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LA NATURE JURIDIQUE DE LA REDEVANCE DE

SURVEILLANCE PRUDENTIELLE

Alexandre MAITROT DE LA MOTTE


Professeur à la Faculté de droit de l’Université Paris-Est Créteil
Assesseur du Doyen, en charge de la recherche
Directeur de l’Équipe d’Accueil Marchés, Institutions, Libertés (EA 7382)
Directeur du Master Droit Fiscal

Il est communément affirmé qu’il n’existe à l’heure actuelle aucun impôt


européen stricto sensu, c’est-à-dire aucun prélèvement fiscal qui aurait
été institué par l’Union européenne et qui pèserait sur des contribuables
européens(1). Toutefois, ces affirmations ne sont-elles pas démenties
par l’actualité récente ? Un impôt européen n’aurait-il pas été instauré
par la Banque centrale européenne sans que quiconque s’en soit aperçu
et, notamment, sans avoir été consenti par les citoyens de l’Union ou
leurs représentants ? La BCE ne viendrait-elle pas de violer un principe
essentiel quoique tristement dévoyé outre-Atlantique : « no taxation
without representation » ? Telles sont les questions provocatrices mais
fondamentales que pose la création de la « redevance de surveillance
prudentielle », et qui impliquent de s’interroger sur sa nature juridique.
Le 22 octobre 2014, le règlement (UE) n° 1163/2014 de la BCE sur les
redevances de surveillance prudentielle a en effet été adopté(2). Ce règlement
est indirectement fondé sur l’article 127 TFUE, dont le paragraphe 6
dispose que « Le Conseil, statuant par voie de règlements conformément
à une procédure législative spéciale, à l’unanimité, et après consultation
du Parlement européen et de la Banque centrale européenne, peut confier

1. A. Maitrot de la Motte, Droit fiscal de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2012,


nos 30 à 34 ; et A. Maitrot de la Motte, « A European Tax: Legal and political issues », Revue de
l’OFCE, 2014, n° 134, pp. 141-150.
2. Règlement (UE) n° 1163/2014 de la BCE du 22 octobre 2014 sur les redevances de surveil-
lance prudentielle (BCE/2014/41), JOUE, n° L 311 du 31 octobre 2014, p. 23.

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à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux


politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit et
autres établissements financiers, à l’exception des entreprises d’assurances ».
Et il est directement fondé sur le règlement dit « MSU » (« mécanisme de
surveillance unique ») qui, au visa du paragraphe 6 de l’article 127 TFUE,
a été adopté le 15 octobre 2013 en vue de confier « à la Banque centrale
européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de
surveillance prudentielle des établissements de crédit »(3).
Fruit de réflexions menées dans le contexte de la crise financière et
économique, le règlement « MSU » prend acte de ce que si la création de
l’Autorité bancaire européenne a permis, à compter de 2010, d’améliorer la
coopération des États membres, un approfondissement de la surveillance
des établissements bancaires européens est indispensable(4). C’est ce qui
explique qu’à l’issue des Conseils européens des 29 juin 2012 et 19 octobre
2012, il a été décidé « de créer une union bancaire au sein de l’Union, fondée
sur un corpus règlementaire unique complet et détaillé pour les services
financiers, qui vaille pour l’ensemble du marché intérieur et qui comprenne
un mécanisme de surveillance unique et de nouveaux cadres pour la garantie
des dépôts et la résolution des défaillances bancaires »(5). Comme l’indique
le considérant 12 du règlement « MSU », « Première étape vers la création
de l’Union bancaire, un mécanisme de surveillance unique devrait garantir
que la politique de l’Union en matière de surveillance prudentielle des
établissements de crédit est mise en œuvre de manière cohérente et efficace,
que le corpus règlementaire unique pour les services financiers s’applique de
la même manière aux établissements de crédit de tous les États membres
concernés et que ces établissements de crédit sont soumis à une surveillance
de la plus haute qualité, sans qu’interviennent des considérations autres que
prudentielles. En particulier, il y a lieu d’assurer la cohérence du mécanisme
de surveillance unique (MSU) avec le fonctionnement du marché intérieur
des services financiers et avec la libre circulation des capitaux ».
Le mécanisme de surveillance unique implique des interventions de la
BCE et des autorités nationales qui, comme le considérant 15 du règlement
« MSU » le résume, s’articulent comme suit : « Il y a lieu de confier à la BCE
les missions spécifiques de surveillance qui sont cruciales pour garantir une

3. Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013 confiant à la Banque centrale


européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance
prudentielle des établissements de crédit, JOUE, n° L 287 du 29 octobre 2013, p. 63 (ci-après
« règlement MSU »).
4. Règlement MSU, considérant 7.
5. Règlement MSU, considérant 11, préc.

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mise en œuvre cohérente et efficace de la politique de l’Union en matière


