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Cette thèse examine en détail l'hybridation à partir des œuvres de Yoko Tawada, écrites en

deux langues pour la promotion de la littérature mondiale, japonaise et allemande. Ses articles
ont été traduits en trente langues. Lorsque le prix Nobel de littérature a été annoncé en octobre
2019, elle était au Brésil pour la publication de Yuki no renshûsei en portugais. Ce roman, qui
a remporté le prix littéraire Noma au Japon en 2011, raconte la vie de trois générations d'ours
polaires.

Yoko Tawada est une écrivaine vivant en Allemagne qui est extrêmement populaire à
l'échelle internationale et écrit en japonais et en allemand. Sa littérature est souvent fortement
culturelle et linguistiquement métissée. Son écriture d'avant-garde n'est pas liée par les
frontières nationales et les langues.

Dans ses œuvres, Tawada explore les différences culturelles entre l'Orient et l'Occident et les
problèmes d'identité qui en résultent. Elle utilise souvent des techniques narratives qui reflètent
cette hybridité : ses textes alternent entre langue, culture et forme d'écriture, mêlant poésie et
prose, récits personnels et fantastique. Expérimentant des structures linguistiques inhabituelles
et des traductions littéraires, elle crée une langue qui transcende les frontières nationales.

En bref, le travail de Yoko Tawada se caractérise par une hybridité de cultures et de langues,
reflétant ses propres expériences de vie et brisant les frontières entre les cultures et les langues.

Mots clés : hybridité, Tawada Yôko, culturelles.

1
"Uberseezungen" est un roman de Yoko Tawada publié en 2002. Le titre signifie
"Transgressions" en allemand. Le livre suit les histoires de deux femmes, une journaliste
japonaise et une écrivaine allemande expérimentale, qui sont liées par leur amour pour un même
homme, mais qui vivent dans des pays différents.
Le roman aborde plusieurs thèmes tels que la langue, la traduction, l'identité et l'étrangeté
culturelle. Tawada utilise des styles d'écriture différents pour les deux personnages, en japonais
pour la journaliste et en allemand pour l'écrivaine, pour illustrer les différences culturelles et
linguistiques entre eux.
"Uberseezungen" a remporté le prestigieux prix littéraire allemand Adelbert von Chamisso
en 2003 pour son exploration innovante de la langue et de l'identité.
L'œuvre de Yoko Tawada « Uberseezungen » est marquée par un thème récurrent :
l'hybridité. En effet, l’hybridité renvoie à la fusion entre des différentes cultures, langues,
identités et corps, est omniprésente dans ses romans.
Le travail de Yoko Tawada explore souvent des thèmes hybrides de langue et de culture.
Elle-même est née au Japon, mais a vécu de nombreuses années en Allemagne, écrivant en
japonais et en allemand. Cette expérience à la fois de la culture japonaise et allemande se reflète
dans son travail, dans lequel elle explore les thèmes de l'identité, de l'immigration et de la
communication interculturelle.
Dans ses romans, Tawada utilise souvent des techniques de narration qui mélangent des
éléments de différents genres et cultures. Elle crée des personnages hybrides à la fois japonais
et allemands, ou incarne d'autres formes de personnages hybrides. Elle utilise également des
éléments oniriques et poétiques pour représenter des espaces interculturels.
Dans l'ensemble, le travail de Yoko Tawada explore et célèbre l'hybridité, montrant comment
les cultures s'enrichissent mutuellement et soulignant l'importance de la compréhension
interculturelle dans notre monde de plus en plus globalisé.
Dans ce contexte, le premier chapitre de notre recherche porte sur l'hybridité culturelle et
linguistique dans l'œuvre de Tawada. Nous verrons la définition de ce concept d'hybridité et ses
origines dans la pensée postcoloniale. Nous examinerons également les personnages de Tawada
et les manifestations d'hybridité dans le langage utilisé dans ses romans. Enfin, nous
analyserons le concept d'hybridité interculturelle présenté dans l'œuvre de Tawada.

Pendant ce temps, le deuxième chapitre se concentre sur l'hybridité de l'identité et du corps


dans l'œuvre de Tawada. Nous aborderons la construction identitaire des personnages tawada,
2
souvent en quête de leur propre identité. Nous aborderons également les thèmes de
l'immigration et de l'exil, étroitement liés aux questions identitaires. Enfin, nous analyserons la
manifestation de l'hétérozygotie corporelle chez les personnages de Tawada qui se situent
souvent à la frontière entre les corps humains et animaux. On s'interrogera ensuite sur les
réflexions de Tawada sur la nature de la nature humaine. Bref, cette recherche permettra de
mieux comprendre comment l'hybridité est un thème central dans l'œuvre de Yoko Tawada, et
comment celle-ci aborde les questions d'identité et de diversité culturelle et linguistique.
L'hybridité formelle met l'œuvre en danger parce qu'elle met en jeu l'identité littéraire, tandis
que l'hybridité identitaire prend le pari sur l'intelligibilité culturelle. Les deux chapitres de notre
mémoire sont une analyse de ce risque. Ainsi, nous nous demanderons quels sont les dangers
de ce genre de représentation de l'identité? Quels sont les enjeux pour Yoko Tawada et
pourquoi prend-elle le risque de mettre en scène ce «je» si dangereux? Enfin, où cette
hybridité conduit-elle?

3
L'hybridité culturelle et linguistique dans l'œuvre de Yoko Tawada

Ledeconcept de l'hybridité culturelle et linguistique est une thématique centrale dans l'œuvre
Yoko Tawada, écrivaine japonaise vivant en Allemagne. En effet, dans son roman
"Uberseezungen", Tawada explore l'expérience de la migration et de l'adaptation culturelle à
travers le personnage principal ; une femme japonaise qui s'installe en Allemagne

Dans son œuvre, Tawada utilise souvent des techniques de mélange de langues, en
mélangeant le japonais et l'allemand, ainsi que des thèmes qui reflètent son expérience de vivre
entre deux cultures. Elle explore également les différences culturelles dans la façon dont les
gens communiquent et se rapportent les uns aux autres, ce qui peut souvent être source de
malentendus et de confusion.

L'hybridité culturelle et linguistique dans l'œuvre de Tawada est également liée à des
questions plus larges sur l'identité et l'appartenance dans un monde de plus en plus mondialisé.
Ses personnages naviguent souvent entre différentes cultures et cherchent à comprendre leur
place dans le monde, tout en faisant face à des défis tels que la barrière de la langue et la perte
de leur langue maternelle.

