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Le roman au XIXe siècle : le genre représentatif pour

- La littérature « industrielle » (Sainte-Beuve)


- La littérature des élites

Le roman devient un super-genre littéraire : du fait de la liberté de sa forme, les écrivains ont du mal
à distinguer une forme spécifique du « roman » distinct d’autres genres littéraires (sauf la « poésie »)

Supplément

Jacques Rancière, entretien

Le roman est le genre qui fait triompher en même temps la puissance anonyme de la vie sans
qualité et la puissance d’un style indifférent à la dignité des personnages. Et il est le genre qui
s’adresse à n’importe qui. Le triomphe du roman comme genre littéraire par excellence est le
triomphe de cette égalité qui n’est pas pour autant homologue à celle que met en jeu l’action
politique.

Pour moi, littérature signifie l’émergence historique d’un mode de textualité et de rationalité.
Je me suis donc tout naturellement concentré sur la constitution de cette textualité et de cette
rationalité et sur la manière dont, ils ont diffusé au-delà d’un art identifié. Je me suis intéressé
à la façon dont des discours savants (psychanalyse, histoire…) ont repris à leur compte des
paradigmes de la rationalité littéraire (focalisation sur le détail, lecture des signes sur les
corps, opposition d’un langage caché des signes muets au bavardage des significations
explicites, rôle de la latence..). De la même façon je me suis intéressé à la façon dont la
photographie ou le cinéma ont repris à leur compte des éléments de la poétique littéraire
(suspension du sens , doublement de la logique du récit par une logique des intensités
sensibles, chevauchement des temporalités). L’histoire de la « littérature » est l’histoire de la
diffusion des procédures, formes de rationalité, modes d’identification associées à son nom et
non simplement l’histoire de l’évolution de l’écriture romanesque depuis le 19° siècle , de la
même manière que l’histoire de la « peinture » , de la « musique » ou du « cinéma » est
l’histoire de la diffusion de procédures , de formes de sensibilité, de paradigmes artistiques
qui débordent complètement les œuvres faites avec un pinceau , écrites sur une partition,
produites avec une caméra.

Au début du XIXe siècle, les auteurs de romans essayaient d’éviter la reconnaissance du roman tel
quel.

Chateaubriand présente Atala comme « une sorte de poème, moitié descriptif, moitié dramatique ».

Balzac parle de ses histoires dans Scènes de la vie privée comme « des ouvrages improprement
appelés romans »

Zola, en 1880 : « le mot ‘roman’ ne signifie plus rien, quand on l’applique à nos études naturalistes ».

Pourquoi le roman est réaliste ? Parce que la forme s’affranchit de la domination des codes de
représentation classiques :
- La vie quotidienne dispense désormais sa poésie
- Il y a un culte de la précision réaliste qui recèle une valeur esthétique particulière
- Selon certains auteurs, nous devrions parler plutôt de roman mimétique que de roman
réaliste
- Abandon du « romanesque » en faveur de la représentation vraisemblable des personnages
et des situations. Exceptions : les romans noirs et mélodramatiques (voir Ducray-Duminil,
chansonnier, romancier populaire)
- Intérêt pour la vie contemporaine des gens : en ce sens, le roman anticipe les fictions de la
télévision de nos jours.
- Intérêt pour la vie intime des personnages : le lecteur devient un voyeur par l’entremise des
narrateurs

Balzac, avant-propos à la Comédie humaine : « La passion est toute l’humanité. Sans elle, la religion,
l’histoire, le roman, l’art seraient inutiles. »

Mme de Stael : les romans devraient être comme des confessions.

Chateaubriand, René (1802)

Senancour, Oberman (1804)

Benjamin Constant : Adolphe (1816)

Balzac : Le Lys dans la vallée (1836)

Le roman ambitionne de faire le tableau vraisemblable de la vie humaine, de montrer l’homme tel
qu’il est, pour éduquer (instruire) le public et pour lui apprendre à bien vivre.

Supplément

René, l’archétype du héros romantique :

René prit sa place au milieu d'eux, et, après, un moment de silence, il parla de la sorte à ses vieux
amis : " Je ne puis, en commençant mon récit, me défendre d'un mouvement de honte. La paix de
vos coeurs, respectables vieillards, et le calme de la nature autour de moi me font rougir du trouble
et de l'agitation de mon âme. " Combien vous aurez pitié de moi ! que mes éternelles inquiétudes
vous paraîtrons misérables ! Vous qui avez épuisé tous les chagrins de la vie, que penserez−vous d'un
jeune homme sans force et sans vertu, qui trouve en lui−même son tourment et ne peut guerre se
plaindre que des maux qu'il se fait à lui−même ? Hélas ! ne le condamnez pas : il a été trop puni ! "
J'ai coûté la vie à ma mère en venant au monde ; j'ai été tiré de son sein avec le fer. J'avais un frère,
que mon père bénit, parce qu'il voyait en lui son fils aîné. Pour moi, livré de bonne heure à des main
étrangères, je fus élevé loin du toit paternel. " Mon humeur était impétueuse, mon caractère inégal.
Tour à tour bruyant et joyeux, silencieux et triste, je rassemblais autour de moi mes jeunes
compagnons, puis, les abandonnant tout à coup, j'allais m'asseoir à l'écart pour contempler la nue
fugitive ou entendre la pluie tomber sur le feuillage.

