cet implicite pourrait se comprendre à partir du modèle éthologique ainsi que des
analyses faites par des psychologues sociaux sur ce qu’on a appelé les mécanismes
d’attribution. Il s’agit là d’une manière générale d’appréhender la réalité extérieure qui
s’impose comme interprétation préalable et qui nous paraît valoir pour l’homme comme
pour l’animal (d’où l’expression du modèle éthologique que Christian Debuyst présente
comme un mode de connaissance).

 L’étude scientifique de l’homme et du comportement délinquants sont tributaire de cet


implicite ; par conséquent la démarche de la criminologie dans l’ordre de la connaissance
ne doit pas être commandée par la gestion ou le contrôle du phénomène de la
délinquance, mais au contraire elle doit s’affirmer comme étant compréhensive, c’est-à-
dire susceptible d’atteindre un comportement dans sa complexité, au-delà ou à côté de la
gestion et du contrôle qui pourrait en résulter.

 Il en résulte la nécessité de distinguer l’approche pénale de l’approche criminologique,


dans la mesure où les a priori du droit pénal ne permettent pas cette démarche
compréhensive propre de la criminologie. Aussi faudrait-il :

 Opérer une distinction entre l’affirmation de la règle (droit pénal), affirmation


qui effectivement s’impose, et tout ce qu’impliquent les réactions de défense qui
soutiennent ou sous-tendent cette affirmation ;

 Distinguer l’affirmation de responsabilité ou de culpabilité, et la possibilité


effective de pouvoir vivre ou de pouvoir donner du sens à ces notions ;

 Accepter qu’à ces niveaux, différents points de vue puissent être exprimés,
avec les limites que constituent forcément dans ce domaine, les impératifs
politiques (2009 : 330).

43
Ainsi, fait observer Christian Debuyst, la connaissance n’est pas « donnée » au chercheur à la
manière d’une chose, mais elle « résulte au contraire d’un processus dont la caractéristique
essentielle est l’analyse critique des données telles qu’elles apparaissent et à travers lesquelles
s’exprime déjà une forme de connaissance préalable ou de théorie implicite qui se constitue
progressivement et s’actualise à travers la manière de découper le réel. Cela étant, la fonction
du langage scientifique doit consister non pas à « décrire non donné qui se découvrirait à
l’observateur dans sa réalité, mais à analyser les biais et les filtrages à travers lesquels ce
donné nous apparaît en vue de dépasser ces interprétations préalables, peut-être utiles, mais
déformantes par rapport à la réalité »123.

Il est donc indispensable que le chercheur, qui étudie le réel défini comme délinquance prenne
la distance nécessaire et crée une rupture avec cette connaissance préalable ou cette théorie
implicite sur l’objet de recherche. Il est appelé également à adopter une posture critique à
l’égard du savoir construit antérieurement sur l’objet d’étude.

2. Nécessité d’une perspective critique à l’égard des références pénales


classiques et déterministes

Le colloque Acteur et social et délinquance, une grille de lecture du système de justice


pénale. En hommage au professeur Christian DEBUYST a été inspiré par le souci de
dialoguer avec le droit pénal qui définissait jusqu’alors la délinquance et le délinquant. C’était
non seulement l’occasion de faire avancer la recherche criminologique, mais aussi d’analyser
le mode de fonctionnement de la justice pénale à partir d’une perspective autre que la
perspective « politique » de l’école classique ou néo-classique du droit pénal et la perspective
« scientifique et déterministe » des positivistes italiens. La première perspective définissait la
délinquance comme une violation de la loi qui est générale et impersonnelle (contrat social) et
le délinquant comme un sujet doué du libre arbitre, comme une entité abstraite dégagée de
tout conditionnement physiologique et social. La seconde perspective définit le délinquant
comme un sujet essentiellement déterminé par des facteurs de tous ordres, biologiques,
psychologiques, cosmo-telluriques, sociaux, ce qui justifie qu’il soit envisagé comme un sujet
dangereux pour la société, car sa délinquance est dès lors perçue comme inéluctable.

Le colloque tendait à substituer à ces deux grilles de lecture (perspectives), celle de l’acteur
social.
« Sous le terme d’acteur social, sont présentes les idées que, d’abord, le sujet n’est pas
un être passif dont le comportement résulterait du jeu des déterminismes ; que d’autre
part, il ne constitue pas une abstraction dans la mesure où il est porteur d’un point de
vue propre qui dépend de la position qu’il occupe dans le cadre social, de l’histoire qui
a été la sienne et des projets autour desquels son activité s’organise ; que finalement, il
est appelé, dans le cadre des interrelations (ce terme étant entendu dans un sens large)
à être acteur, c’est-à-dire ‘agissant’ ou intervenant, et qu’il se trouve de ce fait
confronté à des jeux de pouvoir et, à l’intérieur ou au-delà de ces jeux, à l’importance
qu’ont, dans l’élaboration de sa propre identité, les processus de reconnaissance »124.

