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gratuitement la "suspension du sens", Riffaterre insiste sur l'utilité et la "rentabilité" du

savoir littéraire quand il valorise le nécessaire déchiffrement des textes par leurs
intertextes. Cette position de principe ne consiste-t-elle pas à se prémunir des abus de
la "surinterprétation" ? En effet, selon Umberto Eco, « la seule alternative à une théorie
de l'interprétation radicale orientée vers le lecteur est celle que prônent ceux pour qui la
seule interprétation valide est celle qui vise à saisir l'intention primitive de l'auteur. 31 »
En ce sens, il faut poser des limites aux réminiscences littéraires : l'intention d'un
interprète autorisé, l'auteur (contrairement à la première acception tel quelienne).

2. DANS LA MOUVANCE DE L'INTERTEXTUALITÉ :


LES APPORTS PÉRIPHÉRIQUES
21Avec La Seconde Main, ou le travail de la citation (1979), Antoine Compagnon nous
livre une brillante défense et illustration de l'intertextualité sous un aspect plus
technique que Kristeva et Barthes n'avaient pas envisagé. L'auteur cite volontiers les
principaux courants de pensée de la modernité : Althusser, Bakhtine, Benveniste,
Deleuze, Derrida, Foucault, Frege, Heidegger, Jakobson, Lacan, Levi-Strauss, Peirce,
Tynianov. En revanche, il ne mentionne jamais Riffaterre dont les hypothèses sont très
éloignées des siennes ; ni l'article d'André Topia sur les "Contrepoints joyciens"(1976)
qui explorait déjà les différences entre la citation classique et les jeux de l'intertextualité
dans la littérature moderne32.

22Il faut souligner l'intérêt de ce travail considérable : au demeurant, la citation ne se


situe pas dans les marges du concept, dans la mesure où elle est une forme régulière,
classique et bien attestée de l’intertextualité ; en outre, son objet s'écarte de la
mouvance de Tel Quel, dans la mesure où les postulats initiaux de l'intertextualité
négligeaient la citation, trop associée aux privilèges institutionnels de l'auteur.
Néanmoins, les termes d'intertextualité – et d'intertextuels – sont peu employés. Une
note d'A. Compagnon, à la fin de son "Avant-propos", rappelle qu'une première version
de son travail a fait l'objet d'une thèse de troisième cycle réalisée à la Fondation Thiers
et dirigée par J. Kristeva, de l'Université de Paris VII.

23Toutefois, cet ouvrage d'érudition n’exclut pas le ton personnel et un brio ludique. En
effet, sa première partie se présente comme « une phénoménologie de la citation, de la
production et non du produit » : l'auteur y appréhende l'acte de citer comme une
expérience immédiate que matérialisent certaines opérations de soulignement, de
découpage, de collage. Avant de citer, il faut avoir été « sollicité », « excité » par une
lecture, d'où la conclusion qui fait suite à ces jeux de mots :
La citation tente de reproduire dans l'écriture une passion de la lecture [...]. La citation
répète, elle fait retentir la lecture dans l'écriture : c'est qu'en vérité lecture et écriture ne sont
qu’une seule et même chose, la pratique du texte qui est pratique du papier. La citation est
la forme originelle de toutes les pratiques du papier, le découper-coller, et c'est un jeu
d'enfant33.

24Et un peu plus loin :

Écrire, car c’est toujours récrire, ne diffère guère de citer. La citation, grâce à la confusion
métonymique à laquelle elle préside, est lecture et écriture ; elle conjoint l'acte de lecture et
celui d'écriture34.

25L'usage de la première personne, et ce commentaire phénoménologique rappellent


assez la manière de Barthes (A. Compagnon a participé en 1977 au colloque de
Cerisy, Prétexte : Roland Barthes). À propos de la récriture, A. Compagnon cite d'ailleurs
quelques lignes de S/Z (1970), sur la notion de "scriptible" : « Quels textes accepterais-
je d'écrire (de ré-écrire), de désirer, d’avancer comme une force dans ce monde qui est
le mien ? »35 L’équivalence proposée entre écriture et réécriture – cette intuition de S/Z
– est commentée en ces termes plus explicites par l'auteur de La Seconde Main : « Il y a
toujours un livre avec lequel j'ai l'envie que mon écriture entretienne une relation
privilégiée, "relation" valant ici pour son double sens, celui du récit (de la récitation), et
celui de la liaison (de l'affinité élective) »36.

26Dans la mesure où la citation est perçue comme une "structure mentale" du sujet, elle
convoque un imaginaire et un "pathos", selon le vœu de Barthes. Ainsi, pour citer une
"constellation" de mots, il faut mobiliser activement une force de travail : il y aurait
fulguration, ex-cision, investissement obsessionnel, mais aussi circulation "monétaire"...
A. Compagnon se réfère aussi aux métaphores les plus courantes du travail de la
citation chez les écrivains, pour en commenter les significations subjectives37 Plus aride,
la deuxième partie de l'essai – une "sémiologie" de la citation – est placée sous l’autorité
des linguistes ; elle démontre une certaine ambition de scientificité ; Benveniste et
surtout Peirce sont le plus souvent invoqués. Toute citation étant un fait de langage,
Antoine Compagnon en propose une typologie formelle, en lui appliquant les théories
sémiotiques de Peirce, qui postule trois relations du signe "t. (S1)" et de son objet, "t.
(S2)", mais aussi la relation du signe et d’un troisième élément, la série des
interprétants. D'où une combinatoire de formules algébriques d'un maniement délicat.
On distingue d'abord le "Texte" cité (T1) et le texte citant (T2), mais parfois aussi
l'Auteur cité (Al) et l’auteur citant (A2) ; ces deux systèmes de relations-S1 (Al,T1) et S2
(A2, T2) permettent de discerner quatre « structures élémentaires ». Tout d’abord, dans
une citation, on peut ne pas citer l'Auteur – et à la limite, il n’y a pas d'auteur, ce qui
s'écrit T1-T2 (régime du symbole) ; par exemple : les vérités proverbiales : je les répète,
sans savoir d'où elles viennent. On peut au contraire, faire référence à l'Auteur – citer
son nom, l'invoquer, par exemple, dans une thèse où l’impétrant s'efface devant son
objet : c'est la citation indicielle (A1-T2). Mais, en dernier ressort, l'auteur citant peut lui
aussi se manifester, intervenir comme tel, et A. Compagnon distingue alors, sous forme
d'équations, quatre variétés, où la relation imiterait et s'approprierait les caractères de
l'objet, par similarité : S1 (Al, T1)-A2 (l'icône) ; T1-A2 (le diagramme) ; A1-A2 (l'image) ;
enfin : S1-S2 : (amalgame déconcertant, a-sémantique : une tache, un cri...).

27La troisième partie de l’ouvrage illustre ces axiomes dans une perspective
diachronique. Elle propose une intéressante "généalogie" de la citation en tant que
pratique institutionnelle, depuis la rhétorique ancienne où A. Compagnon étudie les
connotations de mimesis, de sententio et d'imitatio chez les Anciens ; il passe ensuite à
la tradition scolastique, fondée sur l'auctoritas, puis à la glose patristique proliférant
autour de la Bible, le Texte sacré. Enfin, l'avènement de la citation moderne au
XVIe siècle est liée aux possibilités nouvelles de l'imprimerie : apparition des guillemets,
indices typographiques qui permettent d'isoler la citation et qui deviendront les futurs
garants de la propriété littéraire. Pour comprendre les pratiques de la citation à une
époque-charnière, le XVIe siècle, A. Compagnon prend en compte un nouveau contexte
culturel, le retour aux sources des Humanistes contre la tradition scolastique. Il analyse
aussi le rapport ambigu de Montaigne à la citation : dans les Essais, elle n'est plus
"indice" mais "icône", dans la mesure où s'y projette la figure de l'auteur, sujet et objet
du discours – et non plus le texte ou l'auteur cité comme dans la tradition scolastique ;
le véritable enjeu de la citation devient alors l'expression du moi, par de prudents et
savants détours. Cet effet de miroir préfigure les usages citationnels de la littérature
moderne.

28La quatrième et dernière partie de l'ouvrage analyse une "tératologie" de la citation :


des anomalies, des symptômes et des leurres rendent les quatre catégories initiales
moins opératoires chez les Modernes (fin XIXe-XXe siècle). Flaubert, Mallarmé, Joyce,
Aragon et Borgès instruisent ce procès des pratiques naïves de la citation. Deux
principaux effets de brouillage sont envisagés : la substitution du "sériel" au structural
qui vise à contester la distinction entre la copie et l'original ; la "maculature", où la
densité citationnelle est comparée à un univers en expansion, à un agencement
complexe de strates, de plans ou de volumes.

29Après avoir récapitulé ces conclusions historico-évolutives, il faut peut-être en


revenir au fondement de l’édifice : la définition de la citation. Dès la première partie, A.
Compagnon se propose de considérer la citation au sens large comme « la forme simple
d'une relation interdiscursive de répétition »38 : la rigueur de cette formulation est
empruntée aux théories de la linguistique (et elle rappelle le concept d'isotopie, la
réitération d'une unité linguistique, dont se servait Michel Arrivé). L'auteur de La
Seconde Main reproche en effet aux dictionnaires de définir la citation comme un
« passage rapporté d'un auteur ou d'un personnage célèbre », de sorte qu'ils
"canonisent" un produit fini39, figé : ils occultent une dimension importante, l'acte
même de citer. Or, si l'on considère la définition proposée par A. Compagnon, la
présence des guillemets ne semble pas nécessaire, d'autant que la troisième partie de
l'ouvrage nous rappelle que cette convention a été ignorée jusqu'aux débuts de
l'imprimerie. Ce signe typographique ne constituerait donc qu'un indice accessoire. Dès
lors, le risque est ici de perdre la distinction élémentaire qui s'établit pourtant, dans
l'usage actuel et courant – depuis la reconnaissance du droit d'auteur –, entre la citation
et le plagiat. C'est peut-être aussi la tentation secrète de l'essayiste, à en juger d'après
le dernier chapitre, un épilogue narratif.

30Une autre objection, plus conséquente, pourrait être également soulevée : la citation
étant définie comme « relation interdiscursive de répétition », elle inclut le discours
rapporté, au style direct, indirect ou indirect libre, à l'écrit comme à l'oral (c'est là aussi
une ambiguïté déjà inscrite dans la notion de dialogisme chez Bakhtine). Ainsi, par
exemple, La Recherche du temps perdu : quand Mme Verdurin cite Swann, il ne s’agit
pas d’un phénomène de l'intertextualité, mais d'un exemple de discours rapporté 40.
Mémorables ou anecdotiques, les expressions d'un personnage peuvent en effet être
"citées" par le narrateur ou d'autres personnages. Mais ces citations intradiégétiques ne
transitent pas par des énoncés extérieurs à l'univers fictionnel de ce texte. En fait, les
traces écrites de cette interdiscursivité ne se présentent pas à la lecture de l'univers
romanesque comme des emprunts explicitement attestés, même si elles correspondent
sans doute en partie à des propos de salon réellement entendus par Proust, à des
sources biographiques utilisées par l’auteur. Une définition aussi large de la citation finit
par déborder tout le champ notionnel de l'intertextualité où nous avions initialement
situé la citation. C'est le dialogisme bakhtinien lui-même qui expliquerait cette
extrapolation : si toute activité verbale évoque la trace omniprésente des discours
antérieurs, le "déjà dit" semble orienter tout acte d'énonciation vers la réitération. Au
contraire, si l'intertextualité est définie comme une activité d'écriture et de lecture qui
implique la transformation d'allusions et d’emprunts à des textes antérieurs, elle
apparaît comme plus restrictive.