Dans l'ensemble, l'œuvre de Yoko Tawada est une exploration complexe et nuancée de
l'hybridité culturelle et linguistique, offrant une perspective unique sur les défis et les
opportunités que présente la vie dans un monde de plus en plus interconnecté. De ce fait, le
chapitre suivant se penchera sur la manière dont Tawada utilise l'hybridité culturelle et
linguistique pour créer une narration originale afin de s’interroger sur quelques notions de base
dans une telle société.

Section 1 : La notion d'hybridité


1) Définition de l'hybridité culturelle et linguistique

Avant de procédé à la définition de l’« hybridation culturelle », il convient d’abord de faire


une courte halte sur le terme d’« hybridation ».

Le terme "hybride" est issu du latin "hybrida"1, signifiant à l'origine "enfant d'une femme
romaine et d'un père gaulois". Le terme a ensuite été étendu pour désigner tout mélange de
choses ou d'espèces différentes. De ce fait, l'hybridité étymologiquement est associée à l'idée

1
Termes consacrés par Homi K. Bhabha (“The Postcolonial Critic” 251).
4
de mélange, de croisement et d'altérité. Dans le domaine biologique, l'hybridité se réfère à la
reproduction entre deux espèces différentes pour créer une descendance hybride.

En linguistique, est hybride « un mot composé, dont la racine de chaque composant


n'appartient pas à la même langue. »2, de même, le sens courant de cette unité lexicale désigne
ce « Qui est composé d'éléments disparates »3, tel qu’un « Genre littéraire hybride. »

Dans le domaine linguistique et culturel, l'hybridité se réfère à « la combinaison de


différentes langues, cultures ou identités » pour créer identité hybride. L'hybridité est un
concept qui a émergé dans le contexte de la mondialisation et de la migration4, où les individus
sont de plus en plus confrontés à des expériences de mélange culturel et linguistique.

La substantive « hybridation » renvoie donc à « l’action de croiser deux éléments disparates


en leur nature », c’est aussi cette « réalisation de croisements, menant à l'obtention d'hybrides.
»5. Le registre agricole le définit comme étant « une méthode couramment utilisée pour produire
de nouveaux cultivars de plantes (blé, vigne, fruits, fleurs, etc.). ».

Du parcours des significations prescrites, il ressort que l’« hybridation culturelle » serait une
procédure de jonction entre deux cultures distinctes l’une de l’autre afin d’en construire une
originale. Elle exprime une technique d’emprunter des traits culturels d’une culture dite source
et d’une autre dite cible pour créer une nouvelle entité culturelle, traduisant leur côté
harmonieux qui pourrait être explicité au moins parcellement. Ce genre de montage (si nous
pouvons le nommer ainsi) s’agit, en quelque sorte, d’une forme d’interculturel spontané qui
retire son apparence originale d’un amalgame d’une paire de cultures différentes en leurs
aspects.

Ainsi, l’hybridation culturelle est un procédé dont le rôle serait la sensibilisation précoce au
phénomène de l’interculturel en générale, et la conscientisation aux ressemblances/différences
qui peignent chaque horizon d’une culture particulière.

En outre, le domaine littéraire, l'hybridité est souvent utilisée comme une stratégie pour
créer des œuvres originales et interroger les notions d'identité et de diversité culturelle.
L'hybridité peut être également considérée comme étant un moyen de résistance contre les
formes de domination culturelle et linguistique. En mélangeant différentes cultures et langues,

2
« L’hybridation », In Encyclopédie Encarta Hachette Multimédia 2006 (2004), [DVD], Version 10.
3
Ibid.
4
Dans ce contexte, la “globalisation” s’entend dans un sens général comme un phénomène caractérisé par le
mouvement rapide de capitaux, de biens et de services, et par une croissance sans précédent des technologies
de communication et des moyens de transport de par le monde.
5
Ibid.
5
les individus peuvent contester les frontières rigides entre les identités culturelles et créer des
espaces de dialogue et d'échange. A ce propos, La notion de l’hybridité est une notion complexe
qui a émergé avec les théories postcoloniales6 pour décrire les expériences des personnes vivant
dans des sociétés multiculturelles. En effet, Homi Bhabha, définit la notion de l'hybridité
comme étant "l'espace entre les cultures qui permet d'émerger de nouvelles significations et de
nouvelles identités"

Par ailleurs, nombreux sont les écrivains qui ont traité la notion de l'hybridité culturelle et
linguistique, afin de s’interroger sur la notion d'identité et de la diversité culturelle. De ce fait,
Yoko Tawada est l'une parmi d’autre qui ont fait usage de la notion de l’hybridité pour
déconstruire les frontières culturelles et linguistiques et créer des ponts entre différentes cultures
dans son roman qui s’intitule "Uberseezungen", Tawada découvre l'expérience de la migration
et de l'adaptation culturelle à travers son personnage principal confronter à des difficultés pour
s'adapter à une nouvelle culture et une nouvelle langue et c’est dans ce sens qu’elle parvient à
créer une nouvelle identité hybride qui est un mélange entre la culture japonaise et allemande.
Comme l'explique Tawada dans une interview, "je ne suis ni japonaise ni allemande, je suis les
deux à la fois". L’émergence de cette nouvelle identité hybride est un thème central dans son
œuvre. Comme le souligne Tawada, "l'hybridité est un espace de liberté, un endroit où vous
pouvez jouer avec les langues et les cultures, et créer quelque chose de nouveau et d'excitant".

De plus, l'hybridité est également un moyen de résistance contre les formes de domination
culturelle et linguistique. En effet, l'hybridité permet de contester les frontières rigides entre les
cultures et les langues, et de créer des espaces de dialogue et d'échange. Comme l'explique
Gloria Anzaldúa, écrivaine et théoricienne de la frontière, "l'hybridité est une stratégie de survie,
une manière de résister aux formes de domination culturelle et de créer des ponts entre les
cultures".

L'hybridité (ou « l'hybridatisation ») de la forme est « [...] le mélange de deux langages


sociaux à l'intérieur d'un seul énoncé, c'est la rencontre dans l'arène de cet énoncé de deux
consciences linguistiques séparées par une époque, par une différence sociale, ou par les deux.
»7 Ancrée dans un contexte social et culturel, la forme artistique est dotée aussi de sa propre
historicité. En effet, avance Bakhtine, l'ouvrage change à travers le temps et à la lumière des
ouvrages, des évolutions linguistiques, sociales et historiques qui lui succèdent : Lorsque le
dialogue des langages de telle époque se irraisonné, le langage du personnage commence à

6
Un champ de recherche apparu dans les années 1980 aux États-Unis, plus tard en Europe, en réaction à
l'héritage culturel laissé par la colonisation.

