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UNIVERSITE PARIS I-PANTHEON-SORBONNE

U.F.R. SCIENCES ECONOMIQUES


Thèse pour le Doctorat en sciences économiques :
(Arrêté du 30 mars 1992).
Présentée et soutenue publiquement par :

Aurélien Beleau

Les effets macroéconomiques des réformes


fiscales et la théorie postkeynésienne de
l’incidence
Directeur de thèse :

M. Jean-Marie MONNIER Professeur à l’Université Paris I

Jury :

M. Jacques LE CACHEUX, Professeur à l’Université de Pau,


rapporteur

M. Dominique PLIHON, Professeur à l’Université Paris XIII,


rapporteur

M. Olivier ALLAIN, Maitre de conférences à l’Université


Paris Descartes

M. Jean-Bernard CHATELAIN, Professeur à l’Université Paris 1,


président du jury

M. Jean-Marie MONNIER, Professeur à l’Université Paris 1

Juillet 2014
L’université Paris I Panthéon – Sorbonne n’entend donner aucune approbation, ni
improbation, aux opinions émises dans les thèses ; ces opinions doivent être considérées
comme propres à leurs auteurs.
Remerciements
Mes remerciements vont tout d’abord à Jean-Marie Monnier pour la confiance qu’il m’a
accordée en acceptant de reprendre la direction de cette thèse. J’ai pu bénéficier de la
richesse de ses conseils et de ses connaissances. Il n’a pas hésité à m’afficher sa confiance et
sa rigueur m’a incité à améliorer mon travail. Je n’oublie évidemment pas mon premier
directeur, Liem Hoang Ngoc qui fut le premier à croire en moi et a réussi à me donner l’envie
d’approfondir mes connaissances en économie. Son enthousiasme et la façon de faire
partager son sens critique m’a sans nul doute donné le goût de la recherche.
Je souhaite ensuite exprimer ma profonde reconnaissance aux professeurs et chercheurs qui
m’ont conseillé tout au long de ce travail long et fastidieux.
Le travail rapporté dans la présente thèse a également bénéficié d’un environnement très
favorable, tant au niveau des conditions matérielles que des compétences humaines, au sein
de l’équipe CES-INSTITUTIONS. Que soit ici remercié Jean-Bernard Chatelain puis Agnès
Gramain, directeur de l’équipe. Je tiens également à remercier les membres du laboratoire
pour leur conseil et soutien tout au long de ces années.
Je commencerai par ceux qui ont occupé ou occupent le bureau 224. Laurence Lizé qui a
toujours su me remettre en confiance lorsque le doute s’installait, Gilbert Lefevre pour sa
bonne humeur et son second degré. Qu’ils soient remerciés également pour leur soutien
amical.
Je n’oublie pas non plus mes camarades du bureau 217 que j’ai eu grand plaisir à côtoyer :
Jean Eric Hyafil, Rebecca Ansellem, Muhammad Atta, Fransicso Sergi, Jessica Petru. Sans
oublier Kristel Jacquier pour ses nombreuses relectures et son soutien indéfectible. Mes
anciens camarades de Master 1 et 2, Michaël Zemmour et Baptiste Françon. Je les remercie
pour leurs conseils et d’avoir su partager leurs expériences de thèse avec moi.

Au sein de l’Axe et au-delà, je souhaite citer toutes les personnes qui, par leur intérêt pour
mes recherches, par les conseils prodigués ou le soutien apporté lors des moments de doute
ont permis à cette thèse d’aboutir : Bruno Tinel qui fut un des premiers à me prendre sous
son aile et qui m’a beaucoup aidé pour l’écriture de mon premier article. Muriel Pucci, Marc
Lavoie, Edwin le Héron, Amitava Dutt, Nadine Thévenot, Christophe Ramaux, Julie Valentin,
Corinne Perraudin. Comment ne pas citer Olivier Allain qui fut toujours là pour me guider et
forger mon esprit critique. Son écoute, ses conseils ainsi que sa disponibilité m’ont rendu un
grand service au cours de ce travail.

Enfin je tenais particulièrement à remercier des êtres qui sont chers pour moi.
Ma famille et particulièrement mes parents qui m’ont toujours soutenu même lorsque le doute
s’était installé à moi, sans vous rien n’aurait été possible. Mes amis, Philippe, Vincent, Alex,
Damien, Mehdi, Sabri, Guillaume, Florent, Sylvain, Bamdad. Sébastien, Thomas, Axel. J’ai
de la chance de vous avoir. Je n’oublie évidemment pas Virginie et Noémie pour leur soutien
indéfectible et leurs nombreuses relectures.
Un remerciement tout particulier revient à Martine Penciu, qui a effectué un travail
titanesque de relecture dans les derniers moments de cette thèse.

Mon dernier remerciement est destiné à Assia. Je la remercie de m’avoir poussé dans les
derniers instants. Merci à elle de croire en moi et de m’avoir donné la force d’aller au bout.
SOMMAIRE

Introduction générale p. 7

Chapitre I. Evolution de la structure fiscale pour les pays de


l’OCDE, L’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et les
Etats-Unis p. 27

Chapitre II. Fondements théoriques des réformes. Présentation de la


théorie de l’incidence fiscale chez les néoclassiques. p. 92

Chapitre III. Théorie de la taxation optimale et politique de


stabilisation : Une incompatibilité théorique p.164

Chapitre IV. Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites


de la théorie standard p.242

Chapitre V. Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale p.295

Conclusion Générale……………………………………………………...p.377

Bibliographie……………………………………………………………....p.387

Liste des Schémas, graphiques, tableaux et encadrés……………….….p.409

Table des matières.......................................................................................p.413


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INTRODUCTION GENERALE

INTRODUCTION GENERALE

« La théorie de Keynes nous donne des nouvelles bases de recherche sur les problèmes liés à
la taxation. L'analyse de l'influence des différents types de taxes sur la demande effective
conduit, comme nous le verrons, a des résultats inattendus, pouvoir être d'une importance
pratique » (Kalecki 1944).

1. Postkeynésien et orthodoxie : positionnement théorique

Comme le souligne Michàl Kalecki, la parution de la Théorie Générale a mis en exergue


l’impact de la fiscalité sur la croissance économique. La théorie générale, notamment dans le
chapitre XXXVI, a mis en lumière les effets bénéfiques que la fiscalité peut avoir sur la
société mais sans en développer véritablement les aspects macroéconomiques importants.
C’est Kalecki (1937 ; 1944) qui a véritablement mis en avant les propriétés
macroéconomiques de la fiscalité à court terme, en étudiant comment les modifications de la
structure fiscale influence la redistribution et la dynamique macroéconomique.

Pour autant, la question de l’incidence fiscale a été surtout traitée par le courant standard où la
fiscalité est observée du point de vue de ses effets déscincitatifs sur les facteurs d’offre. Ce
constat n’a rien d’exceptionnel si l’on tient compte de la posture académique prise par
l’économie depuis la remise en cause de l’efficacité des politiques keynésienne et du
développement des idées autour des questions d’incitation au début des années 1980,
notamment celles qui touchent aux comportements d’activité des individus.

Il faut remonter aux années 1920 pour trouver une description analytique d’une théorie de
l’incidence fiscale. À cette époque Pigou se voit poser la question suivante par un jeune
mathématicien nommé Ramsey : Quelle structure de la fiscalité des biens pourrait minimiser
la perte de bien être à recettes données ?
8
INTRODUCTION GENERALE

Dans son article de 1927, Ramsey cherche à maximiser une fonction d’utilité en respectant la
contrainte selon laquelle les recettes fiscales doivent atteindre un certain niveau. En utilisant
la méthode du Lagrangien, on peut obtenir l’utilité marginale du revenu.

On peut donc obtenir une mesure agrégée de l’utilité marginale du revenu qui inclut la valeur
associée aux recettes fiscales. Ainsi le changement du revenu destiné à alimenter la demande
de chaque marchandise devrait être tel que si les dérivées de ces fonctions de demande étaient
constantes (ce qui peut être le cas seulement de façon local), alors la réduction proportionnée
de la demande serait la même pour toutes les marchandises. Couramment, ce résultat était
souvent formulé comme une règle d'élasticité inverse : c'est-à-dire qu’il faudrait soumettre
aux plus hauts taux d’imposition les marchandises pour lesquelles l'élasticité de la demande
est relativement basse.

Depuis la parution de cet article, la théorie orthodoxe a tenté plusieurs fois d’estimer les
systèmes de demande à partir de données sur les dépenses désagrégées. Certaines tentatives
visaient à calculer un ensemble de taux d'imposition optimaux des marchandises dans un
modèle de type Ramsey (voir Atkinson et Stiglitz, 1972 ; Deaton, 1977 ou Capiteux et Mitra,
1982). Cependant pour estimer le système complet de demande, les auteurs ont dû s’imposer
des restrictions sur les élasticités croisées de la demande entre les produits et surtout avec le
travail. Puisque ces éléments sont centraux dans le calcul théorique du taux d'imposition
efficace, les auteurs ont fait face à une difficulté sérieuse.

Ce cadre théorique suppose l’existence d’un consommateur représentatif ou bien d'une


distribution des dotations entre les consommateurs de sorte à égaliser l'utilité marginale du
revenu entre tous les consommateurs. Il peut également s’agir de la formalisation d’une
fonction d’utilité sociale destinée à représenter l’ensemble des consommateurs et respectant la
condition d’homogénéité. Mais pourquoi, alors que les problèmes de répartition ne sont pas
posés dans ce modèle, ne pas choisir la solution d’un impôt de type poll tax qui est bien
supérieure à tout système de taxes sur la consommation ? Si nous devons imposer
prioritairement les marchandises qui sont inélastiques, alors pourquoi ne pas imposer la Vie,
qui correspondrait à ce critère ? En vérité, le modèle de Ramsey et ses extensions ne
s’attachent qu’à décrire un système fiscal sous le critère d’efficacité. Or, la notion d’équité
fait partie des objectifs d’un système fiscal.
9
INTRODUCTION GENERALE

La notion d’équité doit être définie de façon précise pour introduire ce critère comme
argument de la fonction d’utilité sociale. Les surveys de Musgrave et Peacock (1957) et de
Musgrave (1959) font partie des classiques d’une revue de littérature des débats concernant
les différents principes d’équité : le principe du sacrifice minimum, du principe d’égal
sacrifice, et le principe du sacrifice proportionnel.

Une approche usuelle et plus récente est celle attribué à Rawls (1971), celle du maximin ou le
fait de maximiser le bien être du plus démuni.

Il a toujours été évident que la forme du barème de l'impôt reflète un compromis entre les
considérations d'équité, qui exigent un degré élevé de progressivité, et l'efficacité qui agit
contre lui. Il a fallu attendre Mirrlees (1971) pour développer un cadre d'analyse rigoureux de
ces questions. Les théoriciens issus de la taxation optimale ajoutent la pièce manquante au
problème de maximisation de l’utilité sociale sous contrainte budgétaire auquel Ramsey avait
déjà en partie répondu pour les impôts indirects. La fonction de bien-être synthétise la
préférence du gouvernement pour les plus démunis et donc ses choix en matière d’équité
(Atkinson, 1973). Une fois ce critère sélectionné, le choix du barème optimal s’effectue sous
contrainte d’efficacité pour un volume de recettes décidé ex ante.

Sur le plan pratique, la théorie de la taxation optimale rompt la frontière qui pouvait exister
entre l’économie positive et l’économie normative. L’un des résultats principaux sur le plan
pratique serait d’appliquer un barème de l’impôt sur le revenu en forme de cloche, c'est-à-dire
que les taux marginaux devaient être proches de zéro pour le bas et le haut de la distribution
des revenus (Diamond, 1998, D’Autume 2000). Les simulations ont suggéré que ce dernier
point n’est pas robuste sur le plan méthodologique et qu’il peut induire en erreur pour guider
les taux appropriés dans les niveaux de revenus qui ne sont pas situés vers le haut de la
distribution. Par conséquent, les conclusions d’ordre pratique pour la politique qui peuvent
être tirées de ces arguments doivent être prises avec précaution comme le souligne Diamond
(1998) citant le Financial Times.
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INTRODUCTION GENERALE

L’apport de la Théorie de la Taxation Optimale et ses applications pratiques se résume à


« quelques principes généraux... par exemple que les taux marginaux devraient être constants
et faibles sur une large partie de l’échelle des revenus et de zéro en haut et en bas 1 »

Kay et Jing (1989) ont déjà signalé qu’il y a un contraste frappant entre ce modèle bas-haut-
bas des taux marginaux d'imposition et les modèles bas-bas-haut plus couramment observé en
pratique.

Le dernier type de modèle est le résultat de l'interaction entre la charge fiscale et l’utilisation
des dépenses fiscales dans le bas de l’échelle des revenus, comme dans le cas de l’impôt
négatif et l’application de taux plus élevés de l'impôt en haut de l’échelle.

La théorie de la Taxation Optimale (Mirrlees, 1971, Diamond, 1998) est représentative du


mouvement vers une étude de l’incidence fiscale reposant sur les présupposés néoclassiques,
dont la maximisation des fonctions de bien-être collectif à fondements microéconomiques
semblent être l’élément le plus commun. Les prescriptions de la politique fiscale visent à
réduire au maximum les distorsions induites par la présence de l’impôt. Cependant, les
théoriciens donnent la possibilité d’arbitrer entre efficacité et équité pour définir un système
fiscal optimal. Ces deux critères sont antinomiques ce qui signifie qu’on ne peut pas obtenir
les deux à la fois (Heady, 1993).

L’objet de cette thèse est d’étudier une autre manière d’analyser les effets de la fiscalité dans
un cadre macroéconomique, celle que propose la théorie postkeynésienne. On cherchera à
montrer en quoi elle semble être en mesure de répondre aux limites méthodologiques et
théoriques des modèles standards et de déboucher sur des propositions plus opérationnelles
dans le domaine de la politique fiscale.

Le Postkeynésianisme s’inscrit dans la lignée des approches dites « hétérodoxes ». Les


principales différences de l’économie postkeynésienne par rapport à l’économie néoclassique,
voir néokeynésienne, sont à chercher du côté de la volonté de se rapprocher d’une vision
réaliste du fonctionnement de l’économie à l’opposé de l’instrumentalisme défendu
notamment par Milton Friedman (Lavoie, 2004).

1
« A few general principles none the less gained the status of received wisdom, for example that marginal tax
rates should be constant and modest over most of the income range, but zero at the top and bottom », Financial
Times (11 septembre 1995, p.24)
11
INTRODUCTION GENERALE

En épistémologie économique, l’instrumentalisme se définit comme une théorie dont les


hypothèses sont considérées comme fructueuse à partir du moment où elles permettent de
calculer et de faire des prédictions sur l’état des variables économiques suite à un choc. Elle
n’a donc pas pour objectif premier de décrire la réalité du fonctionnement de l’économie. La
théorie postkeynésienne, à l’instar des théories hétérodoxes, souhaite que les hypothèses
choisies soient le plus proche possible de la réalité afin de fournir des explications sur le
véritable fonctionnement de l’économie. Ce point de vue suppose de faire reposer l’analyse
sur des faits stylisés et non sur un monde hypothétique, imaginaire, en inadéquation avec le
monde réel. Une autre différence importante entre ces deux théories toujours soulignée par
Lavoie (2004), en revient à la définition de la science économique donnée par Lionel
Robbins, l’économie est la science de l’allocation optimale des ressources rares.

Cette notion de rareté est au cœur de la problématique néoclassique, car c’est elle qui règle les
comportements économiques. Dans cette vision de l’économie, les prix sont l’indicateur de la
rareté, car tout ce qui est important est forcément rare et comporte un coût d’opportunité. Par
conséquent, c’est l’échange qui détermine le niveau des prix qui influencera en retour les
variables économiques.

À contre-courant de cette analyse, les postkeynésiens considèrent que ce qui prévaut dans
l’étude des faits économiques n’est pas l’échange, mais la production. Leur préoccupation
principale n’est donc pas l’allocation des ressources rares, mais la manière dont on peut créer
ces ressources pour surmonter le problème de la rareté et créer de la production et de la
richesse.

Une telle vue de l’esprit est en parfait accord avec le projet keynésien de référence qui
cherchait à expliquer les causes du sous-emploi et les remèdes à apporter à l’économie afin
d’accroitre l’emploi. Le plein emploi des ressources n’étant généralement pas postulé il est
normal que la question de sa répartition soit secondaire. Encore que même si le plein-emploi
des ressources est postulé et que la production atteint la frontière des possibilités de
production, les postkeynésiens estiment que des innovations techniques viendront à bout de
cette barrière.

L’approche de l’incidence fiscale définit par Kalecki semble en définitive être une alternative
aux résultats néoclassiques et serait en mesure de rendre compatible les critères d’équité et
d’efficacité.
12
INTRODUCTION GENERALE

2. La théorie Postkeynésienne comme « antidote à la pensée unique

Lawson (2006) considère la théorie postkeynésienne comme une réponse à la théorie


orthodoxe de l’économie. Il se réfère notamment à l’acceptation par les postkeynésiens de
l’incertitude dans l’analyse des décisions individuelles, le rejet de l’idée que les phénomènes
macroéconomiques proviennent de fondements microéconomique, la mise en avant et la
reconnaissance des institutions et de l’histoire dans la méthode d’analyse, ainsi qu’une
référence fréquente aux écrits de Keynes (voir, par exemple, Arestis, 1990; Davidson, 1980;
Dow, 1992; Sawyer, 1988).

Lavoie (2004) énonce six présupposés permettant de distinguer entre la théorie néoclassique
et les écoles hétérodoxes dont les postkeynésiens font partis :

Paradigme
Présupposé Ecoles hétérodoxes Ecoles néoclassiques
Epistémologie Réalisme Instrumentalisme
Ontologie Holisme Individualisme
Rationalité Rationalité raisonnable Hyperrationalité
Cœur de l'analyse Production, croissance Echange, rareté
Noyau politique Intervention étatique Libre marché
Source : Lavoie (2004)

Les hétérodoxes en général s’appuient sur le réalisme, une forme modérée d’organicisme, une
rationalité raisonnable, l’étude de la production, et une méfiance des mécanismes de marché,
par opposition aux orthodoxes qui eux prônent implicitement une analyse fondée sur
l’instrumentalisme, l’individualisme méthodologique, une hyper-rationalité, l’échange, et la
confiance dans le marché. Les postkeynésiens pensent que la demande globale est
déterminante, tant pour le court terme que pour le long terme, ce qui les distinguent des
économistes marxistes ou des nouveaux keynésiens, qui reconnaissent que la demande joue
un rôle dans le court terme mais qui croient que c’est le côté de l’offre qui régule le long
terme.
13
INTRODUCTION GENERALE

Dans la tradition de Ricardo, Marx et Kalecki, l’hétérodoxie s’est construite autour de la


relation entre répartition des revenus et croissance. Bien qu’il existe d’importantes différences
dans les analyses de ces auteurs, la relation entre répartition et accumulation y est centrale.
Ainsi pour Ricardo (1821) par exemple, la dégradation de la productivité des terres cultivées
entraîne un accroissement des salaires lié au renchérissement du prix du blé qui vient réduire
le taux de profit et ainsi l’accumulation, jusqu’à ce que l’économie atteigne un état
stationnaire. Pour Marx (1867) également, la répartition est centrale dans l’analyse. Il existe
pour cet auteur, comme pour Ricardo, une relation positive entre le taux de profit et
l’accumulation du capital, mais négative entre la part des salaires et le taux de profit. La
substitution entre le capital et le travail qui provient de la recherche constante par les
entreprises d’une hausse du taux de plus-value conduit à son effet inverse, le travail étant le
seul facteur créateur de valeur.
La principale conséquence est un ralentissement de l’accumulation du capital, facteur de crise
du capitalisme. La question de la répartition des revenus et de son impact sur la production est
donc bien présente dans l’analyse de ces deux auteurs.
On retrouve cette place importante de la répartition dans les analyses kaleckiennes, bien que
les conclusions de ces travaux soient contraires à celles des deux auteurs précités. Pour
Kalecki (1938), ce n’est plus la quantité de travail nécessaire à la production des biens de
consommation ouvrière mais le degré de monopole qui détermine la répartition des revenus.
Surtout, pour Kalecki, il existe une relation positive entre part salariale et taux
d’accumulation, à l’inverse des auteurs classiques. Bien que les déterminants de
l’investissement soient complètement différents entre auteurs classiques (Marx et Ricardo) et
kaleckiens, ils se rejoignent sur le caractère déterminant des évolutions de la répartition des
revenus sur celles de l’accumulation du capital.

Dans le cadre de la politique fiscale, il est donc nécessaire de s’intéresser à la manière dont les
modifications de la structure fiscale sont en mesure d’influencer ou non la dynamique
économique de croissance. Les résultats sur le plan de la politique fiscale n’ont jamais fait
consensus et rien ne présuppose un traitement des questions des effets de la fiscalité uniforme
de la part des économistes. L’incidence économique de l’impôt a été le fruit d’une longue
réflexion dont il convient de détailler brièvement les étapes importantes.
14
INTRODUCTION GENERALE

3. Les débats autour de la notion d’équité et d’efficacité : bref retour


historique sur la théorie de la fiscalité

Longtemps les théoriciens et philosophes se sont posés la question de la répartition de la


charge fiscale en décrivant plusieurs définitions de l’équité. Toutefois, le développement de la
théorie néoclassique à l’entame du XXème siècle a marqué un tournant dans l’étude des
propriétés d’un système fiscal. Dorénavant, l’étude des systèmes fiscaux est effectuée à l’aune
du critère d’efficacité. Il faudra attendre les années 1970 pour que les économistes réhabilitent
la notion d’équité.

C’est Adam Smith (1776) qui offre le point de départ d’une théorie moderne de l’incidence
fiscale (Musgrave, 1985). Avant lui certains de courants de pensés comme les physiocrates
ont déjà étudié la fiscalité mais pas de façon aussi précise.

Très rapidement, la science économie relie la fiscalité à des préoccupations d’efficacité


économique comme on put le soutenir Mill et Say.

Pour ces auteurs du XIXème siècle, la fiscalité était observée avant tout comme un frein à la
croissance économique avant d’être, via le budget d’Etat un outil de lien social. Le meilleur
impôt étant par définition celui qui était le plus faible. Say estimait que « l’impôt en élevant le
prix des produits, réduit la consommation qu’on peut en faire, et par conséquent la demande
des consommateurs » (1817, p.506). David Ricardo (1821) insistait particulièrement sur le
critère de neutralité fiscale : la charge fiscale doit être minimisée, sans exercer d’influence sur
les prix des biens et sur la répartition des revenus, car l’impôt touche également les profits.
Pour ces raisons, il n’était pas favorable à la fiscalité indirecte appliquée à des marchandises
particulières car elle entraînerait une distorsion dans le système des prix et pénaliserait le
système de marchés. Par exemple, un impôt sur les salaires est défavorable à l’accumulation
du capital car il revient finalement à taxer les capitalistes puisque les salaires tendent vers le
minimum de subsistance. Dans ce cas, le profit diminue, entrainant une baisse de
l’accumulation de capital. Les seuls impôts susceptibles d’être justifiés se limitent à une taxe
sur le capital afin de rembourser la dette nationale et à un impôt sur le revenu notamment en
période de guerre. John Stuart Mill, se prononçait en faveur d’un impôt proportionnel qui
possède la vertu de sa simplicité dans le mode de calcul.
15
INTRODUCTION GENERALE

Ce type d’impôt était susceptible d’occasionner des sacrifices plus importants pour les plus
pauvres, c’est pour cela qu’il était également favorable à un abattement à la base, ce qui
revient sans le dire à autoriser la progressivité de l’impôt. Mill militait en faveur de cet impôt
car il découragerait la consommation et favoriserait l’épargne. Smith, lui, avait souligné
quelques vertus redistributives de l’impôt via la taxation des biens de luxe jugés « inutiles » à
la société mais il avait aussi prévenu contre les effets déscincitatifs de la taxation des
capitaux : « un impôt qui tendrait à chasser les capitaux d’un pays tendrait d’autant à
dessécher toutes les sources du revenu, tant du souverain que de la société » (1776, p.533,
traduction 1843).

Le critère d’équité n’a pas été pour autant oublier par cette littérature. Smith avait déjà
introduit ce critère dans ces cinq maximes. Pour autant, l’égalité ou l’équité pouvait
s’interpréter de deux manières : soit il s’agissait de l’égalité entre ce qui est payé et ce qui est
reçu, soit il s’agissait de refléter la capacité à payer. Dans chacun des camps il y a eu un long
débat sur la question de la proportionnalité ou de la progressivité du système de prélèvement.
La première interprétation de l’équité renvoiyait aux philosophes politiques tels que Hobbes
ou Locke, poursuivi ensuite par Smith.

Sur le plan pratique, la plupart des auteurs défendant la doctrine du bénéfice se rangeait en
faveur d’un impôt proportionnel tandis que des auteurs comme Sismondi, Rousseau ou encore
Condorcet se montraient en faveur de la progressivité. Le deuxième positionnement sur la
notion d’équité était accaparé par des auteurs tels que John Stuart Mill qui interprète l’égal
sacrifice en appelant à la création d’un impôt proportionnel, ou encore Edgeworth dans son
ouvrage de 1897 qui défend cette définition en s’appuyant sur le principe utilitariste « du plus
grand bonheur pour le plus grand nombre ». Le principe premier de la taxation à ses yeux est
celui du « moindre sacrifice total ». Le souci d’un tel principe, à ses yeux, revient à taxer de
manière plus importante le plus riche au bénéfice du pauvre « jusqu’au point où une complète
égalité de fortune sera atteinte ». Pour sortir de cette contradiction entre équité et efficacité
économique, Edgeworth viendra à distinguer l’égal sacrifice marginal de l’égal sacrifice
absolu où chacun supporte une perte d’utilité identique.

Ces débats sur la notion d’équité dureront jusqu’au XXème siècle, une époque à partir de
laquelle, l’efficacité était devenue une question centrale dans les débats sur la fiscalité
16
INTRODUCTION GENERALE

(Musgrave, 1985). Dans les années 1930, la question de l’incidence fiscale se résumait à la
vision émise par Say et Ricardo selon laquelle il fallait minimiser son poids et son incidence
sur l’activité économique via la notion de « neutralité fiscale ». Pigou (1920) justifiait l’usage
de la fiscalité comme un mécanisme d’ajustement contre les externalités en utilisant une
analyse de type coût-bénéfice. Pour autant il manquait encore la formalisation d’une théorie
néoclassique de la fiscalité. Cela sera fait à partir des travaux de Ramsey (1929). Avec son
traitement sous forme de la maximisation sous contrainte budgétaire de la taxation des biens,
il a ouvert la porte à une étude de la fiscalité abordée sous l’angle de l’efficacité sans prendre
en compte ses effets redistributifs. Par la suite, grâce à l’apport de Musgrave sur le cadre
d’analyse de l’État et à partir du modèle construit par Mirrlees en 1971 dans l’AER,
l’économie publique dont est issue la théorie de la taxation optimale se constitue en un corpus
autonome s’appuyant sur une méthodologie propre cherchant à déterminer une configuration
désirable du système fiscal selon les critères d’efficacité et d’équité.

Ce modèle a fait l’objet de nombreux amendements afin d’introduire un cadre théorique


moins restrictif, notamment pour étudier l’incidence de l’impôt sur le revenu, comme dans les
articles français de d’Autume (2001). Les aspects liés à la redistribution opérée par la fiscalité
sont pris en compte mais entrent en contradiction avec l’efficacité économique. Dorénavant
avec la théorie de la taxation optimale les décideurs publics ont le choix d’arbitrer entre plus
d’efficacité au détriment de l’égalité ou de plus d’égalité au détriment de l’efficacité.

Le choix des hypothèses des modèles de taxation optimale ne permet pas de remettre en cause
la contradiction que fait peser la recherche de l’équité sur l’efficacité de l’économie.

4. La révolution des années 1970 tend à imposer l’orthodoxie dans les


questions de l’incidence fiscale

Le point de vue postkeynésien et particulièrement celui de Kalecki sur l’incidence fiscale ont
suscité dans les années 1950-1960 très peu de travaux, car les keynésiens de la première
synthèse se préoccupaient surtout de la politique budgétaire, principalement à partir de l’étude
des effets du multiplicateur d’investissement.
17
INTRODUCTION GENERALE

Puis, au début des années 1970, le déclin des idées keynésiennes et l’inflexion des formes de
l'intervention publique vers un recours plus massif à la fiscalité pousse à un retour vers des
idées issus des modèles monétaristes, des nouveaux classiques ou encore des néokeynésiens.

Trois facteurs principaux expliquent cela (Monnier, 2010). Au cours des années 1970 tout
d'abord, la crise du fordisme a suscité une nette contestation du keynésianisme ainsi que des
politiques économiques contracycliques qui en étaient dérivées et qui semblaient avoir
échoué. Il en est résulté une mise en cause théorique de la macroéconomie qui a connu une
profonde transformation méthodologique. Puis au début des années 1980 la révolution
conservatrice américaine s'est fortement appuyée sur la politique fiscale. Selon les
économistes de l'offre qui avaient théorisé cette nouvelle stratégie, la réduction de la charge
fiscale devait à la fois corriger la mauvaise allocation des capacités productives résultant des
distorsions induites par les prélèvements obligatoires, et provoquer une diminution des
dépenses publiques.

Enfin, dans le cadre européen, la construction de l'Union économique et monétaire (UEM)


européenne a dessaisi les Etats membres de la politique monétaire au profit de la Banque
centrale européenne, et encadré les politiques budgétaires au moyen d'une procédure de
prévention des déficits excessifs et de critères de convergence prévus dans le pacte de stabilité
adopté en 1997.

Rétrospectivement, les années 1970 peuvent aussi être considérées comme une ère dans
laquelle la théorie appliquée a acquis une influence considérable sur la conception de la
réforme fiscale. Les années 1980 ont vu une évolution importante vers la microéconomie
empirique.

Ce mouvement reflète une double impulsion: d'un côté, à partir des questions importantes
concernant la croissance dans la recherche sur la théorie appliquée, la théorie seule ne pouvait
pas fournir des réponses complètes. De l'autre côté, l'augmentation spectaculaire et
l'accessibilité croissante des micro-données agrégées encouragent le mouvement vers
l’économie appliquée.
18
INTRODUCTION GENERALE

Ce mouvement, par l'utilisation prudente des données d'enquêtes transversales, a fourni un


aperçu assez vaste des questions de distribution et a donné vie à des théories basées sur les
réponses comportementales individuelles pour réformer la politique fiscale. Cependant, les
théoriciens se sont rendu compte qu’obtenir une idée fiable des réponses comportementales a
été un défi plus difficile à réaliser qu’on ne le pensait.

Blundell (1996) estime que baser les prescriptions économiques à partir d’une simple relation
croisée entre deux variables peut être dangereux car le sens de causalité peut être faussé par la
corrélation. Ceci est particulièrement vrai dans le cas des recherches sur la politique fiscale,
où le ciblage des politiques induit souvent une corrélation entre actions et incidence qui peut
se révéler trompeuse quand on confronte les résultats à une politique « contrefactuelle ».

Malgré ceci, les théoriciens ont continué à utiliser la méthode des relations croisées, alors que
les tentatives visant à évaluer les conséquences économiques d’une réforme de la politique
fiscale par l'analyse des séries temporelles sur données macro-économiques ont été, au mieux,
illusoires. Ce qui a manqué à l'analyse microéconomique a tout de même été utilisé pour
l’analyse macroéconomique. En effet, les théoriciens se sont attelés à décrire de façon précise
les réponses comportementales par rapport aux réformes passées. A cette fin, il est nécessaire
de combiner des informations sur des individus à ce qu’il passe lors de changements de
politique fiscale.

Les réponses habituellement observées aux réformes passées sont influencés par
l’environnement macro-économique spécifique dans lequel les réformes de politique sont
effectuées. Cependant, les réformes n'affectent pas chaque individu en même temps ou de la
même façon. Pour Blundell (1996), la réponse se trouve dans une approche n’exigeant pas en
soi un panel ou des données longitudinales.

Kay (1990) souligne que ce sont les modifications dans les outils d’analyse des politiques qui
ont influencé les politiques elles-mêmes. Dans les finances publiques modernes, les biens
publics représentent une partie secondaire de l’activité d’un Etat. Une grande partie des
dépenses publiques sont consacrées à mettre à disposition des usagers, à des prix bien
inférieurs aux coûts, des biens publics individualisables tels que la santé et l'éducation. Le
maintien du revenu est une autre fonction principale.
19
INTRODUCTION GENERALE

Ensemble, ces catégories représentent plus de la moitié des dépenses publiques dans tous les
pays développés. La nature originelle de l'activité financière d’un Etat est désormais
d’augmenter les taxes sur certains produits et d'autoriser les subventions sur les autres. Les
questions d’incitations sont en jeu, qu’ils s’agissent d’exonérer certains individus du bas de
l’échelle de revenus pour les inciter à reprendre une activité ou encore, le plan de la
transmission du patrimoine, mettre en œuvre un certain nombre de dispositions pour exonérer
les individus d’impôt sur les héritages grâce au système des donations par exemple. Le lien
entre fiscalité et dépenses est symétrique, mais cette symétrie est rarement prise en compte
dans la théorie orthodoxe ou la pratique de la politique fiscale.

Au cours du siècle passé, la part de la fiscalité dans le revenu national a été croissante. Mais à
la fin des années 1970, la hausse continue de la pression fiscale provoque des débuts de
« révolte fiscale », dont la plus célèbre manifestation a été la proposition 13 de l’Etat de
Californie qui fixe une limite Constitutionnel sur la fiscalité de l'Etat. En France, ce fut le
mouvement Poujade qui dans les années 1950 se lança dans une lutte contre le fisc. Un
mouvement similaire naît une quinzaine d’années plus tard dans la région Rhône Alpes, le
mouvement Nicoud (Bouvier, 2012). L'insatisfaction régnant à la fois sur les taux et la
structure de la fiscalité est devenue de plus en plus répandue. Les années 1980 ont vu le
rythme des réformes s’accélérer à un rythme sans précédent. En 1986, le Congrès des États-
Unis ont adopté une loi prévoyant une restructuration majeure de son système d'imposition
directe. Le Gouvernement néo-zélandais a mis en œuvre l'une des révisions les plus radicales
de son système d'imposition jamais entrepris par un pays occidental.

La Grande-Bretagne a vu deux importantes séries de mesures de réforme fiscale, en 1984 et


1988 qui ont amené à une baisse drastique des plus hauts taux marginaux de l’impôt sur le
revenu, la révision des seuils d’imposition de sorte à encourager la reprise d’une activité
notamment pour les femmes, ainsi que la réduction du taux d’imposition sur les sociétés.
Japon et Allemagne de l'Ouest, malgré une forte opposition politique, ont commencé le
processus de restructuration de leurs systèmes fiscaux. Pour l’Allemagne, cela se traduira par
d’importantes réformes fiscales engagées au début des années 1990 avec par exemple une
hausse des impôts indirects pour financer la réunification.
20
INTRODUCTION GENERALE

La France, ne sera pas épargnée par ce mouvement car dès le début des années 1990, la
dernière tranche de l’impôt sur le revenu sera fortement réduite, un grand nombre de tranches
d’impositions seront supprimés, le quotient familial sera plafonné et les importantes
exonérations de cotisations sociales employeurs sur les bas salaires seront compensées par la
création d’un impôt proportionnel, la CGS.

Le « bouclier fiscal » voté par Dominique de Villepin en 2005 et celui issu du vote de la loi
TEPA en 2007 seront les derniers avatars de ce mouvement.

Il y a des éléments communs à ces évolutions, qui sont liés à l’idée de réduire la place de
l’Etat et d’encourager la régulation de l’économie par le marché. Au cours des trente dernières
années, mais pas de manière synchronisée, on remarque surtout dans la plupart des économies
développées une baisse des impôts directs couplé à un élargissement de la base fiscale. Elles
ont été dirigées vers les particuliers et le secteur des entreprises. Les réductions des taux les
plus élevés de l'impôt ont été particulièrement marquées, et presque tous les pays ont réduit
fortement le nombre de taux d'imposition dans leur barème.

L’évolution des systèmes fiscaux des pays développés s’appuient sur des corpus théoriques
dont l’objectif est avant tout l’efficacité du système fiscal. Ainsi, le travaux sur ce que l’on a
communément appelé « l’effet Laffer » visent avant tout à ne pas décourager la formation de
la base productive par souci d’efficacité, alors que la théorie de la taxation optimale vise à
décrire des barèmes optimaux en fonction des critères d’efficacité et d’équité.

Pour autant, la grande récession que nous vivons à l’heure actuelle et la crise des finances
publiques qui en découle rouvre le débat sur les moyens d’assurer la soutenabilité des dettes
en augmentant les recettes fiscales sans nuire au potentiel de croissance.

Les théories hétérodoxes ont été très peu mises à contribution pour éclairer les décideurs
publics et apporter des solutions alternatives à la crise. Il y a donc un champ à explorer pour
les chercheurs et les institutions publiques.
21
INTRODUCTION GENERALE

5. L’hétérodoxie et le renouvellement des théories de l’incidence


fiscale

La politique fiscale est aujourd'hui au cœur de l'action économique publique et de manière


générale, l'impôt figure dans les premières places parmi les instruments que mobilise l'Etat
pour mener à bien ses projets de transformation économique et sociale. Il n'en a cependant pas
toujours été ainsi, et pendant longtemps, se conformant en cela à la doctrine keynésienne, les
politiques budgétaire et monétaire ont été privilégiées en raison de leur efficacité. Le modèle
ISLM de Hicks (1937) fut le premier modèle à accorder un rôle positif sur la croissance aux
autorités publiques et monétaires. À cette époque, la posture positive du keynésiannisme et du
postkeynésiannisme suscitait l’intérêt des décideurs publics car elle justifie les actions
engagées pour enrayer la crise économique de 1929.

La fiscalité n’était pas abordée comme un élément à part entière, elle était incorporée dans la
politique budgétaire afin de couvrir les dépenses publiques de relance. Il n’était pas question
de traiter la politique fiscale comme pouvant irriguer les différents flux de revenus ou
favoriser certains secteurs de l’économie par l’utilisation d’exemptions ou de crédit d’impôt.
Seul Musgrave (1959) et surtout Kalecki (1944) ont donné un rôle prépondérant de la
structure de la fiscalité sur la croissance. La théorie hétérodoxe souffre encore aujourd’hui de
théorie reconnue de l’incidence fiscale.

Musgrave (1959), dans son ouvrage de référence, estime que le Capitalisme moderne est une
économie mixte et qu’un secteur public important est indispensable dans une économie de
marché. Il admet, certes, que la répartition des revenus est déterminée dans une large mesure
par la propriété des facteurs de production et leur rémunération sur le marché. Mais il affirme
parallèlement, qu’une part importante du produit national doit être consacrée aux besoins
collectifs afin de permettre une allocation optimale des ressources en présence d’externalités.
Selon lui, le budget de l’Etat influence de manière significative le secteur privé par
l’intermédiaire des impôts et des transferts publics.
22
INTRODUCTION GENERALE

En outre, les impôts servent surtout à financer la politique budgétaire afin de jouer sur le
niveau de l'emploi et sur les prix dans le secteur privé. Sur la base ce constat, Musgrave
(1959 ; 1999) définit les modalités d’intervention de l’Etat en soulignant le caractère
multidimensionnel de la politique fiscale :

- Fourniture de biens et services publics.

- Accroissement ou non de la redistribution des revenus dans l’économie dans un


objectif de réduction des inégalités.

- Besoin de « stabilisateurs automatiques » (Solow, 2002) pour contrecarrer l’impact


négatif d’un choc exogène.

Chez Kalecki, le rôle de la fiscalité sur les performances de croissance à long terme de
l'économie n’est pas toujours décrit avec précisons. En effet, d’une part dans ses écrits sur les
cycles économiques et la croissance Kalecki tend à minimiser le rôle du budget public sur la
croissance économique2, d’autre part, Kalecki ne prend pas en compte explicitement les effets
de la fiscalité dans le corpus de son travail sur la croissance économique à long terme3.

Pour autant cet auteur souligne en parallèle que la publication de la Théorie générale de
Keynes pouvait servir à peindre les contours d’une nouvelle approche de l'étude des effets de
la fiscalité sur la demande effective (Kalecki, 1937). Mais son analyse de l’impôt n’est pas
allée au-delà d'un simple modèle en courte période, mais la théorie de Kalecki a pu totalement
repenser à cette époque les questions liées à l’incidence fiscale. Sa théorie visait à analyser
l'effet d’une taxe sur les produits en courte période, sur les revenus, sur l’emploi du capital,
sur le revenu national et sur la distribution avec les biens d'équipement et les salaires. Kalecki
considérait ses résultats comme inattendus et important d’un point de vue pratique.
Asimakopulos et Burbidge (1974) ont réexaminé la théorie de Kalecki de l'incidence fiscale
dans des conditions concurrentielles et non concurrentielles tout en conservant le cadre
original en courte période. Il faut attendre les articles de Laramie et Mair (1996, 2000, 2003)
pour obtenir une analyse des effets de la fiscalité à long terme.

2
Voir Essays in the Theory of Economic Fluctuations publiés entre 1935 et 1938.
3
Voir Studies in the Theory of Business Cycles publiés entre 1933 et 1939.
23
INTRODUCTION GENERALE

La théorie kaleckienne de l’incidence fiscale traite de l'impact macroéconomique de la


fiscalité et démontre la différence entre l'incidence juridique et de l'incidence économique des
taxes dans le court et le long terme. Kalecki (1937) a analysé les effets de la fiscalité sur le
niveau et la répartition des revenus sur la base d'un certain nombre de suppositions
généralement intégrées dans un cadre qualifié de Kaleckien. Il s’agit d’une économie fermée
avec un excès de facteur travail et de capital productif. Le budget de l'Etat est équilibré où
toutes les dépenses de l'Etat sont financées par la fiscalité. L’investissement est déterminé
avant la période étudié, la propension marginale à consommer des capitalistes est fixe et
insensible aux changements dans les espérances de revenu. L'épargne des ouvriers est égale à
zéro et la masse monétaire parfaitement élastique. Sous ces hypothèses, il montre que
l'augmentation du taux d’imposition de la consommation sur les biens et les salaires
n'affectent pas le niveau des bénéfices bruts. La taxe sur les biens de consommation courante
représente un nouveau coût. Lorsque cet impôt augmente, cela augmente le cout de revient et
la valeur des ventes, laissant les profits bruts et le revenu national inchangés mais réduit le
taux de salaire réel des travailleurs car les capitalistes souhaitent conserver leurs marges. Un
impôt sur le revenu des capitalistes, qui ne fait pas partie des coûts de revient, augmente les
profits bruts du montant de l'impôt sur le revenu et elle laisse intact la part des profits bruts
reçus par les capitalistes. Cette idée rejoint celle énoncé plus tard par Haavelmo (1945) sous
la forme du « théorème du multiplicateur », selon laquelle les dépenses publiques couvertes
par les impôts augmentent le revenu du montant de l'impôt.

À cela s’ajoute un effet de substitution du revenu des capitalistes vers les profits car Kalecki
nie l’existence d’un impôt sur les profits bruts. Cette augmentation des bénéfices bruts laisse
également intacte la rentabilité attendue des investissements et augmente l'emploi, tandis que
l'effet sur les salaires réels est incertain. Enfin, l'introduction d'une taxe sur le capital a le
même effet que précédemment. À court terme, la proportion des profits des capitalistes reste
constante, mais la rentabilité attendue des investissements augmente, augmentant ainsi les
profits futurs et l'emploi.

6. Problématique de la thèse

On s’aperçoit dès lors que les prescriptions dans le domaine de la politique fiscale ne sont pas
du même ordre que celles émises par les néoclassiques.
24
INTRODUCTION GENERALE

Ces derniers se concentrent davantage sur la question des incitations dans un cadre
microéconomique, et tentent d’étendre ces résultats à un cadre macroéconomique qui souffre
d’importantes faiblesses. Elles concernent la vérification et la justification des hypothèses de
base des modèles sans qu’ils existent de consensus sur les spécifications numériques des
élasticités individuelles. Quelles alternatives sommes nous en mesure de proposer ? Il existe
une théorie de l’incidence fiscale d’influence postkeynésienne qui a été très peu développé au
cours du XXème siècle. Après-guerre, les keynésiens se sont principalement intéressés à la
politique monétaire et budgétaire et la révolution monétariste des années 1970 a totalement
délaissé le champ de la politique fiscale aux néoclassiques. Pour autant, la prise en compte des
effets macroéconomiques suppose de changer radicalement de méthodologie et d’inclure le
raisonnement dans le cadre du circuit économique ce qui fait jouer des effets de demande
(Beleau et Monnier, 2014). L’analyse postkeynésienne semble ainsi en mesure de répondre
aux limites et aux contradictions de la théorie de la taxation optimale et de la théorie standard
car ils prennent en compte les effets macroéconomiques de la redistribution des revenus, et
assurent de ce fait, la complémentarité des fonctions de distribution et de stabilisation. La
politique fiscale a été laissé en jachère par ce courant, il est dorénavant temps de réhabiliter
ces questions pour étudier les effets macroéconomiques de la fiscalité.

L’objet de cette thèse est donc de répondre à la question suivante : Dans quelle mesure la
théorie standard de l’incidence fiscale est limitée dans sa capacité à rendre compte des effets
macroéconomiques des réformes fiscales et justifie l’éclosion d’une théorie hétérodoxe de ces
questions ?

7. Plan de thèse

Afin de répondre à cette question, la thèse sera développée en cinq chapitres.


Le premier chapitre vise à étudier les évolutions de la structure fiscale de quatre pays
développés appartenant à l’OCDE. L’Allemagne et la France d’une part, car il s’agit des deux
principaux pays de l’Union Européenne. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni d’autre part, car
ces deux pays ont été précurseurs dans le mouvement de réformes fiscales qui a eu cours au
début des années 1980 et qui s’est étendu par la suite à l’ensemble des pays développés.
25
INTRODUCTION GENERALE

Avant d’étudier ces évolutions, il sera nécessaire d’opérer un retour sur les différentes
manières de les appréhender par des ratios fiscaux afin de dégager une méthode qui justifiera
la suite de notre propos. Cette analyse de structure permettra de décrire les principales
évolutions communes à l’ensemble des pays de l’échantillon.

Nous verrons ensuite dans le deuxième chapitre que ces réformes sont allées dans le sens des
prescriptions orthodoxes. En effet la théorie orthodoxe de la fiscalité appuie l’idée que les
réformes doivent réduire la progressivité de l’impôt ainsi que la pression fiscale sur les
revenus du capital afin de favoriser l’accumulation du capital sans nuire aux incitations à la
reprise d’une activité. Le développement des modèles de croissance endogènes a permis
l’intégration de la fiscalité dans un cadre macroéconomique.

Sur le plan microéconomique, la théorie de la taxation optimale a permis l’éclosion d’une


théorie de l’incidence fiscale comme corpus autonome sans lien avec les autres domaines de
l’économie publique. Il s’agit de la théorie la plus aboutie sur ces questions dans le corpus
théorique orthodoxe. La référence de ces théoriciens à l’ouvrage de Musgrave (1959) sera
l’occasion de revenir sur cette filiation tout en discutant des limites conceptuelles de cette
théorie dans la conception de systèmes fiscaux optimaux. En effet faisant une forme de bilan
de la rupture méthodologique du début des années 1970 et des travaux qui en sont résultés,
Diamond présentait en 1994 la théorie de la taxation optimale (TTO) comme une application
en équilibre général de la théorie exposée par Musgrave mais limitée aux seules activités
d’allocation et de redistribution des revenus. La fonction de stabilisation macroéconomique de
fait l’objet d’un ouvrage collectif paru en 1994 qui vise à l’intégrer à la TTO afin de renforcer
la filiation méthodologique avec Musgrave (Beleau et Monnier, 2014).

Le troisième chapitre est donc l’occasion de décrire ces modèles et de voir s’ils sont en
mesure de faire éclore une théorie macroéconomique de l’incidence fiscale.

Les limites théoriques voir empiriques de la taxation optimale nous amène à mettre en avant
une autre manière d’étudier les effets de la fiscalité au niveau macroéconomique. À cet égard,
nous avons déjà avancé au cours de cette introduction, l’idée que la théorie postkeynésienne
est une alternative théorique à la TTO.

Le chapitre quatre permettra de revenir en détail sur les déterminants de la répartition chez
les postkeynésiens.
26
INTRODUCTION GENERALE

Cette théorie et le développement récent des modèles néo-kaleckiens mettent en avant


l’impact de la distribution des revenus dans la dynamique macroéconomique. La théorie
néoclassique, elle, n’en rend pas véritablement compte car la meilleure allocation des
ressources est celle qui ressort d’une situation de concurrence pure et parfaite ou bien celle
résultant d’un équilibre de second ordre en présence de rigidités ou d’externalités. Pour
autant, la fiscalité reste le « parent pauvre » de la théorie postkeynésienne. La politique
budgétaire et monétaire sont demeurées au cœur de l’analyse postkeynésienne alors que
Kalecki ainsi que Kaldor, dans son ouvrage de 1955 avaient soutenu l’idée que la fiscalité doit
occuper une place à part entière dans l’analyse des politiques budgétaires et de ses effets sur
la croissance.

Le cinquième chapitre a donc comme vocation à décrire les mécanismes sous-jacents à


l’analyse de l’incidence fiscale dans le corpus postkeynésien. L’approche Kaleckienne est
particulièrement étudiée car l’impôt se répercute sur un ensemble de facteurs qu’il convient
d’analyser en détail. La hausse de l’impôt sur les profits peut avoir des effets positifs sur
l’investissement et l’innovation dès lors que la charge fiscale ne se répercute pas sur le mark-
up des entreprises (Laramie et Mair, 2003). Ensuite l’existence d’un impôt progressif qui
ferait porter la charge fiscale sur les rentiers permet de réduire l’instabilité de l’économie tout
comme le poids de la finance externe dans les décisions d’investissements des capitalistes.
Les modifications de la structure fiscale ont donc des répercussions macroéconomiques
importantes qu’il convient d’analyser. Le projet d’impôt sur la dépense de Kaldor est
évidemment approfondi ce qui nous permet d’étudier des prescriptions de politique fiscale
allant à l’encontre de celles émises par la théorie standard de l’incidence fiscale. Ainsi,
contrairement aux intuitions néoclassiques, une politique fiscale davantage redistributive (vers
plus d’équité) n’est pas incompatible avec davantage d’efficacité et est donc susceptible
d’augmenter le taux de croissance de l’économie.

Enfin nous concluons sur les apports de la théorie postkeynésienne dans la création d’une
théorie de l’incidence fiscale hétérodoxe.
27

Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour


les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la France, le
Royaume-Uni et les Etats-Unis

Dans l’histoire de la pensée économique, la fiscalité a souvent été négligée comme élément de
stabilisation macroéconomique. Chez les classiques et jusqu’aux néoclassiques, l’impôt le
plus utile était celui qui était le plus faible. L’impôt était surtout utilisé pour le financement de
dépenses publiques bien que Pigou (1920) eu déjà exprimé l’idée d’un impôt influençant les
comportements individuelles en luttant contre les externalités négatives. Il y a eu un
mouvement d’augmentation de la pression fiscale au cours du XXème siècle sous l’impulsion
du développement de la société et des aspirations des citoyens. La prédiction de Wagner a
donc eu lieu sans que les économistes et les hommes politiques se posent véritablement la
question de l’incidence économique des impôts 4. La prédominance des politiques
keynésiennes après la Seconde Guerre Mondiale n’a pas entrainé l’émergence d’une théorie
de l’incidence fiscale, car les impôts étaient surtout considérés comme un instrument de
financement des politiques publiques budgétaires. Le retour aux thèses néoclassiques et
l’éclosion de l’économie de l’offre (Slemrod, 1990) à la fin des années 1970 a marqué un
tournant dans l’étude de l’incidence fiscale.

À partir des années 1980, la fiscalité a été un instrument privilégié de politique économique.
Trois facteurs principaux expliquent la place de la politique fiscale aujourd’hui (Monnier,
2010). Au cours des années 1970 tout d'abord, la crise du fordisme a suscité une nette
contestation du keynésianisme ainsi que des politiques économiques contracycliques qui en
étaient dérivées et qui semblaient avoir échoué. Il en est résulté une mise en cause théorique
de la macroéconomie qui a connu une profonde transformation méthodologique.
4
Sur très longue période comme le souligne André, Delorme et Terny (1973) dans « Les dépenses publiques
françaises depuis un siècle », Economie et Statistique, n°43, mars 1973, pp. 3-14.
28
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Puis au début des années 1980 la révolution conservatrice américaine s'est fortement appuyée
sur la politique fiscale. Selon les économistes de l'offre qui avaient théorisé cette nouvelle
stratégie, la réduction de la charge fiscale devait à la fois corriger la mauvaise allocation des
capacités productives résultant des distorsions induites par les prélèvements obligatoires, et
provoquer une diminution des dépenses publiques. Enfin, la construction de l'Union
économique et monétaire (UEM) européenne a dessaisi les Etats membres de la politique
monétaire au profit de la Banque centrale européenne, et encadré les politiques budgétaires au
moyen d'une procédure de prévention des déficits excessifs et de critères de convergence
prévus dans le pacte de stabilité adopté en 1997.

Ces trois facteurs ont joué un rôle essentiel dans la transformation de la structure fiscale des
pays développés. Les réformes de grande ampleur qui ont suivi ce mouvement ont été
largement influencées par un retour aux thèses néo-classiques et à l’idéal de la concurrence
pure et parfaite. Les postulats méthodologiques et théoriques de ces réformes seront étudiés
dans les chapitres 2 et 3 de cette thèse.

Dans cette partie nous étudierons l’évolution de la structure fiscale des pays de l’OCDE et
particulièrement de l’Allemagne, de la France, du Royaume Uni et des Etats Unis. À cet effet
il convient dans un premier temps de définir les différentes méthodes de calcul des ratios
fiscaux (1). Une méthode par agrégation des différentes catégories de prélèvements,
notamment en fonction de leur incidence économique est utilisée. Elle nous permet d’étudier
les évolutions des impôts sur le revenu des ménages, sur le travail, sur les bénéfices, sur le
patrimoine et enfin sur la consommation entre 1965 et 2010 (2). Puis nous comparerons ces
résultats avec ceux obtenus par les taux effectifs d’impositions calculés par l’OCDE ainsi que
la méthode dite des taux d’impositions implicites calculés par Eurostat (3). Enfin nous
synthétisons l’ensemble de cette étude comparative pour dégager les grandes lignes de
réformes qui ont modifié la structure fiscale des pays développés (4).
29
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

1. Les méthodes de mesure des structures fiscales : Définitions et


limites

Longtemps négligée par les économistes, la politique fiscale active, au sens de l’économie de
l’offre, émerge à partir des années 1980 et devient un instrument privilégié de politique
économique. Le changement paradigmatique de l’économie vers des politiques influencées
par les théoriciens de l’offre a joué un rôle essentiel dans la transformation dans la structure
des systèmes fiscaux.

Le passage à un paradigme fondé sur l’offre s’est accompagné d’une modification des
méthodologies de la mesure des structures fiscales. C’est l’objet de la présente section que
d’étudier les différentes méthodes utilisées pour évaluer les grandeurs caractéristiques des
structures fiscales. Après un exposé liminaire général (1.1), nous étudions la méthode des taux
implicites d’imposition proposée par l’OCDE (1.2). Puis, pour estimer les effets
macroéconomiques des réformes fiscales, un indicateur agrégé en terme d’incidence
économique semble parfois plus judicieux (1.3). Cependant, nous retenons finalement une
méthode permettant de tenir compte des caractéristiques les plus pertinentes des approches
précédentes (1.4).

1.1. Définition des prélèvements obligatoires et calcul des ratios


fiscaux

Les économistes issus de la tradition de l’économie des finances publiques issue des travaux
de Musgrave (1969) ont recherché des indicateurs agrégés permettant d’effectuer des
comparaisons internationales, d’évaluer les performances nationales et de d’émettre des
diagnostics sur les éventuelles défaillances des systèmes de prélèvement. Les mesures
habituellement utilisées sont la pression fiscale et les structures de prélèvement. La pression
fiscale est généralement étudiée à partir du taux global de prélèvement obligatoire, et les
structures fiscales sont appréhendées à partir de la décomposition (ex post) du produit des
prélèvements en fonction de quelques critères jugés pertinents.
30
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Selon la définition de l’OCDE, les prélèvements obligatoires sont composés de l’ensemble


des versements obligatoires effectués sans contrepartie par les agents économiques aux
administrations publiques.

Le caractère conventionnel de la définition des prélèvements obligatoires est sans doute


nécessaire pour homogénéiser et rendre comparable les données statistiques sur les recettes
des différents pays. On peut cependant relever trois écueils à cette définition (Monnier,
1998) :

1- Le niveau du taux de prélèvements obligatoires dépend du mode de financement de la


protection sociale. Les spécificités propres à chaque pays dans le domaine de
l’organisation de la protection sociale comme de son financement induisent des biais
dans la comptabilisation des prélèvements obligatoires, et par conséquent, dans la
comparabilité du TGPO. Les écarts importants relevés dans le niveau des
prélèvements obligatoires résultent souvent de l’importance des transferts sociaux
transitant ou non par les administrations publiques, sans refléter de réelles divergences
quant aux versements effectivement réalisés par les agents économiques.

2- Le taux de prélèvement obligatoires dépend des formes de l’intervention publique.


L’Etat peut agir au travers de la fiscalité sur les variables économiques de manière
directe (subventions) ou indirecte (fiscalité, réglementations). La France utilise
beaucoup les dépenses fiscales, or une dépense fiscale qui est une mesure dérogatoire
à la règle de droit commun allège la charge fiscale de certains contribuables. Selon les
conventions comptables de l’OCDE on ne retient dans les prélèvements obligatoires
que les recettes fiscales effectivement perçues (après déduction des dépenses fiscales),
et non les recettes théoriques qui résulteraient de l’application pure et simple de la
règle de droit commun.

3- Le taux de prélèvements obligatoires a un caractère normatif lorsqu’il est utilisé dans


les comparaisons internationales. Pour effectuer ces dernières on prend comme base le
taux de prélèvements obligatoires pour proposer des prescriptions de politique
économique et sociale. On retient généralement comme point de référence la moyenne
des pays de l’OCDE ou de l’Union européenne.
31
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Ainsi, on conseille à un pays ayant un taux de pression fiscale supérieur à la moyenne


de le réduire. Tout se passe comme s’il existait une norme internationale de pression
fiscale globale reflétée par la moyenne. L’introduction de cette « norme » de référence
interroge sur les raisons de son choix et de son caractère arbitraire.

Pour mesurer l’évolution de la fiscalité, la méthode la plus courante consiste à comparer les
taux de pression fiscale ainsi que les structures fiscales des différents pays, et à observer leur
évolution. Dans une structure fiscale, il y a des interdépendances entre les différentes
branches qui composent l’ensemble des instruments fiscaux. Ainsi, une modification dans une
partie des prélèvements aura des répercussions sur l’équilibre d’ensemble. Une réforme
fiscale aura donc comme conséquence d’affecter le poids relatif de chaque prélèvement dans
l’ensemble du système fiscal. Pour cette raison, l’évaluation de la structure fiscale des pays
peut être effectuée à partir des indicateurs globaux et de l’évolution des structures fiscales
(Monnier, 1998, p.49).

Si on s’intéresse plus précisément aux taux d’imposition et aux niveaux des recettes fiscales,
il est important de garder à l’esprit les nombreuses difficultés méthodologiques qui
s’imposent à toutes comparaisons internationales. Les différences internationales sont en
partie expliquées par des différences de conventions comptables et des imprécisions de
mesure, comme par exemple, la manière de comptabiliser ce qui relève ou non des
prélèvements obligatoires5 dans chaque pays (CPO, 2008). De plus, les taux de PO sont
sensibles aux modalités d’intervention de l’Etat, par des prestations budgétaires ou par des
dépenses fiscales (exonérations/allègements), qui modifieront à la hausse ou à la baisse le
taux de prélèvement global. Il y a donc plusieurs limites quant à l’emploi du taux de PO dans
le but d’estimer la pression/charge fiscale dans un pays. Celui-ci n’indique en rien le degré
d’immixtion des pouvoirs publics dans l’activité économique et sociale.

5
Selon la définition de l’OCDE, les prélèvements obligatoires sont : « des versements effectifs opérés par tous
les agents économiques au secteur des administrations publiques (au sens de la comptabilité nationale), sous
réserve, d’une part, que ceux-ci résultent non d’une décision de l’agent économique qui les acquitte mais d’un
processus collectif de décision concernant les modalités et le montant des débours à effectuer et, d’autre part,
qu’ils ne comportent pas de contrepartie directe » (CPO, 2008, 47)
32
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

En outre, il ne tient pas compte de l’autofinancement des prélèvements obligatoires 6, ni de


l’effet multiplicateur qu’il engendre sur la croissance économique (Euzéby, 1992). Les écarts
dans les TGPO s’expliquent surtout l’existence de différences entre les pays du poids des
dépenses publiques et de leur efficience. Le Conseil des Prélèvements Obligatoires (2008, p.
44) considère que les trois quarts des écarts de TGPO proviennent « des modes de vie et des
conceptions propres à chaque société » qui résultent du mode de financement public ou privé
de la santé ou de la protection sociale.

L'indicateur le plus immédiat consiste à retenir le taux nominal d'impôt sur les sociétés.
Néanmoins, celui-ci ne rend pas compte des règles d'assiette et ne permet donc pas de
comparer les modalités d'imposition entre elles. C’est par exemple le cas dans la comparaison
entre un pays utilisant une large et à taux bas, à un autre pays ayant recours à une assiette plus
réduite mais à un taux élevé. Le traitement des charges financières, les différents crédits
d'impôts ou taux réduits peuvent pourtant limiter de manière importante la charge fiscale
apparente.

Une deuxième démarche, microéconomique, cherche par exemple à simuler le calcul


économique qu'une entreprise peut faire lorsqu'elle décide d'un investissement pour vérifier
que celui-ci est rentable. Il s'agit d'estimer des taux effectifs d'imposition par la recherche de
« cas type ». On procède de manière analogue pour le calcul du revenu disponible après
impôts des ménages. Les règles d’assiettes apparaissent donc comme très importantes. Les
mesures de taux effectif donnent une information sur la taxation moyenne au cours du temps
mais elles sont contingentes à des hypothèses qui peuvent intervenir de manière
prépondérante. Elles ne peuvent donc pas rendre compte d’une fiscalité moyenne.

Il existe une voie intermédiaire entre une approche microéconomique et macroéconomique. Il


s’agit du calcul des taux d’impositions implicites. Cette mesure consiste à calculer les recettes
fiscales en proportion d’une certaine assiette agrégée de l’impôt (OCDE, 2002). En règle
générale, les calculs sont effectués à partir la base des comptes nationaux et des statistiques de
recettes publiques pour obtenir des indicateurs de pression fiscale sur la consommation, les
revenus du travail, les bénéfices des sociétés ou le capital.

6
Par exemple la TVA et les impôts par les administrations publiques, au traitement des fonctionnaires aux
prestations sociales soumis à l’impôt sur le revenu, aux cotisations sociales, à la TVA et autres prélèvements.
33
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Enfin, une dernière approche, macroéconomique, consiste à ramener les recettes d'impôt sur
les sociétés à la richesse produite par l'ensemble de l'économie, telle que mesurée par le
produit intérieur brut (PIB). Cet indicateur est imparfait pour mesurer le poids économique de
certains impôts, par exemple l’impôt sur les sociétés. En effet, l'assiette économique de cet
impôt évolue souvent différemment que le PIB. À cet égard, les variations du taux de marge
ou du cycle de l'investissement peuvent influencer le TGPO. C’est pourtant une méthode
couramment utilisée dans une grille de lecture « finances publiques » pour mesurer
l'importance de certains impôts au sein des recettes fiscales.

Au sein de la littérature moderne sur l’incidence de l’impôt, les indicateurs microéconomiques


sont considérés comme des instruments de référence dès lors qu’il s’agit d’étudier les
relations entre fiscalité et comportement individuel des agents. Les indicateurs
macroéconomiques sont, quant à eux, utilisés à la fois par les chercheurs et les responsables
politiques et économiques. La méthodologie la plus courante consiste à comparer les
structures fiscales en exprimant les recettes globales d’un impôt donné ou de plusieurs impôts
en pourcentage du PIB. C’est ce qui est fait par exemple dans le rapport annuel Statistiques
des recettes publiques de l’OCDE.

1.2. La méthodologie des taux implicites de Mendoza, Razin et Tesar


(1994)

Un des principaux avantages des taux d’imposition implicites est qu’ils incorporent le
montant effectif de l’impôt perçu au numérateur. Au dénominateur on trouve l’assiette
effective d’imposition de la sorte. Ils permettent de mettre en évidence l’effet des déductions
et des crédits d’impôts sur les taux effectivement supportés par les agents. Ce faisant l’impact
des stratégies d’optimisation des agents économiques peut être révélé. Ils fournissent des
informations plus précises que le découpage traditionnel entre impôts directs et impôts
indirects par l’intermédiaire des taux légaux d’imposition. Par exemple, dans le cas d’un ratio
de type impôts/PIB, il n’y a pas de sous-estimation ou de surestimation liés aux fortes
variations du PIB.
34
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Il est plus facile de calculer ces taux implicites que les taux d’imposition effectifs marginaux
en raison des difficultés liées à la prise en compte des allègements. Dans la mesure où ils sont
construits peu ou prou de la même manière suivant les pays concernés ils autorisent des
comparaisons internationales. Ils peuvent donc être incorporés dans des modèles
macroéconomiques (voir notamment Lucas, 1990 et Mendoza et Tesar, 1998).

Le calcul de l’assiette fiscal répond à deux principes directeurs :

- Elle doit correspondre à l’agrégat le plus proche possible de la notion économique de


«coût des facteurs de production», de « revenu » ou de « consommation », et non à
l’agrégat le plus proche de la façon dont la base imposable est définie de manière
légale. L’idée sous-jacente au calcul des taux d’imposition implicites n’est en effet pas
de mimer un taux moyen d’imposition obtenu à partir des données fiscales, mais de
calculer un indicateur économique de charge fiscale effective. Lorsqu’une partie du
revenu est exonérée, cela doit se traduire par un écart entre le taux d’imposition
implicite et le taux d’imposition nominal correspondant. En se basant sur un concept
économique, le dénominateur approche donc la notion de « système fiscal de
référence » qui est utilisée pour identifier les dépenses fiscales.

- Elle est exprimée en brut, ce qui correspond aux impôts et cotisations sociales portés
au numérateur. Les bases correspondent donc d’une part au coût du travail et d’autre
part au coût du capital. Concernant la consommation, la base est au prix du marché.
Les taux d’imposition implicites sont des indicateurs rétrospectifs car calculés ex post à partir
des recettes fiscales et des agrégats macroéconomiques observés.

Pour autant, il persiste de nombreux problèmes dans le calcul de ces taux d’imposition
implicites. Le souci le plus courant se trouve dans la prise en compte des revenus des
travailleurs indépendants qui représentent une combinaison entre revenus du travail et revenus
du capital. Un moyen de résoudre ce problème est de prendre en compte l’assiette globale de
prélèvement comme le permet la méthodologie des taux d’imposition implicites. Ces ratios
fiscaux donnent une indication de la pression fiscale supportée par les différentes sources de
revenu ou les facteurs de production.
35
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Mendoza, Razin et Tesar (1998) étudient 5 types de ratios fiscaux en fonction des catégories
de prélèvements issus de la nomenclature OCDE et de l’assiette sélectionnée pour chaque
type d‘impôts. Les ratios sont les suivants :

­ Taux implicite d’imposition des revenus des personnes physiques,  per = 1100/

(W+OSPUE+PEI), soit le rapport entre les recettes des impôts sur le revenu, les
bénéfices et les gains en capital des personnes physiques (1100) par rapport à l’assiette
qui comprend les traitements et salaires (W), l’excédent d’exploitation des entreprises
individuelles (OSPUE) et les revenus de la propriété des entreprises individuelles
(PEI).

­ Taux implicite d’imposition des revenus du travail,  lab = (  per W+

2000+3000)/W+2200, soit le produit du ratio fiscal sur les personnes physiques (  per )

et les traitements et salaires (W), auxquels on ajoute les cotisations de sécurité sociale
(2000) et les autres impôts sur les salaires et la main d’œuvre (3000), divisé par la
somme des traitements et salaires plus les cotisations sociales à la charge des
employeurs (2200).

­ Taux implicite d’imposition des revenus du capital,  cap = (  per (OSPE+PEI)

+1200+4100+4400)/OS, soit le rapport entre les recettes des impôts sur l’excédent
d’exploitation des entreprises individuelles (OSPUE) et sur les revenus de le propriété
des entreprises individuelles (PEI), auxquels on ajoute les impôts sur le revenu, les
bénéfices et les gains en capital des sociétés (1200), les impôts sur le patrimoine
(4100) et les impôts sur les transactions mobilières et immobilières (4400), l’ensemble
étant divisé par l’excédent d’exploitation de l’économie (OS).

­ Taux implicite d’imposition des bénéfices des sociétés,  cor = 1200/ (OS-OSPUE),
soit les impôts sur le revenu, les bénéfices et les gains en capital des sociétés (1200),
divisé par l’excédent d’exploitation de l’économie (OS) moins l’excédent
d’exploitation des entreprises individuelles (OSPUE).
36
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

­ Taux implicite d’imposition de la consommation,  con = (5110+5121)/[C-GW-


(5110+5121)], soit la somme des impôts généraux sur les biens et services (5110), les
accises (5121) et les autres impôts, divisé par la consommation, c’est-à-dire la somme
des consommations finales privées (C) et publiques (G) moins les recettes des impôts
sur la consommation (5110+5121). Les traitements des agents des administrations
publiques (GW) sont retirés.

Cette méthode n’est pas exempte de critiques. En effet, dans un rapport pour l’OCDE intitulé
Ratios fiscaux : Une étude critique (2002), les auteurs constatent des problèmes de mesure
liés notamment aux manques de données qui rendent l’estimation d’un ratio fiscal
particulièrement difficile. Par exemple, ils répertorient pour un certain nombre de pays des
problèmes de mesure de l’excédent d’exploitation des entreprises non constituées en société et
des revenus de la propriété et des entreprises. En général, les économètres attribuent aux
données manquantes la valeur zéro ce qui a tendance à fausser le calcul des ratios fiscaux.
Pour autant, les auteurs restent relativement confiants quant à la pertinence des ratios
d’évaluation de la politique fiscale. Il y a cependant des écarts importants entre les différentes
manières de calculer les ratios fiscaux dans les pays.

Au plan méthodologique l’établissement de ces ratios fiscaux est défavorablement influencé


par l’écart entre la ventilation fiscale de l’assiette et la définition des grandeurs
macroéconomiques correspondantes. Cette ventilation est parfois effectuée de manière
arbitraire. D’autre part il persiste des problèmes liés aux effets du cycle conjoncturel qui
peuvent biaiser les calculs, particulièrement en ce qui concerne les ratios relatifs à l’impôt sur
les sociétés et à l’impôt sur les revenus du capital. D’une part, on observe un défaut de
synchronisation au sens où les données utilisées sont rassemblées sur la base des transactions
alors que les statistiques des recettes publiques sont comptabilisées dans une optique des
paiements. D’autre part, il est difficile de corriger l’impact des cycles économiques sur les
grandeurs agrégées. Enfin, dans une économie mondialisée, les dividendes, les paiements
d’intérêts et les revenus du travail franchissent les frontières. Or, il n’est pas toujours aisé de
corriger les données en fonction des flux transfrontaliers.
37
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

1.3. La méthode en fonction de l’incidence économique des


prélèvements (Hugounenq, le Cacheux et Madies, 1999 ;
Monnier, 2000)

Dans le cadre d’une étude sur l’incidence du processus d’harmonisation sur les fiscalités
européennes, Hugounenq, Le Cacheux et Madies (1999) ont développé une première méthode
qui consiste à comparer les règles appliquées dans les différents pays de l’Union concernant
les taux légaux, les règles d’assiette et les régimes dérogatoires. Ils ont évalué le coût du
capital (synthétisant l’ensemble des paramètres fiscaux) associé aux investissements intérieurs
et transnationaux en Europe en différenciant les modalités de financement et le type d’actifs
concernés.

Les prélèvements affectent tous directement ou indirectement le système de prix. Les


modifications de la structure fiscale traduisent l’impulsion initiale donnée par les pouvoirs
publics dans le cadre de la politique fiscale. Mais l’incidence fiscale dépend de l’action des
contribuables légaux sur les variables qu’ils contrôlent effectivement et qui leur permettent de
reporter sur d’autres agents le poids de l’impôt. Ainsi, l’incidence et la charge finale d’un
prélèvement doivent être distinguées de son incidence initiale7.

Cependant, les découpages en structures fiscales restent finalement à un niveau d’agrégation


relativement important. Ils ne peuvent donc mesurer la charge fiscale effectivement supportée
par les contribuables ni suggérer la moindre hypothèse quant à leur comportement face à cette
charge.

Monnier (2000) souligne que si des différences peuvent apparaitre du point de vue de la
qualification juridique de leurs assiettes, certains prélèvements reposent sur des bases très
proches d’un point de vue économique. Ainsi, l’impôt sur le revenu des personnes physiques
et les cotisations sociales des salariés pèsent en très grande partie sur le même type de
revenus, ce qui élargit d’ailleurs le choix des pays quant au mode de financement de la
protection sociale.

7
Notons au passage que la notion de « charge finale » peut s’apparenter à une analyse en terme d’équilibre
général, tandis que celle d’ « incidence initiale » s’apparente davantage à une analyse en équilibre partiel.
38
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

En France, la substitution des cotisations salariales d’assurance maladie par une contribution
fiscale, la CSG, dont l’assiette repose en grande partie sur la définition généralement retenue
pour l’impôt sur le revenu, montre le caractère aléatoire de l’interprétation de structures
fiscales reposant sur le seul critère de l’assiette.

La décomposition reposant sur le critère de la répercussion immédiate des prélèvements


permet de montrer que c’est la part des prélèvements pesant sur le coût du travail qui
différencie le plus les pays entre eux. Hugounenq, le Cacheux et Madies (1999) ont pour leur
part montré que ce qui différencie les pays européens dans leurs structures fiscales, c’est le
mode de financement de la protection sociale. Pour ces auteurs, il existe deux grands types de
modèles en Europe :

­ Un modèle de type Danemark où le financement de la protection sociale est assuré par


l’impôt sur le revenu avec une place importante donnée aux administrations centrales
ou locales.
­ Un modèle de type France avec un financement principalement assuré par les
cotisations sociales et la prédominance des administrations de sécurité sociale.

Monnier (2000), préconise une mesure complémentaire des écarts de structures qui n’est pas
fondée sur les différences de charges fiscales supportées par les agents économiques mais
prend en compte les seuls taux nominaux d’imposition ainsi que la diversité des dispositifs
pouvant introduire des écarts entre les taux nominaux et les taux réels. L’auteur souhaite
évaluer la manière dont les Etats ont modifié la répartition de leurs prélèvements (reflétée par
les structures fiscales). Il propose une mesure des écarts à partir du découpage réalisé en
fonction de la répercussion immédiate de prélèvements. Cette structure fait le lien entre la
règle fiscale et l’incidence économique immédiate des prélèvements. Ce découpage de la
structure fiscale n’aboutit pas sur une mesure de la « charge fiscale » supportée par les agents
économiques. Monnier utilise la ventilation proposée par les économistes de l’OFCE (1991)
en regroupant les prélèvements en fonction de leur incidence économique initiale.
39
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Dans ce chapitre nous allons mobiliser en partie cette méthode pour étudier les évolutions de
la structure fiscale des principaux pays de l’OCDE. Ainsi, les structures fiscales seront
exprimées à la fois en pourcentage du total des recettes fiscales et en pourcentage du PIB.
Cela permet d’obtenir une pure mesure de structure et de répondre aux éventuelles objections
qui pourraient avoir trait à l’évolution de l’emploi ou tout simplement du PIB.

Les prélèvements regroupés en fonction de leur incidence économique s’écrivent de la


manière suivante :

­ Le revenu des ménages = 1100 (impôts sur le revenu des personnes physiques) +
2100 (cotisations de sécurité sociale à la charge des salariés) + 2300 (cotisations de
sécurité sociale à la charge des travailleurs indépendants ou des sans-emploi) + 4110
(impôts périodiques sur la propriété immobilière des ménages) + 4210 (impôts
périodiques sur l’actif net des ménages) + 4300 (impôts sur les mutations par
successions et donations)+ 5211 (impôts périodiques sur l’utilisation de véhicules à
moteurs)

­ Le revenu des entreprises = 1200 (impôts sur les revenus, bénéfices et gains en
capital des entreprises)

­ Le coût du travail = 2200 (cotisations de sécurité sociale à la charge des employeurs)


+ 3000 (impôts sur les salaires ou la main d’œuvre)

­ Les autres coûts de production = 4120 (impôts périodiques sur la propriété


immobilière des autres agents) + 4220 (impôts périodiques sur l’actif net des sociétés)
+ 5124 (Taxes à l’exportation) + 5212 (impôts périodiques sur l’utilisation des biens et
services : véhicules) + 5220 (Idem impôts non périodiques) + 6100 (autres impôts à la
charge exclusive des entreprises)

­ Le prix des produits = 5100 (impôts sur la production, les vents, le transfert, la
livraison de bien et la prestation de services) +5200 (impôts sur l’utilisation des biens
ou l’autorisation d’utiliser des biens ou d’exercer des activités)
40
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

1.4. Une méthodologie de la structure fiscale au niveau agrégé

La méthode que nous emploierons reprend des éléments utilisés dans les calculs des grands
agrégats et des éléments extraient de la méthode fondée sur la répercussion économique des
prélèvements. Elle vise cependant à répondre à certaines objections adressées à ces différentes
méthodologies.

Une limite importante du taux de pression global réside dans le fait qu’il ne tient pas compte
ni de l’autofinancement des prélèvements obligatoires, ni du mécanisme de multiplication des
recettes induit par ce mécanisme. Cet indicateur se révèle en effet très sensible à
l’organisation des circuits de financement publics et à la fiscalisation des flux non marchands.
De plus, les structures fiscales ne sont pas en mesure de fournir d’indication sur la charge
fiscale supportée par les agents économiques, pas plus qu’elles ne permettent d’appréhender
l’effort fiscal accompli par ces mêmes agents au cours des réformes des années 1980-1990.

La structure fiscale, en affectant directement ou indirectement les prix, traduit une certaine
orientation prise par les pouvoirs publics dans le cadre de leur politique fiscale. Mais
l’incidence dépend en grande partie de l’action des contribuables légaux sur les variables
qu’ils contrôlent et qui permettent de reporter la charge de l’impôt sur d’autres agents
(Monnier, 2000). Ensuite, l’incidence finale d’un prélèvement est le résultat d’un processus
dynamique dont l’observation suppose de prendre un compte un certain nombre d’effets de
substitution et de revenu difficilement appréhendables.

On pourrait reprocher que l’utilisation d’une structure fiscale construite à partir de l’assiette
des prélèvements soulève quelques problèmes d’interprétation, car le critère de décomposition
des structures fiscales n’est pas toujours cohérent avec la nature juridique (Monnier, 1998).
C’est par exemple le cas des cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu des personnes
physiques des salariés.

Notre méthode se situe donc dans une perspective statique. Le niveau d’agrégation reste très
important, sans que nous parvenions à mesurer la charge fiscale supportée par les agents, ni à
connaitre leurs comportements face à cette charge. Il existe en effet un certain nombre
d’incitations fiscales qui ne sont pas prises en compte, tout comme les modifications des prix
qu’elles induisent.
41
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Mais, au-delà de l’explication consistant à dire que les écarts de prélèvements obligatoires
reflètent des divergences quant au mode de financement de l’Etat-providence, l’agrégation
que supposent les indicateurs de structure n’est pas incompatible avec une analyse des
variations des grands agrégats macroéconomiques. Par exemple, la théorie postkeynésienne
n’exclue pas les comportements microéconomiques de son analyse mais se concentre en
particulier sur la répartition des revenus pour expliquer les variations macroéconomiques
cycliques. Pourtant une mesure agrégée ne constitue pas une limite pour décrire les effets
macroéconomiques des modifications de la structure fiscale. Elle facilite, en fait,
l’interprétation économique des évolutions, car plutôt que d’effectuer une comparaison
prélèvement par prélèvement, on agrège différents types d’impôts qui touchent une même
catégorie de revenus. Par exemple, l’imposition des revenus des personnes mobilise des règles
fiscales complexes relatives aussi bien aux modalités de calcul de l’assiette, qu’à celles de
l’impôt dû à partir des taux définis dans un barème progressif. Il reflète des choix politiques et
sociétaux sur la manière de frapper la matière fiscale (cédules/revenu global), dans son profil
(progressif, proportionnel, régressif) en accordant des dispositions particulières à certaines
catégories de contribuables et en fonction des configurations familiales. On observe que
l’impôt sur le revenu (1100), les cotisations sociales (2000) et les impôts sur les salaires et la
main d’œuvre (3000) ont généralement la même assiette, le salaire ou le revenu issu des
prestations sociales. Il est donc possible de réunir ces trois types de prélèvements dans un seul
et même agrégat.

Sur les bénéfices, la catégorie 1200 de la nomenclature OCDE constitue une mesure
satisfaisante du poids de l’impôt sur les sociétés. Dans le cas des prélèvements portant sur le
patrimoine, notre ratio inclut l’ensemble des impôts sur la propriété (4100), l’actif net (4200)
et les successions (4300). Il s’agit donc une nouvelle fois d’une mesure très agrégée qui ne
distingue pas les différents types de patrimoine mis à part les impôts sur les transactions
financières (4400) qui sont isolés pour montrer dans quelle mesure les flux issus des marchés
financiers ont été mis à contribution pour financer le budget de l’Etat. Les impôts sur la
consommation comprennent principalement la taxe sur le chiffre d’affaire et les droits
d’accise (5100 et 5000). La définition de ce ratio est la même que celle utilisée par Monnier
(2000).
42
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Dans notre étude, les structures fiscales seront donc définies selon la nomenclature suivante :

­ Impôts sur le Travail/salaire : 1100 (Impôts sur le revenu, les bénéfices et les gains
en capital des personnes physiques) + 2000 (cotisations de sécurité sociale) + 3000
(impôts sur les salaires et la main d’œuvre).
­ Impôts sur les Bénéfices : 1200 (Impôts sur le revenu, les bénéfices et les gains en
capital des sociétés)
­ Impôt sur le Capital : 4100 (Impôts périodiques sur la propriété immobilière) + 4200
(Impôts périodiques sur l’actif net) + 4300 (Impôts sur les mutations par décès, les
successions et les donations)
­ Impôt sur les transactions financières : 4400 (Impôts sur les transactions
financières)
­ Impôt sur la consommation : 5100 (Impôts sur la production, la vente, le transfert, la
location et la livraison des biens et la prestation de services) + 5200 (Impôts sur
l’utilisation des biens ou l’autorisation d’utiliser des biens ou d’exercer des activités).

2. Evolution de la structure fiscale des pays considérés

Les années 1980 se caractérisent par d’importantes réformes fiscales dans les pays
développés. Le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont été les précurseurs de ce mouvement qui a
été ensuite suivi par la plupart des pays de l’OCDE (2.1). Les impôts sur le travail et le revenu
des individus ont fortement augmenté entre 1965 et 2010 (2.2). En revanche, les impôts sur
les facteurs de production capital et travail ont plutôt baissé mais avec des disparités entre les
pays (2.3). Enfin, la fiscalité du patrimoine des ménages et des entreprises a légèrement
augmenté mais pas en proportion de l’élévation de la valeur des patrimoines mobiliers et
immobiliers entrevus au cours des deux dernières décennies (2.4). Ce résultat est en partie
confirmé lorsqu’on regarde l’évolution des impôts sur les transactions financières. Il semble,
par contre, que les impôts sur la consommation ont connu une croissance importante au cours
de la période considérée (2.5).
43
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

2.1. Evolutions générales

On remarque que l’évolution des recettes fiscales totales en proportion du PIB est en
constante progression dans la plupart des pays de l’OCDE et notamment dans les 4 pays
considérés. De 1965 à 1999, l’augmentation en moyenne non-pondérée a été de 14.3 points
(OCDE, 2001). Pour les pays de l’UE, le ralentissement ou la stagnation des taux de pression
fiscale a été amorcée au début des années 2000 et avoisine les 40-42%, depuis lors, sous
l’effet des variations cycliques. La France présente comme les pays nordiques un taux de
prélèvement élevé (45.7% du PIB en 2007). Elle partage avec l’Union Européenne une
tendance commune, puisque que le TGPO est passé de 33.5% en 1970 pour l’Europe des six à
44% en 1997. Dans l’Europe des Quinze, le TGPO a également augmenté entre 1980 et
1997 de 38.3% à 42.5%.

S’agissant de l’évolution de la structure fiscale des pays développés au cours des années 1980,
les Etats Unis et le Royaume Uni sont deux cas d’école. Le début des années 1980 est marqué
par l’augmentation de la part des cotisations sociales et des impôts sur la consommation dans
le total des recettes fiscales. Mise en place au Royaume-Uni en 1973, la TVA a remplacé
l’impôt sur les achats et l’impôt sur les ventes en gros. Elle engendre plus de recettes
publiques que ces deux impôts. La contribution de l’impôt sur le revenu aux recettes
publiques a légèrement augmenté depuis les années 1960 malgré une forte baisse des tranches
les plus élevées. L’élargissement de l’assiette a permis de compenser le manque à gagner
résultant de cette baisse des taux. Il en est résulté une diminution de la progressivité
observable également aux États-Unis, comme l’indique l’OCDE dans ses statistiques sur les
recettes publiques de 1951 à 2008 paru en 2009.

Dans son étude générale du système fiscal américain, Joseph Stiglitz (1988) met en évidence
le léger déclin de la fiscalité sur le capital le bénéfice des sociétés. Il observe une
augmentation de la part des cotisations sociales et de l'impôt sur le revenu des personnes
physiques. Par contre, la part de l’impôt sur les sociétés et des droits d’accises tendent à se
contracter. Il en va de même des impôts locaux, sur la propriété et sur les ventes au détail. On
remarque que la situation pour le Royaume Uni et les Etats-Unis semble se répéter.
44
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Dans le cas de la France, Piketty (2003) souligne que dans le long terme, la progressivité de
l’impôt sur le revenu a permis de résorber la concentration des richesses 8. Ce constat est
partagé par le rapport rédigé pour le Conseil d’Analyse Economique (2001) dont Piketty était
un des auteurs.

D’un point de vue général, à l’OCDE, on relève des évolutions communes, mais il est difficile
de connaitre quels sont les facteurs spécifiques de chaque évolution (Graphique 1.1), d’autant
que les structures fiscales des différents pays n’ont pas évolué au même moment et dans les
mêmes proportions.

On note une augmentation de la part des recettes fiscales issues des taxes sur les biens de
consommation ainsi que des cotisations sociales pour la période allant de 1965 à 2007. Ces
impôts étant proportionnels, ils réduisent la progressivité des systèmes fiscaux des pays de
l’OCDE. On note également une baisse régulière de la part de l’impôt sur les sociétés
jusqu’en 1995 pour ensuite remonter au cours des années 2000. Quant à l’impôt sur le revenu,
il a augmenté entre 1965 et 1975 pour ensuite baisser régulièrement jusqu’en 2007.

8
“The Great Depression and World War II have without doubt had a profound effect on labor market
institutions and more generally on social norms regarding inequality. During this period, the income tax
acquired its modern form, and its top marginal tax rates were set very high, in excess of 80 percent. It is
conceivable that such large income tax rates discouraged corporations from increasing top salaries. During that
period, large redistributive programs, such as Social Security and Aid for Families with Dependent Children,
were initiated. These strongly redistributive policy reforms show that American society’s views on income
inequality and redistribution greatly shifted from 1930 to 1945. It is also important to note that unionization
increased substantially from 1929 to 1950 and that unions have been traditionally in favor of wage compression.
In that context, it is perhaps not surprising that the high wages earners who were the most severely hit by the
war wage controls were simply not able, because of social, .fiscal, and union pressure, to increase their salaries
back to the prewar levels in relative terms.
Similarly, the huge increase in top wage shares since the 1970s cannot be the sole consequence of technical
change. First, the increase is very large and concentrated among the highest income earners. The fractiles P90–
95 and P95–99 experienced a much smaller increase than the very top shares since the 1970s. Second, such a
large change in top wage shares has not taken place in most European countries which experienced the same
technical change as the United States.” (Piketty, 2003, p.204)
45
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.1 : Structures fiscales des pays de l’OCDE (1975-2007) (en % de recettes
fiscales)

Source : OCDE (2010)

Tanzi (2011) souligne des tendances communes aux pays de l’OCDE :

1- Le déclin relatif de l’IRPP depuis les années 1980.

2- La diminution des taxes spécifiques à la consommation (de 24 à 11% entre 1965 et


2006) et des taxes sur la propriété (de 8% à 6% entre 1965 et 2006).

3- L’augmentation significative des cotisations sociales et des impôts généraux à la


consommation (TVA) qui passent de 32% à 44% du total des recettes fiscales entre
1965 et 2010.

Sur l’ensemble des prélèvements directs sur les personnes physiques affectés au budget de
l’Etat (IRPP, ISF, CRDS), la France fait figure d’exception avec 16.5% des recettes totales de
PO alors que la moyenne européenne (UE27) est d’un peu plus de 23% (Le Cacheux, 2008).
Or, si l’impôt sur le revenu constitue la première source de recettes pour la plupart des pays
de l’OCDE, les recettes de TVA semblent prendre une place à part entière au sein des
systèmes fiscaux des pays européens. Ainsi, pour les Etats membres, comme pour la France,
cet impôt constitue la première source de rentrées fiscales.
46
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

La baisse de la progressivité se confirme par l’étude de l’évolution de la dernière tranche de


l’impôt sur le revenu. On remarque une baisse assez nette au Royaume Uni et aux Etats Unis
à l’entame des années 80. Cette rupture s’est poursuivie en France et en Allemagne à partir
des années 90 (Graphique 1.2). Au Royaume Uni, la dernière tranche d’imposition est passée
de 83% en 1975 à 40% en 1992 pour ensuite stagner à ce niveau. La politique fiscale de
Margaret Tchatcher a fortement réduit ce taux marginal. Aux Etats-Unis, on observe la même
évolution avec un taux marginal qui est passé de 70% 1975 à 30% en 1992 pour ensuite
remonter légèrement autour de 41% en 2007. Ce taux a même atteint un pic « négatif » en
1986 lors de la grande réforme fiscale de Ronald Reagan avec un taux qui est passé de 50% à
28%. L’Allemagne et la France ont connu des évolutions similaires avec un taux oscillant
autour des 60% en 1975 pour ensuite baisser à l’entame des années 90 autour de 47-48% pour
l’Allemagne puis 40% en 2007 pour la France.

Graphique 1.2 : Evolution de la dernière tranche d’impôt sur le revenu (1975-2007)

90

80

70

60
France
50
Allemagne
40 Royaume Uni
30 Etats­Unis

20

10

0
1975 1981 1986 1992 1996 2000 2008
.

Source : Tanzi (2011) p.17.

Après avoir décrit ces tendances générales, nous allons pouvoir étudier dans manière plus
précise l’évolution de la structure fiscale par agrégation des différents types d’impôts pour les
pays considérés.
47
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

2.2. Evolutions des impôts sur le travail et le revenu des individus


(1965-2010)

Nous avons défini deux types de mesures agrégées dans la partie précédente. Les évolutions
des impôts sur le travail par notre méthode agrégée sont décrites dans un premier temps
(2.2.1), tandis que les évolutions en termes d’incidence économique sont ensuite étudiées
(2.2.2).

2.2.1. D’après notre mesure agrégée

L’analyse en terme de structure de prélèvements montre que la pression fiscale sur les revenus
du travail a augmenté à l’entame des années 1970. Les Etats-Unis ont vu une augmentation de
presque 20 points des impôts sur le travail dans les recettes fiscales entre 1965 et 1985
(Graphique 1.3). La France et l’Allemagne ainsi que l’ensemble des pays de l’OCDE ont
connu une évolution similaire au cours de la même période. Dans l’OCDE, il y a eu une forte
hausse entre 1965 et 1980 puis une faible baisse jusqu’en 2005 pour ensuite légèrement
remonté tout en restant en dessous du niveau de 1984. Seul le Royaume-Uni a fortement
baissé la part des revenus du travail à partir de 1975 après qu’elle ait fortement augmenté sur
la période précédente. Cependant, la part de ces impôts a remonté à la fin des années 1990.
Sur l’ensemble de l’échantillon, on remarque une légère baisse à l’entame des années 2000
qui n’a pas pour autant compensé la forte hausse observée après 1965.
48
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.3 : Evolutions de la part des impôts sur le travail en % des recettes fiscales
(catégories : 1100, 2000, 3000)

70

65

60
France
Allemagne
55
Royaume­Uni
Etats­Unis
50
OCDE­Total

45

40
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE

L’évolution de la part des impôts sur le travail en pourcentage du PIB est la même qu’en
terme de pourcentage de recettes fiscales. On remarque que la France est en tête de notre
échantillon. Le niveau des impôts sur le travail était au même niveau que l’Allemagne en
1995 mais qu’à partir des années 2000, l’Allemagne a baissé le poids de ce type de
prélèvements.
49
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.4 : Evolutions de la part des impôts sur le travail en % du PIB (catégories :
1100, 2000, 3000)

28

26

24

22
France
20 Allemagne
Royaume­Uni
18
Etats­Unis
16
OCDE­Total
14

12

10
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE

On peut donc conclure que la part des impôts sur le travail a fortement augmenté depuis 1965
ce qui traduit une mise à contribution forte des revenus issus du travail pour financer les
budgets nationaux. Cette tendance est suivie par les pays de l’OCDE avec une augmentation
importante de la part des impôts sur le travail de 1965 à 1990. Depuis le niveau est resté
relativement stable.

2.2.2. D’après leur incidence économique

Si l’on observe l’évolution des impôts qui impacte le revenu des ménages, on remarque une
nette augmentation de ces prélèvements dans le cas de la France. En effet les impôts sur le
revenu des ménages passent de 22% en 1965 à 35% en 2005, tout en restant à un niveau
inférieur aux autres pays (Graphique 1.5). Pour l’ensemble des pays de l’OCDE l’évolution
est relativement faible même si entre 1965 et 2010 ce ratio a augmenté de 2 points en
pourcentage des recettes fiscales.
50
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Le Royaume Uni est encore un cas à part dans notre échantillon car à partir de 1975 la part
des impôts sur le revenu des ménages a baissé de plus de 10 points au début des années 1980,
pour ensuite remonter de 39% à 45% entre 1992 et 2010. En ce qui concerne l’Allemagne il y
a une augmentation jusqu’au milieu des années 1970 et ensuite le poids des prélèvements sur
le revenu des ménages a stagné en proportion des recettes fiscales. Aux Etats-Unis, la part de
ces prélèvements sur les ménages a connu une forte hausse de 1965 à 1985, puis une baisse
importante avec un relèvement juste avant les années 2000. Depuis 2000, cette part des
impôts sur les revenus des ménages ont baissé jusqu’à aujourd’hui.

Sur longue période, on remarque tout de même une légère augmentation de la part de l’impôt
sur le revenu des ménages. On peut conclure que du point de vue de l’incidence économique,
les ménages ont vu leur contribution aux recettes publiques augmenter de façon significative.

Graphique 1.5 : Evolutions de la part des impôts sur le revenu des ménages en % des recettes
fiscales (catégories : 1100, 2100, 2300, 4110, 4210, 4300, 5211)

60

55

50

45 France
Allemagne
40
Royaume­Uni
35 Etats­Unis
OCDE­Total
30

25

20
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE

En termes de PIB, mis à part le Royaume Uni, la part des impôts sur le revenu des ménages a
augmenté depuis 1965. Il y a une baisse de la part de cet impôt à partir de 2000 dans le cas de
51
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

l’Allemagne et des Etats Unis. Globalement on observe une évolution à la hausse de ces
prélèvements en proportion du PIB. On remarque, par contre, une augmentation à partir des
années 1980 jusqu’à la fin des années 1990. Enfin, la part des impôts sur le revenu des
ménages a fortement baissé aux Etats-Unis sous l’impulsion des baisses d’impôts sous Reagan
dans les années 80 et du tax cut de Bush en 20019. En 2010, ce pays se retourve quasiment au
même niveau qu’en 1965. Cependant sur longue période, l’augmentation de la part des impôts
des ménages est toujours présente sur la totalité de la période (graphique 1.6). Pour l’OCDE,
les impôts sur les revenus des ménages ont augmenté de 1965 à 1990 pour connaitre ensuite
une légère baisse au milieu des années 1990 et stagné par la suite. La France, elle, a connu
une augmentation constante de cette part sur la période.

9
Il y a eu notamment une réduction du taux marginal. Le taux de 39.6% a été réduit à 35%, celui de 35% à 33%
celui de 36% à 33%, celui de 31% à 28% et celui de 28% à 25%. Ensuite le taux d’imposition des revenus du
capital et des dividendes a été réduit par le passage d’une imposition de 20% à 15% pour les gains en capitaux et
par l’exclusion des revenus tirés des dividendes du barème de l’impôt sur le revenu en appliquant un impôt
proportionnel à 15%.
52
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.6 : Evolutions de la part des impôts sur le revenu des ménages en % du PIB
(catégories : 1100, 2100, 2300, 4110, 4210, 4300, 5211)

20

18

16
France
14 Allemagne
Royaume­Uni
12
Etats­Unis
10 OCDE­Total

6
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE

2.3. Evolutions des impôts sur les entreprises et sur les coûts (1965-
2010)

Les impôts sur les entreprises portent essentiellement sur deux types : Les bénéfices (2.3.1) et
sur les coûts de production (2.3.2).

2.3.1. Evolution de la part des impôts sur les bénéfices

L’évolution du poids de l’impôt sur les sociétés a connu des situations contrastées en fonction
des pays. Au niveau de l’OCDE, la part de l’impôt sur les sociétés a été relativement stable
de 1965 à 2010 même si on note une légère augmentation à partir de 2000. On note les mêmes
évolutions que ce soit en part des recettes fiscales ou en part du PIB. Dans le cas des Etats-
Unis, le poids de l’impôt sur les sociétés dans les recettes fiscales a fortement chuté entre
1965 et 1985 en perdant près de 9 points en pourcentage des recettes fiscales. Après cette
date, cette part des impôts a cru de 4 points jusqu’en 2005.
53
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Cette évolution est la même dans le cas du ratio en fonction du PIB. En Allemagne, la part de
l’impôt sur les sociétés a baissé de presque 6 points entre 1965 et 1995 pour ensuite
légèrement remonté de 3 points en 2007.En 1995, l’Allemagne a opéré une grande réforme de
l’impôt sur les sociétés en élargissant la base mais en baissant les taux. L’évolution en terme
de PIB est exactement la même. La France a connu une relative stabilité du poids de l’impôt
sur les sociétés dans les recettes fiscales ou bien en terme de PIB. On peut noter qu’à partir de
2000 il y a eu une augmentation des recettes qui s’explique par un taux de croissance
supérieure à 3%. Enfin, le Royaume Uni a vu les prélèvements sur les bénéfices des
entreprises fortement augmenter à partir des années 1975 jusqu’à 1985. On y voit une
compensation de la baisse des impôts sur les ménages par une contribution plus forte des
entreprises dans ce pays mais dès 1986, la part de ces impôts a ensuite baissé continuellement
jusqu’en 1995. Depuis on observe une stagnation.

