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En tant que président de la Commission des toxiques en agriculture, je souhaite remercier le Sénat
pour avoir bien voulu nous accueillir. Je tiens également à remercier le professeur Marc Fellous
pour m’avoir proposé d’organiser ces deux journées avec lui. J’ai accepté ce séminaire commun
avec enthousiasme, puisqu’il nous donnait l’occasion de confronter nos méthodes d’évaluation : je
crois en effet que nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres au cours de cette réunion.
Nous allons nous pencher tout d’abord sur l’évaluation des risques des pesticides pour l’homme. Je
n’aborderai pas ici les risques pour l’environnement, car nous avons décidé de nous limiter aux
risques pour l’homme dans le cadre de cette réunion. L’environnement constitue en revanche une
dimension grandissante du travail de la Commission des toxiques. Il n’est que de lire les journaux
pour mesurer les problèmes que sont supposés poser certains pesticides. Cette évaluation s’inscrit
dans un cadre réglementaire régi par la directive 91/414CEE. Il s’agit d’un cadre assez rigide,
relativement ancien et qui a été, en juillet 2002, l’objet d’une première révision. L’Europe doit
proposer de nouvelles orientations.
Métabolisme et toxico-cinétique
Pour évaluer les risques sur l’homme, on va d’abord s’intéresser à des études de pharmaco-toxico-
cinétique chez l’animal. On étudiera alors l’absorption d’un produit : s’il est peu absorbé, on va
pouvoir mesurer l’absorption systémique réelle pour ensuite la corriger à partir des paramètres
d’absorption. On s’attachera également à la distribution du produit : si un produit s’accumule dans
un organe, il est possible et souvent probable que cet organe soit un organe cible. Celui-ci sera alors
plus spécifiquement étudié que pour un autre produit. On s’intéressera par ailleurs au métabolisme,
soit à la formation des métabolites, qui peuvent être des métabolites toxiques. On comparera le
métabolisme chez le mammifère et dans la plante, les deux étant parfois, et même souvent
différents. En cas de différence, des études complémentaires seront nécessaires. On évaluera enfin
l’élimination et a contrario l’accumulation dans l’organisme – qui constitue un facteur de risque
toxicologique.
La toxicité aiguë
Tout d’abord, on évalue la toxicité aiguë, soit le risque que présente une matière lorsqu’elle est
absorbée en quantité massive et en une seule fois. Le plus souvent, les études s’effectuent sur le rat,
bien que l’on puisse s’appuyer sur d’autres espèces. Sont consignés les doses létales et les
symptômes en termes d’intensité et de durée. Ces mêmes critères sont évalués par voie cutanée,
puisque les agriculteurs peuvent être exposés par ce biais : on applique alors le produit sur la peau
des rats ou des lapins sous des patchs occlusifs qui miment la macération que l’on obtient chez
l’agriculteur en contact avec le pesticide. On fait les mêmes études sur le plan des voies
respiratoires, puisqu’il peut y avoir inhalation au cours des applications. Les doses létales et les
symptômes sont donc là encore déterminés. À l’issue de cette première étape, on peut déjà classer
les produits et leur accoler si nécessaire des phrases de risque telles que « R22 : risque toxique par
ingestion ».
La tolérance locale
Une seconde étape concerne la tolérance locale, puisque ces produits peuvent être appliqués au
niveau de la peau ou des muqueuses. On détermine alors des tolérances oculaires chez le lapin,
grâce au test de Draize. Au niveau de la peau, c’est également le lapin qui nous sert de modèle. En
ce qui concerne l’allergie cutanée, on recherche la capacité pour un produit d’induire des réactions
d’hypersensibilité de type IV – c’est-à-dire d’hypersensibilité retardée. Sont utilisés les tests de
Paris, les 27 et 28 septembre 2002 2
Évaluation du risque toxicologique des OGM Commission du génie biomoléculaire
Magnusson et Kligman ou celui de Bulher, et plus récemment le Local Lymph Node Assay qui se
réalise chez la souris, et qui envisage la réaction au niveau du ganglion proximal du site
d’application. On peut, en fonction des réponses, classer ou non le produit comme étant « R43 :
risque d’allergie de contact ».
