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(Oral ESCP)
Pour une évocation des incidences sur l’espérance de vie aux Etats Unis, cf Anne Case et Angus Deaton, «
United states of despair », 15 juin 2020. Traduit par Martin Anota
Taxer les robots, une fausse bonne idée ?
L’automatisation détruit-elle l’emploi ? Pour tenter de répondre à cette question, nous utilisons
des données d’entreprises issues du secteur industriel français sur la période 1994-2015. Nous
parvenons à la conclusion suivante : l'impact de l'automatisation sur l'emploi est positif, il est
même croissant au cours du temps, et concerne tous les types d’emplois, des plus qualifiés aux
moins qualifiés. Autrement dit, au sein d’une usine ou d’une entreprise, l’automatisation crée
davantage d’emplois qu’elle n’en détruit. A la lumière de ces résultats, taxer les robots apparaît
comme une fausse bonne idée : cela risque de saper la compétitivité des entreprises, et
d’entraîner une baisse de l’emploi en France.
La crainte de voir les machines remplacer les humains est très ancienne. Dès 1589, lorsque l’Anglais
William Lee invente la machine à tricoter, il est confronté à l’hostilité de la population ouvrière,
et au refus de la reine Elizabeth Ire de lui délivrer un brevet. Cette dernière redoute en effet que
cette nouvelle machine ne réduise ses sujets au chômage et ne les précipite dans la misère. La
méfiance vis-à-vis du progrès technique a perduré, et a ressurgi avec force au moment de la
généralisation du métier à tisser, en 1811-1812, donnant lieu à la révolte des luddites. Les artisans du
textile, ayant pour chef de file Ned Ludd, se sont violemment opposés aux manufacturiers qui
souhaitaient mécaniser leur processus de production en détruisant les métiers à tisser, et cette
insurrection a fini par être réprimée dans le sang. Par la suite, dans les années 1920-1930, eut lieu la
deuxième révolution industrielle, avec l’invention de l’électricité, à l’occasion de laquelle Keynes lui-
même prévoyait l’apparition du chômage technologique et du chômage de masse. Pourtant, l’emploi a
de nouveau tenu bon.
Aujourd’hui, avec la double révolution des TIC (Technologies de l’Information et de la
Communication) et de l’intelligence artificielle, les craintes de hausse du chômage sont décuplées,
dans la mesure où cette révolution permet l’automatisation de tâches toujours plus nombreuses et plus
complexes: consultations médicales, conduite de voiture, conseil à la clientèle… Certaines études
alarmistes comme celle de Frey et Osborne (2017), qui annonçait que 47% des emplois américains
seraient fortement menacés dans les dix années à venir, ont alimenté ces craintes. D’où l’idée émise
par certains de la nécessité de taxer les robots.
Dans une étude récente (Aghion, Antonin, Bunel et Jaravel, 2020), nous examinons le lien entre
automatisation et emploi, à partir de données d’entreprises et d’usines qui couvrent l’ensemble du
secteur industriel français sur une période de 20 ans (1994-2015). L’automatisation des usines est
appréhendée à partir de plusieurs mesures, sur la base des registres comptables et de la consommation
électrique des moteurs utilisés dans la chaîne de production. Les conclusions sont sans appel : quelle
que soit la mesure utilisée, l'impact de l'automatisation sur l'emploi est positif, et croît même au cours
du temps. Ainsi, une augmentation de 1 % de l’automatisation dans une usine augmente l’emploi de
0,25 % au bout de 2 ans et de 0,4 % au bout de 10 ans (figure 1). Cet effet demeure positif quel que
soit le type d’emploi, qualifié ou non. Autrement dit, l’automatisation crée davantage d’emplois dans
l’usine qu’elle n’en détruit, contrairement aux idées reçues. D’autres études parviennent aux mêmes
conclusions dans d’autres pays, notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Espagne, le Canada, et
les pays scandinaves.
Figure 1 : Impact de la variation de l’automatisation sur la variation de l’emploi au niveau de l’usine
(Source : Aghion, Antonin, Bunel et Jaravel (2020))
Cette relation positive entre automatisation et emploi au niveau de chaque usine s’explique par
l’effet de productivité accrue des entreprises qui automatisent davantage leur processus de
production. Cet avantage technologique leur permet de gagner des parts de marché car ces
entreprises offrent un meilleur rapport qualité-prix que leurs concurrentes. Ce gain en parts de
marché les conduit à opérer à plus grande échelle, et donc à embaucher. L’automatisation n’est
donc pas en soi l’ennemie de l’emploi. En permettant une modernisation de l’appareil productif, elle
rend les entreprises plus compétitives, ce qui leur permet d’acquérir de nouveaux marchés et par suite
de recruter de nouveaux salariés, tout en contribuant à augmenter le pouvoir d’achat des
consommateurs. Le cas de l’Allemagne est emblématique : l’adoption de robots y est plus
fréquente, l’emploi industriel plus élevé, et le chômage plus faible.
Taxer les robots en France serait donc un pari risqué. Cela saperait la compétitivité de nos entreprises,
au bénéfice de leurs concurrentes qui robotisent à l’étranger : en résulterait vraisemblablement une
baisse de l’emploi en France.
Référence :
P. Aghion, C. Antonin, S. Bunel et X. Jaravel (2020), « What Are the Labor and Product Market
Effects of Automation? New Evidence from France ». Centre for Economic Policy Research, DP
14443.
Les Etats-Unis du désespoir
« Bien avant qu’éclate l’épidémie de Covid-19, il y avait une autre épidémie qui sévissait aux
Etats-Unis, tuant plus d’Américains en 2018 que le coronavirus n’en a tués jusqu’à présent. Le
nombre annuel de "morts de désespoir" (deaths of despair), c'est-à-dire des décès liés aux
suicides, aux maladies du foie liées à l’alcool et aux overdoses de drogue, a rapidement
augmenté depuis le milieu des années 1990, en passant d’environ 65.000 en 1995 à 158.000 en
2018.
La hausse du nombre de morts de cette autre épidémie concerne presque entièrement les
Américains qui n’ont pas obtenu de diplôme universitaire d’un cycle de quatre ans. Alors que les
taux de mortalité globaux ont chuté pour ceux ayant un tel niveau de diplôme, ils ont augmenté pour
les Américains les moins diplômés. L’espérance de vie à la naissance pour tous les Américains a
chuté entre 2014 et 2017. Il s’agissait de la première chute de l’espérance de vie sur trois ans depuis la
pandémie de grippe espagnole de 1918-1919 ; avec deux pandémies qui sont à présent en cours,
l’espérance de vie est susceptible de chuter à nouveau.
Derrière ces chiffres de mortalité, il y a également de sombres données économiques. Comme
nous le montrons dans notre livre, les salaires réels (c’est-à-dire ajustés en fonction de
l’inflation) pour les hommes sans diplôme universitaire ont chuté pendant cinquante ans.
Parallèlement, la prime de rémunération des diplômés de l’université relativement aux non-
diplômés a augmenté et s'élève à présent à 80 %. Avec les Américains les moins diplômés ayant de
moins en moins de chances d’avoir un emploi, la part d’hommes d’âge intermédiaire dans la vie
active a eu tendance à diminuer ces dernières décennies, tout comme le taux d’activité des femmes
depuis 2000. Les diplômés se démarquent de la majorité moins diplômée non seulement en termes de
diplôme, mais aussi en termes sanitaires. La souffrance, la solitude et le handicap sont devenus plus
courants parmi les non-diplômés.
Voilà le portrait des Etats-Unis à la veille de la pandémie de Covid-19. A présent, le virus a
nouvellement exposé les inégalités préexistantes.
Par le passé, les pandémies ont pu réduire les inégalités. La Peste noire a tué tellement de monde
dans l’Europe du quatorzième siècle qu’elle provoqua une pénurie de main-d’œuvre, ce qui améliora
le pouvoir de négociation des travailleurs. Plus tard, au dix-neuvième siècle, l’épidémie de choléra a
inspiré la théorie des germes, traçant la voie à l’allongement moderne de la longévité, tout d’abord
dans les pays riches et, après la Seconde Guerre mondiale, dans le reste du monde. Une grande
divergence dans les espérances de vie à travers le monde a conduit à leur grande convergence.
Mais les Etats-Unis connaissent une grande divergence sur leur territoire depuis deux
générations et l’épidémie de Covid-19 promet de creuser les amples inégalités de santé et de
revenu dans le pays. Les effets du virus dépendent du niveau de diplôme, parce que les plus
diplômés sont les plus susceptibles de continuer de travailler et, en l’occurrence, de le faire chez eux.
A moins qu’ils ne soient parmi les travailleurs très éduqués dans la santé ou d’autres secteurs sur le
front, ils peuvent se reposer et voir les marchés boursiers propulser la valeur de leurs fonds de pension
à des niveaux toujours plus élevés.
A l’inverse, les deux tiers des travailleurs qui n’ont pas de diplôme universitaire d’un cycle de quatre
ans sont soit non essentiels et donc risquent de perdre leurs rémunérations, soit essentiels et donc
risquent d’être contaminés. Alors que les diplômés de l’université ont largement été capables de
sauver leur santé et leur richesse, les travailleurs moins diplômés risquent de perdre soit l’un, soit
l’autre.
Pour cette raison, les écarts de revenu et de longévité que cette tendance dans les morts de désespoir a
révélés se creusent maintenant davantage. Mais alors que les blancs les moins diplômés ont supporté
l’essentiel de la première épidémie, les Afro-Américains et les hispaniques ont été
disproportionnellement tués par l’épidémie de Covid-19. Par conséquent, la convergence des taux de
mortalité des blancs et des noirs s'est stoppée.
Il y a plusieurs raisons susceptibles d’expliquer ces disparités raciales, notamment la ségrégation
résidentielle, le surpeuplement et les trajets domicile-travail. Si ces facteurs ont joué un rôle important
à New York, ils ne l’ont pas forcément fait ailleurs. Dans le New Jersey, par exemple, ni les Afro-
Américains, ni les hispaniques n’ont connu de taux de mortalité disproportionnellement élevés.
Le système de santé onéreux des Etats-Unis va continuer d’aggraver les effets de la pandémie.
Beaucoup parmi les dizaines de millions d’Américains qui ont perdu leur emploi ce printemps
ont aussi perdu par la même occasion leur assurance-santé et beaucoup ne seront pas capables
d'en retrouver une autre.
Alors qu’aucune personne présentant les symptômes du coronavirus ne s’est vue refuser un
traitement, certains non-assurés peuvent ne pas l’avoir cherché. Lors de la rédaction de cette tribune,
on enregistrait aux Etats-Unis plus de 113.000 décès liés au coronavirus et plus de 200.000
hospitalisations, si bien que beaucoup se retrouveront avec des factures de soins qu’ils ne pourront pas
payer (même pour beaucoup ayant une assurance) et qui ruineront leur crédit pour la vie. Le
gouvernement fédéral a donné des milliards de dollars aux compagnies pharmaceutiques pour
développer un vaccin et, sous la pression des lobbyistes, il n’a pas exigé de conditions sur les prix en
contrepartie, ni imposé de garanties publiques sur les brevets.
En outre, la pandémie alimente davantage la consolidation sectorielle en favorisant les géants du e-
commerce déjà dominants au détriment des firmes classiques en difficulté. La part du travail dans le
PIB, que l’on a longtemps cru comme immuablement constante, a chuté ces dernières années et le
pouvoir de marché sur les marchés des produits et du travail peut en être une raison. Si le taux de
chômage reste élevé ces prochaines années, le rapport de force entre le travail et le capital basculera
davantage en faveur de ce dernier, entraînant des conséquences inverses à celles de l'épidémie de
peste et justifiant l’optimisme des marchés boursiers face à la catastrophe.
Cela dit, nous ne croyons pas que l’économie post-Covid provoquera une flambée de morts de
désespoir. La cause fondamentale de cette épidémie, comme le suggère notre analyse, n’a pas été les
fluctuations économiques, mais plutôt la dégradation à long terme du mode de vie des blancs des
classes laborieuses. Le nombre de morts de désespoir augmentait avant la crise financière et la Grande
Récession de 2008, événement au cours duquel le taux de chômage américain grimpa de 4,5 % à 10
%, et il continua d’augmenter lorsque le chômage reflua graduellement jusqu’à 3,5 % à la veille de la
pandémie. S’il y a peut-être eu par le passé une relation entre suicide et chômage, elle n’est en tout cas
plus apparente aux Etats-Unis.
Néanmoins, les épisodes passés suggèrent que ceux qui entrent sur le marché du travail en 2020 vont
connaître une trajectoire de rémunérations inférieure au cours de leur vie active, ce qui alimentera
certainement le désespoir qui apporte la mort via le suicide, l’alcool ou les overdoses de drogue. En
d’autres mots, l’Amérique post-Covid sera probablement la même que celle d’avant, si ce n’est avec
davantage d’inégalités et de dysfonctionnements.
Certes, la colère publique autour de la violence policière ou des soins de santé outrageusement chers
peut provoquer une rupture structurelle. Si cela se réalise, nous pourrons voir la société s’améliorer.
Mais ce ne sera pas nécessairement le cas. Ce n’est pas toujours un phœnix qui s’élève des cendres. »
Anne Case et Angus Deaton, « United states of despair », 15 juin 2020. Traduit par Martin Anota
Sujet n° 2 : Faut-il craindre la désindustrialisation ? (Oral ESCP)
I. Un déversement inéluctable
1. Une externalisation
- Une conséquence de l’évolution du capitalisme (p 80)
- Une délimitation délicate avec le tertiaire
Pour une thèse visant à relativiser la désindustrialisation, cf Pierre Veltz, “La « désindustrialisation »
française, une notion à relativiser”, The Conversation, 6 janvier 2023
2. Des délocalisations
- Un impact de la DIPP (pp 80-81, pp 175-176, pp 186-187)
- Des relocalisations problématiques
Pour une synthèse sur les liens entre désindustrialisation et délocalisations, cf “Pourquoi les usines ont
quitté la France, et comment les faire revenir”, Pierre-André Buigues et Denis Lacoste, TELOS - 6 avril 2023
Ces dernières décennies, la plupart des pays de l’OCDE ont connu un déclin tant de l’activité
manufacturière dans le PIB que de l’emploi manufacturier dans l’emploi total ; elles ont par contre
pleinement poursuivi leur tertiarisation. En Grande-Bretagne, qui a constitué le véritable berceau
de la Révolution industrielle, l’emploi manufacturier atteint son maximum avant la Première
Guerre mondiale en représentant alors 45 % de l’emploi total avant de fortement décroître en
termes relatifs [Rodrik, 2013a]. Après avoir atteint 25 à 27 % de l’emploi total au milieu du
vingtième siècle, l’emploi manufacturier a décliné aux Etats-Unis pour représenter ces dernières
années moins de 10 % de l’emploi total. En Allemagne, l’emploi manufacturier représenta près
40 % de l’emploi total dans les années soixante-dix avant de voir sa part fortement diminuer.
Bref, tous les pays riches ont connu une industrialisation, puis une désindustrialisation. En
l’occurrence, ce n’est qu’une fois entrés dans le club des pays développés qu’ils ont amorcé leur
désindustrialisation. Si plusieurs pays européens et les Etats-Unis ont été les premières économies à
s’être industrialisés, quelques pays asiatiques comme le Japon, Taïwan et la Corée du Sud ont suivi
une même trajectoire quelques décennies plus tard : ils ont rejoint les pays développés, puis leur
activité industrielle a embrassé son déclin.
Aujourd’hui cette trajectoire semble plus compliquée pour les pays émergents, ceux qui
débutent à peine leur industrialisation. Celle-ci n’est pas en soi irréalisable : beaucoup de pays
ont su amorcer une forme d’industrialisation. En revanche, les pays qui se sont récemment
industrialisés ne parviennent pas à atteindre le niveau d’industrialisation qui fut auparavant
atteint par les pays développés. Le processus de désindustrialisation semble s’amorcer de plus
en plus tôt, que ce soit en termes de degré d’industrialisation ou de niveau de revenu. Plusieurs
auteurs, en particulier Dani Rodrik, ont alors parlé de « désindustrialisation précoce » ou «
désindustrialisation prématurée » (premature deindustrialization).