Le héros romantique est un homme des extrêmes: manque d’idéal combiné à une „surabondance de
vie”. Le sentiment de vouloir se jeter dans un abîme (le jeune Werther, de Goethe)

Un vague de passions:
Le "vague des passions", à distinguer du "mal du siècle" théorisé quelques décennies plus tard,
est, d'après Chateaubriand, un état de l'âme qui précède le plein développement des passions. Il
touche les jeunes oisifs enfermés en eux-mêmes et dont les désirs ne peuvent s'exercer sur
aucun objet. Selon l'écrivain, plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état augmente,
car il s'agit d'une mélancolie liée au développement du christianisme : l'éternité que celui-ci
promet rend plus amer encore le présent de la vie terrestre. À la fin du XVIIIe siècle, ce mal est
d'autant plus profond que l'individu est laissé à lui-même dans un monde révolutionné :
« Il reste à parler d'un état de l'âme qui, ce nous semble, n'a pas encore été bien
observé ; c'est celui qui précède le développement des passions, lorsque nos facultés,
jeunes, actives, entières, mais renfermées, ne se sont exercées que sur elles-mêmes,
sans but et sans objet. Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état du vague
des passions augmente […] On est détrompé sans avoir joui ; il reste encore des désirs,
et l'on n'a plus d'illusions […] On habite, avec un cœur plein, un monde vide ; et, sans
avoir usé de rien, on est désabusé de tout. » (Chateaubriand, Génie du christianisme).
Chateaubriand, Charles Nodier, Senancour ou encore Benjamin Constant sont de ces
auteurs du tournant des Lumières qui donnèrent naissance à de jeunes héros dévorés par
des formes plus ou moins proches du "vague des passions", un ennui et un dégoût maladifs
de la vie à un âge où le cœur déborde des plus belles passions. Le jeune homme civilisé
devient "habile sans expérience" puisqu'il peut appréhender les sentiments humains par les
livres et non par la vie. Désenchanté, il voit ainsi le feu des passions s'éteindre avant qu'il
n'ait pu s'embraser. En outre, la femme, par sa nature excessive, craintive, inconstante et
l'incertitude de ses sentiments, entraîne les jeunes hommes dans la mollesse de leurs
passions à mesure qu'ils fréquentent leur société. Ainsi, les anciens, séparés des femmes
dans les activités du quotidien, avaient l'esprit moins trouble et une énergie disponible à
l'exercice de leurs passions.

Le héros romantique a une „une posture aristocratique”, puisqu’il assume son altérité pour l’élever
au-dessus de la moyenne et s’imposer comme „élus”.

Le roman romantique: écrit souvent par des femmes qui prennent pour sujets principaux les passions
des hommes et développent le roman sentimental, issu du XVIIIe siècle, mais dépourvu de son côté
libertin.

La théoricienne du roman romantique, Mme De Stael, trouve que la création littéraire doit avoir pour
fondement

- La mélancholie
- L’enthousiasme

Ce que s’y montre, c’st le moi qui désire plus qu’il ne peut concevoir – selon l’esthétique du sublime
qui fait déborder le concept par l’émotion.

Supplément

L’évolution vers le roman réaliste passe par la signification du détail:

Pour Mme de Stael: le détail vise la description psychologique; pour les romanciers réalistes (des
hommes), le détail vise la description matérielle.

Mme de Stael : „le détail scrupuleux d’un événement ordinaire, lin d’accroître la vraisemblance, la
diminue”, puisque tout détail qui détourne l’attention de „l’âme” vers „le corps” est immorale.

Le roman sentimental, comme la littérature classique, vise à élever l’âme

Chercher le beau idéal (beau = bien = vertu)


Le réalisme
Le réalisme : une volonté de présenter la réalité telle quelle sans l’embellir (idéal
scientifique) sans l’idéaliser (pragmatisme, matérialisme)

Supplément
1850: Gustave Courbet, n enterrement à Ornans
Un enterrement à Ornans est un tableau peint par Gustave Courbet entre 1849 et 1850. Le
peintre avait 33 ans lorsqu'il réalisa cette œuvre de grandes dimensions qui fut l'objet d'une violente
polémique lors de sa présentation au Salon de peinture de 1850. On a alors reproché au tableau
sa vulgarité et les critiques ont accusé Courbet de peindre « le laid », « le trivial » et « l'ignoble ».
L'Enterrement à Ornans devient vite une œuvre manifeste du réalisme dont Courbet fut le chef de
file ; un peintre engagé pour l'Art mais aussi pour la République.

Ornans, la ville natale de Gustave Courbet, est une petite localité de 4 000 habitants située
à 25 km de Besançon dans le Doubs en Franche-Comté. Dans le tableau, on retrouve en arrière-
plan les caractéristiques du paysage de la région : des falaises calcaires qui encadrent les
méandres encaissés de la Loue (un affluent du Doubs qui traverse la ville d'Ornans).
À partir de la Révolution, du fait du nombre croissant de morts, l'exiguïté des sites entraîne
l'exurbanisation des cimetières, traditionnellement implantés autour de l'église du village. À
Ornans, la population s'est opposée à ce transfert pendant des décennies et il faut attendre
septembre 1848 pour qu'un nouveau cimetière hors du village soit inauguré. Dans le tableau c'est
précisément dans ce nouveau cimetière à l'écart de la ville que se déroule l'enterrement. De plus,
les personnages regroupés masquent les autres tombes et les murs du cimetière, ce qui nous
laisse penser que la fosse a été creusée au milieu de nulle part. Le peintre fait figurer la scène à
un moment précis : le convoi vient d'entrer dans le cimetière et s'est scindé en trois groupes (les
officiants, les hommes et les femmes).
Courbet déclara aussi : « Je tiens ainsi que la peinture est un art essentiellement concret et ne
peut consister que dans la représentation des choses réelles et existantes (...) de tous les objets
visibles ; un objet abstrait, non visible, non existant n'est pas du domaine de la peinture »
Courbet rejetait la peinture académique et ses nus lisses, idéalisés, mais s'attaquait aussi
directement à la bienséance hypocrite du Second Empire, où l'érotisme voire
la pornographie étaient tolérés lorsqu'il s'agissait de peinture mythologique ou onirique.
Le réalisme de Courbet repoussait toujours plus loin les limites du présentable. 1866
La commande de L'Origine du monde est attribuée à Khalil-Bey, un diplomate turc, ancien
ambassadeur de l'Empire ottoman à Athènes et Saint-Pétersbourg fraîchement installé à Paris.
Présenté par Sainte-Beuve à Courbet, il commanda une toile à ce dernier pour sa collection
personnelle de tableaux érotiques.
Edouard Manet, Olympia, 1863

Versus

Alexandre Cabanel, Naissance de Vénus, 1863


Manet: « Je rends aussi simplement que possible les choses que je vois. Ainsi l'Olympia, quoi de
naïf ? Il y a des duretés, me dit-on, elles y étaient. Je les ai vues. J'ai fait ce que j'ai vu. »
Ce que commente Eric Darragon, un critique : « Manet ne faisait que raviver la question car c'est
bien ce qu'il avait vu qu'on ne voulait pas voir ». Ce que le public reprochait à ce tableau était de
l'obliger à regarder en face cette femme nue.