7
Ibid, p. 175-176.
6
résonner autrement, étant éclairé différemment, étant perçu sur un autre fond idéologique. Dans
ce nouveau dialogue, dans ce personnage et dans son discours, peut se fortifier et s'approfondir
son intentionnalité directe ou, au contraire, ce personnage peul s'objectiver totalement, la figure
comique peul devenir tragique, le dénoncé devenir dénoncia leur, etc. 8 C'est en incorporant le
discours d'autrui, et en le réinterprétant d'ouvrage en ouvrage, que les frontières entre le
littéraire et l'extralittéraire sont transgressées et, qu'un discours littéraire autocritique, selon
Bakhtine, se constitue finalement.9

La littérature migrante est essentiellement une littérature urbaine. La ville, dont la


métropole cosmopolite, y orchestre des rencontres : rencontres de peuples, de cultures, de
langues. Les personnages de la plupart des textes migrants québécois évoluent dans l'espace
montréalais, qui est souvent la fin de leur parcours d'immigration, l'aboutissement de leur
chemin.

Le concept d’hybridité a suscité de nombreux débats et donné lieu à de multiples


publications : terme galvaudé que certains emploient avec désinvolture pour qualifier une masse
disparate de sujets et d’objets dans des domaines très divers, il est souvent associé à des notions
telles que métissage, créolisation, syncrétisme, diaspora, transculturation, entre-deux. Principe
honni par les partisans de la pureté raciale, processus revendiqué avec enthousiasme par les
adeptes du mélange et du syncrétisme, l’hybridité est également une notion envisagée avec
suspicion par ceux qui déplorent sa dimension protéiforme et triomphaliste, et son défaut
d’enracinement politique. Le propos de cette conférence est de retracer la genèse, l’évolution
et les avatars de la notion afin d’interroger sa validité mais aussi sa spécificité dans les études
postcoloniales. Le terme n’est-il qu’une étiquette de plus, une coquille vide qui mène au truisme
“tout est hybride”, ou bien un concept pertinent pour cerner les enjeux de croisements
linguistiques et culturels, dessiner les contours d’identités hybrides, comprendre les stratégies
de pouvoir dans le monde postcolonial? Afin de faire le point sur cette question, je propose de
confronter diverses théories sur l’hybridité (Bakhtine, Bhabha, Young, Gilroy) et de les mettre
en résonance avec quelques textes littéraires (Walcott, Rushdie, Saro-Wiwa)."

2) Les origines de l'hybridité dans la pensée postcoloniale


La notion d'hybridité se répand dans la société contemporaine. Dans cette ère de croissance
technologique, il existe des voitures hybrides, des plantes hybrides, des langages informatiques
hybrides. De même, les chocs culturels et les migrations des XXe et XXIe siècles ont suscité
une nouvelle attention pour les mélanges culturels et ethniques. Ainsi, on parle également de

8
Ibid. p. 231.
9
Ibid, p. 224.
7
métissage, notion voisine de celle d'hybridité. L'hybridité présente l'hétérogénéité comme une
unité, mettant ainsi en question les notions d'origine ou de pureté. En effet, ce qui est hybride a
toujours au moins deux origines, et au lieu de se révéler impure parmi les purs, l'hybridité révèle
qu'il n'y a que des impurs.

Souvent figurée comme monstrueuse, l'hybridité est ambivalente et paradoxale : elle attire
et fascine parce qu'elle fait percevoir une différence, mais elle fait peur parce qu'elle menace
l'ordre établi. Elle échappe au langage parce qu'elle est singulière, n'a pas encore de nom, ou
résiste à la classification simple. Pourtant, parce que l'hybridité porte en elle deux éléments
identifiables et nommables, elle est source intarissable de discussions.

En littérature, l'hybridité ne perd rien de son caractère monstrueux, repoussant les frontières
discursives et génériques tout en les maintenant, au moins partiellement. Parler de l'hybridité
en littérature revient à parler de ce qu'est la littérature, de ce qui ne l'est pas, et de ce qui se situe
entre les deux. Elle transgresse les frontières en même temps qu'elle les indique et les
circonscrit.

L'hybridité est un concept clé de la pensée postcoloniale qui se réfère aux mélanges et aux
combinaisons de cultures, d'identités et de pratiques qui ont émergé dans les sociétés coloniales
et postcoloniales. Dans cet article, nous allons explorer les origines de l'hybridité dans la pensée
postcoloniale en examinant les travaux de quelques-uns des théoriciens clés de ce courant de
pensée.

Les origines de l'hybridité dans la pensée postcoloniale remontent aux années 1970 et 1980,
lorsque les théoriciens postcoloniaux ont commencé à remettre en question les idées
traditionnelles sur la culture, l'identité et la représentation. Dans leur critique de l'hégémonie
culturelle occidentale, ils ont souligné la façon dont les cultures coloniales et postcoloniales
étaient souvent déformées et déformantes, et ont cherché à déconstruire les catégories binaires
de l'identité (comme "l'Occident" et "l'Orient") qui avaient été imposées par la colonisation.

L'un des premiers théoriciens à explorer le concept d'hybridité était Homi Bhabha10, dont
l'article "Of Mimicry and Man" publié en 1984 est devenu un texte fondateur de la pensée
postcoloniale. Bhabha a utilisé le concept d'hybridité pour décrire la façon dont les cultures
coloniales étaient souvent caractérisées par des imitations et des parodies de la culture coloniale,
qui créaient des espaces de résistance et de subversion. Pour Bhabha, l'hybridité était une forme

10
Bhabha, H. (1984). Of mimicry and man: The ambivalence of colonial discourse. October, 28, 125-133.
8
de résistance culturelle qui permettait aux subalternes (c'est-à-dire aux groupes marginalisés et
opprimés) de négocier leur position dans les sociétés coloniales.