La grille de lecture ou la perspective de l’acteur social permet de mieux rendre compte de la


complexité de la délinquance et de prendre en compte non seulement le point de vue du
délinquant, en plus du point de vue officiel, mais aussi celui des autres protagonistes, dans la
gestion de la délinquance.
123
Ch. DEBUYST, Modèle éthologique et criminologie, Liège, Mardaga, 1985, p. 7-9.
124
Ch. DEBUYST, « Acteur social et délinquance », Diogène, n° 150, pp. 97-120, p., 120.
44
B. La pertinence des recherches empiriques et qualitatives

1. La pertinence des recherches empiriques

La référence à la réalité dans l’activité de connaissance a caractérisé la science dès le XVIe


siècle. En effet, dans sa définition de l’épistémologie, Granger définit la science comme un
projet qui vise une « réalité » par opposition à toute production que l’imagination construirait
sans obstacles, et qui en cherche une « explication », c’est-à-dire une insertion de cette réalité
dans un système abstrait de concepts, débordant les faits singuliers que l’expérience nous
propose125.

Et compte tenu du type de découvertes qu’elles font, les sciences sociales ne peuvent
prétendre se passer d’une recherche de la vérité sur le monde empirique. En effet, comme le
relève la Commission GULBENKIAN, « leurs racines plongent dans la tentative, pleinement
affirmée depuis le XVIe siècle, de développer une connaissance séculière systématique du
réel, valide empiriquement d’une quelconque manière »126. Au moment de son
autonomisation de la philosophie, la science avait pour objectif de développer une
connaissance ‘objective’ de la ‘réalité’ sur la base des découvertes empiriques par opposition
aux spéculations et à toute connaissance dite a priori ou aux prénotions au sens large. Même
si à la fin, l’orientation théorique donnée à la description d’un ensemble des faits dans une
recherche est toujours une forme de construction de la réalité, la référence à la réalité permet
de dire que certaines constructions sont plus valables que d’autres autant d’un point de vue
empirique que sous l’angle des valeurs. Car la recherche comporte toujours une sélection
d’aspects de la réalité et des déformations, acceptables ou non, de cette réalité127.

Cette exigence de l’empirie s’impose aussi bien à l’étude des phénomènes sociaux qu’à celle
des phénomènes naturels, car « le problème de la connaissance scientifique se pose de la
même manière pour les phénomènes sociaux et les phénomènes naturels : dans les deux cas,
des hypothèses théoriques doivent être confrontées à des données d’observation ou
d’expérimentation »128. Aussi Gaston Bachelard caractérise-t-il le fait scientifique comme un
fait conquis sur les préjugés, u n fait construit par la raison et un fait constaté dans les faits129.

Dans le cadre de cette empirie, nous nous permettons d’avantager l’enquête de terrain, et
particulièrement l’approche ethnographique130, pour des objets qui relèvent de la
criminologie. En effet, l’ethnographie « a pour vocation originaire de rendre la parole aux
humbles, à ceux qui par définition n’ont jamais la parole […]. L’ethnographie ne juge pas, ne
condamne pas au nom d’un point de vue ‘supérieur’. Elle cherche avant tout à
comprendre »131 et permet de mettre au jour la complexité des pratiques sociales les plus

125
G. GRANGER, « Épistémologie », Encyclopedia Universalis, pp. 61-68.
126
Commission GULBENKIAN, Ouvrir les sciences sociales, Paris, Descartes et Cie, 1996, p. 8, citée par A.
PIRES, « De quelques en jeux épistémologiques d’une méthodologie générale pour les sciences sociales » in La
recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques, 1997, p. 6.
127
A. PIRES, « De quelques en jeux épistémologiques d’une méthodologie générale pour les sciences sociales »
in La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques, 1997, pp. 18-19.
128
R. QUIVY et L. VAN CAMPENHOUDT, Manuel de recherche en sciences sociales, Paris, Dunod, 1995, p.
14.
129
Voir à ce sujet le syllabus du cours d’Initiation à la recherche scientifique (G2 A).
130
Voir R. KIENGE-KIENGE INTUDI, Le contrôle policier de la délinquance des jeunes à Kinshasa. Une
approche ethnographique en criminologie, 2010.
131
S. BEAUD et F. WEBER, Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte, p. 8.
45
ordinaires des enquêtés, celles qui vont tellement de soi qu’elles finissent par passer
inaperçues, celles qu’on croit « naturelles » parce qu’elles ont été naturalisées par l’ordre
social132.

Compte tenu du fait que la délinquance et le délinquant sont le produit d’une définition légale
et institutionnelle, seule une recherche empirique permet d’observer le réel en rapport avec
pareil objet. L’ethnographie permet ainsi de rendre la parole aux personnes définies comme
délinquantes, et particulièrement aux personnes souvent marginalisées dont le point de vue est
souvent dominé.

2. La pertinence des recherches qualitatives

Alvaro Pires distingue la recherche qualitative « par le fait de se constituer fondamentalement


à partir d’un matériau empirique qualitatif, c’est-à-dire non traité sous la forme de chiffres,
alors que la recherche quantitative fait l’inverse »133. Il lui attribue :

- la souplesse d’ajustement pendant son déroulement, y compris la souplesse dans la


construction progressive de l’objet même de l’enquête ;

- la capacité de s’occuper d’objets complexes, comme les institutions sociales, les


groupes stables, ou encore d’objets cachés, furtifs, difficiles à saisir ou perdus dans
le passé ;

- la capacité d’englober les données hétérogènes ou de combiner différentes


techniques de collecte des données ;

- la capacité de décrire en profondeur plusieurs aspects importants de la vie sociale


relevant de la culture et de l’expérience vécue.