Sur longue période, la part de l’impôt sur les sociétés en pourcentage des recettes fiscales est
restée constante mais a baisser pour l’Allemagne et dans une moindre mesure aux Etats-Unis
(Graphique 1.7). Dans les pays de l’OCDE, on observe une baisse de 1 point entre 1965 et
1995 avant d’augmenter progressivement pour atteindre plus de 7% en part des recettes
fiscales, dépassant ainsi l’Allemagne.
54
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.7 : Evolutions de la part de l’impôt sur les sociétés en % des recettes fiscales
(1965-2010) (catégorie : 1200)

18
16
14
12 France
10 Allemagne

8 Royaume­Uni

6 Etats­Unis

4 OCDE­Total

2
0
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE

Graphique 1.8 : Evolutions de la part de l’impôt sur les sociétés en % du PIB (1965-2010)
(catégorie : 1200)

5
4,5
4
3,5 France
3
Allemagne
2,5
Royaume­Uni
2
Etats­Unis
1,5
OCDE­Total
1
0,5
0
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE

Les évolutions de la part de l’impôt sur les sociétés exprimées en pourcentage du PIB sont les
mêmes que décrites en fonction des recettes fiscales (Graphique 1.8).
55
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

2.3.2. Evolution de la part des impôts sur les coûts

Dans cette analyse de l’évolution de la structure fiscale nous avons choisi de délimiter les
impôts qui impactent directement le coût du travail d’une part et les impôts qui impactent les
autres coûts d’autre part.

On remarque que la part des impôts sur le coût du travail a stagné en proportion des recettes
fiscales (Graphique 1.9). Tous les pays de l’échantillon ont connu une légère augmentation à
l’entame des années 1970.

Graphique 1.9 : Part des impôts sur le coût du travail en % des recettes fiscales (catégories :
2300+3000)

35

30

25
France
20 Allemagne
Royaume­Uni
15
Etats­Unis

10 OCDE­Total

0
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE

Pour autant, le poids des impôts sur le coût du travail en proportion des recettes fiscales a
diminué jusqu’aux années 2000. La baisse a été particulièrement forte au Royaume-Uni entre
1980 et 1985 (-4 points). Ensuite cette part s’est stabilisée à un niveau relativement faible.
Aux Etats-Unis, ces impôts ont connu une baisse importante à partir de 1985 jusqu’à 2000.
Depuis elle s’est stabilisée.
56
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

En Allemagne, la part des impôts sur le travail est restée constante jusqu’à la mise en œuvre
des lois Hartz en 2005 sous le gouvernement de Schröder. Pour les pays de l’OCDE, cette part
a connu une hausse de 1965 à 1975 avant de stagner par la suite. Lorsqu’on regarde le poids
relatif de ces impôts en fonction du PIB (Graphique 1.10), il ressort que la France se situe à
un niveau de prélèvements sur le coût du travail très au-dessus des autres pays. Cela
s’explique surtout par le mode de financement de la protection sociale par les cotisations
sociales, mais la politique d’exonérations de cotisations patronales sur les bas salaires ainsi
que le passage aux 35 heures explique la baisse de la part des impôts sur le cout du travail à
partir de 1995.

Graphique 1.10 : Part des impôts sur le coût du travail en % du PIB (catégories : 2300+3000)

30

25

20 France
Allemagne
15
Royaume­Uni
Etats­Unis
10
OCDE­Total

0
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE

La part des impôts portant sur les autres coûts ont fortement baissé depuis 1975 que ce soit en
proportion des recettes fiscales (Graphique 1.11) ou en proportion du PIB (graphique 1.12).
En excluant le cas du Royaume-Uni et des Etats-Unis10, on remarque que la part des impôts
sur les autres coûts de production ont baissé depuis les années 1970.

10
Notons un biais statistique dans le cas des Etats Unis et du Royaume Uni où les données ne sont pas
disponibles pour les catégories : 4220, 5124, 5220 et 6100 à partir de 1980.
57
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

En France, on note une légère hausse à partir de 1980 jusqu’en 1995, mais ensuite on observe
une baisse de cette part. Dans les pays de l’OCDE, on remarque une baisse constate depuis les
années 1970. On peut donc en conclure que le travail a davantage été mis à contribution que
le capotai et les matières premières car la part des impôts sur le cout du travail est resté
quasiment constant depuis cette date.

Graphique 1.11 : Part des impôts sur les autres coûts de production en % des recettes fiscales
(catégories : 4120+4220+5124+5212+5220+6100)

12

10

8
France
Allemagne
6
Royaume­Uni
Etats­Unis
4
OCDE­Total

0
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE
58
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.12 : Part des impôts sur les autres coûts de production en % PIB (catégories
OCDE : 4120, 4220, 5124, 5212, 5220, 6100)

6 OCDE­Total
5 Etats­Unis

4 Royaume­Uni
Allemagne
3
France
2

0
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE

2.4. Evolutions des impôts sur le patrimoine (1965-2010)

L’étude du poids des impôts du patrimoine peut se révéler biaisée par la forte valorisation des
patrimoines mobiliers et immobiliers, comme nous avons pu l’observer au cours de ces deux
dernières décennies. Ainsi, il se peut que les recettes corrélées à ce type d’actifs augmentent
mécaniquement sans que de nouvelles taxes aient été créées.

La prise en compte de l’ensemble des facteurs explicatifs de la progression des patrimoines


est rendue difficile par l’opacité des données mais on peut tenter de séparer les facteurs
communs à l’ensemble des pays (mondialisation, progrès technique..) et les facteurs
nationaux (politique fiscale, réglementation du marché du travail, normes relatives aux
rémunérations des dirigeants...).
59
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Le fait que les centiles supérieurs de la distribution capturent une part croissante des revenus
tend à indiquer que le progrès technique biaisé en faveur des travailleurs qualifiés ne constitue
pas une explication satisfaisante. La baisse de la progressivité des systèmes fiscaux depuis les
années 1980 ainsi que le poids du capital dans l’économie paraissent mieux convenir aux
évolutions observées. Cependant, l’analyse et la quantification de ces différents canaux
explicatifs restent complexes.

Piketty et Zuckman (2013) expliquent un retour du capital par deux mécanismes. Cette
tendance résulte en premier lieu d’un effet-prix. Au cours du XXe siècle plusieurs chocs
majeurs (Guerres Mondiales, nationalisations...) ont causé une destruction de capital d’une
ampleur considérable. Après avoir atteints des niveaux historiquement faibles au sortir de la
Seconde Guerre Mondiale, les patrimoines ont donc opéré un processus de rattrapage (plus
marqué en Europe continentale). Le second mécanisme réside dans le ralentissement de la
croissance économique : dans un monde où la croissance est faible (1-2%) et les taux
d’épargne élevés (10%), le ratio patrimoine-revenu est mécaniquement élevé. En ce sens, la
période de forte croissance que l’Europe a connue entre 1945 et 1975 et qui a minimisé le rôle
du patrimoine est exceptionnelle si on la place dans une perspective historique de long terme.
Une croissance faible correspond donc davantage au rythme normal des économies
développées.

Malgré la forte valorisation des patrimoines au cours des trois dernières décennies, la part des
impôts sur le patrimoine en proportion des recettes fiscales se situe aujourd’hui à un niveau
inférieur à celui qu’il était en 1965 (Graphique 1.13). La baisse fut plus prononcée pour les
pays anglo-saxons. En effet les Etats Unis ont vu la part des impôts sur le patrimoine baisser
de près de 6 points dans les recettes fiscales entre 1965 et 1980, tandis que le Royaume Uni
est passé de 14% à 7% entre 1965 et 1990. On voit donc bien qu’il y a eu une volonté de
réduire la fiscalité sur les patrimoines au cours de cette période. Dans l’OCDE, on a surtout
observé une baisse de plus de 2 points entre 1965 et 1980 pour ensuite se stabiliser.
L’Allemagne, elle, connait une tendance baissière de 1965 à 2000 puis ensuite une stagnation.
60
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

La France est le seul pays de l’échantillon qui a vu la part des recettes issues du patrimoine
augmenter au cours de la période. Cependant l’augmentation apparait surtout au début des
années 1990, date à laquelle fut créé la CSG dont l’assiette fiscale comporte à la fois le salaire
et une partie des revenus issus du patrimoine11. Ces évolutions sont corroborées lorsque l’on
regarde en proportion du PIB (Graphique 1.14).

Graphique 1.13 : Evolution de la part des impôts sur le patrimoine en % des recettes fiscales
(catégories : 4100, 4200, 4300)

18

16

14

12
France
10 Allemagne
Royaume­Uni
8
Etats­Unis
6
OCDE­Total
4

0
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE

11
La CSG a une assiette fiscale comportant environ 97% du revenu des individus ; revenu du travail et revenu
du patrimoine compris.
61
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.14 : Evolution de la part des impôts sur le patrimoine en % du PIB (catégories :
4100, 4200, 4300)

4,5

3,5

3
France
2,5 Allemagne

2 Royaume­Uni
Etats­Unis
1,5
OCDE­Total
1

0,5

0
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE

Les marchés financiers ont vu leur contribution aux recettes publiques baisser sur longue
période alors que la capitalisation boursière et le montant des actifs financiers ont cru de façon
importante depuis les années1970 (Graphique 1.15). Seul le Royaume-Uni a connu une forte
hausse de la part de ces impôts à partir de 1995. Dans le cas français, les actions et titres au
passif des SNF ont connu une envolée importante, passant de 152,3 milliards d’euros en 1977
à 3 847 milliards en 1999 avant de rapportés au total des actifs non financiers diminuer à 2
223 milliards en 2002 (INSEE). La période 1996-2000 est marquée par une forte hausse de ce
ratio, tout comme pour les actions et titres au passif, qui atteint 112 % en 2000 avant qu’il ne
diminue à nouveau jusqu’à 57 % en 2002 (Firmin, 2008). La modification des modalités de
financement de l’économie qui a eu cours à partir de la période de dérèglementation
financière a accru la place du financement externe (Plihon, 2003).
62
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.15 : Part des impôts sur les transactions financières en % des recettes fiscales
(catégories 4400)

3,5

2,5

France
2
Allemagne
Royaume­Uni
1,5
Etats­Unis
OCDE­Total
1

0,5

0
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE
63
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Le Graphique 1.16 établit par l’agence Standard & Poor’s montre la hausse des cycles Cycles
des Marchés Financiers à partir des années 1980.

Graphique 1.16 : Les Cycles des Marchés Financiers avec leurs pourcentages de gain et de
pertes (1927-2011).

Source : Standard & Poor’s

On peut donc noter que la valorisation des actifs financiers et le recours de plus en plus
fréquent au financement externe n’a pas modifié le poids des impôts sur les transactions
financières. Cette part a très fortement baissé pour les Etats-Unis pour devenir quasiment nul
après les années 1990 (Graphique 1. 17). Seul le Royaume-Uni a connu une augmentation de
ce type d’impôt.
64
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.17 : Part des impôts sur les transactions financières en % du PIB (catégorie :
4400)

1,2

0,8
France
Allemagne
0,6
Royaume­Uni
Etats­Unis
0,4
OCDE­Total

0,2

0
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE

2.5. Evolution Impôts sur les Biens de consommations (1965-2010)

Les impôts sur la consommation ont toujours été un moyen privilégié pour les Etats de
prélever l’impôt. Sa simplicité de mise en œuvre et la sécurité avec laquelle ils accroissent les
recettes fiscales ont permis à ce type d’impôts d’avoir une place à part entière dans la
structure fiscale des pays développés.

Pourtant depuis 1965, on remarque que la part des impôts sur la consommation a fortement
baissé dans les pays de notre échantillon jusqu’aux années 1980 (Graphique 1.18). Ensuite, au
cours du milieu de cette décennie, cette part a augmenté en Allemagne et pour les pays de
l’OCDE. Le Royaume uni est le seul pays à avoir fortement augmenté ces impôts à partir des
années 1980. Cela a été effectué pour compenser la baisse de l’impôt sur le revenu au cours
des Tchatcher.

On remarque par contre (Graphique 1.19), que la baisse de la part de ces impôts en fonction
du PIB est moins forte que celle en proportion des recettes fiscales.
65
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Ainsi, l’ensemble des pays de l’OCDE ont vu la part de ces impôts augmenter à partir de 1975
pour ensuite stagner. L’Allemagne et évidemment le Royaume-Uni ont connu une hausse
importante à partir des années 1980. À la différence que le premier cité a encore accru la part
des impôts sur la consommation à partir de 2005 tandis que le second a fait le choix de baiser
cette part dans les années 2000. La France a vu cette part baissé fortement tandis que pour les
Etats-Unis, elle a plutôt stagné. Signalons que ce pays se distingue des par la faiblesse de ses
impôts sur la consommation dans la structure fiscale.

Graphique 1.18 : Part des impôts sur la consommation en % des recettes fiscales
(catégories : 5100, 5200)

40

35

30
France
Allemagne
25
Royaume­Uni
Etats­Unis
20
OCDE­Total

15

10
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE
66
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.19 : Part des impôts sur la consommation en % du PIB (catégories : 5100,
5200)

14

13

12

11
France
10
Allemagne
9
Royaume­Uni
8 Etats­Unis
7 OCDE­Total
6

4
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007 2010

Source : OCDE

3. Evolution des taux moyens effectifs et implicites

La présentation que nous venons d’établir du poids de l’impôt par fonction économique en %
du PIB présente une limite importante. En effet, un haut niveau d’imposition des revenus du
travail dans le PIB peut traduire l’absence de chômage et vice-versa. Par conséquent, les
économistes ont recours à l’indicateur du taux d’imposition implicite, construit à partir des
données de comptabilités nationales pour chaque fonction économique, afin de fournir une
meilleure information de la charge fiscale sur une activité économique.

Pour rappel, les taux implicites de taxation, que ce soit du travail ou d’autres bases
imposables, sont calculés à partir de données macroéconomiques, en rapportant les recettes
réellement encaissées à la base fiscale théorique telle qu’elle ressort de la comptabilité
nationale. Ils permettent donc de représenter la pression fiscale réelle, en tenant notamment
compte des éventuelles réductions octroyées comme les dépenses fiscales.
67
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

La principale source pour les comparaisons internationales des taux d’imposition implicites
est la publication annuelle d’Eurostat Taxation trends in the European Union.

Ces taux implicites diffèrent des taux effectifs d’imposition calculés par l’OCDE. Les
premiers sont des indicateurs micro-économiques qui mesurent la pression fiscale au niveau
d’une situation économique particulière (pour différentes situations familiales, pour différents
produits d’épargne, pour différents investissements, etc.) (3.1). Tandis que les taux
d’imposition effectifs ne se basent pas sur des données observées, comme c’est le cas pour
les taux implicites d’imposition, mais sont construits en appliquant au revenu imposable
certains paramètres du système fiscal. Ce sont donc des indicateurs théoriques, calculés ex
ante (3.2).

L’OCDE publie par exemple des taux d’imposition effectifs du travail salarié pour différents
niveaux de revenu et pour différentes situations familiales. Pour ce faire, l’impôt est calculé
en tenant compte de certains paramètres uniquement (barème, situation familiale, déductions
fiscales octroyées de manière automatique et inconditionnelle, ...).

Les taux implicites et les taux effectifs ont chacun leurs avantages et leurs inconvénients.
L’avantage des taux effectifs est qu’ils sont calculés ex ante, et qu’ils reflètent correctement la
modification des prix relatifs guidant le comportement des agents économiques. Les taux
effectifs permettent ainsi notamment d’examiner les effets attendus de diverses propositions
de mesures fiscales.

Les taux implicites étant au contraire calculés ex post, leurs variations sont dues non
seulement aux modifications des paramètres du système fiscal mais également aux
changements de comportement que ces modifications ont entraînés. Ils sont donc davantage
utiles pour examiner les effets des politiques menées par le passé que pour illustrer l’effet de
réformes en discussion. Par rapport aux taux effectifs, les taux implicites ont également
l’avantage d’être exhaustifs: ils reflètent toutes les variations de la pression fiscale alors que
les taux effectifs ne prennent en compte que certains paramètres du système fiscal. Les taux
implicites ont cependant l’inconvénient d’être ambigus: ils sont influencés par d’autres
variables que le système fiscal, comme notamment la conjoncture, ce qui rend parfois leur
évolution ainsi que les comparaisons internationales difficiles à interpréter.
68
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

3.1. Evolution des taux moyen effectifs sur les revenus (OCDE)

Chaque année l’OCDE12 publie une étude pour évaluer la pression fiscale sur le travail. Les
auteurs définissent à cette fin des taux d’imposition effectifs pour différents niveaux de
salaire, statuts familiaux (célibataire ou marié) et nombres d’enfants à charge. Le taux
d'imposition moyen se rapporte à la rémunération totale au niveau de revenu de l'ouvrier
moyen.

Pour chacune de ces catégories, la somme des impôts et des cotisations sociales payée est
simulée, selon les règles fiscales en vigueur, via un modèle de micro-simulation. Les données
microéconomiques de l’OCDE permettent de retracer les évolutions des taux marginaux de
taxation pour huit cas types de travailleurs, qui se distinguent par leur niveau de revenu, leur
état civil et le nombre de leurs enfants. Le taux marginal de taxation comprend les taxes et
contributions à la sécurité sociale payées par ces personnes et par leurs employeurs, ainsi que
les éventuelles allocations familiales qu’ils perçoivent. Pour observer l’évolution de la
taxation des revenus les plus faibles sans tenir compte des variations des avantages qui sont
fonction de la situation familiale, le meilleur cas type est celui d’une personne isolée et sans
enfant dont la rémunération est égale aux deux tiers du salaire moyen. Cela nous permet donc
de ne pas tenir compte de la politique familiale des pays qui diffèrent énormément suivant le
système mis en place (quotient familial, allocation, exonération) et permet d’effectuer une
comparaison plus pertinente entre les différents pays considérés.

Une recommandation récurrente des institutions internationales en matière de fiscalité du


travail est de limiter la ponction sur les revenus les plus bas, afin notamment de promouvoir la
reprise économique par un accroissement de l’offre de travail.

Nous allons donc nous intéresser en premier lieu sur l’évolution du coin fiscal ainsi que des
taux moyens d’imposition pour une personne isolée, sans enfant pour un salaire égale à 67%
du salaire moyen et pour un salaire supérieur à 167% du salaire moyen (3.1.1). Nous
étudierons ensuite plus en détail l’évolution du taux effectif de l’impôt sur le revenu (3.1.2)
avant de terminer par celui portant sur l’impôt sur le revenu et les cotisations sociales (3.1.3).

12
OCDE, Taxing Wages, Paris, Publication OCDE.
69
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

3.1.1. Evolution du coin fiscal

La mesure du coin fiscal sur les salaires présentée dans cette section est la différence entre les
coûts salariaux pour l’employeur d’un « ouvrier moyen » célibataire et le salaire net que
perçoit le travailleur. Les impôts pris en compte sont l’impôt sur le revenu des personnes
physiques, les cotisations obligatoires de sécurité sociale acquittées par l’employeur et le
salarié, ainsi que la taxe sur les salaires pour les quelques pays où elle existe. Le montant de
ces impôts et taxes est exprimé en pourcentage du coût total de main-d’œuvre pour les
entreprises, c’est-à-dire la somme des salaires bruts, des cotisations employeur à la sécurité
sociale et des taxes sur les salaires. Selon la littérature standard, le coin fiscal sur les salaires
est l’un des indicateurs de la mesure dans laquelle le système des prélèvements décourage
l’emploi.

Dans les pays de l’OCDE, en moyenne, le coin fiscal sur les bas salaires a légèrement baissé
au cours de la dernière décennie (Graphique 1.20). On s’aperçoit que cette baisse est plus
marquée à partir de 2008 ce qui est la conséquence des mesures prises par les gouvernements
pour relancer l’emploi des peu-qualifiés. On remarque également que la baisse fut plus
marquée pour le Royaume-Uni et l’Allemagne tandis que les Etats-Unis et particulièrement la
France ont augmenté le coin fiscal pour ces niveaux de revenu. Il semble donc que les
principaux pays ont suivi avec plus ou moins de réussite les prédictions émises par la théorie
standard de l’offre de travail
70
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.20 : Evolution du coin fiscal pour un salaire égal à 67% (2000-2013)

50

45

France
40
Allemagne
Royaume­Uni
35 États­Unis
Moyenne OCDE

30

25
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Source : OCDE

L’évolution du coin fiscal des hauts revenus suit une tendance légèrement différente que pour
les bas revenus (Graphique 1.21). Dans l’OCDE, le coin fiscal a très peu baissé entre 2000 et
2013. Il a tout de même augmenté pour la France et le Royaume-Uni mais dans une
proportion moindre que pour les bas revenus. En effet, le coin fiscal des hauts revenus a
augmenté de 1.7 points en France entre 2000 et 2013 et de 2 points pour le Royaume-Uni. Par
contre l’Allemagne a davantage baissé le coin fiscal des hauts revenus que pour les bas
revenus. Pour les premiers, la baisse a été d’au moins de 5 points sur la période contre une
baisse de 2.5 points pour les bas revenus. Aux Etats-Unis, le coin fiscal des hauts revenus est
resté quasiment inchangé sur la période.
71
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.21 : Evolution du coin fiscal pour un salaire égal à 167% (2000-2013)

60

55

50
France
Allemagne
45
Royaume­Uni
États­Unis
40
Moyenne OCDE

35

30
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Source : OCDE (2013)

3.1.2. Evolution du taux moyen d’imposition sur les revenus

Ce ratio permet d’exprimer la part de l’impôt sur le revenu dans le salaire des individus pour
différents niveau de salaire.

On observe une tendance à la baisse du taux moyen d’imposition sur les revenus pour
l’ensemble des pays de 2000 à 2010 mais avec des évolutions contrastées (Graphique 1.22).
La crise économique et les plans de relance visant à encourager l’emploi des peu-qualifiés a
sans aucun doute joué un rôle dans cette évolution. Les baisses ont été particulièrement
prononcées pour l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. La pression fiscale portant
sur les bas salaires est bien moins forte en moyenne dans l’OCDE que dans les autres pays de
l’échantillon. Après la fin des plans de relance, seul le Royaume-Uni a poursuivi la baisse de
la part de l’impôt sur le revenu sur les bas salaires. La France et surtout les Etats-Unis ont
semblé accroitre la pression fiscale issue de l’impôt sur le revenu après la fin des plans de
relance.
72
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.22 : Evolution du taux moyen d’imposition sur le revenu pour un salaire égal à
67%

17

16

15
France
14 Allemagne
Royaume­Uni
13
États­Unis
Moyenne OCDE
12

11

10
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Source : OCDE

La pression fiscale issue de l’impôt sur le revenu suit une tendance à la baisse dans tous les
pays de l’échantillon, excepté la France qui a conservé un niveau quasi-constant entre 2000 et
2013 (Graphique 1.23). La baisse a été la plus forte pour l’Allemagne (-4 points) et les Etats-
Unis (-1,4 point entre 2006 et 2012). Au Royaume-Uni, ce taux a baissé après la crise de 2007
et n’a quasiment pas progressé lors de l’arrêt des politiques de relance ce qui marque une
volonté du gouvernement britannique de ne pas augmenter la charge fiscale sur les hauts
salaires.
73
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.23: Evolution du taux moyen d’imposition sur le revenu pour un salaire égal à
167%

33

31

29

27
France
25 Allemagne

23 Royaume­Uni
États­Unis
21
Moyenne OCDE
19

17

15
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Source : OCDE

3.1.3. Evolution du taux d’imposition moyen sur le revenu plus les


cotisations sociales

Ce ratio permet d’exprimer la part de l’impôt sur le revenu et des cotisations sociales dans le
salaire des individus pour différents niveaux de salaire.

Lorsqu’on prend en compte la fiscalité qui porte sur les salaires (IR + cotisations sociales) les
évolutions semblent beaucoup moins importantes (Graphique 1.24) que celles portant sur
l’impôt sur le revenu seul. On peut en conclure que l’évolution des cotisations sociales est
venue contrecarrer en partie la baisse du taux moyen sur le revenu. L’Allemagne et le
Royaume-Uni ont été les seuls pays à baisser franchement la pression fiscale sur les bas
revenus. Les pays de l’OCDE ont plutôt vu ce taux baissé tandis que les Etats-Unis et la
France ont connu une relative stagnation de ce taux entre 2000 et 2013.
74
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.24: Evolution du taux moyen sur le revenu plus les cotisations sociales pour un
salaire égal à 67%

40

35

France
30
Allemagne
Royaume­Uni
25 États­Unis
Moyenne OCDE

20

15
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Source : OCDE

On observe les mêmes conclusions pour l’évolution de ce taux concernant les hauts revenus
(Graphique 1.25). L’Allemagne est le seul pays de l’échantillon à avoir baissé
significativement la pression fiscale sur cette catégorie de revenus (- 5 points sur la période).
Cependant en 2000, ce taux moyen était très supérieur à ceux des autres pays de l’échantillon
et reste bien au-dessus en 2013 malgré la forte diminution de la période précédente. On
observe une légère baisse pour les pays de l’OCDE entre 2000 et 2013. La France, quant à
elle, a légèrement augmenté cette pression sur la période.
75
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.25: Evolution du taux moyen sur le revenu plus les cotisations sociales pour un
salaire égal à 167%

55

50

45
France
Allemagne
40
Royaume­Uni
États­Unis
35
Moyenne OCDE

30

25
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Source : OCDE

3.2. Evolution des taux d’impositions implicites sur le travail, la


consommation et le capital

Les taux d’imposition implicites ont l’avantage d’apprécier les changements de comportement
du aux évolutions de la fiscalité. Ils sont donc davantage utiles pour examiner les effets des
politiques menées par le passé que pour illustrer l’effet de réformes en discussion. Par rapport
aux taux effectifs, les taux implicites ont également l’avantage d’être exhaustifs: ils reflètent
toutes les variations de la pression fiscale alors que les taux effectifs ne prennent en compte
que certains paramètres du système fiscal. Plusieurs ratios sont calculés : sur la consommation
(3.2.1), sur le travail (3.2.2) et sur le capital (3.2.3).
76
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

3.2.1. Taux d’imposition implicite sur la consommation

Le taux d’imposition implicite de la consommation est le rapport entre les impôts sur la
consommation et leur base imposable. Les impôts sur la consommation sont définis comme
des impôts prélevés sur les transactions entre les consommateurs finaux et les producteurs, et
sur les biens de consommation finale. Ils sont constitués à 95% des impôts sur les produits
(TVA, accises, etc.). La base imposable des impôts sur la consommation est la consommation
finale des ménages sur le territoire économique.

Au niveau des pays de l’OCDE, la part des taxes à la consommation est forte dans les Etats
membres ayant rejoint l’Union lors des deux derniers élargissements. La part des taxes à la
consommation sont relativement faibles notamment par rapport aux pays de l’Europe de l’Est
et du Nord de l’Europe tout comme l’Australie. Cependant les chiffres les plus récents sont
disponibles uniquement dans la base de données Eurostat. L’OCDE a modifié sa méthode de
calcul ce qui ne permet pas d’établir des comparaisons sur séries temporelles.

Graphique 1.26 : Evolution des taux d’impositions implicites sur la consommation (1995-
2011) (en %)

23,0

22,0

21,0

20,0 Allemagne
France
19,0
Royaume­Uni
18,0 UE (27 pays)
Zone Euro
17,0

16,0

15,0
1995 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011

Source : Eurostat
77
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Au total, la taxation implicite de la consommation s’est repliée de 0,4 points dans la zone euro
entre 2000 et 2011 (Graphique 1.26) La relative stabilité observée en début de période a été
mise à mal par l’éclatement de la crise financière et économique et par ses conséquences. En
effet, en 2008 et en 2009, la diminution a été vive, et ce pour un ensemble de raisons.

D’abord, elle était la conséquence des mesures de relance prises afin de soutenir la demande
finale. Ces dernières ont essentiellement consisté à un abaissement des taux de TVA standard
notamment au Royaume-Uni. La fin des politiques de relance marque le retour à des taux
d’imposition implicites à leur niveau d’avant crise. L’Allemagne a augmenté les taux de TVA
à partir de 2005 afin de financer la baisse des cotisations sociales dans le cadre des lois Hartz,
tandis que la France suit les mêmes évolutions que les pays de la zone Euro et de l’Union
Européenne.

Depuis 2010, par contre, plus de la moitié des États membres de la zone euro ont procédé à
une augmentation des taux de TVA standard et/ou réduits. En outre, plusieurs d’entre eux ont
limité le nombre de produits et services exemptés de TVA ou bénéficiant de taux réduits.

Graphique 1.27 : Evolution du taux normal de TVA pour l’UE (27) et la zone Euro

Source : Eurostat (2013)

On remarque que les taux de TVA ont augmenté au cours de la dernière décennie dans la zone
Euro et l’Union Européenne (Graphique 1.27). Cette hausse traduit la volonté des pays de la
zone Euro d’encourager les impôts neutres sur le plan économique afin de réduire les
distorsions sur l’allocation optimale des ressources. Le second chapitre de cette thèse sera en
partie consacré à cette étude.
78
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

3.2.2. Taux d’imposition implicite sur le travail

Le taux d’imposition implicite du travail correspond au rapport entre les impôts sur le travail
salarié et leur base imposable. Le revenu de l’activité indépendante n’est pas pris en compte
dans le taux implicite du travail salarié. Il est intégralement considéré comme un revenu du
capital et intégré comme tel dans le taux implicite d’imposition du capital.

Dans tous les Etats membres, les revenus du travail font partie, avec les revenus du capital, les
revenus des indépendants et les revenus de remplacement, du revenu des ménages imposé par
l’impôt sur le revenu des personnes physiques ou des ménages. Afin de calculer le taux
d’imposition implicite du travail salarié, il faut isoler la partie de l’impôt sur le revenu qui est
due sur les revenus du travail salarié. Outre la partie des impôts sur le revenu qui est due sur
les revenus du travail salarié, les impôts sur le travail salarié comprennent aussi les impôts sur
la masse salariale ou les effectifs employés ainsi que les cotisations sociales obligatoires
effectives à la charge des employeurs et des salariés.

La base imposable des impôts sur le travail est constituée des salaires et traitements bruts
(comprenant la partie de l’impôt sur le revenu retenue à la source ainsi que les cotisations
sociales à la charge des salariés), des cotisations sociales à la charge des employeurs et des
impôts sur la masse salariale ou les effectifs employés. Les cotisations « fictives » sont assez
complexes à prendre en compte au dénominateur13.

13
Les cotisations sociales fictives, appelées aussi cotisations sociales imputées sont incluses au dénominateur.
Elles représentent «la contrepartie des prestations sociales fournies directement, c’est-à-dire en dehors de tout
circuit de cotisations, par les employeurs à leurs salariés, ex-salariés et autres ayant droit». Il s’agit par exemple
des pensions et allocations familiales des fonctionnaires du fédéral, des communautés et des régions, ou bien,
pour les travailleurs du secteur privé, des allocations familiales extra-légales, des interventions de l’employeur
dans les frais médicaux, etc. Lorsque l’employeur passe par une société d’assurance ou un fonds de pension
autonome, les primes versées par l’employeur pour faire bénéficier le travailleur de ces services sont considérées
comme des cotisations sociales effectives (versées au secteur privé) et non pas fictives. Ces cotisations fictives
sont incluses au dénominateur car elles représentent un élément du coût salarial. Elles ne sont par contre pas
incluses au numérateur car il n’y a pas de prélèvement obligatoire
79
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

En matière d’imposition sur le travail, on constate que les taux sont à un niveau élevé et
particulièrement sur la période 1995-2009 et oscille entre 37 à 36% pour l’UE27 et entre
28.3% à 38.2% pour la zone euro (Graphique 1.28). L’impact des cycles de croissance est de
faible amplitude, même si on constate un alourdissement de la taxation en phase ascendante et
une diminution en phase descendante.

Graphique 1.28 : Evolution des taux d’impositions implicites sur le travail (1995-2011)

43,0

41,0

39,0

37,0
Allemagne
35,0
France
33,0
Royaume­Uni
31,0 UE (27 pays)
29,0 Zone Euro

27,0

25,0

23,0
1995 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011

Source : Eurostat

Dans la zone euro considérée dans son ensemble, le taux de taxation implicite du travail était,
en 2011, légèrement inférieur à ce qu’il était en 2000. Cette diminution n’a toutefois pas été
continue. Ainsi, le recul avait été assez linéaire jusqu’en 2005. ll a résulté de la crise et du
caractère procyclique des taxes sur le travail, la progressivité des impôts sur les personnes
physiques impliquant alors une diminution des taxes plus vive que celle de la base imposable.
L’augmentation fut beaucoup plus forte au Royaume-Uni tandis que la France a vu ce taux se
redresser à partir de 2005 pour baisser en 2007. En 2009, la chute de ce taux a été
particulièrement marquée et s’explique par des mesures favorables à l’affaiblissement de la
pression fiscale dans le cadre des plans de relance. L’augmentation des années 2010-2011
s’explique en particulier par la volonté de rétablir l’équilibre des comptes publics.
80
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Ces taux sont calculés au niveau agrégé ce qui empêche une analyse par niveau de revenu. En
effet, la théorie standard estime que l’impôt sur le travail doit être le plus faible possible pour
les salariés du bas de l’échelle de revenu. C’est à ce niveau que les effets de l’impôt sur le
revenu et des cotisations sociales créent le plus de distorsions. L’étude des taux effectifs
d’imposition avait montré que cette baisse était effective pour les bas et les hauts salaires. Du
point de vue des taux d’impositions implicites, il nous manque des données désagrégées par
revenu pour comparer les résultats.

3.2.3. Taux d’imposition implicite sur le capital

De tous les taux d’imposition implicites, le calcul du taux sur le capital est de loin le plus
complexe. Ceci est dû au fait que sa base est très large et, par conséquent, reflète une grande
variété de facteurs. Ainsi, il faut l’interpréter de manière prudente.

Les impôts sur le capital comprennent en effet non seulement les impôts sur les revenus du
capital mais également les impôts prélevés sur la richesse ou sur le stock de capital, ainsi que
sur les transactions d’actifs.

Les impôts sur les revenus du capital comprennent les impôts sur les revenus du capital des
ménages, les impôts sur les revenus de l’activité indépendante et l’impôt des sociétés. Les
impôts sur la richesse ou le stock d’actifs comprennent notamment les droits d’enregistrement
et les droits de succession.

Etant donné la grande variété des impôts que représentent les impôts sur le capital, Eurostat
publie quatre taux d’imposition implicite relatifs au capital:

­ Le taux d’imposition implicite des sociétés (3.2.3.1)


­ Le taux d’imposition implicite des revenus du capital des ménages et de l’activité
indépendante (3.2.3.2).
­ Le taux d’imposition implicite des revenus du capital dans leur ensemble, qui porte sur
les revenus du capital des ménages, les revenus de l’activité indépendante et les
bénéfices des sociétés.
­ Le taux d’imposition implicite du capital, qui porte sur les revenus du capital dans leur
ensemble ainsi que sur la richesse ou le stock d’actifs (3.2.3.3).
81
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Il ressort des données de la Commission Européenne que le taux implicite de taxation du


capital a reculé de 1,3point dans la zone euro entre 2000 et 2011, ce qui l’a ramené à 28,9%
(Graphique 1.29). Une fois de plus, ce mouvement n’a pas été linéaire. On remarque une forte
hausse de 1995 à 2000 qui s’explique par la tendance haussière des bourses sous l’effet de
l’essor des NTIC et de l’inflation immobilière. On enregistre ensuite une légère baisse de
2001 à 2004 suivit d’une nette hausse enregistrée entre 2004 et 2007 ayant porté ce taux à des
niveaux temporairement supérieurs à ce qu’ils étaient au début du siècle. À la suite de
l’éclatement de la crise financière, il a par contre fortement diminué jusqu’en 2010, avant de
se redresser quelque peu en 2011. La baisse totale sur la période allant de 2000 à 2011 a été
particulièrement marquée dans certains pays comme le Royaume-Uni. À l’inverse, certains
pays qui affichaient déjà un taux élevé eu égard à la moyenne européenne, se sont encore
écartés de celle-ci après que ce taux implicite avait augmenté, à l’instar de la France qui a vu
le taux d’imposition implicite sur le capital fortement augmenté à partir de 2010. En termes de
niveau, l’Allemagne se situe toujours bien en dessous de la France et du Royaume-Uni.

Graphique 1.29 : Evolution des taux d’impositions implicites sur le capital (1995-2011)

50,0

45,0

40,0

Allemagne
35,0
France
30,0 Royaume­Uni
Zone Euro
25,0

20,0

15,0
1995 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011

Source : Eurostat
82
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

3.2.3.1. Taux d’imposition implicite des sociétés

Le taux d’imposition implicite des sociétés correspond à l’impôt des sociétés divisé par sa
base imposable. En ce qui concerne l’Allemagne, la taxe professionnelle locale
(Gewerbesteuer) est ajoutée à l’impôt des sociétés au numérateur. Il en est de même pour
l’ancienne version de la taxe professionnelle en France14.

La base imposable de l’impôt des sociétés correspond à l’excédent net d’exploitation et au


solde des revenus de la propriété (hors dividendes) reçus ceux moins versés au secteur des
sociétés et quasi-sociétés. Les dividendes reçus provenant de sociétés localisées dans le pays
ne sont pas intégrés en tant que tels au dénominateur. En effet, ceux-ci étant payés sur
l’excédent net d’exploitation, ils sont inclus dans celui-ci et apparaissent donc déjà au
dénominateur. La question se pose néanmoins de savoir si les dividendes provenant du reste
du monde doivent ou non être intégrés dans la base imposable.
Le taux d’imposition implicite suit de manière important les variations de la conjoncture. Pour
cette raison les évolutions entre la France, le Royaume-Uni15et le zone Euro sont similaires.
On remarque tout de même que la France a vu son taux fortement augmenter après 2009
(Graphique 1.30). En 2002, le Royaume-Uni a fortement baissé la pression fiscale sur les
bénéfices sans que cette diminution soit expliquée par une baisse importante de la croissance
à cette date. La faible augmentation du taux d’imposition sur les sociétés dans ce pays après la
fin des plans de relance montre la volonté pour le gouvernement britannique de faire baisser la
fiscalité pesant sur les entreprises.

14
Cette taxe a été remplacée en 2010 par la contribution économique territoriale basée principalement sur la
valeur du stock immobilier de l’entreprise. De fait, elle est maintenant allouée aux taxes sur la richesse ou le
stock d’actifs

15
Les données pour l’Allemagne ne sont pas disponibles pour cette catégorie d’impôt
83
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.30 : Evolution des taux d’impositions implicites des sociétés (échelle de
gauche) et évolution du taux de croissance (échelle de droite) (1995-2011)

35,0 6

4 France
30,0
2 Royaume­Uni

25,0
0 Zone Euro

­2
20,0 Taux de croissance France
­4
15,0 Taux de croissance Royaume
­6 Uni
Taux de croissance Zone Euro
10,0 ­8

Source : Eurostat

3.2.3.2. Taux d’imposition implicite des revenus du capital des


ménages et de l’activité indépendante

Le taux d’imposition implicite des revenus du capital des ménages et de l’activité


indépendante correspond au rapport entre les impôts prélevés sur les revenus du capital des
ménages et de l’activité indépendante, et leur base imposable. Les impôts sur les revenus du
capital des ménages et de l’activité indépendante sont constitués principalement de
l’estimation de la partie de l’impôt sur les revenus qui est issue du capital. Leur base
correspondante est composée de l’excédent net 16 d’exploitation des ménages, du revenu mixte
des indépendants, et du solde financier net des ménages (constitué de la différence entre les
intérêts perçus et versés, de la différence entre les loyers perçus et versés, des dividendes et
des revenus de la propriété attribués aux assurés).

16
Le terme «net» fait référence ici au fait qu’on déduit la consommation de capital fixe de l’excédent brut
d’exploitation. Lorsqu’on parle, un peu plus loin du revenu financier net, le terme «net» se réfère là au fait qu’on
déduit les flux financiers versés des flux financiers reçus.
84
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Il est à noter que ce taux peut faire l’objet d’une surestimation. D’une part, le fait de
considérer le revenu financier net (c’est-à-dire les revenus perçus moins versés) plutôt que le
revenu financier brut (c’est-à-dire les revenus perçus uniquement) mène à une sous-estimation
de la base imposable par rapport à un système fiscal de référence. En effet, dans un système
de référence, la base imposable devrait être le revenu perçu moins les dépenses effectuées afin
de générer ce revenu. Selon ce principe, on peut déduire les intérêts des emprunts que les
indépendants effectuent dans le cadre de leur activité professionnelle, ainsi que les intérêts
hypothécaires puisqu’ils permettent de produire des services de logement. D’autre part, les
plus-values sur les actions ne sont pas incluses au dénominateur alors qu’elles sont imposées
dans certains pays17. A la fin des années 1990, ces gains ont été importants, ce qui a entraîné
une augmentation du taux d’imposition implicite des revenus du capital dans les pays où les
plus-values sur actions sont taxées. Avec la chute des cours boursiers en 2001, le taux
d’imposition implicite a au contraire diminué.

Les taux d’impositions implicites sur les revenus du capital ont connu une augmentation
constante depuis une décennie (Graphique 1.31). La crise économique de 2001 n’a pas entamé
le potentiel de croissance des revenus du capital au point où ce taux a augmenté de près de 4
points dans la zone Euro, tandis que le Royaume-Uni a connu une très forte augmentation.
L’explication réside en particulier de la croissance du numérateur, c’est-à-dire l’ensemble des
plus-values mobilières et immobilières qui a cru plus vite que la croissance.

17
En Allemagne, les plus-values sur actions sont imposées à un taux de 25% depuis le premier janvier 2009.
Avant cela elles étaient exonérées. En France, les plus-values sur actions sont imposées à un taux de 31,3%
(contribution sociale généralisé et contribution pour le remboursement de la dette sociale incluses)
.
85
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Graphique 1.31 : Evolution des taux d’imposition implicite des revenus du capital des
ménages et de l’activité indépendante (1995-2011)

22,0

20,0

18,0

France
16,0
Royaume­Uni
Zone Euro
14,0

12,0

10,0
1995 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011

Source : Eurostat

3.2.3.3. Le taux d’imposition implicite du capital sur les revenus


du capital dans leur ensemble ainsi que sur la richesse ou
le stock d’actifs

Le taux d’imposition implicite du capital comprend au numérateur les impôts sur les revenus
du capital comme le taux implicite précédent, mais aussi les impôts sur la richesse et le stock
d’actifs ainsi que leurs transactions (droits d’enregistrement, de succession, etc.).

La comptabilité nationale ne fournit pas d’indicateur sur la base imposable de ces impôts sur
la richesse ou le stock d’actifs. Le dénominateur ne comprend donc pas la base imposable de
ces impôts.

Prenons l’exemple des actifs immobiliers : Le numérateur du taux implicite du capital


contient les impôts prélevés sur le stock d’actifs immobiliers (par exemple les droits
d’enregistrement et le précompte immobilier) et les impôts prélevés sur les revenus
immobiliers (par exemple l’impôt sur le revenu).
86
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Les premiers devraient avoir comme base imposable la valeur des biens immobiliers, les
seconds les loyers que ces biens procurent.

La comptabilité nationale ne comptabilisant pas la valeur des actifs immobiliers (elle ne


comptabilise que des flux de revenus), seuls les loyers sont compris dans la base imposable.
Plus précisément, les loyers sur les terrains sont comptabilisés, et les loyers sur les logements
(y compris les loyers imputés perçus par le propriétaire-occupant) sont inclus dans l’excédent
net d’exploitation des ménages.

Le fait que le numérateur contient des impôts dont la base imposable est absente du
dénominateur explique que le niveau du taux d’imposition implicite du capital soit plus élevé
que les taux faciaux des différents impôts prélevés sur le capital.

Graphique 1.32 : Evolution des taux d’impositions implicites sur les revenus du capital dans
leur ensemble (1995-2011)

28,0

26,0

24,0

22,0
Allemagne
20,0
France
18,0 Royaume­Uni
16,0 Zone Euro

14,0

12,0

10,0
1995 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011

Source : Eurostat

Les taux d’imposition des revenus du capital dans leur ensemble ont baissé depuis une
décennie. Ce résultat semble en contradiction avec la valorisation des patrimoines mobiliers et
immobiliers que nous avons déjà expliqués auparavant (Graphique 1.32).
87
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Il semblerait donc que malgré la reconstitution et la croissance des patrimoines, la pression


fiscale sur le patrimoine total a baissé pour l’ensemble des pays étudiés. La part de
l’imposition du capital est élevée au Royaume Uni et à un niveau modérée pour l’Allemagne,
la France.

En général, on remarque que l’imposition du stock de capital est relativement moins


importante que l’imposition des revenus du capital et des sociétés, à l’exception de la France
où les deux types d’imposition ont un poids relativement semblable.

Il est important de rappeler que la taxation implicite du capital est calculée comme étant le
ratio entre, d’une part, les taxes sur le capital et sur les revenus qui en découlent et, d’autre
part, le total des revenus du capital (y compris ceux des sociétés et des indépendants). Il y a
donc une certaine incohérence statistique entre le numérateur et le dénominateur de cet
indicateur. il est néanmoins intéressant d’observer, sur une période de moyen terme, la
manière dont la taxation du capital et des revenus de celui-ci a évolué.

4. Conclusion : Evolution des structures fiscales et prescriptions des


institutions internationales

Les institutions économiques internationales (FMI, Commission Européenne, OCDE) et


nationales recommandent que la taxation des revenus du travail soit allégée pour limiter les
distorsions en matière d’offre de main d’œuvre et insistent sur le besoin de procéder au
transfert d’une partie de la pression fiscale du facteur travail vers d’autres sources de recettes.
Ces mêmes institutions préconisent également de ne pas transférer la charge fiscale sur les
revenus des profits et du capital afin de ne pas pénaliser l’investissement et l’innovation.

Les arguments économiques se fondent sur l’incidence des instruments fiscaux sur la
croissance économique18. Une publication de l’OCDE se base sur une analyse empirique
menée sur 21 pays pour établir que « les impôts sur le revenu sont en général associés avec
une croissance plus faible que celle associée aux impôts sur la consommation et sur le
patrimoine » (Arnold, 2008). Cette publication établit même la hiérarchie des impôts ayant le
plus d’impact sur la croissance.
18
Ces éléments théoriques seront développés dans le chapitre suivant.
88
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

À cet égard, les plus néfastes seraient, dans l’ordre, les impôts sur les revenus des sociétés, les
revenus des individus, sur la consommation et, enfin, sur le patrimoine et en particulier sur la
propriété immobilière.

Une étude plus récente (Arnold et al., 2011) montre que le changement de taxation le plus
efficace en termes de reprise économique dans les circonstances actuelles serait la réduction
des taxes sur les bas revenus, ce qui stimulerait la demande, augmenterait l’offre de travail et
atténuerait les inégalités de revenus.

On peut synthétiser les résultats obtenus dans ce chapitre sur les modifications de la structure
et des charges fiscales et observer si les réformes ont suivi les recommandations des
institutions internationales et nationales.

La baisse de la taxation du travail n’a pas été partout opérée de manière importante. Les
mesures agrégées en termes d’incidence économique et les résultats des travaux effectués sur
la base de la méthode originale explicitée en début de chapitre, montrent que la part des
impôts sur le travail en pourcentage du PIB ou des recettes fiscales a fortement augmenté
entre 1965 et 2010 dans une majorité de pays. Le Royaume-Uni constitue une exception
notable. Par ailleurs, l’évolution des taux effectifs moyens sur les salaires révèlent la baisse du
coin fiscal pour les bas revenus au cours de la dernière décennie ce qui rejoint une partie des
recommandations des institutions économiques internationales. Ce résultat est confirmé
lorsqu’on étudie l’évolution des taux moyens de l’impôt sur le revenu, qui est en général le
seul impôt progressif. Ce taux a aussi baissé pour les hauts salaires, en particulier en
Allemagne. La France est le seul pays de l’échantillon où ce taux a augmenté pour les bas et
les hauts salaires. Lorsqu’on y intègre les cotisations sociales, on observe une stagnation du
taux effectif moyen pour la plupart des pays (excepté le Royaume-Uni) ainsi qu’une baisse de
ce taux pour les hauts salaires en Allemagne. On s’aperçoit donc que la hausse des cotisations
sociales a compensé la baisse du taux moyen des impôts sur le revenu, ce qui permet de
conclure à une baisse de la progressivité car les cotisations sociales restent avant tout un
prélèvement proportionnel. Ce résultat est confirmé par l’observation de la structure fiscale
pour l’ensemble des pays de l’OCDE où le poids des cotisations sociales a augmenté au cours
de ces trente dernières années. L’observation des évolutions des taux implicites sur le travail
montre une légère baisse depuis une dizaine d’années sauf au Royaume-Uni.
89
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

La hausse de la part des recettes issues des impôts sur le travail et la baisse des taux
individuels n’est pas un résultat contradictoire car le taux de prélèvement obligatoire a
augmenté fortement au cours des trente dernières années, ce qui traduit finalement que leur
contribution aux recettes fiscales est plus importante. Notons que la part des impôts sur le
coût du travail a eu tendance à augmenter légèrement entre 1965 et 2010, tandis que les
impôts sur les autres coûts de production ont fortement baissé.

Les impôts sur les sociétés et le capital seraient nocifs à la croissance économique lorsque leur
poids est trop élevé (Harberger, 1962 ; Canto, Joines et Laffer, 1978). L’analyse des ratios
agrégés montre une baisse de la part de l’impôt sur les sociétés aux Etats-Unis et en
Allemagne. Le Royaume-Uni échappe à ce mouvement. Quant à la France, elle se caractérise
par une augmentation de cette part entre 1965 et 2010. Si l’on considère les taux
d’impositions implicites des sociétés une baisse peut être observée sur ces dix dernières
années, mais cette observation peut aussi traduire le caractère pro-cyclique de ce prélèvement.
Cependant, à long terme la charge fiscale sur les sociétés tend à baisser.

S’agissant des impôts sur le patrimoine, les mesures agrégées montrent clairement une baisse
de leur contribution aux recettes fiscales, à l’exception de la France qui est le seul pays de
l’échantillon à conserver un impôt périodique sur le patrimoine (ISF). Les taux implicites sur
le capital ont plutôt baissé depuis le début des années 2000 et ceux des prélèvements portant
sur l’ensemble du capital ont connu une forte baisse après 2000 pour ensuite légèrement
remonter. En longue période, la forte valorisation des patrimoines mobiliers et immobiliers
auraient dû accroitre plus largement la contribution des revenus du capital aux recettes
fiscales, c’est ce que traduit l’augmentation entre 1995 et 2010 du taux implicite d’imposition
sur les revenus du patrimoine des ménages et des indépendants. On peut donc en déduire que
les gouvernements ont eu tendance à réduire l’imposition des patrimoines au cours des
dernières décennies.

Il nous reste dorénavant à observer les évolutions des impôts sur la consommation. Comme on
l’a déjà indiqué les institutions internationales préconisent régulièrement de relever la fiscalité
sur la consommation, afin de permettre d’alléger celle sur le travail pour atténuer les
distorsions qu’impliquent les taxes sur les facteurs de production.
90
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Sur le plan agrégé, il y a eu une forte augmentation de la part des taxes sur les biens de
consommation courants et spécifiques dans les recettes fiscales entre 1965 et 2010 pour
l’ensemble des pays de l’OCDE. Cependant la mesure agrégée que nous avons adopté montre
des évolutions plus contrastées entre les différents pays de l’échantillon considéré. La part des
impôts sur la consommation en pourcentage des recettes fiscales stagne pour les pays de
l’OCDE à partir de 1975. Le Royaume-Uni voit cette part fortement augmenter à partir de
1980 tandis que l’Allemagne suit la même évolution après 1985. La France et dans une
moindre mesure les Etats-Unis voient la part des impôts sur la consommation diminuer à
l’entame des années 1980.

L’évolution de la structure fiscale des pays étudiés dans ce premier chapitre semble aller dans
le sens des prescriptions des grandes institutions internationales. La part des prélèvements sur
les sociétés et le patrimoine a diminué dans l’ensemble de ces pays à partir des années 1980.
Les prélèvements sur le travail et la consommation ont partiellement compensé le manque à
gagner fiscal en résultant. Cela a conduit à une diminution de la progressivité du système
fiscal dans l’ensemble des pays de l’OCDE. De fait, les hausses de prélèvements se sont
concentrées sur les impôts sur la consommation et les cotisations sociales. La baisse
importante des taux marginaux les plus élevés du barème de l’impôt sur le revenu participe de
ce mouvement. Il n’en demeure pas moins qu’à partir des années 2000, les gouvernements se
sont davantage rapprochés des prescriptions des institutions internationales en abaissant le
taux moyen d’imposition sur les salaires les plus faibles, sans rétablir le principe de
progressivité du système fiscal.

Notre travail de thèse consiste à évaluer l’impact macroéconomique des réformes fiscales en
s’affranchissant des limites de la théorie standard qui part de comportements microfondés.
Nous avons pris le partie, dans ce chapitre, de comparer à la fois le poids des prélèvements
obligatoires en fonction du PIB mais également en fonction du montant des recettes fiscales
afin d’avoir un aperçu des évolutions du poids des différents prélèvements sur les différents
agents économiques et de leur incidence économique. Cette méthode nous permet de répondre
aux éventuels problèmes pouvant résulter de l’utilisation de ce qui n’est qu’une
décomposition du taux global de prélèvements obligatoires, mais également de s’en tenir à
une pure mesure de structure.
91
Chapitre 1 : Evolution de la structure fiscale pour les pays de l’OCDE, L’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Enfin, cela permet de nous rapprocher des analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale
qui porte sur les effets d’une modification de la structure fiscale sur les variables
macroéconomiques visant à déterminer les déplacements de la charge fiscale sur les
différentes classes sociales.

Ce chapitre nous a permis de décrire les faits stylisés relatifs à l’évolution des structures
fiscales. Ce faisant, nous avons souligné l’évolution de la répartition de la charge fiscale
durant ces trois dernières décennies. Elle s’est effectuée à l’encontre des salariés car les
impôts proportionnels sur la consommation et les prélèvements sur le revenu des travailleurs
ont été davantage sollicités afin de favoriser les revenus des sociétés et du capital.

Dans le chapitre suivant nous analysons les origines théoriques de ces prescriptions. Puis nous
identifions les points faibles de la théorie standard pour ensuite appréhender quels ont été les
renouvellements opérés dans le domaine de l’étude de l’incidence de l’impôt.
92
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes.


Présentation de la théorie de l’incidence fiscale
chez les néoclassiques

Le chapitre précédent a permis de rendre compte des principaux axes des réformes fiscales
engagées dans les principaux pays de l’OCDE. La politique fiscale est aujourd'hui au cœur de
l'action économique publique et de manière générale, l'impôt figure dans les premières places
parmi les instruments que mobilise l'Etat pour mener à bien ses projets de transformation
économique et sociale. Les nombreuses réformes engagées au cours des années 1980 ont été
soutenues par un support théorique propre. Au cours des années 1970, la science économique
s’est tournée vers une analyse centrée sur l’offre en utilisant les progrès de l’économétrie pour
justifier les recommandations pratiques de la théorie. Pendant cette décennie, la théorie
appliquée a acquis une influence considérable sur la conception de la réforme fiscale (Kay,
1990). Les modifications dans les outils d’analyse des politiques ont influencé les politiques
en elles-mêmes.

Dans les finances publiques modernes, les biens publics représentent une partie secondaire de
l’activité d’un Etat. Une grande partie des dépenses publiques sont consacrées à la mise à
disposition aux usagers, à des prix bien inférieurs aux coûts, de biens privés tels que la santé
et l'éducation. Le maintien du revenu est une autre fonction principale. Ensemble, ces
catégories représentent plus de la moitié des dépenses publiques pour tous les pays
développés. La nature originelle de l'activité financière d’un Etat est désormais d’augmenter
les taxes sur certains produits et d'autoriser les subventions sur les autres, ou, d'imposer des
taxes sur certains individus de faire des dons à d'autres.
93
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Le lien entre la fiscalité et les dépenses est symétrique, mais cette symétrie est rarement prise
en compte dans la théorie ou la pratique de la politique fiscale. Les années 1980 ont vu le
rythme des réformes s’accélérer sans précédent.

En 1986, le Congrès des États-Unis a adopté une loi prévoyant une restructuration majeure de
son système d'imposition directe. Le Gouvernement néo-zélandais a mis en œuvre l'une des
réévaluations les plus radicales de son système d'imposition jamais entreprises par un pays
occidental. La Grande-Bretagne a vu deux importantes séries de mesures de réforme fiscale,
en 1984 et 1988. Le Japon et l’Allemagne de l'Ouest, malgré une forte opposition politique,
ont commencé le processus de restructuration de leurs systèmes fiscaux dans les années 1990.
La France, ne sera pas épargnée par ce mouvement car dès le début des années 1990, une
simplification et une baisse généralisée des taux sont proposés. Le « bouclier fiscal » issu du
vote de la loi TEPA en France en 2007 est le dernier étendard de ce mouvement.

Il y a des éléments communs à ces évolutions, qui sont liés à une dépendance beaucoup plus
grande vis-à-vis des forces du marché plutôt que sur l'intervention étatique dans la politique
économique en général. Au cours des trente dernières années, mais pas de manière
synchronisée, on remarque surtout dans la plupart des économies développées une baisse des
impôts directs couplés à un élargissement de la base fiscale. Celle-ci a été dirigée vers les
particuliers et le secteur des entreprises. Les réductions des taux les plus élevés de l'impôt ont
été particulièrement marquées, et presque tous les pays ont réduit fortement le nombre de taux
d'imposition dans leur barème en faveur du secteur des entreprises et des agents les plus aisés.

La théorie standard des finances publiques a été portée dans les années 1970 par les modèles
issus de la théorie de la taxation optimale qui a centré son analyse sur les questions
d’incitations de la politique fiscale. Le chapitre 3 sera entièrement consacré à l’étude de cette
théorie, notamment en ce qui concerne sa capacité à décrire des effets macroéconomiques.
Nous verrons que cette théorie s’inscrit dans la perspective des théoriciens de l’offre et de
l’éclosion de la théorie standard dont les fondements sont microéconomiques. Cependant, ce
chapitre est l’occasion de revenir sur les fondements théoriques des réformes fiscales,
fortement influencées par les théoriciens de l’offre et par les prescriptions de la théorie
économique standards.
94
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

La théorie microéconomique et ensuite son extension à la macroéconomie par agrégation de la


figure de l’agent représentatif, a influencé de manière significative la conduite de la réforme
fiscale au cours des années 1980 jusqu’à maintenant. Dans ce cadre théorique, la fiscalité a
comme objectif d’orienter les décisions économiques des agents pour créer les incitations
suffisantes à l’investissement, à l’innovation et à la reprise d’une activité salariée.

Pour étudier l’origine théorique de ces réformes, nous reviendrons dans un premier temps sur
les justifications théoriques et empiriques qui sous-tendent les réformes fiscales (1). Nous
verrons que le point commun de ces théories est la volonté de réduire les distorsions de
marché, bien que la théorie de la croissance endogène puisse décrire les bienfaits de l’impôt
mais sans prendre en compte son incidence directe sur les comportements individuels. Nous
étudierons ensuite le détail des effets attendus sur les principaux facteurs d’incidence
notamment ce qui concerne les effets sur l’offre et la demande de travail ainsi que les
questions sur l’efficacité de la dépense publique (2). Les facteurs d’influence liés à
l’investissement seront également traités via l’étude des effets de la fiscalité sur l’innovation
et le bien-être. Une partie du chapitre sera intégralement consacré au rapport entre la fiscalité
et l’investissement, l’innovation et le bien être (3). Cette revue de littérature sera l’occasion
d’une mise en perspective avec les faits stylisés non pris en compte par la théorie standard (4).
La mise en exergue des limites de ces approches seront l’occasion de mettre en avant l’intérêt
de l’analyse postkeynésienne dans la prise en compte de ces faits stylisés et des effets
macroéconomiques des réformes fiscales.
95
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

1. La théorie macroéconomique standard de l’incidence fiscale

La théorie néoclassique a profité de l’éclosion des modèles de croissance endogène pour


intégrer la fiscalité comme un instrument de politique macroéconomique (1.1). Elle s’est
également appuyé sur un certain nombre d’intuitions qui a trait aux effets négatifs des taux
d’imposition trop élevé dont la courbe de Laffer a eu l’influence la plus marquante sur le plan
théorique et empirique (1.2). Ces analyses ont permis de promouvoir l’impôt qui serait le plus
efficace sur le plan économique, à savoir la Flat Tax (1.3). Avant cela, les économistes
néoclassiques ont souligné les bienfaits de l’impôt sur la consommation (1.4).

1.1. Fiscalité et modèles macroéconomiques orthodoxes

L’émergence des modèles de croissance endogène a permis de dégager de nouvelles pistes


quant aux origines de la croissance (Rebelo, 1986, Barro 1991). L’une des nouveautés est la
place accordée à l’action publique dans le but d’améliorer le système éducatif pour permettre
un investissement des individus à développer leur capital humain ou leur qualification. L’Etat
peut également favoriser la croissance en mettant à disposition des biens publics qui
augmentent la productivité et l’attractivité d’un pays afin d’accroitre les investissements
directs à l’étranger.

Dans ces modèles, il est possible d’intégrer des variables fiscales et d’étudier leur impact sur
la croissance. Par exemple, l’imposition sur les sociétés peut jouer sur le coût d’opportunité
d’un investissement et donc influencer le montant optimal investi dans les services R&D.
L’imposition du revenu individuel est aussi source de distorsions car il peut réduire le retour
sur investissement dans l’éducation et la formation, ce qui nuit à l’accumulation de capital
humain.

La corrélation entre impôt et croissance est rarement mise en évidence dans la théorie
standard. En effet, il existe un nombre important d’explications qui peut faire varier le sens de
la corrélation. Ainsi, bien que l’imposition du revenu des personnes ou des bénéfices des
entreprises puisse générer des distorsions, les recettes créées par ces impôts permettent de
financer des dépenses publiques et peuvent contrecarrer l’impact négatif de la fiscalité.
96
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Dans le modèle de Barro (1991), la croissance était aussi inversement corrélée à la part des
dépenses de consommation du gouvernement en part du PIB, tandis que la stabilité politique
était un élément de croissance.

On observe régulièrement dans la littérature standard un coefficient négatif pour la variable


portant sur les dépenses publiques. Plusieurs explications sont généralement avancées pour
justifier ce résultat. Tout d’abord le signe négatif concerne uniquement les dépenses de
consommation et non les dépenses productives du gouvernement conduisant à la croissance et
qui peuvent également être modélisées. La valeur négative donnée au coefficient peut
signifier qu’il y a un gaspillage, sauf si une fraction importante de ces dépenses sert à financer
l’éducation mais cette variable est déjà contrôlée dans la régression.

Dans une autre optique, les dépenses peuvent être observées comme un paiement par
procuration des interventions publiques non marchandes. Par exemple la législation sur
l’emploi, santé, les règles de sécurité. Ces interventions non marchandes ne sont pas
nécessairement corrélées au niveau des dépenses et peuvent être responsables d’une réduction
de la croissance. En outre, la contrainte budgétaire du gouvernement impose que chaque
intervention doit être financée soit par l’impôt, soit par l’emprunt. Le signe négatif peut donc
être interprété comme la conséquence du financement de ces dépenses.

Sur le plan pratique, le résultat de la régression implique que l’accroissement des dépenses
d’éducations augmente la croissance, en sachant qu’une augmentation des dépenses publiques
risque d’entrainer l’effet opposé. Dans la modélisation du secteur public, il y a très peu de
détails, il s’agit davantage d’une mesure agrégée du niveau de dépenses qu’une mesure
précise de l’incidence fiscale.

La fiscalité comporte donc un volet positif et un volet négatif. Les modèles de croissance
endogène avec un seul bien public montrent que la production de ce bien occasionne un canal
de transmission favorable à la croissance pour la fiscalité. Cependant, cette relation n’est pas
monotone car un taux d’imposition situé au-dessus du niveau optimal entraine une croissance
plus faible. Dans la pratique, on a observé au siècle dernier que même si la pression fiscale a
augmenté dans tous les pays développés, la croissance n’en a pas été affectée.
97
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

En définitive, l’influence de la fiscalité dans ces modèles sur la croissance serait faible comme
le montre l’étude de Mendoza, Milesi-Ferreti et Asea (1997). Dans cet article, les auteurs
tentent d’approfondir la notion de taux d’imposition. Ils observent que quand le niveau initial
du PIB est inclus dans la régression, alors la variable fiscale n’a que très peu d’effet sur la
croissance. Au contraire, Leibfritz, Thornton et Bibbee (1997) obtiennent un effet assez
significatif de la fiscalité sur la croissance. Dans leur régression, ils considèrent le taux moyen
de croissance des pays de l’OCDE sur la période allant 1980-1995 à laquelle ils confrontent
trois mesures du taux d’imposition (le taux moyen, le taux marginal et le taux moyen des
impôts directs). D’après cette équation, une augmentation de 10% du taux d’imposition
entrainerait une diminution de 0,5% du taux de croissance et l’imposition directe réduit
davantage la croissance des impôts indirects.

D’autres travaux comme ceux de Dowrick (1993) et De la Fuente (1997) tentent de traiter la
manière dont la structure de la politique fiscale affecte la croissance. Ils étudient en particulier
comment le taux de croissance est relié à la composition et aux niveaux des dépenses du
secteur public. Dowrick (1993) étudie les pays de l’OCDE et montre que l’impôt sur le revenu
a un impact négatif sur la croissance mais que l’impôt sur les sociétés n’a pas d’effet. Les
résultats de De la Fuente (1997) montrent que si les dépenses publiques (mesurées par
l’ensemble des dépenses des APU en points de PIB) augmentent, alors la croissance est
réduite, bien qu’un accroissement des dépenses publiques d‘investissement augmente la
croissance. De ces études des modèles de croissance endogène en présence de la fiscalité, il
ressort que le coefficient des dépenses de consommation publiques est négatif.
98
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

1.2. La courbe de Laffer

Une des sources d’inspiration des réformes fiscales engagées dans les pays développés trouve
son origine dans le modèle de Canto, Jones et Laffer paru en 1978. Généralement désignée
sous l’appellation « Effet Laffer19 », ce modèle stipule une relation négative entre le taux
d’imposition et le montant des recettes fiscales à partir d’un certain taux dit « prohibitif ».
L'idée de base dans le lien entre taux d'imposition et recettes fiscales est que les changements
des taux d'imposition ont deux effets sur les recettes : un effet arithmétique et un effet
économique.

1- Un effet arithmétique : Si les taux d'imposition baissent, les recettes budgétaires seront
réduites dans la même proportion, et l'inverse est vrai.
2- Un effet économique : Le taux d'imposition a un effet sur l'offre de travail, donc le
produit et l'emploi en considération d'hypothèses sur le comportement des agents et,
en particulier, sur le régime des incitations.

Effet arithmétique et effet économique travaillent toujours dans une direction opposée. La
courbe de Laffer a pour objet d'illustrer la thèse selon laquelle "trop d'impôt tue l'impôt" ou en
décourageant le travail et l'épargne. En tant que telle, la courbe est une tautologie.

1- Il est nécessairement vrai que lorsque le taux d'imposition est nul, les recettes fiscales
sont nulles elles aussi.
2- La confiscation totale des revenus (taux à 100%) entraîne d'une manière aussi
impérative que le revenu national soit nul, à moins d'instituer le travail forcé.

19
L'histoire de la courbe de Laffer commence en 1978 avec un article de Jude Wanniski paru dans la revue The
Public Interest intitulé "Taxes, Revenues, and the Laffer Curve.'" L'idée aurait eu pour origine un dîner organisé
en décembre 1974 entre Wanniski (journaliste), Laffer (université de Chicago), Donald Rumsfeld (à l'époque
directeur de cabinet du président Gerald Ford) et Dick Cheney (alors adjoint de Rumsfeld et ancien condisciple
de Laffer à Yale) dans un restaurant de Washington. Arthur Laffer aurait, au cours de la discussion, dessiné sur
la nappe une courbe illustrant le trade-off entre les taux d'imposition et les revenus fiscaux. Wanniski appela cet
arbitrage la "courbe de Laffer" et l'expression connut par la suite un grand succès dans les années 1980 lors des
réductions d'impôts de l'administration Reagan (1986).
99
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Il y a eu depuis le développement de l’économie politique de nombreuses intuitions visant à


décrire les effets négatifs de l’impôt sur la croissance économique. Citons par exemple David
Hume, dans son Discours sur l’impôt en 1752. Ce dernier se pose la question de l’incidence
de l’impôt sur l’industrie et le peuple. Selon lui, lorsqu’une taxe touche une marchandise, il
est possible de faire ressortir trois conséquences. D’une part, elle réduit le niveau de vie des
plus modestes qui voient le prix du produit augmenter. D’autre part, elle augmente le salaire
qui est susceptible suite à un report de la charge de la taxe, et augmente le prix du produit, sur
le salaire offert par les plus riches. Enfin, elle accroit l’activité des plus pauvres. En effet, si
ces derniers souhaitent conserver leur pouvoir d’achat tandis que le patron n’a pas augmenté
les salaires, alors les travailleurs devront accroitre leur travail. L’impact de l’impôt de ce point
de vue peut donc apparaître comme favorable à la croissance de l’industrie, mais chez Hume
on ressent déjà l’idée défendue par les théoriciens modernes de la taxation optimale selon
laquelle une taxation maniée sans précaution peut engendrer des effets désincitatifs sur les
individus et sur la croissance : « les taxes, comme les contraintes, lorsqu’elles sont trop
importantes, détruisent l’activité, en engendrant le désespoir ; et avant même d’avoir atteint
ce niveau extrême, elles accroissent les salaires des travailleurs et majorent le prix des
marchandises » (Hume, 1752, réédition 1999, p.166). Adam Smith se montre prudent sur
l’existence d’une imposition des capitaux, « un impôt qui tendrait à chasser les capitaux d’un
pays tendrait d’autant à dessécher toutes les sources du revenu, tant du souverain que de la
société » (1776, p.533, traduction 1843).

Jean-Baptiste Say, dans son Traité (1803), milite clairement en faveur d’une modération des
taux d’imposition pour ne pas pénaliser la consommation des contribuables. Au travers des
écrits de Say on peut même entrevoir les prémisses d’un effet Laffer, lorsqu’il écrit « Un
impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte. (…) une diminution d’impôt en multipliant
les jouissances du public, augmente les recettes du fisc et fait voir aux gouvernements ce
qu’ils gagnent à être modérés ».
100
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Le modèle de Canto, Joines et Laffer (1978) ont tenté de dégager l’impact de l’imposition à
l’aune de leur effet sur l’offre globale de facteurs 20. Les incitations productives varient en sens
inverse du taux de l’impôt, de telle sorte qu’une augmentation du taux de l’impôt peut (au-
delà d’un certain point) diminuer les recettes fiscales au lieu de les augmenter. Il existerait
donc un plafond de recettes fiscales au-delà duquel une hausse des taux finirait par réduire la
base imposable par l’intermédiaire des effets désincitatifs de l’imposition sur le travail et
l’épargne. Graphiquement cet effet est représenté par une courbe en cloche si l’on considère
les taux d’imposition en abscisses et le revenu national en ordonnées (Figure 2.1).

Figure 2.1 : Représentation de la courbe de Laffer

R : recettes fiscales

Y : production réelle

Y* : production potentielle

Source : Théret et Uri (1987)

Bien que n'étant pas strictement correcte d’un point de vue de la justification mathématique 21,
la courbe de Laffer fait allusion à la possibilité que les réductions du taux de certaines taxes
pourraient encourager la création de nouvelles recettes fiscales.

20
Pour une revue de littérature voir : Theret B., Uri D., La courbe de Laffer dix ans après : un essai de bilan
critique, Revue Economique, Volume 39, N°4, p.753-808, 1988.

21
Malcomson (1986) montre par exemple qu’il n’est pas invraisemblable que les recettes fiscales soient en
constante augmentation lorsque les taux d'imposition sont compris entre zéro et 100%.
101
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Cette observation, cependant, ne démontre pas qu’un véritable effet Laffer soit observé dans
l’économie réelle comme l’a démontré Fullerton (1982). Pourtant, l’affirmation de l’existence
d’un effet Laffer a eu un impact important dans la conduite de la politique fiscale sous Ronald
Reagan et Margaret Tchatcher22. Les réformes induites au cours des années 1980 ont suivi en
grande partie les prédictions de cette théorie. L’évolution des structures fiscales a suivi un
mouvement d’harmonisation vers des barèmes d'imposition linéaire et de réductions des taux
les plus élevés de l'impôt. Les réformes fiscales ont conduit à une réduction de la progressivité
du système fiscal. Pour autant, le niveau élevé des taux marginaux ne signifie pas forcément
un rendement plus élevé de l’impôt ou une pression fiscale supérieure pour les plus aisés. On
s’est aperçu que les taux d'imposition supérieure ont souvent une fin plus symbolique
qu’économique car peu de gens ont été soumis à eux et leur effet a été facilement évité dans la
pratique. Dans ce cas leur contribution aux recettes fiscales est marginale23.

Au Royaume-Uni, au début des années 80, le gouvernement conservateur dirigé par le 1er
ministre Margaret Tchatcher décide donc d’engager d’importantes réformes économiques qui
visent notamment à réduire les distorsions liées au système, préjudiciables au bon
fonctionnement du système économique. Ainsi la fiscalité des ménages et des entreprises a été
réformée pour assurer une plus grande neutralité et efficacité de la fiscalité dans la prise de
décisions optimales des agents. A l’origine il était question d’encourager l’offre de travail en
bas et en haut de l’échelle de rémunération. Par exemple, nous verrons dans le troisième
chapitre de cette thèse que pour la théorie de la taxation optimale un système fiscal progressif
peut empêcher les travailleurs les plus qualifiés d’accroitre leur offre de travail et donc de
favoriser la prise de risque et la création d’entreprises.

22
Au Royaume-Uni par exemple, le taux marginal d'imposition sur les revenus du capital est monté à 98% en
Grande-Bretagne jusqu'à ce que Mme Thatcher, sur fond de crise de croissance économique, le ramène à des
taux plus raisonnables.
23
Il existe beaucoup de confusions sur ce que l'on entend par progressivité. Dans les débats les plus populaires,
on a souvent interprété la progressivité comme le fait que le taux marginal d'impôt augmente avec le revenu.
Cette interprétation revêt tout de fois une vision partielle de la progressivité car il est important de distinguer
clairement les taux d'imposition moyens et marginaux (un impôt linéaire avec une indemnité égale à revenu
moyen ou un taux de 100% marginal qui serait le barème de l'impôt le plus progressif de tous). Une confusion
plus subtile, cependant, est que le terme de progressivité peut être est utilisé pour désigner à la fois l'inégalité
réduit soit par l'effet de la fiscalité et soit par la structure même de l'impôt.
102
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Pour les bas revenus, le système fiscal doit encourager la reprise d’une activité en diminuant
les taux marginaux d’imposition en bas de l’échelle.

Dans les faits, cela s’est traduit au Royaume-Uni par une diminution drastique du taux
marginal de la dernière tranche de l’impôt sur revenu qui est passé de 1979 à 1986 de 83% à
60% pour les revenus du travail et de 98% à 60% pour les revenus du capital. Pour autant,
malgré ces allégements, les revenus élevés britanniques restaient plus imposés que les hauts
revenus français. De plus, le système du quotient familial étant favorable aux familles avec
enfants, les ménages britanniques sans enfants payent davantage d’impôt que les ménages
français du même type. De fait, la structure fiscale du système britannique avec un taux
linéaire assez élevé (29%) jusqu’à un revenu assez élevé est un facteur d’explication
important. Le système français comporte davantage de taux et augmente la charge fiscale de
façon plus progressive. Pour les revenus les plus faibles, l’objectif principal est d’éliminer les
effets pervers du système de redistribution britannique, notamment le fait de dissuader une
fraction de la population d’exercer un emploi rémunéré à cause de la perte des allocations qui
suit la reprise d’un emploi. La première mesure a consisté à relever le seuil d’imposition pour
la 1ère tranche de revenu. Cela s’est effectué par un accroissement des abattements personnels
de 18% qui a permis dès la première année d’application d’exonérer 1,3 millions de
contribuables. Au final avec le relèvement progressif des abattements, il y a eu quelques 5,5
millions de contribuables sur 23,6 millions qui ont échappé à l’impôt sur le revenu. L’autre
mesure a consisté à réduire le taux de base de l’impôt sur le revenu qui est passé de 33% à
27% entre 1979 et 1987. Les autres seuils d’impositions proches du seuil minimum ont
également été diminués.

Aux États-Unis, le rapport Tax Reform for Fairness, Simplicity and Economic Growth, rédigé
par le département du Trésor en 1984 dresse un constat empirique pessimiste et émet des
prescriptions proches de celles émises par la théorie de la Taxation Optimale et des
préconisations issues des études sur l’effet Laffer. Dans ce rapport, le fisc américain part du
constat global que la fiscalité interfère dans les décisions économiques, et qu’elle empêche
une allocation optimale des ressources. Les autorités américaines soulignent également que la
complexité et l’inégalité dans le système fiscal, peut inciter les citoyens à adopter des
comportements d’évitement fiscal.
103
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

L’objectif du rapport est de proposer des pistes de réformes pour rendre le système fiscal plus
compréhensible tout en réduisant les inégalités et les distorsions engendrées par la fiscalité et
qui sont nuisibles à la croissance économique. Le rapport souligne qu’au cours des trois
décennies, la base fiscale s’est érodée par la multiplication des « niches fiscales », permettant
aux contribuables d’échapper au système d’imposition commun. Cette érosion crée une
inégalité des citoyens face à l’impôt. Deux ménages ayant le même revenu ne payeront pas le
même montant d’impôt car suivant la manière dont est dépensé et placé ce revenu, l’un des
ménages profitera d’un régime plus favorable que l’autre.

1.3. Flat-tax contre impôt progressif

La « Flat Tax » est une idée lancée en 1980 par deux économistes de la Hoover Institution à
Stanford, Robert Hall et Alvin Rabushka. Elle a été vulgarisée dans l’ouvrage qu’ils ont
publié en 1985, réédité en 1995 (Hoover Institution Press). L’analyse théorique de Hall et
Rabushka (1995) part du constat que la fiscalité américaine était à la fois trop compliquée et
trop progressive. Leur proposition a grandement inspiré les réformes introduites par Ronald
Reagan au cours de son premier mandat (1980-1984) à l’instar de l’influence de la courbe de
Laffer. Ces réformes visent à simplifier le système d’imposition mais l’objectif est également
économique comme nous allons le voir. Récemment, la Flat Tax a émergé comme le modèle
d’impôt sur le revenu dans les pays d’Europe centrale et orientale de la Russie en passant par
la Lettonie, la Roumanie ou l’Ukraine.
Cette taxe se résume à imposer le cash-flow des entreprises et le revenu des individus à un
même taux unique. La théorie économique standard suggère que le passage à un impôt
forfaitaire (flat-tax) a tendance à favoriser l'accumulation de compétences, car elle augmente
l'incitation à chercher un revenu plus élevé, tandis que la taxe sur la consommation encourage
davantage l'accumulation de capital physique, car il supprime l'impôt sur le revenu issu des
intérêts.
104
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

L’imposition uniforme supprime de fait la progressivité de l’impôt sur le revenu. Les


investissements sont déduits de façon immédiate contrairement au système de l’impôt sur le
revenu où la déduction des amortissements s’effectue pendant la période d’utilisation des
actifs. Par ce système, l’impôt est nul sur l’investissement marginal 24. L’existence de cet
impôt suppose la suppression de toutes les déductions fiscales, à l’exception d’une tranche à
taux zéro pour l’imposition des salaires (Hall et Rabushka, 1995).

Les défenseurs de la flat tax soutiennent cette réforme en réponse aux distorsions créées par
les systèmes fiscaux traditionnels. Les taux d’imposition élevés réduisent l’offre de travail,
l’épargne et l’investissement. Leur raisonnement s’appuie sur la célèbre courbe de Laffer, qui
suggère qu’il existe un taux d’imposition au-delà duquel une augmentation du taux
d’imposition réduit les recettes fiscales. Ainsi, selon Grecu (2006) :

« Les promoteurs de la flat tax sont convaincus que les systèmes d’imposition actuellement en
vigueur dans les principaux pays développés sont désincitatifs et qu’ils découragent les
travailleurs d’effectuer des heures supplémentaires, d’épargner ou d’investir autant qu’ils le
souhaiteraient. Ils pensent que les taux d’imposition en vigueur sont plus élevés que le taux
optimal décrit par LAFFER et qu’un taux d’imposition unique, modéré, ferait augmenter les
recettes fiscales ».

Une étude économétrique a été effectuée par Hechman et al. (1998). Leur modèle est
influencé par celui d’Auerbach-Kotlikoff (1987) dans lequel les individus sont hétérogènes.
Cette hétérogénéité reflète les différents choix individuels possibles. Les auteurs cherchent à
comparer l’effet d’un impôt sur le revenu progressif avec un revenu uniforme et un impôt sur
la consommation. Le résultat présenté dans le tableau 2.1 rejoint un résultat obtenu et défendu
par les modèles standards selon lequel un impôt progressif sur les revenus du travail
décourage l’éducation. Une réforme en faveur d’un impôt proportionnel ou d’un impôt sur la
consommation augmente le niveau de la production.

24
Pour l’investissement marginal, le rendement est égal au coût. Le premier est taxable et le second
intégralement déductible, de sorte que l’imposition effective soit nulle. L’impôt ne frappe que le rendement des
investissements marginaux, soit le profit pur.
105
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Tableau 2.1 : Effet d’une réforme fiscal sur le capital et la production

Pourcentage de modifications de l'équilibre par rapport à un


impôt progressif
Flat-tax Impôt sur la consommation
Stock de capital physique -0.79 4.65
Stock de capital humain issu 2.82 1.85
de l'université
Stock de capital humain issu 0.90 0.08
du lycée
Production agrégée 1.15 4.98
Source : Heckman et al. (1998)

La flat-tax aurait également l’avantage de ne pas décourager l’épargne et d’inciter ainsi à


l’investissement selon le sens de causalité néoclassique. Sur le plan théorique, il est certes
établi qu’une véritable flat-tax sous la forme de Hall et Rabushka (1995) (et plus globalement
toute forme d’impôt sur la dépense ou d’un impôt sur les cash-flows) ne taxe pas l’épargne et
ne crée donc pas de distorsion d’origine fiscale entre la consommation présente et la
consommation future, alors qu’un impôt sur le revenu en crée une.

Le dernier argument en faveur d’un taux unique a trait à la lutte contre la fraude et l’évasion
fiscale. Lorsque le taux est bas, les agents économiques peuvent être incités à sortir de
l’économie souterraine et/ou de l’évasion fiscale et réduire l’emprise de la corruption. Cet
argument est discuté dans Keen et al. (2006). Pour ces auteurs, lorsqu’on fait abstraction des
effets d’offre, en supposant les revenus imposables comme exogènes, il existe une
combinaison entre un impôt linéaire, de salaire des agents de l’administration fiscale et de
pénalités qui permet de maximiser le rendement de l’impôt sans induire d’évasion fiscale ou
de corruption. La linéarité de l’impôt n’est cependant pas une condition nécessaire. Keen et al.
(2006) concluent que la linéarité du barème peut générer une protection contre l’évasion
fiscale et la corruption mais que c’est davantage le niveau de l’impôt qui est pertinent, et non
l’absence de progressivité.
106
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

1.4. Les avantages des impôts sur la consommation

L’étude de Hechman et al. avait décrit que le passage d’un impôt sur le revenu progressif à un
impôt sur la consommation était en mesure d’encourager la croissance. Pour de nombreux
auteurs des finances publiques modernes, en l’absence de prélèvements forfaitaires, la
taxation de la consommation est un des instruments les plus efficaces pour assurer l’optimalité
du système fiscal.

La solution la plus ancienne concerne la règle de Ramsey qui sera étudiée plus en détail dans
le chapitre trois. La perte sèche en bien-être se partage entre les consommateurs et les
entreprises. Mais l’ampleur respective des agents économiques dépend de la sensibilité de
l’offre et de la demande suite à une variation des prix engendrée par l’impôt. Cette sensibilité
est mesurée par l’élasticité-prix directe de la demande et de l’offre. La reformulation de la
règle de Ramsey stipule que les taux d’imposition doivent être inversement proportionnels à
l’élasticité-prix de la demande. La taxation efficace de la consommation réclamerait donc la
différenciation des taux d’imposition.

Il se pose donc une question fondamentale de savoir pourquoi nous devrions taxer l’ensemble
des produits, alors que l’on pourrait taxer de façon individuelle les agents. La production de
marchandises particulières peut-elle même être un objectif des politiques publiques. Les
externalités surviennent lorsque les effets de la production ou de consommation se rapportent
à des personnes autres que celles qui choisissent le niveau de production ou de consommation,
tandis que les biens de mérite (merit goods) (Musgrave 1959) sont des produits où le niveau
de consommation d'un individu est pensé pour avoir un intérêt social direct pour lui-même.
Cependant, imposer les biens peut également être justifié par des questions de répartition s'il y
a des contraintes sur les manières dont les individus peuvent être taxés.

Bien qu’il soit toujours préférable de lever des impôts forfaitaires sur les individus ou les
ménages de sorte à imposer les individus sur des variables observables, il est possible
d’utiliser les biens courants comme instrument fiscal.
107
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Ces arguments redistributifs dépendent, comme noté ci-dessus, de l'existence de contraintes


sur les manières dont les individus sont imposés. La justification pour imposer des taxes sur
les biens consommés par les ménages à revenu élevé est faible, si, comme c'est généralement
le cas, nous pouvons observer directement les ménages à revenus élevés ou non. La
consommation des biens peut véhiculer des informations complémentaires, cependant, dans
l'une ou l'autre des deux manières (Deaton 1977,1981). Le loisir est intrinsèquement non
imposable. Ainsi, il peut y avoir un avantage social dans un différentiel d’imposition entre
biens et services dont la consommation est complémentaire avec les loisirs. Il peut également
y avoir des produits dont la consommation est corrélée avec la capacité contributive. Par
exemple, si tout le monde voudrait acheter une villa et que seuls les riches peuvent s’acheter
une villa, nous pourrions imposer soit les riches, soit les villas, le résultat serait identique. Par
contre certaines personnes voudraient plutôt acheter un yacht ou alors diner dans de grands
restaurants. Dans ce cas, il est préférable de taxer les revenus élevés plutôt que le logement ou
la nourriture. Les arguments associés peuvent favoriser l'utilisation des grilles tarifaires pour
des produits particuliers (un moyen de toucher dans l’exemple précédent, les gens riches qui
mangent dans des restaurants chics avec une nourriture de qualité).

La création de la TVA découle du problème lié à l’imposition des marchandises de manière


différenciée. Cette dernière optique peut être justifiée par la relation entre la consommation du
produit concerné et la capacité à dépenser ou de l'utilité de loisirs attendue. Toutefois, si les
fonctions d'utilités sont homothétiques par rapport à la consommation de produits individuels
et séparables entre la consommation, il est facile de montrer que tous les biens doivent être
taxés au même taux. Bien évidemment, dans ce cadre, il n'y a aucune différence entre un
impôt indirect et un impôt sur le revenu puisqu’aucune question inter-temporelle ne survient.
Les taxes de vente au détail, ont toujours été plus difficiles à exploiter que celles recueillies à
des stades précoces du processus de production.

C’est pour cette raison qu’à partir des années 70, la plupart des pays ont introduit une taxe sur
la valeur ajoutée (qui permet de simplifier les formalités administratives en mettant à
contribution les entreprises dans le recouvrement de cet impôt). La TVA est prélevée sur la
production brute. La TVA prévoit donc un mécanisme systématique d’imposition de la
consommation finale tout en épargnant les transactions de biens intermédiaires. La TVA se
prête également assez facilement à une différenciation entre les types de biens.
108
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

L’économie publique s’est ralliée à la solution d’une taxe uniforme sur la consommation avec
une préférence pour la TVA. Grâce au régime des déductions ce prélèvement permet en effet
d’éviter la taxation des consommations intermédiaires des entreprises, qui est identifiée dans
la littérature comme l’une des principales source de distorsions.

2. Fiscalité, effets d’offres et régulation concurrentielle

La théorie standard de l’incidence fiscale se concentre particulièrement sur les questions


d’incitations notamment celles qui ont trait à l’offre de travail (2.1). Les impôts ont la
particularité d’introduire un écart entre el prix payé aux producteurs et aux consommateurs.
Ces distorsions éloignent l’économie de l’équilibre optimal en concurrence pure et parfaite.
Les baisses d’impôts peuvent donc entrainer une baisse des dépenses publiques afin de réduire
le poids de l’Etat dans l’économie (2.2).

2.1. Fiscalité et lutte contre le chômage

Dans la théorie standard de l’incidence fiscale, la fiscalité a un impact sur l’offre et la


demande de travail. Sur l’offre de travail, le système fiscal influence le comportement des
offreurs de travail via les effets de substitution et de revenu. Pour ces auteurs, la baisse du
taux marginal peut avoir, d’un point de vue théorique, un effet favorable sur l’intensité de
l’effort (effet de substitution) et se traduire par un accroissement du nombre d’heures
travaillées. Une hausse du taux moyen peut avoir le même effet via l’effet revenu, c’est-à-dire
que l'individu aura tendance à arbitrer en faveur du travail puisque son temps de loisir
diminue donc, mais il souhaitera voir son revenu augmenter.

Une baisse du taux marginal a donc tendance à augmenter l’intensité de l’effort et une baisse
de l’intensité en cas de hausse du taux marginal. Par contre, l’effet sera ambigu lorsque le
taux marginal et le taux moyen augmentent ou diminuent tous deux. Le passage d’un barème
progressif (PT) à un barème à taux unique avec tranche exonérée (FT) de type Flat tax peut
donc avoir des conséquences très diverses selon la configuration des barèmes avant et après
réforme. La figure 2.2 ci-dessous décrit les effets sur l’offre de travail d’une hausse de la
pression fiscale sur le travail.
109
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Figure 2.2 : Passage d’une flat-tax, taux moyen, taux marginal

Source :Grecu (2006)


Les contribuables aux revenus élevés peuvent connaître une baisse du taux marginal et du
taux moyen, ce qui a des effets ambigus sur l’offre de travail : c’est le cas « C » sur le
graphique. A l’autre extrême de l’échelle des revenus, dans le cas A, il y a également baisse
du taux moyen et baisse du taux marginal, qui deviennent tous deux nuls. Par contre, dans le
cas B, il y a hausse du taux marginal et baisse du taux moyen : dans ce cas, il devrait y avoir
baisse de l’offre de travail.
Sur le plan théorique, il faut également se rappeler que les cotisations sociales doivent être
prises en compte dans la mesure où le système qu’elles financent n’est pas purement
actuariel. En d’autres termes, l’offreur de travail ne les assimilent pas à du salaire net.

Au-delà des nuances théoriques, les études empiriques relativisent fortement la portée du
raisonnement de base des promoteurs de la flat tax. Une distinction doit être faite entre
l’élasticité du taux de participation (extensive margin) et celle du nombre d’heures travaillées
(Intensive margin). On sait que l’offre de travail est relativement peu élastique pour le premier
apporteur de revenu du ménage.
110
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Des travaux récents de l’OCDE 25 confirment l’effet négatif de taux marginaux élevés sur le
nombre d’heures travaillées par le second apporteur de revenu du ménage.
Pour autant, l’effet du taux d’imposition moyen est ambigu. Or, comme nous le verrons ci-
après, le passage d’une imposition progressive à une flat tax peut accroître le taux moyen
et/ou le taux marginal dans certaines tranches de revenu, si la pression fiscale globale est
constante. L’effet négatif du coin fiscal sur le taux de participation est également établi mais
son importance varie fortement suivant le type d’emploi. S’il est élevé pour les bas salaires
ou pour les travailleurs âgés, il est beaucoup moins net pour d’autres catégories de
travailleurs.

Les questions d’incitation sont donc au cœur de l’analyse de l’incidence fiscale dans
l’économie standard. Les questions d’emploi sont traitées à l’aune de leur effet sur l’offre de
travail. Nous verrons dans le chapitre trois que la théorie de la taxation optimale s’est
particulièrement intéressée à ces questions. L’étude du modèle de Mirrlees (1971) et ses
prolongements montrera que l’optique de ces théoriciens n’est pas exempte de critiques.

Les effets de la fiscalité sur la demande de main d’œuvre ne sont pas oubliés par la théorie
standard. Les effets négatifs de la fiscalité sont généralement liés à deux aspects bien
distincts des régimes fiscaux en vigueur :

- Une charge excessive peut avoir des répercussions défavorables sur la propension à
innover et à investir dans la formation de capital productif et humain. L’efficacité de
l’économie, ainsi que le niveau de croissance potentiel de l’économie peuvent être
réduits.
- Les cotisations sociales destinées au financement de la protection sociale comportent
des distorsions qui découragent l’emploi. Ces distorsions favoriseraient une
production fortement capitalistique et les investissements qui économisent de la main
d’œuvre au dépend des branches de l’industrie à forte proportion de main d’œuvre.

25
Voir OCDE (2007d), De mooij R., Ederveen S. (2003, 2005).
111
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

De manière générale, l’influence de la fiscalité sur la demande de travail peut s’exercer


essentiellement par l’une des trois voies suivantes :

1- Le prix de la main d’œuvre peut être modifié par rapport à celui du capital et des
autres facteurs de production (effet de substitution)

2- Le niveau et la composition de la demande globale. Ainsi, la fiscalité peut encourager


ou décourager la production de biens et services nécessitant une main-d’œuvre
importante (effet de demande).
3- Le rapport entre les coûts et les prix peut être modifié et influencé le choix entre
conserver du capital obsolète ou d’investir dans de nouveaux équipements.

Ces effets sur la demande sont largement tributaires de la nature de l’impôt prélevé ou
modifié et des possibilités de le répercuter. Cette répercussion dépend de la conjoncture et des
objectifs, ainsi que des contraintes qui s’imposent à elles sous l’angle de la concurrence et des
prix.

Une augmentation de l’impôt sur le revenu des personnes physiques peut inciter les salariés à
revendiquer un relèvement de leur salaire nominal pour défendre leur revenu réel après
impôts. Cette hausse peut avoir pour effet d’élever le prix de la main d’œuvre par rapport à
celui du capital.

Contrairement à l’impôt sur le revenu des personnes physiques, la hausse de l’impôt sur les
sociétés tend à élever le coût d’usage du capital par rapport au coût de la main d’œuvre. Il
peut donc décourager les investissements destinés à économiser cette dernière. Cependant, si
l’alourdissement de l’impôt sur les bénéfices entraine une baisse de la rentabilité, alors cela
entraine des effets négatifs sur l’investissement et par suite pour l’emploi. L’incidence sur cet
impôt est dans une certaine mesure indéterminée sur l’emploi.

Les taxes sur la valeur ajoutée (TVA) sont conçues pour être neutres sur le plan de
l’utilisation du capital et du travail.
112
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Cependant, en pratique, une augmentation de la TVA ou de tout autre impôt indirect peut
entrainer une modification des coûts relatifs et des taux de profit. Si les salariés souhaitent
recouvrer une partie du revenu réel que cette hausse leur a fait perdre, alors les coûts salariaux
des entreprises auront tendance à augmenter par rapport au coût du capital, ce qui entraine des
répercussions négatives sur l’emploi.

Enfin, les cotisations sociales, pourtant une des sources les plus importantes de recettes dans
les pays développés, donnent lieu à de vives inquiétudes en ce qui concerne leurs
répercussions défavorables sur l’emploi. Cependant, les cotisations sociales génèrent avant
tout des ressources pour les caisses de sécurité sociale, qui de ce fait déterminent le niveau
futur des prestations qui s’incluent dans la demande globale de l’économie. Pour autant
l’optique néoclassique suppose avant tout que l’incidence globale des cotisations dépend sur
quel type d’agents elles sont prélevées. C’est ce facteur qui détermine dans quelle mesure les
cotisations sont effectivement mises à la charge des salariés par répercussion en amont sur les
salaires.

On soutient souvent que les cotisations de sécurité sociale incombant aux salariés entrent dans
le prix d’offre de la main d’œuvre, les salariés considérant comme la contrepartie d’un revenu
potentiel ou différé. Dans ce cas, elles sont entièrement compensées par un ajustement du
salaire nominal et n’exercent pas d’effet sur l’emploi. Cependant, cette argumentation
suppose un lien étroit entre les prestations futures et les cotisations sociales actuelles ; ce qui
semble être rarement le cas. De fait, il se peut que les salariés considèrent les cotisations
comme une réduction pure et simple de leur revenu et y répondent en revendiquant une hausse
compensatrice de leur salaire nominal. Les cotisations à la charge des employeurs sont
considérées le plus souvent comme n’entrant pas dans le prix d’offre de la main d’œuvre.
Ainsi, elles sont moins susceptibles d’être répercutées directement sur les salaires. S’agissant
de déterminer l’incidence des cotisations patronales de sécurité sociale et d’autres formes de
taxe sur la masse des salaires et leurs répercussions sur l’emploi, les analyses effectuées dans
le cadre d’un équilibre partiel attribuent un rôle important à l’élasticité de l’offre de travail.
Toutefois, selon des modèles simples de l’équilibre général, cette incidence est fonction, non
seulement des élasticités d’offre de main d’œuvre et de capital, mais aussi du rapport entre ces
paramètres et l’élasticité de substitution de ces facteurs de production (Feldstein, 1974).
113
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Plusieurs facteurs viennent compliquer cette situation. Tout d’abord, les incidences à court
terme risquent d’être très différentes des résultats à long terme postulés par la théorie, du fait
des imperfections du marché et de la lenteur des ajustements. En second lieu, comme nous
l’avons relevé plus haut, il est probable que les employeurs s’efforceront de répercuter la
hausse de leurs coûts sur les prix, ce qui risque d’affecter le niveau d’emploi et sa structure.

En ce qui concerne l’éventualité d’une substitution du capital au travail induite par la fiscalité,
l’analyse des négociations salariales menées dans de nombreux pays industriels donne à
penser que les salariés ont tendance à fonder leurs revendications sur leur salaire net d’impôt
(Tanzi, 1980). L’augmentation de l’imposition du travail a tendance à renchérir le coût du
travail par rapport au capital, à moins que l’équilibre des prix des facteurs n’ait été rétabli par
un relèvement des taux d’intérêts lié à l’inflation par les salaires. Ensuite, la thèse qui attribue
un effet négatif du relèvement des cotisations patronales sur l’emploi se fonde en grande
partie sur l’estimation des fonctions de coût (substitution capital-travail) et d’équations
d’emploi (relation entre emploi et coûts réels du travail). Ainsi, une augmentation des
cotisations patronales se traduit, en l’absence de répercussion en amont (sur les coûts), soit
par une répercussion en aval (sur les prix), soit par une contraction des profits. Dans l’un et
l’autre cas, le prix de la main d’œuvre augmente par rapport à celui du capital, ce qui
provoque à moyen terme un effet de substitution. Simultanément, toutefois, le rendement du
stock de capital existant diminue et avec lui le prix de ce capital.

