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Apprentissage de l’écriture-clavier
chez les enfants infirmes moteurs cérébraux
Résumé
L’infirmité motrice cérébrale est souvent responsable chez l’enfant en âge scolaire d’une dysgraphie dont
les causes sont motrices ou praxiques. Ce trouble doit être recherché systématiquement afin qu’une prise
en charge précoce en minimise les conséquences sur les apprentissages. Le recours au clavier d’ordinateur
dès le CP peut aider l’enfant avec des difficultés graphiques si l’apprentissage est individualisé en fonction
de son âge et de ses possibilités. Une bonne gestion de l’outil informatique permet alors d’espérer une
scolarisation optimale.
Mots-clés : infirmité motrice cérébrale, dysgraphie, dactylographie, apprentissages.
Summary
Learning keyboard writing by cerebral palsy children
School age children with cerebral palsy often experience motor and praxia disorders leading to dysgraphia.
A careful search for these disorders is needed to provide early care and minimize the effect on learning.
Use of a keyboard as early as the first grade can help these children with graphic difficulties, but the learning
process must be individualized and adapted to the child's age and capacities. With proper use of the computer,
there is good hope for optimal schooling.
Key-words: cerebral palsy, dysgraphia, keyboard, learning.
Dans notre expérience, le clavier d’ordina- quement pris en compte pour ne pas pénaliser les
teur s’avère un outil de suppléance efficace pour autres acquisitions scolaires.
compenser un déficit de l’écriture manuelle. La
revue de 38 dossiers d’enfants infirmes moteurs Troubles praxiques
cérébraux, suivis entre 1996 et aujourd’hui dans Les troubles praxiques sont également souvent
deux Instituts d’Éducation Motrice et un Service désignés comme étiologie d’un graphisme
d’Éducation Spécialisée et de Soins à Domicile pathologique [4-6]. La dyspraxie motrice ou
de la région Nord-Pas-de-Calais, nous permet ici mélokinétique est en pratique difficile à distin-
d’expliciter notre approche rééducative. guer d’un trouble moteur chez un enfant céré-
brolésé et aura les mêmes conséquences. La
dyspraxie constructive sera en revanche respon-
ÉTIOLOGIES
sable d’un tableau caractéristique avec une dys-
graphie d’emblée sévère touchant l’ensemble du
Troubles moteurs graphisme (y compris le dessin) et non seule-
Tout d’abord, la déficience motrice doit être sys- ment la calligraphie ; l’aspect morphocinétique
tématiquement recherchée [2] [3]. La paralysie de l’écriture est particulièrement touché. Cette
telle qu’on la rencontre chez les quadriplégiques dyspraxie constructive peut être isolée ou, plus
spastiques ne permet le plus souvent à l’enfant souvent chez les enfants infirmes moteurs céré-
que d’écrire son prénom. L’athétose est habi- braux, évoluer dans le cadre d’une dyspraxie
tuellement diagnostiquée avant le début de la visuo-spatiale (fig. 3) ; le trouble du graphisme
scolarité et interdit régulièrement une écriture est alors associé à des troubles oculomoteurs et
manuelle efficace même pour quelques mots. La à des troubles spatiaux touchant en particulier la
dyskinésie cérébelleuse est également repérée perception des obliques.
avant l’entrée à l’école et, même si elle permet Cette dysgraphie dyspraxique va, dans cer-
souvent à terme à l’enfant d’écrire à la main tains cas, être sensible à la rééducation ou sim-
des petites phrases, c’est au prix d’une lenteur plement à l’entraînement mais, malgré tous ses
importante et d’un contrôle attentionnel élevé efforts, l’enfant ne parviendra pas à rattraper son
pour un résultat toujours médiocre (fig. 1). retard et verra au contraire son écart à la norme
se creuser aussi bien en ce qui concerne la vitesse
La dystonie, en revanche, n’est pas recher-
que le résultat ; outre sa mauvaise qualité, l’écri-
chée aussi systématiquement ; pourtant, elle est
ture de l’enfant dyspraxique se caractérise aussi
fréquente chez les infirmes moteurs cérébraux
par un défaut d’automatisation.
même si la main dominante n’a pas de trouble
moteur patent (comme c’est le cas chez les hémi-
plégiques et chez les diplégiques mais aussi chez
les infirmes moteurs cérébraux a minima) ; ce
trouble du tonus qui s’aggrave à l’effort aura des
conséquences d’autant plus insidieuses que, si
l’enfant ne souffre pas de gros trouble praxique
associé, l’entrée dans l’écriture manuelle se fera
sans difficulté majeure. Ultérieurement, on sera
interpellé pour une écriture qui reste de qualité
insuffisante ou trop lente (fig. 2) : la dystonie va
grever la rapidité à l’écrit de l’enfant mais sera
aussi responsable d’une fatigabilité et d’un coût FIG. 2. — Matthieu, CM1, diplégie, fatigabilité et
attentionnel excessif qui devront être systémati- crampes de la main au bout de quelques lignes.