de surveillance prudentielle des établissements de crédit, tandis que les
autres missions de surveillance devraient rester du ressort des autorités
nationales. Les missions de la BCE devraient inclure l’adoption de mesures
aux fins de la stabilité macroprudentielle, selon des modalités spécifiques
tenant compte du rôle des autorités nationales »(6). Dans ce cadre, le
règlement « MSU » prévoit que les missions de la BCE sont, pour l’essentiel,
les suivantes : agréer les établissements de crédit et leur retirer leurs
agréments, surveiller les établissements qui ont une activité transfrontière,
évaluer les notifications d’acquisitions et de cessions de participations dans
des établissements de crédit, veiller au respect des règles prudentielles,
veiller au respect des règles de gouvernance par les établissements de crédit,
mener des contrôles prudentiels et réaliser des tests de résistance, examiner
les ensembles complexes tels que les sociétés mères et les conglomérats, et
surveiller les éventuels plans de redressement ou d’intervention précoce(7).
À cette fin, des pouvoirs d’enquête et de surveillance sont prévus par les
articles 9 à 18 du règlement « MSU » ; des sanctions sont déterminées par
son article 18 ; et des « principes organisationnels » sont arrêtés par ses
articles 19 et suivants.
Si des missions fondamentales sont ainsi confiées à la BCE, leur
financement peut poser des difficultés. Celles-ci tiennent à ce que leur coût
est extrêmement élevé(8), et à ce qu’il est nécessaire que la BCE puisse y
faire face en toute indépendance, et ce notamment vis-à-vis des États qui,
dans l’Union européenne comme ailleurs, détiennent le pouvoir financier
et sont en principe les seuls à pouvoir lever des impôts. Comme le résume
parfaitement le considérant 77 du règlement MSU, « [a]fin de pouvoir
s’acquitter efficacement des missions de surveillance qui lui sont confiées, la
BCE devrait être dotée de ressources suffisantes. Ces ressources devraient
être obtenues d’une manière qui garantisse l’indépendance de la BCE par
rapport à toute influence indue des autorités compétentes nationales et des
participants au marché, et la séparation des missions de politique monétaire
et de surveillance. Les coûts de la surveillance devraient être supportés par
les entités qui y sont soumises. Par conséquent, les missions de surveillance
de la BCE devraient être financées par des redevances annuelles à payer par
les établissements de crédit établis dans les États membres participants ».

6. Les conditions de coopération de la BCE et des autres institutions nationales et euro-


péennes en vue d’exercer la surveillance du secteur bancaire sont détaillées de manière plus
précise par l’article 3, puis par les articles 5 à 8 du règlement MSU.
7. Règlement MSU, article 4, préc.
8. Dans un communiqué de presse de la BCE en date du 29 avril 2015, il est indiqué que pour
la période 2014-2015, ce coût s’élève à 326 millions d’euros.

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À cet effet, les articles 28 et 30 du règlement « MSU » disposent,


respectivement, qu’« [i]l appartient à la BCE de consacrer les ressources
financières et humaines nécessaires à l’accomplissement des missions que
lui confie le présent règlement », et que « [l]a BCE perçoit une redevance
de surveillance annuelle auprès des établissements de crédit établis dans
les États membres participants (…). Cette redevance couvre les dépenses
effectuées par la BCE en liaison avec les missions qui lui sont confiées en
vertu des articles 4 à 6 du présent règlement. Elle n’excède pas les dépenses
liées à ces missions ». Autrement dit, s’il revient à la BCE de supporter les
charges financières inhérentes à la surveillance dont elle est en charge, elle
finance ces charges au moyen d’une redevance qu’elle doit faire peser sur
les établissements surveillés.
Pour l’application de l’article 30 du règlement « MSU », la BCE a alors
adopté, le 22 octobre 2014, le règlement (UE) n° 1163/2014 « sur les redevances
de surveillance prudentielle »(9). Si ce règlement détermine de manière très
précise, dans le respect des principes précédemment mentionnés, le régime
juridique de ces prélèvements, il faut toutefois convenir que nonobstant
l’appellation « redevances », leur nature juridique est de prime abord incertaine.
L’étude des droits fiscaux nationaux et du droit fiscal de l’Union européenne
montre en effet que même s’il n’existe aucune définition harmonisée de
ces notions, il est communément admis qu’existent en Europe différentes
catégories de prélèvements obligatoires, et qu’il convient de les distinguer
dès lors que des régimes juridiques distincts peuvent les régir : il s’agit des
cotisations (ou contributions) sociales(10), des taxes parafiscales, des impôts
ou taxes(11), et des redevances ou rémunérations pour services rendus. S’il
semble intuitivement évident que la redevance de surveillance prudentielle ne
correspond pas aux deux premières catégories (cotisations sociales et taxes
parafiscales), rien n’exclut en revanche qu’elle ne puisse pas être rattachée à
l’une des deux autres (impôt ou redevance pour service rendu).

9. Règlement (UE) n° 1163/2014 de la BCE du 22 octobre 2014 sur les redevances de surveil-
lance prudentielle (BCE/2014/41), JOUE, n° L 311 du 31 octobre 2014, p. 23.
10. Sur la nécessité, au regard du droit de l’Union européenne, de distinguer les prélève-
ments sociaux et fiscaux dès lors que le droit de l’Union n’instaure l’unicité de législation qu’en
matière sociale et ne prohibe pas les doubles impositions, voy. CJCE, ass. plén., 15 février 2000,
Commission c/ France, C-169/98, (1ère esp.) et C-34/98, Commission c/ France (2e esp.), Rec.,
p. I-995 et p. I-1049, Revue de droit fiscal, 2000, n° 11, act. 100091. Puis CJUE, 26 février 2015,
Min. c/ de Ruyter, C-623/13, Revue de droit fiscal, 2015, n° 10, act. 124. Pour une très bonne
synthèse, voy. S. Quilici, « Les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine sont des
cotisations sociales au sens du droit de l’Union européenne », Revue de droit fiscal, 2015, n° 10,
act. 124.
11. Si certains auteurs ont tenté de les distinguer, les termes « impôt », « imposition » et
« taxe » sont interchangeables. Aussi seront-ils employés indistinctement ci-après.