2.2. La baisse des prélèvements obligatoires et son lien avec la baisse


des dépenses publiques

Au cours de la période récente, et notamment aux Etats-Unis sous l’impulsion du parti


conservateur, les baisses d’impôts ont été justifiées pour réduire les dépenses publiques. La
métaphore utilisée a souvent été celle de « starve te beast ». L'idée est que si les revenus sont
unilatéralement réduits, cette réduction mènera à un déficit budgétaire plus important et qui
forcera les législateurs à réaliser des réductions de dépenses.
114
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

L’idée est née dans les milieux politiques avant d’être repris par les économistes (Bartlett,
2007). Bien que les Républicains aient soutenu des réductions d'impôt dans les années 1920,
Herbert Hoover a proposé une grande augmentation fiscale en 1932 pour consolider des
finances fédérales, qui avaient été ravagées par le début de Grande Dépression. Eisenhower
insiste pour que la mise en équilibre du budget ait dû avoir la priorité, bien que les taux
d’imposition soient extraordinairement hauts suite à la Guerre de Corée. Suite à la défaite de
Gerald Ford, les républicains au Congrès et dans les Etats fédéraux ont commencé à
expérimenter des réductions d'impôt comme une façon de ranimer l’économie.
En 1977, le membre du Congrès Jack Kemp et le Sénateur Bill Roth ont présenté le projet de
loi fiscale Kemp-Roth, qui aurait réduit les taux fiscaux statutaires d'approximativement 30%
à tous les niveaux sans réductions de dépenses correspondantes. En 1978, les électeurs en
Californie ont ordonné la Proposition 13, qui réduit les taux d'impôts fonciers, menant à de
nouvelles réductions d’impôts dans d'autres états et provoquant une révolte fiscale nationale.
La popularité politique de ces deux mesures a entrainé une reconsidération de l’orthodoxie
budgétaire.

Au cours de cette période, l’économiste Milton Friedman a mis en garde contre les déficits
qui pourraient résulter d'une réduction d'impôts sans une diminution concomitante dans les
dépenses. Il a soutenu que le déficit est essentiellement vide de sens, quelle que soit la matière
des dépenses publiques26. Ainsi, une diminution des impôts même sans accompagner des
réductions de dépenses, n'était pas la source de l'inquiétude pour des conservateurs.

La vision conservatrice est devenue au fur et à mesure un sujet de réflexion dans le milieu
académique, particulièrement par l’école des choix publics. La théorie du public-choice
intègre l'économie et la science politique et examine comment les institutions influencent les
résultats politiques et économiques. Le prix Nobel James Buchanan fut le fer de lance du
mouvement visant à ajouter un amendement garantissant constitutionnellement un budget
équilibré. Il estimait que si les politiciens ont été forcés de considérer le coût de nouveaux
programmes de dépenses publiques en termes d'impôts, au lieu de le penser en termes de
déficits gratuits implicites, ils donneraient beaucoup moins de soutien à de nouvelles
dépenses. Le déficit, à son avis, permettrai de donner aux électeurs l’impression qu’ils
pouvaient bénéficier de nouvelles dépenses sans en payer le coût.

26
Friedman soutient l’idée de l’équivalence ricardienne développée par Barro (1974) selon laquelle, que le
déficit est épargné par les individus en prévision de hausses futurs d’impôt pour le financer.
115
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Buchanan et Wagner (1977) reproche à Keynes d’avoir détruit l’exigence de budget équilibré
implicite imposée par les Pères fondateurs. Jusqu'aux années 1930, les déficits ont été
universellement vus comme un mal tandis que Keynes les a légitimés.

Dans les années 1980, la théorie des choix publics a développé l'idée qu'un gouvernement
conservateur pourrait intentionnellement augmenter la dette nationale par des réductions
d'impôt pour réduire les marges de manœuvre d'un gouvernement libéral ultérieur (Alesina et
Tabellini, 1990). Une part de plus en plus importante du budget devrait être utilisée pour des
paiements d'intérêts, obligeant ainsi un gouvernement libéral à ne pas de dépenser autant qu'il
le voudrait. Il a aussi été discuté qu'un gouvernement conservateur préfère des systèmes
fiscaux inefficaces pour réduire la capacité futur d'un gouvernement libéral d'augmenter les
impôts pour financer de nouvelles dépenses.

Du point de vue strictement économique, le courant standard des finances publiques appuie la
baisse des impôts et des dépenses publiques comme un préalable à la croissance. Ces
prédictions rejoignent celles des défenseurs de la courbe de Laffer et de la Flat-tax. En effet,
en réduisant les prélèvements obligatoires, l’Etat peut favoriser l’essor de l’activité et
augmenter ses ressources, en même temps que celles de l’ensemble de la société. Il existerait
donc un niveau de taxation optimale à ne pas dépasser, sous peine de voir le produit de
l’impôt diminué suite à la réduction de la base d’imposition. D’autre part, la hausse du taux
d’imposition suscite des comportements d’évasion et de fraudes fiscales à l’origine de perte
de rentrée fiscale pour l’Etat.

Selon cette théorie, l’inflation des dépenses publiques aurait donc engendré une pression
fiscale insupportable, décourageant l’offre, au point que les rentrées fiscales insuffisantes
auraient tué l’impôt et provoqué une crise du financement de l’Etat. La courbe de Laffer sert
à justifier la baisse des dépenses, comme préalable à des réformes fiscales dont la version
pure et parfaite est la flat tax, impôt à taux unique et donc proportionnel, présumée nécessaire
pour relancer la croissance par l’offre (Hoang-Ngoc et Tinel, 2006).
116
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

3. Fiscalité, épargne et investissement

La théorie néoclassique des fonds prêtables décrit un lien positif entre le niveau d’épargne et
le montant de l’investissement. La fiscalité peut créer les incitations visant à orienter
l’épargne vers l’investissement (3.1). Le niveau de l’impôt sur les sociétés a été une source
importante de préoccupation chez les néoclassiques (3.2).

Le facteur innovation joue également un rôle à part entière dans les décisions
d’investissement et la fiscalité est en mesure d’influencer l’accumulation de capital (3.3). Sur
le plan microéconomique, la mauvaise répartition des charges fiscales a des répercussions sur
le niveau de bien-être (3.4).

3.1. L’impact de la fiscalité sur l’épargne

Les dispositions fiscales qui affectent l’épargne et les investisseurs peuvent avoir des
conséquences importantes pour l’offre et la demande de fonds sur le marché de capitaux.
Cette vision s’appuie sur la théorie des fonds prêtables issue des travaux de Fisher, Marshall
et Wicksell.

L’impact de la fiscalité sur l’épargne est évalué par l’estimation de l’écart entre les taux de
rendement avant et après-impôt, appelé également coin fiscal. Cet écart peut décourager
l'épargne car la consommation future sera taxée plus lourdement que la consommation
présente. Cependant, le recours massif à la fiscalité indirecte peut amener l'effet inverse. Par
conséquent, le coin fiscal et l'élasticité de l'épargne par rapport au taux de rendement après-
impôt sont donc deux éléments importants pour décrire les effets de la fiscalité sur l’épargne.

Pour un niveau donné du taux d’intérêt s’établissant sur le marché, l’imposition des bénéfices
des sociétés détermine le rendement brut d’impôt que doit comporter un projet
d’investissement pour assurer une rémunération suffisante aux investisseurs. De même, par
suite de l’imposition du revenu des personnes physiques, le rendement net d’impôt qu’obtient
l’épargnant diffère du taux d’intérêt du marché. L’écart global qui en résulte provoque à la
marge des distorsions dans les décisions d’épargne et d’investissement.
117
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

D’après les résultats issus de l’économie


standard, une fiscalité avec une assiette Encadré 2.1 : Evolution du taux d’épargne dans
large et des taux marginaux faibles est le les pays de l’OCDE depuis les années 1970

système fiscal le plus efficace sur le plan


Les taux d'épargne et d'investissement ont baissé ces
théorique. 20 dernières années dans la plupart des pays de
l'OCDE, au point que, dans certains cas, ils ont pu
paraître insuffisants. Les déséquilibres de balance
courante associés aux écarts entre taux d'épargne et
d'investissement dans les différents pays sont
Dans la pratique, les choses sont devenus, au cours des années 80, un sujet de
préoccupation majeur pour les responsables de la
beaucoup moins évidentes et la récente politique économique. Les taux d'épargne et
étude de l’OCDE sur les relations entre d'investissement dans les pays de l'OCDE ont en
général été plus faibles dans les années 80 que dans
l’impôt et la croissance s’abstient de
les années 60 ou 70 et les écarts entre pays sont
conclure quoi que ce soit sur le lien restés importants. Le taux d'épargne des ménages a
augmenté presque partout pendant les années 70.
impôt-épargne-croissance27. Ce décalage
Par contre, dans les années 80, il a baissé
entre le raisonnement théorique et le sensiblement dans la plupart des pays, retombant à
manque de vérification empirique peut un niveau analogue, sinon parfois inférieur, à celui
des années 60. Si la remontée de l'épargne dans les
s’expliquer par l’inélasticité de l’offre années 70 est un trait commun à tous les pays de
d’épargne. Si tel est le cas, le passage l'OCDE, elle apparaît moins marquée une fois
corrigée de l'incidence de l'inflation (graphique).
d’un impôt sur le revenu à un impôt sur
les cash-flows, réduit bien sûr le coin
A la fin des années 1990 et au début des années
fiscal mais n’augmente pas l’épargne. Or, 2000, on remarquer que c’est surtout le taux
d’épargne américain et britannique qui a fortement
la conclusion convergente de la littérature
baissé.
économique est que la fiscalité a peu
d’effet sur le niveau global de l’épargne, La France, elle, apparait comme un cas à part par
celui-ci étant peu élastique par rapport au rapport aux autres pays de l’OCDE. Alors que le
taux d’épargne de la plupart de nos partenaires (à
taux d’intérêt. l’exception de la Suède) a baissé presque
continûment depuis le début des années 1980, le taux
d’épargne des ménages français n’a cessé de se
redresser depuis la fin des années 1980.

27
Voir OCDE (1995).
118
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

On sait par contre que la fiscalité peut influencer fortement la composition de l’épargne et
biaiser l’allocation optimale des ressources si elle s’applique de manière différenciée à
différents produits d’épargne. Les économistes préconisent souvent une taxation uniforme des
différentes formes d’épargne, en lieu et place d’une baisse généralisée de la taxation de
l’épargne.

Une étude importante de l’OCDE (Dean, Durand, Fallon, Hoeller, 1990), a mis en avant
l’influence de la fiscalité sur l’épargne des ménages. Depuis les années 1990, les décideurs et
économistes se sont principalement préoccupés des effets négatifs de la structure de la
fiscalité sur le niveau d’épargne et l'investissement suivant les différentes formes qu’elle
prend. Par conséquent, les répercussions précises de la fiscalité sur l’épargne varient selon la
nature de l’impôt et les motifs des épargnants. A cet égard, la principale raison d’être de
l’épargne est de convertir un flux irrégulier de revenus en un courant de consommation
relativement constant tout au long de la vie de l’individu. Les études théoriques consacrées à
l’épargne se sont donc largement inspirées de l’hypothèse du cycle de vie, bien que l’épargne
ait d’autres sources de motivations, dont les principales sont la constitution d’une réserve de
précaution et le souci de laisser un patrimoine à ses héritiers.

Cependant, ce qui sous-entend chacun des déterminants de l’épargne, c’est l’idée d’un
arbitrage dans le temps entre les consommations présentes et futures. Le modèle standard
suppose que tout impôt qui provoque une modification des termes de l’échange entre ces
consommations exerce sur l’épargne actuelle des effets incertains. En effet, les effets de
revenu et de substitution jouent dans des sens opposés, ce qui implique que l'effet net de
l'imposition du revenu sur l'épargne est difficile à déterminer. Par exemple, la baisse du
rendement net du capital imputable à la fiscalité provoque un effet de substitution qui tend à
accroitre la consommation actuelle et un effet revenu qui tend à réduire la consommation des
prêteurs.

Outre les incidences évoquées ci-dessus, l’épargne nationale peut également subir le
contrecoup de l’imposition des bénéfices des entreprises.
119
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Dans la mesure où celle-ci n’est pas répercutée, elle ampute les bénéfices nets d’impôt, ce qui
entraîne, soit une diminution de l’épargne des entreprises (par la compression des bénéfices
non-distribués), soit une baisse des dividendes. En revanche, un régime fiscal qui favorise les
bénéfices non-distribués aboutit à une augmentation de l’épargne des entreprises, celle-ci peut
être en partie compensée par un recul de l’épargne des ménages.

Il faut également noter que la baisse des taux d’épargnes peut aussi s’accompagner d’une
appréciation des actifs notamment immobiliers, de sorte que la valeur du patrimoine
compense la baisse du taux d’épargne. En effet, le patrimoine net des ménages s’est fortement
accru depuis les années 70 dans plusieurs pays de l’OCDE, de telle sorte que la baisse du taux
d’épargne a pu s’effectuer sans détérioration de la situation financière des ménages mesurée
par le rapport du patrimoine au revenu. Cette augmentation du patrimoine net peut être
attribuée pour une large part à la hausse de la valeur des logements et des actions. Cependant,
le ratio d’endettement par rapport au revenu a considérablement augmenté, cette tendance
étant liée dans de nombreux cas à la libéralisation des marchés financiers. Les plus grandes
facilités de recours au crédit, le régime fiscal avantageux de l’accès à la propriété du logement
et la montée des prix immobiliers se sont conjugués pour favoriser l’endettement des
ménages, ce qui a pu entraîner une mauvaise affectation des ressources.
La structure de la fiscalité influence de façon notable les décisions d’épargne des ménages et
peut provoquer d’importantes distorsions.

De façon générale, la fiscalité influe sur l'épargne de manières différentes. II n'existe pas
actuellement de système fiscal qui cherche à mettre sur le même pied toutes les formes de
revenu et il n'en existe pas non plus qui exonère entièrement d'impôt l'épargne et le revenu du
capital comme ce serait le cas si l'on taxait uniquement les dépenses 28. On constate de plus en
plus que, parmi les systèmes fiscaux en vigueur, beaucoup sont de nature à avoir un effet
dissuasif sur l'épargne et que l'absence de taxation de l'épargne et des revenus du capital
assure des gains économiques substantiels.

28
Cette vision d’un impôt sur la dépense a été développé par Kaldor (1955) et que nous étudierons dans le
chapitre V.
120
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Par exemple, les simulations faites sur des modèles dynamiques d'équilibre général, comme
ceux d'Auerbach et Kotlikoff (1971), montrent que la réduction de l'imposition du capital au
dépend des revenus du travail, ou l'adoption d'un impôt sur la consommation, accroit très
sensiblement la formation de capital et la production à long terme. Dans le premier cas, une
plus grande neutralité dans le régime fiscal de l'épargne aurait des effets pervers sur les
incitations à l'emploi ce qui renvoie à la logique néoclassique.

Il existe dans de nombreux pays des incitations à l’épargne. Ces pays appliquent un régime
fiscal favorable à telle ou telle forme d'épargne financière, notamment en vue de la retraite. La
question capitale qui se pose à cet égard est de savoir si ces avantages fiscaux accroissent
l'épargne globale des ménages ou s'ils ne se traduisent que par un transfert d'épargne vers une
catégorie bénéficiant d'un régime fiscal privilégié. Carroll et Summers (1987) estiment que la
forte différence existant entre le taux d'épargne du Canada et celui des États-Unis depuis la fin
des années 60 s'explique par le régime fiscal très favorable des cotisations de retraite au
Canada, tandis que, selon certains éléments avancés par Venti et Wise (1987), la création des
comptes d'épargne-retraite aux États- Unis aurait dans une certaine mesure augmentée
l'épargne financière des ménages. L'investissement dans le logement à usage personnel est
très largement favorisé par la fiscalité. Ce régime préférentiel prend diverses formes, comme
les allégements fiscaux au titre des intérêts des prêts hypothécaires et l'exonération de l'impôt
sur les plus-values ainsi que la non-imposition de valeur locative du logement. Parmi les pays
de l'OCDE, le Canada, la Nouvelle-Zélande et la Turquie sont les seuls à ne pas accorder de
déductions fiscales ou de crédits d'impôt pour les intérêts hypothécaires. Si un certain nombre
de pays limitent l'allégement fiscal consenti au titre des intérêts, beaucoup admettent la
déduction intégrale, certains allants jusqu'à étendre cette disposition aux résidences
secondaires. Du point de vue de l'efficience économique la faculté de déduire les intérêts
versés pour l'investissement dans le logement personnel ne se justifierait que si les revenus
procurés par cet investissement (sous forme de plus-values et de valeur locative) étaient
imposés. Or, plus-values et valeur locative, si tant est qu'elles soient imposées, ne le sont que
légèrement dans la plupart des pays.
121
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Le coin fiscal est important là où la législation fiscale permet de déduire une bonne partie ou
même l'intégralité des intérêts versés. Dans ce cas, il augmente fortement avec l’inflation. II
est difficile de dire jusqu'à quel point ce régime fiscal préférentiel profite véritablement aux
accédants à la propriété puisqu'il a pour effet d'accroître la demande et que, de ce fait,
l'avantage fiscal peut très bien être intégré dans les prix des maisons et des terrains. En outre,
les allégements fiscaux en faveur du secteur immobilier entraînent ainsi un surinvestissement
dans le logement, les ressources disponibles pour les investissements productifs se trouvent
réduites.

Il existe dans d’autres cas des contre-incitations à l’épargne. La déductibilité des intérêts des
prêts à la consommation favorise évidemment les achats à crédit, encore que cet effet puisse
être contrebalancé par une fiscalité indirecte lourde. Parmi les pays de l'OCDE quelques-uns
seulement accordent de telles déductions. Toutefois, comme c’est parfois le cas, si le prêt
hypothécaire n'est pas lié à la réalisation effective de la construction ou qu’en pratique il peut
être utilisé à d'autres fins, la discrimination à l'encontre de l'épargne financière se trouve
aggravée. En effet, les individus sont toujours en mesure d’arbitrer à partir du moment où le
prêt à la consommation ou le prêt hypothécaire peut servir à acheter des actifs financiers
assortis d'avantages fiscaux. L'achat est ainsi financé en partie par les économies d'impôt. La
générosité des systèmes fiscaux à l'égard des achats de biens de consommation n'est qu'un des
aspects de leur influence sur l'épargne des ménages. On relève néanmoins que les pays ayant
un faible taux d'épargne des ménages, comme les États-Unis et les pays nordiques, sont parmi
les plus généreux à cet égard.

Il faut également noter qu’il existe une interaction entre la libéralisation des marchés
financiers et les distorsions fiscales. Ainsi, la possibilité de déduire les intérêts versés du
revenu imposable n'est généralement pas une nouveauté dans les systèmes fiscaux.
Cependant, la libéralisation des marchés financiers, en supprimant ou en réduisant le
rationnement du crédit, a permis aux ménages de tirer plus largement parti des avantages
fiscaux liés à l'achat du logement ou de biens de consommation en pouvant emprunter
davantage. L'attrait de ce genre de crédits a été encore accru par la suppression dans certains
pays de certaines distorsions affectant l'impôt sur le revenu.
122
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

3.2. L’impact de l’impôt sur les sociétés

Pour les théoriciens de l’économie standard, les investissements sont sensibles au coût du
capital. Dans ce cas, la baisse de l’impôt sur les sociétés est fortement recommandée. C’est
également le cas pour l’investissement direct étranger 29 bien que des travaux économétriques
plus complets indiquent que l’élasticité des flux d’investissement direct à l’impôt est
surestimée lorsque d’autres facteurs, dont la taille du marché et les coûts salariaux, ne sont pas

pris en compte30. Les effets de cet impôt sur l’emploi ont déjà été élucidés dans une partie
précédente.

L’élasticité de l’investissement au taux de l’impôt des sociétés ne justifie une baisse de


l’impôt sur le revenu des personnes physiques uniquement si les entreprises non constituées
en société assurent au niveau macro-économique une part importante de la formation brute de
capital fixe et de l’investissement direct étranger entrant, ce qui n’est assurément pas le cas.

Pour autant, il persiste une confusion dans le discours des défenseurs d’une baisse de
l’imposition des sociétés. La littérature néoclassique admet couramment que la réduction des
taux d’imposition permet de réduire les distorsions et donc d’améliorer l’allocation des
ressources. La confusion porte sur le fait de réduire le taux d’imposition ou bien d’explorer la
piste d’une unicité du taux d’imposition et sa linéarité (hors taux zéro). Les arguments
avancés sont, dans certains cas, convaincants pour la réduction des taux d’imposition mais ils
ne prouvent pas qu’il faille spécifiquement un impôt à taux unique. Cette réduction se justifie
dans le cas où il y aurait un taux « optimum » au-dessus duquel les distorsions sur l’offre sont
importantes et entrainent l’érosion de la base productive.

La réforme de 1986 proposée par le Trésor américain devait être en mesure de corriger ces
problèmes soulevés par l’étude du système fiscal américain du début des années 80. Cette
réforme avait comme vocation de conserver des taux d’impositions suffisamment bas pour
garantir une plus forte efficacité et une plus forte équité du système fiscal.

29
Voir OCDE (2007), DE MOOIJ R. et S.EDERVEEN (2003) et (2005)
30
Voir Nicoletti E.A. (2006)
123
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Il vaut mieux élargir l’assiette fiscale et réduire les taux que garder des taux élevés et une
assiette étroite. le critère d’équité se définit comme le fait de ne pas modifier la répartition
primaire des revenus en fonction des classes sociales. Enfin, ce rapport fait état d’un effet
Laffer, sans le nommer, lorsque les autorités américaines assurent que la baisse de la pression
fiscale drainera des recettes fiscales supplémentaires. Néanmoins, il a été suggéré que même
si la charge fiscale globale n'a pas atteint un point où un taux d'imposition moyen, plus faible
donnerait des recettes supplémentaires, cela pourrait être vrai pour certains éléments au sein
de la structure fiscale globale. Ainsi Lindsey (1987) et Minford (1985) ont attiré l'attention sur
la manière dont l’augmentation des taux marginaux les plus élevés a augmenté les recettes,
même si ces taux ont été réduits par la suite.

Cela reflèterait un accroissement des écarts de revenu avant impôt (Dilnot et Kell, 1988) pour
des raisons qui ne sont que vaguement liées au changement de forme du barème de l'impôt.
Des taxes particulières peuvent parfois répondre à ce critère et avoir un rendement plus élevé
pour des taux inférieurs. Les plus-values en sont un bon exemple, où un taux plus faible réduit
le risque de réajustement du portefeuille et peut ainsi favoriser une poussée de recettes.

Les modèles issus de la Théorie de la Taxation Optimale ont mis en avant l’impact de l’impôt
sur les sociétés sur le niveau d’investissement. C’est le cas notamment des modélisations de
Chamley (1986) et Judd (1985) qui ont montré que le taux d’imposition optimal de l’impôt
sur les sociétés à long terme est de zéro. Ce résultat suppose que l’ensemble de la fiscalité
pèse sur le travail, car dans ces modèles le travail est un facteur variable. Ce résultat
s’explique par le fait qu’imposer le capital revient à réduire le rendement de l’investissement
puisque les distorsions risquent de s’accumuler à long terme. Le propos consiste donc à ne pas
taxer le capital pour éviter les distorsions inter temporelles. La conclusion du modèle est donc
très générale d’autant plus que les hypothèses utilisées sont très restrictives.

Dans les modèles de type croissance endogène (Romer, 1986), l’introduction du capital
humain permet d’ouvrir un espace plus large à la politique fiscale. En effet, l’accumulation de
capital humain peut être vue comme le résultat d’un processus éducatif. Par conséquent, cela
amène l’attention sur la manière dont le système fiscal peut influencer les décisions de
s’engager dans l’investissement de capital humain. De plus, cette interaction entre l’offre de
travail et le capital humain accroit les questions auxquelles doit répondre la fiscalité.
124
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

La croissance endogène peut subvenir lorsque le capital et le travail sont augmentés d’autres
facteurs dans la fonction de production.

Ce type de modèle est particulièrement intéressant pour traiter des questions relatives au lien
entre fiscalité et croissance. La question peut se poser dans le cas où un des facteurs
complémentaires est un bien public qui doit être financé par la fiscalité (Barro 1990). Pour
simplifier la résolution du modèle, on suppose que le bien public est financé par une taxe sur
la production et que le capital ne se déprécie pas. Dans ce type de configuration, la fiscalité
impacte de deux manières la croissance de la consommation comme nous l’avons vu de
manière plus intuitive en début de partie.

Ainsi, la fiscalité réduit la croissance de la consommation en réduisant le rendement marginal


du capital, ce qui diminue le stock de capital utilisé. Enfin, la fiscalité augmente la croissance
grâce l’apport d’un bien public qui augmente la productivité de l’économie.

Plusieurs caractéristiques peuvent se retrouver dans ce type de corpus théorique. En premier


lieu, pour un niveau faible de bien public la croissance est négative, bien qu’il faille mettre en
place une taxe qui influence la consommation. En second lieu, la relation entre la croissance
et le taux d’imposition est non monotone, car la croissance augmente d’abord avec le taux
d’imposition, jusqu’à atteindre un maximum et ensuite baisser à l’image d’un effet « Laffer »
qui s’appliquerait ici non pas aux dépenses publiques mais à la croissance.

La complexité du système fiscal entraine des distorsions dans les décisions économiques. Par
exemple le manque de compréhension du calcul de l’impôt sur le revenu entraine deux effets
importants de type « sélection adverse » pour allouer le capital et le travail à leur niveau
optimal. En premier lieu, la faiblesse de la base taxable et les taux marginaux élevés pour les
hauts revenus décourage l’épargne et l’investissement, ce qui réduit l’effort au travail. Cette
réduction retarde la découverte et l’utilisation de nouvelle technologie qui diminuera le taux
de croissance. En second lieu, la complexité du système de subventions ou d’exonérations
fiscales sur certains secteurs de l’économie empêche les mécanismes de marché de
fonctionner ce qui éloigne l’allocation optimale des ressources de la situation de concurrence
pure et parfaite.
125
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Le risque inhérent à cette situation pour les autres agents est de créer des distorsions fortes
dans l’utilisation du travail et du capital et également dans les choix des consommateurs. Une
productivité et un niveau de production plus faible réduit la satisfaction du consommateur.

3.3. L’impact de la fiscalité sur l’innovation

Pour l’économie standard, la fiscalité est liée à la croissance par l’intermédiaire des décisions
des agents économiques. En effet, beaucoup de modèles étudient comment la fiscalité modifie
les choix optimaux des agents. Cependant, il est possible de ressortir deux éléments qui sont
communs à la plupart des modèles : Les dépenses de R&D et l’éducation.

Il est à noter que ces deux éléments n’agissent pas forcément de la même manière suivant le
pays considéré. Bien que les agents économiques se comportent de la même manière, par
exemple le fait qu’ils auront tous tendance à réduire leur investissement en capital humain
face à une augmentation de l’impôt sur le revenu, l’effet sur la croissance ne sera pas le
même. La structure économique différente des pays suppose que certains obtiennent une
croissance supérieure en utilisant davantage de capital humain alors que d’autres pays verront
leur croissance augmenter par les dépenses en R&D. Ainsi, une même politique n’a pas les
mêmes effets en termes de croissance. Depuis le développement des modèles de croissance
endogène, il est possible d’intégrer des variables fiscales et d’étudier leur impact sur la
croissance. Par exemple, l’imposition sur les sociétés peut jouer sur le coût d’opportunité d’un
investissement et donc influencer le montant optimal investi dans les services R&D.
L’imposition du revenu individuel est aussi source de distorsions car il peut réduire le retour
sur investissement dans l’éducation et la formation, ce qui nuit à l’accumulation de capital
humain.

L’étude de Lucas (1990) soutient la suppression de l’impôt sur le capital compensé par une
augmentation de la fiscalité sur le travail. La simulation montre que ce changement de
politique n’a pas d’influence sur le taux de croissance (il est même négatif mais très faible)
mais a un effet important sur le niveau de la production.
126
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

A contrario King et Rebelo (1990) et Jones et al. (1993) trouvent des effets sur la croissance
en « taux » et en « niveau » très important. King et Rebelo testent l’impact d’une
augmentation de 10 points de l’impôt sur le capital tandis que Jones et al. imitent Lucas en
supprimant cet impôt. Les modèles de King-Rebelo et celui de Jones et al. se différencient,
d’une part parce que le premier intègre le capital physique dans la production du capital
humain, d’autre part car le second utilise une valeur plus forte de l’élasticité de l’offre de
travail que dans les autres études.

Stokey et Rebelo (1995) étudient l’importance de chacun de ces éléments pour expliquer les
divergences sur les résultats des études précédentes. Leur modèle englobe les trois précédents
et ils montrent que l’élasticité de substitution entre le capital et le travail importe peu dans
l’effet « croissance » tandis qu’elle a plus d’implication pour l’effet de « niveau ». En effet,
avec une valeur forte de l’élasticité, un système fiscal qui traite de manière asymétrique les
facteurs de production sera vecteur de plus de distorsion.

L’élimination de cette distorsion entraine un effet significatif en faveur du bien-être, mais les
auteurs soutiennent que les caractéristiques les plus importantes du modèle sont : la part du
capital humain et physique dans la production, l’élasticité intertemporelle de substitution de
l’utilité et l’élasticité de l’offre de travail. Leur conclusion est proche de celle de Lucas, c’est-
à-dire que les preuves empiriques d’un effet de la fiscalité sur la croissance est faible. Trostel
(1993) prend parti de considérer l’investissement en capital humain comme un choix
individuel de l’individu. Ce dernier a besoin d’investir en temps et dans certains produits pour
pouvoir accumuler du capital humain. Son modèle simule ensuite les modifications des choix
individuels face à différentes configurations. La simulation de base montre qu’une
modification du taux d’impôt sur le revenu (qui est proportionnel) influence le niveau du
capital humain plutôt que le nombre d’heures travaillés. Par conséquent une augmentation du
taux de l’impôt sur le revenu réduit le capital humain. Par exemple, si le taux passe de 40% à
40,4%, alors le capital humain est réduit de 0,388%. Si ce modèle en équilibre général est
correct, alors Trostel conclut que d'autres modèles peuvent être faussés. En résumé, ce modèle
fournit des preuves théoriques que les effets de la fiscalité sur le capital humain peuvent être
grands. Cela permet de conclure que la fiscalité décourage l’investissement en capital humain.
127
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Terminons cette partie en citant l’étude de Krueger et Kumar (2004) qui tente d’expliquer
l’écart de croissance entre les Etats-Unis et l’Europe par le stock de capital humain. Ainsi au
cours des années 70, il y avait peu de différences de taux de croissance entre ces deux régions
du monde, mais à partir de 1980 et particulièrement en 1990 où la croissance des Etats-Unis
est plus rapide qu’en Europe. Le capital humain serait à l’origine de ce décalage. Le modèle
considère deux sortes de capital humain : un spécifique et un général, en sachant que le
deuxième permet une assimilation plus rapide aux nouvelles technologies. Il apparaitrait que
l’Europe s’est davantage concentrée sur des compétences spécifiques et les Etats Unis sur des
compétences plus générales.

3.4. Fiscalité et bien être

L’impact de la fiscalité sur le bien-être a surtout été abordé par la théorie de la Taxation
Optimale. La problématique générale se situe dans la manière dont la forme des barèmes
fiscaux influence le processus de maximisation par l’Etat de sa fonction objective de bien-être
(Monnier, 1998). L’Etat arbitre ainsi entre les différents intérêts privés et la préparation des
ressources. Les préférences des pouvoirs publics sont retranscris par une fonction de bien-être
collectif, l’objectif étant d’atteindre un bien-être maximum. Cette fonction de bien-être
collectif est l’agrégation des utilités individuelles en les pondérant suivant les objectifs
d’efficacité ou d’équité recherchés. La redistribution des ressources modifie la situation
relative des agents économiques, et affecte leurs comportements. Suivant le critère mis en
avant, les conséquences sur le bien-être des individus ne sont pas les mêmes.

Le point de base est que l’écart provoqué entre le prix payé par les acheteurs et le prix
encaissé par les vendeurs, engendre une perte de bien-être pour les deux catégories d’agents.
La maximisation du bien-être suppose donc la minimisation de ces pertes sèches. Dans
l’économie standard, les prélèvements obligatoires affectent les choix des agents économiques
par la baisse de leur pouvoir d’achat et la variation relative des prix. La variation des prix est
décrite par l’intermédiaire de l’effet de revenu et de substitution. L’effet de revenu est la
ponction opérée sur le pouvoir d’achat des individus lorsque la structure des prix ne se
modifie pas.
128
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

L’effet de substitution renvoie à l’obligation pour l’individu de modifier ses plans de


consommation du fait de la modification des prix relatifs. Cette modification est appelée
« charge fiscale excédentaire » par l’économe publique standard.

L’objectif d’une réforme fiscale serait donc de réduire au maximum cette charge fiscale
excédentaire pour assurer l’efficacité du système. Une solution idéale proposée par la
Taxation Optimale est de taxer les individus via des impôts forfaitaires. Cependant, la
difficulté à définir des critères objectifs et manipulables remet en cause cette forme de
fiscalité. Finalement, les théoriciens reconnaissent que l’objectif de la politique fiscale est de
sélectionner les instruments fiscaux permettant d’assurer la neutralité du système d’imposition
sur les comportements individuels.

Suite aux critiques énoncées sur la règle de Ramsey selon laquelle les taux d’impositions sur
la consommation doivent être inversement proportionnels à l’élasticité-prix de la demande, la
théorie standard se prononce en faveur d’une taxe uniforme sur la consommation de type
(TVA). Cette solution évite de taxer les consommations intermédiaires qui seraient l’une des
principales sources de distorsions (Monnier, 1998).

Sur l’impôt sur le revenu, les auteurs se déclarent clairement en faveur d’un impôt linéaire au
détriment d’un impôt progressif car la perte de bien-être serait plus faible dans le premier cas.
Nous avons déjà brièvement discuté des hypothèses spécifiques de ces modèles. Pour autant
ces auteurs souhaitent mêler les aspects d’efficacité et d’équité via un impôt sur le revenu
proportionnel couplé à un mécanisme de transferts forfaitaires. En effet, l’impôt linéaire peut
être optimal dans une conception strictement utilitariste, il ne l’est pas quand la fonction de
bien-être social incorpore une forme d’aversion à l’inégalité ou de préférence pour la
redistribution. Keen et al. (2006) observe, en parcourant la littérature, que cette thèse ne
résiste pas à des hypothèses alternatives notamment sur l’aversion à l’inégalité.

Les théoriciens ont ensuite tenté de simuler ces effets de perte de bien-être. La perte sèche de
la fiscalité est le coût que le contribuable (ou l'individu qui évite l'imposition par une
modification de son comportement) occasionne en plus du montant de l'impôt qu'il paie. Il
s’agit de la perte qui serait supprimée par l’existence d’un impôt forfaitaire qui permettrait de
limiter les distorsions et de se rapprocher d’un système fiscal optimal.
129
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

L’analyse rigoureuse de cette perte sèche a été considérablement simplifiée par l'utilisation de
méthodes dites « duales ». Dans cette méthode, la perte sèche devient simplement le montant
additionnel que le contribuable serait prêt à renoncer s'il était soumis à la place à une
imposition forfaitaire. Elle peut être décrite par une simple comparaison des fonctions de
dépenses. Ainsi lorsque les prix au producteur sont constants, cette méthode permet de
construire un vecteur prix naturel au cours duquel ces fonctions de dépenses peuvent être
comparées.

L'analyse empirique des effets du bien-être de la fiscalité a également en parallèle, le


développement des modèles d'équilibre général, grâce notamment aux contributions de
Harberger (1964).

Cependant, l’analyse du bien-être chez Harberger était basée sur la somme d'une série
d'estimations d'équilibre partiel, et il est maintenant soutenu que cette procédure ne fonctionne
pas, même approximativement, et qu’il est difficile de mesurer le coût global de la fiscalité
dans un modèle d'équilibre général. Plus communément, les estimations ont été faites sur les
gains obtenus lors de la mise en œuvre d’une réforme fiscale progressive (Aktinson, 1980), ou
des changements dans certains domaines politiques (King, 1983).

Une telle analyse permet d’examiner l'effet des variations des taux d'imposition ou alors, de
façon plus ambitieuse, d’évaluer l'effet des modifications des structures fiscales. Auerbach et
Kotlikoff (1987) ont élaboré un modèle de cycle de vie qui se concentre plutôt sur le choix
entre le revenu et les dépenses plutôt que sur les bases fiscales. Ils trouvent des gains
significatifs lorsqu’on se dirige vers un impôt sur la consommation. Cependant, les auteurs
démontrent que ces gains sont sensibles à la spécification du régime transitoire.

Les arguments précédant ont mis en avant les distorsions dans l’épargne et l’investissement
causées par les lacunes de l’impôt sur le revenu des personnes et de l’impôt sur les sociétés.
Ces préoccupations sont devenues centrales dans le débat politique sur les effets de la
fiscalité. La réorientation de la pression fiscale des particuliers, de certaines exemptions sur
les produits notamment en encourageant une taxation globale de la consommation est
probablement la tendance la plus marquée dans l'évolution de l'assiette fiscale démontrée dans
la section 1.
130
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Ce mouvement vise à réduire les pertes sèches de bien être en assurant un objectif d’efficacité
économique. Les décideurs politiques ont été de plus en plus nombreux à prendre en compte
dans leurs décisions l'ampleur des coûts économiques de la fiscalité par rapport aux coûts
directs d'exploitation qui, naturellement, préoccupe les administrateurs fiscaux.

4. Analyse et critiques des réformes fiscales du point de vue


hétérodoxe : Les faits stylisés non-résolus par la théorie standard

Ce chapitre a permis de constater que les modifications de la structure fiscale des pays
développés ont suivi de près les prescriptions de la théorie standard de l’incidence fiscale.
Bien qu’il y ait eu des disparités dans ces évolutions entre les pays.

L’augmentation des impôts sur les salaires, la baisse des recettes de l’impôt sur les sociétés et
du capital en proportion des recettes fiscales a mis en avant l’évolution de la charge fiscale en
défaveur du travail.

Sur le plan théorique, un certain nombre d’effets ne sont pas pris en compte par la théorie
standard de l’incidence fiscale. Par exemple, la baisse de la pression fiscale n’a pas les mêmes
effets en termes macroéconomiques entre keynésiens et néoclassiques car les canaux de
transmission de la fiscalité ne sont pas les mêmes (4.1). La théorie standard n’analyse pas les
effets macroéconomiques de l’augmentation des inégalités en haut de l’échelle de revenu
révélée par les études de Piketty et al.. La baisse de la progressivité de l’impôt et la réduction
importante des taux marginaux de la dernière tranche de l’impôt sur le revenu est un élément
explicatif important (4.2). La répartition des revenus est donc influencée par la fiscalité (4.3).
Enfin la théorie standard ne traite pas de l’impact de la financiarisation sur l’économie, ce que
semble effectuer de manière rigoureuse les postkeynésiens (4.4).

4.1. Le débat entre néo-classique et keynésiens sur la baisse de la


pression fiscale

Les théoriciens dits de l’offre (Slemrod, 1990) et des défenseurs de la courbe de Laffer ont
une interprétation différente des effets bénéfiques d’une baisse des impôts par rapport aux
keynésiens.
131
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Pour les premiers cités, la baisse des impôts a pour effet de stimuler la base productive. En
effet, cette baisse entraine la diminution du coût marginal lié aux investissements et augmente
le revenu disponible et donc la part du revenu national et du patrimoine pouvant faire l'objet
d'arbitrages individuels. Ceci est susceptible de produire une hausse des recettes fiscales par
un meilleur consentement à l'impôt et donc un moindre évitement fiscal. Ensuite, cette baisse
des impôts permet de réduire les distorsions dans les prix relatifs, en assurant l’existence d’un
équilibre de second ordre31 relativement proche de l’équilibre de premier ordre en
concurrence parfaite. La baisse des impôts est aussi parfois présentée comme un signal, censé
indiquer une volonté d'augmenter l'efficacité des dépenses publiques, susceptible d'améliorer
les anticipations des agents et donc de stimuler l'activité.

Par ailleurs, compte tenu de la concurrence fiscale, la baisse des impôts sur les assiettes les
plus mobiles, c’est-à-dire les revenus du capital, est susceptible d'attirer capitaux et salariés
les mieux rémunérés, certes au détriment des partenaires économiques et du reste de
l'économie, ce qui en retour est censé améliorer les recettes fiscales. Cependant ce point de
vue repose principalement sur des intuitions issues de l’offre.

L’interprétation keynésienne explique les effets bénéfiques d’une baisse des impôts par un
effet multiplicateur. L'accroissement du revenu disponible des agents induit un accroissement
de la consommation et de l'investissement, ce qui augmente la croissance et donc les recettes
fiscales. Les arguments keynésiens sont résumés par cette citation de Godley et Rowthorn
(1994) :

“Si les dépenses publiques augmentent en premier, ou si les taux d’imposition sont réduits, il
résulte un accroissement de l’emprunt public. Cependant, il y a également une augmentation
de la production qui génère davantage de recettes fiscales et réduit en même temps le déficit
et la dette publique. En effet, la production augmente suffisamment si les recettes fiscales
stabilisent le ratio dette sur le PIB32 » (Godley et Rowthorn (1994), p.200).

31
La fiscalité entraine des distorsions sur la formation des prix.
32
“When government expenditure first increases, or when tax rates are first cut, the result is an increase in
government borrowing. However, there is also an increase in output which generates more tax revenue and
132
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Dans cette configuration, les dépenses fiscales sont observées comme étant équivalente aux
dépenses publiques car elles favorisent la croissance et conduisent donc à leur propre
financement en améliorant in fine le montant des recettes fiscales. On pourrait d’une certaine
manière retrouver l’intuition d’un effet Laffer où la baisse des taux marginaux serait de nature
à stimuler la base productive et à accroitre le niveau de la production et in fine les recettes
fiscales.

Les baisses d’impôt ont également comme objectif d’entrainer une baisse des dépenses
publiques. Cependant, la baisse de ces dépenses peut entrainer une réduction de la demande
adressée aux entreprises et des revenus des ménages, ce qui freine la croissance. Les études
empiriques montrent que le multiplicateur budgétaire est plus puissant que le multiplicateur
fiscal.

Pour autant, les postkeynésiens estime qu’une baisse des impôts n’entraine pas toujours une
baisse des dépenses publiques sous certaines conditions. En outre, plusieurs effets
contradictoires peuvent être à l’œuvre. Par exemple, lorsqu’une baisse des impôts accroît le
revenu disponible, augmente la consommation et le revenu national selon un principe
multiplicateur, les recettes fiscales s'améliorent. Cet effet suppose que l’intégralité du revenu
disponible supplémentaire soit consommée, car si une partie est épargnée, il y aura un effet
contraire à l'effet multiplicateur qui peut jouer contre l'autofinancement. Par conséquent, une
modification dans la structure fiscale en faveur de l’épargne a tendance à encourager la
propension à épargner des classes les plus aisées et à réduire l’accumulation de capital.

Cette intuition repose sur un des principaux résultats des modèles néo-kaleckien relatif au
« paradoxe de l’épargne » qui décrit l’effet négatif d’une hausse de la propension à épargner
sur l’activité. Par conséquent, si l’épargne est encouragée par un traitement fiscal privilégié,
alors le fait d’épargner plus provoque simplement une baisse de la demande qui s’adresse aux
entreprises. Le revenu supplémentaire épargné n’alimente pas l’investissement si les
entreprises produisent en deçà du niveau d’utilisation normal des capacités de production.

reduces both the deficit and the accumulation of government debt. Indeed, output eventually rises to the point
where tax revenue is sufficient to stabilize the ratio of government debt to GDP ”
133
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Dans les faits, on remarque une forte hausse du taux d’épargne jusqu’à la fin des années
1970. Ce dernier s’est ensuite mis à baisser dans les années 1980 pour remonter à l’entame
des années 1990. Une explication tend à mettre en avant l’impact des taux d’intérêts sur les
choix de consommation des ménages. Dans les modèles de consommation intertemporelle,
une variation positive du taux d’intérêt a un double effet sur l’épargne, à la fois positif (effet
de substitution intertemporelle) et négatif (effet revenu), l’effet net n’étant pas déterminé par
la théorie. La forte inflation des années 1970 explique également en bonne partie les niveaux
élevés d’épargne enregistrés au cours de cette période, tandis que la désinflation entraîne une
baisse générale de l’épargne dans les pays de l’OCDE au cours des années 1980. On peut
donc interpréter la remontée de l’épargne au cours des années 1990 par une hausse des taux
d’intérêts car l’inflation tend à redevenir faible à cette époque. Pour autant, ce reflux
d’épargne n’a pas entrainé un accroissement de l’accumulation, conformément aux intuitions
de la théorie standard.

Or, la modification de la structure de l’épargne des ménages peut également influer sur la
dynamique macroéconomique. Au cours des années 1990, la part de l’épargne des ménages (y
compris les entreprises individuelles) détenue sous forme d’actifs financiers est croissante
(source : INSEE) passant de 40 % de l’épargne totale en volume en 1994 à plus de 49 % en
2006, au prix de 1994. Sur la même période, au sein de l’épargne financière, la part des
actions et titres d’OPCVM est décroissante, perdant plus de dix points, au profit des
provisions techniques d’assurance, dont la part passe de 22 % de l’épargne en 1994 en
volume, à près de 42 % en 2006. L’épargne financière des ménages s’accroît donc sur la
période et la part des numéraires et dépôts diminue, passant de 40 % en 1994 à 34 % en 2006
du total de l’épargne financière en volume. Les comportements des ménages en termes de
détention d’actifs ont donc évolué, dans le sens d’une préférence accrue pour les actifs de
nature financière. Au sein de l’épargne financière, leur préférence pour les dépôts diminue.

Dans le cadre keynésien traditionnel, le taux d’épargne dépend du niveau de revenu. Les
ménages aisés ont ainsi tendance à épargner une part plus importante de leur revenu que les
ménages modestes. Or, la structure fiscale s’est fortement orientée pour favoriser les revenus
d’épargne. Les revenus d’intérêt ont été fortement favorisés en France par rapport aux
dividendes. Il existe également d’importantes mesures dérogatoires qui permettent aux
revenus d’intérêts d’échapper au barème progressif de l’impôt sur le revenu.
134
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Le taux d’imposition moyen de l’épargne s’établirait à environ 10% d’après une étude de
l’OEE tirée d’un article d’Aubier et al. (2005). Les dépenses fiscales sur les placements à
faible rendement et peu risqués représentent la moitié des dépenses fiscales, l’autre moitié
concernant les actions. Il y a donc une forte proportion de niches fiscales qui se concentrent
sur un nombre restreint et d’individus privilégiés.

Toujours d’après Aubier et al., en 2003, moins de 1% des contribuables profitaient de


l’imposition proportionnelle des plus-values mobilières. Les réformes ayant trait à l’épargne
ont donc favorisé les ménages plutôt aisés ayant une propension à épargner forte sans un effet
favorable sur l’investissement. Rowthorn (1999) souligne par exemple que le ralentissement
de l’investissement, et donc de la croissance, explique la majorité de l’accroissement du
chômage dans les pays de l’OCDE.

4.2. Fiscalité et évolution des très hauts revenus

Depuis une quinzaine d’années de nombreuses études empiriques ont démontrées un


creusement des inégalités en haut de l’échelle de revenu (4.2.1). La fiscalité aurait joué un
rôle à part entière dans ses évolutions (4.2.2) mais certains économistes se sont levés contre
ces résultats et ont cherché à relativiser la portée des conclusions (4.2.3).

4.2.1. L’augmentation des inégalités dans le haut de l’échelle des


revenus dans les pays développés

Un récent rapport de l’OCDE (2012) rédigé par Michael Foster montre que les inégalités sont
en progression dans presque tous les pays riches. En France, les nouvelles données
disponibles sur les revenus du patrimoine fournis par l’INSEE ont permis de mettre en avant
un écart croissant des inégalités entre le haut de la fourchette des revenus (1%) et le reste de la
population. Avant ces études Piketty (1998) et Landais (1998) avait déjà décrit ce type
d’évolution.

Les évolutions récentes des niveaux d’inégalités de revenus au sein des pays de l’OCDE sont
dans la continuité de ce que nous observons depuis le début des années 1980, période durant
laquelle s’est amorcée une hausse. Cela est le reflet de deux phénomènes.
135
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

En haut de l’échelle, on observe une augmentation de la part de richesse détenue par les 1 %
les plus aisés (et, en particulier les 0,1 % les plus riches). Elle se poursuit dans les pays anglo-
saxons et tend à se généraliser en Europe. Une telle augmentation des inégalités est
concomitante avec la réduction des taux d’imposition sur la même période.

Le rapport de l’OCDE met en évidence le fait que l’accroissement des inégalités entre les
revenus des ménages est essentiellement le reflet de l’augmentation des inégalités de salaires
au sein du marché du travail. L’impact d’une plus forte concentration des revenus du capital a
lui aussi joué un rôle, mais n’explique que 11 % des inégalités globales – contre 8 % il y a 20
ans. Finalement, le rôle des systèmes de prestations sociales et des impôts pour atténuer les
inégalités s’est affaibli dans beaucoup de pays de l’OCDE.

Dans le cas des Etats-Unis, le graphique 2.1 résume les grandes tendances obtenues dans ces
études.

Graphique 2.1 : Evolution du 1% le plus fortuné, Etats-Unis 1916-2000

Source : Piketty et Saez (2003)


136
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Piketty et Saez (2003), montre que la part du centile le plus fortuné aux États-Unis, après
avoir connu d’importantes variations puis une chute pendant la première moitié du dernier
siècle, est resté remarquablement stable pendant près de trois décennies, avant de repartir à la
hausse autour de 1980. Si la Seconde Guerre mondiale fut témoin de destruction ou de
confiscation du capital du premier centile, en raison notamment du contrôle des salaires.
Pourtant une fois que ce contrôle fut levé, il n’y a pas eu un retour de la concentration des
revenus. Piketty et Saez affirment que seul l’impôt progressif pourrait être responsable de
cette stabilité de la part des hauts revenus dans l’après-guerre.

Les pays dont la progressivité de l’impôt est la plus faible (particulièrement sur le patrimoine)
ont effectivement vu les grandes fortunes récupérer plus rapidement. Ce fut le cas, par
exemple, de l’Allemagne, ce qui semblerait confirmer l’explication par l’impôt.

Le rapport de l’OCDE met en évidence le fait que l’accroissement des inégalités entre les
revenus des ménages est essentiellement le reflet de l’augmentation des inégalités de salaires
au sein du marché du travail. L’impact d’une plus forte concentration des revenus du capital a
lui aussi joué un rôle, mais n’explique que 11 % des inégalités globales – contre 8 % il y a 20
ans. Finalement, le rôle des systèmes de prestations sociales et des impôts pour atténuer les
inégalités s’est affaibli dans beaucoup de pays de l’OCDE.

Les travaux d’Atkinson, Piketty et Saez (2010, p. 3) ont abouti à trois résultats empiriques
majeurs :

1- Dans la plupart des pays cartographiés jusqu’ici, la part des hauts revenus a connu une
importante chute entre 1914 et 1945, concentrée autour que quelques événements clés
comme la Grande Dépression, les deux Guerres mondiales et l’instauration d’impôts
progressifs sur le revenu, le capital, le patrimoine et les héritages. Pour certains pays,
la baisse est toutefois plus modérée et graduelle, particulièrement ceux qui restèrent
hors de la Seconde Guerre mondiale. Pour les pays dont la répartition des revenus de
cette époque est disponible, on observe que les revenus du premier centile provenaient
principalement du capital, ce qui est à l’origine de leur baisse. En comparaison du
premier centile, les 19 % des revenus suivants ont enregistré une baisse beaucoup plus
modérée de leur part au cours de la première moitié du XXe siècle, à cause du poids
plus important du salaire dans leurs revenus.
137
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

­ La part des revenus suit une trajectoire en « U » depuis 100 ans. Cette part a tout
d’abord énormément diminué, atteignant son plus bas niveau au début des années
cinquante. Elle est ensuite restée plutôt stable jusqu’aux années 1970. Puis elle a
recommencé à augmenter jusqu’à aujourd’hui. La concentration accrue est marquée
dans les pays anglophones (États-Unis, Canada, Grande-Bretagne, Irlande, Australie,
Nouvelle-Zélande), de même qu’en Chine et en Inde.

L’Europe du Nord (Finlande, Suède, Danemark, Norvège) et l’Europe du Sud


(Portugal, Espagne, Italie) ont connu un certain retour de la concentration en haut de
l’échelle, quoique plus modérée que celui des pays anglophones. Les pays d’Europe
continentale (France, Allemagne, Pays-Bas, Suisse) et le Japon n’ont pas connu de
hausse significative de concentration.

­ Le retour de la concentration des revenus observé au cours des dernières décennies est
une fois de plus concentré au sommet de l’échelle des revenus. Le premier centile qui
a été le réel bénéficiaire des hausses.

L’évolution du patrimoine qui expliquait les évolutions des très hauts revenus. Ce n’est
toutefois pas un retour à la « normale » d’avant 1940, car, dans la plupart des pays, une
grande partie de la progression du premier centile provient des salaires plutôt que des gains en
capital. De fait, la part occupée par les salaires dans le revenu du premier centile n’a jamais
été aussi élevés. Après la seconde guerre mondiale une grande partie de la progression du
premier centile provient des salaires plutôt que des gains en capital. De fait, la part occupée
par les salaires dans le revenu du premier centile n’a jamais été aussi élevé. Il y aurait donc eu
pour Piketty un remplacement des rentiers par les travailleurs riches (Piketty, 2004).

Dans leur article de synthèse, Atkinson, Piketty et Saez (2010) affirment que dans 15 des 19
pays étudiés, les changements dans la concentration des revenus ont surtout affecté le premier
centile. Cependant, les auteurs estiment que chaque pays a pu vivre des événements différents
tout comme ils ont pu vivre différemment les mêmes événements. Les explications sont
forcément liées à plusieurs variables qui agissent en simultané. Pour autant, Piketty (2001,
2003) est d’avis que l’impôt progressif sur le revenu a joué un rôle important dans l’évolution
des hauts revenus, ce qui rend plus difficile la reconstitution des causes de leur évolution
après des chocs majeurs comme les guerres, les crises économiques ou les épisodes
d’inflation.
138
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

La perte de revenu due à la baisse du commerce extérieur lors des deux Guerres mondiales est
un autre bon exemple. Plus récemment, les baisses d’impôt décrétées par les gouvernements
Reagan aux États-Unis et Thatcher en Grande-Bretagne au courant des années 1980 furent
accompagnées par d’importantes privatisations et libéralisations des marchés financiers,
lesquelles ont bien pu augmenter simultanément la part des hauts revenus.

Dans le cas spécifique de la France, les études de Piketty (1998, 2001) et leur mise à jour par
Landais (2007) ont permis de confirmer une explosion des hauts revenus, essentiellement
concentrée au niveau des foyers du dernier centile, qui ont vu leur part dans les revenus totaux
considérablement augmenter entre 1998 et 2005. Au cours de cette période, les 0.01% des
foyers les plus riches ont vu leur revenu réel croitre de 42.6 % contre 4.6 % pour les 90% des
foyers les moins riches (Graphique 2.2).

Graphique 2.2 : Evolution des revenus moyens déclarés pour différents fractiles, euros 2006
base 100=1998

Source : Landais (2007)


139
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Cette augmentation s’explique par une divergence dans l’évolution entre les revenus du
travail et ceux du patrimoine (graphique 29). Une décomposition des revenus des très riches
permet d’expliquer en quoi ce sont les revenus du patrimoine qui explique l’augmentation des
inégalités des très hauts revenus avec les autres niveaux de revenus du reste de la population.

L’INSEE (2012) confirme ces résultats sur ces dernières années Des disparités de patrimoine
marquées parmi les ménages du haut de la distribution. Les 10 % de ménages les mieux dotés
possèdent près de la moitié de la masse totale de patrimoine brut : 38 % du patrimoine
immobilier, 56 % du patrimoine financier et 84 % du patrimoine professionnel. L’étude de
Julie Solard (INSEE, 2010) centré sur les très hauts revenus montre que la moitié des revenus
des personnes les plus aisées ne sont pas des revenus d’activité, les autres très hauts revenus
restent principalement assis sur des revenus d’activité, comme la grande majorité de la
population. La population des très hauts revenus est plus âgée et plus concentrée en région
parisienne que le reste de la population. Entre 2004 et 2007, les revenus moyens des très hauts
revenus ont augmenté plus rapidement que ceux de l’ensemble de la population. En parallèle,
cette étude souligne, en s’appuyant sur les statistiques fiscales, une augmentation forte du
nombre de redevables à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). En effet, le nombre de
foyers redevables de l’ISF au titre de l’année civile 2004 est de 336 000, soit 12 % plus élevé
que l’année précédente (cf. annuaire statistique de la DGFIP), et plus élevé encore les trois
années suivantes : l’impôt de solidarité sur la fortune touche ainsi 528 000 foyers en 2007.
Pourtant, le seuil de l’ISF est revalorisé chaque année pour tenir compte de l’érosion
monétaire. Les seuils, depuis 2004, sont donc toujours entre 754 000 euros et 761 000 euros
de 2007. Cette évolution du nombre de foyers possédant un patrimoine important correspond
principalement à une valorisation des actifs immobiliers et mobiliers possédés. Ainsi, d’un
côté, la valorisation forte des actifs sur la période 2004-2007 a fait augmenter le nombre de
hauts patrimoines ; de l’autre, on observe une augmentation du nombre de riches en termes de
revenus (graphique 2.3)
140
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Graphique 2.3 : Evolution du nombre de très riches en France entre 2004 et 2007

Source : INSEE (2010)

Pour autant, la France est un pays plus égalitaire que les pays anglo-saxons, notamment les
Etats-Unis au début des années 1990. Cependant à partir de cette date, on retrouve les mêmes
évolutions qui ont pu être dans ces pays à partir des années 1980. Il y a donc eu une
augmentation des inégalités en haut de l’échelle de revenus dans ces deux pays (graphique
32).

La théorie économique standard explique la croissance plus forte du dernier centile de revenus
de plusieurs manières.

La théorie des tournois (Lazear et Rosen, 1981), par exemple, explique que la compétition
hiérarchique entre les cadres comporte un risque calculé en coûts et en avantages, lequel
augmente à mesure qu’on grimpe dans la hiérarchie. Cette explication rejoint celle issue de la
théorie dite des «superstars » de Rosen (1981) pour qui la mondialisation est un facteur
explicatif de l’augmentation des très hauts revenus. En effet, cette dernière a intensifié la
compétition et les enjeux pour les firmes. Ce phénomène, couplé aux possibilités qu’ouvrent
des communications maintenant globales, aurait engendré une élévation générale des
rémunérations. Il apparait donc la nécessité d’employer les meilleurs ce qui pousserait
constamment les salaires à la hausse.
141
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Cette compétition toujours plus forte et son aspiration vers le haut transformerait la structure
salariale en faveur du « gagnant qui rafle toute la mise33 ». Cette explication a été notamment
développée par Frank et Cook (1995). Pour autant une autre explication s’est développé au
travers des études de Piketty et al. : la baisse de la pression fiscale sur les hauts revenus et la
diminution de la progressivité.

4.2.2. La baisse de la pression fiscale sur les hauts revenus et de la


progressivité comme facteur explicatif

Piketty (2001) et Atkinson, Piketty et Saez (2010), expliquent que le taux marginal de l’impôt
sur le revenu pourrait avoir un impact significatif sur la rémunération des hauts revenus. Ces
auteurs considèrent qu’une augmentation du taux marginal d’imposition peut manifester son
influence par trois canaux :

1- Les hauts revenus peuvent travailler moins, donc gagner moins et être conséquemment
moins taxés. C’est la théorie classique de l’offre de travail.

2- Les hauts revenus peuvent remplacer leurs revenus monétaires par d’autres formes de
revenus qui sont moins taxés, comme les bénéfices exemptés d’impôt, les options
d’achat d’actions ou les bonifications des régimes de retraite. C’est le canal du
transfert fiscal.

3- Les hauts revenus peuvent exiger une rémunération supplémentaire afin d’être
compensés pour la hausse d’impôt qu’ils subissent.

Pour certains auteurs (Saez, 2004 ; Atkinson et Leigh, 2007), il semble que le taux marginal
d’imposition affecterait négativement les hauts revenus, et ce malgré la difficulté d’établir un
lien de causalité direct. La fiscalité a des effets sur l’offre : le taux moyen effectif
d’imposition des 0,01 % les plus aisés est passé de 44 % en 1998 à 26 % en 2006 sous l’effet
des réformes du barème de l’IR et de la multiplication des niches fiscales (voir Landais, 2008,
figure 10 p. 23).

33
« winner-take-all »
142
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Même si elle n’affecte pas directement les revenus primaires, la baisse importante des taux
effectifs d’imposition tout en haut de la distribution peut contribuer indirectement à
augmenter les inégalités en favorisant l’offre de travail des plus hauts revenus.

Dans le cas de la France, Piketty (2001) souligne qu’avant 1914, les hauts revenus
échappaient à une imposition conséquente. Après la Première Guerre Mondiale, le problème
fut totalement différent car les ménages très aisés pouvaient être imposée à des taux de l’ordre
de 30%, 40% voire 50% soit de niveaux qu’on peut retrouver aujourd’hui.

Pour cet auteur, l’introduction d’un impôt progressif encourage la compression de l’inégalité
future des patrimoines. En effet, par définition, l’impôt progressif a un impact sur les
capacités d’épargne et d’accumulation des revenus très élevés. Dans les faits, cela s’est traduit
par le passage à un taux marginal de l’impôt sur le revenu de 2% en 1915 à 90% en 1924. Le
taux marginal fut rabaissé autour de 40%-50% à la fin des années 20, mais il retrouva les
niveaux élevées du début des années 20 à la fin des années 30 et pendant la Seconde Guerre
mondiale avant de se stabiliser ensuite autour de 50%-60%. Au niveau des taux effectifs
d’imposition, on remarque que ces derniers sont largement inférieurs au taux marginaux des
tranches supérieurs. En effet, ces taux ne concernent qu’une petite partie des revenus
supérieurs. Il y a donc une forte progressivité à l’intérieur même du décile supérieur de
revenu. Au niveau du fractile P90-95, les taux effectifs d’imposition sont autour de 10% alors
que pour le fractile P99-100 ont atteint 30%-35% après la Seconde Guerre mondiale
(Graphique 2.4). Cette forte progressivité est donc de nature à favoriser une compression
spectaculaire des inégalités patrimoniales au sommet de la hiérarchie des revenus. Cela
signifie que les « classes moyennes » ou les « classe moyennes supérieurs » ne sont
pratiquement pas affectées par l’impôt progressif.
143
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Graphique 2.4 : Evolution des taux effectifs d’imposition pour les différents fractiles des très
hauts revenus (1914-1998)

Source : Piketty (2001)

Au niveau international, Roine et Waldenström (2008) ont effectué une étude dans le cas de la
Suède et il observe que l’imposition progressive des hauts revenus aurait eu pour effet de
prévenir l’accumulation de nouvelles fortunes. Morigushi et Saez (2008) aboutissent à la
même conclusion pour les hauts revenus du Japon dans l’après-guerre. Dell, Piketty et Saez
(2007) considèrent que la stabilité de la part captée par les hauts revenus en Suisse est
cohérente avec l’absence permanente de progressivité de l’impôt sur le revenu dans ce pays.

Dans le cas des Etats-Unis, Piketty, Saez et Stantcheva (2011) ont développé un modèle où les
hauts revenus réagissent au taux marginal d’imposition selon trois « canaux » :

1- Le canal standard de l’offre via une activité économique réduite

2- Le canal de l’évitement fiscal,

3- Le canal de la négociation de compensations via un effort pour influencer leur niveau


de rémunération.
144
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Les auteurs font apparaitre une forte corrélation est observée entre l’évolution des hauts
revenus et le niveau du taux marginal d’imposition, testé dans un échantillon de 18 pays de
l’OCDE de 1975 à aujourd’hui, suggérant une importante élasticité des hauts revenus 34.Cette
corrélation est particulièrement importante aux États-Unis entre 1913 et 2009 (Graphique
2.5).

Graphique 2.5 : Evolution du taux marginal d’imposition et du premier centile aux Etats-
Unis, 1913-2008.

Source : Piketty, Saez et Stantcheva (2011)

Aux États-Unis, la part du revenu avant impôt allant aux 1 % les plus riches a plus que
doublé, passant de moins de 10 % dans les années 1970 à plus de 20 % aujourd’hui. Un tel
mouvement s’observe dans d’autres pays anglo-saxons (Atkinson, Leigh, 2011).

Dans le même temps, les taux supérieurs d’impôts sur les revenus les plus élevés ont décru
significativement depuis les années 1970, spécialement dans les pays anglo-saxons.

34
Bien que variant selon les pays en fonction des arrangements institutionnels nationaux.
145
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Par exemple, les taux marginaux d’impôts aux États-Unis et au Royaume-Uni étaient au-
dessus de 70 % avant que les gouvernements de Reagan et Tchatcher les fassent baisser de 40
points en une décennie.

Les auteurs soulignent qu’à une époque où la plupart des pays de l’OCDE font face à des
déficits et un poids de la dette importants, une question cruciale de politique publique est de
savoir si les gouvernements devraient taxer davantage les hauts revenus.

Dans une période de crise des finances publiques, le montant des recettes fiscales pouvant être
obtenus par une hausse des taux d’impositions marginaux sur les hauts revenus est loin d’être
négligeable. Par exemple, si on multiplie par deux le taux supérieur d’impôt sur les 1 % des
plus hauts revenus aux États-Unis, en le passant de 22,5 % actuellement à 45 %, on pourrait
obtenir une augmentation des recettes fiscales de 2,7 % du PIB par an. Evidemment, un tel
calcul est statique et une telle hausse peut fort bien affecter le comportement des riches et le
revenu qu’ils déclarent. Une récente recherche (Piketty et al 2011) analyse cette question à la
fois empiriquement et conceptuellement.

Le graphique 2.6 montre la forte corrélation qui existe entre les réductions des taux d’impôt
sur les plus riches et l’accroissement de la part du 1 % au sommet dans le revenu avant impôt.
Les données couvrent la période allant de septembre 1975 à août 2004 pour les 18 pays de
l’OCDE où l’information sur le partage des impôts selon le niveau de revenu est disponible.
Par exemple, les États-Unis ont connu une réduction de 35 points dans leur taux marginal
d’impôt et une croissance très importante de 10 points dans la part du revenu avant impôt
allant aux 1 % les plus riches. Par contraste, la France ou l’Allemagne ont connu peu de
changements. L’évolution des taux supérieurs d’impôt semble bien prédire la variation dans la
concentration du revenu avant impôts.
146
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Graphique 2.6 : Variations de la part du 1 % le plus élevé du revenu avant impôt et les taux
marginaux d’imposition depuis 1975

Source : Piketty, Saez et Stantcheva (2011)

Les auteurs testent ensuite les trois scénarios précédemment cités :

1- Dans le cas d’un effet d’offre, des taux d’imposition plus faible conduiraient à
davantage d’activité économique chez les riches et donc à plus de croissance
économique. Si toute la corrélation était due à un tel effet d’offre, alors le taux
d’imposition qui maximiserait les recettes publiques se situerait à 57 %. Il resterait
donc de la marge pour les États-Unis en matière d’impôts sur les hauts revenus, mais
la limite est déjà atteinte dans beaucoup de pays européens.

2- Dans le cas de l’évasion fiscale, le fait d’accroître les taux supérieurs dans un système
fiscal largement mité par les niches fiscales et les opportunités d’évasion fiscale ne
risque pas d’avoir les effets escomptés. Il serait dès lors préférable de commencer par
supprimer les niches fiscales, puis seulement ensuite d’accroître les taux d’imposition
au sommet.
147
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

En adoptant une base fiscale large fermée à l’évasion fiscale, il n’y a plus que les
effets d’offre pour éventuellement fixer le niveau au-delà duquel des taux d’imposition
deviendraient contre-productifs.

3- Le troisième scénario démontre la faiblesse des modèles économiques standards qui


supposent que la rémunération des agents reflète parfaitement leur productivité
marginale. Le modèle standard est particulièrement peu convaincant au sommet de la
distribution des revenus où la contribution économique des managers qui travaillent
dans des organisations complexes est difficile à mesurer. Dans ce scénario, les plus
hauts revenus ont les moyens de définir leur propre rémunération en négociant ou en
influençant les comités de rémunération. Bien entendu, les incitations à de telles
recherches de rente sont beaucoup plus fortes quand les taux supérieurs sont faibles.
Dans ce scénario, des baisses des taux supérieurs sont en mesure d’accroître la part des
hauts revenus, en accord avec le graphique 1, mais ici la hausse des revenus du 1 %
supérieur se fait au détriment des 99 % restants. En d’autres termes, les taux
supérieurs stimulent la captation d’une rente au sommet mais pas la croissance
économique.

Cette étude, malgré ses limites méthodologiques, montre donc qu’au lieu d’avoir stimulé la
croissance, la baisse des taux supérieurs de l’impôt sur le revenu a surtout favoriser la création
d’une rente alimentant les marchés obligataires ou boursiers ainsi que le bulles immobilières
et renforçant la captation de la rente, sans stimuler la croissance.

En résumé, les auteurs montré qu’il n’y a pas véritablement de corrélation entre une baisse du
taux marginal d’impôt et une plus forte croissance économique (graphique 36). Par exemple
les pays qui ont mis en œuvre des réductions massives dans les taux marginaux, tels le
Royaume-Uni ou les États-Unis, n’ont pas cru significativement plus vite que les pays qui ne
l’ont pas fait, comme l’Allemagne ou le Danemark. Cela suggère qu’une fraction importante
de la réponse des revenus avant impôt aux taux supérieurs d’impôt serait due à une recherche
accrue de rente au sommet plutôt qu’à un effort productif accru.
148
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Sur la progressivité35, Piketty et Saez (2007) ont étudié l’évolution de la progressivité du


système fiscal fédéral américain de 1960 à 2004. Ils ont identifié trois changements qui
auraient diminué la progressivité du système fiscal au cours de cette période : l’importante
baisse du taux marginal d’imposition sur le revenu des particuliers les plus riches, la division
par deux du rapport entre l’impôt des sociétés et le PIB, et la hausse substantielle des
cotisations sociales et taxes sur la masse salariale, lesquelles sont très régressives.

Deux grandes conclusions ressortent de leur étude :

1- Le système fiscal américain est progressif. En 2004, le taux d’imposition moyen était
de moins de 10 % pour le quatrième quintile des revenus (P20-40), de 30 % pour la
première moitié du plus haut centile (P99-99,5) et de 35 % pour les revenus les plus
élevés. L’impôt sur le revenu des particuliers est la principale source de la
progressivité du système. L’impôt sur le revenu des sociétés contribue à la
progressivité également, quoique dans une moindre mesure. L’impôt sur les héritages
est fortement progressif, puisqu’il ne s’applique qu’aux très grandes fortunes. Enfin,
les cotisations sociales et les taxes sur la masse salariale sont régressives, puisque les
gains salariaux imposables sont soumis à un plafond, ce qui fait diminuer la
progressivité au fur et à mesure que le salaire augmente au-delà du plafond.

2- La seconde grande conclusion est que la progressivité du système fiscal américain a


considérablement diminué au cours des dernières décennies. Le graphique H révèle un
contraste saisissant entre la situation de 2004 et celle de 1960. L’impôt des sociétés,
l’impôt sur le patrimoine et la taxation des salaires ont grandement diminué, au profit
principalement du premier centile.

35
Concialdi (2013) estime que la mesure de la progressivité ne peut pas se définir convenablement à l’aune des
taux d’imposition. La façon la plus simple serait en effet de considérer qu’un système d’imposition est progressif
lorsque le taux d’imposition (impôts/revenus) augmente avec le niveau de revenu. On peut calculer un taux
d’imposition en le rapportant au revenu total (taux moyen) ou bien en observant les taux marginaux. Un système
progressif aurait un barème associant des taux marginaux de plus en plus élevées lorsqu’on atteint des tranches
de revenu de plus en plus élevées. Cependant, cette méthode a ses limites puisque la progressivité dépend aussi
de la taille de l’assiette d’imposition ainsi que de la définition des seuils de revenu.
149
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

3- Pendant que le fardeau fiscal global du revenu médian est resté à peu près inchangé (à
environ 15 %) de 1960 à 2004, celui du plus haut centile de revenu passait d’environ
40 % en 1960 à 33 % en 2004 et celui du 0,01 % le plus riche, de 70 % à 35 %.

Une tendance de réduction à la baisse déjà en cours depuis le début des années 80. Cette
baisse des taux ne s’est pas traduite dans une baisse des recettes fiscales exprimées en % du
PIB. On serait tenté de dire que cette baisse des taux d’imposition s’autofinance, mais on
remarque bien que la baisse de la progressivité c’est fait au détriment d’une hausse des impôts
proportionnels.

Dans le cas français, la mesure de la progressivité du système français peut s’appuyer sur
deux études : celle réalisée par Landais, Piketty et Saez (LPS) dans leur livre paru en 201136et
par une étude réalisée par l’INSEE en 1997.

En considérant l'ensemble des prélèvements obligatoires, LPS obtiennent que le système


fiscal actuel est faiblement progressif jusqu’au niveau des « classes moyennes » et qu’il
devient franchement régressif au sein des 5% les plus riches (soit 2,5 millions de personnes
sur 50,4 millions), et surtout à l’intérieur des 1% les plus riches (soit 0,5 million de
personnes).

Le graphique 2.7 montre la manière dont évolue le taux d’imposition global pour les
différentes classes de revenus. On remarque les 50% des Français les plus modestes, gagnant
entre 1 000€ et 2 200€ de revenu brut par mois, font face à des taux effectifs d’imposition
s’étageant de 41% à 48%, avec une moyenne de 45%. Les 40% suivants dans la pyramide des
revenus, gagnant entre 2 300€ et 5 100€ par mois, sont tous taxés à des taux de l’ordre de
48%-50%. Puis, à l’intérieur des 5% des revenus les plus élevés (gagnant plus de 6 900€), et
surtout des 1% les plus riches (gagnant plus de 14 000€), les taux d’imposition se mettent très
nettement à décliner, et ne dépassent guère les 35% pour les 0,1% des Français les plus aisés
(50 000 personnes sur 50 millions).

36
Pour une révolution fiscale, Le Seuil, 2011.
150
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Graphique 2.7 : Taux d’imposition global en fonction des fractiles de revenu par le modèle
LPS.

60%
4 200€ 9 400€
1 700€ brut par mois
Taux global d'imposition (tous prélèvements)

brut par mois

50% 63 000€
brut par mois

40%

Système actuel (moyenne générale: 47%)

30%

20% Classes Classes Classes Très aisées


populaires moyennes aisées Les 1% les
Les 50% des Les 40% du Les 10% les plus hauts
10% revenus les milieu (revenu brut

0%
P0­10

P10­20

P20­30

P30­40

P40­50

P50­60

P60­70

P70­80

P80­90

P90­95

P95­96

P96­97

P97­98

P98­99

P99,9­99,99

P99,999­100
P99­99,9

P99,99­99,999

Percentiles de revenu individuel

Source : Pour une révolution fiscale (2011)

4.2.3. Critiques des études de Piketty et al.

Concialdi (2013) et Sterdyniak (2012) font part des limites de l’approche retenue par LPS et
qui tiennent toutes au fait que les auteurs raisonnent au niveau individuel. Pour COncialdi,
l’ouvrage possède trois écueils :
151
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

1- L’utilisation d’une approche individuelle exclue du champ des adultes de nombreuses


personnes n’ayant pas de revenu ou des revenus très faibles. Le raisonnement en
fonction des revenus primaires ne prend pas en compte l’ensemble des transferts.

2- La plupart des impôts sont calculés au niveau du foyer fiscal et les dépenses
correspondent aux dépenses au niveau du ménage, ce qui induit que leur répartition au
niveau individuel nécessite de poser des hypothèses qui ne sont pas explicitées dans
l’ouvrage.

3- En raisonnant au niveau individuel, on mêle des individus qui appartiennent à des


configurations familiales différents et dont les besoins sont aussi différents. Ainsi, on
peut aussi bien retrouver des célibataires ou des parents de familles nombreuses dans
une même classe de revenu. Par conséquent, les résultats établis par LPS ne reflètent
pas les différences dans la composition sociodémographiques des ménages.

Concialdi pense également que l’agrégation des impôts et des cotisations dans un cadre où la
comparaison des efforts contributifs n’est pas pertinente, limite l’interprétation des résultats,
surtout si les droits associés aux cotisations ne sont pas égaux. Il propose de répondre à cette
limite en excluant du calcul des taux d’impositions globaux les cotisations sociales. Dans ce
cas on aboutirait à une hausse de la progressivité car les cotisations ont un caractère régressif
prononcé, surtout pour les très hauts revenus. Cependant, il souligne que les résultats obtenus
pour les très hauts revenus sont moins sensibles à ces limites.

En retirant les cotisations sociales, Concialdi obtient un taux d’imposition de 23% des revenus
primaires pour le premier décile et 32% pour le plus haut décile. Il fait remarquer que les
différences entre le centile supérieur et le millième le plus riche sont très faibles avec
respectivement 33% et 32%.

Le taux d’imposition augmente donc avec le niveau de revenu mais dans des proportions
relativement faibles. En termes d’effort contributif 37il est fortement régressif (graphique 2.8).
Il est compris entre 45% et 56% pour le premier décile et diminue jusqu’à 34% pour le centile
d’individus faisant partie des plus hauts revenus.

37
L’effort contributif est le rapport entre le total des impôts et la capacité contributive. La capacité contributive
est définie comme la différence entre le revenu avant impôts (hors transferts et cotisations sociales) et le montant
des ressources nécessaires pour atteindre le seuil de pauvreté.
152
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Graphique 2.8: Variation de l’effort contributif selon le revenu.

Source : LPS, Fichier Simulations Tous Impôts. Calculs de Concialdi (2013)

Dans l’étude de l’INSEE (1997), l’ensemble de la population est couvert ce qui a l’avantage
de répondre à la principale limite de l’étude de LPS. Dans cette approche, les ménages sont
classés selon leur niveau de vie, en prenant en compte les transferts (impôts et prestations)
ainsi que la composition des ménages. La capacité contributive est calculée au niveau de
chaque ménage en retranchant du revenu disponible avant impôts les ressources nécessaires
pour atteindre le seuil de pauvreté. Les données portent sur l’année 1994 et le degré de détail
est un peu moins fin que dans l’étude LPS notamment au niveau de la décomposition des
hauts revenus puisque seulement 20 classes de revenus sont considérées. La distribution est
donc distribuer en vingtile de revenu.

Les résultats de cette étude sont très comparables à celle du graphique précédent (graphique
2.9). L’effort contributif atteint ou dépasse 100/ pour les 5% ou 10% des ménages les plus
modestes. Cela indiquerait que ces ménages ne disposent pas assez de ressources pour sortir
de la pauvreté. Ensuite, l’effort contributif diminue régulièrement le long de l’échelle des
niveaux de vie pour atteindre son minimum pour les 5% des ménages les plus aisés.
153
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Graphique 2.9 : Variation de l’effort contributif selon le vingtile de niveau de vie (année
1994)

Source : Insee, calcul de Concialdi (2013)

Cette étude porte sur des données anciennes mais un rapport du Conseil des Prélèvements
Obligatoires (CPO) publié en mai 2011 utilise une approche relativement proche de celle de
l’INSEE sur des données plus récentes en classant les ménages selon leur niveau de vie. La
principale conclusion qui en ressort est que la progressivité du système fiscal avait diminué au
cours des vingt dernières années. Par conséquent l’écart de l’effort contributif serait donc plus
marqué aujourd’hui qu’à l’époque de l’étude de l’INSEE.

Sterdyniak (2012) dénonce une présentation caricaturale du système actuel, car l’ouvrage
dénonce à tort la régressivité. En voulant individualiser l’impôt, il refuse de considérer que les
familles partagent leurs ressources, d’utiliser le concept d’unité de consommation, de sorte
qu’il est impossible de déterminer si la réforme proposée augmente effectivement la
redistributivité du système. De fait, le système français d’imposition est actuellement familial.
L’imposition porte sur les revenus de l’ensemble de la famille et repose sur l’hypothèse que
ceux-ci sont partagés équitablement entre ses membres.
154
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

De plus, le graphique central de l’ouvrage (graphique 2.7) prend en compte les impôts, mais
oublie les prestations sociales – RSA, prestations familiales, allocations logement – qui sont
très importantes pour les familles à faibles revenus, de sorte qu’il sous-estime fortement la
redistributivité du système français.
Enfin, LPS refusent de distinguer entre les cotisations sociales contributives (retraites et
chômage, qui ouvrent des droits individuels à une retraite ou à une prestation chômage), et les
impôts et cotisations non contributifs (maladie, famille, qui n’ouvrent aucun droit individuel).
Pour Sterdyniak (2012), le simulateur fiscal proposé par LPS est biaisé et ne permet pas à
chacun d’évaluer les réformes fiscales.

4.3. L’influence de la structure fiscale sur la répartition de la valeur


ajoutée

Dans la théorie standard, la valeur ajoutée dépend principalement de la productivité marginale


des facteurs de production. Les gains de productivité sont un facteur principal mais le
déplacement de la charge fiscale est également un facteur explicatif.

Dans la théorie postkeynésienne, la répartition des revenus a toujours eu un rôle prépondérant


dans la dynamique macroéconomique. Le partage de la valeur ajoutée fait partie des
déterminants importants de la croissance. Une répartition en faveur des profits a tendance à
déprimer la demande et vice versa. Les modèles néo-kaleckiens ont montré que, dans un cadre
dynamique, une pression à la baisse sur les salaires réels diminue la demande de
consommation et, in fine, l’activité économique. Ce phénomène se nomme « paradoxe des
coûts » ou « effet stagnationnist ». La baisse des coûts, à savoir les salaires, provoque une
baisse du taux d’utilisation des capacités productives et du taux de profit des entreprises. Ce
mécanisme, en apparence contradictoire, passe par la demande.

En effet, la baisse des salaires réels entraîne mécaniquement celle du pouvoir d’achat et de la
consommation des ménages, conduisant les entreprises à limiter leur production ce qui
diminue leur taux d’utilisation et accroît le chômage.
155
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Ce phénomène diffère des modèles standards où le coût des facteurs et le niveau des profits
sont les principaux déterminants de l’investissement.

Un postkeynésien comme Marglin (1990) suppose l’existence d’un cas dual. Dans ce dernier,
dit exhilarationniste, la hausse du taux de marge des entreprises (donc la baisse des salaires
réels) a un effet positif sur l’activité économique. Ici, la baisse des salaires accroît la
rentabilité et pousse les entreprises à investir plus, l’effet positif surpassant l’effet négatif
provenant d’une baisse de la consommation. Cependant les auteurs décrivent également une
économie où la réduction des salaires s’accompagne de celle de la demande agrégée. Dans ce
régime, la réduction de la consommation due au recul des salaires réels n’est pas compensée
par le redressement de la profitabilité et l’investissement recule. Une relation inverse existe
donc dans ce cas entre part des profits et taux d’utilisation.

De nombreuses études38 ont montré que la part des salaires décroît fortement à partir de 1982-
1983 puis à un rythme plus modéré dans les années 1990, pour se stabiliser à un niveau
inférieur à celui du début des années 1970. Cette baisse de la part des salaires n’a pas été
compensée par l’accroissement des revenus du patrimoine, qui restent modestes dans le
revenu des ménages et qui sont concentrés sur les ménages les plus aisés. Les évolutions de la
répartition primaire des revenus, tout d’abord l’accroissement de la part des salaires dans les
années 1970 puis sa diminution dans les années 1980, reçoivent différentes explications. Les
évolutions du niveau du chômage semblent représenter un facteur explicatif important des
variations de la répartition, notamment chez Kalecki où le pouvoir de négociation des salariés
est un facteur déterminant.

La baisse de la part des salaires n’a pas conduit au redressement de l’emploi, comme le
supposait la politique de désinflation compétitive39.

De plus, la part des revenus du capital est ainsi plus élevée dans les ménages à hauts revenus
qu’au sein des revenus des autres foyers et concerne surtout les dix derniers centiles de la
distribution des revenus (INSEE 2010).

38
Voir rapport Cotis (2009), Askenazy (2003) ou encore Canry (2004)
39
Pour l’étude des fondements théoriques et politiques de la désinflation compétitive, voir F. Lordon(1997) et L.
Hoang-Ngoc (1998) pour les conséquences économiques et sociales.
156
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Comme nous l’avons indiqué précédemment dans ce chapitre, le recul de la part des salaires
et l’accroissement de la part des revenus du capital dans le revenu des ménages se sont
accompagnés d’un redressement des taux d’épargne.

Pour autant, le niveau d’épargne des années 1990 restent à un niveau inférieur à celui des
années 1960. Après une forte chute entre 1975 et 1987, où il a perdu dix points, le taux
d’épargne se redresse mais reste globalement inférieur à son niveau des années 1960, le taux
le plus élevé étant atteint en 2002 avec 16,9 %.

Il existe de nombreuses explications à cette évolution de la valeur ajoutée. Jusqu’à maintenant


aucune d’entre elles n’a mis en avant un effet de la modification de la structure fiscale. Une
des explications principales tient dans le décalage entre ralentissement de la productivité et
croissance des salaires réels (Artus et Cohen, 1998). L’évolution du prix de l’énergie constitue
un second facteur explicatif des évolutions de la répartition. Pour Cotis et Rignols (1998), le
différentiel de niveau de la part salariale entre les années 1970 et les années 1990 s’explique
par la hausse des taux d’intérêt réels des années 1980-1990. Cependant, les gains en capitaux
sont exclus du fait de problèmes de mesure. La montée du chômage au cours des années 1980
représente également pour certains auteurs un important facteur explicatif de la modération
salariale (Artus et Cohen, 1998 ; Canry, 2003).

Pour Jayadev et Epstein (2007), à partir d’un modèle de marchandage entre trois classes
sociales, la hausse des taux d’intérêt réels explique une partie importante de l’accroissement
du revenu des rentiers. Par revenu des rentiers, les auteurs entendent les profits des entreprises
engagées principalement dans l’intermédiation financière plus les intérêts reçus par les
secteurs non financiers, y compris les ménages. Les gains en capitaux sont exclus du fait de
problèmes de mesure. Dans les estimations menées par les auteurs, la relation entre part des
salaires et revenu des rentiers apparaît dans les régressions comme consistante et négative.
Cependant, certains auteurs nuancent l’impact des taux d’intérêt sur les évolutions de la
répartition des revenus. Mihoubi (1999) effectue une régression de la part salariale sur les
termes de l’échange, le taux de chômage et le coût du capital. Les résultats de l’estimation
donnent un coefficient non significatif au coût du capital.
157
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

L’utilisation par l’auteur d’un modèle à correction d’erreurs et de tests de stabilité permet de
montrer que le taux d’intérêt n’exerce qu’une influence faiblement significative sur la part
salariale, aussi bien à court terme qu’à long terme.

Enfin, l’introduction de normes de rentabilité financière et le fait que la valeur actionnariale


dominent la gouvernance des entreprises encourage la réduction au maximum de la part des
revenus du travail afin de réaliser l’impératif de la valeur actionnariale. Les conséquences
macroéconomiques de la financiarisation sont étudiées par les postkeynésiens (Stockhammer,
2005-2006 ; Hein et Van Treeck (2007).

Les évolutions des structures fiscales décrites dans la partie précédente ont mis en avant
l’orientation des réformes opérées au cours de ces trente dernières années. Ainsi,
l’augmentation du poids dans les recettes fiscales des impôts sur les salaires et la baisse du
poids des impôts sur le capital a entrainé une distorsion de la répartition des revenus en faveur
du capital. Dans le cas français, Landais, Piketty et Saez (2012), la part déclarée du capital est
beaucoup plus faible que celle du travail à cause de l'évasion fiscale et surtout parce qu'une
grande partie des revenus du capital n'est pas assujettie à la CSG ou au barème de l'IRPP
(Rapport Institut Politique Publique). Dans une note de l’OFCE (2012) Sterdyniak compare la
fiscalité portant sur les revenus du travail et du capital. Les taux économiques (intégrant IS,
cotisations non contributives, CSG, prélèvements sociaux) sont nettement supérieurs aux taux
affichés. Les intérêts, les revenus fonciers, les dividendes et les plus-values taxées sont
approximativement imposés comme les salaires les plus élevés. Il est donc erroné de
prétendre que les revenus du capital sont taxés à des taux réduits. Quand ils sont effectivement
taxés, ils le sont à des taux élevés.
158
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Tableau 2.2 : Taux d’imposition économique des différentes sources de revenus (travail et
capital)

Source : Sterdyniak (2012)

Le taux d’imposition affiché des revenus du capital a augmenté de 29 % en 2008 à 31,3 % en


2011 du fait de la hausse de 1,1 point du taux des prélèvements sociaux pour financer le RSA,
de 1 point du taux de prélèvement libératoire et de 0,2 point du taux de prélèvement sociaux
pour financer les retraites. En ce qui concerne les revenus d’intérêts, ce serait oublier le taux
d’inflation. La tranche de 41 % correspondrait à un prélèvement de 108 % sur le revenu réel
d’un placement rémunéré à 4 % pour un taux d’inflation de 2 %. Pour les dividendes, ce serait
oublier que les revenus concernés ont déjà payé l’IS ; la tranche de 41 % (en supprimant
l’abattement de 40%) correspondrait ainsi à une imposition total de 70 %. Le problème
principal pour Sterdyniak réside dans l’existence des dispositifs qui permettent d’échapper à
la taxation, comme les dispositifs d’épargne ou de placements financiers ainsi que la taxation
des plus-values par la donation aux enfants.

Les études empiriques néo-classiques ne décrivent pas d’effets macroéconomiques de cette


redistribution à rebours. Les articles de Piketty et al. sont principalement des études
empiriques.
159
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Il semble en effet difficile de mesure l’impact sur la fiscalité notamment sur la répartition de
la valeur ajoutée et de l’emploi tant il persiste des limites quant à la mesure des élasticités
d’offre et de demande dans le cadre théorique d’un individu représentatif. Il peut persister des
effets indirects que la littérature standard a du mal à mettre en relation. Les postkeynésiens
semblent avoir un meilleur outil d’analyse des effets macroéconomiques de ce type de
redistribution du revenu puisque la répartition est au cœur de la dynamique macroéconomique
et que la fiscalité peut faire partir des éléments d’explications comme nous le verrons dans le
dernier chapitre de cette thèse.

4.4. Le phénomène de financiarisation expliqué par la théorie


postkeynésienne

Depuis les années 2000, de nombreux auteurs parlent d’une tendance à la financiarisation de
l’économie (Plihon, 2003 ou Duménil et Lévy, 2005 par exemple). Pour Dore (2002), les
transformations subies par les modèles nationaux de capitalisme ont conduit à l’accroissement
de la domination de l’industrie financière sur les autres activités économiques.

La financiarisation a un impact microéconomique et macroéconomique. Sur le plan


microéconomique, elle renvoie au rôle croissant des contrôleurs financiers dans le
management des entreprises, à la croissance de la part des actifs financiers sur le total des
actifs ainsi qu’à l’impact de plus en plus grand du marché financier comme facteur de
détermination de la stratégie des entreprises, via le rôle exercé sur le contrôle des entreprises
(pouvoir du conseil d’administration, menace de revente des actions si les objectifs de gestion
ne sont pas atteints par les managers, etc.). Sur le plan macroéconomique, la financiarisation
se réfère au caractère déterminant des fluctuations des marchés financiers sur les cycles
économiques40.

40
La thèse de Célia Firmin (2008), Financiarisation, Répartition des revenus et Croissance en France :
Quelques faits stylisés à l’épreuve d’un modèle stock-flux, donne un bon aperçu des origines théoriques,
institutionnelles et empiriques de la financiarisation de l’économie française.
160
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

La financiarisation a eu un impact sur le partage de la valeur ajoutée comme le souligne Artus


et Cohen (1998) et Boyer (1998). D’après ces auteurs, le renforcement des exigences de
rentabilité du capital, notamment par les détenteurs d’actifs financiers exerce un impact
dépressif sur la part des salaires. Les politiques économiques ont également contribué au recul
de la part salariale dans la valeur ajoutée. Les politiques de désindexation des salaires par
rapport aux gains de productivité dans les années 1980, puis, les allègements des cotisations
sociales employeurs compensés par un accroissement des impôts directs41, expliquent
également une partie du recul de la part des salaires.

Cette réduction de la part salariale se réduit dans un contexte de ralentissement du taux


d’accumulation et d’accroissement du financement par émission de titres. En parallèle, il se
dégage une hausse tendancielle des dividendes distribués, alors que la rentabilité économique
tend à stagner. La financiarisation semble donc affecter à la fois la répartition des revenus et
les comportements d’investissement, tout en étant encouragé par de nombreuses dispositions
fiscales sur les actifs de nature financières42.

Par exemple, de nombreuses dispositions ont concerné les revenus d’intérêts. Dans une étude,
l’OFCE (2001) a souligné la très faible imposition des revenus des intérêts sur les obligations
d’Etat. Comme le souligne Pucci et Tinel (2010), les baisses d’impôts en France notamment
sur les plus aisés à partir de 2000 ont créé un « double dividende » pour les propriétaires
d’obligations d’Etat. En effet, une baisse de l'impôt progressif augmente le revenu disponible
des ménages aisés, qui en retour vont épargner ce supplément de revenu pour accroitre leur
patrimoine et augmenter ainsi leurs revenus issus de la propriété. Ces baisses d’impôt sont,
pour ces auteurs, responsables du creusement de la dette à partir de 2000, ce qui a eu pour
effet d’accroitre l’offre de titres publics sans que les baisses d’impôts puissent créer l’effet
multiplicateur recherché à l’origine. Cet effet est d’autant plus fort car une partie des intérêts
sur ces titres est épargnée.

41
Comme la CSG en France qui est directement, affectée au financement de la protection sociale dans les années
1990, expliquent également une partie du recul de la part des salaires.
42
Les abattements sur les plus-values mobilières en fonction de la drée de détention des actifs, la sous
fiscalisation de l’assurance-vie et des revenus tirés de l’épargne en autres.
161
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

Du point de vue du recours à l’émission d’actions, il existe de nombreuses études


postkeynésiennes reposant sur des modèles Kaleckiens qui ont intégré des variables
financières. Ces modèles intègrent les intuitions issues des travaux de Minsky (1977, 1986)
sur les effets et l’instabilité créés par une économie dont une fraction de l’investissement est
financée de manière externe. Minsky indique que la recherche de rentabilité financière se
traduit par une hausse des crédits aux agents non financiers et engendre une hausse des autres
actifs financiers et physiques (actions, immobilier…) dans l’économie. L’offre de
financement ne cessant de croître avec la dynamique haussière des actifs comme gage, les
banques commencent à prendre plus de risques en prêtant également à des agents spéculateurs
qui applique un schéma à la Ponzi ou en passe de le devenir.

Les modèles kaleckiens issus de cette mouvance montrent que le recours au financement
externe a des effets ambivalents au niveau macroéconomique (Charles, 2006). Une hausse de
la dette réduit les cash flows disponibles (l’autofinancement) des entreprises pour investir.
Néanmoins, le financement par endettement a une autre conséquence : il permet d’accroître
l’investissement ce qui, selon la théorie du multiplicateur keynésien, génère des revenus et
accroît la capacité de production. Par conséquent, il s’agit d’une source indéniable de profits
qui permettrait aux entreprises d’assumer leurs charges financières. Ceci signifie qu’il existe
un montant d’endettement en-dessous duquel l’investissement et les profits pourraient être
supérieurs. Au-delà de ce montant, la dette est trop importante et l’effet récessif sur
l’autofinancement joue pleinement, ce qui diminue le taux d’accumulation et l’activité. Ici,
c’est l’effet contradictoire de l’endettement sur la croissance qui serait à l’origine des cycles
économiques.

Des travaux plus récents (Charles, 2010), toujours dans un cadre kaleckien, soulignent le rôle
déstabilisant des actionnaires en matière de décision d’investissement. En effet, ces derniers
peuvent également forcer les gestionnaires à abandonner des achats de biens capitaux, y
compris ceux économiquement viables et nécessaires à long terme, mais jugés insuffisamment
rentables à leurs yeux. Ainsi, les propriétaires des entreprises agiraient directement sur les
désirs d’investissement des gestionnaires en modifiant à la baisse leur propension à investir.
Hein (2010) a également introduit le pouvoir des actionnaires dans un cadre kaleckien. Dans
ce modèle, une hausse du pouvoir des actionnaires est génératrice d’instabilité et provoque un
effondrement de l’activité économique.
162
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

En définitive, la prise en compte explicite d’une norme minimale de rentabilité financière


modifiant les paramètres de la fonction d’investissement kaleckienne permettrait de renforcer
le lien avec certains travaux régulationnistes récents43 portant, entre autres, sur l’effet des
actionnaires au niveau macroéconomique (hausse de l’endettement et pression à la baisse des
salaires depuis les années 1990).

Le développement de la financiarisation au cours des années 1980 a été accompagné d’un


ensemble de dispositifs fiscaux visant à créer des règles dérogatoires permettant aux revenus
issus du capital d’échapper aux règles d’imposition en vigueur. L’ensemble des abattements
sur les revenus du capital, la création d’un prélèvement libératoire en France, ou bien la
création de dépenses fiscales visant à réduire l’imposition sur ce type d’actifs a pu favoriser le
recours au financement externe pour les entreprises. Il a donc été privilégié d’encourager les
revenus du capital au détriment de ceux du travail et à orienter une partie de l’épargne des
ménages vers les revenus mobiliers.

Pour conclure on s’aperçoit donc que le sens donné aux réformes depuis les années 1980 a
davantage répondu aux préconisations des économistes de l’offre. Pourtant, de nombreux faits
stylisés ne sont pas décrits par la théorie dominante. Dans la dernière partie de ce chapitre
nous avons montré en quoi les postkeynésiens répondent à certaines analyses non prises en
compte par la théorie standard. Les intuitions des postkeynésiens sont bien différentes et
répondent à une autre logique. Ainsi, la libéralisation et les nombreuses exemptions fiscales
sur les revenus du capital n’ont pas été en mesure d’enrayer la baisse de l’investissement et du
taux de chômage. Ces réformes auraient plutôt encouragé l’émergence d’un cycle spéculatif à
la Ponzi créant une instabilité financière et une sous-accumulation de capital. Si l’on prend en
compte le point de vue keynésien sur les réformes engagées, on s’aperçoit que la réduction de
la progressivité et la baisse de la pression fiscale sur les plus aisés ont conduit aux mêmes
effets contre-intuitifs par rapport à l’analyse des théoriciens de l’offre. Il reste à savoir au
cours de cette thèse qu’elles auraient été les alternatives de réformes des postkeynésiens pour
répondre aux limites de la théorie standard et répondre aux défis macroéconomiques du
système capitaliste moderne.

