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Ethnographie de L Exposition L Espace Le Corps Et Le Sens PDF
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d'information du Centre Georges Pompidou, cette recherche a été réalisée par la Sorgem sous la direction
de Eiiséo Véron, avec la collaboration de Martine Levasseur, qui a été en même temps responsable des
opérations sur le terrain; Nelly Fourcaud a réalisé une partie des entretiens semi-directifs.
Nous vouions remercier ici Isabelle Giannattasio et Claude CoUard, commissaires de l'exposition
Vacances en France qui nous ont aidés tCJut au long du déroulement du projet. Nous remercions aussi
très particulièrement les techniciens du Centre Georges Pompidou et ceux de la BPI, qui sont venus à
notre secours à tout moment, et sans lesquels nous n'aurions su résoudre les multiples problèmes posés
par la mise en place du dispositif d'observation des comportements des visiteurs.
Introduction de
Jean-François Barbier-Bouvet
A paraître
(!) Sur le développement du phénomene-exposition en France et ses caractéristiques, voir Histoires d'expo:
un lieu. un thème. un parcours. Paris, Centre Pompidou. 1983.
(2) Cf. en particulier Pratiques culturelles des Français. descriptions sociodémographique, Paris. Dalloz, 1982.
(3) Voir les travaux fondamentaux de Pierre Bourdieu: Pierre Bourdieu et Alain Darbel. L'Amour de l'art,
Paris. Éditions de Minuit. 1966. Pierre Bourdieu. La Distinction. critique sociale du juf(emen~ Paris, Éditions
de Minuit, 1979.
7
équipements culturels. Non que nous contestions cette approche,
bien au contraire, mais parce que nous considérons comme acquis les
principaux enseignements de la macrosociologie des comportements
~.,_,!turels.
8
Les images elles-mêmes, support privilégié, sont multiples. Point de
peinture, mais la photographie sous toutes ses formes : noir et blanc
et couleur, en tirage papier et en projections de diapositives, légitimes
!~!g!!ées de noms célèb:-es et encâd;:é;.;s) ti aüùnymes.
Reste que cette exposition n'est pas présentée n'importe où, et qu'on
ne peut faire abstraction ni du bâtiment qui l'abrite - le Centre
Pompidou - ni de l'institution qui la propose - la Bibliothèque
publique dïnformation - . Ils déterminent en partie son public, et
expliquent ses attentes.
Ce public obéit,.par sa composition sociale, aux « déformations par
le haut » propres à tous les établissements culturels : le poids relatif
des visiteurs issus des classes dominantes, et des fractions intellec-
tuelles des classes moyennes (professeurs, enseignants, chercheurs,
animateurs) est nettement supérieur à ce qu'il est dans l'ensemble de
la population française, tandis que les classes populaires sont sous-
représentées; quant aux étudiants et élèves, ils fournissent à eux seuls
40% des entrées, ce qui s'explique par leur forte implantation à la
bibliothèque.
Mais aucun groupe social n'est absent( 41 ; la chance des expositions
de la BPI est d'avoir ù'n public suffisamment nombreux (plus d'un
millier de personnes par jour) et hétérogène pour y voir apparaître à
peu près tous les types de visite possibles. Même s'ils sont à l'évi-
dence inégalement représentés. Ce n'est pour notre étude une limite
qu'en apparence, dans la mesure où le fondement de la démarche
n'est pas de comptabiliser des visiteurs, mais de repérer des principes
de visite quel qu'en soit le poids statistique relatif, et d'expliquer
leurs variations. Nous ne faisons pas ici une enquête sur la fréquenta-
tion mais sur les comportements.
L'exposition, située à l'entrée de la BPI, peut être visitée tout à fait
indépendamment d'un quelconque usage de la bibiiothèque (51 • Et
inversement. Mais il est évident que l'affluence observée tient autant
aux autres sollicitations de l'endroit qu'à l'exposition elle-même.
9
Cette proposition mérite d'être formulée de manière plus précise. A
y regarder de près, on peut en réalité distinguer trois types de visites.
La première est fondée sur l'intention: venus à la bibliothèque
spécialement pour cette exposition, sachant à l'avance qu'ils la
trouveraient là - ils ont été avertis de son existence par la critique,
les affiches, ou des amis - , ces visiteurs ont la démarche classique
des visiteurs de musée: intéressés par le thème, ils anticipent sur ce
qu'ils vont trouver. Mais à la différence des musées, ils sont ici très
minoritaires (7 o/o du public (6 )).
La seconde est fondée sur l'occasion (50% du public): non qu'ils
n'aient pas d'intention précise au départ, bien au contraire, mais ils
en ont une autre: utiliser les services et les documents de la biblio-
thèque, que ce soit pour leurs études, pour leur activité profession-
nelle, ou en fonction d'objectifs qui leur sont personnels. Confrontés
à quelque chose qu'ils ne cherchaient pas, ils profitent de leur
présence sur place pour y consacrer un peu de temps.
La dernière est fondée sur la disponibilité (43% du public): nombre
de gens viennent à la bibliothèque, et surtout plus généralement au
Centre Pompidou, en ne sachant pas précisément à l'avance ce qu'ils
y trouveront, tout en étant assurés d'y rencontrer un nombre élevé de
sollicitations. Plus que sur une activité ou un support particulier, ils
investissent en fait sur un lieu globalement perçu (on va « à Beau-
bourg >> ), ou sur un temps, défini dans sa durée et non dans son point
d'applièation (on vient «passer 2 heures»).
La pratique sans projet (occasion et disponibilité) nous intéresse
particulièrement car elle est loin d'être propre à la BPI, même si elle
est peut-être ici plus fréquente qu'ailleurs. Il s'agit d'une forme
habituelle de visite des expositions dans deux cont1gurations particu-
lières: quand celles-ci sont implantées dans des lieux publics non
culturels ou consacrés à d'autres fonctions (cimaises installées dans
des halls de mairies, sur des places de marché, dans des bibliothè-
ques, etc.); ou quand elles sont proposées par des équipements
culturels polyvalents qui offrent une profusion de manifestations
simultanées 17l_
Ce comportement est parfois mal interprété par ceux qui ont pourtant
pour mission de favoriser la diffusion culturelle. Essayons de lever
ici deux illusions particulièrement tenaces, quoique de nature radica-
lement différente.
(6) Nous utilisons toujours ici, pour mesurer le phénomène les résultats de l'enquête réalisée en 1981-1982.