Un autre théoricien important de l'hybridité est Stuart Hall, qui a travaillé sur la façon dont
les identités culturelles étaient construites dans les sociétés postcoloniales. Dans son livre "The
Dialogic Imagination" (1990), Hall11 a utilisé le concept d'hybridité pour décrire la façon dont
les identités culturelles étaient souvent des mélanges de cultures différentes, plutôt que des
entités monolithiques et homogènes. Pour Hall, l'hybridité était une réponse à la complexité des
identités culturelles dans les sociétés postcoloniales, et une façon de résister à l'impérialisme
culturel.

D'autres théoriciens importants de l'hybridité incluent Gloria Anzaldúa12, qui a exploré le


concept d'hybridité dans le contexte de la culture chicana aux États-Unis, et Édouard Glissant13,
qui a utilisé le concept d'hybridité pour décrire la façon dont les cultures créoles (issues du
mélange de cultures africaines, européennes et amérindiennes) étaient des formes de résistance
à la colonisation.

Section 2 : La représentation de l'hybridité dans l'œuvre de Yoko Tawada


1) Les personnages hybrides dans les romans de Tawada
L'hybridité culturelle et linguistique est un thème central dans l'œuvre de Yoko Tawada. En
tant qu'écrivaine japonaise qui écrit en allemand et en japonais, elle est elle-même un exemple
d'hybridité culturelle et linguistique. Ses écrits reflètent cette expérience, en explorant les
thèmes de la langue, de l'identité et de l'appartenance dans un contexte multiculturel.

Dans ses romans, Tawada utilise souvent des techniques d'écriture hybrides, mélangeant
différentes langues, cultures et styles d'écriture pour créer une expérience littéraire riche et
complexe. Elle utilise également des éléments fantastiques et de la science-fiction pour explorer
les thèmes de l'hybridité, en créant des mondes où les frontières culturelles et linguistiques sont
floues ou n'existent pas.

Par exemple, dans "Le nuage dans la bouteille", la protagoniste japonaise se rend en
Allemagne à la recherche de son père allemand disparu. Le roman explore les thèmes de la
langue, de l'identité et de l'appartenance dans un contexte de migration, en montrant comment

11
Hall, S. (1990). Cultural identity and diaspora. In J. Rutherford (Ed.), Identity: Community, culture, difference
(pp. 222-237). London: Lawrence & Wishart.
12
Anzaldúa, G. (1987). Borderlands/La Frontera: The new mestiza. San Francisco: Spinsters/Aunt Lute.
13
Glissant, É. (1990). Poetics of Relation. Ann Arbor: University of Michigan Press.
9
les barrières linguistiques peuvent créer des difficultés dans la compréhension de soi et des
autres.

Dans "La langue sauvegardée", Tawada explore la manière dont la langue peut être un site
d'hybridité culturelle et linguistique, en présentant un linguiste qui étudie une langue fictive. La
langue en question est un mélange de différentes langues et cultures, reflétant la manière dont
les langues sont souvent influencées et modifiées par leur interaction avec d'autres langues et
cultures.

En somme, l'hybridité culturelle et linguistique est un thème récurrent dans l'œuvre de Yoko
Tawada, qui reflète son propre héritage multiculturel et les thèmes de l'identité, de la langue et
de l'appartenance dans un contexte mondialisé. Elle utilise des techniques d'écriture hybrides
pour créer des expériences littéraires riches et complexes, explorant les frontières culturelles et
linguistiques dans un contexte de diversité et de changement constant.

Dans la mesure où le signifiant onomastique du personnage romanesque est porteur de sens,


l'étude des personnages hybrides dans l'œuvre de Yoko Tawada révèle en grande partie sa vision
de la société haïtienne. L'antagonisme de la majorité d'entre eux et le traitement dont ils sont
l'objet suivant leur statut social ou leur fonction mettent en lumière les préférences et les
sympathies du romancier qui ne verse jamais dans le manichéisme.

Parmi les personnages hybrides, le Général Mirazin et le Général Frère se distinguent avec
le titre de Général. Paul Moral (1961) nous explique son usage dans la campagne haïtienne,
selon lequel "hacha" ou "don" [un puissant patriarche] se disait "commandant" ou "général".
Cette secte permet de comprendre la relation de Mirazin et des frères généraux avec leur
entourage. Si le général Miracin a assumé les fonctions de commandeur de la place de
Marchand, et, selon le narrateur, "le vrai général", il n'y a pas d'autre indice que sa bonne
réputation de papaloa à Léogane-Dufort pour justifier l'attribution des frères Le titre de général.
Les noms des généraux donnés à ces deux personnages révèlent le prestige qu'ils ont acquis
dans leur milieu. « Le général Miracin était un homme respecté », précise le narrateur14.

La plupart des personnages l'appellent "géal", sauf Acélhomme qui l'appelle "Général
Miracin". C'est facile à comprendre. L'arpenteur Paul Acélhomme, un érudit, traitait les
agriculteurs de « nègres stupides ». Le nom "géal" dérive du passage de la forme française
"général" à la forme créole spécifique "géal" ou "ginral". D'autres ont été ajoutés dans cet
exemple : Grande Choubouloute, Ti-Mouché. L'utilisation du créole dans la fiction haïtienne
n'est pas nouvelle. Nos romanciers réalistes Antoine Innocent (1873-1960), Fernand Hibbert

14
Alexis 1957: 277
10
(1873-1928), Justin Lhérisson (1872-1907) ont tous utilisé ce procédé. De nombreux écrivains
haïtiens écrivent dans les deux langues.

Jacques Alexis suit une tradition en utilisant les noms de certains personnages avec une
couleur locale. Revenons au sujet du général Mirazin et des frères du général. Ce dernier
jouissait également d'une notoriété auprès de son entourage. En tant que prêtre vaudou, il agit
comme intermédiaire entre Joas et les adeptes du vaudou. Sa renommée se répandit dans tout
son village : « On disait que même le président Vincent s'était déplacé pour aller voir Frère
Général à Léogane-Dufort »15.. Ces deux personnages ont un point commun : ils sont les seuls
à pouvoir se nommer. Ce geste est fait avec une attitude qui trahit leur volonté de puissance. En
effet, le général Mirazin s'est exclamé : « Tout le monde sait quel homme est le général
Miracin16. Quant au général Brother, son ton de voix semblait un peu plus doux : «Oh ! Toi, Ti-
Mouché, je noble ton nom. Petro Zandor, moi-même Général Ti-Mouché je nomme ton nom»17.

En fin de compte, Général Miracin et Frère Général sont deux vodouisants renommés et les
rapprochements que nous avons effectués entre eux ne sont pas épuisés. À cette étape de notre
analyse, une première classification s'impose.