43
Notamment Boyer (1998).
163
Chapitre 2 : Fondements théoriques des réformes. Présentation de la théorie de l’incidence
fiscale chez les néoclassiques

CONCLUSION

Les réformes fiscales qui ont eu cours à partir des années 80 ont réduit la progressivité des
impôts et notamment le niveau de la plus hautes tranches d’impôts sur le revenu. Les Etats ont
également voulu réduire l’imposition des sociétés et des revenus du capital. Ces réformes sont
justifiées sur le plan théorique par les modèles de croissance endogènes et par les intuitions
des études portant sur l’effet Laffer. Le projet de Flat-tax et l’uniformatisation des systèmes
de prélèvements sur la consommation soutient l’idée que les prescriptions néoclassiques ont
dominée jusque lors les débats sur l’incidence fiscale.

La baisse de la progressivité a également été justifiée par des arguments d’efficacité


économique alors qu’aucune étude ne démontre ce sens de causalité. Les études de Piketty et
al. ont réussi à mettre en avant une corrélation positive entre la réduction de la plus haute
tranche de l’impôt sur le revenu et la forte augmentation des très hauts revenus par rapport
aux autres déciles. Il ressort donc des principales études sur l’évolution des très hauts revenus
au cours du XXème siècle que la baisse de la progressivité de l’impôt et de la pression fiscale
sur les très hauts revenus ont eu tendance à distordre l’échelle des revenus en faveur des très
hauts revenus. Certaines études (notamment Piketty et al. 2011) ont tenté de décrire les effets
macroéconomiques de cette redistribution à rebours opérées par les réformes fiscales au cours
du XXème siècle sans en conclure à des effets négatifs des taux marginaux très élevés.
Cependant, les études de Piketty s’appuient sur des hypothèses tirées des néoclassiques et des
modèles standards (Boyer, 2013) ce qui ne permet toujours pas de renouveler l’étude
macroéconomique de l’incidence fiscale. Sur le plan théorique, la théorie de la Taxation
Optimale (TTO) est celle qui est allée le plus loin dans la description analytique d’un système
fiscal optimal. Pour autant, ce genre d’approche comporte un certain nombre de limites
théoriques et méthodologiques qui ne lui permet pas de pouvoir décrire des faits
macroéconomiques. C’est ce que le chapitre suivant tentera de démontrer.
164
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et


politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Au cours des années 1970, les progrès de l’économétrie et l’émergence de l’économie


néoclassique a permis un essor sans précèdent de l’étude de l’incidence de l’impôt sur
l’activité économique. La Théorie de la Taxation Optimale (TTO) est le fer de lance de ce
mouvement. Désormais le cadre d’analyse se réduit à rechercher un compromis entre équité et
efficacité en maximisant des fonctions collectives de bien-être. L’introduction d’une taxe dans
l’économie entraîne des distorsions aussi bien sur les comportements de consommation, que
sur ceux de production (Monnier, 1998). La théorie de la fiscalité optimale s’attelle à décrire
un système de taxation qui minimise la perte de bien-être collectif, en respectant une
contrainte budgétaire exogène de l’Etat.

C’est l’article fondateur de Ramsey en 1927 dans l’Economic Journal qui permet l’émergence
de l’étude analytique de l’incidence de l’impôt. Il s’est demandé quelle structure de la fiscalité
des biens est en mesure de minimiser la perte de bien être à recettes fiscales données. Le
résultat obtenu dans son article est souvent formulé comme une règle d'élasticité inverse. Ce
résultat suppose que les plus hauts taux d’imposition doivent être soumis aux marchandises
pour lesquelles l'élasticité de la demande est relativement basse. Depuis la parution de cet
article de nombreuses tentatives d’estimation des différents systèmes de demande à partir de
données sur les dépenses désagrégées ont été développées. Un certain nombre de tentatives
ont été faites pour calculer un ensemble de taux d'imposition optimal des marchandises dans
un modèle de type Ramsey (Atkinson et Stiglitz 1972, Deaton 1977).
165
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Cependant, les auteurs doivent s’imposer des restrictions sur les élasticités croisées de la
demande entre les produits et surtout avec le travail pour estimer le système complet de
demande. La solution pratique du problème soulevé par la taxation optimale est donc
subordonnée à des contraintes imposées sur les instruments fiscaux disponibles. Cette
sensibilité de la structure aux instruments fiscaux disponibles est un thème récurrent dans la
littérature plus moderne. Le manque de pertinence de la formulation de Ramsey est
directement attribuable à sa spécificité excessive dans le choix des hypothèses. Une
conclusion importante de leur analyse est que l'efficacité reste au premier plan, même sous
des hypothèses générales qui permettent une allocation des ressources de second ordre, ou qui
rendent une allocation inefficiente des ressources inévitable. Cela amène donc un argument
fort contre les taxes indirectes sur les biens intermédiaires (autres que ceux anticipés par les
externalités ou par d'autres considérations liées aux défaillances du marché,) et que les taxes
sur les marchandises devraient porter autant que possible sur la consommation finale.

Le modèle de Diamond-Mirrlees (1971) forme la suite logique de l’approche de Ramsey et


souhaite étendre l’étude des barèmes optimaux aux autres impôts. Leur méthodologie permet
de faire varier les prix des producteurs, d’intégrer différents types de contraintes concernant
les instruments fiscaux à disposition des Etats et les individus se différencient par leur
qualification, leur gout pour la redistribution et par leur utilité marginale relative au revenu.

A partir des années 1970, la TTO se constitue en un corpus autonome s’appuyant sur une
méthodologie propre cherchant à déterminer une configuration optimale du système fiscal
selon les critères d’efficacité et d’équité (Monnier, 2003). Ces deux critères sont en opposition
car il serait impossible d’obtenir une efficacité optimale du système de prélèvement avec une
forte équité. Les décideurs politiques doivent établir un arbitrage en fonction des préférences
de la société. Par la suite, ce modèle originel a fait l’objet de nombreux amendements afin
d’introduire un cadre théorique moins restrictif, notamment pour étudier l’incidence de
l’impôt sur le revenu, comme dans les articles français de d’Autume (2001). Cependant, ces
analyses sont fondées sur les choix macroéconomiques des individus. Il est donc intéressant
dans le cadre de cette thèse d’étudier la prise en compte et l’évaluation des conséquences
macroéconomiques des prescriptions issues de la TTO.
166
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

L’objectif de ce chapitre est donc de démontrer les limites méthodologiques de la théorie de


la TTO quant à la prise en compte des effets macroéconomiques de la fiscalité. Il s’agira dans
un premier temps de définir et de décrire la méthodologie propre de la Théorie de la Taxation
Optimale (1). Il sera ensuite possible de revenir sur la filiation affichée par les auteurs de la
Taxation Optimale avec l’œuvre de Musgrave (2).La troisième partie de ce chapitre sera
consacré aux critiques émises contre cette méthodologie sur le plan théorique et institutionnel
(3). La prise en compte des aspects macroéconomiques seront étudiés, notamment par
l’interprétation des modèles de la TTO dans une perspective macroéconomique telle qu’elle a
été effectuée dans un ouvrage collectif paru en 199444 (4). Nous verrons que les limites sont
nombreuses, au point que nous croyons à un renouveau théorique dans l’étude des effets
macroéconomiques de l’impôt (5). Une théorie semble répondre aux limites de la TTO : le
corpus postkeynésien qui mêle dans son cadre mêlant fiscalité, répartition des revenus et
macroéconomie.

44
Modern Public Finance, Harvard University Press
167
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

1. Présentation analytique de la Théorie de la Taxation


Optimale

La théorie de la taxation optimale est celle qui a été la plus loin dans la description analytique
d’un système fiscal efficace. Le modèle de Ramsey s’est intéressé au barème de l’impôt sur la
consommation (1.1). La solution optimale obtenue pose des limites sur le plan pratique. Afin
de se rapprocher des caractéristiques des systèmes fiscaux modernes, les théoriciens ont tenté
de décrire le barème optimal de l’impôt sur le revenu en essayant de tenir compte des critères
d’efficacité et d’équité (1.2).

1.1. La formalisation de la taxation indirecte (Ramsey, 1927)

Le problème initial posé par Ramsey (1927) a été de savoir comment fixer un niveau de taxes
permettant de minimiser la perte de bien-être collectif sous la contrainte de maximisation des
revenus des consommateurs?45 (Coady et Drèze, 2005). D’après la théorie behaviouriste, le «
premier théorème de la théorie du bien-être » montre que tout équilibre concurrentiel est
efficace au sens de Pareto. Si l’État ne peut pas observer parfaitement toutes les
caractéristiques des individus, son intervention sur un marché risque de créer une distorsion
qui déplace l’équilibre économique vers un état sous–optimal au sens de Pareto. Autrement
dit, le recours à un impôt de type « forfaitaire » est à priori impossible, les instruments fiscaux
et l’équilibre recherchés sont « de second rang 46 ». Pour simplifier son analyse, Ramsey
cherche à trouver les modalités de taxation des biens en fonction de ce que l’on nommera le «
critère d’efficacité » ou « d’incidence ». Comme on part de l’hypothèse que le gouvernement
ne sait pas faire de taxes forfaitaires, Ramsey a voulu savoir comment opérer dans ce cas de
manière optimale lorsque seules les taxes linéaires différenciées sur les différents biens sont
possibles. C’est donc avant tout un critère d’efficacité qui anime l’analyse de Ramsey, dont
nous allons maintenant présenter le cadre analytique.

45
Selon Ramsey lui-même : “The problem I propose to tackle is this: a given revenue is to be raised by
proportionate taxes on some of or all uses of income, the taxes on different uses being possibly at different rates;
how should these rates be adjusted in order that the decrement of utility may be a minimum?” (Ramsey, 1927,
p.47).

46
Lorsque l’optimum de Pareto ne peut pas être atteint en présence de la fiscalité.
168
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Dans le modèle originel, le cadre retenu pour le consommateur est celui d’un agent
représentatif. En revanche, il existe entreprises produisant chacune plusieurs outputs de
consommation finale (soit biens), avec un seul input (le travail) et un rendement constant
des facteurs.
Le bien de consommation est taxé au taux τi, le travail est taxé au taux τℓ. La contrainte
budgétaire du consommateur est une fonction linéaire des taux de taxation. Elle suppose
d’une part que le consommateur n’a de relations commerciales qu’avec les entreprises, de
sorte que ses achats et ventes se font tous au prix de consommation. D’autre part, le travail et
la consommation sont deux arguments séparables de la fonction d’utilité du consommateur.
L’Etat consomme de manière exogène des biens g  ( g1 ,..., g n ) .
Enfin, le cadre d’analyse est en équilibre partiel : Le prix au producteur reste inchangé, même
lorsque les taux de taxation varient, ce qui signifie que le poids de la taxe est entièrement
supporté par le consommateur. Cette dernière hypothèse renvoie en partie aux arguments des
classiques comme Smith et Hume sur l’incidence de l’impôt 47.

Le programme de maximisation à résoudre se fonde sur l’utilité du consommateur sous la


contrainte budgétaire que le consommateur dépense au maximum ce qu’il gagne.
Les firmes, elles, résolvent un problème de maximisation du profit sous contrainte
technologique.

La résolution du modèle de Ramsey permet de décrire l’ensemble des allocations réalisables


avec des taxes linéaires, étant l’ensemble des biens. Comme le gouvernement ne peut faire
que des taxes linéaires l’auteur introduit à côté de la contrainte de ressources une contrainte
d’implémentabilité. Cette contrainte consiste de fait à exprimer les prix dans la contrainte du
consommateur en fonction des quantités. Elle résume de ce fait les restrictions dues à la forme
linéaire des taxes, car le gouvernement ne peut observer convenablement les caractéristiques
des individus. En définitive, cela signifie que les seules allocations atteignables sont celles qui
vérifient cette contrainte d’implémentabilité.

47
Voir Monnier J.M., La formation des conceptions de la justice fiscale dans la pensée économique anglo-
saxonne, Revue Française de Finance Publique, n°84, décembre 2003.
169
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

On recherche l’allocation optimale des trois variables dépendantes du modèle, c’est-à-dire la


consommation de biens des individus , la quantité de biens vendus et l’offre de travail ,
qui vérifie xi  ci  g i pour tout et respectent les contraintes de ressources et

d‘implémentabilité.

F (c1  g1 ,..., cn  g n , )  0 (Ressources)


n

c
i 1
i · U i ' (c1 ,..., cn , )   · U  ' (c1 ,..., c n , )  0 (Implémentabilité)

En utilisant l’approche primale (les prix sont tous exprimés en termes de quantités), on
démontre que :
1- Tout équilibre concurrentiel vérifie les contraintes de ressources et
d’implémentalité.
2- Toute allocation c, x, , r  vérifiant les contraintes de ressources et

d’implémentalité, il existe un système de prix  p, w , et un système de taxe  i ,   ,

telle que : - Le consommateur choisit c,  face à  p, w, i ,  

- La firme choisit x, r  face à  p, w, i ,  


- La contrainte budgétaire du gouvernement est saturée

En démontrant ces deux conditions, on peut dorénavant maximiser l’utilité des


consommateurs sous contraintes budgétaires, ce qui induit :

U i '   · (1   i ) · p i U  '   · w  

L’existence de taxe introduisant une distorsion, il convient de chercher un optimum de second


rang dit « optimum de Ramsey ». Le développement du modèle permet de calculer les
élasticités-prix et de faire ressortir la « règle de Ramsey48 » :
pi ci Ui ' 1
 ip   ·  
i
ci pi ci .U ii ' ' H i

48
et résume l’ensemble des distorsions spécifiques à la taxation des biens et .
170
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Avec l’élasticité-prix du bien i on peut dès lors montrer que :

H p j

i  j  Hi  H j  I  i i  1
H j  pj

Au final, il ressort de ce modèle qu’il est optimal de taxer davantage les biens ayant une
élasticité-prix  ipi faible, car c’est le type de taxation qui distord le moins possible les prix à la

consommation.

La solution obtenue par le modèle de Ramsey stipule que les biens dont la demande est la
moins sensible à la variation des prix doivent être le plus faiblement taxés. Cette solution,
censée minimiser l’incidence de l’intervention de l’Etat, représente surtout un programme
permettant d’atteindre la solution optimale des taux de taxations des biens.

D’un point de vue théorique, une telle solution n’est envisageable que si la
démonstration repose sur des restrictions fortes concernant les hypothèses surtout celles qui
consistent à rendre valide une analyse en équilibre partiel. L’emploi de la règle de Ramsey est
compliquée à mettre en pratique car elle suppose de connaître la dérivée de la demande
compensée d’un bien par rapport aux prix du marché. Pour sortir de cette impasse
méthodologique, des auteurs comme Baumol et Bradford (1970) et Atkinson et Stieglitz
(1980) ont proposé une restriction supplémentaire dans la règle de Ramsey, notamment en
supposant les élasticités croisées nulles. Il se dégage de ces développements la « loi des
élasticités inverse » qui permet d’obtenir un plus grand intérêt pratique. En effet, d’après cette
loi, un système fiscal est optimal lorsque les taux de taxation sont inversement proportionnels
à l’élasticité prix-directe de leur demande.

La « règle de Ramsey » et la loi des élasticités inverses présentent l’avantage d’être


facilement compréhensibles. Pour autant, le cadre de l’agent représentatif produit un résultat
allant à l’encontre du sens commun de justice sociale, puisque le système fiscal optimal
implique des taux de taxation plus élevés pour les biens dont la demande est relativement
inélastique aux prix, alors que les biens de première nécessité seront normalement les plus
fortement taxés. Or, la part de ces biens est plus importante dans le budget des ménages
défavorisés.
171
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Par conséquent, la loi des élasticités inverses et la règle de Ramsey mènent à accroître la
pression fiscale sur le budget des ménages les plus pauvres. Dans ce cas, l’objectif de
minimisation de l’incidence fiscale est atteint, il se fait à l’encontre de l’équité.

En partant de ce constat, la théorie de la taxation optimale s’est donc attelée, suite au


développement de Musgrave sur le rôle de l’Etat, à prendre en compte le critère d’équité dans
la construction d’un système fiscal optimal. Le tournant méthodologique s’opérera en 1971
avec l’article de Mirrlees paru dans l’AER qui nous présente un cadre d’analyse multi-agents.

1.2. La théorie de la taxation optimale ou la détermination d’un


système fiscal optimal

La théorie de la taxation optimale dans sa forme moderne se développe dans les années 70,
dans un contexte de séparation disciplinaire dans le champ de l’économie publique. En effet,
avant cela, Musgrave (1959), avait appliqué les outils microéconomiques pour justifier
l’action de l’Etat. Dans son ouvrage, l’auteur distingue trois fonctions majeures de l’État :
l’allocation de ressources, la redistribution des revenus et la stabilisation macroéconomique.
Son analyse de l’État de façon fonctionnelle comme un agent susceptible de rapprocher
l’économie d’un optimum de Pareto (ou de s’en éloigner), a posé les bases de toute analyse
ultérieure du secteur public et de l’économie politique, mais a surtout marqué une rupture
entre les différents domaines de l’économie publique. Alors que Musgrave considérait
l’existence de complémentarités entre ces différentes fonctions de l’État, l’économie publique
va délimiter son champ disciplinaire à l’étude des fonctions d’allocation et de redistribution,
la fonction de stabilisation étant laissée à la macroéconomie. Cette séparation entre
microéconomie et macroéconomie « a engendré un cloisonnement des travaux en fonction des
méthodologies et des domaines assignés à chaque ensemble disciplinaire » (Koleva et
Monnier, 2006). L’article de Diamond et Mirrlees (1971) marque l’émergence de l’économie
publique comme théorie avec une méthodologie propre sans interaction avec les autres
disciplines.
172
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

La théorie de la fiscalité optimale cherche à trouver un système de taxation qui minimise la


perte de bien-être collectif, sous la contrainte budgétaire exogène de l’Etat. Nous avons déjà
signalé que la solution de premier rang peut être atteinte avec des taxes forfaitaires, c'est-à-
dire reposant sur des caractéristiques observables des agents sans relations avec leurs
comportements économiques. Quant à la résolution de second rang, elle repose comme on l’a
démontré sur la règle dite de l’ « élasticité inverse », mais dans le monde réel de telles taxes
sont difficiles à mettre en œuvre aussi bien pour des raisons pratiques que théoriques, si bien
que, pour certains auteurs, les distorsions semblent inévitables (Atkinson et Stieglitz, 1976).

Alors que la règle de Ramsey s’appuyait sur le critère d’efficacité au détriment de celui
d’équité, l’aspect normatif des approches standards de la taxation optimale vise à rechercher
de quelles manières le gouvernement doit lever un certain niveau de recettes fiscales à partir
d’un nombre limité d’instruments fiscaux, mais cette fois-ci à l’aune du critère d’efficacité et
d’équité. Comme nous allons le voir ces deux termes sont antagoniques (1.2.1). Pour cette
raison, l’État doit arbitrer entre ces deux critères pour choisir la configuration optimale la plus
acceptable selon le critère social retenu (1.2.2). Les fonctions de bien-être utilisées sont des
fonctions de type utilitariste qui permettent d’affecter une pondération aux utilités
individuelles, mais également dans les versions modernes de ces modèles, le recours à des
fonctions de type rawlsiennes correspondant à la maximisation du bien-être du plus mal loti.
Les résultats obtenus permettent de décrie un barème optimal (1.2.3) qui amène des résultats
particuliers sur le plan normatif (1.2.4).

1.2.1. La problématique de Mirrlees

L’ambition première affichée par les modèles d’imposition introduits par Mirrlees, est de
décrire le barème fiscal qui assure le meilleur compromis entre redistribution et efficacité. Sur
le plan méthodologique, le modèle de Mirrlees a le mérite de « casser » le verrou de
l’hypothèse de Ramsey selon laquelle des taxes non linéaires ne sont pas possibles à mettre en
œuvre à cause des différences non-observables des caractéristiques individuelles.
173
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Pour Mirrlees, il est possible d’établir un barème non-linéaire optimal en fonction des
caractéristiques observables de l’individu. En effet, une solution de premier rang n’est pas
décentralisable dès lors que l’Etat ne peut être informé du talent des individus.
Aborder le problème de la taxation de second rang met donc au premier plan la question de
l’information. Dans ce contexte, si l’information devient privée, une solution de taxation
optimale de premier rang est-elle applicable ? Pour se rapprocher d’une telle solution et éviter
que certains types d’agents cachent leur véritable information dans le but de bénéficier d’un
bien-être supérieur (mais avec un impact négatif sur le bien-être social), les modèles inspirés
de Mirrlees vont introduire un mécanisme d’incitation par lequel les agents sont amenés à
révéler leur véritable information.

La présentation analytique du modèle de Mirrlees qui suit s’appuie sur un modèle tiré d’un
article d’Antoine d’Autume publié en 2001 dans la Revue Française d’Économie. Dans son
étude, d’Autume souhaite déterminer la configuration optimale du barème fiscal, en
particulier l’impôt sur le revenu, en appliquant aux modèles introduits par Mirrlees les
données françaises de distribution des revenus estimées par Salanié (1998). À partir de ces
données, l’auteur résout le programme du gouvernement en maximisant une fonction
collective iso-élastique dont l’exposant est censé représenter l’aversion de la société pour
l’inégalité. Présentons maintenant brièvement les hypothèses de base du modèle.

Les agents ayant des préférences identiques U (C , L) sur la consommation C et l’offre de


travail L . Ces agents ne diffèrent que par leur niveau de capital humain . Ce capital humain
dans le modèle de d’Autume est exogène et est considéré comme égal au salaire de base de
l’individu. Connaissant ce salaire horaire, les agents décident du nombre d’heures de travail
qu’ils souhaitent offrir. Le modèle suppose également que ce salaire détermine aussi le niveau
de son effort, selon le principe de l’aléa moral. Concernant la quantité de travail, celui-ci est
endogène car elle est fonction du salaire qu’il peut obtenir ainsi que du barème fiscal auquel il
est soumis.

L’interprétation du modèle tente d’aller au-delà du traditionnel arbitrage travail-loisir de


l’analyse de l’offre de travail en considérant comme le niveau personnel d’effort.
174
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Le revenu de l’agent se définit de la manière suivante représentant le salaire


effectivement touché. Enfin une dernière hypothèse importante sur le comportement des
individus est à retenir, celle que les effets de substitution l’emportent dans le comportement
d’offre de travail individuel.

En effet, pour des raisons pratiques et suite à l’article de Diamond (1998), les effets de revenu
sont négligés et une valeur constante de l’élasticité de l’offre de travail au salaire est retenue.
En agissant de la sorte, on ne fait apparaître que les effets désincitatifs de l’imposition sur
l’offre de travail. En termes d’interprétation, cela signifie qu’un individu avec un capital
humain élevé fournit un effort plus important que celui qui possède un capital humain plus
faible.

Le secteur des entreprises se résume à la production d’un bien unique avec un seul facteur de
production: le capital humain total.

L’État souhaite, dans un objectif d’équité, corriger la distribution des revenus et maximiser le
bien-être social à partir des impératifs d’efficacité et d’équité. Pour cela, il maximise une
fonction d’utilité sociale se présentant sous la forme d’une somme d’utilités individuelles.

1.2.2. À la recherche du barème fiscal optimal

Le barème fiscal recherché est déterminé par une fonction T (R ) . Le revenu net de l’agent
étant intégralement consommé, le barème peut s’écrire dans la fonction de consommation
C ( R)  R  T ( R) (1)
Qui relie la consommation au revenu brut.
La fonction d’utilité de l’agent est quasi-linéaire au loisir et est de la forme :

U (C , L)  C  v( L) (2)

Avec v la désutilité du travail et v' 0 , v' '  0 .


Connaissant le barème fiscal, un agent choisit la quantité de travail qui maximise son utilité :
max C  v( L) s.c C  hL  T (hL)
C ,L
175
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Cependant, comme la seule caractéristique observable par le gouvernement est le revenu de


l’individu, on réécrit le programme sous la forme suivante:

max C  v( R / h) s.c C  R  T (R)


C ,L

En supposant la condition de second ordre vérifiée, le taux marginal de substitution se définit


défini comme :
[ ] (3)
C’est-à-dire que le salaire net doit être égal à la désutilité marginale du travail.

Les deux paramètres important dans cette analyse sont d’une part l’élasticité de l’offre de
travail et d’autre part la distribution exogène des capacités individuelles.
L’élasticité de l’utilité au revenu est définie par rapport à une fonction de désutilité de type :
bL11 / 
v( L)   Représentant l’élasticité et qui permet d’écrire la fonction d’offre de
1  1/
travail ne dépendant que du salaire net w(1  t ) :

 w(1  t ) 
L 
 b 
En reprenant cette expression, on peut définir la fonction d’offre de travail pour un taux

marginal d’imposition donné : L((1  t )h)  v' 1 ((1  t )h)
En introduisant v (L ) la fonction d’offre devient :


 h(1  t ) 
L((1  t )h)    (4)
 b 
Pour finir, la distribution des niveaux de capital humain est répartie sur un intervalle compris
entre 0 et une valeur maximale hmax . Elle est représentée par une fonction de densité continue
f (h) et qui s’appuie dans ce modèle sur les travaux empiriques effectués par Salanié (1998).

Maintenant nous avons défini les principales fonctions des paramètres principaux liés au
caractère incitatif du modèle. Nous sommes donc en mesure de décrire la forme des barèmes
afin que chaque individu révèle son véritable type.
176
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

En effet, si l’optimum global de l’individu est obtenu par la condition de premier ordre
(équation n°3), il va falloir définir le barème en fonction de cette propriété.

1.2.3. Détermination du barème optimal

Le barème optimal est construit de façon à ce que si on demande à un individu son niveau de
productivité, ce dernier aura tout intérêt à révéler son véritable profil car il sera plus
intéressant pour lui en termes d’utilité de choisir le panier qui lui est véritablement destiné. Le
choix d’une fonction d’utilité quasi-linéaire permet de respecter la condition d’intersection
unique de Spence-Mirrlees, essentiel dans les problèmes d’incitation. La condition de Spence-
Mirrlees signifie que si tous les individus ont la même fonction d’utilité et si le travail est un
bien normal (c'est-à-dire décroissant des revenus salariaux), alors il existe une fonction T (.)
continue telle que :
R
h (C h ; Rh )  arg max U (C , ) s.c C  R  T (R)
h
~
Alors pour tout h et h :
Rh R~
U (C h , )  U (C h~ , h )
h h
La propriété d’auto-sélection est validée dans ce cas (cf. Figure 3.1), car lorsque l’individu h
déclare son véritable profil il obtient une utilité supérieure (courbe en trait plein) à celle
obtenue avec une réponse différente (courbes en pointillé).
177
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Figure 3.1 : La condition de Spence-Mirrlees

La contrainte d’incitation permettant de définir un barème incitatif se réduit à :

C ' (h)  v' ( R (h) / h) R ' (h) / h



 R ' ( h)  0

La première équation est une réécriture de la condition de premier ordre (1  T ' (hL))h  v' ( L) .
La deuxième équation réinterprète la condition de second ordre telle que la croissance du
revenu dépende du niveau de capital humain.

Maintenant que les conditions du barème incitatif ont été définies, il convient de résoudre le
programme du gouvernement pour déterminer la forme optimale du barème. Pour cela, on
résout le programme de maximisation de l’utilité collective sous la contrainte du budget des
autorités . Les agents sont sensibles au barème fiscal dans le choix de leur offre de travail,
on peut attendre que le barème ait des conséquences négatives sur l’optimalité du
comportement des agents. Dans ce cas, le mécanisme incitatif décrit précédemment prend ici
tout son intérêt, car il permet de sélectionner les solutions optimales.
178
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Dorénavant nous sommes en mesure d’intégrer tous les éléments obtenus jusqu’à maintenant
dans le problème initial de maximisation du bien-être de la société.
La fonction de bien être est définie de la manière suivante :
hmax

max  (U (0)   (U (h)) f (h)dh


0

La fonction  décrit l’utilité attachée à la société qu’un individu atteigne une utilité u .

u 1 
En simplifiant :  (u )  avec  qui représente le degré de consentement pour l’égalité
1 
de la société.

Les variables d’offre de travail et d’utilité seront uniquement utilisés dans la suite de la
démonstration, au détriment des variables de revenu et de consommation. Soit L(h)  R (h) / h
et U (h)  C (h)  v( L(h)) .
On peut donc écrire :
v' ( L(h))L(h)  hL' (h)
C ' ( h) 
h
v' ( L(h))L(h)
U ' (h)  C ' (h)  v' ( L(h))L' (h) 
h
Le programme sera :
hmax

max  (U (0)   (U (h)) f (h)dh


0

v' ( L(h))L(h)
U ' ( h) 
h
hmax

 U (0)   hL(h)  U (h)  v( L(h)) f (h)dh  G


0

L’utilisation de l’Hamiltonien permet d’introduire les trois contraintes (incitation,


implémentalité, budget) dans une seule équation avec p le multiplicateur associé à la
contrainte de budget du gouvernement :

v' ( L(h))L(h)
 (U (h)) f (h)  pq(h)  phL(h)  U (h)  v( L(h)) f (h)
h
179
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

q représentant la variable adjointe du programme de maximisation des recettes, qui lui, se


présente comme un problème de contrôle optimal49.

En appelant  (L) l’élasticité de l’offre de travail (c'est-à-dire l’inverse de l’utilité marginale),


on obtient comme condition d’optimalité :
q( h )  1
( h  v ' ( L)) f  1  v ' ( L)  0 (5)
h  

q' (h)   (U ) / p  1 f (6)

q(0)   ' (U (0)) / p  1 q(hmax )  0 (7)


Cette condition permet de déterminer le taux marginal d’imposition imposé à chaque agent en
utilisant l’intégration de l’équation d’évolution de la variable adjointe :

q ( h)  1  F ( h) (8)

On obtient :
T ' ( R(h))  1  q ( h) 1  F ( h)
 1   (9)
1  T ' ( R(h))   ( L(h))  1  F (h) hf (h)
Cette équation peut être découpée en trois termes :

1
- Le premier terme A(h)  1  représente l’effet désincitatif de la taxation
 ( L(h))
sur l’offre de travail. Ici, plus l’élasticité est haute, plus le taux marginal
d’imposition T ' diminue.
q ( h)
- Le deuxième terme B(h)  exprime l’impact des préférences collectives
1  F ( h)
qui dépend de la préférence de la société pour la redistribution ainsi que de la
répartition des capacités.

49
Le problème de contrôle optimal équivaut à la résolution d’un problème de maximisation respectant la
condition de transversalité. C'est-à-dire qui permet de sélectionner parmi tous les sentiers, celui qui est optimal.

Cette condition de transversalité se traduit par la nullité de la variable adjointe en hmax , c'est-à-dire q .
180
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Si on admet que le terme B(h) est croissant en fonction de h , alors la vitesse à


laquelle le poids social marginal décroît avec les compétences des individus,
permet de faire apparaître la possibilité d’augmenter le niveau de taxe.
1  F ( h)
- Le troisième terme représente l’effet de la distribution des compétences
hf ( h)
sur la forme du barème. Ainsi une hausse du taux marginal d’imposition des
individus de type h réduit l’offre de travail mais permet d’augmenter le niveau de
taxes des individus supérieurs à h en nombre 1  F ( w) . Cette propriété traduit bien
un des résultats obtenus en taxation optimale depuis les travaux de Mirrlees
(1971), qui est celui de pouvoir obtenir des taux d’imposition décroissant en haut
de la distribution des compétences.

1.3. Les principaux résultats normatifs de la théorie de la taxation


optimale

Dans la veine de l’article de d’Autume, de nombreuses études ont voulu appliqué le modèle
de Mirrlees au cas français (Piketty, 1997, Bourguignon et Chiappori, 1999). Ces auteurs
obtiennent une courbe reliant le revenu primaire des ménages au revenu disponible après
impôts en forme de U. Piketty (1997) a introduit le cas où le RMI serait remplacé par une
allocation universelle destiné aux individus du bas de l’éventail de la distribution des revenus.
Chez Bourguignon ou d’Autume, on trouve dans leurs études respectives un relâchement des
taux marginaux au sommet de l’éventail de revenu afin d’améliorer l’efficacité du système de
prélèvements. Les barèmes optimaux chez D’Autume prennent les formes suivantes (Figure
3.2).
181
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Figure 3.2 : Barèmes optimaux de l’impôt sur le revenu

Source : D’Autume (2001)

Il rapprocherait ainsi les taux marginaux pour cet éventail de revenus autour de zéro.
Finalement ce qui ressort de l’étude de la taxation optimale, c’est qu’un système d’impôt
progressif est inefficace au sens de l’efficacité économique. Finalement, il reste que ce qui
guide ce type de littérature est qu’un système fiscal entraine forcément des inefficacités en
terme de diminution de l’effort productif, donc qu’il agit au détriment de l’efficacité
économique.
182
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Les travaux d’Emmanuel Saez50 ont cherché à dépasser les limites des modèles théoriques de
fiscalité optimale : la dérivation du taux d'imposition optimal posait problème ; les hypothèses
n'étaient pas réalistes (les modèles habituels supposaient que tous les individus avaient les
mêmes fonctions d'utilité) car les paramètres n'étaient pas mesurables empiriquement.
Finalement, cette théorie avait une portée pratique très limitée. L'impôt optimal restait une
préoccupation des théoriciens et était ignoré dans les discussions sur les réformes fiscales. En
s'appuyant sur l'importante littérature anglo-saxonne sur les effets empiriques des programmes
publics d'imposition et de transferts, Saez a développé l'utilisation des élasticités pour dériver
les réponses comportementales et modéliser l'impôt optimal. Il a notamment introduit le
concept d'élasticité de l'offre de travail relativement au taux d'imposition marginal ou à la
distribution d'allocations. Cette méthode alternative lui a permis de prendre en compte des
préférences individuelles hétérogènes dans les modèles (les élasticités des contribuables ne
sont pas forcément identiques) et de construire des modèles s'appuyant sur des paramètres
pouvant être estimés empiriquement (mesure empirique des élasticités). Il a été alors possible
de faire des simulations pour tester les effets de programmes d'imposition et de transferts, et
donc de disposer d'un outil pour évaluer les politiques fiscales et faire des recommandations
en matière de réforme fiscale.

Les travaux de Saez aboutissent à un certain nombre de recommandations en matière de


politique fiscale : le taux d'imposition supérieur du revenu peut être élevé (pour maximiser les
recettes fiscales), même si l'élasticité des hauts revenus est relativement forte, à condition que
l'on minimise les possibilités d'optimisation fiscale, c'est-à-dire les niches fiscales, la fraude et
l'évasion fiscale, qui permettent à certains revenus d'échapper à l'impôt. L'impôt le plus
«juste» est un impôt neutre, sur l'ensemble des revenus.

50
"The Elasticity of Taxable Income with Respect to Marginal Tax Rates: A Critical Review" with Joel Slemrod
and Seth Giertz, Journal of Economic Literature 50(1), 2012, 3-50 (older version NBER Working Paper No.
15012, May 2009). "A Theory of Optimal Inheritance Taxation" with Thomas Piketty, Econometrica 81(5),
2013, 1851-1886 (longer version "A Theory of Optimal Capital Taxation", NBER Working Paper No. 17989,
April 2012) (Slides) (excel file) (Data and Programs)
"Optimal Labor Income Taxation" with Thomas Piketty, NBER Working Paper No. 18521, revised December
2012, published in Handbook of Public Economics, Volume 5, 2013, 391-474
"Optimal Progressive Capital Income Taxes in the Infinite Horizon Model" Journal of Public Economics 97,
2013, 61-74
"Direct or Indirect Tax Instruments For Redistribution: Short-Run Versus Long-Run" Journal of Public
Economics, 88, 2004, 503-518
183
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Concernant les perspectives de réforme fiscale en France, les travaux menés avec Thomas
Piketty et Camille Landais51 sur le système fiscal français conduisent à proposer de remplacer
les différents impôts actuels par un système fiscal intégré à trois composantes :

- Un impôt progressif sur le revenu, individualisé, sans déduction pour famille et


enfants, avec une base élargie à l'ensemble des revenus, notamment aux revenus
du capital pour éliminer tous les effets «niches fiscales» et la porosité entre les
revenus du travail et du capital.
- Une allocation universelle par enfant indépendante du revenu et de la situation
familiale.
- Des allocations sous condition de ressources pour redistribuer vers les ménages à
faibles revenus, en remplacement du RSA et des allocations logement.
L’impôt est donc décrit comme un frein à l’expansion économique car il génère des effets
négatifs en particulier sur l’offre des facteurs.

2. La filiation de la théorie de la taxation optimale avec l’œuvre de


Musgrave

Les auteurs de la théorie de la Taxation Optimale ont souvent mis en avant la filiation de cette
théorie avec l’ouvrage de référence de Musgrave (1959) : The Theory of Public Finance
publié en 1959 (Mirrlees 1994, Diamond, 1994). Pour Diamond (1994), la théorie de la
taxation optimale est une application en équilibre général de la théorie de Musgrave52, mais se
concentrant sur les seules activités d’allocation optimale des ressources et de redistribution
des revenus.

51
Camille Landais, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Pour une révolution fiscale. Un impôt sur le revenu pour
la France du 21ème siècle, Seuil/République des idées
52
“My own work on optimal taxation grew directly out of the general equilibrium formulation in the Theory.”
(Diamond, 1994, p.232).
184
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Lorsque Musgrave, en 1959, applique les outils microéconomiques pour expliquer et justifier
l’action de l’Etat, il distingue trois fonctions majeures de l’État : l’allocation de ressources, la
redistribution des revenus et la stabilisation macroéconomique. Dans son analyse, l’État est vu
de façon fonctionnelle, c'est-à-dire comme un agent susceptible de rapprocher l’économie
d’un optimum de Pareto (ou de s’en éloigner). Son étude a posé les bases de toute analyse
ultérieure du secteur public et de l’économie publique, mais a surtout marqué une rupture
entre les différents domaines de l’économie publique.

Alors qu’il considérait l’existence de complémentarités et d’indépendances entre ces


différentes fonctions de l’État, l’économie publique, par l’intermédiaire des théoriciens de la
taxation optimale délimiteront le champ disciplinaire de l’Etat à l’étude des fonctions
d’allocation et de redistribution, la fonction de stabilisation étant laissée hors de ce champ
(Arnott, 1994). Ainsi, le champ de la microéconomie a été séparé de la macroéconomie.

L’article de Diamond et Mirrlees (1971) marque l’émergence de l’économie publique comme


théorie à part entière avec une méthodologie propre sans interaction avec les autres
disciplines. Cependant, et malgré la filiation revendiquée à l’égard de Musgrave (2.1), cette
théorie sépare ces trois fonctions puisqu’elle n’étudie que l’allocation et la distribution des
ressources. On est alors en droit de se demander ce qu’il advient de la fonction de stabilisation
dans cette optique.

Jusqu’à maintenant l’objet de la TTO consistait à analyser l’arbitrage efficacité-équité auquel


un gouvernement devait faire face. L’efficacité d’un système fiscal consistait à minimiser les
distorsions dans une économie à un ou deux consommateurs (Allingham-Sandmo, 1972,
Stiglitz, 1982), et l’équité en fonction de l’aversion pour l’inégalité de la société en se fondant
sur la capacité contributive d’un agent qui dépend de son revenu (d’Autume, 2000, Diamond
1998). Ainsi, on admettait implicitement que le cœur de la problématique de la taxation
optimale résidait dans la relation entre taxation et incitation au travail dans une optique
purement microéconomique.

Pourtant, comme Solow (2002) le souligne, le département « stabilisation » constitue un pan


important de la politique budgétaire et fiscale. Dans les modèles de référence, la TTO n’en
esquisse pas un contour (2.2).
185
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

En concentrant l’analyse fonctionnelle de l’Etat sur les seuls critères d’efficacité et d’équité, il
est admis que l’économie est en situation d’équilibre, c'est-à-dire capable d’absorber les chocs
exogènes sans qu’une intervention des gouvernements soit nécessaire. L’efficacité ex-ante des
marchés est donc postulée, alors que de nombreux macroéconomistes ont souligné
l’importance des politiques économiques dans une optique de stabilisation structurelle, voir
conjoncturelle53.

Pour faire face à ces limites et renforcer la filiation avec Musgrave, des modèles de
« stabilisation » optimale sont apparus dans un ouvrage collectif intitulé Modern Public
Finance paru en 1994, intégrant pour la première fois la troisième et dernière fonction
défendue par Musgrave. Nous allons voir que cette intégration est loin d’être satisfaisante,
notamment d’un point de vue de l’analyse macroéconomique auquel Musgrave (1959) semble
plutôt faire référence.

2.1. Une filiation tronquée avec Musgrave (1959 ; 1999) : Références


historiques

Le contexte académique

Lorsque Musgrave écrit en 1959, le monde académique est porté par les modèles
macroéconomiques keynésiens de la première synthèse. Les politiques budgétaires et
monétaires étaient fortement mises à contribution pour garantir un certain niveau d’activité et
éviter les tensions inflationnistes. L’Etat est alors au cœur des décisions économiques et son
utilité est peu ou pas remise en question par le milieu académique. Cependant des voix
dissonantes se font entendre au cours des années 1960 pour critiquer cette approche de la
politique économique. Milton Friedman dans sa critique de la Courbe de Phillips amorcera le
mouvement d’une réhabilitation des idées néoclassiques qui prédominaient avant-guerre,
c'est-à-dire l’existence d’un chômage volontaire ainsi que l’acceptation de la Théorie
Quantitative de la Monnaie. L’apparition de la Stagflation dans un contexte économique et
politique jusque-là favorable aux politiques économiques amorce un retournement théorique
en faveur des modèles macroéconomiques microfondés.

53
Pour une revue de littérature sur ces questions, voir Hemming, Kell, Mahfouz (2002) cité en bibliographie.
186
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Dans un cadre de concurrence pure et parfaite avec anticipations rationnelles54, ces modèles
mettent les fluctuations économiques au cœur du débat théorique. Il en ressort que
l’intervention de l’Etat à des fins de stabilisation n’est pas souhaitable (Cudeville et Hairault,
1998) car la demande et l'offre agrégées sont toujours égales et en équilibre

Les modèles macroéconomiques standards ont comme objectif de reproduire les principaux
faits stylisés, sans qu'il soit nécessaire d'introduire des défauts de coordination, une rigidité
des prix ou encore des chocs monétaires. Si, dans le cadre du fonctionnement d’une économie
de marché, la demande et l'offre agrégées sont toujours égales et en équilibre, alors la
politique budgétaire et la politique monétaire sont inefficaces. La théorie du cycle réel part
d'une description de l'économie fondée sur les demandes d'un consommateur unique
représentatif maximisant une fonction d'utilité sous un ensemble de contraintes perçues. De
cette courte mais nécessaire présentation, il ressort que l’intervention de l’Etat à des fins de
stabilisation n’est pas souhaitable (Cudeville et Hairault, 1998).

La théorie de Musgrave dans ce contexte

Musgrave dans son ouvrage de référence s’inscrit dans une autre vision de l’économie. Il
estime dès son 1er chapitre que le capitalisme moderne est une économie mixte et qu’un
secteur public important est indispensable dans une économie de marché. Il admet certes, que
la répartition des revenus soit déterminée dans une large mesure par la productivité des
facteurs de production et leur rémunération sur le marché. Mais parallèlement, une part
importante du produit national doit être consacrée aux besoins collectifs. Le budget de l’Etat
influence donc de manière significative le secteur privé par l’intermédiaire des impôts et des
transferts publics. En outre, la politique budgétaire joue sur le niveau de l'emploi et sur les
prix dans le secteur privé. Le système économique décrit par Musgrave est donc bien mixte, et
un secteur public important et indispensable coexiste avec l'économie de marché. Dès lors,
Musgrave définit les modalités de l’intervention de l’Etat en soulignant le caractère
multidimensionnel de la politique fiscale :

54
S'inspirant du programme de recherché élaboré par Lucas.
187
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

- Fourniture de biens et services publics (Musgrave, 1959, 1999).


- Accroissement ou non de la redistribution des revenus dans l’économie dans
un objectif de réduction des inégalités.
- Favoriser l’émergence de "stabilisateurs automatiques" (Solow, 2002) pour
contrecarrer l’impact négatif d’un choc exogène.

L’ensemble de ces dimensions sont réunis par Musgrave dans trois branches d’activité du
gouvernement (Musgrave 1959, 1997):

- La fonction d’allocation (ou d’affection) des ressources, vise à rétablir un


usage optimal des ressources au sens de Pareto dès lors que le libre
fonctionnement des marchés s’écarte de cet objectif. Il peut s’agir par exemple
de lutter contre les externalités négatives par la production de biens et de
services publics.
- La fonction de distribution (ou de répartition) vise à modifier la répartition
initiale des revenus et des richesses en fonction des aspirations émises par la
société. La mise en place d’un impôt progressif est par exemple une solution à
une redistribution plus équitable des revenus.
- La fonction de stabilisation, quant à elle, doit jouer le rôle de "régulateur" de
l’économie, c'est-à-dire maintenir la stabilité des prix et assurer le plein emploi
des facteurs de production. Cette fonction s’inscrit dans la continuité de la
pensée keynésienne ainsi que dans le contexte économique et théorique de
l’époque où Musgrave écrit.

De cette courte présentation de Musgrave, il ressort une volonté de donner à l’Etat et aux
gouvernements une marge de manœuvre dans la conduite de la politique économique afin de
répondre aux trois objectifs déjà cités. Musgrave ne cache pas sa préférence pour les
instruments de régulation conjoncturelle, notamment de type keynésien55.

55
"fiscal policy also bears on the macro performance of the economy, including inflation, employment, growth.
This role of the budget may be seen only as minimizing damage to the economy’s performance, or it may be
viewed as a positive and important instrument of macro policy" (Musgrave, 1994, p.406).
188
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

C’est d’ailleurs le constat de la plupart des économistes qui défendent la TTO (Mirlees,
Arnott, 1994) lorsque ces derniers y justifient l’absence de la fonction de "stabilisation" : "To
these many generations of students, it must be striking that the Stabilization Branch of
Musgrave’s Fiscal Departments has all but disappeared from public economics… The "new
public economics" insisted on rigorous microfoundations. A requirement that was hard, if not
impossible, to reconcile with the Keynesian macroeconomics of the area, which Musgrave
espoused" (Arnott, 1994, p.264-265).

2.2. Une filiation tronquée avec Musgrave (1959 ;1999) : Références


théoriques

Les trois fonctions de l’Etat décrites précédemment sont interdépendantes, bien que l’auteur
admet qu’elles puissent être mises en œuvre chacune séparément l’une de l’autre.
L’interdépendance de ces fonctions s’explique car l’allocation optimale des ressources
correspond à une infinité de solutions que l’Etat doit sélectionner en fonction par exemple des
préférences sociales pour la justice correspondant aux départements « redistribution ». Ainsi,
une solution d’allocation peut être optimale au sens de Pareto uniquement si la répartition des
revenus est considérée comme optimale pour la société.

Enfin, la fonction « stabilisation », par le biais de la politique macroéconomique, est optimale


si elle n’interfère pas avec l’optimalité de l’allocation des ressources ou la juste répartition des
revenus.

Pour autant, et malgré leurs interdépendances, ces fonctions peuvent être séparables dans leur
domaine d’explication. Musgrave suppose en effet que la politique optimale est mise en
œuvre par trois services de l’Etat indépendants censés s’occuper séparément de l’une des trois
fonctions initialement traitées. Chaque service opère en supposant que les deux autres ont
correctement effectué leur mission et respecté l’objectif d’optimalité qui prédomine. Cela
pose un certain nombre de problèmes, car les objectifs alliés à une fonction peuvent rentrer en
contradiction ou modifier les objectifs d’une autre fonction.
189
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Par exemple, si l’allocation optimale des ressources suppose l’investissement dans de


nombreux biens publics, elle modifie alors la distribution du bien-être de la population dont
dépendait en partie le département « redistribution ». De la même manière, ces
investissements publics modifient la stratégie macroéconomique optimale définie au préalable
par le département « stabilisation ». Dans ce cas, s’il existe une contradiction entre
« allocation » et « redistribution », ou entre « allocation » et « stabilisation », comment
dépasser cette impasse méthodologique pour mettre en place une politique fiscale optimale
« globale »?

Les théoriciens de la taxation optimale éviteront cette difficulté en ne gardant que deux
objectifs clairement affichés pour la politique fiscale : celui de répartir de façon optimale les
ressources de l’économie tout en respectant le désir « social » d’une distribution des revenus
plus ou moins équitable.

La principale raison qui a poussé ces auteurs à mettre au ban la fonction « stabilisation » de la
politique fiscale peut être mise à l’actif d’un souci de simplification théorique et
méthodologique permettant l’introduction d’un problème d’arbitrage, donc de choix
d’individus rationnels, entre les critères d’« efficacité » et d’« équité » dans un modèle en
équilibre général (Diamond, 1994).

En France, Bobbe et LLau (1978) sont les premiers à introduire cette séparation marquée des
fonctions, en menant conjointement, dans leur ouvrage, une analyse des fonctions d’allocation
et de redistribution.

La fonction stabilisatrice du système fiscal étant étudiée dans un chapitre séparé. D’après ces
auteurs, le recours à la politique économique, et plus particulièrement à la notion de
stabilisation, fait appel à deux types de références :

- Une perspective néoclassique justement, où l’accent est mis sur la flexibilité du


budget permettant de « diriger » les fluctuations de l’économie de sorte à
stabiliser les variables économiques et notamment les revenus autour d’un
trend moyen de croissance. En acceptant cette première ligne d’analyse, on
estime que la sensibilité de certains impôts à l’état de la conjoncture permet de
corriger les trop fortes (ou trop faibles) fluctuations de l’économie. Cette ligne
est celle défendue par la taxation optimale.
190
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

- Une perspective keynésienne où la politique budgétaire et fiscale s’adapte aux


exigences de la politique de demande globale. L’impôt dans cette optique agit
de façon discrétionnaire vis-à-vis de la conjoncture. La nature de la
« stabilisation » est dans ce cas « volontaire », car on peut souhaiter conserver
délibérément un même niveau de revenu pour des populations dont le revenu
n’excède pas un certain seuil, que ce soit en présence d’inflation ou bien
lorsque la volonté de conservation du pouvoir d’achat de ces ménages est
affichée comme un objectif politique.
De la première grille de lecture il ressort que la présence de l’Etat se résume à un rôle de
« régulateur » au sens où sa présence permet d’assurer la primauté du marché sur le secteur
public. Dans la deuxième grille, l’Etat possède des marges de manœuvres supérieures
puisqu’il a la possibilité d’encourager et de diriger les investissements en jouant sur le canal
fiscal ou même en influençant la répartition des revenus.

Avant de traiter des tentatives d’intégration de la fonction macroéconomique de l’Etat dans le


corpus de la TTO, il convient de mettre en avant la perspective néoclassique de cette théorie
qui centre sur les effets d’offres.

3. Les limites d’une méthodologie centrée sur les effets d’offres

La TTO se situe dans une perspective d’ « offre » et suppose que la demande de travail
s’adapte automatiquement à l’offre. La résolution des modèles suppose des hypothèses assez
fortes sur les valeurs des paramètres pris en compte ou sur les effets induits par une
modification des taux sur les comportements des agents.
Le deuxième chapitre de cette thèse a montré que l’économie standard considère
principalement l’impôt comme un frein à l’expansion économique car il génère des effets
négatifs en particulier sur l’offre des facteurs. D’après ces théories, l’impôt empêche le
marché de fonctionner correctement car il crée un écart entre la juste rémunération des
facteurs de production et la rémunération effectivement à disposition des individus après
impôts.
191
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Cette incertitude quant à la rémunération des facteurs induit des distorsions que les théories
modernes de l’impôt ont tenté de minimiser au maximum en tentant de modéliser de manière
analytique un système de taxation optimale pouvant répondre à la fois, au critère économique
d’efficacité, tout en prenant en compte le critère social que tout gouvernement doit respecter,
c’est-à-dire la recherche de l’équité.

S’appuyant sur des modèles complexes mais finalement aux hypothèses assez simples
notamment en ce qui considère que le reveu des individus peut être évalué par la productivité
(3.1). L’analyse se concentre uniquement sur des effets d’offre (3.2) ce qui occulte un certain
nombre de mécanismes économiques liés à la demande. Malgré les différents amendements
dont ces modèles ont fait l’objet, nous allons voir dans cette partie que les résultats obtenus
par ses modèles ont été jugés décevants (Slemrod, 1990). L’espoir qu’a fait naitre les travaux
de Mirrlees (1971) sur la possibilité de construire un système fiscal respectant les deux
critères cités ci-dessus, a dû ainsi faire face aux critiques de ses principaux utilisateurs
(Bouguignon, 2000, Diamond, 1998).

Le manque de réalisme dans le paramétrage de la fonction d’utilité sociale ainsi que la


difficile prise en compte de l’effet revenu dans l’évaluation de l’impact de la fiscalité sur
l’offre de travail remet en cause une partie des résultats jusque-là observés. Enfin, les
systèmes fiscaux décrits par cette théorie peinent à décrire un système fiscal réaliste (3.3). En
effet, lorsqu’on prend en compte les éléments propres à la nature « coercitive » de l’impôt et à
son fondement foncièrement institutionnel, alors les conclusions de la TTO deviennent moins
robustes.

3.1. Les hypothèses sur l’offre de travail et les limites d’une analyse
liée à la productivité individuelle

L’objectif principal de la TTO était de rechercher la politique fiscale la plus appropriée


permettant de maximiser le bien-être social à l’aune des critères d’efficacité et d’équité. Une
fois ces exigences respectées, un système fiscal est jugé optimal à partir du moment où ce
dernier est en mesure de maximiser la fonction de bien-être social élaborée à partir des
fonctions d’utilités individuelles.
192
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Cette hypothèse suppose donc une somme d’individus aux préférences identiques dont la
représentation algébrique est pondérée par un exposant servant à représenter l’aversion de la
société pour l’inégalité (ou la préférence pour l’égalité).

L’arbitrage entre les critères d’efficacité et d’équité effectué par le gouvernement est donc
influencé par les préférences des individus constituant la société au travers de ce coefficient
de pondération.

Les théoriciens de la taxation optimale ont pu dégager des résultats en fonction des
préférences collectives par l’utilisation de différents types de fonction de bien-être. Des
fonctions de type utilitariste censé représenter des jugements en faveur de l’efficacité, et des
fonctions de type Rawlsien qui soutiennent une préférence sociétale en faveur de la
maximisation du bien-être du plus mal loti. Bien que l’utilisation de l’adjectif « Rawlsien »
soit rejetée explicitement par John Rawls lui-même56, les barèmes optimaux obtenus,
notamment dans l’étude d’Autume dont s’est inspirée notre démonstration, diffèrent
énormément suivant le critère choisi. Pour Bourguignon (2000), ces cas sont jugés
« extrêmes » et peu utiles dans la recherche du barème optimal.

Par la suite, les théoriciens de la taxation optimale supposent implicitement que mettre en
œuvre la politique fiscale occasionne des coûts pour la société qui peuvent être importants.
Par conséquent, il peut survenir une perte de bien être à partir du moment où une taxe entraine
un écart entre le prix payé par les acheteurs et le prix encaissé par les vendeurs.
C’est à ce titre que de nombreux modèles de la taxation optimale se sont attelés à trouver le
système fiscal permettant de minimiser ces coûts (Slemrod, 1990, p.158), c'est-à-dire les
pertes d’efficacité.

Dans le modèle précurseur de Mirrlees, la question posée était de savoir comment taxer les
revenus des individus pour minimiser les pertes d’efficacité dues aux distorsions induites par
le système fiscal.

56
« Interpréter le principe de différence comme un maximin en utilité est une incompréhension sérieuse d’un
point de vue philosophique », Rawls J., édition revue 1999, A theory of Justice, Harvard University Press,
Cambridge, 1971
193
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Par conséquent, les développements consécutifs au modèle de Mirrlees se sont surtout


concentrés sur l’étude de la relation entre la taxation du revenu et son impact sur l’offre de
travail des individus, car le revenu est ici posé comme l’indicateur le plus naturel et le plus
fiable pour cerner les efforts consentis par les individus pour améliorer leur sort.

Le modèle d’offre de travail utilisé s’appuie en général, sur une vision statique. Cela signifie
que l’individu est pendant un certain laps de temps confronté à une contrainte budgétaire qui
relie son offre de travail au revenu disponible ou ses dépenses de consommations. En
l’absence de redistribution ou de politique fiscale, la contrainte budgétaire de l’individu est
une droite issue de l’origine, dont le revenu est proportionnel au nombre d’heures travaillées
et au taux de salaire horaire. Dans cette situation simplifiée, un individu aura intérêt à
travailler si le revenu engendré par sa mise au travail compense la désutilité du travail.
Cependant lorsqu’il existe, comme dans la plupart des pays développés, un système
d’assurance ou de revenu minimum pour les bas revenus, alors les exigences salariales des
offreurs d’emploi sont revues à la hausse et ces derniers sont déscinciter à offrir davantage
leur travail. En acceptant ce cadre, il se pose donc bien un problème de participation ou de
non-participation sur le marché du travail. Cette situation simple permet aux théoriciens
d’appréhender l’essence de la relation entre redistribution et incitation dans les modèles de
taxation optimale.

Une des limites à ce type de représentation de l’économie renvoie au caractère statique de


l’analyse qui omet le fait que travailler aujourd’hui affecte le taux de salaire de demain ou
bien qu’une partie du temps non travaillé aujourd’hui puisse permettre d’acquérir du capital
humain pour le futur.
De plus, l’observation du taux de salaire est censée représenter l’effort consenti par l’individu
ou bien encore son aptitude. Pourtant on peut aisément comprendre que les deux composantes
habituelles de l’offre de travail, c’est-à-dire la durée du travail et le taux de salaire horaire,
sont des paramètres dont l’individu n’est pas entièrement maitre. En outre, la durée du travail
peut varier selon le bon vouloir de la conjoncture, et l’intensité du travail n’est pas
nécessairement corrélée à la productivité de l’individu.
194
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Cependant, même en acceptant l’idée que le taux de salaire horaire est un bon indicateur de
l’effort consenti par le travailleur, la question de l’estimation de l’élasticité de l’offre de
travail par rapport au taux de salaire n’apporte toujours pas de réponse satisfaisante pouvant
faire l’unanimité chez les chercheurs 57.

La variabilité des résultats obtenue remet en cause l’utilisation des résultats empiriques en la
matière, d’autant plus que la sensibilité des individus au taux de salaire varie selon le type de
salariés auquel on se réfère. Par exemple, on sait que dans beaucoup de pays, l’élasticité de
l’offre de travail des femmes de 25 à 55 ans est plus importante que celle des hommes du
même âge. Cet état de fait rentre en contradiction avec l’hypothèse de l’uniformité des
préférences individuelles dans le modèle de Mirrlees.

Stieglitz (1982) a tenté de construire un modèle avec deux types d’individus, ceux avec une
forte productivité (high-skill) et ceux avec une productivité plus faible (low-skill), mais
finalement les résultats obtenus sont les mêmes58 que dans les autres modèles puisque, comme
nous venons de le dire, les productivités sont censées représenter les compétences des
individus et déterminent donc le niveau de rémunération en fonction de ces compétences.

De même, l’utilisation d’une mesure de l’élasticité individuelle conduit à une contradiction


entre le souci de maximiser le bien-être collectif, qui renvoie à la prise en compte de la notion
de ménages, et les estimations économétriques utilisées dans les modèles qui s’appuient sur
une analyse des comportements individuels.
Dans ce cas le paramètre w observé est-il égal à la productivité du ménage ? Apparemment,
rien ne semble le garantir. D’Autume (2001) admet d’ailleurs dans son article qu’essayer de
prendre en compte le caractère multidimensionnel du ménage compliquerait grandement la
résolution du modèle, car on ne sait pas combiner les différentes aptitudes des individus
constituant le ménage du fait de l’hétérogénéité des offreurs de travail à l’intérieur du ménage.

57
Pour plus de précisons sur ces questions, voir le Survey des travaux de Blundell et al. dans Blundell (1992), ou
encore Blundell, Duncan et Meghir (1998).
58
C'est-à-dire des taux marginaux d’imposition positifs pour les individus « low-skill » et des taux marginaux
nuls pour les « high-skill ».
195
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Il est donc plutôt contradictoire d’appliquer le critère de maximisation du bien-être social dans
un modèle de redistribution optimale en ne considérant que des agents individuels et en
utilisant la distribution des taux de salaire individuels observés. Finalement, on est en droit
d’affirmer que l’économie décrite par les théoriciens de la taxation optimale représente assez
mal la réalité.

En outre, le rôle joué par l’élasticité dans ces modèles est considérable puisque pour une
valeur des élasticités allant de 0.1 à 0.5, les résultats du barème optimal sont grandement
modifiés, car une sensibilité accrue des individus au salaire fait diminuer les taux marginaux
d’imposition.

L’article de d’Autume (2003) que nous avons étudié auparavant néglige le fait que les
dispositifs de revenu minimal garanti tel le RMI (RSA depuis) est associé en France, à
l’inactivité de ceux qui le touche. Ainsi sur cette portion qui représente tout de même près de
1 200 000 personnes en France, il est difficile d’évaluer le salaire potentiel ainsi que l’offre de
travail des bénéficiaires car ces personnes ont alors, d’après la théorie, une productivité égale
à zéro. Par conséquent, si on suit les hypothèses du modèle, ces individus ne devraient pas
travailler car le gain financier à la reprise d’une activité est quasi-nul alors que certaines
études ont montré qu’ils pouvaient occuper une activité salariée59.

3.2. La primauté des effets d’offres

Dans un marché du travail standard, il y a d’un côté une offre de travail individuelle à laquelle
se confronte de l’autre côté une demande de travail de la part des entreprises. Mais on a vu
que c’est le côté offre de travail qu’est abordée l’étude de la taxation optimale. Qu’est ce qui
se passerait si on essayait d’introduire des contraintes issues de la demande ?

59
Voir L’Horthy Y., Que nous apprennent les bénéficiaires du Rmi sur les gains du retour à l’emploi ?, Rapport
de recherche du Centre d’Etudes de l’Emploi, n°24, juillet 2005 ou Pucci M., Zajdela H. (2004), Quel loisir
pour les allocataires du RMI ? L’arbitrage consommation/loisir revisité, Colloque Matisse, « L’accès inégal à
l’emploi et à la protection sociale », Paris, les 16 et 17 septembre 2004.
196
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Certaines tentatives ont été effectuées, notamment dans une étude de Bernard Salanié et Guy
Laroque (2000). Dans cette étude, les auteurs ont pris en compte l’existence d’un salaire
minimum qui empêche certaines personnes de trouver un emploi alors qu’ils seraient prêts à
travailler pour un salaire égal à leur productivité, car le coût pour l’employeur au salaire
minimum est supérieur à leur productivité. Le rôle joué par le salaire minimum s’avère
contraignant dans le cadre de la taxation optimale, dans la mesure où si on peut contrôler le
revenu disponible des individus ou des ménages et que l’objectif final est le revenu disponible
par tête ou par ménage, alors l’existence d’un salaire minimum s’avère être une contrainte
inutile.

Boadway et Cuff (2001) estime que l’existence d’un salaire minimum peut être une
opportunité pour le gouvernement car il lui donne une information supplémentaire sur la
productivité des individus observés inactifs. En effet, en supposant que les agences de
l’emploi les obligent à accepter des offres au niveau du salaire minimum, l’inactivité dans ce
cas signifie que la productivité des individus est en dessous du salaire minimum ou bien que
leur salaire de réserve est en dessous du salaire minimum. La présence d’un salaire minimum
révèle donc une information quant à la productivité de ceux qui sont employés et ceux qui ne
le sont pas. Il permettrait donc une amélioration de l’efficacité de la redistribution. Pour
autant, ces remarques sur le côté « demande » du marché du travail restent dans une optique
néo-keynésienne où les rigidités restent in fine la cause du chômage car elles empêchent
l’ajustement des salaires au niveau d’équilibre. Par conséquent, on ne tient pas compte ici de
la vision keynésienne du chômage qui met au centre de l’analyse les problèmes relatifs à
l’insuffisance de la demande effective. Les contraintes qui pèsent sur les débouchés ne
permettent pas d’embaucher des salariés supplémentaires même pour un coût du travail
inférieur à leur productivité, mais cette vision de l’économie s’éloigne du point d’ancrage de
la TTO.

Un article récent de Piketty et Saez (2013) tente de proposer une théorie de la taxation
optimale du capital mais celle-ci prend le taux de rendement, , du capital pour une donnée
exogène. En outre, elle repose entièrement sur les présupposés néo-classiques et de la TTO
dont nous avons déjà énoncées la vulnérabilité analytique en sus des limites que nous
développerons dans la suite du chapitre. Il s’appuie sur un modèle dynastique à la Barro-
Blecker en intégrant des chocs stochastiques.
197
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

C’est également la critique qui est faite par Gaël Giraud 60 lorsque ce dernier discute les
prescriptions proposées par Piketty61 (2013) sur la création d’un impôt mondial sur le capital.
L’utilisation fonction de production à élasticité constante (CES) et l’idée que la rémunération
du capital correspond à sa productivité marginale, révèle que le modèle de croissance néo-
classique sert bien de théorie à l’ensemble de la démarche de Piketty.

3.3. Remise en cause des barèmes optimaux

Les barèmes optimaux décrits par les modèles de la TTO obtiennent comme principal résultat
des courbes décroissantes des taux marginaux d’imposition. Les courbes commencent à un
taux marginal de 100 % pour les plus bas revenus et chutent de façon presque discontinue à
des taux beaucoup plus faibles pour les plus hauts revenus en fonction du niveau des
prélèvements pris en compte.

Cependant, l’étude de Bourguignon et Sparado (1999) prend en compte une distribution des
productivités log normale et exclut le cas où les productivités sont égales à zéro. Dans ce cas
on peut établir un lien entre la distribution hypothétique et la distribution observée au-dessus
du seuil d’une productivité égale à zéro. Les courbes obtenues sont continues et partent d’un
chiffre inférieur à 100 % pour ensuite décroitre continument et assez rapidement. Il apparaît
même dans ce cas un taux négatif en bas de la distribution. La représentation graphique
(Figure 3.3) de la redistribution optimale qui se trouve derrière ces conditions fait apparaître
une pente des taux marginaux beaucoup plus forte de la contrainte budgétaire des plus bas
revenus (trait gras), ce qui n’est pas le cas dans la réalité (trait en pointillé) principalement
quand on diminue le revenu minimal garanti.

Sur le plan normatif, si l’on veut faire coïncider le système de redistribution observé dans la
réalité avec un système optimal en faveur des bas revenus, il faut soit adopter des élasticités
de l’offre de travail plus faible (de 0.5 à 0.2), soit adopter un système plus redistributif.

60
Gaël Giraud, « Quelle intelligence du capital pour demain ? Une lecture du Capital au XXIème siècle de
Thomas Piketty », Documents de Travail du Centre d'Economie de la Sorbonne, 2014.07
61
Thomas Piketty, Le Capital au XXIème siècle, (Seuil, 2013).
198
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Figure 3.3 : Taux marginaux en France

Source : Bouguignon et Sparado (2000)

Il ressort de cette courte revue de littérature que les hypothèses sur l’élasticité de l’offre de
travail et des objectifs redistributifs de l’État ont une influence importante sur la forme des
barèmes optimaux. Donc le fait qu’il n’existe pas de consensus sur ces critères et en
particulier sur l’élasticité de l’offre de travail, la distribution des productivités (surtout celle
des personnes jugées inactives) ainsi que les préférences sociales rendent la recherche d’un
barème fiscal optimal difficile et surtout peu robuste.

Le modèle de Mirrlees a suscité un vif intérêt dans le champ de l’économie normative dans
les années 1970, on pensait à cette époque qu’on arriverait à trouver des formes de barème
optimal pertinent du point de vue de la politique fiscale. Malheureusement la théorie a été
confrontée à ses propres limites que ce soit sur plan de la détermination des barèmes que sur
l’application au niveau politique des prescriptions faite par la théorie. Diamond (1998) a
examiné les conditions requises au modèle pour que les taux marginaux soient décroissants au
fur et à mesure que les individus se situent en haut de l’échelle des compétences.
199
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Il souligne que l’absence d’effet revenu permet de résoudre le programme du gouvernement,


mais que les implications politiques des résultats obtenus sont tronquées par les hypothèses
trop restrictives du modèle62, si bien que les recommandations ne se résument finalement qu’à
« quelques principes généraux ayant néanmoins gagné le statut de lieux communs » (Financial
Times cité par Diamond, 1998).

Une citation de Bourguignon résume bien les faux espoirs qu’ont fait naître le modèle de
Diamond-Mirrlees : « Il a soulevé un assez grand enthousiasme durant les années dernières
soixante-dix. Je crois que l’on pensait alors que les questions purement théoriques étaient
résolues et que, d’une façon ou d’une autre, l’économétrie permettait prochainement de
déboucher sur des applications pratiques. Lorsque l’on saurait ce qu’était effectivement la
fonction U(C, L) représentant l’arbitrage des agents entre consommation et loisir, il resterait
alors uniquement à paramétrer de façon intelligente la fonction d’utilité sociale pour pouvoir
étudier les propriétés du barème d’imposition optimal. La mauvaise nouvelle de ces vingt ou
trente dernières années est que l’économétrie ne permettra probablement pas d’estimer cette
fonction U (C, L) de façon adéquate, tant pour des raisons conceptuelles que pratiques. Il nous
faut donc vivre avec ce constat fondamental d’une connaissance très imparfaite des
comportements d’offre de travail » (2000, p.66).

3.4. Des limites d’ordre conceptuelles quant à la notion d’équité et au


recouvrement de l’impôt

De nombreuses critiques de type institutionnalistes ont été effectuées de la TTO. Elles


s’attaquent notamment sur l’oublie des multiples dimensions prise par le concept de l’équité
(3.4.1). Ensuite, la TTO oublie que l’impôt est un système de collecte de revenus sous la
contrainte d’individus qui tendent à y résister. Il convient dès lors de prendre en compte les
coûts d’efficience et de collecte du système fiscal (3.4.2). Enfin les déterminants socio-
culturels prennent une place à part entière dans l’étude des systèmes fiscaux (3.4.3).

62
« La communauté des finances publiques a reconnu que les résultats amenant à zéro les taux marginaux en
haut et en bas de l’éventail des revenus n’ont peu ou pas de pertinence pour la politique » (1998, p.83)
200
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

3.4.1. La question de l’équité

L’approche normative de l’impôt s’est construite sur le principe que les pouvoirs publics
peuvent arbitrer le choix de leur programme fiscal « optimal » en fonction des critères
d’équité et d’efficacité.

La théorie de la taxation optimale a été influencée par les maximes énoncées par Smith dans
la Richesse des Nations (Monnier, 2003) mais elle n’a étudié que les notions relatives à
l’égalité et à l’efficacité. L’étude des maximes de certitude et de commodité a été en général
peu exploitée, sans doute car elles ne peuvent être définies et mesurées sans équivoque, et
risque d’aboutir en définitive à une instabilité du modèle ou bien à des recommandations sur
le terrain normatif indéterminées, voir incertaines (Koleva et Monnier, 2006). Pour cette
raison, le nombre de critères exploités a été réduit dans les modèles issus de la taxation
optimale (Gilbert 1996) et la plupart des travaux se sont attelés à minimiser les coûts
administratifs de sorte à que ce soit le critère d’efficacité qui soit mis en avant.

Malgré tout, les derniers développements ont tenté d’intégrer une place à part entière à
l’équité dans le choix des instruments fiscaux mais sans pour autant en faire une priorité dans
la définition d’une bonne politique fiscale. Il en ressort généralement l’idée qu’un système
fiscal inefficace induit des coûts importants. Cependant, le critère d’efficacité est souvent mis
en avant comme critère d’évaluation d’un système fiscal optimal. La prise en compte du
critère d’équité s’observe du point de vue de l’équité verticale, alors que dans de nombreux
systèmes fiscaux, dont la France, on observe une priorité donnée à l’équité horizontale, c'est-
à-dire que les autorités fiscales prennent en compte les caractéristiques et le nombre des
membres appartenant au ménage.

3.4.2. La prise en compte des coûts d’efficience

Pour Slemrod (1990) l’approche de la taxation optimale est « incomplète » pour guider les
choix des décideurs publics dans la politique fiscale car elle omet le fait que la taxation
correspond à un système de collecte de revenus sous la contrainte d’individus qui tendent à y
résister. Elle est également incomplète car les coûts de collecte justifiés par la nature
coercitive de l’impôt impliquent des coûts supplémentaires.
201
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

La théorie de la taxation optimale ne prend pas en compte la complexité des appareils fiscaux.
En effet, la collecte de l’impôt suppose un certain nombre de coûts relatifs à la complexité de
l’architecture fiscale ainsi que ceux qui ont trait au caractère coercitif de la collecte de
l’impôt.

Alm (1996) distingue trois types de coûts d’efficience : les coûts de mise en conformité
(enforcement costs), les coûts administratifs (administrative costs) et les coûts imputables à la
décision de se conformer à la loi fiscale (compliance costs).

Les coûts administratifs se décomposent en trois types de dépenses : les coûts liés à la
détection de la fraude, ceux associés à la réduction des comportements d’optimisation et enfin
les coûts administratifs, qui résulte de la collecte et du traitement de l’impôt.

Aux Etats-Unis, le service chargé du recouvrement et de la collecte de l’impôt (Internal


Revenue Service) utilise quelques milliards de dollars du budget national pour fonctionner.
Slemrod et Sorum (1984) ont estimé les coûts administratifs payés par le gouvernement et les
coûts de mise en conformité à la loi fiscale à la charge des contribuables à un montant
supérieur à 35 milliards d’euros pour l’année 1984, soit environ 7 % du revenu national de
l’époque. Ces coûts ne sont pas pris en compte par la taxation optimale qui considère que le
prélèvement fiscal peut être effectué sans que cela n’impose de coûts aux contribuables ou à
l’administration fiscale.

Pourtant, on peut penser que les distorsions induites par les coûts de taxation pourraient être
d’une autre nature que celles qui sont à caractère strictement économique comme il est
habituellement avancé. À cet égard, si la mise en place d’une structure fiscale suppose un
dispositif coercitif de collecte de l’impôt, alors on peut amender le modèle de la théorie
optimale en intégrant les couts d’ « efficience » par une analyse de la technologie de la
collecte fiscale.
202
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Dans cette optique, le choix des instruments fiscaux a une importance à part entière. Par
exemple, sur la taxation des biens, la TTO estime qu’en présence d’une information sur les
capacités des individus, des taxes forfaitaires distordent au minimum les comportements
individuels. Le problème c’est qu’on peut difficilement observer ces capacités individuelles.

Pour répondre à cette limite, la théorie souhaite créer des outils fiscaux qui incitent les
individus à payer la taxe qui est le plus favorable sur le plan de l’utilité sociale. Pourtant on
peut estimer que cette hypothèse est incorrecte car une administration fiscale compétente
induit des coûts supplémentaires. On peut donc être capable de connaître les capacités
individuelles avec une marge d’erreur, mais pas nécessairement moins bien que la mesure du
revenu (Slemrod, 1990). Sur la taxation des biens de consommation, Yitzhako (1974) assure
que les coûts administratifs dépendent plus des nombres de différentes taxes que du nombre
de biens taxés. L’expérience britannique lors de l’introduction d’une taxe sur la valeur ajoutée
(Sandford, et al. 1981) suggère que l’apparente simplicité de la TVA est remise en cause par
la hausse importante des dépenses administratives qu’entraine l’introduction de différents
taux et des mécanismes d’exonérations.

Stern (1982) a étudié deux types distincts de système de taxes : le premier est un système
composé d’un impôt sur le revenu non linéaire, avec un coût minimal du point de vue des
administrations pour collecter l’information, et un autre système basé sur différents impôts
forfaitaires en fonction des caractéristiques individuelles des contribuables. Le premier
système requiert de pouvoir observer convenablement le revenu tandis que le deuxième
suggère qu’il est nécessaire de connaître le classement des individus. Dans ce cas, si on peut
disposer de l’information sur les individus mais pour des coûts de recouvrement plus élevés
que pour le système avec l’impôt sur le revenu, alors un système basé sur des taxes
forfaitaires est recommandé.

La TTO ne traite pas non plus de l’évasion fiscale, qui a tendance à réduire les recettes
fiscales. La question est de savoir s’il est intéressant pour un gouvernement d’augmenter les
contrôles et les pénalités, donc les coûts administratifs, pour empêcher l’évasion fiscale afin
d’accroitre les ressources. La présence de l’évasion fiscale a de sérieuses implications sur les
critères d’équité, d’efficience et de coûts de collecte de l’impôt.
203
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Pour Skinner et Slemrod (1985), son existence n’a pas été traitée par la théorie standard de
l’impôt qui considère que la collecte d’un nouvel impôt a le même effet qu’une hausse des
prix des inputs sur la courbe d’offre.

Dans cette situation, un nouvel impôt a comme conséquence de faire payer aux
consommateurs un prix supérieur pour acquérir le bien, tandis qu’en l’absence de mesures de
contrôles, toutes les parties seraient tentées de minimiser leurs activités pour ne pas avoir à
payer trop d’impôts63.

Les travaux de Sandmo(1981) et de Slemrod et Yitzaki (1987) démontrent que l’utilité sociale
marginale augmente lorsque l’on renforce les contrôles, car ces derniers agissent de façon
favorable sur le retour des « exilés » fiscaux qui permet d’accroitre le revenu global et in fine
d’augmenter l’équité horizontale du système fiscal.

L’ensemble de ces modifications du cadre d’analyse souhaite en fait combler les lacunes des
modèles aux hypothèses simplificatrices issues de la théorie de la taxation optimale en
proposant une vision plus large des inefficacités économiques liées aux différents coûts de la
taxation. Pour l’ensemble des raisons exposées ci-dessus, la TTO ne peut avoir l’ambition de
trouver une structure fiscale optimale sans tenir compte des mécanismes de contrôles que
supposent les comportements des agents.

Pour pallier à ces lacunes, Slemrod (1990) a cherché à définir des systèmes fiscaux optimaux
(optimal tax system). Au travers de l’utilisation de cette notion, on souhaite tenir compte des
notions de fraude et d’optimisation fiscales, ce qui conduit à des prescriptions en matière de
réformes fiscales différentes. C’est donc la structure des préférences individuelles qui va être
pris en compte dans cette approche, que ce soit en termes de comportements de résistance
face à l’impôt, que dans la manière dont doit être mis en place les différents instruments
fiscaux.

63
On est dans une situation de type freerider.
204
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

L’approche des systèmes de taxations optimaux doit recouvrir, pour Slemrod, trois
caractéristiques :

- Elle doit permettre d’analyser au mieux la technologie fiscale permettant la


réduction des inefficacités.
- Elle doit identifier les sources d’inefficacités et prendre en compte l’ensemble des
coûts d’efficience en intégrant dans le modèle des estimations issues d’audits
fiscaux.
- Elle doit permettre ainsi d’identifier la loi fiscale à appliquer et les règles qui
facilitent l’administration.

A partir de cette théorie, Slemrod et Yitzhaki (2002) ont étudié l’impact des comportements
d’évitements sur la collecte des impôts. Ils ont conclu que la fraude et l’évasion fiscale
entrainent des coûts supplémentaires dans la collecte de l’impôt, ce qui modifie les
comportements d’offre de travail des agents. On est donc capable en tenant compte de
l’intégralité des caractéristiques des systèmes fiscaux de modifier les réponses
comportementales face à la nature coercitive de l’impôt et donc de choisir les instruments de
politique fiscale qui permettent d’optimiser le comportement des agents.

Suite à la théorie des systèmes fiscaux optimaux de Slemrod, Alm (1999), a voulu rendre
plus complexe et plus réaliste la recherche du système fiscal optimal en rajoutant des
paramètres socioculturels afin de prendre en considération les institutions.

3.4.3. La prise en compte des institutions

Des auteurs comme Alm et Slemrod ont tenté d’étudier les effets sur l’équité et sur l’efficacité
liés au caractère couteux de l’impôt. Ils ont également étudié la question de la conformité
fiscale en élargissant la perspective d’analyse aux déterminants socioculturels. Il est donc
question dans leurs développements de tenir compte des caractéristiques institutionnelles et
sociales qui sont les grandes absentes du débat originel sur TTO.
205
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Selon l’optique développée par la branche normative de la théorie de l’impôt, les coûts
d’efficience et les coûts de mise en conformité semblent diminuer avec la taille des firmes et
croissent avec la complexité des sources de revenus (Vaillancourt, 2000).
Le traitement des comportements d’évasions et de fraudes fiscales est souvent effectué dans
un cadre d’analyse standard fondé sur une approche en terme d’utilité (Mayshar, 1991).

Cette méthode permet de déduire les coûts d’opportunités des différentes activités des
contribuables afin de réduire l’incitation à frauder des individus. Selon ces modèles, la mise
en conformité ne dépend que de la probabilité de détection de la fraude et du taux de pénalité
subie. C’est donc uniquement la contrainte qui incite ici à l’acquittement de l’impôt, car les
individus basent leurs calculs sur un arbitrage entre les risques et les bénéfices de la fraude
fiscale.

À ces déterminants de l’ « obéissance » à la loi fiscale, Alm, McClelland et Schulze (1999)


s’ajoutent des facteurs socioculturels ou sociologiques dans la décision de se conformer à la
règle fiscale de la part des contribuables. C’est le concept de Normes Sociales qui guide le
choix des individus de respecter ou non la règle fiscale. Ce concept suppose que les individus
tiennent compte dans le choix de leurs actions de la perception qu’ont les individus de leurs
propres comportements. Ainsi selon cette définition, un comportement est jugé raisonnable à
partir du moment où ce comportement est jugé raisonnable pour les autres.

La méthode expérimentale utilisée dans l’article d’Alm, McClelland et Shulze (1999) essaye
de souligner le rôle des normes sociales dans le respect des règles fiscales. Cette méthode
peut être décrite de la manière suivante : On prend un échantillon d’individus dans lequel
chacun reçoit un certain montant de revenu sur lequel ils doivent choisir le montant de la taxe
à déclarer aux autorités. Ensuite, pour déterminer les comportements des individus face à
l’impôt, on multiplie le montant total des taxes par un multiple égal ou inférieur à 1 qu’on
divise en part égale par le nombre de contribuables. Ainsi, pour un multiplicateur égal à 1, les
consommateurs associent le prélèvement fiscal à une augmentation des biens publics
disponibles. Si le multiplicateur est inférieur à 1, alors cela implique de potentiels gaspillages
des fonds publics.
206
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Ensuite, si les revenus sont non-déclarés, alors les individus s’exposent à des contrôles selon
une probabilité , et doivent verser le cas échéant une pénalité pour chaque dollar non
versé. Enfin, on essaye de tester les réactions des individus face à des changements alternatifs
dans le niveau de la taxe, la probabilité de se faire contrôler et du montant des pénalités.

De ce modèle assez standard, on obtient que les individus préfèrent choisir un système avec le
moins de probabilité de se faire contrôler. Mais à cette vision qui repose sur des individus
rationnels strictement maximisateur, Alm (1996) propose d’intégrer le rôle joué par les
normes sociales. Il s’appuie sur les travaux de Kahneman et Tversky (1979), qui allient la
notion de norme sociale à celle de point de référence. Un individu perd en utilité à partir du
moment où son comportement ne respecte pas ce point de référence. Au niveau du modèle, on
intègre ce « point de référence » dans le revenu et le niveau des recettes globales. En
conséquence, les individus connaissent une perte d’utilité à partir du moment où ils payent un
niveau de taxe proportionnellement inférieur au niveau de leurs revenus. Un coefficient est
affecté à chaque individu et qui mesure le nombre d’individus prêt à déclarer un niveau
moindre de revenu aux autorités fiscales par rapport à la perte d’utilité engendrée lors de la
déclaration d’un revenu tronqué. La condition optimale permettant de mesurer le degré de
conformité est donc très sensible à une variation positive de . Ce paramètre influence
également le processus de vote notamment lorsque celui-ci concerne le niveau de
renforcement légal.

Alm applique et compare ces expériences de conformité à deux pays culturellement et


historiquement différents : l’Espagne et les Etats-Unis. De cette analyse, il ressort qu’un
individu aura tendance à se conformer à la règle fiscale à partir du moment qu’il croit que
cette conformité est la norme sociale en vigueur. L’analyse comparative met en évidence les
différences de perception de l’impôt dans différents pays et qui influencent directement les
comportements « honnêtes ». Cette expérimentation montre que les changements de
comportements vis-à-vis du respect de la règle fiscale agissent en réponses aux instruments de
politique fiscale mis en place par les gouvernements. En outre, les résultats expérimentaux
soulignent que les décisions de conformité des individus sont différentes lorsque le régime
fiscal est le même pour tous. A contrario, une fois les préférences collectives (celles qui
influencent la norme sociale) connues par les individus, leurs comportements diffèrent.
207
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Par exemple, dès que le groupe rejette une hausse des contrôles, le niveau de conformité
baisse, car si les individus refusent le contrôle c’est qu’ils auront une tendance à l’évasion
fiscale.

Cette étude montre également que la communication avant le vote entre les individus modifie
la norme sociale. En effet, le groupe qui avait précédemment choisi de ne pas renforcer la
règle fiscale, se voit ici victime d’une répression plus forte, si bien que l’on peut également
conclure que le dialogue modifie la norme sociale de conformité. En vérité, les individus
prennent en considération dans leurs décisions de vote l’avis des autres au regard des
conséquences sociales de leurs propres choix, c'est-à-dire que le critère de choix s’appuie sur
la manière dont les individus perçoivent, collectivement, le surplus de biens publics mis en
circulation. Bien que cette étude ne conclue pas de manière tranchée sur les diverses
interprétations à donner à cette expérimentation, elle permet tout de même de fournir une
preuve expérimentale que la conformité des comportements individuels est influencée par des
paramètres culturels et historiques. Par conséquent, les comportements de fraude et d’évasion
fiscale sont influencés par des facteurs autres qu’économiques, de type sociétaux (morale,
motivation personnelle, coût moral).

Cette partie a donc pu démontrer que contrairement à la méthode de le TTO, il est important
de distinguer un ensemble de paramètres institutionnel pour décrire la réaction des agents
économiques face à un changement fiscal. La prise en compte d’un ensemble de paramètres
d’optimisation et l’influence des normes sociales est nécessaire pour proposer des
prescriptions sur le système fiscal le plus adapté en fonction des spécificités de chaque pays.
Pourtant, malgré l’intérêt de l’approche que nous venons de décrire, l’analyse
institutionnaliste des systèmes fiscaux ne possède pas la même aura que la TTO sur le plan
académique.
208
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

4. Les limites du point de vue de la prise en compte des effets


macroéconomiques de la politique fiscale

La filiation des modèles de TTO est erronée avec l’œuvre de Musgrave. Cela s’explique par
une incompatibilité théorique qui n’est pas en mesure de concilier ces deux approches (4.1).
Le département stabilisation est donc absent du corpus théorique de la TTO mais des
tentatives d’intégration de cette fonction ont été effectuées dans un ouvrage collectif paru en
1994 (4.2). Ces tentatives échouent dans leur capacité à décrire un système fiscal optimale
capable de prendre en compte les trois fonctions de l’Etat dépeintes par Musgrave.

En effet, la primauté des effets d’offre et la faible place accordée à la politique budgétaire
réduit la capacité de la TTO à décrire et prendre ne compte les aspects macroéconomiques de
la politique fiscale. La TTO tente cependant de définir les contours de l’intervention publique
(4.3), mais le point de vue de ses théoriciens supposent des implications théoriques
importantes quant à la place de l’Etat dans l’économie (4.4).

4.1. L’absence du département stabilisation

La non prise en compte de la fonction de stabilisation de l’Etat par la TTO s’explique par une
approche différente du principe de stabilisation entre ces auteurs et Musgrave (4.1.1). Ensuite,
cet « oubli » résulte de limites méthodologiques quant à l’application d’une analyse macro-
économique dans le cadre théorique de la TTO (4.1.2).

4.1.1. Une définition différente du principe de stabilisation

Nous avons déjà, dans la partie précédente la critique émise par Slemrod (1990), selon
laquelle, l’approche par la taxation optimale serait « incomplète » pour guider les choix des
décideurs publics en matière de politique fiscale car elle omettrait le fait que la taxation
correspond à un système de collecte de revenus sous la contrainte d’individus qui tendent à y
résister64. Elle serait également incomplète en raison des coûts de collecte découlant de la
nature coercitive de l’impôt.

64
Voir également les critiques d’Alm (1996) et Koleva, Monnier (2009).
209
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Un autre type de critique faite dans la deuxième partie de ce chapitre a relativisé la filiation
revendiquée par les théoriciens avec la typologie de Musgrave. L’allocation des ressources et
la redistribution des revenus sont deux thèmes traités jusque-là par la TTO. Par conséquent, si
ces deux fonctions sont interdépendantes avec la stabilisation comme le soutient Musgrave, et
si, comme le souligne Diamond, les travaux de la taxation optimale sont une formulation en
équilibre général de l’ouvrage de 1959 de Musgrave, alors la TTO devrait également prendre
en compte le critère de "stabilisation" pour sélectionner les meilleurs instruments fiscaux.
Rappelons que plus de deux cents pages sont consacrées à la fonction macroéconomique de
l’Etat dans l’ouvrage de Musgrave.

De plus, pour ce dernier, la première responsabilité de la politique macroéconomique est


constituée de la politique budgétaire (Musgrave, 1999). Le déficit ou l’excédent budgétaire a
un impact sur la demande agrégée, les outputs, l’emploi et l’inflation. Les effets de la
politique budgétaire ne sont pas neutres quant à l’évolution future de la fiscalité. Ainsi, les
dépenses expansionnistes doivent être comprises comme une augmentation des dépenses ou
comme une réduction des impôts permettant de modifier la structure de la consommation ou
des investissements. Il est également possible d'agir dans un but redistributif par une taxation
plus équitable en assurant un système fiscal plus redistributif. Par conséquent, on peut
aisément penser qu’une variation des taux d'imposition modifiera l’équilibre général des
modèles de taxation optimale, si ces derniers prennent en compte l’impact macroéconomique
de ces modifications. En effet, comme le souligne Musgrave, "Il n’existe pas un ensemble de
principes simples, ni aucune règle uniforme de comportement normatif qui puissent être
appliqués pour conduire l’économie publique. Nous sommes plutôt confrontés à un certain
nombre de fonctions, bien que corrélées, qui requièrent des solutions distinctes." (1959, p. 5).
Pour cet auteur, il s’agissait donc d’analyser dans la sphère de l’économie publique chacun de
ces objectifs, bien qu'ils puissent parfois être opposés. La principale difficulté pour les
théoriciens de la taxation optimale est alors de pouvoir étudier dans un seul et même corpus
théorique l’ensemble de ces objectifs.
210
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

4.1.2. Les explications de l’absence de la « stabilisation »

Le rejet de la "stabilisation" dans le corpus théorique de la taxation optimale s’explique pour


deux raisons d’après Arnott (1994):

La première raison est due à la difficulté d’expliquer des faits macroéconomiques sans pour
autant déplacer la méthodologie de la maximisation, qui permet une analyse des systèmes
fiscaux en fonction du critère d’optimalité. En effet, pour Blanchard et Fischer (1989),
"Evaluer la fonction de bien-être social à part entière, qui dépend également des services
publics actuels et des futurs membres de la société, en vertu de politiques alternatives, devient
rapidement analytiquement impossible. Ainsi, nous avons souvent relié cela dans une simple
fonction macroéconomique, la fonction de bien être sociale agrégée, définie directement à
partir de quelques variables macroéconomiques telles que la production, le chômage,
l’inflation, ou le profit actualisé". Il s’agit donc de savoir comment réagit le marché à
différentes politiques en matière d'impôts ou de dépenses, afin de choisir celle qui donnera le
résultat optimal. Cette difficulté illustre, pour Mirrlees (1994), le faible intérêt des théoriciens
de la taxation optimale pour la macroéconomie. Cet intérêt est d’autant plus faible selon lui,
que la perspective normative de la taxation optimale se heurte à la difficulté de trouver des
spécifications numériques robustes sur les variables macroéconomiques que sont le taux
d’inflation ou le niveau de la production65.

La deuxième raison renvoie à la volonté de construire les modèles sur la base de


comportements microfondés, ce qui à l’époque était inconciliable avec la macroéconomie
keynésienne proche de Musgrave. Depuis le renversement opéré dans les années 1970, la
distinction micro-macro semblerait moins délicate et il serait possible d’intégrer le
département "stabilisation" dans les modèles de taxation optimale (Arnott, 1994). Dans les
développements qui suivent, sont présentés les amendements proposés par les principaux
protagonistes de la théorie de la TTO66 à leur modèle de référence, en y intégrant des chocs
exogènes susceptibles de justifier la fonction stabilisatrice de l’Etat.

65
Taux d'inflation ou les variations de ce taux? Chômage involontaire ou non? Si oui, dans quelles proportions?
66
Notamment Diamond et Mirrlees.
211
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Leur objectif est d'étendre le champ de la taxation optimale à des considérations


macroéconomiques et d’intervention publique.

4.2. Les tentatives d’intégration d’un département stabilisation

Dans un ouvrage collectif paru en 1994, Modern Public Finance, trois éminents représentants
de la théorie de la taxation optimale (Arnott, Diamond, Mirrlees) offrent une première
ébauche théorique de l’introduction du système fiscal à des fins conjoncturelles. L’intégration
de la fonction de stabilisation de l’économie se présente sous une forme équivalente à celle
précédemment employée dans la taxation optimale, en ce qu'elle respecte le principe de
maximisation analytique d’une fonction "macroéconomique" de bien-être. Il en découle les
premières ébauches théoriques d'une modélisation du système fiscal à des fins conjoncturelles
mais qui vise principalement à répondre aux défaillances de marché (4.2.1) ce qui circoncit le
principe de stabilisation à un cadre limités de problèmes macroéconomiques (4.2.2).

4.2.1. Le département de stabilisation vise à répondre aux


défaillances de marché

Lorsque les auteurs admettent la nécessité d’une fonction de stabilisation dans l’économie,
c’est qu’ils réfutent que le marché et les interactions entre les individus permettent d’atteindre
un optimum. Pour que la méthodologie respecte les principes d’analyses de la taxation
optimale, la justification d’une intervention étatique dans le but de stabiliser l’économie doit
être microfondée. Il s’agit d’expliquer les défaillances du marché et les bienfaits de
l’intervention publique. Certains économistes admettent que les modèles en équilibre général
ont du mal à expliquer les importantes fluctuations de l’économie car elles ne peuvent
uniquement être expliquées par une réponse des comportements des agents face à ces chocs
(Arnott, 1994, Solow, 2002). Il existe en effet de nombreuses théories qui tentent d’expliquer
comment l’interaction d’individus rationnels est capable d’éloigner la solution de marché de
son optimum en créant une défaillance de marché. Ces théories sont de différents ordres :
rigidités dans la fixation des salaires (Benassy, 1985), salaire d’efficience (Shapiro-Stiglitz,
1984), contrat implicite (Arnott, Hosios, Stiglitz, 1988).
212
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Pour sa part, Arnott (1994) aborde la fonction de stabilisation de l’Etat à partir de la


métaphore d'une économie agricole, comme une réponse à un problème d’assurance.

Le modèle d’Arnott (1994) : Incertitude face aux aléas météorologiques

Arnott décrit une économie agricole où le montant de la récolte dépend de l’effort des
agriculteurs et de l’état de la météo qui n’est pas le même suivant la localisation des fermes.
Pour éviter les désagréments et pallier au retard des récoltes, les fermiers ont la possibilité de
souscrire à une « assurance-récolte ». Le problème, c’est qu’en présence de cette assurance,
les agriculteurs auront tendance à diminuer leur effort de récolte ce qui tend, du point de vue
du modèle, à réduire la production globale et à augmenter la variabilité de la production,
provoquant en fin de cycle l’instabilité du modèle.

L’inefficience est donc liée à un problème « d’aléa moral67 » pouvant être résorbée, d’après
Arnott, par la taxation optimale en subventionnant une partie de la récolte.

Comme la plupart des modèles macroéconomiques standards, l’économie est composée


d’individus identiques, les fermiers. Un seul « bien » est produit : la récolte. La production
dépend de l’effort et du temps. Son niveau est soit élevé ( h ), soit faible ( l ), en sachant que
cet effort est connu avant la météo. Le contrat d’assurance optimale est obtenu par application
du modèle d’aléa moral. Le contrat d’assurance mis en place par le gouvernement ou les
sociétés privées d’assurance doit maximiser l’utilité agrégée pour chaque niveau de récolte en
fonction du gain net et de la prime d’assurance. Ces deux paramètres étant dépendants de
l’état du temps i .

Face à cet « aléa moral », il ressort en premier lieu qu’un système d’assurance peut
déstabiliser davantage l’économie au lieu de le stabiliser. En deuxième lieu, l’auteur introduit
la fonction « stabilisatrice » de la politique fiscale en agrémentant le modèle d’un cadre à
plusieurs biens. L’équilibre de second rang de l’économie avec un système d’assurance sous
l’hypothèse d’un « aléa moral » entraine une diminution de l’effort des paysans par rapport à
la solution de 1er rang.

67
Le problème de “l’aléa moral” contient les conditions suffisantes à une intégration d’un problème de
stabilisation dans la théorie de la taxation optimale : Incertitude et rigidités des prix qui affectent le bien-être des
individus.
213
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

La perte d’efficience due aux imperfections informationnelles peut être réduite en taxant les
produits se substituant à l’effort et en subventionnant les individus réalisant l’effort souhaité.
L’objectif du gouvernement est de choisir les paramètres du contrat d’assurance ainsi que les
prix à la consommation permettant de maximiser l’utilité attendue en respectant l’équilibre
budgétaire des comptes publics.

Il conclut de ce modèle que les inputs agricoles doivent être subventionnés ainsi que les biens
des consommateurs, c'est-à-dire l’ensemble des actifs qui sont liés à l’effort. Il déduit que le
produit taxation/prestation est désirable pour stimuler l’effort et réduire les effets indésirables
du manque informationnel. Arnott pense ainsi avoir montré l’utilité de la taxation optimale
dans le développement d’une théorie de la politique de stabilisation optimale.

Néanmoins ce modèle, n’est à ses yeux, qu’un projet de recherche qui mériterait qu’on y
introduise de la dynamique afin de rendre compte des faits stylisés tels que le chômage
involontaire ou encore la sensibilité de l’économie à des chocs exogènes. D’après lui, il
faudrait agrémenter ce modèle des intuitions des modèles inspirés de la tradition des « cycles
réels68 ».

Le modèle de Diamond : L’utilité des « Stabilisateurs automatiques » comme


réponse à des chocs exogènes

Toujours dans l’ouvrage de 1994, Diamond souhaite construire le principe de


stabilisation à partir de celui des "stabilisateurs automatiques" pour répondre à des chocs de
court terme. L’accent du modèle est mis sur les engagements de prix qui empêchent certaines
réallocations d’actifs après des chocs exogènes. Pour Musgrave, la stabilisation peut être
obtenue par une augmentation des taux d’imposition69, mais cela créée davantage de
distorsions dans l’économie. Diamond examine alors la question de savoir si la défaillance de
marché provient d’une augmentation des taux optimaux d’imposition plutôt que d’un
problème d’apurement des marchés. Pour étudier cette question, un nouvel élément est
introduit dans la modélisation : l’incertitude.