Dans le cadre des études sur la criminalité ou la délinquance en République démocratique du


Congo et sur son évolution, il importe d’observer le manque criant des données chiffrées et de
ressources allouées aux recherches. Il importe, d’autre part, d’observer l’importation du fait
de la colonisation, de la loi pénale, qui définit les faits constitutifs de la criminalité ou de la
délinquance. Ces définitions légales ne rencontrent pas toujours l’adhésion des populations
régies par cette loi pénale importée, de sorte qu’il se crée un écart entre la loi et les
représentations populaires sur les faits incriminés et parfois sur la réaction sociale opportune
et adéquate. Ces considérations semblent militer pour les méthodes qualitatives, dans la
mesure où elles permettent de constituer un matériau empirique riche et authentique pouvant
permettre d’adopter une posture critique au droit pénal importé et de valoriser les
représentations populaires en vue de l’élaboration d’un droit authentiquement congolais par
des Congolais, destiné à assurer le contrôle des situations problématiques et à consolider le
vivre ensemble sur un espace partagé134.

132
Ibid., p. 9.
133
A. PIRES, « De quelques en jeux épistémologiques d’une méthodologie générale pour les sciences sociales »
in La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques, 1997, p. 51.
134
Lire R. KIENGE-KIENGE INTUDI, Le contrôle policier de la délinquance des jeunes (déjà cité).
46
III. LE PROBLÈME DE LA MESURE DE LA CRIMINALITÉ AU MOYEN DES
STATISTIQUES DITES CRIMINELLES

Nous définirons la criminalité avant de nous pencher sur le problème de sa mesure au moyen
des statistiques dites criminelles et de la valeur que présentent ces statistiques.

1. La criminalité : définition et classification

La criminalité est communément définie comme l’ensemble des faits infractionnels (ou
criminels) commis au cours d’une période de temps déterminé dans une aire géographique
donnée135. Il s’agit d’un phénomène de masse ou essentiellement quantitatif. Par conséquent,
« les techniques d’approche de la criminalité se ramènent principalement aux procédés de
mesure de la criminalité »136.

On distingue la criminalité réelle, la criminalité apparente et la criminalité légale.


La criminalité réelle est l’ensemble des faits infractionnels (ou criminels) effectivement
commis137 dans une société donnée. Elle demeure la grande inconnue malgré le degré de
développement de la technique.

La criminalité apparente est l’ensemble des faits infractionnels (ou criminels) portés à la
connaissance des autorités de police (criminalité apparente policière) ou des organes
judiciaires de poursuite (criminalité apparente judiciaire)138.

La criminalité légale est l’ensemble des faits infractionnels ou criminels ayant donné lieu aux
condamnations pénales prononcées par les cours et tribunaux139.

L’écart, plus ou moins important, qui existe entre la criminalité réelle et la criminalité connue
(au niveau apparent) est appelé chiffre noir de la criminalité (« darknumber » en anglais) ou
encore criminalité cachée. Du chiffre noir, on distingue le chiffre gris, qui correspond au
nombre des auteurs de faits criminels non identifiés par la police, bien que ces faits soient
connus par cette dernière140.

Il convient de faire remarquer au sujet de cette définition de la criminalité, que celle-ci est
composée des faits infractionnels commis ou constatés. Ce qui revient à dire que lorsque l’on
aborde le problème de la criminalité, on se situe par rapport au Code pénal qui définit les
infractions. Le code adopté est donc le code institutionnel des objets de la criminologie. La
perspective est juridique et la finalité est technique : il s’agit de lutter contre cette criminalité
(de la combattre ou de l’éradiquer). Il ne s’agit donc pas d’une perspective descriptive et plus
criminologique, qui viserait la compréhension de ces faits infractionnels envisagés comme des
situations-problèmes.

135
R. GASSIN, Criminologie, Paris, Dalloz, 6e éd. 2007, p. 117, n° 147. Cet auteur parle plutôt d’infractions au
lieu des faits infractionnels (au niveau réel et apparent).
136
Ibid.
137
Ibid., p. 127, n° 156.
138
Ibid.
139
Ibid.
140
Ibid., p. 127, note 1.
47
2. La mesure de la criminalité au moyen des statistiques

La mesure de la criminalité n’est pas chose facile, comme le reconnaît Raymond Gassin ; elle
est même particulièrement difficile, dans la mesure où « la criminalité est une variable qui, en
règle générale, ne peut être mesurée que d’une manière indirecte »141, et ce à la différence des
variables comme l’âge ou le sexe, qui sont directement observables.

Ce constat donne raison aux tenants de la criminologie de la réaction sociale, pour qui le
crime ou la criminalité ne sont pas des réalités substantielles observables directement. Il s’agit
des réalités juridiques ou construites pénalement ou encore des êtres de raison, quoique l’on
reconnaisse l’existence des actes ou des manières d’agir ou de faire concrets et observables,
qui posent problème (situations problématiques).