Les caractères hybrides peuvent être divisés en ceux avec des valeurs positives et ceux avec
des valeurs négatives. Ces deux classes se combinent pour former un troisième groupe de
caractères à valeur mixte. Faire une favorable _portion de personnages hybrides Les docteurs
Jean-Michel, Chalbert, Flaurencel, Pierre et Alcius figurent parmi les noms des docteurs. La
plupart sont d’origine paternelle ou sensibles aux graves préoccupations des classes inférieures.
Père Kervor, Sor Choubouloute, Sténio Vincent et Lescot font partie des deuxièmes ensembles
de caractères hybrides avec des valeurs purement négatives. Ces derniers représentent
respectivement le pouvoir politique et le pouvoir religieux.

Les personnages hybrides montrent une richesse étonnante. Car presque tous les critères de
la dénomination prédicative sociale se trouvent réunis. On note non seulement l'usage
d'appellations d'ordre familial ou parental, mais aussi celui des titres professionnels ou
fonctionnels (ces mots étant pris aux sens social et administratif). L'étude des prédicats
nominatifs sociaux permettra de rendre compte de la véritable nature des relations que
supposent les différentes dénominations.

15
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16
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17
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11
Yoko Tawada18 pourrait être présentée comme l’envers d’un Ma Jian, écrivain d’origine
chinoise qui vit en Grande-Bretagne mais continue d’écrire en chinois. Tous deux partis de leur
pays asiatique d’origine dans les années 1980, ils mènent désormais leur carrière littéraire
depuis l’Europe où ils ont élu domicile.

En réalité, Yoko Tawada est l’auteur d' un ouvrage bilingue qui a reçu les éloges de la critique
tant au Japon qu'en Allemagne (ainsi qu'ailleurs où il a été traduit , bien qu'ici on prête une
attention particulière aux originaux) . Depuis 1991, date de la première commencé à publier en
japonais, cette œuvre littéraire très dense a été publiée à la fois en japonais et en allemand,
souvent avec une à plusieurs publications par an dans chaque langue. La complexité de la
question du rôle de la traduction dans l'œuvre de Yoko Tawada tient à l'importance de cette
action dans le contexte de l'écriture multilingue, ce qui est particulièrement vrai pour un auteur
qui s'efforce de maintenir un équilibre entre les deux. Qui plus est, la démarche autorail de Yoko
Tawada est elle-même souvent rapprochée de celle d’un traducteur. Miho Matsunaga et Keijirō
Suga s’accordent ainsi pour dire que, chez Tawada, écriture et traduction ne font qu’un.

Les formes hybrides sont performatives et parodiques en ce sens qu'elles sont des
travestissements de formes, de langages sociaux ou d'images antérieures. Cette façon de penser
la forme se rapproche d'une compréhension de l'identité subjective comme étant performative.
Dans cette optique, la forme peut être comprise comme l'effet de pratiques artistiques qui citent
et miment les normes d'un genre. Parallèlement, l'identité est comprise comme l'effet d'actes
discursifs et corporels qui citent et miment les normes sociales. Comme la notion de lillérature
dans Palimpsestes, la forme photo-millénaire se définit au second degré19.

Ainsi, l'hybridité photo-textuelle produit du sens par le biais des imitations, des
transformations et des travestissements des genres photographiques et littéraires. De ce fait, les
formes hybrides comportent un fort degré d'ironie qui leur permet de « dire autre chose
semblablement20 ». Écrire ou photographier « contre » ou « en dialogue avec » des ouvrages
précédents implique leur réinterprétation parodique ou théâtrale. Dans ses manifestations les
plus radicales, l'hybridité dévoile sa forme aussi bien que la construction de celle-ci par une
mise en scène de formes. Cette posture est intentionnellement en porte-à-faux avec une soi-
disant. On peut donc dire qu'elle produit « une vraie imposture » ou « une (im)posture
autocritique ». N'ayant aucune essence stable, les formes hybrides sont lues (et vues)
différemment à travers le temps en fonction des changements sociaux et artistiques.

18
Tokyo, 1960
19
Gérard Genette. Palimpsestes La /illérature ail second degré. Paris, SeuiL 1992.
20
Ibid., p. 15.
12
Le lien entre forme et identité subjective se trouve dans le langage et dans l'image. « Le
langage n'est possible que parce que chaque loculeur se pose comme sujet, en renvoyant à lui-
même comme je dans son discours,» écrit Emile Benveniste. « De ce fait, je pose une autre
personne, celle qui, tout extérieure qu'elle est à « moi », devient mon écho auquel je dis lu et
qui me dit tu21 » Par ailleurs, si le langage implique un sujet qui s'énonce à travers lui, l'image
recèle un spectateur implicite qui regarde autant qu'il est regardé.22 Si l'identité subjective
s'énonce dans le langage et se rend visible dans l'image, elle s'actualise dans les deux cas avec
art dans la forme esthétique. On peut dire à la suite de Bakhtine que l'identité, comme le
contenu, est « soudée » à la forme.

L'hybridité est donc non seulement le mélange des formes mais aussi j'entrelacement de la
forme et de l'identité. Qui s'énonce à travers la littérature ? Qui se donne à voir dans l’image ?
Pourquoi, dans le cas d'une œuvre manifestement hétérogène, une forme particulièrement
hybride a-t-elle été choisie pour représenter telle ou telle identité ? Ces questions permettent de
voir les jeux formels en tant qu'enjeux identitaires. Si la forme hybride incorpore à l'art des
langages, des images et de la rhétorique hors de son champ, l'articulation des identités
complexes et potentiellement subversives à travers ces formes comporte une dimension
politique importante. Elles deviennent des lieux où les identités socialement et politiquement
marginales prennent forme, se transformant en voix qui parlent et sont entendues, se donnent à
voir et sont vues.

2) Les langues mélangées et les jeux de traduction dans l'œuvre de Tawada


Tawada utilise fréquemment des mots et des phrases provenant de plusieurs langues
différentes, créant ainsi une sorte de langue hybride ou de "langue entre les langues"23. Cette
pratique reflète les expériences de Tawada en tant qu'écrivaine vivant dans une culture étrangère
et cherchant à s'exprimer à travers plusieurs langues. Dans son roman "Lebrun"24, Tawada décrit
un personnage qui parle une langue qui n'existe pas, un mélange de plusieurs langues, y compris
l'allemand, l'anglais, le japonais et le français.