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Ceci signifie-t-il que la redevance de surveillance prudentielle est


nécessairement un impôt ou une véritable redevance pour service rendu ?
Et dans l’affirmative, à laquelle de ces deux catégories juridiques se rattache-
t-elle ?
Il n’est guère évident de répondre à ces questions dans la mesure où,
tout d’abord, la distinction entre un impôt et une redevance pour service
rendu pose des difficultés. En théorie, ces prélèvements sont certes très
différents dès lors que la redevance, qui correspond à la somme dont
doit s’acquitter l’usager d’un service public ou d’un ouvrage public, est
facultative(12), et que son montant est nécessairement proportionné au coût
du service ou à l’avantage qu’en retire l’usager(13), alors qu’à l’inverse, l’impôt
est obligatoire, ne possède aucune contrepartie directe et ne doit donc pas
respecter le principe de proportionnalité, mais le principe d’égalité entre les
contribuables qui se trouvent dans des situations identiques(14) et le principe

12. Ce caractère facultatif résulte de ce que seuls les usagers d’un ouvrage ou d’un service
doivent payer une redevance, et de ce que nul n’est obligé d’être usager. De ce point de vue, les
redevances pour service rendu sont parfois assimilées à des prix.
13. En droit français, voy. CE, ass., 21 novembre 1958, n 30693 et 33969, Syndicat national
des transporteurs aériens, Rec. CE, 1958, p. 572 ; D., 1959, p. 475, conclusions J. Chardeau, note
L. Trotabas ; D., 1959, p. 476 ; AJDA, 1958, p. 471, note R. Drago. Cons. const., déc. n° 69-57 L,
24 octobre 1969 ; déc. n° 76-92 L, 6 juin 1976. Sur l’équivalence financière entre le montant de la
redevance et le coût du service, voy., plus récemment, CE, ass., 16 juillet 2007, Syndicat national
de défense de l’exercice libéral de la médecine à l’hôpital, n° 293229 et n° 293254, Rec. CE, 2007,
p. 349, conclusions C. Devys ; RFDA, 2007, p. 1269, conclusions C. Devys et note P. Terneyre,
p. 1278 ; RJF, 12/2007, n° 1507 ; BDCF, 2007, n° 144, conclusions. C. Devys ; RFDA, 2007, p. 1269,
conclusions C. Devys et note P. Terneyre, p. 1278 ; AJDA, 2007, p. 1807, chron. J. Boucher et
B. Bourgeois-Machureau ; Rev. Lamy coll. terr., 2007, n° 10, comm. n° 28, F. Tenailleau, au sujet
de l’équivalence entre le montant de la redevance et l’avantage obtenu par l’utilisateur. En droit
de l’Union, le recours au critère de la proportionnalité en vue de distinguer les taxes d’effet équi-
valent et les rémunérations pour service rendu est également employé par la Cour de justice :
voy. par exemple CJCE, 1er juillet 1969, Commission c/ Italie, 24/68, Rec., p. 193 ; 10 octobre 1973,
Filli Variola S.p.A. c/ Administration des finances italiennes, 34/73, Rec., p. 981 ; 25 janvier
1977, W.J.G. Bauhuis c/ État Néerlandais, 46/76, Rec., p. 5 ; 12 juillet 1977, Commission c/
Pays Bas, 89/76, Rec., p. 1355 ; 12 janvier 1983, Andreas Matthias Donner c/ État néerlandais,
39/82, Rec., p. 19 ; 17 mai 1983, Commission c/ Belgique, 132/82, Rec., p. 1649 ; 9 novembre 1983,
Commission c/ Danemark, 158/82, Rec., p. 3573 ; 11 juillet 1989, Ford Espana, 170/88, Rec.,
p. 2305 ; 2 mai 1990, Bakker Hillegom, C-111/89, Rec., p. I-1751 ; 21 mars 1991, Commission c/
Italie, C-209/89, Rec., p. 1575.
14. En droit français, cette exigence découle de l’article 6 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : en ce sens, voy. par exemple Cons. const., 6 août 2014,
décision n° 2014-698 DC, Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014.
Cons. const., 6 juin 2014, décision n° 2014-400 QPC, Sté Orange SA (pour une étude d’ensemble,
voy. R. Torlet et M. Valeteau, « La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au principe
d’égalité depuis l’institution de la QPC », Revue de droit fiscal, 2015, n° 13, comm. 231, p. 32).
En droit de l’Union, les discriminations entre les contribuables qui se trouvent dans des situa-
tions identiques sont également prohibées si elles restreignent l’exercice des libertés de circula-
tion : en ce sens, voy. CJCE, 14 février 1995, Finanzamt Köln-Altstadt c/ Roland Schumacker,
C-279/93, Rec., p. I-225, et l’abondante jurisprudence qui en découle (sur cette question, voy.
A. Maitrot de la Motte, Droit fiscal de l’Union européenne, op. cit., nos 106 à 190).

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de prise en compte des capacités contributives des contribuables(15). Mais


pour autant, il faut aussi relever qu’en pratique, ces deux catégories sont très
souvent confondues par les pouvoirs publics, ce qui tient à ce que l’impôt
et la redevance pour service rendu peuvent être alternativement employés,
et à ce que les prélèvements instaurés par les autorités publiques peuvent
parfois mélanger les deux régimes.
Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer les modalités de financement
de la plupart des services publics ou d’intérêt général : pour ce faire, tant
l’impôt que la redevance peuvent en effet être employés, et ce aussi bien
alternativement que cumulativement(16). Tel est le cas, par exemple, des
transports publics qui sont souvent financés par les usagers (titres de
transport délivrés en contrepartie de redevances) et le contribuable (via les
subventions reçues des collectivités publiques, lesquelles sont financées par
l’impôt). De manière très significative, tel est également le cas, en France, du
financement de l’enlèvement des ordures ménagères qui résulte d’une taxe à
laquelle les collectivités locales peuvent substituer des redevances(17). Et il
ne faut alors point se fier aux dénominations des prélèvements obligatoires
ainsi instaurés, comme le montre l’exemple français de la « redevance
audiovisuelle » que le Conseil constitutionnel avait qualifiée de taxe

