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Introduction

1. Quatre étudiants, parmi lesquels deux informaticiens, un gestion-


naire et un juriste, ont de longue date décidé de fonder ensemble leur
entreprise dès la fin de leurs études ; le dernier expliquera aux trois pre-
miers l’intérêt pour eux de constituer une société par actions simplifiée,
assortie d’un pacte d’actionnaires dans lequel ils organiseront leur coo-
pération au service du développement de leur entreprise et s’efforceront
de prévoir au mieux les différentes hypothèses de sortie du capital ou de
valorisation de leur participation. Trois autres étudiants en droit qui ont
acquis une solide habitude de partager leurs travaux et qui ont la « voca-
tion » d’avocat, l’un en droit pénal, l’autre en droit de la famille, le troi-
sième en droit des affaires, décident de procéder dès qu’ils le peuvent, à
la création de leur cabinet commun : ils auront le choix entre une société
civile professionnelle, de moyens ou de plein exercice, société de person-
nes dans laquelle ils resteront fiscalement autonomes, et une société
d’exercice libéral, à risque limité et soumise à l’impôt sur les sociétés.
Vous avez un ami d’enfance qui est plombier et qui vous demande s’il
a un intérêt à « se mettre en société », et comment procéder. Deux entre-
preneurs de travaux publics ont l’habitude de travailler ensemble, de se
prêter du matériel, de s’échanger du personnel ou même à l’occasion de
présenter ensemble une réponse commune à certains appels d’offres ;
sont-ils « associés » sans avoir formellement constitué de société ?
Deux héritiers décident de conserver ensemble un immeuble qui vient
de leur échoir par voie de succession ; quel sera pour eux l’intérêt
d’une société civile ? Un garagiste a l’occasion de s’installer par acquisi-
tion d’un local en cours de construction : il organisera l’appropriation et
le financement de la propriété immobilière par la constitution d’une
société civile, laquelle consentira un bail commercial à une société com-
merciale, telle qu’une société à responsabilité limitée (SARL) qui exploi-
tera le fonds de commerce, les loyers versés par la seconde permettant à
la première de rembourser progressivement l’emprunt contracté. Une
société existante cherche une forme juridique mieux adaptée à la partici-
pation d’un plus grand nombre d’associés, qu’elle se propose de recruter
dans le contexte d’un voisinage, d’une activité associative ou d’une
8 Droit des sociétés

profession : on lui conseillera de se transformer en société anonyme. Une


autre société anonyme devient si importante qu’elle envisage de faire
publiquement appel à des candidats actionnaires, voire même de sollici-
ter l’inscription de ses actions sur un marché financier réglementé ; elle
sera alors soumise à des règles plus contraignantes sous le contrôle de
l’Autorité des marchés financiers, mais tout un chacun pourra quotidien-
nement acheter ou vendre ses actions, par un simple ordre de bourse
donné par l’intermédiaire de l’agence de quartier de sa banque ou sur
un site en ligne sur internet. Supposons encore que deux groupes indus-
triels de taille mondiale intervenant dans le même secteur d’activité déci-
dent de partager les coûts de recherche et de développement d’une
réponse technologiquement entièrement nouvelle aux besoins solvables
de leurs clients : elles vont créer une filiale commune, dans laquelle la
collaboration opérationnelle sera précisée avec un certain luxe de détails.
Dans quelle mesure une société chef de file d’un groupe de sociétés
est-elle responsable des préjudices causés par l’activité de ses filiales en
matière d’atteinte à la santé, à la sécurité des personnes ou à l’environne-
ment ? Enfin, mais il ne faut pas le dire, un groupe industriel et financier
honorablement connu doit à contrecœur organiser dans un paradis fiscal
quelques entités off shore destinées à recueillir discrètement certaines
ressources pour les affecter, encore plus discrètement, à certains usages
concurrentiels ; ou bien encore, et là il faut le dire, d’autres entités ani-
mées d’intentions et coupables d’activités que la loi et la morale réprou-
vent déposent le produit de leurs trafics dans d’autres paradis fiscaux
(parfois les mêmes) et, par le mécanisme de la société-écran interposée,
le fait rebondir jusqu’à un investissement en bourse, l’acquisition de ter-
res agricoles ou le financement d’une dette publique ; quand les mêmes
capitaux ne viennent pas alimenter une spéculation financière, monétaire
ou boursière par l’intermédiaire de fonds qui engendrent des risques, non
seulement pour eux mais aussi pour le système économique (le « risque
systémique ») qui sont inversement proportionnels à l’absence parfois
totale de régulation de tels fonds plus ou moins exotiques. Et pour finir
sur une note plus optimiste, lorsque les salariés s’organisent pour
« reprendre » leur entreprise, c’est la constitution d’une société intermé-
diaire destinée à acquérir la société « cible » opérationnelle qui le leur
permettra juridiquement, économiquement et fiscalement.
2. Domaine du droit des sociétés. – On constate aisément que le
droit des sociétés recouvre des réalités très diverses, et qu’il est omnipré-
sent dans le domaine des activités économiques. Il est la branche du
droit, rattachée au droit commercial, qui a pour objet de définir le régime
juridique des groupements volontaires de sujets de droit ayant une fina-
lité économique. Il s’agit principalement des sociétés proprement dites,
civiles ou commerciales ; on y rencontre également d’autres groupe-
ments de droit privé, tels certaines associations ou les groupements
Introduction 9

