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Aurélien Evrard
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Résumé – Alors que les énergies renouvelables apparaissent souvent comme un sujet
consensuel, cet article souligne que leur développement s’inscrit au départ dans une
dynamique conflictuelle, puisqu’il vise à transformer radicalement les systèmes énergé-
tiques conventionnels et tout particulièrement celui de l’électricité. Conceptualisant les
énergies renouvelables comme une « alternative de politique publique », l’article en dégage
les principaux points de conflit avec le secteur électrique. Il montre cependant que cette
alternative, loin de parvenir à déstabiliser les logiques sectorielles, semble plutôt avoir été
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1. A. Evrard, Contre vents et marées. Politiques des énergies renouvelables, Presses de Sciences
Po, Paris, 2013.
2. P. Muller, « Secteur », dans L. Boussaguet, S. Jacquot et P. Ravinet (dir.), Dictionnaire des politi-
ques publiques, 3e éd., Presses de Sciences Po, Paris, 2010, p. 591.
3. M. Grawitz, J. Leca et J.-C. Thoenig, « Les politiques publiques », dans M. Grawitz et J. Leca
(dir.), Traité de science politique, t. 4, PUF, Paris, 1985.
4. C. Halpern, P. Le Galès et P. Lascoumes, Instrumentation de l’action publique, Presses de
Sciences Po, Paris, 2014.
5. N. Carter, The Politics of the Environment. Ideas, Activism, Policy, Cambridge University Press,
Cambridge, 2007 ; P. Lascoumes, Action publique et environnement, PUF, Paris, 2012.
6. P. Lascoumes, « Les politiques environnementales », dans O. Borraz et V. Guiraudon (dir.),
Politiques publiques 1, Presses de Sciences Po, Paris, 2008, p. 53.
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dans la gestion d’un problème de politique publique 11 ». Trop focalisée sur les
acteurs – et par la même occasion trop proche de celle de réseau –, cette défi-
nition ne rend pas assez compte d’une dimension essentielle du sous-système :
le maintien d’une stabilité, voire d’un certain ordre, dans la société.
Dans le champ des politiques publiques, la notion de secteur semble davan-
tage remplir cette fonction, puisqu’elle met plus en lumière les processus d’ins-
titutionnalisation ainsi que l’activité de codage du réel 12. On peut alors défi-
nir un secteur d’action publique comme « une structuration verticale de rôles
sociaux (en général professionnels) qui fixent des règles de fonctionnement,
d’élaboration de normes et de valeurs spécifiques, de sélection des élites et de
délimitation de frontières 13 ». Cette fonction de structuration s’organise autour
de trois dimensions, qui forment les trois composantes d’un secteur d’ac-
tion publique : 1) une dimension sociale, c’est-à-dire un ensemble d’acteurs,
identifiés ou dispersés, exprimant des intérêts spécifiques ; 2) une dimension
institutionnelle, c’est-à-dire des structures et organisations qui donnent de la
consistance aux relations entre les acteurs, tout en figeant les configurations
du pouvoir ; 3) une dimension cognitive et normative, qui inclut une vision
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11. P. Sabatier et H. Jenkins-Smith (dir.), Policy Change and Learning. An Advocacy Coalition
Framework, Westview Press, Boulder, 1993, p. 24.
12. P. Muller, « Esquisse d’une théorie du changement dans l’action publique. Structures, acteurs et
cadres cognitifs », Revue française de science politique, vol. 55, n° 1, 2005, p. 155-187.
13. P. Muller, « Secteur », art. cit., p. 593.
14. L. Boussaguet, S. Jacquot et P. Ravinet, « À quoi sert la notion de secteur ? », communication au
pôle Action publique, CEVIPOF, Paris, 7 avril 2004, p. 5.
15. L. Lindberg, The Energy Syndrome, Lexington Books, Lexington, 1977.
16. Le terme utilisé en anglais est utility owned power plant.
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17. N. Lucas, Western European Energy Policies. A Comparative Study of the Influence of Institu-
tional Structure on Technical Change, Clarendon Press, Oxford, 1985.
18. Les neuf compagnies interrégionales allemandes ont progressivement connu un processus de
concentration et ne sont aujourd’hui plus que quatre à dominer le marché électrique national : E.ON,
RWE, EnBW et Vattenfall.
19. Au Danemark, les concentrations successives ont donné naissance à un opérateur dominant :
Dong Energy.
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20. H. Durand, « Les énergies redécouvertes : l’énergie solaire, l’énergie éolienne et l’énergie de
la biomasse », dans M. de Perrot (dir.), Énergie et société. Le choix des énergies et ses implications
socio-économiques (Paris, 16-18 septembre 1981), Pergamon Press, Paris/New York/Oxford, 1982,
p. 129-142.
21. À l’inverse de la traduction française, le terme anglais subculture ne comporte pas de connota-
tion péjorative. Dans les sciences sociales anglophones, il fait référence à « des groupes de personnes
qui sont représentés ou qui se représentent eux-mêmes comme distincts des valeurs sociales normati-
ves dominantes, à travers leurs pratiques et leurs intérêts particuliers, à travers ce qu’ils sont, ce qu’ils
font et où ils le font » (K. Gelder (dir.), The Subcultures Reader, Routledge, New York, 1997, p. 1).
22. Pour une présentation plus détaillée de ces dynamiques, voir A. Evrard, Contre vents et marées,
op. cit., chap. 4.
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23. A. Lovins, Soft Energy Paths. Towards a Durable Peace, Harper Colophon Books, New York,
1977.
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Alternative
Secteur de l’électricité
« énergies renouvelables »
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24. J. Byrne et N. Toly, « Energy as a Social Project. Recovering a Discourse », dans J. Byrne,
N. Toly et L. Glover (dir.), Transforming Power. Energy, Environment, and Society in Conflict,
Transaction Publishers, New Brunswick/Londres, 2006, p. 12.
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évolution des pionniers de cette alternative, tels qu’Amory Lovins. Alors que
celui-ci apparaissait dans les années 1970 comme le principal défenseur du
discours selon lequel small is beautiful, il obtient en 2002 la récompense du
« Livre de l’année » par le journal The Economist pour l’ouvrage qu’il a dirigé,
intitulé Small is Profitable 28. Ce changement accompagne une évolution plus
structurelle encore, c’est-à-dire l’implication de nouveaux acteurs dans le
développement de filières telles que l’éolien. En effet, les industries éolienne
et solaire sont désormais portées par des acteurs économiques très profes-
sionnalisés, voire par les grandes compagnies d’électricité elles-mêmes. En
Allemagne, les grandes formations politiques se sont emparées de cet enjeu, à
l’image du gouvernement conservateur conduit par Angela Merkel. Le constat
vaut également pour le Danemark et, dans une moindre mesure, la France.
Dans tous les cas, les acteurs des ENR sont de moins en moins des militants,
et ces derniers expriment parfois le sentiment d’être dépossédés de leur sujet
d’activisme. L’une des conséquences de cette évolution est le découplage entre
les objectifs d’économies d’énergie et ceux du développement des ENR. Les
industries éolienne et solaire agissent avant tout selon des rationalités écono-
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28. A. Lovins et al., Small is Profitable. The Hidden Economic Benefits of Making Electrical
Resources the Right Size, Rocky Mountain Institute, Snowmass, 2002.
29. J. Byrne et N. Toly, art. cit., p. 14.
30. J. Szarka, Wind Power in Europe. Politics, Business and Society, Basingstoke, Palgrave, 2007,
p. 36.
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