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CIRCONSTANCES
PROBLÈMES SPÉCIFIQUES À LA PÉDIATRIE
1. MÉTHODES D’ÉVALUATION
2. MÉDICAMENTS
CONCLUSION
CIRCONSTANCES
De multiples occasions d’engendrer une douleur aiguë sont observées en milieu chirurgical et
d’urgence : ponction veineuse, ponction lombaire, ponction médullaire, drainage thoracique, suture
cutanée, fracture, brûlure, douleur secondaire à l’acte chirurgical.
Mais si la douleur aiguë se traduit par un ensemble de réactions émotionnelles qui ne laisse
guère de doute sur sa réalité, sans toutefois en affirmer la spécificité, la douleur permanente d’une
brûlure, d’une affection tumorale... est souvent plus difficile à reconnaître car elle peut aboutir, chez les
plus jeunes enfants, à un tableau d’atonie psychomotrice et à une apparente indifférence de l’enfant qui
doit toujours inquiéter l’entourage.
L’évaluation est indispensable pour reconnaître la douleur ; il faut se donner des moyens fiables,
reproductibles, valides, compréhensibles, applicables au plus grand nombre en fonction de l’âge mais
aussi du caractère aigu ou chronique de la douleur. Or, chez les plus jeunes enfants qui n’ont pas
d’expression verbale suffisante, il est nécessaire d’avoir des points de repère et d’établir des scores ou
échelles comportementales qui vont guider la thérapeutique et apprécier son efficacité.
C’est la plus utilisée : elle se compose d’un segment de droite sur lequel le sujet marque
l’intensité qu’il attribue à sa douleur, entre l’extrémité “ absence de douleur ” et l’extrémité “ intensité
douloureuse maximale ”, en déplaçant un marqueur ; le verso est gradué, ce qui permet à l’examinateur
de se repérer d’un score à l’autre. De nombreuses variantes ont été proposées : position verticale ou
horizontale de l’échelle, échelle cotée de 0 à 10 ou de 0 à 100. Certaines réglettes sont associées à un
dégradé de couleur, présentée en position verticale par analogie avec un thermomètre.
Pour s’assurer de la bonne compréhension par l’enfant de l’exercice proposé, il faut lui demander
d’estimer sur cette réglette des douleurs qu’il a déjà pu ressentir tels le mal à la tête ou la douleur d’une
chute de vélo par exemple.
Cette méthode est réalisable dès l’âge de 4 ans. Elle est dite unidimensionnelle car elle
n’approche la douleur que par son caractère “ intensité ”, ne tenant pas compte des autres caractères de
la douleur. Elle est utile pour les douleurs aiguës.
Dans une étude réalisée à l’Institut Gustave Roussy, l’évaluation par l’échelle EVA graduée de 0
à 100 mm fait apparaître que la douleur d’une ponction de moelle est beaucoup plus importante que la
douleur d’une ponction lombaire (54 mm vs 37 mm) ou d’une ponction veineuse (54 mm vs 23 mm).
Ce sont des planches comportant une série de dessins représentant un visage à des degrés
divers de mécontentement. La validité de cette méthode reste à discuter : il n’est pas reconnu
d’expression faciale spécifique de la douleur.
1.2.1 - Le nouveau-né
La reconnaissance du problème posé par la douleur chez le nouveau-né est très récente. Il a fallu
attendre 1987 pour mettre fin aux controverses concernant l’aptitude du nouveau-né à ressentir, intégrer
et exprimer la douleur. On doutait jusqu’alors de sa possibilité d’appréhender cette douleur, invoquant
une immaturité corticale.
Cependant, les travaux de WILLIAMSON et ceux de ANAND montrent que les nouveau-nés,
même prématurés, soumis à des interventions chirurgicales sans analgésie présentent des variations
hormonales et métaboliques intenses, supérieures à celles rencontrées chez des patients adultes. Ces
perturbations en relation avec le stress et la douleur peuvent être atténuées par l’administration
d’antalgiques en peropératoire. De plus, la prise en charge de la douleur par des antalgiques puissants
n’a pas d’effet délétère et permet au contraire de diminuer la morbidité et la mortalité peropératoires.