d’intérêt économique. Cette discipline doit être envisagée, et le sera ici


principalement, en droit interne ; mais il faut être conscient des aspects
juridiques de l’internationalité de l’activité ou de la structure de certaines
sociétés.
3. Société et entreprise : le fait. – Une société est souvent la struc-
ture juridique d’organisation d’une entreprise. Sur le plan de l’analyse
juridique, la notion de société et la notion d’entreprise sont a priori dis-
tinctes. La société est le mode d’organisation par lequel sont reconnus les
droits et obligations entre la société, ses membres et ses organes, ainsi
qu’à l’égard des tiers. L’entreprise n’est pas un sujet de droit autonome ;
elle n’est pas un sujet de droit concurrent de la société. Cependant, cer-
taines évolutions marquent des empiétements respectifs d’un domaine
sur l’autre. La société est un élément « institutionnel » de l’entreprise,
au sens où l’entendent les économistes ; la constitution, le fonctionne-
ment, le contrôle ou la restructuration d’une société, la transmission des
droits sociaux et certains contentieux du droit des sociétés sont des
modalités d’organisation, de gestion, de cession ou de restructuration
d’une entreprise et l’expression de concurrence entre entreprises ; sans
aller jusqu’à considérer que le droit des sociétés serait « un facteur de
production » (institutionnel) pour l’entreprise (encore que...), il faut
bien admettre que ses contraintes et ses ressources sont redoutées,
exploitées ou convoitées par les acteurs économiques. À l’inverse, cer-
tains partenaires de l’entreprise sociale, tels les salariés dans la société
anonyme, et à commencer par les actionnaires eux-mêmes, se voient
reconnaître des droits spécifiques d’information, d’intervention ou de
participation dans la structure sociale proprement dite. Prendre en
compte l’entreprise en droit des sociétés, c’est donner une consistance à
ceci que la société est le moyen d’un « entreprise commune » au sens de
l’article 1832 du Code civil ; c’est aussi traduire en droit des sociétés
l’existence des partenaires de l’entreprise, partenaires internes (actionnai-
res, salariés) et partenaires externes ou « porteurs d’intérêts » dont les
entreprises doivent tenir compte1.
4. Société et entreprise : les concepts. – Cette problématique de la
place de l’entreprise dans la société civile ou commerciale anime le débat
doctrinal entre l’analyse contractuelle, où la société serait un contrat dans
le contexte duquel les relations entre ses acteurs seraient elles-mêmes
organisées selon la méthode contractuelle et l’analyse institutionnelle,
où la société serait une organisation assez largement prédéterminée, où
le mode contractuel des relations entre ses acteurs cèderait la place à des
mécanismes assez largement déterminés par la loi. La seconde est