Le message s’inscrit dans le contexte de l’époque du désenchantement.

Alfred de Musset, Lorenzaccio : « L'Humanité souleva sa robe et me montra […] sa monstrueuse


nudité. » (III, 3)

On assiste à une hybridation toujours plus poussée entre le trivial et le noble, entre le haut et le
bas (mouvement déjà amorcé au XVIIIe siècle)

En 1855, Gustave présente une rétrospective de ses oeuvres: le Pavillon du réalisme, à la


brasserie Adler, rue Hautefeuille

Champfleury lance en 1856 la revue Réalisme et parle de cette exposition


A l'heure qu'il est, madame, on voit à deux pas de l'Exposition de peinture, dans l'avenue
Montaigne, un écriteau portant en toutes lettres : DU RÉALISME. G. Courbet. Exposition de
quarante tableaux de son œuvre. C'est une exhibition à la manière anglaise. Un peintre, dont
le nom a fait explosion depuis la Révolution de février, a choisi, dans son œuvre, les toiles les
plus significatives, et il a fait bâtir un atelier.
C'est une audace incroyable, c'est le renversement de toutes institutions par la voie du
jury, c'est l'appel direct au public, c'est la liberté, disent les uns.
C'est un scandale, c'est l'anarchie, c'est l'art traîné dans la boue, ce sont les tréteaux de la
foire, disent les autres.
Un homme d'Ornans, un paysan enfermé dans son cercueil, se permet de rassembler à son
enterrement une foule considérable: des fermiers, des gens de bas étage. Si Velasquez a fait
grand, c'étaient des grands seigneurs d'Espagne, des infants, des infantes ; il y a là au moins de
la soie, de l'or sur les habits, des décorations et des plumets. Van der Helst a peint des
bourgmestres dans toute leur taille, mais ces Flamands épais se sauvent par le costume.

M. Proudhon, dans la Philosophie du progrès (1853), jugeait sérieusement les Baigneuses


: "L'image du vice comme de la vertu est aussi bien du domaine de la peinture que de la
poésie : suivant la leçon que l'artiste veut donner, toute figure, belle ou laide, peut remplir le
but de l'art."

L’art moderne doit être réaliste par fidélité:


La vérité artistique doit être identique à la vérité morale et physique des êtres et des choses, et
„non la réalité absolue” (Victor Hugo)
Stendhal, Le Rouge et le Noir (1831): « Un roman : c’est un miroir qu’on promène le long d’un
chemin »
Le réalisme a surtout une valeur polémique: montrer les choses qu’on ne veut pas voir,
parce qu’elles sont laides et, cachées, ne nous obligent pas à prendre position.
Le réalisme conçoit l’oeuvre comme le résultat d’un labeur, d’un travail avec les deux
matières premières : le „contenu”, c’est-à-dire la réalité „telle quelle”, sans fard, misérable, et
la forme, c’est-à-dire la langue (pour la littérature) et ses virtualités (dans le cas de Flaubert et
de Baudelaire).
Les écrivains dits réalistes font un énorme travail de préparation à l’écriture, par la prise de
notes (Zola), ou encore par la tenue de journaux (Goncourt). Maupassant s’inspire souvent de
faits divers qui servent ses évocations de Normands avides d’argent. Ces écrivains tentent de
saisir à la fois une réalité psychologique, incarnée par les personnages de leurs romans, et une
réalité sociale, historique, qui implique un ancrage de l’action romanesque dans un temps
historique clairement défini.
Le réalisme consiste donc à choisir et à ordonner les faits, et non à les retranscrire dans le
foisonnement de la vie.

Tout est digne d’être dit


Les jeunes écrivains qui tentent, vers les années 1850, de se faire connaître dans les milieux
littéraires parisiens sont des provinciaux sans ressources ni recommandations, désireux à la fois
de se forger un nom et une identité repérable. Ils admirent les romantiques, mais aussi la
peinture sociale à la Balzac.
Flaubert, les frères Goncourt, Zola partagent ensuite les mêmes convictions : la littérature ne
doit pas se cantonner dans ce qui était autrefois considéré comme conforme à la bienséance,
mais elle doit tout montrer : bourgeois et ouvriers, provinciaux, prostituées et femmes déçues
par le mariage figureront parmi leurs objets d’étude. Le roman de Flaubert, Madame Bovary,
est d’ailleurs condamné l’année même de sa publication, en 1857, pour son « réalisme grossier
et offensant pour la pudeur ».

Le réalisme anticipe:
- L’esthétique du laid (et du mal)
- Le formalisme (en tant que recherche d’effets esthétiques dans les arts
indépendamment de la beauté de l’objet représenté).

Deux types de réalisme selon le rapport entre vrai et réalité

1. réalisme qualitatif: le réel sera mobilisé par l’imagination de l’artiste pour devenir une vérité
supérieure. C’est le réalisme de l’esthétique du laid, qui opère dans la réalité une sélection selon
l’expressivité et le symbolique. C’est un réalisme qui ne va que jusqu’à la moitié du chemin,
car la beauté idéale ne pourra pas être remplacée par la réalité banale.

Un exemple, c’est Balzac, pour qui „l’art, c’est la nature concentrée” et qui préfère la synthèse
à l’analyse, et la vérité de la totalité aux vérités particulières. Pour lui, un bon personnage est
un type, que Max Weber va appeler en sciences sociales type idéal (début du Xxe siècle)
Le terme idéal dans idéal-type renvoie à une idée abstraite et simplifiée, qui correspond en principe
à un ensemble de phénomènes réels, sujets d'étude (et non au concept de perfection) : il agissait
pour Weber d'indiquer des traits principaux qui aident à penser le sujet.

L’univers de Balzac est régi par analogie:


En bas, des objets qui s’accumulent qui constituent un bloc opaque. Les personnages reviennent
d’un roman à l’autre, comme pour désigner un monde clos, un faux labyrinthe où l’on ne se
perd jamais.

En haut, cet univers doit être essentialisé, par une transfiguration (ou bien une symbolisation)
qui s’apparente à la transsubstantation. Or, „rendre le sens caché” de ce bloc d’éléments
disparates suppose un ordre qui n’existe pas. C’est l’idéalisation qui réduit le réalisme du
départ.

