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Circonstances de Nature À Menacer Le Recouvrement D'une Créance - Condition Essentielle À La Validité D'une Saisie Conservatoire
Circonstances de Nature À Menacer Le Recouvrement D'une Créance - Condition Essentielle À La Validité D'une Saisie Conservatoire
Par
Email : diengameth62@gmail.com
1
SOMMAIRE
INTRODUCTION ....................................................................................................... 3
I/ La compréhension d’une société d’économie mixte dans la sphère de l’exécution
forcée ............................................................................................................................ 6
A/ La manifestation ostensible d’une imprécision législative.................................. 6
B/ L’avènement manifeste d’une reprécision jurisprudentielle inclusive ................ 9
II/ La justification ambiante de l’admission prétorienne de la saisie d’une société
d’économie mixte ....................................................................................................... 11
A/ « L’altérité » relative entre une entreprise publique et une société d’économie
mixte ....................................................................................................................... 11
B/ La palliation au scepticisme des créanciers tributaire d’une définition extensive
des contours subjectifs de l’immunité d’exécution ................................................ 14
2
INTRODUCTION
La relation nouée entre un créancier et son débiteur ne devrait pas en principe soulever
des difficultés d’exécution si à l’échéance le second entend spontanément se décider à
honorer sa parole et son engagement. Il en est de même de la partie qui succomberait
à un procès et qui entend de bonne grâce et délibérément se plier et courber l’échine
devant l’autorité de la chose jugée et devant la décision passée en force de chose jugée.
Tout de même, il y a lieu de dire que la réalité n’est pas toujours le reflet, la traduction,
l’évocation, l’émanation et l’expression des arguments sus évoqués ; le
débiteur ou la partie perdante refusant toute exécution volontaire.
C’est pourquoi les professeurs DIOUF et SAWADOGO soulignent respectivement
dans la même dynamique que « les décisions de justice et autres titres exécutoires ne
sont véritablement efficaces que s’ils peuvent, en cas de résistance de la personne
contre laquelle ils sont obtenus, faire l’objet d’une exécution forcée »1 et que « les
droits subjectifs risqueraient d’être méconnus s’il n’était pas prévu des moyens
juridiques, appelés voies d’exécution, pour amener le débiteur récalcitrant à fournir
sa prestation ou son équivalent »2. Emboitant leur pas, un autre auteur de corroborer
en soutenant que « Le contenu du droit de créance n’aurait en effet aucun intérêt si la
loi n’organisait pas, au profit de son titulaire, des mécanismes permettant de venir à
bout du refus de son débiteur de s’exécuter ».3
Cela étant, l’exécution forcée peut viser et les personnes physiques et les personnes
morales. Relativement à ces dernières, il ne se poserait pas de question s’agissant de
celles qui sont, de par leur nature et leur forme, de pur droit privé, à distinguer de celles
qui sont de droit public, mais qui peuvent probablement faire usage des principes et
règles de fonctionnement d’une société et se les appliquer sans pour
autant perdre ipso facto leur caractère premier et leur statut d’entreprise publique.
Il y a lieu de souligner que les entreprises publiques constituées exclusivement
d’actionnaires étatiques ou de droit public bénéficient de l’écran de l’immunité
1
DIOUF N., Le recouvrement de créances et les voies d’exécution, p. 8,
http://www.ohada.com/presentation-droit-ohada/categorie/8/recouvrement-des-creances-et-les-voies-
d-exection.html
2
SAWADOGO F. M., Etudes des actes uniformes de l’OHADA portant sur l’organisation des
procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution et sur l’organisation des procédures
collectives d’apurement du passif, thème de la formation des juristes béninois en droit OHADA, p. 6,
ERSUMA, Porto-Novo du 13 au 22 mai 2008
3
BODIAN Y., La situation de l’état dans les procédures civiles d’exécution, thèse, Université Cheikh
Anta Diop (UCAD) de Dakar, 28 janvier 2012, p. 196
3
d’exécution visée à l’article 30 de l’AUPSRVE. En effet, « si les voies d’exécution
sont l’ensemble des procédures permettant à un particulier d’obtenir par la force,
l’exécution des actes et jugements qui lui reconnaissent des prérogatives ou des droits,
il paraît a priori impossible d’utiliser une prérogative de puissance publique contre
une personne publique, qui elle-même en dispose »4. Tout de même, l’interrogation
reste de mise et se pose avec acuité eu égard aux entreprises publiques composées et
d’actionnaires de droit public et d’actionnaires de droit privé et que
l’on qualifie communément de sociétés d’économie mixte.
