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PRISE DE DECISION
À la question de savoir ce qu’il ferait s’il lui restait
seulement une heure pour sauver le monde,
Albert Einstein répondit :
« Je passerais 55 minutes à définir le problème et,
après, seulement 5 minutes à le résoudre. »
(Basadur et coll., 1994)
La qualité d’une solution se juge a posteriori,
elle est bonne parce qu’elle a marché et non
elle a marché parce qu’elle était bonne !
(Amblard et coll., 2005)
GÉRER, C’EST DÉCIDER, écrit le célèbre Herbert Simon (1992).
Pas surprenant que l’on constate que prendre des décisions est
le plus important travail de tout gestionnaire. Cela fait partie de
sa routine de tous les jours et ce n’est pas près de changer.
Ce n’est pas pour rien que l’on investit toujours davantage pour
s’adjoindre des experts-conseils dans tous les domaines de la
prise de décision (Hammond et coll., 1998 ; Landry, 1988 ;
Robitaille, 1992).
Par conséquent, de nombreuses recherches ont été
consacrées à comprendre le processus de prise de décision
(Preston, 1991). Les résultats sont exprimés selon différents
modèles dont la majorité, pour ne pas dire tous, prennent
assise sur la logique.
Ainsi, une crise économique mondiale peut être une situation très
préoccupante mais, clairement, un individu seul n’a pas le pouvoir
d’intervenir pour corriger cette situation.
Il s’agit des problèmes non structurés pour lesquels, bien sûr, il n’existe
pas de formulation ni de solution reconnue.
Ce sont des situations problématiques que l’on n’arrive pas à
décrire avec un fort degré d’exhaustivité dans leur ensemble. Il
est toujours possible de les considérer comme un symptôme
d’un autre problème.
Il n’existe pas plus de critères qui permettent de prouver que toutes les
solutions ont été déterminées et considérées.
En effet, la valeur ajoutée d’y recourir pour ceux qui sont structurés serait
assez mince et n’aurait aucune commune mesure avec l’investissement en
temps et en efforts qu’elle requiert. D’autre part, le rêve pour tout décideur
est de n’avoir à régler que des problèmes structurés.
Il suffit alors de collecter les données factuelles sur la
situation problématique, de les entrer dans quelques
formules ou règles établies et la solution non
seulement en ressort clairement, mais est facilement
explicable et justifiable.
Les gens vont s’y rallier très facilement. Même si un
gestionnaire n’a pas toute l’expertise nécessaire pour
ce faire, il lui est facile de recourir à un consultant
spécialisé dont l’intervention dans l’organisation sera
aisément contrôlable.
C’est sans doute ce qui explique que les gestionnaires ont
souvent tendance à traiter toutes les situations
problématiques comme des problèmes structurés, ce qui ne
peut faire autrement que de conduire à des échecs et même
à des catastrophes si, dans les faits, ils n’en sont pas
(Landry et Banville, 2002).
SUJET OBJET
DECIDEU PROBLE
R ME
GESTIONNAI
REALITE
RE
Premièrement, on le voit encore une fois, l’objectivité est un mythe dans le sens
où le réel de la situation problématique n’est accessible que par l’intermédiaire
des structures cognitives affectives et sociales d’un sujet.
Même le « bon sens » n’est pas exempt d’a priori. Il n’est pas possible de penser
sans point de vue et, nous avons tous nos zones de confort cognitif qui teintent
nos choix (Brabandere et Mikolajczak, 2009).
Cela revient à dire qu’aucune connaissance ne peut
échapper à une certaine subjectivité qui affecte la façon
dont les problèmes sont appréhendés et définis.
Cette constatation a été faite par nul autre qu’Albert Einstein (cité
dans Büyükdamgac, 2003 : 327) : « La formulation d’un problème
est souvent plus cruciale que sa solution, laquelle peut être
simplement une question d’habileté mathématique ou
expérimentale. »
Cela implique une pluralité des points de vue, toujours difficiles à concilier,
non seulement en ce qui a trait à la définition de la situation problématique,
mais aussi à la finalité à poursuivre dans l’intervention nécessaire.