L’univers de Flaubert est régi par la séparation entre la réalité et la vérité.


La réalité est dégoûtante et il l’exècre, et ce n’est pas sa vérité qu’il recherche.
La vérité artistique qu’il recherche, c’est le style. Or, le style de Flaubert annonce l’esthétique
de la prose moderne:
- Platitude recherchée
„Quant à déplorer si amèrement ma vie neutralisante, c’est reprocher à un cordonnier de faire
des bottes.”
- Impersonnalité absolue
„La passion ne fait pas les vers. Et plus vous serez personnel, plus vous serez faible.”
Le travail artistique ne sera plus celui de synthétiser les détails de la vie, mais de les énumérer
avec un détachement « scientifique »
« Les livres que j’ambitionne le plus de faire sont justement ceux pour lesquels j’ai le moins de
moyens. Bovary, en ce sens, aura été un tour de force inoui et dont moi seul jamais aura
conscience : sujet, personnage, effet etc., tout est hors de moi. »
« Je méprise trop les hommes pour leur faire du bien ou du mal »
- Compacité
„Une bonne phrase de prose doit être comme un bon vers, inchangeable, aussi rythmée, aussi
sonore.”

Pour Flaubert, la réalité mène à l’art, et c’est là que se trouve la vérité. C’est dans la beauté que
s’abolit la vérité, alors que pour Balzac, c’est le beau qui est subordonné au vrai.

2. réalisme quantitatif
Ce type de réalisme est exploité par Emile Zola dans ses premiers romans. La verité recoupe la
réalité, mais cette „réalité” n’est qu’une construction.

Supplément
1864, dans une Lettre à Valbrègue, il fait la théorie des trois écrans

L'écran classique, écrit-il, est une belle feuille de talc très pure et d'un grain fin et
solide, d'une blancheur laiteuse. Les images s'y dessinent nettement, au simple trait
noir". Mais, tandis que les lignes se développent dans "ce cristal froid et peu
translucide", "les couleurs s'[y] effacent" au profit des "ombres" dans une grisaille
de bas-relief.

"L'écran romantique" à l'inverse, "est une glace sans tain, claire, [...] colorée des
sept nuances de l'arc-en-ciel" ; c'est un "prisme" puissant qui décompose tout
rayon lumineux "en un spectre solaire éblouissant" et qui oppose vigoureusement
l'ombre et la lumière : cependant, "trouble en certains endroits", le miroir
romantique "transforme les contours", il suscite les tumultes de la forme et les
fulgurances du mouvement au mépris de la géométrie.

Quant à "l'écran réaliste", le dernier qu'ait produit l'histoire de l'art, c'est "un
simple verre à vitre, très mince, très clair"
qui "nie sa propre existence" pour embrasser l'horizon entier sans préjugé et sans
exclusive. Pourtant, "si clair, si mince qu'il soit, [...] il n'en a pas moins une
couleur propre, une épaisseur quelconque, il teint les objets, il les réfracte tout
comme un autre", affirme Zola ; il noircit les objets, il exagère les lignes dans le
sens de la largeur, privilégiant les formes plantureuses de la matière et de la vie.

Le romantisme ne disparait jamais tout à fait:


„Ah ! nous y trempons tous, dans lasauce romantique. Notre jeunesse y a trop barboté, nous en
sommesbarbouillés jusqu’au menton. Il nous faudra une fameuse lessive.”, dit un personnage
zolien.

Exemples

Balzac, La Maison du chat-qui-pelote

Au milieu de la rue Saint-Denis, presque au coin de la rue du Petit-Lion, existait naguère une
de ces maisons précieuses qui donnent aux historiens la facilité de reconstruire par analogie
l’ancien Paris. Les murs menaçants de cette bicoque semblaient avoir été bariolés
d’hiéroglyphes. Quel autre nom le flâneur pouvait-il donner aux X et aux V que traçaient sur la
façade les pièces de bois transversales ou diagonales dessinées dans le badigeon (vopsit la
bidinea) par de petites lézardes parallèles ? Évidemment, au passage de toutes les voitures,
chacune de ces solives (grinda) s’agitait dans sa mortaise. Ce vénérable édifice était surmonté
d’un toit triangulaire dont aucun modèle ne se verra bientôt plus à Paris. Cette couverture,
tordue par les intempéries du climat parisien, s’avançait de trois pieds sur la rue, autant pour
garantir des eaux pluviales le seuil de la porte, que pour abriter le mur d’un grenier et sa lucarne
sans appui. Ce dernier étage était construit en planches clouées l’une sur l’autre comme des
ardoises, afin sans doute de ne pas charger cette frêle maison.
Par une matinée pluvieuse, au mois de mars, un jeune homme, soigneusement enveloppé dans
son manteau, se tenait sous l’auvent de la boutique qui se trouvait en face de ce vieux logis, et
paraissait l’examiner avec un enthousiasme d’archéologue. A la vérité, ce débris de la
bourgeoisie du seizième siècle pouvait offrir à l’observateur plus d’un problème à résoudre.
Chaque étage avait sa singularité. Au premier, quatre fenêtres longues, étroites, rapprochées
l’une de l’autre, avaient des carreaux de bois dans leur partie inférieure, afin de produire ce jour
douteux, à la faveur duquel un habile marchand prête aux étoffes la couleur souhaitée par ses
chalands.

Effet de réel
La littérature réaliste est d’abord littérature : elle possède son esthétique et ne peut être qu’un
miroir de la vie. Par le style, par l’agencement des faits, par le choix des héros, elle vise à
produire un « effet de réel ».

Roland Barthes, « Le Discours de l’histoire », 1967


En d’autres termes, dans l’histoire « objective », le « réel » n’est jamais qu’un signifié
informulé, abrité derrière la toute-puissance apparente du référent. Cette situation définit ce que
l’on pourrait appeler l’effet de réel.
Or, dans le roman réaliste, le détail devient cet „effet de réel” dont parle Barthes

L’Effet de réel, 1968

La description apparaît ainsi comme une sorte de « propre » des langages dits supérieurs, dans
la mesure, apparemment paradoxale, où elle n’est justifiée par aucune finalité d’action ou de
communication. La singularité de la description (ou du « détail inutile ») dans le tissu narratif,
sa solitude, désigne une question qui a la plus grande importance pour l’analyse (structurale)
des récits. Cette question est la suivante : tout, dans le récit, est-il signifiant, et sinon, s’il
subsiste dans le syntagme narratif quelques plages insignifiantes, quelle est en définitive,
si l’on peut dire, la signification de cette insignifiance ?