Pratiques culturelles des Français. op. dt.
(7) Il se trouve que ce sont JUStement ces deux formes d'exoosition qui se développent le olus actuellement
en F:~nce. Cf.<< Le système de l'exë~oi!i~~ "· Histoires d'expo .• Pari;. C:~.;;;: Gcvrges Pompidüu. cc;. ;933.
10
Ce n'est pas parce qu'il s'agit d'une visite « de raccroc » qu'il s'agit
nécessairement d'une visite superficielle. Il y aurait d'ailleurs beau-
coup à dire sur le contenu même de la qualification de superficielle,
opposée généralement par les conservateurs de musées à approfon-
die; manière voilée de marquer une distinction entre les «bons>> et
les « mauvais >> visiteurs. Cette recherche montrera justement que la
réalité est beaucoup plus complexe, et en tout cas les apparences
trompeuses.
Il ne suffit pas d'organiser la rencontre impromptue entre un public
et une exposition pour que s'établisse automatiquement une relation.
Ou pour dire les choses autrement il ne suffit pas au visiteur potentiel
de passer devant pour rentrer dedans. A la BPI par exemple, 60% des
lecteurs ne franchissent pas le seuil de l'exposition, alors qu'il s'agit
de personnes qui par leur niveau d'instruction ou leur appartenance
sociale présentent un profil très favorable à ce genre de manifesta-
tions. Le hasard ne suffit pas, encore faut-il qu'il rencontre de la
familiarité.
Ce sont ces différentes dimensions de la visite, qui échappent
généralement à l'enquête, que nous avons voulu prendre en compte...
par une enquête. Paradoxe '?non, si l'on considère que celle-ci n'est
pas tout à fait une enquête comme les autres. Il est temps d'en faire
la présentation. ·
On ne sait généralement pas très bien comment sont faites les
enquêtes auprès du public dans les établissements culturels. Il est vrai
que beaucoup d'entre elles sont sur ce point d'une discrétion rare...
Mais même pour celles qui présentent un certain sérieux, on com-
prend aisément que leurs destinataires s'intéressent plus aux résultats
qu'aux méthodes. La situation est d'<tilleurs paradoxale: l'attitude la
plus courante vis-à-vis des enquêtes, chez les professionnels de la
culture, consiste à douter de leur principe sur le fond, au nom de
l'irréductibilité de la pratique culturelle à une quelconque équation
positiviste, tout en en utilisant les résultats (surtout s'ils sont assortis
de pourcentages) avec une crédulité qui n'en tïnit pas de surprendre.
On ne nous en voudra donc pas, je l'espère, de préciser ici le contenu
et l'originalité de notre propre démarche : c'est donner au lecteur de
cette recherche !es moyens d'une lecture critique.
Comptage et sondage sont, de loin les procédures d'enquête les plus
employées aujourd'hui 18l. Ce n'est pas forcer la réalité que de dire
que, dans le domaine de l'évaluation des expositions, elles tendent à
occuper l'essentiel du terrain. Après avoir permis dans un premier
temps une progression très importante de l'analyse des pratiques
(8) Une présentation détaiilée de ces méthodologies a été faite au colloque de Peuple et Culture sur
l'exposition. Jean·françois Barbier· Bouvet, du bon et (du mauvais) usage de l'évolution, Acres du col/ooue.
Paris. Peuple et Culture. 1983. volume 2. pp. 13·21.
11
culturelles, leur hégémonie actuelle est pour beaucoup dans la
relative stagnation de la réflexion sur le public, ou pius exactement
dans la relative redondance des études qui le concernent, qui ne nous
apprennent plus guère que ce qu'0P.. ~avait déjà. Ne'.!:: ~vons donc
décidé de regarder les choses autrement. er de recourir à robservation
et à l'entretien. Ces deux approches, pour être classiques en analyse
du comportement, n'ont été que très rarement appliquées à l'étude
des modes de visite des expositions (ou des musées). Les adoptant,
nous les avons adaptées, pour tenir compte de la spécificité du champ
culturel, et en faire des outils transposables à d'autres expositions.
Les méthodes d'évaluation fondées sur l'observation directe des
comportements « en situation » dérivent de l'approche ethnologique.
Mais ici l'observateur n'est plus un européen aventureux qui part
décrire les rites de passages ou les techniques culinaires d'une
population lointaine et étrange: c'est un sédentaire qui décide un
jour de porter son regard sur un microcosme de sa propre culture, de
retrouve;- la distance d'étrangeté de l'ethnologie dans ce lieu mi-
culturel, mi-cultuel qu'est la salle d'exposition: renversant le point de
vue habituel de qui pénètre dans une exposition, il tourne le dos aux
œuvres et regarde les gens; et il note tout ce qu'il voit et tout ce qu'il
entend.
L'exposition constitw>, plus que d'autres supports culturels, un
terrain de choix pour une approche par observation. En effet, sa
dimension fondamentale n'est pas la spécificité du thème, ou la
nature des supports qu'elle propose - texte, images, objets - mais
l'existence d'un espace qui les lie. L'expo est d'abord un lieu et
comme tout lieu sa pratique met fondamentalement en jeu le corps:
d'une certaine manière, l'itinéraire d'un individu dans une exposition
matérialise, inscrit au sol, son itinéraire dans l'information et la
sensation. Trajets, stationnements, évitements sont autant d'indica-
teurs physiquement objectivés, donc facilement observables, d'un
parcours culturel et d'une progression perceptive.
Le corps, mais aussi la parole. Très souvent les expositions sont
visitées à plusieurs <9l. La socialisation des visites, et la désacralisation
de nombre de nouveaux lieux d'exposition qui n'imposent pas le
silence ou le chuchotement des musées classiques, favorisent la
généralisation du commentaire à haute voix. Ce commentaire spon-
tané que les visiteurs échangent entre eux peut constituer, s'il est
recueilli de manière systématique, un des corpus de l'évaluation.
Interview sans intervieweur en quelque sorte, où s'expliquer n'est
plus se justifier puisque le jugement n'est pas sollicité par un
enquêteur inconnu.
(9) En moyenne, sur 100 visiteurs des expositions de la BPl, plus de la moitié (51%) sont accompagnés. Il
s'agit le plus souvent d'amis (28 o/o). ou de couples et de familles (20 o/o), mais peu de groupes (3 o/o). Source:
enquête de fréquentation en 1981-1982.