15. En droit français, cette exigence découle de l’article 13 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : en ce sens, voy. par exemple Cons. const., 30 décembre
1981, décision n° 81-133 DC, Loi de finances pour 1982 ; 29 décembre 1998, décision n° 98-405 DC,
Loi de finances pour 1999 ; 28 décembre 2000, décision n° 2000-442 DC, Loi de finances pour
2001.
16. Sur cette question, voy. M. Lecerf et G. Blanc, « Le financement des services publics :
impôts ou redevances ? », Revue de droit fiscal, 1998, n° 39, 100325.
17. En droit français, le service public de l’enlèvement des ordures ménagères, qui est assuré
par les collectivités locales, est en principe financé par le budget de ces collectivités, lequel est
alimenté par une taxe : il s’agit de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, qui est calculée
sur la base de celle nécessaire aux taxes foncières sur les propriétés bâties. La nature de taxe
exclut alors toute proportionnalité entre le coût de ce service et le montant mis à la charge des
contribuables. Par exception, les collectivités locales peuvent, depuis l’adoption de l’article 14,
II de la loi n° 74-1129 du 30 décembre 1974 de finances pour 1975, substituer une redevance
pour service rendu à cette taxe : « 1. Les communes, leurs groupements ou les établissements
publics locaux qui assurent l’enlèvement des ordures, déchets et résidus peuvent instituer une
redevance calculée en fonction de l’importance du service rendu. 2. La redevance est instituée
par l’assemblée délibérante de la collectivité locale ou de l’établissement public local qui en fixe
le tarif. Elle est recouvrée par cette collectivité, ce groupement ou cet établissement ou, par délé-
gation de l’assemblée délibérante, par le concessionnaire du service ». Ainsi que le mentionne
expressément la loi de finances pour 1975, le montant exigé doit alors être proportionné au coût
du service rendu. La taxe et la redevance sont ainsi alternatives, et obéissent à des régimes juri-
diques distincts : la taxe est obligatoire et non proportionnelle, alors que la redevance ne touche
que ceux qui bénéficient du service et est proportionnelle au coût de ce service (CE, sect., avis,
10 avril 1992, n° 132539, SARL Hofmiller, Rec. CE, 1992, p. 159 ; Dr. fisc., 1992, n° 30, comm. 1537,
concl. J. Arrighi de Casanova ; RJF, 1992, n° 844 ; AJDA, 1992, p. 688, note X. Prétot ; CJEG,
1992, p. 480, note J.-F. Lachaume).

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parafiscale(18), avant sa transformation en impôt par l’article 37 de la loi de


finances pour 2004(19).
À l’instar de la « redevance de surveillance prudentielle », la qualification
juridique d’un prélèvement obligatoire peut ainsi donner lieu à d’importantes
difficultés. Pour les résoudre, les juridictions françaises emploient une
méthode qu’il est possible de transposer en vue de qualifier ce prélèvement
particulier, et dont il ressort que l’impôt est la catégorie résiduelle : dès lors
que, contrairement aux autres prélèvements, l’impôt se définit négativement
et ne repose pas sur des critères positifs, tout prélèvement obligatoire qui,
positivement, n’est ni une cotisation sociale, ni une taxe parafiscale, ni une
rémunération pour service rendu est, par défaut, un impôt(20).
L’application de ce raisonnement au cas particulier de la « redevance de
surveillance prudentielle » implique, alors, de se demander successivement,
s’il s’agit d’une véritable redevance (Section 1), puis, dans la négative, s’il ne
s’agit pas d’un impôt (Section 2), et enfin, dans l’hypothèse dans laquelle il
ne s’agirait ni d’une redevance ni d’un impôt, si une autre qualification ne
doit pas être retenue (Section 3).

Section 1. – Une véritable redevance ?

Plusieurs indices permettent de considérer que la « redevance de


surveillance prudentielle » est une véritable redevance (A). Toutefois, l’examen
de certains critères conduit finalement à rejeter cette qualification (B).

A. L’apparence d’une redevance

Outre la dénomination retenue, quatre indices donnent à la « redevance


de surveillance prudentielle » l’apparence d’une véritable redevance.

18. Voy. Cons. const., 11 août 1960, décision n° 60-8 DC, Redevance radio-télévision, S.,
1960, 277, note R. Bourdoncle ; D., 1961, 471, note L. Hamon ; voy. aussi L. Trotabas, « La taxe
radiophonique : taxe, redevance ou parafiscalité ? », Rev. sc. fin., 1961, p. 5 ; M. Waline, RDP,
1960, p. 1020 ; voy. encore J.-M. Auby et R. Ducos-Ader, Droit de l’information, 2e éd., Paris,
Dalloz, 1982, pp. 377 et s. ; J. Chevallier, La Radio-Télévision française entre deux réformes,
Paris, LGDJ, 1976, pp. 224-233 ; C. Gour, J. Molinier et G. Tournié, Droit fiscal. Les grandes
décisions de la jurisprudence, coll. Thémis, Paris, PUF, 1977, pp. 24-30.
19. Sur cette question, voy. A. Maitrot de la Motte, « La réforme de la redevance audiovi-
suelle : on ne peut pas plaire à tout de monde », Revue de droit fiscal, 2004, n° 22-23, pp. 940-950.
20. Cons. const., 28 juin 1982, décision n° 82-124 L, Dr. fisc., 1982, n° 27, comm. n° 1465 ; RDP,
1983, p. 348, note L. Favoreu. CE, ass., 20 décembre 1985, SA Établissements Outters, Rec. CE,
p. 382 ; RFDA, 1986, p. 513, conclusions Ph. Martin ; Dr. fisc., 1986, n° 23, comm. n° 1128 ;
D., 1986, jur. p. 283, note L. Favoreu.