Dani Rodrik (2013b) a illustré le phénomène de désindustrialisation précoce avec le graphique ci-
dessus représentant le niveau maximal qu’atteint la part de l’emploi et le revenu par tête qui lui est
associé pour un ensemble d’économies qui se sont industrialisées en divers instants. Les premières
économies à s’être industrialisées ont vu l’emploi manufacturier représenter jusqu’à plus de 30 % de
leur emploi total, ce qui n’est pas le cas des dernières économies à s’être industrialisées. L’emploi
manufacturier commença à décliner (en termes relatifs) lorsqu’il atteignit respectivement 20 %,
16 % et 13 % de l’emploi total au Mexique, au Brésil et en Inde. Certes la Chine est devenue la
première usine manufacturière mondiale, mais la main-d’œuvre qu’elle emploie dans le secteur
manufacturier ne représente qu’une faible part de l’abondante main-d’œuvre dont elle dispose.
Cette part semble même décroître. Lorsque la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et l’Allemagne
amorcèrent leur désindustrialisation, leur revenu par tête était compris entre 9000 et 11000
dollars (aux prix de 1990) ; la désindustrialisation s’amorce à de plus faibles niveaux de revenu
par tête dans les pays en développement : le Brésil commença à se désindustrialiser lorsque son
revenu atteignit 5000 dollars, la Chine 3000 dollars et l’Inde 2000 dollars [Rodrik, 2013a].
Références
RODRIK, Dani (2013a), « The perils of premature deindustrialization », in Project Syndicate, 11
octobre.
RODRIK, Dani (2013b), « On premature deindustrialization », in Dani Rodrik’s weblog, 11 octobre.
RODRIK, Dani (2014), « Globalization and premature deindustrialization », in Dani Rodrik’s weblog,
22 avril.
SUBRAMANIAN, Arvind (2014), « Premature de-industrialization », in Center for Global
Development, 22 avril.
La « désindustrialisation » française, une notion à relativiser
Le débat actuel sur l’industrie est dominé par l’idée de réparation d’un passé qui a mal tourné :
relocalisation, réindustrialisation, retour au made in France ou au made in Europe. Ces termes sont
ambigus. La relocalisation ne peut pas consister essentiellement à faire revenir en France ou en
Europe des activités que nous aurions délocalisées en Chine ou ailleurs. Du reste, les délocalisations
au sens strict du terme – je ferme une usine et je transfère son activité ailleurs – ont été peu
nombreuses. Et elles pèsent peu dans le bilan des emplois perdus.
Ce qui s’est passé avec la mondialisation, c’est une réorganisation complexe des chaînes de valeur, où
la part des activités effectuée en France par les firmes d’assemblage, leurs sous-traitants et leurs
fournisseurs a baissé, plus ou moins fortement selon les cas, allant parfois à presque zéro, comme
dans certains secteurs de la consommation grand public. (Le made in France, selon l’Insee,
représente 81 % de la consommation totale des Français, mais seulement 36 % de celle des
biens manufacturés).
Les grandes entreprises françaises ont joué activement ce jeu du déploiement international des
chaînes de valeur, à la fois pour baisser les coûts et pour aller à la rencontre des marchés en
croissance. Il y a, de ce fait, une économie française off-shore très importante. Les entreprises
françaises emploient environ six millions de personnes à l’étranger, dont plus de la moitié dans
les services. L’industrie allemande, située sur des créneaux à plus forte valeur ajoutée, a
privilégié au contraire l’exportation à partir de son territoire. Elle est donc très vulnérable aux
coûts de production sur ce territoire national, comme on le voit aujourd’hui avec l’énergie.
Nouvelles articulations
Il y a beaucoup à faire pour regagner des productions sur le sol national (et européen), notamment
pour les biens de consommation courante. Mais l’enjeu n’est pas d’organiser le grand rapatriement
des usines ayant migré à l’autre bout du monde. Il est de développer des activités nouvelles, de
prendre ou de reprendre des positions stratégiques dans les chaînes de valeur, y compris dans les
maillons logistiques (les ports notamment) et de réduire nos dépendances.
Pour cela, il faut comprendre avant tout la nouvelle géographie de la valeur et de l’indépendance, qui
ne se superpose pas simplement à celle de la production physique. Il faut regarder l’avenir autrement
que dans le rétroviseur. Ce qui émerge sous nos yeux, c’est bien sûr une conjoncture très différente
(néoprotectionnisme, pandémie, Ukraine). Mais ce sont aussi de profondes transformations, beaucoup
moins visibles, dans les manières de produire, en particulier sous l’effet de la révolution numérique.
Ce sont de nouvelles articulations entre techniques, organisations et imaginaires qui redéfinissent ce
que nous pouvons appeler « industrie ». Il s’agit de comprendre ces nouvelles réalités, qui nous
éloignent de plus en plus des imageries conventionnelles. […]
Depuis quelques années, la faiblesse de l’industrie française est régulièrement pointée du doigt. Cette
faiblesse soulève plusieurs questions. La situation de la France est-elle singulière au sein des pays
avancés ? Quelles sont les causes de la désindustrialisation de la France, au-delà de la question des
coûts élevés souvent invoquée ? Quelles sont les conséquences économiques de l’affaiblissement
industriel ? Enfin, si on doit faire de la réindustrialisation une priorité de la politique économique de
la France, quelles sont les décisions à prendre ?
Si la désindustrialisation a débuté avec les crises pétrolières des années 1970, elle s’est accélérée
dans les années 2000. Cette désindustrialisation a touché de nombreux pays développés, mais la
tendance française a été plus forte. La part de l’industrie manufacturière (hors énergie) dans le
PIB est de 11,5% en 2020 (Insee). C’est une proportion bien plus basse que celle de la plupart
des pays de l’Union Européenne : 20% en Allemagne, 16,4% en Italie, et de celle des pays
d’Europe centrale et orientale : c’est 18,2% en Pologne et 24% en Tchéquie. De plus, cette part
de l’industrie dans le PIB a baissé beaucoup plus vite en France que dans le reste de l’UE (6,1
points de pourcentage entre 2000 et 2020 en France contre 3,3 pour l’ensemble de l’UE).
Qu’est-ce qui peut expliquer cet effondrement de l’industrie française au cours des dernières
décennies ?
L'Etat a versé près de 1,6 milliard d'euros de subventions à ces projets, ce qui a permis de générer
quelque 5,4 milliards d'euros d'investissements productifs dans ces entreprises.
La politique industrielle marque son grand retour au niveau européen comme national, à l’heure de la
prise de conscience de nos dépendances et de l’urgence de la transition climatique. A cet égard, le
gouvernement français a pris la mesure du sujet et a mis sur la table des sommes conséquentes : citons
le fonds d’innovation de rupture, doté de 10 milliards d’euros ou le plan France 2030, qui prévoit 54
milliards d’euros sur 5 ans, pour combler nos retards dans certains secteurs et financer des projets
d’avenir, notamment dans la transition environnementale. D’autres initiatives, d’ordre réglementaire,
voient également le jour, à l’image du projet de label « cloud de confiance », pour retrouver une
forme de « souveraineté numérique ».
Si elles veulent être couronnées de succès, ces politiques industrielles doivent toutefois prendre appui
sur un certain nombre de règles dans leur mise en œuvre. A cet égard, l’analyse économique, tant
théorique qu’empirique, fournit un guide précieux pour le décideur public ; quatre grands principes
pourraient utilement lui servir de boussole.
En premier lieu, toute politique industrielle doit rester le plus neutre possible sur le plan concurrentiel.
L’enjeu est d’éviter à tout prix la capture des subventions par les seuls acteurs installés, au détriment
des nouveaux entrants. Cette neutralité est d’autant plus nécessaire que la politique industrielle vise à
favoriser les innovations de rupture, souvent portées par des outsiders. L’expérience montre que la
concurrence au sein d’un programme constitue l’un des ingrédients de son succès, à l’image du plan
Warp Speed aux Etats-Unis dans la course au vaccin contre le Covid : 11 milliards de dollars ont été
attribués par la Barda à plus de 40 entreprises pharmaceutiques.
En second lieu, lorsque la politique industrielle vise à découvrir de nouvelles technologies, l’Etat doit
fixer aux acteurs des objectifs mais sans privilégier une solution à l’avance. En effet, il ne dispose pas
de plus d’information que les acteurs privés. Désigner à l’avance une technologie présupposée
prometteuse, c’est prendre le risque de passer à côté d’autres technologies encore plus prometteuses.
En troisième lieu, une politique industrielle de rattrapage doit être attentive à la distance par rapport à
la frontière technologique. En matière d’innovation, il ne suffit pas de vouloir rattraper son retard, il
faut aussi le pouvoir. En effet, si le pays ne dispose pas de capacités technologiques et de
compétences suffisantes et que le rythme d’innovation est très soutenu, il court le risque d’investir à
fonds perdus et d’être en éternel retard sur les leaders. Cette situation a été observée dans un pays
comme le Brésil, qui a tenté de combler son retard en informatique sans jamais vraiment y parvenir.
En dernier lieu, une politique industrielle doit prendre appui, dans l’attribution des fonds comme dans
le suivi de leur usage, sur une gouvernance qui place en son centre des experts indépendants, recrutés
pour une mission. On peut même imaginer de confier la mise en œuvre de la politique industrielle à
une agence puissante et indépendante sur le modèle de ce que font les Etats-Unis avec la Darpa et la
Barda. L’enjeu est d’éviter tout conflit d’intérêt dans l’attribution des fonds publics mais aussi de
permettre aux décideurs d’agir de manière agile et efficace. En particulier, ils doivent pouvoir stopper
rapidement un programme qui ne donnerait pas les résultats escomptés, en activant une « sunset
clause ».
Finalement, le succès d’une politique industrielle, sur laquelle la France fonde de grands espoirs pour
retrouver des espaces de souveraineté économique, n’est pas qu’une affaire de moyens. Il dépend
aussi pour beaucoup de sa bonne gouvernance ; pour le moment, de ce point de vue, le compte n’y est
pas : il y a encore trop de rigidités dans le processus de sélection des projets a priori et un manque de
clarté sur les procédures et critères d’évaluation a posteriori.
Sujet n° 3 : La mutation des structures du système financier depuis le milieu des années
1980 en France (Oral ESCP)
1. Un décloisonnement
Pour une mise en perspective historique du décloisonnement des activités bancaires, cf “L’histoire des
banques françaises, un éternel recommencement”, La Tribune, 18/08- 21/08/2014, et “Après s'être heurtée à un
mur, la Commission européenne a changé son fusil d'épaule”, Les Echos, 23/01/2017
- De nouveaux marchés
- Une transformation de la structure de financement
Pour une analyse des comportements d’épargne en France, cf “Les comportements d’épargne et de
financement en France”, BNP PARIBAS, 29.05.2019
2. Des limites internes (p 240)
Pour une analyse actualisée de la situation des banques françaises, cf “A quoi servent les banques françaises
?”, Christian Chavagneux, Alter Eco - 25 octobre 2022
L’histoire des banques françaises, un éternel recommencement : le krach de l’Union générale
désavoue la "banque à tout faire" (1/5)
Il y a un an, le 26 juillet 2013, la loi de séparation des activités bancaires était promulguée en
France, avec pour objectif d’isoler les activités les plus spéculatives des banques. Une leçon tirée
de la crise financière de 2008, mais, en réalité, toute l’histoire des banques françaises depuis le
19ème siècle s’est construite autour de ce dilemme de la spécialisation – ou non – des activités
bancaires. Un débat au centre duquel se trouve le financement de l’économie. Premier volet de notre
série : le krach de l’Union générale, en 1882.
"Ne nous laissons pas aveugler : nonobstant ses problèmes, le Crédit mobilier est le modèle des
banques de demain. (...)
Les banques traditionnelles, dont notre maison, pratiquent les opérations de placement à commission
et le change, mais nous n'accordons que très accessoirement des crédits (...).
Les Pereire ont trouvé le moyen de mobiliser l'épargne, aussi modeste soit-elle, pour financer
l'industrie nouvelle et le commerce."
Cet éloge des frères Emile et Isaac Pereire - fondateurs en 1852 du Crédit mobilier - émane
d'Alphonse de Rothschild, fils de James de Rothschild, le plus puissant des banquiers du 19ème siècle
en France. Plus exactement, cette louange des Pereire est prononcée par un acteur jouant le rôle
d'Alphonse de Rothschild, dans une émission télévisée non encore diffusée - "Dans l'ombre de
l'Histoire" -, évoquée par Jean-Philippe Bidault dans son livre "Si la banque m'était contée", publié en
mai dernier.
Troisième volet de notre série : la loi du 2 décembre 1945, qui distingue les banques de dépôt, les
banques d’affaires et les banques de crédits à moyen et long terme.
521 voix "pour", 26 "contre." En ce dimanche 2 décembre 1945, c'est à une écrasante majorité
que la toute jeune Assemblée constituante vote la loi "relative à la nationalisation de la Banque
de France et des grandes banques, et à l'organisation du crédit." Gravant ainsi dans le marbre
la doctrine formulée en 1882 par Henri Germain, fondateur du Crédit lyonnais, doctrine selon la
laquelle la solidité d'un établissement de crédit - et, partant, la sécurité de ses déposants - repose sur
une stricte séparation entre les activités de banque de dépôt et celles de banque d'affaires.
En effet, au-delà de la nationalisation de la Banque de France et des quatre principales banques
commerciales de l'époque - le Crédit lyonnais, la Société générale, la Banque nationale pour le
commerce et l'industrie (BNCI) et le Crédit national d'escompte de Paris (CNEP) -, la loi du 2
décembre 1945 divise le secteur bancaire français en trois catégories bien distinctes, dans le
sillage du Glass-Steagall Act américain de 1933.
Quatrième volet de notre série : les décrets Debré-Haberer de 1966-1967, puis la loi bancaire de 1984,
portent le concept de banque universelle sur les fonts baptismaux.
Plein-emploi, augmentation des salaires, du niveau de vie... Non, il ne s'agit pas d'une fiction mais de
la France des Trente Glorieuses. De 1945 au premier choc pétrolier de 1973, le pays connaît une forte
croissance économique, couplée à une ouverture grandissante vers l'extérieur. Une expansion dont le
financement va bientôt poser problème, compte tenu de la structure du système bancaire hérité de
l'après-guerre. En effet, depuis la loi du 2 décembre 1945, les banques de dépôt - qui collectent
l'abondante épargne liquide des Français - n'ont pas le droit d'utiliser cette ressource de court terme
pour financer les crédits à long terme dont les entreprises ont besoin.
Quant aux banques d'affaires, elles disposent certes de l'autorisation d'octroyer des prêts sur plus de
deux ans, mais l'épargne longue des ménages est insuffisante, et il leur est interdit de collecter les
dépôts à vue [exigibles à tout instant ; Ndlr] des particuliers, ce qui limite leur capacité à accorder des
crédits. Cette problématique devient d'autant plus aiguë que l'Etat - qui pouvait distribuer
jusqu'à 50% des encours de crédit jusqu'au milieu des années 1960 - entend se désengager en
partie du financement de l'économie, dans une logique libérale.
Le projet de séparation bancaire lancé en 2014 est enterré. Trop strict et simpliste, ont tranché les
Etats. L'Europe préfère s'appuyer sur une refonte des mécanismes de résolution bancaire.
● Les Echos
● Janvier 2017
Officiellement, le projet de directive sur la séparation bancaire lancé début 2014 par Michel Barnier
n'est pas mort. Il est juste, depuis un an et demi, « au frigo » - en langage eurocrate -, là où échouent
les textes en attente d'un accord au Parlement. La Commission européenne se dit même toujours «
prête à jouer son rôle dans les négociations ».
Une formule creuse : trois ans après, le projet est bel et bien enterré. Au Parlement, les députés n'ont
aucune envie, ni intention, de le rouvrir après s'être quittés en 2015 sur un constat de profond
désaccord. Les rapporteurs des différents groupent l'ont répété cet été, explique l'un d'eux, à l'actuel
commissaire Valdis Dombrovskis. Et ce dernier se garde bien de réanimer lui-même un projet qui a
tourné au fiasco, frappé par un mauvais timing et une approche plus politique que pragmatique.
Observe-t-on des différences significatives de comportement selon les régions ou les milieux
socio-professionnels ?
Le taux d’épargne est d’autant plus élevé que les revenus et les niveaux de qualification sont
élevés. Conformément à la théorie économique du cycle de vie, les ménages d’âge intermédiaire
(entre 30 et 59 ans) épargnent davantage que les plus jeunes et que leurs aînés.