En ce qui concerne la société d’économie mixte, elle « est bien, sinon dans tous les
cas du moins dans la plupart, de nature profondément publique. Sa forme juridique,
son statut de droit privé ne doivent pas faire illusion. Ils expriment, non point une
substitution de l’entreprise privée à l’administration publique, mais bien le plus
souvent une modalité particulière de la gestion publique »5. D’autres auteurs
considèrent que « la société d’économie mixte doit être conçue comme une compagnie
privée et non comme une institution publique rigidement monitorée. Certes, la
participation publique requiert une certaine protection. Toutefois, il faut absolument
éviter les mesures excessives qui privent la société d’économie mixte de cette
souplesse »6. De ce point de vue, la société d’économie mixte se distingue-t-elle
fondamentalement d’une entreprise publique7 ? Selon M. Christian BAILLON, « les
entreprises publiques en l’absence de véritable critère en droit français présentent en
effet des formes juridiques extrêmement différentes8 : sociétés commerciales,
établissements publics, société d’économie mixte…A chaque type correspond
4
Guy NAHM-TCHOUGLI, L’immunité d’exécution ou de saisie des entreprises publiques dans
l’espace OHADA, revue africaine de droit, d’économie et de développement, 2005, vol 1, n° 6, p. 575
et s.
5
DELVOLVE, De la nature juridique des sociétés d’économie mixte et de leurs marchés, RDP. 1973.
p. 361, cité par SAWADOGO dans son article intitulé « la question de la saisissabilité ou de
l’insaisissabilité des biens des entreprises publiques en droit OHADA (A propos de l’arrêt de la CCJA
du 7 juillet 2005, affaire Aziablévi YOBO et autres contre Société TOGO TELECOM), p. 20, Ohadata
D-07-16
6
Les acteurs d’économie mixte dans le secteur municipal, Congrès de l’Association des évaluateurs
municipaux du Québec, présenté par Me Jean Rochette avec la collaboration de Me Patrice Gladu,
Gatineau, mai 2008, p. 5
7
Selon Carolle SIMARD, « Pour leur part, les sociétés nationales ou les sociétés d'économie mixte sont
des organismes privés qui sont connus pour leur caractère d'entreprise publique. On le voit, la notion
d'entreprise publique n'introduit pas la révolution juridique qu'on pouvait imaginer. Elle infléchit
cependant le droit en vigueur en privatisant le public et en rendant public le privé », « Les entreprises
publiques : éléments d’analyse et de réflexion », Cahiers de recherche sociologique, (15), 107–126.
1990, p. 111
8
Voir aussi dans ce sens Aziz El IDRISSI, La gouvernance des entreprises publiques, perspective
comparative Maroc-Europe, thèse, Université de Lille 1, 3 janvier 2017, p. 71
4
évidemment un droit spécifique »9. De son côté, NEUHANS J. distingue « l’entreprise
publique, pourvue d’une personnalité juridique du droit privé, dont la direction et le
contrôle sont nettement séparés de l’emprise des pouvoirs publics », et soutient
que « parmi ces entreprises, on rencontre assez souvent d’entreprise mixte, c’est-à-
dire financée en partie par les pouvoirs publics, en partie par des particuliers »10. Il
n’y a donc pas dans l’absolu une distinction significative entre une entreprise publique
et une société d’économie mixte ; les deux notions pouvant se confondre, à moins,
pour des raisons notamment d’exécution forcée, que le départ ne soit fait afin de
pouvoir soustraire la personne morale du bouclier de l’immunité d’exécution, encore
que tout dépendrait, dans ce dernier cas de figure, de l’analyse de l’architecture ou de
la position majoritaire ou minoritaire
des entités publiques dans le capital de l’entreprise visée.
Si l’on met l’accent sur la saisie, il faut entendre le chemin légal permettant à la partie
gagnante d’un procès ou créancière de recourir aux voies d’exécution forcée pour
obtenir le paiement, par le truchement de l’intervention de la force publique comme
mécanisme de contrainte et faisant office d’épouvantail pouvant laisser
planer une épée de Damoclès en cas de non-respect.
