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OBJET D'ÉTUDE N°2 CLASSES DE PREMIÈRES TECHNOLOGIQUES

PARCOURS MAÎTRES ET VALETS


Maîtres et valets : Marivaux L'Île des esclaves (1725)

Scène 3
TRIVELIN. – Vaine, minaudière et coquette, voilà d'abord à peu près sur quoi
je vais vous interroger au hasard. Cela la regarde-t-il ?

CLÉANTHIS. ─ Vaine, minaudière1 et coquette2 ; si cela la regarde ? Eh voilà


ma chère maîtresse ! cela lui ressemble comme son visage.

5 EUPHROSINE, ─ N'en voilà-t-il pas assez, Monsieur ?

TRIVELIN. ─ Ah, je vous félicite du petit embarras que cela vous donne ;
vous sentez3, c'est bon signe, et j'en augure bien 4 pour l'avenir : mais ce ne
sont encore là que les grands traits ; détaillons un peu cela. En quoi donc,
par exemple, lui trouvez-vous les défauts dont nous parlons ?

10 CLÉANTHIS. ─ En quoi ? partout, à toute heure, en tous lieux ; je vous ai dit


de m'interroger ; mais par où commencer ? je n'en sais rien, je m'y perds ; il y
a tant de choses, j'en ai tant vu, tant remarqué de toutes les espèces, que
cela me brouille. Madame se tait, Madame parle ; elle regarde, elle est triste,
elle est gaie : silence, discours, regards, tristesse, et joie ; c'est tout un5, il n'y
15 a que la couleur de différente ; c'est vanité6 muette, contente ou fâchée ; c'est
coquetterie babillarde7, jalouse ou curieuse ; c'est Madame, toujours vaine ou
coquette l'un après l'autre, ou tous les deux à la fois : voilà ce que c'est, voilà
par où je débute, rien que cela.

EUPHROSINE, ─ Je n'y saurais tenir.

20 TRIVELIN. ─ Attendez donc, ce n'est qu'un début.

MARIVAUX (1688-1763),
L'Île des esclaves, (1725).

_________________________________________
1
minaudière : qui fait des manières.
2
coquette : séductrice.
3
vous sentez : vous éprouvez des sentiments.
4
j'en augure bien : j'y vois un signe positif.
5
c'est tout un : tout est pareil.
6
vanité : orgueil, fierté.
7
babillarde : bavarde.
OBJET D'ÉTUDE N°2 CLASSES DE PREMIÈRES TECHNOLOGIQUES

PARCOURS MAÎTRES ET VALETS


Maîtres et valets : Marivaux L'Île des esclaves (1725)

INTRODUCTION
●Dans la scène II, Trivelin a demandé aux naufragés d'échanger leurs noms, leurs
vêtements et leurs conditions. Euphrosine devient donc une esclave. À la scène 3
commence vraiment la première épreuve au service de la leçon d'humanité. Pour
soigner, rééduquer Euphrosine, Trivelin demande à Cléanthis de brosser un portrait de
son ancienne maîtresse afin qu'elle entende sans filtre ses défauts.
●Problématique : nous verrons qu'elle donne un portrait particulièrement féroce d'une
femme vaine prisonnière des apparences.
●Pour suivre le mouvement de cet extrait, nous commencerons par évoquer la
préparation de la leçon, puis nous examinerons la teneur du portrait que Cléanthis
brosse de sa maîtresse nous terminerons en étudiant la réaction des personnages sur
scène : Euphrosine et Trivelin.

I_La préparation de la leçon lignes 1 à 9 :