68
« To develop a satisfactory theory of stabilization optimal, it will be necessary to develop a satisfactory theory
of business cycles » (Arnott 1994, p.273).
69
"In his Theory, Musgrave models built-in stabilizers. Greater marginal tax rates lower the multiplier, making
the economy less sensitive to some shocks." (Diamond, 1994, P.239).
214
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Cette incertitude engendre une défaillance macroéconomique empêchant l’apurement des


marchés. La nature de la défaillance renvoie à la fixation des prix70 qui permet de justifier des
problèmes d’ajustement entre offre et demande.

Son modèle est constitué de deux continuums d’offreurs de deux biens x et y. Le premier
continuum est composé des offreurs du bien x ou chaque bien produit coûte c dans la fonction
d’utilité. Les décisions de production sont prises indépendamment de l’état de nature, ce qui
ne sera pas le cas pour l’autre continuum d’offreurs. Ce bien est vendu contre une quantité p
de bien y. On entrevoie ici l’approche primale des revenus et la condition d’implémentalité
nécessaire à la construction théorique des modèles de taxation optimale (Mirrelles 1971,
d’Autume 2001)

Enfin, l’élasticité de l’offre des offreurs x est infinie, ce qui permet de normaliser à zéro
l’utilité attendue de ces agents. Ainsi, on évite de prendre en compte ces offreurs dans le
calcul du bien-être, ce qui permet d’assimiler ces offreurs aux travailleurs qui consommeront
les biens y, la variable p pouvant alors être considérée comme le salaire réel.

L’autre continuum est composé d’offreurs du bien y. Deux états de nature sont possibles. Si
les offreurs n’exercent pas d’efforts, ils produiront un niveau de production égal à y quel que
soit l’état de nature. Cet effort dépend de la probabilité . Si par contre l’offreur exerce un
effort, avec une probabilité égale à ’ alors le niveau de production atteint y’. Cet effort a un
coût c dans la fonction d’utilité. On a donc y < y’.

L’objectif de stabilisation de l’Etat est d’encourager tous les producteurs à produire un niveau
y’ car cela permet d’atteindre un degré plus élevé de bien-être. L’Etat fournit une prime pour
encourager l’effort et atteindre le bon niveau de production. C’est donc un problème
d’incitation que Diamond décrit. Si un seul offreur dévie de son effort optimal, il est supposé
que l’Etat distribue une prime z dans le bon état plutôt que z '. Dans le cas où on se situerait
dans le mauvais état de nature, l’Etat acquittera d’une prime z’ plutôt que z.

70
Supposés nominaux et rigides.
215
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Par conséquent le niveau de z doit être assez faible par rapport à z 'pour les offreurs qui font
l’effort e lorsqu’on est dans le bon état de nature71.

Le calcul du montant de la prime dépend d’une part des décisions des offreurs-
consommateurs de x qui choisissent le niveau de la production de façon ex-ante72, et d’autre
part des offreurs de y qui produisent en fonction de la consommation du bien x et de l’état de
nature.

Pour clore son modèle, Diamond définit les contours d’une politique de stabilisation en
présence d’incertitude en comparant le programme de maximisation dans le cas de prix
flexibles à une situation où les prix sont rigides73. L’auteur conclu que dans un modèle où les
prix sont rigides, le besoin d’assurance s’accroit.

Il reste donc ici en accord avec l'intuition initiale de Musgrave, selon laquelle la stabilisation
de l’économie peut être obtenue par une augmentation des taux d’imposition. Par conséquent,
stabiliser l’économie aura tendance à augmenter les taux marginaux d’imposition, ce qui par
contre, risque de jouer à l’encontre du critère d’efficacité. Cependant, en acceptant l’utilité du
département de "stabilisation" dans une économie de marché, les économistes de la TTO
admettent implicitement que l’intervention publique ne permet pas d’atteindre l’optimum qui
prévaudrait lorsque le libre jeu des marchés est effectif.

4.2.2. Remarques sur l’application du principe de stabilisation


dans ce cadre

Arnott justifie l’intervention de l’Etat par des questions de déficit informationnel dans une
économie agricole. L’utilisation de cette "métaphore" réduit considérablement l’utilité de la
fonction de stabilisation.

71
C'est-à-dire qu’on produit une quantité y’.
72
Qui ne dépend pas de l’état de nature.
73
C'est-à-dire l’hypothèse que les offreurs du bien x peuvent fixer un prix du bien avant que l’état de nature ne
se soit réalisé.
216
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Le champ de l'intervention de l’Etat se réduit donc à lutter contre les "chocs" climatiques par
le calcul d’un montant d’assurance. Le fait d’introduire la stabilisation par l’intermédiaire de
problèmes d’asymétrie d’information renvoie clairement au point de vue selon lequel
l’intervention de l’Etat est fonction de la situation du marché, car son intervention est
uniquement corrélée aux défaillances de ce dernier. Une des principales difficultés consiste
donc à définir et justifier ces défaillances car il peut s’agir d’asymétrie d’information, de
rigidités sur la fixation des prix, de contrôle de l’inflation, ou d'un déficit d’investissement.

La plupart de ces limites aux forces de marché ne peuvent pas être contrecarrées par une seule
et unique solution mais par une réponse bien distincte à chaque type de problème.
L’introduction d’un nombre supérieur d’externalités ou de défaillances de marché risque de
complexifier la résolution des modèles, ce qui amène les théoriciens à sélectionner des
objectifs bien particuliers pour la stabilisation. Mais Blanchard et Fischer (1989) ont déjà
montré que la prise en compte de l'ensemble des effets macroéconomiques d'une réforme
fiscale, est impossible dans le cadre de la TTO, si on en accepte la méthodologie. Pourtant,
cela n’empêche pas les théoriciens de la TTO de faire des prescriptions d’ordre normatif grâce
aux résultats de leur théorie sur la teneur d’une politique fiscale optimale.

A cela s’ajoute le fait que les conséquences de telle ou telle mesure sur l’optimum peuvent
être contradictoires, comme l’a souligné l’étude des interdépendances entre les fonctions de
l’Etat au cours de la deuxième section de ce chapitre.

L'analyse de ces modèles remet donc en cause le lien de filiation entre les modèles de taxation
optimale et les fonctions de l’Etat décrites par Musgrave. La stabilisation en faisait partie,
mais selon lui, cette notion désignait des politiques économiques visant à répondre à une
insuffisance de la demande ou bien à lutter contre de fortes variations de prix (Musgrave,
1994). Le point de vue de Musgrave sur la politique de stabilisation s’inscrit donc dans le
cadre de marchés en déséquilibre où une intervention étatique est nécessaire dans une optique
de "catalyseur" de croissance.

Arnott souligne que l'insistance de la nouvelle économie publique sur le caractère rigoureux
des micro-fondations de la TTO n'est pas conciliable avec la macroéconomie keynésienne à
laquelle se rattache Musgrave (p. 265-266).
217
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

En conséquence, l'intervention de l'Etat vise principalement à répondre aux défaillances de


marché, ce qui réduit la prise en compte des dimensions de la stabilisation. C'est la raison
pour laquelle rien ne garantit que la stabilisation au sens d'Arnott permette d’atteindre un
sentier optimal de croissance. En outre, si la stabilisation ne recouvre qu’une infime partie du
domaine d’intervention généralement attaché à l’Etat, cela provient du fait que sans « aléa
moral » les marchés seraient en équilibre, la stabilisation ayant plutôt tendance à l'éloigner de
son optimum. Le rapprochement de la TTO avec les intuitions des modèles des nouveaux
classiques n’amènent pas les théoriciens à se poser les questions de l’incidence fiscale au
niveau macroéconomique (Beleau, 2013). Ainsi, pour Arnott (1994), il serait possible
d’adjoindre à son modèle les intuitions de la théorie des « cycles réels », afin de rendre
compte de la dimension temporelle des chocs exogènes.

Le modèle de Diamond tente d’appréhender un problème d’ajustement entre offre et demande


découlant d’une rigidité des prix. Dans sa modélisation des "stabilisateurs automatiques", il
considère malgré les difficultés théoriques, que la taxation optimale est pertinente dans le
cadre d’une politique de stabilisation.

Dans les modèles standards, la demande est représentée par l’intermédiaire d’un
consommateur représentatif suivant un schéma intertemporel optimal de consommation pour
des marchés apurés. Dans ce cas, il est présumé qu’il n’y a pas besoin de stabiliser l’économie
puisqu’à chaque période le niveau privé de la demande est supposé égal au montant de la
production. Chez Diamond, l’objectif de l’Etat est avant tout de garantir un niveau de prime
suffisant pour que les producteurs effectuent l’effort nécessaire permettant à l’offre et à la
demande de s’équilibrer. Ainsi, la place accordée à une situation d’insuffisance de la demande
est faible puisque les agents anticipent la production future (selon le schéma intertemporel de
consommation) assurant l’équilibre sur le marché des biens. L’utilisation d’un consommateur
représentatif dans le modèle permet d’agréger les comportements microéconomiques dans une
perspective macroéconomique. Mais elle conduit à négliger les écarts dans la situation des
consommateurs qui peuvent être pertinents du point de vue de la stabilisation. C'est par
exemple le cas des différences dans les taux d’endettement selon les déciles de revenus, ou
encore de propensions à consommer distinctes entre les niveaux de revenu.
218
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

On en vient finalement ainsi à s'interroger sur les conséquences de la politique fiscale quand
le niveau de la demande est faible.

Finalement, l'introduction de la fonction de stabilisation au sein de la TTO se trouve tout


d'abord confrontée aux limites que constituent l'impossibilité de réconcilier micro-fondations
rigoureuses et tradition macroéconomique keynésienne. Elle rencontre également
l'impossibilité d'adjoindre les intuitions de la théorie du "cycle réel" sans réduire la
stabilisation à des défaillances de marché. En particulier, ce cadre théorique ne laisse pas
place à une action sur la demande (Hénin, Ralle, 1993). Plus généralement, les modèles de
"cycle réel" prennent en compte de manière très limitée les facteurs de la croissance (Hairault,
1992). A cet égard, comme le montre la section 3 de cette partie, Diamond et Mirrlees
expriment des réserves quant aux bénéfices de l'intervention étatique.

4.3. Politique de stabilisation optimale et intervention


publique (TSO)

Dans les deux modèles présentés ci-dessus, nous avons pu étudier comment les théoriciens de
la TTO justifiaient l’intervention de l’Etat à des fins de "stabilisation". Il est dorénavant
intéressant d’analyser de manière approfondie ce que peut-nous apprendre la TTO sur les
contours de l’intervention publique dans le cas de l’évaluation du coût social de l’intervention
publique (4.3.1) ou du rôle des emplois publics (4.3.2).

4.3.1. Mirrlees (1994) et l’évaluation du « coût social » de


l’intervention publique

L’objectif de Mirrlees dans son modèle de "stabilisation optimale" est de rendre compte du
"coût social" des politiques publiques. Lorsqu’il parle de "coût" il désigne les distorsions
qu’induit l’introduction d’une taxe, nécessaire au financement des dépenses publiques. Pour
étayer cette idée, il reprend l’exemple de l’inflation et des difficultés de mesurer son coût pour
la société. Il estime que l’augmentation des prix nuit aux anticipations et baisse la valeur des
encaisses réelles.
219
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Ce coût social de l’inflation ne peut être entièrement dérivé d’une fonction de bien-être.
L’élément incertain chez Mirrlees a trait aux effets et aux coûts induits par l’intervention
publique par l’intermédiaire de la politique fiscale et des dépenses publiques. La question
principale de son modèle est d’évaluer le coût social d’une augmentation des impôts
consécutive à ce déséquilibre pour financer de nouveaux investissements publics. Il est à
signaler que l’utilité sociale de ces nouveaux investissements n’est pas étudiée ici.

Son modèle se présente sous la forme d’un équilibre général avec impôts. Mirrlees considère
un système de taxe et de transferts proportionnel à la consommation ou à la production des
divers biens, ayant les propriétés incitatives courantes74. La fonction de bien être à maximiser
est de forme additive, pour des raisons de simplicité. Les dépenses publiques s’apparentent
aux biens publics, sans distinction particulière entre les différents aspects de la dépense
publique (investissement, transports, distribution de prestations sociales…).

L’utilité des ménages est une fonction du vecteur des prix à la consommation, du revenu
forfaitaire et des biens publics. Le programme est résolu en maximisant l’utilité des ménages
sous la contrainte que le niveau de la demande nette soit au même niveau que la frontière des
possibilités de production (sans rendements d’échelle) dépendant du vecteur de la production
agrégé et de la consommation privée.

Mirrlees innove en supposant que les taux d’imposition nominaux, les transferts forfaitaires
nominaux et les dépenses réelles du gouvernement, sont déterminés ex-ante dans un
environnement statique et incertain. Cela pose deux problèmes. D’une part, le niveau des prix
est inconnu lorsque que les taux d’impositions sont fixés ex-ante. Ensuite, il semble
impossible de financer un niveau prédéterminé de dépenses réelles du gouvernement,
puisqu’il est difficile de savoir si le niveau des dépenses correspond à la somme des recettes
obtenues par les taux d’imposition ex-ante et au montant des transferts forfaitaires. En fait,
pour Mirrlees, l’équilibre budgétaire du gouvernement implique l’égalité entre l’offre et la
demande sur tous les marchés. Or, il subsiste un élément d'incertitude quant à l’équilibre entre
dépenses et recettes du gouvernement.

74
C'est-à-dire permettant de discriminer les individus en fonction de leurs caractéristiques inobservables, Voir
Mirrlees (1971), Diamond (1998) ou D'Autume (2001).
220
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Cette incertitude porte sur l’état de nature de l’économie. Par conséquent, lorsqu’il y a un
changement dans les variables de la politique économique, cela influence l’ensemble des
comportements des agents. Cependant, l’effet sur le bien être des individus est difficilement
mesurable, car dans le cas d’une fixation ex-ante des dépenses et des recettes, le revenu des
individus devient indéterminé.

Finalement, l’auteur conclu: "nous avons trouvé ici dans l’analyse microéconomique de la
taxation optimale quelques aspects de problèmes macroéconomiques liés à la fonction de
stabilisation. La maximisation du bien-être n’est pas dans ces cas, une manière satisfaisante
d’analyser les implications politiques dans ce contexte" (p. 222). Une conclusion en forme
d’aveu sur les limites méthodologiques de la théorie de la taxation optimale. Il semblerait
donc difficile de comparer différents processus d’ajustement et de stabilisation à partir de leur
impact sur le bien-être dans le cadre de l’optimisation des choix individuels (Beleau, 2013).

4.3.2. Diamond (1994) : Le cas des emplois publics

Mirrlees a déjà montré les difficultés de l'évaluation de l’impact d’un changement des
variables macroéconomiques sur le bien-être. La pluralité des problèmes auxquels l’économie
est confrontée face à un choc accroit le risque de déplacer la méthodologie de la taxation
optimale vers d’autres voies ou pistes de recherches pouvant directement remettre en cause
l’utilisation de la théorie de l’équilibre général. Break et Pechman (1975) ont résumé les
différents aspects pris par la politique fiscale : « Indépendamment de ce qui tend à favoriser la
neutralité passive (équivalence ricardienne ou l'optimisation active) comme but approprié
d'un bon système fiscal, la nature et la taille de ses effets sur la répartition des ressources
sont également des aspects importants de son exécution. ». L’étude des fonctions d’allocation,
de distribution et de stabilisation est difficile à mettre en œuvre dans un seul et même modèle,
car il faut considérer des cas bien précis et délimités du domaine d’intervention de l’Etat
(Musgrave, 1999), sans que les objectifs de chaque département ne soient remis en cause.

Les théoriciens de la taxation optimale issus du courant welfariste ont toujours privilégié
l’analyse des barèmes d'imposition sous la forme d’un arbitrage entre équité et efficacité.
221
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

En effet, la prise en compte d’un troisième critère dans la définition d’un système fiscal
optimal risque d’entrainer des effets contradictoires. Par conséquent, les théoriciens ne
peuvent pas se permettre de modifier totalement le mode d’analyse leur faisant rejeter
l’utilisation du modèle d’équilibre général 75.

Pour éviter un déplacement méthodologique, certains théoriciens comme Diamond (1994) ont
tenté d’établir les règles d’un nouvel arbitrage afin de revenir à la problématique originelle
des modèles de taxation optimale. Pour se faire, il établit une analogie entre la fonction de
redistribution et la stabilisation76. Pour Diamond, il est certes possible de définir un critère
stable d’efficacité, mais il semble impossible de redistribuer parfaitement le revenu et
conserver l’efficacité du système, tout comme il serait impossible de garantir une efficacité
optimale du système avec une stabilisation optimale.

Par conséquent, puisque la prise en compte de la redistribution ou de la stabilisation rend


impossible l’efficacité optimale du système, il serait possible de remplacer le critère d’équité
par celui de la stabilité en établissant une analogie entre ces deux notions. La fonction de
redistribution serait donc écartée pour poser le problème de l’arbitrage entre efficacité et
stabilisation. Ainsi, par cette "astuce", Diamond rendrait possible l’intégration de la fonction
de stabilisation dans le corpus théorique et méthodologique de la théorie de la taxation
optimale.

L'analogie entre "redistribution" et "stabilisation", est obtenue en reprenant une hypothèse


tirée du modèle de Haveman et Krutilla (1967) où le gouvernement finance un certain nombre
d’actifs pouvant influencer directement ou indirectement les quantités de travail. L’allocation
de ces actifs varie en fonction du taux de chômage. Leur modèle permet d’évaluer la valeur
des actifs à financer en fonction de chaque état de nature. Ils montrent qu’il est impossible de
stabiliser l’économie parfaitement, car cela aurait des répercussions sur les règles d’allocation.
Cet exemple permet à Diamond d’envisager un retour à une certaine forme d’arbitrage entre
allocation et stabilisation tout comme dans le modèle de Mirrlees (1971) qui considérait un
arbitrage entre efficacité et équité.
75
"The purist welfare-economics approach to public economics cannot easily accept this pluralist method."
(Mirrlees, 1994, p. 214).
76
"I address the way in which development of the micro foundations of macro can lead to a similar integration of
the Stabilization and Allocation branches." (Diamond, 1994, p.232).
222
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Diamond part d’un modèle du marché du travail d’appariement (Diamond 1982). Il tente de
trouver de quelle manière le taux de chômage affecte l’évolution des politiques fiscales et
comment cette évolution peut être calculée dans le cas d’une période de faible taux d’emploi.
Avec un modèle d’appariement on peut voir comment un équilibre de sous-emploi répond à la
création d’emplois publics. Par extension, ce qui intéresse Diamond, c’est de savoir comment
répond la création de biens privés à la production de biens publics. Le niveau de biens privés
est connu après "stabilisation optimale" et les biens publics sont assimilés aux emplois
publics. Cette dernière hypothèse permet de revenir à une question d’efficacité et d’arbitrage,
puisque l’allocation optimale entre les emplois privés ou publics est influencée par le niveau
de biens publics produit en fonction de la stabilisation voulue. Notons que Diamond soutient
qu’un même bien produit par le secteur public est moins efficace que s’il avait été produit par
le secteur privé.

À l’équilibre du marché du travail, la fonction d’appariement sur chaque type de marché


permet d’obtenir le nombre d’emplois privés et publics pourvus. La fonction de bien-être
social correspond à une fonction d’utilité additive, dont le niveau de désutilité est équivalent
entre travailler ou chercher un emploi. Ensuite, l’auteur suppose que l’investissement
nécessaire pour créer un emploi public coûte dans la fonction de désutilité. Ce coût doit
s’équilibrer avec la valeur actualisée du changement induit dans la consommation des biens
privés ou publics lors de l’acceptation d’un emploi. Ce qui intéresse l’auteur est d’étudier
comment cet équilibre varie en fonction du nombre d’emplois.

L’arbitrage optimal entre emplois privés et emplois publics dépend des hypothèses sur la
forme des fonctions d’utilités ainsi que de la nature de la fonction d’appariement. Diamond
retient deux cas précis :

- Le premier, où les fonctions d’utilités sont linéaires avec des coefficients égaux
pour chaque type d’emploi. L’arbitrage optimal entre les deux types d’emplois est
alors obtenu facilement en fonction des postes vacants dans chaque secteur.
- Le deuxième, où les fonctions d’utilité sont de type logarithmique et où la fonction
d’utilité reflète une préférence des travailleurs pour les emplois privés. Il est
également admis qu’un individu acceptera un emploi public s’il s’est vu refuser un
emploi dans le privé.
223
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Ces deux hypothèses, au-delà du fait qu’elles introduisent une asymétrie dans l’appariement,
ne sont pas anodines. Elles sont en fait le reflet de présupposés visant à mettre en doute
l’efficacité des emplois publics. Ainsi, les emplois publics n’interfèrent pas directement sur le
nombre d’emplois vacants dans le privé, mais par contre ils agissent positivement sur le
nombre d’emplois.

Les résultats de cette tentative de nouvel arbitrage ne sont pas pour autant concluants.
Diamond admet que concilier les fonctions de stabilisation et d’allocation est difficile, car
lorsque le niveau de biens publics influence le taux de chômage d’équilibre et le niveau
d’emplois publics, alors une question d’efficacité se pose dans l’allocation de la main d’œuvre
entre les emplois privés et publics. Néanmoins cette question de l’efficacité est fortement
corrélée à celle de la stabilité de l’économie dans une période prolongée de faible demande de
travail privé.

Le compromis obtenu dépendra, dans cette configuration, de la fonction d’appariement


sélectionnée qui affecte le niveau de la production des biens privés et publics, dans la mesure
où elle évalue combien d’emplois publics sont créés au détriment des emplois privés. Il est
pourtant difficile de voir ce qui empêcherait les individus de préférer un emploi public à un
emploi privé, mais dans ce cas la question du compromis entre ces deux formes d’emplois ne
se poserait pas. L’auteur a donc stipulé de façon ex-ante que la préférence des travailleurs est
dirigée vers le secteur privé.

4.4. Implications théoriques sur le rôle et la place de l’Etat

Les deux derniers modèles de "stabilisation optimale" étudiés apportent quelques pistes de
compréhension sur la vision et les apports d’une intervention de la puissance publique dans
l’économie à partir de la théorie de la taxation optimale.

Chez Mirrlees, la simplification selon laquelle les dépenses gouvernementales s’apparentent


aux biens publics traduit une vision réduite de l’intervention étatique. On fait comme si une
revalorisation des transferts sociaux est un bien public, alors qu’il pourrait tout simplement
s’agir d’une augmentation du budget du ministère des affaires sociales dans l’objectif
d’augmenter la consommation des classes populaires.
224
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Est-ce que cela correspond à la définition couramment admise en économie d’un bien public
qui stipule la non-rivalité et la non-exclusion77 ?

En fait associer dépenses publiques et biens publics permet justement de ne pas prendre en
compte les canaux de transmission de la relance budgétaire que sont la consommation ou
l’investissement, mais cela simplifie la résolution du modèle et permet de se concentrer sur les
effets négatifs des dépenses publiques qui affectent l’utilité des ménages 78 par l’intermédiaire
de leur plan de consommation intertemporel. Il n’est pas non plus question dans ce modèle
des effets des dépenses publiques sur les recettes fiscales.

En effet, si un gouvernement décide d’investir dans des biens publics 79, c’est qu’il attend en
retour un impact plus ou moins favorable sur la croissance. Par conséquent, si la production
augmente, ce sont également les recettes fiscales qui augmenteront car ces dernières sont pro
cycliques (Halliassos, Tobin, 1990). Pour autant, l’auteur n’a pas pris en compte les
contreparties des dépenses publiques telles que l’investissement dans les transports, dans la
recherche, l’innovation ou encore la redistribution sous la forme des prestations sociales.
L’ensemble de ces éléments sont appelés à modifier le calcul des agents et à influer sur leur
niveau de bien-être. Or, si Mirrlees souhaitait effectivement évaluer le "coût social" de
l’intervention publique, il aurait été aussi nécessaire d’évaluer l’influence des biens publics
sur le bien-être, de manière à obtenir un équilibre comptable entre entrées et sorties de
revenus et assurer le bouclage macroéconomique de ce modèle. La place de l’Etat dans
l’économie est donc restreinte en raison de la primauté accordée au marché, comme si
l’activité du secteur public était séparée de l’économie.

Dans leur article Halliassos et Tobin (1990), estime au contraire que les budgets des
gouvernements sont en partie endogènes, car les recettes obtenues dépendent de la base
taxable, qui varie avec l’état de l’économie. On peut donc juste définir les règles de
recouvrement de l’impôt ex-ante, mais on ne peut pas mesurer les recettes fiscales en fonction
du même principe comme le soutenait Mirlees. De la même manière le déficit budgétaire
possède également une part endogène.

77
Selon la définition de Samuelson (1954).
78
"We shall be dealing with public expenditure, and must take account explicitly of the way that public
expenditures affect utility." (Mirrlees, 1994, p.216).
79
En gardant la définition restreinte de Mirrlees.
225
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Les dépenses fiscales ou les réductions d’impôts sont des données inversement liées à
l’activité économique. La part exogène, elle, est justement liée au changement de législation
fiscale, mais n’a aucun rapport avec l’état de la conjoncture. Il n'y a donc pas de place dans la
TTO pour une évaluation des conséquences macroéconomiques de la politique fiscale. Ceci
est d’autant plus vrai si l’on admet que les divers taxes et transferts de revenus affectent les
décisions de consommation et que la consommation et l’épargne dépendent positivement du
revenu disponible après impôt. Cela implique, pour une variation pro cyclique des impôts
auxquels il faut déduire les transferts, que le multiplicateur fiscal soit plus ou moins grand en
fonction des paramètres. Il agit positivement en fonction des dettes fiscales, et négativement
en fonction des transferts de revenu.

Un multiplicateur plus petit limite les fluctuations causées par un choc exogène, ce qui
explique que les éléments de la politique fiscale permettant de limiter les fluctuations sont
appelés "stabilisateurs automatiques". La fonction de stabilisation est remplie si on accepte ce
point de vue.

Cette place réduite accordée aux leviers d’intervention publique se rencontre également dans
le modèle de Diamond. Une des hypothèses les plus fortes de son modèle concerne la manière
dont un individu acceptera ou non de pourvoir un emploi public. Ce choix est corrélé à
l’incapacité pour l’individu de pourvoir un emploi dans le privé. Sans cette hypothèse,
Diamond ne peut établir une règle de décision sous la forme d’un arbitrage entre allocation et
stabilisation, puisqu’il est sous-entendu que l’efficacité économique et fiscale dépend de la
part croissante des emplois privés dans l'économie ; et qu’au contraire la stabilisation est
obtenue par une augmentation des emplois publics. Quelle leçon retenir de cette hypothèse
ad-hoc ? Que les emplois privés sont jugés plus efficaces, au sens économique du terme, que
les emplois publics, car c’est par défaut qu’un individu choisira le public plutôt que le privé.
L’emploi public a donc un coût en termes d'utilité souligné par le paramètre. Pourtant rien
n’étaye dans le texte de Diamond une telle hypothèse. On pourrait tout autant penser qu’un
individu aura une préférence pour les emplois publics s’il est averse au risque, car ces emplois
sont supposés plus stables, surtout qu’en période de crise la stabilité est fortement recherchée.
226
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Le retour à une forme d'arbitrage entre "efficacité" et "stabilité" se fait au prix de cette
hypothèse simplificatrice. L’efficacité étant représentée par les emplois privés et la stabilité
par les emplois publics.

L’étude d’Alesina et al. (2002) appuie cette idée lorsqu’ils affirment que pour des agents
ricardiens80, la réduction de l’emploi public suite à une baisse des dépenses publiques,
couplée à la baisse anticipée de la taxation du travail, entraine une baisse des salaires, donc
une hausse des profits anticipés, ce qui favorise l’investissement. Pourtant, comme le souligne
Solow (2002), l’hypothèse d’équivalence ricardienne suppose de réfuter ou de nier un certain
nombre de comportements jugés extrêmement plausibles et quantitativement importants
(barrières à l’emprunt, confiance dans le Trésor, myopie des agents…).

Plus généralement, les auteurs postkeynésiens soutiennent que la politique fiscale ne peut être
efficace qui si l’on abandonne l’hypothèse d’équivalence ricardienne et la stricte rationalité
des individus (Courvisanos, Laramie et Mair, 2008). Dans cette situation, la politique
budgétaire agit favorablement sur la demande agrégée. La relance de l’économie par la
fiscalité ne peut s’effectuer, d’après le point de vue néoclassique, que par l’intermédiaire
d’une baisse des taux d’imposition plutôt que par une relance des dépenses budgétaires. Or,
de nombreuses études (Schclarek, 2004, Hjelm, 2002, Hemmin et al. 2002) ont démontré
qu’une augmentation des transferts publics est préférable d’un point de vue macroéconomique
à une réduction des taux d’imposition. La politique budgétaire et fiscale est ainsi fortement
défendue d’un point de vue keynésien comme nous le verrons dans le chapitre suivant, alors
que les approches « néoclassiques » défendent les mérites de la politique fiscale uniquement
qu’en termes de réduction des émissions de Co² (Stern, 2006).

Pour conclure, les tentatives d’intégrer un département « stabilisation » dans le corpus


théorique de la taxation optimale se heurte aux objectifs du département « allocation ». Les
théoriciens de la taxation optimale font de l’immixtion de l’Etat dans l’économie une
nécessité "malgré lui", car dans aucun modèle il n’a été montré un apport favorable de la
dépense publique (Beleau, 2013).

80
C'est-à-dire des individus qui consomment en fonction de leur revenu anticipé en tenant compte de la
contrainte budgétaire de l’Etat.
227
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

En effet, ni les contreparties, ni l’effet multiplicateur de la relance publique n’ont été pris en
compte, ce qui signifie que le bouclage macroéconomique n’est pas assuré dans ces modèles.
La théorie macroéconomique des politiques fiscales issue des travaux de la taxation optimale
ne nous apparait donc pas donner de résultat satisfaisant.

La dernière partie de ce chapitre nous permettra de décrire quels faits stylisés qui ne sont pas
pris en compte par la TTO, afin de brosser les contours d’une véritable théorie
macroéconomique de l’incidence fiscale.

5. L’approche hétérodoxe en réponse aux insuffisances de la théorie de


la taxation optimale.

Les nombreuses limites mises en avant dans la partie précédente ont démontré qu’un
changement paradigmique était nécessaire pour évaluer l’impact macroéconomique des
réformes fiscales. Ce point de vue suppose donc de repenser la prise en compte de ces effets
(5.1). La vision néoclassique d’une macroéconomie qui pourrait être fondées
microéconomiquement est une limite à cette évaluation (5.2).

La théorie postkeynésienne semble avoir quelques réponses à apporter à ces problèmes car
elle donne une place importante à l’intervention publique ainsi qu’à la répartition des revenus
(5.3).

5.1. Les difficultés méthodologiques de la taxation optimale d’un


point de vue de la prise en compte des effets macroéconomiques

Les résultats des tentatives d’intégrations de la fonction de stabilisation dans la TTO restent
assez décevants. Pour ces théoriciens, il s’agissait en premier lieu de définir et de justifier les
défaillances du marché. Il était donc nécessaire d’établir un consensus sur ces défaillances, car
il n’en existe aucun. Il peut s’agir d’asymétrie d’information, de rigidités sur la fixation des
prix, le contrôle de l’inflation, ou encore d’un déficit d’investissement. La plupart de ces
limites aux forces de marché ne peuvent pas être contrecarrées par une seule et unique
solution mais bien par une pluralité de réponses.
228
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Cette pluralité est difficile à mettre en œuvre dans le cadre très restrictif des modèles en
équilibre général dont les effets de telle ou telle mesure peuvent avoir des conséquences
contradictoires sur l’optimum. Pour cette raison, les modèles ont dû effectuer un certain
nombre de raccourcis et de simplifications dans leurs modélisations.

La solution qui consistait à établir un lien direct entre les fonctions d’allocation et de
stabilisation semble donc fragile, car leur degré d’intervention peut se chevaucher. Par
exemple, lorsque la fonction de stabilisation se focalise sur l’ajustement global du niveau de
la demande, elle se répercute sur l’équilibre budgétaire 81 de la branche « allocation » du
budget car il faudra financer davantage d’investissements en actifs pour une allocation des
ressources déjà établie. Par conséquent, une augmentation des dépenses dans la branche
« allocation » se fait au profit d’une baisse du déficit dans la branche de « stabilisation »
(Musgrave, 1997). La politique fiscale n’est donc pas neutre dès lors que l’on s’intéresse aux
interrelations pouvant exister entre les différentes fonctions allouées à l’Etat.

La plus grande difficulté est avant tout théorique, car dans un modèle « classique » de
demande, la consommation suit un schéma intertemporel optimal pour des marchés saturés.

Dans ce cas, il n’y aurait évidemment pas besoin de stabiliser l’économie puisqu’à chaque
période le niveau privé de la demande serait égale au montant de la production. Chez
Diamond, il y a une égalité supposé entre les achats et les ventes au moyen des prix.
L’objectif de l’Etat étant avant tout de garantir une prime suffisamment incitative pour que les
producteurs fasse l’effort nécessaire permettant au côté offre et demande de s’équilibrer.
Ainsi, la place accordée à une situation de demande faible est plus que minime puisque les
agents anticipent la production future (selon le schéma de consommation intertemporel).
L’utilisation d’un consommateur représentatif unique ne permet pas de tenir compte des
différences de taux d’endettement entre déciles de revenus. Ces niveaux de revenus supposent
des propensions à consommer différentes en fonction des catégories d’individus sélectionnés
et amène un débat d’une nouvelle teneur sur les conséquences économiques d’une réduction
de l’imposition sur certaines catégories de revenus.

81
En termes de couts-avantages
229
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Dans les modèles de taxation optimale du capital, les modèles supposent une taxation nulle
dans un horizon infini82 (Chamley, 1985). Une partie des facteurs influençant l’état de
l’économie n’est pas soumis à la taxation. On règle ainsi un certain nombre de problème sur
les distorsions que la taxation du capital suppose. Cependant, ce résultat suppose une nouvelle
fois un ensemble d’hypothèses restrictives. Les deux principales sont un horizon temporel
infini et des préférences séparables respectant les conditions mathématiques usuelles. Sous
ces hypothèses on obtient qu’il ne faut pas taxer le capital dans un horizon infini et qu’il est
optimal de taxer très fortement le capital installé, ce qui est incohérent du point de vue
temporel. De plus, les marchés financiers sont supposés parfait, c'est-à-dire sans asymétrie
d’information, ni de rationnement de crédit ou d’externalités. En présence de ces contraintes
le résultat est beaucoup moins robuste qu’en présence d’un consommateur unique qui n’a pas
accès au marché financier.

Comme nous l’avons vu, la simplification des hypothèses fait partie intégrante de la démarche
de la TTO. Par exemple, Diamond considère comme acquis, sans même le prouver, que la
stabilisation absorbe de façon plus rapide les chocs exogènes que les prix. Pourtant dans un
système économique à prix flexible, les fluctuations des prix sont censées, sous hypothèses
d’anticipations rationnelles ou adaptatives, refléter les fluctuations économiques.

Diamond évite les désagréments pouvant survenir lors d’une modification dans le transfert de
ressources entre deux états de nature. La stabilisation se limite à étudier l’impact économique
des transferts de ressources sans en percevoir les modalités de mises en œuvre.

Dans le modèle d’Haveman-Krutilla, dont s’est inspiré Diamond pour défendre l’idée d’un
« nouvel arbitrage » entre les critères d’efficacité et de stabilité, les auteurs assument que le
nombre d’actif produit par l’Etat dépend du taux de chômage83 et donc du taux de croissance
de l’économie. Or, il est couramment admis que le taux de croissance de l’économie et taux
de chômage ne sont pas forcément corrélés dès lors que la croissance du PIB provient
essentiellement des gains de productivité.

82
Les hypothèses de ce modèle ne sont pas explicitées dans ce chapitre mais les fondements théoriques sont les
mêmes que pour la TTO.
83
Car on crée des emplois publics pour répondre à une insuffisance de demande de travail privée.
230
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Dans ce cas, la productivité absorbe une part importante de la croissance au détriment de la


hausse de l’emploi et la relation taux de croissance-baisse du taux de chômage est beaucoup
moins robuste.

5.2. Une macroéconomie basée sur une vision néoclassique

Dans la section 2, nous avons mis l’accent sur la filiation supposée des modèles de taxation
optimale aux trois fonctions de l’Etat décrites par Musgrave. La stabilisation en faisait partie,
mais cette notion décrivait autant des politiques économiques visant à répondre à une
insuffisance de la demande qu’à lutter contre les fortes variations de prix. Or, ce point de vue
de Musgrave sur la politique de stabilisation s’inscrit pleinement dans une optique
keynésienne visant à justifier le bienfondé de l’intervention de l’Etat. Pourtant, bien que nous
ayons déjà démontré la faiblesse des liens unissant l’œuvre de Musgrave avec la taxation
optimale, nous pouvons davantage appuyer cette critique lorsque les théoriciens préconisent
l’utilisation des intuitions des modèles des nouveaux classiques84. Arnott estime que son
modèle omet la dimension temporelle des chocs auxquels est soumise l’économie réelle. Il
propose donc pour compléter la taxation optimale de s’inspirer de la théorie des cycles réels
pour confronter théorie et faits stylisés85. Diamond et Mirrlees y font aussi allusion, ce qui
démontre bien l’ancrage de la taxation optimale avec les modèles macroéconomiques
pourfendeurs de l’immixtion de l’Etat dans les affaires économiques.

Ces théoriciens supposent que les effets de substitution dominent. Par exemple, en présence
d’un choc positif de productivité, l’individu rationnel peut soit consommer davantage, soit
profiter de son temps libre en fonction de l’effet de richesse induit. Dans le modèle d’Arnott,
la mise en œuvre d’une assurance induit un effet de substitution en direction de l’effort 86
(p.270).

84
Les théoriciens du cycle réel déjà cités.
85
« To develop a satisfactory theory of optimal stabilization policy, it will be necessary to develop a satisfactory
theory of business cycle” (1994, p.273)
86
« moral hazard causes individuals to exert too little effort relative to the fist-best, where the insurance
contract specifies effort » Arnott, 1994, p. 270.
231
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Par conséquent si les effets de substitution dominent, alors l’individu souhaitera travailler plus
et investir aujourd’hui pour travailler moins et consommer davantage dans le futur. Si l’on
accepte ce point de vue la politique budgétaire et monétaire n’est pas souhaitable puisque
l’économie est toujours en équilibre et capable d’absorber les chocs exogènes. Ainsi, dans les
modèles standards les plus courants, l’augmentation du déficit modifie les anticipations des
agents qui leur feront escompter un niveau plus fort d’imposition dans la période suivante,
provoquant une chute de la demande par effet d’anticipation des agents rationnels comme le
soutient la notion d’équivalence ricardienne (Barro, 1974). Le déficit est donc, dans cette
optique, acceptable tant que la production est à l’équilibre et que les finances publiques sont
gérées selon cet objectif. Ainsi, l’existence d’un déficit ne rime pas toujours avec une perte de
bien être en prévision du remboursement de la dette. En outre, la question des effets
bénéfiques de la dépense publique sur l’allocation des ressources et sur le bien être des
individus n'est pas posée.

Les néo-keynésiens, qui acceptent de fonder microéconomiquement les comportements afin


de les agréger dans des modèles macroéconomiques, estiment que la politique économique est
nécessaire pour atteindre le niveau d’équilibre de la production correspondant au taux de
chômage d’équilibre et qui stabilise l’inflation. Lorsque ce taux est atteint des réformes de
structures s’imposent pour arriver à un niveau d’équilibre jugé supérieur.

Creel et al. (2005), dans un exposé critique des modèles « anti-keynésien » des finances
publiques, avancent trois interprétations permettant de justifier la nécessité d’un déficit
public :

 La neutralité fiscale correspond moins à un solde budgétaire équilibré qu’à un


déficit égal à l’investissement public, ou à l’investissement net plus la
dépréciation de l’endettement ou bien alors le déficit qui stabilise la dette
publique à des niveaux raisonnables.

 Le déficit public est structurellement nécessaire pour assurer une demande


égale à la production naturelle avec un taux d’intérêt égal au taux de croissance
de l’économie.
232
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

 Lorsque la consommation est trop faible, les ménages auront tendance à


épargner d’avantage pour conserver un patrimoine d’actifs non risqués, mais
ces actifs sont en infériorité numérique par rapport à ce que les entreprises
peuvent ou veulent émettre.

La dette dans ce contexte n’est pas un poids pour les générations futures car elle suppose une
contrepartie en termes d’actifs détenus par les ménages. De plus, une augmentation des
impôts n’est pas nécessaire dans le cas où la hausse des dépenses publiques permet de créer
les conditions favorables à une reprise de la production et donc d’une augmentation des
recettes publiques à structure fiscale inchangée.

L’article de Azizi, Canry, Chatelain et Tinel (2013) revient sur les conditions nécessaires à
l’existence d’un jeu à la Ponzi dans le cadre de l’endettement public. Les auteurs concluent
que la validité de la condition de transversalité87 n’a été une suffisante pour stabiliser le ratio
d’endettement dette/PIB des pays développés. Ils rejoignent ainsi les doutes déjà émis par
Blanchard et Weil (1992)88. L’observation attentive des données semble plutôt montrer que
c’est la faible croissance des pays développés qui est à l’origine de la montée de l’endettement
montrant ainsi, dans 67% des cas, que la consolidation des dettes publiques s’inscrit
davantage dans un schéma de type « keynésien ».

On serait donc loin des prescriptions faites par la théorie standard selon laquelle la dette est un
fardeau contre lequel il faut absolument lutter par des politiques monétaires restrictives
proches du corpus théorique défendu par la théorie de la taxation optimale.

Pour autant, le propos de notre thèse concerne les effets macroéconomiques de la


redistribution des revenus via la fiscalité. Nous allons donc développer la philosophie et les
mécanismes qui sous-tendent l’analyse de la politique fiscale dans la théorie standard pour
ensuite voir quelle théorie macroéconomique serait en mesure de répondre à ces insuffisances.
87
Lorsque le taux de croissance de l’économie est supérieur au taux d’intérêt apparent de la dette

88
“The average realized real state of return on government debt for major OECD countries over the last 30
years has been smaller than the growth rate. Does this imply that governments can play a Ponzi debt game,
rolling over their debt without ever increasing taxes?” Blanchard et Weil (1992)
233
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

5.3. La théorie standard ne rend pas compte des effets


macroéconomiques de la redistribution du revenu.

L’étude des modèles de stabilisation optimale a permis de rendre compte des principales
limites auxquelles la TTO devait faire face pour être capable de décrire un raisonnement
macroéconomique complet. En réduisant la sphère d’influence de l’Etat, cette théorie échoue
dans sa tentative d’expliquer l’impact de la fiscalité sur les variables macroéconomique
(5.3.1). La théorie keynésienne semble davantage être en mesure de répondre à ces limites
tant elle est centrée sur cette problématique (5.3.2).

5.3.1. Un impact limité de la politique fiscale sur les variables


macroéconomiques

Dans le cadre de la théorie de la Taxation Optimale, l’objectif premier des théoriciens était de
définir les critères d’une politique fiscale optimale. Le critère d’efficacité et d’équité ayant
déjà été traité, la théorie a souhaité intégrer le chainon manquant à son analyse : la politique
fiscale comme instrument de stabilisation de l’économie. Cette intégration avait pour but de
poursuivre la filiation affirmée avec l’œuvre de Musgrave. Or, l’étude approfondie des
modèles a permis de mettre en avant une autre filiation, aux antipodes de la posture
keynésienne prise par Musgrave au cours des années 1960, inspirés des modèles
macroéconomiques des économistes de l’offre 89. Selon cette posture idéologique, l’Etat et
surtout la fiscalité est un frein au bon fonctionnement de l’économie. Les hypothèses d’effet
d’éviction, d’équivalence ricardienne soutiennent ce point de vue.

Du côté des théoriciens de la taxation optimale, l’utilisation et la justification d’hypothèses


défavorables aux bienfaits de la dépense publique ou des biens publics ont tendance à biaiser
les questions de l’intervention de l’Etat. Son champ d’intervention ne se réduit qu’à traiter
des questions d’asymétrie informationnelle par le couple imposition/subvention ou bien à
réduire les effets supposés négatifs du déficit public.

89
Selon la définition de Feldstein (1986).
234
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Dans le cadre d’un agent représentatif, la redistribution des revenus optimale permettant
d’obtenir un équilibre de premier rang est celle induite par la concurrence pure et parfaite. Si
on est en présence d’un impôt progressif, les objectifs d’équité prennent le pas sur celui de
l’efficacité. Il y aurait donc une contradiction à vouloir remplir ces deux objectifs à la fois.

Cette contradiction semble venir de la construction des modèles TTO. La prédominance des
mécanismes de marchés et des effets d’offre induisent une place faible à une régulation par la
demande et ainsi par l’Etat. Sa place se réduit à répondre aux défaillances de marché ou bien
est observée comme une contrainte sur le bien être des individus. Il s’agit donc de modèle
rentrant en contradiction avec le paradigme keynésien. Pourtant, l’étude de Sterdyniak et al
(2005) a montré que dans la plupart des modèles macroéconomiques d’influence
néoclassique, les effets « anti-keynésiens » n’apparaissent que dans des cas très particuliers.
Malgré les limites de ces modèles, ils sont utilisés comme un moyen pour les milieux
dominants européens d’imposer des réformes de structures en Europe, en particulier la
réduction des dépenses publiques et des dépenses sociales, la flexibilité du marché du travail
et la dérégulation de certains marchés de biens ou de services. Dans cette optique, il est
improductif de chercher à soutenir la croissance par une politique macroéconomique
conjoncturelle.

Par conséquent, si la taxation optimale n’est pas capable à nos yeux de fournir une théorie
satisfaisante des dépenses publiques, il devient alors nécessaire d’opérer un changement de
paradigme pour saisir l’essence même des effets macroéconomiques des réformes fiscales. .
La taxation optimale se situe exactement dans le même champ théorique que les théoriciens
de l’offre, les éléments en faveur des instruments de stabilisation structurelle sont faibles.
Cela nous incite donc à renouveler le corpus théorique de l’étude de l’incidence économique
des systèmes fiscaux pour revenir à une véritable complémentarité entre les trois fonctions de
Musgrave et redessinant les contours d’une intervention de l’Etat.

Les prises de position des auteurs welfaristes de la taxation optimale n’arrivent pas à
outrepasser les limites des modèles en équilibre général dès lors qu’on introduit une pluralité
de chocs ou des problèmes d’ajustements dans l’économie. De ce fait, une analyse en termes
d’agrégats macroéconomiques nous semble être une posture plus favorable à cet objectif.
235
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Il semble donc nécessaire de repérer une théorie permettant à la fois d’évaluer l’impact
redistributif d’une modification du barème ainsi que l’impact de cette modification dans la
distribution des revenus sur les variables macroéconomiques. Chez Musgrave, chaque
fonction de la politique budgétaire devait être mise en œuvre indépendamment l’une de
l’autre.

Tobin et Halliassos (1990) ont étudié les références analytiques d’un programme fiscal dans
une optique keynésienne. Pour ces auteurs, les budgets des gouvernements sont en partie
endogènes, car les recettes obtenues dépendent de la base taxable, qui varie avec l’état de
l’économie. On peut donc juste définir les règles de recouvrement de l’impôt ex-ante, mais on
ne peut pas mesurer les recettes fiscales en fonction du même principe comme le soutenait
Mirrlees. De la même manière le déficit budgétaire possède également une part endogène. Les
dépenses fiscales ou les réductions d’impôts sont des données inversement liées à l’activité
économique. La part exogène, elle, est justement liée au changement de législation fiscale,
mais n’a aucun rapport avec l’état de la conjoncture. On voit bien alors qu’il y a une place à
part entière pour une fonction macroéconomique de la politique fiscale. Cette idée est
renforcée si on admet que les divers taxes et transferts de revenus affectent les décisions de
consommation et que la consommation et l’épargne dépendent positivement du revenu
disponible après impôt. Cela implique, pour une variation pro cyclique des impôts auxquels il
faut déduire les transferts, que le multiplicateur fiscal soit plus ou moins grand en fonction des
paramètres. Il agit positivement en fonction des dettes fiscales, et négativement en fonction
des transferts de revenu. Un multiplicateur plus petit limite les fluctuations causées par un
choc exogène, ce qui explique que les éléments de la politique fiscale permettent de limiter les
fluctuations appelés les « stabilisateurs automatiques ». La fonction de stabilisation est
remplie.

Quant aux deux autres fonctions restantes, l’idée défendue par les keynésiens, qu’une unité de
revenu dépensé n’a pas le même effet sur la demande agrégée est déjà une piste pour les
mettre en œuvre. Il est vrai qu’une diminution des taux ou une augmentation des transferts de
revenu peut être plus ou moins épargné, ce qui sera moins efficace que si l’intégralité de ce
revenu supplémentaire était dépensée en consommation. Mais au moins cette mesure a tout
d’abord le mérite de modifier la distribution des revenus en fonction des objectifs politiques
affichés.
236
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

De la même manière, si la dépense gouvernementale est destinée à augmenter la demande de


biens et services dans l’économie pour amener les conditions nécessaires à une relance de
l’investissement, alors Tobin et Halliassos estiment que cette dépense aura comme
conséquence d’augmenter la richesse nationale de manière plus significative qu’une réduction
d’impôts. Dans cette optique, l’objectif d’allocation est également rempli.

5.3.2. La pensée keynésienne comme remède aux limites de la


théorie de la Taxation Optimale

Les problèmes soulevés par la discussion des hypothèses et des résultats de la taxation
optimale en termes de politique macroéconomique ou de stabilisation semblent réduire le rôle
de la taxation a un simple faire valoir de la politique économique sans réel impact sur
l’économie réelle. De la même manière il semblerait impossible de pouvoir concilier des
objectifs de réduction des inégalités de revenus sans aller à l’encontre de l’efficacité de
l’économie. Ce résultat est soutenu par une vision exclusivement centré par une analyse en
termes d’offre. Elle va à l’encontre de l’analyse des fonctions de l’Etat de Musgrave pourtant
au cœur de la filiation avec les théoriciens de la Taxation optimale. Pour ce dernier, la
fonction de stabilisation de l’Etat se rapproche davantage d’une analyse keynésienne de
l’économie avec un gouvernement capable d’intervenir dans le cas d’une conjoncture
défavorable.

Au cœur de l’analyse keynésienne, il y a le principe de la demande effective. C’est en


fonction de son état que vont dépendre les prévisions des entrepreneurs quant à la reprise de
l’investissement et de l’emploi.

Nous reviendrons plus en détail sur les déterminants de la demande effective dans le
deuxième chapitre de cette thèse, mais nous pouvons d’ores et déjà avancer qu’elle peut être
influencée directement par la politique gouvernementale et notamment par la politique fiscale.
Ce rôle accordé à la politique fiscale ou à la politique budgétaire a été mis en avant par de
nombreux auteurs keynésiens et postkeynésiens (Keynes, 1936 ; Kalecki, 1944 ; Arestis et
Sawyer, 2003 ; Laramie et Mair 1996, 2003).
237
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Chez Keynes notamment, il est question dans le dernier chapitre de la Théorie Générale sur la
philosophie sociale de son œuvre de l’impact de la fiscalité sur les variables
macroéconomiques que sont l’épargne et l’investissement. Il estime, par exemple, que la
taxation directe des revenus tirés du patrimoine et des successions en Grande Bretagne au
XIXème siècle a permis de réduire les inégalités de revenu. Pour lui, l’un des « deux vices
marquants du monde économique où nous vivons » est que « la répartition de la fortune et du
revenu y est arbitraire et manque d’équité » (Chapitre XXIV), il semble dans ce cas qu’une
politique fiscale de type redistributive comme un impôt sur le revenu progressif est en mesure
de réduire les inégalités de revenu. De plus, les thèses de Keynes soutiennent qu’il vaut
mieux, en cas de sous-emploi, encourager des mesures en faveur des propensions à
consommer les plus fortes car elles permettent une plus forte accumulation du capital. Dans ce
contexte, il soutient qu’une politique gouvernementale modifiant la répartition des revenus
dans un sens favorable à la propension à consommer est bonne pour l’économie. On peut
donc déjà entrevoir les prémisses d’une analyse de l’économie pouvant mettre en relation
répartition du revenu et macroéconomie. Et ce d’autant plus que l’impôt, au-delà de ses effets
intrinsèques, permet avant tout de donner des marges de manœuvre aux pouvoirs publics au
travers de la politique budgétaire. Keynes, accepte en effet que l’Etat puisse s’immiscer dans
l’économie afin de pallier aux insuffisances de l’économie. Il se prononce donc faveur d’une
« socialisation » d’une partie de l’investissement. Par conséquent, pour donner les moyens à
l’Etat d’investir dans l’économie au travers des infrastructures de transports, de
télécommunications, ou encore par ce que l’on a couramment appelé les « politiques de
grands travaux », il est nécessaire de réunir les fonds nécessaires à leurs mises en œuvre.

Taylor (1993) ainsi que Arestis et Sawyer (2003) et la plupart des keynésiens acceptent l’idée
que l’Etat puisse prendre une place à part entière dans l’activité économique. Dans leur
article, The Case of Fiscal Policy (2003), ils soutiennent l’idée que, lorsque le niveau de la
demande agrégée est insuffisant pour permettre l’écoulement de la production, alors
l’intervention de l’Etat par l’intermédiaire du déficit budgétaire est capable de résorber cet
excès de l’offre. Leur analyse s’applique surtout dans le cas où l’économie connait un excès
d’épargne et un déficit d’investissement.
238
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

En effet, selon l’analyse keynésienne, il n’est pas assuré que l’égalité entre l’épargne
disponible dans l’économie et les désirs d’investissement puissent concorder. Dans ces
conditions la levée d’un impôt permettant de financer le déficit est à même d’augmenter la
demande agrégée et donc le revenu national.

Arestis et Sawyer (2003) assument également qu’à long terme, il est possible de contenir le
déficit lorsque les taux d’intérêt sont inférieurs au taux de croissance. Pour appuyer cet
argument, les auteurs établissent une comparaison entre les taux de croissance et les taux
d’intérêts pour quatre pays développés dont la France et les Etats-Unis. Il ressort de cette
comparaison que la plupart des déficits sont soutenables car ils sont en équation avec la
condition citée précédemment. Le déficit public appuyé par une politique monétaire en
faveur de l’investissement, c'est-à-dire par une baisse des taux d’intérêt chez les Keynésiens,
permet de ramener l’économie à un niveau supérieur à celui qu’il serait possible d’atteindre
sans intervention étatique. La politique fiscale est dans ce contexte un instrument à part
entière pour permettre de supporter du déficit et garantir un niveau de demande et
d’investissement suffisant. D’après cette analyse, les réductions d’impôts pour les plus riches,
comme semble le décrire les prescriptions normatives de la taxation optimale, ne semblent pas
être une solution correcte, car elle encourage l’épargne sans pour autant stimuler
l’investissement qui est un des éléments essentiels à la croissance du PIB.

Bien avant Arestis et Sawyer, Kalecki (1944) avait avancé pour garantir le plein emploi, il
fallait que l’Etat agisse sur les variables économiques au travers du déficit budgétaire sur le
long terme. Il avait théorisé les bienfaits macroéconomiques d’une politique de redistribution
des revenus des riches vers les pauvres pour rapprocher l’économie du plein emploi.

La politique fiscale permet, dans ce cas, d’augmenter le niveau de la consommation courante,


car les plus bas revenus ont une propension à consommer plus forte que les riches. Kaldor
(1956), a également étudié l’incidence de l’impôt sur les variables économiques. Le projet de
taxe sur la dépense initié par Kaldor en 1955, s’inscrit dans ce courant de pensée mais nous y
reviendrons plus en détail dans le chapitre suivant.
239
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Dans les travaux de Kalecki nous avons cette affirmation que la redistribution des revenus,
couplée à une politique fiscale en faveur d’une baisse des taxes indirectes, en particulier celles
sur les biens de consommations aurait des effets bénéfiques sur la croissance. Cependant, pour
que la redistribution ait les effets escomptés, il faut que l’investissement privé soit maintenu à
un niveau permettant le plein emploi, car la taxation des hauts revenus risquent de nuire à
l’épargne ainsi qu’à l’état de confiance de l’économie et donc à l’accumulation du capital.
Pour contrecarrer cet effet pervers, Kalecki suggère que la politique fiscale soit couplée à une
politique de taux d’intérêt bas qui permet de remplacer le capital usé à moindre coût. Aussi,
pour Kalecki, une politique fiscale en faveur de la redistribution permet d’accomplir un autre
objectif que le maintien du plein emploi, puisque qu’elle permet également de rendre la
distribution des revenus plus « égalitaire ». C’est d’ailleurs à cause de cet avantage que ce
type de politique risque de rencontrer une forte opposition d’une partie de la population. En
effet, les entrepreneurs qui agissent en fonction de l’état de confiance de l’économie vont
revoir leurs anticipations à la baisse et vont ralentir une partie de leur investissement. De plus,
la consommation de ceux qui sont soumis à ce type d’impôt risque de diminuer. Par
conséquent, il faut que l’effet positif sur la consommation consécutive à une hausse des
dépenses gouvernementales par l’intermédiaire des subventions ou des investissements
publics soit suffisant à compenser cette baisse de l’investissement privé. De même que la
chute de l’investissement ou la baisse des marges bénéficiaires des entreprises peuvent être
réduites par l’introduction du gouvernement dans les affaires de l’industrie. Si au-delà de son
intervention, l’Etat affiche une volonté de contrôle des prix à un niveau suffisant faible pour
ne pas ralentir la hausse de la consommation, alors l’effet « multiplicateur » de la
redistribution des revenus est positive pour la santé de l’économie.

Halevi et Kriesler (1999), souligne cependant que les capitalistes « en tant que classe » risque
de ralentir l’élan vers le plein emploi car la classe des salariés aura un poids plus important
dans le conflit sur la distribution entre le profit et les salaires. Une conjoncture favorable et
des commandes qui augmentent, incite les syndicats à exiger des augmentations de salaires et
des conditions de travail plus favorables. Les auteurs soutiennent que ce conflit peut être
résolu uniquement dans le cadre d’un changement de capitalisme soutiennent les auteurs.
240
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Pour que l’intervention du gouvernement fonctionne, il faut que la société fasse du plein-
emploi un objectif primordial dans la société capitaliste alors que la globalisation a modifié
les formes d’intervention de l’Etat sous une forme différente.

Conclusion

Au cours de ce chapitre, nous savons pu observer que l’objectif premier des théoriciens de la
taxation optimale, était de définir les critères d’une politique fiscale optimale. Les critères
d’efficacité et d’équité ayant déjà été traités, ils ont souhaité intégrer le chainon manquant: la
stabilisation de l’économie. Cette intégration avait pour but de renforcer la filiation affirmée
avec l’œuvre de Musgrave. Or, l’étude approfondie des modèles a permis de mettre en
évidence une autre filiation, inspirée des modèles macroéconomiques des économistes de
l’offre90, aux antipodes des positions keynésiennes adoptées par Musgrave au cours des
années 1960. Selon les économistes de l'offre, l’Etat et surtout la fiscalité sont un frein au bon
fonctionnement de l’économie (Raboy, 1984). Les théoriciens de la taxation optimale ont
tenté de rapprocher leur traitement de la stabilisation de la théorie des cycles réels. Ce faisant,
ils en ont réduit la portée mais ont également limité l'impact macroéconomique de la politique
fiscale. Ils se sont donc éloignés des interprétations à la Musgrave.
Comme nous l’avons souligné, la stabilisation de l'économie est rarement neutre en matière de
répartition des revenus et des richesses. Et dans la mesure où la quasi-totalité des
interventions de l'État modifient la répartition du bien-être dans la population, il persiste bien
un problème de «propagation »des effets d’une fonction de la politique budgétaire, empêchant
in fine toute mise en œuvre de façon indépendante et neutre d’une politique fiscale optimale.

Les théoriciens de la taxation optimale ont donc dû faire face à de nombreuses difficultés
quant à l’intégration du département "stabilisation" pour des raisons d'ordre méthodologique
(Beleau, 2013). Les tentatives de modélisation de la fonction de stabilisation ont été
construites dans le but de préserver le modèle originel et les intuitions de base, c'est-à-dire de
conserver la méthodologie associée à la maximisation d’une fonction de bien-être sous divers
contraintes gouvernementales et incitatives.

90
Selon la définition de Feldstein (1986)
241
Chapitre 3 : Théorie de la taxation optimale et politique de stabilisation : Une incompatibilité
théorique

Le pari est en partie réussi, mais il s’est fait au prix de fortes simplifications dans les
hypothèses et surtout en ne laissant qu’une place minime à l’intervention de l’Etat puisque
celui-ci ne doit intervenir que pour prévenir les défaillances du marché. Cela signifie qu’au
lieu de réhabiliter le rôle et la place de l’Etat dans la sphère marchande, les théoriciens ont
surtout abandonné l’idée de traiter dans un seul et même corpus théorique, de l’ensemble des
problématiques auxquelles un gouvernement doit faire face. En effet, soit on en revient à un
arbitrage, mais cette fois-ci autour des critères d’efficacité et de stabilité, soit il est impossible
de tenir compte de ces trois critères ensemble pour définir les contours d’une politique fiscale
optimale. La solution retenue consiste à réduire le domaine d’intervention de l’Etat à un
simple "aménagement" du marché. Il faut donc assumer le fait que la TTO a atteint ses limites
avec l'objectif de décrire un système fiscal optimal "global", traitant dans un seul et même
corpus théorique des trois fonctions de l’Etat définies par Musgrave. C'est pourquoi il est
nécessaire d’opérer un renversement paradigmatique pour saisir l’essence même des effets
macroéconomiques des réformes fiscales et notamment leurs aspects redistributifs.

Dès 1944 Kalecki avait avancé que, pour garantir le plein emploi, il faut que l’Etat agisse sur
les variables économiques au travers du déficit budgétaire sur le long terme. Il avait théorisé
les bienfaits macroéconomiques d’une politique fiscale de redistribution des revenus des
riches vers les pauvres pour rapprocher l’économie du plein emploi. Les modèles plus récents
d’incidence fiscale dans la droite lignée de l’analyse Kaleckienne (Kalecki ,1937, 1944 ;
Asimakopulos et Burbidge, 1974 ; Laramie et Mair,1996, 2000, 2003) semblent en mesure de
répondre aux limites et aux contradictions de la théorie de la taxation optimale: prendre en
compte les effets macroéconomiques de la redistribution des revenus, et assurer de ce fait, la
complémentarité des fonctions de distribution et de stabilisation
242
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en


réponse aux limites de la théorie standard

Au cours de cette thèse, nous avons pu faire ressortir les limites théoriques et empiriques de la
théorie de l’incidence fiscale standard. Les effets macroéconomiques ne sont pas
véritablement pris en compte, le rôle favorable des dépenses publiques sur la croissance n’est
pas abordé. Les effets de répartition ne sont pas discutés. Le chapitre précèdent, nous a permis
de souligner l’intérêt de faire évoluer la théorie de l’incidence fiscale vers le corpus
postkeynésiens. Nous avons indiqué la nécessité de prendre en compte les aspects liés à la
redistribution des revenus. En effet, la plupart des systèmes fiscaux des pays occidentaux se
composent d’un impôt sur le revenu à barème progressif, couplé à des impôts sur la
consommation ou des cotisations sociales qui n’ont pas le même impact sur la consommation
des individus suivant la classe de revenus considérés. Il se pose dès lors une question liée à la
répartition des revenus et de l’incidence de la fiscalité dans cette répartition.

L’objectif du chapitre est de poser les bases théoriques de l’analyse postkeynésienne afin d’en
étudier dans un dernier chapitre les aspects liés à la fiscalité. Il sera également question de
mettre en avant l’importance de la politique budgétaire chez les postkeynésien par rapport aux
classiques. Nous nous intéressons donc particulièrement aux déterminants de la répartition et
de la demande globale adressée à l’économie. En effet la question de la détermination de cette
demande constitue le dénominateur commun des théories postkeynésiennes (Asensio, Charles,
Lang, Le Héron, 2011, Lavoie, 2004). Dans les différentes formalisations, la répartition
affecte l’arbitrage entre consommation et épargne. La comparaison entre les différents
modèles, cambridgiens ou kaleckiens nous permet de faire ressortir les intuitions
macroéconomiques des postkeynésiens.
243
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Pour plusieurs auteurs (Allain 2006, Lavoie 1998, Stockhammer 1999), deux principaux
cadres d’analyse émergent : le cadre cambridgien (Kaldor et Robinson notamment) et le cadre
kaleckien. Alors que la croissance s’accompagne d’une augmentation de la part des profits
dans le modèle cambridgien, elle ne peut se produire sans hausse de la part salariale pour
Kalecki. Lavoie (1998) distingue deux principales sources d’ajustement du taux de profit à sa
valeur d’équilibre91 entre les différents types de modèles. Soit le taux de profit s’ajuste par
une variation de la part des profits, ce qui est le cas dans les modèles cambridgiens, soit il
s’ajuste via le taux d’utilisation des capacités productives, ce qui renvoie aux modèles
kaleckiens. Dans les modèles cambridgiens, un accroissement de la demande est suivi d’une
hausse des prix92 et donc d’une augmentation des taux de marge. Dans le cas où le taux
d’utilisation est endogène, le redressement de la croissance s’accompagne d’une hausse des
taux d’utilisation et ainsi des taux de profit, sans que le taux de marge ne soit modifié.

Dans ces modèles l’Etat est intégré et joue le rôle de stabilisateur. Ce chapitre est donc
l’occasion de comparer le rôle de la politique budgétaire sur la croissance. Pour cela nous
reviendrons sur la polémique entre Lerner (1943) et Buchanan (1964) opposant la « finance
fonctionnelle » à la « finance saine ». Les postkeynésiens accordent un rôle essentiel à la
politique budgétaire mais nous verrons que la définition des barèmes ou d’un système d’impôt
économiquement efficace n’est pas une problématique essentielle. L’étude de l’incidence
fiscale ne s’opère que par le biais des dépenses publiques financées par les recettes fiscales.

Nous débuterons ce chapitre par une mise en perspective des déterminants de la répartition
des revenus dans les modèles postkeynésiens (1). Ces modèles permettent l’introduction des
dépenses publiques ce qui fait une différence importante avec les modèles standards (2). La
fiscalité, elle, n’est pas véritablement étudiée comme un objet à part entière et semble avoir un
rôle de faire-valoir derrière la politique budgétaire et monétaire (3). Pour autant quelques
idées émergent de Kaldor (1955) et Kalecki (1937/1971, 1944), ce que nous verrons dans le
chapitre suivant.

91
Ce qui correspond à deux mécanismes stabilisateurs différents
92
Cette hausse des prix est liée à l’hypothèse d’un taux d’utilisation des capacités productives constant
244
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

1. Les déterminants de la répartition des revenus dans les modèles


postkeynésiens (Kalecki 1937, 1944, Kaldor 1956, Pasinetti 1962)

Il existe plusieurs types de modèles dans le corpus théorique des postkeynésiens. Les
différences principales entre ces modèles proviennent des variables qui s’ajustent pour assurer
l’égalité entre l’épargne et l’investissement, et donc la stabilité, et des déterminants de la
fonction d’accumulation. La répartition et donc la propension à épargner de l’économie
constituent le facteur d’ajustement des modèles cambridgiens influencé par Kaldor. Ces
modèles visent à s’opposer à la théorie néoclassique sur les déterminants de la croissance
(1.1). L’approche kaldorienne s’oppose également sur la place accordée à l’Etat dans la
croissance (1.2). Pour Kalecki, l’ajustement s’effectue par contre par les variations du taux
d’accumulation, la répartition étant déterminée de façon exogène. Les modèles kaleckiens
mettent en scène un conflit de répartition qui influence l’investissement et les comportements
de consommation à court et long terme (1.3). Enfin, les modèles wage-led – profit-led dont
les variations de la répartition des revenus ont un effet a priori indéterminé sur la croissance.
Le modèle développé par Bhaduri et Marglin (1990) se situe dans cette perspective. Il reprend
le cadre kaleckien en ne modifiant que la fonction d’accumulation. Leur modèle aboutit à la
présentation de deux régimes de croissance reposant sur la sensibilité de la fonction
d’accumulation à ces déterminants (1.4).

1.1. Les modèles postkeynésiens : Une critique à l’encontre des


néoclassiques sur les déterminants de la croissance

Le modèle que nous allons aborder dans le chapitre 4 de cette thèse s’insère dans un cadre
théorique s’inspirant des éléments brièvement abordés dans l’introduction de ce chapitre:
L’importance des salaires, dans la détermination de la demande et du niveau d’emploi et leur
impact sur l’investissement. Nous nous intéressons donc aux déterminants de la demande. Or,
cette question prend une place prépondérante dans l’analyse postkeynésienne. La question de
la répartition des revenus entre les agents économiques est également au centre de l’analyse
car elle affecte l’arbitrage entre la consommation et l’épargne (1.1.1).
245
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Elle a été particulièrement développée par Kaldor et Pasinetti (1.1.2) qui la considère comme
une variable endogène. Cette analyse a été l’occasion pour ces auteurs de répondre aux
critiques émises par les néoclassiques (1.1.3).

1.1.1. Une alternative à la théorie de la répartition des


néoclassiques

Le modèle de Kaldor (1955) a pour premier objectif de proposer une alternative aux modèles
néoclassiques en prolongeant les modèles de croissance à long terme de Harrod et Domar
(1947). Ces premiers modèles de croissance ont souhaité représenter dans une perspective
keynésienne la dynamique de long terme du capitalisme tout en mettant l’accent sur le
caractère instable de cette dernière. Les modèles de Harrod-Domar et de Kaldor mettent tous
les deux en évidence l’importance de l’épargne dans la détermination de la croissance. Les
keynésiens Harrod et Domar tentent de démontrer la nature instable de la croissance
équilibrée en utilisant le concept du taux de croissance garanti. Cette instabilité est due à la
double caractéristique de l’investissement. Celui-ci est à la fois un déterminant de la demande
via l’effet multiplicateur93, et un facteur d’accroissement des capacités de production. Pour
ces auteurs, la décision d’investissement repose pour une part importante sur les anticipations
des entrepreneurs sur l’état de la demande future. Cependant, à l’équilibre, c'est-à-dire
lorsque , le taux de variation de l’investissement est égal au rapport entre le taux
d’épargne et le coefficient de capital , où s est le taux d’épargne et le coefficient de capital
. La croissance équilibrée, où l’offre est égale à la demande nécessite que
l’investissement augmente à un taux constant égal au rapport . Ce taux est égal au taux de
croissance équilibré. Mais l’instabilité, qui repose sur la double caractéristique de
l’investissement, n’affecte pas de la même manière l’offre et la demande 94. Il est donc
possible que le taux de croissance effectif de l’économie diffère du taux de croissance
garantissant ainsi l’équilibre sur le marché des biens et services. La croissance est instable, car
en cas de sous-utilisation des capacités de production, les entreprises vont ralentir leurs
investissements, ce qui entraine par l’intermédiaire de l’effet multiplicateur un ralentissement
de l’activité et donc une nouvelle baisse du taux d’utilisation.

93
Une dépense supplémentaire injectée dans le circuit économique via l’investissement dans les facteurs de
production provoque une augmentation des revenus supérieure à la dépense initiale.
94
En effet, chez Harrod et Domar, l’offre varie en fonction de l’investissement total alors que la demande varie
en fonction de la variation de l’investissement.
246
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

En cas de sur-utilisation, le raisonnement est symétrique si bien qu’en définitive, la croissance


économique est instable.

Le modèle néoclassique de Solow a voulu répondre à cette instabilité du modèle en


construisant un modèle à productivité marginale décroissante avec un taux d’épargne
influençant les décisions d’investissement afin d’assurer l’égalité entre le taux de croissance
équilibré et le taux de croissance effectif. En d’autres termes, la croissance économique est
instable.

Kaldor a voulu répondre au modèle de croissance exogène des néoclassiques en supposant


que la propension à épargner est fonction de la répartition fonctionnelle des revenus.

1.1.2. Les déterminants traditionnels de la répartition


dans les modèles de Kaldor (1956) et Pasinetti
(1962)

Le modèle de Kaldor (1955-56) a pour objectif de proposer une théorie postkeynésienne de la


répartition qui représente une alternative aux théories classiques. Il présente ce qui est «
maintenant connu sous le nom de théorie postkeynésienne de la croissance et de la répartition
» (Lavoie 1987). Au-delà d’une alternative à la théorie néoclassique, le modèle de Kaldor se
veut une réponse au problème d’instabilité soulevé par Harrod (1948) et Domar (1947). La
croissance est en effet instable pour Harrod et Domar. La cause de cette instabilité réside dans
la double caractéristique de l’investissement comme nous l’avons expliqué précédemment. On
sait que le raisonnement de Harrod et Domar repose sur l’hypothèse d’une propension à
épargner donnée.

L’apport de Kaldor consiste à supposer que la propension à épargner varie avec la répartition
fonctionnelle des revenus puisque la propension à épargner les salaires est inférieure à la
propension à épargner les profits. Dans les modèles cambridgiens, les rendements d’échelle
sont constants et les coefficients techniques sont fixes. De plus, est également retenue une
hypothèse de pleine utilisation des capacités de production, laquelle est centrale dans
l’obtention des résultats du modèle. La relation élaborée par Kaldor relie le taux de profit et la
répartition des revenus au taux de croissance économique, via l’interaction des différentes
propensions à consommer. Kaldor part donc du revenu national pour déterminer la répartition
qui assure l’équilibre entre épargne et investissement (Marchal et Lecaillon, 1970).
247
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

L’économie étant à la limite de ses capacités de production, toute hausse de l’investissement


implique un accroissement du rapport investissement sur revenu ⁄ .

Le rapport de l’épargne au revenu doit donc s’ajuster à l’investissement dans la même


proportion pour que l’équilibre soit maintenu.

Dans le modèle de Kaldor, l’épargne égalise à l’investissement par la variation des profits
globaux et implique donc une redistribution du revenu vers les classes qui ont la plus forte
propension à épargner. Le mécanisme de retour à l’équilibre repose sur la flexibilité des prix
qui apure les excès d’offre ou de demande sur le marché des biens. Un accroissement de la
demande d’investissement provoque une hausse des prix, car l’offre est rigide. Comme les
salaires sont fixes et le niveau de la production rigide, les profits s’accroissent. La part des
profits augmente donc, et compte tenu des hypothèses sur les propensions à épargner, le
montant de l’épargne s’accroît. Parallèlement, l’accroissement des prix réduit les salaires réels
et donc la consommation95. Cette baisse de la consommation vient ainsi compenser
l’accroissement de l’investissement. Le processus se poursuit jusqu’à ce que l’égalité entre
épargne et investissement soit retrouvée. Le même mécanisme s’applique dans le cas où
l’investissement diminue et devient inférieur à l’épargne. En outre, nous pouvons noter que
plus l’écart entre les propensions à épargner est faible et plus une variation de la part de
l’investissement provoque une modification importante de la répartition.

L’un des principaux résultats de ce modèle est la détermination de la répartition, et donc du


taux de profit, indépendamment de toute fonction de production. Le taux de profit dépend en
effet de la part des profits , du taux d’utilisation des capacités productives et du
coefficient de capital avec les profits, le capital et ̅ la capacité totale de production:
̅
̅
Le taux d’utilisation des capacités de production et le coefficient de capital étant exogènes, il

existe une relation positive entre le taux de profit et la part des profits ( avec le taux

de profit).

95
Comme le souligne Lavoie (1992), dans le modèle de Kaldor, un niveau plus élevé de demande est alors
absorbé par une croissance des prix. La redistribution des salaires vers l’épargne s’effectue donc par le biais de
l’inflation.
248
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Dans le modèle de Kaldor, la répartition ne dépend que d’une relation purement


macroéconomique. Elle dépend du taux d’accumulation et de la propension à épargner
des capitalistes , c’est ce qui a été appelé la « relation de Cambridge 96».

Le taux de profit peut alors s’écrire de la façon suivante :

Cette relation fait ressortir un résultat commun à l’ensemble des modèles postkeynésiens et
qui prend de l’importance dans le cadre des conséquences macroéconomiques en présence
d’impôts progressifs : la consommation des capitalistes joue un rôle important comme soutien
des profits. Kaldor rejoint ici la formule de Kalecki (1942) : « les capitalistes gagnent ce
qu’ils dépensent, les travailleurs dépensent ce qu’ils gagnent ». Cette formule illustre le
paradoxe de l’épargne. Une diminution de la propension à épargner se traduit par une
augmentation des profits.

En suivant l’analyse de Stockhammer (1999), plusieurs critiques peuvent être adressées aux
modèles cambridgiens. Dans le modèle de Kaldor, l’investissement ne détermine pas le
niveau de la production mais uniquement la répartition des revenus. En d’autres termes, le
mécanisme de la demande effective ne détermine pas le niveau de la production, qui est fixé.
Un accroissement de la part de l’investissement s’accompagne d’une hausse de celle des
profits et donc d’une baisse des salaires. Le sens de causalité provient donc de
l’investissement vers la répartition. Si les capitalistes investissent plus, ils reçoivent des
profits plus importants. Stockhammer relève également l’importance de l’hypothèse de pleine
utilisation des capacités productives dans les modèles cambridgiens. L’économie se trouvant à
la frontière des possibilités de production et l’épargne ne provenant que des profits, ces
derniers doivent s’accroître pour permettre une plus forte accumulation. Cela provient de
l’équation d’épargne. Pour une propension à épargner donnée, l’accroissement des profits
accompagne la hausse de la croissance et pour un niveau donné de croissance, plus la
propension à épargner est faible et plus le taux de profit est élevé. Les modifications du taux
de profit constituent le mécanisme par lequel l’épargne s’ajuste à l’investissement.

96
Lavoie (1987), p.52
249
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Pasinetti (1962) cherche à généraliser le modèle de Kaldor en supposant que la propension à


épargner des salariés est positive. Ce faisant, il tient compte du fait que les salariés perçoivent
une partie des profits via la rémunération de l’épargne. Pasinetti reproche au modèle de
Kaldor de ne pas diviser le profit total entre les différents détenteurs du capital.

Il découle de cette distinction, selon Pasinetti, deux types de répartition, entre salaire et profit
et entre salariés et capitalistes97. Ces deux concepts ne coïncident que lorsque la propension à
épargner des salariés est nulle. La répartition s’effectue sur une base sociale, et non plus
factorielle. Il reformule alors le modèle de Kaldor en fonction de ces deux types de
répartition. Cette reformulation ne modifie pas les résultats obtenus par Kaldor, seule la
propension à épargner des capitalistes et les décisions d’investissement déterminent la
répartition et donc l’équilibre. Le modèle de Pasinetti généralise ainsi les résultats du modèle
de Kaldor à une économie où la propension à épargner sur les salaires est non nulle. Pour
l’école cambridgienne, les variations endogènes de la répartition engendrent une variation du
montant de l’épargne qui permet un retour à l’équilibre.

1.1.3. Les critiques de néo-classiques face au théorème de


Cambridge

Le modèle de Kaldor et Passinetti a soulevé de nombreuses objections de la part des néo-


classiques. Ainsi, Meade (1963, p.672) était dubitatif quant à l’existence à long terme d’une
classe de capitalistes « purs », c’est-à-dire des rentiers ne vivant que des revenus de la
propriété. Il estime ainsi que « Pasinetti ne permet pas l’existence de revenus issus de la rente
ou de la terre, pas plus qu’il ne permet aux capitalistes le fait de travailler » (Meade, 1963,
p.669). Meade affirmera ainsi que le modèle de Pasinetti, avec deux classes sociales à long
terme, est un cas particulier. Pourtant, Charles (2009) estime que la réponse de Meade (1966)
n’est qu’un artifice car dès lors qu’on y applique des paramètres dont les valeurs sont
plausibles, c’est alors le cas de Pasinetti 98 qui devient le cas dominant.

97
Il y a dans ce cas une propension à épargner des capitalistes sur les revenus du capital leur revenant et une
propension à épargner des salariés qui porte à la fois sur les salaires et sur le montant des profits qu’ils touchent.
98
Cf. Kaldor (1966) et Pasinetti (1966b)
250
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

La critique de Samuelson et Modigliani (1966) s’appuie, elle, sur l’inégalité fondamentale de


Pasinetti (1962) ⁄ nécessaire à l’existence simultanée de deux classes sociales à
long terme. Pour ces deux auteurs, le théorème est très limité puisque l’intervalle des
paramètres pour lequel il reste viable est très faible. Ainsi, à partir d’une certaine valeur de
, on atteint le rapport ⁄ , ce qui provoque la disparition des capitalistes, expropriés par
les travailleurs. L’arrivée de Kaldor (1966) dans ce débat aura comme conséquence de
répondre de façon nette et précise aux critiques orthodoxes.

Samuelson et Modigliani (1966) avaient estimé que les théories de la répartition qui utilisaient
des propensions à épargner différentes selon les revenus contenaient une hypothèse peu
réaliste. Il y aurait donc une classe de capitalistes « permanents » qui se reproduit à
l’identique avec une propension à épargner forte et une classe de travailleurs « permanents »
avec une propension à épargner faible. La réponse de Kaldor est claire sur ce point :

« J’ai toujours considéré la forte propension à épargner sur les profits comme une propriété
qui s’attache à la nature du revenu tiré des affaires et non à la richesse (ou à d’autres
particularités) des individus détenteurs de la propriété. C’est l’entreprise, et non le corps
particulier des individus qui la possède à quelque époque que ce soit, qui trouve
indispensable, […], de récupérer une partie des profits acquis, à titre de « charge préalable »
sur les revenus obtenus pour assurer la survie de l’entreprise à long terme » (Kaldor, 1966,
p.160). Par conséquent, la propension à épargner est élevée car les profits proviennent de
l’activité de production et qu’ils serviront de nouveau à celle-ci. Dans un monde incertain,
l’expansion des firmes ne peut être assurée que par une certaine proportion de leurs ressources
internes. Chiang (1973) en viendra à proposer une fonction d’épargne avec trois propensions à
épargner de type :

Ce qui amènera l’auteur à conclure : « la reformulation de Pasinetti du modèle de Kaldor


représente plus que le passage d’un cas spécial à un autre cas spécial d’un modèle général
que la correction d’une erreur, et les théorèmes d’indépendance conservent leur validité
même dans un modèle à trois propensions à consommer dans lequel les travailleurs ont deux
propensions à épargner, si bien que ces théorèmes ont un intervalle d’application plus large
que perçu à l’origine » (Chiang, 1973, p.312).
251
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

D’une manière générale, le modèle de Kaldor (1956) ne fit pas l’objet de controverses
internes. Pourtant, il se présentait comme une alternative à la théorie néo-classique de la
répartition en faisant pas l’usage des outils orthodoxes. De façon plus curieuse, les
néoclassiques ont dans une certaine mesure pris la défense du modèle de Kaldor car il permet
de réintroduire la technologie, par l’intermédiaire du coefficient de capital, et la substitution
entre les facteurs, afin d’assurer le plein emploi.

Ces auteurs ont surtout rejeté le cas Pasinetti (1962) car il expulse définitivement la définition
du taux de profit en référence à la théorie de la productivité marginale.

En complément des critiques formulées à l’égard de l’orthodoxie, Kaldor (1966) tenta


d’amender le modèle de Pasinetti (1962) suite à certaines objections néoclassiques. Kaldor
prit en compte la remarque de Meade (1963) selon laquelle il y aurait une la persistance d’une
classe de capitalistes « purs », c’est-à-dire des rentiers ne vivant que des revenus de la
propriété. À cette fin, il distingue les ménages et les sociétés par actions. Il suppose que
l’investissement global est financé de deux manières distinctes. D’abord les firmes retiennent
une fraction de leurs profits globaux, ensuite elles peuvent émettre de nouvelles actions sur les
marchés financiers représentant une partie de leurs investissements. Les ménages, eux, sont
supposés épargner les revenus du travail afin d’acheter les titres émis par les entreprises. Un
résultat surprenant est que les travailleurs n’interviennent pas dans la détermination des
revenus et il ne postule pas l’existence d’une classe permanente de capitalistes « purs ». En
vérité, ce seront les divers amendements au modèle de Kaldor (1966) qui permettra d’enterrer
définitivement la théorie orthodoxe de la croissance et de la répartition. Ainsi, Davidson
(1968) reproche à Kaldor d’avoir réintroduit le mécanisme néoclassique d’équilibrage entre
l’épargne et l’investissement à leur niveau de plein emploi. Il existerait donc un mécanisme
d’ajustement qui permettrait de retourner à cet équilibre. Cependant, cet auteur oubli que le
modèle de Kaldor ne s’applique exclusivement à des situations de plein emploi, mais permet
simplement d’assurer l’égalité entre épargne et investissement. Commendatore (1999) est
parvenu à incorporer les analyses de Kaldor et Pasinetti en les enrichissant et sans postuler
d’hypothèses ad hoc. Dans son modèle, il existe des ménages (travailleurs et capitalistes
« purs ») et des sociétés par actions. L’investissement est financé soit par fonds propres, par le
biais du taux de rétention appliqué sur les profits des entreprises avant versement des
dividendes, soit de manière externe, par émission de titres.
252
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Cet auteur arrive de la sorte à généraliser les conclusions de Pasinetti (1962) et Kaldor (1966)
à savoir que le taux de profits et la répartition des revenus sont indépendants des propensions
à épargner des travailleurs.

Jusqu’à présent, nous avons omis la présence de l’Etat. Une telle simplification peut sembler
abusive tant les postkeynésiens ont souhaité réhabiliter la politique budgétaire dans leurs
analyses. Il nous faut donc approfondir l’analyse postkeynésienne afin de remettre en jeu les
résultats qui semblaient acquis.

1.2. Les débats autour du budget de l’Etat dans l’approche


kaledorienne et dans le modèle de Pasinetti

L’introduction de l’Etat dans les modèles de croissances post-keynésiens et la réflexion sur


ses conséquences sont apparues tardivement chez les économistes de ce courant. Il aura fallu
attendre dix années pour qu’une contribution traite explicitement de cet agent économique.
Nous consacrerons donc cette section aux effets du budget de l’Etat sur le théorème de
Cambridge. Nous en arriverons un peu plus tard sur la contribution des postkeynésiens sur
l’étude de l’impact macro-économique de la fiscalité une fois que nous aurons étudié les
déterminants de la répartition chez Kalecki.

Steedman (1972) fut le premier à intégrer l’Etat dans le modèle cambridgien de base. Les
résultats qu’il obtient maintiennent le cas de Pasinetti, mais il ne reste valide que dans le cadre
d’un budget équilibré (1.2.1). Ce sera dix-sept ans plus tard que Fleck et Domenghino (1987)
analyseront les situations de surplus et de déficit budgétaire en mettant à jour des résultats
antagoniques (1.2.2).

1.2.1. Le modèle avec un budget en équilibre.

Dans ce modèle on intègre un taux d’imposition sur les revenus du travail , un taux
d’imposition sur les revenus du capital (profits) , des transferts sociaux dirigés directement
vers les ménages , où est le montant des dépenses publiques.
253
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Enfin représente la totalité des taxes reçues par l’Etat et correspond, dans le cadre d’un
budget à l’équilibre, à ses ressources. Dans ce cadre, la croissance du stock de capital des
travailleurs et des capitalistes se note de la sorte :

[ ( ) ]

et

( )

La condition de croissance équilibrée reste la même, à savoir ⁄ ⁄ ⁄ et

la rémunération du capital est la même à long terme ⁄ ⁄ ⁄ . Avec un

budget équilibré , on obtient un taux de profit macroéconomique chez Steedman (1972)


indépendant de la méthode de production, de la productivité marginale du capital et de la
propension à épargner des travailleurs. En définitive, le théorème de Cambridge tient en
présence de l’Etat.

1.2.2. Le modèle avec un budget déséquilibré

Fleck et Domenghino (1987) tentent d’analyser le cadre posé par Steedman lorsque le budget
est soit en déficit, soit en excédent. Les équations d’épargne sont habituelles 99 :

Le gouvernement, lui, lève des impôts indirects et dépense ses recettes en achats de biens et
services. Sa fonction d’épargne est la suivante :

Si , le budget est en équilibre, si il y a un excédent et si le budget est en


déficit.

99
Le solde de la balance commerciale n’est pas considéré dans le modèle de Fleck et Domenghino car il n’y a pas
explicitement de fonction d’exportation et d’importation.
254
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Lorsque les auteurs relâchent l’hypothèse d’un budget équilibré à long terme, alors ils
obtiennent que « le paradoxe de Pasinetti se résout lui-même dans un système intégrant
l’Etat : la propension à épargner des travailleurs demeure bien un élément essentiel de la
répartition des revenus à long terme et également du taux de profit à long terme » (Fleck et
Domenghino, 1987, p.29).

Pour ces auteurs, l’influence de la propension à épargner des travailleurs sur la répartition ⁄
dépend de l’état du solde budgétaire. Si le budget est en excédent soit , alors une
hausse de la propension à épargner des travailleurs entraine une chute de ⁄ . À l’inverse,

lorsque le budget est en déficit , la hausse de provoque l’augmentation de ⁄ .

Par contre, si le budget est équilibré, nous retrouvons le résultat de Pasinetti, où la propension
à épargner des travailleurs n’a aucune conséquence sur le taux de profit et la répartition.

Fleck et Domenghino (1987) ont ainsi cru pouvoir réconcilier les post-keynésiens avec les
Néo-classiques, mais c’était sans compter sur la réplique des économistes post-keynésiens.

Tout d’abord les résultats obtenus l’ont été en admettant l’égalité des taux de croissance de
chaque classe sociale, or les preuves empiriques sur ces dernières années 100 et les travaux de
Piketty (1998, 2012) ont montré que la croissance des revenus a été nettement favorable à une
très faible proportion de revenus de classes aisées. Il est donc contradictoire de considérer la
constance des taux de croissances pour chaque classe sociale.

Pour Charles (2009), le non-respect de la condition ⁄ provoque la disparition des


capitalistes chez Pasinetti (1962) et aboutit à des résultats incohérents chez Fleck et
Domenghino (1987). On obtient, par exemple, une part des profits supérieure à l’unité, ce qui
n’est pas logique puisque cela impliquerait que les travailleurs payent les entrepreneurs pour
avoir le droit de travailler. On peut expliquer ces résultats par la mauvaise spécification du
budget de l’Etat et dans l’absence d’une véritable fonction d’imposition. Ainsi, Dalziel (1989)
explique que cette analyse doit être rejetée, car elle ne prend pas correctement en compte le
rôle de l’Etat.

100
Voir Les très hauts revenus : des différences de plus en plus marquées entre 2004 et 2007, Insee 2012.
255
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Dans le modèle précédent, l’Etat n’est pas en mesure de percevoir de profits dans le cas d’un
budget en excédent ou d’effectuer des paiements d’intérêts dans le cas d’un déficit. De plus,
sa fonction « macroéconomique » au sens de Musgrave (1959, 1998) n’est pas non plus
décrite au sens où les dépenses publiques ne semblent pas pouvoir alimenter l’investissement.

C’est Pasinetti (1989) qui le premier, définit une fonction d’imposition complète dans le cadre
d’un budget en déséquilibre. Cette fonction prend la forme suivante :

[ ( ) ]
[ ( ) ]

Où est le taux d’imposition sur les salaires, le taux d’imposition sur les profits et le
taux d’imposition indirect portant sur la consommation de biens et services, celui-ci
s’appliquant également aux dépenses de l’Etat . Evidemment, tous les taux sont compris
entre 0 et 1. Le solde budgétaire est estimé de la manière suivante :

Soit :

Après quelques manipulations, le théorème postkeynésien est à nouveau valide. Quand


, on retrouve les résultats obtenus par Steedman (1972). Cependant, une condition à la
validité des résultats obtenus est que le théorème de l’équivalence ricardienne (Barro, 1974)
s’applique. D’après ce théorème, les agents considèrent comme équivalent le financement du
déficit soit par l’impôt, soit par l’émission de titres. Cela suppose donc que les intérêts
distribués seront remboursés aux agents privés par la levée d’impôts supplémentaires.
Néanmoins, nous ne savons pas ce qui se passe lorsque l’équivalence ricardienne ne
s’applique plus et que les agents considèrent la dette publique comme une richesse nette, leur
rapportant un intérêt.

Au regard des résultats de Pasinetti (1989), les économistes postkeynésiens envisagèrent


l’étude de cas où le théorème d’équivalence ricardienne ne s’appliquait plus. C’est le cas par
exemple de Denicolò et Matteuzzi (1990) ou de Commendatore (1993).
256
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Désormais, les agents considèrent les titres publics, émis pour financer le déficit budgétaire,
comme un stock de richesse et non plus comme une simple levée d’impôts futurs. Ainsi chez
Denicolò et Matteuzi (1990, p.341-342), le modèle de Pasinetti reste valide en cas de solde
budgétaire négatif, sans valider l’hypothèse d’équivalence ricardienne.

Nous avons donc pu observer dans cette partie, que l’analyse postkeynésienne, une fois
enrichie, conserve ses conclusions originelles relatives au taux de profit et à la répartition.
Cette analyse semble également offrir des résultats robustes lors de l’intégration de
l’imposition, d’au moins trois classes sociales et enfin agrémenter d’un budget de l’Etat,
équilibré ou non.

Il semblerait que les modèles de Pasinetti (1962) et Kaldor (1966) semblent constituer le socle
de cette théorie postkeynésienne de la répartition et de la croissance. Pour autant, dans le
cadre de notre travail de thèse sur les effets macroéconomiques de la fiscalité, nous allons voir
qu’une autre théorie postkeynésienne semble davantage répondre à notre questionnement.

Il s’agit de la théorie kaleckienne de répartition et de la croissance, qui aura l’avantage de


mettre en avant la fiscalité comme instrument de politique économique.

1.3. La répartition du revenu chez Kalecki

Chez Kaldor, nous avons vu que la répartition des revenus est déterminée de manière
endogène, la stabilité de la croissance équilibrée de plein emploi est possible dès lors qu’il
existe un mécanisme d’ajustement via la propension moyenne à épargner. Chez Kalecki, par
contre, la répartition des revenus est au contraire exogène et joue un rôle central dans la
dynamique macroéconomique (1.3.1). Son analyse a ensuite été étendue à long terme dans un
modèle de croissance (1.3.2).

1.3.1. Les déterminants de la répartition à court terme

Kalecki (1937, 1971) a écrit une théorie de la distribution qui combine à la fois des aspects
microéconomiques et macroéconomiques. La théorie de la distribution de Kalecki est centrée
sur le « degré de monopole » et ignore le rôle du coût du travail dans l’ajustement de la
demande effective, qui peut influencer la part des revenus, même si le mark-up est constant
(Asimakopulos 1975).
257
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

La théorie kaleckienne de la distribution se démarque de celle de Kaldor (1956) par le fait que
ce dernier s’intéresse à des situations de plein-emploi, ce qui n’est pas le cas de Kalecki.
Chez Kaldor (1956), il existe une distinction entre le court et le long terme. À court terme,
c’est le multiplicateur qui explique les variations, mais à long terme, c’est l’ajustement de
l’emploi qui l’emporte. Kalecki pense au contraire que « la tendance à long terme est un
élément certes, mais il évolue lentement comme une succession de courtes périodes: il n'a
pas une entité indépendante » (Kalecki, 1971, p.165). La construction de la théorie de la
répartition chez Kalecki peut alors s’observer comme une succession de relations de courtes
périodes.

Les prix et la fonction d’investissement

Chez Kalecki, les prix sont déterminés par la majoration des coûts unitaires de base,
composés des salaires et des coûts matériels. Le niveau des prix est directement affecté par le
degré de monopole.

Ce niveau dépend de la concentration des entreprises ou bien du pouvoir syndical. Kalecki


(1971) suppose donc que les industries manufacturières produisent dans un marché en
concurrence oligopolistique.

La fonction d’investissement des modèles kaleckiens s’inspire de la fonction d’investissement


de Robinson mais elle intègre, en plus, le taux d’utilisation des capacités de production.
i
Chez Robinson, le taux de croissance du stock de capital g décidé par les entrepreneurs
dépend du taux de profit anticipé par les entrepreneurs appelé r a . La fonction
d’investissement écrite sous la forme d’un taux de croissance, c'est-à-dire comme la variation

du stock de capital s’écrit : g


i

K/
K 
I/
K 
 a
rDe cette relation, Robinson suppose

qu’il faut un taux de profit anticipé de plus en plus important pour obtenir une augmentation
du taux d’accumulation décidé par les entrepreneurs.
258
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Dans les modèles kaleckiens, la croissance de l’accumulation du capital dépend du taux


d’utilisation des capacités de production. La fonction d’investissement peut donc se réécrire :
(1) g i  (u u s)

Où u s représente le taux d’utilisation standard ou jugé normal et u le taux d’utilisation


effectivement réalisé. La constante  peut être interprétée comme le taux de croissance des
ventes anticipé par les entrepreneurs. L’incertitude prédominante dans l’analyse
postkeynésienne qui peut être expliquée par ce que Keynes (1936) dénomme les « esprits
animaux » des entrepreneurs, permet d’expliquer que lorsque l’économie est en état
d’incertitude, c’est l’état d’esprit, la confiance des entrepreneurs dans les évolutions futures
de l’activité économique qui réorienteront en partie les décisions d’investissement. Ensuite, de
cette formulation de la fonction d’investissement, on peut déduire que lorsque les capacités de
production utilisées sont à un niveau supérieur au taux normal, par exemple dans le cas d’un
accroissement de la demande, alors les entreprises estiment qu’elles disposent de capacités
insuffisantes pour faire face à cette nouvelle demande et veulent se rapprocher du taux
d’utilisation normal en adoptant un taux d’accumulation supérieur au taux de croissance
tendanciel des ventes (g  ) , car les entreprises souhaitent revenir à un taux d’utilisation
i

« normal ». Inversement, si les entreprises estiment qu’elles sont en surcapacité, alors elles
laisseront le stock de capital croitre à un rythme plus faible que la hausse anticipée des ventes.

Chez Kalecki, l’épargne tient un rôle important. On peut tenir compte de l’épargne des
travailleurs sans modifier l’orientation générale du modèle, du moins tant que la propension à
épargner des profits est supérieure à celle des salaires. Dans l’analyse postkeynésienne,
différents types de revenus sont associés à différentes propensions à consommer.
Généralement, on suppose que les travailleurs ont un revenu inférieur à celui des capitalistes
et qu’ils consommeront une part plus importante de leur revenu. Par conséquent, la forme de
l’équation d’épargne sera du type : S sw(Y  R ) s cRavec Y le revenu, R les profits, S
l’épargne et s w et s c respectivement le taux d’épargne sur les salaires et les profits.

Cependant, par souci de simplification, l’approche kaleckienne suppose que la propension à


consommer les salaires est nulle. La fonction d’épargne écrite sous la forme d’un taux de
croissance de l’épargne va être :

g s  sc r
Qui correspond à la fameuse Relation de Cambridge. Cette fonction d’épargne devient ensuite
une des composantes du taux de profit de l’économie.
259
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Le rôle de la demande effective

Les changements de la demande effective peuvent influencer la part des profits, même avec
augmentations des prix, car la quantité de travail est considérée comme fixe.

L’hypothèse d’une répartition exogène renvoie donc aux comportements de taux de marge des
entreprises, qui sont déterminés par le degré de monopole et le conflit distributif. La
répartition ne dépend donc pas de variables macroéconomiques comme pour les modèles
cambridgiens. Par contre, elle est déterminante pour la dynamique de croissance de
l’économie. Compte tenu de ces hypothèses, à l’inverse des modèles cambridgiens, ce n’est
pas une modification de l’investissement qui conduit à une évolution de la répartition. Par
ailleurs, le taux d’utilisation est dans les modèles kaleckiens une variable endogène. Cette
hypothèse se justifie théoriquement par le besoin des entreprises de conserver une marge de
manœuvre en cas de hausse de la demande. Dans le cadre de marchés en concurrence
imparfaite, les grandes sociétés constituent des oligopoles qui dominent les autres petites
entreprises des branches concernées par l’activité des entreprises oligopolistiques.