Ces précisions faites, il sied de dire que les juristes ne cessent d’épiloguer sur la sphère
subjective de l’immunité d’exécution, au point de s’interroger sur l’inclusion ou non
de la société d’économie mixte réduisant à néant toute entreprise allant dans
le sens de pouvoir procéder à la saisie de ses biens.
Cette interrogation est le reflet de notre problématique : une société d’économie mixte
peut-elle faire l’objet d’une saisie ? » Elle a sa raison d’être,
surtout qu’elle est d’une actualité brûlante et défraie la chronique au niveau de
l’échiquier judiciaire communautaire.
Sur le plan théorique, la pirouette de la CCJA, après qu’elle se soit ravisée sur cette
question, ravive la sempiternelle question de l’intégration totale de la société
d’économie mixte dans le périmètre de l’entreprise publique, et ce du seul fait de la
présence d’une personne morale de droit public à l’image de l’État, alors qu’ « il
résulte d’une interprétation restrictive de l’article 30, alinéa 2, que les entreprises
9
Cité par SAWADOGO, La question de la saisissabilité ou de l’insaisissabilité des biens des entreprises
publiques en droit OHADA, op. cit, p. 17
10
« Caractéristiques de l’entreprise publique », revue syndicale suisse : organe de l’Union syndicale
suisse 68 (1976), p. 56
5
semi-publiques de nature mixte constituées sous forme de droit privé avec certaines
prérogatives de puissance publique sont soumises aux voies d’exécution »11. Sur le
plan pratique, cette posture de la CCJA ne saurait être sans répercussions positives
évidentes. En effet, elle restreint le périmètre des personnes bénéficiaires de
l’immunité d’exécution, perspective favorable et profitable aux créanciers de ces
personnes morales.
De ce fait, si la compréhension d’une société d’économie mixte dans la sphère de
l’exécution forcée a été affirmée sans circonvolution (I), il y a lieu judicieusement et
conséquemment de cogiter autour de la justification ambiante de l’admission
prétorienne de cette saisie d’une société d’économie mixte (II).
11
Anne-Marie H. ASSI-ESSO, Ndiaw DIOUF, OHADA : Recouvrement des créances, Bruylant,
Bruxelles, Collection droit uniforme africain, 2002, n° 65, cité par SAWADOGO, La question de la
saisissabilité ou de l’insaisissabilité des biens des entreprises publiques en droit OHADA, op. cit, p. 20
12
« Toutefois, la question reste posée de la pertinence et de l’adéquation d’une telle disposition au
regard des dispositions internes des Etats parties sur lesquelles elle prime et surtout de l’objectif de
promotion de l’entreprise et des investissements que l’Ohada s’est fixé », F. M. SAWADOGO, La
question de la saisissabilité ou de l’insaisissabilité des biens des entreprises publiques en droit OHADA,
op.cit
6
En réalité, cette disposition n’est pas tout-à-fait elliptique, lapidaire et laconique parce
que n’apportant pas assez d’éléments pouvant permettre aux juges de s’y soumettre et
de s’y suffire dans la recherche des personnes bénéficiaires de l’immunité d’exécution
s’agissant des entreprises publiques, vu la diversité des personnes morales où une
entité de droit public peut intervenir en tant qu’actionnaire exclusif, dans ce cas pas de
difficultés majeures a priori, ou en tant que coactionnaire avec des entités de droit
privé, situation qui, particulièrement et probablement installerait un débat juridique sur
la qualification de l’entité constituée, laquelle qualification déterminerait l’acceptation
ou le rejet du paravent ou de la cuirasse de l’immunité d’exécution.
Tout de même, sa position première était jalonnée par une admission de l’immunité
d’exécution sans concession moindre. En effet, l’idée de permettre des saisies-
attributions sur les fonds détenus par des établissements de crédit et appartenant à des
entreprises publiques et à la demande des créanciers n’était pas envisagée par la
jurisprudence antérieure, qui brandissait, pour la défense de cette position, l’existence
et l’institution d’une immunité d’exécution dont bénéficient ces personnes morales.
13
CCJA, arrêt n°043/2005 rendu le 07 juillet 2005, Aziablévi Yovo et autres c/ Togo télécom
7
a aucun doute à l’égard de cette dernière sur sa qualité de bénéficiaire de l’immunité
d’exécution »14.