Les jeux de traduction sont également une caractéristique importante de l'œuvre de Tawada.
Dans ses romans, elle explore souvent les limites de la traduction en jouant avec des jeux de
mots et des jeux de langage qui sont difficiles, voire impossibles, à traduire littéralement d'une
langue à une autre. Elle utilise ces jeux de traduction pour explorer la nature de la langue elle-

21
Emile Benveniste. Problèmes de linguistiqlle générale, I, Paris, Gallimard, 1966, p. 260.
22
8 Georges Didi-Hubcrman, Ce nOlis voyons, ce qlli nous regarde, Paris, Minuit, 1992.
23
Tawada, Yoko. Überseezungen. Carl Hanser Verlag, 2002.
24
Tawada, Yoko. Lebrun. Éditions Verdier, 2013.
13
même et pour mettre en évidence les différences culturelles et linguistiques qui existent entre
les langues.

Dans son roman "Lebrun", par exemple, Tawada joue avec les mots "brun" et "Leib", qui
signifie "corps" en allemand. Elle crée ainsi une ambigüité linguistique qui remet en question
la signification même des mots. Dans un autre roman intitulé "La langue maternelle" 25, Tawada
joue avec les homophonies entre les mots allemands et les mots japonais pour explorer les
différences culturelles entre les deux langues.

En utilisant des langues mélangées et des jeux de traduction, Tawada explore les frontières
entre les langues et les cultures, ainsi que la manière dont elles sont liées à la construction de
l'identité. Dans un monde de plus en plus globalisé, où les frontières linguistiques et culturelles
sont de plus en plus poreuses, l'œuvre de Tawada offre une réflexion profonde sur la nature de
la langue et sur la façon dont elle façonne notre perception du monde.

En conclusion, les langues mélangées et les jeux de traduction sont des éléments centraux
de l'œuvre de Tawada26. Ils lui permettent d'explorer les frontières entre les langues et les
cultures, ainsi que la manière dont elles sont liées à la construction de l'identité. L'œuvre de
Tawada est une invitation à réfléchir sur la nature de la langue elle-même et sur la façon dont
elle influence notre manière de penser et de communiquer avec le monde qui nous entoure.

Section 3 : L’interculturalité selon l'œuvre de Yoko Tawada


C'est à un processus d'intégration que se réfère le terme « interculturel » . Ce phénomène
est expliqué par Clément Moisan et Renate Hildebrand comme un processus de dominance : :
« L'interculturel pose en face l'une de l'autre des cultures en présence et montre les processus
par lesquels l'une quitte sa place pour intégrer l'autre.»27 Une façon de penser la communication
interculturelle est comme un champ de bataille où les différences culturelles sont exposées et
où une culture doit incontestablement céder à l' autre. Ainsi, cet échange unique cherche à
(dé)possédé plutôt qu'à inclure autres.

Son travail explore souvent les thèmes de l'identité, de la migration et de la communication


interculturelle. Dans ses œuvres, elle examine les questions de l'identité culturelle et de la
communication entre les cultures.

25
Tawada, Yoko. La langue maternelle. Éditions Verdier, 2002.
26
Tawada, Yoko. Memoirs of a Polar Bear. New Directions, 2016.
27
Clément Moisan et Renate Hildebrand, Ces Étrangers du dedans : Une histoire de récriture migrante au
Québec (1937-1997) (Québec, Nota bene, 2001), p. 16.
14
Dans son roman "L'île flottante", par exemple, Tawada explore la question de l'identité
culturelle à travers le personnage principal, une jeune femme japonaise qui s'installe en
Allemagne et qui se sent déracinée dans sa nouvelle maison. Le personnage navigue entre deux
cultures, cherchant à trouver sa place dans le monde et à comprendre sa propre identité
culturelle.

Tawada aborde également la question de la communication interculturelle dans ses écrits.


Dans "Le nuage dans la bouteille", une pièce de théâtre qu'elle a écrite en allemand, elle explore
les défis de la communication entre des personnes qui parlent des langues différentes. La pièce
met en scène un dialogue entre une femme allemande et un homme japonais, qui tentent de
communiquer malgré les barrières linguistiques et culturelles.

L'œuvre "Uberseezungen" de Yoko Tawada aborde le thème de l'interculturalité sous


plusieurs angles. Dans ce livre, Tawada explore les expériences de personnages japonais vivant
en Allemagne et de personnages allemands vivant au Japon, mettant en lumière les défis et les
opportunités liés à l'interaction entre différentes cultures.

L'un des thèmes les plus importants du livre est la question de l'identité culturelle. Les
personnages de Tawada se trouvent souvent pris entre deux cultures, incapables de s'adapter
complètement à l'une ou l'autre. Cette expérience est particulièrement présente chez les
personnages japonais vivant en Allemagne, qui se sentent souvent isolés et incompris en raison
de leur différence culturelle. L'auteur aborde également la question de la langue et de la
traduction, soulignant les difficultés inhérentes à la communication entre des personnes qui
parlent des langues différentes.

Un autre thème important du livre est la rencontre entre les cultures. Tawada met en scène
des moments de confrontation culturelle, où les personnages sont forcés de confronter des idées
et des pratiques qui leur sont étrangères. Ces moments peuvent être source de confusion et de
malentendus, mais ils peuvent également être des occasions d'apprentissage et de croissance.

Enfin, "Uberseezungen" explore également la façon dont les cultures peuvent se mélanger
et s'influencer mutuellement. Les personnages de Tawada créent souvent de nouvelles formes
d'expression culturelle en combinant des éléments de différentes traditions. Cela peut être vu
dans les personnages qui adoptent des aspects de la culture allemande tout en conservant des
éléments de leur propre culture japonaise.

En somme, l'œuvre "Uberseezungen" de Yoko Tawada aborde le thème de l'interculturalité


de manière complexe et nuancée, en explorant les défis, les opportunités et les ambiguïtés
inhérents à la rencontre entre différentes cultures.
15
Dans l'ensemble, l'œuvre de Yoko Tawada explore la complexité de l'identité culturelle et de
la communication interculturelle. Elle montre comment les différences culturelles peuvent être
à la fois enrichissantes et difficiles à naviguer, et comment la communication peut être difficile
mais aussi essentielle pour établir des liens entre les cultures.