Les analyses empiriques suggèrent que le lieu de résidence a une incidence moins grande, une fois
que les caractéristiques précitées sont contrôlées. Cela veut dire qu’à revenu comparable, le lieu de
résidence exerce une influence négligeable sur le taux d’épargne mais ne signifie pas que le taux
d’épargne ne varie pas d’une région à l’autre, en fonction notamment du revenu par ménage. Même si
l’INSEE ne publie pas de comptes régionaux détaillés, il ne fait guère de doute que le taux d’épargne
est en moyenne plus élevé en Ile de France, en Auvergne-Rhône-Alpes, en Provence-Alpes-Côte
d’Azur qu’en Occitanie dans les Hauts de France ou en Corse. Toutefois, les écarts de taux d’épargne
entre l’Ile de France et les autres régions ne sont probablement pas aussi marqués que le suggèrent les
écarts de revenus car l’Ile de France compte dans le même temps une proportion plus élevée de
ménages plus jeunes que la moyenne française et locataires, des caractéristiques qui affectent plutôt
négativement le taux d’épargne.
Quels sont les produits d’épargne préférés des Français ? Certains sont-ils boudés ?
Les encours des principaux placements financiers des ménages s’élevaient à un peu plus de 5000
milliards d’euros à la fin de 2018, dont 65% sous forme de produit de taux. Sur l’ensemble de
l’année, la part de ces derniers dans les flux bruts de placements était encore plus élevée (87,4
Md€ sur 113,7 Md€, soit 77%), ce qui traduit autant l’appétit actuel des épargnants pour les
produits sans risque que leur désintérêt pour les actions. Les dépôts à vue et le numéraire ont
drainé plus de la moitié des flux vers les produits de taux. Ceux-ci ont par ailleurs bénéficié du très
fort rebond de l’assurance vie en euros dont la collecte nette a triplé depuis 2017. En revanche, les
acquisitions nettes de produits de fonds propres se sont contractées pour la deuxième année
consécutive (17 Md€ contre 30,5 Md€ en 2017). Le retour modéré des ménages vers les actions cotées
détenues en direct a certes compensé la baisse des flux vers l’assurance-vie en support UC mais dans
le même temps les organismes de placement collectif (OPC) actions ont enregistré une décollecte
massive (-18,1 Md€). Les flux vers l’assurance-vie en unités de compte (15% des flux bruts de
placements) ont concentré l’intégralité des flux nets vers les produits de fonds propres tandis que les
cessions d’actions détenues sous forme d’OPC (-20,8%) étaient compensées par l’engouement en
faveur des actions non cotées et les autres participations (+20,1%), qui reflète notamment le succès
actuel du private equity.
Au regard de la même période de 2018, les évolutions observées entre janvier et mars 2019 traduisent
une hausse sensible des flux en faveur des dépôts à vue, de l’épargne réglementée (Livret A, bleus,
LDD, LEP, PEL, PEP, CEL, livrets jeunes) et de l’assurance-vie en support euros et, au contraire, une
contraction des flux vers l’assurance-vie en unités de comptes. Au cours du premier trimestre 2019, le
Livret A et le livret de développement durable et solidaire ont collecté 9,7 Md€. Ces produits offrent
certes un rendement réel négatif (leur rémunération s’élève à 0,75% pour une inflation de 1,3% sur un
an en avril) mais la pente des taux est quasiment plate et les primes de risque relativement écrasées.
Elles ne deviennent consistantes que pour des placements que la plupart des ménages jugent trop
risqués et ne suffisent pas à détourner les épargnants des produits liquides, sans risque et non
fiscalisés.
Comment les banques aident-elles les particuliers et les entreprises dans leurs projets
d’investissement ?
L’une des fonctions essentielles des banques est de résoudre l’inadéquation entre les préférences
des épargnants (court terme, liquidité, faible risque) et les besoins des entreprises (long terme,
financements plus risqués). En France, entre 2300 et 2500 Md€ d’encours d’épargne liquide et à
court terme sont ainsi transformés en financements à long terme au sein des bilans bancaires
(prêts à l’habitat, crédits d’investissement, obligations).
Ce rôle n’est malheureusement pas susceptible d’être joué par les marchés financiers sur
lesquels le succès d’une émission requiert l’existence préalable d’une base suffisamment large
d’investisseurs dont les préférences coïncident précisément avec les caractéristiques de
l’instrument émis. Les banques n’effectuent en revanche quasiment pas de transformation vers les
capitaux propres. Tout d’abord, l’absorption des premières pertes par les actionnaires de l’entreprise
permet d’aligner, dans une certaine mesure, leur intérêt avec celui des créanciers et limite l’aléa
moral. Ensuite, les exigences prudentielles rendent la détention d’actions d’entreprises par les banques
extrêmement coûteuse en termes de capitaux propres bancaires. En revanche, les banques collectent
de l’épargne longue qu’elles gèrent au sein de fonds dédiés (OPC actions, supports en unités de
compte des contrats d’assurance-vie et fonds de private equity) et jouent un rôle essentiel dans
l’intermédiation de l’épargne vers les fonds propres d’entreprises.
A quoi servent les banques françaises ?
L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a publié récemment un rapport sur l’état
des lieux du système bancaire français. Poids du secteur, rentabilité, répartition du crédit… tour
d’horizon de ses principaux enseignements en cinq graphiques.
L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a publié le 13 octobre son état des lieux
annuel des banques françaises. L’occasion de s’apercevoir du poids important du secteur, de son rôle
dans le financement de l’économie et de ses perspectives plutôt bonnes.
Sur les 9 934 milliards d’euros d’activités des banques en 2021, 61 % étaient consacrés à des
crédits aux agents économiques. Même si les établissements sont très présents sur les marchés
financiers, porteurs de risques importants mais aussi de commissions, on oublie trop souvent
que la majorité de leur modèle économique repose sur le crédit. Les banques réalisent d’abord un
métier d’épicier : elles achètent de l’argent en gros qu’elles revendent ensuite plus cher au détail.
Si, sur le plan macroéconomique, les crédits font les dépôts (les particuliers et les entreprises voient
leur compte grossir de prêts des banques), chaque banque doit faire attention à disposer des ressources
nécessaires pour faire face à l’ensemble de ses activités, trouver des ressources et les valoriser au
mieux.
Les ménages reçoivent la moitié des crédits à l’économie octroyés par les banques. Ce sont très
majoritairement (89 %) des crédits pour acquérir un logement. Les entreprises reçoivent un
gros tiers des crédits, essentiellement pour financer leurs investissements (45 % de l’argent
emprunté), suivi par les crédits de trésorerie (23 %). La part de ces derniers est en hausse par
rapport à 2019 (16,7 %) du fait des prêts garantis par l’Etat liés à la pandémie qui ont surtout
été utilisés par les entreprises pour sécuriser leur trésorerie.
Le rapport souligne également que « la part des prêts aux administrations publiques dans l’encours
total des crédits à la clientèle non financière est en baisse constante depuis quinze ans : ces derniers
représentaient ainsi 9,9 % du total fin 2006 (140 milliards d’euros) contre 6,7 % fin 2021 (184
milliards d’euros) ». Les liens entre dette publique et situation des banques se réduisent en France.
Le secteur qui reçoit le plus de crédits bancaires, et de loin, est l’immobilier, avec pratiquement un
quart du total (23 %). On comprend pourquoi les variations des prix des logements et les conditions
d’emprunt sont suivies de près par les régulateurs. L’industrie manufacturière et le commerce arrivent
ensuite avec respectivement 13 % et 12 % du total. Cette répartition entre les principaux secteurs est
stable depuis 2018. A noter un point important : sur l’ensemble de ces crédits aux entreprises
non financières, 43 % sont attribués hors de France, principalement en Europe. On peut
souligner enfin que 3 % des prêts aux grandes entreprises et 4 % des prêts aux PME sont considérés
comme susceptibles de ne pas être remboursés, une proportion plutôt faible.
Les banques françaises n’offrent pas un niveau de rentabilité extrêmement élevé, à 6,1 % en 2021. De
ce point de vue, l’année passée a représenté pour elles un moment de rattrapage avec une activité en
hausse de 9,4 % et un résultat net qui progresse de 86 %. Le premier semestre 2022 a vu une nouvelle
hausse d’activité de 9,1 % et des résultats en baisse de 13,7 %, mais dans le contexte particulier de la
guerre en Ukraine et du coût élevé pour la Société Générale de la sortie de la Russie. Si l’on ne tient
pas compte de cet épisode particulier, les résultats sont en hausse de 10,3 % au premier semestre, une
croissance au plus haut depuis dix ans.
La remontée des taux d’intérêt et la « pentification de la courbe des taux » qui suit – à savoir un
écart grandissant entre les taux d’intérêt de court terme auxquels les banques empruntent et les
taux d’intérêt de moyen-long terme auxquels elles prêtent – va continuer à alimenter leurs bons
résultats cette année et pour l’an prochain.
Sujet n° 4 : Peut-on parler de la fin du salariat ? (Oral ESCP)
Problématique : Peut-on craindre une mise en cause des acquis du salariat accumulés depuis le XIXe
siècle ?
1. Un statut problématique
Sur les enjeux de l’uberisation, cf “L’ubérisation de l’économie, la fin du salariat ?”, Major prépa - 5
septembre 2019
Pour une évocation des évolutions récentes, cf “Uber : vers une conduite plus sociale”, Le Monde, 18 mars
2021
- Progression des emplois “atypiques” et “déstabilisation des stables” (R
Castel) (p 373)
Pour une évocation détaillée de l’expérience britannique sur les contrats zéro-heure, cf “Les contrats «
zéro heure » : un idéal de flexibilité ?”, Jacques Freyssinet, Chronique Internationale de l'IRES 2016/3
- Un enjeu juridique
L’ expression « indigne salariat » est utilisée par Robert Castel dans Les métamorphoses de la
question sociale (1995). Sous l’Ancien Régime, les métiers jugés « dignes » étaient réglementés par
les corporations qui traçaient une ligne de partage entre les « gens de métier » (professions libérales,
hommes de loi, médecins, charpentiers, armuriers, etc.) et les « gens de peine » (journaliers,
domestiques, manœuvres,...). Tous les membres des corporations, qu’ils soient maîtres, compagnons
ou apprentis, bénéficiaient d’une protection, alors que les seconds n’avaient aucun statut.
Avec la révolution industrielle, la critique du salariat s’amplifie. Sismondi (1773-1842) montre dans
les années 1820 qu’avec le salariat, c’est la société toute entière qui se soumet au principe de
rentabilisation du capital. Cette critique est amplifiée par Marx (1818-1883) : pour lui, le salariat est
une forme atténuée d’esclavage puisque, en vendant sa force de travail, le salarié perd tout droit sur
le produit de son travail ainsi que la maîtrise des conditions d’exécution. Théoriquement, le rapport
salarial suppose la liberté du travailleur et l'égalité juridique entre l’employeur et le salarié. En réalité,
cette égalité et cette liberté sur le marché du travail ne sont que des fictions, puisque les prolétaires
n'ont que leurs bras pour subsister et n'ont aucune liberté. Au moment de la révolution industrielle, il
existe des contrats de louage de service quand le travail est payé au temps et des contrats de louage
d'ouvrage quand le travail est payé à la pièce. Mais les salariés ne bénéficient d'aucune protection
sociale, en cas de maladie ou de privation de leur capacité de travail. Par ailleurs, en raison du
déséquilibre fondamental entre le travail et le capital, les salaires sont proches du minimum de
subsistance, permettant tout juste comme son nom l'indique la reproduction du travailleur et de sa
famille. Dans les faits, les salariés n'étaient pas totalement démunis, puisqu'ils faisaient preuve de
mobilité entre les sites de production, toujours à la recherche de meilleurs salaires. Mais les
employeurs n'avaient de cesse de réduire cette mobilité du travail, par l'intermédiaire du « livret
ouvrier », et aussi par l'institution du patronage.
C'est avec l'apparition du contrat de travail et le développement des droits sociaux que le salariat
change de signification. Le premier droit social est obtenu par la loi du 09 avril 1898, qui concerne
les accidents du travail dont sont victimes les ouvriers. C'est la naissance du « risque professionnel »
qui attribue aux ouvriers une indemnité de compensation par l’employeur en cas de diminution ou de
perte de capacité de travail suite à un accident, et qui reconnaît aussi de fait le principe de
subordination de l'employé à l'employeur. La loi de 1898 modifie le modèle juridique qui règle la
relation de travail en établissant la responsabilité du chef d'entreprise. Par l'affirmation de l'inégalité
de la relation contractuelle de travail, on reconnaît en même temps la responsabilité des employeurs à
l'égard de leurs salariés, et on ouvre ainsi la porte au financement des droits sociaux qui vont s'étendre
tout au long du XXème siècle avec les lois d'assurance sociale (retraites, maladie, chômage,...). Avec
le salariat né de la reconnaissance juridique de la subordination de l'employé à l'employeur, le statut
de chômeur peut par exemple apparaître (chômage comme rupture du contrat de travail).
Progressivement, au cours du XXème siècle, le salariat devient le centre de la société et le pilier de
l'intégration sociale. En 1975, les salariés représentent déjà 82 % de la population active. En 2006,
cette proportion est de 89 %. Aujourd'hui encore, en 2015, la France compte plus de 24 millions de
salariés, contre seulement 2,6 millions de travailleurs non salariés. C'est grâce au travail salarié que
beaucoup de personnes se protègent des aléas de la vie et construisent leur avenir. Le travail, au-delà
de sa fonction de production des richesses, assure une fonction de protection sociale par le biais des
cotisations sociales assises sur celui-ci. Par ailleurs, le salariat a été un facteur important du
changement social. Il a permis de dépasser l'opposition entre le travail et le capital qui caractérisait le
XIXème siècle, puisque de nos jours le salariat peut procurer des revenus élevés, des positions de
pouvoir et de prestige. Il a été aussi à l'origine de ce que Henri Mendras (1927-2003) a appelé « La
Seconde révolution française » (1988) , c'est-à-dire d'un renouvellement profond des valeurs et des
normes dans toutes les sphères de la vie sociale comme la famille, le travail, ou encore l'éducation
(valeurs de permissivité, de tolérance, de respect de la différence,..). Ces valeurs sont généralement
portées par la « constellation centrale », essentiellement composée des salariés moyens, qui sont dans
le second XXème siècle un foyer d'innovation sociale et morale qui influence profondément
l'ensemble de la société.
La désaffection croissante pour le travail salarié s'explique d'abord parce que le salariat ne correspond
plus tout à fait au système productif actuel. Alors que le modèle fordiste impliquait la grande taille
synonyme d'économies d'échelle, la stabilité et la durée dans le temps, le nouveau modèle productif
exige au contraire vitesse et adaptabilité. Cela a pour conséquence une recherche de la flexibilité de la
part des entreprises. Dans ce contexte, le cadre protecteur du salariat ne semble plus adéquat. Une
relation durable entre un salarié et une entreprise ne correspond plus au fonctionnement des marchés
caractérisé par la concurrence, la compétition et le changement permanent. Pour éviter des pertes,
l'entreprise doit pouvoir adapter sa masse salariale dans un délai très court (externalisations,
restructurations, suppressions de postes). De plus, le cadre protecteur du salariat n'est pas propice à
l'engagement professionnel, entraînant plutôt des réflexes de repli catégoriel et de résistance au
changement. Or, l'économie tertiarisée exige plutôt initiative, agilité et autonomie. Il n'est plus
demandé au salarié d'effectuer des tâches standardisées et répétitives, mais de mettre à la disposition
de son employeur sa créativité, sa réactivité, et aussi sa personnalité. Le lien de subordination fait
d'obéissance et de contrôle devient alors totalement contre-productif.
Dans cette nouvelle donne, le contrat classique de travail devient obsolète. Robert Castel a
parfaitement résumé cette évolution avec les expressions « effritement de la condition salariale » on
encore « déstabilisation des stables ». Depuis les années 1980, les formes particulières d'emploi
(contrats à durée déterminée, travail intérimaire, travail à temps partiel, emplois aidés) ne
cessent de se développer. Alors que ces formes particulières d'emploi ne représentaient en 1983 que
2,6 % des emplois salariés, dès 2006 elles rassemblent environ 3 millions de personnes, soit 12 % de
la population active occupée. Aujourd'hui, le contrat à durée indéterminée n'occupe plus que 70 % du
salariat, soit 16,8 millions de personnes. Et l'emploi « classique » ne se superpose pas à ces chiffres,
car en toute logique il faudrait décompter de ces 16,8 millions le nombre élevé de salariés qui, tout en
étant en contrat à durée indéterminée, télétravaillent ou ont des horaires atypiques. Au-delà de ces
formes particulières d'emploi, on peut considérer que c'est le pacte sous-jacent qui liait un employeur
à un salarié qui est devenu léonin. De nos jours, le contrat à durée indéterminée ne protège plus les
salariés puisque dans un environnement économique où la durée de vie des entreprises ne cesse de se
raccourcir, détenir un tel contrat ne garantit plus un emploi à vie. De plus, ce contrat à durée
indéterminée a perdu nombre de ses avantages. La hausse des cotisations s'affirme alors que les
prestations sociales ont tendance à diminuer. Les carrières ne se déroulent plus au rythme de
l'ancienneté. Et bien souvent, l'emploi salarié est désormais associé à une certaine souffrance au
travail : cadences élevées, management par le stress, voire burn-out......