Dans ce contexte, les décisions des entreprises dominantes appelées les « méga sociétés »
(Lavoie, 2004) auront des répercussions sur l’activité des entreprises dominées. Chaque rivale
devra tenir compte des unes et des autres pour établir des stratégies sur le long terme. Les
entreprises, auront une influence particulière sur la fixation de leurs prix de vente. On
s’éloigne ici de l’entreprise dite « price-taker » de la théorie néoclassique pour accepter une
situation où les entreprises sont « price-maker ». Le contexte d’entreprises oligopolistiques
possédant un pouvoir de décisions sur les autres petites entreprises permet de sortir de
l’hypothèse de fixation des prix par le marché au profit d’une détermination de ceux-ci par les
entreprises. Ces prix n’ont par conséquent aucune propriété leur permettant d’égaliser l’offre
et la demande. Ils seront fixés selon la procédure du « mark-up ».

Nous retrouvons également des hypothèses communes aux modèles cambridgiens :


propension à épargner sur les salaires inférieure à celle sur les profits et coût marginal
constant. Une modification de la répartition se répercute donc sur l’épargne, comme dans les
modèles cambridgiens.
260
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Allain (2006) a formulé un modèle Kaleckien de base permettant de formaliser les liens entre
la part des profits et le taux d’accumulation, le taux d’utilisation et le taux de profit et donc de
comprendre la dynamique existante entre répartition et croissance.

Dans ce modèle, le niveau de la production (Y) dépend du volume de travail (L) et de sa


productivité :

Les entreprises fixent leur prix par mark-up sur le coût variable unitaire ⁄ , avec le
taux de mark-up :

La part des profits est croissante du taux de marge et se formalise donc de la manière
suivante :

En notant u le taux d’utilisation ⁄̅ et le coefficient de capital lorsque les


entreprises produisent à pleine capacité ⁄ ̅ , le salaire réel et le taux de profit sont
donnés par :

L’impact de la répartition sur la croissance est dû aux différences de propension à consommer


entre salariés et capitalistes. Afin de simplifier, dans la suite du raisonnement, nous prenons
comme hypothèse une propension à épargner sur les salaires égale à zéro. La fonction
d’épargne exprimée en proportion du stock de capital s’écrit :

Avec la propension à épargner les profits

Un accroissement du taux de marge, qui modifie la répartition à l’avantage des profits,


engendre une hausse de l’épargne, pour un taux d’utilisation des capacités productives
inchangé.
261
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Dans le modèle d’Allain (2006), Un accroissement de la propension à épargner provoque


donc une réduction de ces trois variables. Une hausse de la part des profits se répercute de
façon négative sur la croissance. Bien qu’elle accroisse la profitabilité à taux d’utilisation
donné, elle se traduit par une réduction de la consommation qui vient réduire le taux
d’utilisation. Cette baisse du taux d’utilisation fait plus que compenser l’accroissement de la
profitabilité. Le taux de profit diminue malgré la hausse de la part des profits. Les résultats
divergent donc sur ce point des analyses issues des modèles de Kaldor. Principalement, la
relation entre part des profits et accumulation est inversée.

Le modèle dégage donc deux conclusions importantes propres aux modèles kaleckiens :

- On retrouve le paradoxe de l’épargne commun aux modèles postkeynésiens.


L’accroissement de la demande engendré par exemple par une réduction de la
propension à épargner des capitalistes augmente le taux d’utilisation et par
conséquent l’investissement.
Les profits s’accroissent et engendrent une augmentation à la fois de
l’investissement et de l’épargne. Une réduction de la propension à épargner
conduit donc à un montant total d’épargne plus important.

- Si l’économie se trouve en situation de sous-utilisation des capacités productives,


alors un accroissement des coûts réels de production réduira le montant des profits
gagnés au niveau actuel du taux d’utilisation des capacités productives, mais est
également suivi par un accroissement des taux d’utilisation. L’effet lié à
l’accroissement du taux d’utilisation fait plus que compenser l’effet de la hausse
des coûts. Il en résulte un taux d’accumulation et de profit plus élevé. Les résultats
des modèles kaleckiens s’opposent sur ce point à ceux des modèles cambridgiens,
ou un accroissement du taux de profit ne peut avoir lieu que dans une situation de
recul de la part salariale. L’accroissement du taux d’accumulation et du taux de
profit est lié dans les modèles kaleckiens à la hausse de la part salariale, qui influe
de façon positive sur le taux d’utilisation des capacités productives.
262
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Les modèles kaleckiens établissent donc une relation croissante entre part salariale et taux
d’accumulation. De même, il ressort de ces modèles qu’une hausse des taux de profit survient
lors d’une hausse de la part salariale

1.3.2. Extensions de l’analyse kaleckienne dans un modèle


de croissance

Les écrits de Kalecki (1968, 1971) ont décrit une théorie de l’investissement en dynamique.
Pour autant, ces analyses en dynamique ont souvent réduit le rôle du budget de l'Etat, sans
intégrer explicitement les effets de la fiscalité dans le long terme sur la croissance
économique. À l’instar de Keynes, Kalecki estime que l'investissement du secteur privé est
une source de fluctuations cycliques. Il ignore également la composante du stock de
l’investissement sur le cycle économique. Le « mark-up » des entreprises est considéré
comme constant à long terme.

Gomulka et al. (1990) ont corrigé la version de Kalecki en analysant les propriétés
dynamiques du modèle de Kalecki et montrent qu’en fonction des paramètres du modèle, son
approche peut être mise à contribution pour expliquer un capitalisme « dangereux » (cycle
dépressif) et un capitalisme « imprudent101 » (cycle explosif). Gomulka et al. ont conclu qu’en
corrigeant la théorie de la croissance de Kalecki, on se rapprocherait plutôt de l’analyse de
Schumpeter et on s’éloignerait de celle de Marx.

Ainsi en se rapprochant de Schumpeter, le taux d’innovation et son impact sur


l’investissement doivent être suffisamment importants pour absorber la croissance de la force
de travail. Kalecki n’étant pas satisfait de cette version, il décide de modifier sa théorie de
l’investissement (1968, 1971). Dans cette dernière version, le nouvel investissement est
gouverné par une légère augmentation des profits capturée par le nouvel investissement au
lieu de dépendre simplement d’une modification dans le taux de profit passé.

101
Rash dans le texte
263
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

En outre, Kalecki a reformulé la théorie des cycles, en déclarant: "le taux de croissance à un
moment donné est un phénomène ancré dans le passé économique, social et les
développements technologiques plutôt que déterminés entièrement par les coefficients de nos
équations comme c'est le cas avec le cycle économique [et] les théories mécanistes 102 ". Il se
satisfera donc de cette dernière version en affirmant : « les futurs recherches sur les
problèmes de croissance devrait être dirigées non pas vers une étude de cycles semi-
autonomes… mais plutôt vers le traitement des coefficients d’équations . . . plutôt que de
modifications lentes dans les variables enracinées dans le développement passé du
système103. »

Dans cette version, l’investissement dépend de la différence entre le taux réel et le taux
normal de profit des nouveaux investissements. La norme du taux de profit correspond au
contraire à la période de retour sur investissement, c’est-à-dire la période au cours de laquelle
les entrepreneurs s'attendent à "normalement" récupérer le capital investi.

On note ce taux standard par , et le niveau des nouveaux investissements qui permet d’obtenir
le même taux de profit, dans les conditions qui prévalent dans l'année considérée, par .
Kalecki se réfère donc à deux facteurs déterminants de l’augmentation des "bénéfices réels"
des nouveaux investissements. En l’absence de progrès technique, le premier déterminant se
situe, lorsque tout nouvel investissement ne saisit qu'une petite proportion de
l'augmentation des bénéfices, au cours de l’année, c’est-à-dire . L'argument de Kalecki est
basé sur la concurrence imparfaite: grâce à son pouvoir de marché, l’ancien équipement de
l’entreprise a tendance à retenir les marchés et les profits qu'il avait avant. Nous avons donc:

Qu’on peut aussi exprimer de la manière suivante :

102
“ the rate of growth at a given time is a phenomenon rooted in past economic, social and technological
developments rather than determined fully by the coefficients of our equations as is the case with the business
cycle [and] mechanistic theories” Kalecki 1968 [1991]: 450
103
“future inquiry into the problems of growth should be directed not towards doing without semi-autonomous
magnitudes . . . but rather towards treating the coefficients of equations . . . as slowly changing variables rooted
in past development of the system.” Kalecki 1968 [1991]: 450
264
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Le deuxième facteur apparait lorsque l'on tient compte du progrès technique. Les nouveaux
équipements sont plus productifs que les plus anciens. Les bénéfices qui leur reviennent
comprennent un gain supplémentaire, tandis que pour un volume donné de bénéfices globaux,
les bénéfices récupérés par les anciens équipements sont du même montant. Cette dernière
composante des bénéfices (notée ) compense le flux de profit total capturé par la
nouvelle installation, conforme à ce que l'on appelle le «taux normal de profit». Le taux
normal de profit est donc associé à un niveau d'investissement selon la relation:

Pour les capitalistes, ce taux de profit sert de référence au calcul du seuil de rentabilité. Le
réinvestissement de l'épargne de l’entreprise, déterminé par les flux de bénéfices passés
dépendra donc de la façon dont ce niveau d'investissement normal est comparé avec le niveau
de l'investissement réel. En d'autres termes, Kalecki écrit les décisions d'investissement sous
la forme suivante:

Où représente l’épargne totale des entreprises et une constante positive. Par conséquent, si
le terme entre parenthèses est positif (négatif), les décisions d'investissement augmenteront
plus (moins) que l'épargne d'entreprise.

Kalecki estime alors que l’épargne des entreprises, est une proportion constante (e) de
l’épargne totale (qui est égale à l'investissement total ), comprend l'impact des innovations
. L’équation qui décrit les décisions d’investissements s’écrit :

( )

Après quelques manipulations, on arrive à l’équation de la dynamique d’investissement :

Où et sont des constantes positives. Kalecki maintient un terme semi-exogène, qui est
inclus pour tenir compte des facteurs qui ne dépendent pas strictement, sur les équations du
modèle.
265
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Nous avons mentionné à plusieurs reprises que la préoccupation centrale de Kalecki a été
l'analyse de la façon dont les cycles d'affaires du capitalisme et de la croissance à long terme
sont générés. La théorie à long terme de la demande effective est de fait, le noyau central de
préoccupation théorique de Kalecki.

Dans un premier temps, Kalecki a développé un modèle dans lequel il existe un mouvement
continuel à travers une série d’équilibres de courtes périodes ou quasi-équilibre. Par ailleurs,
ce mouvement sera cyclique et un équilibre final ne sera jamais atteint, du fait de fluctuations
permanentes dans le cycle des affaires.

Dans un second temps, dans son modèle, Kalecki suppose que l'expansion de la demande est
non seulement une condition nécessaire pour la croissance à long terme, mais en plus une
condition suffisante. C’est donc une théorie dans la droite ligne de l’analyse de Keynes,
éloignée des préceptes énoncés par le modèle IS-LM de Hicks (1937), ou bien par les modèles
de croissance néo-keynésiens (Mankiw, 1982, Blanchard 1989) où la demande agit sur la
dynamique macroéconomique uniquement à court terme. Plus précisément, la théorie à long
terme de Kalecki de la demande effective est surtout une théorie à long terme des décisions
d'investissement.

Kalecki ne prétend pas prendre en considération tous les facteurs qui peuvent avoir une
incidence sur l'investissement. Au contraire, son objectif était de formuler une théorie
générale des décisions d'investissement dans des conditions normales, à l'exclusion donc des
situations telles que par exemple les "crises de confiance".

Quoi qu'il en soit, Kalecki suppose implicitement que le niveau d'activité économique
effective est toujours en dessous du niveau potentiel, ce qui veut dire que, dans chaque
moment du temps, il existe la capacité de production inutilisée. Kalecki précise ceci quand il
affirme que «laissez-faire l’économie capitaliste de sorte à réaliser une utilisation plus ou
moins complète des ressources… n’est souvent pas possible» (Kalecki, 1968b, p. 438). C'est
pourquoi Steindl (1952) a été amené à conclure «On peut remarquer en conclusion que
l'analyse de Kalecki de la tendance est purement en termes de demande. Il a implicitement
reconnu l'importance de l'offre comme une contrainte sur la croissance (si la croissance
atteint le plafond, la tendance serait influencée aussi), mais le flux de la demande apparaît
comme le moteur principal, la condition sine qua non de la croissance "(p.148)
266
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

La position de Kalecki diffère donc radicalement du point de vue néo-classique et néo-


keynésien. Il rejette donc l’idée que l'économie capitaliste est dotée d'un mécanisme assurant
un retour au plein emploi, ou un retour à la pleine utilisation de la capacité, à chaque fois
qu’un choc modifie cet équilibre.

1.4. Les modèles wage-led et profit-led

Le modèle de Bhaduri et Marglin repose sur les mêmes hypothèses que dans les modèles
kaleckiens : taux d’utilisation et taux d’accumulation endogènes ; répartition déterminée de
façon exogène104. Cependant, selon Bhaduri et Marglin, les analyses kaleckiennes n’ont pas
intégré les effets dépressifs d’un accroissement des salaires sur l’activité économique. Pour
les auteurs, la fonction d’accumulation kaleckienne fait apparaître deux fois le taux
d’utilisation : au sein du taux de profit et en tant que tel. Par conséquent, les effets d’une
variation du taux d’utilisation seraient surreprésentés.

Ainsi, pour les auteurs, une baisse de la part des profits compensée par un accroissement du
taux d’utilisation doit pouvoir aboutir à une accumulation plus faible, à la différence des
modèles kaleckiens. Un accroissement du taux de profit peut être lié soit à une hausse du taux
d’utilisation des capacités productives soit à un accroissement dans la marge de profit. C’est
pour cela qu’ils distinguent dans la fonction d’accumulation le taux d’utilisation de la part des
profits. Le modèle repose ainsi sur l’idée que les entrepreneurs ne réagissent pas à une
augmentation du taux de profit de la même façon selon qu’elle découle d’une hausse du taux
d’utilisation (effet accélérateur), ou d’une hausse de la part des profits (effet profitabilité) :

Un accroissement des salaires réels diminue la part des profits, ce qui accroît la
consommation. Cependant, la demande agrégée peut s’accroître ou diminuer en fonction de
l’impact de la plus faible part des profits sur l’investissement. Un accroissement exogène des
salaires réels provoque à la fois un accroissement du taux d’utilisation et un recul de la
profitabilité, toute chose égale par ailleurs.
104
Les variations du taux de salaire réel sont supposées exogènes afin d’analyser les interactions entre variation
des salaires réels et chômage, en d’autres termes entre répartition des revenus et production par une méthode de
statique comparative.
267
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

L’effet global dépend alors de la sensibilité de l’accumulation à ces deux déterminants.


L’équation précédente a ainsi pour objectif de séparer l’impact côté « demande » sur
l’investissement, via le taux d’utilisation, de l’impact côté « offre », qui passe par la baisse
des coûts qui suit un salaire réel plus faible et une part des profits plus élevée. Le type de
régime est déterminé par la sensibilité de l’épargne et de l’investissement à la part des profits
et au taux d’utilisation, l’équilibre entre l’épargne et l’investissement est :

A partir de cet équilibre il est possible d’étudier la variation relative du taux d’utilisation
par rapport à la part des profits, ce qui permet de spécifier le type de régime :

Pour que le modèle soit stable, il faut que :

La détermination du type de régime économique dépend des effets de la répartition des


revenus sur l’investissement, ce qui renvoie au signe de . Une hausse de la part des
profits peut s’accompagner d’un recul de l’investissement, si celui-ci dépend surtout du taux
d’utilisation.

Si la réduction des salaires s’accompagne de celle de la demande agrégée ,


l’économie est wage-led ou « sous-consommatrice ». Dans ce régime, la réduction de la
consommation due au recul des salaires réels n’est pas compensée par le redressement de la
profitabilité et l’investissement recule. Une relation inverse existe donc dans ce cas entre part
des profits et taux d’utilisation. Une hausse de la part des salaires peut au contraire exercer
des effets récessifs via la baisse de la part des profits, qui tend à réduire l’investissement
. L’économie se situe alors dans une configuration profit-led. Ce type de résultat est
opposé à ceux des modèles kaleckiens, où une baisse de la part des salaires s’accompagne
toujours d’une réduction du taux d’utilisation des capacités productives et du taux de profit.
268
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

La configuration du régime dépend de la sensibilité de l’investissement et de l’épargne à la


profitabilité. Le régime « coopératif », où les salariés voient la part des salaires s’accroître et
où les ventes supplémentaires apportent un profit plus important malgré la baisse de la part
des profits, est valide si :

Il faut que les capitalistes répondent de façon plus forte à la hausse des taux d’utilisation qu’à
la baisse de la part des profits. Il existe un risque de sous-accumulation qui peut conduire à un
accroissement du chômage. De ce fait, la part des salaires ne peut croître indéfiniment105.

Les auteurs kaleckiens ont critiqué le modèle proposé par Bhaduri et Marglin. Les critiques
portent essentiellement sur les déterminants de la fonction d’investissement, qui sont à
l’origine des conclusions divergentes quant aux relations de long terme entre part des salaires
et accumulation (Lavoie, Rodríguez et Seccareccia, 2004).

La première critique repose sur l’aspect peu réaliste du « puissant effet de la part des profits »
sur l’investissement (Blecker, 2002, p.137). L’incitation à investir consécutive à une hausse
de la part des profits doit être suffisante pour entraîner une hausse de la demande effective
afin que le régime soit profit-led.

En d’autres termes, il faut que l’investissement augmente et que cette hausse fasse plus que
compenser le recul de la consommation. Blecker montre que l’existence d’un régime profit-
led dans le cadre des hypothèses posées par Bhaduri et Marglin ne peut se produire qu’avec
des valeurs de paramètres peu réalistes106.

105
Taylor (2004) insiste également sur le fait qu’il existe une sorte de limite aux effets positifs d’une hausse de
la part salariale dans un régime wage-led. Dans le cas où l’économie est tirée par les profits, il existe au contraire
un risque de suraccumulation.
106
A partir d’une étude empirique, Bowles et Boyer (1995) ont montré que les différences de propension à
épargner sur les profits et les salaires sont suffisamment importantes pour compenser les effets positifs des
profits sur l’investissement. Seule l’ouverture internationale est susceptible pour ces auteurs de faire basculer les
économies dans des régimes profit-led. Cependant, cette question s’éloigne de notre cadre d’analyse.
269
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

L’élasticité de l’investissement désiré par rapport à la part des profits doit ainsi excéder
l’unité. Une autre critique, formulée par Mott et Slattery (1994), concerne la spécification de
la fonction d’investissement. Les décisions des entrepreneurs n’ont aucune raison de reposer
sur la part des profits, elles reposent principalement sur le taux d’utilisation, car les
entrepreneurs ne souhaitent pas qu’il soit trop élevé ou trop faible, et sur le taux de profit qui
conditionne dans ces modèles l’accès au financement en constituant un indicateur des
possibilités d’emprunt des entreprises. Dans une perspective proche, pour Stockhammer
(1999), une réduction de la part des profits ne peut affecter l’investissement que si elle est
suivie d’un recul du taux de profit.

2. Les débats sur le rôle de la politique budgétaire entre keynésiens et


néo-classiques

Au cœur de l’analyse keynésienne, il y a le principe de la demande effective. C’est en


fonction de son état que dépendent les prévisions des entrepreneurs quant à la reprise de
l’investissement et de l’emploi. La plupart des auteurs postkeynésiens se sont surtout attelés à
décrire les effets de la politique budgétaire (Arestis et Sawyer, 2004) sur la demande
effective, sans pour autant donner un rôle primordial à la politique fiscale. Nous allons donc
étudier dans cette partie, le rôle que les auteurs keynésiens ou postkeynésiens ont accordé à la
politique budgétaire (Keynes, 1936 ; Lerner, 1943 ; Kalecki, 1944 ; Arestis et Sawyer, 2003 et
2004).

A l’entame de la deuxième moitié siècle, le débat fait rage entre les économistes sur le rôle et
la place de l’Etat dans l’économie.

Certaines défendent la création de déficit budgétaire pour soutenir l’activité (Lerner, 1943),
tandis que d’autres auteurs (Buchanan, 1964) défendent l’idée que l’Etat doit être géré de
façon saine sans creuser les déficits en laissant faire les forces de marchés réguler l’activité
économique (2.1). Ces discussions ont fortement influencé un autre débat sur la pertinence ou
non des dettes publiques et de leurs effets macroéconomiques chez les néoclassiques et les
postkeynésiens (2.2).
270
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

2.1. Le débat entre la finance « fonctionnelle » et la finance


« sourde »

La discussion entre économistes a souvent tourné autour des questions du budget de l’Etat et
de son utilisation à des fins conjoncturelles. Il y a eu un débat important au milieu du 20ème
siècle, notamment entre les tenants d’une « finance fonctionnelle » défendue par Lerner
(1943, 1944) et plus récemment par les postkeynésiens (Arestis et Sawyer, 2003, 2004) et
celle de la « finance saine » défendue par les néo-classiques et les néo-keynésiens (Modigliani
1958 ; Buchanan, 1964, 1986 et Barro, 1974).

La théorie orthodoxe s’appuie sur l’idée répandue par la loi de Say selon laquelle il y a une
tendance automatique à ce que l'égalité entre épargne et investissement soit assurée. Dans ce
cas, l’utilisation de la politique budgétaire sous la forme de déficit budgétaire n’a pas de sens.
En outre, si les taux d'intérêts peuvent être manipulés par le biais de la politique monétaire de
telle manière à assurer cette égalité, il y a encore un peu place pour la politique budgétaire.
C’est un argument keynésien de base que d’affirmer qu’il n’y a aucune garantie que l’égalité
entre investissement et épargne soit vérifiée. L’hypothèse générale des keynésiens a été de
dire qu'il existe des périodes où l'investissement ex-ante est insuffisant par rapport à
l’épargne ex-ante, plutôt que l'inverse. Cela n'exclut pas qu'il y aura des occasions, comme
dans la fin des années 1990 au Royaume-Uni et les Etats-Unis, avec un faible chômage et où
l'investissement soit supérieur à l'épargne (Arestis et Sawyer, 2003). Dans le premier cas, un
déficit budgétaire est nécessaire pour éponger l'excès d'épargne, tandis que dans le dernier cas
il y a un excédent budgétaire.

Toutefois, l’hypothèse que les déficits budgétaires sont les plus fréquents, au titre de
l'utilisation de la «finance fonctionnelle», soulève le problème de l’augmentation de la charge
de la dette et de la dette en elle-même. Lerner (1943), reconnait cette possibilité mais vu que
"peu importe combien d'intérêt doivent être payés sur la dette, la fiscalité doit être appliquée
que si elle est nécessaire pour maintenir un certain niveau de dépenses en évitant l'inflation.
Les intérêts peuvent être payés par davantage d'emprunt» (p. 356). Selon Randall Wray107,

107
New Economic Perspectives, Université de Kansas City, 8 janvier 2012
271
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

La finance fonctionnelle de Lerner repose sur deux principes :

1­ Si le revenu national est trop faible, le gouvernement doit dépenser davantage. Le


chômage apporte une preuve suffisante de cette situation. L’existence du chômage
signifie donc que les dépenses publiques sont trop faibles.
2­ Si le taux d’intérêt dans le pays est trop élevé, cela signifie que le gouvernement doit
mettre en circulation davantage de monnaie, principalement sous la forme de réserves
bancaires.

Lerner (1943) rejette la notion de « finances saines », selon laquelle le gouvernement devrait
gérer son budget comme un ménage ou une entreprise. Il ne voit pas pour quelle raison le
gouvernement doit équilibrer son budget chaque année sur un cycle économique, ou toute
autre périodicité. Pour Lerner, des « finances saines » ne sont pas « fonctionnelles », au sens
qu’elles n’aident pas à la réalisation des objectifs de la société (y compris, par exemple, le
plein emploi). Il rejette également toute règle tentant de maintenir le déficit budgétaire en
dessous d’un pourcentage spécifique du PIB, ainsi que tout ratio arbitraire de dette par rapport
au PIB. Le « bon » niveau de déficit serait celui qui réaliserait le plein emploi. Cette notion
prend son influence dans la notion de « multiplicateur keynésien » qui est un concept utilisé
par Keynes pour montrer comment, dans une économie où il n y a pas le plein emploi des
ressources, une variation « autonome », exogène, de la demande peut provoquer une variation
plus importante du revenu national ; le multiplicateur keynésien donne le rapport entre ces
deux variations. La variation de la demande est considérée comme « autonome » si elle
correspond à un changement dans le comportement des agents économiques108 ou de la façon
d'intervenir de l'Etat, à travers ses dépenses.

La relation économique sur laquelle se fonde le multiplicateur keynésien est la fonction de


consommation, qui établit un lien entre les dépenses de consommation courantes des ménages
(dans leur ensemble) et leur revenu courant. Selon Keynes, ces dépenses sont bien moins
soumises aux divers aléas de la vie économique que celle qui accompagnent les
investissements ; les variations de ceux-ci sont donc en bonne partie à l'origine des
fluctuations économiques.

108
Par exemple, une modification de l'état d'esprit des entrepreneurs.
272
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Pour lui, les décisions de consommer et d'investir sont prises indépendamment les unes des
autres, les premières étant le fait des ménages qui agissent selon des habitudes bien établies,
alors que les secondes sont le fait des entreprises, dont les choix sont gouvernés par leur
prévision sur la demande future. Le multiplicateur peut donc être considéré comme la
résultante de ces deux types de décisions, auxquelles on peut ajouter celles de l'Etat. Même si
elle est relativement rudimentaire, la logique du multiplicateur relève plutôt de l'équilibre
général, puisqu'elle fait jouer un rôle essentiel à la coordination de décisions prises par des
entreprises différentes (ménages et entreprises).

Selon la doctrine des finances saines, l’Etat ne doit pas intervenir sur le marché, car les
déséquilibres se résorbent automatiquement par les forces du marché. L’État n’a donc qu’un
seul rôle : préserver la stabilité de l’environnement économique et garantir le respect des
droits de propriété afin d’assurer les conditions cadres nécessaires au fonctionnement du
marché ; on parle d’État gendarme ou du “moins d’État“. L’emprunt est à proscrire pour les
classiques, parce qu’il permet à l’État de dépenser plus que ce qui lui est nécessaire pour
assurer sa fonction. La gestion du budget public est assimilée à la gestion d’un ménage privé :
on ne doit dépenser que ce que l’on a, sous peine d’être mis en faillite. La pensée classique est
développée par l’École du Public Choice, et notamment par James Buchanan, depuis les
années cinquante.

La théorie des « finances saines » s’appuie sur deux piliers principaux sur lesquels nous
reviendrons plus en détail dans les parties qui suivent :

- un effet d’éviction: la hausse du déficit public provoque une hausse des taux
d’intérêt qui comprime en retour la demande privée ;
- l’équivalence ricardienne : les agents réagissent rationnellement à une hausse du
déficit public par une augmentation de leur épargne.

Plus récemment, on observe dans la macroéconomie contemporaine un mélange entre les


développements néoclassique auquel se sont greffés ceux issus de la synthèse néokeynésienne
d’après-guerre.
273
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

La caractéristique principale de ce corpus théorique que les postkeynésiens ont réunis sous
l’appellation du New Economic Conensus109 (Tcherneva, 2008), est que les variables macro-
économiques sont déterminées par l’agrégation de comportements individuels micro-fondés.
En effet, ces modèles incorporent les décisions individuelles intertemporelles en s’appuyant
sur l’hypothèse des anticipations rationnelles. En l’absence de cette structure, il y aura des
désaccords sur le rôle de la politique fiscale (Tcherneva, 2008).

Durant l’hégémonie des idées monétaristes au cours des années 1970-1980, la politique
fiscale avait été mise au ban. La NEC reconnait un rôle mais limité à la politique budgétaire
(Bernanke, Reinhart and Sack, 2004, Krugman, 2005). Cependant cette reconnaissance ne
doit pas être interprétée comme une réhabilitation de la politique budgétaire comme élément
incontournable de la macro-économie. En fait, ces défenseurs lui reconnaissent une utilité
seulement dans des circonstances particulières, notamment, lorsque les taux d’intérêts à court
terme tombent à zéro, ou alors lorsque la politique monétaire est incapable de stimuler
l’économie. La politique budgétaire dans la NEC n’est donc vue que comme une mesure de
dernier recours qui doit être utilisée dans des périodes de forte déflation, et ce, malgré les
distorsions induites par la fiscalité. Il est maintenant accepté par Bernanke (2003) et d’autres,
que les autorités fiscales peuvent avoir, à court terme, des raisons importantes de dévier de
l'équilibre budgétaire (ou excédent budgétaire) lorsque l’on se retrouve face à des situations
d'urgence nationale ou une profonde récession. A long terme, cependant, la discipline fiscale
de l'équilibre budgétaire et les niveaux de responsabilité de la dette nationale doit être
maintenue, ce qui reste une interprétation en droite ligne avec la « finance saine ».

La politique monétaire l’emporte donc sur la politique budgétaire. Cette dernière doit être
passive, automatique, transparente, crédible et facilement compréhensible. Il y a donc une
prédiction en faveur du coté offre de l’économie de la part de la NEC, ce qui induit que la
politique budgétaire doit davantage prendre la forme d’une réduction des impôts et non d’une
augmentation des dépenses publiques. La fiscalité a donc une influence très limitée sur les
variables macroéconomiques.

109
Nous utiliserons le terme de NEC dans la suite de ce chapitre.
274
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Le seul domaine important, dans lequel la NEC voit un mérite en faveur de la politique
fiscale est le domaine du changement climatique, où l'utilisation des taxes est préconisée
comme un instrument important dans le contrôle des niveaux de gaz à effet de serre dans
l'atmosphère (Stern, 2006).

2.2. Le débat sur la dette publique

Le rôle de la politique budgétaire constitue une différence fondamentale entre les approches
néoclassiques et keynésienne. L’existence et la justification de la dette publique a été
également au centre des débats. Les néoclassiques défendent le principe de l’équivalence
ricardienne et d’effet d’éviction pour invalider les effets positifs du déficit budgétaire sur la
croissance (2.2.1). Lerner (2.2.2) puis les postkeynésiens ont tenté de leur répondre en
soulignant les effets bénéfiques du déficit et de la dette publique sur la croissance (2.2.3).

2.2.1. L’équivalence ricardienne

Dans la réalité, il est très difficile de créer des excédents budgétaires à des fins
conjoncturelles, car ces derniers sont très mal acceptés par la population et une partie de la
classe politique. En effet, lors d’un exercice budgétaire excédentaire, le citoyen est perdant : il
paie plus d'impôts qu'auparavant, sans pour autant recevoir davantage de biens publics (ou il
supporte des coupes dans les dépenses publiques sans bénéficier de réduction d'impôt). Donc
pour qu'un citoyen accepte un excédent budgétaire, il faudrait qu'il comprenne et qu'il évalue
les bénéfices indirects (c'est-à-dire les avantages de ne pas avoir de déficits) qu'il en retirerait,
ce qui est difficilement envisageable.

La remise en cause des idées keynésiennes et de la finance fonctionnelle sur le bien-fondé de


la politique budgétaire s’est appuyée en grande partie sur la notion d’équivalence ricardienne.
Sous l’impulsion des travaux de Barro (1974), la pensée orthodoxe des finances publiques
s’est attelée à démontrer l’inefficacité de la politique budgétaire pour relancer la croissance
économique. La notion d’équivalence ricardienne, est au cœur de cette critique.

À l’origine, l’équivalence ricardienne (Ricardo, 1821) avance que l’effet des dépenses
publiques sur la croissance ne dépend pas de la manière dont ces dernières sont financées.
275
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

L’impôt et l’emprunt sont donc neutres par rapport à l’impact des dépenses publiques sur
l’économie. Cette première version a été récupérée par Barro (1974) en l’appliquant aux
transferts inter-générationnels, tandis que Buchanan (1976) l’utilisera pour démontrer
l’inefficacité des politiques keynésiennes de relance. L'application moderne de ce concept
conduit à considérer qu'en cas de relance budgétaire financée par déficit, les agents
économiques anticiperont une hausse d'impôts futurs et augmenteront leur épargne pour s'y
préparer, ce qui diminue les effets du multiplicateur keynésien traditionnel. En substituant la
dette publique à l'impôt, l’Etat ne modifie donc pas la valeur actuarielle des impôts futurs ni le
revenu permanent des ménages110.

Il faut donc observer, derrière cette notion, que c’est davantage la perte d’efficience causée
par l’intervention publique et son mode de financement qui est remis en cause plutôt que le
choix de tel ou tel mode de financement du déficit. Dans un cas, le financement par impôt
augmente les distorsions dans l’allocation optimale des ressources qui prévaudraient si les
mécanismes d’ajustements concurrentielles l’emportaient. Dans le cas d’un emprunt sur les
marchés obligataires, le capital privé est « évincé » vers le secteur public pour faire face aux
besoins d’emprunt de l’Etat. Vincent et Lamotte (1993, p.36) résume de cette manière
l’approche de Barro : "La contestation par Barro de l'efficacité des politiques budgétaires a
pour objet de montrer que le mode de financement des dépenses publiques (par impôt ou par
emprunt) constitue un problème secondaire par rapport aux pertes d'efficience engendrées
par un niveau excessif de dépenses publiques financées par des impôts distordants".

Cette notion d’équivalence ricardienne est donc concomitante avec celle de l’effet d’éviction.
Barro développe l’idée que l’épargne publique vient évincer l’épargne privée. Dans la vision
conventionnelle qui prévaut avant ces travaux, la dette publique est perçue comme un moyen
d’accroître la richesse nette des agents économiques (ménages et entreprises). En effet, la
baisse des impôts financée par la dette entraîne la hausse du revenu disponible, et permet ainsi
de stimuler l’activité économique à court terme. Or, à long terme, cela se traduit par une
diminution du capital car les investissements diminuent, entrainant ainsi une hausse du taux
d’intérêt et une baisse de la productivité du travail et du revenu. Selon Barro, les mouvements
d’épargne privée vont compenser ceux de l’épargne publique, de sorte que la baisse des
impôts financée par la dette n’aura en réalité aucun effet sur l’économie.

110
Selon la théorie du revenu permanent de Friedman (1953).
276
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

En effet, passé un certain seuil, la charge de la dette peut être perçue comme insoutenable et
entraîner un poids tel que les ressources allouées à son remboursement ne permettent plus
d’allouer suffisamment de ressources aux dépenses productives.

Pour démontrer sa thèse, Barro utilise un modèle à générations imbriquées. Dans ce modèle,
chaque génération correspond à deux périodes (chaque agent est jeune dans une première
période, puis vieux dans une seconde) et dans chaque période cohabitent deux générations
(jeunes et vieux). Par conséquent, lorsque les vieux disparaissent à la fin de la seconde
période, les jeunes deviennent à leur tour vieux, et une nouvelle génération vient les
remplacer. Il intègre également un élément d’altruisme intergénérationnel où chaque
génération peut avoir intérêt à laisser un héritage à la génération future. Dès lors, une
diminution des impôts pour les vieux, financée par la dette, dont le remboursement est
acquitté par les vieux de la période suivante (génération future) est inefficace à faire évoluer
l’allocation des ressources car ni la consommation des vieux et des jeunes, ni les taux
d’intérêts ne sont affectés. En effet, les vieux prennent en compte le bien-être de la génération
future et décide alors l’allocation intergénérationnelle de la richesse (héritage aux enfants) ;
d’où le principe de neutralité/inefficacité de cette politique économique.

Depuis l’article de Friedman (1968) sur la critique de la courbe de Phillips, l’utilité du budget
public comme instrument de stabilisation conjoncturel a été remise en cause à différents
degrés par la théorie standard. Ainsi, la politique budgétaire est inefficace (Barro, 1974) et
inflationniste (Buchanan, 1976). Pour autant, plusieurs critiques ont été opposées à
l'équivalence ricardienne sur le terrain de ses fondements théoriques. La plupart d'entre elles
attaquent les conditions qui doivent être respectées qui semblent trop restrictives par rapport
au monde réel (Ricciuti, 2003). Citons brièvement les critiques émises par Feldstein (1976)
pour qui il n’y a pas de preuves empiriques de l’équivalence ricardienne. Il est en effet,
couramment admis que si le taux de croissance excède le taux d’intérêt, alors le « fardeau » de
la dette n’est plus. Une autre critique provient de Blanchard (1985) qui stipule que l’utilité
individuelle dépend d’une certaine probabilité de décès indépendante de leurs âges qui
représente le taux d’impatience. Les ménages reçoivent un taux de rendement sur leurs actifs
sous forme de taux d’intérêt et de cotisation sur leur assurance-vie. L’auteur montre que
lorsque l’Etat compense une baisse des taxes par un emprunt, alors les taxes auront tendance à
augmenter pour rembourser le déficit plus les intérêts.
277
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Chaque déficit modifie la richesse individuelle, car les taxes seront augmentées dans le futur.
Cependant, le taux de rendement des ménages est supérieur au taux d’intérêt de la dette, ce
qui signifie qu’ils s’enrichissent par l’intermédiaire de l’emprunt, donc que la dette publique
n’est pas neutre en termes de transferts intergénérationnels. Evans (1991) affirme que
l’équivalence ricardienne fonctionne dans le modèle de Blanchard, mais que pour obtenir ce
résultat, il a dû durcir les hypothèses sur l’accès parfait au marché financier ce qui réduit le
domaine d’application du théorème.

Strawczynki (1995), lui, annule l’effet d’ «équivalence ricardienne» dès lors qu’on considère
l’existence de deux états de nature. Dans le premier état, que nous appellerons «Low», les
individus n’ont pas d’héritage. Dans ce cas, l’utilité marginale à la consommation est
supérieure à l’utilité marginale des enfants. L’autre état de nature, que nous nommerons
«High», les individus bénéficient d’un héritage. Ici, l’utilité marginale à la consommation est
inférieure à l’utilité marginale des enfants. Sans surprise, l’hypothèse «d’équivalence
ricardienne» est acceptée dans ce cas-là, mais rejetée dans le premier cas. Il ressort donc que
les parents « pauvres » ont tendance à consommer davantage. Ce modèle conclue que
l’équivalence ricardienne est annulée lorsque le montant du revenu des ménages est incertain
et que les parents constituent une épargne de précaution.

Enfin, Carroll (2001) remet en cause la notion de revenu permanent selon laquelle
l’optimisation des agents leur permet d’ajuster leurs dépenses lors d’un choc en se fondant sur
l’expérience des chocs « permanents ». Lorsque les consommateurs sont « impatiens », avec
comme « cible d’épargne » un niveau initial d’actif (et non pas un ratio-cible actif/revenu
permanent, comme en théorie) et qu’ils sont sujets à tous types de chocs (transitoires ou
permanents), alors le ratio baisse. Cela signifie que les agents voudront reconstituer leur
épargne de précaution en prévision des chocs futurs. Ainsi, la hausse du revenu permanent
entraine une hausse de l’épargne. Dans la même veine de critique, Carroll et Kimball (1996)
ont montré que l’introduction de l’incertitude entraine une hausse du revenu permanent à un
niveau donné de richesse. Il augmente davantage pour les consommateurs ayant un niveau de
revenu faible. En définitive, Ricciuti (2003) confirme que la neutralité de la dette n'est rien
d'autre que la suite de certains concepts et méthodes largement utilisés dans la macro-
économie moderne.
278
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Cette conclusion rejoint celle de Henning (2005), qui, lors de son étude sur la soutenabilité du
déficit américain, souligne que l’élément dominant dans la macro-économie moderne est
l’hypothèse de contrainte budgétaire inter-temporelle. La remise en cause de ces hypothèses
est donc un élément important de l’annulation des effets d’équivalence ricardienne.

Pour la théorie du public choice, la politique de stabilisation keynésienne est vivement


contestée par Buchanan et Wagner (1978) en raison de son manque total de réalisme
politique. En effet, selon ces auteurs, la politique budgétaire dérivée des préceptes keynésiens
n'est pas applicable dans un système démocratique. Keynes suppose que les politiques
publiques et économiques sont menées par un petit groupe d'hommes sages et éclairés, qui
agiraient selon l'intérêt public sans subir de pressions quelconques. Or, ceci est impensable
dans une démocratie représentative, où les hommes politiques sont des élus qui répondent aux
désirs des votants.

Dans la littérature de la NEC, que nous avons présenté précédemment, les auteurs ne
conservent pas l’hypothèse d’équivalence ricardienne qui empêchait précédemment de
conserver l’efficacité des politiques budgétaires. Cela ouvre la possibilité de décrire des effets
de richesse induit par le déficit budgétaire qui a un impact sur la demande agrégée.
Cependant, l’abandon de cette hypothèse relance les débats sur la discipline fiscale d’un Etat
afin d’éviter l’accumulation des déficits et une explosion de la dette. Ainsi, les questions liées
à la soutenabilité de la dette font partie intégrante du corpus théorique de la NEC. Par
conséquent, l’objectif principal de la politique budgétaire est d’empêcher les Etats de léguer le
« fardeau de la dette » aux générations futures. C’est en lien avec ces questions que la NEC
utilise la condition de contrainte budgétaire inter-temporelle des Etats pour étudier le rôle de
la politique budgétaire.

2.2.2. La réponse de Lerner et la défense de la finance


fonctionnelle.

Lerner (1943) répond aux arguments contre le déficit budgétaire en expliquant que la dette
publique ne doit pas augmenter continuellement et qu’en aucun cas, elle n’a à être financée
par les impôts courants. En outre, les paiements d'intérêts sur les obligations sont un transfert
interne. La question de la durabilité des déficits budgétaires est également prise en compte par
cet auteur.
279
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

La politique budgétaire est souvent considérée en termes de niveaux de dépenses publiques et


la fiscalité est étudiée sans considération particulière vis-à-vis de l'état de la demande globale
privée. L'argument d’«éviction» s’appuie sur l’idée que la politique budgétaire n'a aucun effet
sur le niveau d'activité économique, ce qui est faux pour Lerner.

Le point de vue de la finance fonctionnelle, suppose, en revanche, un lien positif entre les
dépenses publiques (déficit budgétaire) et le niveau d'activité économique. Un ensemble de
simulations ont été effectuées pour évaluer l’impact de la politique budgétaire lorsque les
dépenses publiques augmentent. Les résultats de ces simulations suggèrent, généralement, que
l'augmentation des dépenses publiques a un effet positif sur le niveau d'activité économique
(Arestis et Sawyer 2003). En effet, le contexte dans lequel ces simulations sont effectuées, les
résultats positifs sont obtenus en s’appuyant sur des modèles macro-économétriques où il y
aurait un effet d’éviction.

D’après l’«équivalence ricardienne», le financement du déficit présent par des impôts futurs
réduit les dépenses de consommation, ce qui a, comme conséquence, de réduire voire
d’annuler les dépenses qui ont été financées par déficit budgétaire. Le niveau global de
l'épargne (l'épargne publique plus l'épargne privée) reste inchangé. La proposition
d'équivalence ricardienne a été dérivée dans un contexte de plein emploi (ou au moins à un
niveau de revenu fixé sur le côté de l'offre de l'économie) et sur l'hypothèse implicite que la
demande globale du secteur privé attendra ce niveau de revenu. Ainsi, la proposition
d'équivalence ricardienne est également pertinente dans le contexte de la « finance
fonctionnelle ». Elle a trait à la question de ce qui se passe si un déficit budgétaire est introduit
dans une situation où l’investissement et l'épargne ex-ante sont égaux au plein emploi (ou
équivalent).
Le point de vue de la « finance fonctionnelle » s'intéresse aux conséquences
macroéconomiques lorsque l’Etat crée un déficit budgétaire dans une situation où il y a une
différence entre l'épargne ex-ante et l'investissement ex-ante (généralement un excès
d'épargne sur l'investissement) au plein-emploi.

La proposition de Barro (1974) indique clairement que le niveau de demande globale est
invariant à la position de déficit budgétaire. Mais il n'indique pas si le niveau de la demande
globale sera suffisant pour atteindre le plein emploi.
280
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Or, il n'y a aucune raison particulière pour que ce niveau de demande globale corresponde à
un équilibre du côté de l'offre.

Plus précisément, dans le cas d'une modification de cet équilibre, il peut y avoir un décalage
avec le niveau de la demande privée. Cette situation apparait lorsque l’on observe les
estimations effectuées sur le NAIRU qui varie au fil du temps et à travers le pays. Il y a en
effet peu de raisons de penser que la demande globale privée corresponde à l'évolution du
NAIRU. Lorsque la politique budgétaire est abordée selon la finance fonctionnelle, alors une
approche en terme d’équivalence ricardienne n'est guère pertinente dès lors qu’une différence
entre l’épargne et l’investissement prévaut. En l'absence d'un déficit budgétaire, l'excédent de
l'épargne sur l'investissement ne peut se produire.

Un autre aspect de la «finance fonctionnelle» reconnait le caractère de stabilisateur


automatique de l’impôt par l’utilisation qui en est fait de son produit pour financer des
dépenses publiques. Ainsi, une augmentation des dépenses publiques couplée à une
diminution des recettes fiscales, lorsque la production ralentit, limite l'ampleur de ce
ralentissement. Cela ne signifie pas pour autant que ces stabilisateurs automatiques soient
suffisants, car au cours des différents cycles économiques, il arrive qu’on se rapproche du
plein emploi. Le fonctionnement du stabilisateur automatique indique que le déficit
budgétaire peut être une réponse endogène à des changements sur le côté demande de
l'économie.

En définitive, la «finance fonctionnelle» défend l’idée que le déficit budgétaire (ou


excédentaire) se produit en cas de besoin pour assurer des niveaux élevés d'activité
économique. Cependant, cette utilisation de la politique budgétaire ne s’applique pas
forcément en tout temps.
Par exemple, en période de récession, le système de protection sociale joue le rôle de
stabilisateurs automatiques. Le déficit budgétaire est nécessaire tant que la tendance de
l'épargne privée précède l’investissement de sorte à ne jamais s’équilibrer automatiquement.
En effet, l'expérience des pays industrialisés dans la période post-guerre a impliqué
d’importants déficits budgétaires pendant des années (voir, par exemple, Dwyer et Haffer
1998, p. 43, dans le cas des États-Unis) ce qui a permis de relancer et soutenir la croissance.
281
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

2.2.3. La réponse des postkeynésiens

Les postkeynésiens ont repris à leur compte l’argument tiré de la « finance fonctionnelle »
pour justifier l’utilisation de la politique budgétaire dans une optique de stabilisation (Dutt et
You, 1996 ; Pasinetti, 1989). Certains auteurs se sont également attelés à décrire les effets sur
la répartition du revenu de l’existence des déficits.

L’argument sur l’arrêt des déficits tiré de la « finance saine » porte sur le problème de la
soutenabilité de la dette publique qui résulte de l’accumulation des déficits passés auxquels il
faut rajouter les paiements d'intérêt futurs. La poursuite d'un déficit budgétaire primaire
implique l'accumulation de paiements d'intérêts et d'emprunts supplémentaires pour couvrir
ces paiements d'intérêts, ce qui entraine un effet « boule de neige ». Même si le déficit
budgétaire croit (lorsque les paiements d'intérêts sont inclus) tout comme la dette publique,
leur relation avec le PIB dépend de la croissance de l'économie ainsi que du niveau des taux
d'intérêt. Domar (1944) a fourni une analyse précoce de cela et a observé que «le problème du
fardeau de la dette vise essentiellement à obtenir un revenu national croissant» (p. 822).

Kalecki (1944) explique que l'augmentation de la dette nationale ne constitue pas un fardeau
pour la société tout entière car elle est largement un transfert interne. Il a noté que, dans une
économie en expansion, la dette par rapport au revenu n’augmente pas si le taux de croissance
est suffisamment élevé. Dans le cas où il y a un problème d'augmentation du ratio de
dette/PIB, Kalecki (1944) préconise une taxe sur le capital annuel. Cette taxe serait prélevée
sur les entreprises et les particuliers, ce qui couvrirait les paiements d'intérêts sur la dette
nationale, sans avoir d’incidence sur la consommation des capitalistes et sur la rentabilité de
l'investissement111. Dans un papier du Journal of Post Keynesian Economics, Michl (1991)
tente de quantifier les transferts de revenu qu’impliquent les versements d’intérêts de la dette
publique. Il reconnait qu'une grande partie des intérêts soient perçus par les ménages les plus
aisés de façon indirecte en vertu de l’intermédiation financière d’une grande part de la dette
nationale. Il conclue que les intérêts de la dette redistribuent les revenus de façon régressive,
car les 10% des ménages les plus riches reçoivent 75% des intérêts de la dette. Ce chiffre est
de 40% pour les 1% les + riches.

111
Ce point sera développé dans le chapitre V de cette thèse.
282
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Le déficit budgétaire primaire équivaut à un pourcentage du PIB qui mèner à un ratio dette-
PIB se stabilisant à (où est le taux de croissance et de taux d’intérêt , soit
tant en termes réels, ou les deux en termes nominaux). La stabilisation de la dette par rapport
au revenu (avec un déficit primaire donné) exige que le taux de croissance soit supérieur aux
taux d’intérêts. Un déficit budgétaire continu (y compris les paiements d'intérêts) peut
conduire à un ratio dette/PIB se stabilisant, mais cela implique que , où,
et donc si est inférieur à , le déficit budgétaire primaire est négatif (c'est à dire, le
budget principal est en excédent).

Néanmoins, dans l'approche de la finance fonctionnelle, il est préférable de prendre en compte


la position budgétaire globale plutôt que le déficit primaire. Dans la mesure où un déficit
budgétaire est nécessaire pour compenser un excès d'épargne privée sur l'investissement, il est
alors pertinent de prendre en compte le déficit budgétaire global. Les paiements d'intérêts des
obligations sont vus comme des transferts monétaires qui s’ajoutent aux revenus des
bénéficiaires, ce qui est semblable à plusieurs égards à d’autres paiements de transferts.

En terme de durabilité du déficit budgétaire, si un déficit budgétaire (d'une taille particulière


par rapport au PIB) est exécuté pour un certain nombre d'années, alors il est clair qu’avec la
composante sur le paiement des intérêts, le déficit augmentera mécaniquement, et il est
possible que le remboursement des intérêts « évincent » les autres formes de dépenses
publiques et puissent conduire à des niveaux plus élevés d'imposition. Cet effet d’éviction
diffère de celui défendu par les néoclassiques au sens où ce ne sont pas les dépenses privées
qui sont réduites pour cause d’augmentation de la dette mais c’est le rôle de stabilisateur
économique de la dépense publique qui est réduit.

Si la dette publique devient une part croissante de la richesse du portefeuille, l’intérêt de


détenir de la dette publique diminue. Cela pourrait avoir pour effet de diminuer l'intérêt issu
de l'épargne, qui a pour effet bénéfique de stimuler la demande globale. En outre, un taux
d'intérêt supérieur peut être demandé sur la dette publique. L'analyse de Godley et Rowthorn
(1994) incorpore des aspects de cette notion et intègre dans leur modélisation une richesse
prédéterminée par rapport au revenu pour le secteur privé et un autre type de richesse qui
dépend du taux d'intérêt (exogène) et du taux d'inflation. Il y a donc un lien entre
l’accumulation d’obligations et le revenu.
283
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Pour autant, le niveau de la dette publique est contraint par le rapport entre le montant des
obligations détenues par les ménages en fonction de leurs revenus et du montant de la dette
non-monétisée.

Dans le modèle de Godley et Rowthorn (1994), une expansion dans le niveau des dépenses
publiques déclenche une expansion de la production et donc des recettes fiscales telle qu'il n'y
ait pas une explosion de la dette par rapport au PIB. Cela suggère qu'il pourrait y avoir des
réactions du secteur privé (résultant d'une réticence à détenir des quantités toujours
croissantes de la dette publique) qui rendent les conditions de la soutenabilité du déficit moins
contraignante que ne laisse penser l’apparition de ce déficit.

Une autre approche, plus contrastée, est basée sur la notion que l’Etat est confronté à une
contrainte budgétaire inter-temporelle de la forme générale. La valeur actuelle de la dette de
l’Etat et les positions budgétaires futures devraient être égale à zéro. Il doit alors y avoir des
surplus primaires futurs du budget afin de compenser la dette initiale de l’Etat. Cela signifie
que la valeur actuelle des déficits budgétaires actuels et futurs, et la tendance moyenne du
moyen proche de 0, soit égale à zéro. Dans cette situation, un schéma à la « Ponzi » est écarté
lorsque la valeur actuelle de la dette publique en cours est égale à la future actualisée actuelle
et des excédents budgétaires (Buiter 2001, p.3).

Dutt et You (1996) mettent en avant les effets expansionnistes d’un accroissement de la dette
car elle permet d’augmenter le revenu des travailleurs. Dans ce modèle, la distribution des
revenus dépend des circonstances de l’augmentation de la dette. Ils reprenent à leur compte
l’hypothèse émise par Ewijk (1991), selon laquelle les capitalistes sont tous des emprunteurs
et tous les revenus d’intérêts (dont les bons du trésor) sont reçus par les travailleurs. Par
conséquent, même à long terme, l’existence de la dette ne joue pas à l’encontre des
travailleurs comme l’affirme les orthodoxes. Le modèle reste un modèle à 2 types classes
sociales. Les travailleurs qui n’épargnent pas et les capitalistes qui épargnent une certaine
fraction de leurs revenus qui sont issus du profit et de la détention d’actifs publics. Une des
nouveautés de cette modélisation, c’est l’existence d’un ratio  représentant le rapport dette
réelle/stock de capital et qui vient intégrer la fonction des capacités de production.
284
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

La dette aura des effets expansionnistes par l’intermédiaire de l’augmentation des capacités
de production.

À court terme, la dette a peu d’influence, mais à long terme, son effet sur la redistribution des
revenus est beaucoup plus fort. Les conclusions font ressortir que quand le ratio dette/stock de
capital augmente, alors les inégalités croissent, car le remboursement des intérêts augmentent
plus rapidement que le revenu net des travailleurs. À long terme, en modifiant quelques
paramètres (le taux d’intérêt ou la distribution initiale des revenus), on aggrave la distribution
des revenus. Cependant, en présence d’une politique expansionniste, la distribution des
revenus évolue de façon plus favorable. Enfin, si l’Etat souhaite (sur long période) restaurer
un ratio dette/K au niveau initial, alors la distribution des revenus se dégrade de façon
accélérée. Pour cette raison, les auteurs appellent à la méfiance envers les politiques de
rigueur visant à réduire le niveau de la dette. Ils considèrent que l’hypothèse d’une explosion
de la dette est à écarter.

Pasinetti (1989) a exploré les extensions possibles de la théorie kaldorienne de la distribution


et des profits en introduisant explicitement les problèmes liés à la taxation et aux dépenses
publiques. Dans son modèle, les profits sont partagés entre capitalistes et travailleurs.
L’épargne des ménages salariés est constituée de la partie du salaire non consommée et d’une
faible part des profits. Les revenus des ménages actionnaires ou capitalistes sont issus des
profits. L’épargne de l’Etat correspond à la part des recettes fiscales non dépensée. L’auteur
conclut qu’une augmentation du déficit détruit une partie de l’épargne des travailleurs et des
capitalistes, mais que l’effet sur les capitalistes est beaucoup plus faible car la baisse de leur
épargne est compensée par l’augmentation des profits induite par les dépenses publiques. Par
conséquent, la répartition du revenu est affecté par la dette au détriment des ménages salariés
mais au profit des capitalistes.

Les postkeynésiens sont parvenus au travers de leurs modélisations à inclure un ensemble


d’effets macroéconomiques issus de la présence d’un déficit budgétaire. Le déficit budgétaire
n’est donc pas neutre du point de vue de la croissance pour cette école de pensée, ce qui
réhabilite la fonction de stabilisation conjoncturelle de l’Etat sur l’économie.
285
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

3. La politique budgétaire et le rôle réduit de la politique fiscale chez


les Postkeynésiens

Chez Kalecki (1944) les déséquilibres budgétaires doivent corriger l'insuffisance de la


demande globale, tout en permettant leurs autofinancement en redistribuant les revenus de
façon à ce que l'épargne égalise le déficit et fournissent les fonds nécessaires au financement
de l’emprunt d’Etat (Arestis et Sawyer, 2003, 2004, 2006; Sawyer, 2007b). C'est pourquoi
Kalecki définit la réalisation du plein emploi par "une politique de déficit budgétaire de long
terme ou de redistribution des revenus" (Kalecki, 1944, Sawyer, 2007, Sawyer, 2011).

À ces conditions, l’utilisation de la politique budgétaire s’avère être l'instrument le plus fiable
pour soutenir et stabiliser l'économie en terme de capacité et de taux de croissance de la
demande (Kalecki, 1944, Sawyer, 2007) (3.1). En d'autres termes, la politique budgétaire
semble être la seule façon pour influencer les grandeurs économiques réelles à travers son
impact sur la répartition des revenus (la théorie microéconomique de Kalecki) et le taux de
croissance économique (la théorie macroéconomique de Kalecki) (3.2). La politique
budgétaire doit assurer la cohérence entre l’intervention publique et l’activité du secteur privé
pour garantir le bon fonctionnement de l’économie. Chez certains postkeynésiens, la politique
budgétaire se justifie uniquement pour se rapprocher du plein emploi. L’Etat peut donc, en
plus d’être le prêteur en dernier recours pour les banques, devenir l’employeur en dernier
recours (3.3).Outre un environnement financier instable globalisé où le processus de
production est généralement caractérisé par la coexistence d'une capacité excédentaire avec la
persistance du chômage et de sous-emploi, les postkeynésiens se sont concentrés
principalement sur les effets de la politique budgétaire pour répondre aux problèmes macro-
économiques, laissant de côté un pan entier des finances publiques portant sur les questions de
la fiscalité.

3.1. Dette et dépenses publiques

Selon certains auteurs hétérodoxes, y compris certains postkeynésiens comme Palley (1998)
ou des auteurs classico-marxistes comme Moudud (2002), les déficits publics auraient des
effets favorables sur la demande effective dans le court terme, comme l’affirment
traditionnellement les keynésiens. En revanche, leurs effets seraient négatifs dans le long
terme.
286
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Deux types d’arguments sont avancés par ces auteurs. Selon Moudud, puisque les déficits
publics réduisent le taux d’épargne national, ils réduisent le taux de croissance garanti de
Harrod. C’est donc le taux de croissance réalisé à long terme qui devra s’ajuster à ce taux de
croissance garanti réduit, et donc malgré les effets positifs de court terme, les effets négatifs
du déficit budgétaire finiront par surpasser les effets positifs transitoires. Pour autant, encore
faudrait-il démontrer que le taux de croissance réalisé s’ajuste au taux de croissance garanti,
plutôt que l’inverse, ce qui était précisément la réponse des premiers postkeynésiens, Joan
Robinson et Nicholas Kaldor aux conséquences en termes de taux de croissance garanti de
Harrod .

Quant à Palley (1998), dans le cadre d’un modèle reposant essentiellement sur les identités de
la comptabilité nationale de Kalecki, il explique que suite à l’augmentation de la dette
publique, le gouvernement sera éventuellement dans l’obligation d’engendrer des soldes
budgétaires primaires ou opérationnels positifs (le solde avant paiement des intérêts sur la
dette). Ainsi, toujours selon Palley, dans le long terme, les effets positifs sur les profits des
entreprises des flux de déficits budgétaires seront complètement annihilés par les effets
négatifs dus au stock de dette existant. La façon la plus simple de modéliser cet effet est de
faire l’hypothèse que le gouvernement décrète que le niveau de dette publique restera à tout
jamais constant. Autrement dit que le gouvernement s’impose une contrainte budgétaire forte,
en affichant un déficit égal à zéro. Dans ce cadre, le solde primaire doit exactement
compenser les paiements en intérêts sur la dette, et il est alors exact de prétendre que les
déficits passés auront un effet négatif sur les profits des entreprises d’aujourd’hui, avec tous
les effets négatifs que ces profits réduits pourraient engendrer sur l’investissement et
éventuellement la croissance.

Mais ces résultats peuvent être complètement inversés si l’on suppose que le gouvernement
accepte de laisser croître le déficit au même taux que l’économie (autrement dit le
gouvernement accepte de conserver un ratio déficit/PIB constant). Dans ce cadre, développé
par Lavoie (2003), les déficits accumulés dans le passé, autrement dit la dette publique, auront
des effets favorables sur les profits des entreprises, même à long terme, pourvu que le taux de
croissance de l’économie soit supérieur au produit du taux d’intérêt net d’impôt et du taux
d’épargne des rentiers. Donc, même pour une vaste plage de taux de croissance inférieur au
taux d’intérêt brut, les effets à long terme des déficits budgétaires resteront positifs.
287
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Un modèle kaleckien plus sophistiqué et complet, celui de You et Dutt (1996), confirme ces
résultats. You et Dutt construisent une extension du modèle de croissance kaleckien
canonique de Bhaduri et Marglin (1990), en y introduisant un taux de taxation différencié sur
les salaires et sur les profits et intérêts. Les dépenses publiques d’investissement (excluant le
service de la dette) sont fixées comme une certaine proportion du stock de capital ou de
l’output. Leur modèle a plusieurs caractéristiques intéressantes.

Tout d’abord, dans un monde où le taux de croissance du capital dépend du taux d’utilisation
de la capacité, le rapport dette publique/capital, c’est à dire le ratio dette publique/PIB, s’il
peut s’accroître, ne peut exploser indéfiniment. Deux situations peuvent survenir, soit bien le
ratio dette/PIB diminue inexorablement, soit il converge vers une valeur positive. Si on
considère que le modèle kaleckien est une représentation adéquate du monde réel, il n’y a
donc pas lieu de s’inquiéter que le ratio dette/PIB explose par suite de politiques budgétaires
qui seraient démesurément expansionnistes.

De fait, l’augmentation de la part des dépenses publiques opérationnelles par rapport au PIB
n’entraînent pas nécessairement une augmentation du ratio dette/PIB de long terme. Il est
possible, en particulier, lorsque ce ratio est déjà élevé, que l’augmentation des dépenses
publiques mène à une baisse du ratio dette/PIB de long terme, en raison notamment des effets
accélérateurs qui pourraient générer une réduction du ratio déficit/PIB. Quoi qu’il en soit,
même si l’augmentation de la proportion de dépenses publiques devait mener à une hausse du
ratio dette/PIB de long terme, ce qui selon You et Dutt (1996, p. 343) est le cas le plus
probable, cette hausse serait limitée. Quant aux effets sur le taux d’accumulation de
l’économie, ils seraient normalement positifs, mais on ne peut exclure le cas où, en raison de
la réduction paradoxale des paiements sur la dette, les effets sur le taux d’accumulation d’une
augmentation des dépenses publiques pourraient être négatifs à long terme.

3.2. Dette et effets de répartition

Dans leurs analyses les postkeynésiens ont souvent mis en avant les effets de la répartition des
revenus sur la croissance. Les conséquences de l’existence de la dette publique sur la
croissance via le canal de la répartition du revenu ont donc bien évidemment été étudiées.
You et Dutt (1996) démontrent que la hausse des dépenses publiques, ou la baisse des taux de
taxation, ne mène pas nécessairement à un accroissement de la part du revenu personnel net
allant aux mains des rentiers (les ménages qui s’accaparent les profits et de versements en
intérêt).
288
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Il est tout à fait possible que la part des revenus personnels nets versés aux salariés augmente,
à court terme en raison de l’effet multiplicateur, mais aussi à long terme, malgré la hausse du
ratio dette/PIB. Ainsi il n’est pas exact de prétendre que la hausse du déficit public, et donc la
hausse subséquente des paiements en intérêt sur la dette dont vont bénéficier les rentiers, sera
financée par les impôts prélevés sur les salaires.

Cette question, qui relève de la distribution intergénérationnelle du fardeau de la dette, est


aussi abordée par Pasinetti (1996). Celui-ci définit ce qu’il appelle le « fardeau social » de la
dette publique. Ce fardeau, à supposer que le gouvernement tienne à conserver le ratio
dette/PIB ⁄ à son niveau actuel, dans une économie qui croît au taux réel , tandis que le
taux d’intérêt réel est , est défini comme étant : ⁄ . C’est que, pour conserver
le ratio dette/PIB constant, l’État peut se permettre un déficit de par année, tandis que les
paiements en intérêt sont de . Le solde primaire nécessaire est donc . Ceci
implique que, en sus des dépenses d’opération financées par taxation, le solde primaire doit
lui aussi être financé par imposition, ce qui signifie un taux de taxation supplémentaire
⁄ , qui constitue le fardeau social de la dette publique. S’il n’y avait pas de dette, ce
montant n’aurait pas à être financé par la taxation.

Il est dès lors évident que le « fardeau social » de la dette publique dépend de la relation entre
le taux de croissance et le taux d’intérêt de l’économie. Quand , le « fardeau » est nul.
Quand , il est d’autant plus élevé que le ratio dette/PIB est élevé, ce qui est le cas
généralement considéré comme pertinent. Pour maintenir le ratio dette/PIB à un niveau
constant, le gouvernement doit alors réaliser un solde primaire positif, précisément égal à
(i  g ) D . Dans ce cas, on peut dire que les déficits des années antérieures constituent un
« fardeau » pour les générations présentes, puisque le taux de taxation moyen, pour éviter que
le ratio dette/PIB ne s’accroisse, doit être augmenté de f . Par contre, quand i  g , ce qui est
un cas tout à fait réaliste, le « fardeau social » de la dette publique est négatif. Comme le dit
Pasinetti (1996, p. 163), « La société bénéficie d’une subvention, ou si vous préférez, d’une
taxe négative. Ceci peut sembler paradoxal, mais nous devons réaliser que plus élevé est le
niveau de la dette publique plus élevé est le déficit … et que le gouvernement peut se
permettre sans empirer le ratio D / Y . Autrement dit, le taux d’imposition négatif – c’est-à-
dire le taux de stabilisation de la dette – pour la société dans son ensemble est d’autant plus
élevé que le ratio (stabilisé) D / Y est élevé. »
289
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Vu sous cet angle, les politiques monétaires anti-inflationnistes qui ont engendré des taux
d’intérêt réels de 5 à 10% dans les années 1980 et 1990 paraissent totalement aberrantes. Non
seulement ces politiques ont freiné l’activité économique et créé du chômage, mais en plus
elles ont engrangé une dette supplémentaire parfaitement inutile à la collectivité. Ceci s’est
traduit soit par l’augmentation des taux effectifs d’imposition soit par une diminution des
services publics. Tandis que ce « fardeau » était, inexistant, puisque négatif en moyenne, sur
la période entre 1945 et 1979 pour la plupart des pays de l’OCDE ou en tout cas pour les
États-Unis et le Canada (Fullwiller 2006; Stanford 1999, p. 189), il a subi une hausse
vertigineuse en raison des politiques discrétionnaires des banques centrales.

Selon les économistes néoclassiques, les taux d’intérêt dépendent uniquement des relations
entre offre et demande de fonds prêtables, et donc le fardeau de la dette dépend en grande
partie de facteurs qui sont hors de contrôle des gouvernements. Au mieux, les États peuvent
aider à garder les taux d’intérêt à des niveaux faibles en pratiquant l’austérité budgétaire, en
réduisant leurs déficits budgétaires et leur dette publique. Dans les faits, cela s’est passé
autrement. Suite au krach boursier de l’après 2000, les États-Unis ont opéré avec de
gigantesques déficits budgétaires, tout en gardant les taux d’intérêt à des niveaux relativement
bas. Au Japon, le rapport dette/PIB a grimpé de façon vertigineuse au cours des derniers 15
ans dépassant largement les 100%, pendant que la Banque du Japon conservait les taux
d’intérêt à court terme à zéro et que les taux d’intérêt à long terme avoisinaient à peine les
2%.

Ces observations du monde réel sont en revanche tout à fait compatibles avec la théorie
postkeynésienne des taux de l’intérêt, selon laquelle les taux d’intérêt à court terme sont sous
le contrôle total de la banque centrale.

Pucci et Tinel (2010) tentent de décrire les effets macroéconomiques du creusement de la


dette publique lorsque celle-ci a comme origine la baisse des impôts des ménages les plus
aisés. La baisse d'impôts accroît le revenu disponible, ce qui augmente la consommation et le
revenu national selon un principe multiplicateur, si bien que les recettes fiscales s'améliorent.
Mais si la totalité de ce revenu disponible supplémentaire n'est pas entièrement consommée,
car une partie est épargnée, il y aura un effet contraire à l'effet multiplicateur qui jouera contre
l'autofinancement de l'impulsion initiale.
290
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Dans ce cas, l'épargne non thésaurisée étant placée sous forme de titres, son augmentation est
équivalente à une augmentation de la demande de titres et notamment de Bons du Trésor. Du
côté de l'offre de titres, le besoin de financement de l'Etat s'est accru en raison de la baisse
d'impôts ce qui procure aux épargnants les titres publics demandés. Une réduction d'impôt
conduit donc, en un même geste, à un accroissement simultané de la demande de titres de tous
types et de l'offre de titres publics mais n'a en soi aucun effet multiplicateur. Par ailleurs
l'accroissement de l'endettement public conduit à accroître les dépenses publiques d'intérêts à
destination des détenteurs de Bons du Trésor. Ces intérêts sont en partie consommés, ce qui
améliore l'effet multiplicateur et le solde des finances publiques. Les intérêts sont aussi en
partie épargnés, ce qui détériore l'effet multiplicateur. Ils sont enfin taxés, ce qui réduit l'effet
multiplicateur mais améliore les finances publiques.

Une baisse de l'impôt progressif apporte donc un « double dividende » pour les ménages aisés
: d'une part, leur revenu disponible augmente davantage que celui des ménages plus modestes
et d'autre part, ils accroissent davantage encore leur patrimoine en épargnant ce supplément de
revenu, ce qui augmente donc aussi leurs revenus de la propriété. Du côté des administrations
publiques, il y a une « double peine » : leurs recettes fiscales se réduisent et, pour compenser,
elles se voient obligées d'emprunter, contre le versement d'intérêts, ce qu'elles obtenaient
jusque-là par la force du monopole fiscal. Enfin, les ménages les plus modestes supportent
une part relative plus importante de la charge fiscale globale, dont une partie sert à verser des
intérêts aux détenteurs des Bons du Trésor. Ce qui n'est rien d'autre qu'une redistribution à
rebours.

Ce modèle fait donc apparaitre que le niveau d’imposition se présente comme une contrainte
structurelle sur la croissance. Ici, la relation est inverse aux résultats de la théorie standard de
l’incidence fiscale puisque plus le niveau d’imposition des ménages aisés est bas, plus la
croissance est susceptible d’être insuffisante pour maintenir le taux d’emploi pour maintenir
un ratio de dette publique/PIB fixé de manière ad hoc.

Un autre résultat de Pucci et Tinel (2010) contredit les prescriptions néoclassiques.


L’augmentation des impôts sur les ménages aisés peut réduire le ratio de dette publique. En
effet, dès lors que l’on tient compte de l’épargne, le multiplicateur associé aux baisses
d’impôts est insuffisant pour compenser l’accroissement de déficit public qui en résulte et la
contraction des dépenses que cela implique. Ce résultat est valable même lorsqu’on ignore les
effets distributifs, lesquels amplifient le phénomène
291
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Ce modèle rejoint les conclusions émises par Monnier et Tinel (2006) qui distinguent deux
types de déficit aux effets macroéconomiques différents. Un déficit « expansionniste » qui
résulte en premier lieu d’un accroissement des dépenses et contribue à stimuler
substantiellement la demande. Ce type de déficit peut aussi s’accompagner d’une réduction
des prélèvements obligatoires qui pèsent relativement plus sur les bas revenus, c’est-à-dire les
divers impôts sur la consommation finale et, plus généralement, les prélèvements
proportionnels ou régressifs tels que par exemple la CSG. Les baisses d’impôts qui portent sur
les prélèvements progressifs sont réputées avoir un effet multiplicateur moins important car
l’accroissement de revenu disponible auquel elles donnent lieu concerne davantage des
catégories sociales dont la propension à consommer est moins élevée.

Un déficit « récessif » qui résulte davantage de changements intervenus du côté des recettes
que du côté des dépenses. Les dépenses n’augmentent pas de manière significative, et suite à
des réformes fiscales ou à des exonérations, la charge fiscale est reportée vers les revenus les
moins élevés et les moins dynamiques. Par conséquent les recettes fléchissent, ou suivent un
rythme de croissance plus faible que celui des dépenses. Dans ce cas, aucun surcroît de
demande, donc de croissance économique, ne peut être attendu du déficit public.

3.3. L’Etat en tant qu’employeur de dernier recours : le point de


vue Néo-chartalistes

Un pan de l’analyse postkeynésienne observe la politique budgétaire comme un instrument de


plein emploi via la création direct d’emploi. Cette notion est influencée par l’analyse de
Keynes sur l’intérêt des Travaux publics à des fins de relance de l’économie. Beaucoup de
contemporains de Keynes avait appelé le gouvernement à garantir le plein emploi (voir par
exemple Pierson, 1941 et Beveridge, 1945).

Cela pourrait se faire, si le gouvernement agi comme un employeur de dernier recours (ELR).
La proposition de la ELR comme il est décrit dans la littérature moderne nous vient des
travaux de Hyman Minsky (1986). Une proposition similaire a également été développée dans
Mitchell (1998) et Wray (1998).

Le programme ELR porte aussi les noms de, Job guarantee ou encore Public service
employment (Mitchell et Wray, 2005, p. 243).
292
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Ces programmes contiennent des éléments qui se rapprochent des propositions mises de
l’avant par les partisans de l’économie solidaire, selon lesquels l’économie sociale se doit
d’être un tremplin vers le marché du travail traditionnel. Le principe essentiel du programme
EDR peut se résumer à la formule suivante :

“Tous ceux qui sont prêts à travailler au salaire de base du secteur public, c’est-à-dire
proche du salaire minimum actuel, aurait l’assurance d’obtenir un emploi”.

C’est le gouvernement central, ou fédéral, qui financerait ce programme, car il a le pouvoir de


financer ses déficits, même si les gouvernements régionaux ou locaux pourraient en être les
administrateurs. On envisage toutes sortes d’emplois: l’aide aux vieillards, enfants et malades;
des surveillants à l’école, des artistes ou des musiciens; des travailleurs de l’environnement; la
restauration des immeubles abandonnés ou d’installations communautaires, etc. Ces emplois,
selon les qualifications requises, seraient à des salaires voisins du salaire minimum ou à des
salaires n’excédant pas le double du salaire minimum.

C’est le gouvernement central, ou fédéral, qui financerait ce programme, car il a le pouvoir de


financer ses déficits. Dans cette vision, l’Etat crée la monnaie dont il a besoin et sa "mise en
circulation" permettra au contraire aux divers agents de payer les impôts qui, in fine, ne
servent qu’à réguler la masse monétaire. Un Etat n’a donc plus à se poser la question de
savoir s’il y a assez de recettes fiscales, car en fait il n’en a pas réellement besoin. Le
monopole d’émission monétaire suppose la taxation directe de cette monnaie créée.

L’idée principale est que l’emploi est une responsabilité sociale, qui incombe à l’État. La
notion de EDR est l’expression ultime de l’État providence. Comme le secteur privé est
incapable de fournir le plein emploi, alors le secteur public doit le faire. Si les agents du
secteur privé sont offensés par l’ampleur du secteur public, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-
mêmes, car si l’économie privée était proche du plein emploi, la taille du secteur public serait
réduite.

L’avantage de ce programme par rapport aux mesures de relance budgétaires expansionnistes,


comme la politique monétaire et budgétaire, est d’avoir moins de conséquences
inflationnistes. Selon les termes employés par Mitchell (1998), le programme EDR permet de
diminuer le taux de chômage naturel, c’est-à-dire qu’il permet d’atteindre un taux de chômage
plus faible sans provoquer pour autant des pressions inflationnistes.
293
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

Autrement dit, le programme EDR, du moins selon ses défenseurs, permettrait de répondre
aux détracteurs des programmes de relance, qui accusent les keynésiens et postkeynésiens
d’ignorer les conséquences inflationnistes de leurs politiques expansionnistes globales. Un des
problèmes associés à ces politiques de relance c’est, qu’effectivement certains secteurs
industriels ou régions géographiques de l’économie opèrent déjà proches de la pleine capacité
ou du plein emploi, même quand l’économie stagne.

Un programme EDR permet de cibler davantage les dépenses du gouvernement dans les
régions touchées par des taux de chômage élevés, et il verse les revenus directement à ceux
qui sont affectés par la crise, et dont la propension à consommer est la plus élevée, sans passer
par les effets indirects du multiplicateur. Les partisans du programme EDR affirment aussi
que ce programme permet de conserver les qualifications d’une main d’œuvre qui autrement
se mettrait à dépérir, ce qui assurera une source de main d’œuvre abondante lorsque
l’économie sortira de la stagnation et sera en mode croissance. Ainsi, encore une fois, les
pressions inflationnistes seront moindres lorsque l’économie privée sera en situation de boom.

L’une des craintes provoquées par la mise en œuvre de ce programme, telles qu’exprimées par
certains économistes postkeynésiens comme Seccareccia (2004) ou Sawyer (2003, 2005),
c’est que les gouvernements pourraient profiter de la mise en œuvre de ces programmes
d’emploi pour transférer une partie de leurs activités et de leur main d’œuvre sous la forme
EDR. Ainsi, c’est une partie substantielle de la fonction publique qui pourrait se retrouver au
salaire minimum ou à un salaire un peu supérieur au salaire minimum. La fonction publique
au lieu d’être un moteur pour les revendications relatives aux conditions de travail deviendrait
un frein.

Vu sous un certain angle, une autre critique du programme EDR serait d’avoir certaines
similarités avec les programmes de « workfare » recommandés par les conseils de patronat et
les économistes de droite. Mais cette comparaison s’arrête assez vite, car le programme EDR
ne serait en rien obligatoire : il ne s’applique qu’à ceux ou celles qui veulent travailler. De
plus, le programme EDR ne remplace pas les programmes de bien-être social ou de protection
sociale existant, car il ne fait que s’ajouter à la panoplie des programmes existants.
294
Chapitre 4 : Le paradigme postkeynésien en réponse aux limites de la théorie standard

CONCLUSION

Dans ce chapitre, nous avons pu décrire les principaux mécanismes macroéconomiques à


l’œuvre dans la théorie postkeynésienne. Plusieurs courants ont émergé au cours du XXème
siècle mais on s’est aperçu, au-delà des divergences théoriques, que la politique fiscale avait
une place mineure dans la plupart des modèles macroéconomiques. Pour autant, cette théorie
a le mérite de replacer la politique budgétaire au centre du débat économique et se rapproche
de la définition de Musgrave quant à la définition de la fonction macroéconomique de l’Etat.
Elle répond à la plupart des critiques émises par la théorie standard sur le rôle te la place de
l’Etat dans la conduite de la politique économique. Les questions de l’équivalence
ricardienne, de la dette publique et de ses effets redistributifs sont remises en compte par les
postkeynésiens. Cette théorie répond dès lors à une des principales critiques émises à
l’encontre la TTO sur la mauvaise intégration de cette fonction de l’Etat. Il reste donc encore
à décrire une théorie de l’incidence fiscale au sens hétérodoxes du terme pour totalement
s’affranchir de la théorie standard.
295
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de


l’incidence fiscale

Dans le premier chapitre de cette thèse, nous avons montré que les réformes fiscales engagées
au cours des trente dernières années ont orienté la charge fiscale vers les revenus du travail
tandis que la fiscalité sur les revenus tirés des bénéfices et du capital a été abaissée. Ces
réformes ont suivi de près les prédictions du courant standard sans pour autant que des effets
macroéconomiques bénéfiques aient été démontrés. L’investissement n’a pas augmenté sous
l’effet des réformes fiscales, la répartition des revenus s’est orientée vers le capital sans que
l’effet positif sur l’accumulation soit démontré. Nous avons ensuite émis un certain nombre
de critiques et de limites à la théorie standard dans les chapitres deux et trois qui ont mis en
avant l’intérêt d’un renouvellement théorique quant aux questions de l’incidence fiscale. En
outre, la théorie de la taxation optimale est limitée dans sa capacité à interpréter des faits
stylisés macroéconomiques pertinents et semble incapable de sortir de l’arbitrage en termes
d’équité et d’efficacité. Ces deux derniers objectifs semblent antinomiques alors que rien ne
prédétermine un tel résultat si ce n’est les hypothèses sous-jacentes aux modèles. La théorie
néoclassique pêche à pouvoir décrire et expliquer un certain nombre de faits stylisés.

L’objectif de cette thèse est de proposer une théorie de l’incidence fiscale hétérodoxe afin de
contourner les limites de l’approche standard. A ce titre la théorie postkeynésienne semble
être une alternative théorique crédible dans l’explication des faits stylisés et l’analyse des
mécanismes macroéconomiques de la fiscalité. Le chapitre précèdent a mis en avant
l’importance de la répartition des revenus et ses effets sur la dynamique macroéconomique
chez les postkeynésiens. La politique budgétaire semble avoir un rôle à part entière en tant
que stabilisateur économique, mais les questions liées à l’incidence fiscale et aux effets
macroéconomiques de la fiscalité ne sont que partiellement traités.
296
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Cette absence de la fiscalité a de quoi surprendre lorsqu’on regarde les positions des
postkeynésiens les plus reconnus sur ce point. En effet Kalecki (1937/1971, 1944) a très
rapidement émis des positions très claires en faveur de la fiscalité et de ses bienfaits
macroéconomiques. Son analyse fait suite à la parution par Keynes de la Théorie Générale
(1936), qui devient pour Kalecki, le point de départ d’une nouvelle théorie de l’incidence
fiscale. Pour sa part, Keynes rejette en partie cette filiation entre sa théorie de l’incidence
fiscale et celle de Kalecki. Ces divergences de point de vue n’iront tout de même pas jusqu’à
rompre la cohésion au sein des postkeynésiens. Ainsi, bien que Kaldor (1955) aient pu
défendre l’idée d’un impôt sur la dépense, il part de l’idée, comme Kalecki, qu’un système
fiscal redistributif, en sus de ces effets favorables à la redistribution des revenus, est plus
efficace sur le plan économique. Les différences entre ces deux postkeynésiens se fondent sur
l’assiette d’imposition des revenus, les variables macroéconomiques en jeu et sur les
hypothèses quant à la résolution des modèles. Nous aurons l’occasion de voir qu’il y a un
véritable travail à engager pour décrire une théorie macroéconomique de l’incidence fiscale se
fondant sur les travaux des postkeynésiens.

Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale trouvent leurs origines chez Keynes et
Kalecki. La publication de la Théorie Générale a été l’occasion de renouveler les questions
théoriques sur la croissance et la fiscalité dont Kalecki s’est inspirée pour poser les bases les
bases d’un nouveau programme de recherche des finances publiques (1). Ce programme met
en avant un ensemble de facteurs d’incidences fiscaux qui se différencie par la méthode et les
mécanismes en jeu de la théorie standard (2). Enfin, ce programme de recherche est
l’occasion de proposer une réforme fiscale globale visant à encourager la croissance et
l’emploi (3).
297
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

1. Aux origines de la théorie postkeynésienne de la fiscalité

L’analyse keynésienne a marqué un renouveau théorique sur le plan des questions de la


croissance, de la détermination de l’emploi et de l’investissement. Keynes a émis quelques
idées sur les moyens d’utiliser la politique fiscale pour améliorer la croissance économique
dont Kalecki s’est inspiré (1.1). Ce dernier s’est servi des concepts keynésiens pour décrire les
modalités d’applications de la politique fiscale mais il persiste tout de même des désaccords
entre ces deux auteurs sur le plan méthodologique (1.2). Enfin, Kaldor a également
développée une approche particulière de la politique fiscale en soulignant le rôle joué par le
choix de l’assiette d’imposition (1.3).

1.1. L’apport de Keynes et Kalecki

À l’époque des classiques la question de la fiscalité a été abordée et l’on retient


principalement l’idée, tirée de Say, que les impôts les « moins mauvais » sont les plus
modérés par leur quotité et ceux qui entrainent le moins de ces charges sur le contribuable
sans profiter au trésor public112. Par la suite les néo-classiques (Pareto, Pigou) ont suivi cette
ligne d’analyse en indiquant que l’impôt amène à un équilibre de second rang sous-optimal
par rapport à l’équilibre concurrentiel sans distorsions sur les prix. Les conséquences
macroéconomiques ne sont que partiellement étudiées tandis que la théorie moderne de
l’incidence fiscale, la Taxation Optimale, sera elle aussi incapable de décrire les effets
macroéconomiques de la fiscalité.

La Théorie Générale de Keynes a pu poser les prémisses d’une étude macroéconomique de


l’incidence fiscale comme l’affirme Kalecki : « Mr Keynes’s theory gives us a new basis for
the inquiry into the problems of taxation. The analysis of the influence of various types of
taxes on effective demand leads, as we shall see, to quite unexpected results, which may be of
practical importance » (Kalecki 1990, p.562).

112
Pour une étude plus détaillé des visions de l’impôt à l’époque des classiques voir Monnier (2003) ou bien le
mémoire de M2 « Les conceptions de l’impôt dans l’analyse économique », Beleau (2008).
298
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Dans la Théorie Générale, il est question de fiscalité dans le dernier chapitre sur la
philosophie sociale de l’œuvre de Keynes. Dans cet extrait il estime, par exemple, que la
taxation directe des revenus tirés du patrimoine et des successions en Grande Bretagne au
XIXème siècle a permis de réduire les inégalités de revenu. D’après Keynes l’un des « deux
vices marquants du monde économique où nous vivons est que la répartition de la fortune et
du revenu y est arbitraire et manque d’équité » (Chapitre XXIV), il a y donc déjà l’idée,
soutenu ensuite par Kalecki, qu’une politique fiscale de type redistributive, du type de l’impôt
progressif sur le revenu, est en mesure de réduire les inégalités de revenu et d’encourager la
croissance économique.

La thèse de Keynes soutient également qu’il vaut mieux, en cas de sous-emploi, encourager
des mesures en faveur des propensions à consommer les plus fortes car elles permettent une
plus forte accumulation du capital. Dans ce contexte, Keynes défend l’idée qu’une politique
publique modifiant la répartition des revenus dans un sens favorable à la propension à
consommer est bonne pour l’économie.

L’impôt, au-delà de ses effets intrinsèques, permet de donner des marges de manœuvre aux
pouvoirs publics. C’est d’ailleurs ce point de vue que les postkeynésiens soutiendront dans la
grande majorité leurs modèles comme nous avons déjà pu le souligner au chapitre 4. En effet,
Keynes accepte l’idée que l’Etat puisse s’immiscer dans l’économie afin de pallier aux
insuffisances de l’économie. Il se prononce donc faveur d’une « socialisation » d’une partie
de l’investissement. L’impôt est donc un outil à disposition de l’Etat afin de donner les fonds
nécessaires pour mettre en œuvre les infrastructures de transports, de télécommunications, ou
les « politiques de grands travaux ». Pour autant, Kalecki a été le seul à avoir développé les
intuitions de Keynes et a tenté de décrire une véritable théorie de l’incidence de la politique
fiscale au sens keynésien du terme.

Il est devenu largement reconnu que Kalecki se réclame, à l’instar de Keynes, comme le
fondateur du postkeynésianisme (Harcourt, 2006). Son influence a été forte pour décrire la
primauté du rôle de la politique fiscale dans la gestion de la demande (Asimakopulos, 1978).
Il a reconnu que la publication de la Théorie générale de Keynes permettait une toute nouvelle
approche de l'étude de la fiscalité.
299
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Il a surtout analysé les effets macroéconomiques de courte période des impôts sur les produits,
les revenus et le capital, mais il n’a jamais explicitement incorporé l’imposition dans ses
analyses dynamiques. La formulation originale de Kalecki en 1937 a été l’occasion d’une
extension sur le plan analytique par Asimakopulos et Burbidge (1974). Ces deux approches se
situent en courte période dans lesquelles le niveau d'investissement est déterminé par les
décisions prises au cours des périodes antérieures. Ces formulations ont par la suite été
intégrées dans un modèle dynamique qui cherche à identifier les effets dynamiques de la
politique budgétaire et son impact sur les investissements, la répartition des revenus et la
croissance (Laramie et Mair, 1996 ; 2000 ; 2003).

Kalecki (1944) défend l’idée que l’Etat doit agir sur les variables économiques au travers du
déficit budgétaire sur le long terme pour garantir le plein-emploi. Il soutient également qu’une
politique de redistribution des revenus des riches vers les pauvres pouvait encourager
l’économie à se rapprocher de cet objectif. La politique fiscale permet, dans ce cas,
d’augmenter le niveau de la consommation courante car les plus bas revenus ont une
propension à consommer plus forte que les riches.

Les effets liés à la redistribution des revenus chez Kalecki peut même être couplée à une
politique fiscale en faveur d’une baisse des taxes indirectes, en particulier celles sur les biens
de consommation. Cependant, pour que la redistribution ait les effets escomptés,
l’investissement privé doit être maintenu à un niveau permettant le plein emploi, car sinon la
taxation des hauts revenus risque de nuire à l’épargne ainsi qu’à l’état de confiance de
l’économie et donc à l’accumulation du capital. Pour contrecarrer cet effet pervers, Kalecki
suggère que la politique fiscale soit associée à une politique de taux d’intérêt bas qui permet
de remplacer le capital usé à moindre coût.

Au côté de cet objectif d’efficacité, il se dresse chez Kalecki un objectif d’équité, au sens où
une politique fiscale en faveur de la redistribution permet de se rapprocher du plein-emploi et
de rendre la distribution des revenus plus « égalitaire ». C’est d’ailleurs à cause de cela que ce
type de politique risque de rencontrer une forte opposition d’une partie de la population. En
effet, les entrepreneurs qui agissent en fonction de l’état de confiance de l’économie risquent
de revoir leurs anticipations à la baisse et peuvent être incités à ralentir une partie de leurs
investissements. De plus, la consommation de ceux qui sont soumis à ce type d’impôt risque
de diminuer. Il faut par conséquent que l’effet positif sur la consommation consécutive à une
hausse des dépenses publiques par l’intermédiaire des subventions ou des investissements
publics soit supérieur à la baisse anticipée de l’investissement.
300
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Enfin, l’introduction de l’Etat dans les affaires de l’industrie peut réduire la chute de
l’investissement ou la baisse des marges bénéficiaires des entreprises. Cependant, si l’Etat
affiche une volonté de contrôle des prix à un niveau suffisamment faible pour ne pas ralentir
la hausse de la consommation, alors l’effet « multiplicateur » de la redistribution des revenus
est positif pour la santé de l’économie. Halevi et Kriesler (1999), souligne cependant que ce
sont les capitalistes « en tant que classe » qui risque de ralentir l’élan vers le plein emploi car
la classe des salariés aura un poids plus important dans le conflit sur la distribution entre le
profit et les salaires. En effet, une conjoncture favorable et des commandes qui augmentent
incitent les syndicats à exiger des augmentations de salaires et des conditions de travail plus
favorables. Ce conflit peut uniquement être résolu par un changement de capitalisme
soutiennent les auteurs. Pour que l’intervention du gouvernement fonctionne, il faut que
l’objectif de plein-emploi soit le plus important dans la société, bien que la globalisation a
modifié, ces dernières années, les formes d’intervention de l’Etat sous une forme différente.

1.2. Les propositions pratiques de Kalecki sur le système fiscal

Dans la Théorie Générale, Keynes n’a pas décrit de manière précise les contours de la
politique fiscale, tandis que Kalecki a développé cette théorie en l’assignant d’objectifs
macroéconomiques en phase avec l’œuvre de Keynes (1.2.1). Cependant, dans une
correspondance entre les deux auteurs, Keynes a souhaité souligner les divergences de points
de vue notamment sur le cadre méthodologique adoptée par lui et Kalecki (1.2.2).

1.2.1. La politique fiscale chez Kalecki

Le texte de Kalecki (1937/1990) marque un tournant dans l’histoire des finances publiques en
fournissant un point de départ à la théorie postkeynésienne de l’incidence fiscale et des effets
macroéconomiques de l’impôt. Son objectif est de décrire une théorie des finances publiques
réaliste et ambitieuse, ayant comme point de départ la Théorie Générale de Keynes. Il
examine donc les effets de différents impôts sur l’emploi avec des résultats opposés à
l’économie des finances publiques orthodoxes.
301
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Le modèle d’incidence fiscale de Kalecki s’appuie sur un certain nombre d’hypothèses


simples et à certains égards limités comme le dénoncera Keynes (De Vecchi, 2008) :
- L’impôt sur la consommation et l’impôt sur le revenu sont levés respectivement
sur les biens de consommation courants et le revenu des capitalistes.
- Le taux de salaire monétaire est donné et les travailleurs n’épargnent pas.
- Le système économique est fermé avec un excès de facteur travail et de capital
productif.
- L’offre de monnaie destinée aux transactions est élastique si un impôt sur les
salaires est levé.
- La consommation des capitalistes est entièrement dirigée vers les biens autres que
les biens de consommations courants.
- Le taux d’investissement est déterminé sur la période précédente et il ne se modifie
pas de façon instantanée.
- La propension à consommer des capitalistes est insensible aux évolutions du
revenu.

Le propos de Kalecki consiste à vérifier, si dans une situation caractérisée par le chômage et
la sous-utilisation des capacités de production, il était possible de stimuler une augmentation
du revenu national et de l’emploi en finançant les dépenses publiques par un impôt qui ne
génère pas de réductions proportionnelles des dépenses privées, tout en maintenant l’équilibre
des finances publiques. Il étudie les effets de trois types d’impôts : un impôt sur les biens de
consommations courantes, un impôt sur les revenus des capitalistes et un impôt sur le capital.
Le produit de l'impôt sur la consommation est uniquement destiné au financement des
allocations chômage.

L’impôt sur les biens n’a donc pas d’effet positif ou négatif sur l’économie puisque d’une part
la demande issue des allocations chômage stimule les dépenses dans son ensemble, mais
d’autre part, les producteurs ont augmenté leurs prix d'un montant égal à l'impôt pour
conserver leurs marges. Kalecki explique donc que "l'impôt est compté ad valorem à un taux
constant pour toutes sortes de biens de consommation courants113 " (Kalecki, 1937/1990, p.
320). En résumé, cette taxe n’entraîne pas une augmentation de la production, mais seulement
du prix des biens taxés.

Le pouvoir d’achat des allocataires des prestations chômage n’est donc pas modifié.

113
“ The tax is reckoned ad valorem at a constant rate for all kinds of wage goods”
302
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

L’impôt sur le revenu amène des effets positifs sur le revenu national et l’emploi. Kalecki
démontre qu’un impôt prélevé sur le revenu plutôt que sur les biens déscincite les producteurs
à répercuter cet impôt sur les prix, sauf dans le cas où il y a un véritable risque de perdre des
parts de marché. Ainsi, l’augmentation de la demande provenant des allocataires des
prestations chômage entraine une hausse équivalente de la production par le biais de la
demande effective. En conséquence, les bénéfices réalisés par les capitalistes en tant que
classe ont augmenté d'un montant qui égalise la réduction du revenu causée par la charge
fiscale. Le mécanisme s’opère par le biais des dépenses publiques qui couvrent les dépenses
par l’impôt et augmente donc le revenu du montant de l’impôt. Kalecki ajoute que l’effet
positif de cet impôt peut être réduit si les prêteurs répercutent l’impôt sur les entrepreneurs
avec comme conséquence une baisse de la profitabilité nette de l’investissement si l’incitation
à investir est limitée.

L’impôt sur le capital est levé sur tous types de capitaux à un taux de 2%. Cet impôt sur le
capital s’ajoute aux profits globaux 114 (1971/1937, p.41). À court terme l’introduction de cette
nouvelle taxe n’influence pas le montant de l’investissement et la consommation des
capitalistes. Elle encouragera l’emploi ainsi que les profits globaux du montant de la taxe.

L’impôt sur le capital possède deux avantages par rapport à l’impôt sur le revenu. En premier
lieu, l’augmentation de la masse salariale est supérieure dans le cas de l’impôt sur le capital.
Ensuite, si l’impôt sur le capital est levé sur toutes les sortes d’actifs, alors l’augmentation du
taux de taxation sur le capital ne conduit pas à une baisse de la profitabilité de
l’investissement ou à une augmentation du taux d’intérêt. En effet, cet impôt sur le capital ne
se répercute pas sur les prêteurs et les entrepreneurs. Kalecki prend l’exemple d’un individu
qui emprunte pour construire une usine. Ici, si l’entrepreneur n’augmente pas son propre
capital et il ne paye pas davantage d’impôt sur le capital. Par contre, si cet individu se risque à
investir par ses propres moyens, alors il paie le même impôt que s’il s’était abstenu d’investir.
Par conséquent, les prêts ne sont pas influencés par l’impôt sur le capital. L'incitation à
investir n'est donc pas affaiblie par une augmentation du taux d’imposition sur le capital si les
rendements attendus sont les mêmes que sur la période précédente. En outre, les profits
globaux sont augmentés et les anticipations améliorées.

114
303
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Les incitations à investir sont maintenant supérieures à celles avant l’introduction de l’impôt,
ce qui augmente de nouveau les profits globaux et l’emploi. Pour Kalecki, cet impôt
augmenterait également les revenus des capitalistes après avoir payé les impôts par la hausse
des profits globaux.

Kalecki affirme donc que la taxation du capital est peut être le meilleur moyen de stimuler
l’investissement et de réduire le chômage. Par contre, il estime que l'imposition du capital ne
sera jamais appliquée à cet effet sur une grande échelle, car elle peut porter atteinte au
principe de la propriété privée. Kalecki explique donc en citant Joan Robinson115 que : «tout
gouvernement qui avait à la fois la puissance et la volonté de remédier aux principaux défauts
du système capitaliste aurait la volonté et le pouvoir de l’abolir complètement ».

Les travaux pionniers de Kalecki sur la fiscalité pousseront Keynes à discuter des hypothèses
et de la méthode utilisée. C’est ce que nous allons voir dans la partie suivante.

1.2.2. Keynes et Kalecki : des divergences de points de vue

Tout d’abord, il convient de signaler un certain nombre de différences importantes sur la


politique budgétaire entre la théorie postkeynésienne (JMK) à la Keynes et la théorie
postkeynésienne à la Kalecki (MK) (Tableau 5.1) (Laramie, Mair, Courvisanos, 2009) :

115
Joan Robinson, Review of R.F. Harrod, « The Trade cycle », Economic Journal, December 1936.
304
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Tableau 5.1 : Les différences sur la politique budgétaire entre postkeynésiens et kaleckiens

Vision Keynésienne Vision Kaleckienne

Admet l’existence d’effets


macroéconomiques au sein d'un
Stimuler la demande globale par
régime d'équilibre budgétaire
l'injection de dépenses publiques
Budget équilibré sans que cela nécessite une
supplémentaires et l'accumulation des
modification de la fiscalité ou
déficits budgétaires.
des dépenses publiques
globales.