12
«Ce qui entend le plus de bêtises dans Je monde, c'est peut-être un
tableau de musée ».On connaît la formule célèbre d'Édmond et Jules
de Goncourt. Pur produit de !"ethnocentrisme satisfait, qui prend de
la différence pour de Jïnfériorite, cene phrase merite àe figurer en
bonne place au hit-parade des bêtises qu ·elle prétend stigmatiser.
C'est en écoutant des commentaires spontanés que l'on a pu mieux
appréhender par exemple les deux registres du mode d'appropriation
symbolique des biens culturels: les imaginer chez soi (quand il s'agit
d'œuvres): s'imaginer dedans (quand il s'agit d'édifices (ID>). Ou que
l'on a pu comprendre pourquoi un dispositif spectaculaire installé
dans une autre exposition de la BPI (Météorologie et climat: fera-t-il
beau demain ?) n'obtenait pas toujours l'effet escompté, voire même
provoquait chez certains visiteurs beaucoup plus grave qu'une in-
compréhension: une compréhension erronéet 111 •
Pour Vacances en France a été tenté un enregistrement systématique
au magnétophone, en certains points-clés de l'exposition. Il n'a
malheureusement pas été possible d'en faire l'exploitation prévue,
pour des raisons techniques : la prise de son est un art difficile, quand
il faut isoler de l'intelligible dans le brouhaha d'un lieu collectif.
Mais l'expérience mérite d'être faite à nouveau, ailleurs, ou par
d'autres, car elle est extrêmement riche d'informations sur l'exposi-
tion, et de perspectives d'innovation sur la méthode: l'analyse des
conversations ne peut être en effet totalement menée selon les règles
classiques de l'analyse du contenu; il reste encore à inventer une
théorie du fragment...
L'écoute des «discours d'accompagnement» demeure expenmen-
tale. L'observati.on des comportements manifestes, dont nous avons
parlé précédemment, est plus éprouvée, même si elle n'est encore que
rarement pratiquée (12)_ Pourtant, d'une certaine manière, tout Je
monde en fait, comme M. Jourdain faisait de la prose, sans Je savoir.
Quel responsable d'expo.,quel animateur, ou tout simplement quel
visiteur ne se plaît à rapporter des propos entendus (généralement
choisis parmi les plus « croustillants », ou les plus gratifiants) ou à
commenter des attitudes observées (« l'autre jour, j'ai vu un type
qui ... » ). Quelle différence finalement entre cette observation sauvage
et J'observation «domestique» dont se recommande l'évaluateur?
(JO) Jean-François Barbier-Bouvet, Jours, parcours, détours: espace des pratiques er pratique de l'espace au
musée du Louvre, Paris. ministère de la Culture, 1980.
(11) La faute en revenait au dispositif lui-même qui, voulant représenter de J'air (la circulation des nuages)
par de J'eau (les trourbillons d'un liquide dans une cuve), nécessitait pour être compris une conversion
mentale radicale. CL étude de Philippe Coulaud, Fera-r-i/ beau demain ? Évaluation d'une exposition de
vulgarisation scientifique, Paris, BPI, Centre Georges Pompidou, 1984.
(12) Citons ici les travaux d'H. Gottesdiener, Analyse de l'influence de l'organisation spatiale d'une exposition
sur le comporremelll des visiteurs. université de Paris X, 1979, ronéoté, et les travaux d'A.-M. Laulan sur une
exposition scientifique et technique à Rennes.
13
C'est qu'il ne suffit pas de regarder pour voir, et le plus voyant n'est
pas forcément le plus significatif. La réalité ne « parle » pas d'elle-
même, si ce n'est dans l'ordre de l'anecdotique. La constitution d'une
grille de lecture préalable à l'observation est une condition épistémo-
logique de la production du sens. Ou pour dire les choses de manière
plus simple, et paradoxale : il faut justement avoir des « idées
préconçues »,si l'on peut nommer ainsi des hypothèses, pour mener
une observation : le regard maîtrisé qui explicite les conditions de sa
propre production vaut mieux que l'observation dite de bon sens, qui
ne se donne pas les moyens de contrôler ses biais par le fait même
qu'elle les nie.
Des hypothèses avant, de la systématicité pendant: c'est l'autre
condition méthodologique de la constitution des données (ces mal
nommées: elles ne sont jamais données, mais construites ... ). Il y a en
fait non pas une, mais deux manières de faire de l'observation
systématique et contrôlée: le suivi et le point fixe(l 3l.
La première approche, centrée sur les personnes, consiste tout
simplement à suivre les visiteurs pendant toute leur visite et à relever
leur comportement selon un système de repérage préétabli : le suivi
permet de réintroduire dans l'évaluation une notion essentielle: la
séquentialité. L'exposition n'est pas une juxtaposition équivalente et
équidistante d'objets de contemplation, c'est un système structuré par
un discours. On pense tout de suite bien sûr au discours du concep-
teur, qui a prévu l'enchaînement des thèmes et mis en scène leur
hiérarchisation; mais rares sont les expositions qui imposent totale-
meni, par leur mise en espace, une linéarité de visite obligée. Le vrai
discours de l'exposition est celui que construit le visiteur par son
parcours, en mettant en relation dans un certain ordre qui lui est
proposé. La significaiion n'est pas donnée à l'entrée, elle est produite
à la sortie.
L'observation montre bien justement qu'il est peu fréquent que le
visiteur suive le fil prévu par le concepteur; les parcours ont un sens
qui n'est pas réductible à la logique des «géomètres». Car il n'est
pas indifférent de voir un objet avant un autre, de lire tel panneau
secondaire conçu pour compléter l'information principale avant
celle-ci, ou même à sa place; de parcourir à l'envers un itinéraire
prévu pour être chronologique, annulant ainsi la progression prévue,
ou plus exactement introduisant une progression d'un autre ordre.
( 13) Cette observation s'est étalée sur plusieurs semaines à différents moments de la journée, afin de pouvoir
observer les différents types de publics oui fréquentent la BPI et de faire varier les conditions de visite, en
paniculier le nombre de visiteurs se trouvant à un moment donné sur les lieux. L'observation a été réalisée
.i la fois de façon directe (enquéteurl et par le ll•uycu ..;·une camera vidéo focaiisèe successivement sur trois
secteurs différents de l'exposition. Plusieurs heures d'enregistrement vidéo ont été effectuées.