●Trivelin en maître du jeu lance le début de l'exercice comme un professeur « je vais
vous interroger ». Il donne trois adjectifs péjoratifs qu'il prétend avoir choisi au hasard / à
peu près (on sent l’ironie de Trivelin). Or ces adjectifs de sens proche s'appliquent à la
plupart des femmes de l'aristocratie, en cela Trivelin use de stéréotypes et facilite le travail
de Cléanthis, c'est un moyen de la faire entrer dans le jeu alors qu'elle a émis des
réserves sur son efficacité.
Le maître du jeu interroge alors la servante sur la conformité de ce début de portrait de la
maîtresse, afin de l’inviter à compléter celui-ci (l’interrogation totale « Cela la regarde-t-
il ? » signifiant « cela lui ressemble-t-il ? »).
●Cléanthis reprend ici mots pour mots le début du portrait (trois adjectifs dépréciatifs
connotant la femme mondaine) dressé par Trivelin dans la réplique précédente.
●Sa réponse révèle par l’effet de répétition et de symétrie (« Vaine, minaudière et
coquette, si cela la regarde ? », l. 1) qu’elle a compris le jeu et accepte volontiers de le
jouer : l’interrogation devient presque rhétorique, comme s’il s’agissait déjà, par le ton, de
montrer que ce portrait est parfaitement concordant et même sous-estimé. En répondant
à une question par une question, elle gagne du temps, elle n’est pas habituée à ce qu’on
lui demande son avis.
La dimension péjorative et satirique du lexique révèle alors un portrait à charge
d’Euphrosine, destiné à se moquer des défauts de la maîtresse, en particulier de sa
superficialité, de son peu de naturel et de son orgueil : « vaine » signifie « vaniteuse » ;
« minaudière » évoque ses manières et mines étudiées pour plaire ; enfin « coquette »
renvoie à son désir d’attirer le regard par sa toilette et, dans le sens du XVIIIe siècle, plus
largement à sa superficialité , ses bavardages (pour une femme). La femme riche est
réduite à son unique occupation : la séduction.
●La suite de la réplique est ironique. Cléanthis acquiesce par une phrase nominale
exclamative à sa propre question : « Eh voilà, ma chère maîtresse ! ». L’emploi affectif du
déterminant possessif « ma » et l’adjectif « chère » révèle l’ironie saillante de cette
réplique. Cléanthis surenchérit ensuite par une comparaison hyperbolique dans la suite de
sa réponse : « cela lui ressemble comme son visage ». Céanthis souligne que le portait
esquissé par Trivelin est une amorce parfaite pour poursuivre.
●Euphrosine réagit en exprimant son malaise face à ce portrait sans complaisance et
manifeste son rejet : « N’en voilà-t-il pas assez, monsieur ? ». L’inversion du sujet et du
verbe signale une forme à la fois interrogative et négative, proche de la question
rhétorique, c’est-à-dire d’une affirmation déguisée : « en voilà assez ».
●Elle cherche donc à échapper à cette obligation qu’elle voit comme une humiliation.
Euphrosine réagit ici en s’adressant ici directement à Trivelin. Elle tâche d’attirer
l’attention du meneur de jeu Trivelin sur la dimension douloureuse de cette épreuve, dont
elle est la victime. Elle ne s’adresse jamais à son ancienne suivante, signe qu’elle
n’accepte pas la promotion de cette dernière et n’a pas encore évolué dans son cœur.
L’aristocrate qu’elle est ne peut s’abaisser à entendre les propos de sa domestique ni à lui
parler comme à une personne. D’ores et déjà, se dessine ici un personnage moins
comique que pathétique.
●Trivelin s’adresse à partir de la ligne 6 à Euphrosine, désignée par la deuxième personne
(vouvoiement). Il utilise des termes en apparence positifs, pour marquer sa bienveillance
à son égard et l’encourager : « je vous félicite », « j’en augure bien ». Il souligne sa
capacité à sentir (« vous sentez »), c’est-à-dire à éprouver des sentiments et émotions, ici
l’humiliation et la honte (« petit embarras que cela vous donne »), sans lesquels la leçon
ne pourrait fonctionner.
Il souligne l’efficacité de son projet à venir : une prise de conscience est en train de naître.
D’où l’usage de termes à valeur prescriptive : « c’est bon signe », « j’en augure », « pour
l’avenir ».
Trivelin joue ici son rôle de « professeur » ou « médecin » devant guérir les maîtres.
►Néanmoins, on peut percevoir une nuance ironique dans cette réplique, qui transparaît
dans le choix de l’adjectif « petit » (« petit embarras ») et dans l’infantilisation mise en
place ici, proche de la relation maître/élève.
En effet, Trivelin, ancien esclave devenu le maître de l’île et du jeu, fait ici de l’aristocrate
son élève, faisant fi des origines sociales. D’où ces termes empruntés au champ lexical de
la relation éducative (« je vous félicite », « c’est bon signe »). La tonalité est ici
didactique.
●Il la relance par l’adverbe d’opposition « mais », qui marque une rupture dans la phrase.
Il reprend le champ lexical du portrait (dessin ou peinture), avec les termes « grands
traits » et le verbe « détailler ». L’antithèse entre la grandeur et le détail souligne la
nécessité que Cléanthis complète en le précisant le portrait d’Euphrosine précédemment
esquissé. Trivelin l’y engage par l’intermédiaire de la modalité injonctive et de la première
personne du pluriel (« détaillons »), manière de l’inviter poliment tout en s’associant à elle
dans ce projet.
●Enfin, la relance est encore plus explicite dans la dernière phrase : « En quoi donc, par
exemple, lui trouvez-vous les défauts dont nous parlons ? »
La modalité interrogative et le pronom « vous » sollicitent ici directement Cléanthis, et
l’adverbe « donc » souligne à la fois la conséquence et l’insistance. Il s’agit pour la
servante de continuer le portrait de sa maîtresse, en osant donner son propre avis (verbe
« trouver ») et des exemples à l’appui.