14
Selon F. M. SAWADOGO, cet arrêt « pose, entre autres problèmes juridiques importants, la question
de savoir quelles personnes bénéficient de l’immunité d’exécution prévue à l’article 30 de
l’AUPSRVE », La question de la saisissabilité ou de l’insaisissabilité des biens des entreprises publiques
en droit OHADA, op. cit.
15
CCJA, arrêt n°24/2014 du 13 mars 2014, KOUTOUATI A AKAKPO Danwodina contre la société
TOGO-PORT dit Port Autonome de Lomé. Il en est de même de l’arrêt n°09/2014 du 04 fév. 2014 où
la CCJA a ordonné « la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée sur les avoirs de la SOTEL entre
les mains de ESSO » en cassant l’arrêt n°166/CIV rendu le 08 janvier 2008 par la Cour d’appel de
N’Djaména en confirmation de l’ordonnance n°121 du 11 octobre 2007 rejetant l’assignation de
mainlevée de la saisie-attribution pratiquée la Société SAS ALCATEL SPACE sur les avoirs de SOTEL.
Il en est ainsi aussi de l’arrêt n°044/2016 du 18 Mars 2016 rendu par la CCJA qui a rejeté le pourvoi en
affirmant que « l’article 30 de l’Acte uniforme susvisé n’ayant pas défini la notion d’entreprise
publique, c’est après avoir analysé le Décret n°2001-593du 19 septembre 2001 portant création et
organisation de la Société d’Etat dénommée Fonds d’Entretien Routier que la Cour d’appel en a déduit
que celle-ci est en réalité une entreprise publique, justifiant ainsi sa décision, laquelle, par conséquent,
n’encourt pas le grief allégué ». Il en est également ainsi de l’arrêt n°105/2014 du 4 nov. 2014 où la
CCJA a ordonné « la mainlevée de la saisie pratiquée sur les comptes de AES SONEL les 16 et 17 mars
2005 ».
8
Cette thèse antérieure a été atténuée par la jurisprudence. Ainsi, désormais une
entreprise comprenant l’Etat et ses démembrements comme actionnaires parmi
d’autres privés n’est pas absolument soumise à l’immunité d’exécution, parce que
n’étant pas qualifiée d’entreprise publique strictement et à part entière, et ouvre donc
droit à l’éventualité de la saisie de ses biens.
Et cette décision pourrait faire date et amener les juridictions nationales à en prendre
de la graine et à reconsidérer leur raisonnement sur l’immunité d’exécution, qu’elles
donneraient systématiquement en présence d’une entité étatique ou de ses
démembrements. Et ce, sans doute ou peut-être sous l’influence de la position
antérieure rigoureusement mise en avant par l’organe supranational dépositaire de
l’unification et de l’interprétation des normes au niveau de l’OHADA.
CCJA, 3ème Ch. arrêt n°103/2018 du 26 avril 2018 : MBULU MUSESO contre Société des Grands
16
Hôtels du Congo
17
C’est en réponse à un argument de la défenderesse au pourvoi faisant « valoir que le recours est en
réalité dirigé contre une violation alléguée du droit interne de la République Démocratique du Congo ;
que la détermination des entreprises bénéficiaires de l’immunité d’exécution étant renvoyée au droit
interne de chaque Etat partie de l’OHADA, la CCJA doit se déclarer incompétente ».
9
En effet, il y a lieu de rappeler que le législateur18 n’a pas clairement énuméré le
domaine d’application subjectif de cette protection ou armure légale, ni donné des
critères d’appréciation comme nous l’avons montré. C’est la raison qui explique le
débat foisonnant et passionnant autour de la question de la compréhension de quelle
entreprise publique dans la sphère de l’immunité d’exécution. Ce qui nécessite un
raisonnement déducteur.
Partant de là, la CCJA a déduit, relativement à cet arrêt précité, « qu’en l’espèce, il est
établi que le débiteur poursuivi est une société anonyme dont le capital social est
détenu à parts égales par des personnes privées et par l’Etat du Congo et ses
démembrements ; qu’une telle société étant d’économie mixte, et demeure une entité
de droit privé soumise comme telle aux voies d’exécution sur ses biens propres; qu’en
lui accordant l’immunité d’exécution prescrite à l’article 30 susmentionné, la Cour de
Kinshasa/Gombe a fait une mauvaise application de la loi et expose sa décision à la
cassation ; qu’il échet de casser l’arrêt déféré et d’évoquer ».