1. Fr.-G. TRÉBULLE, « Stakeholders et droit des sociétés », Bull. Joly 2006,


§ 282, p. 1337 et Bull. Joly 2007, § 1, p. 7.
10 Droit des sociétés

réputée se prêter à la prise en compte des intérêts spécifiques de l’entre-


prise sociale, dans la mesure où elle se donnerait les moyens de
contre-balancer l’expression le cas échéant trop égoïste de l’intérêt patri-
monial personnel des associés. Elle semblait s’affirmer en droit français
des sociétés dans le dernier tiers du siècle précédent, notamment à la
suite de la grande loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales,
lorsque la mondialisation des institutions politiques et sociales et la glo-
balisation libérale des phénomènes économiques apportent un retour de
l’aspect contractuel des sociétés. Mais l’on aurait tort de considérer que
seule l’institution reconnaît l’entreprise et que le retour du contractuel
signifierait nécessairement sa mise à l’écart. Comme tout contrat, le
contrat de société doit, ou devrait, donner lieu à toutes les suites qu’il
comporte d’après sa nature au sens de l’article 1135 du Code civil, et
lorsque le contrat de société est la forme juridique d’organisation d’une
entreprise, l’intérêt de cette dernière entre dans le champ du contrat ; la
société est légalement et expressément instituée dans « l’intérêt commun
des associés » (C. civ., 1833), par un contrat qui affecte des apports à
« une entreprise commune » (C. civ., 1832, al. 1er). Cette notion d’entre-
prise commune ne doit pas être négligée comme pourrait l’être l’arti-
cle 1135 du Code civil. Si les obligations (en général) obligent non seu-
lement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que
l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature, les
obligations formées, interprétées ou exécutées en application du droit
des sociétés ne peuvent contredire la finalité d’un contrat de société qui
est le plus souvent l’organisation d’une entreprise, ni la nature des obli-
gations qui en découlent et les suites qu’elles doivent comporter. L’ac-
tuelle configuration macro-économique dite « de crise » a pour effet de
rendre sans doute mieux visible l’importance des ressorts de l’économie
réelle, au premier rang desquels se trouve l’entreprise dans sa comple-
xité2. Le droit des sociétés ne saurait l’ignorer, quelle que soit la taille
de ladite entreprise ou de ladite société.
5. Société et entreprise : la doctrine. – Intérêt commun des associés,
entreprise commune ou intérêt social ont donné lieu à une exceptionnelle
contribution de la doctrine qui a beaucoup hésité, et échangé, sur la place
du droit des sociétés au regard du droit des contrats, de la liberté contrac-
tuelle, et de l’ordre public sociétaire3.

2. Pour une explication contemporaine de l’appréhension de l’entreprise dans vision


plus large que la seule logique « marchande », cf. Benoît XVI, « Caritas in veritate »,
2009, sp. no 40, 41.
3. D. SCHMIDT, « De l’intérêt social », JCP E 1995 I no 488 ; A. PIROVANO « La
“boussole” de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise ? »,
D. 1997 chron., p. 189 ; J.-P. BERTREL, « Liberté contractuelle et sociétés, essai d’une
théorie du “juste milieu” en droit des sociétés », RTD com. 1996.595 ; à propos de la
« corporate governance » : B. MERCADAL, « La notion d’entreprise », Mélanges
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6. Société et entreprise : le droit positif. – On retrouve l’intérêt de


l’entreprise sociale en législation et en jurisprudence : il détermine bien
souvent la définition du domaine de la liberté contractuelle des associés,
les conditions de la dissolution des sociétés, l’ampleur des pouvoirs des
dirigeants, la mise au point des critères du contrôle légal (commissariat
aux comptes), les motifs de l’intervention judiciaire dans le fonctionne-
ment des sociétés (administration provisoire, abus de majorité), l’équili-
bre du régime des offres publiques en bourse ; ou bien d’autres l’inter-
prétation d’autres techniques du droit des sociétés. La notion d’entreprise
renvoie en réalité à deux aspects de droit positif : 1º/ l’idée d’une diver-
sité et en même temps d’une communauté d’intérêts ; de ce point de vue,
le droit des sociétés doit tout à la fois permettre l’expression de cette

Derruppé, p. 9 ; P. DIDIER, « Une définition de l’entreprise », Mélanges Catala, p. 849 ;