31Enfin, il est permis d'établir une autre distinction entre certaines pratiques sociales de
la citation et les phénomènes de l'intertextualité : lorsqu'une citation, nous dit A.
Compagnon, a l'insigne honneur d'être gravée « sur le piédestal des statues »41 ou au
fronton des monuments, il nous paraît difficile, dans ce cas particulier, de considérer
qu'il s’agit encore d'intertextualité dans la mesure où son support matériel l'isole de son
domaine originel, celui des autres textes ou des discours. Elle est extraite de son
contexte initial pour s'inscrire sur un support hétérogène. Mais A. Compagnon aurait pu
aussi bien mentionner d'autres formes d'inscription citationnelle comme le graffiti
anonyme, le tag – pratiques moins nobles mais plus modernes – et pourquoi pas, dans
un sens également trivial, la poétique de la réclame ? (On sait que l'affiche publicitaire
joue souvent sur la réitération, et se présente comme un palimpseste d'énoncés
interdiscursifs)... Dès lors, et pour se limiter aux citations insérées dans des œuvres de
sculpture et d'architecture, il n'y a plus permutation, "transformation", assimilation
réciproque des textes ou des discours, mais plutôt séparation, hiatus, entre le point
d'origine et le point d'aboutissement.

32Gérard Genette, dans Palimpsestes, La Littérature au second degré (1982) va délimiter


avec précision le domaine de l'intertextualité et le situer par rapport aux autres concepts
théoriques dont il est l'inventeur. (Rappelons aussi qu'en 1966, parallèlement au
concept de J. Kristeva, son article intitulé "Proust palimpseste" annonçait déjà cette
métaphore de l'écriture)42. Quinze ans après, dans Palimpsestes, plus
systématiquement, il confère à la poétique cm objet, la "transtextualité", c'est-à-dire les
catégories et relations "transcendantes" dont relèvent les textes. La première est
l’intertextualité proprement dite, cette fois définie

d'une manière sans doute restrictive, par une relation de coprésence entre deux ou plusieurs
textes, c'est-à-dire [...] par la présence effective d'un texte dans un autre. Sous sa forme la
plus explicite et la plus littérale, c'est la pratique traditionnelle de la citation (avec
guillemets, avec ou sans référence précise) ; sous une forme moins explicite et moins
canonique, celle du plagiat (chez Lautréamont, par exemple), qui est un emprunt non
déclaré, mais encore littéral ; sous une forme moins explicite et moins littérale, celle de
l'allusion, c'est-à-dire d'un énoncé dont la pleine intelligence suppose la perception d'un
rapport entre lui et un autre auquel renvoie nécessairement telle ou telle de ses inflexions,
autrement non recevable[...]. Cet état implicite (et parfois tout hypothétique) de l'intertexte
est depuis quelques années le champ d'étude privilégié de Michael Riffaterre [...] 43.

33Annick Bouillaguet a proposé en 1989 un tableau de ces modalités strictement


intertextuelles selon Genette ; elle leur ajoute une quatrième forme à la fois explicite et
non littérale, la "référence"44.

34Le second type de "transtextualité" est formé par le "paratexte" que Genette étudiera
en détail dans Seuils en 1987 (la périphérie, l'environnement, les seuils du texte : titres,
préfaces, épigraphes, notes...). Le troisième est la relation métatextuelle, le
commentaire « qui unit un texte à un autre texte dont il parle [...]. C'est, par excellence,
la relation critique45 ». Le quatrième type, le plus abstrait et le plus implicite, est
l’architextualité – l'appartenance du texte à un genre, à des codes littéraires qui
déterminent l'horizon d'attente du lecteur. Quant au dernier type de transtextualité,
auquel Genette va consacrer tout le reste de son ouvrage, il s’agit de l'hypertextualité :

« J'entends par là toute relation unissant un texte B (que j'appellerai hypertexte) à un texte
antérieur A (que j'appellerai, bien sûr, hypotexte) sur lequel il se greffe d'une manière qui
n'est pas celle du commentaire »46.

35Le décodage intertextuel de l’hypogramme selon Riffaterre est conçu différemment :

J'appelle donc hypertexte tout texte dérivé d'un texte antérieur par transformation simple
(nous dirons désormais transformation tout court) ou par transformation indirecte : nous
dirons imitation47.

36Avant d'étudier en détail l'hypertextualité, Genette prend le soin de préciser que les
cinq types fondamentaux de transtextualité ne sont pas des catégories étanches : leurs
recoupements sont nombreux et souvent décisifs. Ainsi, le genre d'un texte – son
appartenance architextuelle – se constitue sans doute par voie d'imitation (et donc par la
relation hypertextuelle) tout en se manifestant par des indices paratextuels (au niveau
du sous-titre, par exemple). En outre, un "genre hypertextuel" comme le pastiche
satirique a souvent une valeur de commentaire critique. Quant au commentaire critique,
cette relation dite métatextuelle s'accompagne souvent d'une pratique de la citation à
des fins démonstratives. Aux dernières lignes de Palimpsestes, Genette aboutit à une
vision saisissante de la transtextualité qui s'unit à une apologie de la littérature au
second degré :

Ainsi s'accomplit l'utopie borgesienne d'une Littérature en transfusion perpétuelle –


perfusion transtextuelle –, constamment présente à elle-même dans sa totalité [...] et dont
tous les auteurs ne font qu'un, et dont tous les livres sont un vaste Livre, un seul Livre infini.
L'hypertextualité n'est qu'un des noms de cette incessante circulation des textes sans quoi la
littérature ne vaudrait pas une heure de peine. Et quand je dis une heure... 48.

37Mais si toutes les œuvres littéraires – dans leur contenu fictionnel – sont
hypertextuelles, « certaines le sont plus (ou plus manifestement, massivement et
explicitement) que d'autres »49. Les autobiographies, les romans réalistes, parce que
leurs finalités sont moins représentatives, sont délibérément écartés du champ
de Palimpsestes. La première partie de l'ouvrage commence par analyser les quatre
genres hypertextuels canoniques, bien que considérés comme des genres mineurs : la
parodie, le travestissement, la charge et le pastiche (ce sont aussi des domaines
auxquels Bakhtine s'était déjà intéressé, mais ce rapprochement n'est pas signalé).
Genette critique la conception de Riffaterre parce qu'elle conduit à « traquer dans
n'importe quelle œuvre les échos partiels, localisés, et fugitifs de n'importe quelle autre,
antérieure ou postérieure ». Se disant « brouillé depuis longtemps et pour [s]on plus
grand bien » avec l'herméneutique (inter)textuelle, il considère « la relation entre le
texte et son lecteur de manière plus socialisée, plus ouvertement contractuelle, comme
relevant d'une pragmatique consciente et organisée »50.

38Les apports de Palimpsestes sont considérables ; cette exploration systématique a


permis de défricher de vastes territoires. Tout d'abord, dans les premiers chapitres, une
série de termes usuels est clarifiée à l'aide d'une distinction rigoureuse entre deux types
de transformation d'un texte antérieur : d’une part, la parodie stricte, c'est-à-dire une
réécriture ludique, littérale et souvent minimale ; d'autre part le travestissement
burlesque, la transformation d'un sujet noble à visée satirique et dégradante. Dès lors,
ces deux modalités peuvent être différenciées de deux registres voisins, qui
correspondent à deux types d'imitation stylistique : l'une satirique – la charge ou le
pastiche héroï-comique – et l'autre le pastiche à visée ludique. De même, toute la
dernière partie de Palimpsestes consacrée au régime sérieux de l'hypertextualité
reprend cette dichotomie fondamentale des deux types de relation hypertextuelle :
l'imitation à des fins sérieuses baptisée "forgerie" (continuations attestées ou
apocryphes) et la transformation sérieuse d'un sujet appelée "transposition" (terme qui
avait déjà été utilisé par J. Kristeva). Cette ultime catégorie de la transposition
correspond à un champ extrêmement riche et varié de pratiques d'écriture ou plus
exactement de réécriture. En effet, elle regroupe : la traduction ; la mise en prose et la
mise en vers ; le passage d'un genre à un autre (narrativisation quand le sujet d'une
pièce de théâtre devient un roman ou dramatisation quand, à l'inverse, l'intrigue d'un
roman est adaptée au théâtre) ; des transformations quantitatives (contraction ou
expansion du texte antérieur) ; des transformations "qualitatives" qui portent sur les
techniques d'écriture, sur la signification (diégétique, pragmatique et idéologique) de
l'hypotexte ou encore sur la démotivation, la transmotivation, la dévalorisation ou la
revalorisation de personnages ou de situations. Genette s'efforce de dresser ici
l'inventaire des innombrables procédés de la transposition ; mais il n'analyse pas dans
quel contexte interviennent et quels effets de sens produisent ces pratiques fort
dissemblables, tantôt utilitaires et tantôt créatrices, tantôt fidèles et tantôt infidèles à
l'hypotexte. Il y a peu de remarques générales, si ce n'est l'idée d'une interversion des
tonalités stylistiques : « à texte sérieux, hypertexte ironique, à texte ironique,
hypertexte sérieux »51.

39En se réclamant d’un structuralisme "ouvert" 52, Genette prend en compte le


déploiement des "pratiques mixtes", la gamme des états intermédiaires en-deçà des
dichotomies : la "transtextualité" assure l'incessante circulation des catégories, la
variation graduelle des écarts par rapport aux définitions. En outre, ce "structuralisme
ouvert" fait valoir son goût des bricolages ludiques à l'encontre des lois régulières des
systèmes ; il évite les pesanteurs de la théorie pour promouvoir un jeu culturel d'une
séduisante ingéniosité. Le panorama des pratiques hypertextuelles est agrémenté par
l’humour de Genette qui suggère des exemples savoureux et fantaisistes 53. Tantôt
l'auteur commente avec enjouement les efforts malhabiles de certains écrivains 54.
Tantôt il utilise au second degré les trouvailles du métalangage structuraliste (ainsi
l'idiolecte de Renan dont l'élément premier serait le "renanème" 55) ; à propos d'une
distinction qu'il vient d'établir entre "anachronisme" et "prochronisme", il précise entre
parenthèses : « je n'en demande pas vraiment tant ». Quand l'intérêt du sujet lui paraît
épuisé, il en informe le lecteur qui l'a accompagné dans cette longue exploration des
"contrées hypertextuelles" : « il me semble que cela suffit »56 ou encore « il sera alors
temps de conclure et de ranger nos outils, car les nuits sont fraîches en cette saison »57.