La CCJA a donc pu caractériser la nature de l’entreprise indexée pour finalement
l’exclure du périmètre des personnes pouvant se prévaloir de l’immunité d’exécution,
destinée à neutraliser toute tentative de saisies de leurs biens et qui constitue un abri et
un écran à tout aboutissement des voies d’exécution entreprises.
C’est ce qui justifie que la haute juridiction a fini par déclarer « valables les saisies-
attributions pratiquées par sieur MBULU MUSESO » en prononçant la cassation de
l’arrêt de la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe confirmatif de l’ordonnance du
président du tribunal du Travail de Kinshasa/Gombe annulant les saisies-attributions
opérées sur les avoirs de la Société des Grands Hôtels du Congo19.
L’avènement de cette décision consacre donc un nouvel angle d’analyse en ce qui
concerne le principe de l’immunité d’exécution et de son application concrète.
18
Selon F. M. SAWAGOGO, « Il y a eu, selon toute vraisemblance une confusion faite, par
inadvertance, par les rédacteurs de l’AUPSRVE, comme cela semble se produire souvent en pratique,
entre entreprise publique et établissement public, aboutissant de fait à une régression au regard des
conséquences pratiques d’une telle solution [arrêt Togo Telecom] qui apparaît critiquable en droit et
en fait », La question de la saisissabilité ou de l’insaisissabilité des biens des entreprises publiques en
droit OHADA , op.cit
19
« Une société d’économie mixte est une entreprise de droit privé soumise comme telle aux voies
d’exécution. Le fait que cette société soit investie d’une mission de service public ou travaille pour le
compte d’une collectivité locale n’est pas un motif pertinent pour échapper à une voie d’exécution »,
Serge Guinchard et Tony Moussa, Droit et pratique des voies d’exécution, cité par F. M. SAWADOGO,
La question de la saisissabilité ou de l’insaisissabilité des biens des entreprises publiques en droit
OHADA, op.cit
10
En effet, la CCJA n’a pas pris en compte la seule présence de l’État et de ses
démembrements dans le capital social pour qualifier la personne morale d’entreprise
publique, mais a jugé utile de s’appesantir sur le pourcentage des parts sociales
détenues par ces entités et sur la forme sociale comme ingrédients d’estimation et
d’évaluation de la nature de l’institution.
Ainsi, l’on en tire que la seule intégration d’une personne morale de droit public ne
suffise pas pour conférer à l’entreprise son étiquette de publique, justificative du jeu
de l’immunité d’exécution.
Aussi, faut-il mettre l’accent sur les motivations probables d’un tel revirement.
Ainsi structurée, cette sous partie pourrait laisser entrevoir un fossé significatif et
abyssal entre l’entreprise publique et la société d’économie mixte, mais point de vue
que vient édulcorer et émousser l’adjectif relative, pour montrer qu’il y aurait une ligne
de démarcation assez étroite pour ne pas dire inexistante entre ces deux structures et à
la limite même d’un établissement laborieux ; l’assimilation étant, pour ainsi dire,
systématique ou à tout le moins majoritaire20. En d’autres termes, une société
d’économie mixte peut être qualifiée d’entreprise publique, mais une entreprise
publique ne se résume pas absolument à une société d’économie mixte21.