G. DRAGO, « La notion d’entreprise vue de la Constitution », Mélanges Cham-
paud, p. 299 ; G. FARJAT, « Les “sujets” de l’entreprise », Mélanges Champaud, p. 317 ;
A. TUNC, « Le gouvernement des sociétés, le mouvement de réforme aux États-Unis et
en Grande-Bretagne », RID comp. 1994.59 ; D. NECHELIS, « Le gouvernement d’entre-
prise », Dr. sociétés nov. 2000, chron. no 23, p. 6 ; P. LE CANNU, « Légitimité du pouvoir
et efficacité du contrôle dans les sociétés par actions », Bull. Joly 1995, p. 637 ;
A. COURET, « Le gouvernement d’entreprise », D. 1995.163, « L’intérêt social », JCP
E, Cah. dr. ent. 1996-4 ; Y. GUYON, Rép. Dalloz Dr. sociétés, vº « Corporate gover-
nance » ; P. DIDIER, « Une définition de l’entreprise », Mélanges Pierre Catala, Litec
2001, p. 849, où l’auteur évoque également une intéressante conception de l’entreprise
comme nexus of contracts, ou « nœud de contrats », dont la société serait le réceptacle ;
Y. GUYON, « La société anonyme, une démocratie parfaite ! », Mélanges
Gavalda, p. 133 ; J. PAILLUSSEAU, « La modernisation du droit des sociétés commercia-
les », D. 1996.291 ; « Entreprise, société, actionnaires, salariés, quels rapports ? » D. 1999
chron. p. 157 ; P. BISSARA, « L’intérêt social », Rev. sociétés 1999.5 ; G. BLANC, « Les
frontières de l’entreprise en droit commercial (brève contribution...) », D. 1999 Cah. dr.
aff., chron., p. 417 ; J. PAGÈS, « De l’irréductible et incontournable entreprise », Mélan-
ges Jeantin, p. 79 ; no spécial de la Revue des sociétés du 1er trimestre 2000 sur « Le
changement de millénaire et le droit des sociétés », Rev. sociétés 2000, p. 3 à 167 ;
KLAUS J. HOPT, « Le gouvernement d’entreprise – expériences allemandes et européen-
nes », Rev. sociétés 2001.1 ; N. RONTCHEVSKY : « Le gouvernement d’entreprise à la
française (brèves observations sur le volet société de la loi “NRE”) », Dr. Aff.
2001.2578) ; N. DION, « 2001. Entreprise, espoir et mutation », Dr. Aff. 2001.762 (I –
L’entreprise et l’éthique humaine, la vocation à la singularité/la vocation à l’universalité,
II – L’entreprise et l’éthique planétaire, la vocation à la précaution/la vocation à l’évolu-
tif ; A. GUENGANT, « La contribution du rapport Bouton pour un meilleur gouvernement
des sociétés cotées », JCP 2002 no 1683 p. 1856 ; A. COURET, « La recherche d’un meil-
leur gouvernement des entreprises cotées : la contribution du rapport de travail présidé
par Daniel Bouton », Bull. Joly 2002, p. 1126, § 245 ; D. SCHMIDT, « L’entreprise
incomprise », Mélanges Yves Guyon, 2003, p. 985) ; R. ROUTIER, « De nouvelles pistes
pour la gouvernance ? » Bull. Joly 2003, no 129, p. 611 ; M.-A. FRISON-ROCHE, « Régu-
lation et droit des sociétés. De l’article 1832 du Code civil à la protection du marché de
l’investissement », Mélanges Dominique Schmidt, 2005, p. 255 ; D. MARTIN, « L’intérêt
des actionnaires se confond-il avec l’intérêt social ? », Mélanges Dominique Schmidt,
2005, p. 359 ; G. GOFFEAUX-CAILLEBAUT, « La définition de l’intérêt social, retour
sur la notion après les évolutions législatives récentes », RTD com. 2004.35 ;
12 Droit des sociétés

diversité et organiser cette communauté d’intérêts ; 2º/ l’idée que l’entre-


prise est le mode d’organisation d’un risque micro-économique, risque
de gains et risque de pertes, avec des probabilités de développement ou
de disparition, et dans lequel la continuité d’exploitation occupe une
place évidemment centrale ; de ce point de vue, l’intérêt de l’entreprise
s’inscrit dans la durée, et la valeur de l’hypothèse de continuité d’exploi-
tation devient par exemple un axe de l’information comptable et finan-
cière. Le droit des sociétés donc est un instrument qui peut être utile à la
construction de l’entreprise ; il peut aussi contribuer à sa « déconstruc-
tion ». Fondé sur des mécanismes contractuels, au demeurant plus ou
moins dirigés, le droit des sociétés se doit d’être attentif aux réalités
contemporaines de l’entreprise, qui peuvent influencer son évolution,
mais qu’il peut lui-même contribuer à organiser.
7. L’intérêt pratique du droit des sociétés. – L’intérêt pratique du
droit des sociétés se mesure d’abord au nombre de sociétés. Il existait en
janvier 20024 près de 2 500 000 sociétés en France générant l’essentiel
du chiffre d’affaires soumis à la TVA, et concernant désormais tous les
secteurs économiques c’est-à-dire, à côté des activités civiles ou com-
merciales classiques, les professions libérales, les activités agricoles, ou
encore la « nouvelle économie »5. En trois ans (janvier à 1999 à janvier
2002), le nombre de SARL passe de 1 100 000 à 1 223 000, celui des
sociétés civiles de 138 000 à 181 000, celui des SCI de 495 000 à
635 000, celui des SAS de 2 600 à 23 000. Si celui des SA diminue (de
236 000 à 218 000), c’est sans doute parce que certaines d’entre elles ont
été transformées en SAS, et que d’autres ont été absorbées ; mais si le
nombre de nouvelles SAS correspond sensiblement à cette diminution
(environ 20 000), il faut bien voir que nombre de SAS sont créées ex
nihilo ; la constitution des SA est donc peu dynamique, sans doute à
cause de la lourdeur de son organisation, pourtant aggravée par la loi
NRE du 15 mai 2002 et imitée par la société européenne ; les créateurs
d’entreprise s’en détournent, au moins tant qu’ils n’ont pas besoin de
faire appel au marché financier. L’étude du droit des sociétés est utile à
tous les acteurs de ces entreprises sociales, associés, salariés ou chefs
d’entreprise, à leurs partenaires contractuels (banquiers, cocontractants),
à leurs conseils (avocat, notaire, expert comptable) et aux détenteurs
d’une autorité juridique (magistrats, membres de l’administration des
impôts...) ; elle l’est aussi aux étudiants en d’autres disciplines des scien-
ces sociales et particulièrement, en sciences économiques ou de gestion.