Le déclin du salariat peut aussi se voir dans le revirement d'une tendance lourde à la régression des
effectifs non salariés. Les non salariés regroupent les travailleurs indépendants (artisans, professions
libérales, agriculteurs), les employeurs, les aides familiaux. Le non salariat est défini par les
caractéristiques inverses à celles du salariat, à savoir la non subordination hiérarchique du travailleur
et la possession d'une clientèle propre. En 1970, on comptait 4,3 millions de non salariés. En 2006, ce
chiffre est de 2,2 millions, soit une division par deux. Cette diminution s'arrête en 2002 et le nombre
de non salariés a tendance à augmenter depuis, surtout que la baisse du nombre des non salariés
depuis les années 1970 s'expliquait avant tout par la diminution du nombre d'agriculteurs et de petits
commerçants (notamment dans l'alimentation en raison de l'apparition des grandes surfaces). Ainsi la
part de l'emploi non salarié des secteurs marchands non agricoles avait déjà augmenté de 1989 à 1998
(de 7,8 % à 9,2 % de la population active). Aujourd'hui, en 2015, il y a 2,6 millions de travailleurs
indépendants qui représentent environ 10 % de la population active. Parmi ceux-ci, l'essor du nombre
d'auto-entrepreneurs depuis la création du statut (en 2009) a été spectaculaire, atteignant près d'un
million de personnes.
La montée des travailleurs non salariés dans la population active correspond à la fois aux besoins de
l'appareil productif et aux besoins de l'individu. Du côté de l'appareil productif, on observe en effet
que la relation contractuelle entre un travailleur et un employeur devient de plus en plus complexe
puisqu'une personne peut maintenant occuper plusieurs emplois à la fois (à travers la multi-activité),
et aussi parce-que le développement de l'externalisation et de la sous-traitance font que de plus en plus
de personnes travaillent dans un lieu distinct de celui de leur employeur légal. La déspatialisation du
travail, rendue possible par la diffusion des nouvelles technologies, affecte bon nombre de métiers,
comme ceux de consultants, d'auditeurs, d'informaticiens, détachés de leur entreprise pour intervenir
chez des clients. Du côté des besoins de l'individu, l'extension du travail hors salariat correspond aussi
à des choix assumés : l'individu veut pouvoir maintenant définir le cadre de sa relation d'emploi et
personnaliser ses conditions de travail. Selon le rapport Le travail à temps partiel en 2011 (Ministère
du travail, janvier 2013), 52 % des Français voudraient pouvoir travailler de chez eux et 68 % des
salariés à temps partiel déclarent avoir choisi ce mode de travail, le plus souvent pour concilier vie
familiale et vie professionnelle. Désormais, sur les lieux de travail, la dimension « épanouissement
personnel » devient aussi importante que la dimension instrumentale. (« gagner sa vie »). Ceci accroît
considérablement l'attractivité du travail non salarié, notamment chez les jeunes : 43 % des 16 à 19
ans souhaitent être indépendants.
Ces mutations structurelles ont déjà commencé à bouleverser les parcours professionnels qui
deviennent discontinus. Le parcours typique d'un travailleur du XXIème siècle sera de commencer à
travailler en intérim ou en contrat à durée déterminée, puis en contrat à durée indéterminée, avec
ensuite des phases de chômage, de formation, de reclassement, et peut-être aussi de travailleur
indépendant pour s' assurer des revenus complémentaires. En tout cas, ces carrières protéiformes
obligeront à repenser les modes d'accès à la Sécurité sociale et aux caisses de retraite, car cette
souplesse accrue des individus au cours de leur vie professionnelle ne doit pas se faire à leur
détriment.
Conclusion
Pour certains, le développement du travail hors salariat est une régression historique, un retour à la
période antérieure aux Trente Glorieuses. Il est vrai que l'essor de ce type d'emploi fait craindre le
danger de revenir à une marchandisation du travail sous la forme d'un labeur à la demande payé en
fonction des tâches effectuées, ce qui serait une sorte de retour au statut de « travailleur journalier ». Il
est vrai aussi que le travail indépendant juridiquement peut être en fait un travail économiquement très
dépendant. C'est le cas de ceux qui travaillent sous l'autorité d'un seul client et sous sa supervision
directe. Dans certains secteurs d'activités, le risque de dépendance est véritable, et notamment dans les
secteurs de la construction, de la santé, des services à la personne, des activités culturelles.
Toutefois, on peut aussi considérer avec Denis Pennel (Vers la fin du salariat, Sociétal, 2015) qu'au
contraire c'est la généralisation du salariat au XXème siècle qui a constitué une anomalie dans
l'histoire économique et sociale. En effet, jusqu'en 1930 en France mais aussi dans bon nombre de
pays développés, la forme d'emploi dominante était le travail indépendant. C'est la raison pour
laquelle il faut accepter la remise en cause du salariat à laquelle nous assistons de nos jours. Le
salariat ne disparaîtra pas, mais il va s'intégrer à une diversification de la relation de travail entre
travail subordonné et travail indépendant. Il y aura toujours des salariés classiques, mais aussi des
salariés indirects (intérim, sous-traitance,...), des travailleurs indépendants (auto-entrepreneurs, chefs
d'entreprise, professions libérales,..), et aussi des « contrats de service », sans compter des formes
d'hybridation comme la pluriactivité (cumul d'un emploi salarié et d'une activité indépendante), des
emplois qui s'inscrivent dans le champ du salariat et qui se rapprochent cependant du travail
indépendant (portage salarial par exemple), ou inversement des formes de travail indépendant qui
maintiennent un lien de subordination (gérants non salariés de succursales de commerce de détail par
exemple).
Quoiqu’il en soit, il est nécessaire d'évoluer vers de nouvelles formes de sécurité qui protègent les
personnes plus que les emplois, afin de faciliter les transitions professionnelles. C'est ce que proposait
déjà Jean Boissonnat il y a 20 ans avec son « contrat d'activité » (Le travail dans 20 ans,
Commissariat général du plan, octobre 1995). Dans le cadre de cette sécurisation du parcours
professionnel, il faut donner à l'individu des droits lui procurant une maîtrise sur l'évolution de sa
carrière et sur les accidents de parcours. Cela signifie que les droits en question ne s'envisagent pas
seulement dans le cadre du contrat de travail, mais peuvent être transférables, organisés sous la forme
de comptes individuels de formation, de droits de tirage sociaux...
Pour conclure avec Denis Pennel, on peut dire que « face à la fin de l'unité de temps, de lieu et
d'action du travail, il est urgent de construire un nouveau contrat social qui ne repose plus sur le
salariat mais sur la citoyenneté ».
Depuis plusieurs années maintenant, la fin du salariat – voire du travail – est un sujet à la mode, que
ce soit dans les pages des magazines « grand public » ou par la voix d’économistes. Tous n’ont
pourtant pas, a priori, de sympathies particulières pour Karl Marx, qui appelait, dans son ouvrage
Salaire, prix et plus-value publié en 1865, les travailleurs à « inscrire sur leur drapeau le mot
d’ordre révolutionnaire : « Abolition du salariat » ». D’où cet étrange paradoxe. Lors de son
congrès confédéral de 1995, la CGT a, un siècle après sa création et alors que « l’hiver de la colère »
battait son plein, adopté un nouvel article premier de ses statuts qui renonçait à son objectif de «
disparition du salariat et du patronat », pour celui de combattre « l’exploitation capitaliste et toutes les
formes d’exploitation du salariat ».
Bien évidemment, ce paradoxe n’est qu’apparent. Les premiers s’extasient devant les promesses «
libératrices » – de profits – de l’économie numérique et de l’ubérisation du code du travail, tandis que
la CGT entend défendre et étendre les droits collectifs et individuels des travailleurs, tout en
reconnaissant la lutte des classes. Pour autant, ce paradoxe d’actualité a le mérite de nous interroger
sur le salariat.
Qu’est-ce que le salariat ? Le dictionnaire Trésor de la langue française informatisée lui donne une
double définition : soit le « mode de rémunération du travail par le salaire ; état, condition de salarié »,
soit « l’ensemble des travailleurs salariés », avec pour antonyme le patronat. D’emblée, observons que
le salariat est un statut économique et juridique, dont il est possible de retracer l’histoire, mais aussi
un concept politique.
L’histoire du salariat a fait l’objet de multiples travaux universitaires, avec des approches différentes :
juridique, sociologique ou encore anthropologique. Elle n’est pas exempte de polémiques ou de
divergences qu’il ne s’agit pas de résumer ici, mais dont il faut avoir conscience.
Robert Castel, dans son ouvrage Les Métamorphoses de la question sociale paru en 1995, fait
débuter son histoire du salariat au Moyen-âge. Il recense ainsi onze formes de salariat ou de
semi-salariat préindustriel qui ne réunissent pas encore toutes les caractéristiques du rapport
salarial, à savoir « la possibilité de circonscrire l’ensemble de la population active, un
dénombrement rigoureux des différents types d’emploi et la clarification de catégories
ambiguës d’emploi comme le travail à domicile et les travaux agricoles, une délimitation ferme
des temps d’activité opposés aux périodes d’inactivité, le comptage précis du temps de travail. »
Ainsi énoncées, ces caractéristiques témoignent que le salariat ne se limite pas au versement
d’une rétribution contre la réalisation d’un travail, mais que ses implications sont bien plus
profondes. Pour sa part, Claude Didry estime que l’émergence du salariat est plus tardive et
qu’il faut se garder d’identifier ces différentes formes comme autant de « traces », «
d’embryons » du rapport salarial moderne.
Le louage d’ouvrage
La Révolution française est souvent réduite au triomphe de la bourgeoisie sur l’ordre féodal
ainsi que sur les ouvriers, qui furent privés de leur droit de se coaliser et de faire grève par le
décret d’Allarde de mars 1791 et par la loi Le Chapelier de juin 1791. La Révolution française a
aussi été le point de départ d’une mutation conduisant à la construction d’un statut juridique
contractuel pour le travail. Celui-ci est formalisé dans le Code civil adopté sous le Premier
Empire en 1804 sous le terme de « louage d’ouvrage », défini par l’article 1710 : « Le louage
d’ouvrage est un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour
l’autre, moyennant un prix convenu entre elles. » Relevons ici que la condition ouvrière entre dans
le droit commun applicable à l’ensemble des citoyens, ce qui est une forme de reconnaissance.
Le cadre juridique du « louage d’ouvrage » est précisé par les articles 1779 à 1799 qui distingue trois
grandes catégories : le louage dit « de services » qui concerne le travail domestique, le louage « des
voituriers par eau et par terre » et le louage « des entrepreneurs d’ouvrage par devis et marché ». Cette
dernière catégorie différencie quatre groupes : les « propriétaires », c’est-à-dire les clients ; les «
architectes ou maîtres », c’est-à-dire les négociants qui livrent un ouvrage à un client et à l’égard
duquel sa responsabilité est engagée ; les « entrepreneurs, maçons, charpentiers et ouvriers » ; les «
personnes » employées par les précédents. Le premier groupe commande un ouvrage au second, qui
lui soumet un devis. Une fois celui-ci accepté, le second confie la réalisation complète ou partielle de
l’ouvrage au troisième, qui emploie éventuellement le quatrième groupe.
Trois remarques découlent de ce qui précède.
Tout d’abord, il faut reconnaître, avec Claude Didry, que la situation ne peut se résumer à une «
dichotomie simple entre ouvriers et patrons, présupposant l’existence d’un travail subordonné
par nature. » En effet, les différents groupes distingués témoignent de l’existence d’un groupe
ouvrier fragmenté et hétérogène, un « monde ouvrier aux multiples visages » pour reprendre
l’expression de Gérard Noiriel, entre le chef d’atelier (entrepreneur d’ouvrages à façon), le
contremaître, l’ouvrier à façon, les apprentis et les compagnons. Les conflits au sein du groupe
ouvrier sont ainsi très nombreux, même si des valeurs communes comme l’attachement à la
République contribuent à les souder. Le prolétariat d’usine, qui travaille pour la grande industrie,
progresse peu. Ainsi, on en recense, avec Gérard Noiriel, 400 000 en 1789, 1,2 million en 1848, 3
millions (et 3,4 millions d’ouvriers agricoles) en 1881. Une majorité se trouve dans le textile, suivi
par le bâtiment et la métallurgie. Il faut noter la place importante qu’y tiennent les femmes, les enfants
et les étrangers. Numériquement peu important, ce prolétariat d’usine subit des conditions de travail
terribles et des salaires insuffisants. Mais il ne faut pas imaginer que la situation soit meilleure pour le
travailleur à domicile ou l’artisan !
L’affrontement se dessine plutôt avec les négociants et les commerçants, ceux-ci relevant d’un droit
d’exception fixé par le Code du commerce adopté en 1807.
La conflictualité sociale tend à se focaliser sur la définition du prix de l’ouvrage. La dimension
collective n’en n’est pas absente, par la jurisprudence devant les conseils de prud’hommes dont le
premier est constitué à Lyon en 1806, par la définition d’usages reconnus par les différents acteurs de
la profession et éventuellement inscrits dans des règlements, par l’existence de séries appelées «
mercuriales » publiées par certaines municipalités.
Le contrat de travail
Cette dénonciation des dérives du louage d’ouvrage est, selon Claude Didry, au cœur de l’œuvre
législative dans laquelle se lancent les députés socialistes à la toute fin du XIX e siècle : Millerand,
Jaurès, Groussier ou encore Viviani. Cette œuvre est confortée par la création de l’Office du
travail, ancêtre du ministère du Travail, en 1891.
Une proposition de code du travail est ainsi soumise en 1898 à la Chambre, avant d’aboutir à
son adoption par le Sénat entre 1910 et 1927. Cette proposition, rédigée par Groussier entre 1896 et
1898, est plus qu’une simple compilation des textes existants aux yeux de Claude Didry. La création
du « contrat de travail » permet de « dépasser la segmentation des activités productives en une
multitude d’ouvrages, pour cerner l’ensemble de ceux qui, en contribuant à la réalisation d’une
marchandise ou, plus largement d’un produit, se trouvent liés par un contrat de travail à celui que l’on
va nommer employeur. » Cette création s’accompagne de la reconnaissance progressive de la
subordination du salarié à l’employeur, subordination technique dans un premier temps, puis
subordination économique et enfin subordination juridique à partir de 1931.
Ce contrat de travail « dessine les contours d’un monde du travail qui, manifestement, dépasse ceux
du monde ouvrier », dans la mesure où celui-ci se définit comme « le contrat par lequel une personne
s’engage à travailler pour une autre qui s’oblige à lui payer un salaire calculé, soit à raison de la durée
de son travail, soit à proportion de la quantité ou de la qualité de l’ouvrage accompli, soit d’après tout
autre base arrêtée entre l’employeur et l’employé. »
En parallèle s’ouvre une réflexion sur la portée de la convention collective (la première
convention au sens contemporain du terme a été signée à Arras en 1891) et même si la loi n’est
finalement adoptée qu’en 1919, cette réflexion aboutit à orienter la négociation vers la création
de normes collectives s’appliquant aux contrats individuels. Les lois sur la prud’homie de 1905
et 1907 accompagnent enfin ce mouvement, en élargissant son champ de compétence à
l’ensemble des industries et à l’ensemble des salariés, (employés et chefs d’atelier compris), ainsi
que les femmes.