20
Michel DURUPTY définit l’entreprise publique par la réunion de deux critères : « un critère
organique : L’entreprise publique est dotée de la personnalité morale et l’Etat y détient la majorité du
capital ou la majorité des voix ; un critère matériel : L’activité de l’entreprise publique est à la fois
marchande et collective. Elle fait l’objet d’une rémunération et est soumise au double circuit d’influence
du marché et des politiques gouvernementales », « Les entreprises publiques », Thémis, P.U.F., 1986,
pp. 204-233, cité par Michaël POYET dans sa thèse intitulée « Le contrôle de l’entreprise publique,
Essai sur le cas français », Université Jean Monnet de Saint-Etienne, 10 mai 2001
21
Selon Carolle SIMARD, « la notion d'entreprise publique n'acquerra pas, en droit français, de
dimension juridique. Elle traduit le projet d'instaurer un contrôle public sur des activités industrielles
11
Dans ce sillage, un auteur remarque que « Le caractère public du capital, critère
pourtant simple, ne peut constituer à lui seul le trait commun des entreprises publiques
car si toutes les entreprises publiques ont du capital public, tout le capital des
entreprises publiques n'est pas nécessairement public. À cet égard, le vêtement de la
société d'économie mixte qui habille bon nombre d'entreprises publiques est
particulièrement éloquent. Son caractère de société anonyme permet, en effet, à la
société d'économie mixte de marier les capitaux privés et publics selon les dosages les
plus subtils, la part de ces derniers allant, selon les multiples gradations dictées
notamment par le droit des sociétés, d'une minorité de blocage à la quasi-totalité du
capital social »22. Cette position, in fine, traduit le départ délicat précédemment étalé.
Par ailleurs, l’entreprise publique23 est « une personne morale, dont l’activité tend
essentiellement à produire des biens et services contre rémunération, sous le contrôle
et le pouvoir prépondérant d’une ou plusieurs personnes publiques voire d’autres
entreprises publiques », et « de la jurisprudence du Conseil d’État français, il résulte
qu’une entreprise en forme de société est une entreprise publique si son capital est
détenu en totalité ou en majorité par une ou des personnes publiques »24. À partir de
ce moment, les contours de l’assimilation de la société d’économie mixte à une
entreprise publique étalés, il va sans dire qu’en l’absence de ces conditions, l’altérité
entre ces deux notions devrait être d’application et le recours à l’immunité d’exécution
mis en veilleuse.
et commerciales, mais sans donner naissance à une nouvelle forme juridique. Les entreprises publiques
vont, dans ces conditions, être contraintes d'entrer dans des moules existants. Les unes seront des
établissements publics industriels et commerciaux, les autres des sociétés nationales ou des sociétés
d'économie mixte », op. cit. p. 111
22
François CHEVALLIER, « Les entreprises publiques en France », notes et études documentaires, nos
4507-4508, La documentation française, Paris, 9 mars 1979, p. 7 et s. L’auteur d’ajouter qu’« Entre
une société d'économie mixte où l'État détient 98% du capital et une autre où il ne détient que
quelques participations, parfois même par l'intermédiaire d'une autre société d'économie mixte ou
établissement public, le départ n'est pas toujours aisé qui permette de déterminer où commence
l'entreprise publique et où finit la société capitaliste privée »
23
Voir aussi, pour plus informations sur l’entreprise publique, LANGROD Georges, L'entreprise
publique en droit administratif comparé, Revue internationale de droit comparé, Vol. 8 N°2, Avril-juin
1956, pp. 213-231
24
Guy NAHM – TCHOUGLI, op. cit., p. 574. L’auteur affirme, en outre, que « pour la doctrine, un
autre critère est utilisable. Celui de la détention de la totalité ou de la majorité des voix dans les organes
délibérants de l’entreprise. Pourraient donc être des entreprises publiques, celles dans lesquelles les
autorités publiques n’ont pas la majorité du capital mais ont la majorité des voix. », et relève qu’en
droit communautaire (européen), est une entreprise publique au sens de l’art 86 du traité de
Rome « toute entreprise sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer directement ou indirectement
une influence dominante du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la
régissent ». p. 574 et s.
12
Il pourrait en être ainsi notamment si la participation de la personne morale de droit
public dans le capital de l’entreprise est minoritaire, surtout que qui peut le plus peut
le moins, puisque la CCJA, dans son arrêt de revirement, a eu à permettre la saisie des
biens d’une société d’économie mixte en relevant, parmi d’autres éléments justificatifs
de sa décision, la participation égalitaire dans le capital social de la personne morale
entre les entités publiques et les entités privées.
Dans cette veine, le demandeur au pourvoi a eu à soutenir dans son moyen que
l’immunité d’exécution « ne doit bénéficier qu’à l’État et ses démembrements et aux
entreprises publiques ; qu’au regard de la législation congolaise, la défenderesse
n’est pas une entreprise publique mais une société d’économie mixte soumise au
régime des sociétés privées ».
Un criblage des arguments précédents permet de voir qu’il est clairement fait le départ
entre une entreprise publique et une société d’économie mixte, pour finalement tirer la
conclusion d’une possibilité d’exécution forcée à l’encontre de la seconde entité,
brèche que n’envisageait pas la jurisprudence communautaire antérieure.