Y. DE CORDT, L’intérêt social comme vecteur de la responsabilité sociétale, Academia,


Bruylant, 2008.
4. Rev. sociétés 2002.411.
5. cf. S. SCHILLER, « L’influence de la nouvelle économie sur le droit des sociétés » :
Rev. sociétés 2001.49.
Introduction 13

Dans tous les cas de figure, il conviendra désormais, à la mesure de l’ou-


verture internationale de l’activité économique, d’être sans cesse plus
attentif aux informations de droit comparé et aux développements du
droit international des sociétés. Il convient, dans ce propos introductif,
de définir les sources du droit des sociétés (1), de préciser le domaine
et présenter la typologie des sociétés (2), d’identifier les intérêts prati-
ques de la forme sociale d’une entreprise (3) et d’évoquer les difficultés
spécifiques du droit des sociétés (4).

§ 1. Les sources du droit des sociétés

8. Sources législatives. – Le Code civil de 1804 comporte un titre


relatif au contrat de société (titre IX du livre III, art. 1832 à 1873) tout
en précisant (art. 1873) que les dispositions de ce titre « ne s’appliquent
aux sociétés de commerce que dans les points qui n’ont rien de contraire
aux lois et usages du commerce ». Déjà, on y observe l’existence d’une
réglementation de base du contrat de société ayant vocation à s’appliquer
aux sociétés commerciales aussi bien qu’aux sociétés civiles, au même
titre qu’un contrat de vente commerciale est régi par les règles civiles
de la vente à défaut de dispositions commerciales contraires. Il fallut
attendre la loi 78-9 du 4 janvier 1978 modifiant le titre IX du livre III
du Code civil pour voir redéfinies les dispositions générales du droit
des sociétés (chapitre I, art. 1832 à 1844-17), qui s’appliquent donc
aujourd’hui à toutes les sociétés civiles ou commerciales, sous réserve
des dispositions qui leurs sont spécifiques6 ; à cet égard, la loi du 4 janvier
1978 définit à son chapitre II (art. 1845 à 1870-1) un régime juridique
nouveau de la société civile proprement dite et aborde dans son chapi-
tre III (art. 1871 à 1873) la réglementation des sociétés sans personnalité
morale (sociétés en participation et sociétés créées de fait) ; quant aux
sociétés commerciales, elles font l’objet d’une importante réglementa-
tion, désormais insérée au Code de commerce, et qui occupe la place la
plus importante dans le droit des sociétés. La loi du 24 juillet 1966 sur
les sociétés commerciales qui avait refondu la matière avait fait l’objet de
si nombreuses et importantes réformes (près de 50 textes législatifs) que,
à l’instar des autres domaines du droit commercial, une nouvelle codifi-
cation devait s’envisager. L’ordonnance 2000-912 du 18 septembre 2000
procède à une nouvelle codification. Le Code de commerce annexé à
l’ordonnance du 18 septembre 2000 comporte neuf livres ayant pour
objet le commerce en général (I), les sociétés commerciales et les GIE
(II), certaines formes de vente et clauses d’exclusivité (III), les prix et