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Il faut ainsi relever, en premier lieu, que l’article 3 du règlement du


22 octobre 2014 prévoit que « la BCE prélève une redevance de surveillance
prudentielle annuelle auprès de chaque entité soumise à la surveillance
prudentielle et chaque groupe soumis à la surveillance prudentielle pour
chaque période de redevance ». Au regard de cette disposition, la redevance
de surveillance semble ainsi être la contrepartie de la surveillance exercée par
la BCE sur les établissements de crédit concernés, c’est-à-dire la contrepartie
d’un service qu’elle leur rend. Au-delà de l’intérêt général auquel correspond
la stabilité du système bancaire européen, cette surveillance contribue en
effet aux intérêts particuliers des entités surveillées, auxquelles elle procure
des avantages dès lors qu’elle leur permet d’être évaluées et qu’elle garantit
leur crédibilité. Parce que le mécanisme européen de surveillance est fiable
et efficace (ou, plus précisément, parce que les investisseurs considèrent
qu’il l’est), les établissements européens sont par ailleurs mieux notés, ce
dont ils tirent d’importants avantages.
Ces considérations ne sont sans doute pas étrangères au fait que les
débiteurs de la redevance sont les établissements qui font l’objet d’une
surveillance(21). Implicitement mais nécessairement, le règlement du
22 octobre 2014 les considère comme les bénéficiaires d’un service rendu,
en contrepartie duquel une redevance est exigible.
L’idée d’une contrepartie directe entre le service rendu et le paiement
d’une redevance (qui milite en faveur du classement de la « redevance
de surveillance prudentielle » dans la catégorie des redevances ou
rémunérations pour service rendu) est ensuite renforcée par le fait que
la redevance étudiée permet seulement à la BCE de faire supporter ses
coûts aux établissements de crédit(22). Selon une logique inhérente aux
rémunérations pour services rendus, la BCE ne peut, globalement, pas
prélever plus que les coûts globaux qu’elle supporte : elle peut couvrir tous
ses coûts, mais rien que ses coûts.
Enfin, il est intéressant de constater que les articles 7 à 10 du règlement
du 22 octobre 2014, qui sont relatifs à l’assiette de la « redevance de
surveillance prudentielle », opèrent des distinctions entre les établissements
contrôlés et créent des catégories(23). Le montant de la redevance varie

21. Règlement (UE) n° 1163/2014, article 4, préc.


22. Voy. notamment les articles 5, 6 et 9 du règlement (UE) n° 1163/2014, préc.
23. Voy. aussi la décision (UE) 2015/530 de la BCE du 11 février 2015 relative à la méthodo-
logie et aux procédures applicables pour la détermination et la collecte des données relatives
aux facteurs de redevance pour calculer les redevances annuelles de surveillance prudentielle,
JOUE, n° L 84 du 28 mars 2015, p. 67.

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alors selon la catégorie à laquelle appartient chaque établissement(24), ce


qui pourrait de prime abord faire croire que le principe de proportionnalité
(proportionnalité du montant de la redevance et du coût du service rendu)
est respecté. Mais ne s’agit-il pas que d’une apparence ?

B. Les caractéristiques manquantes

Une réponse positive s’impose dès lors que nonobstant les quatre indices
qui viennent d’être présentés, les deux critères essentiels qui permettraient
de considérer que la « redevance de surveillance prudentielle » serait une
véritable redevance pour service rendu ne sont pas remplis. Correspondant
à la somme dont doit s’acquitter l’usager d’un service public ou d’un
ouvrage public, une redevance ou rémunération pour service rendu possède
en effet nécessairement deux caractéristiques : elle est facultative dès lors
que seul l’usager paye et que nul n’est obligé d’être usager ; et son montant
est nécessairement proportionné au coût du service ou à l’avantage qu’en
retire l’usager(25). Or aucun de ces deux critères essentiels n’est rempli par
la « redevance de surveillance prudentielle ».
D’une part, la « redevance de surveillance prudentielle » n’est pas
facultative, mais obligatoire. Ceci tient à ce que les établissements de crédit
visés par le règlement « MSU » n’ont pas le choix d’être ou de ne pas être
surveillés, mais le sont obligatoirement. Consécutivement, le règlement du
22 octobre 2014 prévoit qu’ils doivent payer la redevance de surveillance,
dont ils sont « avisés »(26).
Et d’autre part, le montant de la redevance n’est pas proportionné au
coût du service ou aux avantages dont bénéficient les débiteurs. Plus avant,
ce montant ne tient guère compte de ces paramètres, dont il est totalement
déconnecté. Prévu par les articles 7 à 10 du règlement du 22 octobre 2014
qui sont complétés par une décision de la BCE en date du 11 février 2015(27),
le mode de calcul de la redevance montre que le montant de celle-ci n’est

24. Il en résulte que si les redevances de surveillance prudentielle de la BCE perçues auprès
des banques pour 2014-2015 s’élèveront à 326 millions d’euros, les 123 banques « importantes »
acquitteront 89 % de la somme totale, contre 11 % pour les 3 500 banques « moins importantes ».
Sur cette question, voy. le communiqué de presse de la BCE en date du 29 avril 2015.
25. Voy. supra, note n° 13.
26. Règlement (UE) n° 1163/2014, préc., articles 12 et 13.
27. Décision (UE) 2015/530 de la BCE du 11 février 2015 relative à la méthodologie et aux
procédures applicables pour la détermination et la collecte des données relatives aux facteurs
de redevance pour calculer les redevances annuelles de surveillance prudentielle, JOUE, n° L 84
du 28 mars 2015, p. 67.

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pas arrêté individuellement en fonction de ces critères, mais qu’il repose sur
d’autres paramètres.
En fin de compte, il ressort de l’étude du régime de la « redevance
de surveillance prudentielle » que son montant est sans rapport avec le
service rendu par la BCE aux opérateurs qui doivent s’en acquitter, et que
cette dernière ne fait que répercuter sur la masse des opérateurs les coûts
globaux qu’elle a exposés.
La « redevance de surveillance prudentielle » serait-elle dès lors un
impôt de répartition, par opposition à un impôt de quotité ?(28) Plus avant,
un impôt européen n’aurait-il pas été incidemment créé ?