La Première Guerre mondiale joue un rôle catalyseur dans ce processus et conduit à une
première généralisation du contrat de travail, à la reconnaissance des délégués d’atelier dans les
établissements œuvrant à la Défense nationale et à l’institution de commissions mixtes. Parmi
ces dernières, celle de la Seine fut particulièrement active. À l’occasion d’une décision en 1917,
elle détermina une forme spécifique de rémunération, en découpant le salaire en trois éléments :
Un salaire de base ou « d’affûtage » pour un temps de travail donné ; un système de primes
récompensant les ouvriers dépassant le rendement moyen ; un prime de cherté de vie, calculée
en fonction du coût de la vie observé. Une telle forme de rémunération s’éloigne
considérablement des pratiques du marchandage. Désormais les travailleurs sont
individuellement liés à l’entreprise, sur la base d’un contrat de travail. En parallèle, le sweating-
system est remis en cause par l’adoption de la loi du 10 juillet 1915 qui prévoit la responsabilité
du commanditaire et la rémunération à l’heure et non plus aux pièces.
Les classifications
La poussée révolutionnaire qui agite la France et l’Europe entre 1917 et 1920 achève
l’implantation du salariat, avec l’adoption d’une première législation sur la durée du travail et
la reconnaissance des conventions collectives. Ainsi, la négociation ouverte en 1919 sur
l’application de la journée de travail de huit heures dans la métallurgie recense deux types
d’ouvriers, les manœuvres et les professionnels, les seconds se subdivisant en 91 catégories
réparties en sept branches industrielles.
Ce premier accord national de classification dans la métallurgie tombe rapidement en désuétude, là
encore faute de pouvoir contraindre le patronat à le respecter. Malgré tout, il sert de repère aux
salariés durant l’entre-deux-guerres.
En 1936, la victoire électorale de la gauche et les puissantes grèves qui l’accompagnent obligent
le patronat à accepter des règles collectives et à renoncer à son « droit de discuter en tête-à-tête
avec chacun de ses ouvriers », comme le rappelle Léon Blum, lors du procès de Riom en 1942.
Des milliers de conventions collectives sont signées et parmi elles, le 12 juin, celle de la
métallurgie de la région parisienne. Les métallos CGT n’ont pas voulu bouleverser la hiérarchie
salariale, mais retranscrire les pratiques existantes sur le terrain, tout en corrigeant les abus flagrants et
en imposant des salaires horaires minima garantis. S’ils obtiennent que les catégories et les hiérarchies
proposées soient inscrites dans l’accord de classifications, en revanche, ils ne parviennent pas à
imposer totalement les niveaux de salaires revendiqués. Finalement, la classification se présente sous
la forme d’une longue liste des métiers auxquels correspond un salaire.
À la Libération, les salaires restent au cœur des revendications, dans un contexte où les pénuries
alimentent une inflation galopante. L’État conserve le monopole de fixation des salaires et opère
une remise en ordre des salaires. Cela prend la forme d’arrêtés et de décisions du ministre du
Travail, Alexandre Parodi jusqu’en octobre 1945 puis Ambroise Croizat de novembre 1945 à
décembre 1946 et de janvier à mai 1947. Ces textes définissent, après consultation des syndicats
et du patronat, le champ d’application (une industrie, une branche professionnelle), une
hiérarchie salariale fondée sur le métier pratiqué et le niveau d’apprentissage (la qualification)
et déterminent enfin, pour chaque échelon, une fourchette dans laquelle doit s’inscrire le salaire
moyen.
Le premier arrêté, du 11 avril 1945, concerne la métallurgie. On remarque d’emblée la filiation avec
la grille établie en 1936 pour les métallos de la région parisienne et que l’enjeu est d’élever le niveau
des salaires et de relever les maxima. Malgré tout, la logique des abattements, c’est-à-dire la réduction
des salaires pour les jeunes, les femmes ou selon la zone géographique, n’est pas tout de suite remise
en cause.
La loi de février 1950 acte le retour à la liberté de négociation des salaires, sans que les nombreuses
conventions collectives territoriales n’abandonnent les grilles Parodi et Croizat. Bien au contraire, la
FTM-CGT milite pour y intégrer les évolutions techniques et les défendre contre les tentatives de
l’UIMM de réduire le rôle des classifications dans la détermination des salaires.
Les lendemains de la Seconde Guerre mondiale voit également la naissance du statut de la
fonction publique avec l’adoption de la loi du 19 octobre 1946. Parmi les garanties offertes, il
faut relever le recrutement par la voie du concours, qui garantit une certaine égalité entre les
postulants, la reconnaissance du grade (dont le fonctionnaire est titulaire et dont il ne peut être
privé sans des raisons précises et argumentées) et de l’emploi (le poste effectivement occupée
par le fonctionnaire et qui doit correspondre à son grade), le principe d’un déroulement de
carrière par l’ancienneté, le concours et l’appréciation hiérarchique. Ces garanties ont constitué
un point de repère pour les salariés, y compris dans le secteur privé, comme en témoigne la lutte
pour la reconnaissance de la qualification.
La généralisation du salariat
La première moitié du XXe siècle est marquée par l’émergence de la société salariale, c’est-à-
dire par la généralisation progressive du salariat à la quasi-totalité de la population active. Le
taux de salariat passe de moins de 50 % de la population active en 1830 à 62 % en 1936 et près
de 90 % au début des années 2000.
La structure du salariat évolue lentement jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Les
deux décennies suivantes sont toutes autres et sont le théâtre de profondes mutations. Tout d’abord,
l’exode rural s’accélère brutalement. Entre 1955 et 1975, le secteur agricole perd 40 % de ses
exploitants et 70 % de ses salariés, au point que la population agricole représente moins de 10 % de la
population active en 1975.
Ensuite, le groupe ouvrier atteint son apogée en 1954, et représente alors 61 % des salariés. En chiffre
absolu, le maximum est atteint en 1975. Mais l’extension des services publics et le développement des
sciences et techniques entraînent un accroissement massif des professions libérales, des ingénieurs,
cadres, techniciens et agents de maîtrise, ainsi que des employés. En parallèle, le groupe ouvrier
connaît des évolutions. En 1954, les ouvriers qualifiés et les contremaîtres représentent 46 % du
groupe, devant les manœuvres et les ouvriers spécialisés (41,5 %). Vingt ans plus tard, les seconds
représentent 55 %, avec une implantation bien différente : grande industrie en province (automobile,
électronique, électroménager), principalement des femmes, des immigrés et des jeunes sans
qualifications.
Le statut salarial correspond donc à un statut juridique, le contrat de travail, qui comporte la
reconnaissance de la subordination juridique du salarié ainsi que des droits individuels. Mais il
comprend également une dimension collective importante, puisque ce statut ouvre la porte au
rattachement du salarié à un ensemble de droits collectifs découlant du droit du travail et du droit
conventionnel.
Trois éléments consolident ce statut.
Tout d’abord, la création d’un salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) en 1950,
remplacé par le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) en 1970. Ce dernier
est indexé sur le taux d’inflation et le taux de croissance économique. Cette mesure est essentielle,
car, selon Robert Castel, « elles définissent et donnent un statut légal aux conditions minimales
d’accès à la condition salariale. » Le salarié a l’assurance de percevoir une partie des fruits du
développement économique, confirmant que le salaire n’est pas qu’un mode de rétribution
économique.
Le second élément est la mise en œuvre de la mensualisation entre 1969 et 1978. Celle-ci met fin
à la coexistence dans les entreprises de deux statuts, celui des ouvriers « horaires » payés à la
quinzaine et celui des employés, techniciens, dessinateurs et agents de maîtrise payés au mois . Il
ne s’agit pas que d’une harmonisation du calendrier des paies, une douzaine de différences existant
entre les deux statuts. Ainsi, les « horaires » ne percevaient pas de primes d’ancienneté, touchaient
une indemnité moindre lors du départ en retraite ou du licenciement et bénéficiaient d’une prise en
charge moins favorable de la maladie, de l’accident ou de la maternité.
Le troisième élément est celui des classifications. Les grèves de mai-juin 1968 ont contraint l’UIMM
à engager des négociations sur leur refonte. Sur ce sujet, le congrès fédéral de 1971 impulse la
revendication d’une grille unique de classification, dans le cadre de sa bataille pour l’obtention d’une
convention collective nationale de la métallurgie. Un accord est finalement signé le 21 juillet 1975,
sans la CGT. Cette nouvelle grille rompt avec la logique des « listes de métiers » des grilles Parodi et
Croizat, en instituant une nouvelle technique de classification, par « critères classant », après
évaluation des postes. Le rôle primordial obtenu par les directions d’entreprise dans la décision de
classement est contrebalancé par la reconnaissance des qualifications (les diplômes) de l’individu.
Malgré ce dernier point, la CGT juge l’accord insuffisant : la grille ne sert qu’à déterminer des
minimas régionaux, sans référence au SMIC ; l’absence d’échelle mobile des salaires ne garantit pas
le pouvoir d’achat ; les agents de maîtrise ne sont pas reconnus ; les ingénieurs et cadres sont exclus et
leur grille est intégrée à la convention collective nationale de 1972 ; le déroulement automatique de
carrière n’est pas prévu.
Parmi les droits attachés au salariat, ceux relatifs à la protection sociale ne doivent pas être ignorés.
La mise en œuvre de la sécurité sociale, par les ordonnances de 1945, s’inscrit dans une histoire
plus longue : régime de l’indemnisation des accidents du travail (1898), puis des maladies
professionnelles (1919), création d’un régime général de retraites (1910), des premières
assurances sociales (1928-1930). Mais, en 1945, le tournant est plus profond. Il s’agit d’un plan
général, complet visant à garantir quatre risques sociaux : maladie, vieillesse, famille et
accidents du travail. La logique est celle de la solidarité (entre les générations, entre les biens-
portants et les malades, entre les plus riches et les plus modestes) et de redistribution.
Ce salaire « indirect », socialisé, représente rapidement près d’un quart des revenus salariaux. Cette
part, issue de la valeur ajoutée produite par la force de travail, échappe aux logiques du marché et du
profit et représente un filet de sécurité, tout d’abord pour les salariés, puis rapidement pour toute la
population (75 % de la population est couverte en 1975, 99,2 % en 1984).
Les attaques
Les années soixante sont le point de départ d’une remise en cause du statut salarial. L’ouverture
des marchés (création de la Communauté économique européenne en 1958), l’impératif de
compétitivité, la concentration du capital industriel et bancaire dans le cadre de la planification,
l’abaissement des coûts de production, restructurations de branches complètes de l’économie (textile,
mines, sidérurgie, machine-outil, construction navale, etc.), généralisation de la sous-traitance,
entraînent la mise en place de mesures destinées au chômage (création de l’UNEDIC pour
indemniser le chômage en 1958-1959, financement des préretraites avec la création du Fonds
national de l’emploi en 1963, apparition de l’ANPE pour le placement des chômeurs en 1967) et
des premières formes de flexibilisation : loi sur les licenciements (1973), encadrement de l’intérim
(1972), apparition des contrats à durée déterminée (1978).
Cette remise en cause se poursuit jusqu’à nos jours, tant pour démanteler la protection sociale et son
financement, que pour offrir au patronat les moyens de contourner des droits collectifs et individuels
jugés « trop contraignants » : élargissement des possibilités de recours au CDD (1985, 1986, 1990
projets avortés de contrat d’insertion professionnelle (CIP) en 1994 et de contrat première
embauche en 2006, création du statut d’auto-entrepreneur en 2008, mise en place de la rupture
conventionnelle la même année, apparition des contrats de chantier et des contrats de projet ou de
mission pour les ingénieurs et cadres…
Résultat, depuis 2000, le taux de salariat a légèrement reculé, avec la progression de l’emploi
indépendant, tandis que la flexibilité et la précarité, subies par la jeunesse et les sans-emplois, est
érigée en objectif des projets gouvernementaux et du patronat, UIMM en tête avec son « nouveau
dispositif conventionnel ».
Pour autant, le salariat reste majoritairement dominé par le contrat de travail à durée indéterminée,
sans que cela ne protège de la dégradation des conditions de travail ou des ruptures brutales. Il reste
également un point de repère essentiel pour les travailleurs placés hors-salariat par les attaques
les plus récentes, à l’image des conducteurs VTC ou des livreurs à vélo qui portent, parmi leurs
revendications, la reconnaissance d’un contrat de travail et non d’une simple relation
commerciale. L’obtention de la requalification permet d’obtenir le bénéfice de disposition
relevant du droit du travail comme les congés payés, le SMIC, la mutuelle obligatoire
d’entreprise, les arrêts maladie, le respect des durées maximales de travail et droit au repos ou
encore les indemnités de licenciement.
En guise de conclusion, on peut noter que le salariat est une construction juridique dont l’impact
économique et social est extrêmement important sur la société. Le syndicalisme a accompagné son
développement sur deux fronts : le premier pour améliorer le statut de salarié en obtenant des droits
collectifs et individuels permettant de soustraire, pour partie, le salarié à l’arbitraire patronal. Le
second a été de suivre, parfois avec un temps de retard, l’évolution du salariat, de sa structure et de sa
répartition géographique et professionnelle. Ces deux fronts, indissociables, sont toujours ouverts plus
d’un siècle après la naissance du syndicalisme et le contenu des attaques patronales et
gouvernementales sur les droits collectifs et individuels des salariés ces deux dernières décennies
témoignent que les possédants ne renoncent jamais. À nous de poursuivre le combat !
L’ubérisation de l’économie, la fin du salariat ?
Dix ans d’existence, cent millions d’utilisateurs dans soixante pays et une valeur boursière sept
fois supérieure à certains groupes centenaires comme Peugeot-PSA : voici Uber. À partir de son
application mobile reliant utilisateurs et chauffeurs, Uber a non seulement bousculé
l’organisation du transport urbain mais a surtout donné naissance à ce qu’on appelle
l’ubérisation de la société.
ÉDITORIAL
Le Monde
Publié le 18 mars 2021
En Europe, des procédures juridiques et de nouvelles réglementations se multiplient contre les plates-
formes Internet pour les pousser à améliorer le statut de leurs collaborateurs. Le groupe américain
vient ainsi d’accorder à ses chauffeurs au Royaume-Uni le statut de « travailleurs salarié ».
Depuis une dizaine d’années, la « gig economy », ou « économie à la tâche », celle des petits
boulots proposés par les plates-formes collaboratives sur Internet, a prospéré sans trop se
préoccuper de droit social. Profitant de vides juridiques et de l’explosion de la demande pour de
nouveaux services, les exploitants de voitures de transport avec chauffeur (VTC) et les sociétés
de livraison à domicile ont pris une importance grandissante, en imposant des conditions de
travail précaires à leurs collaborateurs.
Si ces emplois permettent d’offrir des possibilités à des personnes qui ont du mal à entrer sur le
marché du travail traditionnel ou qui ont besoin de revenus complémentaires, ils n’assurent pas
le minimum de protection sociale auquel peuvent prétendre ceux qui les occupent. La flexibilité
et la liberté qu’ils peuvent rechercher ne doivent pas être incompatibles avec le droit de travailler dans
la dignité.
Heureusement, la situation en Europe est en train de se normaliser, même si les progrès restent lents.
Un peu partout, des procédures juridiques poussent les plates-formes à lâcher du lest. Mardi 16 mars,
Uber a ainsi fini par accorder à ses chauffeurs au Royaume-Uni le statut de « travailleurs
salariés ». Le groupe américain était sous la pression de la Cour suprême britannique, qui, le 19
février, avait estimé que les chauffeurs ne devaient plus être considérés comme des travailleurs
indépendants et qu’ils avaient le droit d’accéder à certains avantages sociaux. Uber en prend
acte en leur accordant le salaire minimum, des congés payés et l’accès à un fonds de retraite.
Parmi les pays européens, le Royaume-Uni a toujours figuré comme celui qui offre le plus bas
niveau de protection de l’emploi, tel qu’elle est définie et mesurée par l’OCDE. La quasi-absence
d’une régulation des contrats de travail par la loi a fait que le problème d’une réforme du marché du
travail stricto sensu ne s’est posé que de façon marginale. Les mesures prises par les gouvernements
conservateurs depuis Margaret Thatcher ont pesé fortement, mais seulement indirectement sur le
fonctionnement des marchés du travail, principalement en dégradant le rapport de forces entre les
employeurs et les salariés aussi bien dans les relations individuelles que collectives : accroissement
des contraintes sur l’exercice du droit de grève, alourdissement des conditions et des coûts pour les
recours devant les tribunaux de l’emploi, intensification de la pression sur les chômeurs pour la
recherche et l’acceptation de tout emploi disponible… Paradoxalement, les contraintes législatives
sur les contrats de travail se sont plutôt accrues dans la période récente, c’est-à-dire depuis que
le Royaume-Uni s’est engagé (dans le traité d’Amsterdam, entré en vigueur le 1er mai 1999) à
transcrire les directives européennes : durée du travail, licenciements collectifs, CDD et travail
intérimaire, égalité salariale… Sous cet aspect, le Brexit risque de mettre en cause les quelques
protections qu’assurait la législation communautaire.
