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Université Hassan II – FSJES Mohammedia Cours de politiques publiques

Master action publique et gouvernance territoriale

La mise en œuvre des politiques publiques


La mise en œuvre (implémentation) désigne la phase d’application des politiques publiques sur le
terrain. Pour la définir on peut dire que c’est l’étape au cours de laquelle les acteurs et les ressources
sont mobilisés pour réaliser les objectifs d’une politique publique définie.

Cette mise en œuvre est un processus social au cours duquel les acteurs font valoir leurs intérêts,
leurs pouvoirs et leurs possibilités d’influence. Généralement on dit qu’on passe du gouvernement à
la gouvernance.

La mise en œuvre est une phase centrale de fabrication des politiques publiques, l’objectif consiste à
appréhender les écarts qui peuvent exister entre les décisions prises et les résultats obtenus. Il
s’agira alors de se demander quels sont les facteurs qui influencent la mise en œuvre des politiques
publiques.

Cette problématique peut être appréhendée de deux manières : soit dans une approche par le haut
(top-down) qui part de la décision et questionne son application concrète, il s’agira alors d’identifier
les facteurs permettant une mise en œuvre conforme à la décision ; soit dans une approche par le
bas (bottom-up) qui part du terrain, celle-ci se concentre sur les agents administratifs et les
personnes concernées par les politiques publiques.

I – L’approche top-down : mise en lumière des distorsions entre décision et mise en œuvre

En allant de la décision vers son application, on constate souvent qu’il existe une distorsion entre la
finalité initiale d’une politique publique et la réalité de sa mise en œuvre. Ceci découle de 3 facteurs :
l’imprécision et l’ambigüité de la décision, le nombre des acteurs qui interviennent dans la phase de
mise en œuvre, ainsi que la disponibilité ou non des moyens nécessaires à l’implémentation d’une
politique publique et la concomitance d’un contexte politico-économique favorable.

A – L’imprécision et l’ambiguïté de la décision

Si le contenu de la décision est trop flou ou ambigu, les fonctionnaires en charge de la mise en œuvre
disposent d’une marge de manœuvre telle qu’elle peut dévoyer la politique publique.

Le sociologue français Jean Gustave Padioleau donne l’exemple de la politique de défrichement des
forêts des années 60 qui visait à restreindre les autorisations de défrichement dans le but de
préserver l’environnement et de lutter contre l’extension urbaine et la spéculation agricole. Le
gouvernement introduit un nouveau motif de refus d’autorisation : la conservation des bois reconnus
comme nécessaires à « l’équilibre biologique d’une région ». Mais, en l’absence d’une caractérisation
précise de ce qu’est « l’équilibre biologique d’une région », ce texte va conduire à une application
très différenciée géographiquement, laissant ainsi jouer un rôle déterminant à l’administration
chargée d’examiner individuellement les dossiers de défrichement : dans les zones de grande culture
ou de forte densité urbaine, les refus seront nombreux et systématiques alors que dans d’autres, la
mise en œuvre restera très limitée, notamment du fait de la concurrence avec d’autres politiques

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publiques telles que la lutte contre les incendies, le développement des cultures ou l’aménagement
touristique1.

Par ailleurs, une méconnaissance des réalités de terrain par les milieux décisionnels peut conduire à
la mauvaise ou l’absence de mise en œuvre. François Dupuy et Claude Thoenig donnent l’exemple de
la politique relative au transport de marchandises. Ils relèvent que le transport terrestre est
fortement réglementé en termes de temps de travail, de tonnage, de vitesse, mais que la
réglementation pèse principalement sur les transporteurs, or ceux-ci ne sont qu’un maillon de la
chaine de transport, ils contournent la réglementation et bénéficient d’une relative tolérance vis-à-
vis de leurs écarts. Par ailleurs, cette politique méconnait le concurrent principal au transport
terrestre, à savoir le ferroviaire. L’action publique se fondant sur 2 postulats de base peu pertinents,
il y a eu un grand écart entre la décision des pouvoirs publics et sa mise en œuvre.

B – Les multiplicités des acteurs intervenant dans la mise en œuvre

Selon Pressman et Wildavsky, la multiplicité des acteurs peut être un frein à la mise en œuvre des
politiques publiques. Avec l’étude de l’implémentation des politiques de l’emploi dans les Etats Unis,
ils démontrent que bien que les mesures d’encouragement à l’embauche des chômeurs issus des
minorités étaient claires et consensuelles et disposaient des moyens nécessaires à leur application, la
multiplicité des interactions entre divers acteurs (trop grand nombre de points de rencontre
« clearance points ») nuit à la mise en œuvre. Elle entraîne quasi mécaniquement une augmentation
des possibilités de désaccords et de retards, des différences dans les hiérarchies des priorités, ce qui
aboutit à une mise en œuvre limitée du programme.