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adultes est aride pour les enfants et on préfère pavé rouge centré aussi par une gommette diffé-
aborder en premier les voyelles et les consonnes rente (fig. 7).
les plus usitées en intéressant l’enfant à quelques Le temps d’apprentissage de frappe au sein
mots (son prénom, celui de ses parents…) puis en de chaque séance tient compte de la fatigabilité
élargissant progressivement son répertoire grâce du jeune enfant. À la fin de la séance, le travail
à la frappe de mots utilisant des lettres supplé- est imprimé, agrémenté de couleur, classé dans
mentaires. Pour les enfants les plus efficaces, un porte-vue et communiqué aux parents pour
l’apprentissage des vingt-six lettres de l’alphabet valoriser les efforts de l’enfant.
pourra se faire à raison d’une nouvelle lettre par
séance. À l’école élémentaire
Il importe de toujours donner du sens aux En cours préparatoire, l’enfant démarre l’année
mots dictés, la frappe de lettres isolées s’avérant scolaire en sachant les lettres de son clavier mais
très vite fastidieuse pour l’enfant. Le découpage est encore souvent incapable d’organiser lui-
syllabique est privilégié (« on va écrire maman, même son travail ; l’aide d’un auxiliaire de vie
d’abord “ma”, “m” et “a” puis “man”… »). Le scolaire individuel est donc le plus souvent indis-
rééducateur dicte les lettres à l’enfant en s’adap- pensable en milieu ordinaire.
tant à son rythme ; on tente le plus tôt possible La rééducation ergothérapeutique se poursuit
d’anticiper d’un caractère la dictée des lettres avec le plus souvent deux séances par semaine.
(pour écrire « maman », le « a » sera annoncé dès L’enfant améliore sa vitesse de frappe et surtout
que l’enfant aura repéré l’emplacement du
« M. ») afin d’accélérer progressivement la
vitesse de saisie. L’approche phonologique reste
implicite mais renforce la rééducation orthopho-
nique. Bien gérée, elle a également l’avantage de
solliciter et de développer les capacités de
mémoire de travail.
Dans les cas fréquents de troubles neurovi-
suels, on utilise préférentiellement un logiciel de
frappe à retour vocal (Pictop au CNEFEI) qui
fournit à l’enfant un feed-back auditif et lui évite
de vérifier à l’écran sa production. Toujours pour
éviter l’effort visuel, si la mémoire spatiale est
préservée (ce qui est généralement le cas), on
masque les touches par des gommettes de cou-
leur, en formant habituellement à gauche un pavé FIG. 7. — Clavier masqué par des gommettes de
vert centré par une gommette noire et à droite un couleur.
Apprentissage de l’écriture-clavier chez les enfants infirmes moteurs cérébraux / 69
FIG. 8. — Guillaume (IMC avec diplégie) : son prénom en grande section de maternelle. En CM1, le texte du
BHK produit en 5 minutes au clavier et à la main.
automatise son geste. Il apprend à gérer son ordi- Durant ces années d’école élémentaire, on
nateur : le brancher, l’ouvrir, imprimer son travail, peut être amené à faire des diagnostics tardifs de
etc. si l’atteinte motrice et pratique le permet. dysgraphie chez des enfants qui ont plutôt bien
Il apprend également à naviguer dans les dif- démarré l’écriture manuelle mais qui deviennent
férents logiciels et à sauvegarder les fichiers de trop lents ou fatigables. L’examen retrouve sou-
façon rationnelle ; ce stade de l’apprentissage, qui vent une petite dystonie et, si les mesures simples
sollicite beaucoup les fonctions exécutives, peut d’allègement du travail de copie ne suffisent pas,
être très long chez certains enfants infirmes on peut être amené à proposer l’apprentissage de
moteurs cérébraux. l’écriture-clavier pour les travaux les plus longs.