6. P. LE CANNU, « Existe-t-il une société de droit commun ? », Mélanges Jean-


tin, p. 247.
14 Droit des sociétés

la concurrence (IV), les effets de commerce et les garanties (V), les dif-
ficultés des entreprises (VI), l’organisation du commerce (VII), quelques
professions réglementées (VIII), et l’outre-mer (IX). C’est donc le
copieux livre VI du code de commerce qui couvre notre matière. Mais
ce n’est pas tout : l’ordonnance no 2000-1223 du 14 décembre 20007 met
en forme le Code monétaire et financier (C. mon. fin.) dont certains
aspects importants intéressent directement la mise en œuvre du droit
des sociétés ; il comporte sept livres : la monnaie, les produits financiers,
les services financiers, les marchés financiers, les prestataires de services
financiers, les institutions en matière bancaire et financière, le régime de
l’outre-mer, parmi les quelles les livres II à V touchent le droit des socié-
tés. Depuis 2000, le droit des sociétés a connu déjà plusieurs dizaines (!)
de modifications législatives8, et l’on se trompe de peu si l’on dit qu’il y
a toujours un projet de réforme du droit des sociétés dans les cartons des
pouvoirs publics.
9. Diversité des sources législatives du droit des sociétés. – Bien
plus, il y a plusieurs sortes de « cartons » de cette nature. L’inflation
législative qui marque le droit des sociétés est en effet aggravée par la
concurrence des sources administratives, fiscales, financières ou boursiè-
res, nationales, européennes et internationales. La plupart des réformes
les plus récentes du droit des sociétés, particulièrement si elles font
appel à l’épargne publique, proviennent des services du ministère des
Finances. On observe en effet une réorientation du droit des sociétés
vers la prise en compte des besoins spécifiques des milieux financiers,
dans le contexte de ce que l’on appelle la « mondialisation » de l’écono-
mie. Ainsi, dans le rapport Marini (rapport d’un parlementaire com-
mandé par le Premier ministre) sur la modernisation du droit des socié-
tés9, l’auteur observe « que si la loi du 24 juillet 1867 avait été celle du
libre-échange franco-anglais, et si celle du 24 juillet 1966 doit être mise
en rapport avec l’édification du marché commun, il faut à présent envi-
sager la compétitivité juridique de la France par rapport aux systèmes
d’inspiration anglo-saxonne d’un côté et germanique de l’autre, dans le
contexte de marchés financiers totalement interconnectés et d’une liberté
de plus en plus large de localisation des activités économiques ». Le
« marché » joue un rôle croissant dans l’application et l’évolution du
droit des sociétés : stabilité et efficacité du marché financier, intérêt des
investisseurs entendus naturellement comme pouvant être étrangers aussi
bien que français ; ainsi, la COB ayant admis que les émetteurs de titres

7. Rev. sociétés 2001.137.


8. Pour une modification marquante relativement récente, loi de modernisation de
l’économie no 2008-776 du 4 août 2008, RTD com 2008.784, P. LE CANNU et
B. DONDERO RTD com 2009.147, Cl. CHAMPAUD.
9. Documentation française, juill. 1996.
Introduction 15

pourraient rédiger le prospectus d’information dans une langue usuelle


en matière financière autre que le français (en anglais), avec un résumé
en français, le Conseil d’État annule cette disposition10 en ce qu’elle
contrevient aux dispositions de la loi « Toubon » du 4 août 1994 relative
à l’emploi de la langue française ; mais elle est reprise par la loi du
11 décembre 200111, après que le Conseil constitutionnel12 eût constaté
qu’elle n’est pas contraire au principe d’égalité devant la loi, dès lors que
le résumé en français comporte effectivement les données essentielles du
document. Dans ce contexte, le rôle des sociétés off shore implantées
dans les paradis fiscaux ne cesse de croître, à la mesure des besoins de
financement des économies des pays anciennement industrialisés.
10. Rôle des autorités de marché. – Le rôle de la Commission des
opérations de bourse, à laquelle succède désormais l’Autorité des mar-
chés financiers s’est avéré considérable en qualité de source du droit
des sociétés ; il s’est manifesté sous les deux formes13 de l’interprétation
du droit existant et d’une activité de réflexion et de proposition ; les tex-
tes récents y ajoutent des pouvoirs de réglementation14, et le règlement
général de l’AMF représente une source incontournable du droit des
sociétés présentes sur un marché financier.
11. Jurisprudence. – Le contentieux du droit des sociétés relève
principalement des juridictions commerciales en leurs diverses forma-
tions, mais aussi des juridictions civiles, pénales, sociales ou d’organes
de décision spécialisés (concurrence, bourse). D’autre part, le domaine
de l’arbitrage en droit des sociétés se trouve élargi par la loi NRE du
15 mai 2001qui admet (C. civ., art. 2061) la clause compromissoire
dans les contrats conclus à raison d’une activité professionnelle (même
non commerciale), ce qui élargit la part, déjà considérable15, de l’arbi-
trage dans l’application du droit des sociétés. En dépit de l’abondance
des textes (et parfois à cause de cette abondance), la jurisprudence y
tient une place significative et parfois inattendue. Tantôt il s’agit de trou-
ver des solutions absentes des dispositions législatives (par ex. abus de
majorité ou de minorité, conventions de vote) ; tantôt il faut résoudre des