Simultanément à l'essor de la littérature migrante, en 1988, le Canada introduisait l'Acte


multiculturel28, afin de garantir des opportunités égales aux Canadiens de toutes origines.
Néanmoins, depuis son instauration, les critiques ont férocement pourfendu ses fondations.

Le multiculturalisme qui, comme le transculturel, prône la coexistence de différentes cultures


sur un même territoire, n'encouragerait pas un échange, mais mènerait à la ségrégation. Sherry
Simon explique :

Cette compréhension de l'échange culturel résulte du modèle multiculturel. Elle fait


l’hypothèse que chaque personne appartient à une seule culture et que leurs interactions
les unes avec les autres seront basées sur des principes de tolérance interculturelle.
Chacun est responsable de lui- même dans un monde où les différences sont respectées.
C'est un système de reconnaissance réciproque, de diversité tolérante et de pluralisme
inclusif. Si, en termes de politique officielle, le multiculturalisme peut favoriser une
forte perception de la diversité culturelle et parfois agir comme une arme puissante
contre le racisme et discrimination, elle peut aussi encourager une vision romancée de
la culture qui la réduit au folklore.29.

Selon cette conception, le multiculturalisme encouragerait une ségrégation identitaire,


confinant un individu à une appartenance monothéique. L'échange laisserait place à une
tolérance où la pluralité se construirait de sphères homogènes et hermétiques.

Ni l'interculturalisme, ni le transculturalisme, ni même le multiculturalisme ne feraient


donc exclusion des catégories normatives. Même à travers un échange réciproque, le «je» ne
pourrais être que «je», et «l'Autre» ne pourrait être que « l'Autre ». À la limite, les rôles
pourraient être renversés, mais ils ne constitueraient jamais un tout cohérent.

En tant que composante de l’infrastructure sociale (plutôt qu’en tant qu’appareil


technologique), la communication doit être appréhendée dans sa dimension culturelle, dans la
sphère de la superstructure de la vie en société ; et ce à plus forte raison en des temps
d’interculturalité, dans lesquels la communication apparaît comme élément structurant d’un

28
Dès les années 1970, devant une croissance de l'émigration, le Canada instaure une politique ethnoculturelle
pour favoriser l'adaptation sociale et la réussite économique des minorités culturelles.
29
Sherry Simon, Hybridité culturelle, op. cit., p. 19.
16
monde dont les frontières spatiales et temporelles sont diluées. Pour penser la communication
au xxie siècle, il faut rompre avec les modèles linéaires et instrumentalistes. Notamment parce
que la communication de masse, que nous avons appris à côtoyer, n’est déjà plus le modèle
isolé et hégémonique de la culture de la société en réseau. Nous avons besoin de nouveaux
paramètres pour penser les phénomènes communicationnels. Comme le souligne Homi K.
Bhabha30, « le travail frontalier de la culture exige une rencontre avec “le nouveau” qui ne fasse
pas partie du continuum du passé et du présent. Elle crée une idée du nouveau en tant qu’acte
insurrectionnel de traduction culturelle ».

La traduction culturelle s’articule, par conséquent, à ce contexte d’hybridation culturelle qui


caractérise la société mondialisée, postcoloniale, dans laquelle nous vivons, bien qu’en elles
persistent les inégalités sociales et économiques, occultées par une conception idéalisée de la
pluralité. À juste titre, Stuart Hall31 observe : « Parallèlement aux tendances homogénéisâtes de
la mondialisation, il existe une “prolifération subalterne de la différence”. » Selon lui, « un
paradoxe de la mondialisation contemporaine [réside dans] le fait que, culturellement, les
choses paraissent plus ou moins semblables les unes aux autres (un type d’américanisation de
la culture mondiale, par exemple). Néanmoins, de manière concomitante, il y a prolifération
des “différences” ».

C’est dans le cadre de cette perspective complexe, faite d’ambivalences et de contradictions,


que se configure le scénario des interculturalités de la société contemporaine. Une projection
historico-temporelle d’un « présent-futur » qui s’articule avec le « passé présent », alors
redessiné, qui combine des éléments de nostalgie, la réalité du temps présent et les perspectives
du futur. Une construction spatiaux-géographique constituée de territoires peu stables,
superposant ville et campagne, centre et périphérie ; le tout alimenté par la mobilité des
individus, rendue possible par le développement des moyens de transport et de communication.
Nous vivons donc une époque d’interculturalité et d’hybridisme, soumis à des mouvements
tantôt de concentration, tantôt de diaspora. À cet égard, Stuart Hall32 avertit que « l’hybridisme
n’est pas une référence à la mixité raciale d’une population. C’est en réalité un autre terme pour
désigner la logique culturelle de la traduction. Cette logique devient chaque fois plus évidente
dans les diasporas multiculturelles et dans les autres communautés minoritaires et métissées du
monde postcolonial ».

30
2007, p. 27
31
2008, p. 57
32
2008, p. 71
17
Si l’hybridisme faisait déjà sentir sa présence dans le contexte postcolonial, qui s’est consolidé
au cours du XXe siècle, force est de constater qu’il s’intensifie dans celui de la société connectée
en réseau. Dans le monde contemporain, temps et espace deviennent fluides et hybrides. Les
enseignements que l’on peut tiré de la culture de masse ne s’appliquent pas de manière
automatique aux phénomènes communicationnels de la société en réseaux. La culture elle-
même ne peut plus être pensée de manière stratifiée entre catégories sociales supérieures et
inférieures, ou cataloguée en culture érudite, populaire et de masse. Dans son ouvrage Culturas
híbridas, Garcia Canclini33 nous met en garde : « De même que l’opposition entre le traditionnel
et le moderne ne fonctionne plus, le cultivé, le populaire et la culture de masse ne sont plus là
où nous nous sommes habitués à les trouver. » Se plaçant dans cette optique, il ajoute : « Nous
avons besoin de sciences sociales nomades, capables d’emprunter les escaliers qui relient ces
voies entre elles. Ou, mieux encore, qui redessinent ces différents plans et fassent communiquer
les niveaux de manière horizontale. »

Dans le contexte latino-américain, les divisions entre tradition et modernité deviennent fluides.
Dans le même espace social, les manifestations artistiques populaires et les artisanats régionaux
se mélangent grâce aux appareils digitaux produits par les technologies d’un univers
mondialisé. Les signes de l’hybridation sont partout. Le passé et le présent se recoupent et
s’articulent aux perspectives du futur. Le temps physique diachronique se relativise en se
projetant dans d’autres échelles de temps d’ordre pratique et symbolique.