TABLEAU GÉNÉRAL DES PRATIQUES HYPERTEXTUELLES (GENETTE, 1982)

IMITATION <--Relation
TRANSFORMATION d'un texte (Si nulle = la copie)
stylistique (Autre "sujet") Régime :

PASTICHE (chap. XIV-


XXVI)
PARODIE (chap. VIII-ΧΙ)
1-idiolectes d’auteur
1-à transformation minimale
Ex. : L'Affaire
Ex. : Chapelain décoiffé (Boileau, Racine...)
Lemoine (Proust)
Paraphrase parodique du Cid
2-transstylisation :
2-Déformation de proverbes ; renversement peremptoire des
Ex. Exercices de
aphorismes
style (Queneau)
Ex : Poésies de Ducasse ; 152 Proverbes mis au gout du
3-Auto-pastiche volontaire
jour (Eluard & Peret)
ou non
3-Calembours ou allusion parodique (Ex. certains titres) ludique
4-Cas-limite avec la
4-lipogramme transformationnel ?(p. 49-50) Ex. : Les
"charge" :
Chats de Baudelaire, réécrits sans "e" par G. Perec
Ex. : Les
Suggestion genettienne, à la manière de
Déliquescences d'A.
Perec : L'Elision ? (Disparition du "a")
Floupette
5-"Traducson" : transcription homophone parodique (p. 50)
5-Cas-limite avec la charge :
6-Translation et permutation lexicale
l'antiroman (p. 168-175 ;
Ex. : S+7 (Queneau, Oulipo). Un mot pour un autre (J.
chap. XXV)
Tardieu)
Ex. : Don
Quichotte (Cervantès)

CHARGE (chap. : idem)


1-pastiche satirique TRAVESTISSEMENT BURLESQUE
Ex. : À la manière de... (chap. ΧII-ΧΙII). Opte pour un style bas sans modifier le
(Reboux et Muller) sujet. Rend "trivial" un texte généralement "noble" satirique
2-pastiche héroï-comique : Ex. : Virgile travesti (Scarron) = fonction dégradante de
Ex. :Batrachomyomachie cette reprise de l'Énéide.
Le Lutrin (Boileau)

FORGERIE (chap. XXVII- TRANSPOSITION (chap. XL-LXXX) sérieux (hommage)


XXXIX) "La plus importante de toutes" (p. 237)
1-Continuation attestée : Très diverse. Utilitaire ou créative d'œuvres majeures et
proleptique ou analeptique, complexes.
elliptique, paraliptique 1-Traduction.
(p. 197) ; fidèle/infidèle 2-Transstylisation : mise en vers ; mise en prose (p. 244-
(p. 198) Ex. : La Suite 256) ; "rewriting" : correction/autocorrection substitutives
d'Homère (autres épopées de (p. 257-261) 3-Transformations purement quantitatives :
divers auteurs) réduction (Ex. digest ; Borges et le pseudo-résumé fictif :
2-Apocryphe : p. 263-297)/augmentation/ajout/contamination/expansion
Ex. : "La Chasse diégétiques (p. 298-311) Avec démotivation/transmotivation
ambigues (Ex. : Hérodias de Flaubert (p. 314-323).
4-Transmodalisation intermodale : "dramatisation" ou
"narrativisation" (p. 324-330) (Ex. : Dr Faustus de Th.
Mann)
5-Transformations intramodales (Pour le mode narratif,
concernant la diégèse, la focalisation, la "voix narrative"
(p. 330-(idéologique). Pour le mode dramatique : p. 339-
340.
6-Transposition sémantique (diégétique, pragmatique,
idéologique)
spirituelle" (Faux attribué à Ex. : Vendredi ou les limbes du
Rimbaud ?) Pacifique (Tournier). Amphytrion
38 (Giraudoux) Ulysse (Joyce) (p. 339-365). Avec
transmotivation ou (trans)valorisation (p. 372-432)
7-Cas particuliers : absence de modification littérale ou
formelle ? (p. 365-366 : Don Quichotte de P. Ménard
(Borges) ; p. 444-446 : « La Jalousie comme transformation
(maximale) de La Chanson de Roland » ? Hypertextes à
hypotexte inconnu : L'Iliade ? La Chanson de Roland ?
(p. 433) ; jeux sur hypotextes fictifs ? (p. 435) ;
transpositions d'art (peinture-musique) ? (ex. l'Opéra ;
p. 435-443)

40Les nomenclatures, les tableaux que Genette propose pour inventorier tous les
éléments constitutifs sont dignes d'un Mendeleïv de la poétique ; le domaine des
possibles tend à être valorisé par rapport à leur actualisation ; l'existence provisoire
d'une case vide démontre le primat de l'hypothèse, l'avancée autonome de la théorie
avant sa confirmation empirique... Mais un échange dialectique s'opère lorsque la
recherche d'un ou plusieurs exemple(s) fait surgir des types mixtes et des
superpositions d'un concept à l'autre ; ou lorsque la masse des faits, la surabondance
des procédés à décrire donnent lieu à un catalogue d'une richesse inépuisable, comme
c'est le cas dans les derniers chapitres de l'ouvrage.

41Certaines questions demeurent ouvertes, dans la mesure où les rapports entre


l'hypertextualité et l'intertextualité n'ont pas été envisagés. Les distinctions établies
peuvent conduire à méconnaître leurs parentés fonctionnelles. En effet, puisque
l'intertextualité est redéfinie par la co-présence du texte A dans le texte B (relation in
praesentia), l'hypertextualité, qui consiste à établir une relation différée entre
l'hypotexte (texte A antérieur) et son hypertexte (texte B ultérieur), se présente
symétriquement comme une variante in absentia de l'intertextualité. De fait, selon leur
contexte, la citation (avec ou sans référence), l'allusion, le plagiat – ces formes de
l'intertextualité selon Genette – peuvent aussi être produites selon un régime ludique,
satirique ou sérieux, tout comme les pratiques hypertextuelles. Ajoutons que la parodie
stricte se rapproche d'une quasi-citation doublée d'une allusion.

42Nous avons résumé les recoupements mentionnés entre les relations transtextuelles
dans le premier chapitre de Palimpsestes ; mais aucun exemple de cas-limite n’assure
explicitement la transition entre l'hypertextualité et l'intertextualité. Or, un exemple
permet de vérifier que l'intertexte et l'hypotexte peuvent coexister : À rebours de
Huysmans contient à la fois un (ou des) pastiche(s) de Baudelaire – pratique
hypertextuelle – et des citations de Baudelaire – pratique intertextuelle. La pression des
exemples a une valeur heuristique lorsque des distinctions extrêmement pertinentes en
principe s’avèrent n’être plus isolables en pratique à l'analyse d’un texte. Les écrivains
parcourent en tous sens les labyrinthes de la "littérature au second degré" – par exemple
au XXe siècle Aragon, Joyce, Borges, Butor, Umberto Eco... – et l'on serait bien en peine
de classer leurs jeux vertigineux dans une relation transparente, constante et unilatérale
comme la parodie ou un type de transposition.

43Genette met l'accent sur la valeur opératoire de la dualité qu'il établit entre
L'imitation" d'un style et la "transformation" d'un sujet. Si efficace soit-elle, cette
opposition binaire pourrait néanmoins être interprétée comme le retour ou la
permanence indésirable d'une opposition schématique entre forme et contenu : peut-
être aurait-il été opportun à des fins didactiques de s’en démarquer pour éviter
quelques malentendus ou contre-sens. Alors que les corrélations entre "intertextualité"
et "hypertextualité" ne sont pas envisagées, Genette reconnaît l’existence de pratiques
mixtes entre l'imitation et la transformation : « un même hypertexte peut à la fois [...]
transformer un hypotexte et en imiter un autre. [...] On peut même à la fois transformer
et imiter le même texte »58. Mais implicitement la porosité admise des catégories sous
la pression des cas-limites affaiblit la pertinence de toute dichotomie conceptuelle.

44D’autres types de rapports, en dehors de l'imitation et/ou la transformation, ne


peuvent-ils pas s'instaurer entre l'hypotexte et l'hypertexte ? À cet égard, il est permis
de regretter les effets de la coupure épistémologique que Genette établit
dans Palimpsestes entre la "poétique" et "l'herméneutique". Cette commodité est
garante de la rigueur mais elle a aussi ses limites et sa contrepartie dans la mesure où
l'imitation ou la transformation peuvent renvoyer à des enjeux mimétiques, critiques,
polémiques, et plus généralement à des intentions pragmatiques bien réelles – au
premier degré – et non seulement à des critères stylistiques préexistants comme le
sérieux, le ludique ou le satirique... Pour reprendre l'exemple d' À rebours, l'imitation et
la transposition de Baudelaire correspondent à la fois à des affinités d'ordre
fantasmatique et à un positionnement critique dans le champ littéraire, à un signe de
rupture par rapport aux prescriptions du roman naturaliste.

45En fait, le théoricien de Palimpsestes se propose de décrire objectivement, de


l'extérieur, des procédés de fabrication. À la fin de Figures III (1972), Genette admettait
déjà que son vocabulaire théorique relevait de catégories étrangères aux "idées de
l'auteur" : « la conscience esthétique d'un artiste [...] n'est pour ainsi dire jamais au
niveau de sa pratique [...] »59. Il appartient selon lui à la poétique littéraire de produire
des avancées scientifiques, des instruments valables pour lire les œuvres. De même,
cette théorie de l'hypertextualité ne prend pas en compte les intentions de l'auteur dans
un contexte d'écriture. Par là même, elle évite une difficulté intéressante : les
représentations subjectives de l’hypertextualité, les présupposés de l'imitation-
transformation. En effet, il faudrait peut-être analyser le discours de l'auteur, non plus
pour s’y référer comme s’il s'agissait d'une vérité indépassable, mais pour se livrer à une
évaluation pragmatique des contraintes, des possibles, des contradictions spécifiques
qu'il rencontre. L'étude du métatexte et du paratexte pourraient affecter la structure de
ce champ de l'hypertextualité et l'orienter vers d’autres perspectives que le clivage
fondamental entre "imitation" d'un style et "transformation" du sujet. Ainsi, pour étudier
la réécriture de Fénelon dans Les Aventures de Télémaque, il importe de décrypter les
effets de sens de l'auto-commentaire aragonien qui place constamment l'écriture
romanesque dans le miroir de la lecture et de la réécriture critiques ; des
rapprochements s'établissent avec la problématique des "incipit"60 et des "collages"61.