Compte tenu de cette difficulté de mesurer directement la criminalité, on recourt aux


indicateurs divers au moyen desquels la criminalité (l’ensemble de faits infractionnels) peut
être rendue mesurable. Ces indicateurs sont soit le nombre des faits infractionnels constatés
par la police ou enregistrés au niveau du parquet (criminalité apparente), soit le nombre des
condamnations prononcées par les juridictions répressives (criminalité légale).

Mais ces indicateurs posent généralement le problème de leur validité et de leur fiabilité. En
effet, ainsi que l’indique Raymond Gassin, « traditionnellement, la mesure de la criminalité
s’est faite et continue à se faire au moyen des statistiques criminelles ou de la criminalité »142.
Mais, poursuit-il, comme précisément les indicateurs utilisés par ces statistiques sont de
simples manifestations de réactions (sociales au niveau formel ou des agences de la justice
pénale) aux faits criminels connus (procès-verbaux dressés par la police, poursuites engagées
par les parquets, condamnations prononcées par les juridictions répressives), ils ont suscité de
violentes critiques143, notamment de la part des tenants de la criminologie de la réaction
sociale, qui estiment que les statistiques ne sont pas en réalité une mesure fiable de la
criminalité. Face à ces critiques, on a commencé à compléter les statistiques par d’autres
techniques d’évaluation de la criminalité. Nous examinerons d’abord les statistiques
criminelles, puis les techniques d’évaluation de la criminalité.

a. Les statistiques criminelles

On entend par statistiques criminelles, le dénombrement, pour un territoire donné et au


cours d’une période déterminée, des divers faits relatifs à la criminalité : faits
infractionnels connus, condamnations prononcées, nombre de personnes détenues,
etc.144.

On peut retenir trois classifications importantes des statistiques criminelles145 :

1) Les statistiques publiques et les statistiques privées. Cette classification repose sur
la qualité de la personne ou de l’organisme qui dresse la statistique. Ainsi les
statistiques publiques ou officielles sont celles qui sont dressées par les organismes
officiels (comme par exemple les statistiques du ministère de la Justice) ; tandis
141
Ibid., p. 117.
142
Ibid., p. 118.
143
Ibid.
144
Ibid., n° 149.
145
Voir Ibid., pp. 119-120, n°s 150 à 153.
48
que les statistiques privées ou scientifiques sont celles qui sont établies par des
chercheurs. Compte tenu des moyens importants que requiert l’élaboration des
statistiques de la criminalité, la plupart d’entre elles sont des statistiques
officielles. Cependant, en RDC, on ne dispose pas des statistiques officielles ou
publiques de la criminalité, particulièrement au niveau du ministère de la Justice.

2) Les statistiques nationales et les statistiques internationales. Cette classification


repose sur l’étendue géographique de la criminalité dénombrée. Ainsi, les
statistiques nationales sont celles dressées dans le cadre d’une nation ; alors que
les statistiques internationales sont celles qui comptabilisent dans un même
document des faits criminels de plusieurs pays. Il en est ainsi des statistiques
élaborées par l’Organisation internationale de police criminelle-Interpol depuis
1952.
3) Les statistiques policières, judiciaires et pénitentiaires. Cette classification est la
plus importante. Elle repose sur le stade du processus de justice pénale, auquel est
saisie la criminalité, combiné avec l’identité de l’Administration compétente pour
agir à ce stade.

Ainsi, les statistiques policières sont celles qui sont dressées par les services de police et qui
comptabilisent les faits infractionnels connus de la police ainsi que les personnes arrêtées par
ses services. Elles peuvent être réparties selon l’âge, le sexe, l’origine des personnes arrêtées
ou interpellées ou selon le type d’infractions constatées. Ainsi, selon l’âge, on distingue la
criminalité (délinquance) des jeunes (délinquance juvénile) de la criminalité sénile (pour les
adultes). Selon le sexe, on distingue la criminalité féminine de la criminalité masculine. Selon
l’origine des personnes arrêtées ou interpellées, on distingue la criminalité d’origine nationale
de la criminalité d’origine étrangère ou celles qui implique les immigrés. Enfin, selon le type
d’infractions constatées, on distingue la criminalité d’atteinte aux biens ou à la propriété, la
criminalité violente (d’atteintes aux personnes ou aux biens impliquant l’usage de la violence)
de la criminalité astucieuse ou encore la criminalité financière ou économique, la criminalité
en col blanc. Selon Kellens et Yamarellos, qui reprennent la célèbre définition de Sutherland,
l’expression « crime en col blanc » (White collar crime) désigne les activités illégales
déployées par des personnes respectables et de classe sociale élevée, – qui normalement
portent le ‘col blanc’ – en relation avec leurs activités professionnelles »146.

Les statistiques judiciaires et des Parquets comptabilisent soit les condamnations prononcées
par les Cours et tribunaux, soit les plaintes, dénonciations et procès-verbaux portés à la
connaissance des Parquets et le sort qui leur est réservé. Elles peuvent également être réparties
selon l’âge, le sexe, l’origine des personnes inculpées ou des victimes identifiées ou selon le
type d’infractions constatées.

Les statistiques pénitentiaires et de rééducation sont celles qui concernent tant le nombre et la
répartition des détenus dans les établissements pénitentiaires et les établissements de garde et
d’éducation de l’État (EGEE) pour les enfants en conflits avec la loi que les données
numériques relatives à l’application des mesures de traitement en milieu ouvert (sursis avec
mise à l’épreuve, liberté surveillée des enfants en conflits avec la loi, travail d’intérêt
général…).