En cas de troubles visuospatiaux, le traitement de
La collaboration entre l’école et l’équipe de texte a l’avantage de permettre à l’enfant de pré-
rééducation est essentielle et conditionne la réus- senter un travail propre et bien disposé. À cet âge
site de la méthode : les réunions d’intégration for- où les enfants connaissent bien les lettres, on ne
melles sont complétées par des contacts réguliers ; masque plus le clavier et on peut essayer un
la prise en charge est adaptée aux exigences sco- apprentissage des touches plus systématique que
laires ; les textes travaillés en classe sont repris en chez l’enfant en école maternelle. On s’appuiera
séance pour donner un intérêt immédiat à la réé- là encore souvent sur le travail scolaire pour
ducation. En milieu ordinaire, l’auxiliaire de vie entraîner la frappe mais on peut aussi proposer à
scolaire est guidé par l’ergothérapeute pour adap- l’enfant un des nombreux logiciels de dactylogra-
ter son aide aux progrès de l’élève. phie disponibles dans le commerce ; certains pro-
En cours élémentaire et en cours moyen, la posent des dictées de lettres (Dactylogiciel) qui
prise en charge en ergothérapie s’allège du moins sont utiles en cas d’atteinte neurovisuelle pour
en ce qui concerne l’écriture-clavier. L’enfant éviter la copie.
devient autonome avec son ordinateur et apprend
à solliciter le professionnel en fonction des diffi- CONCLUSION
cultés rencontrées à l’école. Il apprend également
à choisir lui-même dans ses différents travaux La rééducation bien conduite doit permettre à
entre l’écriture manuelle (qui normalement a pro- l’enfant d’aborder le collège avec des outils effi-
gressé) et le clavier d’ordinateur pour être efficace caces pour produire de l’écrit de façon lisible,
à son entrée au collège (fig. 8). Pendant cette automatisée et suffisamment rapide : si le trouble
période, les contacts entre les enseignants et les moteur n’est pas trop intense, l’écriture-clavier à
rééducateurs doivent bien entendu rester réguliers. deux doigts complète utilement le crayon et auto-
70 / A. Wilquin et al.
rise le jeune à exprimer ses connaissances et ses [6] CAMBIER J. De la pathologie du geste à la
idées. Enfin, une gestion réfléchie de l’ordinateur pathologie de l’action. In : Espace, geste,
en complément de l’écriture manuelle permet de action. Séminaire Jean-Louis Signoret. Ed. De
diminuer le surcoût cognitif des déficits instru- Boeck Université : 2000.
mentaux et aide les enfants aux ressources intel- [7] AUBRY M.J. , FRANCIS C., FRANCIS M.,
lectuelles plus faibles à soutenir le rythme TSIMBA V. La conjugaison des yeux au présent
attentionnel d’une scolarité normale. de l’IMC. Motricité Cérébrale 2002 ; 23 : 126-
136
[8] D’HEILLY N., LACERT P., MAUDUYT DE LA
RÉFÉRENCES GRÈVE I. Troubles optomoteurs de l’ancien
prématuré. Motricité Cérébrale 2000 ; 21 : 41-
[1] PONSOT G. Encéphalopathies chroniques : 50
Aspects épidémiologiques, diagnostiques et
médico-sociaux. In : PONSOT G., ARTHUIS M., [9] MONTEZER N., GALBIATI C., MAZEAU M.,
PINSARDN., DULAC O., MANCINI J. Neurologie TRUSCELLI D., BARAL M.E. Essai de démantè-
pédiatrique. 2e édition, Flammarion : 1998. lement des troubles neurovisuels de l’IMC :
conséquences pour le pronostic et la prise en
[2] ARTHUIS M. Infirmité motrice d’origine céré- charge des enfants. Motricité Cérébrale 2000 ;
brale. In : PONSOT G., ARTHUIS M., PINSARD N., 21 : 137-153.
DULAC O., Mancini J. Neurologie pédiatrique.
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2e édition, Flammarion : 1998.
vité longue et complexe à acquérir. A.N.A.E.
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cérébrale. Ed. Masson :1997. [11] MAZEAU M. Dysphasies, troubles mnésiques
[4] MAZEAU M. Déficits visuo-spatiaux et dys- et syndrome frontal chez l’enfant. 2e édition,
praxies de l’enfant. Ed. Masson : 2001. Masson : 2002.
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