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Pédagogie des opprimés


Paulo Freire
Rééditions La Découverte, 2001

1. JUSTIFICATION DE LA « PÉDAGOGIE DES OPPRIMÉS »

Une fois encore, les hommes, mis au défi par le caractère tragique de l'époque actuelle, se prennent
eux-mêmes comme sujet d'étude. Ils découvrent qu'ils savent peu de chose sur eux-mêmes, sur leur
« place dans le cosmos » et ils désirent en savoir davantage. D'ailleurs, le fait même de reconnaître leur
ignorance sur leur propre compte est l'une des raisons de cette recherche. Ayant fait la découverte
presque tragique de leur ignorance, ils deviennent eux-mêmes problème à résoudre. Ils posent des
questions. Ils répondent, et leurs réponses les conduisent à de nouvelles interrogations.

Le problème de l'épanouissement de l'homme, de son humanisation, qui d'ailleurs a toujours été, d'un
point de vue philosophique ; un sujet de recherche ; est devenu aujourd'hui une préoccupation
lancinante.
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L'humanisation et la déshumanisation, au sein de l'histoire, dans un contexte réel, concret, objectif, sont
des possibilités qui se présentent aux hommes en tant qu'être inachevés et conscients de leur
inachèvement.

Mais si ces deux voies sont possibles, seule la première nous paraît être ce que nous appelons la
vocation de l'homme. Vocation niée mais également affirmée du fait même de cette négation. Vocation
niée dans l'injustice, l'exploitation, l'oppression, la violence des oppresseurs. Mais affirmée dans la soif
de liberté, de justice, dans la lutte des opprimés pour la récupération de leur humanité spoliée.
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La contradiction Oppresseurs/Opprimés. Son dépassement


La violence des oppresseurs qui les rend eux aussi moins humains, ne crée pas une autre vocation, celle
du moins-être. Comme déviation de la vocation au plus-être, le moins-être mène tôt ou tard les
opprimés à lutter contre celui qui les a diminués. Et cette lutte n’a de sens que si les opprimés, dans leur
désir de récupérer leur humanité, ce qui est une manière de la créer, ne se sentent pas et ne deviennent
pas en fait oppresseurs des oppresseurs, mais restaurateurs de l'humanité dans les deux camps.

Voilà la grande tâche humaniste et historique des opprimés : se libérer eux-mêmes et libérer leurs
oppresseurs.

Les oppresseurs faussement généreux sont obligés de permettre l'injustice pour que leur « générosité
continue de pouvoir se manifester. L'ordre social injuste est la source permanente de cette cette
générosité qui se nourrit de mort, de découragement et de misère.
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La grande question est de savoir comment les opprimés, qui « accueillent » : en eux l'oppresseur, êtres
doubles, inauthentiques, pourront participer à l’élaboration de la pédagogie de leur propre libération.
C'est seulement dans la mesure où ils découvrent qu'ils ont « accueilli » en eux l'oppresseur qu'ils
pourront contribuer à la naissance de leur propre pédagogie libératrice. Mais cela est impossible tant

 
Textes références #1 - Université Populaire Syrienne / ILA…

qu'ils vivent dans la pensée que être, c'est ressembler à l'oppresseur. La pédagogie des opprimés, qui ne
peut être élaborée par les oppresseurs, est un des instruments d'une découverte critique, celle des
opprimés qui doivent comprendre que, comme les oppresseurs, ils sont eux aussi en proie à la
déshumanisation.
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Voilà le tragique dilemme des opprimés. Une pédagogie qui s'adresse à eux doit l'affronter. C'est pour
cela que la libération est un enfantement, un enfantement douloureux. L'homme qui en est le fruit est un
homme nouveau qui ne peut vivre que dans et par le dépassement de la contradiction
oppresseurs/opprimés, dans l'humanisation de chacun d'eux. Le dépassement de la contradiction est un
enfantement qui donne au monde cet homme nouveau, libéré de l'oppresseur.
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« Expliquer aux masses leur propre action », c'est éclairer et préciser l'action, d'une part, dans sa relation
avec les données objectives qui lui donnent naissance et, d'autre part, en ce qui concerne les finalités de
cette action.

Plus les masses populaires découvrent la réalité objective, qui les met au défi et sur laquelle doit
s'exercer leur action transformatrice, plus elles « s'insèrent » en elle d'une manière critique. Alors, elles
contribuent à accélérer « consciemment le développement ultérieur de ces expériences ».

En effet, il n'y aurait pas d'action humaine possible sans une réalité objective, un monde qui soit un non-
moi de l'homme, capable de le mettre au défi ; il n'y aurait pas non plus d'action humaine si l'homme
n'était pas un projet, un au-delà de lui-même, capable d'appréhender sa situation, de la connaître pour
la transformer.

D'un point de vue dialectique, action et monde. Monde et action, sont intimement solidaires. Mais l'action
n'est humaine que lorsque, plus qu'un simple faire, elle est une tâche, c'est-à-dire lorsqu'elle ne se
sépare plus de la réflexion.
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La pédagogie de l'opprimé qui cherche à restaurer l'inter subjectivité se présente comme une pédagogie
de l'homme. Elle seule, animée d'une générosité authentique, humaniste et non « humanitaire » peut
atteindre cet objectif. Au contraire ; la pédagogie qui part des intérêts égoïstes des oppresseurs. égoïsme
déguisé en fausse générosité et fait des opprimés l'objet de son humanitarisme, maintient et incarne
l'oppression proprement dite. C'est un instrument de déshumanisation.
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La pédagogie des opprimés, comme pédagogie humaniste et libératrice comprendra deux moments bien
distincts. Le premier quand les opprimés découvrent le monde de l'oppression et qu'ils s'engagent dans
la praxis pour sa transformation ; le second quand, la réalité oppressive étant transformée, cette
pédagogie n'est plus celle des opprimés, mais celle des hommes en marche permanente vers la
libération.
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Personne ne libère personne, personne ne se libère seul, les hommes se libèrent ensemble.
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Lorsque l'action est engagée, elle deviendra une authentique praxis si le savoir qu'elle apporte fait l'objet
d'une réflexion critique. Dans ce sens, c'est la praxis qui constitue le nouveau savoir de la conscience
opprimée, et la révolution, qui marque le moment historique de cette découverte, n'est pas viable si elle
ne tient pas compte des niveaux de la conscience opprimée. S'il n'en est pas ainsi, l'action devient pur
activisme. Il faut éviter de tomber soit dans l'action pour l'action, soit dans un dilettantisme de paroles
vides - jeu intellectuel - qui, n'étant pas une réflexion véritable, ne conduit pas à l'action. Les deux pôles,
action et réflexion, doivent former un ensemble dont il ne faut pas séparer les éléments.
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Pédagogie des opprimés – Paulo Freire

Il n'y a pas d'autre voie que la pratique d'une pédagogie d'humanisation dans laquelle les leaders
révolutionnaires au lieu de se superposer aux opprimés et de continuer à les maintenir dans l'état de
« quasi-choses », établissent avec eux une relation de dialogue permanent.

Dans cette pratique pédagogique la méthode n'est plus, comme nous l'avons souligné dans un travail
antérieur l'instrument de l'éducateur (dans ce cas le leader révolutionnaire) qui sert à manipuler ceux
qu'on éduque (dans ce cas les opprimés) parce que c'est déjà leur propre conscience qui est l'instrument
de leur éducation.
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2. LA CONCEPTION « BANCAIRE » DE L’EDUCATION COMME INSTRUMENT


D’OPRESSION. SES PRESUPPOSITIONS, SA CRITIQUE.

Extraits à venir…

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