Ce cadre offre aux employeurs de vastes possibilités d’innovation qui n’exigent pas de réformes
législatives, mais qui tirent parti de la faiblesse de la législation. Sous cet aspect, les contrats de travail
« zéro heure » sont devenus un symbole de l’extrême flexibilisation du temps de travail au Royaume-
Uni. Dans ce type de contrat, le salarié doit rester à la disposition de l’employeur sans que ce dernier
soit soumis à l’obligation de lui fournir une durée de travail quelconque. Dépourvu d’une définition
juridique précise, le contrat zéro heure a connu un fort développement quantitatif. Face aux critiques
des syndicats et à des abus manifestes, le gouvernement a été conduit à introduire un minimum de
réglementation tandis que l’appareil statistique s’efforçait de mieux cerner le phénomène.
Le régime légal
Il n’existe pas de définition légale du contrat zéro heure (ACAS, 2016) : il s’applique à toutes les
formes de la relation d’emploi dès lors que l’employeur ne garantit aucune durée minimum de
travail. De son côté, le salarié doit être en permanence à la disposition de son employeur, mais il
peut en théorie librement accepter ou refuser les propositions de travail qui lui sont adressées
par l’employeur. Les règles qui s’appliquent au salarié dépendent donc de la catégorie à
laquelle il appartient (employed, worker, self-employed), information qu’il ignore souvent et
qui, en cas de conflit, ne peut être tranchée que par un recours coûteux et incertain devant un
tribunal de l’emploi (Employment Tribunal). Depuis mars 2015, la loi sur les PME, l’entreprise
et l’emploi (Small Business, Enterprise and Employment Act) interdit aux entreprises l’usage
des clauses d’exclusivité qui interdisent à un salarié à zéro heure de travailler pour un autre
employeur.
Pour le reste, le gouvernement se contente de conseiller de bonnes pratiques aux employeurs (BEIS,
2015) : ne pas recourir à ces contrats pour assurer des activités régulières, établir des contrats qui
précisent explicitement l’absence de garantie d’une durée de travail, le statut de worker ou
d’employee, les délais d’appel et les modalités d’achèvement du contrat…
Enfin, depuis 2014, le gouvernement considère qu’un chômeur est tenu d’accepter un contrat
zéro heure qui lui est proposé par le Job Center (Service public de l’emploi) sous peine de voir
son indemnité chômage (Jobseeker’s Allowance) suspendue. Jusqu’alors un chômeur n’était
tenu d’accepter une proposition d’emploi que si elle garantissait un salaire minimum.
La mesure statistique
Pour la première fois, au quatrième trimestre 2015, deux enquêtes ont permis de comparer les
réponses des individus à celles des entreprises. L’écart est à première vue massif : 0,8 million
pour les premiers ; 1,7 million pour les secondes. Les facteurs explicatifs sont multiples et
permettent de comprendre l’incertitude qui persiste sur l’ampleur du phénomène (ONS, 2014b ;
Chandler, 2016).
Le Labour Force Survey (LFS), équivalent de notre enquête sur l’emploi, mesure le nombre de
personnes en emploi qui déclarent occuper un « zero-hours contract » comme emploi principal ; elles
doivent choisir parmi huit réponses qui leur sont proposées. Mais les statisticiens soulignent que
certains répondants peuvent ignorer la nature exacte de leur contrat et choisir une autre réponse dans
la liste, par exemple « on-call working » (travail sur appel). Il y a donc un risque non mesuré de
sous-estimation des emplois zéro heure (801 000 au 4e trimestre 2015, soit 2,5 % des actifs en
emploi). Il existe aussi un risque de surestimation de leur croissance dans la mesure où l’intensité des
débats publics et de la couverture médiatique ont pu amener les intéressés à prendre une conscience
plus exacte de la nature de leur contrat. Ceci contribuerait, pour une fraction non mesurable, à
expliquer la forte croissance enregistrée par l’enquête (depuis 134 000 au 4e trimestre 2006, soit 0,5
% des actifs en emploi).
Une enquête auprès des entreprises, l’ONS Business Survey (ONS-BS), mesure le nombre de contrats
qui ne garantissent pas un nombre minimum d’heures ou NGHC (with Not Guaranteed minimum
number of Hours Contracts). En novembre 2015, 10 % des entreprises déclarent utiliser de tels
contrats pour un total de 1,7 million. Les sources d’écarts sont multiples :le LFS mesure un nombre de
personnes selon leur emploi principal ; l’ONS-BS mesure un nombre de contrats alors qu’un salarié
peut avoir plusieurs contrats NGHC ou en occuper un à titre d’emploi secondaire ;la définition des
NGHC est formellement plus large que celle des zero-hours contracts ; les employeurs sont supposés
mieux connaître la nature précise des contrats de travail que les salariés.
La marge d’incertitude est donc considérable entre 0,8 et 1,7 (voire 3,7) millions. Il existe une
troisième source statistique ; elle repose sur des enquêtes auprès des entreprises et auprès des
individus qui sont réalisées par un organisme privé, le Chartered Institute of Personnel and
Development (CIPD). Une enquête représentative auprès des entreprises ayant au moins deux salariés
conduit cet organisme à une estimation de 1 million de contrats zéro heure en 2013 et 1,3 en 2015
(CIPD, 2013 ; 2015), soit dans la fourchette des estimations de l’ONS.
Un domaine d’affrontement
Le développement des contrats zéro heure au cours de la décennie 2000 déclenche une vive
controverse entre organisations patronales et syndicales. Les premières affirment que ces contrats
constituent un élément indispensable de la flexibilité des entreprises, notamment pour faire face aux
fluctuations imprévisibles de la demande. Elles les présentent aussi comme un facteur de création
d’emplois, en particulier pour les publics en difficulté sur le marché du travail. Enfin, ces contrats
satisfont les besoins de certaines catégories de travailleurs et de travailleuses comme le montrent les
résultats d’enquête (voir supra) : la majorité des titulaires de ces contrats ne souhaitent pas augmenter
leur durée de travail et se déclarent plus satisfaits de leur sort que la moyenne des salariés.
Les syndicats demandent une stricte limitation de l’usage de ces contrats ainsi que des sanctions
contre les abus. Ils dénoncent la précarité, la faiblesse des revenus et la menace permanente du
zeroing down qui prive les salariés de toute capacité de revendiquer ou simplement de faire
reconnaître leurs droits. Ils s’appuient sur des exemples d’utilisation massive par des entreprises au-
delà de toute nécessité d’adaptation à la demande ainsi que de violations permanentes des droits
(TUC, 2014 ; 2015). Les syndicats les plus concernés, par exemple Unite et l’Union of Shop,
Distributive and Allied Workers (USDAW, distribution), ont mené des enquêtes auprès des salariés et
développé des pétitions et des campagnes de presse (Unite, 2013 ; USDAW, 2014).
À ce jour, les conflits ouverts ont été rares, mais ils ont souvent pris un caractère symbolique. Dès
2012, des salariés membres du syndicat Unite font condamner pour licenciement injustifié la firme
Paragon Automotive qui les avait contraints à abandonner des contrats de 40 à 45 heures
hebdomadaires pour signer des contrats zéro heure. En août 2013, le syndicat des boulangers, le
Bakers, Food and Allied Workers Union (BFAWU), déclenche une grève dans une usine de
fabrication de pain du groupe Premier Foods : 30 licenciements dans l’effectif permanent y ont été
compensés par le recours à des travailleurs intérimaires en contrats zéro heure ; après un mouvement
poursuivi pendant trois semaines, un accord complexe est signé que le syndicat considère comme une
victoire. En mai 2014, le syndicat Unite entame un conflit avec une entreprise des docks de Tilbury,
SGA Logistics, contre le remplacement de travailleurs permanents par des intérimaires ou des contrats
zéro heure. En juin 2015, plus de 300 salariés de la chaîne de magasins de sport, Sports Direct,
annoncent une plainte collective pour avoir été écartés de l’attribution de primes réservées aux
salariés permanents alors que le groupe emploie 17 000 de ses 20 000 salariés en contrats zéro heure.
En 2013, la pression des syndicats et de l’opposition parlementaire avait contraint le gouvernement à
lancer une consultation sur les moyens d’éviter les abus sans mettre en cause le principe de ces
contrats (BIS, 2013 ; Hall, 2014 ; Pyper, Dar, 2015 ; Pyper, Delebarre, 2016). Après un long
processus, la réforme adoptée en mars 2015 se limite, comme nous l’avons indiqué plus haut, à
interdire les clauses d’exclusivité avec une efficacité incertaine.
Des évolutions récentes peuvent annoncer un changement d’orientation de certains employeurs
sensibles à l’impopularité et, peut-être à l’inefficacité, de la formule. Ainsi, en 2015, quelques
entreprises ont signé des accords avec les syndicats soit pour transformer un nombre déterminé de
contrats zéro heure en contrats permanents, soit pour mettre un terme au recours à ces contrats [24].
Au début de 2016, McDonald’s, dont les 87 000 employés au Royaume-Uni sont presque tous en
contrats zéro heure, a annoncé qu’il allait leur proposer après trois mois d’emploi des contrats
garantissant un minimum de 4, 16 ou 30 heures de travail sur la base de l’horaire moyen
observé pendant cette première période de travail. Selon la direction, lors d’un test réalisé
auprès de 200 salariés, plus de 80 % ont rejeté cette offre ; il sera intéressant d’analyser le
déroulement de cette expérience.
Conclusions
Aujourd’hui, les positions semblent figées. Le gouvernement n’envisage pas d’aller au-delà de la
modeste réforme de 2015. Le patronat, tout en reconnaissant la nécessité d’éliminer des abus
manifestes, est fermement attaché à cette forme de flexibilité qu’il juge fonctionner à l’avantage des
salariés autant que des employeurs. Le TUC, récemment encore, a rappelé ses critiques : « Les
contrats à zéro heure peuvent être un rêve pour les employeurs qui cherchent à réduire les coûts. Mais,
ils peuvent être un cauchemar pour les travailleurs. Bien des gens en contrats zéro heure sont dans
l’impossibilité de faire des plans pour l’avenir et luttent constamment pour payer leurs factures et
avoir une vie de famille décente. La prétendue “flexibilité” qu’offrent ces contrats est beaucoup trop
unilatérale. Des personnes sans salaire garanti ont beaucoup moins de pouvoir pour se dresser dans la
défense de leurs droits et se sentent souvent effrayées de perdre des appels au travail s’ils perdent la
faveur de leur employeur [26]. »
Notes
Sujet n° 5 : L’ascenseur social est-il bloqué ? (Oral ESCP)
Pour un développement de cette thèse, cf Olivier Galland, Non, l’ascenseur social n’est pas en panne, Telos -
8 juillet 2016 et 8 mars 2019
- Une stabilisation des taux de mobilité après une forte baisse antérieure (p 97)
- Une hausse relative de la fluidité sociale mesurée par les rapports des chance relatives
(ou odds ratios)
24 (29)
Table de mobilité sociale 2014 (2003) - en % - source : INSEE
2. La mobilité “nette” reste supérieure à la mobilité structurelle
- Un déclassement plus fréquent chez les filles par rapport aux pères
2. Un déclassement scolaire
- Une conséquence des inégalités cumulatives aux points de bifurcation des parcours
scolaires (p 388)
On dispose en effet à ce sujet de données statistiques très solides, avec les enquêtes de l’INSEE
dites FQP (pour enquête sur la formation et la qualification professionnelle) qui permettent de
comparer (sur un échantillon de 40 000 personnes en 2003) la catégorie socioprofessionnelle de
chaque personne avec celle de leur père : ce sont les fameuses « tables de mobilité ». On a ainsi des
données très fiables à la fois sur le « recrutement » de chaque catégorie sociale (par exemple, quelle
est l’origine sociale des agriculteurs ou des cadres ?) et sur la « destinée » de chaque individu (par
exemple, quel est le destin professionnel des enfants d’agriculteurs ou d’ouvriers ?).
Or ces données montrent que la mobilité sociale est forte : en 2003, 65% des hommes de 40-59
ans exercent un métier dans une catégorie socioprofessionnelle différente de celle de leur père
(en retenant des catégories pourtant très larges : agriculteurs, cadres supérieurs, ouvriers etc..).
Bien sûr, cela ne veut pas dire que tous connaissent une ascension sociale, mais c’est le cas de
beaucoup d’entre eux, pour une raison simple : la structure sociale se déforme vers le haut, avec
un déclin du nombre d’ouvriers et une croissance du nombre de cadres et de professions
intermédiaires, et d’une manière plus générale, une croissance du nombre de « cols blancs » qui
signe la mutation vers une économie de services. Ainsi, d’après l’enquête FQP 2003, le nombre de
positions d’ouvriers a baissé de plus 600 000 de la génération des pères à la génération des fils,
tandis que le nombre de positions de cadres et de professions intermédiaires s’accroissait de 1
600 000 entre les deux générations : un formidable appel d’air vers le haut ! Et ce sont en partie
ces transformations structurelles qui ont permis à 1 million de fils d’ouvriers de devenir cadre ou
profession intermédiaire. A l’évidence un tel résultat infirme l’idée que l’ascenseur social est bloqué.
Bien sûr, même en tenant compte de cette déformation vers le haut de la structure sociale, dans
une société mobile, tout le monde ne peut pas être gagnant. Certains chercheurs ont d’ailleurs mis
le projecteur sur ce point en popularisant l’idée d’une montée du « déclassement ». Par exemple
(toujours d’après FQP 2003), 41% des fils de cadres supérieurs (âgés de 40 à 59 ans) ont connu
une telle descente sociale (en devenant salarié des professions intermédiaires, employé ou
ouvrier). Mais il est assez curieux de constater que ces chercheurs qui dénoncent par ailleurs
l’injustice de la société, puissent s’insurger contre ce fait et le porter au débit de la société qu’ils
étudient. En effet, une société dans laquelle la destinée sociale des individus serait totalement
indépendante de leur origine serait par définition une société de déclassement pour une part
beaucoup plus importante de ses membres que ce n’est le cas aujourd’hui, mais une telle société
serait une société parfaitement juste ! Le déclassement est donc un signe d’équité sociale et le
dénoncer pourrait signifier que l’on veut protéger les acquis de ceux qui ont atteint les positions les
plus élevées dans la société. Une posture pas vraiment progressiste !
D’autres données montrent que la société française est plus fluide qu’elle ne l’était il y a 30 ou
40 ans, par exemple celles sur l’homogamie, c’est-à-dire la tendance à choisir un conjoint dans
le groupe social auquel on appartient ou du même niveau social. Un jeune chercheur, Milan
Bouchet-Valat, a montré récemment dans un article très fouillé de la Revue française de
sociologie, que cette tendance à former des unions dans le même milieu social s’était
régulièrement et fortement atténuée depuis la fin des années 1960. Il en conclut que la société
française est plus ouverte aujourd’hui qu’elle ne l’était à cette époque et que l’idée avancée par
certains chercheurs, comme Louis Chauvel, d’un retour des classes sociales était plutôt
invalidée.
Néanmoins, ce constat optimiste sur l’ouverture et la mobilité de la société française demande à
être nuancé sur plusieurs points. Tout d’abord la poussée de la mobilité sociale ascendante s’est
ralentie dans les années 2000. Prenons un exemple parlant, le pourcentage de fils d’ouvriers qui
deviennent cadres ou professions intermédiaires, en comparant trois enquêtes FPQ successives :
ce pourcentage n’était que de 22% en 1977 et il s’est fortement accru en 1993 en passant à 32%,
mais a pour ainsi dire stagné en 2003 (33%). L’ascenseur social fonctionne toujours mais il
n’accélère plus et le destin le plus fréquent pour un fils d’ouvrier reste de devenir lui-même
ouvrier (à 46%).