Chez Flaubert, dans Madame Bovary, le détail arrive à un degré de précision et d’autonomie
jamais atteint:

Fragment de Madame Bovary:


„Il arriva un jour vers trois heures ; tout le monde était aux champs ;
il entra dans la cuisine, mais n’aperçut point d’abord Emma ; les auvents
étaient fermés. Par les fentes du bois, le soleil allongeait sur les pavés de
grandes raies minces, qui se brisaient à l’angle des meubles et tremblaient au
plafond. Des mouches, sur la table montaient le long des verres qui avaient
servi, et bourdonnaient en se noyant au fond, dans le cidre resté.”

Le roman historique des années 1830 avait déjà introduit le souci du contexte social. Sous
l’influence de Balzac et Stendhal, les romanciers découvrent une véritable poésie du quotidien
qui puise ses thèmes dans l’observation du monde contemporain.
Le Réalisme s'oppose alors au Romantisme.
Le roman réaliste doit être la « reproduction exacte de la réalité ». Il s'agit d'écrire avec le plus
de sincérité (Champfleury) et avec un sens aigu de l’observation : il faut que l’auteur décrive
ce qu’il pense juste, avec bonne foi, il doit surtout décrire ce qu’il connait, c’est-à-dire ce qu’il
a lui-même observé, avec le souci du vrai, que ce soit beau ou laid, il doit écrire avec
objectivité.
L’illusion de « l’objectivité » : le principe scientifique. Il s’agit d’une nouvelle valeur de la
vérité en esthétique.
Le roman réaliste doit être l’étude raisonnée des mœurs et des individus de son époque. Le
romancier réaliste doit éviter tout spectaculaire et s’oppose ainsi au roman historique, au roman
exotique, au Romantisme, au lyrisme, à la fantaisie. Le roman réaliste a un objectif scientifique
et philosophique ; il n’est pas un simple divertissement, il doit être utile.
Le roman réaliste s’adresse au plus grand nombre. Le romancier doit permettre au lecteur
de tout comprendre. Ainsi les personnages représentés sont des types et le style est le plus
simple possible, sans effet particulier ; le Réalisme c’est aussi l’absence de style. En effet, le
roman réaliste rend compte de la vie de tous les jours, de la réalité telle qu'elle est (personnages
ordinaires, médiocres; situations ordinaires; etc.), ce qui va beaucoup choquer à l'époque; le
Réalisme privilégiera aussi la nouvelle et le roman, car ce sont des genres plus souples, moins
marqués par les traditions littéraires.

Réalisme subjectif :
Le narrateur s’efface ainsi derrière son personnage, dont le point de vue devient prédominant.
Cette substitution se traduit par la fréquence du style indirect libre, où la parole du narrateur fait
place à celle du personnage sans qu'il y ait de marques du discours direct.
Le réel étant vu à travers le regard du personnage, il se limite à ce que celui-ci en perçoit d’où
la multiplication des scènes destinées à amener de façon vraisemblable de nombreuses
descriptions. Celles-ci sont particulièrement précises : les lieux, les personnages et les objets
sont minutieusement décrits.

Vocabulaire spécifique :
Le romancier utilisera un vocabulaire spécifique du milieu décrit : Flaubert lit des traités
d’archéologie pour écrire Salammbo, Zola présente en détail la diversité des petits métiers de
la mine dans Germinal…
De plus, les auteurs réalistes utilisent souvent des indicateurs spatiaux-temporels ainsi que
des toponymes (=nom de lieu réel) afin de situer le texte. Les descriptions sont nombreuses.
Voici, à titre d'exemple, une description très détaillée, usant d'un vocabulaire riche et précis,
issue du Père Goriot de Bazac:
Ajoutons que le personnage a une place très importante au sein du roman réaliste; il n'est
d'ailleurs pas neutre à l'égard des idéologies et des philosophies, dans un but de revendication
et d'une pratique de la liberté. Ainsi, le personnage reçoit trois fonctions: il est le héros d'une
aventure, le médiateur d'un énoncé didactique sur le monde et il assure la solidarité entre la
narration (événements, actes, etc.) et la description (êtres, choses).

Supplément

Jacques Rancière (1998) La littérature moderne (réaliste) a deux grandes principes.

Aux normes de la poétique de la représentation, elle oppose l’indifférence de la forme par rapport au
contenu (forme belle versus contenu quelconque)

À l’idée de poésie comme fiction, elle oppose l’idée de poésie comme mode propre du langage (le
„langage poétique”)

La nouvelle littérature peut être: le discours sans corps (sans référence digne d’être représentée) ou
bien le corps qui parle son propre langage (par exemple l’église Notre-Dame chez Hugo).
Rancière: La révolution littéraire se marque par l’importance prédominante des genres marginaux ou
des non-genres : le poème lyrique, c’est-à-dire le poème sans « action », qui se laisse envahir par la
« passivité » du spectacle le plus infime ; et le roman, c’est-à-dire le genre qui égalise les personnages
et dissout les enchaînements d’actions dans la multiplicité des accidents de la vie.
C’est un poète lyrique, Wordsworth, qui déclare en 1802 que les émotions des simples sont
susceptibles de la plus haute poésie. C’est un romancier, Flaubert, qui proclame en 1853 qu’il n’y a ni
sujets nobles ni vilains sujets.

Mais c’est désormais la loi même du grand art que l’indifférence du sujet et l’indépendance des formes
d’expression par rapport à l’ordre des grandeurs sociales. Le roman est le genre qui fait triompher en
même temps la puissance anonyme de la vie sans qualité et la puissance d’un style indifférent à la
dignité des personnages. Et il est le genre qui s’adresse à n’importe qui. Le triomphe du roman comme
genre littéraire par excellence est le triomphe de cette égalité qui n’est pas pour autant homologue à
celle que met en jeu l’action politique.