C’est pourquoi il devient essentiel de s’intéresser à la notion
d’acteur stratégique, d’abord, pour en définir les
caractéristiques, puis, pour plonger dans les rapports de
pouvoir au cœur des relations qui s’établissent entre les acteurs
au sein de l’organisation.
La régulation nécessaire à toute action collective est également
examinée.
Ensuite, le système d’action concret sera abordé comme outil
pour expliquer et comprendre la cohésion et la structuration sur
lesquelles repose l’interdépendance entre les acteurs.
Finalement sont traités les effets sur la prise de connaissance
d’un problème et sa résolution qui tend vers la satisfaction
plutôt que vers l’optimisation (Landry et Banville, 2002).
2.1. L’ACTEUR STRATEGIQUE
Les dictionnaires généraux définissent un acteur comme une
personne qui joue un rôle, qui prend une part importante dans
une action, ce qui colle bien à la réalité organisationnelle.
Cette marge de liberté de tout acteur est cruciale et doit toujours être au cœur
des réflexions du décideur. Pourtant, elle n’est pas vraiment prise en compte
par l’école de pensée taylorienne qui considère l’intervenant organisationnel
comme une « main » (Taylor, 1972), ni non plus par celle des relations
humaines qui l’envisage comme une « main et un cœur » (Mayo, 1992). En
fait, l’acteur organisationnel est bien sûr l’un et l’autre, mais il y a plus, c’est
aussi une « tête ».
Cela veut dire qu’il est capable de calcul et en mesure de
s’adapter aux circonstances et aux décisions de ses partenaires
(Crozier, 1971). Bien entendu, les acteurs ne sont jamais
totalement libres et, d’une certaine manière, ils sont récupérés
par le système officiel. Mais, c’est seulement à condition de
reconnaître qu’en retour ce dernier se construit par les pressions
et manipulations des acteurs (Crozier et Friedberg, 1992).
Par ailleurs, l’acteur est aussi stratégique, en ce sens que dans
une situation donnée, surtout si elle est problématique, il cherche à
augmenter ses acquis ou, à tout le moins, à les sauvegarder, en
fonction des enjeux qu’il y perçoit pour lui-même.
Ce faisant, il ne choisit jamais la solution la plus logique, mais celle qui est la
moins insatisfaisante pour lui (Amblard et coll., 2005 ; Friedberg, 1994).
Par ailleurs, de façon plus globale, le fait de considérer ainsi les
membres de l’organisation comme des acteurs, qui se définissent
spécifiquement par leurs intérêts et leur rationalité limitée, conduit à
l’obligation d’envisager la réalisation des objectifs organisationnels
comme n’étant plus subordonnée à la seule rigueur des choix de la
direction.
Dans le même sens, les effets des décisions prises ne sont jamais
entièrement prévisibles, car ils ne sont pas déterminés, mais, au
contraire, toujours contingents (Paradeise, 1994).
LE POUVOIR AU CENTRE DES STRATEGIES DE
L’ACTEUR ORGANISATIONNEL
L’acteur et sa stratégie abordés dans la section précédente font
poindre ce que tout le monde a déjà constaté : l’organisation est le
royaume des relations, de l’influence, du calcul, en fait du pouvoir
(Crozier et Friedberg, 1992).
Il est donc utopique de penser que l’on puisse l’éliminer dans la prise de
décision. Force est donc de constater, une fois de plus, que les
décideurs ne maîtrisent jamais complètement leurs décisions.
Ce faisant, tout gestionnaire qui veut être reconnu pour régler les
problèmes organisationnels doit essentiellement centrer son analyse de
situations problématiques sur l’interdépendance et les relations de
pouvoir entre les acteurs et s’intéresser, à tout prix, aux comportements
minoritaires atypiques (Amblard et coll., 2005).