Une grille d’évaluation du nouveau-né a été établie par l’équipe de réanimation néonatale
d’Antoine Béclère ; elle est issue d’un travail d’observation des enfants tout au long de leur
hospitalisation. Tous les signes témoignant a priori d’une douleur ont été répertoriés puis le
regroupement et la sélection des signes ont été effectués pour ne retenir que les plus utiles. Cinq critères
sont retenus, côtés de 0 à 3 : l’expression du visage, celle du corps, la qualité du sommeil, la relation
établie entre l’enfant et le soignant, et sa réaction aux gestes de réconfort.
Ces critères doivent être appréciés à différents moments de la journée et dans des situations
différentes, lors de gestes techniques telle ponction artérielle ou aspiration trachéale, responsable d’une
douleur aiguë ou lors de soins répétitifs et multiples au cours d’une hospitalisation prolongée, entraînant
alors une douleur prolongée.
L’ensemble des scores peut être représenté sur un graphique, permettant de visualiser
facilement autour d’une ligne moyenne les pics douloureux au cours d’une journée.
Cette évaluation permet de limiter les appréciations entachées de subjectivité, d’alerter sur une
symptomatologie douloureuse ou une situation de “ mal-être ” de l’enfant, d’évaluer l’efficacité d’un
antalgique. C’est un outil de travail intégré dans le dossier de soin de l’enfant. Ce travail de recherche a
permis d’objectiver les observations des soignants et d’améliorer le confort de l’enfant.
1.2.2 - Le nourrisson
Les pleurs sont l’expression la plus courante du nourrisson mais il peut être difficile de
différencier les pleurs de colère, de faim ou de douleur car ils ne sont pas spécifiques.
Le score d’AMIEL-TISON est utilisé chez le nourrisson de 2 à 3 mois pour apprécier la douleur
postopératoire, en particulier au moment du réveil. Il comprend 10 items côtés de 0 à 20 appréciés chez
un enfant éveillé au moment de l’examen. Il a été validé dans une étude randomisée de 23 nourrissons
âgés de 1 à 7 mois subissant un geste chirurgical mineur avec ou sans fentanyl.
La douleur aiguë postopératoire a été évaluée avec l’échelle de CHEOPS comprenant 6 items.
C’est l’échelle la plus souvent utilisée pour apprécier la douleur aiguë chez le jeune enfant. Elle a été
validée par l’effet du fentanyl sur les scores.
L’échelle de douleur DEGR a été mise au point dans le Service d’Oncologie Pédiatrique de
l’Institut Gustave Roussy ; elle évalue les douleurs persistantes de l’enfant de 2 à 6 ans, analyse le
comportement global de l’enfant, est utilisable après 24 heures d’hospitalisation et porte sur une période
d’observation de 4 heures. Elle apprécie le comportement de l’enfant à différents niveaux : signes
physiques de douleur, altérations psychomotrices et composante anxieuse. Cette échelle a d’abord été
validée avec 15 items puis réduite à 10 items. Son utilisation a été élargie à d’autres contextes que
l’oncologie. Ainsi, nous l’avons adaptée pour l’évaluation de la douleur chez l’enfant brûlé et réduite à 9
items en supprimant les items mal adaptés à la condition du patient brûlé. Son adaptation a été un travail
d’équipe progressif, évolutif et de patience, ce qui a fourni un repère indispensable à la gestion de la
thérapeutique antalgique.
2. MÉDICAMENTS
L’O.M.S. a défini la puissance d’action des antalgiques suivant 3 paliers pour le soulagement des
douleurs cancéreuses. Ces 3 paliers ont servi de référence pour apprécier les médicaments soulageant
les autres douleurs : palier 1 = douleurs modérées, palier 2 = douleurs fortes, palier 3 = douleurs
intenses.
Il peut être administré par voie orale, rectale (Efferalgan®, Dafalgan®, Doliprane®), ou
parentérale sous forme de propacétamol injectable (Prodafalgan®).
La posologie est de 60 mg/kg/jour en 4 doses (soit 15 mg/kg) par voie digestive, avec une dose
de charge de 20 mg/kg. Par voie intraveineuse, la dose de propacétamol est double, répartie en 4 ou 6
injections / 24 heures.
Il est souvent associé, par voie intraveineuse, à un autre médicament du palier 2 (nalbuphine) ou
3 (morphine), et a une action synergique permettant de diminuer les doses d’antalgiques plus puissants
en période postopératoire.
Les effets secondaires sont rares ; c’est le premier antalgique utilisé chez l’enfant, contre-indiqué
en cas d’affection hépatique grave évolutive.