En second lieu, les écarts entre catégories sociales pour accéder aux positions
socioprofessionnelles les plus élevées sont restées constants ou se sont même accentués au
bénéfice des fils de cadres. Autrement dit, la déformation de la structure des emplois vers le
haut a profité à tout le monde, mais un peu plus à ceux dont les familles occupaient déjà ces
positions supérieures. L’inégalité des destins sociaux en fonction de l’origine n’a ainsi pas
beaucoup évolué. C’est ce raisonnement relatif qui peut alimenter l’argument de la « panne de
l’ascenseur social », mais c’est évidemment un raisonnement abstrait qui n’a aucune visibilité
sociale : les acteurs sociaux ne comparent pas en moyenne leurs trajectoires à celles des
membres des autres catégories sociales ! Ce sont les sociologues de la mobilité sociale qui font ce
travail en distinguant mobilité structurelle et mobilité nette ou fluidité sociale (c’est-à-dire celle qui
n’est pas expliquée par les transformations structurelles). Par contre les acteurs peuvent facilement
comparer leur trajectoire à celle de leurs parents et constater, pour bon nombre d’entre eux, qu’elle
s’est améliorée. C’est ce qui explique sans doute d’ailleurs que les jeunes interrogés dans des
sondages soient systématiquement pessimistes sur l’avenir de la société (une société de
déclassement leur dit-on), mais plutôt optimistes sur leur destin personnel.
Une dernière nuance tient au fait que ces travaux sur la mobilité sociale portent 1) sur les actifs
ayant un emploi 2) sur des catégories socioprofessionnelles très larges (les ouvriers, les cadres
supérieurs, les professions intermédiaires etc…). Ils ne nous disent donc rien sur ceux qui sont
exclus durablement du système de stratification professionnelle et dont il est bien possible que la
situation se soit détériorée et rien non plus sur les réaménagements qui peuvent s’effectuer à
l’intérieur de ces grandes catégories, notamment aux deux extrémités de l’échelle sociale : chez
les très riches et les très pauvres. Des travaux américains montrent que la structure sociale aux
Etats-Unis se polarise avec le développement simultané de professions hyper-qualifiées et très
fortement rémunérées (dans les nouvelles technologies, la finance etc..) et de métiers de services
sous-qualifiés (services à la personne, restauration etc…). Dans une large mesure d’ailleurs ces
derniers sont au service des premiers dans la « ville globale » que décrit Saskia Sassen. Dans le
même temps, les métiers de niveau intermédiaire – ouvriers qualifiés, employés de banque,
secrétaires etc…- tendent à disparaître sous l’effet des mutations technologiques.
Une telle évolution n’apparaît pas encore nettement en France. La classe moyenne y reste nombreuse
et n’a pas connu le déclin enclenché dans d’autres pays développés, peut-être à cause de l’importance
de la fonction publique et des corps administratifs intermédiaires. Les métiers peu qualifiés dans les
services et la restauration se sont également moins développés dans notre pays du fait d’un coût du
travail non qualifié trop élevé. Néanmoins, on ne voit pas trop de raisons structurelles qui feraient que
la France échappe totalement à ces évolutions. On en voit d’ailleurs les prémisses dans le très haut de
la hiérarchie des revenus qui a explosé ces toutes dernières années et dans le très bas de la hiérarchie
sociale avec un nombre important et constant de personnes durablement éloignées de l’emploi.
Mais si cette évolution se confirme, il ne faudra pas la lire au prisme de ces notions de déclassement
et de panne de l’ascenseur social qui semblent plutôt refléter les préoccupations de la classe
moyenne. La véritable question sociale sera plutôt celle des « outsiders » – ceux qui ne rentrent pas
dans les tables de mobilité.
Non, l’ascenseur social n’est pas en panne! (2)
Olivier Galland - Telos - 8 mars 2019
Il y a deux ans et demi, je publiais dans Telos un article sous ce même titre, fondé sur les données de
l’INSEE issues des enquêtes Formation et qualification professionnelle (FQP), une des principales
sources sur la mobilité sociale en France. Or l’INSEE vient de publier les premiers résultats de la
dernière enquête FQP réalisée en 2014-2015[1]. Ils justifient pleinement, à partir de données
récentes, le titre que je donnais au papier de 2016, « l’ascenseur social n’est pas en panne ». Il me
semble donc utile de revenir sur ces résultats, tant l’idée fausse qu’il n’y a plus de mobilité sociale en
France (ou seulement du déclassement) est ancrée dans l’opinion (et malheureusement propagée bien
souvent par les médias, voire par certains intellectuels).
Introduction : Une émergence sociologique à la fin du XIXème siècle (pp 91-93, p 96)
Problématique : Pourquoi les classes moyennes n’ont-elles pas disparu malgré les menaces qui
pesaient sur elles ?
Dans un rapport édifiant, l'OCDE décrypte le rétrécissement et la fragilisation des classes moyennes
dans les pays développés. Un facteur d'instabilité politique.
Par Marc Vignaud
Le Point économie - Publié le 10/04/2019
C'est un rapport sur l'écrasement des classes moyennes qui va particulièrement résonner en France,
dans un contexte marqué par le mouvement des Gilets jaunes, interprété comme l'expression d'un ras-
le-bol de la classe moyenne inférieure. Mercredi, l'OCDE (Organisation de coopération et de
développement économiques) a publié une vaste étude* en anglais qui montre un mouvement général
d'attrition des classes moyennes à travers ses pays membres. « Le rêve de la classe moyenne reste de
plus en plus un rêve pour beaucoup », résument ses auteurs. De quoi expliquer la montée des partis
populistes et la défiance croissante exprimée envers les institutions dans de nombreux pays.
Dans un précédent rapport sur les inégalités**, l'OCDE avait montré que les possibilités d'ascension
sociale pour les classes moyennes inférieures s'étaient réduites ces dernières années. La France est
particulièrement concernée. Il faut désormais six générations pour la descendance d'un foyer aux
revenus modestes pour atteindre le revenu moyen des Français, un chiffre plus élevé que dans
beaucoup de pays, preuve de la reproduction sociale (il est compris entre 2 et 5 générations).
Sous pression
Cette nouvelle étude montre comment les classes moyennes, ici définies comme les personnes
gagnant entre 75 % du revenu médian*** d'un pays et le double de ce revenu médian, sont de plus en
plus sous pression. En France, il s'agit de personnes dont le niveau de vie est compris entre 18 173
dollars et 48 462 dollars (le revenu est exprimé en dollar pour assurer une comparabilité internationale
en parité de pouvoir d'achat).
Entre le milieu des années 80 et le milieu des années 2010, le nombre de foyers qui appartiennent aux
classes moyennes s'est réduit de 64 % à 61 % du total. Le nombre de foyers aisés et pauvres a en
revanche augmenté, reflétant une montée des inégalités. La France, de ce point de vue, reste bien
placée. Les classes moyennes y représentent un groupe social plus large que dans la moyenne de
l'OCDE, signe que le système les protège sans doute un peu mieux. Et ce chiffre est orienté à la
hausse comme en Irlande.
La classe moyenne reste plus étendue en France que dans la moyenne des pays de l'OCDE.
© OCDE/Under Pressure: The Squeezed Middle Class
La pression sur les classes moyennes est avant tout financière : leurs revenus n'ont quasiment pas
progressé ces dix dernières années. Et sur trente ans, le revenu médian dans les pays de l'OCDE a
progressé trois fois moins vite que celui des 10 % les plus riches. Le phénomène est particulièrement
impressionnant aux États-Unis. Résultat, dans l'ensemble de l'OCDE, le revenu global des classes
moyennes s'est dégradé par rapport à celui des 10 % les plus riches au fil du temps : il était quatre fois
plus important que celui des 10 % les plus riches il y a 30 ans, aujourd'hui il est moins de trois fois
plus élevé.
Le risque de l'endettement
Parallèlement, le coût de la vie des classes moyennes a progressé à cause de l'augmentation spécifique
des prix de la santé, du logement et de l'éducation des enfants, trois dépenses au cœur des dépenses
des classes moyennes, souligne l'OCDE. De ce point de vue, la France est plutôt en bonne position
puisque la santé est prise en charge par la Sécu et les mutuelles, et parce que l'éducation est
potentiellement quasiment gratuite grâce à l'école publique. Mais les études supérieures coûtent
parfois tout de même de l'argent. Quant au prix des logements, il a augmenté bien plus vite que les
revenus des classes moyennes.
Les prix du logement ont augmenté bien plus vite que les revenus des classes moyennes dans les pays de
l'OCDE.
© OCDE/Under Pressure: The Squeezed Middle Class
Il n'en reste pas moins que le mode de vie des classes moyennes, qui accordent beaucoup
d'importance à une certaine qualité de logement (elles sont souvent propriétaires ou rêvent de l'être) et
investissent beaucoup dans l'éducation de leurs enfants, s'en est trouvé menacé à travers l'OCDE. Un
ménage sur cinq appartenant aux classes moyennes est aujourd'hui obligé de dépenser plus qu'il ne
gagne, ce qui génère un endettement croissant. « Le mode de vie typique des classes moyennes est de
plus en plus coûteux », résument les auteurs de l'étude.
Les classes moyennes françaises disent avoir de plus en plus de mal à joindre les deux bouts.
© OCDE/ Under Pressure: The Squeezed Middle Class
Dans 24 pays où les données sont disponibles, un ménage de classe moyenne sur deux déclare avoir
des difficultés à boucler ses fins de mois. Quarante pour cent d'entre elles se sentent vulnérables, c'est-
à-dire qu'elles ne pourraient pas faire face à une augmentation soudaine de leurs dépenses ou à une
chute brutale de revenus. Cela se traduit par un pessimisme quant à leur avenir et celui de leurs
enfants et par le sentiment, assez répandu, que « c'était mieux avant ». En France, le nombre de
personnes qui citent la perspective de voir ses enfants faire moins bien qu'eux (que ce soit en termes
de statut ou de confort de vie) parmi les trois grands risques pour l'avenir atteint plus de 70 %. Un
chiffre au-dessus de la moyenne de l'OCDE (60 %).
Nombreux défis
Désormais, il faut souvent deux travail dans le foyer pour appartenir à la classe moyenne, dont l'un
fortement qualifié, ce qui n'était pas le cas avant. Et encore, un deuxième emploi dans un couple est
de moins en moins une assurance de figurer parmi les classes moyennes. Tout cela dans un contexte
où le nombre de familles monoparentales augmente. Cet écrasement des classes moyennes pose de
nombreux défis aux pays développés. Parce qu'elles sont souvent synonymes de stabilité politique et
aident à financer les systèmes sociaux.
Face à une telle situation, l'OCDE appelle la plupart des pays à augmenter la progressivité de leur
impôt qui ne cesse de diminuer, y compris en Europe, comme l'avait souligné une étude récente de
l'Institut des politiques publiques (IPP). Elle appelle également les gouvernements à augmenter les
taxes sur l'héritage et sur la détention d'un bien immobilier, à combattre l'optimisation fiscale (un
mouvement bien engagé sous l'égide de l'organisation), et à favoriser la construction et la fourniture
de logements accessibles. Des conseils qui varient évidemment de pays à pays. Le rapport de l'OCDE
publié mardi sur la France montre que l'Hexagone a un profil particulier, déjà très redistributif. Ses
recommandations générales n'y sont donc pas toujours pertinentes. Les inégalités, par exemple, n'y
ont quasiment pas augmenté depuis 40 ans (voir graphique).
L'ouvrage
Dans cet essai, Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely décrivent le nouveau visage de la France,
dont le paysage économique, social et culturel a profondément évolué depuis le début des années
1980. Il est important d’avoir en tête cette « Grande Métamorphose », alors que se profile la dernière
ligne droite de la campagne présidentielle 2022 : « or l’écart entre le pays tel qu’il se présente
désormais à nos yeux et les représentations que nous en avons est abyssal ».
Sur le plan méthodologique, les auteurs privilégient dans leur ouvrage un certain déterminisme
économique, complété par une analyse des flux (circulation des marchandises et du capital, mobilité
des travailleurs entre les régions, dynamiques urbaines et polarisations, etc.) et une référence aux
grands auteurs des sciences sociales qui éclairent plus que jamais les transformations à l’œuvre
(l’école des Annales avec l’historien Fernand Braudel, la sociologie des classes moyennes de Henri
Mendras, les changements structurels décrits par Jean Fourastié, etc.).
Mais surtout leurs analyses sont tirées directement de l’observation sur le terrain, qui leur a permis de
réaliser des monographies et des cartographies des villes et des villages de France cités en exemples
tout au long leur ouvrage, pour mieux cerner les évolutions de ces territoires, transformés par les flux
de la mondialisation, ceux de l’intégration européenne, ou par le processus de « destruction créatrice »
cher à Joseph Schumpeter.
Quatrième de couverture
Qu'ont donc en commun les plateformes logistiques d'Amazon, les émissions de Stéphane Plaza, les
restaurants de kebabs, les villages de néo-ruraux dans la Drôme, l'univers des coaches et les
boulangeries de rond-point ? Rien, bien sûr, sinon que chacune de ces réalités économiques,
culturelles et sociales occupe le quotidien ou nourrit l'imaginaire d'un segment de la France
contemporaine. Or, nul atlas ne permet de se repérer dans cette France nouvelle où chacun ignore ce
que fait l'autre. L'écart entre la réalité du pays et les représentations dont nous avons hérité est dès lors
abyssal, et, près d'un demi-siècle après l'achèvement des Trente glorieuses, nous continuons à parler
de la France comme si elle venait d'en sortir. Pourtant, depuis le milieu des années 1980, notre société
s'est métamorphosée en profondeur, entrant pleinement dans l'univers des services, de la mobilité, de
la consommation, de l'image et des loisirs. C'est de la vie quotidienne dans cette France nouvelle et
ignorée d'elle-même que ce livre entend rendre compte à hauteur d'hommes et de territoires.
Le lecteur ne s'étonnera donc pas d'être invité à prendre le temps d'explorer telle réalité de terrain,
telle singularité de paysage ou telle pratique culturelle, au fil d'un récit soutenu par une cartographie
originale (réalisée par Mathieu Garnier et Sylvain Manternach) et des statistiques établies avec soin.
Qu'ils fassent étape dans un parc d'attraction, nous plongent dans les origines de la danse country,
dressent l'inventaire des influences culinaires revisitées, invoquent de grandes figures intellectuelles
ou des célébrités de la culture populaire, les auteurs ne dévient jamais de leur projet : faire en sorte
qu'une fois l'ouvrage refermé, le lecteur porte un regard nouveau sur cette France recomposée.
Les auteurs
● Jérôme Fourquet, auteur de L'Archipel français (Seuil, 2019), est analyste politique, expert en
géographie électorale, directeur du département Opinion à l'IFOP.
● Jean-Laurent Cassely est journaliste (Slate.fr, L'Express) et essayiste, spécialiste des modes
de vie et des questions territoriales.
Actualité
Y a-t-il démoyennisation de la société française ?
● Olivier Galland
TELOS - 17 décembre 2021
Si l’on s’en tient à la définition de Mendras, la figure 1 n’alimente pas la thèse de la fin de la classe
moyenne : la « constellation centrale » gagne en effet des effectifs avec la croissance continue de la
part des professions intermédiaires et des cadres et des employés jusqu’au tournant des années 2000.
Ce sont les ouvriers qui connaissent une chute impressionnante de leurs effectifs à partir du début des
années 1980 (quand la gauche accède au pouvoir !). Cette baisse du nombre d’ouvriers est
évidemment causée comme le dit Fourquet par la désindustrialisation, mais contrairement à ce qu’il
avance elle a plus touché les ouvriers non qualifiés que les ouvriers qualifiés (figure 2).
En réalité, on assiste plus à une recomposition de la classe populaire qu’à la fin de la classe moyenne :
les ouvriers (et surtout les ouvriers non qualifiés) laissent progressivement la place aux travailleurs
peu qualifiés des services. Mais ces groupes sociaux peuvent difficilement être rangés dans la classe
moyenne. Sur ce sujet d’ailleurs Jérôme Fourquet a des pages tout à fait justes sur les « salariés de la
logistique et les ‘métiers du care’ » qui étaient très présents sur les ronds-points de Gilets jaunes. Il
s’agit bien d’un nouveau prolétariat dans les métiers des services, peu représenté et défendu par les
instances syndicales traditionnelles et les partis de gouvernement.
Figure 2. La recomposition des classes populaires
Sur le plan des revenus également, les données n’alimentent pas la thèse d’un décrochage de la
classe moyenne. La dernière édition 2021 de l’Insee Références « Revenus et patrimoine des
ménages » montre que les 40% des Français les plus modestes – ce qu’on peut considérer
comme le bas de la classe moyenne – comparés aux 10% des Français les plus riches, ont
conservé pour ainsi dire la même part de la somme totale des niveaux de vie entre 1996 et 2018 :
en 1996 ces deux parts étaient presque équivalentes (22,7% contre 22,9%) et elles restent très
proches en 2018 (22,2% contre 24,8% soit une part du dernier décile 1,12 fois plus élevée).