II. Lignes 10 à 18 : Le portrait d'une femme superficielle.


La tirade de Cléanthis est composée de deux phrases. La première montre de
la confusion alors que dans la seconde, Cléanthis a pris de l’assurance elle
organise son propos.
●La difficulté de Cléanthis à commencer le portrait d’Euphrosine est traduite par une
première longue phrase, qui diffère d’abord le portrait. Dominée par la juxtaposition,
cette phrase révèle une expression spontanée, non construite, une pensée presque
désordonnée. Elle s’ouvre sur une question (« En quoi ? »), qui est, à nouveau, une
reprise de l’interrogation de Trivelin dans la réplique précédente : il s’agit de donner des
détails ou des exemples des situations dans lesquelles les défauts d’Euphrosine se
révèlent.
●Dans une sorte de dialogue avec elle-même, Cléanthis énumère des éléments de
réponse sous la forme d’une suite de locutions adverbiales, évoquant le lieu ou le temps
(« partout, à toute heure, en tous lieux »). Chaque instant de vie partagée avec
Euphrosine confirme le portrait esquissé précédemment de la maîtresse par Trivelin.
●Ensuite, une proposition vient rappeler les modalités de l’épreuve, sous la forme d’une
leçon ou d’un interrogatoire mené par Trivelin (« je vous ai dit de m’interroger »).
Mais la servante est confrontée au doute, comme le montre cette interrogation : « mais
par où commencer ? ». Elle exprime ici moins son ignorance, qu’une difficulté à organiser
sa pensée et son discours, en domestique peu habituée à prendre la parole, d’autant
qu’il s’agit ici de dresser le portrait de sa maîtresse.
●Les deux propositions qui forment la réponse à la question précédente mettent en avant
l’ignorance et l’incapacité : « je n’en sais rien », « je m’y perds ». On observe donc une
antithèse entre la faculté d’observation de la servante et l’incapacité à en rendre compte
(pour le moment).
La deuxième partie de la phrase le confirme : l’anaphore de l’adverbe d’intensité « tant »
(« tant de choses, j’en ai tant vu, tant remarqué de toutes les espèces ») souligne
l’abondance d’exemples des situations révélant les défauts d’Euphrosine, mais l’emploi
de termes indéfinis (« choses », « de toutes les espèces », « cela ») révèle pour le
moment la difficulté à les identifier ou à les nommer.
Enfin le verbe « brouiller », dans la consécutive finale (« que cela me brouille ») confirme
ses difficultés. Ce verbe fait écho à « je m’y perds »
●Cette confusion, cette précipitation et ce désordre montrent enfin le ressentiment et
les émotions mêlées qu’elle éprouve. Le lecteur devine qu’il s’agit fort probablement d’une
inhibition / interdiciton sociale — bientôt levée.
●Cléanthis parvient dans la deuxième longue phrase de la tirade à canaliser sa
parole et à maîtriser son nouveau pouvoir.
●La phrase est encore plus longue que la précédente (six lignes, l. 11-17). Mais le
portrait qu’elle compose est un discours très construit, grâce aux procédés rhétoriques
de l’anaphore et de l’antithèse, ainsi qu’à un rythme travaillé (binaire ou ternaire).
●L’anaphore de l’appellatif « Madame » ou du pronom « elle » souligne leur rôle d’appui
rhétorique : ils permettent de structurer le portrait en dévoilant les différentes facettes
d’Euphrosine.
●Cléanthis semble composer une suite de tableaux ou de saynètes représentant sa
maîtresse. Par l’omniprésence de l’appellatif « Madame » et des pronoms personnels la
désignant, elle construit l’image d’une personne égocentrique et narcissique. Ce «
Madame », repris par « elle », résonne indubitablement de façon ironique et révèle
d’emblée le ton vengeur et persifleur de Cléanthis. Dans ces brefs tableaux marqués
par l’omniprésence de l’antithèse se révèlent la futilité de sa maîtresse et son caractère
capricieux : « Madame se tait, Madame parle » ; « elle est triste, elle est gaie », puis
plus loin « contente ou fâchée ». On observe en fait le retour des mêmes couples
antithétiques à trois reprises, soit synonymes, soit dans une autre classe grammaticale
(avec les noms « silence, discours », « tristesse, et joie ») : Cléanthis, intarissable, semble
prendre du plaisir à répéter, insistant sur les défauts de sa maîtresse, à savoir ici sa
versatilité.
●L’idée d’hypocrisie est enfin soulignée par l’antithèse entre l’éventail des émotions («