Section 2. – Un impôt européen ?

La redevance de surveillance prudentielle peut, dans une certaine


mesure, être assimilée à un impôt (A). Ceci étant, elle ne remplit pas toutes
les caractéristiques essentielles de l’impôt (B).

A. L’apparence d’un impôt

L’appréhension tant négative que positive du concept d’impôt n’exclut


pas que cette qualification soit accordée à la « redevance de surveillance
prudentielle ».
Négativement, il faut se souvenir que l’impôt est la catégorie résiduelle,
au sein de laquelle se trouvent tous les prélèvements obligatoires qui
ne ressortissent pas d’une autre catégorie(29). Par suite, dès lors que la
« redevance de surveillance prudentielle » n’est ni une taxe parafiscale, ni
une contribution sociale, ni une rémunération pour service rendu, il serait
possible d’affirmer qu’il s’agit d’une imposition.

28. L’impôt de répartition est celui dont le produit total attendu est fixé à l’avance, avant
d’être réparti entre les contribuables. Autrement dit, la somme totale que l’État entend recevoir
est déterminée en premier lieu, et le taux d’imposition ne se dégage qu’après que la répartition
a été effectuée. Utilisée sous la Révolution Française, la technique de l’impôt de répartition a
surtout concerné l’ancienne contribution mobilière locale. Dans le cas d’un impôt de quotité,
il est procédé dans l’ordre inverse : la loi détermine d’abord une matière imposable et un taux
d’imposition, si bien que le rendement de l’impôt n’est connu qu’à l’issue des opérations de
recouvrement. Cette dernière technique est désormais en vigueur dans tous les systèmes fiscaux
modernes, dont elle constitue le procédé de droit commun.
29. Voy. supra.

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Positivement, la « redevance de surveillance prudentielle » remplit


ensuite les critères de l’impôt tel qu’ils sont identifiés par la doctrine. Il
ressort en effet de la définition classique de l’impôt (qui est communément
attribuée à Gaston Jèze, et qui émane en réalité du Doyen Vedel(30)) que
ce dernier est « une prestation pécuniaire requise des particuliers par voie
d’autorité, à titre définitif, et sans contrepartie, en vue de la couverture
des charges publiques »(31). En confrontant la « redevance de surveillance
prudentielle » aux six critères cumulatifs qui caractérisent ainsi un impôt, il
est alors possible de retenir cette qualification à son endroit.
Le premier critère, qui tient à ce que l’impôt est un « prélèvement
pécuniaire », est assurément rempli dès lors que, conformément aux
articles 7 à 10 du règlement du 22 octobre 2014 et à la décision de la BCE du
11 février 2015 qui le complète, la « redevance de surveillance prudentielle »
donne lieu à un paiement en numéraire.
Il en va de même en ce qui concerne le deuxième critère de l’impôt,
qui tient à ce qu’il est « requis des particuliers » (au sens large, c’est-à-dire
au sens des personnes physiques et des entreprises). La « redevance de
surveillance prudentielle » est en effet due par des débiteurs(32), ou plutôt
par des contribuables à l’encontre desquels s’exerce une compétence
fiscale. Le TFUE, le règlement « MSU » et le règlement du 22 octobre 2014
fondent légalement cette compétence.
En troisième lieu, la « redevance de surveillance prudentielle » est
perçue « par voie d’autorité ». Cette redevance possède en effet un caractère
obligatoire, ce qui se traduit par le fait qu’en cas de retard ou de refus de
paiements, des intérêts(33) ou des sanctions(34) pèsent sur ses redevables.

30. O. Négrin, « Une légende fiscale : la définition de l’impôt de Gaston Jèze », RDP, 2008,
n° 1, p. 139.
31. G. Vedel, Cours de législation financière 1952-1953, Paris, Les Cours de droit, 1953,
p. 326.
32. Le terme « débiteur » est d’ailleurs utilisé à plusieurs reprises par le règlement du
22 octobre 2014.
33. Règlement (UE) n° 1163/2014, article 14, préc. : « Sans préjudice de tout autre recours à
la disposition de la BCE, en cas de paiement partiel, de défaut de paiement ou de non-respect des
conditions de paiement précisées dans l’avis de redevance, des intérêts courent quotidiennement
sur le solde de la redevance de surveillance prudentielle annuelle à un taux d’intérêt correspon-
dant au taux de refinancement principal de la BCE plus huit points de pourcentage à compter de
la date à laquelle le paiement était dû ».
34. Règlement (UE) n° 1163/2014, article 15, préc. : « En cas de violation du présent
règlement, la BCE peut imposer des sanctions aux entités soumises à la surveillance confor-
mément au règlement (CE) n° 2532/98 du Conseil complété par le règlement (UE) n° 468/2014
(BCE/2014/17) ».

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Le fait que la « redevance de surveillance prudentielle » soit perçue à


titre définitif ne pose pour sa part aucune difficulté majeure, de sorte que ce
quatrième critère n’a pas vocation à être étudié plus avant.
Et si elle est destinée à couvrir les coûts du contrôle prudentiel que doit
effectuer la BCE, la « redevance de surveillance prudentielle » ne possède
toutefois aucune « contrepartie directe ». Il faut en effet se souvenir que
le montant de la redevance qui est mise à la charge d’un opérateur est
sans rapport avec l’avantage qu’il en retire. Le fait que les contreparties du
paiement de la redevance ne soient pas directes explique précisément que
ce prélèvement n’est pas une redevance pour service rendu stricto sensu, et
conduit à envisager la qualification d’imposition.
Enfin, il semble que la « redevance de surveillance prudentielle » soit
destinée à « couvrir les charges publiques ». Exercés dans l’intérêt général
par une autorité publique, les contrôles prudentiels que la BCE effectue
possèdent un coût que la « redevance de surveillance prudentielle » est
destinée à couvrir : ceci justifie la qualification d’impôt de répartition, par
opposition à l’impôt de quotité.