L’enseignement à tirer de la décision de la CCJA, c’est que le fait qu’un Etat et/ou un
de ses démembrements soient partie intégrante d’une entreprise portée sur les fonts
baptismaux, ne présage pas automatiquement et systématiquement de la facette
publique de la personne morale et impose aux juges une analyse minutieuse de la
configuration du capital social, dans l’optique d’évaluer la position des entités
publiques pour pouvoir disposer d’éléments probants pouvant impacter sur
l’orientation de l’interprétation vers l’un ou l’autre côté, et à partir de laquelle
l’opportunité de la mise en route de l’immunité d’exécution sera appréciée en vue
d’une autorisation ou d’une neutralisation. Par ailleurs, pour avoir une meilleure
appréhension de l’entendement de la CCJA sur la qualification d’une entreprise
publique, il faut se référer à une autre décision où elle affirme « qu’il résulte de ce qui
précède que le FER réunit les attributs d’une entreprise publique lui permettant de se
prévaloir de l’immunité d’exécution prévue à l’article 30 alinéa 1 de l’Acte uniforme
portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies
d’exécution »25. À la lecture de cette décision, il se dégage que, malgré sa soumission
25
C’est l’arrêt n° 044/2016 du 18 mars 2016, GNANKOU GOTH Philippe contre Fonds d’Entretien
Routier dit « FER » et Société Ecobank Côte d’Ivoire. L’argumentaire de la haute juridiction était ainsi
libellé « …que tel est le cas du FER qui est une société d’Etat créée par décret n°200-593 du 19
13
aux règles de droit privé par la loi n° 97-519 du 04 septembre 1997 portant définition
et organisation des sociétés d’État que la CCJA a fini par rendre « inopérante à cet
égard en vertu de l’article 10 du Traité OHADA », le FER a été déclaré entreprise
publique principalement en raison de la détention exclusive de son capital par l’État
ivoirien. Ainsi, sur ce plan, la société d’économie mixte se singularise et se démarque
sans doute de l’entreprise publique. Cela se comprend aisément, car qui dit mixte parle
d’un certain mélange ou d’une composition de choses de nature différente. Tel n’est
pas le cas dans cette affaire.
septembre 2001 dont les statuts précisent en leurs articles 3 et 6 qu’elle a pour objet d’assurer le
financement des prestations relatives : aux études et aux travaux d’entretien courant et périodique du
réseau routier, à la maîtrise d’œuvre des études des travaux d’entretien routier, et que son capital est
entièrement détenu par l’État et pourrait être ouvert à des personnes de droit public ivoirien ; qu’aussi,
l’ordonnance n°2001-591 du 19 septembre 2001 portant institution du FER dispose en son article 1er
que ses ressources sont constituées par les redevances prélevées sur la vente des produits pétroliers,
les droits de péage sur le réseau routier, et des allocations budgétaires éventuelles de l’Etat ».
14
prérogative ont vu leur périmètre reconsidérer dans le sens d’un rétrécissement et
d’une compression26.
En l’espèce, l’on peut mettre l’accent sur l’un des arguments de l’appelant brandis
devant la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe, qui semble influer sur la décision de la
CCJA, où il soutenait que « lorsque la participation de l’État et de ses démembrements
dans l’entreprise est en deçà de la majorité absolue, il s’agit d’un simple placement
financier n’entrainant aucun privilège d’exécution ; qu’en l’espèce, l’État du Congo
ne détient que 47% des actions de la Société des Grands Hôtels, le reste étant détenu
à hauteur de 3% par d’autres entités publiques et 50% par des personnes privées ;
qu’il en déduit que son débiteur est une société d’économie mixte assimilée à une
société privée et ne peut, par conséquent, bénéficier de l’immunité prévue à l’article
30 alinéa 1 de l’AUPSRVE » ; argumentaire réitéré également dans la thèse du
pourvoi.
Et il faut dire que « les objectifs poursuivis par l’OHADA, en particulier la recherche
de la sécurité juridique et judiciaire par la mise en place d’une législation commune,
claire, moderne, adaptée, facile à connaître, d’application uniforme, s’opposent à ce
qu’il soit procédé à une extension du domaine d’application de l’immunité
d’exécution, qui ne peut que nuire aux créanciers des entreprises publiques,
créanciers qui sont souvent des entreprises privées et aux entreprises publiques elles-
mêmes en entamant grandement leur crédit »27.