tristesse », « joie ») et la dénonciation de leur fausseté : « c’est tout un » (ou « tout est
pareil »). Les défauts, personnifiés, désignent la personne tout entière, gommée par le
présentatif : « c’est vanité muette », « c’est coquetterie babillarde». Même logique ici :
l’énumération démultiplie le défaut par son évocation sous différentes expressions,
avec toujours un goût pour l’antithèse (« muette » versus « babillarde », c’est-à-dire
bavarde). Les locutions adverbiales soulignent sa versatilité : « l’un après l’autre, ou tous
les deux à la fois ». Chaque élément de cette longue énumération est donc une nouvelle
attaque en direction de la maîtresse, signes de la rancœur de sa suivante.
►Il s’agit donc d’un portrait à charge de la femme mondaine, hypocrite, versatile et
superficielle, et totalement livrée au jeu des apparences.
●Le dramaturge donne ici la parole à la servante : elle parle sans détour de sa maîtresse
et profite de cette liberté de parole qui lui est laissée pour se venger.
En cela, Cléanthis s’inscrit dans la tradition des servantes vives et impertinentes de la
comédie (depuis Toinette, chez Molière, jusqu’à Suzanne, chez Beaumarchais).
Mais le comique a ici une portée clairement satirique. Ce portrait d’Euphrosine est en
l’occasion pour Marivaux de railler, à travers la voix de Cléanthis, le comportement des
femmes aristocrates galantes de son époque : elles cherchent constamment à séduire
sans jamais aimer, à se composer un visage tout en dissimulant leurs intentions réelles,
elles sont avides d’éloges.
En fait, Marivaux s’en prend moins à Euphrosine qu’à ce qu’elle incarne : la vanité,
l’égoïsme et le culte de soi ; la futilité du paraître et le mépris des autres.
●Derrière ce portrait à charge d’une coquette se dessine donc une satire de la société
mondaine de son temps (la première moitié du XVIIIe siècle).
Le dramaturge semble ici évoquer l’atmosphère de la cour ou de certains salons, où
dominent la parole « babillarde », le jeu des regards (d’où ce champ lexical : « elle
regarde », « regards ») et des apparences (« il n’y a que la couleur de différente »),
enfin l’artifice et le paraître.
●C’est pourquoi le lexique des émotions (« tristesse, et joie ») se mêle à celui de
l’artifice ou du jeu de rôle social (« vanité », « coquetterie », « jalouse ou curieuse »).
Derrière la comédie de caractère, on devine donc ici la comédie de mœurs. Enfin, la
scène révèle un certain type de relation entre maître et serviteur, sous l’angle du langage
et de la parole : c’est en libérant sa parole et en faisant la démonstration de son éloquence
que Cléanthis s’émancipe, jusqu’à devenir l’égale de sa maîtresse.
●De plus, les présentatifs qui ponctuent le portrait permettent d’inviter les spectateurs
(Trivelin et Euphrosine, mais aussi bien sûr les spectateurs de la pièce) à regarder ce
portrait animé et à pointer du doigt les défauts, tout en participant à une mise en
accusation : « c’est tout un », « c’est vanité muette », « c’est coquetterie », « c’est
Madame », « voilà ce que c’est, voilà par où je débute ». Elle semble s’être appropriée
l’épreuve. Elle dévoile, elle fait éclater sa vérité avec « c’est », « voilà », « cela »
Mais d’un autre côté, Cléanthis est visiblement grisée par le nouveau pouvoir qui lui est
donné, au point de laisser l’émotion dominer son discours. En effet, un ton vengeur
apparaît dans le rythme des phrases, essentiellement binaires et rapides du fait de la
brièveté des séquences syntaxiques, mais aussi dans les termes évaluatifs négatifs et les
connotations ironiques du « Madame ». Cela montre d’une certaine façon une Cléanthis
incapable de parler de son ancienne maîtresse avec modération et retenue, d’où les
rappels à l’ordre ultérieurs de Trivelin.
On remarque aussi l’omniprésence de la juxtaposition, qui donne l’impression que
Cléanthis déroule le fil de sa pensée de manière spontanée, par association d’idées, ou au
gré de sa mémoire de son quotidien passé avec Madame. La parataxe révèle son
exaspération.
●Dans la dernière partie de la tirade, elle retrouve enfin son rôle au sein de l’exercice
conduit par Trivelin, avec le pronom « je », en mettant à distance le portrait qu’elle vient de
composer : « voilà par où je débute, rien que cela. »