B. Les caractéristiques manquantes

Une analyse détaillée du régime de la « redevance de surveillance


prudentielle » montre, toutefois, que même si elle remplit les six critères
classiques de l’impôt, plusieurs caractéristiques essentielles de ce type de
prélèvement lui manquent. Il s’agit de celles qui concernent le recouvrement.
Sans que cet élément ne soit décisif à lui seul, il est intéressant de
relever, en premier lieu, que la partie V du règlement du 22 octobre 2014, qui
est relative au recouvrement de la redevance de surveillance, est intitulée
« facturation ». En principe, un tel terme n’est pourtant jamais employé au
sujet des impôts ; et il s’applique plutôt aux relations commerciales.
De manière plus fondamentale, il faut ensuite relever qu’il n’est
pas possible de procéder au recouvrement forcé de la redevance de
surveillance dans l’hypothèse dans laquelle ses débiteurs ne s’en acquittent
pas spontanément(35). Certes, l’article 15 du règlement du 22 octobre 2014,
qui est intitulé « sanctions », dispose qu’« [e]n cas de violation du présent
règlement, la BCE peut imposer des sanctions aux entités soumises à la

35. Ce paiement a lieu au plus tard 35 jours après la réception de l’avis : voy. règlement (UE)
n° 1163/2014, article 12, paragraphe 3, préc.

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surveillance conformément au règlement (CE) n° 2532/98 du Conseil


complété par le règlement (UE) n° 468/2014 (BCE/2014/17) ». Mais dès lors
que ces sanctions sont seulement des sanctions pécuniaires, la question de
l’efficacité du recouvrement est posée. Et surtout, il apparaît que la BCE ne
dispose pas de prérogatives de puissance publique similaires à celles dont
disposent toutes les administrations fiscales.
Ces lacunes sont d’autant plus importantes que la « redevance de
surveillance prudentielle » n’entre pas dans le champ des textes fiscaux
européens qui organisent l’assistance au recouvrement des créances
fiscales(36). Il est vrai que ces dispositions de droit dérivé sont antérieures
à la création de la redevance de surveillance. Mais ceci étant, aucune
proposition de révision de ces dispositions de droit dérivé destinée à y
intégrer la redevance de surveillance n’a été présentée depuis lors. Et surtout,
ni le règlement « MSU », ni le règlement du 22 octobre 2014, ne comportent
la moindre disposition permettant aux administrations fiscales nationales
de coopérer avec la BCE et d’opérer pour son compte le recouvrement de la
redevance ou d’adopter des mesures préparatoires(37).
À l’opposé, et enfin, il apparaît qu’au regard des standards européens,
les procédures de contestation de la redevance de surveillance ne
garantissent pas les droits essentiels qui sont habituellement reconnus à des
« contribuables ». Ceci peut être lié au fait que le terme « contribuable » est
en réalité inadéquat, faute que la qualification d’impôt soit pertinente. Dès
lors, il est nécessaire de se demander s’il ne faut pas qualifier la « redevance
de surveillance prudentielle » autrement que comme une redevance ou une
imposition.

Section 3. – Vers une autre qualification ?

Si la « redevance de surveillance prudentielle » devrait être qualifiée


autrement que comme une redevance stricto sensu ou une imposition, deux

36. Voy. directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l’assistance mutuelle
en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures,
JOUE, n° L 84 du 31 mars 2010, p. 1. Règlement d’exécution (UE) n° 1189/2011 de la Commis-
sion du 18 novembre 2011 « fixant les modalités d’application relatives à certaines dispositions
de la directive 2010/24/UE du Conseil concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvre-
ment des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures », JOUE, n° L 302 du
19 novembre 2011, p. 16.
37. Certes, le paragraphe 2 de l’article 11 du règlement du 22 octobre 2014 dispose que « Les
autorités compétentes nationales prêtent assistance à la BCE en prélevant les redevances si la
BCE le demande ». Mais il ne saurait être affirmé qu’une telle disposition organise une coopéra-
tion de nature fiscale.

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qualifications alternatives pourraient être envisagées. Il pourrait ainsi s’agir


soit d’une contribution sui generis (A), soit d’une contribution volontaire
obligatoire (B).

A. Une contribution sui generis ?

Plusieurs arguments militent en faveur de la reconnaissance du caractère


sui generis de la « redevance de surveillance prudentielle ». Le premier est
un argument de logique, et tient à ce que toute institution est qualifiée de
sui generis lorsqu’aucune qualification traditionnelle n’est pertinente à son
égard. Il en va ainsi, notamment, lorsque le recours à la catégorie résiduelle
(en l’occurrence la catégorie des impôts) ne fonctionne pas.
Un argument de contexte peut ensuite être invoqué au soutien de ce
raisonnement. Il tient à la difficulté traditionnellement rencontrée lorsqu’il
s’agit de qualifier juridiquement les banques centrales ou les opérations
qu’elles réalisent, et au fait que ces difficultés sont souvent résolues
en reconnaissant un caractère sui generis à ces institutions ou à leurs
opérations. En ce sens, le Conseil d’État français a par exemple jugé que
la Banque de France est une personne publique sui generis(38) aux motifs
« qu’aux termes de l’article 6 de la loi du 4 août 1993 : “La Banque de France
est une institution dont le capital appartient à l’État” ; qu’elle constitue une
personne publique chargée par la loi de missions de service public qui,
ayant principalement pour objet la mise en œuvre de la politique monétaire,
le bon fonctionnement des systèmes de compensation et de paiement et la
stabilité du système bancaire, sont pour l’essentiel de nature administrative ;
qu’elle n’a pas le caractère d’un établissement public mais revêt une nature
particulière et présente des caractéristiques propres »(39).
Sans doute des motifs similaires permettraient-ils de reconnaître un
caractère sui generis à la « redevance de surveillance prudentielle ». Pour
reprendre les termes mêmes du Conseil d’État français, la BCE est en effet
chargée, dans le cadre du « MSU », d’une « mission de service public » ou,
à tout le moins, d’une mission d’intérêt général qui a « principalement pour