Par la suite, on mènera des études pour définir le potentiel mutagène et ainsi déterminer un risque
cancérogène génotoxique. Il existe en effet deux types principaux de substances cancérogènes : les
cancérogènes « génotoxiques », qui exercent leurs effets par des mutations, et des cancérogènes dits
« épigénétiques », qui complètent l’effet des cancérogènes génotoxiques. Ces derniers, parce qu’il
n’est pas possible de mettre en évidence de seuil, ne sont pas acceptables. On procède donc à une
série de tests sur des bactéries et sur des eucaryotes, par exemple sur des cultures de cellules, de
manière à faire apparaître les anomalies chromosomiques ou l’induction de mutations géniques. On
complète ces études par des tests in vivo, au cours desquels on recherche chez l’animal la présence
de cassures de chromosomes au niveau de la moelle ou, plus précisément, la conséquence de ces
cassures dans le test du micronucleus. Le test dit de « synthèse non programmée d’ADN », qui se
réalise généralement sur les hépatocytes de rat, permettra d’identifier des lésions primaires de
l’ADN. De la sorte, c’est l’ensemble des événements de mutation induits par un produit qui sont
mis en évidence.
On s’intéresse par la suite à la toxicité vis-à-vis des fonctions de reproduction : pour cela, on réalise
tout d’abord des études de tératogénèse, qui évaluent le risque pour l’embryon et le foetus. Deux
espèces – le rat et le lapin – sont utilisées à cet effet. Les études sont réalisées par addition du
produit dans la nourriture ou plus souvent par gavage, et le traitement a lieu pendant toute la
période d’organogenèse, c’est-à-dire pendant le temps de différenciation et de maturation des
organes. Au terme de cette période, les animaux sont sacrifiés et les petits prélevés par césarienne.
On s’intéresse alors à la survie des petits, à leur poids, à leur sex ratio pour voir si les produits sont
susceptibles de perturber la différenciation sexuelle. On se penche aussi sur la malformation des
tissus mous, du squelette et des cartilages, par des techniques particulières que nous utilisons
Autres études
Les autres études que nous réalisons sont des études de neurotoxicité, des études complémentaires
sur l’évaluation de la toxicité des métabolites lorsqu’ils ont été insuffisamment étudiés chez le
mammifère, mais aussi les métabolites des plantes, ainsi que ceux retrouvés dans le sol et qui
n’existeraient pas chez les mammifères, enfin des produits de dégradations, des impuretés qui
doivent être également évalués. On se penche alors sur les mécanismes d’action toxique, en
particulier pour savoir si ces effets toxiques sont transposables de l’animal à l’homme.
À partir de toutes ces données, ils sera possible là aussi d’opérer un étiquetage selon les propriétés
toxicologiques pour l’homme. On pourra, par exemple, proposer un étiquetage « R62 : risque
possible d’altération de la fertilité ».
Par la suite, on détermine une dose journalière admissible (DJA), qui correspond à la dose pouvant
être ingérée quotidiennement, pendant toute la vie, sans effet dangereux pour la santé. Pour cela, on
prend la dose sans effet dans les études à long terme et les études de reproduction – il s’agit de la
dose la plus basse dans l’espèce la plus sensible – qui est divisée par un facteur de sécurité qui n’est
jamais inférieur à 100.
Je ne vous parle pas ici des résidus dans les aliments, puisque Bernard Declercq s’y consacrera. Je
souhaite en revanche ouvrir une parenthèse environnementale. L’homme, en effet, peut être exposé
à travers l’environnement. Nous devons donc déterminer le devenir de la substance dans les sols,
identifier les métabolites de la substance pour savoir quels sont ceux à contrôler dans
l’environnement, caractériser la persistance des produits et des métabolites, envisager les risques
d’accumulation et les risques pour les cultures suivantes – puisque si l’on cultive un sol qui
contient déjà le produit, celui-ci risque de migrer dans la plante. Nous devons également évaluer le
risque de dispersion dans l’eau et le sol, de façon à pouvoir calculer des concentrations prévisibles
dans les sols (PEC) permettant de mesurer tant les risques écotoxicologiques que les risques pour
l’homme. En ce qui concerne l’air, on mesurera de même la volatilité et la dégradation et l’on
calculera des concentrations prévisibles dans l’air afin d’évaluer les risques par voie aérienne des
produits appliqués sur les cultures.
On procède par la suite à une évaluation des risques, en utilisant des modèles validés (un modèle
britannique et son concurrent allemand) afin d’évaluer les expositions humaines calculées dans les
conditions normales d’utilisation des produits. Cette évaluation concerne les applicateurs et les
travailleurs, c’est-à-dire ceux qui sont susceptibles d’entrer dans les champs après l’application du
produit. On obtiendra ainsi un niveau prévisible d’exposition, qui doit bien sûr être inférieur à
l’indice de toxicité AOEL que nous avions calculé précédemment. Si ce niveau d’exposition est
supérieur, on emploiera à nouveau ce modèle, en envisageant l’utilisation par l’agriculteur de
moyens de protection et, si ceux-ci ne sont pas suffisants, des études seront poursuivies par des
essais d’exposition dans des conditions réelles aux champs, ce qui se conclue par des exigences
quant au port de protections individuelles si cela s’avère nécessaire, voire même par l’absence
d’octroi d’autorisation.