46Enfin, Palimpsestes isole son objet, la littérarité d’une littérature au second degré qui
apparaît comme une entité indépendante du monde extérieur, au détriment de cas
hybrides et plus complexes. Restons dans le domaine aragonien : le "mentir-vrai"
consiste très largement à détourner à des fins de dévoilement autobiographique des
citations ou des allusions littéraires, tout autant que divers hypotextes, par réécriture et
transposition de situations reprises à d’autres œuvres : « Est-ce que tu comprends que
pour te retrouver, pour t'atteindre [...] je ne pouvais imaginer rien d'autre que le monde
tel qu'il est, le terrible monde réel où je retrouve entrée par le chemin des fables, Luna-
Park ou Hyperion... »62. Cet exemple incite à contester le principe d'une séparation
entre la littérature au second degré et le référent extérieur : la première est ici un biais
pour accéder à l'autre. Ainsi, les romans réalistes ou autobiographiques peuvent utiliser
de manière très active et intensive les opérations hypertextuelles. A. Compagnon
l'indiquait déjà à propos de la relation "iconique" entre texte cité et texte citant : elle
peut être motivée par un effet de miroir, une analogie avec le discours personnel de
l'auteur et son autobiographie d'écrivain. Il en est de même, dans certains cas, des
relations hypertextuelles entre le texte B (l'hypotexte) et le texte A (l'hypertexte).

47Par ailleurs, il faut peut-être aussi commenter certains termes utilisés par les écrivains
eux-mêmes pour définir leur relation à l’écriture. Si le même Aragon renoue avec
l'imitatio dans les années 40, il a également, dès les premières armées 20, cherché à
transposer le collage dans l’écriture – en jouant de ce désordre, de ce puzzle créateur
souvent aléatoire, ostensible et déconcertant ; point de départ délibéré ou point de
rencontre énigmatique avec des significations nouvelles, cette pratique relève peut-être
d'autres instruments d'analyse que ceux de Genette. Les théories de l'intertextualité ne
devraient pas occulter l'initiative qui revient souvent aux écrivains eux-mêmes et en ce
sens les travaux critiques peuvent aussi contribuer à approfondir les efforts de la
théorisation. Au lieu d'inventer de nouveaux concepts, il n'est pas sans intérêt d'analyser
les termes de prédilection qu'un écrivain a employés pour décrire les phénomènes de
l'intertextualité, non seulement dans le paratexte mais aussi dans le texte
(autobiographique, fictionnel, poétique). Même s’ils sont discutables au regard du
métalangage théorique, s'ils manquent de rigueur terminologique, certains
déplacements de sens méritent une étude attentive dans la mesure où l'idiolecte de
l’auteur fait connaître une relation particulière à l'écriture comme réécriture 63. Les
chercheurs peuvent à la fois resituer une trouvaille dans son contexte historique et la
réinterpréter par analogie.

48Ainsi, Francis Goyet a discuté la définition de l'intertextualité par Riffaterre d'un point
de vue empirique : en effet, dans un article de 1987, il établit des différences entre
"imitatio" et "intertextualité" (sous-titre : "Riffaterre revisited") au profit du premier
terme, l'imitatio, dont la pratique lui paraît plus souple et l'analyse mieux appropriée à
des cas particuliers. Si tout texte est défini comme un intertexte, rien n'échappe à
l'intertextualité : cette tendance à la généralisation, à l'abstraction comporte un risque
de dogmatisme64. En particulier, Riffaterre ne permet pas de distinguer entre la citation
– allusion in praesentia – et l'allusion, qui, jusqu'au XVIIe siècle, connotait le jeu sur le
signifiant : si l'intertexte est, chez Riffaterre, caché, implicite, c'est à la fois une source
et une allusion in absentia. Or, il existe deux régimes possibles de ce procédé utilisé
dans l'imitatio antique : l'allusion vive et l'allusion morte – cette dernière serait rendue
délibérément imperceptible, en l’absence de traces, de références repérables – cette
figure invisible et perverse, compte sur l'inculture du lecteur. Les Anciens et les
Classiques, quand ils prônaient l'imitatio, étaient plus sages, car ils ne posaient pas une
loi de facto, une norme "herméneutique" : ils adressaient aux seuls écrivains – et non
aux lecteurs plus ou moins érudits – un bon conseil, celui de décalquer, de réemployer
les modèles antiques. Par conséquent, la tradition de l' imitatio n’oblige pas le lecteur à
reconnaître les sources : au contraire, Érasme souhaitait que son lecteur n'identifie pas
telle ou telle allusion à Lucain, pour ne pas "contaminer le texte d'un sens parasite". Dès
lors, paradoxalement, une prudente abstention serait parfois recommandée, et, en tout
cas, appliquée par les auteurs, par opposition à cet "autoritarisme de la lecture
intertextuelle" chez Riffaterre. D'où ce diagnostic, en conclusion :

Tout se passe comme si la vieille critique de sources, de modeste et utile qu'elle est, s'était
enhardie à passer pour une théorie générale de l’écriture et de la lecture. Une telle
prétention à l'universel me paraît venir d'une analogie trompeuse avec la linguistique. [...].
Que la phrase source permette de "décoder" la phrase nouvelle, soit. Mais, par analogie avec
le code linguistique, qui s'impose effectivement à tout sujet parlant, on en a déduit un peu
vite que le code culturel ou littéraire s'imposait à tous. L'idée plaît aux professeurs, mais elle
semble passablement irréaliste, ou idéaliste65.

49Cette réflexion critique tend à soumettre l'intertextualité à l'historicité des pratiques


et à des cas particuliers de la réception ; elle se propose aussi de valoriser les
connotations de l'imitatio par rapport au concept d’intertextualité. La notion de "collage"
a également fait l'objet de travaux parallèles à l'intertextualité. Par exemple, dans "Le
pagure de la modernité", Henri Behar insiste sur l'invention "dadaïste" du collage,
« procédé terroriste s'il en est », qui « participe d'une crise de l’esprit particulièrement
sensible à l'époque de référence. »66 Toutefois, il situe le collage parmi les opérations
intertextuelles : dans un tableau qui reprend les six fonctions du langage selon
Jakobson, il assigne au collage la perturbation du code métalinguistique 67. Plus encore,
la Revue d'Esthétique a consacré dès 1978 un numéro spécial au "collage" ; dans un
avant-propos, le groupe "μ" précise que cette "rupture" par rapport aux codes
dominants « tendrait nécessairement vers une limite ». (Ce constat pourrait être
rapproché de la réflexion développée par Umberto Eco sur la sémiotique) :

Le sentiment que l'art a exploré tous les possibles en même temps qu'il est concurrencé par
une culture cumulative et pléthorique, stimule une poétique de la copie où entrent à la fois
du refus et de l'impuissance, de l'ironie et de la révérence (qui est aussi référence).

50Malgré cette ambiguïté constitutive, les auteurs soulignent que le collage est sans
doute une contre-rhétorique qui donne la priorité à la "dispositio" sur "l'inventio". Cette
« nouvelle poétique se libère d'une technique expressive et imitatrice » pour insister sur
le « traitement d'une combinatoire qui se définit par sa qualité heuristique. » À cet
égard, là encore, « le collage et son bricolage fonctionnent comme jeu » (l'analyse de la
citation chez Compagnon et de l’hypertextualité chez Genette invoque les mêmes
arguments du jeu et du bricolage). Ici, ils sont valorisés pour leur effet de modernité :

Si l'on considère à présent les éléments hybrides qui entrent dans la composition des
collages, on note qu'ils engagent de façon particulièrement marquée [...] ce type de poétique
moderne qui se reconnaît dans des notions comme celles d'œuvre ouverte ou de texte
pluriel. [...] Chaque élément citatif brise la continuité ou la linéarité du discours et convie
nécessairement à une double lecture : celle du fragment perçu par rapport à son texte
d'origine, celle du fragment comme s'incorporant à un nouvel ensemble, à une totalité
différente. La ruse du collage consiste aussi à ne jamais supprimer l'altérité des éléments
réunis dans une composition momentanée. Ainsi l'art du collage s'avère comme une des
stratégies les plus efficaces dans la remise en cause de toutes les illusions de la
représentation68.

51Les articles réunis à la suite étudient essentiellement le découpage-montage de ces


"messages préformés" : soit par isotopie (ou ressemblance) ; soit par allotopie (ou
dissemblance, hétérogénéité) ; soit par l'effet du hasard et de l'automatisme verbal, chez
les surréalistes (par coïncidence, ou par surimpression, donc palimpseste...). Genette
envisagerait peut-être sous l'angle satirique les rapports dialectiques entre le texte-
source et le texte-récepteur ; mais la notion classique de satirique n'est pas
nécessairement pertinente ici.

52Les travaux critiques s'aventurent souvent au-delà du concept ; ils échappent aux
limites des exemples disparates et purement illustratifs de la poétique générale. Au lieu
de forger une théorie générale, ils explorent des modes d'individuation des pratiques de
l'intertextualité. Ce n'est plus la rigueur dans la terminologie qu'ils cherchent à
instaurer, mais l'approfondissement des valeurs personnelles ou culturelles. Sans doute
certains écrivains se prêtent-ils mieux que d'autres à cette cette perspective de
recherche : par exemple, "l'apologie de l'influence" chez André Gide 69 ; le
"détournement des sources" chez Valery Larbaud 70
... Proclamant que tout est citation et
qu’"il n’y a pas d'œuvre individuelle", Michel Butor pratique lui aussi très consciemment
une "intertextualité généralisée". Les dispositifs typographiques, les stratifications
matérielles d'une écriture polyphonique et stéréophonique, la transgression des
frontières entre les arts (collages de peinture ou de photographie, modèles musicaux de
la fugue, récitatifs et polyphonie) mettent en cause le code narratif linéaire, de type
logico-chronologique71. Plus généralement, le Nouveau Roman et l'Oulipo ont procédé à
des expérimentations systématiques de l'intertextualité (et de l’hypertextualité) : le
pullulement des emprunts textuels, leur combinatoire, leurs manipulations investissent
et saturent l'activité créatrice de connotations variées : bricolage ludique, jeux de dérive,
d'osmose, vertige et dissolution du sujet écrivant, selon la conception kristevienne,
formulée dans la même période. Ces courants de la modernité rapprochent aussi
"l'intertextualité" de "l'entre-deux" du sens, de l'"incertitude" des signes et des sources
d'énonciation dont les enjeux et les modalités paraissent irréductibles à une opposition
binaire comme imitation/transformation.

53Mais les relations subjectives aux pratiques de l'intertextualité peuvent aussi


s'apparenter au travail du rêve : projection, transfert, détournement, condensation,
déplacement, etc72. Ce rapprochement entre l'activité d'écriture et l'interprétation des
effets de sens diffère à l'évidence des corrélations transtextuelles envisagées par
Genette. Plus généralement, les premières études consacrées aux aspects
psychanalytiques de l'intertextualité se situent dans les marges du concept (selon Freud,
un fantasme peut se réitérer dans une œuvre d'art ; l'inconscient peut investir et
transformer les traces des réminiscences littéraires). En 1973, Harold Bloom montre
qu'un poète ne devient "original" qu’après avoir surmonté son "angoisse de
l’influence" (The Anxiety of influence) ; L. Jenny, dans un article déjà commenté sur
l'intertextualité, rend compte en ces termes de cette réflexion : tantôt le nouvel écrivain
prolonge l'œuvre du précurseur tout en l'infléchissant vers le point ou elle aurait dû
aboutir (clinamen), tantôt il s'agit d'inventer un nouveau fragment qui va permettre de
considérer l'œuvre du précurseur comme un nouvel ensemble (Tessera), tantôt on s’efforce
de rompre radicalement avec le père (Kenosis), à moins qu'on ne se purge de l’héritage
imaginatif qu'on peut avoir en commun avec lui (Askesis), ou qu'on ne s'efforce de créer une
œuvre qui paradoxalement paraîtra point d'origine et non conséquence de l'œuvre
antécédente (Apophrades)73.