14
La seconde approche, centrée sur le lieu et non plus sur la personne,
consiste à relever depuis un point fixe le comportement de tous ceux
qui passent sur une certaine portion d'espace, ou devant une certaine
partte d'exposition. On pourrait appeler cela l'établissement d'un
« cône de surveillance ». Ce type d'observation permet d'évaluer les
effets propres de tel ou tel dispositif de mise en scène et d'accro-
chage.
On a pu ainsi, étudiant certaines salles d'exposition du musée du
Louvre< 141 , découvrir l'existence d'une dialectique de la différence:
l'introduction d'une discontinuité dans un ensemble d'œuvres crée
souvent un courant d'attention particulier que l'on peut attribuer à
l'accrochage: ainsi d'une rupture de format (un grand tableau au
milieu de petits, mais aussi un petit, théoriquement moins visible, au
milieu de grands); ainsi d'un paysage au milieu de portraits, d'un
sarcophage (horizontal) parmi un ensemble de sculptures (verticales),
d'un meuble dans une salle de peintures, etc. L'observation prolon-
gée des cheminements dans ces salles fait apparaître la permanence
de « boucles » que ne peuvent expliquer seulement la qualité ou la
notoriété des œuvres concernées.
Autre dynamique, plus subtile : la dialectique de la dissimulation. Il
n'est pas toujours nécessaire de mettre en vedette un objet pour
attirer vers lui les visiteurs. Paradoxalement, la stratégie exactement
inverse donne aussi de bons résultats: l'objet que l'on distingue qu'en
partie, mais dont on devine l'existence, incite à s'approcher. Ce n'est
pas là simple et banale curiosité : il est dans la nature de la démarche
culturelle la plus légitime de s'accompagner d'un fort sentiment de
frustration anticipée à l'idée d'avoir pu manquer quelque chose
d'important. D'où, toujours au Louvre, dans les salles où tout est
apparent, ce si fréquent coup d'œil circulaire qui permet de se
rassurer en constatant rapidement qu'il n'y a là rien qu'on ne puisse
négliger sans dommage; tandis que dans les salles où un objet en
masque manifestement un autre, ou bien un dispositif de présenta-
tion (certains types de vitrines horizontales) ne le rend pas visible de
loin, cette démarche de vérification qui est parfois ensuite à l'origine
d'une attention prolongée. De là à suggérer aux responsables d'expo-
sitions que pour bien montrer une œuvre il faut d'abord la cacher
(tout en en signalant la « trace » ), il y a un pas que nous nous
interdisons bien sûr de franchir.
Le risque de toute observation c'est de tomber dans le pointillisme
empirique, voire même de passer subrepticement de la sociologie à
l'entomologie. Le visiteur ne se réduit pas à ce qu'il fait, et ce qu'il
fait ne se réduit pas à ce qu'on en voit.
15
Or ce qu'on voit dans l'exposition Vacances en France, à l'issue dela
phase d'observation, ce som quatre grands types de componemems,
auxquels ont été donnés àes noms imagés pour mieux les caractériser,
et peut-être aussi pour mieux conjurer la tentation entomologiste : les
fourmis, les papillons, les poissons et les sauterelles ... Mais s'agit-il
bien là de catégories de contenu et de démarche culturels, ou
seulement du rassemblement anificiei de pratiques n'ayant d'homo-
gène que l'apparence ? Pour le savoir il était nécessaire de changer
de registre, et de passer à l'imerrogat:ion directe des visiteurs, non pas
échantillonnés de manière aléatoire ou selon des critères de représen-
tativité sociodémographique, comme on le fait généralement, mais
désignés en raison de leur appartenance même (repérée par le suivi
préalable de leur parcours) à l'une des quatre familles de comporte-
ment.
Interrogation directe mais non interrogatoire. On a eu recours ici à
l'entretien centré: il n'est pas demandé aux gens de répondre à des
questions, comme dans un sondage, mais de parler librement <Js). Le
principe est ici de respecter totalement le discours de l'autre, d'en
suivre le fil sans le rompre; s'il s'interrompt de le relancer à partir de
ce qui vient d'être dit, dans les termes dans lesquels cela vient d'être
dit, et non à partir d'une grille préordonnée et préformulée d'interro-
°
gation 6l. En même temps et tout autant qu'aux éléments d'informa-
tion do11nés par le visiteur, il faut donc être attentif à l'ordre
d'apparition de ces éléments, au contexte de leur apparition, au
vocabulaire employé, et au-delà être attentif, par défaut, à l'absence
significative de certains thèmes, au non-dit.
En effet, dans toute situation d'interview les personnes interrogées
tendent consciemment ou inconsciemment à privilégier les discours
de rationalité (à chaque effet on essaye d'indiquer une cause logique)
et les discours de légitimité (on a tendance à faire valoir dans la
réponse les comportements que l'on sait être les plus valorisants).
C'est particulièrement vrai dans le domaine culturel, qui est investi
d'une forte valorisation sociale. Sans compter que la maîtrise de la
verbalisation, et plus précisément l'entraînement au commentaire de
ses propres réactions, n'est pas répartie équitablement dans toutes les
couches de la population, ni sous les mêmes formes (vocabulaire,
etc.).
Il faut prendre son parti de ce que le chercheur modifie par sa seule
présence la situation dont il cherche à rendre compte. Le problème
n'est pas d'éliminer l'interaction, mais de la contrôler. Nous avons
16
essayé de sortir l'entretien àe son caractère d'échange purement
verbal et de sa dynamique habituelle. De trois manières.
En refaisant ensuite la visite aux côtés de la personne interrogée, in
situ. On limite air..~i !es explications trcp gi:néraies qu'on übtient en
n'interrogeant les gens qu' a posteriori, au moment de la sortie. Ce
sont les cimaises elles-mêmes en quelque sone qui relancent réguliè-
rement l'entretien. Visite commentée d'un genre un peu particulier,
inhabituelle en ces lieux, où c'est le visiteur qui discourt et le
« professionnel » qui écoute sans interrompre.
En faisant visionner et commenter au visiteur son propre parcours.
tel qu'il avait été filmé par une caméra vidéo pendant la visite de
l'exposition. Là aussi, l'idée était d'éviter les rationalisations a
posteriori, en substituant dans l'entretien aux traditionnelles consi-
gnes visuelles : le spectacle de son propre compone ment <17 !.