Ils ont des propriétés antalgiques et anti-inflammatoires. Plusieurs groupes de produits sont
utilisables mais certains n’ont pas d’A.M.M. (Autorisation de Mise sur le Marché) avant l’âge de 5 ans.
Posologies :
à partir de 6 mois, le Nifluril® (40 à 60 mg/kg/24 h) ;
à partir de 12 mois, le Voltarène® (2 à 3 mg/kg/24 h) ;
à partir de 3 ans, le Surgam® (10 mg/kg/24 h).
Ce sont les antalgiques centraux faibles. On distingue deux catégories : les agonistes
morphiniques purs, les agonistes-antagonistes.
Ils ont une puissance d’action très inférieure à la morphine et leurs effets secondaires dépendent
de la dose administrée. Ils sont représentés par :
- l’extrait d’opium, présent en association dans les gélules et suppositoires de Lamaline® :
Gélule (mg) Suppositoire (mg)
Paracétamol 300 500
Poudre d’opium 10 15
Caféine 30 50
Poudre de belladone 10 30
- la codéine, alcaloïde de la morphine, se fixe sur les mêmes récepteurs. Son action est 10 fois moins
puissante que celle de la morphine et elle a une action antitussive. Posologies :
traitement de la toux : 0,3 mg/kg/24 h en 3 à 4 prises (A.M.M. à partir de 30 mois),
traitement antalgique : 0,5 à 1 mg/kg toutes les 4 heures, avec une dose maximale de 5 mg/kg/j ;
l’association au paracétamol est synergique sur le plan antalgique (Efferalgan Codéine®) mais il n’a pas
d’A.M.M. chez l’enfant.
- le dextropropoxyphène (Antalvic®), dérivé morphinique de synthèse, a une activité 5 à 10 fois inférieure
à celle de la morphine.
2.2.2 - Agonistes antagonistes
Outre l’action antalgique, ce produit a également un effet sédatif qui peut parfois être un avantage
mais on ne peut dépasser les doses indiquées car il existe un effet plafond.
La buprénorphine (Temgésic®) est un produit peu utilisé en pédiatrie. Ses indications sont
essentiellement les douleurs postopératoires de chirurgie viscérale d’intensité moyenne (laparotomie).
Ce sont les antalgiques centraux forts, agonistes morphiniques purs dont le chef de file est la
morphine : c’est l’analgésique de référence.
2.3.1 – Morphine
on peut également utiliser une forme “ retard ”, beaucoup plus maniable car administrée en 2
prises à 12 heures d’intervalle, sous forme de Skénan® le plus souvent (gélules ouvrables et
mélangeables aux aliments, dosées à 10, 30 et 60 mg) ;
par voie intraveineuse :
on peut utiliser une dose de charge de 0,05 à 0,2 mg/kg en bolus, suivie d’une injection en
continu de 0,02 à 0,05 mg/kg/h, adaptée suivant la douleur;
quand l’enfant est âgé de 6-7 ans minimum et coopérant, il peut contrôler cette analgésie par une
pompe P.C.A. (Patient Control Analgesia). Ce mode d’administration utilise une pompe comportant un
système informatique pré-réglé par le médecin, permettant l’administration de bolus de morphine, associé
ou non à une injection continue. Les bolus sont de 10 à 20 mcg/kg avec une dose maximale de 120 à
150 mcg/kg sur 4 heures et une période réfractaire de 10 minutes, interdisant des injections trop
rapprochées. Le patient peut ainsi mieux adapter la dose nécessaire à ses besoins en fonction d’un geste
ou d’un instant plus douloureux (kinésithérapie, toilette...);
Effets secondaires :
le principal risque est la dépression respiratoire, ce qui nécessite une surveillance stricte de la
fréquence respiratoire toutes les heures ;
la rétention d’urines est constatée avec une fréquence parfois élevée en cas d’utilisation de la
voie péridurale ou intrathécale ;
un prurit peut être constaté ;
Tous ces effets sont antagonisés par la naloxone (Narcan®) qui doit être systématiquement à
disposition chez les patients sous morphiniques, prescrite suivant un protocole par écrit, en cas d’incident
respiratoire surtout.
Indications : ce sont les douleurs aiguës pour lesquelles les antalgiques des paliers 1 et 2 sont
insuffisants et les douleurs chroniques (oncologie). L’avantage est qu’il n’y a pas d’effet plafond. Les
douleurs postopératoires d’une chirurgie orthopédique ou thoracique ont généralement une indication
d’emblée.