54Est-ce uniquement lors de la formation de l'écrivain que surgit l’essence de ce conflit


dramatique ? Il nous semble qu'une variante de cette crise peut se réitérer à chaque
nouveau projet d'écriture au moment où se fait le partage entre un héritage "stérilisant"
(les topoi, les conventions à éviter, l'imitation comme obstacle) et les bénéfices de
l'intertextualité, de l'intratextualité, ou de l'hypertextualité ; les rencontres avec d’autres
livres, les trouvailles directement issues de ce contact, les médiations du discours
d'autrui dans une pratique d’écriture en devenir ne sont pas incompatibles avec le rôle
structurant de l'auto-référence dans un itinéraire personnel.

55Michel Schneider, dans Voleurs de mots : essai sur le plagiat (1985)74, a également
déchiffré ces enjeux. Mais le terme d”intertextualité est ici qualifié d'euphémisme
disgracieux ; tenu à distance, placé entre guillemets, il n'est employé que pour
caractériser une permissivité très vingtièmiste envers les jeux de la réécriture et du
détournement des sources. En effet, il est interprété comme le symptôme de
l'indulgence dont bénéficie à notre époque la tentation du plagiat (succès du pastiche ou
refus de l'Auteur au profit d'un pluriel de textes mixtes, indifférenciés). M. Schneider
préfère lui substituer d'autres trouvailles, avec un indéniable bonheur d'expression : un
texte pour l'autre (pour désigner le plagiat), un texte sous l'autre (pour désigner le
palimpseste), un texte comme l'autre (pour désigner le pastiche). Le propos est orienté
vers la psychanalyse, pour saisir les rapports constitutifs du moi et de l'autre dans
l'activité de lecture-écriture. Dès lors, la distinction entre la citation et le plagiat qu'A.
Compagnon avait laissée à l'arrière-plan revêt une importance capitale, puisqu’elle
permet de comprendre les incidences psychopathologiques du mimétisme inconscient
de nos lectures antérieures, et de nos comportements devant la Loi, l'interdit que fonde
l'existence de la propriété littéraire.

56Une première partie est consacrée à la littérature ; l'autre, aux démêlés entre Freud et
ses disciples, pour la paternité des concepts. L'emprunt, la reprise, le ressassement sont
envisagés à travers l'imaginaire de la transgression (chez le plagiaire) ou de la
mélancolie (chez le compilateur scrupuleux). Annick Bouillaguet approfondit ces
hypothèses à propos de Proust qui a évoqué l'agrément et le rôle formateur des
"journées de lecture". Elle associe les pratiques "polymorphes" de l’intertextualité chez
cet écrivain au bénéfice de plaisir et à l'humour. Proust a, on le sait, un réel talent pour
le pastiche, il manifeste aussi une extrême prédilection dans l'écriture pour les
références aux arts ; il cultive les citations collectionnées et reprises de manière littérale
(exacte) ou déformée (adaptée, détournée), les allusions qui jouent sur le non dit et
suscitent la connivence. Mais ces gratifications d'ordre esthétique et poétique n'excluent
pas une angoisse de la répétition, facteur de créativité, depuis les ébauches jusqu'à la
rédaction de Recherche, dans la mesure où l'écrivain en gestation désire sans doute, de
manière contradictoire, rendre hommage aux maîtres qu'il admire en les imitant plutôt
que de s'affranchir de l'emprise fascinatrice qu'ils exercent sur lui. Une stratégie
fantasmatique paraît surdéterminer les objectifs de l’imitation et de la transformation.

3. BILAN ET PERSPECTIVES
57Malgré le foisonnement des publications, le domaine de l'intertextualité est
aujourd’hui soigneusement défriché et balisé par des bibliographies et de substantielles
études de synthèse. Les théories de Kristeva, de Riffaterre, puis de Genette ont
rapidement essaimé dans d'innombrables articles, ouvrages et des numéros spéciaux de
revues (Poétique, Littérature, Texte75). Parallèlement, les encyclopédies et les ouvrages
didactiques ont permis de répandre et d'officialiser le néologisme. Ce nouvel outillage
théorique n'aurait pu s'imposer sans ce travail de diffusion et de vulgarisation qui, en
retour, tend à confirmer l'efficacité d'une méthode.

58Le terme d’intertextualité introduit en 1966 par J. Kristeva est repris dès 1968 dans
la Théorie d’ensemble du Groupe Tel Quel. En 1968 également, Barthes publie
dans L’Encyclopedia universalis un article sur "La Théorie du Texte" : très proche, à cette
date, des promoteurs du concept, il accorde une attention bienveillante à "l'intertexte" et
à d'autres hypothèses qu'il reformule avec des qualités de style. Sa réputation contribue
à lancer un effet de mode, à cautionner ces nouvelles théories auprès d'un public élargi.
Barthes a pris conscience des insuffisances de l'approche structurale de la littérature. Au
moment où il amorce le tournant de S/Z, son intervention en faveur de l'intertextualité
souligne que la parole et le texte actualisent la langue dans un pluriel irréductible
d'indices énonciatifs :

Le texte redistribue la langue (il est le champ de cette redistribution). L’une des voies de
cette déconstruction-reconstruction est de permuter des textes, des lambeaux de textes qui
ont existé ou existent autour du texte considéré, et finalement en lui : tout texte est
un intertexte [...]. [...] L'intertextualité, condition de tout texte, quel qu'il soit, ne se réduit
évidemment pas à un problème de sources ou d'influences ; l’intertexte est un champ
général de formules anonymes, dont l'origine est rarement repérable, de citations
inconscientes ou automatiques, données sans guillemets. Épistémologiquement, le concept
d'intertexte est ce qui apporte à la théorie du texte le volume de la socialité : non selon la
voie d'une filiation repérable, d'une imitation consciente, mais selon celle d'une
dissémination [...]76.

59Ici Barthes met l'origine mémorielle de l'intertextualité à distance de quelques notions


périmées de l'histoire littéraire selon Lanson ("sources et influences"). Il en associe l'effet
de modernité à sa propre réflexion sur le stéréotype ("formules anonymes [...] données
sans guillemets ") et à l'apport des théories de Derrida sur la dissémination. Il reprendra
encore dans les années 70, de manière discrète, allusive et fragmentaire, cette
problématique très générale du texte comme intertexte.

60Peu après, en 1972, la notion d'intertextualité entre dans le Dictionnaire


encyclopédique des sciences du langage publié par Wahl, Ducrot et Todorov 77 ;
en 1976, elle apparaît dans un manuel destiné aux étudiants : Initiation aux méthodes
de l'analyse du discours, par Dominique Maingueneau.78. En 1983, la revue
canadienne Texte publie une bibliographie annotée de 339 références, sans prétendre à
l'exhaustivité. En outre, elle se fait l'écho des polémiques suscitées par la fortune du
concept : dès les premières pages, après avoir mentionné une étymologie latine et les
traductions étrangères de cette notion, Hans-George Ruprecht reproche à Barthes de
l'avoir rendue imprécise et « scientifiquement irrecevable »79. Loin d’être séduit par la
dissémination et la déconstruction, il cherche à lui substituer des perspectives plus
cohérentes qui se rapportent à sa théorie des "formants" intertextuels. Il se prononce en
faveur des hypothèses historico-évolutives qui permettront de construire une théorie
sémiotique de la lecture : il mentionne à cet égard l’utilité des travaux de Riffaterre et
du médiéviste Paul Zumthor, qui distingue entre les "modèles préconstruits" de la
tradition, et leurs éventuelles variations. Cette revue publie aussi des réquisitoires dont
l’intertextualité semble n’être que l’occasion ou le prétexte : d’une part, un
affrontement entre Uri Eisenzweig et Michael Riffaterre, puis entre Michael Holland et
Jean Ricardou. Eisenzweig, dans "Un concept plein d'intérêts", condamne ce « privilège
institutionnel » de l’érudition universitaire qui, chez Riffaterre, confère les privilèges de
la docte autorité à la compétence intertextuelle. Michael Holland reproche à Ricardou
une théorisation "pathologique" de la textualité, qui se couperait de la pratique ; la
réponse comminatoire de ce dernier s'intitule "Le Texte survit à l'excité". Un bilan
provisoire ne peut que souligner la variabilité de la notion, chez les théoriciens et les
vulgarisateurs ; en outre, le discours des défenseurs et des détracteurs fait apparaître
l'incidence du contexte et des intentions extérieures à l'objet de la connaissance.

61Ces débats sur l'intertextualité révèlent les stratégies de positionnement que


provoquent l'impact et les enjeux d'un nouveau concept. En 1983, Marc Angenot80 est le
premier à enquêter sur l'émergence et la diffusion du concept d'intertextualité dans la
critique universitaire. Il publie dans cette perspective deux articles fort éclairants dont
l'un figure dans le numéro spécial de la revue Texte. Mais il s'intéresse surtout à la
portée épistémologique d'un secteur de recherches en pleine expansion, et non aux
malentendus, aux petites querelles de chapelle qu'il peut susciter. En effet, selon lui,
c'est la notion d'intertextualité qui a entraîné un dépassement critique du
structuralisme. Au lieu de décrire des systèmes très codifiés, des schémas fonctionnels,
cette nouvelle méthode d'analyse conduit à ouvrir des "réseaux de connexions" qui
mettent en évidence l'hétérogénéité des matériaux prélevés à d'autres textes ; elle fait
surgir des « faits de discordance, de seuil [...] et de dissémination »81. Tout ce
« bricolage productif » aura permis de redécouvrir des « formes négligées de la pratique
littéraire qui s'appellent plagiat, parodie, satire, montage, cut-ups, burlesque, collage,
doxographies, fragment. »82.