En faisant enfin dessiner à !"interviewé son parcours, sur une feuille
de papier blanc. Dessin totalement subjectif et non dessin d'archi-
tecte, qui fait apparaître les points forts, les zones d'ombre, la
perception du plein et du vide, de l'attraction et de la répulsion,
mieux que ne le livrerait le commentaire verbal 08 ).
La question essentielle, lorsqu'on évalue l'impact d'une exposition
sur son public, reste à savoir à quoi rapporter les comportements
observés. Et cela quelle que soit la méthode utilisée: questionnaire,
interview ou observation. Si l'on relève des invariants dans l'attitude
du public, on aura tendance à les attribuer à des effets directs de la
présentation de l'exposition: tel type d'accrochage provoquerait
immanquablement tel type de réaction. Par contre, les variations d'un
visiteur à l'autre seront attribuées volontiers aux altérations que fait
subir à la perception le jeu combiné de l'origine sociale, du niveau
culturel, ou tout simplement de la motivation plus ou moins grande
à visiter l'exposition. Dans la réalité les choses ne sont jamais si
tranchées, ni dans l'évaluation les schèmes explicatifs si univoques
(du moins on l'espère). L'exposition nous confronte au paradoxe
d'une offre culturelle identique pour tous les visiteurs, qui donne lieu
à des modes de comportement et d'appropriation d'une grande
diversité.
(17) Des précautions avaient été prises afin de respecter les visiteurs: utilisation des caméras de surveillance
déjà existantes, choix de focales (pour l'objectif) qui <<éloignent n l'image, et ne permettent pas de voir
précisément les visages et leurs expressions. Ceci en paniculier pour éviter les réactions psychologiques que
peuvent déclencher chez cenaines personnes la vue de leur propre image, et rester à un niveau purement
componemental. Sur ce sujet. cf. M. Jabet L'autoscopie. université de Grenoble. 1981. On verra qu'à l'usage
cette méthode ne s'est pas révélée aussi riche qu'on l'espérait du moins pour cette exposition paniculière.
(18) Le principe s'inspire des travaux de S. Milgram qui avait fait dessiner de mémoire le plan de Paris. Il
a mis en évidence ainsi les différences de représentation et de valorisation des quaniers selon les habitants.
leur implantation personnelle, leur origine sociale, cf. Milgram. Cities as social representations.
17
C'est ici que l'approche par les publics doit se doubler d'une
approche par les œuvres ou les documents eux-mêmes, que la
sociologie doit s'ouvrir à la sémiologie. Il ne s'agit pas d'analyser
successivement le message, puis sa réception, selon le bon vieux
schéma de la théorie de l'information, mais d'analyser conjointement
les propriétés de l'exposition à partir des conditions de sa produc-
tion, et les « lectures » effectuées par les visiteurs à partir des
conditions de leur reconnaissance. C'est ce que proposent Eliséo
Véron et Martine Levasseur. Démarche dynamique et dialectique qui
aboutira à avancer une nouvelle typologie des visiteurs d'exposition,
et plus largement une nouvelle définition de l'exposition elle-même,
comme média spécifique.
Jean-François BARBIER-BOUVET,
Responsable du service des études
et de la recherche de la BPI, 1983
18
Première partie
Cadre conceptuel
21
SCHÉMA 1
HYPOTHESE DE BASE
EX· POSER
S'EX-POSER
APPROPRIATION
COM-POSER
Nf:r.or.r ER VISITEUR
VISITER
22
NIédias et discours sociaux,
l'exposition comme média
Le domaine des « médias » reste un terrain de discussion et de
recherche à la fois complexe et confus. Les réflexions sur les « nou-
veaux médias »,qui se sont multipliés ces dernières années, n'ont pas
aidé à le clarifier. Nous nous bornerons ici à quelques distinctions
destinées à préciser l'emploi du terme « médias » qui sera le nôtre,
et à faciliter ainsi cet exposé.
De notre point de vue, la notion de « média » désigne un support de
sens, un lieu de production (et donc de manifestation) du sens. Sur
le plan du fonctionnement social, bien entendu, ces supports sont
toujours le résultat de dispositifs technologiques matérialisés dans
des supports de sens socialement disponibles, accessibles à l'utilisa-
tion à un moment donné.
Tous les médias ne sont pas des mass-médias. L'expression « com-
munication de masse »désigne un mode d'utilisation (parmi d'autres)
de ces supports de sens qui sont les médias. Ce mode d'utilisation
semble pouvoir être caractérisé, de façon minimale, comme l'accès
public(ou semi-public: en tous cas pluriel, collectijj, à un même message
ou ensemble de messages. Cette notion «d'accès public » veut éviter
une approche purement quantitative (nombre de personnes) du
problème de la communication « de masse ». Sans avoir à définir les
dimensions de cette« masse »,la notion d'accès public, collectif, aux
mêmes messages permet de distinguer certaines utilisations en termes
d'une opposition public/prive. Une lettre(en tant que lieu d'inscrip-
tion d'un message personnel, lieu accessible à un individu et articulé
au réseau de la poste) est certainement un média, mais elle n'est pas
un mass-média: l'accès aux « lettres » véhiculées par les PTT est
privé et non pas public 111 • De même pour le téléphone, qui est
typiquement un dispositif technologique de communication qui
détermine un lieu de production de sens, mais qui ne constitue pas un
phénomène de « communication de masse». Un même média peut
étre l'objet d'une utilisation« non massive». La photographie est un
média; la photo de presse l'intègre dans un support mass-médiatique,
tandis que la photographie d'amateur reste un média non-massif (cf.
schéma 2 ci-après).
A noter que dans la caractérisation que nous venons de proposer c'est
l'accès aux mêmes messages qui est dit public ou collectif: nous ne
parlons donc pas des contenus. Comme nous le verrons par la suite,
( 1) Le système télématique Télétel fournit un bon exemple de la nécessité de distinguer entre média et
mass-média: l'écran télématique est. dans ïensemble. un mass-média mais il permet des usages non massifs:
c'est le service aopelé messagerie où l'usager peut déposer un message adressé à une personne déterminée et
auquel seuie cette dern!~re ~eut avci: :::.:.:::~s. par le moy·en d'un ":uméro de code individueL
23
on ne peut pas affirmer des contenus qu'ils sont, dans le fonctionne-
ment des mass-médias, les mêmes pour tous : les contenus appréhen-
dés résultent de la « négociation » entre le média et les sujets
récepteurs.