L’ABANDON DE L’ILLUSOIRE QUETE
D’UNE SOLUTION OPTIMALE
Il est maintenant clair que ni les problèmes, ni les solutions, ni les
contraintes, ni les occasions n’existent en soi, en dehors de la
perception et des capacités des acteurs qui seuls peuvent les
actualiser par leurs comportements (Landry, 1983). Pour autant, il
ne faut pas chercher les explications des phénomènes observés
seulement chez les individus, mais dans le contexte, c’est-à-dire
dans les relations qu’ils entretiennent, rendant rationnels les
comportements à l’origine de ces phénomènes (Friedberg, 1994).
Ce faisant, la solution unique pour régler un problème n’existe pas.
Elle émerge toujours du contexte et de la dynamique entre les
acteurs en présence.
Bien sûr, comme on l’a déjà dit, ils calculent, mais en demeurant bien
conscients que c’est dans le cadre de leur rationalité limitée,
notamment par l’information dont ils disposent, et de leur
représentation simplifiée et approximative de la situation
problématique.
Dans ce sens, la principale contribution de cette nouvelle approche est sans doute
d’offrir un processus holistique d’examen de ces systèmes pour remplacer le
réductionnisme propre aux sciences naturelles.
Le monde y est alors perçu comme un tout, constitué d’entités qui ont
des propriétés qui, d’une part, n’ont de sens que par rapport à leur
appartenance à ce tout et, d’autre part, perdent leur sens si on les
examine comme des parties séparées.
Naît alors le concept d’émergence, c’est-à-dire que le tout est plus que
la somme des parties qui le composent. En même temps, chacune de
ces parties, examinée de façon isolée, est moins que si elle est
considérée dans le tout (Amblard et coll. 2005).
C’est donc à ces systèmes d’activité humaine que s’intéresse
la méthodologie des systèmes souples. Dans une
organisation, il s’agit d’humains impliqués dans un ensemble
d’activités interreliées pour réaliser une action déterminée.
Il faut faire attention que cette dernière ne soit pas structurante, et prenne par
exemple la forme d’un problème à résoudre. Cela risquerait de confiner, par la
suite, à une réflexion trop étroite qui ferait rater la cible.
La deuxième étape de la méthodologie consiste à analyser cette
situation afin d’arriver à produire une représentation interprétative
foisonnante. Il s’agit ici de développer une profonde connaissance
de la situation qui privilégiera le point de vue des parties
prenantes.
C’est en vertu d’un principe de symétrie que les objets deviennent ainsi aussi
importants que les sujets. Les acteurs humains les investissent d’une fonction, d’un
rôle, qui en fait d’incontournables figures animées disposant d’une âme.
C’est ce qui fait que, tout en restant inscrits dans la réflexion générale sur l’acteur
stratégique, les auteurs de cette théorie proposent plutôt de parler d’actants pour
désigner tout autant les acteurs que les objets et leur attribuer la même importance.
Comme il relie des énoncés et des enjeux a priori irréconciliables, le
réseau se construit par la négociation. Il s’agit donc d’un processus
de coproduction ou le contexte et le contenu, les acteurs et les
objets s’entre-définissent les uns par rapport aux autres.
« Le bon projet n’est pas celui qui recueille les soutiens sur la
base des qualités qu’on lui reconnaît, c’est au contraire parce
que le projet recueille des soutiens qu’on lui reconnaît des
qualités. » (Amblard et coll., 2005 : 145)
Dans ce sens, on peut dire que la sociologie de la traduction est
celle des controverses, qui ne doivent pas être étudiées sur la
base des bons ou mauvais registres sur lesquels elles se
développent.
On parle d’actants pour bien mettre l’accent sur le fait que cette analyse ne
doit négliger d’aucune façon les non-humains.
La deuxième étape est la problématisation. Elle consiste à faire
ressortir ce qui unit et sépare dans la situation. C’est une opération
cruciale avant d’envisager toute action de changement.