62L'hostilité de Bakhtine envers l'"objectivisme abstrait" des formalistes tend à


corroborer aussi cette hypothèse. Mais par ailleurs cette visée profondément novatrice
n'a pas été pleinement assumée comme telle ; Marc Angenot relève très justement des
survivances, des « fétiches » du structuralisme dans la terminologie des théoriciens de
l'intertextualité : le "dispositif" et le "champ" intertextuels, le Texte comme totalité
immanente et la référence aux codes linguistiques, sémiotiques...Car, nous l'avons vu,
les divergences sont faiblement marquées dans les premières approches de
l'intertextualité (de 1966 à 1976) ; tout l'appareil conceptuel de la linguistique servait de
cadre. Il est permis, dès lors, de relever cet apparent paradoxe : avant que la dynamique
de ce nouveau champ notionnel n'ait pu désactiver le "noyau dur" du structuralisme, des
rapprochements sont attestés avec ce courant de pensée ; ils ont même été proposés
par les théoriciens et revendiqués sur le plan méthodologique, si l'on en juge par les
sources de la réflexion de Julia Kristeva et de Michel Arrivé. En revanche, quinze ans
plus tard, à l'ouverture d’un colloque international dont les Actes, publiés en 1986 sous
le titre Le Plaisir de l'intertexte, rendent hommage à Barthes, Michel Arrivé renonce à
faire le compte-rendu inaugural des travaux récents sur l'intertextualité que les
organisateurs attendaient de lui ; il estime que les publications sont trop nombreuses et
trop diverses :

On l'a compris : sauf à entrer dans d'infinis détails, ou à se contenter d'approximations, il


était impossible, ici, de procéder à une synthèse. Je me contenterai de renvoyer à deux
auteurs qui, plus téméraires que moi, ont osé cet exercice [...] j'entends Marc Angenot[...] et
H.-G. Ruprecht [...].
La synthèse d’ensemble exclue, restait une autre possibilité : une mise au point
terminologique. J'ai essayé. Et j'ai renoncé. Parce que je rencontrais, au niveau de la
terminologie, les problèmes insurmontables que j'avais préalablement rencontrées. Ce n’est
un mystère pour personne que les mots intertexte et intertextualité prennent des sens
différents selon les contextes théoriques dans lesquels ils interviennent. Et d'un autre côté,
on a vu fleurir, sur le modèle d'intertextualité, une foule de néologismes. D'abord par
mutation du préfixe : Genette a introduit 'paratextualité', 'métatextualité', 'hypertextualité',
'architextualité'. Mais on trouve aussi'autotextualité', 'bibliotextualité', 'catatextualité',
'épitextualité', 'extra'- et 'intratextualité', 'hétéro'- et 'homotextualité', 'hypotextualité',
'mimotextualité', 'péritextualité', 'transtextualité', etc. – chacune de ces formations ayant
leurs équivalents en -texte et -textuel. Après la mutation du préfixe, sa combinaison avec
d'autres : on observe alors 'intraintertextualité', 'intermimotextualité', et même – je n’invente
rien – 'inter-intermimotextualité'83.

63Ce pionnier de l'intertextualité semble être passé de l’enthousiasme à la désillusion.


Prudent, mais sceptique, il condamne l'abus de nouveaux gadgets conceptuels chez les
émules de Genette et de Ricardou. Au-delà même de cet exemple, il faudrait peut-être
nuancer sur quelques points l'hypothèse de Marc Angenot sur le clivage : 1) certains
chercheurs se sont représentés ou se représentent encore les pratiques intertextuelles
comme des assemblages formels, un système de similitudes ou d'oppositions
signifiantes. Cette "topologie" immanente s’inscrit dans le prolongement direct du
structuralisme. L'analyse des indices de l'intertextualité consiste à dresser un tableau
quantitatif des occurrences distribuées dans le texte, à y repérer des effets de rime ou
l'emploi des six fonctions du langage chez Jakobson ; 2) les travaux sur l'intertextualité,
anciens ou plus récents, ne critiquent pas nécessairement les limites du structuralisme
et du formalisme à partir des hypothèses de travail décrites par M. Angenot ; ils ouvrent
aussi sur d'autres enjeux. L'intertextualité a été partagée et reconstruite selon diverses
orientations. Nous en voulons pour preuve les dictionnaires et manuels
méthodologiques destinés, ces dernières années, aux étudiants de lettres : leurs notices
sur l'intertextualité résument les définitions successives (ou certaines d'entre elles) ;
elles intègrent parfois en dernier lieu les propositions de Palimpsestes, mais une
synthèse fait souvent défaut84. En outre, il importe aussi de tenir compte d'un regard
critique, de l'usure des théories dans la réflexion contemporaine.

64Le concept d'intertextualité a reçu une nouvelle consécration en 1989, avec une
nouvelle édition de l'Encyclopedia universalis où une notice lui est consacrée. Dans cet
article, après un exposé très complet du concept, P.-M. de Biasi regrette, à la suite de
Greimas85, d'Angenot ou d'Arrivé, le flou terminologique qui a permis à l'intertextualité
de s'imposer à la faveur de glissements de sens successifs ; mais il souligne, en dernier
lieu, l'intérêt des contributions les plus récentes et la clarification apportée en 1982 par
Genette et ses successeurs.

65Dans Palimpsestes, le champ de l’intertextualité est restreint au profit de


l’hypertextualité, l'un des autres nouveaux concepts qu'a inventés Genette lui-même : le
progrès accompli par ce travail de refonte terminologique revient à écarter
provisoirement l’intertextualité proprement dite, tandis que la notice de P.-M. de Biasi
dans l'Encyclopedia universalis tend à mettre en valeur son importance générale dans le
savoir contemporain. Il en résulte une certaine distorsion latente, puisque les premières
lignes de la notice proposent une définition large qui ne reprend pas explicitement ce
nouveau partage notionnel, même si la fin de l'article se prononce en faveur de Genette.
Dès lors, l'intertextualité recouvre de nouveau le champ de l'hypertexte puisqu'elle est
ici définie comme « l'élucidation du processus par lequel tout texte peut se lire comme
l'intégration et la transformation d'un ou de plusieurs autres textes »86.

66Néanmoins, cette récente définition de l'Encyclopedia universalis peut faire référence


à titre de synthèse provisoire dans la mesure où elle résume les principales
contributions théoriques avant et après la refonte du concept dans Palimpsestes. Elle
opère aussi un certain retour aux sources, puisqu'elle met l'accent sur la modalité
"transformationnelle" qui figurait déjà chez J. Kristeva. Une exigence de purisme et de
rigueur incite P.-M. de Biasi à critiquer la simplification de la notion à des fins
pédagogiques ; c'est ainsi qu'il reproche à D. Maingueneau de l'avoir « infléchie dans le
sens d'une dominante relationnelle, aux dépens de la composante
transformationnelle »87. Dès lors que l'intertextualité est définie comme « l'ensemble
des relations avec d'autres textes se manifestant à l'intérieur d'un texte », elle perdrait
sa véritable spécificité.

67S'il importe de réaffirmer sa dimension transformationnelle, l’intertextualité se


rapproche manifestement d'autres disciplines et méthodes, et tout d'abord de l’étude
des manuscrits, de la critique génétique. Ainsi, P.-M. de Biasi signale en conclusion que
ce nouvel horizon de l’intertextualité consisterait à élucider « comment se construit
l'emprunt, à l'état naissant ; comment la citation, le plagiat, la référence et l'allusion
résultent aussi d'une appropriation et d'une intégration ayant l'espace même du texte
qui s'invente »88. Il faut préciser également que Genette dans Palimpsestes avait déjà
envisagé la relation génétique comme « une affaire d'auto-hypertextualité » dans la
mesure où elle « se ramène constamment à une pratique d'autotransformation, par
amplification, par réduction ou par substitution. Si inépuisable que soit son champ
d'étude et si complexes que soient ses opérations, elle est bien un cas particulier [...] de
l’hypertextualité [...] : tout état rédactionnel fonctionne comme un hypertexte par
rapport au précédent, et comme un hypotexte par rapport au suivant »89.

68Par l'importance des modalités transformationnelles, les travaux sur l'intertextualité


rencontrent donc l'histoire littéraire et la critique génétique. De ce point de vue,
Raymonde Debray-Genette, dans une récente mise au point, observe que
"l'intertextualité avant-textuelle", dans les manuscrits, fonctionne « selon les deux
modes fondamentaux définis par Gérard Genette dans Palimpsestes, par imitation et par
transformation »90. Notons que c'est le terme d'intertextualité – plus usuel, plus
consensuel – qu'emploie Raymonde Debray-Genette, alors qu'elle se réfère ici aux deux
modalités fondamentales de l’hypertextualité : il existe donc des points de contact dans
la répartition d’ensemble des pratiques. Dès lors, « le travail de la critique génétique,
par rapport à l'intertextualité, relève d'un tissage entre les avant-textes dont le critique
doit, à chaque fois, construire la trame et la chaîne 91 » Dans un travail plus ancien,
Raymonde Debray-Genette avait déjà proposé une hypothèse opératoire sur le statut de
l'intertextualité comme élément du géno-texte en distinguant deux modalités
symétriques dans les "avant-textes" de Flaubert : l'endogenèse, un processus où
l'écriture est centrée sur elle-même et l'exogenèse, un processus où le projet
rédactionnel s'empare des sources et se sert de matériaux extérieurs 92. La première
modalité relève de l'autoproduction, c’est-à-dire d'un travail autonome à partir d'un
scénario ou de précédentes versions du manuscrit (elle opère au niveau de l'intra-
textualité) ; mais la seconde fait intervenir entre autres l'intertextualité critique ou
documentaire, par exemple la transcription de notes de lecture, la recherche d'éléments
iconographiques.... Certes, la dynamique de l'écriture tend en principe à intégrer
l'exogenèse dans l'endogenèse, à nier dialectiquement la première, sauf précisément
dans les cas les plus avérés de l'intertextualité (texte à forte densité citationnelle) ou
encore dans les genres les plus caractéristiques de l'hypertextualité (parodie, pastiche,
travestissement, digest...).

69Par un apparent paradoxe, la percée théorique, le développement rapide et intensif


des recherches sur l'intertextualité ont rencontré une difficulté souvent signalée : leur
assimilation indésirable avec la "vieille" critique des sources qui leur sert encore de
support, de préalable érudit. Il a fallu tenter de comprendre cet obstacle pour y
remédier93 ou démontrer que les hypothèses et les résultats diffèrent sur l'essentiel94.

70Il est vrai que les méthodes sont fort distinctes à l'origine puisque, sous l’influence du
structuralisme, c'est une approche synchronique de l'intertextualité qui a initialement
prévalu : elle consiste, par exemple, à répertorier, à classer la liste des occurrences pour
décrire leurs configurations formelles, leurs emplacements et leurs indices contextuels.
Plus généralement, les recherches sur l'intertextualité ne visent pas à identifier des
influences mais à construire une analyse des modes d'insertion et surtout de
transformation, d'altération des emprunts95. Tandis que l'idée de, la filiation "naturelle"
privilégiait le modèle au détriment des successeurs, l'intertextualité n'est plus entravée
par cet héritage de la philologie : elle s'intéresse à des pratiques d'écriture à la fois
prospectives et rétrospectives, à la plurivocité et à la réversibilité des effets de sens. Il
est admis que le texte second (ou texte récepteur), loin d'être une copie, une pâle
imitation de l'original dialectise son rapport au texte-support ; dès lors, il s'agit
d'analyser ces corrélations objectives comme une série d'opérations techniques. Au-delà
de ce premier centre d’intérêt – les procédés de fabrication – les recherches sur
l'intertextualité se sont tournées de manière de plus en plus pragmatique vers les
enjeux, les fonctions de ces actes combinés d'écriture et de lecture.