Quand on parle de « médias » tout court, on se place généralement
dans une optique de production: on envisage le dispositif technologi-
que indépendamment des phénomènes de circulation et de réception
des messages; la notion de « mass-media », on le voit, ne peut pas
être précisée en dehors des conditions d'accès, de reconnaissance des
messages (2)_
Une exposition est donc un mass-média. Il faut maintenant cerner sa
spécificité.
Rappelons tout d'abord les trois ordres du sens, dont on peut dire
qu'ils organisent l'univers de la signification (cf. schéma 3 ci-après).
Le linguistique
L'oràre du langage est celui où les relations signifiantes (toujours
complexes et jamais binaires: c'est pourquoi nous ne parlerons pas de
signifiant/signifié) sont de nature conventionnelle. C'est ce registre du
langage que l'on essaye parfois de cerner en disant qu'il s'agit d'un
«code digital ».Nous ne croyons pas, pourtant, qu'une langue soit un
code<3l .
.L'analogique
C'est l'ordre de l'iconisme, où les relations signifiantes sont fondées
sur la ressemblance. Ce registre est celui de la représentation.
Le métonymique
L'ordre métonymique opère par rapports existentiels: voisinage,
partie/tout, envers/revers, contenant/contenu. Ici, les relations signi-
fiantes s'établissent donc par des renvois indiciels. Du point de vue du
sujet, le support du registre métonymique c'est son corps signifiant.
(2) Sur la distinction entre production et reconnaissance, voir Éliséo Véron, Sémiosis de l'idéologie et du
pouvoir, Communications. Paris, Éditions du Seuil, n• 28, 1978.
(3) Cf. à ce propos Eliséo Véron. Pertinence (idéologique) du<< code>>, Degrés. Bruxelles, 1975.
24
SCHÉMA 2
1"~1 E D 1 A" 1
~
1 SUPPORT DE SENS 1
(RENDU ''ll!SPONIRI.E" PAR UN
!HSPOSI f!F TECitNOLOGIQUE)
EX : EX: :
RADIO COURRIER
T.V. TELEPHONE
PRESSE PHOTO MIATEUR
TELETEI. ETC.
PHOTO PRESSE
ETC.
EXPOSITIONS
3 ORilRES DU SENS
25
SCHÉMA 3
26
Ces trois ordres correspondent, aux trois « types » de signes de la
sémiotique de Charles Sanders Peirce; le symbole, l'icàne, l'indice< 4l.
Dans nos sociétés industrielles, tous les médias produisent du sens
par une combinatoire des trois ordres. Dans un média de la presse
écrite, par exemple, on trouvera non seulement le langage et l'image
analogique (la photo de presse, le dessin) mais aussi l'organisation
spatiale donnée par la mise en pages, avec ses pleins et ses creux, ses
emphases qui différencient les titres des textes, ses rapports de
distance et de voisinage, etc. Ce niveau métonymique est donc celui
du contact, et il s'articule par conséquent toujours à la corporéité du
sujet destinataire.
Les médias privilégient l'un ou l'autre de ces registres de sens. Nous
pouvons ainsi caractériser la spécificité du média exposition: c'est un
mass-média dont: l'ordre dominant, celui qui définit sa structure de
base, est l'ordre métonymique: l'exposition se constitue comme un
réseau de renvois dans l'espace, temporalisé par le corps signifiant du
sujet, lors de l'appropriation.
Quelle que soit la façon de l'envisager, la distinction entre le langage
et l'image est nettement effectuée par les différentes théories de la
signification. La distinction entre l'analogique et le métonymique, en
revanche, est souvent mal comprise et parfois ignorée. La photogra-
phie d'un arbre est un signe analogique (ou iconique) qui représente
(par substitution) l'ensemble de son signifié. Le poing levé qui
annonce une intention agressive est ün signe métonymique produit
par exhibition d'un petit fragment du signifié: le signe métonymique
ne ressemble pas à ce à quoi il renvoie, il est construit par prélève-
ment d'une partie de son signifié. D'où la présence. dans tout élément
métonymique (indiciel), d'un lien existentiel. L'ordre métonymique
n'implique donc pas le principe de ressemblance, qui fonde l'univers
de l'analogique; les distinctions avant/arrière, partie/tout, rappro-
chement/éloignement, etc., relations métonymiques typiques, sont
totalement étrangères à la ressemblance : le comportement observé
d'un sujet, qui sans aucun doute signifie. ne ressemble à rien: il opère
par contiguïté, par glissements métonymiques. Considéré du point de
vue des conditions de reconnaissance, l'ordre métonymique a pour
support le corps du sujet récepteur: c'est le corps signifiant du sujet
qui fonctionne comme espace de résonance de tous les indices
métonymiques d'un discours : ces indices définissent le contact du
sujet avec la matérialité spatio-temporelle du discours.
(4) Charles Sanders Peirce. Écrits sur le s(rtne. Paris, Editions du Seuil. 1978. Voir aussi deux numéros
spéciaux de revues consacrés à l'œuvre de Peirce, Langage. n'58. juin 1980 et Sémiocica. vol. 19. n~ 34, 1977.
27
Les notions de « médias » et de « mass-médias )) doivent être distin-
guées de celle de« discours )). Un média, nous l'avons dit, est un lieu,
un support àe sens. Du point de vue sociologique, nous sommes
amenés à parler de types de discours, bien qu'il n'existe pas encore
une bonne typologie des discours sociaux. Un type de discours est
définissable par un ensemble de règles qui représente les contraintes
de sa production, et que l'on peut appeler une grammaire discursive.
« Discours politique », « discours scientifique)>, « discours publici-
taire)),« discours de l'information )>,sont probablement des types de
discours sociaux. Ces types peuvent être rapprochés de la notion
wittgensteinienne de «jeu de langage <S> )>. Le plus souvent, un média
est le iieu de manifestation de plusieurs types de discours-sociaux.
Ceci est vrai de l'exposition comme des autres mass-médias.
(5) Cf. Ludwig Wittgenstein, Investigations philosophiques. Paris, Gallimard, 1961. Voir aussi l'élaboration
de cette notion de «jeux de langage »chez Jean-François Lyotard, La Condilion post-moderne. Paris, Éditions
de Minuit, 1979.