Elle doit conduire à faire passer chaque actant d’une position
singulière à l’acceptation de coopération.
L’énoncé de la problématisation, qui se présente sous la forme d’une
question ou d’une interrogation, est le fruit d’un travail collectif pris en
charge par un traducteur, consultant ou acteur, qui a la légitimité
nécessaire.
Ce travail doit viser à créer de la convergence entre les acteurs, les
amener à accepter de faire un détour de leur trajectoire
(détournement), qui n’implique cependant absolument pas
l’abandon par chacun de ses enjeux.
26Par ailleurs, la qualité de cet énoncé ne réside pas tant dans son
contenu que dans le processus qui a conduit à sa production.
Mais, bien vite, Alexander se rendit compte que ce qu’il concevait ne répondait que
très partiellement aux besoins du milieu, parce qu’il n’avait pas pris en compte des
variables et des interrelations importantes.
Il a donc changé radicalement sa façon de faire pour aborder les
projets d’une façon holistique. Il a alors ajouté le recours à la pensée
synthétique pour les regarder de l’extérieur, par analogie, comme un
sous-problème d’un problème plus grand.
L’architecte n’est pas obligé d’utiliser la même solution plus d’une fois. Ce faisant,
chaque projet est unique et il est crucial de l’analyser dans son contexte
spécifique, de comprendre la fonction et les buts de l’architecture selon qu’il
s’agira d’une résidence ou d’une bâtisse industrielle, de savoir le nombre de gens
qui vont l’utiliser, de connaître la forme et le contexte de construction.
Alexander a développé cette méthodologie quand on lui a demandé
de concevoir le plan d’urbanisation d’un nouveau village pour des
gens d’un pays en développement qui devaient être relocalisés.
L’important est d’avoir un éventail qui soit le plus complet possible pour arriver à un
questionnement méthodique. Pour ce faire, il faut d’abord donner à chacune des
parties prenantes l’opportunité de décrire ce qu’elle comprend de la situation et ses
préoccupations par rapport à elle.
On peut même aller jusqu’à les subdiviser en groupes contrastants. Ces divergences
peuvent alors être utilisées pour faire évoluer le raisonnement de chacun.
Des idées peuvent également ressortir d’un compte-rendu de
rencontre, d’une réunion de groupe, du souvenir de commentaires
émis lors d’une conversation, d’une déclaration dans un document, de
faits, de connaissances revendiquées, de recommandations, de
synthèses ou de résultats de recherche, etc.
Chacune peut être vue comme un point qui prendra la forme d’un
nœud que l’on peut relier à d’autres idées par des lignes. Seulement
les liens les plus forts seront ainsi tracés.
Ce nœud peut être relié, d’où la ligne tracée, à une autre idée :
« Nous avons besoin d’une eau de qualité », désigné par le
nœud « eau ». Il est aussi en lien avec « Notre santé et celle de
notre cheptel sont liées entre elles », montré sous le nœud
« santé ».
Graphique du réseau d’idées
Il en va de même pour : « Les vaches doivent être clôturées des
bœufs », identifié par le nœud « clôtures ».
Bien sûr, décider des idées qui sont liées ou définir les grappes est un
processus très subjectif. De plus, lorsque le nombre d’idées devient
élevé, il est presque impossible de faire l’opération manuellement.
• Les différentes parties prenantes peuvent agir sur l’entreprise de plusieurs manières.
Leur objectif est de limiter le pouvoir des dirigeants et de défendre leurs intérêts
D’une part, il ne peut appréhender tous les choix possibles et, d’autre
part, il raisonne séquentiellement et non pas de façon synoptique.
Le seul moyen de composer avec cette rationalité limitée, et même d’en
bénéficier, est le recours à la formulation de problème. Pour ce faire, ces
gestionnaires doivent avoir du talent plus que des connaissances
scientifiques.