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AJDA

AJDA 2019 p.1135

Quand l'irrégularité de la clause tient à son contenu illicite

Arrêt rendu par Cour de cassation, 1re civ.

22-05-2019
n° 18-15.536

Sommaire :
La Cour de cassation évoque la jurisprudence établie Béziers I du Conseil d'Etat pour écarter l'application d'une clause
illégale d'un contrat.

Saisie d'un litige relatif à la résiliation anticipée d'un traité de concession pour l'exploitation d'un marché couvert, la cour
d'appel de Paris a refusé d'écarter, en application de la jurisprudence Béziers I (CE 28 déc. 2009, n° 304802, Lebon avec
les concl. ; AJDA 2010. 142 , chron. S.-J. Lieber et D. Botteghi ), la stipulation de la clause indemnitaire qui prévoit
qu'une partie de l'indemnité due en cas de résiliation du contrat est égale à 30 % du total des recettes toutes taxes
comprises de l'année précédente, majoré de l'impact intégral de la formule d'actualisation prévue à l'article 19 en cas
d'application partielle de celle-ci. « Après avoir énoncé que l'actualisation des tarifs des droits de place prévue dans un
contrat d'affermage est illégale, dès lors que seul le conseil municipal est compétent pour arrêter les modalités de révision
de ces droits de nature fiscale, l'arrêt retient que cette illégalité n'affecte pas gravement la validité d'une telle clause, qui a
pour but légitime de prévoir un mécanisme de revalorisation du tarif permettant l'équilibre économique du contrat »,
relève la Cour de cassation. « En statuant ainsi alors que l'irrégularité entachant la clause de révision des tarifs des droits
de place [...] tient au caractère illicite du contenu de ces stipulations, de sorte que le juge est tenu d'en écarter l'application,
la cour d'appel a violé » les règles générales applicables aux contrats administratifs.

Emmanuelle Maupin

Texte intégral :
La Cour de cassation, première chambre civile a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

1°/ M. J.-P. A.,

2°/ M. B. A.,

3°/ M. E. A.,

domiciliés tous trois [...],

4°/ la société Les Fils de madame Géraud, société par actions simplifiée, dont le siège est 27 boulevard de la République,
93190 Livry-Gargan,

contre l'arrêt rendu le 15 mars 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 2), dans le litige les opposant à la
commune de Torcy, représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité Hôtel de ville, place de l'Appel du 18
Juin 1940, 77200 Torcy,

défenderesse à la cassation ;

La commune de Torcy a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;

Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leurs recours, le moyen unique de cassation annexé au
présent arrêt ;

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent
arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

La Cour, en l'audience publique du 9 avril 2019, où étaient présentes : M me Batut, président, Mme Canas, conseiller
référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, Mme Randouin, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Canas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de MM. J.-P., B.
et E. A. et de la société Les Fils de madame Géraud, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la commune de Torcy, et
après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suivant convention du 15 septembre 1978, le Syndicat communautaire d'aménagement
de l'agglomération nouvelle de Marne-la-Vallée a concédé à MM. A. et G. l'exploitation du marché couvert de l'Arche
Guédon, situé sur le territoire de la commune de Torcy (la commune), pour une durée de trente ans ; que ce contrat
prévoyait l'obligation, pour les concessionnaires, de construire à leurs frais le marché, pour un coût fixé forfaitairement à 1
100 000 francs, et qu'en contrepartie, ces derniers étaient libérés du paiement de la redevance pendant les quinze
premières années du contrat ; qu'un nouveau « traité de concession », regroupant le marché de l'Arche Guédon et le
marché du Centre, a été conclu le 9 décembre 1989 entre, d'une part, la commune, d'autre part, MM. A. et G. et la société
Les Fils de madame Géraud, pour une durée de vingt-cinq ans renouvelable par tacite reconduction pour dix ans ; qu'en
sus de la reprise des engagements financiers stipulés dans la convention du 15 septembre 1978, les parties sont convenues
que la commune réaliserait les travaux d'extension du marché du Centre, que la participation financière des
concessionnaires à cette opération consisterait en une redevance complémentaire égale aux annuités de l'emprunt contracté
par la commune pour la construction et qu'en contrepartie, ils seraient exonérés du paiement de redevances pour les quinze
premières années d'exploitation du marché du Centre ; qu'à l'occasion de l'opération de déplacement du marché de l'Arche
Guédon, un avenant a été signé entre les parties le 23 décembre 1997, prévoyant que ces travaux seraient réalisés par la
commune, mais que l'exploitant devrait verser une redevance annuelle supplémentaire correspondant à l'annuité théorique
de l'emprunt souscrit par la commune pour cette opération ; qu'il était, en outre, stipulé que la durée du traité conclu le 9
décembre 1989 était prorogée de quinze années, soit jusqu'au 31 décembre 2038 ; que, par lettre du 21 octobre 2011, la
commune a informé les concessionnaires de sa décision de résilier, pour un motif d'intérêt général, le traité du 9 décembre
1989 et son avenant, avec effet au mois de septembre 2012 ; que MM. J.-P., B. et E. A., venant aux droits de MM. A. et
G., et la société Les Fils de madame Géraud (les consorts A.) ont saisi la juridiction judiciaire pour obtenir réparation du
préjudice en résultant, dans les termes de la clause indemnitaire prévue à l'article 20, 1°, d), de l'avenant du 23 décembre
1997 ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que les consorts A. font grief à l'arrêt d'écarter l'application de cette clause en ce qu'elle prévoit qu'une partie de
l'indemnité due en cas de résiliation du contrat est égale, pour chacune des années restant à courir à la date de la
résiliation, à 1/40e du total des redevances spéciales, chacune à compter de l'année de son versement étant actualisée au
taux d'intérêt légal de l'année considérée majoré de trois points, de dire que la commune doit les indemniser du préjudice
réellement subi au titre de l'amortissement de leurs investissements s'élevant à 1 100 000 francs et de désigner un expert
pour fournir les éléments permettant de déterminer l'étendue du déficit de l'investissement qu'ils ont fait sur leurs fonds
propres, alors, selon le moyen :