26
Selon Félix ONANA ETOUNDI, « La CCJA devrait donc veiller à ce que la personne morale de
droit public n’invoque point l’immunité d’exécution dans le seul intérêt de se soustraire à ses
engagements pris dans le cadre d’une activité commerciale relevant purement du droit privé. Il s’agit
de donner à l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public, un contenu restreint aux
seules missions de service public qui caractérisent l’activité publique des personnes bénéficiaires.
Autrement dit, lorsqu’une personne morale de droit bénéficiaire de l’immunité d’exécution sort du
cadre de l’activité publique qui la justifie, le juge devrait en restreindre la portée. », L’immunité
d’exécution des personnes morales de droit public et ses applications jurisprudentielles en droit
OHADA, Revue de Droit Uniforme Africain n°000-09/08/2010, Ohadata D-13-55
27
SAWADOGO F. M., La question de la saisissabilité ou de l’insaisissabilité des biens des entreprises
publiques en droit OHADA, op. cit, p. 22
15
Dès lors, « raisonnablement, seuls l’État, les collectivités publiques territoriales, les
établissements publics et les groupements d’intérêt public devaient être concernés par
l’insaisissabilité et, par voie de conséquence, la compensation »28. Il faut donc qu’il y
ait une attitude, de la part des juges, d’amenuisement des conditions du jeu de
l’immunité d’exécution et de la réclamation concluante de son bénéfice.
Une interprétation dans ce sens constitue sans doute une chance et une aubaine pour
les créanciers29.
Dans cette optique, un auteur de dire que « l’immunité de saisie à des conséquences
fâcheuses pour les créanciers de ces personne publiques et dramatiques pour le
développement du secteur privé. D’une part, en ce qui concerne les créanciers des
entreprises publiques, l’immunité d’exécution est susceptible d’entrainer la faillite de
nombre de sociétés privées en relation avec les entreprises nationales…..[et] un
gonflement de la dette intérieure qui est susceptible d’hypothéquer les relations des
sociétés créancières avec les institutions financières nationales et internationales.
D’autre part, en corrélation avec le premier point, l’immunité d’exécution peut
hypothéquer l’éclosion d’un secteur privé dynamique »30.
Par conséquent, l’immunité d’exécution est un chenal légal qui prive les créanciers de
canaux légaux, en l’occurrence les voies d’exécution, tendant à asseoir une
préservation certaine et une défense effective de leurs droits et qui participe d’un gel
de leur grande marge de manœuvre dans la mise en œuvre des décisions judiciaires
favorables à leur égard. C’est pour cela que son extension ne doit pas être valorisée
davantage, puisque son institution ne saurait disparaître et pourrait s’expliquer dans
certaines hypothèses.
Tout compte fait, il ne serait pas exagéré de dire que les créanciers des sociétés
d’économie mixte exclues du champ de l’immunité d’exécution ne manqueraient pas
28
SAWAGOGO F. M., Etudes des actes uniformes de l’OHADA portant sur l’organisation des
procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution et sur l’organisation des procédures
collectives d’apurement du passif, op. cit, p. 19
29
Parce que, « L’immunité d’exécution est une sorte d’insécurité juridique de nature à fragiliser des
relations d’affaires entretenues avec les personnes publiques. La compensation ne peut à elle seule
résoudre les difficultés de recouvrement causées par l’immunité d’exécution », ARMEL IBONO Ulrich,
« L’immunité d’exécution des personnes morales de droit public à l’épreuve de la pratique en droit
OHADA », revue de l’ERSUMA, Droit des affaires-Pratique Professionnelle, n°3-septembre 2013, p.
80
30
Guy NAHM – TCHOUGLI, op. cit, p. 576 et s.
16
de porter au pinacle et de faire cas de la posture salutaire à leur égard de la haute
juridiction communautaire et seraient emballés de voir cette dynamique se confirmer
dans d’autres hypothèses et qui participerait particulièrement d’un polissement et d’un
affinement des relations d’affaires tissées et nouées avec ces personnes morales en lieu
et place d’un flottement et d’une réticence.
17