III_Lignes 19 et 20 : La réaction des autres personnages


●Par la phrase « Je n’y saurais tenir », Euphrosine, impatiente de faire cesser cette scène,
interrompt le discours de Cléanthis. En effet, l’ancienne maîtresse manifeste, par une
formule assez soutenue, son incapacité à supporter le spectacle de ses ridicules, d’où la
forme négative de la phrase qui signifie : « je ne peux plus supporter cela ». La
confrontation à ses défauts, exposés avec un plaisir vengeur par sa servante, lui est
insupportable.
●Le sentiment d’humiliation évoqué de manière euphémistique par Trivelin plus haut («
petit embarras ») est ici confirmé. Elle exprime indirectement son désir de quitter les lieux :
c’est d’ailleurs ce que semble indiquer la dernière intervention de Trivelin
Après ce premier portrait à charge, particulièrement comique et satirique, Euphrosine peut
presque apparaître comme un personnage pathétique (tout dépend du jeu choisi par
l’actrice).
●Au début de la scène,Trivelin a demandé à Cléanthis de brosser le portrait de sa
maîtresse sans esprit de vengeance. Meneur du jeu, il va continuer d’intervenir tout au
long de cette épreuve imposée à l’ancienne maîtresse. Par l’impératif « Attendez donc », il
invite fermement Euphrosine à accepter cette confrontation qui lui est insupportable.
●En lui rappelant que « ce n’est qu’un début », il rappelle ici que la « cure d’humanité » est
composée d’une série d’étapes auxquelles il s’agit de se soumettre pour atteindre la prise
de conscience et retrouver la liberté. Cette phrase peut donc être interprétée comme une
mise en garde, voire une menace, dans laquelle point une certaine cruauté (la négation
restrictive sous-entend en effet que la suite sera pire : plus violente et donc plus
difficile à supporter). On peut noter la fermeté de son ton et l’habilité avec laquelle il dirige
à la fois la comédienne et la spectatrice de la scène, puisqu’il s’agit ici aussi,
indirectement, de dire à Cléanthis qu’elle doit continuer son tableau.
●Mais en « médecin de l’âme » bienveillant, il restera avec Euphrosine jusqu’à la fin de la
scène, afin de l’aider à convenir de la justesse de ce portrait dans le cadre de la « cure ».