10. CE 20 déc. 2000, RD bancaire 2001, no 81, p. 99, Dr. Aff. 383 et 1713, Dr. sociétés
2001 no 48, Bull. Joly Bourse 2001, no 30, RTD civ. 2001.234, RTD com. 2001.482.
11. Rev. sociétés 2002 p. 216, no 48.
12. DC no 2001-452 du 6 déc. 2001, Rev. sociétés 2002.76, GUYON.
13. Cf. Y. GUYON, « Le rôle de la COB dans l’évolution du droit des sociétés »,
RTD com. 1975, p. 475.
14. B. LE BARS, « L’évolution du droit des sociétés au regard du règlement général du
Conseil des marchés financiers », Mélanges Yves Guyon, 2003, p. 587.
15. D. COHEN, Arbitrage et sociétés, LGDJ ; O. CAPRASSE, Les sociétés et l’arbitrage,
Bruylant ; E. SCHOLASTIQUE, « Arbitrage et droit des sociétés », Dr. et patrimoine, juin
2002.52.
16 Droit des sociétés

conflits positifs entre sources textuelles d’origines ou de finalités diffé-


rentes (ex. validité des « pactes d’actionnaires » eu égard à la réglemen-
tation des offres publiques). Mais les tribunaux sont encore saisis en
l’absence de lacune ou de difficulté d’interprétation de la loi, la pratique
du droit des sociétés révélant qu’il s’agit d’un domaine où l’état d’esprit
des opérateurs devient assez rapidement conflictuel, et leur imagination
juridique féconde. Le rôle de la jurisprudence est donc important pour
préciser le sens de nombreux textes. Un président de la chambre com-
merciale de la Cour de cassation a pu déclarer16 : « il ne faut pas entraver
le dynamisme des sociétés créatrices de richesses et d’emplois, mais il
faut aussi tenir compte de la protection des salariés, des associés, des
consommateurs ; la loi donne des indications et des règles ; malheureu-
sement, elle est souvent très imprécise, sinon inexistante ; elle n’a pas pu
prévoir toutes les situations ; il appartient à la Cour de cassation,
organe suprême, d’interpréter les choses ». Il appartient notamment à
la jurisprudence de régler l’application du droit commun des obligations
à la matière des sociétés, ou le cas échéant d’en définit le domaine, en
concurrence avec ou en complément d’une réglementation spéciale sou-
vent impérative.
12. Droit communautaire, droit constitutionnel, CEDH. – Comme
d’autres acteurs du droit des affaires17 les sociétés bénéficient désormais,
mutatis mutandis, de la protection européenne des « droits de
l’homme »18. Quant au droit communautaire, on rappellera pour
mémoire, à titre liminaire, son rôle croissant et désormais déterminant
dans l’évolution générale du droit des affaires19. Les travaux législatifs
de droit des sociétés des États membres de l’Union européenne ont été
largement influencés, depuis quarante ans, par les directives adoptées en
application de l’article 54-3 g du Traité de Rome20. Bien plus, la Cour de
justice des Communautés européennes considère qu’une directive

16. L. GREILSAMER et D. SCHNEIDERMANN, Les juges parlent, Fayard, 1992,


Pierre BEZARD, p. 28.
17. Créancier d’un débiteur en procédure collective, CEDH 25 oct. et 20 déc. 2001,
D. 2002.2041, J. LEMÉE et M.-L. NIBOYET.
18. CEDH, 16 avril 2002, Bull. Joly 2002, p. 954, N. MATHEY, Protection du siège
social à titre de domicile ; Bull. Joly février 2007, éditorial ; mai 2007 éditorial ; CEDH,
8 mars 2007, juillet 2007.820.
19. L. IDOT, « L’européanisation du droit des affaires, sens et portée », RJ com., no spé-
cial janv. 2001.
20. Texte qui tend à assurer la coordination des garanties exigées des sociétés pour pro-
téger les intérêts tant des associés que des tiers ; cf. Y. GUYON, « La coordination com-
munautaire du droit français des sociétés », RTD eur. 1990, 241 ; adde Rev. Sociétés
2001, p. 314.
Introduction 17