Les autres morphiniques utilisables par voie intraveineuse, voire par voie péridurale, sont le
fentanyl (100 fois plus puissant que la morphine), le sufentanil (dérivé du fentanyl, 10 fois plus puissant),
l’alfentanil (demi-vie plus courte).
Ce sont des médicaments réservés à l’anesthésie et aux services de soins intensifs où ils sont
utilisés chez des patients souvent intubés.
2.4.1 – Antispasmodiques
Ils n’ont pas de propriétés antalgiques propres mais agissent sur les manifestations
spasmodiques d’accompagnement des atteintes organiques viscérales. Ce sont :
la Viscéralgine® (6 mg/kg/jour en 3 prises orales, ou 0,5 mg/kg/24 heures en 4 prises I.V.) ;
le Buscopan®, antispasmodique atropinique (1 mg/kg/jour en 2 à 3 prises) ;
le Spasfon® (6 mg/kg/jour en 2 prises) ;
le Débridat® (5 à 10 mg/kg/24 heures).
La bupivacaïne (Marcaïne®) est utilisée pour réaliser des anesthésies loco-régionales mais ces
techniques demandent une pratique et une surveillance très spécialisées, pratiquées par des médecins
anesthésistes.
La pommade EMLA® (lidocaïne + prilocaïne) : l’application sous un pansement occlusif durant une heure
confère une anesthésie cutanée sur une profondeur de 5 mm ; elle est éventuellement utilisée pour éviter
la douleur d’une ponction veineuse ou pour traiter des lésions cutanées circonscrites (exemple : petit
naevus).
2.4.3 - Protoxyde d’azote (N2O)
C’est un gaz inodore, incolore, non inflammable, largement utilisé en anesthésie au bloc
opératoire mais se présentant aussi sous forme de mélange équimolaire 50 % O2 -50 % N2O
(Entonox®), stocké dans des bouteilles blanches avec quartier bleu à la partie supérieure. Ce mélange
diffuse très rapidement dans le sang, est très peu soluble et est éliminé par voie pulmonaire en 5 à 6
minutes, sans avoir été métabolisé. Son action est donc fugace et rapidement réversible. Il a deux effets :
un effet antalgique de surface avec cependant quelques modifications sensorielles pouvant être
désagréables chez les plus grands enfants (distorsion des sons, modifications visuelles...).
Cette technique peut être proposée comme antalgique chez les jeunes enfants en onco-
hématologie pour les ponctions médullaires, les ponctions lombaires, les pansements douloureux, voire
pour certains actes en urgence.
CONCLUSION
Nous disposons d’un ensemble de médicaments qui permettent de traiter la majorité des
douleurs de l’enfant.
Il faut calmer la douleur des enfants sans délai, sans entraver toutefois le diagnostic. En dehors
de l’urgence et d’une douleur évidente du fait du contexte traumatique, il est indispensable d’évaluer la
douleur par des échelles adaptées à l’âge et à la compréhension de l’enfant.
Toutefois, la douleur de l’enfant doit être traitée dans sa globalité. L’environnement peut
contribuer à aggraver ou à diminuer la douleur (composante anxiogène) et des mesures psychologiques
doivent être associées (explications simples, distraction par le jeu, musicothérapie).
Chaque patient réagit suivant sa personnalité, quel que soit l’âge. Les besoins en antalgiques
peuvent varier beaucoup et les protocoles thérapeutiques doivent en tenir compte.
ALIBEU J.P., BESSARD G., CARTAL M., NICOLLE E., SERRE-DEBEAUVAIS F. & DEVILLIERS P. -
Utilisation de la nalbuphine par voie rectale chez l’enfant. In : “ 5ème Journée : La douleur de l’enfant :
quelles réponses ? ”, U.N.E.S.C.O. Paris, 17 janvier 1997, pp. 110-5.
ANAND K.J.S. - The biology of pain perception in newborn infants. Adv. Pain Res. Ther., 1990, 15 : 113-
22.
ANAND K.J.S. & HICKEY P.R. - Pain and its effects in the human neonate and foetus. New Engl. J.
Med., 1987, 317, 21 : 1321-9.
ANAND K.J.S. & MACGRATH P.J. - Pain in neonates. Elsevier Ed., Amsterdam, 1993.
GAUVAIN-PIQUART A. & PICHARD-LEANDRI E. - La douleur chez l’enfant. Medsi Mac Graw Hill Ed.,
Paris, 1989.