CONCLUSION
●Dans cette scène la servante se libère par la parole : elle laisse libre cours à son ton
railleur et à son esprit de vengeance. Cette première phase de la cure imposée par
Trivelin pour corriger les maîtres est l'occasion pour Marivaux de critiquer le comportement
de certaines femmes aristocrates. La comédie de mœurs s'installe grâce à un mélange
subtil de différents registres : comique, ironique et satirique.
●Marivaux tend un miroir aux classes privilégiées, elle sera complétée par la scène 6 où
Arlequin et Cléanthis singent la vanité des maîtres dans une parodie de scène galante.
Cléanthis par son insolence et sa franchise rappelle les personnages de servantes de
Molière (Toinette dans Le Malade imaginaire 1673 , Dorine dans Tartuffe 1669).

GRAMMAIRE
Relevez dans ce texte les 6 interrogations. Analysez leur forme.

— « Cela la regarde-t-il ? » (l. 1)


Interrogation totale, absence de mot interrogatif, marquée par l'inversion du sujet il qui reprend « cela »,
présence d'un point d'interrogation, intonation montante.

— « si cela la regarde ? » (l. 3)


L’interrogation n’est pas ici marquée par l’inversion du sujet (on aurait : « cela la regarde-t-il ? »), mais
seulement par le point d’interrogation. Il s’agit donc d’une interrogation directe et d’une forme orale de
l’interrogation (qui serait signalée oralement par l’intonation montante). L’interrogation est totale : elle
contient en elle-même tous les éléments lexicaux de la réponse et demande seulement une validation de
l’énoncé entier. L’interlocuteur y répond généralement par « oui » ou par « non », avec éventuellement une
reprise de la phrase entière, dans sa forme affirmative (ce qui est presque le cas ici, même si certains
termes changent : « cela lui ressemble comme son visage »). Il s’agit presque ici d’une question rhétorique
ou oratoire, qui n’attend pas de réponse, celle-ci étant connue de Cléanthis et explicitée justement, par une
phrase exclamative et affirmative (« Eh voilà ma chère maîtresse ! cela lui ressemble »). N.B. : Le « si », au
début, indique unereprise de l’interrogation formulée avant le début du texte (par Trivelin) : « Cela la regarde-
t-il ? ».

— « N’en voilà-t-il pas assez, Monsieur ? » (l. 5)


L’interrogation est marquée par le point d’interrogation et par la formule inversée du présentatif à la forme
négative (« n’en voilà-t-il pas »). Il s’agit à nouveau d’une question rhétorique, c’est-à-dire d’une affirmation
déguisée, qu’on peut reformuler ainsi : « en voici assez, Monsieur ».

— « En quoi donc, par exemple, lui trouvez-vous les défauts dont nous parlons ? » (l. 8-9)
Il s’agit d’une interrogation directe, exprimée par la locution interrogative « en quoi », mais aussi l’inversion
du sujet et du verbe (« trouvez-vous ») et le point d’interrogation final.
L’interrogation est partielle : elle formule une demande d’information et l’interlocuteur n’y répond pas par «
oui » ou par « non » mais par une réponse complexe (ici, Cléanthis y répondra en énumérant les défauts de
sa maîtresse).

— « En quoi ? » (l. 10)


Il s’agit d’une reprise de l’interrogation précédente : « En quoi ? » reprend simplement le début de
l’interrogation précédemment analysée, en la réduisant à la locution interrogative formée sur le pronom «
quoi » et au point d’interrogation. Ici, elle est moins une demande d’information que l’expression d’une
insistance et d’une relance de la question. La suite de la réplique est une réponse à cette interrogation.
N.B. : Dans ce texte, l’interrogation est très importante. Le verbe « interroger » est même utilisé
explicitement par Trivelin l. 72 (avant le début de l’extrait) puis par Euphrosine l. 82 : « je vous ai dit de
m’interroger ».

— « mais par où commencer ? » (l.11)


Cet énoncé est une question : emploi du pronom interrogatif « où » et du point
d’interrogation. Dans cet exemple d’interrogation, on note la présence d’un verbe à
l’infinitif. Cléanthis commence par l’adverbe d’opposition « mais », elle s’adresse autant à Trivelin qu’à elle-
même, c’est comme si elle pensait à voix haute.

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