146
E. YAMARELLOS et G. KELLENS, op. cit., v° col blanc (crime en), pp. 90 et s. ; E.H. SUTHERLAND,
« White Collar Criminality », American Sociological Review, 1940, p. 1.
49
Avant de discuter la valeur des statistiques en tant que mesure de la criminalité, examinons les
autres techniques complémentaires d’évaluation de la criminalité.

b. Les autres techniques d’évaluation de la criminalité

Comme les statistiques criminelles ne peuvent mesurer, dans le meilleur des cas que la
criminalité connue (au niveau apparent ou légal), on a eu recours à de nouvelles techniques
d’évaluation de la criminalité qui complètent les statistiques. Il s’agit des techniques
d’approche du chiffre noir, des évaluations du coût du crime, des sondages sur le sentiment
d’insécurité, et enfin, des recherches qualitatives sur la criminalité147.

1) Les techniques d’approche du chiffre noir de la criminalité


Pour tenter de connaître la criminalité réelle, on a eu recours aux enquêtes d’auto-confession
adressées aux délinquants ou aux enquêtes de victimisation adressées aux victimes.

- Autrement appelées enquêtes de délinquance auto-reportée, les enquêtes d’auto-


confession148 consistent à interroger un groupe de personnes pris dans l’ensemble de la
population sur les délits commis par les membres de ce groupe quelles qu’aient été les
suites données à ces délits. Elles reposent donc sur les aveux de leurs auteurs. Il y a
lieu de noter qu’à l’origine, ces genres d’enquête étaient destinées à mesurer la
criminalité réelle et, éventuellement, à renseigner sur sa structure et à comparer les
délinquants demeurés inconnus avec ceux qui avaient été arrêtés et condamnés. En
même temps, elles permettent de comprendre la manière dont se joue la réaction
sociale formelle qui conduit à la criminalisation de certaines situations et de leurs
auteurs contrairement à d’autres. Cependant, les enquêtes d’auto-confession présentent
le défaut de ne donner qu’une évaluation très imprécise du chiffre noir, tant parce
qu’elles sont faites sur un échantillon non représentatif, que parce qu’elles renseignent
plus sur le nombre des répondants aux enquêtes qui ont avoué leurs fautes et non sur le
n ombre de ces fautes enregistrées. Par ailleurs, ces enquêtes se prêtent bien à des faits
mineurs plutôt qu’aux faits présentant une certaine gravité. Personne n’avouera, par
exemple, des crimes contre l’humanité ou des crimes de génocide, qui sont
imprescriptibles et pouvant donner aux poursuites à tout moment.

- Les enquêtes de victimisation149 consistent à interroger un groupe de personnes sur les


infractions dont elles ont été victimes. Elles reposent sur les témoignages des victimes
contrairement aux enquêtes de délinquance auto-reportée, qui reposent sur les aveux
des auteurs de certaines infractions. Les enquêtes de victimisation conviennent, mieux
que les enquêtes de délinquance auto-reportée, pour connaître le volume et la nature
des infractions commises. Elles contribuent aussi à une meilleure connaissance des
mécanismes de renvoi des infractions à la police ou à la justice par les victimes. Enfin,
elles permettent de savoir pourquoi certaines infractions, quoique signalées à la police
ou au parquet, ne sont cependant pas enregistrées dans les statistiques. On reproche
aux enquêtes de victimisation de ne permettre de connaître que la criminalité ayant des
victimes individualisables (et non la criminalité sans victime individualisable comme
par exemple l’avortement, la corruption…), d’une part, et d’autre part, elles semblent
amplifier la criminalité parce que tous les faits qui sont signalées par les victimes au

147
Lire R. GASSIN, op. cit., pp. 132 et s.
148
Ibid., n° 164.
149
Ibid., n° 165.
50
cours de ces enquêtes, en sont pas toujours infractionnels ni ne tombent sous le coup
de la loi pénale. Par ailleurs, ces enquêtes sont parfois inexactes dans la mesure où les
victimes participant à l’enquête, peuvent commettre des erreurs de mémoire sur les
lieux des faits ou même sur la nature des faits. Il est possible que la qualité de victime
ne soit pas bien comprise par les répondants, qui peuvent s’attribuer ce qui est arrivé à
un proche.

2) Les évaluations du coût du crime

La technique de l’évaluation de la criminalité par le coût du crime « consiste à évaluer la


criminalité à partir du coût économique qu’elle représente pour la collectivité ; à cette fin, on
totalise l’estimation monétaire des préjudices causés par les diverses formes de délinquance et
le coût du fonctionnement des organes de répression et de prévention »150. La première
tentative d’évaluation de la criminalité par le coût du crime fut l’ouvrage publié en 1931 par
la Commission Wickersam aux États-Unis d’Amérique, sous le titre de The cost of crime.