Plutôt que d’y voir un processus de convergence culturelle, ainsi que l’appellent certains
auteurs, ce qui suggère une dynamique qui nous acheminerait vers un grand village planétaire,
nous préférons nous ranger à l’interprétation de García Canclini et comprendre la culture
contemporaine comme un ensemble de cultures hybrides, dans toute sa pluralité et sa
complexité. Dans le même ordre d’idées, les conflits et les contradictions sont également à
considérer comme des éléments structurants de l’univers socio-culturel. C’est en ce sens que
l’anthropologue argentin fait de l’hybridation une nouvelle catégorie de l’analyse34 : « Je trouve
intéressant de traiter l’hybridisation comme un terme de traduction entre le métissage, le
syncrétisme, la fusion et les autres vocables utilisés pour désigner des mélanges particuliers.
Peut-être la question décisive n’est pas tant d’établir lequel de ces concepts possède la plus
grande extension et s’avère le plus fécond, mais bien de savoir comment continuer à construire
des principes théoriques et des procédures méthodologiques qui nous aident à rendre ce monde

33
2008, p. 19
34
Canclini, 2008, p. XXXIX
18
plus traduisible, autrement dit, qu’il soit plus facile d’y vivre ensemble au sein de ses différences
et d’accepter ce que chacun gagne ou est en train de perdre en s’hybridassent. »

Ce que García Canclini appelle « cultures hybrides », ou hybridation culturelle, trouve son
pendant dans ce que le sociologue brésilien Octavio Ianni35 dénomme la « transculturation »,
quand il articule la discussion sur la culture avec les processus de « transnationalisation, de
mondialisation ou, plus exactement, de globalisation ». À partir des idées de contact, d’échange,
de permutation, d’acculturation, d’assimilation, d’hybridation et de métissage, il nous propose
la catégorie de « transculturation ». On peut comparer une telle dénomination à celle de
« cohabitation culturelle » [en français, dans la version originale]. Néanmoins, alors que
« cohabitation culturelle » suggère une atmosphère plus harmonieuse et plus consensuelle,
puisqu’elle implique l’idée que l’on partage la même habitation, qu’on vit ensemble (comme le
font de nombreux couples et amis), la « transculturation » renvoie à la nature transversale de
ces relations interculturelles, qui ne s’établissent pas toujours de manière pacifique, mais
résultent de négociations, de persuasions, de concessions et de conquêtes.

Pour Ianni, « l’histoire des peuples et des collectivités, des nations et des nationalités, ou des
cultures et des civilisations » peut se lire comme l’« histoire d’un ample processus de
transculturation »36. Il explique ainsi37: « Le complexe d’énigmes et de contrepoints dont est
constituée l’occidentalisation du monde, de même que l’orientalisation, l’africanisation,
l’indigénisation, ce complexe développe et démultiplie les processus socio-culturels,
économiques et politiques qui modèlent la transculturation manifeste aujourd’hui dans toutes
les parties du monde. Voilà quel est le complexe d’énigmes et de contrepoints qui développe
les identités et les altérités, de même que les diversités et les inégalités qui configurent la
pluralité des mondes. »

Cette pluralité se développe de manière dynamique, « en mouvement, en permanente


mutation », où coexistent et entrent en conflit ces diversités et ces inégalités, les identités et les
altérités, en une relativisation du temps et de l’espace opposant dialectiquement
« contemporanéités et non-contemporanéités, territorialités et déterritorialisés, modernités et
postmodernités »38.

Dans ce contexte transculturel, de constante hybridation, il n’est déjà plus possible de penser
à partir d’une séquentialité linéaire et de la hiérarchisation des classifications traditionnelles.

35
2000, p. 93
36
idem, p. 99
37
idem, p. 105
38
idem, p. 105
19
Le défi à relever consiste à comprendre le monde de la simultanéité, dans lequel les relations et
les conflits ne se créent pas au niveau de nos voisins se trouvant de l’autre côté de nos frontières
géographiques immédiates, mais se reproduisent à l’échelle planétaire. Plus les médias se sont
sophistiqués et se sont popularisés dans le contexte des sociétés urbaines contemporaines, plus
le problème de la quête de communication est en train de mélanger technologie et humanité, en
un processus d’hybridation qui concerne également la pensée communicationnelle. Dans la
même optique, Jean Caune39 soutient : « Du point de vue anthropologique, la médiation
culturelle se manifeste dans les processus rituels, comportementaux, techniques, etc., par
lesquels les individus donnent un sens à leur condition humaine. » Il ajoute : « Les nouvelles
réalités nées avec la modernité ont remplacé l’opposition homme/nature par les interfaces
homme/technique ; dès lors, l’expérience humaine est confrontée aux médiations techniques
qui transforment les appropriations culturelles. »

Si la culture est l’intervention de l’être humain sur la nature et si les médiations techniques
transforment les appropriations culturelles, la centralité de l’être humain doit orienter notre
réflexion, même dans le contexte de la cyberculture. L’intensification des relations être humain
/ machine ne résout pas en soi les conflits et les barrières des relations entre individus.
Dominique Wolton40 nous met en garde à cet égard : « Les techniques n’ont pas résolu les
problèmes de communication humaine, elles les ont simplement différés, repoussés au bout des
claviers et des écrans. Au-delà de toutes ces techniques de plus en plus simples, bon marché,
ludiques, interactives, l’autre est toujours présent, aussi difficile d’accès, aussi difficile à
comprendre et à intéresser. Comme si les difficultés de communication humaine étaient
simplement mises entre parenthèses par les prouesses techniques. »

Conclusion
En conclusion, l'œuvre de Yoko Tawada est caractérisée par une forte préoccupation pour
l'hybridité culturelle et linguistique, qui est explorée à travers les expériences de personnages
qui se trouvent pris entre deux cultures et deux langues. Tawada aborde les défis et les
opportunités de l'interculturalité de manière complexe et nuancée, en mettant en lumière les
tensions, les malentendus, mais aussi les possibilités de création et de croissance qui découlent
de la rencontre entre différentes cultures. L'œuvre de Tawada invite ainsi le lecteur à réfléchir
sur l'importance de l'ouverture d'esprit, de la curiosité et de la tolérance dans un monde de plus
en plus connecté et diversifié sur le plan culturel et linguistique.

39
1999, p. 120-121
40
1997, p. 56
20
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