La même démarche sera entreprise afin d’évaluer le risque des personnes présentes, c’est-à-dire les
personnes qui passent aux abords du champ au moment où les produits sont répandus. Le niveau
d’exposition de ces personnes doit être inférieur à l’indice de toxicité AOEL : on ne peut bien
évidemment pas demander à ces personnes de prendre des mesures de protection.
Nous arrivons donc à un étiquetage global de ces préparations, avec des symboles de danger, des
phrases-type relatives aux risques ou donnant des conseils de prudence. Par exemple la phrase
On constate donc que cette évaluation toxicologique des pesticides, en ce qui concerne l’homme,
envisage l’ensemble des effets toxiques, mais aussi l’ensemble des modes de contamination
possibles de l’homme : les effets directs, l’exposition de l’applicateur lorsqu’il utilise ces produits,
l’exposition des personnes présentes et des travailleurs, ainsi que celle des consommateurs de
produits traités par ces pesticides. Les effets indirects ne sont pas moins pris en considération. Ce
sont l’exposition par les résidus pouvant être les matières actives, leurs métabolites, leurs produits
de dégradation dans l’environnement, ou leurs produits de transformation. Cette transformation a
lieu, par exemple, lorsqu’un pesticide se retrouve dans de la farine et que celle-ci est utilisée pour
faire du pain.
Je vous ai donc présenté les modalités d’évaluation des risques pour l’homme. Je pense qu’on
arrive par ce biais à une évaluation assez complète. Je vous rappelle que cette étude est par ailleurs
associée à une étude des risques pour l’environnement qui sont aussi importants, voire plus, que les
risques pour l’homme, compte tenu de la diversité biologique existante.
Discussion
Gilles-Éric Séralini – Un travail est effectué sur les adjuvants : est-ce que ce sont les formulations
qui contiennent les matières actives ? Comment étudiez-vous la différence de solubilité ou
d’accumulation dans les graisses avec les adjuvants ? Les études sur la reproduction sont-elles
faites avec les matières actives associées aux adjuvants ou simplement avec les matières actives ?
Daniel Marzin – Il faut distinguer les adjuvants des formulants. Ces derniers sont des excipients et
nous possédons un certain nombre d’informations sur la toxicité de ces produits. Les adjuvants,
eux, servent à produire des émulsions, des formulations ; ils sont l’objet d’une évaluation propre.
D’autres produits, comme les phytoprotecteurs, sont évalués comme des matières actives. On
procède également à l’évaluation de la formulation, de façon à voir notamment si le produit est
mieux véhiculé à travers la peau que la matière active. Nous possédons donc un certain nombre de
données. Celles-ci, bien sûr, sont limitées puisque l’éthique nous interdit d’effectuer les études sur
l’homme ; mais on réalise des études sur l’animal in vivo, l’animal in vitro, et sur de la peau
humaine in vitro. Au final, nous sommes donc à même d’évaluer la pénétration cutanée des
préparations chez l’homme. Ces études sont réalisées sur la préparation pure et sur les dilutions
telles qu’elles sont appliquées sur les cultures.
À partir du moment où le produit pénètre dans l’organisme, c’est la matière active qui circule : les
adjuvants et formulants n’ont plus aucun rôle. Ce qui est important, c’est la quantité de matière qui
circule. C’est l’aspect pharmacocinétique qui nous intéresse, et qui nous permet d’évaluer si la
préparation est susceptible d’augmenter ou de diminuer l’exposition à la matière active.
Jean Lunel – La directive étant en cours de révision, allons-nous faire davantage appel aux
méthodes alternatives, telles qu’elles ont été développées à Ispra puis validées par les
toxicologues, et supprimer le test de Draize, qui est pénible pour les animaux ?
Daniel Marzin – Mis à part le test de Draize et éventuellement les tests d’irritation pour la peau, il
existe peu de tests validés par les toxicologues. Je ne pense pas que des tests in vitro permettent de
mettre en évidence un produit qui est métabolisé par le foie et qui est neurotoxique. Depuis que je
fais de la mutagenèse, c’est-à-dire depuis 25 ans, nous avons développé énormément de tests in
vitro. Or, nous appelons de nos vœux le développement de tests in vivo. Il me paraît impossible en
Paris, les 27 et 28 septembre 2002 6
Évaluation du risque toxicologique des OGM Commission du génie biomoléculaire
effet, sauf pour les domaines de la tolérance oculaire et cutanée, de remplacer l’ensemble des tests
in vivo par des tests in vitro. Je vais à présent laisser la parole à Bernard Declercq, qui est l’un des
grands spécialistes français et internationaux des résidus de pesticides dans les aliments.