1°/ que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe à celui-ci, eu
égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; qu'il ne peut en aller autrement
qu'en cas d'irrégularité, constatée par le juge administratif, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice
d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ; qu'en
l'espèce, s'agissant de la partie de l'article 20-1-d de l'avenant de refonte prévoyant le versement d'une indemnité « égale,
pour chacune des années du traité restant à courir à la date de résiliation, ce nombre étant arrondi à l'unité supérieure, à
1/40e du total des redevances spéciales prévues aux articles 18-2 et 18-3 », la cour d'appel a retenu que « cette partie de la
clause contractuelle doit être écartée et afin d'obtenir réparation, les consorts A. devront établir le préjudice réellement
subi selon les principes de la responsabilité civile quasi-délictuelle » ; qu'en écartant ainsi cette « partie de la clause » dont
le juge administratif n'avait pourtant pas constaté l'irrégularité, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le
décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires ;

2° / que les ordonnances du juge de la mise en état statuant sur les exceptions de procédure ont, au principal, l'autorité de
la chose jugée ; qu'en l'espèce, par ordonnance du 20 mai 2014, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance
avait déclaré la ville de Torcy « irrecevable en son exception de procédure tendant à ce que soit ordonné un sursis à statuer
en vue de poser au juge administratif une question préjudicielle portant sur la validité de la clause litigieuse du contrat » ;
que n'ayant exercé aucun recours contre cette décision, la commune n'était plus recevable à demander que soit écartée
l'application du contrat ; qu'en affirmant qu' « aucune autorité de la chose jugée n'est attachée à l'ordonnance rendue par le
juge de la mise en état le 20 mai 2014, celui-ci s'étant contenté de dire irrecevable la demande de sursis à statuer, n'ayant
pas le pouvoir de « dire, au besoin d'office, que la question de la validité de la clause d'indemnisation relève de la
compétence du tribunal administratif de Melun » comme cela lui était indûment demandé par la commune de Torcy », la
cour d'appel a violé les articles 771 et 775 du code de procédure civile, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du
16 fructidor an III ;

3°/ que, subsidiairement, ne relève pas d'une « jurisprudence établie » du juge administratif, autorisant le juge judiciaire à
écarter l'application du contrat, l'illicéité d'une clause retenue au terme d'une interprétation des stipulations contractuelles
et de l'économie générale du contrat ; qu'en se livrant pourtant, pour écarter partiellement l'application de la clause 20-1-d
de l'avenant de refonte, à une interprétation des conventions conclues entre les parties et de « l'économie de ces contrats »
administratifs, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de
séparation des autorités administratives et judiciaires ;

4°/ qu'en toute hypothèse, les juges du fond ne jouissent du pouvoir d'interpréter les conventions que si celles-ci sont
obscures ou ambiguës ; qu'en l'espèce, il résultait des termes clairs et précis du préambule de l'avenant de refonte et de ses
articles 9 et 18-3, exclusifs de toute interprétation, que les consorts A. avaient assumé la totalité du coût des
investissements réalisés depuis la première convention conclue en 1978 ; qu'en procédant pourtant à une interprétation des
conventions et de l'économie des contrats pour affirmer que les consorts A. n'auraient « financé les équipements publics
qu'à hauteur de 1 100 000 francs » et conclure au caractère manifestement disproportionné de l'indemnisation prévue par
la clause au regard de cet investissement, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable
en la cause ;