C – La disponibilité des moyens et le contexte politique et économique

Enfin, la mise en œuvre dépend de la disponibilité des moyens financiers, humains (qui dépendant
également de l’état des finances) et des moyens techniques (anticipation des difficultés techniques).
En outre, ces moyens doivent être disponibles au moment de la mise en œuvre et le changement du
contexte politique ou économique peut influer sur l’implémentation. Ainsi, tout changement à la tête
d’un exécutif entraîne une modification des priorités, et conduit, par conséquent, soit à des retards
ou à une application limitée d’une décision prise par d’autres acteurs politiques, soit à la non mise en
œuvre. Par ailleurs, une période de faible croissance sera peu favorable à la mise en œuvre d’une
politique, alors qu’une forte croissance peut avoir un effet inverse.

II – L’approche bottom-up : prédominance du rôle des agents de terrain dans la mise en œuvre

L’approche par le bas est une vision qui considère que le contenu de la politique publique va
dépendre de la manière dont les acteurs sur le terrain qui sont responsables de la mise en œuvre
vont aller piocher dans l’offre normative et ce qu’ils vont faire. L’analyse de la mise en œuvre des
politiques publique est celle d’un processus négocié et stratégique d’exécution des lois qui existent,
on parle de « implementation game » ou du jeu de la mise en œuvre du corpus normatif.

A – Le pouvoir discrétionnaire des agents de guichet

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Les exemples sont repris de l’article « la mise en œuvre des politiques publiques » dans la revue électronique
le politiste. http://www.le-politiste.com/la-mise-en-uvre-de-laction-publique version au 23/12/2017

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La mise en œuvre des politiques publiques est largement tributaire des fonctionnaires en charge de
la faire appliquer dans la mesure où ils disposent d’une marge de manœuvre leur permettant de
modifier, voire même d’annuler la décision initiale.

La thèse de Lipsky insiste sur interactions de ces bureaucrates de terrain avec les citoyens parce que
c’est là que se joue et se noue la politique publique. Ces agents ont deux caractéristiques
principales : ils sont en contact avec le public et leur action a des effets directs sur l’existence des
individus concernés par la politique publique ; et ils jouissent d’un pouvoir décisionnel vis-à-vis de
usagers en ce qui concerne :

 la nature, le montant et la qualité des prestations offertes par l’administration ;


 le choix d’un recours à des sanctions ;
 la durée de la procédure (qu’ils peuvent accélérer ou retarder) ;
 le niveau de communication de l’information.

Il en conclut que les « streets level bureaucrats » ou agents de guichet tels que les instituteurs, les
travailleurs sociaux, les agents des services sociaux et de santé, les policiers, etc. bénéficient d’un
pouvoir discrétionnaire qui les élève au rang de véritables faiseurs de politiques publiques (policy
makers).

Alexis Spire donne à cet effet l’exemple de la politique d’accueil des étrangers en France. Il relève
que les agents de l’administration des étrangers ont bénéficié d’une forte autonomie, ce qui leur a
permis d’exercer une forme de « magistrature bureaucratique », avec un traitement des étrangers à
la carte. De fait, ces fonctionnaires ont sélectionné les étrangers qui étaient présumés assimilables
(privilégiant par exemple les Italiens sur les ressortissants d’Afrique noire) alors qu’aucun texte ne
prévoyait ce type de procédure. Ils ont ainsi disposé d’une marge d’appréciation importante pour
prendre des décisions portant sur le droit au séjour, l’accès au marché du travail et l’acquisition de la
nationalité française.

B – L’autonomie relative des fonctionnaires de terrain

La marge de manœuvre des fonctionnaires de terrain peut également enrichir le contenu des
politiques publiques, notamment en répondant à des demandes extra juridiques de la part de public
cible. L’exemple est celui des agents de la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) donné par Vincent
Dubois qui souligne que du fait du flou et de l’incertitude de la définition de leur fonction, mais aussi
de la relative indépendance dont ils bénéficient dans leur travail, ces agents s’adaptent à des
demandes qui ne sont pas prévues par les textes (comme par exemple les demande d’écoute et de
conseil). Ils développent de nouvelles pratiques de la relation de guichet où ce dernier devient un lieu
de parole et d’échange.

Mais cette autonomie est relative et reste encadrée par des règles. L’enquête du sociologue Philippe
Warin démontre que les « petits fonctionnaires » veillent à une application stricte des règles afin de
garantir un égal accès aux droits pour l’ensemble des usagers des services publics, et ce, en vertu
d’une norme d’équité.

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