Le réalisme en roman, c’est le remplacement d’une mimesis (hiérarchique et rhétorique) par une autre
(démocratique et non-rhétorique) et l’adaptation de la littérature au visage de la société bourgeoise
triomphante.

Guy de Maupassant, Préface à Pierre et Jean (1887)


En somme, si le Romancier d’hier choisissait et racontait les crises de la vie, les états aigus de
l’âme et du cœur, le Romancier d’aujourd’hui écrit l’histoire du cœur, de l’âme et de l’intelligence à
l’état normal. Pour produire l’effet qu’il poursuit, c’est-à-dire l’émotion de la simple réalité et pour
dégager l’enseignement artistique qu’il en veut tirer, c’est-à-dire la révélation de ce qu’est
véritablement l’homme contemporain devant ses yeux, il devra n’employer que des faits d’une
vérité irrécusable et constante.
Mais en se plaçant au point de vue même de ces artistes réalistes, on doit discuter et
contester leur théorie qui semble pouvoir être résumée par ces mots : « Rien que la vérité et toute
la vérité. »
Faire vrai consiste donc à donner l’illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des
faits, et non à les transcrire servilement dans le pêle-mêle de leur succession.
J’en conclus que les Réalistes de talent devraient s’appeler plutôt des Illusionnistes.

Les trois influences essentielles sur le roman réaliste:

- La société bourgeoise mercantile qui met l’accent sur l’objet, la marchandise, les détails
matériels;
- L’imitation de la rhétorique scientifique, visant la vérité absolue en tant que vérité positive
et vérifiable;
- L’histoire, qui impose l’enracinement de l’action fictionnelle dans l’histoire réelle

ce qui fait le spécfique du réalisme français:

- ambition de totalisation de la réalité, dans de grands projets qui rappellent l’Encyclopédie et


– surtout – l’Empire napoléonien (Balzac est un Napoélon du roman)
- volontarisme positiviste: représenter les mécanismes sociaux le plus fidèlement et
exheustivement possible, selon les idéaux de la Révolution
- révoltes contre les institutions littéraires sans commune mesure – à partir de Fluabert et
Baudelaire surtout, menant à l’autonomisation de la littérature

Le culte du vrai rejaillit en esthétique et en morale.


Morale: la morale du littéraire peut paraître „immorale” à la bourgeoisie qui demande
encore à la littérature d’être un discours éducatif.
Barbey d’Aurevilly: l’artiste est moral pour autant qu’il donne de la vie à la réalité telle
qu’elle est.

supplément

Des attaques contre le réalisme au nom de la décadence. Louis Ulbach, 1868:


„Il s’est établi depuis quelques années une école monstrueuse de romanciers, qui prétend
substituer l’éloquence du charnier à l’éloquence de la chair, qui fait appel aux curiosités les plus
chirurgicales, qui groupe les pestiférés pour nous en faire admirer les marbrures, qui s’inspire
directement du choléra, son maître, et qui fait jaillir le pus de la conscience.

Les dalles de la morgue ont remplacé le sopha de Crébillon ; Manon Lescaut est devenue
une cuisinière sordide, quittant le graillon pour la boue des trottoirs, Faublas a besoin d’assassiner
et de voir pourrir ses victimes pour rêver d’amour ; ou bien, cravachant les dames du meilleur
monde, lui qui n’a rien lu, il met les livres du marquis de Sade en action.”

C’est ainsi que le combat sera mené entre l’idéalisme (la littérature d’évasion) et le réalisme
(la littérature d’engagement), mais chacun des deux a ses défauts quand on l’exagère. Le réalisme
sait qu’il est toujours fictif, alors que l’idéalisme a son côté réflexif que l’engagement ne permet pas
toujours.

ROMAN BOURGEOIS
exemple du Paysan parvenu, Marivaux:
Je restai le lendemain toute la matinée chez moi; je ne m'y ennuyai pas; je m'y délectai
dans le plaisir de me trouver tout à coup un maître de maison; j'y savourai ma fortune, j'y
goûtai mes aises, je me regardai dans mon appartement; j'y marchai, je m'y assis, j'y
souris à mes meubles, j'y rêvai à ma cuisinière, qu'il ne tenait qu'à moi de faire venir, et
que je crois que j'appelai pour la voir; enfin j'y contemplai ma robe de chambre et mes
pantoufles; et je vous assure que ce ne furent pas là les deux articles qui me touchèrent
le moins; de combien de petits bonheurs l'homme du monde est-il entouré et qu'il ne sent
point, parce qu'il est né avec eux?

L’écrivain n’est plus l’artiste ou l’intellectuel, mais l’homme de science qui travaille avec son
matériel

Balzac, Avant-Propos de la Comédie humaine


La Société française allait être l’historien, je ne devais être que le secrétaire. En dressant
l’inventaire des vices et des vertus, en rassemblant les principaux faits des passions, en
peignant les caractères, en choisissant les événements principaux de la Société, en
composant des types par la réunion des traits de plusieurs caractères homogènes, peut-être
pouvais-je arriver à écrire l’histoire oubliée par tant d’historiens, celle des mœurs.

L’homme n’est ni bon ni méchant, il naît avec des instincts et des aptitudes ; la Société, loin
de le dépraver, comme l’a prétendu Rousseau, le perfectionne, le rend meilleur ; mais
l’intérêt développe alors énormément ses penchants mauvais. Le christianisme, et surtout le
catholicisme, étant, comme je l’ai dit dans Le Médecin de campagne, un système complet de
répression des tendances dépravées de l’homme, est le plus grand élément d’Ordre Social.
En lisant attentivement le tableau de la Société, moulée, pour ainsi dire, sur le vif avec tout
son bien et tout son mal, il en résulte cet enseignement que si la pensée, ou la passion, qui
comprend la pensée et le sentiment, est l’élément social, elle en est aussi l’élément
destructeur.

Le roman réaliste devient un texte sérieux, puisqu’il se considère scientifique. Le romancier,


qui est „le secrétaire de l’Histoire”, est appelé rendre compte de l’histoire, et sa
responsabilité n’est plus didactique, mais ontologique: il doit montrer la vérité du monde.