71Une amplification démesurée a pu également susciter l'inquiétude et la méfiance : si


de simples analogies ne relèvent pas de l'intertextualité, la perception trop fine des
effets d'écho prête à des confusions gênantes et à des usages abusifs ; au sens large,
l'intertextualité peut aussi désigner l'assimilation-transformation d'autres matériaux
empruntés à des langages non verbaux. Pour préserver la rigueur d'un concept aussi
productif, il a fallu lui imposer de sévères restrictions sémantiques ; en 1982 Genette a
pris l'initiative de délester certaines formes de l'intertextualité vers un nouveau concept
en partie concurrentiel : l’hypertexte. Il propose de délimiter autrement le champ
théorique, en assignant à l'intertexte une position déterminée parmi quatre autres
relations fondamentales (l'architexte, le paratexte, l’hypertexte, le métatexte). Mais
d'autres lignes de partage fondamentales subsistent : le dialogisme selon Bakhtine
mettait initialement l'accent sur le rôle déterminant du contexte intersubjectif et du
discours social dans une perspective historico-évolutive. En outre, les travaux sur
l'intertextualité rencontrent des disciplines constituées en-dehors de la poétique : elles
se prolongent vers l'histoire littéraire, la sociocritique, la critique génétique. Il se
pourrait que l'aspect novateur de la théorie ait été mis en doute avec l'abandon des
premiers modèles linguistiques. Dépouillée d'un effet visible de modernité,
l'intertextualité soulève plus directement un problème essentiel de l'activité littéraire :
les rapports complexes de la tradition et de l'invention, les filiations fantasmatiques et
le positionnement de la conscience critique, les questions de l'authenticité, de
l'originalité et du renouvellement.

72Au demeurant, il n’est pas anodin qu'un nouveau vocabulaire ait été adopté. Le
concept d'intertextualité est le premier né d'une nombreuse famille de mots dont les
préfixes varient autour du même étymon de "-texte" et de "-textualité". Il faisait
découvrir un objet à investir, et il s'est répandu d’autant plus aisément qu'il est
commode de disposer au moins d'un concept fédérateur qui regroupe tout un réseau
lexical pour désigner une catégorie abstraite. L'immanence et la matérialité du Texte et
de l'intertexte (texture enchevêtrée, réseau enveloppant, illimité) ont été célébrées dans
les mythologies du discours théorique contemporain. Au-delà de cette nécessité
rationnelle ou de cette passion fétichiste, l'intertextualité originaire et sa variante
radicalisée, l'hypertextualité ("hyper" : toujours plus !) semblent se dissoudre
inévitablement à l’analyse en une gamme d'infra-concepts, de termes plus précis, de
modalités plus restreintes : citation, autocitation, plagiat, allusion, référence, parodie,
pastiche, forgerie, transposition, imitatio, réminiscence, et pourquoi pas "sources",
"influences", etc... La diffraction infinitésimale des exemples, la pression sous-jacente
d'un riche vocabulaire accentuent cette difficulté méthodologique. Toute analyse de
l'intertextualité introduit subrepticement des désignations moins neutres et moins
techniques, des connotations variées, des métaphores évocatrices : par exemple, l'effet
de fascination d'un palimpseste généralisé ; la citation comme proclamation
militaire96
ou argument d'autorité, excitation du lecteur et mélancolie du compilateur ;
tout l’artisanat du collage, de la "sertissure", de la "farcissure" 97, de la greffe et du
croisement : bricolage ludique de matériaux textuels, découpage de fragments ; divers
états psychiques : la manie "correctrice", le symptôme de la "ré(é)criture" à l'infini ; la
transgression provocatrice à l'égard des modèles, la perversion du plagiaire, l'emprise
ou le détournement des sources ; la fusion jubilatoire, la dispersion, la dissolution du
sujet écrivant dans la matrice des intertextes... Les autres méga-concepts inventés sur
ce même étymon de "texte" se décomposent eux aussi à l'analyse, lorsqu'il s'agit de
repérer la singularité d'une pratique, l'évolution des genres, les spécificités d'une
période. Par là même, l'univocité, cette propriété nécessaire aux concepts, fait défaut à
l'intertextualité comme à l'hypertextualité. À l'évidence, l'histoire de la langue, le
contexte culturel, les pouvoirs de l'imaginaire projettent le substrat d'une
herméneutique dans les théories de la littérature.

73Certes, les travaux sur l'intertextualité ont édifié un savoir positif dont les méthodes
s'appliquent à des faits observables. Néanmoins, il appartient à l'exégèse de mettre
quelque peu à l'épreuve leur cohérence et leur valeur. De ce point de vue, les failles
internes, les divergences d'une hypothèse à l'autre présentent autant d'intérêt que des
recoupements qu'il ne faudrait pas tenir pour des acquis définitifs. Ainsi, au lieu de
construire une synthèse artificielle, il m'est apparu plus probant de faire dialoguer les
composantes d'un champ de recherches où se révèlent tant de confrontations actives98.

NOTES

1 Hans-George Ruprecht, "Intertextualité", Texte (Toronto), n 2,1983, p. 13-15. (Prépublication


o

d'une notice également prévue pour le Dictionnaire international des termes littéraires).

2 Julia Kristeva, Semiotikè. Recherches pour une sémanalyse, coll. "Tel Quel", éd. du Seuil, 1969,
"Le mot, le dialogue et le roman", p. 145-146.

3 Tzvetan Todorov, Mikhäel Bakhtine : le principe dialogique, coll. "Poétique", Seuil, 1981. Cet
ouvrage comporte un chapitre intitulé "Intertextualité" (p. 95-116) ; Todorov admet que l'usage
répandu de ce concept kristevien constitue la traduction française du concept bakhtinien de
"dialogisme".

4 Voir les pages 247-251 de la Bibliographie annotée de Don Bruce, Texte, Toronto, 1983.
5 J. Kristeva, ibidem, "Le texte clos", p. 113.

6 Ibidem, p. 113. Cet article contient à titre d'illustration une étude de Jehan de Saintré d'Antoine
de la Sale ; il s'agit de montrer dans ce roman du XVe siècle le passage d'une pensée symbolique
fondée sur les universaux à l'idéologème du signe, fondée sur l'écart, la contradiction ; cette
thèse sera développée dans Le Texte du roman, Mouton, La Haye, 1970.

7 "Pour une sémiologie des paragrammes"(1966), Semiotikè, ouv. cité, p. 178. Les analyses
consacrées à Mallarmé et à Lautréamont seront reprises et développées en 1974 dans La
Révolution du langage poétique.

8 "Problèmes de la structuration du texte", La Nouvelle Critique, n spécial d'avril 1968, p. 60.


o

9 Voir J. Kristeva, La Révolution du langage poétique, éd. du Seuil, coll. "Tel Quel", 1974, p. 59-
60.

10 Ibidem, p. 340.

11 Ibidem, p. 339.

12 Michel Arrivé, "Pour une théorie des textes poly-isotopiques", Langages, n 31, septembre
o

1973, p. 53-63.

13 On trouvera un résumé détaillé de cette contribution, et des exemples dans Introduction aux
études littéraires, Duculot, Paris-Louvain-la-Neuve (Belgique), 1987, p. 115-120.

14 Roland Barthes, Le Plaisir du texte, coll. "Tel Quel", éd. du Seuil, p. 59.

15 Ibidem, p. 55-56.

16 Jean Ricardou, Pour une théorie du Nouveau roman, Seuil, 1971, p. 162 et suiv.

17 J. Ricardou, "Claude Simon, textuellement", in Claude Simon, Colloque de Cerisy-la-Salle,


Union Générale d'éditions, coll. "10/18", 1975.

18 Cette terminologie complémentaire est beaucoup moins répandue que le concept


d'intertextualité ; on en trouve, à ma connaissance, une première mention sous la plume de Jean
Verrier dans Poétique, n 26, 1974, "Segalen lecteur de Segalen", p. 338-339 ; mais le sens en est
o

proche de la composition circulaire et spéculaire (qu'on appelle parfois plutôt "autotextualité") :


« Le jeu des reflets et des répétitions ne s'établit pas entre le texte du roman et un référent, mais
à l'intérieur du texte même. Il est le fruit du travail de l'écriture et particulièrement de ce que l'on
pourrait appeler "l'intratextualité" ». Chez Todorov, le régime "intratextuel" s’oppose à
l'extratextuel (voir Symbolisme et interprétation, coll. "Poétique", Seuil, 1978, p. 61-62). Enfin,
dans la revue Texte (1983), Brian T. Fitch situe "l’intra-intertextualité" au point d'intersection de
l’intertextuel et de l'intratextuel (l'intertextualité externe/générale et l'intratextualité, au sens
d'intertextualité interne – restreinte aux textes d'un même auteur) (Texte, ouvrage cité, p. 85-86).

19 Leyla Perrone-Moisés, "L'intertextualité critique", Poétique, n 27, 1976, p. 372-384.


o

20 Laurent Jenny, "La stratégie de la forme", ibidem, p. 262.

21 Ibidem, p. 281.

22 Paul Zumthor, "Le carrefour des rhétoriqueurs : intertextualité et rhétorique », ibidem, p. 336 ;
voir aussi Poétique, "Intertextualités médiévales", n 41, février 1981.
o

23 Tzvetan Todorov, Symbolisme et interprétation, coll. "Poétique", Seuil, 1978, p. 61-62.

24 T. Todorov, Mikhaïl Bakhtine : le principe dialogique, Seuil, 1981.

25 Léon Somville a fait un compte rendu plus détaillé de cette contribution (et de quelques
autres) dans Introduction aux études littéraires (Sous la direction de Maurice Delcroix, Fernand
Hallyn), Duculot, Paris-Louvain-la-Neuve (Belgique), 1987, p. 120-125 ; voir aussi la
bibliographie p. 364-365.

26 Michael Riffaterre, "L'intertexte inconnu", Littérature, n 41, février 1981, p.4-5.


o

27 M. Riffaterre, La Production du texte, coll. "Poétique", Seuil, 1979, p. 76.

28 M. Riffaterre "La trace de l'intertexte", La Pensée, n 215, octobre 1980, p. 4.


o

29 Ibidem, p. 18.

30 Ibidem, p. 5

31 Umberto Eco, Interprétation et surinterprétation, P.U.F., trad. fr., 1996, p. 23.

32 André Topia, "Contrepoints joyciens", Poétique, n 27,1976, p. 351-371.


o

33 Antoine Compagnon, La Seconde Main, ou le travail de la citation, éd. du Seuil, 1979, p. 27.

34 Ibidem, p. 34.

35 R. Barthes (S/Z, Seuil, 1970, p. 10) cité par A. Compagnon, op. cité, p. 35.

36 A. Compagnon, ibidem (p. 35).


37 Voir aussi A. Compagnon, "Proust sur Racine", La citation, Revue des sciences
humaines, n 196,1984, p. 39-64.
o

38 A. Compagnon, La Seconde Main, ouvrage cité, p. 55.

39 Ibidem.

40 Une trace de cette confusion est repérable dans un ouvrage récent qui commence par analyser
les personnages citant des propos fictionnels, malgré l'absence d'emprunt attesté dans ce cas :
Annick Bouillaguet, Le Jeu intertextuel, Éditions du Titre, 1990, p. 17.