On attribue à cette technique d’évaluation indirecte de la criminalité l’intérêt de donner de la


criminalité une image différente de celle qu’en donnent les statistiques criminelles officielles,
en même temps qu’elle permet de tenir compte des divers modes et des divers organes de
contrôle de la criminalité, dont elle évalue le coût économique. Son inconvénient est de ne pas
pouvoir prendre en compte les infractions qui ne causent pas de préjudice à une victime
susceptible d’évaluation économique (comme par exemple l’infanticide ou l’avortement…).
Par ailleurs, la seule évaluation économique des infractions est insuffisante. Le coût
psychologique de certaines infractions peut être plus lourd que le coût économique.
3) Les sondages sur le sentiment d’insécurité
Raymond Gassin indique que la criminalité engendre dans l’opinion publique un certain
nombre d’attitudes réactives au premier rang desquels figure un sentiment plus ou moins vif
d’insécurité selon l’évolution de la criminalité ou l’image que le public en a, notamment à
travers les médias. Ce sentiment d’insécurité fait l’objet de sondages périodiques d’opinion et
l’on s’est demandé si ces sondages ne pouvaient pas constituer en eux-mêmes un indicateur
de l’ampleur et des tendances d’évolution de la criminalité151.

Cependant, l’évaluation de la criminalité à travers le sentiment d’insécurité se heurte à une


objection de taille : c’est qu’il n’est nullement démontré que ce sentiment soit fonction du
niveau et des tendances d’évolution de la criminalité elle-même, car il existe d’autres facteurs,
particulièrement les médias, qui influencent l’évolution et le contenu de ce sentiment. En
effet, « on a même cru pouvoir montrer que les réponses aux sondages sur le sentiment
d’insécurité variaient notablement selon la manière dont la question était posée : fort
sentiment lorsque la question est fermée, faible, en revanche, lorsqu’elle est ouverte »152.
4) Les recherches qualitatives sur la criminalité
Face aux difficultés de saisir la criminalité par les techniques quantitatives et face à
l’impossibilité pour certaines formes de celle-ci d’en avoir la moindre approche sérieuse par
les statistiques (c’est notamment le cas du crime organisé et la criminalité en col blanc),
certains auteurs ont proposé de recourir à des recherches qualitatives, que Denis Szabo a

150
Ibid., p. 137, n° 166.
151
Ibid., pp. 137-138, n° 167.
152
Ibid., p. 138.
51
qualifiés au 5e colloque criminologique du Conseil de l’Europe (Strasbourg, 1981, p. 30)
d’approche descriptive –interprétative »153.

3. La valeur des statistiques criminelles

Pendant longtemps, on a attribué un grand crédit aux statistiques criminelles, en particulier


aux statistiques judiciaires. En effet, au XIXe siècle, où l’on ne connaissait pratiquement que
les statistiques judiciaires, l’opinion prévalait que celles-ci constituaient la meilleure approche
de la criminalité réelle, quoique l’opinion la plus répandue actuellement favorise les
statistiques de la police aux statistiques judiciaires, en raison de leur proximité avec le niveau
des faits. Car, on assiste à la perte de l’information au fur et à mesure que l’on progresse dans
le processus judiciaire de traitement d’une affaire pénale, à la suite d’une sélection
progressive de l’information qui aboutit à un double résultat : d’une part, une perte
considérable de la substance réprimable, et d’autre part, une transformation-déformation
remarquable de cette substance154.

Il est évident que les statistiques « criminelles » ne mesurent pas la criminalité réelle, à cause
de l’existence du chiffre noir de la criminalité. La question fondamentale, dès lors, observe
Raymond Gassin, « est de savoir à quoi correspond ce chiffre noir »155. Au XIXe siècle,
poursuit-il, le statisticien belge Quetelet avait formulé l’hypothèse que l’écart qui sépare la
criminalité connue de la criminalité réelle était un écart constant. Mais aujourd’hui, l’opinion
quasi unanime des criminologues, appuyée par des recherches empiriques, est que, loin d’être
constant, le chiffre noir varie constamment d’une période à une autre, comme d’un pays à
l’autre, sous l’influence des facteurs divers, notamment des variations de l’activité des
services de police et de justice156.

Partant de ce constat, Philippe Robert se pose la question préalable suivante sur les
statistiques criminelles : que mesurent-elles ? Que peuvent-elles mesurer ?157Cet auteur fait
remarquer que le statut de ces statistiques doit être déterminé et cette détermination ne peut se
faire d’après leur appellation. Elles ne sont pas nécessairement une mesure de la criminalité
parce qu’on les nomme « criminelles » ; on pourrait tout aussi bien les dire « pénales »158.
Philippe Robert engage une discussion conceptuelle (sur l’appellation des statistiques :
criminelles ou pénales) en examinant, dans un premier temps, les conditions de production
des statistiques criminelles (à savoir les mécanismes de reportabilité, d’une part, qui prennent
en compte la visibilité des faits et leur renvoi, et qui président à la naissance statistique d’une
affaire, et d’autre part, la reconstruction d’objet, qui montre que la survie statistique d’une
affaire est tributaire de son acceptation par le système pénal, conçu comme un entonnoir en
cascades muni d’étages successifs que sont la police, le ministère public, les juridictions
d’instruction préparatoire, les juridictions de jugement et les organes d’exécution des
sentences, chaque étage accomplissant la double fonction de sélection et d’orientation). Dans
un deuxième temps, il procède à la comparaison des statistiques avec la criminalité (voir les
techniques d’évaluation de la criminalité examinées ci-dessus).