Mais attendu, d'une part, qu'après avoir relevé que l'ordonnance rendue le 20 mai 2014 par le juge de la mise en état s'est
bornée à déclarer irrecevable l'exception de procédure soulevée par la commune, tendant à ce qu'il soit sursis à statuer en
vue de poser au juge administratif une question préjudicielle portant sur la validité de la clause indemnitaire litigieuse,
l'arrêt retient, à bon droit, par motifs propres et adoptés, que le juge de la mise en état n'a pas statué sur la légalité de ladite
clause, de sorte qu'aucune autorité de la chose jugée n'est attachée à sa décision de ce chef ;
Et attendu, d'autre part, que, si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux
de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la
légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu
d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ; que la cour d'appel a
exactement énoncé que, selon une jurisprudence administrative constante, l'indemnité contractuellement prévue au profit
du concessionnaire, en cas de résiliation par l'autorité concédante pour un motif d'intérêt général, ne devait pas présenter,
au détriment de la personne publique, une disproportion manifeste avec le préjudice résultant, pour le titulaire du contrat,
des dépenses qu'il a exposées et du gain dont il a été privé ; que, par une interprétation des stipulations des conventions
conclues les 15 septembre 1978 et 9 décembre 1989 et de l'avenant du 23 décembre 1997, que leur rapprochement rendait
nécessaire, elle a retenu qu'il résultait de l'économie de ces contrats que les consorts A. n'avaient financé les équipements
publics qu'à hauteur de 1 100 000 francs, que ces équipements étaient présumés amortis en 2018 et que les autres
versements prévus aux articles 18-2 et 18-3 de l'avenant ne constituaient pas des charges d'investissement supportées par
les concessionnaires, mais des redevances spéciales que les parties avaient entendu substituer aux redevances calculées en
fonction des droits de place, pour des raisons de sécurité dans le remboursement des prêts contractés par la commune ; que
c'est sans excéder ses pouvoirs ni méconnaître le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires qu'elle
en a déduit que la part de l'indemnité destinée à réparer le préjudice résultant, pour le concessionnaire, de l'absence
d'amortissement de ses investissements, calculée par les premiers juges à la somme de 761 562,62 €, était manifestement
disproportionnée au regard du préjudice réellement subi par les consorts A. et que, par suite, cette partie de la clause
indemnitaire devait être écartée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa première branche :

Vu les règles générales applicables aux contrats administratifs, ensemble l'article L. 2331-3 du code général des
collectivités territoriales ;

Attendu que, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat administratif qui les lie, il
incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat
; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui,
tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions
dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain
contractuel ;

Attendu que, pour refuser d'écarter l'application de la clause prévue à l'article 20, 1°, d), de l'avenant du 23 décembre 1997
en ce qu'elle stipule qu'une partie de l'indemnité due en cas de résiliation du contrat est égale, pour chacune des années
restant à courir à la date de la résiliation, à 30 % du total des recettes toutes taxes comprises de l'année précédente, majoré
de l'impact intégral de la formule d'actualisation prévue à l'article 19 en cas d'application partielle de celle-ci, après avoir
énoncé que l'actualisation des tarifs des droits de place prévue dans un contrat d'affermage est illégale, dès lors que seul le
conseil municipal est compétent pour arrêter les modalités de révision de ces droits de nature fiscale, l'arrêt retient que
cette illégalité n'affecte pas gravement la validité d'une telle clause, qui a pour but légitime de prévoir un mécanisme de
revalorisation du tarif permettant l'équilibre économique du contrat ; qu'il en déduit que celle-ci peut s'appliquer entre les
parties et que, par suite, il n'y a pas lieu d'écarter l'application de la clause indemnitaire qui y fait référence ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'irrégularité entachant la clause de révision des tarifs des droits de place perçus dans les
halles, foires et marchés tient au caractère illicite du contenu de ces stipulations, de sorte que le juge est tenu d'en écarter
l'application, la cour d'appel a violé les règles et le texte susvisés ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen unique du pourvoi incident :
Rejette le pourvoi principal ;

Casse et annule, mais seulement en ce qu'il dit que la commune de Torcy est redevable envers la société Les Fils de
madame Géraud d'une indemnité contractuellement prévue à l'article 20, 2°, a), renvoyant, pour son calcul, à l'article 20,
1°, d), de l'avenant conclu le 23 décembre 1997, par suite de la résiliation unilatérale pour motif d'intérêt général notifiée
le 21 octobre 2011, avec effet au mois de septembre 2012, et en ce qu'il donne mission à l'expert de fournir les éléments
permettant de déterminer le montant de l'indemnisation due par la commune de Torcy en faisant application de cette
clause, l'arrêt rendu le 15 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points,
la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour
d'appel de Versailles ;

Condamne MM. J.-P., B. et E. A. et la société Les Fils de madame Géraud aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit
en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique
du vingt-deux mai deux mille dix-neuf.

Demandeur : Les fils de Mme Géraud (Sté)


Défendeur : Torcy (Cne)

Mots clés :
CONTRAT * Concession de service * Résiliation de la concession de service * Clause illicite

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