41 A. Compagnon, ouvrage cité, p. 337.

42 G. Genette, "Proust palimpseste", Figures I, Seuil, 1966, p. 39-67.

43 G. Genette, Palimpsestes, La littérature au second degré, Seuil, coll. "Poétique", 1982, p. 8.

44 Annick Bouillaguet, "Une typologie de l'emprunt", Poétique, n 80, novembre 1989, p. 496.
o

explicite non explicite

littéral citation plagiat

non
référence allusion
littéral

45 Genette, ouvrage cité, p. 10.

46 Ibidem, p. 11-12.

47 Ibidem, p. 14.

48 G. Genette, ibidem, p. 453.

49 G. Genette, ibidem, p. 16.

50 Ibidem.

51 Ibidem, p. 371-372.

52 Ibidem, p. 452.

53 Ibidem, p. 25, p. 43, 46, p. 135, p. 175, p. 254, p. 332.

54 Ibidem, p. 26, 47, 48 ; p. 57 : "la pochade de Jean Tardieu" ; p. 300 : " Il s'agit de notre vieil
ami Houdar de la Motte" ; p. 301 : "Houdar ne passe certes pas pour un géant de la scène".
55 Ibidem, p. 84.

56 Ibidem, p. 105.

57 Ibidem, p. 40.

58 Ibidem, p. 39 ; voir aussi la définition presque aphoristique de la copie, effet d'imitation


maximale obtenu par un effort de transformation minimale, p. 444-445.

59 G. Genette, Figures III, coll. "Poétique", Seuil, 1972, p. 270.

60 « Pour moi, la phrase surgie (dictée ?) d'où je pars [...] a ce caractère de carrefour [...] entre se
taire et dire, entre la vie et la mort, entre la création et la stérilité. Et cela se passe non point au
niveau de la volonté, de la décision herculéenne, mais dans le choix, l'arbitraire des mots
empruntés (à qui ? pourquoi ?) comme par l'étrange détour de l'échangeur ». Aragon, Je n'ai
jamais appris à écrire ou les incipit (1969), coll. "Champs", Flammarion, 1981, p. 41-42. Et p. 43 :
« Comprenez-moi bien, ce n'est pas manière de dire, métaphore ou comparaison, je n'ai jamais
écrit mes romans, je les ai lus ».

61 Aragon, Les Collages (1923-1965), coll. "Savoir", Hermann, 1980.

62 Aragon, Blanche ou l'oubli (1967), nrf, Gallimard, p. 496.

63 Ainsi, pour reprendre l'exemple du collage, ce concept représente une contestation subversive
de la valeur des arts plastiques ; Aragon commente dès 1923 les collages de Max Ernst, "peintre
des illusions", et distingue en fait divers types de collage (cubiste, dadaïste, surréaliste). Cet effet
de transposition est indéniable dans Le Paysan de Paris (1926) où le dépaysement onirique se
combine à des fragments prélevés du référent. Jusqu'en 1965, Aragon va commenter la pratique
des collages en parallèle avec son évolution d’écrivain et sa conception du réalisme. À son tour, la
critique va rapprocher (de manière presque anachronique) le métalangage aragonien de l’intérêt
dont bénéficiait l’intertextualité : voir Wolfgang Babilas, "Le collage dans l’œuvre critique et
littéraire d’Aragon", Revue des sciences humaines, juillet-septembre 1973, n 151, p. 329-354.
o

64 Francis Goyet, "“Imitatio” ou intertextualité ?", Poétique, n 71, septembre 1987, p. 313-314 :
o

« [...] il [Riffaterre] a affirmé péremptoirement que tout texte dérivait d’un autre : “Il est constant
qu’un texte littéraire signifie par rapport à des textes qu’il présuppose.” [...] Je soutiendrai que
non, en ramenant cette ambitieuse proposition universelle à une modeste proposition
particulière : non pas tous les textes tout le temps, mais quelques-uns, parfois ».

65 Ibidem, p. 320.
66 H. Behar, "Le pagure de la modernité", Littéruptures, "Bibliothèque Mélusine", L'Âge d'homme,
1988, p. 189.

67 Ibidem, p. 187.

/Élément mis en
Procès :
cause :

Transcription canal

plagiat référent situationnel

citation référent contextuel

pastiche substance du message

paraphrase forme du message

parodie message

collage code

68 Collages, Revue d'esthétique, 1978, coll. "10/18", p. 34-35.

69 Éric Marty, "L'apologie de l'influence : la citation dans le Journal d'André Gide", Revue des
sciences humaines, 1984, p. 81-92 ; voir aussi Daniel Moutote, "Intertextualité et journal dans
l'œuvre d'André Gide", Le Plaisir de l'intertexte, Peter Lang Verlag (Frankfurt am Main-Bern-New
York-Paris), Actes du colloque de Duisburg, 1985 : "Formes et fonctions de l'intertextualité dans
la littérature française du XXe siècle", 2ème édition 1989, p. 137-184 ; Alain Goulet "Narcisse au
travail dans l'œuvre d'André Gide", ibidem, p. 185-208 ; Pierre Masson, "Production-
reproduction : l'intertextualité comme principe créateur dans l'œuvre d'André
Gide", ibidem, p. 209-226.

70 Anne Chevalier, "Du détournement des sources", Revue des sciences humaines, ouvrage cité,
p. 66-79.

71 Jean-Claude Vareille, "Butor ou l'intertextualité généralisée", Le Plaisir de l'intertexte, ouvrage


cité, p. 277-296 ; voir aussi Marie Miguet-Ollagnier, "Activité et représentations du feu
dans Où de Michel Butor", Le Nouveau Roman en questions 2, Minard, 1993, p. 54-64.

72 Voir déjà La Seconde Main, ouvrage cité, et certaines contributions du n spécial de la Revue
o

d'esthétique sur les collages.

73 L. Jenny, Poétique, art. cité, p. 258-259.


74 Michel Schneider, Voleurs de mots, "Bibliothèque des idées", Connaissance de l'inconscient,
Gallimard, 1985.

75 Poétique, n 27, 1976 ; Littérature, n 41, 1981 ; n 55, 1984 ; n 69, 1988 ; Texte (Toronto),
o o o o

o
n 2, 1983 ; repris l'année suivante dans un volume publié par Trinity College.

76 Roland Barthes, "Texte" (Théorie du), Encyclopedia Universalis, t. XV, 1968, pp. 1013-7.

77 F. Wahl, O. Ducrot et T. Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Seuil,


1972, p. 445-446 ; rééd. 1979.

78 D. Maingueneau, Initiation aux méthodes de l'analyse du discours, Hachette, 1976.

79 Hans-George Ruprecht, "Intertextualité", Texte (Toronto), art. cité, p. 16.

80 Marc Angenot, "L'intertextualité : enquête sur l'émergence et la diffusion d'un champ


notionnel", Revue des sciences humaines, n 189, 1983, p. 121-135 ; et "Intertextualité,
o

interdiscursivité, discours social", Texte, ouvrage cité, p. 101-112.

81 M. Angenot, "L'intertextualité : enquête sur l'émergence et la diffusion d'un champ notionnel",


art. cité, p. 131.

82 Ibidem, p. 128.

83 Michel Arrivé, "Intertexte et intertextualité chez Ferdinand de Saussure ?", Le Plaisir de


l'intertexte, ouvrage cité, p. 15-16.

84 Par exemple Introduction aux études littéraires : méthodes du texte, ouvrage cité ; Michèle
Aquien, Dictionnaire de poétique, Le Livre de Poche, 1993, p. 159-160 ; Joëlle Gardes-Tamine,
Marie-Claude Hubert, Dictionnaire de critique littéraire, A. Colin, 1993, p. 100-101 ; Daniel
Bergez et alii, Vocabulaire de l’analyse littéraire, Dunod, 1994, p. 123-125. Cependant, une
étude d'ensemble, cohérente et précise, vient d'être proposée : Nathalie Piegay-
Gros, Introduction à l’intertextualité, Dunod, 1996.

85 A. J. Greimas, J. Courtès, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Hachette,


1979, p. 194.

86 Pierre-Marc de Biasi, "Intertextualité (Théorie de), Encyclopedia universalis, éd. 1989, p. 514.

87 Ibidem, p. 515.

88 Ibidem, p. 516.
89 Palimpsestes, op. cit., p. 447.

90 Raymonde Debray-Genette, "Histoire littéraire et critique génétique", Revue d'histoire de la


France, Supplément 1995, n 6, p. 158.
o

91 Ibidem, p. 160.

92 Raymonde Debray-Genette, Essais de critique génétique, coll. "Textes et manuscrits",


Flammarion, 1979.

93 « [...] la critique des sources ne s'est pas privée d'établir de tels rapprochements. Mais à voir
l'intertextualité partout, on perd les moyens d'identifier et de distinguer les textes où elle joue un
rôle constitutif. Il faut donc que le principe global de la présence nécessaire d'une dimension
intertextuelle soit modéré et nuancé par des règles ponctuelles, qui permettent d'établir les cas
où l'intertextualité est pertinente ou non. » T. Todorov, Symbolisme et interprétation, Seuil, 1978,
p. 61.

94 Voir par exemple Marc Eigeldinger, Mythologie et intertextualité, Slatkine, 1987,


"Introduction", p. 9-10 ; Raymonde Debray-Genette, Revue d'histoire littéraire de la
France, ouvrage cité, p. 158-160 ; et Nathalie Piegay-Gros, ouvrage cité.

95 Marc Eigeldinger, ouvrage cité, p. 9-10 : « Il faut d'emblée préciser que l'intertextualité ne
saurait se confondre avec l'établissement des sources, qu'elle s'en distingue parce qu'elle se situe
à un autre niveau en tant qu'acte de l'écriture. Elle renvoie certes à un savoir culturel, mais elle
vise à la reconstruction du texte et elle est déterminée par son fonctionnement. Davantage qu'à
un emprunt, elle correspond à une greffe ou à une trace, selon la formule de Michael Riffaterre.
C'est pour éviter cette confusion entre l'intertextualité et la recherche des sources que Julia
Kristeva a opté pour le terme de transposition [...]. »

96 Jean-Pierre Guillerm, La Citation, Revue des sciences humaines, ouvrage cité, p. 5.

97 "La farcissure : intertextualités au XVIe siècle", Littérature, n 55, octobre 1984.


o

98 Au sens où Tzvetan Todorov propose de construire "une critique dialogique" (Critique de la


critique, collection "Poétique", Seuil, 1984).

AUTEUR

Nathalie Limat-Letellier
Université de Besançon
Du même auteur

 Correspondance inédite Aragon – Max-Pol Fouchet in Recherches croisées Aragon - Elsa


Triolet, n°8, , 2002
 Préface in L’intertextualité, , 1998
 L’intertextualité, , 1998

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Préface

La nouvelle Énéide d’Ovide dans les Fastes (I, 461-586)

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