153
Cité par R. GASSIN, op. cit., p. 141.
154
Ibid., p. 128.
155
Ibid., p. 127.
156
Ibid., p. 127-128, n° 156.
157
Ph. ROBERT, « Les statistiques criminelles et la recherche. Réflexions conceptuelles », Déviance et société,
Genève, 1977, vol. 1, n° 1, p. 3-27.
158
Ibid., p. 4.
52
Philippe Robert aboutit à la conclusion qu’« il n’est pas correct d’user des statistiques
pénales pour connaître la criminalité. Il n’est même pas légitime d’avancer qu’elles mesurent
une partie de la criminalité »159. Les données chiffrées, poursuit-il, « peuvent, en effet,
apporter beaucoup dans l’analyse d’un mécanisme de contrôle social, dans la révélation de sa
logique propre. Elles permettent, en effet, d’apprécier le système pénal à ses fruits
puisqu’elles sont fondamentalement comptage de ses produits »160. Aussi qualifie-t-il les
statistiques de pénales plutôt que de criminelles, ce qu’elles ne sont pas. Donc, conclut-il,
« une utilisation correcte des statistiques pénales permet d’analyser et de comprendre la
justice pénale par la considération successive de ses modes d’opérer et ses clientèles »161.

159
Ibid., p. 20.
160
Ibid., p. 22.
161
Ibid.
53
CONCLUSION

Dans cette introduction à la criminologie, destinée aux candidats juristes, nous avons abordé
deux chapitres, consacrés respectivement à la définition de la criminologie et à sa méthode.
Le nombre d’heures consacré à cette matière ne nous a pas permis de passer en revue les
théories criminologiques. Ce point pourra être examiné dans le cadre du cours de criminologie
clinique en deuxième licence, dans l’option droit privé et judiciaire.

Au sujet de la définition de la criminologie, il convient donc de retenir que nous nous sommes
représenté la criminologie comme un champ d’étude et une activité complexe de connaissance
interdisciplinaire, de nature à la fois scientifique et éthique, ayant pour but l’élucidation et la
compréhension de la question pénale (situation-problème et contrôle social). La manière dont
le contenu de la question pénale a été abordé a certainement bousculé vos évidences sur le
droit pénal et sur la justice pénale de manière générale, ses objectifs déclarés et son
importance dans la société.

Ce bouleversement est le résultat de la perspective critique dans laquelle la criminologie


aborde la question pénale, dès sa naissance au XIXe siècle; ce qui contribue du reste à faire
évoluer le droit pénal et à lui permettre de revêtir un visage humain, particulièrement par
l’émergence d’un discours sur les droits de l’homme dans la compréhension et la gestion de la
question pénale ou criminelle. En effet, grâce à une approche empirique de la question pénale,
qui lui donne une dose suffisante de concrétude, la criminologie déconstruit les abstractions,
les fictions et les illusions sur la base desquelles le droit pénal est construit et fonctionne ; ce
qui permet d’avoir la juste mesure de la réalité de la question pénale et de ses véritables
enjeux sociopolitiques. Aussi convient-il de clore cette conclusion en rappelant la manière
dont Françoise Tulkens, juriste et criminologue, caractérise l’approche criminologique de la
question pénale :

« À mes yeux, il y a dans [la] rencontre de la criminologie et des droits humains, ici en terre
africaine, un véritable enjeu ou, plus exactement, une opportunité qu’il faut saisir, celle de
permettre un renversement de perspectives dans le champ pénal sur d’autres bases et avec
d’autres présupposés. D’un côté, les droits humains, les droits fondamentaux, les droits et
libertés m’apparaissent de plus en plus comme des ressources qui peuvent et doivent être
mobilisés pour renouveler la manière de poser la question de la déviance, de la délinquance
et de la réaction sociale. Je ne me réfère pas ici aux droits humains comme catégorie
juridique mais comme expérience éthique et politique. D’un autre côté, la criminologie n’est
pas seulement un savoir scientifique mais elle est aussi un savoir social orienté vers un
modèle démocratique d’intervention et d’action. Enfin, la criminologie est aussi un état
d’esprit qui nous apprend une manière d’être et de penser : refuser les évidences et les
préjugés, (oser) poser les questions essentielles, confronter les points de vue et les
disciplines, se remettre en cause et parfois même aussi les institutions. Cette relative
impertinence ou insolence de la criminologie – qui, disons-le, perturbe les juristes – est à
mes yeux essentielle car elle nous oblige de reprendre, modestement mais sérieusement, les
choses à la racine »162.
* * *