ROMAN SCIENTIFIQUE

La littérature exclue de plus en plus de domaines rhétoriques: les sciences exactes, les
sciences de la nature, l’économie. Mais il revendique, dans cette autonomie, une puissance
de dire la vérité que les autres domaines n’ont pas.

La science apporte au romancier


- une conception du sujet (sociologique, psychologique et médicale) qui procède des sciences
naturelles.

Balzac: Cette idée vint d’une comparaison entre l’Humanité et l’Animalité. (…) L’animal végète
comme la plante ; on trouve, dis-je, les rudiments de la belle loi du soi pour soi sur laquelle repose
l’unité de composition. Il n’y a qu’un animal. Le créateur ne s’est servi que d’un seul et même patron
pour tous les êtres organisés. Pénétré de ce système bien avant les débats auxquels il a donné lieu, je
vis que, sous ce rapport, la Société ressemblait à la Nature. La Société ne fait-elle pas de l’homme,
suivant les milieux où son action se déploie, autant d’hommes différents qu’il y a de variétés en
zoologie ? Les différences entre un soldat, un ouvrier, un administrateur, un avocat, un oisif, un 7
savant, un homme d’état, un commerçant, un marin, un poète, un pauvre, un prêtre, sont, quoique
plus difficiles à saisir, aussi considérables que celles qui distinguent le loup, le lion, l’âne, le corbeau,
le requin, le veau marin, la brebis, etc. Il a donc existé, il existera donc de tout temps des Espèces
Sociales comme il y a des Espèces Zoologiques.

Emile Zola continue le projet de Balzac en s’inspirant de la médecine, dans Le Roman expériemental
(1879), inspiration qu’il tire de l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale de Claude
Bernard

Claude Bernard: Mais la médecine scientifique ne peut se constituer, ainsi que les autres sciences,
que par voie expérimentale, c'est-à-dire par l'application immédiate et rigoureuse du raisonnement
aux faits que l'observation et l'expérimentation nous fournissent. La méthode expérimentale,
considérée en elle-même, n'est rien autre chose qu'un raisonnement à l'aide duquel nous
soumettons méthodiquement nos idées à l'expérience des faits.

Pour être digne de ce nom, l'expérimentateur doit être à la fois théoricien et praticien. S'il doit
posséder d'une manière complète l'art d'instituer les faits d'expérience, qui sont les matériaux de la
science, il doit aussi se rendre compte clairement des principes scientifiques qui dirigent notre
raisonnement au milieu de l'étude expérimentale si variée des phénomènes de la nature. Il serait
impossible de séparer ces deux choses : la tête et la main. Une main habile sans la tête qui la dirige
est un instrument aveugle ; la tète sans la main qui réalise reste impuissante.

Exemple du roman Assommoir

La science qui se développe au XIXe siècle vise à la connaissance d’un objet qui apparaît au XVIIIe
siècle: l’homme

Homme

Ame, coeur, sentiments: psychologie

Fonctionnement extérieur: sociologie

Organisme: médecine, physiologie

Organisation en société: politique

Reproduction: économie

Communication: linguistique (philologie)

Rapport à la transcendance: phlosophie

Le roman réaliste comme croisement entre RAISON (XVIIIe siècle) et IMAGINATION (XIXe siècle).

Modèle économique et modèle narratif: expérimentation et spéculation.

Modèle: objet qui peut être suivi (par déclinaison) ou imité (repris)

I. Modélisation du réel (application) dans La Curée d’Emile Zola (1871)


Le personnage principal est Aristide Rougon, dit Saccard, qui va faire une rapide fortune en
spéculant sur les futurs terrains à bâtir à l’époque des grands travaux menés à Paris par le baron
Haussmann.
https://www.franceculture.fr/architecture/comment-haussmann-reussi-son-paris
Histoire du roman
Devenu veuf, Aristide Saccard a épousé Renée Béraud du Châtel, une femme qui avait été
violée et laissée enceinte par un homme marié.
Aristide Saccard (né
Aristide provient d’ue famille tarée: d’où sa cupidité (un appétit).
Aristide Rougon) né en 1815, un des 5 enfants de Félicité Puech et de
Pierre Rougon, a vécu dans le midi avant de s’installer à Paris. Il épouse
Angèle Sicardot dont il aura deux enfants Maxime et Clotilde. Devenu veuf,
il épouse alors Renée (née Renée Béraud du Chatel ). Il est issu d’un
milieu commerçant, il aime l’argent tel son frère aime le pouvoir.
Hérédité: des appétits qui se transmettent. Ici, la cupidité.
Aristide Saccard se lance dans la spéculation immobilière.
Renée (nouvelle Phèdre) tombe amoureuse de Maxime, fils que Saccard a eu de son premier
mariage. La relation semi-incestueuse entre Renée et Maxime est finalement connue de
Saccard, sans que celui-ci en soit vraiment affecté. Le roman se clôt sur une Renée abandonnée
par Maxime, dépossédée de sa fortune par Aristide et qui sombre dans la folie avant de mourir
d’une méningite.

EXPERIMENTATION
L’écrivain est un observateur qui prend un objet de la réalité (le personnage) et le fait passer par
des situations qui en révèlent la conduite. Zola: „L’expérience n’est au fond qu’une observation
provoquée”.
Claude Bernard:
„L'observateur constate purement et simplement les phénomènes qu'il a sous les yeux... Il doit
être le photographe des phénomènes; son observation doit représenter exactement la nature... Il
écoute la nature, et il écrit sous sa dictée. Mais une fois le fait constaté et le phénomène bien
observé, l'idée arrive, le raisonnement intervient, et l'expérimentateur apparaît pour interpréter le
phénomène. L'expérimentateur est celui qui, en vertu d'une interprétation plus ou moins
probable, mais anticipée, des phénomènes observés, institue l'expérience de manière que, dans
l'ordre logique des prévisions, elle fournisse un résultat qui serve de contrôle à l'hypothèse ou à
l'idée préconçue... Dès le moment où le résultat de l'expérience se manifeste, l'expérimentateur
se trouve en face d'une véritable observation qu'il a provoquée, et qu'il faut constater, comme
toute observation, sans idée préconçue.”
Le narrateur pratique l’expériment
Elle pencha le front, et […] elle se contempla, les cils baissés, avec des rougeurs subites. Qui
l’avait mise nue ? que faisait-elle dans ce débraillé de fille qui se découvre jusqu’au ventre ?
Elle ne savait plus. Elle regardait ses cuisses que le maillot arrondissait, ses hanches dont elle
suivait les lignes souples sous la gaze, son buste largement ouvert ; et elle avait honte d’elle
[…] Alors, cherchant, avec l’idée fixe d’une intelligence qui se noie, ce qu’elle faisait là, toute
nue, devant cette glace, elle remonta d’un saut brusque à son enfance […]Alors, devant les
énormités de sa vie, le sang de son père, ce sang bourgeois, qui la tourmentait aux heures de
crise, cria en elle, se révolta. Elle qui avait toujours tremblé à la pensée de l’enfer, elle aurait
dû vivre au fond de la sévérité noire de l’hôtel Béraud. Qui donc l’avait mise nue ?
Le personnage (Saccard) pratique la spéculation.