38. CE, 22 mars 2000, Syndicat national autonome personnel Banque de France c/ Banque
de France, AJDA, 2000, p. 466 ; AJDA, 2000, p. 410, M. Guyomard et M. Collin ; Dr. adm., 2000,
comm. 88 ; CE, 2 octobre 2002, Banque de France et a., AJDA, 2002, p. 1345 ; RTD com., 2003,
p. 282, G. Orsoni ; AJFP, n° 2, 2003, p. 7, M. Lenica ; AJDA, 2002, p. 1345, J.-P. Markus ; RFDA,
2002, p. 1175, P. Terneyre ; CE, 21 février 2003, Fédération CFDT syndicat banques et sociétés
financières, Dr. adm., 2003, comm. 85, G.L.C.
39. CE, 22 mars 2000, Syndicat national autonome personnel Banque de France c/ Banque
de France, préc.

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objet la mise en œuvre de la politique monétaire, le bon fonctionnement


des systèmes de compensation et de paiement et la stabilité du système
bancaire ».
Mais pour autant, une telle démarche ne serait pas satisfaisante. Outre la
révélation d’une certaine paresse intellectuelle, elle créerait des incertitudes
juridiques relatives, par exemple, à la TVA, au régime contentieux de
la « redevance de surveillance prudentielle », ou encore en matière de
responsabilité de la BCE.
Une première incertitude concernerait ainsi la TVA : si la « redevance de
surveillance prudentielle » devait être qualifiée de prélèvement sui generis,
les établissements de crédit qui s’en acquittent devraient-ils considérer que
le montant qui leur est « facturé »(40) par la BCE inclut la TVA, de sorte
qu’ils pourraient la déduire ? Et corrélativement, la BCE ne devrait-elle pas
reverser la TVA ainsi collectée à une autorité publique qu’il lui reviendrait
d’identifier ?
De même, une telle qualification (ou plutôt, une telle absence de
qualification) poserait des difficultés quant aux règles contentieuses
applicables. Dès lors que ces dernières ne sont pas précisées par le règlement
du 22 octobre 2014, quel standard faudrait-il respecter si la « redevance de
surveillance prudentielle » était qualifiée de prélèvement sui generis ? Ne
serait-il pas gênant, faute de qualification positive, de ne pas connaître les
principes procéduraux généraux permettant de protéger si nécessaire les
redevables de cette redevance ?
Et enfin, quel régime de responsabilité trouverait à s’appliquer dans
l’hypothèse dans laquelle la BCE faillirait dans sa mission de contrôle ?
Dès lors que les établissements de crédit concernés se seraient acquittés du
paiement de la redevance de surveillance, pourraient-ils considérer que la
BCE possède des obligations à leur encontre ? Et de quelle nature ?
Il est ainsi inadéquat de qualifier la « redevance de surveillance
prudentielle » de prélèvement sui generis ; et il est très certainement
opportun et nécessaire de la qualifier positivement. Nonobstant le silence
du règlement du 22 octobre 2014, les incertitudes susmentionnées ne
pèseraient en effet point sur les opérateurs économiques s’il était possible
de qualifier positivement la « redevance de surveillance prudentielle ». Mais
dès lors que les qualifications de redevance pour service rendu et d’impôt ne

40. La partie V du règlement du 22 octobre 2014 est intitulée « Facturation ».

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peuvent pas être retenues, toute démarche en ce sens n’est-elle pas vouée
à l’échec ?

B. Une contribution volontaire obligatoire ?

Dans le cadre d’une démarche volontariste, la moins mauvaise qualification


pouvant être donnée à la « redevance de surveillance prudentielle » est,
sans doute, celle de « contribution volontaire obligatoire ». Extrêmement
ambiguë, cette notion désigne des contributions que des producteurs doivent
verser à leurs syndicats ou à des organisations de marché en contrepartie
des missions dont ils s’acquittent dans l’intérêt collectif des contributeurs.
Connue par la Cour de justice dans différents domaines dont par exemple
le droit des aides d’État, cette qualification présente deux intérêts majeurs :
celui, d’une part, de mettre le régime de la « redevance de surveillance
prudentielle », qui est prévu par le règlement (UE) n° 1163/2014 de la BCE,
en adéquation avec sa nature juridique ; et celui, d’autre part, de pouvoir se
référer à la nature juridique de la « redevance de surveillance prudentielle »
pour déterminer son régime juridique lorsque le règlement du 22 octobre 2014
ne prévoit rien, qu’il s’agisse du régime applicable en matière de TVA, des
droits des contributeurs ou des conditions d’engagement de la responsabilité
de la BCE.
Permettant ainsi une parfaite adéquation entre sa nature et son régime,
une telle qualification reste certes porteuse d’une contradiction apparente,
en ce sens qu’il est difficile de concevoir qu’une contribution puisse être
à la fois volontaire et obligatoire. Mais en retour, elle permet de doter la
« redevance de surveillance prudentielle » d’un régime juridique cohérent,
tant au regard du long texte du règlement du 22 octobre 2014 que de ces
silences.

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