162
Fr. TULKENS, op. cit., pp. 31-32.
54
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION ................................................................................................................................................. 3
INTRODUCTION ................................................................................................................................................. 3
1. LE CONTEXTE DU COURS.................................................................................................................................. 3
2. L’INTITULE DU COURS ..................................................................................................................................... 3
3. LA METHODE D’ENSEIGNEMENT ...................................................................................................................... 3
4. LES OBJECTIFS DU COURS ................................................................................................................................ 4
A. Objectifs généraux ..................................................................................................................................... 4
B. Objectifs spécifiques .................................................................................................................................. 4
5. ORGANISATION DE L’ENSEIGNEMENT (VOLUME HORAIRE) .............................................................................. 4
6. ÉVALUATION ET CONTRÔLE DES CONNAISSANCES ........................................................................................... 4
7. BIBLIOGRAPHIE RECOMMANDÉE ...................................................................................................................... 5
8. PLAN DU COURS ............................................................................................................................................... 7
CHAPITRE PREMIER : LA DEFINITION DE LA CRIMINOLOGIE ........................................................ 8
I. LE PROBLÈME DE LA DÉFINITION DE LA CRIMINOLOGIE .................................................................................... 8
1. De la criminilogie comme science du crime ou du phénomène criminel………………………………………9
2. Les définitions larges de la criminologie ................................................................................................... 9
3. Les définitions étroites de la criminologie ............................................................................................... 10
4. Risque de rabattement du « crime » sur son aspect substantiel et recours à son étymologie .................. 11
II. LE STATUT THÉORIQUE OU SCIENTIFIQUE DE LA CRIMINOLOGIE ................................................................... 12
1. La criminologie comme une branche d’une autre science ....................................................................... 13
2. La criminologie comme une science autonome au même titre que les autres sciences humaines ............ 13
3. La criminologie comme un « champ d’étude » ou un « corpus de connaissance » .................................. 13
4. Une quatrième et actuelle représentation de la criminologie .................................................................. 14
III. EXPLICITATION DU DOUBLE STATUT SCIENTIFIQUE DE LA CRIMINOLOGIE ................................................... 15
1. La criminologie comme un « champ d’étude » ou un « corpus de connaissance » .................................. 15
a. La dimension ouverte, conventionnelle, variable et évolutive du champ criminologique ........................ 15
b. L’aspect contraignant ou « objectif » du champ criminologique ............................................................. 16
c. Le caractère (non) scientifique des savoirs compris dans le champ criminologique ............................... 16
2. La criminologie comme une activité de connaissance.............................................................................. 16
a. La notion d’activité de connaissance remplace celle de « science autonome » appliquée à la
criminologie ................................................................................................................................................. 17
b. La notion d’activité de connaissance affirme l’autonomie institutionnelle de la criminologie ................ 18
c. La notion d’activité de connaissance admet l’existence objective d’une démarche ou d’un projet
spécialement criminologique ........................................................................................................................ 19
d. La notion d’activité de connaissance ne dévalorise pas scientifiquement la criminologie ...................... 21
IV. LE PROBLÈME DES OBJETS D’ÉTUDE DE LA CRIMINOLOGIE .......................................................................... 23
1. Position du problème................................................................................................................................ 23
2. Les deux aspects de la question pénale ou « les deux codes de langage » ............................................... 24
a. Le code institutionnel ou substantiel ........................................................................................................ 24
b. Le code descriptif ..................................................................................................................................... 24
3. Les objets de la criminologie aujourd’hui ................................................................................................ 26
a. La notion de situation-problème .............................................................................................................. 26
b. La notion de contrôle social ..................................................................................................................... 30
V. L’INVENTION DU TERME « CRIMINOLOGIE » ET SES ÉQUIVALENTS ............................................................... 30
1. S’agissant de l’appellation d’«anthropologie criminelle » ...................................................................... 30
2. S’agissant de l’appellation de « sociologie criminelle » .......................................................................... 32
3. S’agissant de l’appellation de « criminologie » ....................................................................................... 33

55
4. S’agissant de l’appellation de « biologie criminelle » ............................................................................. 34
5. Quant à l’expression de « politique criminelle »...................................................................................... 34
6. L’émergence de la victimologie................................................................................................................ 34
7. Que retenir de toutes ces appellations de la criminologie depuis la fin du 19e siècle ?........................... 35
VI. LA CRIMINOLOGIE ET LES DISCIPLINES VOISINES ......................................................................................... 36
1. La criminologie et le droit pénal de fond et de forme .............................................................................. 36
2. La criminologie et la criminalistique ....................................................................................................... 38
3. La criminologie et la pénologie ................................................................................................................ 39
4. Quid de la sociologie pénale et de la criminologie ? ............................................................................... 39
CHAPITRE DEUXIÈME : LA METHODOLOGIE DE LA CRIMINOLOGIE ......................................... 41
I. DÉFINITION DE LA MÉTHODOLOGIE ET SPÉCIFICITÉ DE LA MÉTHODOLOGIE DE LA CRIMINOLOGIE .................. 41
II. CONSIDÉRATIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES SUR LA MÉTHODOLOGIE DE LA CRIMINOLOGIE ................................. 42
A. Une double mise en garde sous le signe d’une double nécessité ............................................................. 42
B. La pertinence des recherches empiriques et qualitatives ......................................................................... 45
III. LE PROBLÈME DE LA MESURE DE LA CRIMINALITÉ AU MOYEN DES STATISTIQUES DITES CRIMINELLES ........ 47
1. La criminalité : définition et classification ............................................................................................... 47
2. La mesure de la criminalité au moyen des statistiques ............................................................................ 48
a. Les statistiques criminelles ....................................................................................................................... 48
b. Les autres techniques d’évaluation de la criminalité ............................................................................... 50
3. La valeur des statistiques criminelles ....................................................................................................... 52
CONCLUSION ................................................................................................................................................... 54
TABLE DES MATIÈRES .................................................................................................................................. 55

56

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