28
Production et reconnaissance :
mise en espace et corps signifiant
Dans Je domaine de la recherche sur les discours sociaux, une
distinction fondamentale est celle entre la production et la reconnais-
sance.
L'analyse des discours s'exerce sur un ensemble discursif donné, sur
un ensemble de « surfaces discursives » (quels que soient les critères
qui ont pu fonder la sélection de cet ensemble). Un ensemble
discursif peut être abordé de deux points de vue différents; soit on
décrit ses propriétés afin de reconstituer les contraintes de son
engendrement, soit on décrit ses propriétés pour rendre compte des
« lectures » (des « effets de sens ») qu'il produit. Dans le premier cas,
on est dans l'ordre de la production, dans le second, dans l'ordre de
la reconnaissance. L'ensemble d'opérations discursives qui consti-
tuent les règles d'engendrement d'un discours ou d'un type de
discours donné peut être appelé une grammaire de production.
L'ensemble d'opérations qui décrivent les « lectures » est une gram-
maire de reconnaissance.
A partir d'un ensemble discursif donné, il est donc toujours possible
(au moins en principe) de le mettre en rapport d'un côté avec ses
conditions de production, et de l'autre avec ses conditions de recon-
naissance. Production et reconnaissance sont toujours les deux
« pôles conceptuels » qui encadrent toute analyse de discours. Les
« grammaires de production » et les « grammaires de reconnais-
sance »,sont, bien entendu, des « systèmes d'objets abstraits )), pour
reprendre une formule de Chomsky, c'est-à-dire, des modèles
construits pour rendre compte du fonctionnement social des discours.
Or, un tel schéma n'est pas symétrique. Plusieurs raisons justifient ce
manque de symétrie.
Tout d'abord, pour un ensemble discursif donné, il est toujours
possible (au moins en principe) de reconstituer la grammaire de
production, celle-ci renvoyant à son tour à un ensemble de condi-
tions. Pour tout ensemble discursif« bien formé >) <6l, nous postulons
donc une grammaire de production. Ceci n'est pas valable en recon-
naissance: un ensemble discursif donné est toujours susceptible de
recevoir plusieurs «lectures )) (comme d'ailleurs tout objet signi-
fiant). Par conséquent, nous avons affaire, du côté de la production,
à une grammaire, et du côté de la reconnaissance à ce que nous
pouvons appeler une famille de grammaires. Cette « famille )) repré-
sente le champ d'effet de sens d'un ensemble de discours.
(6) « Bien formé>>: cette expression évoque les problèmes des critères de choix de textes dans la constitution
d'un corpus, problème que nous n'aborderons pas ici.
29
II s'ensuit que la relation entre la production et la reconnaissance
d'un ensemble discursif donné n'est ni linéaire, ni mécanique: de la
grammaire de production d'un discours on ne peut pas déduire directe-
ment ses « effets ». II y a toujours un décalage entre ces deux
«pôles», ne serait-ce que du fait qu'à partir d'une grammaire de
production, on peut produire un discours qui sera soumis à une
pluralité de lectures. Ce décalage entre production et reconnaissance
nous paraît constitutif de la nature même des discours sociaux, il
détermine leur épaisseur sociale et historique. Ce décalage, nous
pouvons le considérer comme l'ordre de la circulation des discours
sociaux.
Une autre conséquence de cette distinction est qu'un discours ou
ensemble de discours ne peut pas être analysé « en soi » : nous
reprochons donc à la sémiotique classique sa prétention de pratiquer
une analyse « immanente » des objets signifiants, lui permettant de
repérer on ne sait quelle structure qui y serait « cachée ». Or, parmi
les conditions de production d'un discours il y a toujours d'autres
discours, et comme la reconnaissance d'un discours ne peut être
étudiée que sur d'autres discours où se manifestent les « effets » du
premier, il s'ensuit que toute analyse de discours est nécessairement
interdiscursive.
L'exposition comme objet d'étude constitue un domaine tout à fait
nouveau : il serait donc abusif de parler, dans ce cas, de grammaire
de production, car la notion de grammaire désigne, stricto sensu, un
ensemble de règles définissant une classe de discours. Les concep-
teurs et les organisateurs d'expositions appliquent, dans leur prati-
que. toute une série d'hypothèses, d'une part sur les caractéristiques
fondamentales de l'exposition comme média, et d'autre part sur les
règles permettant de construire, dans ce support, différents types de
discours (didactique, littéraire, esthétique, historique, etc.). Tout ceci
constitue un savoir intuitif, implicite, incarné dans une pratique
complexe et qui commence à peine à être étudié.
De ce point de vue, cette recherche est une « étude de cas ». Et
pourtant, à propos d'un ensemble discursif singulier, celui de l'expo-
sition qui a été ici notre objet, nous avons voulu proposer les grandes
lignes d'une stratégie conceptuelle et méthodologique pour aborder
ce média et les discours qu'il peut prendre en charge.
Le schéma 4 (cf. ci-après) représente d'une façon sommaire l'essentiel
de notre démarche initiale. II s'agissait précisément de comprendre
l'articulation (complexe) entre la production et la reconnaissànce.
30
Nous avions affaire à une exposition «à thème». Du point de vue
de la production, il fallait donc d'abord repérer les domaines séman-
tiques impliqués dans la conception de l'objet, et ensuite la manière
dont ces domaines sémantiques avaient été projetés dans un espace
organise. Ceci impliquait d'analyser à la fois la « logique » concep-
tuelle qui avait présidé à la mise en forme du thème, et les propriétés
des espaces sur lesquels l'étalement du thème avait été effectué. Cette
analyse devait précisément tenir compte des trois ordres du sens dont
nous avons parlé. L'exposition peut être considérée comme une
figuration complexe d'unités d'étalement, composées soit de texte,
soit d'images, soit d'une combinaison des deux, soit, enfin d'objets.
La mise en espace de ces unités (l'étalement), définit un réseau de
parcours possibles, qui est le support métonymique fondamental de
l'exposition: envers/revers, visible/caché, droite/gauche, haut/bas,
proche/lointain.
Du point de vue de la reconnaissance, le sujet visiteur procédera par
dé-composition et re-composition de ce réseau d'étalement: il va,
pourrait-on dire, se frayer son chemin. Il nous fallait donc observer
les comportements de visite.