communautaire représente une source d’interprétation des droits natio-


naux21. Les premières directives communautaires, longtemps d’inspira-
tion allemande et française, ont développé l’aspect institutionnel du
droit des sociétés ; il apparaît désormais que sous l’influence formelle
anglo-saxonne et l’influence substantielle de la mondialisation des acti-
vités économiques, la Commission prend en compte la tendance contrac-
tuelle de l’évolution du droit des sociétés22. Mais l’harmonisation euro-
péenne demeure incomplète23. Enfin, on mesure mal encore la portée que
pourra comporter, en droit des sociétés, la récente réforme du recours
individuel de constitutionnalité24.

21. CJCE, 13 nov. 1990, aff. Marleasing, Rev. Sociétés 1991.538, note CHAPUT : le
juge d’un État membre est tenu d’interpréter son droit national à la lumière du texte et
de la finalité de la directive ; CJCE, 30 mai 1991, aff. Marina Karella, Rev. Sociétés
1992.526, note LASSERRE : compétence exclusive de l’assemblée générale extraordinaire
pour la décision d’augmenter le capital ; CJCE, 16 déc. 1997, Rabobank, Rev. Sociétés
1998.787, note G. PARLÉANI : domaine d’application de la directive sur les pouvoirs
légaux des dirigeants sociaux ; CJCE, 12 mai 1998, Bull. Joly 1998, § 251, p. 774 ; Rev.
sociétés 1998.794, S. DANA-DEMARET : un juge national peut apprécier si un droit issu
d’une norme communautaire est exercé de manière abusive ; CJCE, 9 mars 1999, aff.
Centros, D. 1999, Cah. dr. aff. Jur. 550, note M. MENJUCQ ; Dr. sociétés déc.
1999, p. 24, note D. VIDAL : « Liberté d’établissement communautaire et transfert inter-
national de siège social » ; CJCE, 14 sept. 1999, Rev. sociétés 2000.336, note PASQUA-
LINI, sur l’interprétation de la 4e directive concernant les comptes annuels ; CJCE,
15 janv. 2002, Bull. Joly 2002, p. 348, sur la définition de l’apport partiel d’actif ;
CJCE, 4 juin 2002, D. 2002.1983, Rev. sociétés 2002.519, G. PARLÉANI, qui condamne
les « actions spécifiques » instituées pour l’État français ; CJCE, 7 janv. 2003, RTD com.
2003.413, M. LUBY, pour l’interprétation extensive de la quatrième directive sur les
comptes annuels ; CJCE, 3 mai 2005, Rev. sociétés 2006.134, note V. MAGNIER, en
droit pénal des sociétés ; CJCE, 22 nov 2005, Rev. sociétés 2006.333, note
J.-J. DAIGRE, sur la communication d’informations privilégiées ; CJCE, 13 déc. 2005,
Rev. sociétés 2006.861, note C. DAVID, Bull. Joly 2006, § 73, p. 352, note E. GINTER,
en droit fiscal des sociétés ; CJCE, 13 déc. 2005, Bull. Joly 2006, § 161, p. 771, note
G. BARANGER, sur la fusion transfrontalière ; CJCE, 23 octobre 2007, Rev. sociétés
2007.868, note G. PARLÉANI, sur l’actionnariat des personnes de doit public) Il est à
noter que l’application directe du droit communautaire ne permet pas, pour prétendre
échapper à son application, d’invoquer son inapplication dans d’autres États membres
(CJCE, 11 janv. 1990, Rev. sociétés 1990.276 ; CJCE, 15 janv. 2002, RTD com.
2002.314, CHAMPAUD et DANET.
22. B. LECOURT, L’influence du droit communautaire sur la constitution des groupe-
ments, LGDJ, 2000.
23. D. SCHMIDT, « Le droit européen de la bourse et des sociétés est encore en chan-
tier », Bull. Joly 1999, p. 874, § 206, note sous CA Amsterdam, 27 mai 1999, LVMH SA
c/ Gucci Group NV et autres.
24. Déjà, « L’entreprise et le droit constitutionnel », colloque CREDA, 26 mai 2010.

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