Se concentre sur le volet des


recettes, et considère les effets
Dépenses et revenus Se concentre sur le volet dépenses du macroéconomiques à recettes
du budget budget de l’Etat. publiques constantes lorsqu’on
substitue les taxes et les
dépenses publiques.

Idem + étude des conséquences


macroéconomiques des
Place de la « finance Importance de la « finance
changements induits par la
fonctionnelle » fonctionnelle ».
fiscalité dans la distribution
fonctionnelle des revenus.

Fondée sur la théorie du degré


Ne précise pas sa théorie de la
Incidence de la de monopole dans la
répartition des revenus. Les effets
fiscalité sur la distribution des revenus. Les
macroéconomiques sont pris en
répartition des effets macroéconomiques sont
compte par le biais des dépenses
revenus différents selon si oui ou non
publiques.
les impôts se modifient.
305
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Dépend du modèle
d'investissement afin d'identifier
Via l'impact de la « finance
les facteurs de croissance et les
fonctionnelle » sur la demande globale
Politique budgétaire canaux par lesquels les
qui stimule les investissements et
et croissance changements dans la structure
augmente la capacité productive future
d’équilibre de la fiscalité aura
de l'économie.
un impact sur l'investissement
et la croissance.

Reconnaît que la politique


budgétaire (et la politique
Le taux d'innovation étant exogène, il fiscale) peut stimuler
Politique budgétaire
n’y a pas d’impact direct de la l'innovation, bien que son
et innovation
politique budgétaire sur l’innovation. impact puisse être limité par
une modification du cycle
d'innovation politique.

Source : Laramie, Mair et Courvisanos, 2009

Sur le plan de la politique fiscale, Kalecki et Keynes ont échangé leurs points de vue sur les
effets des impôts sur le revenu national et l’emploi dans une correspondance régulière entre
1937 et 1944. Alors que Kalecki estimait que la Théorie Générale de Keynes avait ouvert la
voie à une nouvelle approche des questions sur l’incidence fiscale, Keynes souligne pour sa
part les erreurs de méthode des écrits de Kalecki (De Vecchi, 2008).

La théorie de Kalecki a marqué une rupture dans la théorie des finances publiques et fut le
point de départ d’une théorie postkeynésienne de l’incidence macroéconomique des réformes
fiscales. Son analyse trouve ses fondements dans la Théorie Générale de Keynes. Kalecki
considère cet ouvrage comme un point d’arrêt avec la tradition néoclassique sur les
déterminants du chômage et des mesures pour lutter contre ce fléau. La place centrale
accordée à la théorie de la demande effective se situe sur le même champ que Keynes.

Du point de vue de Keynes, la théorie de Kalecki contient trois erreurs importantes portant sur
les hypothèses sélectionnées.
306
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

La première erreur est la simplicité de ces dernières qui affecte grandement les conclusions
obtenues. La deuxième est l’irréalisme de certaines d’entre elles qui peuvent nuire à
l’application pratique de la théorie de Kalecki. La troisième et dernière a trait à
l’interdépendance entre les variables qui est très différente en fonction des deux auteurs. Elle
tient à la fois à leur nature et à leurs effets.

Keynes reproche surtout à Kalecki que la consommation des capitalistes soit entièrement
orientée vers des biens autres que les biens de consommations de masse. Cette hypothèse
supposerait, selon Keynes, que les facteurs de production nécessaires à la production des
biens de consommation des capitalistes soient totalement distincts des autres facteurs de
production nécessaires à la production. Kalecki semble au fait de ce paradoxe mais il utilise
un dispositif rhétorique pour mettre en avant le principe de la demande effective d'une
manière qui pourrait attirer l'attention du lecteur. Pour autant, Keynes estime qu’en
poursuivant trop de résultats à la fois dans le cadre d’une analyse simplifiée, le résultat
théorique central est affaibli et restreint la portée des prescriptions politiques. C’est donc du
point de vue de la méthode que Keynes critique la théorie de l’incidence macroéconomique de
la fiscalité de Kalecki.

L’introduction par Kalecki de l'invariance des dépenses d'investissement et des dépenses des
capitalistes sur la consommation aurait donc ouvert un gouffre entre sa théorie et celle de
Keynes. Kalecki reprend de la Théorie Générale, l’hypothèse de la Loi Psychologique
Fondamentale. Il souhaite rendre sa théorie applicable en stipulant l’inélasticité de la
propension à consommer des capitalistes en respect avec les prévisions de revenu. Comme
nous l’avons déjà dit précédemment, Keynes rejette fortement cette hypothèse car elle ne
correspond pas au propos qu’il soutient dans la Théorie Générale. Pour Keynes, une théorie
ne peut pas être en mesure d'identifier des lois universellement valables, mais elle doit être
capable de se pencher sur les répercussions probables d'une action ou d'une intervention en
matière de politique économique sur les déterminants fondamentaux de la variation du revenu
et de l'emploi.

Autre point de désaccord, Keynes a toujours insisté sur la manière dont était construite sa
théorie plutôt que son contenu.
307
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Pour cette raison, il a porté son attention sur la proposition de Kalecki sur le fait qu’une dette
nationale croissante est sans conséquence sur les placements des capitalistes. Kalecki dans son
texte de 1944 répond en partie à cette critique et propose une version modifiée de l’impôt sur
le revenu. Ainsi, un impôt important sur les revenus des capitalises n’est pas en contradiction
avec l’objectif de plein-emploi car cet impôt sur le revenu « modifié » possède un seuil
d’exemption destiné à encourager les capitalistes à investir. Kalecki se sépare donc de
l’hypothèse de l’autonomie des décisions de dépenses des capitalistes face à une variation de
la fiscalité. Il admet finalement que la fiscalité a également comme rôle d’orienter les
décisions d’investissement des capitalistes.

Il propose diverses formes d'interventions dans la politique économique visant à fournir « une
solution viable au problème de plein emploi», précisément à travers les changements apportés
dans les décisions de dépenses des capitalistes. Il en revient donc à une théorie fiscale proche
des intuitions de la Théorie Générale en y ajoutant des solutions pratiques sur le plan de la
politique fiscale que nous avons déjà décrites précédemment.

1.3. Kaldor et l’impôt sur la dépense

La plupart des évaluations de l’impact macroéconomique des réformes fiscales suppose de


s’interroger sur le niveau des taux d’imposition, quitte à omettre la question de l’assiette
d’imposition. La théorie standard défend l’idée que le meilleur impôt possible est celui dont le
taux est le plus bas et l’assiette la plus large. La question des taux est souvent posée mais peu
d’études font l’objet d’une réflexion approfondie de la définition de l’assiette. La thèse
principale de l’ouvrage de Kaldor paru en 1955 et intitulé An expenditure tax est de rendre
compatible plusieurs objectifs souvent mis en contradiction par la littérature économique. Il
serait pour lui possible de faire une avancée considérable vers une société plus égalitaire et
une économie plus efficace et plus progressive en même temps. Une des voies possibles serait
de remplacer le système qu’il juge défaillant de la taxation progressive des revenus avec un
système d’impôt sur la dépense.

Nous avons vu dans la première partie de ce chapitre que la répartition du revenu était au
cœur de la dynamique macroéconomique chez les postkeynésiens. Or, poser la question de
l’assiette revient à questionner la définition du revenu. Cette question a connu un grand intérêt
de la part des économistes et des fiscalistes autour des années 1920-1930 (1.3.1).
308
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

La définition de Haig-Simmons a été l’objet de nombreuses controverses (1.3.2) auxquelles


Kaldor a souhaité répondre à cette question en soulignant l’intérêt de définir l’assiette
imposable de l’individu sur la dépense (1.3.3).

1.3.1. La définition du revenu fiscal : les débats de Simons (1938) en


passant par Wueller, Mung, Haig

Dans un célèbre article en 1921 paru dans un ouvrage collectif The Federal Income Tax,
Robert Murray Haig examine le contenu pratique et économique de la définition du revenu
d’après le 16ème amendement de la constitution américaine. Il explique notamment que
l'analyse économique moderne reconnaît que, fondamentalement, le revenu est un flux de
satisfactions et d'expériences psychologiques intangibles. Ainsi, un homme s'efforce de
satisfaire ses besoins et désirs et non pour les objets pour eux-mêmes116. Pour Seligman,
« Nous désirons les choses à fond en raison de leur utilité. Ils peuvent conférer cette utilité
uniquement sous la forme d'une succession de sensations agréables. Ces sensations sont notre
véritable revenu117." Haig reconnait qu’il devient important de trouver une définition plus
précise et plus homogène du revenu que ces satisfactions psychiques. Un individu aura ainsi
du mal à exprimer combien de satisfaction il peut tirer de la consommation d’un restaurant,
par exemple, ou de la lecture d’un livre qu’il aurait acheté. Il est donc nécessaire d’avoir une
unité de compte commune.

Taurig (cité par Haig) donne une première idée de ce qui pourrait être mesurable ou non. Il
affirme que l’unité de mesure doit être l’unité monétaire car il est impossible pour le
théoricien de mesurer l’utilité globale du consommateur ainsi que son surplus. Ce point de
vue suppose donc d’abandonner la notion d’utilité relative et la mesure du bien être apporté
par la consommation d’un bien au détriment d’un autre.

Ely118 (1908) pense qu’il est nécessaire de prendre en compte à la fois le revenu monétaire
comme la valeur des biens et services consommés dont les individus jouissent.

116
“A man strives for the satisfaction of his wants and desires and not for objects for their own sake” p.2
117
« We desire things at bottom because of their utility. They can impart this utility only in the shape of a
succession of pleasurable sensations. These sensations are our true income.” p.16, Principles of Economics
118
Outlines of Economics, 1908
309
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Pour autant, Haig (1921) explique qu’accepter une définition selon laquelle les biens et
services peuvent être évalués de façon monétaire suppose qu’ils passent par un processus de
vente, ce qui n’est pas toujours le cas. Du point de vue de l’équité, il est théoriquement
important que tous les biens et services reçus sans paiement soient pris en compte dans le cas
où il est possible de les évaluer sous forme monétaire. Cela permettrait que les satisfactions
issues de la consommation d’un bien ou même du processus d’épargne deviennent
économiquement significatives quand elles sont évaluables monétairement. Il serait donc
nécessaire de faire abstraction des facteurs psychologiques intangibles et de tenir compte soit
de la valeur monétaire des biens et services utilisés pendant une période donnée ou de la
valeur monétaire des biens et services obtenus directement sans transaction d'argent.

Dans la première option, on se situe dans le cas d’un impôt sur la consommation pur. Il reste
alors en suspens les difficultés liées à l’évaluation de satisfactions apportées par le
subconscient d’un excédent épargné, ce qui est évidemment une procédure irréalisable. C’est
d’ailleurs pour répondre à cette difficulté que John Stuart Mill proposait de taxer le revenu
épargné, puis de taxer les revenus de l’épargne dans les années futures, se prononçant ainsi
pour la double imposition.

Toutefois, la conception qui a été généralement adoptée définit le revenu comme la hausse ou
l’accumulation du pouvoir monétaire visant à satisfaire ses besoins dans une période donnée
dans la mesure où ce pouvoir consiste à la possession de l'argent en soi. Cette définition
renvoie également aux choses qui sont susceptibles d’être évaluées en termes monétaire. Dit
autrement, la définition du revenu que l'économiste propose est la suivante:

« Le revenu est la valeur monétaire de l'accroissement net de la puissance économique entre


deux points dans le temps. »

Cette définition respecte la conception du revenu en termes de flux de satisfactions. Il définit


le revenu en termes de pouvoir de satisfactions économiques plutôt qu’en termes de
satisfactions intrinsèques. Elle a pour effet de taxer le bénéficiaire du revenu quand il reçoit le
pouvoir d’atteindre ses satisfactions plutôt que quand il choisit d'exercer ce pouvoir. Le
problème étant que cette conception introduit un biais lorsqu’il s’agit de taxer le report de
cette satisfaction via le processus d’épargne. Pour Haig, cela n’est pas une raison suffisante
pour retarder son imposition.
310
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Haig (1921) estime que la définition la plus proche du revenu réel de l’individu est celle qui
stipule que le revenu est l'accroissement net de la force économique dans une période donnée.

Il reste pour autant en suspens la question des revenus de nature irrégulière. Ainsi, il convient
de considérer comme un « revenu » un actif dont la valeur augmente de manière suffisamment
importante pour qu’il puisse être évalué en termes monétaires. Pour Seligman (1919), il
s’agit, en plus des critères sur la valeur monétaire, sur la périodicité et sur la réalisation du
revenu, d’appliquer le critère de la séparation comme un attribut nécessaire de revenus.
L’objet doit être réalisable et séparable de façon précise. On doit donc être en mesure d’établir
une séparation physique réelle avant que le revenu économique soit réalisé. Pour autant, dans
le cas des dividendes en actions, par exemple, il semble impossible de supprimer l'inégalité
entre les différentes classes des porteurs de titres. Seligman, conclue donc que les dividendes
en actions ne sont pas des revenus. Son explication réside non pas dans le fait que le revenu
n’est pas cumulé par le propriétaire du titre lorsque le dividende en action est déclaré, mais
qu’en réalité il est cumulé par le propriétaire même si le dividende en action a été déclaré 119.

La définition formelle du revenu économique retenue par Haig se heurte à la difficulté de ne


pas pouvoir être écrite de façon littérale dans la loi à cause d’inconvénients techniques dans la
détermination du revenu, dès lors que le revenu imposable diffère sensiblement de cette
définition. Il y a dans ce cas des anomalies et des injustices en matière de fiscalité des
revenus.

Il est dès lors souhaitable du point de vue de l'efficacité et de l'équité que la définition
judiciaire du revenu doit se développer en tentant d’éliminer du concept certains éléments
n’étant pas considérés comme du revenu. Cela pose alors la question de la méthode pour
évaluer les différentes catégories de revenu. La définition du revenu doit donc être assez large
pour passer outre toutes les difficultés théoriques et résoudre tous les soucis d’équité et les
anomalies.

119
Du moins tant que l’amélioration de la situation économique de la société se reflète dans le patrimoine de
l’actionnaire.
311
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Quelques années plus tard, Simons (1938) reprend la proposition de Haig (1921), en
définissant le «revenu» comme la somme algébrique de « la valeur de marché des droits
exercés dans la consommation » et comme « le changement de la valeur du stock des droits
de marché entre le début et la fin de la période imposable ». La caractéristique essentielle de
cette formulation est qu'elle définit le revenu comme le gain d’une personne au cours d'une
période donnée.

La définition est globale au sens où elle ne fait aucune distinction selon l'origine ou la
répartition : il comprend le revenu en nature, les recettes gratuites telles que les dons ou les
legs, et les gains en capital. Simons a vu le revenu global comme une base d'imposition
appropriée pour les personnes, puisque, par cette construction, les taxes peuvent être
distribuées à des personnes d'une manière équitable, en particulier en utilisant une structure de
taux progressifs. Bien que cette définition ne fût jamais pleinement mise en œuvre dans
n'importe quel pays, la notion de revenu de Simons est devenue un cadre d'analyse
couramment utilisée par les chercheurs, en particulier dans la tradition anglo-saxonne,
notamment aux Etats-Unis après la seconde guerre mondiale (Maui Y. et Nakazato M., 1999).

1.3.2. Les controverses quant à la définition de Haig-Simons

Un semblant de consensus semble s’être installé au cours des années 1930 sur la définition du
revenu global. Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que les critiques ont eu lieu.
Après-guerre, les partisans de l'imposition du revenu global tentent de rationaliser le système
fiscal. La montée du mécontentement incite en effet les économistes à débattre sur le revenu
fiscal global dès les années 1960. Le débat a été lancé par Bittker (1967), qui fait valoir
qu’une mesure scientifique neutre du revenu imposable était un mirage 120. Pour ce dernier, la
notion de résultat économique de Haig-Simons n’est d’aucune utilité dans de nombreux
domaines pour définir le revenu. Partant de ce constat, il conclut qu’il n’existe pas une mais
plusieurs types de réformes fiscales qui soient satisfaisantes en évaluant les mérites de
chacune dispositions par dispositions.

La critique de Bittker a amené des répliques de la part des partisans de l'impôt sur le revenu
global comme Musgrave (1967), Pechman (1967) et Galvin (1968).

120
Pour un examen approfondi de la notion de dépenses personnelles, voir Bittker (1973).
312
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Le débat met en avant le fait qu’à bien des égards la base d'imposition existant dans les
systèmes fiscaux contemporains fait inévitablement partie d'un concept pur du revenu global
et que le concept lui-même a bien évidemment des frontières floues. Cependant, Bittker n’a
pas formulé une alternative systématique, qui puisse accompagner sa critique des fondements
de la politique fiscale.

C’est à partir d’Andrews (1972) que les termes du débat ont été modifiés. Pour lui, il est
nécessaire de travailler en profondeur sur les objectifs intrinsèques de la taxe plutôt que
d’évaluer les effets en fonction du niveau du revenu dans le cas du revenu global et des
dépenses fiscales. À partir de la formulation de Simons, Andrews fait valoir que l'impôt sur le
revenu idéal est celui dans lequel les charges fiscales sont réparties sur le contribuable en
utilisant un agrégat englobant la consommation personnelle et celle issue de l’accumulation.
En mettant l'accent sur la composante de la consommation de l'assiette fiscale, il explique
qu'il existe des arguments convaincants pour que le concept de consommation personnelle soit
utilisé comme base fiscale.

Andrews distingue la consommation et les composants issus de l’accumulation dans le calcul


de l'assiette de l'impôt sur le revenu. Il montre que l'exclusion de la composante de
l'accumulation de l'assiette de l'impôt sur le revenu permet d’introduire une taxe à la
consommation personnelle graduée, Andrews ouvre ainsi un nouveau débat sur la taxe sur la
consommation personnelle dont Kaldor (1955) s’était déjà fait le plus fervent défenseur dans
les années 50.

Andrews (1974) a étendu cette analyse. Il a affirmé que les pires injustices, liées aux
distorsions et aux complexités administratives, ont essentiellement comme origine la
composante d'accumulation du revenu. Il insiste donc pour que l'on envisage une alternative
où le revenu personnel imposable soit calculé sur la base des flux de trésorerie simple qui
reflète seulement la consommation personnelle, tout en éliminant l’accumulation ainsi que les
actifs concernant l'investissement par exemple. Il a montré comment la poursuite de cette voie
permettrait une simplification substantielle nette de l'impôt ainsi qu’une répartition plus
équitable et plus efficace des charges fiscales. Contrairement à Bittker, qui avait tendance à
adopter une approche au coup par coup, Andrews a pu s'appuyer sur un cadre conceptuel basé
sur une vision de l’économie en termes de flux monétaires temporels.
313
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Il s’agit, pour lui, d’un outil analytique essentiel pour la composante de l'accumulation de
l'assiette de l'impôt sur le revenu.

Le débat s’est ensuite porté sur la question des proportions dans lesqauelles la charge fiscale
devait peser sur le revenu ou la consommation. Les systèmes actuels de l’impôt sur le revenu
sont des systèmes hybrides (Maui et Nakazato, 1999). Dans les débats qui ont suivi, plusieurs
facteurs ont été posés et examinés, tels que l'équité, l'efficacité et la faisabilité administrative.

Sur la question de l'équité, Warren (1975) suggère que la neutralité de la taxe de type «
consommation » est obtenue si les revenus du patrimoine sont exonérés d’impôt. Andrews
(1975) a rétorqué que les observations de Warren ne remettent pas en cause la conclusion
selon laquelle une taxe sur la consommation serait plus juste, il souligne des différences
importantes entre un impôt sur les salaires et un impôt sur le revenu fondé sur la
consommation. Pour Andrews, un impôt sur le revenu, voire un impôt de type « accumulatif
», est un outil inefficace pour s’attaquer aux inégalités de richesse.

Warren (1980) continue de défendre les avantages d’une imposition fondée sur le critère du
revenu plutôt que sur la consommation. Fried (1992), remet cette affirmation en cause en
utilisant l'argument fondamental de Hobbes (déjà utilisé par Kaldor) selon lequel la richesse
ne doit pas être considérée comme étant privée tant qu’il n’a pas été retiré à la communauté
pour un usage personnel. Il se focalise donc sur le caractère abusif de taxer les revenus du
capital en soi. Fried a ainsi distingué trois théories implicites visant à justifier l’exemption du
rendement du capital:

- le rendement du capital devrait être exempté comme un moyen de perfectionner


l'impôt sur le revenu.

- il devrait être exempté comme un moyen de mettre en œuvre une taxe sur les dotations
individuelles.

- il devrait être exempté afin de préserver le bien-être relatif avant impôts des
épargnants et des dépensiers.

Sa conclusion est qu’aucun de ces arguments ne justifie une plus grande équité d'une taxe à la
consommation.
314
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Sur le critère d'efficacité, les économistes sont presque unanimes à considérer que l'assiette de
l'impôt sur le revenu est discriminatoire à l'égard de l’épargne et favorise la consommation
courante, tandis qu’un impôt sur la consommation est plus neutre vis-à-vis des décisions
d’épargne des individus. Sur la faisabilité administrative, Graetz (1979) a appliqué son
analyse générale sur les transitions juridiques qui permettraient de passer d’un impôt sur le
revenu à un impôt sur la consommation. Il estime que les obstacles seraient considérables
mais pas nécessairement insurmontables. Cependant, compte tenu de certaines difficultés
pratiques il considère que les partisans d'un impôt sur les dépenses doivent être tenus de
démontrer les avantages réels en termes d'équité et d'efficacité économique. Il affirme qu’à
moins que cette charge de la preuve soit remplie, le remplacement de l'impôt sur le revenu par
un impôt personnel progressif sur la consommation ne figurera pas sur la liste des priorités
politiques.

Shachar (1984) examine la question de la transition en proposant que les changements dans le
traitement fiscal des actifs et des passifs soient effectués au cas par cas. L’objectif principal à
ses yeux est de déterminer de quelle manière les règles de transition placent le fardeau fiscal
sur l’individu porteur de risque supérieur. Il souligne que les règles de transition sont
nécessaires pour éviter les effets d’aubaine et la double imposition.

En dépit de ces débats houleux et des vives critiques, la robustesse de l'idée de l'impôt sur le
revenu a fait ses preuves dans le monde réel. La réforme fiscale de Ronald Reagan, qui fait
suite au rapport rédigé par le département américain du Trésor américain (1984), a opté pour
un élargissement de l'assiette de l'impôt sur le revenu avec une structure de taux moins
progressifs. À la fin des années 1980, des réformes fiscales similaires avec élargissement de la
base et l’aplatissement des taux ont suivi dans d'autres pays. Aucun pays n’est jamais passé
totalement à une structure de taxe à la consommation. Le système d'impôt sur le revenu reste
un hybride, mais il n'a pas été mis au point comme un modèle d'accumulation pure et il n'a pas
subi de changement complet vers un modèle de taxe à la consommation. Le politologue Witte
(1985) s'attaque à la position de Simons car la définition du revenu par ce dernier reposerait
sur un ensemble peu compréhensible de postulats. Il défend un impôt sur le revenu global
pour des raisons pragmatiques telles que la capacité fiscale, l'efficacité administrative, la
sécurité, la simplicité et la légitimité, plutôt que par des critères de valeurs traditionnelles
telles que l'équité et l'efficacité.
315
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Tout en jetant un doute sur l'avenir de l'impôt sur le revenu, Isenberg (1990) rejette l'adoption
d'une taxe sur la consommation personnelle, et opte pour une taxe sur la valeur ajoutée qui est
essentiellement une taxe sur les entreprises.

1.3.3. La définition du revenu dans le projet d’impôt sur la dépense


de Kaldor

Kaldor remonte à Thomas Hobbes pour appuyer sa démonstration en faveur d’un changement
d’assiette de prélèvements. Il y a plus de 350 ans, Hobbes estimait que : «l'égalité de
l'imposition consiste plutôt dans l'égalité de ce qui est consommé, que de la richesse des
personnes qui consomment la même chose121» (Hobbes 1651, p.387). Son argumentation était
fondée sur la logique que l'État assure la protection de la jouissance de la vie et que les impôts
sont le prix de cette protection. La consommation est donc la manifestation matérielle de la
jouissance de la vie, de sorte que la consommation devrait être la base d'imposition. Comme
l’explique Hobbes, "Pour quelle raison on aurait, que celui qui travaille beaucoup, et qui en
épargnant les fruits de son travail, consomme peu, devrait être plus imposé que celui qui vit
paresseusement, et dissipe tout ce qu'il reçoit: Pourquoi le premier ne reçoit pas davantage
de protection ?122 ".

Kaldor (1955) fut l’un des premiers à mêler à la fois l’intérêt théorique d’un impôt sur la
consommation et la manière dont il était possible de le mettre en œuvre de façon pratique. Il a
plaidé pour un impôt sur la dépense comme une surtaxe pouvant coexister avec l'impôt sur le
revenu actuel au Royaume-Uni. La Commission Meade (Institute for Fiscal Studies, 1973) au
Royaume-Uni et le Département du Trésor des États-Unis (1977) avaient également défendu
avec conviction la taxation de la consommation en s’appuyant sur une partie de ses travaux.
Malgré ces propositions, aucun pays n'a modifié son régime fiscal tout entier à une base de
consommation. Cependant, il y a eu un léger mouvement vers une taxation de la
consommation de différentes manières au cours des 20 dernières années. Tout d'abord, la
Communauté européenne (CE) a adopté deux directives en 1967 qui imposait à tous les
membres de la CE de mettre en œuvre une TVA.
121
« The equality of Imposition consists rather in the Equality of that which is consumed, than of the riches of
the persons that consume the same »
122
« For what reason is there, that he which labour much, and sparing the fruits of his labour, consume little,
should be more charged, than he that living idly getter little, and spender all gets : seeing the one hath no more
protection from the commonwealth than the other ? »
316
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

En conséquence, la combinaison de la consommation et des impôts a changé au point où les


impôts sur la consommation (cuves, les taxes d'accise, etc) pour constituer de 15 et 25% pour
cent des recettes fiscales pour les pays de la CE (Metcalf, 1995). Deuxièmement, il y a eu une
énorme croissance dans les régimes de retraite à cotisations déterminées et à des programmes
d'épargne à imposition différée aux États-Unis et dans d'autres pays industrialisés. Selon les
estimations actuelles environ 50 pour cent de l'épargne personnelle aux États-Unis bénéficient
d'un traitement fiscal sur la base de la consommation (Gale, 1995).

Dans l’annexe de son ouvrage, Kaldor regrette la faible accordé dans les ouvrages orthodoxes
à la détermination du revenu imposable (1955, p.54). Pour lui, les travaux théoriques
fondamentaux sont à aller chercher du côté d’Irving Fisher ainsi que dans les travaux des
auteurs suédois entre les années 20 et 30. Dans une certaine mesure il en revient à la critique
de Bitker (1967) concernant la définition de Haig-Simons. Ainsi, il n’existe aucune notion
capable de mesurer de façon objective le revenu.

Il propose donc que le revenu soit observé comme le montant de la consommation. Pour cela,
il s’appuie sur la distinction faite par Fisher, selon laquelle le capital est un « stock de richesse
à un moment donné » et que le revenu est un « flux de bénéfices pendant une période de
temps ». Le revenu est donc le bénéfice net obtenu par le capital sur une période, en retirant
tous les services nécessaires à sa reproduction. Par conséquent, le rendement net de
l'ensemble du capital se compose de l'ensemble des biens et services reçus au cours d'une
période par des individus en leur qualité de consommateurs. D’après cette définition, le
revenu est simplement la consommation. L’épargne n’est donc pas une partie de ce revenu, ce
qui exclue le rendement net de l’ensemble du capital. Or, l’épargne peut accroitre le stock de
capital ainsi que le rendement futur attendu en prenant en compte la réduction de son
rendement actuel. Cela signifie que l'augmentation de capital au cours de la période ne fait pas
partie de son rendement actuel, car elle n'est que le reflet d'une augmentation du rendement
futur. On considère donc qu'il s'agit d'une partie du rendement actuel moyen. L'approche de
Fisher a le mérite, pour Kaldor, de donner un résultat simple et sans ambiguïté, mais il n'est
pas conforme aux notions courantes sur le sujet. En un sens, elle résout le problème en
l'éliminant.
317
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Kaldor souhaite que la définition du revenu ne fasse pas dépendre le rendement net du capital
des quantités, de la productivité des différents types de ressources, et de la manière dont les
individus utilisent ce capital en terme de consommation actuelle ou future. Il souhaite définir
une notion qui met plutôt en avant le rendement « potentiel » du capital, c’est-à-dire le
rendement, qui, en toutes circonstances puisse être maintenu de façon permanente. Dans ce
cas, il faudrait définir le revenu (en termes de consommation) comme le revenu potentiel de
consommation qui serait obtenu si l’épargne nette serait égale à 0.

Il convient ensuite de définir avec précision les revenus issus des intérêts. En partant de
l’analyse de Fisher, et avec l’apport de Lindahl 123, Kaldor pense que ce revenu peut être
observé comme le produit de la valeur du capital existant au début de la période et le taux
d’intérêt au cours de cette période. Dans cette configuration, le taux d’intérêt mesure le taux
auquel la valeur actuelle du capital augmente au cours du temps. Cependant, face à la
difficulté de définir un seul et unique taux d’intérêt 124, il serait préférable d’observer ou de
mesurer le revenu à partir des données de marché en suivant la variation réelle de la valeur
des actifs sur une période125.

En d'autres termes le revenu se défini comme la consommation plus l'accumulation de capital


réel, ce qui renvoie à la notion de revenu ex-post. Le revenu ex-post n'est donc pas la
consommation plus l'accumulation de capital réel, mais la consommation plus l'accumulation
de capital effective. Cette dernière notion ne peut pas être déduite de phénomènes observés,
pas plus que le revenu ex-ante. Pour l’estimer il est donc nécessaire de savoir ce qu’aurait été
la valeur des actifs de valeur au début de la période. Il ressort alors que la différence entre
cette valeur en capital hypothétique au début de la période et sa valeur réelle à la fin est une
bonne mesure.

123
The concept of Income, Essays in Honour of Gustav Cassel, London, 1933, p.399-407.
124
Voir p.59-60 (Kaldor, 1955)
125
En ajoutant à la fin de ce calcul une valeur qui a été séparée pendant la période sous la forme de versements
de dividendes, etc...)
318
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

On aurait donc :

Cette formule équivaut à la valeur du capital à la fin de la période, multiplié par le taux
d'intérêt qui a été obtenu au cours de la période.

La définition du revenu chez Kaldor a comme objectif de décrire une mesure raisonnable du
revenu qui ne prend pas en compte les revenus occasionnels ou exceptionnels. Pour lui, la
capacité d’imposition d’un individu dépend d’éléments stables du revenu ou de dépenses. Par
conséquent, l'appréciation du capital représente un gain réel à chaque fois qu'elle confère à
l'acquéreur un pouvoir d’achat supérieur sur le montant de son patrimoine. Dans le cas où on
observe une baisse des taux d’intérêts, il peut y avoir une hausse générale de la valeur du
capital et donc du pouvoir d’achat global de ce capital. Le flux de revenu réel que l’individu
est capable de tirer l’est également. Dans le cas d’une augmentation de l’inflation,
l’augmentation des gains des propriétaires en capital est véritable, mais pour autant
l’appréciation de leurs revenus n’implique pas forcément une augmentation similaire dans
leur capacité à consommer des biens.

La définition idéale du revenu comme mesure de la capacité contributive d’un individu, ne


doit pas être pensée comme la consommation plus le capital accumulé actualisé à la Haig, ou
bien comme la consommation plus le capital accumulé moins les revenus exceptionnels.
Les analyses portant sur la définition du revenu imposable nous permettent de synthétiser les
différentes définitions de la manière suivante :

Le terme capital réel accumulé doit être compris comme le revenu actualisé cumulé sujet à
deux types de corrections. La première sur le niveau général des prix, donc sur l’inflation. La
deuxième sur le niveau général du taux d’intérêt.
319
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

L’impôt sur la dépense de Kaldor n’a pas comme seul objectif de fournir une définition
convenable de l’assiette d’imposition. Son projet possède une visée macroéconomique sur la
manière dont peut être utilisée la politique fiscale pour améliorer la croissance. Pour Kaldor,
l’objectif de la politique fiscale d’un Etat moderne est de garantir une économie stable et
progressive. C’est-à-dire avec un haut niveau d’emploi, un niveau de prix et un taux
d’accumulation du capital stable qui permet une augmentation progressive du niveau de vie.
Ces différents points seront étudiés en détail dans la seconde partie de ce chapitre sur
l’analyse des facteurs d’incidence de la politique fiscale chez les postkeynésiens.

2. Analyse des facteurs d’incidences fiscaux

La théorie postkeynésienne s’appuie sur un ensemble de concepts et de mécanismes


économiques qui diffèrent de la théorie néoclassique. Dans le cadre de la description des
effets macroéconomiques de la politique fiscale, elle tend à démontrer l’importance des
dépenses publiques sur la croissance (2.1). La répartition des revenus est également au cœur
de la dynamique macroéconomique chez les postkeynésiens (2.2). Les modèles kaleckiens
permettent de décrire les conséquences macroéconomiques d’une modification du
comportement de certains agents économiques tels que les capitalistes et les rentiers (2.3).
Enfin, tous les auteurs postkeynésiens soutiennent que l’investissement est un élément clé de
la croissance économique. La fiscalité joue un rôle à part entière sur cette variable via le
montant des profits, le taux d’utilisation et l’innovation (2.4).

2.1. Fiscalité et dépenses publiques

La théorie des finances publiques postkeynésienne met en avant le rôle de la politique


budgétaire comme un élément de stabilisation conjoncturelle au côté de la politique monétaire
(Arestis et Sawyer, 2003). Dans ce cadre, la fiscalité est considérée comme un préalable au
financement des dépenses publiques qui viendront stimuler la production et la consommation.
En ce sens les postkeynésiens s’appuient sur l’idée émise par Haveelmo (1945). Pour cet
économiste, en situation de sous-emploi, une augmentation d'impôt se traduit par une hausse
équivalente de la production. Ce résultat vient de ce que l'impôt permet de substituer la
dépense publique, de façon immédiate, à la dépense privée dont une partie peut être retardée
par des phénomènes de thésaurisation.
320
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

L'Etat crée ainsi une demande supplémentaire qui réduit le chômage sans l'endetter. Le
« théorème de Haavelmo » précise donc que, même en maintenant un budget équilibré, une
augmentation des impôts peut se traduire par un accroissement de la richesse nationale.

Dans les modèles macroéconomiques postkeynésiens, la dépense publique vient s’ajouter à la


production totale et les impôts nécessaires à son financement sont déduits des revenus de
l’économie. L’impact d’une augmentation des dépenses publiques, et donc indirectement des
impôts, a un effet positif sur le niveau de production et de l’emploi par le biais du
multiplicateur de dépenses publiques.

L’article d’Asimakopulos et Burbidge (1974) ont construit un modèle analytique en suivant


l’analyse de Kalecki sur l’incidence fiscale à court terme. Leur modèle vise à décrire l’impact
de la fiscalité en se concentrant sur les modifications de la structure fiscale et la manière dont
elle influence l’amplitude des effets des dépenses publiques sur la croissance. Comme l’avait
fait avant Chiang (1973), les auteurs considèrent l’existence de trois classes sociales : les
travailleurs, les rentiers et les firmes ou autrement dit, les capitalistes. Les revenus réels pour
les travailleurs et les rentiers sont mesurés en termes de conservation de leur revenu
disponible après impôts sur les biens de consommation et celui des entreprises en termes de
conservation de leurs bénéfices après impôts sur les biens d'investissement. Comme chez
Kalecki (1968, 1971), l’investissement est déterminé en fonction des décisions prises par les
entreprises dans des périodes antérieures et peut varier d'une période à l’autre. L'épargne
dépend des entreprises, qui distribuent une partie de leurs profits, et des rentiers qui épargnent
une partie de leurs revenus qui n’est pas déjà de l’épargne.

Leur modèle montre que le financement de l'augmentation des dépenses publiques par une
taxe sur les profits ou sur les salaires n’a pas les mêmes effets macroéconomiques. En premier
lieu, une taxe plus élevée sur les revenus salariaux n’augmente pas les prix, puisque cela ne
suppose aucun changement dans la valeur de la demande globale, alors qu’une augmentation
des taxes sur la consommation a un impact direct sur les prix126. Cela démontre que même si
les travailleurs ont tendance à être plus appauvris quand l’impôt porte sur les salaires, les
effets bénéfiques de la dépense publique peuvent contrecarrer ces effets négatifs.

126
Dans le cadre d’un impôt sur la consommation de type TVA, cette dernière s’applique sur .
321
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

En second lieu, une augmentation de l’impôt sur les profits réduit la profitabilité des
entreprises mais laisse inchangés les profits globaux par ce même mécanisme.

Pour ces auteurs, il est préférable de financer cette dépense supplémentaire par une
augmentation de l’impôt sur les profits et sur le revenu des rentiers. Ce résultat s’explique par
la différence dans les propensions à épargner entre les salariés et les rentiers. En effet, face à
la hausse de leurs impôts, les rentiers voient leur situation s’aggraver si leur propension à
consommer reste inchangée. Cependant, le financement des dépenses publiques enclenche un
mécanisme multiplicateur qui laisse le niveau de consommation des rentiers inchangés. Le
maintien du montant de leur consommation a des effets expansionnistes sur l'emploi, la
production et les bénéfices. En effet, la baisse de l’épargne personnelle des rentiers peut être
compensée par des bénéfices plus élevés des entreprises. La valeur de leurs avoirs en actions
sera plus élevée en raison de l'augmentation de l'épargne des entreprises. Par conséquent, la
hausse des impôts des rentiers a des effets bénéfiques sur l’économie car leur richesse après-
impôts ne sera pas réduite.

Asimakopulos et Burbidge (1974) tente d’évaluer ensuite les effets de l’utilisation de la


politique budgétaire pour maintenir le plein-emploi. Asimakopulos et Burbidge confrontent
deux cas distincts :

- un cas dit « compétitif » où chaque entreprise produit à un niveau de capacité


« normal », l’emploi total est fixé par le nombre d’entreprises présentes et le prix du
bien vendu égalise le coût marginal.
- un cas dit « non-compétitif » où la répartition de l'emploi total dans les entreprises est
également supposée être donnée mais est inférieur à la pleine utilisation des capacités
de production. Ce dernier cas se rapproche davantage d’un cadre Kaleckien et permet
d’obtenir des résultats différents de ceux obtenus dans un cadre néoclassique.
L’utilisation de la politique budgétaire permet de rapprocher les résultats dans le cas
« non-compétitif » de ceux des néo-classiques en absence de la politique budgétaire.

La version « compétitive » décrit une économie où le plein-emploi puisse être


automatiquement atteint par la flexibilité des salaires et des prix.
322
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

La plupart des modèles néo-classiques concluent que la charge fiscale d’une augmentation de
l’impôt sur les profits visant à financer une augmentation des dépenses publiques baisse le
niveau global des profits. Or, dans le modèle d’Asimakopulos et Burbidge, lorsque la charge
fiscale pèse sur les profits, les répercussions sont positives. Cette différence de résultats
provient surtout de la manière dont est déterminée la distribution des revenus. L’économie est
au plein-emploi et les profits avant-impôts ainsi que le niveau de la production, le taux
d’emploi restent inchangés. L’impôt sur les profits se répercute entièrement sur les profits
après-impôts sans compensation sur les autres variables malgré les effets de la politique
budgétaire.

Cette situation est rendue possible lorsque la politique budgétaire est utilisée dans l’objectif de
conserver un certain niveau de production. Dans la version « compétitive », les
augmentations de certains taux d'impositions permettent de maintenir un niveau constant de
l'emploi quand certains taux d'imposition sont abaissés. Un niveau constant d’emploi peut être
également maintenu si les dépenses publiques sont augmentées, même si certains groupes
peuvent être perdants face aux variations de la structure fiscale. Il subsiste donc un conflit
redistributif dont la fiscalité devient un facteur d’explication déterminant.

Les dépenses publiques compensent les effets négatifs des modifications de la structure
fiscale et réduise le conflit portant sur la distribution de la charge fiscale. Les stimuli issus de
la dépense publique, après les modifications de la structure fiscale de l’Etat préviennent les
effets négatifs de la hausse des prix. En effet, les dépenses publiques permettent à l’économie
de se prémunir des futures augmentations de salaires que les travailleurs pourraient réclamer,
car cela conduirait à des prix encore plus élevés etc… Cependant, cette situation suppose un
pouvoir de négociation constant de la part des travailleurs ce qui est une hypothèse en
contradiction avec l’analyse de Kalecki, pour qui cette répartition est endogène à la situation
de l’emploi. De plus, si les rentiers voient leurs impôts augmentés, alors l’Etat est contraint
d’accroitre son déficit pour faire face au déficit d’épargne qui en découle.

Dans le modèle de Mott et Slattery (1994), le multiplicateur de dépenses publiques influence


fortement les résultats du modèle. Les auteurs comparent plusieurs situations en statique
d’une augmentation d’un des impôts (sur les biens, les profits et les salaires) dans le cadre
d’un budget équilibré (Tableau 5.2).
323
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

La mesure des salaires et des profits est effectuée après impôts, tandis que la mesure de la
production inclut l’impôt. Les auteurs notent que ce qui est gagné ou perdu dans la production
après une modification de la structure fiscale n’est pas égal à ce qui est gagné ou perdu dans
les salaires ou les profits après-impôts. Cela signifie que les effets bénéfiques d’une
augmentation de la production ne sont pas redistribués de façon équitable entre les agents. Les
effets qualitatifs des différentes modifications de la politique fiscale dépendent de
l'importance relative des propensions à épargner les salaires, les profits et la propension à
investir les profits.

Tableau 5.2 : Effets du financement d’une dépense publique supplémentaire par une
augmentation de l‘impôt sur les profits , sur les biens ou sur les salaires dans un
budget en équilibre, sans répercussion de l’impôt sur les prix.

Si propension à épargner Si propension à épargner


Augmentation de et les profits>propension à les profits< propension à
investir les profits investir les profits
Si Sw >0 ↑ output, ↑ salaires, ↓profits ↓output, ↓salaires, ↓profits
Si Sw=0 ↑ output, ↑ salaires, (=) ↓output, ↓salaires, (=) profits
profits
Si propension à épargner Si propension à épargner
Augmentation de les profits> propension à les profits< propension à
investir les profits investir les profits
Si Sw>0 ↑output, ↓salaires, ↑profits ↑output, ↑ salaires, ↑ profits
Si Sw=0 (=) output, ↓ salaires,(=) (=) output, ↑ salaires, (=)
profits profits
Source : Mott et Slattery (1994)

Le financement d’une dépense publique supplémentaire par une augmentation de l’impôt sur
les profits réduit dans un premier temps les profits après-impôts. Si les entreprises
n’augmentent pas leurs marges, cet impact est d’autant plus important. Par contre, la
réduction de la part des profits (sans baisse de l’investissement) accroit celle des salaires. Le
financement d’une dépense publique supplémentaire par une augmentation de l’impôt sur les
salaires réduit dans un premier temps le montant de la masse salariale de l’économie, mais la
réduction des impôts sur les profits ou sur la consommation, en contrepartie de cette hausse,
engendre un effet positif sur le montant de la production et les profits.
324
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Cet effet est accentué lorsque les profits sont investis car cela incite les entreprises à
embaucher davantage de travailleurs.

Dans les modèles de Laramie et Mair (1996, 2003), l’effet de la fiscalité sur le niveau des
profits est en grande partie influencé par le multiplicateur de budget. Ils reprennent la
formulation de Kalecki (1968,1971) dans laquelle les profits agrégés peuvent être représentés
comme la somme des investissements bruts privés, du déficit public, de l’excédent
commercial et de la différence entre la consommation des capitalistes et l’épargne des
travailleurs. En présence d’un équilibre de la balance commerciale, la fonction de profits
agrégés s’écrit donc :

(1)

Il n’y a pas d’excédent ni de déficit budgétaire, donc mais l’effet multiplicateur joue
toujours.

L’impact des dépenses publiques est également intégré dans la fonction de profits agrégée,
soit :

(2)

On remarque donc que l’augmentation de accroit les profits après-impôt ainsi que le revenu
national. Cependant, l’augmentation du revenu national peut être ralentie par une diminution
de la consommation des capitalistes ou une augmentation de l’épargne des travailleurs.

L’ampleur de ce ralentissement dépend de la propension à consommer les salaires ou les


profits. L’augmentation des impôts sur les salaires ne modifie pas la consommation des
capitalistes ou l’épargne des travailleurs si les dépenses publiques augmentent. Toutefois, si
cette hausse entraine une diminution de l’épargne des travailleurs, alors les profits avant et
après-impôts augmentent car on a soutenu les ménages ayant une propension à consommer
forte. Dans cette situation, le taux d’utilisation, qui subordonne une partie de l’investissement
dans les modèles kaleckiens, augmente grâce aux dépenses publiques ce qui a un effet positif
sur l’investissement.
325
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Les effets de la fiscalité sur le taux d’utilisation sont modifiés dans le cas où les charges
fiscales sont compensées sur le mark-up127. Si une hausse de l’impôt sur les profits, augmente
le mark-up des entreprises, alors la part des salaires baisse ce qui réduira l’effet des dépenses
publiques. Par contre, si la baisse de l’impôt sur les salaires est répercutée sur le mark-up, la
part des salaires augmente ainsi que l’effet positif des dépenses publiques.

Dans le modèle de Bozani (2012), l’auteur explique que l’existence de déficit budgétaire
marque l'absence de tout mécanisme automatique qui assure un niveau suffisant de la
demande globale pour soutenir un niveau élevé de l'activité économique. Il souhaite décrire
les effets d’un impôt sur le revenu progressif sur les agents économiques et notamment sur les
rentiers dans le cadre d’une économie financée de manière externe. Les conclusions finales
sur le régime de croissance et l'extension de l'activité économique sont essentiellement
déterminées par l'influence des dépenses publiques sur la demande globale. Les dépenses
publiques jouent donc le rôle de stabilisateur économique en permettant une répartition plus
équitable des revenus, comme chez Mott et Slattery (1994), où la diminution du poids des
rentiers dans l’économie a des effets positifs évidents sur l’activité.

Le rôle des dépenses publiques chez Bozani (2012) est de combler l'écart entre les fonctions
d’épargne et d’investissement qui est créé dans le processus économique en raison des
pressions des capitalistes sur leurs plans d'investissement. Ainsi, les dépenses publiques en
faveur des plans de formation, visant à accroitre l'emploi, permettent de lutter contre la
montée du chômage dans le cas des modifications de la structure de la fiscalité défavorables
aux salaires. L’impôt sur le revenu a donc comme objectif d’influencer l'égalité ou l'inégalité
entre les niveaux de dépenses publiques et les recettes fiscales. Par conséquent, le niveau de
l’équilibre ou du déséquilibre budgétaire, dépend du degré d’intervention de l’Etat et
détermine en retour le niveau de l'emploi.

2.2. Fiscalité et répartition des revenus

La partie précédente a permis de montrer en quoi l’intervention de l’Etat est nécessaire pour
favoriser la croissance des taux d’utilisations et de la demande de l’économie.

127
La répercussion des modifications de la structure fiscale sur le mark-up sera étudiée plus en détail dans la
partie 2.3.1. de ce chapitre.
326
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Ce résultat est partagé par l’ensemble des postkeynésiens. Pour ces auteurs, si la politique
budgétaire est couplée à une politique monétaire accommodante, alors sa réussite ne fait
aucun doute. La politique budgétaire devient nécessaire pour assurer la stabilité du système
financier et pour répondre aux différentes crises économiques et financières. La théorie
kaleckienne de l’incidence fiscale mêle à la fois une analyse en terme microéconomique via
les effets de la politique budgétaire sur la répartition des revenus et en terme
macroéconomique par les effets de la répartition sur la croissance (Laramie et Mair, 1996).
L’étude des effets macroéconomiques de la fiscalité sur la répartition des revenus devient
donc une question centrale.

Dans le modèle d’Asimakopulos et Burbidge (1974), les effets d’un transfert de la charge
fiscale entre les différents impôts pour maintenir l’équilibre budgétaire sur le revenu des
travailleurs, les rentiers et les entreprises sont étudiés. Ces modifications dans la structure
fiscale agissent donc sur la consommation des travailleurs, sur celle des rentiers et sur le
niveau des bénéfices des entreprises. Les effets de la fiscalité s’appliquent sur le revenu des
individus sans prendre en considération les incitations individuelles. L’impact
macroéconomique des impôts est étudié lorsque l’Etat décide de baisser (d’augmenter) un
impôt en le compensant par une hausse (une baisse) d’un autre impôt. Les comparaisons
effectuées ne touchent à la fois que deux impôts, le reste des prélèvements reste constant.

Lorsque la charge fiscale sur le revenu des travailleurs et des rentiers est abaissée au profit
d’une hausse de l’impôt sur les bénéfices, alors les bénéfices après-impôts sont réduits.
L’effet est beaucoup plus important dès lors que l’épargne des rentiers est déjà à un niveau
élevé. Toutefois, la consommation des rentiers sera plus élevée, mais la consommation des
travailleurs peut être diminuée en raison de la baisse du taux de salaire réel consécutive à une
répercussion du fardeau fiscal des capitalistes sur le coût du travail.

Si l’Etat augmente la pression fiscale sur le revenu des rentiers, alors ces derniers devront
réclamer des profits supérieurs aux capitalistes pour conserver leur niveau de
consommation128. Il en découle une augmentation des dividendes distribués qui accroit la part
des profits dans la valeur ajoutée, car la part des salaires baisse même si les impôts sur les
salaires sont réduits.

128
Si la propension à épargner des rentiers est constante.
327
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

En effet, les entreprises auront pu augmenter leurs marges pour conserver leurs niveaux de
profits inchangés.

Toujours chez Asimakopulos et Burbidge (1974), l’effet de la fiscalité sur la répartition


dépend également du taux de rétention des profits. Dans l’exemple précèdent, les effets
négatifs de l’augmentation de l’impôt sur les bénéfices peuvent être contrecarrés par une
baisse du taux de rétention des profits des entreprises. Les entreprises cherchent à augmenter
leur propension à épargner les profits, ce qui permet aux capitalistes de réclamer moins de
profits après-impôts. Par conséquent, une baisse de l’impôt sur le revenu des travailleurs qui
est compensée par un taux de rétention des profits plus élevé laisse inchangée la
consommation des capitalistes et celle des travailleurs, sans véritable effet sur la croissance.

Dans la version « compétitive », les résultats obtenus se rapprochent de ceux obtenus dans le
cadre néo-classique. Ainsi, une hausse de la pression fiscale sur les entreprises et les rentiers
baisse le taux de profit et la croissance de l’économie. Cette version exclue toutes possibilités
que les dépenses publiques et la fiscalité influencent la répartition des revenus avant impôts et
l'emploi total. Cependant, dans le cadre postkeynésien, dit « non-compétitif » les résultats sont
différents car certains groupes peuvent modifier leur comportement face aux variations de
leurs charges fiscales. Les groupes sociaux gagnants et perdants ne sont pas les mêmes, ce qui
confirme l’idée que la fiscalité interfère dans la répartition des revenus.

Chez Laramie et Mair (1996, 2003), la répartition des revenus influence le taux de profits des
entreprises. La manière dont l’impôt est répercuté sur la marge des entreprises agit
directement la répartition des revenus. L’amplitude de cet effet dépendra principalement du
degré de monopole. Les résultats obtenus sont dans la même veine que ceux obtenus chez
Asimakopulos et Burbidge (1974), au sens où la modification de la structure fiscale favorable
aux salaires tend à augmenter la croissance tant que les entreprises ne répercutent pas de
manière significative la hausse de l’impôt sur les profits sur le mark-up. Les prix ont donc une
influence conséquente mais nous reviendrons un peu plus tard sur ce point la partie 2.3.1 de
ce chapitre.

Dans l’article de Mott et Slattery (1994), l’ajout d’un effet des profits sur l’investissement
permet d’analyser de manière plus complète les interactions entre la redistribution et les effets
macroéconomiques de la fiscalité.
328
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Puisque la consommation sur les profits est beaucoup moins forte que la consommation sur
les salaires, la répartition du revenu en faveur des salaires augmente la production et l’emploi.
Cependant, si les profits sont nécessaires au financement des dépenses d’investissement, alors
cet effet pourra être inversé. En effet, les profits garantissent les liquidités nécessaires à
l’investissement. Il est à noter qu’un accès accru aux marchés financiers augmente l’effet de
la part des profits sur l’investissement.

La part des revenus des capitalistes (3), des salaires des salariés (4) et des capitalistes (5)
après impôts s’écrit de la façon suivante :

( [ ][ [ ]] [ ] (3)

[ ] 29 (4)

[ ] (5)

Ces équations mettent en avant le rôle évident, mais souvent ignoré de la fiscalité dans la
théorie de Kalecki de la répartition des revenus. La stabilité de la part des salaires dépend en
grande partie de la relative stabilité de . L’analyse de Mott et Slatery étend le conflit
redistributif du revenu au-delà des considérations politiques et économiques comme le fait
Kalecki (1968,1971). Cette analyse en terme de lutte de classe est étendue à la partie recettes
du budget de l'Etat. L’analyse de Mott et Slattery montre que si la propension à épargner les
salaires est faible, alors il est possible d’augmenter l’imposition des profits 130 sans nuire à ces
derniers car les salaires et la production seront augmentés. Par contre, l’effet bénéfique d’une
hausse de l’impôt sur les profits peut être réduit voir nul lorsque la part des profits dans la
valeur ajoutée est trop élevée. Sur le plan de la redistribution des revenus et de la politique
fiscale, il est préférable de taxer les profits distribués plutôt que directement les profits des
entreprises pour augmenter le revenu national. En effet, une taxe sur les profits distribués ne
réduit pas la part des salaires dans la valeur ajoutée car elle n’est pas directement répercutée
sur le mark-up des entreprises.

129
est le taux d’imposition représente le taux effectif d’imposition sur les salaires. Par conséquent,
130
Compensé par une baisse de l’impôt sur les salaires
329
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Kaldor ne se pose pas la question de la répartition dans les mêmes termes que les Kaleckiens.
Pour lui, la fiscalité n’impacte pas directement la répartition fonctionnelle des revenus mais
plutôt le comportement des capitalistes en créant les incitations fiscales en faveur de
l’investissement.

Chez Kaldor (1955), l’impact de la fiscalité sur la répartition s’effectue de façon indirecte par
l’orientation des dépenses des différentes classes sociales. Le premier objectif de l’impôt est
de réduire les dépenses privées pour assurer que le total des dépenses publiques et privées se
situe à un niveau proche du plein emploi des capacités de production. Le niveau de taxation
peut ainsi faire évoluer le niveau des dépenses publiques en fonction des tendances de
l’investissement et de la propension à épargner de l’économie. La structure fiscale a donc une
importance significative sur l’économie en limitant ou en augmentant certaines dépenses
privées. Par exemple, les impôts sur les biens de consommation de masse ont une influence
sur le niveau des dépenses privées et publiques. La plus grande partie de ce type d’impôt est
supportée par les classes populaires qui ne peuvent pas conserver le même niveau de dépenses
en allant piocher dans leur épargne. Ces impôts poussent cette classe de revenu à réduire leurs
dépenses nettes de consommation. Cet argument justifie, pour Kaldor, la création d’un impôt
progressif sur la dépense. Cet impôt touche davantage les classes les plus aisées tandis qu’une
certaine partie de l’impôt est acquittée sur une partie de l’épargne. La consommation globale
des riches et le niveau d’épargne aura tendance à baisser dans ce cas. Un impôt sur la dépense
progressif tend à ne pas pénaliser les classes populaires et à restreindre la consommation des
classes aisées. Ces derniers seront donc incités à piocher dans leur épargne pour conserver
leur pouvoir d’achat. Cependant, pour ne pas pénaliser l’investissement, la politique fiscale
peut exclure de l’assiette de prélèvement les dépenses des capitalistes destinées à
l’investissement.

Bozani a construit un modèle macroéconomique afin de décrire les effets de la présence d’un
impôt sur le revenu progressif sur la stabilité d’une économie financiarisée. L’auteur se fonde
en partie sur le modèle de Blecker (2002) qui s’interroge sur la manière dont le degré de
progressivité ou de régressivité du système fiscal entraine une modification des dépenses des
différentes classes de revenus. En effet, la fiscalité modifie l’arbitrage entre dépense et
épargne des différentes classes sociales.
330
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Un système fiscal progressif est donc traité comme un stabilisateur automatique dans le sens
où il redistribue les revenus au détriment des catégories les plus riches (Sawyer, 2011). Dans
son modèle les entrepreneurs sont dépendants des décisions des rentiers pour pouvoir
accroitre leur capacité de financer de nouveaux investissements. Le poids des rentiers et de la
finance externe peut donc être réduit par une charge fiscale plus importante sur ces derniers
tandis que les entreprises pourraient voir en retour leur charge fiscale baisser de sorte à
garantir un ratio dette sur fonds propres faible pour permettre l’autofinancement.

2.3. Fiscalité et comportements individuels

L’approche kaleckienne de l’incidence fiscale permet de décrire les effets macroéconomiques


de la fiscalité en prenant en compte l’impact des impôts sur les comportements
microéconomiques. La théorie de Kalecki (1962/1990) des profits est macroéconomique
tandis que sa théorie de la distribution est microéconomique (qui dépend du degré de
monopole). Les analyses microéconomiques et macroéconomiques ont des implications
différentes en ce qui concerne la répercussion des impôts. Par exemple, une augmentation des
taxes sur les profits n’affecte pas les profits à court-terme si l’Etat maintient son budget
équilibré et que les travailleurs n’épargnent pas. Cependant, l’existence de l’impôt peut
réduire le mark-up de l’industrie et donc modifier la part des salaires et le revenu national.
L’impact des comportements sur les prix a donc des répercussions importantes sur les effets
de la fiscalité (2.3.1). La théorie postkeynésienne souligne le rôle des rentiers dans
l’économie. La fiscalité permet d’influencer le comportement et les décisions de cette classe
sociale (2.3.2).

2.3.1. Fiscalité et impact sur les stratégies de prix des entreprises

Les effets d’une modification de la structure fiscale dépendent en grande partie de la manière
dont les capitalistes répercutent une baisse ou une augmentation des impôts sur les prix.
L’impact macroéconomique de la fiscalité est fortement influencé par les comportements des
entrepreneurs à l’échelle microéconomique.
331
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Laramie (1991) a émis quelques observations à ce sujet dans l’annexe de son article. Pour ce
dernier, l’impôt sur les sociétés peut se répercuter de deux façons différentes :

- il correspond à un coût supplémentaire auquel cas, une augmentation de cet impôt


entraine une diminution équivalente des profits et réduit la part après-impôts des
entreprises dans la valeur ajoutée.
- il s’ajoute au coût de revient, auquel cas l’augmentation de l’impôt sur les sociétés
amène une hausse des coûts de production au travers du mark-up, ce qui augmente les
profits globaux.
Avant cela, les effets de la répercussion des impôts sur les prix avaient été traités par
Asimakopulos et Burbidge (1974). Dans leur modèle, l’objectif des entreprises est de
maximiser le profit en égalisant le prix de vente du bien avec son coût marginal. Les prix sont
fixés en fonction des coûts des facteurs de production (représentée par la moyenne des prix de
revient131), plus une marge sur ses coûts selon la formule suivante :

(6)

étant le taux de mark-up sur le prix de revient de base, le taux de salaire monétaire et
l’output moyen par tête.

Le prix de vente du bien est obtenu à partir de son prix aux coûts des facteurs en s’ajustant
par rapport à l'impôt sur la consommation, soit :

(7)

Dans la théorie postkeynésienne, la concurrence oligopolistique sur les marchés entraine une
répercussion des impôts sur la consommation et les bénéfices sur le prix de vente, ce qui peut
nuire à la part des salaires et à la consommation globale. Chez Asimakopulos et Burbidge
(1974), l’impôt sur la consommation s’intègre directement dans l’équation du revenu
national qui s’exprime comme la somme des revenus des facteurs, les impôts indirects et les
amortissements, soit :

̅̅̅̅̅̅̅̅̅
̅ (3)

131
Sur l’ensemble de l’industrie.
332
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Les auteurs testent différents types de réformes fiscales lorsque le taux d’un impôt est abaissé
et un autre augmenté de sorte à conserver l’équilibre budgétaire. Dans le cas où l’emploi n’est
pas fixe et que le budget est à l’équilibre, alors une modification de l’impôt sur les profits se
répercute sur le mark-up. Par exemple, si la hausse de l’impôt sur les profits est compensée
par une baisse de l’impôt sur les rentiers, alors les entreprises augmentent leurs marges pour
conserver le même niveau de profits. La hausse des prix a des répercussions négatives sur
l’économie si le niveau d’investissement reste inchangé puisque la baisse de la consommation
des salariés entraine une baisse de la demande globale. Par conséquent, les effets bénéfiques
d’une hausse de l’impôt sur les profits ne sont effectifs que dans le cas où le mark-up n’est
pas modifié.

L’article de Mott et Slattery (1994) examinent de façon encore plus précise la question des
effets de la répercussion des impôts sur les prix. Pour cela, les auteurs testent quatre types
d’équations de prix :

- cas 1 : L’impôt augmente le prix de vente du bien, soit


- cas 2 : L’impôt augmente le prix de production, soit
- cas 3 : L’impôt augmente le mark-up, soit
- cas 4 : L’impôt n’influence pas les décisions de prix.
Avec le taux de mark-up des entreprises, le taux de salaire monétaire, le niveau
d’emploi et le taux d’impôt.

Les effets en termes quantitatifs et qualitatifs sont différents suivant l’équation de prix
sélectionnés.

Le cas 3 correspond à la situation la plus généralement décrite dans les modèles kaleckiens
portant sur l’incidence fiscale. Dans ces conditions, l’impact d’une hausse du mark-up est
indéterminé sur les profits. Dans un premier temps, on observe une augmentation des profits
réels et de la production. Cependant, la hausse de la part des profits entraine une baisse de la
part des salaires dans un second temps. Il en découle une réduction de la production et des
profits globaux. Dans le modèle de Mott et Slattery (1994), l’impact du mark-up dépend des
propensions à épargner sur les salaires et les profits dès lors que l’effet de la structure fiscale
n’est pas pris en compte.
333
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Lorsque la propension à épargner les profits est inférieure à la propension à investir les
profits, alors l’augmentation du mark-up augmente la production et les profits par le jeu du
multiplicateur d’investissement. La hausse de l’investissement qui en découle a un effet
bénéfique sur le niveau de la production. Dans le cas inverse, où la propension à épargner est
supérieure à la propension à investir les profits, la hausse du mark-up réduit le montant de la
production réelle et les salaires si la propension à épargner les salaires est faible. On retrouve
ici le régime « stagnationniste » de Bhaduri et Marglin (1990), dans lequel la redistribution du
revenu des salaires vers les profits réduit la production et l’emploi. On peut conclure que chez
Mott et Slattery (1994) l’augmentation du mark-up entraine des effets se rapprochant d’un
régime de type « stagnationniste » concernant la redistribution. Si la propension à épargner
les salaires est égale à la propension à épargner les profits avec une propension à investir les
profits nulle, alors le mark-up représente simplement la part du capital qui est épargné. La
propension à investir les profits décrit alors l’incitation des capitalistes à dépenser une
certaine proportion de leurs profits en investissement.

Les cas 1 et 2 décrivent les effets de la fiscalité lorsque l’impôt est répercuté sur le prix des
biens. On se retrouve avec les mêmes résultats sur le plan qualitatif que face à une
modification du mark-up. Les conséquences macroéconomiques restent toujours
indéterminées sur le niveau de production réel. Par contre, ce comportement des entreprises
sur les prix augmente la part des profits dans la valeur ajoutée et réduit celle des salaires.
L’examen des résultats confirme qu’en fonction de l’équation de prix sélectionnée, les effets
diffèrent du cas 3 sur le plan quantitatif. Dans tous les cas considérés, les profits restent
inchangés lorsque la propension à épargner les salaires est nulle, ce qui correspond au cas
typique Kaleckien. Dans cette situation, l’impact d’une hausse du mark-up n’a pas d’effet sur
les profits réels, mais le résultat final sur la production reste ambivalent, car l’effet positif sur
la part des profits via l’accélérateur d’investissement se retrouve confronté à l’effet négatif de
la baisse de la part des salaires. Les simulations de Mott et Slattery (1994) montrent que
l’augmentation du mark-up n’a pas de conséquences positives sur les profits agrégés quand
les salariés consomment l’intégralité de leur revenu.

Pour résumer, les auteurs montrent que l’impact est plus important lorsque les entreprises
répercutent la hausse des impôts sur les prix de production ou de vente, alors que cet impact
est moins important lorsque l’impôt augmente seulement le mark-up.
334
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Mott et Slattery donnent une explication générale à ce résultat. En effet, l’importance du


comportement des entreprises sur les prix s’explique par le degré de concurrence dans
l’économie. En concurrence oligopolistique, il peut subsister une situation avec un degré de
conformité des prix élevé de l’économie. Les prix ont tendance à se modifier uniquement dans
le cas où il existe des mutations plus larges dans le secteur industriel, ce qui explique qu’ils
augmentent davantage dans le cas d’une augmentation des impôts sur les marchandises. Le
leader du marché oligopolistique a toujours besoin d’un temps d’ajustement plus important
pour répercuter la charge fiscale de l’impôt sur les profits plutôt que sur les marchandises, car
cela oblige les entreprises à revoir l’ensemble du processus de production. Les taxes sur les
marchandises ont donc un impact régressif plus important sur la distribution des revenus que
les autres impôts car l’ajustement se font immédiatement pour l’entreprise.

Dans la théorie postkeynésienne, l'élasticité de la demande dépend de la structure de


l’industrie et non pas des préférences des consommateurs. Par conséquent, si la demande est
inélastique, alors les entreprises auraient tout intérêt à augmenter les prix. Dans le cas d’une
courbe de demande élastique aux prix, l’augmentation des prix n’est pas désirable et risque de
nuire aux entreprises.

Le comportement des entreprises sur les prix a donc une importance essentielle sur les
résultats et les prescriptions de politique fiscale. La décision de répercuter l’impôt sur le
mark-up modifie le niveau des profits et influence en retour le niveau d’investissement, en
accord avec le principe du « risque accru132 » de Kalecki.

Il reste cependant à prendre en compte le caractère dynamique de l’investissement. En effet,


on pourrait s’attendre à ce que le répercussion de l’impôt sur les marges et l’amélioration des
profits qui en résulte devrait affecter positivement les profits attendus à long terme et
encourager la mise en œuvre de nouveaux investissements. Cet effet accélérateur des profits
est pris en compte dans les modèles de Laramie et Mair (1996, 2003) qui traite de l’impact
macroéconomique de la fiscalité à long terme. Une nouvelle fois, la manière dont les
entreprises répercutent les modifications de l’impôt sur les prix est un élément essentiel.

132
Voir Kalecki (1937/1971, ch.9).
335
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Dans ces modèles, l’effet de la fiscalité sur le niveau des profits s’opère en partie via la
répartition des revenus. Cet effet sur la répartition des revenus correspond à la manière dont
l’impôt se répercute sur la marge des entreprises face aux modifications dans la structure de la
fiscalité. Le résultat final dépend de la force du degré de monopole. Des effets
macroéconomiques très différents peuvent se produire si l’impôt est répercuté ou non.

On peut donc en conclure que cette condition de répercussion sur les prix est récurrente dans
la plupart des analyses kaleckiennes de l’incidence fiscale. Une entreprise ayant un degré de
monopole important aura tendance à réduire les effets d’une modification de la structure
fiscale favorable aux salaires. La hausse du mark-up des entreprises peut également réduire
l’effet des dépenses publiques (Laramie et Mair, 2000) lorsqu’on prend en compte des effets
de la fiscalité sur le taux d’utilisation des capacités de production. En l’absence de
compensation sur la marge des entreprises, les effets bénéfiques de la hausse de certains
impôts possèdent des propriétés économiques favorables évidentes. Une hausse du taux de
l’impôt sur les bénéfices a un effet favorable sur le niveau d’investissement, il faut que cette
modification ne soit pas répercutée sur le mark-up et que les salariés n’épargnent pas. La
force de l’analyse kaleckienne réside donc dans le fait de pouvoir mêler la dimension
microéconomique du comportement des entrepreneurs sur les prix face aux modifications de
la structure fiscale, tout en prenant en compte les effets macroéconomiques de ces
modifications. Nous allons maintenant voir comment la fiscalité peut orienter les
comportements de certaines classes sociales qui peuvent être nuisible à la stabilité et à la
croissance de l’économie.

2.3.2. Fiscalité et pouvoir de contrainte sur les rentiers

Selon les auteurs néoclassiques, les inégalités de richesses et de revenus sont justifiées par le
fait que ces inégalités engendrent la création d’une épargne favorable à la croissance et à
l’accumulation du capital (Keynes, 1936). Puisque ce sont les classes riches qui épargnent, il
y aurait une réduction de l’épargne et de la croissance du capital en taxant davantage les hauts
revenus. Keynes croit au contraire que des taux d’épargne élevés (ou des propensions à
consommer faibles) mènent à une production, un revenu national, ou à un niveau d’emploi
plus faible.
336
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Selon ce dernier, la croissance de la richesse n’est pas permise par l’abstinence des classes
aisées. Au contraire, elle est remise en cause par celle-ci. Autrement dit, en réduisant le taux
d’épargne national, Keynes pense qu’on peut augmenter le revenu national et l’emploi et donc
réduire le taux de chômage. Dans un monde keynésien où l’investissement détermine
l’épargne, et non l’inverse, l’affirmation que des taux d’imposition élevés réduiraient les taux
d’épargne et donc la croissance n’a aucun sens. Dans ces conditions, il n’est pas injustifié
d’encourager l’« euthanasie du rentier » dont la politique fiscale peut servir d’instrument.
Les modèles postkeynésiens ont régulièrement mis en avant l’importance des rentiers dans
l’explication de la dynamique macroéconomique. La définition du terme « rentier » est
rarement développée. On le définit la plupart du temps comme une classe sociale dont les
revenus sont issus de l’exploitation du patrimoine, mais sans rendre compte de la manière
dont s’est constitué ce patrimoine. Un rentier est donc par définition un individu qui vit sur le
revenu d'intérêt reçu en échange des prêts accordés. Aujourd'hui, le terme renvoie
génériquement au propriétaire de n'importe quelle obligation de dettes, public ou privé, payant
périodiquement, annuellement ou semestriellement, des montants fixes d'intérêt à long terme.

Dans le cadre des orientations de la politique fiscale, Asimakopulos et Burbidge (1974)


intègre une classe de rentiers dont les revenus sont mesurés en termes de maitrise du montant
de leur revenu disponible sur la consommation de biens. Ces auteurs ont démontré que
l’augmentation de la charge fiscale sur le revenu des rentiers est susceptible d’accroitre la
croissance économique. En effet, la baisse de l’épargne personnelle des rentiers peut être
compensée par des bénéfices plus élevés des entreprises, ce qui ne nuit pas à l’investissement.
Une redistribution des revenus qui augmente la pression fiscale sur les rentiers, accompagnée
d’une baisse de celle des travailleurs, entraine une augmentation de la consommation.
L’augmentation du revenu des travailleurs après-impôt accroit le multiplicateur fiscal car la
propension à consommer de ces derniers est supérieure à celle des rentiers.

Bozani (2012) intègre également dans son modèle macroéconomique une classe de rentiers.
Cette spécification permet à l’auteur d’explorer la manière dont le financement externe
influence la distribution des revenus et la croissance économique lorsque la politique fiscale et
budgétaire est activée.
337
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Le comportement de chaque classe sociale détermine l’activité économique et les dépenses


publiques sont financées par le biais d’un impôt sur le revenu progressif. L’introduction d’un
impôt sur le revenu progressif modifie l'ensemble du processus économique. Les rentiers
consomment uniquement le revenu issu des intérêts lors des prêts aux capitalistes. Dans la
plupart des modèles postkeynésiens, les rentiers et les capitalistes sont confondus dans une
seule classe sociale. En effet, il se peut qu’un individu qui vive de ses rentes soit aussi un
entrepreneur. Dans ce cas, la dichotomie rentier-capitaliste n’est pas toujours clairement
définie. Pour autant, l’influence économique des rentiers a déjà été étudiée chez les
postkeynésiens notamment dans le cadre d’une économie financiarisée (Bhaduri et Marglin,
1990 ; Stockhammer, 2004). Le rôle des rentiers est d’octroyer des prêts aux capitalistes afin
de permettre à ces derniers d’engager le processus de production en embauchant des
travailleurs. Les rentiers touchent donc uniquement des revenus issus des intérêts des prêts,
tandis que les capitalistes consomment et épargnent leurs profits. Les travailleurs, eux,
consomment leur salaire monétaire. La présence des rentiers dans le processus de production
signifie que l'investissement est financé en partie par les bénéfices non répartis des capitalistes
et partiellement par des fonds externes. L’investissement est donc une fonction des profits
réalisés dans la période précédente et dépend des variations des facteurs qui influencent le
taux de profit, à l’instar ce qui se fait chez Gomulka et al. (1990) repris ensuite par Laramie et
Mair (1996, 2000,2003). Les facteurs monétaires, reflétés par le taux d’intérêt et le ratio dette
sur fonds propres, impactent de manière négative le taux de profit des capitalistes et leurs
fonds propres.

Dans un souci de simplification et en accord avec la première version de la théorie fiscale de


Kalecki (1937), les capitalistes ne répercutent pas le coût de la fiscalité sur les prix car ces
derniers maximisent leurs bénéfices avant impôt. En conséquence, les décisions des
capitalistes après impôt s’établissent principalement sur la base de leurs préférences pour la
liquidité. Le revenu est distribué entre les capitalistes et les rentiers par le biais des
modifications du ratio dette sur fonds propres.

Le niveau des taux d’imposition pour les capitalistes et les rentiers dépend des conditions
économiques et des objectifs poursuivis par la politique budgétaire. Si l'objectif de l’Etat est
d’encourager l’initiative des capitalistes, le modèle préconise de réduire l’influence des
rentiers sur les décisions des entrepreneurs.
338
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Pour atteindre cet objectif, l'impôt sur le revenu des rentiers doit être plus élevé que les
capitalistes . L’impact macroéconomique de l'intervention de l’Etat sur les grandeurs
macroéconomiques est déterminé par la façon dont chaque classe sociale répond aux
modifications dans la structure de la fiscalité et la formation des dépenses publiques.

Le niveau des fonds internes des capitalistes doit être contrôlé afin que l’épargne égalise
l’investissement. La condition de stabilité à court terme nécessite que l'augmentation de
l'investissement après-impôt entraine une hausse du niveau d'utilisation des capacités de
production.

Le comportement des rentiers face à l’impôt et aux variations du niveau des intérêts
dépend de deux paramètres :

1- Le rapport entre les propensions à épargner leur revenu après-impôt des capitalistes et
des rentiers.

2- Le poids des fonds internes qui saisit l'effet lié à la redistribution induit par le
financement externe par rapport au niveau de la propension à épargner des capitalistes
après-impôts133.

Les capitalistes ont la caractéristique d’avoir une propension à épargner après impôt
supérieure à celle des rentiers. L'investissement est affecté de façon négligeable par l'effet de
la répartition du financement externe, et sa valeur est peu sensible à la propension à épargner
des capitalistes.

L’objectif du modèle de Bozani est avant tout de réduire la dépendance des capitalistes aux
décisions des rentiers dont les revenus sont issus des intérêts. Il distingue deux types de
régime de croissance liés au mode de financement qui prédomine dans l’économie. Un
« puzzling case134 comme a pu le définir Lavoie (1995).

133
Le poids des fonds internes saisit l'effet lié à la redistribution induit par le financement externe par rapport au
niveau de la propension à épargner des capitalistes après-impôts.
134
Le puzzling case requiert un niveau relativement élevé de fonds propres car les décisions d'investissement
sont considérées comme ayant une rentabilité négative. Cela signifie que les capitalistes prennent leurs décisions
d'investissement en tenant compte de cette rentabilité négative.
339
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Dans ce régime, les capitalistes ont la caractéristique d’avoir une propension à épargner
après-impôt supérieure à celle des rentiers. L'investissement est affecté de façon négligeable
par l'effet de la répartition du financement externe et sa valeur est relativement faible par
rapport au niveau d’épargne. Les taux d'intérêts ont un effet important sur le taux d'utilisation
des capacités de production et sur le niveau de croissance. Le deuxième régime de court terme
est celui du type « normal case ». Ici, les capitalistes ont une faible propension à épargner par
rapport à celle des rentiers. Le niveau de la dette et l'élasticité de l'investissement par rapport
aux fonds internes jouent un rôle important. Enfin, l’existence de taux d'intérêts réels élevés
affecte négativement le niveau d'utilisation des capacités et la croissance. Le degré de
financement externe de l’économie et sa fragilité financière dépendent du niveau d'utilisation
des capacités de production destinées à l'investissement et du niveau des fonds internes des
capitalistes qui sont déterminés après-impôt sur le revenu. L’impôt sur le revenu agit sur le
niveau des propensions à épargner et à consommer des salaires et des profits, mais les
résultats finaux dépendent aussi de la façon dont sont orientées les dépenses publiques.

Pour passer à une analyse dynamique, Bozani relâche l’hypothèse de constance du stock de
capital et du ratio dette sur fonds propres. Le ratio dette sur fonds propre devient endogène et
agit directement sur le taux d’utilisation des capacités de production, l’accumulation de
capital et le niveau de l’emploi. Le ratio dette sur fonds propres ̂ est égal à la différence

entre le taux de croissance de dette ̂ et le taux de croissance du stock de capital ̂ ).

Le montant additionnel d’investissement est financé à chaque période par l’épargne des
rentiers après-impôts. L’épargne des rentiers et les bénéfices non-distribués des capitalistes
proviennent des investissements antérieurs financés par des crédits à court terme. Ainsi, à
chaque période, les crédits supplémentaires sont une fonction décroissante du taux
d’imposition du revenu des rentiers en fonction de la propension à épargner des rentiers,
soit :

(9)

Le taux de croissance du ratio dette sur fonds propres du crédit supplémentaire accordé à long
terme s’écrit :

̂ (10)
340
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Lorsqu’on se situe dans le puzzling case à court terme, la stabilité de l’économie à long terme
dépend du niveau de la propension à épargner des capitalistes et de celle des rentiers. Ainsi, si
la propension à épargner après-impôts des capitalistes est supérieure à celle des rentiers135,
alors les décisions d'investissement sont très sensibles aux modifications dans les capacités
d'utilisations mais inélastique avec l'évolution de la dette des capitalistes.

L’économie est instable si, à partir d’une situation de type normal case de court terme, la
propension à épargner après impôts des rentiers est supérieure à celle des capitalistes136 et les
décisions d’investissement sont inélastiques avec les capacités d’utilisations et relativement
élastique avec le niveau de dette. L’économie se caractérise par une instabilité à long terme,
ce qui traduit la fragilité d’une économie financée par les rentiers.

Kaldor se focalise essentiellement sur l’existence de deux catégories de revenus. Les


capitalistes qui tirent leurs ressources des profits et les travailleurs dont les revenus
proviennent des salaires. Il ne traite pas de manière spécifique de la classe des rentiers. Il
assimile plutôt ces derniers aux capitalistes en supposant que le capital doit être dirigé vers
l’activité productive. Kaldor s’intéresse aux revenus « fonctionnels », c’est à dore à la
répartition entre salaire et profit, et non à la répartition personnelle, c’est-à-dire à l’opposition
entre les revenus des salariés, qui inclut bien sûr les revenus de leur épargne et les revenus des
capitalistes. Il ne raisonne pas, comme le faisait les classiques et Marx, sur une polarisation
des classes sociales et sur une économie où les travailleurs sont définis négativement comme
des individus qui ne possèdent pas de capital. Pour Kaldor, il est essentiel que les profits
reviennent d’abord aux entreprises et qu’une large fraction de leurs bénéfices non-distribuée
soit mise en réserve.

Il s’appuie sur la loi psychologique de Keynes qui suppose que le niveau d’épargne tend à
varier avec le degré d’inégalité. Kaldor explique que la baisse importante de l’épargne de la
classe des capitalistes d’après-guerre résulte de l’existence de l’impôt sur le revenu qui
décourage l’épargne et favorise la consommation. En effet, si le même montant était prélevé
aux plus aisés via un impôt sur la dépense, alors la consommation des riches devraient être
inférieure et l’épargne correspondante supérieure.

135
C’est-à-dire que les capitalistes sont moins dépendants des décisions des rentiers.
136
C’est-à-dire que les capitalistes sont davantage dépendants des décisions des rentiers
341
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Un des objectifs du projet d’impôt sur la dépense de Kaldor (1955) est d’assurer un niveau
d’épargne suffisant pour les projets d’investissement. L’analyse standard insiste sur la
nécessité d’un certain niveau d’inégalité pour assurer un taux d’épargne élevé permettant la
mise en œuvre des projets d’investissements. Cependant, selon lui, cela n’est pas une
condition suffisante si l’attitude des classes propriétaires du capital n’est pas dirigée vers
l’accumulation.

Il considère que la nature stabilisatrice de l’impôt réside dans l’orientation des décisions des
capitalistes. L’impôt sur la dépense est destiné à baisser la consommation de ces derniers afin
d’égaliser les niveaux de consommation et permettre l’émergence d’une épargne suffisante
pour lancer les projets d’investissements. L’« euthanasie des rentiers » est effectuée par
l’impôt mais avec la volonté de ne pas nuire aux capacités d’épargne de ces derniers en
fonction de l’état de l’économie. De plus, dans un souci d’équité, il est préférable de taxer
l’épargne privée au moyen d’une taxe progressive sur le revenu et les profits élevés pour la
substituer à une épargne publique. De cette façon la croissance du capital privé est contrôlée
sans favoriser la croissance de la fortune privée afin qu’elle bénéficie à toute l’économie
entière. De son point de vue, la taxation de l’épargne encourage la dépense des rentiers mais
décourage la prise de risque. En outre, si l’épargne est taxée trop lourdement, les capitalistes
peuvent être amenés à augmenter le taux de profit sur les nouveaux investissements ce qui
rendra immédiatement inefficace l’augmentation consécutive de la marge de profits. Pour
lutter contre cet effet pervers, Kaldor estime que l’épargne publique doit être orientée vers les
marchés de capitaux pour permettre un remboursement de la dette publique. Dans ce cas, il
devient plus difficile de compenser les effets négatifs des impôts sur l’investissement puisque
ces derniers n'empêcheraient pas la hausse du rendement des actions et du prix d’offre des
capitaux à risques.

2.4. Fiscalité et investissement

Les déterminants de l’investissement sont multiples dans l’analyse postkeynésienne. Le taux


de profit joue un rôle prépondérant (2.4.1). Cependant, les entreprises ne produisent pas à leur
pleine utilisation des capacités de production. Enfin à long terme, l’innovation influence
l’investissement (2.4.2). Nous allons donc étudier en détail ce qu’il advient des interrelations
entre ces variables dans le cadre de la politique fiscale.
342
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

2.4.1. Investissement et profits

L’analyse postkeynésienne défend un sens de causalité inversé avec les néoclassiques


concernant le rapport entre l’investissement et les profits (Lavoie, 2004). Dans le modèle
postkeynésien, c’est l’investissement décidé par les entreprises qui détermine le montant de
l’épargne. Pour investir, il n’est nul besoin d’une épargne préalable tant que les ressources
d’une économie nationale sont mobilisées. La rareté du financement est conventionnelle.
Selon Kalecki, les profits macroéconomiques sont prédéterminés, car les investissements
réalisés dans la période dépendent en fait de décisions d’investissement qui ont été prises
antérieurement. Quant à la consommation des capitalistes, elle est une fonction des profits
réalisés dans les périodes antérieures. Du point de vue de la période considérée,
l’investissement et la consommation des capitalistes, en termes réels, sont donc tous deux des
variables autonomes.

Dans l’analyse de court terme opérée par Asimakopulos et Burbidge (1974), la hausse de
l’impôt sur les profits peut avoir un effet positif sur l’investissement en fonction de la manière
dont les salaires réels évoluent. L’augmentation des dépenses d’investissement n’a pas d’effet
sur le profit des entreprises dès lors que cette hausse d’impôt est compensée par une baisse
équivalente de l’impôt sur les salaires, ce qui est en mesure de contrecarrer l’augmentation du
mark-up suite à la hausse de l’impôt sur les profits.

Laramie et Mair suivent la suggestion de Kalecki, selon laquelle le taux de croissance est
influencé par la structure de la fiscalité. En outre, la théorie de Kalecki des bénéfices permet
de relier la fiscalité avec sa théorie des profits, de la détermination du revenu national, de la
répartition des revenus, de l'investissement et de la croissance. Le canal de l’investissement
joue donc un rôle essentiel. Par conséquent, une modification dans la structure de la fiscalité
d'aujourd'hui peut influer sur l'investissement et donc les profits de demain.

Dans les modèles de Laramie et Mair, les effets de la fiscalité à long terme sur
l’investissement dépendent d’une composante fixe qui agit sur sa tendance. La fiscalité
influence l’évolution du taux de croissance du stock de capital et du taux d’utilisation. Les
auteurs expliquent le comportement de ces variables en utilisant deux approches :
343
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

1- Celle de Kalecki (1962) : les décisions d’investir du capital fixe dépendent du capital
productif de la firme, de la modification du taux de profits et des évolutions
technologiques.

2- Celle inspiré de l’article de Gomulka et al. (1990) qui ont corrigé la version de Kalecki
en analysant les propriétés dynamiques du modèle de Kalecki. Ils montrent qu’en
fonction des paramètres du modèle, son approche peut être mise à contribution pour
expliquer un capitalisme « dangereux » (cycle dépressif) et un capitalisme «
imprudent137 » (cycle explosif).

La fiscalité a un impact sur l’investissement à travers le taux de dépréciation et le niveau des


profits.

Kalecki (1968,1971) a montré que les profits agrégés peuvent être représentés comme la
somme des investissements bruts privés, du déficit public, de l’excédent commercial et de la
différence entre la consommation des capitalistes et l’épargne des travailleurs. Rappelons
comment s’écrit l’équation des profits agrégés s’écrit donc :

(1)

Dans le modèle de Laramie et Mair (2003), il n’y a pas d’excédent ni de déficit budgétaire,
donc . La consommation des capitalistes est constituée d’une portion semi-autonome
et de la propension à consommer les profits . L’épargne des travailleurs dépend de
la propension à épargner les salaires après impôts sur les salaires soit, .

Ainsi, il est possible de réécrire la fonction de profits en y intégrant les variables issues de
l’impôt sur les salaires et les profits :
[ ]
(11)

Cette équation permet d’intégrer les impôts sur le travail et les profits dans la détermination
des profits. Par conséquent, on peut évaluer l’impact d’une modification de ces deux impôts
sur le profil global en étudiant l’équation différentielle suivante :

(12)

137
Rash dans le texte
344
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Ici, l’effet direct de la fiscalité sur le niveau de profits en courte période se produit via la
modification des taux d’imposition, tandis que l’effet indirect se déroule au niveau de la part
des salaires.

À partir de l’équation (12), plusieurs effets se dégage lorsqu’on modifie la structure fiscale.
La baisse de l’impôt sur les salaires n’est pas répercutée sur le mark-up réduit des travailleurs
ce qui implique une hausse des profits après-impôts. Par contre, si les entreprises augmentent
leurs marges, alors l’impact positif sur les profits est réduit dans la mesure où le transfert de
charge fiscale augmente la part des salaires, la masse salariale et l'épargne des travailleurs.
Dans le cas d’une propension à épargner des travailleurs égale à zéro, les modifications des
impôts sur les salaires n’ont pas d’effets sur les profits après-impôts.

Ensuite, une augmentation de l’impôt sur les profits, les profits après-impôts sont réduits si le
mark-up n’est pas majoré du montant de l’impôt. Par contre dans le cas où il y a cette
répercussion, l’épargne des ménages est réduite car la part des salaires baisse tandis que si les
travailleurs n’épargnent pas, alors l'augmentation de l'impôt sur les bénéfices n’a pas d’effet
négatif sur les profits après-impôt même en cas de répercussion.

À long terme, l’évolution du niveau d’investissement en fonction des modifications dans les
taux d’impositions s’écrit de manière formalisée comme :

(13)

38 le coefficient représentant la tendance de l’investissement issue de l’évolution des


profits et regroupant les déterminants de l’investissement à court terme.

Dans cette équation, les auteurs ont intégré les effets du multiplicateur de profits sur la
tendance de l’investissement :

(14)
( )

138
prend en compte l’évolution de l’investissement à court terme en y intégrant l’impact de la fiscalité sur la
part des profits, la part des salaires et de la propension à épargner les salaires après impôts.

( )
345
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

La résolution de ce système d’équation montre qu’une augmentation de l’impôt sur les profits,
si elle est compensée sur le mark-up augmente le stock de capital et réduit la part des
salaires . Par contre, si l’augmentation du taux d’impôt sur les salaires est répercutée sur la
marge des entreprises, alors le stock de capital baisse.

En résumé, on peut affirmer qu’une hausse du taux de l’impôt sur les bénéfices a un effet
favorable sur le niveau d’investissement, si cette modification n’est pas répercutée sur le
mark-up et que les salariés n’épargnent pas. Si les salariés épargnent une partie de leurs
revenus, alors le revenu national augmente ainsi que l’épargne des salariés, ce qui réduit les
profits ainsi que le multiplicateur de profits. Par contre, si les salariés consomment
l’intégralité de leur revenu, alors le taux de dépréciation augmente 139.

Une modification de l’impôt sur les salaires n’a pas d’effet sur le niveau d’investissement
dans le cas où cette modification n’est pas compensée et que les salariés n’épargnent pas. Si
l’impôt sur les salaires est répercuté et que les salariés épargnent, alors le multiplicateur de
profit décroit.

Dans les modèles d’incidence fiscale d’influence kaleckienne, les effets d’une modification
dans le taux d’imposition sur les salaires et sur les bénéfices auront une incidence sur le
niveau tendanciel de l'investissement dans des conditions différentes, tant que le
gouvernement maintient une position budgétaire équilibrée et que la composante semi-
autonome de la consommation des capitalistes reste inchangée. Pour résumer, une
modification dans la structure de la fiscalité, comprenant une augmentation du taux de l'impôt
sur les bénéfices, compensée par une réduction du taux de l'impôt sur les salaires, de sorte que
la situation budgétaire du gouvernement demeure inchangée, aura un effet positif sur le taux
d'investissement si :

- Aucune modification de la fiscalité n’est anticipée. Les agents doivent être en mesure
de connaitre les modifications futures des impôts pour pouvoir ajuster leurs
comportements.

139
Notons que l’augmentation du taux de dépréciation pousse le coefficient d’investissement à la hausse. Le
canal fiscal dans le taux de croissance du stock de capital passe en effet essentiellement par le taux de
dépréciation mais ce dernier point sera analysé plus en détail dans la partie suivante.
346
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

- Les travailleurs ne modifient pas leur épargne, ce qui suppose que les modifications
dans les impôts sur les salaires soit faible.
- Le coefficient de réaction du taux d'utilisation des capacités est positif. Cela signifie
que lorsqu’une entreprise dépasse le seuil d’utilisation normal de ses capacités de
production, cette dernière engage les investissements nécessaires pour revenir à ce
taux normal.
Kaldor se distingue de Kalecki et Keynes quant aux déterminants de l’investissement. Pour le
premier, le taux d’investissement détermine la part des profits dans le produit. Pour aboutir à
cette conclusion, il faut profondément modifier le cadre du raisonnement. Kalecki, lui,
raisonne en sous-emploi sur le marché du travail et il s’appuie sur sa théorie des profits aussi
bien pour expliquer les fluctuations de l’activité que pour analyser l’évolution de l’économie
dans la longue période. Kaldor suppose, au contraire, une situation de plein emploi. Son
analyse exclut le principe de la demande effective et se concentre principalement sur la
manière dont la répartition du revenu s’ajuste de façon à ce que l’épargne soit égale à
l’investissement. On est ramené à une situation où la loi de Say prévaut et où la production
globale n’est limitée que par les ressources productives. Ainsi, une réduction de la demande
d’un bien entraîne, par compensation, l’augmentation de la demande d’un autre bien. Son
analyse concerne le long terme et elle est développée dans le cadre d’un modèle de croissance
dynamique. Le mécanisme du multiplicateur keynésien est détourné de son objet initial, il
n’est plus utilisé pour déterminer le produit mais pour expliquer la répartition du revenu entre
salaires et profit dans une économie où la propension à épargner sur les profits, excède la
propension à épargner sur les salaires.

Chez Kaldor (1955) l’impôt sur la dépense a comme principale propriété macroéconomique
de stabiliser le niveau d’investissement à un niveau adéquat et de garantir un niveau
d’épargne correspondant. L’impôt sur la dépense possède l’avantage de dégager de l’épargne
mais rien ne garantit que cette dernière permette l’accroissement de l’accumulation. Par
conséquent, l’épargne doit être dirigée vers l’investissement. A cette fin, il se prononce en
faveur d’un système de subventions de l’investissement qui exclurait de l’assiette de calcul de
l’impôt sur les profits non-distribués (par exemple aux actionnaires) et les profits réinvestis.
347
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Ce système reviendrait à une réduction équivalente de l'impôt sur les profits mais il se pose
surtout la question de l’assiette d’imposition plutôt que celle de la charge fiscale et du niveau
des taux d’impositions. L’intérêt d’un impôt sur la dépense est donc de pouvoir supprimer
tous les impôts sur les profits non distribués pour inciter à l’auto-investissement par exemple.
En effet, les sociétés qui réussissent à consacrer une proportion importante de leur revenu à
l'accumulation croissent à un taux rapide, tandis que celles avec un niveau d'épargne inférieur
croissent à une allure plus lente. Pour autant, un taux d’épargne important est loin de suffire
pour assurer un fort taux de croissance car encore faut-il que les incitations et opportunités à
investir existent. C’est en cela que les recettes fiscales doivent permettre à l’Etat de se doter
des instruments pour assurer les stimuli et un niveau de dépenses publiques adéquat comem
nous l’avons déjà signalé dans la partie 2.1.

2.4.2. Investissement, taux d’utilisation des capacités de production


et innovation

Chez les kaleckiens, les entreprises opèrent généralement en deçà de leur pleine capacité de
production. De fait les entreprises n’utilisent que 70% à 85% de leur capacité. Cette donnée
provient des enquêtes menées régulièrement par les agences statistiques ou de prévisions
(Lavoie, 2004). L’explication réside dans la notion d’incertitude radicale. Les entreprises ne
peuvent prévoir avec exactitude ce que sera la demande future. De même que les agents
disposent d’encaisses monétaires ou de lignes de crédit garanties qui leur permettent de
répondre aux fluctuations inattendues dans les transactions. Les entreprises doivent donc
disposer d’un matelas de sécurité afin de pouvoir répondre aux fluctuations dans l’ampleur de
la demande. Ainsi, pour conserver une marge de manœuvre dans leurs capacités de
production, les entreprises sont incitées à investir dès lors que les capacités de production se
rapprochent du taux d’utilisation normal.

Le taux d’utilisation des capacités productives joue donc un rôle essentiel dans les modèles
kaleckiens. C’est en effet lui qui subordonne les décisions des nouveaux investissements. La
dynamique du taux de croissance peut être affectée par des changements dans la structure de
la fiscalité via le taux d'utilisation des capacités (White, 1999) et par l’intégration du bilan des
entreprises dans les décisions d'investissement en capital (Courvisanos, 1996, p. 103-6).
348
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Une augmentation du taux d'utilisation des capacités au-dessus du niveau désiré accélère
l'expansion et freine les contractions de l'investissement. Une diminution du taux d'utilisation
des capacités en dessous de son niveau désiré freine l'expansion de l’investissement et
accélère ses contractions.

Chez Bozani (2012), les facteurs d’investissement recouvrent une partie des analyses
kaleckiennes en y ajoutant des éléments propres à la finance. Le ratio de l'investissement total
en fonction du stock de capital est déterminé par : Le degré de confiance des capitalistes qui
dépend des conditions économiques générales, le poids des fonds internes qui sont influencés
par la distribution après impôt et les variables monétaires et enfin par la demande. Ce dernier
point souligne le rôle accélérateur du taux d’utilisation sur l’investissement notamment dans
les modèles Wage-profit led (Bhaduri et Marglin, 1990) où une réduction du taux d’utilisation
baisse l’investissement malgré une hausse de la part des profits.

Laramie et Mair (1996, 2003) intègre les effets du taux d’utilisation comme déterminant de
l’investissement. Pour déterminer l’impact de la fiscalité sur le taux d’utilisation, les auteurs
estiment qu’il évolue dans le même sens et à une proportion constante du revenu national .
L’équation du taux d’utilisation des capacités de production s’écrit : avec le niveau
potentiel de production. À partir de là, ils réécrivent l’équation du revenu national en fonction
des profits après-impôts, soit :

(15)

Avec comme déjà vu précédemment : (1)

Une augmentation des impôts sur les salaires (sans transfert de charge fiscale) n’a pas d’effet
sur le taux de dépréciation mais augmente les profits après-impôts et le taux d’utilisation. Par
contre, en cas de répercussion sur le mark-up, les taux de profits après-impôts sont réduits
mais le taux d’utilisation des capacités de production s’accroit.

À long terme, le taux d’utilisation a une influence forte sur le stock de capital de l’économie.
Il est influencé par la fiscalité via le canal du multiplicateur de revenu et la portion semi-
autonome de la consommation des capitalistes par rapport au ratio issu de la tendance de
l’investissement brut. Les évolutions du taux d’utilisation sont représentées par l’équation
suivante :

[ ]
[ ] (16)
349
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

D’après l’équation (16), le taux de croissance du taux d’utilisation des capacités d’utilisation
est positivement corrélé avec le taux de croissance de , le taux de dépréciation et le
multiplicateur de revenu [ ]). Comme dans les
cas précédents, une augmentation de l’impôt sur les profits augmente à la fois et le taux
de dépréciation. Cela accroit en retour le multiplicateur de revenu tant que les salariés
n’épargnent pas et qu’on ne compense pas l’impôt sur les profits sur le mark-up.

Une baisse de l’impôt sur les salaires qui n’est pas répercutée sur la marge des entreprises, n’a
pas d’effet sur et le taux de dépréciation. En revanche, cela augmente le multiplicateur
de revenu si les salariés épargnent une partie de leur revenu. Ainsi, le taux d’utilisation croit
dans ces conditions. Si l’impôt sur les salaires baisse et que les entreprises en profitent pour
augmenter le mark-up, alors l’effet positif du multiplicateur de revenu augmente. Le taux de
dépréciation augmente avec , mais la baisse du multiplicateur de profit réduit , ce qui
amène une indétermination de l’effet du taux de la fiscalité sur le taux d’utilisation des
capacités à long terme dans cette situation.

Comme nous avons pu le voir dans cette partie, un autre facteur important dans la
détermination du niveau d’investissement à long terme est celui du taux de dépréciation. En
effet, l’innovation dans les moyens de production modifie la rentabilité relative de l'usine
après déductions des impôts existants sur les nouvelles usines et les machines. La fiscalité a
un impact sur la dépréciation en modifiant le montant de l’impôt réel soumis sur les
équipements existants. Il s’avère que le progrès technique, véhiculé par les nouveaux
investissements, augmente la productivité ce qui baisse toutes choses égales par ailleurs le
niveau des prix. Enfin, l’augmentation du coût des équipements existants baisse les profits
associés à ces derniers. Le déclin de ces profits accélère l’obsolescence. Les effets négatifs
d’une répercussion du mark-up sont donc réduits en présence de l’innovation.