Même si l’écart s’est un petit peu creusé, l'évolution reste modeste et ne vient pas à l’appui d’un
réel déclassement de la classe moyenne.
Au total, la partie la plus convaincante de la thèse de Jérôme Fourquet concerne l’irruption sur la
scène sociale et politique d’une nouvelle classe de salariés, des salariés peu qualifiés de la logistique,
de la distribution, des services à la personne dans les « métiers du care » et le secteur hospitalier. Ce
sont ces groupes de métiers que Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely ont dénombrés sur un
groupe Facebook de Gilets jaunes de Cavaillon. Mais ces salariés, les nouveaux prolétaires de la
société tertiaire, n’ont pas grand-chose à voir avec la classe moyenne. Ils progressent à mesure que la
classe ouvrière décline, engendrant une recomposition profonde des classes populaires.
Sans doute pour alimenter sa thèse (contestable) de sécession des élites et de polarisation de la société
française, Jérôme Fourquet a-t-il voulu l’interpréter comme une rupture et un déclassement des
classes moyennes. Il est possible qu’à l’avenir un tel mouvement s’enclenche (c’est effectivement le
cas, comme il le remarque, aux États-Unis), mais les données ne valident pas, pour le moment, son
avènement en France.
[1] Lorsqu’on leur propose plusieurs images censées figurer la structure sociale, les Français
choisissent d’ailleurs préférentiellement cette image de la pyramide, figurant ainsi une société avec
beaucoup de pauvres et une classe moyenne assez réduite.
Sujet n° 7 : Le vieillissement démographique : un handicap pour la croissance
économique ? (Oral ESCP)
Problématique : Quels sont les dangers potentiels du vieillissement démographique sur les différents
facteurs et horizons de la croissance ?
III. Une influence potentiellement problématique sur les choix de politique économique
Eric Chaney
Conseiller économique de l’Institut Montaigne
26 mars 2019
Alors que l’Union européenne considère dorénavant la Chine comme un « rival systémique », il est
intéressant d’analyser les évolutions économiques internes de la seconde économie mondiale pour
éclairer sa stratégie internationale. En un mot, pour rester au pouvoir, le Parti Communiste, cette
nouvelle dynastie impériale, pour reprendre l’analyse de l’ancienne ambassadrice de France à Pékin
Sylvie Bermann, doit être capable de tenir la promesse qui est au cœur du pacte social chinois :
parvenir à une prospérité « modérée » – ce sont les mots de Xi Jinping – avant que le poids de la
population âgée ne devienne écrasant. Pour cela, le parti a besoin des ressorts de l’économie de
marché et de la technologie, même si ces deux puissantes forces sont de nature à le remettre en cause.
Dans un pays où le matérialisme dialectique reste à l’honneur, le moins qu’on puisse dire est que les
contradictions ne manquent pas.
Les données relatives à la répartition du patrimoine sont très imparfaites et parfois insuffisantes, en
particulier lorsque l’on se focalise sur les décennies, voire les siècles passés. Ainsi, nous ne disposons
de séries de données de long terme qui soient réellement fiables que pour une poignée du pays, en
l’occurrence les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Suède, notamment grâce aux travaux de
Tony Atkinson, Emmanuel Saez, Thomas Piketty ou encore Gabriel Zucman.
Bertrand Garbinti, Jonathan Goupille-Lebret et Thomas Piketty (2016b) ont récemment proposé des
séries de données cohérentes et unifiées sur la répartition de la richesse en France entre 1800 et 2014.
Pour cela, ils ont utilisé et combiné différentes sources, notamment des données fiscales, des registres
testamentaires, des comptes nationaux et des enquêtes. Leur analyse confirme que la répartition du
patrimoine est extrêmement inégalitaire (cf. graphique 1) Par exemple, en 2012, le patrimoine net par
adulte s’élevait en moyenne à environ 200.000 euros. Les 50 % les plus modestes possédaient environ
5 % du patrimoine national ; leur patrimoine moyen s’élevait à 20.000 euros, c’est-à-dire était dix fois
plus faible que le patrimoine moyen de l’ensemble des adultes. Les « classes moyennes », c’est-à-dire
les personnes plus riches que les 50 % les plus modestes, moins aisées que les 10 % les plus riches,
possédaient environ 40 % du patrimoine national ; leur patrimoine moyen s’élevait à environ 200.000
euros, c’est-à-dire était égal à la moyenne de l’ensemble des adultes. Enfin, le décile supérieur, c’est-
à-dire les 10 % les plus riches, possédaient environ 55 % du patrimoine national ; leur patrimoine
moyen s’élevait à environ 1,1 millions d’euros, c’est-à-dire représentait 5,5 fois le patrimoine moyen
de l’ensemble des adultes.
Garbinti et ses coauteurs constatent que le niveau exact des inégalités de patrimoine varie fortement
au cours du temps (cf. graphique 1). La concentration des richesses a suivi à très long terme une
évolution en forme de U depuis un siècle. En effet, tout au long du dix-neuvième siècle et au tout
début du vingtième siècle, la part du patrimoine détenue par les 10 % les plus aisés était comprise
entre 80 et 90 %. Les « classes moyennes » ne possédaient alors qu’une faible part du revenu
national : celle-ci était légèrement supérieure à 10 %. La part du patrimoine national détenue par les
10 % les plus riches a baissé entre les années 1910 et les années 1980, décennie au cours de laquelle
elle fluctuait entre 50 et 60 %. Ce sont en fait les classes moyennes qui ont vu leur part s’accroître : la
part du patrimoine des 50 % les plus modestes est quant à elle restée inférieure à 5 %. La hausse de la
part du patrimoine détenue par les classes moyennes entre 1914 et 1945 s’explique, non pas par le fait
qu’elles aient accumulé rapidement du patrimoine, mais plutôt par le fait qu’elles aient moins perdu
de patrimoine que les 10 % les plus riches. Ces pertes en patrimoine s’expliquent notamment par les
destructions d’actifs associées aux deux guerres mondiales, aux épisodes d’inflation et aux épisodes
de chutes de prix d’actifs. Par contre, au cours des décennies qui ont immédiatement suivi la Seconde
Guerre mondiale, la progression de la part du patrimoine national détenue par les classes moyennes
s’explique par le fait qu’elles ont accumulé plus rapidement du patrimoine que les 10 % les plus
riches. Garbinti et ses coauteurs notent que la baisse de la part du patrimoine détenue par les 10 % les
plus riches que l’on observe à long terme s’explique entièrement par l’effondrement de la part détenue
par le centile supérieur, c’est-à-dire par les 1 % les plus riches : ces derniers possédaient entre 15 % et
20 % du patrimoine, contre 55-60 % à la veille de la Première Guerre mondiale (cf. graphique 2).
GRAPHIQUE 2 Parts du patrimoine total détenues par les plus riches (en %)
Depuis les années 1980, la concentration du patrimoine tend légèrement à s’accroître : la part du
patrimoine détenue par les 10 % les plus riches a légèrement augmenté, tandis que la part du
patrimoine détenue par les classes moyennes a légèrement diminué. La part du patrimoine détenue par
les 10 % les plus riches est passée de 15-20 % à environ 25 % entre le début des années 1980 et le
début des années 2010. La concentration du patrimoine a toutefois connu d’amples fluctuations de
court terme ces dernières décennies en raison des fluctuations des prix d’actifs. En effet, la part du
patrimoine détenue par les 10 % les plus riches a fortement augmenté jusqu’à 2000, lorsque les cours
boursiers augmentaient plus rapidement que les prix de l’immobilier, avant de fortement décliner,
avec l’éclatement de la bulle internet.
GRAPHIQUE 3 Parts du patrimoine, du revenu total, du revenu du travail et du revenu du
patrimoine détenues par le centile supérieur (en %)
S’appuyant sur leur étude parallèle sur la répartition des revenus [Garbinti et alii, 2016a], les trois
auteurs confirment que les inégalités de patrimoine sont systématiquement plus élevées que les
inégalités de revenu et surtout que les inégalités du revenu du travail. Par exemple, la part du revenu
du travail rémunérant les 10 % les mieux rémunérées a fluctué entre 25 % et 35 % entre 1900 et
2014 ; au cours de cette même période, la part du patrimoine total allant aux 10 % les plus riches a
fluctué entre 50 % et 90 %. La part du revenu du travail rémunérant les 1 % les plus rémunérés fluctue
entre 5 % et 8 %, tandis que la part du patrimoine nationale détenue par les 1 % les plus riches fluctue
entre 15 % et 60 % (cf. graphique 3). La concentration du revenu total, qui inclut non seulement les
revenus du travail, mais aussi les revenus du capital, se situe à un niveau intermédiaire entre la
concentration du patrimoine et la concentration des revenus du travail, mais elle est toutefois plus
proche de cette dernière, ce qui est tout à fait normalement, dans la mesure où ce sont généralement
entre 65 % et 75 % du revenu total qui rémunèrent le travail.
GRAPHIQUE 4 Profil du patrimoine selon l’âge
Garbinti et ses coauteurs se sont ensuite focalisés sur le profil du patrimoine en fonction de l’âge (cf.
graphique 4). Il apparaît que la richesse moyenne est toujours très faible à l’âge de 20 ans ; elle est
inférieure à 10 % du patrimoine moyen par adulte. Elle s’accroît ensuite fortement avec l’âge jusqu’à
50-55 ans et se stabilise à des niveaux élevés (entre 150 % et 160 % du patrimoine moyen par adulte)
entres 60 et 85 ans. Ce profil a été stable sur la période s’écoulant entre 1970 et 2014. A la différence
de ce que suggère la théorie du cycle de vie standard, la richesse moyenne ne semble pas décliner à
des âges élevés, les individus meurent en laissant un patrimoine important et ils tendent à le
transmettre à leur descendance. En outre, les personnes âgées font beaucoup de donations, c’est-à-dire
transmettent beaucoup de patrimoine avant même leur décès. Ces donations sont généralement faites
dix ans avant le décès. Le flux agrégé de donations a fortement augmenté ces dernières décennies : il
représentait 80 % du flux agrégé de legs dans les années 2000-2010, contre 20-30 % dans les années
1970.
GRAPHIQUE 5 Composition du patrimoine en France selon le niveau de patrimoine en 2012
Au cours des dernières décennies, la composition du patrimoine a fortement changé (cf. graphique 5).
Les parts respectives des actifs immobiliers et des actifs financiers se sont fortement accrues entre
1970 et 2014, tandis que les parts des actifs professionnels ont fortement décliné, en phase avec le
recul du travail indépendant. Les actifs financiers autres que les dépôts bancaires se sont fortement
accrues à partir des années 1980 ; ils ont atteint un pic en 2000, avant qu’éclate la bulle internet et que
chutent les cours boursiers. Les prix de l’immobilier avaient par contre tendance à chuter à la fin des
années 1990, avant de fortement s’accroître durant les années 2000. Ces variations des prix relatifs
des actifs ont eu de profondes répercussions sur la dynamique des inégalités de richesse, dans la
mesure où les différents groupes n’ont pas les mêmes portefeuilles d’actifs. En 2012, les 30 % les plus
modestes détenaient principalement des dépôts. Les actifs immobiliers constituent la principale forme
de patrimoine pour les classes moyennes. Ensuite, à mesure que l’on se rapproche du sommet de la
répartition des richesses, les actifs financiers autres que les dépôts bancaires prennent une part de plus
en plus importante dans le patrimoine.
GRAPHIQUE 6 Parts du patrimoine détenues par les plus riches en France et aux Etats-Unis
(en %)
Enfin, Garbinti et ses coauteurs comparent l’évolution des inégalités de patrimoine en France avec
celle observée dans les autres pays. La dynamique suivie par la concentration des richesses
s’apparente par exemple à celle observée au Royaume-Uni et en Suède : extrêmement élevée au dix-
neuvième siècle et au début du vingtième siècle, elle a fortement décliné entre la Première Guerre
mondiale et la fin des années 1970, avant de s’accroître à nouveau, modestement, à partir des années
1980. La répartition des richesses était plus inégale en France qu’aux Etats-Unis au début du
vingtième siècle ; c’est désormais l’inverse depuis quelques décennies (cf. graphique 6). Cela a pu
s’expliquer par le fait que les parts du revenu du travail détenues par les salariés les mieux rémunérées
ont augmenté plus rapidement aux Etats-Unis qu’en France.
Références
GARBINTI, Bertrand, Jonathan GOUPILLE-LEBRET & Thomas PIKETTY (2016a), « Income
inequality in France, 1900-2014: Evidence from distributional national accounts (DINA) », WIID,
working paper.
GARBINTI, Bertrand, Jonathan GOUPILLE-LEBRET & Thomas PIKETTY (2016b), « Accounting
for wealth inequality dynamics: Methods, estimates and simulations for France (1800-2014) », WIID,
working paper.
Lecture de « The Great Demographic Reversal », par Charles Goodhart et Manoj
Pradhan
François Meunier
Vox-Fi - le 6 octobre 2020
Il s’agit d’un livre stimulant. Nos lecteurs peuvent se reporter à l’excellente présentation qu’en font
les auteurs sur le site du Peterson Institute PIIE. Le titre complet du livre est « The Great
Demographic Reversal: Ageing Societies, Waning Inequality, and an Inflation Revival », édité chez
Palgrave-Macmillan.
La thèse est simple : les tendances lourdes de la mondialisation et de la démographie se renversent.
Elles ont poussé à une inflation très basse, à une forte réduction de l’inégalité entre nations et à un
accroissement tout aussi fort de l’inégalité au sein des pays. Ce temps est fini. Nous allons devant un
monde fait de dettes croissantes et qui va nécessairement renouer avec l’inflation. Un monde aussi où
l’inégalité au sein des nations va décroître.
Suivons le fil au travers d’une série de graphiques et de tableaux.
Le premier montre l’évolution de la population en âge de travailler dans le monde développé (courbe
bleue), de ce même monde auquel on ajoute la Chine et l’Europe de l’Est, qui se sont intégrées à la
mondialisation et aux échanges commerciaux (jaune), et enfin l’Afrique et l’Inde (gris pointillé).
Ce que l’on voit, c’est qu’en quatre ou cinq décennies, la population active a tout simplement doublé,
et qu’un immense réservoir d’emplois non qualifiés s’est, en l’espace de deux générations, ouvert au
reste du monde.
La première conséquence concerne ces nouveaux pays : un effet de rattrapage particulièrement rapide
où les salaires se sont fortement rapprochés des salaires des pays développés (tableau).
Tableau : Ratio du salaire moyen selon deux couples de pays
Le rattrapage est particulièrement impressionnant dans le cas chinois (mais les salaires chinois restent
encore à un cinquième de ceux des États-Unis) ; même chose, à un degré moindre, entre la Pologne et
la France.
Rattrapage et moins d’inégalités entre pays, mais d’autres conséquences moins agréables :
● Le rattrapage chinois a sans nul doute exercé une violente pression sur les salaires des pays
développés s’agissant des travailleurs non qualifiés.
● D’autant plus que le secteur qui est resté dynamique dans ces pays a été le secteur des
services, alors que le capital et les emplois industriels sont partis vers la Chine. Or, c’est dans
le secteur manufacturier qu’il est le plus commode d’organiser le travail en syndicats
puissants, capables de résister à la pression sur les salaires.
● Par conséquent, une forte augmentation de l’inégalité au sein des pays, en même temps
qu’une forte pression à la désinflation s’est imposé partout dans le monde. Or, une faible
inflation favorise les créanciers, défavorise les débiteurs. Les revenus du capital sont restés
dynamiques, d’autant que les grands groupes industriels ont été les promoteurs du transfert de
capital vers la Chine et les pays nouvellement intégrés à la mondialisation.
Le graphique qui suit montre à quel point les travailleurs non qualifiés des pays développés ont vu
leur position se dégrader. Voici, s’agissant des États-Unis, l’évolution salariale selon le niveau de
diplôme (en bleu le plus diplômé, en rouge le moins) :
Pourquoi cela va-t-il s’inverser, pensent les auteurs ?
● Parce que la démographie s’inverse rapidement pour la Chine, et à vrai dire pour l’ensemble
du monde.
● Pour la première fois, ce ne sont pas les jeunes qui pèsent dans les ratios de dépendance, mais
les retraités.