SPECULATION
La spéculation tient de l’irrationnel et des états d’âme subjectifs. La spéculation entretient une
relation d’homologie avec la fiction : elle accrédite des valeurs imaginées, dont l’effet
psychologique/esthétique est le moteur des actions.

Saccard spécule – c’est-à-dire il manipule :


Cette manie de fouiller les cendres, pendant qu’il causait d’affaires, était chez lui un calcul qui
avait fini par devenir une habitude. Quand il arrivait à un chiffre, à une phrase difficile à
prononcer, il produisait quelque éboulement qu’il réparait ensuite laborieusement,
rapprochant les bûches, ramassant et entassant les petits éclats de bois. D’autres fois, il
disparaissait presque dans la cheminée, pour aller chercher un morceau de braise égaré. Sa
voix s’assourdissait, on s’impatientait, on s’intéressait à ses savantes constructions de
charbons ardents, on ne l’écoutait plus, et généralement on sortait de chez lui battu et content.
Même chez les autres, il s’emparait despotiquement des pincettes. L’été, il jouait avec une
plume, un couteau à papier, un canif.

La Commission des experts venus voir les travaux du boulevard Prince Eugène (Voltaire
aujourd’hui) est manipulée par l’histoire d’une maison historique:
Ce fut l’agent d’expropriation qui reçut ces messieurs. Il les promena dans le jardin, leur fit
visiter le café-concert, leur montra un dossier énorme. Mais les deux industriels étaient
redescendus, accompagnés du médecin, le questionnant encore sur cette petite maison du
comte de Savigny, dont ils avaient plein l’imagination. Ils l’écoutaient, la bouche ouverte,
plantés tous les trois à côté d’un jeu de tonneau. Et il leur parlait de la Pompadour, leur
racontait les amours de Louis XV, pendant que M. de Mareuil et Saccard continuaient seuls
l’enquête

La Curée opère une modélisation du réel selon deux aspects. La narration esquisse des modèles
de quelque chose (expériment – venu de la médecine et spéculation, venu de l’économie). Le
plan de Paris de l’autre côté, est un modèle pour quelque chose, un modèle selon lequel on peut
donner un pronostic concernant le succès des spéculations financières.

II. Imitation du modèle dans Bel-Ami de Guy de Maupassant (1885)

Histoire du roman
Le roman retrace l’ascension sociale de Georges Du Roy de Cantel (ou Georges Duroy), homme
ambitieux et séducteur sans scrupule (arriviste et opportuniste), employé au bureau des chemins
de fer du Nord, parvenu au sommet de la pyramide sociale parisienne grâce à ses maîtresses.
L’œuvre se présente comme une petite monographie de la presse parisienne dans la mesure où
Maupassant fait implicitement part de son expérience de reporter. Ainsi l’ascension de Georges
Duroy peut être comparée à la propre ascension de Maupassant. En effet, Bel-Ami est la
description parfaite de l'unvers de Guy de Maupassant, Georges Duroy devenant une sorte de
contraire de l'auteur, dont Maupassant se moquera tout au long du roman.
PROJECTION – du modèle économique au modèle de relation sentimentale.

Les relations de Georges Duroy avec les femmes peuvent être représentées selon trois modèles
économiques:

1. L’échange – une économie de réciprocité, comme au Moyen Age

Clotilde de Marelle lui offre de l’argent. Elle aime celui-ci profondément et son amour est
réciproque. Ils rompront quatre fois mais la fin laisse à supposer que leur idylle n'est pas
terminée. Clotilde est mariée à Monsieur de Marelle, qui, compte tenu de ses absences
fréquentes, permettra à sa femme de prendre beaucoup d'amants.

2. Héritage – une économie féodaliste

Madeleine Forrestier, une femme rationnelle et mondaine, devient la femme de Georges après que
son époux Charles Forrestier meurt. Georges imite Charles et hérite de sa vie.

3. La spéculation – économie capitaliste

Georges séduit Virginie Walter qui est la femme du patron du journal La Vie française, et elle le tient
au courant d’informations secrètes pour lui permettre des gains. C’est sa fille, Suzanne, qui devient la
faincée de Georges.

IMITATION:

Au niveau du personnage: imitation de l’écriture journalistique et de la vie d’un autre personnage

Ici, le modèle n’est plus un schèma de fonctionnement, mais un exemple à imiter.

1. C’est le modèle de l’écriture jornalistique que le personnage choisit pour vendre son journal.
Cette écriture

Vous êtes encore naïf, vous ! Alors vous croyez comme ça que je vais aller demander à ce Chinois et à
cet Indien ce qu’ils pensent de l’Angleterre ? Comme si je ne le savais pas mieux qu’eux, ce qu’ils
doivent penser pour les lecteurs de La Vie Française. J’en ai déjà interviewé cinq cents de ces Chinois,
Persans, Hindous, Chiliens, Japonais et autres. Ils répondent tous la même chose, d’après moi. Je n’ai
qu’à reprendre mon article sur le dernier venu et à le copier mot pour mot. Ce qui change, par
exemple, c’est leur tête, leur nom, leurs titres, leur âge, leur suite.

2. C’est la vie de Charles Forrestier que Georges imite, jusqu’à ce qu’il réussit à s’y substituer. La
signification: la bourgeoisie imite la noblesse qu’elle prond pour modèle, jusqu’à l’abolition du
modèle (exemple dialectique)

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