Le facteur innovation s’ajoute dans le modèle de Laramie et Mair (2003) à l’équation


d’investissement qui est également une fonction du profit standard et s’écrit :

(17)

Avec le niveau des profits, la portion des profits captée par le nouvel investissement et
le taux de dépréciation au sens où il représente le taux auquel les profits sont réduits par le
capital déjà existant à cause du progrès technique.
350
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Ce taux de dépréciation s’écrit :

[ ]
(18)

Avec le taux de progrès technique, la part des salaires et le taux d’imposition sur les
profits.

Les résultats montrent que l’augmentation de la fiscalité sur les profits réduit les bénéfices
réels générés par les anciennes installations ce qui incite les entreprises à investir dans de
nouveaux équipements plus récents et innovants. Le phénomène d'obsolescence sur les
anciens équipements favorise l'investissement dans les dernières innovations (Laramie et
Mair, 2003). Les conséquences sur la croissance et l’emploi sont donc positives malgré le
relèvement de l’impôt sur les profits.

D’après l’équation du taux d’utilisation vu précédemment (équation 16), les capacités


d’utilisation évoluent de façon positive avec le taux de croissance de , le taux de
dépréciation, , et le multiplicateur de revenu [
] Comme dans les cas précédents, une augmentation de l’impôt sur les profits augmente
à la fois et le taux de dépréciation à court et long terme. Le multiplicateur de revenu
s’accroit tant que les salariés n’épargnent pas et qu’on ne compense pas l’impôt sur les profits
sur le mark-up.

L’équation qui résume les effets de la fiscalité sur le taux de dépréciation s’écrit de la manière
suivante :

(19)

On remarque qu’une baisse du taux d’impôt sur les salaires qui n’est pas répercutée sur la
marge des entreprises n’a pas d’effet sur le taux de dépréciation. Si cette hausse est
répercutée, alors la baisse des marges des entreprises augmentera les profits par la hausse de
la part des salaires et du revenu national, ce qui aura un effet bénéfique sur le taux de
dépréciation et donc l’investissement (Laramie et Mair, 2003).

À le long terme, l’effet positif d’une hausse de l’impôt sur les profits est possible dès lors que
les salariés consomment l’intégralité de leurs revenus.
351
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

En effet, l’augmentation du taux de dépréciation accroit la demande de nouveaux


investissements des entreprises. Si les salariés épargnent, le déplacement de la charge fiscale
des salaires vers les profits n’a pas d’effet sur l’investissement car le multiplicateur de profits
est réduit. Cela traduit en substance la nécessité d’avoir un impôt progressif afin de ne pas
pénaliser la consommation des travailleurs ayant une forte propension à consommer. Il est à
noter qu’une hausse du taux d’impôt sur les salaires peut avoir un effet positif sur le taux de
dépréciation lorsque les salariés épargnent, mais seulement si l’impôt sur les profits est réduit
en contrepartie.

À long terme, la fiscalité a un impact déterminant sur le taux de dépréciation et sur le taux de
croissance du stock de capital. La variation du stock de capital s’écrit de la façon suivante
chez Laramie et Mair (2003) :

(20)

Enfin, on observe que le stock de capital varie de façon positive avec le taux de croissance
dans , c’est-à-dire , et de façon négative avec le taux de dépréciation . Les effets
induits par une modification de la structure fiscale sur le stock de capital s’écrivent de la
façon suivante :

(21)

L’effet global sur l’investissement dépend donc d’un nombre important de paramètres mais il
semblerait, que la hausse de l’impôt sur les profits a tendance à augmenter le taux de
dépréciation (Laramie et Mair, 1996 ;2003). Les effets dans le cas de l’impôt sur les salaires
sont indéterminés lorsque les salariés épargnent une partie de leurs revenus.

3. Les perspectives de réformes fiscales

Nous avons pu voir que l’analyse de l’incidence fiscale chez les postkeynésiens amènent à
mettre en avant des canaux de transmission qui diffèrent de ceux défendus par les
néoclassiques. Il convient donc d’en dresser une synthèse afin d’affirmer ces différences (3.1).
352
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Dans une optique de stabilisation, certains modèles se sont également intéressé à la manière
dont la fiscalité influence le cycle de croissance ainsi que la stabilité de l’économie (3.2).
Enfin, l’ensemble des résultats et des mécanismes mis en avant dans ce chapitre nous permet
de détailler des prescriptions de politique fiscale dans un cadre Kaleckien (3.3).

3.1. Synthèse sur la théorie de l’incidence fiscale chez les


postkeynésiens

Les analyses macroéconomiques kaleckiennes de l’incidence fiscale conservent le rôle


essentiel de la demande effective et de la répartition des revenus chers aux postkeynésiens. Si
une politique fiscale encourage l’épargne, alors la dépense globale de l’économie diminue
entrainant une réduction de la production. Il s’agit du « paradoxe de l’épargne ». Pour les
kalekciens, il est favorable de taxer l’épargne plutôt que le revenu mais sans que cela nuise
aux capacités de financement de l’économie. Il faut donc plutôt taxer l’épargne non-réinvesti
pour conduire à un niveau d’équilibre de production et d’emploi supérieur car ce type de
politique crée les incitations pour irriguer l’épargne vers la sphère productive. Ensuite, la
demande influence l’économie à long terme mais il se peut que l’excès de demande provoque
de l’inflation de façon chronique. Dans ce cas, il est préférable d’imposer les dépenses plutôt
que l’épargne, comme le soutient le projet d’impôt sur la dépense de Kaldor. Cependant, la
théorie kaleckienne et kaldorienne ne pose pas les questions de l’incidence fiscale de la même
manière, mais elles soulèvent un ensemble de problèmes auxquels la théorie néoclassique ne
semble pas en mesure de répondre. La théorie de Kalecki vise à décrire quelles sont les effets
macroéconomiques d’un transfert de la charge fiscale entre les différents revenus des agents
de l’économie tandis que Kaldor pose la question de l’assiette d’imposition.

La théorie de l’incidence fiscale telle qu’elle fut décrit par Kalecki prenait en compte
l’existence d’un certain nombre d’impôt, notamment l’impôt sur le capital qui venait s’ajouter
aux profits globaux en finançant des dépenses publiques qui bénéficieront à l’ensemble de la
société. Kalecki affirmait que la taxation du capital ne nuirait pas à l’accumulation de capital
et qu’elle est pourrait être le meilleur moyen de stimuler l’investissement et de réduire le
chômage. Cependant, sa mise en œuvre risquait de rencontrer des résistances politiques car il
pourrait nuire à terme aux patrimoines des classes aisées.
353
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

La plupart des auteurs qui se sont attelés à développer l’analyse de Kalecki sur la politique
fiscale, ont mis de côté ce type d’impôt pour en vérité se concentrer sur l’impôt sur les
salaires et les profits et dans une moindre mesure sur l’impôt sur la consommation comme
Mott et Slattery (1994).

Les conclusions de Laramie et Mair (1996, 2003) résument les oppositions de la théorie
postkeynésienne avec les néoclassiques. Ce contraste illustre la nécessité de penser de
manière radicalement différente la question de l’incidence fiscale.

En premier lieu, ils considèrent que les questions sur l’incidence fiscale ont besoin d’être
observées en fonction des effets de la fiscalité sur l’investissement. Dans la théorie
néoclassique de l’investissement. Les décisions d’investir sont guidées par l’objectif de
maximiser la valeur présente des revenus nets de l’entreprise représentative (Summers, 1981).
D’après ce principe, une entreprise investit dans de nouveaux équipements lorsque le produit
marginal du capital égalise le coût unitaire du capital. L’examen des questions sur l’incidence
fiscale doit s’effectuer en observant les effets d’une modification des taux marginaux.
L’introduction de crédits d'impôts sur l’investissement ou la distribution de subventions sur
l'amortissement dégressive ont des effets significatifs sur l’investissement. Tout comme une
modification du taux d’impôt légal sur le coût unitaire du capital et sur le flux des nouveaux
investissements. Le rôle joué par les taux marginaux ou les taux moyens marquent ainsi une
autre différence importante. Les modifications dans les taux moyens comptent davantage chez
les postkeynésiens dans les variations de l’investissement que dans les modifications des taux
marginaux. Cela pose le problème de savoir comment on peut stimuler l'investissement sans
fournir des bénéfices exceptionnels aux très riches. Ainsi, une réduction du taux de l’impôt
sur les profits est en mesure de stimuler l’investissement si l’effet sur les profits est supérieur
à l’effet sur la dépréciation. Mais ce résultat opère une redistribution du revenu et de la
richesse en faveur des plus riches. Au contraire, Laramie et Mair (1996) suggère que la
stimulation de l’investissement ne pose pas la question de l’arbitrage entre efficacité et équité.
Pour ces derniers, et l’ensemble des auteurs postkeynésiens s’étant intéressés à la question de
l’incidence fiscale, l’investissement peut être stimulé en orientant la répartition des revenus
vers les salaires par le biais de la politique fiscale.
354
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Une autre différence importante entre ces deux écoles renvoie à la prise en compte de l’impact
de la fiscalité sur le cash-flow. Les néoclassiques l’étudient à l’aune de son effet sur les
nouveaux investissements qui affecte le niveau relatif des prix du capital. Par exemple, ils
estiment qu’une augmentation du taux d’impôt sur les salaires est partiellement compensée
par de nouveaux investissements en machines, en fonction de l’élasticité de la demande de
travail au capital. Mais encore faut-il que le capital et le travail soient parfaitement
substituables. Au contraire, Laramie et Mair (1996) montre qu’une augmentation du taux
d’impôt sur les salaires est à même de réduire le flux de profits et de diminuer
l'investissement. Par conséquent, les incitations fiscales courantes visant à accélérer la
dépréciation ou les crédits d’impôts sur l’investissement, peuvent accroitre la régressivité du
système fiscal en abaissant la charge fiscale sur le capital.

La question des cycles et la manière dont la fiscalité influence ces derniers ne sont pas étudiés
de la même manière entre ces deux écoles. Les néoclassiques prennent en compte cet effet
mais sur l’hypothèse que les agents peuvent anticiper les variations futurs des impôts et
calculer le rendement des investissements futurs associé aux modifications de la structure
fiscale. Pour les postkeynésiens, les effets de la fiscalité seront neutralisés si l’équilibre
budgétaire est assuré sur la durée du cycle. Dans le cas où le budget est à l’équilibre, la
fiscalité a un effet sur la tendance de l’investissement si cette tendance de long terme est
différente de zéro. Ce résultat renvoie au rôle de stabilisateur joué par la politique budgétaire.
Sous ces hypothèses, une modification de l’impôt sur les salaires qui n’est pas répercutée est
négativement corrélée au niveau de tendance de l’investissement et une modification de
l’impôt sur les profits a un effet indéterminé sur la tendance de l’investissement. Le sens de
cet effet dépend en particulier de la force relative entre la dépréciation d’une part et les profits
d’autre part. Dans ce cas de figure, l’existence de déficits structurels de l’Etat agit comme un
stimulus en lieu et place d’une détérioration de l’investissement chez les néoclassiques. Cette
conclusion a des implications évidentes sur les préoccupations actuelles de réduction des
déficits et du maintien de la croissance qui peut être financé par un impôt sur les profits,
comme l’affirmait déjà Kalecki (1937).
355
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Kaldor défend également l’idée que la dépense publique joue le rôle de stimuli de croissance
de deux manières différentes. Soit par la création d’infrastructures ou d’investissements
publics, soit par l’intermédiaire de subventions ou par l’exonération d’impôt d’une partie de
l’assiette fiscale les dépenses d’investissement des entreprises.

La dépense publique a donc un rôle à part entière ce qui contrecarre les limites
méthodologiques et théoriques à la théorie de la Stabilisation Optimale dont nous avons traité
dans le troisième chapitre. Les postkeynésiens font intervenir la puissance publique comme
stabilisateur au sens de catalyseur de croissance en intégrant les effets de la fiscalité et des
dépenses publiques dans le bouclage macroéconomique. La politique fiscale a comme rôle
d’assurer une meilleure redistribution du revenu tout en assurant les stimuli nécessaires et
sans nuire aux profits des entreprises qui sont la source de revenu permettant d’engranger les
dépenses d’investissements. On retrouve les principales remarques émises par Musgrave
(1959 ; 1999) et Lerner (1943) sur le rôle de la politique budgétaire.

Contrairement aux néoclassiques, les postkeynésiens accordent une place importante à la


répartition du revenu. Bien que des divergences existent sur le plan de la construction des
modèles et de leurs implications théoriques140, les modèles Kaleckiens montrent que la
redistribution des revenus en faveur des salaires a un impact bénéfique sur l’emploi et la
croissance. Les néoclassiques se focalisent sur une interprétation de la répartition liée à la
productivité marginale des facteurs de production ce qui ne permet pas une analyse en terme
structurelle contrairement à ce que font les postkeynésiens. L’intégration des taux d’utilisation
des capacités de production renforce l’impact d’une redistribution en faveur des salaires. En
effet, la propension à consommer les profits étant inférieur à celle des salaires, la baisse de la
pression fiscale sur les salaires aura un impact plus important sur la demande. Cependant, les
effets finaux dépendront également de la sensibilité des entrepreneurs à réinvestir les profits.
Dans ce cas, il faut que les effets favorables d’une relance de la consommation soit suffisante
pour compenser la perte de profit en présence d’une augmentation de l’impôt sur les profits.
Les effets finaux dépendent des catégories de revenus qui bénéficient des baisses d’impôts.

140
Les modèles cambridgiens et Profit wage-led de Bhaduri et Marglin (1990) renforce le rôle des profits dans la
dynamique d’investissement.
356
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Généralement, il persiste un conflit redistributif entre les propriétaires du capital et les


travailleurs qui n’apparaissent pas dans la théorie néoclassique. Dans les analyses
kaleckiennes, ce conflit peut s’étendre aux entrepreneurs et aux rentiers. Dans le modèle de
Bozani (2012), les entrepreneurs décident des projets d’investissement en comparant la
rentabilité de ces derniers avec le montant des fonds propres disponibles et avec les facilités
de prêts accordées par les rentiers. Chez Asimakopulos et Burbidge (1974), le revenu des
rentiers est une proportion constante des profits après-impôts. Ces rentiers ont une influence
importante sur le montant de l’épargne disponible dans l’économie. Dans ces deux
configurations, leur poids dans l’économie influence le montant de l’investissement et
subordonne les décisions des capitalistes. De plus, Bozani affirme que la stabilité de
l’économie est assurée lorsque le financement externe de l’économie et le poids des rentiers
est réduit. Pour autant, la part des profits joue un rôle à part entière dans la constitution des
revenus des rentiers (sauf chez Bozani où leur revenu est composé des intérêts des prêts
consentis aux entreprises) donc il se peut que la réduction de leur revenu par une taxation plus
élevée nuise à l’investissement si le montant des profits réinvestis n’augmente pas au niveau
macroéconomique. La politique fiscale doit donc trouver le compromis idéal entre la taxation
du travail et du capital en prenant garde à ne pas nuire à l’accumulation.

Certains impôts ne possèdent pas les mêmes propriétés macroéconomiques suivant la théorie
où l’on se situe. Pour la théorie standard, l’impôt sur la consommation est neutre du point de
vue des distorsions sur l’offre de travail et sur les décisions d’investissement. Cette
conclusion traduit une vision focalisée sur les effets d’offres tandis que l’impact d’un tel
impôt sur la demande n’est pas pris en compte. L’analyse keynésienne montre que l’impôt sur
la consommation peut réduire la consommation des agents ayant une propension à
consommer forte tandis que les postkeynésiens mettent en avant son aspect régressif. Il évalue
également l’impact de cet impôt à l’aune des comportements des entreprises dans la fixation
du prix de vente ou de production des biens. Par conséquent, une augmentation de cet impôt
peut inciter les entreprises à augmenter leur marge ce qui a tendance à réduire la part des
salaires. On peut aisément penser qu’une entreprise à tout intérêt à augmenter son mark-up
lors d’une hausse de l’impôt sur les profits, par exemple. Pour autant, ce comportement qui se
justifie sur le plan microéconomique ne l’est pas forcément au niveau macroéconomique.
Chez Mott et Slattery (1994), les différences d’effets entre un impôt sur les profits, et un
impôt de type TVA ou sur les ventes résultent principalement de la manière dont les
entreprises répercutent ces impôts sur les prix.
357
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Cette répercussion des différents impôts sur les prix influence de façon importante les
résultats quant à la politique fiscale. La répercussion des impôts sur les profits et les biens
modifient les effets des réformes fiscales. Une compensation immédiate de la hausse de ces
impôts est susceptible d’entrainer des effets négatifs sur la part des salaires dans l’économie.
D’un point de vue macroéconomique, la non-répercussion est en mesure garantir des profits
globaux plus élevés. Cependant, même dans le cas d’une répercussion, les effets négatifs
peuvent être compensés par l’effet multiplicateur des dépenses publiques sur la consommation
et l’investissement ce qui traduit la prise en compte du multiplicateur de dépenses publiques
chez les postkeynésiens.

Les impôts sur les salaires et les profits n’ont pas les mêmes effets macroéconomiques que
dans la théorie standard de l’incidence fiscale. Un résultat fortement contradictoire renvoie à
l’effet bénéfique d’une augmentation de l’impôt sur les profits ou les bénéfices. Chez Laramie
et Mair (1996, 2003) ces effets positifs passe par le canal du taux de dépréciation. Ainsi, une
augmentation des impôts sur les profits aura tendance à augmenter le taux de dépréciation
pour un taux de progrès technique donné (Laramie et Mair, 1996). En effet, grâce à
l’amélioration constante de l’innovation au fil du temps, une augmentation de la fiscalité sur
les profits réduit les bénéfices réels générés par les anciennes installations par rapport aux
nouveaux équipements. Le phénomène d'obsolescence sur les anciens équipements encourage
l'investissement dans les dernières innovations (Laramie et Mair, 2003). Les conséquences sur
la croissance et l’emploi sont donc positives malgré le relèvement de l’impôt sur les profits.

Ces résultats dépendent toujours des conditions de répercussion de la charge fiscale. Si on


augmente l’impôt sur les profits sans transfert sur les prix, alors les profits avant impôts
augmentent car les entreprises souhaitent obtenir un niveau de profits après impôts inchangé.
Cela a comme conséquence d’augmenter le revenu national par rapport aux profits agrégés
ainsi que le taux de dépréciation. Si l’augmentation de l’impôt sur les profits est répercutée,
alors l’augmentation du mark-up des entreprises réduit la part des salaires et décourage
l’augmentation du revenu national et la dépréciation. En résumé, une hausse des impôts sur
les profits augmente le taux de dépréciation (sans compensation) ce qui réduit les profits
après-impôts et accroit les capacités d’utilisation.
358
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

L’orientation de la politique fiscale en faveur d’une baisse de taxation des salaires semble à
première vue avoir des conséquences macroéconomiques évidentes sur l’investissement et la
croissance. En premier lieu, cette baisse oriente la répartition du revenu en faveur des salaires.
En second lieu, elle agit sur l’investissement par le biais d’un effet sur la dépréciation. Par
exemple, une baisse du taux d’impôt sur les salaires qui n’est pas répercutée sur la marge des
entreprises n’a pas d’effet sur le taux de dépréciation. Si cette baisse est répercutée, alors la
hausse des marges des entreprises augmentera les profits auxquels s’ajoutera une hausse de la
part des salaires et du revenu national, ce qui aura un effet bénéfique sur le taux de
dépréciation (Laramie et Mair, 2003) pour un prix de vente inchangé. Les facteurs de
demande sont mis en avant par la théorie kaleckienne de l’incidence fiscale alors que la
théorie standard défend également une baisse de l’impôt sur les salaires mais dans l’optique
d’encourager l’offre de travail, notamment celle des moins qualifiés.

La dépréciation est également incluse dans l’équation d’investissement d’Asimakopulos et


Burbidge (1974) mais ce n’est pas une variable endogène aux modèles. Pour ces auteurs,
l’impact positif d’une hausse de l’impôt sur les profits est corroboré aux variations des autres
impôts. Mais le canal des profits a un impact supérieur à la plupart des autres modèles ce qui
suppose, au mieux, que la hausse de la taxation des profits baisse les profits après-impôts.
Cependant, les conséquences macroéconomiques sur la consommation des individus sont
positives si cette hausse est compensée par une baisse de la taxation des salaires ou de la
consommation. Il semble, de leur point de vue, que la politique fiscale la plus viable et
efficace soit celle qui taxe davantage les revenus des rentiers que les revenus de la classe
productive (travailleurs et capitalistes).

Enfin, les différences s’affirment sur le plan méthodologique. En soi, la théorie


postkeynésienne répond à certaines limites de la théorie standard de l’incidence fiscale. Par
exemple, des auteurs orthodoxes sur la finance publique (Atkinson and Stiglitz, 1980) ont
reconnu le besoin d'une intégration plus proche de dimensions micro et macro-économiques
dans l'étude des effets de taxation et de relâcher certaines hypothèses néoclassiques
conventionnelles comme l’apurement continu du marché. Les chapitres 2 et 3 ont pu illustrer
que la théorie néoclassique de l’incidence fiscale se focalise sur les effets des impôts sur la
production et le niveau des prix relatifs dans une économie au plein emploi.
359
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Les résultats de ces modèles dépendent du niveau des élasticités de l’offre et de la demande,
du degré de substitution des facteurs et de leurs intensités. Le modèle d’Harberger (1962) est
une synthèse satisfaisante de ce type d’approche.

Dans la théorie postkeynésienne de l’incidence fiscale, les effets de la fiscalité sont considérés
à l’aune des dépenses des différents types de revenus qui affectent le niveau de production,
l’emploi et la redistribution du revenu. En général, aucune de ces deux approches n’a su faire
le rapprochement entre les préoccupations macroéconomiques sur l’évolution des niveaux de
production et de l'emploi avec les préoccupations micro-économiques sur la façon dont les
agents économiques modifient leurs comportements face à l’impôt. Cependant la théorie
kaleckienne possède l’avantage de prendre en compte les facteurs liés à la demande ainsi que
le rôle stabilisateur de la puissance publique dans le cadre d’un bouclage macroéconomique
des modèles. Le tableau ci-après (tableau 5.3.) synthétise les différents canaux de
transmission des effets de la politique fiscale sur les variables macroéconomiques.
360
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Tableau 5.3 : Synthèse des principaux modèles d’incidence fiscale postkeynésien

Incidence sur le
Incidence sur les Incidence sur
Modèle cycle de
prix l’investissement
croissance
- Socialisation d'une partie
de l'investissement financée
par les recettes des impôts.
Keynes (1936) Non précisé. Non précisé.
- Baisse de la pression
fiscale pour les individus
avec une propension à
consommer forte.
- Importance de la
- Les capitalistes ne
répartition du revenu et de
répercutent pas le
la charge fiscale.
coût de la fiscalité Non précisé dans le
Kalecki
sur les prix car ils cadre de la
(1937/1944) - La politique budgétaire
maximisent leurs politique fiscale.
réduit les effets négatifs
bénéfices avant
d’un impôt sur le capital.
impôt.
- Réduire les dépenses
privées pour assurer un
niveau suffisant d’épargne.

- Encourager l'épargne de
classes aisées sans - Contrôle les
décourager la périodes d’inflation
consommation des classes ou de déflation.
populaires.
Kaldor (1955) Non précisé. - Orienter la
- Diriger l'épargne vers distribution entre la
l'investissement en consommation et
subventionnant les l’accumulation de
investissements productifs capital.
(équivalent à une réduction
de l'impôt sur les profits).

- Les dépenses publiques


soutiennent le secteur privé.
361
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

- Dépend du niveau de
l'output souhaité.

- Est influencé par les


- Pas d'analyse à
profits des entreprises (donc
- Le mark-up long terme.
indirectement par le niveau
influence les
Asimakopulos et de l'épargne).
résultats dans la - Les modifications
Burbidge (1974)
version "non dans les capacités
- Dépend du niveau de
competitive". de production sont
rétention des profits.
négligées.
- Réduire le poids des
rentiers et favoriser la classe
productive.
- Influencé par propension à
épargner les salaires et les
- Des effets profits.
différents sur le
plan quantitatif en - L'impact sur
fonction de l'investissement est plus
Mott et Slattery l'équation de prix important quand l'impôt est - Pas d'analyse de
(1994) sélectionnées (prix répercuté sur le prix de long terme.
de vente, prix de vente ou de production.
production, mark-
up, sans - L’impact positif des
répercussion). dépenses publiques dépend
du type d’impôt qui les
finance.
- Influence la
- Passe par l’augmentation
tendance de long
- Les impôts sur les des profits agrégés via le
terme (positive ou
salaires et profits multiplicateur budgétaire et
négative).
peuvent être la répartition entre salaire et
répercutés sur le profits.
- Dépend des
mark-up.
objectifs de la
- Passe par l’augmentation
Laramie et Mair politique fiscale (en
- La répercussion du taux de dépréciation ce
(1996, 2003) faveur ou non des
de l'augmentation qui encourage
salaires).
des impôts sur les l'investissement plus
prix a un effet productif.
- Dépend de la
négatif sur
manière dont
l'investissement et - Influence du taux
l'impôt est
la croissance. d'utilisation en lien avec le
répercuté sur le
taux de dépréciation
mark-up.
362
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

- Le régime de
croissance est
essentiellement
déterminé par
l'influence des
- Il faut encourager la dépenses publiques
- Pas d'influence de réduction de la propension à sur la demande
la fiscalité sur les épargner des rentiers. globale.
prix (Kalecki
(1937). - Transfert de la charge - La stabilité du
fiscale des capitalistes vers modèle est assurée
les rentiers pour réduire le lorsque le
Bozani (2012) - Les capitalistes ne financement externe de financement
répercutent pas le l'activité économique. externe de
coût de la fiscalité l'économie et le
sur les prix car ils - Le poids des fonds propres poids des rentiers
maximisent leurs qui est influencé par l'impôt. est réduit.
bénéfices avant
impôt. - Influence du taux - Un ralentissement
d'utilisation économique est
possible en raison
d’une diminution
des bénéfices non-
distribués des
capitalistes.

3.2. Fiscalité et cycles économiques

Pour Kalecki, l'investissement est un facteur essentiel dans l’explication des cycles. Il
considère, comme Schumpeter, que l’investissement et l’innovation sont reliés l’un à l’autre
car le premier entraine le second. Ces deux variables agissent donc dans le même sens. Le
modèle de variation cyclique élaboré par Kalecki considère la demande d'investissement
comme le principal élément agissant du cycle. En comparant la décision d'investir et le niveau
de l'investissement idéal, c'est-à-dire nécessaire pour maintenir constante la capacité
d'équipement, Kalecki déduit qu'il y a une expansion de l’économie lorsque la décision
d'investir amène un niveau supérieur au niveau idéal, et une récession dans l'hypothèse
inverse. Cette explication a le mérite de faire comprendre l'amplitude des fluctuations et leur
périodicité.
363
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Les articles de Laramie et Mair (1996, 2003) et de Bozani (2012) se sont tous deux intéressés
à l’impact de la fiscalité sur les cycles économiques. Les modèles des premiers auteurs
s’intéressent particulièrement à la dynamique cyclique de l’investissement (3.2.1) tandis que
le second s’est intéressé au caractère stabilisateur de la fiscalité en fonction du régime de
croissance (3.2.2).

3.2.1. Fiscalité cycles et investissement

La théorie de l’incidence fiscale chez Kalecki (1937) s’applique en général dans le court
terme. Pourtant, nous venons de rappeler que la théorie kaleckienne propose une théorie des
cycles permettant d’analyser les évolutions du capitalisme à long terme. Laramie et Mair
(1996, 2003) ont posé les bases d’une analyse des effets de la fiscalité sur les cycles
économiques en mêlant les différentes dimensions de la théorie de Kalecki. À cette fin, ils ont
modifié la théorie du cycle économique de Kalecki (1968) pour atteindre une plus grande
simplicité et généralité sans rien perdre des arguments essentiels de ce dernier.

Dans le modèle de Laramie et Mair (1996), la composante cyclique de l’investissement


provient de la dérivée de la fonction des bénéfices qui est ensuite substituée dans la dérivée de
la fonction d’investissement. Cela permet d’obtenir l’équation d’investissement
tendancielle141. L’équation des cycles d’affaires s’écrit :

[ ] (22)

Où :

la valeur tendancielle de l’investissement

[[ ( ) ] ], qui résume l’effet cyclique de l’innovation.

( ) , qui résume l’effet lié à la distribution induit par les nouveaux

investissements.

141
En assumant l’hypothèse que les variations cycliques des dépenses publiques sont égales à 1. Ainsi, les
auteurs font abstraction des caractéristiques implicites du budget sur les stabilisateurs automatiques.
364
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

La part des salaires a un effet significatif sur l’investissement à long terme. Les variations
cycliques de l’investissement jouent également un rôle à part entière. Les effets décrient par le
modèle montrent comment les modifications dans les impôts sur les salaires et les profits
influencent l’investissement et la structure des cycles d’affaires. Il s’opère trois types d’effets
qui expliquent du cycle d’affaire (Laramie et Mair, 1996) :

1. Un effet lié à la dépréciation


2. Un effet lié à la distribution
3. Un effet lié aux évolutions de la part des salaires
Chaque type d’impôt n’agit pas de la même manière sur chacun de ces paramètres.

L’impôt sur les salaires n’a pas d’impact sur le taux de dépréciation et l’investissement
lorsque l’impôt n’est pas répercuté sur le mark-up. Cet impôt agit seulement sur la structure
du cycle d’affaires par le biais d’un effet sur la distribution des revenus. Ainsi, une
augmentation (ou une baisse) de cet impôt est négativement corrélée à la part des salaires et
au niveau agrégé des profits et de l’investissement.

Lorsque l'investissement est dans une phase expansionniste, ou à son sommet, et si l’évolution
de l'investissement actuel est déterminée par les profits actuels, alors une augmentation (une
diminution) de l'impôt sur les salaires réduit (augmente) l'impact de l'investissement actuel sur
les profits courants et l'investissement futur. La distribution des revenus en défaveur des
salaires nuit aux cycles d’investissement. Ainsi, l’augmentation du taux d’impôt sur les
salaires ralentit l'amélioration de l’investissement et réduit le sommet du cycle économique.
L’effet opposé se déroule pendant une phase de récession de l’investissement et lorsqu’on se
situe en fin du cycle économique. Enfin, une augmentation (une diminution) du taux d'impôt
sur les salaires aura tendance à réduire (intensifier) l'amplitude du cycle économique.

En supposant les mêmes hypothèses de départ, les effets de l’impôt sur les profits sur le cycle
économique sont d’un autre ordre. Tout d’abord, cet impôt influence le cycle d’investissement
par le biais du taux de dépréciation tandis que les effets liés à la répartition sont nuls, car la
part des salaires n’est pas directement affectée. Une augmentation (une diminution) du taux
d’impôt sur les profits augmente (diminue) l'impact de l'investissement actuel et du profit
courant sur l'investissement futur via une augmentation (la diminution) dans le taux de
dépréciation.
365
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Ainsi l'augmentation (la diminution) du taux d’impôt sur les profits augmente (réduit)
l'investissement pendant une phase d’amélioration et au sommet du cycle économique.
L'opposé se produit pendant une phase de diminution et en fin du cycle économique. Enfin,
une augmentation (la diminution) dans l’impôt sur les profits intensifie (affaibli) l'amplitude
du cycle économique.

Il est intéressant de souligner que contrairement aux tentatives d’intégration de la fonction de


stabilisation par Diamond (1994) dans le corpus de la TTO, chez les postkeynésiens il semble
qu’il y est une contradiction entre stabilité et efficacité.

Comme nous l’avons déjà montré de nombreuses fois dans l’étude de l’incidence fiscale chez
les postkeynésiens, lorsque les impôts sont répercutés sur le mark-up, les résultats sont
modifiés de façon significative. Ici, la répercussion de l’impôt sur le mark-up rend
indéterminé l’effet de la fiscalité sur le cycle des affaires.

Par exemple, lorsque l’impôt sur les salaires est inversement corrélé au mark-up, alors
l’augmentation de la marge accélère la dépréciation et accroit le niveau des profits. Par
conséquent, la répercussion de l’impôt sur les salaires sur le mark-up a tendance à réduire
l’effet d'une augmentation du taux de salaire sur l'investissement. La répercussion de l’impôt
sur les profits sur le mark-up a un impact négatif sur le niveau des profits et le taux de
dépréciation. Toutefois, une augmentation de l’impôt sur les profits, s’il est répercuté, atténue
l’amplitude du cycle d’affaire.

Laramie et Mair (1996) résument les trois facteurs qui définissent l’impact de la fiscalité sur
le cycle d’affaire :

1- La tendance d’investissement à long terme.


2- La direction de la politique fiscale.
3- Le processus et le degré de la répercussion de la fiscalité.

Dans leur article de 2003, Laramie et Mair souhaite décrire les évolutions de la tendance
d’investissement, du stock de capital et enfin du taux d’utilisation des capacités de production.

À long terme, la fiscalité influence la tendance de l’investissement par le biais de l’équation


suivante :

( )
(23)
366
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Cette expression décrit la tendance de l’investissement à long terme et représente la dérivée


de l’équation d’investissement de Kalecki à long terme. représente l’évolution de la
composante autonome de l’investissement, 42 le coefficient représentant la tendance de
l’investissement issue de l’évolution des profits et regroupant les déterminants de
l’investissement à court terme. La conclusion des auteurs expliquent que le facteur joue
un rôle déterminant dans la tendance d’investissement tout comme le paramètre .

L’évolution du stock de capital s’écrit de la façon suivante :

Avec le taux de croissance de et qui représente toujours le taux de dépréciation au


sens où il correspond aux profits qui sont perdus quand une entreprise n’investit pas dans
nouveaux équipements. Cette équation montre que le système fiscal influence le taux de
croissance du stock de capital via son effet sur et .

Les effets de la fiscalité sur ces deux paramètres peuvent se résumer de la façon suivante. Une
augmentation du taux d’impôt sur les profits qui est répercuté sur le mark-up réduit la part des
salaires. Une augmentation du taux d’impôt sur les salaires qui est répercuté accroit la part des
salaires par la baisse du mark-up. Cependant les effets sur la croissance et l’investissement
restent indéterminé car des effets contradictoires peuvent se produire. Pour Laramie et Mair
(2003), l’impôt sur les profits a un effet positif sur le stock de capital dès lors que la hausse de
cet impôt n’est pas répercutée sur le mark-up. Le multiplicateur de profits sur l’investissement
est fortement réduit dans ce cas. L’effet passe également par le taux de dépréciation mais
lorsque l’impôt sur le profit est répercuté sur le mark-up, alors, comme nous l’avons déjà
signalé précédemment, des effets positifs apparaissent si les travailleurs consomment
l’intégralité de leurs revenus. En résumé, une condition suffisante pour qu’une modification
de l’impôt sur les salaires n’ait pas d’effet sur la tendance d’investissement est cet impôt ne
soit pas répercuté et que les travailleurs n’épargnent pas.

142
prend en compte l’évolution de l’investissement à court terme en y intégrant l’impact de la fiscalité sur la
part des profits, la part des salaires et de la propension à épargner après impôts des salaires.

( )
367
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Les effets de la fiscalité sur le stock de capital sont par contre inversement corrélés au taux de
dépréciation mais positivement avec . L’impôt sur les profits a un effet positif sur
lorsque l’impôt n’est pas répercuté et que les travailleurs n’épargnent pas. Dans le cas
contraire, les effets sont fortement réduits mais toujours positif. L’effet final sur est
compensé par la vitesse à laquelle l'impôt sur les bénéfices augmente le taux de dépréciation.
L’impôt sur les salaires n’a pas de répercussion sur le taux de croissance du stock de capital si
l’impôt n’est pas répercuté. Dans le cas contraire, le multiplicateur de profit décroit ce qui
réduit et donc le taux de croissance du stock de capital. Enfin, face à une augmentation
de l’impôt sur les salaires, le taux de dépréciation augmente ce qui a tendance à réduire le
taux de croissance du stock de capital.

Dans le projet de Kaldor, l’impôt sur la dépense aurait un impact sur la gestion des cycles
économiques qui serait supérieur à un impôt forfaitaire. L’impôt de Kaldor serait en mesure
de réguler les périodes d’inflation et de déflation en faisant varier le taux. Ce type d’impôt
exercerait le même type de contrôle que celui de la fiscalisation des profits en évitant la
création d’une rente improductive. L’impôt sur la dépense possèderait donc des vertus comme
instrument de contrôle. En effet, dans le cas d’un impôt sur le revenu et d’un impôt sur
l’épargne des entreprises, il peut subsister des effets incertains si le revenu et la dépense sont
étroitement liés, comme c’est le cas dans la classe de travailleurs où l’épargne est faible. Par
exemple, en période de récession, la réduction de la charge fiscale permet de conserver un
même niveau de dépenses et de revenu.

3.2.2. Fiscalité, cycles et stabilité du système économique

Dans son article, Bozani (2012) a comme objectif d’évaluer dans quelle mesure un impôt
progressif peut influencer le régime de croissance de l’économie. Sa méthode vise à estimer
les dérivées partielles de chacune des valeurs d'équilibre du modèle de court terme en fonction
du ratio dette sur fonds propres. Pour rappel, Bozani souhaite démontrer dans son modèle que
l’impôt sur le revenu modifie les anticipations des différentes classes de revenus. Il conclue
notamment que la détermination du régime de croissance est déterminée par la relation entre
les propensions à épargner des rentiers et des capitalistes ainsi que l'élasticité aux fonds
propres.
368
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Les modèles kaleckiens établissent un lien positif entre la part salariale et le taux
d’accumulation mais ce lien n’est pas automatique dans les modèles wage-led - profit-led tiré
du modèle de Bhaduri et Marglin (1990), où il dépend de la valeur des paramètres.
L’économie est profit-led ou wage-led143 en fonction de la réaction des différents paramètres
d’équilibre à la part des profits. Dans ces modèles, le taux d’utilisation est endogène et les
capacités productives sont sous-utilisées. À la différence des modèles développés par Kalecki,
une hausse de la part des profits peut être nécessaire pour relancer l’investissement.

Chez Bozani (2012) la politique fiscale a un impact sur l’économie via :

- Les paramètres de la fonction d’épargne et d’investissement.


- Les conditions d’équilibre initiales du ratio dettes sur fonds propres et le
niveau initial du taux d’intérêt initial.
- Les conditions de long terme de stabilité ou d’instabilité.
- L’effet d’un impôt sur le revenu sur les comportements économiques de
chaque classe de revenus.
Le rôle joué par le niveau des fonds propres est négligeable à long terme. Par contre,
l’instabilité se caractérise par la domination de la financiarisation dans l’économie, et par la
distribution inéquitable des revenus au détriment de la classe de production (les capitalistes et
travailleurs). L’impôt progressif vise à introduire une contrainte sur l'activité économique des
rentiers et des capitalistes. L'utilisation de fonds internes affecte l'expansion de
l'investissement, car si on cherche à réduire le rôle des rentiers, alors les capitalistes auront
besoin de davantage de fonds propres pour financer leurs projets.

143
Pour Bhaduri et Marglin (1990), les analyses kaleckiennes n’ont pas intégré les effets dépressifs d’un
accroissement des salaires sur l’activité économique. Pour les auteurs, la fonction d’accumulation kaleckienne
fait apparaître deux fois le taux d’utilisation : au sein du taux de profit et en tant que tel. Par conséquent, les
effets d’une variation du taux d’utilisation seraient surreprésentés. Ainsi, pour les auteurs, une baisse de la part
des profits compensée par un accroissement du taux d’utilisation doit pouvoir aboutir à une accumulation plus
faible, à la différence des modèles kaleckiens. Un accroissement du taux de profit peut être lié soit à une hausse
du taux d’utilisation des capacités productives soit à un accroissement dans la marge de profit. C’est pour cela
qu’ils distinguent dans la fonction d’accumulation le taux d’utilisation de la part des profits. Le modèle repose
ainsi sur l’idée que les entrepreneurs ne réagissent pas à une augmentation du taux de profit de la même façon
selon qu’elle découle d’une hausse du taux d’utilisation (effet accélérateur), ou d’une hausse de la part des
profits (effet profitabilité).
369
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Ainsi, la hausse du taux d'intérêt à court terme, en prenant pour acquis la constance du ratio
dette sur capital, augmente à la fois les niveaux d'accumulation du capital et de l'emploi sur le
long terme car elle incite les rentiers à prêter. Par conséquent, même si à long terme
l'instabilité apparaît, l'activité économique se développe toujours.

L’introduction d’un taux d’impôt sur le revenu supérieur pour les rentiers par rapport aux
capitalistes décrit une volonté de réduire le financement externe de l'activité économique sans
nuire aux opportunités des capitalistes de mettre en œuvre de nouveaux plans
d'investissement. Si le poids des rentiers est réduit, alors les capitalistes comptent sur la
réussite de leurs investissements pour limiter les paiements d’intérêts futurs. Pour autant, face
à cette inégalité fiscale, il est fort possible que la propension à épargner des rentiers augmente
fortement, sans que l’épargne soit indispensable bien qu’elle soit la source de l'octroi de prêts.

À long terme, le niveau initial des propensions à consommer des capitalistes et rentiers
importent peu dans ce modèle, car ce qui importe c’est leurs évolutions. Ainsi, lorsque les
deux propensions à épargner augmentent, on risque d’avoir un « puzzling case » à court
terme. Cela suggère une influence positive des facteurs monétaires sur l'activité économique
qui permet d’assurer la stabilité de long terme et l'expansion économique.

La volonté de réduire le financement externe en augmentant la charge fiscale des rentiers


suppose que, face à une imposition plus faible, les capitalistes réduisent leur propension à
épargner à des niveaux inférieurs à celle des rentiers. Cependant, bien qu’on se trouve à
proximité d’un « normal case », ces conditions peuvent engendrées une instabilité de long
terme. Dans ce cas, ce sont les capitalistes et les travailleurs qui tentent de stabiliser l'activité
économique et d'enrichir sa forme dynamique à l'intérieur144.

Lorsque le poids de l’impôt sur le revenu porte davantage sur les capitalistes que sur les
rentiers, et que les travailleurs ont une charge fiscale faible sur leurs revenus, alors il y aura
une modification de la dynamique à l'intérieur de l'économie.

Les capitalistes devront faire face à la baisse des bénéfices non distribués après impôt sans
qu’ils soient en mesure de compenser cette baisse sur les prix 145.

144
Toutes ces conditions sont réunies sous l'hypothèse que les rentiers gardent leurs paiements d'intérêt
inchangés.
145
Rappelons que comme Kalecki, Bozani assume que les capitalistes calculent leurs profits avant impôts.
370
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Ces derniers seront incités à réduire leur épargne. Un ralentissement économique est possible
en raison d’une diminution des bénéfices non-distribués des capitalistes. Cette baisse des
bénéfices pourrait se répartir sur les travailleurs et les rentiers. Ces derniers voient leurs
revenus après-impôts augmenter mais encore faut-il que leurs décisions de consommation ou
d’investissement soient orientées en faveur de la croissance. C’est donc à l’Etat d’influencer
ces décisions au travers de la politique fiscale ou pas le biais des dépenses publiques (ou
fiscales).

L’évolution des variables économiques dépend également du type de régime de croissance


dans lequel on se situe. Dans le cas où l’économie est dominée par un régime de demande (de
type exhilarationiste), une modification de la part des profits influence l’équilibre du ratio
dette sur fonds propres et donc l’activité économique tout entière. Lorsque la dérivée partielle
du ratio dette sur fonds propres par rapport à la part des profits est positive, alors cela exprime
l’intention des capitalistes d’étendre l’activité malgré la contrainte sur le financement externe.
Par conséquent, malgré la forte croissance économique, les paiements futurs d'intérêts seront
élevés. Il y aurait donc intérêt à encourager les profits pour stimuler la demande, donc à
imposer davantage les rentiers et moins les capitalistes.

Dans le cas où l’économie se caractérise par un régime « stagnationniste », alors toute


augmentation dans la part des profits réduit à long terme le ratio dette sur fonds propres, ce
qui influence positivement les niveaux d'emploi et de croissance. Dans ce cas, la dynamique
interne de l'économie sera alimentée par les profits et le financement externe limité.
L’utilisation des dépenses publiques sont donc indispensables dans le régime
« stagnationniste » pour garantir des taux élevés d’activité économique.

En définitive, l’inégalité de traitement entre les capitalistes et les rentiers créée des conditions
qui peuvent nuire à la mise en œuvre de nouveaux investissements. Pour éviter cela, il faut
que les capitalistes ne réduisent pas leur propension à épargner pour tenter de conserver leur
niveau d’investissement initial. Lorsque la propension à épargner des rentiers reste inchangée
et qu’elle augmente pour les capitalistes, alors c’est un régime dominé par la finance qui
l’emporte. Ceci suggère la présence d’un « normal case » de court terme, mais compatible
avec une instabilité de long terme avec comme conséquence de faire stagner l'activité
économique. Il est donc justifier de ce point de vue que la taxation soit plus forte sur le revenu
des rentiers.
371
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Le cas le plus intéressant à étudier survient lorsque les capitalistes décident de réduire leur
propension à épargner et que les rentiers augmentent la leur afin de conserver leur capacité de
financement de l’économie. Cette décision implique d'abord l'ajustement correspondant des
bénéfices non distribués après-impôts et des revenus d'intérêts pour la consommation et
l'investissement. Dans le modèle de Bozani (2012), le niveau de l'activité économique est
déterminé par l'interaction entre les décisions de ces deux classes sociales.

L’impôt sur la dépense de Kaldor (1955) joue également un rôle en matière d’ajustement
conjoncturel. Pour cet auteur, la mise en œuvre de cet impôt est en mesure de réduire les
pressions déflationnistes. Il souligne deux conditions pour stabiliser l’économie :

1- Les périodes d’excès d’inflation doivent être évitées car elles provoquent un chômage
de masse et la stagnation économique
2- L’augmentation récurrente du déficit budgétaire est à éviter.

Afin d’éviter les excès d’épargne il serait donc préférable d’imposer davantage le capital fixe
et moins les dépenses. Ensuite, il propose que les dépenses exceptionnelles de l’Etat ou les
dépenses d’investissement doivent être retirées du calcul des dépenses de l’Etat car elles
induisent un effet multiplicateur supérieur à 1. Dans une optique conjoncturelle, l’introduction
d’un impôt sur la dépense personnelle ainsi que sur les dépenses en capital permet de
contrôler les périodes d’inflation ou de déflation et d’assurer une certaine préférence dans la
distribution entre la consommation et l’accumulation de capital. Par exemple, l’impôt sur la
dépense en capital est en mesure de stabiliser le niveau actuel de l’investissement privé. On
peut le baisser lorsque l’investissement vient à manquer et l’augmenter pour réguler les
tensions sur le marché des biens. Ce type d’impôt exerce de fait le même type de contrôle que
celui de la fiscalisation des profits et peut également être effectué via la politique monétaire
en faisant varier le taux d’intérêts.

Pour conclure on peut affirmer que l’impôt sur le revenu et l’impôt sur la dépense joue un rôle
à part entière de stabilisateur conjoncturel. Ils ne confinent pas le principe de stabilisation à un
simple ajustement du marché mais comme un élément moteur de la stabilité économique qui
joue en dehors des forces de marchés. En cela, ces analyses contredisent une large littérature
néoclassique qui suppose que les cycles économiques sont régis par des « lois naturelles ».
372
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

3.3. Implications en termes de réformes et de politique fiscale

Au cours ce chapitre, nous avons pu mettre en avant un ensemble d’effets et de mécanismes


de la fiscalité sur les différentes variables macroéconomiques. Cette étude permet de faire
ressortir les grandes lignes de ce que serait les prescriptions de réformes fiscales dans un
cadre postkeynésien :

- Augmenter la taxation des profits


- Baisser la pression fiscale sur les travailleurs.
- Réduire le poids des impôts sur la consommation
- Introduire un barème progressif de l’impôt sur le revenu

Ces prescriptions vont à l’encontre de celles des néoclassiques qui défendent un système
fiscal avec barème linéaire sur les salaires et les ventes. Ils estiment qu’il est nécessaire de
réduire les impôts sur les revenus du capital et d’éviter la double imposition des dividendes
pour encourager l’investissement. Les postkeynésiens s’opposent à ce point de vue, car tant
que les revenus issus de l’exploitation du capital n’alimentent pas la sphère productive, la
création d’une rente est néfaste à la croissance.

Dans le cadre d’une réforme fiscale, une prescription récurrente renvoie au transfert de la
charge fiscale vers les profits même lorsque les entreprises augmentent leurs prix, car les
profits globaux restent inchangés. Cependant, les entreprises prises de façon individuelles ne
sont pas en mesure de percevoir le moindre mal que provoque une hausse de ces impôts et il
est possible qu’elles choisissent de répercuter le fardeau fiscal sur les prix dans tous les cas.

Il est admis pour le courant standard que la baisse de l’impôt sur les profits a des effets
bénéfiques sur la croissance. Au contraire, la plupart des modèles postkeynésiens d’incidence
fiscale montrent que la hausse de l’impôt sur les profits a un effet favorable sur les profits au
niveau agrégé tant que la charge de l’impôt n’est pas répercutée sur les prix. Cet effet positif
est amplifié par la présence des dépenses publiques. Ainsi, une baisse des dépenses publiques
consécutives à une diminution des recettes de l’impôt sur les profits comme le préconise les
néoclassiques engendre un impact récessif sur la part des salaires et donc sur la croissance. La
critique principale à l’encontre de l’impôt sur les bénéfices est son effet présumé de
retardateur des dépenses d’investissements.
373
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Cependant, cet effet dépend de la valeur de la propension marginale à investir les profits. Si
cette propension est supérieure à la propension à épargner les profits, alors les impôts sur les
profits et les marchandises baisseront le niveau de la production. Pour Mott et Slattery (1994),
ce cas est rare et il se passe plutôt l’inverse.

Nous avons observé au cours du chapitre I que l’impôt sur les bénéfices a vu sa part se réduire
dans la structure fiscale des pays développés depuis trois décennies. Il existe évidemment des
subtilités quant à l’évaluation du poids de cet impôt et la comparaison des taux nominaux ne
permet pas de dresser un bilan exhaustif de ces évolutions. L’existence d’un certain nombre
de dépenses fiscales, ou encore les réformes qui ont visé à élargir de l’assiette fiscale qui est
venu compenser la baisse des taux. Chez les postkeynésiens, une augmentation des impôts sur
les profits peut encourager les capitalistes à réduire le montant des salaires pour conserver le
niveau de profit après-impôt inchangé. Or, sur le plan macroéconomique, la baisse de la part
des salaires risque d’avoir des effets négatifs sur l’économie. Les effets des impôts sur les
profits ou les ventes ne sont pas significatifs quand la propension à épargner les salaires est
faible mais l’effet sur la production et les salaires est positif.

Les postkeynésiens n’appliquent pas ce résultat à l’ensemble des entreprises. De fait, ils
distinguent deux types d’entreprises en fonction de leur taille et de leurs contraintes de
liquidité. Une hausse des impôts de profits plus élevés retardent seulement l'investissement
pour des entreprises avec des contraintes de liquidité fortes. Les entreprises « leader » dans un
marché oligopolistiques ne sont pas négativement affecter par une telle hausse, car les
modèles montrent que les profits globaux sont inchangées. Par conséquent, pour les
entreprises avec des niveaux de profits faibles et en contrainte de liquidités, une augmentation
de l’impôt sur les bénéfices peut être couplée à un crédit d’impôt en faveur de
l’investissement pour ne pas les pénaliser.

La notion de « cash-flow » est mise à contribution pour analyser le cas particulier où une
entreprise se trouve face à des contraintes financières. Si les décideurs craignent une baisse de
l’investissement face à la hausse de l’impôt sur les sociétés, alors les postkeynésiens
proposent la création d’un impôt sur les « cash-flows » qui permettrait de sortir de l’assiette
d’imposition des bénéfices les dépenses d’investissement. Les sociétés pourraient ainsi
réduire leur utilisation de dette afin de protéger une partie de leurs profits de l’impôt sans
pénaliser les entreprises qui n'utilisent pas leur marge brute pour autofinancer les
investissements. Ce type d’impôt pourrait encourager l’investissement et aiderait les sociétés
plus petites qui ont davantage de contraintes de liquidités.
374
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Une proposition moins radicale serait de créer un crédit d'impôt d'investissement pour fournir
un allègement fiscal partiel pour des dépenses d'investissement. Néanmoins, l’impôt ne suffit
pas à résorber les inégalités entre les entreprises et une politique monétaire accommodante est
en mesure de réduire ces contraintes.

L’analyse postkeynésienne de l’incidence fiscale montre également que l'impôt sur les
salaires, plus couramment appelé impôt sur le revenu des particuliers, peut financer des
dépenses publiques supplémentaires en évitant de réduire les profits, tant que les variations du
mark-up sont relativement plus importantes que les variations des impôts sur les
marchandises. La réforme fiscale postkeynésienne doit réduire cet impôt en parallèle de la
hausse de l’impôt sur les profits pour encourager une répartition des revenus en faveur des
salaires. Ce résultat fonctionne dans une économie de type kaleckienne où la propension à
investir les profits est supérieure à la propension à épargner des capitalistes. Dans la situation
inverse, c’est-à-dire une économie de type néoclassique avec un poids plus important de la
rente, il vaut mieux réduire le montant des salaires réels. L’analyse kaleckienne préconise
donc la création d’un impôt progressif pour baisser la pression fiscale sur les classes de
revenus ayant une propension à consommer forte et faire porter la charge fiscale sur les
ménages dont le multiplicateur de revenu est plus faible.

Les impôts de type TVA ou sur les marchandises doivent être réduit pour ne pas pénaliser la
consommation et inciter les entreprises à répercuter ce prélèvement sur le mark-up. Il persiste
des effets distincts suivant les comportements des entreprises sur les prix. Par exemple, si la
propension à épargner les profits est supérieure à la propension à investir les profits et que la
propension à épargner les salaires est faible, alors les entreprises augmentent toujours les prix
en réponse à une hausse de la TVA. Sur le plan empirique, le poids de cet impôt a été
fortement augmenté pour assurer le financement des dépenses de l’Etat au cours de ces trois
dernières décennies, sauf aux Etats-Unis. Cette évolution suit les recommandations des
économistes néoclassiques pour qui cet impôt possède des bienfaits sur le plan de la neutralité
fiscale. Dans le cadre Kaleckien, les conséquences d’une telle réforme sont négatives sur la
croissance puisque la part des salaires baisse et réduit l’impact positif de la hausse de l’impôt
sur les profits sur l’investissement.

Les rentiers, en tant qu’acteur et bénéficiaire des intérêts issus des emprunts à direction des
capitalistes ont un rôle nocif dans l’économie. Leur pouvoir de coercition renvoie à la
dépendance de l’emploi et de l’investissement à leurs décisions.
375
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Dans ces conditions, la théorie kaleckienne de l’incidence fiscale préconise d’augmenter la


charge fiscale sur les revenus de cette classe sociale. Les impôts sur les revenus du patrimoine
doivent permettre de financer la baisse des impôts sur les classes productives afin de favoriser
l’activité économique. La question du niveau de cette imposition n’est pas traité par les
postkeynésiens mais comme l’a souligné Kalecki (1944), cette stratégie fiscale risque de se
heurter à des résistances fortes car il persiste la crainte que la taxation érode le capital.
Pourtant, la hausse des inégalités de patrimoine et la baisse des impôts sur ces actifs depuis
une trois décennies démontrent qu’il existe des marges de manœuvre sur ce type de
prélèvement obligatoires sans nuire à la croissance du capital. Enfin, la théorie
postkeynésienne de l’incidence fiscale ne traite pas des impôts sur les successions. Pourtant,
les recettes fiscales sur les droits de successions (donation ou héritage) ont en général diminué
(Arrondel et Masson, 2013). Ils ont même été supprimés dans certains pays comme en Suède,
l’Autriche ou le Portugal. Nous ne ferons pas de prescriptions sur ce type d’impôts mais il
nous semble important de distinguer le patrimoine des particuliers détenu sous la forme
d’entreprises ou de sociétés, de celui détenu sous la forme d’actifs immobiliers ou financiers.
La question de l’existence d’une rente productive ou improductive qui alimente l’économie
réelle se pose pour paramétrer la fiscalité des successions sans mettre en cause la
complémentarité entre équité et efficacité propre aux analyses kaleckiennes de la fiscalité. Il
convient de signaler que la prescription originelle de Kalecki sur l’impôt sur le patrimoine est
surtout valable en économie fermée car la plupart des résistances à ce type de réforme
provient de la réalité de la concurrence fiscale. Sur ce point, la proposition de Piketty (2013)
de créer un impôt mondial progressif sur le patrimoine est une piste de réflexion intéressante
mais pêche par le manque de détail quant à ses modalités et ses possibilités d’application.

La montée de la financiarisation, de la valorisation des flux financiers et de l’immobilier n’ont


pas accru l’investissement. Ceci est la conclusion des études postkeynésiennes qui traite des
effets négatifs de la financiarisation sur l’accumulation du capital en partie. En effet, les
profits distribués aux actionnaires bénéficient aux classes sociales ayant une propension à
consommer plus faible. Cependant la fiscalité n’est pas la seule voie possible pour réduire le
poids des rentiers dans l’économie. La réglementation du secteur financier ou la création
d’une taxe sur les transactions financières font partie des autres outils possibles pour atteindre
cet objectif. La politique fiscale doit donc faire partie d’un ensemble plus large visant à
trouver un agencement et un équilibre optimal entre politique monétaire, budgétaire et fiscale
auxquels il convient d’ajouter un pan juridique afin de créer les dispositions et contraintes
institutionnelles sur la régulation de l’économie et le contrôle de la rente.
376
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

C’est la position de Timbaud et Allègre (2014) pour qui, au lieu d’imposer le capital ex post,
il serait plus judicieux de réduire son poids ex ante en levant les raretés artificielles ou
convenues comme la pénurie de logement ou encore en luttant contre la concentration du
capital immatériel (Google, Apple...) pour éviter que les détenteurs de capitaux exploitent un
rapport de force en leur faveur.

Citons pour terminer le projet d’impôt sur la dépense de Kaldor dont nous avons déjà décrit
les contours au cours de ce chapitre. Pour Kaldor l’efficacité de la politique fiscale dépendra
toujours de la manière dont les impôts seront prélevés. L’impôt sur le revenu possède
beaucoup d’écueils pour Kaldor car il représente une forme inefficace de taxation d’un point
de vue keynésien. En effet, le contribuable est en mesure de réduire sa charge fiscale en
fonction de son niveau de consommation tandis qu’un barème progressif ne pénalise pas les
classes les moins aisées. Le montant du revenu collecté par chaque contribuable aura tendance
à réduire davantage ses dépenses s’il est effectué par un impôt sur le revenu. L’impôt sur le
revenu agit à l’encontre de l’épargne car plus cet impôt sera élevé plus les individus devront
utiliser une partie importante de leur revenu total pour l’acquitter. Par contre, dans le cas d’un
impôt sur la dépense, les différentes incitations à l’épargne et à la dépense ne seront pas
affectées pour un niveau donné de revenu réel ou de consommation.

Il s’exprime en faveur de la progressivité, car en fonction de la distribution de la pression


fiscale entre les différentes classes sociales. Il prend l’exemple des droits de succession. Pour
Kaldor, si on veut lever un million de livres de recettes annuelles sur une classe de
propriétaires, alors cela aura un effet plus faible sur leurs dépenses si l’impôt prend la forme
de droits de successions que la forme d’une augmentation d’un l’impôt sur le revenu. En effet
dans le dernier cas, chaque contribuable est incité à prendre en compte le caractère récurrent
de cet impôt, ce qu’il ne fera pas dans le premier cas. De la même manière, un impôt sur les
gains en capitaux aura un effet inférieur sur les dépenses qu’un impôt équivalent sur les
revenus issus des dividendes. En effet, les gains en capitaux sont une source irrégulière de
recettes, donc il est préférable de favoriser leur épargne plutôt que les formes régulières de
revenus.

Toutefois, son projet se heurte à des difficultés sur le plan pratique. Cela supposerait de fait
que l’Etat et les services fiscaux seraient en mesure de suivre à la trace les flux de transactions
des individus et des entreprises.
377
Chapitre 5 : Les analyses postkeynésiennes de l’incidence fiscale

Il risque donc d’y avoir une immixtion des pouvoirs publics dans la vie personnelle des
contribuables qui menace de nuire aux principes de protection des données personnelles. Le
rapport Meade (1978) avait conclu à la nécessité de supprimer l’impôt sur le revenu et de le
remplacer par un impôt sur la dépense globale. Le revenu de l’individu était définit par la
consommation courante du contribuable, mais les questions d’ordre pratique n’ont pas été
juste là contournée et le projet vite abandonné.
378
Conclusion générale

Conclusion générale

L’enjeu de cette thèse est de proposer une alternative théorique au courant néoclassique dans
l’examen des propriétés macroéconomiques de la fiscalité. Notre analyse fait le pont entre les
modifications de la structure fiscale des pays développés au cours de ces trente dernières
années et les prescriptions issues de la théorie standard. L’approche hétérodoxe des effets de
la fiscalité dans un cadre postkeynésien a été étudiée et les principaux résultats en ont été
soulignés.

Cette démarche s’est appuyée sur une revue de littérature exhaustive des modèles d’incidence
fiscale issus de la théorie standard et postkeynésienne.

Dans un premier temps nous avons décrit les principales évolutions de la structure fiscale
dans les pays développés. Notre échantillon s’est concentré sur quatre pays principaux :
L’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ainsi que sur la moyenne des pays
de l’OCDE. Il existe un certain nombre de méthodes de calcul des ratios fiscaux pour
effectuer des comparaisons internationales. Certaines sont des mesures agrégées, d’autres
décrivent les évolutions de l’impôt sur le plan de son incidence économique. Nous avons fait
le choix de créer une mesure agrégée de la part des impôts portant sur le travail, les bénéfices,
le patrimoine et enfin la consommation. Afin de décrire les évolutions uniquement en terme
de structure et pour tenter de neutraliser les variations du PIB, nous avons surtout interprété
les résultats en proportion des recettes fiscales. Nous avons ensuite confronté ces résultats aux
ratios utilisés par les institutions internationales en termes de taux moyens d’imposition des
revenus et de taux d’imposition implicites.

Il ressort assez clairement que sur ces trente dernières années, le travail a davantage été mis à
contribution que le capital mais que les impôts sur la consommation ont connu une croissance
constante en proportion des recettes fiscales. Il semble dès lors intéressant de relier les
modifications de la structure fiscale aux principes théoriques qui les sous-tendent.

L’examen de la littérature économique, en particulier du courant néoclassique, a démontré


que les évolutions de la structure fiscale dans les pays développés ont suivi les prescriptions
issues de la littérature du courant standard. Nous avons pu ainsi revenir sur les origines
théoriques de l’étude de l’incidence fiscale dans un cadre macroéconomique. Les théories de
379
Conclusion générale

la croissance endogène ont été parmi les premières à évaluer l’impact des différents impôts
sur la croissance et l’investissement. L’émergence de la courbe de Laffer et les études
relatives à la création d’une Flat-tax ont justifié les conclusions suivantes : l’impôt doit être le
plus sur les assiettes mobiles et l’impôt sur la consommation doit être privilégié. Ces théories
ont été utilisées pour justifier les importantes réformes fiscales de ces dernières décennies.

La théorie de l’incidence fiscale standard traite principalement les questions d’incitations. Les
études théoriques, mais surtout empiriques, se sont particulièrement intéressées au lien entre
la fiscalité et l’offre de travail. La TTO a développé les modèles d’incidence fiscale les plus
élaborés. Cette théorie étudie les effets de l’impôt dans un cadre microéconomique basé sur le
principe de la maximisation d’une fonction de bien-être sociale. Elle est souvent utilisée
comme référence dans la théorie des finances publiques moderne. Pourtant elle n’est pas
exempte de critiques au regard de l’analyse des systèmes fiscaux modernes qu’elle propose
(Slemrod, 1990). Dans cette thèse, nous avons étudié comment cette théorie est en mesure
d’évaluer les effets macroéconomiques de la fiscalité. Plusieurs tentatives d’intégration de la
fonction stabilisatrice de l’Etat ont été effectuées dans un ouvrage collectif de 1994. Mirrlees
pose la question du « coût social »des politiques publiques, et utilise un modèle de
« stabilisation optimale » pour évaluer l’impact d’une augmentation des impôts visant à
financer de nouveaux investissements publics après un déséquilibre. Pour sa part, Diamond
revient sur la difficulté que l’on rencontre pour intégrer un troisième critère complémentaire à
l’équité et à l’efficacité dans la détermination de la configuration optimale du système fiscal.
Avec un troisième critère on risque en effet d’aboutir à des effets contradictoires ou à des
indéterminations. C’est d’ailleurs pour cette raison que la plupart des modèles de la taxation
optimale ne traitent que de l’arbitrage entre équité et efficacité.

Dans son article il utilise une « astuce » qui consiste à remplacer le critère d’équité (c’est- à-
dire la redistribution) par la stabilisation de sorte que l’on a toujours deux critères et un
arbitrage entre stabilisation et efficacité. La « stabilisation optimale » est évaluée à partir de la
question de la production de biens publics considérée comme équivalente à la création
d’emplois publics. On peut ainsi traiter de l’arbitrage entre emplois publics et emplois privés.
Mais comme avec le modèle de Mirrlees, les résultats obtenus ne sont pas satisfaisants. La
dépense publique n’a pas d’effet favorable sur la croissance, car les contreparties de celle-ci
ne sont pas prises en compte, ni l’effet multiplicateur de la relance. En fait aucun bouclage
380
Conclusion générale

macroéconomique n’est assuré dans le cadre de ces nouveaux modèles si bien que, chez
Diamond par exemple, ce qui domine est le coût en utilité de la dépense publique, pas l’effet
stabilisateur des emplois créés. Il n’y a donc pas vraiment chez Diamond de règle de décision
sous forme d’arbitrage entre allocation et stabilisation puisque l’efficacité dépend de manière
croissante des emplois privés et la stabilisation des emplois publics qui ont un coût spécifique
en termes d’utilité.

Ces tentatives ont permis de se rendre compte que la filiation de la TTO avec les fonctions de
l’Etat issues de Musgrave (1959) était erronée et marque une limite importante dans la prise
en compte des effets macroéconomiques de la fiscalité. L’étude approfondie des modèles a
confirmé ce résultat puisque les tentatives pour élaborer des modèles de « stabilisation
optimale » dans le cadre de la théorie de la taxation optimale sont confrontées à trois limites
principales (Beleau, 2014) :

Première limite : on ne peut réconcilier les micro-fondations de la taxation optimale


avec la tradition macroéconomique keynésienne. En d’autres termes, on ne peut expliquer les
faits macroéconomiques à partir de la microéconomie de l’impôt sans une profonde révision
méthodologique.

Deuxième limite : le rejet des outils keynésiens revient à réduire la fonction de


stabilisation à une simple correction des défaillances du marché. Ce qui remet en cause la
filiation avec la macroéconomie keynésienne telle que l’entendait Musgrave.

Troisième limite : les théoriciens ont souvent renoncé à traiter dans un même corpus
théorique l’ensemble des problématiques auxquelles un gouvernement doit faire face lorsqu’il
traite de la question fiscale.

De fait, l’intégration de la fonction de stabilisation tout en conservant la méthodologie de la


taxation optimale, a été opérée au prix de fortes simplifications des hypothèses. On observe
notamment que dans ces modèles le rôle de l’État est très réduit.

Notre étude des modèles d’incidence fiscale de la théorie standard a pu souligner son
incapacité à décrire un certain nombre de faits stylisés importants. Au regard de l’influence de
la théorie néoclassique dans les réformes fiscales engagées, il nous a semblé étonnant que les
effets de la fiscalité sur la demande agrégée manquent à l’appel tandis que la question de la
381
Conclusion générale

répartition des revenus n’est pas traitée. Or, les études empiriques de Piketty et al. ont
clairement montré que les inégalités de revenu se sont creusées après les années 1970 pour le
haut de l’échelle des revenus. De plus, l’impact de la financiarisation sur les décisions
d’investissement n’est pas non plus pris en compte.

Les théories standard de l’incidence fiscale se sont donc surtout intéressées au niveau des
prélèvements obligatoires et non à la répartition de la charge fiscale entre les différents types
d’agents ou d’impôts. L’étude des approches postkeynésiennes nous a semblé être un cadre
théorique alternatif viable pour intégrer l’ensemble de ces faits stylisés dans une théorie
macroéconomique de l’incidence fiscale.

Trois principaux courants structurent cette approche.

Le courant cambridgien raisonne en terme de pleine utilisation des capacités de production et


établit un lien positif entre investissement et part des profits. Cependant, la causalité va d’une
hausse de l’investissement à celle de la part des profits, et non l’inverse comme le stipule le
théorème de Schmidt. L’un des intérêts de cette approche réside dans l’introduction de
variables macroéconomiques pour expliquer les variations de la répartition primaire des
revenus, laquelle est déterminée de façon endogène. Kaldor (1966) peut être considéré comme
le fer de lance de ce courant.

Les analyses kaleckiennes reposent quant à elles sur l’hypothèse d’un taux d’utilisation des
capacités de production endogène. La répartition des revenus dépend dans ces modèles du
taux de marge, qui rend compte des rapports de forces et plus particulièrement du pouvoir de
monopole des entreprises. Dans la plupart de ces modèles, le taux de marge est déterminé de
façon exogène. A l’inverse des modèles cambridgiens, un accroissement de la part des profits
engendre dans les modèles kaleckiens, un ralentissement de l’accumulation du capital lié au
recul du taux d’utilisation des capacités productives. Ce résultat repose sur l’hypothèse d’une
propension à épargner supérieure sur les profits par rapport aux salaires.

Les modèles wage-led et profit-led tiré de l’article de Bhaduri er Marglin (1990) n’établit pas
toujours un lien positif entre part salariale et taux d’accumulation. La configuration du régime
de croissance dépend de la valeur des paramètres de la fonction d’investissement, et
notamment sa sensibilité à la profitabilité ou au taux d’utilisation.

Notre revue de la littérature postkeynésienne montre que la politique budgétaire est au cœur
de la fonction de stabilisation de l’Etat mais que la politique fiscale est surtout observée
382
Conclusion générale

comme un outil complémentaire à la politique budgétaire visant à récolter les fonds


nécessaires à la dépense publique. Pourtant, sur le point de la politique budgétaire, les
postkeynésiens répondent à la plupart des critiques émises sur le courant standard et surtout la
TTO. Ils remplissent l’objectif de stabilisation et se rapproche en cela de l’analyse de la
fonction macroéconomique de l’Etat de Musgrave (1959). Ce courant s’oppose à la théorie
standard de l’incidence fiscale sur l’impact des dépenses publiques sur la croissance
économique ainsi que sur les effets de la dette publique sur la répartition. Il donne enfin des
réponses théoriques à la notion d’équivalence ricardienne. L’Etat n’est donc plus un
instrument qui agit en réponse aux défaillances de marché mais il agit à côté de celui-ci pour
permettre au secteur privé d’atteindre la pleine utilisation des capacités de production et se
rapprocher du plein-emploi. Il a un rôle actif sur le plan des dépenses d’investissement ou
pour encourager la consommation des ménages. Pourtant la politique fiscale est la grande
oubliée de l’analyse postkeynésienne car peu d’articles portent sur l’impact macroéconomique
des évolutions de la structure fiscale ou des effets liés à une modification de la base
imposable. La plupart des modèles observent la politique fiscale du côté du montant des
recettes qui financent la dépense publique mais pas du côté la répartition des charges fiscales
entre les différents acteurs de l’économie.

Seuls deux auteurs se sont intéressés à la politique fiscale en tant qu’instrument à part entière
de la politique budgétaire. Il s’agit de Kaldor (1955) et de Kalecki (1937, 1944). Nous avons
donc tenté de décrire les principales pistes de réflexion quant à l’étude des effets
macroéconomiques de la fiscalité dans le cadre postkeynésien. Asimakopulos et Burbidge
(1974), Laramie et Mair (1996, 2000, 2003) et Bozani (2012) ont développé la théorie
kaleckienne de l’incidence fiscale. Pour Kalecki (1944), les décideurs doivent concentrer leur
attention sur les moyens d’atteindre le plein emploi de la main-d'œuvre disponible pour
alimenter la demande de l'économie et poser les conditions appropriées pour maintenir le
niveau souhaité de production.

Pour que ces objectifs soient atteints au moindre coût possible, on pourrait suivre les
suggestions de Kalecki (1944). Dans son article, il y a trois façons d’atteindre le plein emploi:

1- Favoriser des déficits budgétaires soutenus.


2- Stimuler le niveau d'investissement.
3- Redistribuer de façon égalitaire les revenus.
Pour Asimakopulos et Burbidge (1974) et Laramie et Mair (2003), l'approche kaleckienne de
l'impact macroéconomique de la fiscalité dépend de trois facteurs :
383
Conclusion générale

­ La propension marginale à consommer des salaires et des profits.


­ Du montant des dépenses publiques financé par les impôts.
­ La manière dont les entreprises répercutent la fiscalité sur le mark-up des entreprises.
Les questions portant sur l’incidence fiscale sont pensées d’une manière radicalement
différente dans un cadre hétérodoxe. D’une part, les contreparties à la dépense publique
doivent être prises en compte tout comme l’effet multiplicateur. D’autre part, les décisions
d’investissement n’ont pas à être guidées par un objectif de maximisation mais par une prise
en compte des facteurs macroéconomiques tels que les profits attendus, le niveau de la
demande, le taux d’utilisation et l’objectif de plein emploi. Les impôts sur les salaires doivent
être réduits et compensés par une hausse de l’impôt sur les profits mais en tenant compte des
effets de ce dernier sur le facteur innovation et sur l’importance des profits dans les décisions
d’investissement. En effet, si les profits sont réinvestis, alors les effets positifs d’une hausse
de l’impôt sur les sociétés sont réduits. Cependant, dans le cadre d’une économie
financiarisée, les profits redistribués sous forme de dividendes aux actionnaires n’alimentent
pas l’accumulation du capital et réduit la croissance car la propension à consommer des
rentiers est inférieure à celle des travailleurs146.

Les réformes fiscales de ces dernières décennies ont suivi les prescriptions néoclassiques et
ont accru le poids des marchés financiers et le rôle des rentiers dans l’économie. Elles ont
réduits l’imposition des revenus du capital et des rentiers tout en augmentant la part des
impôts sur les salaires et sur la consommation. Les nombreux écueils de la théorie standard
sur la prise en compte des facteurs macroéconomiques amènent à se poser la question du
renouvellement théorique des questions d’incidence fiscale.

Ainsi les auteurs postkeynésiens préconisent l'instauration d'une taxation progressive des
revenus qui n’aura pas comme seule conséquence de réduire les inégalités de revenus, mais
aussi d’orienter le comportement économique des différents acteurs de l’économie de façon
appropriée pour accroitre l’investissement et la croissance. Il est préférable que l'activité
économique se finance sur ses ressources propres pour ne pas être dépendant de la finance
externe et du poids des rentiers. La réalisation de ces objectifs est facilitée par la coordination
de la politique budgétaire et fiscale avec la politique monétaire. Il faut donc se préoccuper du
niveau du taux d’intérêt en fonction de la réalité économique plutôt que s’intéresser aux taux

146
Voir la thèse de Firmin (2008) sur ce point.
384
Conclusion générale

d'intérêts nominaux de sorte à que les problèmes liés à l’inflation soient mis de côté (Sawyer,
2012). Il s’agit ensuite de suivre les prescriptions postkeynésiennes en matière de politique
fiscale.

Les conditions pour que cette politique fonctionne supposent que les travailleurs ne modifient
pas leurs comportements d'épargne et que les capitalistes réagissent fortement à l’impôt afin
de favoriser l'augmentation de l'investissement en ayant des profits à la hausse. Un tel
ensemble de politiques permettrait de réduire les inégalités de revenus et de modifier
l'environnement économique, car les capitalistes n’auraient pas à se préoccuper des variations
de taux d'intérêt ou de la détérioration de leurs dettes.

Les prescriptions de politique fiscale doivent être formulées en tenant compte de l’ensemble
de ces facteurs et du temps nécessaire à leur application. Ainsi, la disponibilité des
instruments de politique et surtout les conditions économiques réelles déterminent à la fois la
réalisation et la cohérence des propositions de réformes. L'utilisation correcte de la politique
fiscale est en mesure de réduire la dépendance des capitalistes aux décisions des rentiers et
permet de rééquilibrer les rapports de force entre les différentes classes sociales, sans nuire
aux à la stabilité économique et à la croissance. Les politiques macroéconomiques doivent
donc être définies en fonction du comportement et des caractéristiques des différents acteurs
de l’économie tout en réduisant le poids des rentiers dans l’économie comme l’a souligné
Bozani (2012) et d’autres études postkeynésiennes sur la financiarisation de l’économie
(Stockhammer, 1999 ; Charles, 2010 ; Hein, 2010).

Le succès mondial des études de Piketty doit nous amener à porter la discussion sur la
création d’un impôt sur le capital visant à réduire le poids de la rente dans l’économie au
profit de la production. Il reste encore à développer une approche macroéconomique de cette
problématique afin de pouvoir évaluer l’impact d’une telle proposition sur la croissance et
l’emploi.

Dans le Capital au XXIème siècle Piketty remet en cause la pertinence de certains outils
néoclassiques comme la loi de Pareto concernant la distribution des revenus individuels,
l’usage de la fonction de production Cobb-Douglas qui implique une stabilité du partage
capital/travail, tout comme « l’illusion de la productivité marginale147 ». Cependant, dans son
analyse théorique il reprend une partie de ces notions pour les besoins de sa démonstration, ce
qui amène Boyer (2013) à se poser les questions d’un tel revirement. Il manque à Piketty la

147
La TTO mobilise particulièrement cette notion pour définir les contours des barèmes optimaux.
385
Conclusion générale

volonté de sortir du paradigme néoclassique afin de pouvoir décrire une théorie mettant en
exergue des relations structurelles entre variables clés pour aller au-delà des équations de
nature comptable. Pourtant, Boyer (2013) estime que cet ouvrage pose les bases d’une
nouvelle approche de la croissance qui mêle les questions de démographie, de changement
technique, de distribution du revenu et des inégalités. Piketty n’apporte pas de réponse à
certaines relations structurelles sur le lien et le sens de causalité entre le ratio capital/revenu et
le taux de profit ainsi qu’entre le taux d’épargne et la part du profit. Il convient donc d’opérer
un changement paradigmatique et de se défaire d’une analyse en terme de caractéristiques
individuelles au profit d’une analyse fondée sur la classe ou le statut social (salariés, rentiers,
propriétaires, entrepreneurs).

La théorie postkeynésienne se pose comme une alternative théorique pour répondre aux
insuffisances de la théorie standard de l’incidence fiscale et pour introduire les relations
causales entre macroéconomie et la question des inégalités et les conséquences économiques
du conflit redistributif entre salaire et profit. Ce champ de recherche touchant à la politique
fiscale a été laissé en jachère par les postkeynésiens, il convient dorénavant de reprendre ces
outils et de les développer afin de renouveler l’étude de l’impact macroéconomique des
réformes fiscales.

Ce renouvellement est d’autant plus nécessaire que dans une période de crise des finances
publiques, l’Etat doit répondre aux problèmes de l’insuffisance des recettes fiscales dans un
contexte de croissance faible et de concurrence fiscale de plus en plus exacerbée. La théorie
postkeynésienne propose des pistes jusque-là inexploitées depuis le tournant néo-libéral des
années 1980. Leurs préconisations font ressortir que la politique fiscale doit être réorientée et
rééquilibrée vers une taxation accrue des revenus issus de la rente improductive. De fait, la
remarquable réduction des inégalités au cours de la deuxième moitié du XXème siècle ne tient
pas pour l’essentiel à la mise en œuvre d’une taxation progressive sur les hauts revenus mais à
la destruction des patrimoines au cours des deux guerres mondiales.

La quasi-suppression de la classe des rentiers au cours de cette période a réduit les inégalités
patrimoniales en rééquilibrant le rapport de force entre salariés et rentiers. Néanmoins, le
mouvement de reconstruction des patrimoines a été possible malgré la mise en œuvre de taux
prohibitifs sur les revenus ou les successions sans pour autant que l’efficacité économique et
la croissance se soit effondrées. L’existence de taux marginaux prohibitifs sur les hauts
revenus doit permettre l’« euthanasie du rentier ». Autrement dit, la progressivité de l’impôt
386
Conclusion générale

doit être restaurée et les impôts sur la consommation diminués pour permettre aux salariés
ayant une propension à consommer forte d’alimenter la demande.

L’impôt sur les profits doit être réajusté pour davantage pénaliser les entreprises s’accaparant
une rente oligopolistique et encourager l’investissement des profits et les entreprises
innovantes.

Enfin la proposition d’un impôt mondial sur le capital est intéressante sur le plan économique
mais elle doit conduire à un consensus sur le plan international et politique. Or, tant que la
théorie économique n’est pas en mesure de démontrer le bien-fondé économique de la lutte
contre la rente accaparée par les 1% et que les relations causales entre inégalités et croissance
ne sont pas démontrées, les décideurs publiques seront difficile à convaincre. Gageons qu’un
renouveau théorique des questions d’incidence fiscale s’appuyant sur la théorie
postkeynésienne sera à même d’orienter les débats sur la politique fiscale.

La tâche s’annonce difficile lorsqu’on observe le manque d’initiative des décideurs publics au
moment de la crise financière de 2008. Les actes ont manqué aux paroles alors qu’un pan
important de l’analyse postkeynésienne avait déjà décrit les méfaits de la financiarisation et
proposés des solutions alternatives pour y répondre.

Le succès mondial des écrits de Piketty peut être le point de départ d’un renouveau de ces
questions. Il ne reste plus qu’à souhaiter que le temps de l’euphorie médiatique laisse enfin
place à une réflexion politique approfondie sur la place du capital dans les économies
modernes.
387
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410
LISTE DES SCHEMAS, GRAPHIQUES, TABLEAUX ET ENCADRES

LISTE DES SCHEMAS, GRAPHIQUES,


TABLEAUX ET ENCADRES

Graphique 1.1 : Structures fiscales des pays de l’OCDE (1975-2007) (en % de recettes
fiscales) p. 45

Graphique 1.2 : Evolution de la dernière tranche d’impôt sur le revenu (1975-2007 p. 46

Graphique 1.3 : Evolutions de la part des impôts sur le travail en % des recettes fiscales
(catégories : 1100, 2000, 3000) p. 48

Graphique 1.4 : Evolutions de la part des impôts sur le travail en % du PIB


(catégories :1100, 2000, 3000)…… p. 49

Graphique 1.5 : Evolutions de la part des impôts sur le revenu des ménages en %
des recettes fiscales (catégories : 1100, 2100, 2300, 4110, 4210,
4300, 5211) p. 50

Graphique 1.6 : Evolutions de la part des impôts sur le revenu des ménages en %
du PIB (catégories : 1100, 2100, 2300, 4110, 4210, 4300, 5211) p. 52

Graphique 1.7 : Evolutions de la part de l’impôt sur les sociétés en %


des recettes fiscales (1965-2010) (catégorie : 1200) p. 54

Graphique 1.8 : Evolutions de la part de l’impôt sur les sociétés en %


du PIB (1965-2010) (catégorie : 1200)… p. 54

Graphique 1.9 : Part des impôts sur le coût du travail en % des recettes fiscales
(catégories : 2300, 3000). p. 55

Graphique 1.10 : Part des impôts sur le coût du travail en % du PIB


(catégories : 2300+3000) p. 56

Graphique 1.11 : Part des impôts sur les autres coûts de production en % des
recettes fiscales (catégories : 4120+4220+5124+5212+5220+6100) p. 57

Graphique 1.12 : Part des impôts sur les autres coûts de production en % PIB
(catégories OCDE : 4120, 4220, 5124, 5212, 5220, 6100) p. 58
411
LISTE DES SCHEMAS, GRAPHIQUES, TABLEAUX ET ENCADRES

Graphique 1.13 : Evolution de la part des impôts sur le patrimoine en % des


recettes fiscales (catégories : 4100, 4200, 4300) p. 60

Graphique 1.14 : Evolution de la part des impôts sur le patrimoine en % du PIB


(catégories : 4100, 4200, 4300) p. 61

Graphique 1.15 : Part des impôts sur les transactions financières en % des
recettes fiscales (catégories 4400) p. 62

Graphique 1.16 : Les Cycles des Marchés Financiers avec leurs pourcentages
de gain et de pertes (1927-2011) p. 63

Graphique 1.17 : Part des impôts sur les transactions financières en %


du PIB (catégorie : 4400) p. 64

Graphique 1.18 : Part des impôts sur la consommation en % des recettes fiscales
(catégories : 5100, 5200) p. 65

Graphique 1.19 : Part des impôts sur la consommation en % du PIB


(catégories : 5100, 5200) p. 66

Graphique 1.20 : Evolution du coin fiscal pour un salaire égal à 67%


(2000-2013) p. 70

Graphique 1.21 : Evolution du coin fiscal pour un salaire égal à 167%


(2000-2013) p. 71

Graphique 1.22 : Evolution du taux moyen d’imposition sur le revenu


pour un salaire égal à 67% p. 72

Graphique 1.23: Evolution du taux moyen d’imposition sur le revenu


pour un salaire égal à 167%. p. 73

Graphique 1.24: Evolution du taux moyen sur le revenu plus les cotisations
sociales pour un salaire égal à 67% p. 74

Graphique 1.25: Evolution du taux moyen sur le revenu plus les cotisations
sociales pour un salaire égal à 167%. p. 75

Graphique 1.26: Evolution des taux d’impositions implicites sur la


consommation (1995-2011) (en %) p. 76

Graphique1.27: Evolution du taux normal de TVA pour l’UE (27) et la zone


Euro p. 77
412
LISTE DES SCHEMAS, GRAPHIQUES, TABLEAUX ET ENCADRES

Graphique 1.28 : Evolution des taux d’impositions implicites sur le travail


(1995-2011) p. 79

Graphique 1.29 : Evolution des taux d’impositions implicites sur le capital


(1995-2011) p. 81

Graphique 1.30 : Evolution des taux d’impositions implicites des sociétés


(échelle de gauche) et évolution du taux de croissance
(échelle de droite) (1995-2011). p. 83

Graphique 1.31 : Evolution des taux d’imposition implicite des revenus


du capital des ménages et de l’activité indépendante
(1995-2011)…. p. 85

Graphique 1.32 : Evolution des taux d’impositions implicites sur les revenus
du capital dans leur ensemble (1995-2011) p. 86

Figure 2.1 : Représentation de la courbe de Laffer (tiré de Théret, Uri 1987) p.100

Tableau 2.1 : Effet d’une réforme fiscal sur le capital et la production p.105

Figure 2.2 : Passage d’une flat-tax, taux moyen, taux marginal p.109

Encadré 2.1 : Evolution du taux d’épargne dans les pays de l’OCDE


depuis les années 1970 p.117

Graphique 2.1 : Evolution du 1% le plus fortuné, Etats-Unis 1916-2000 p.135

Graphique 2.2 : Evolution des revenus moyens déclarés pour différents


fractiles, euros 2006 base 100=1998 p.138

Graphique 2.3 : Evolution du nombre de très riches en France entre


2004 et 2007 p.140

Graphique 2.4 : Evolution des taux effectifs d’imposition pour les différents
fractiles des très hauts revenus (1914-1998) p.143

Graphique 2.5 : Evolution du taux marginal d’imposition et du premier


centile aux Etats-Unis, 1913-2008. p.144

Graphique 2.6 : Variations de la part du 1 % le plus élevé du revenu avant


impôt et les taux marginaux d’imposition depuis 1975 p.146

Graphique 2.7 : Taux d’imposition global en fonction des fractiles de revenu


par le modèle LPS p.150

Graphique 2.8: Variation de l’effort contributif selon le revenu p.152


413
LISTE DES SCHEMAS, GRAPHIQUES, TABLEAUX ET ENCADRES

Graphique 2.9 : Variation de l’effort contributif selon le vingtile de


niveau de vie (année 1994) p.153

Tableau 2.2 : Taux d’imposition économique des différentes sources


de revenus (travail et capital) p.158

Figure 3.1 : La condition de Spence-Mirrlees. p.177

Figure 3.2 : Barèmes optimaux (D’Autume, 2001) p.181

Figure 3.3 : Taux marginaux en France (Bouguignon, Sparado, 2000) p.198

Tableau 5.1 : Les différences sur la politique budgétaire entre


postkeynésiens et kaleckiens p.304

Tableau 5.2 : Effets du financement d’une dépense publique supplémentaire


par une augmentation de l‘impôt sur les profits , sur les biens
ou sur les salaires dans un budget en équilibre, sans répercussion
de l’impôt sur les prix p.323

Tableau 5.3 : Synthèse des principaux modèles d’incidence fiscale postkeynésien p.360
Table des matières

INTRODUCTION GENERALE ............................................................................... 7

1. POSTKEYNESIEN ET ORTHODOXIE : POSITIONNEMENT THEORIQUE ....................................... 7


2. LA THEORIE POSTKEYNESIENNE COMME « ANTIDOTE A LA PENSEE UNIQUE ........................ 12
3. LES DEBATS AUTOUR DE LA NOTION D’EQUITE ET D’EFFICACITE : BREF RETOUR HISTORIQUE
SUR LA THEORIE DE LA FISCALITE............................................................................................. 14
4. LA REVOLUTION DES ANNEES 1970 TEND A IMPOSER L’ORTHODOXIE DANS LES QUESTIONS DE
L’INCIDENCE FISCALE ............................................................................................................. 16
5. L’HETERODOXIE ET LE RENOUVELLEMENT DES THEORIES DE L’INCIDENCE FISCALE ........... 21
6. PROBLEMATIQUE DE LA THESE ......................................................................................... 23
7. PLAN DE THESE ............................................................................................................... 24

CHAPITRE 1 : EVOLUTION DE LA STRUCTURE FISCALE POUR


LES PAYS DE L’OCDE, L’ALLEMAGNE, LA FRANCE, LE
ROYAUME-UNI ET LES ETATS-UNIS ....................................................... 27

1. LES METHODES DE MESURE DES STRUCTURES FISCALES : DEFINITIONS ET LIMITES ........ 29

1.1. Définition des prélèvements obligatoires et calcul des ratios fiscaux ................... 29
1.2. La méthodologie des taux implicites de Mendoza, Razin et Tesar (1994) ............. 33
1.3. La méthode en fonction de l’incidence économique des prélèvements (Hugounenq,
le Cacheux et Madies, 1999 ; Monnier, 2000).................................................................. 37
1.4. Une méthodologie de la structure fiscale au niveau agrégé .................................. 40

2. EVOLUTION DE LA STRUCTURE FISCALE DES PAYS CONSIDERES ..................................... 42

2.1. Evolutions générales .............................................................................................. 43


2.2. Evolutions des impôts sur le travail et le revenu des individus (1965-2010) ........ 47
2.3. Evolutions des impôts sur les entreprises et sur les coûts (1965-2010) ................ 52
2.4. Evolutions des impôts sur le patrimoine (1965-2010) ........................................... 58
2.5. Evolution Impôts sur les Biens de consommations (1965-2010) ........................... 64
415
Table des matières
3. EVOLUTION DES TAUX MOYENS EFFECTIFS ET IMPLICITES .............................................. 66
3.1. Evolution des taux moyen effectifs sur les revenus (OCDE) ................................. 68
3.2. Evolution des taux d’impositions implicites sur le travail, la consommation et le
capital ............................................................................................................................... 75

4. CONCLUSION : EVOLUTION DES STRUCTURES FISCALES ET PRESCRIPTIONS DES


INSTITUTIONS INTERNATIONALES .......................................................................................... 87

CHAPITRE 2 : FONDEMENTS THEORIQUES DES REFORMES.


PRESENTATION DE LA THEORIE DE L’INCIDENCE FISCALE CHEZ
LES NEOCLASSIQUES .................................................................................. 92

1. LA THEORIE MACROECONOMIQUE STANDARD DE L’INCIDENCE FISCALE ........................ 95

1.1. Fiscalité et modèles macroéconomiques orthodoxes ............................................. 95


1.2. La courbe de Laffer ................................................................................................ 98
1.3. Flat-tax contre impôt progressif .......................................................................... 103
1.4. Les avantages des impôts sur la consommation .................................................. 106

2. FISCALITE, EFFETS D’OFFRES ET REGULATION CONCURRENTIELLE ............................... 108

2.1. Fiscalité et lutte contre le chômage ..................................................................... 108


2.2. La baisse des prélèvements obligatoires et son lien avec la baisse des dépenses
publiques ......................................................................................................................... 113

3. FISCALITE, EPARGNE ET INVESTISSEMENT .................................................................... 116

3.1. L’impact de la fiscalité sur l’épargne .................................................................. 116


3.2. L’impact de l’impôt sur les sociétés ..................................................................... 122
3.3. L’impact de la fiscalité sur l’innovation .............................................................. 125
3.4. Fiscalité et bien être ............................................................................................. 127

4. ANALYSE ET CRITIQUES DES REFORMES FISCALES DU POINT DE VUE HETERODOXE : LES


FAITS STYLISES NON-RESOLUS PAR LA THEORIE STANDARD ................................................. 130

4.1. Le débat entre néo-classique et keynésiens sur la baisse de la pression fiscale . 130
4.2. Fiscalité et évolution des très hauts revenus ....................................................... 134
416
Table des matières
4.3. L’influence de la structure fiscale sur la répartition de la valeur ajoutée .......... 154
4.4. Le phénomène de financiarisation expliqué par la théorie postkeynésienne ...... 159

CONCLUSION .................................................................................................................. 163

CHAPITRE 3 : THEORIE DE LA TAXATION OPTIMALE ET


POLITIQUE DE STABILISATION : UNE INCOMPATIBILITE
THEORIQUE .................................................................................................. 164

1. PRESENTATION ANALYTIQUE DE LA THEORIE DE LA TAXATION OPTIMALE ................. 167

1.1. La formalisation de la taxation indirecte (Ramsey, 1927) .................................. 167


1.2. La théorie de la taxation optimale ou la détermination d’un système fiscal optimal
171
1.3. Les principaux résultats normatifs de la théorie de la taxation optimale ........... 180

2. LA FILIATION DE LA THEORIE DE LA TAXATION OPTIMALE AVEC L’ŒUVRE DE MUSGRAVE


183

2.1. Une filiation tronquée avec Musgrave (1959 ; 1999) : Références historiques .. 185
2.2. Une filiation tronquée avec Musgrave (1959 ;1999) : Références théoriques .... 188

3. LES LIMITES D’UNE METHODOLOGIE CENTREE SUR LES EFFETS D’OFFRES .................... 190

3.1. Les hypothèses sur l’offre de travail et les limites d’une analyse liée à la
productivité individuelle ................................................................................................. 191
3.2. La primauté des effets d’offres ............................................................................. 195
3.3. Remise en cause des barèmes optimaux .............................................................. 197
3.4. Des limites d’ordre conceptuelles quant à la notion d’équité et au recouvrement
de l’impôt ........................................................................................................................ 199

4. LES LIMITES DU POINT DE VUE DE LA PRISE EN COMPTE DES EFFETS MACROECONOMIQUES


DE LA POLITIQUE FISCALE .................................................................................................... 208

4.1. L’absence du département stabilisation .............................................................. 208


4.2. Les tentatives d’intégration d’un département stabilisation ............................... 211
4.3. Politique de stabilisation optimale et intervention publique (TSO) .................... 218
417
Table des matières
4.4. Implications théoriques sur le rôle et la place de l’Etat ...................................... 223

5. L’APPROCHE HETERODOXE EN REPONSE AUX INSUFFISANCES DE LA THEORIE DE LA


TAXATION OPTIMALE. .......................................................................................................... 227

5.1. Les difficultés méthodologiques de la taxation optimale d’un point de vue de la


prise en compte des effets macroéconomiques ............................................................... 227
5.2. Une macroéconomie basée sur une vision néoclassique ..................................... 230
5.3. La théorie standard ne rend pas compte des effets macroéconomiques de la
redistribution du revenu. ................................................................................................. 233

CONCLUSION ....................................................................................................................... 240

CHAPITRE 4 : LE PARADIGME POSTKEYNESIEN EN REPONSE


AUX LIMITES DE LA THEORIE STANDARD ........................................ 242

1. LES DETERMINANTS DE LA REPARTITION DES REVENUS DANS LES MODELES


POSTKEYNESIENS (KALECKI 1937, 1944, KALDOR 1956, PASINETTI 1962) ......................... 244

1.1. Les modèles postkeynésiens : Une critique à l’encontre des néoclassiques sur les
déterminants de la croissance ......................................................................................... 244
1.2. Les débats autour du budget de l’Etat dans l’approche kaledorienne et dans le
modèle de Pasinetti ......................................................................................................... 252
1.3. La répartition du revenu chez Kalecki ................................................................. 256
1.4. Les modèles wage-led et profit-led ...................................................................... 266

2. LES DEBATS SUR LE ROLE DE LA POLITIQUE BUDGETAIRE ENTRE KEYNESIENS ET NEO-


CLASSIQUES ......................................................................................................................... 269

2.1. Le débat entre la finance « fonctionnelle » et la finance « sourde » ................... 270


2.2. Le débat sur la dette publique .............................................................................. 274

3. LA POLITIQUE BUDGETAIRE ET LE ROLE REDUIT DE LA POLITIQUE FISCALE CHEZ LES


POSTKEYNESIENS................................................................................................................. 285

3.1. Dette et dépenses publiques ................................................................................. 285


3.2. Dette et effets de répartition ................................................................................ 287
418
Table des matières
3.3. L’Etat en tant qu’employeur de dernier recours : le point de vue Néo-chartalistes
291

CONCLUSION .................................................................................................................. 294

CHAPITRE 5 : LES ANALYSES POSTKEYNESIENNES DE


L’INCIDENCE FISCALE .............................................................................. 295

1. AUX ORIGINES DE LA THEORIE POSTKEYNESIENNE DE LA FISCALITE ............................ 297

1.1. L’apport de Keynes et Kalecki ............................................................................. 297


1.2. Les propositions pratiques de Kalecki sur le système fiscal ................................ 300
1.3. Kaldor et l’impôt sur la dépense .......................................................................... 307

2. ANALYSE DES FACTEURS D’INCIDENCES FISCAUX ........................................................ 319

2.1. Fiscalité et dépenses publiques ............................................................................ 319


2.2. Fiscalité et répartition des revenus ...................................................................... 325
2.3. Fiscalité et comportements individuels ................................................................ 330
2.4. Fiscalité et investissement.................................................................................... 341

3. LES PERSPECTIVES DE REFORMES FISCALES .................................................................. 351

3.1. Synthèse sur la théorie de l’incidence fiscale chez les postkeynésiens ................ 352
3.2. Fiscalité et cycles économiques ........................................................................... 362
3.3. Implications en termes de réformes et de politique fiscale .................................. 372

CONCLUSION GENERALE ........................................................................ 378


BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................... 387
LISTE DES SCHEMAS, GRAPHIQUES, TABLEAUX ET ENCADRES
........................................................................................................................... 410

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