Mais, sur quelles bases réaliser ces observations ? Et surtout: com-
ment éviter de tomber dans un descriptivisme béhavioriste, qui aurait
consisté à compter combien de secondes le sujet s'arrêtait devant tel
ou tel panneau, quels panneaux il avait lu ou non, quels secteurs
avait-il omis dans sa visite ?
Notre pari conceptuel a été de postuler que le comportement de visite
exprime le décalage entre la production et la reconnaissance, qu'il doit
être considéré comme la résultante d'une négociation qui ne peut se
comprendre que comme l'articulation (complexe) entre les propriétés
du discours proposé et les stratégies d'appropriation du sujet.
La nature de cette négociation (son enjeu) dépend bien entendu des
conditions de production et de reconnaissance dans une situation
donnée: elle est déterminée surtout par le type (ou les types) de
discours qui ont été mis en œuvre dans l'exposition. Dans le cas qui
nous occupe, nous avons cru comprendre que l'enjeu de cette
négociation était le rapport à la culture, au savoir, du sujet visiteur.
Était-il possible de considérer le corps signifiant du visiteur se
frayant un chemin à travers l'espace proposé, comme étant porteur
des marques d'un rapport à la culture, ou plutôt, comme étant
l'opérateur d'une négociation concernant le savoir?
Mais si, comme nous l'avons déjà dit, exposer c'est proposer, alors,
dans l'étalement constituant la structure de l'exposition du point de
vue de sa production, devait se trouver, quelque part, le fantasme d'un
corps culturel faisant la « bonne visite»: concevoir une exposition sur
32
un thème, étaler ce dernier dans l'espace selon une certaine « logi-
que », ne pouvait pas, en même temps, ne pas définir la meilleure
façon de la visiter.
Mais alors, il devenait possible d'imaginer ce décalage entre produc-
tion et reconnaissance, cette négociation entre concepteur et visiteur
à propos de la culture, comme une sorte de jeu de discours à la fois
implicite et fragile, entre deux fantasmes : le « bon corps visiteur »
inscrit dans la structure de l'objet, et le« corps d'appropriation» mis
à l'œuvre par le visiteur et guidé par la stratégie découlant du rapport
du sujet à la culture.
33
Les étapes
Notre méthodologie a découlé des présupposés conceptuels que nous
venons d'évoquer dans les chapitres précédents.
Rappelons ici rapidement les grandes étapes de notre recherche, dont
les principes et les contenus ont été présentés en détail dans l'intro-
duction.
Nous avons écarté d'entrée de jeu la réalisation d'une enquête
quantitative auprès des visiteurs. Il est clair que cette méthode
d'enquête n'est pas capable de cerner le lien entre le concepteur,
l'objet produit (l'exposition) et l'appropriation de ce dernier par le
visiteur, lien qui est au centre de notre étude.
Il nous fallait donc étudier d'abord l'exposition même, réaliser
ensuite des observations du comportement des visiteurs sur les lieux,
et seulement comme troisième étape recueillir le discours des visi-
teurs sur leur visite.
34
De cette observation s'est dégagée une typologie de comportements
de visite.
35
Deuxième partie
Le thème dans 1' espace
40
ques, économiques des départs en vacances et des non-départs en
vacances ».
41
Une deuxième opposition principale (plus implicite que celle entre
l'histoire et l'actualité) se dégage ainsi: celle entre la mise en avant
d'un fait esthétique (la photo d'art et son histoire, à travers ses
« grands noms »)et la volonté de présenter une« réflexion sur un fait
de société », les vacances. L'articulation entre ces deux composantes
du projet reste ambiguë.
42
La mise en espace :
la structure d'ensemble
Faisons d'abord une description générale de l'exposition. Elle a été
ouverte au public du 22 juin au 4 octobre 1982, et montée dans
l'espace régulièrement réservé par la Bibliothèque publique d'infor-
mation à ses expositions au deuxième étage du Centre Georges
Pompidou. Cet espace mesure approximativement 150m2 , il est donc
relativement réduit comme lieu d'expositions.
La figure l montre sa structure générale. L'espace est fragmenté en
deux grandes parties: un couloir (à gauche) et un espace plus grand
et plus ouvert (à droite). L'ensemble pouvait être observé de loin, en
entrant dans la bibliothèque, aussi bien que d'en haut, en descendant
de l'étage supérieur par l'escalier roulant.
La principale approche des lieux était celle marquée par la flèche (A).
En arrivant ainsi, on se trouvait avec deux entrées possibles : vers le
couloir (B) ou vers l'espace de droite (C) (Croquis l ). Cette dernière
apparaissait comme entrée principale par ses dimensions, plus
grandes, et par les deux vitrines qui· la flanquaient (D) et (E). Ces
vitrines contenaient des mannequins habillés de vêtements de vacan-
ces de différentes époques. Une troisième vitrine triangulaire était
située vers la fin du couloir (F) et une vitrine basse, contenant des
objets et des brochures et documents divers de voyage était située à
droite, sur le inur du fond (G). Au milieu du grand espace à droite
il y avait un« kiosque » (H) (croquis 2) construit comme un polyèdre
à dix côtés. Par des fenêtres vitrées ouvertes sur sept de ses faces, on
montrait, par rétroprojection, des séries de diapositives. Les trois
côtés restant exhibaient des panneaux de statistiques. Le toit du
kiosque était une sculpture peinte évoquant les vacances à la mer (des
vagues, un pédalo). Mis à part le kiosque et les quatre vitrines, tous
les autres éléments de l'exposition étaient des unités signifiantes
bi-dimensionnelles :des panneaux avec des photographies, des textes
et autres documents.
Une vue d'ensemble du plan de la figure 1 fait immédiatement
ressortir une propriété importante : les deux secteurs offerts au
visiteur étaient, du point de vue spatial, très différents : à gauche, un
couloir dont on voyait le bout depuis l'entrée et qui induisait
un parcours de pénétration linéaire et progressive; à droite un espace
plus grand, relativement rectangulaire mais dominé par le kiosque
43
Croquis 1 - Vue générale de l'exposition
45
qui, occupant le milieu, risquait d'induire un comportement « circu-
laire » (tourner autour d'un obstacle).
Regardons maintenant comment les parties de l'exposition ont été
« projetées » sur cet espace. C'est ce que montre la figure 2. On
constate immédiatement que les deux premières périodes de l'histoire
(zone A et B) se déploient séquentiellement au long du couloir. Le
passage, au fond du couloir, vers l'espace de droite, correspond donc
à l'entrée dans l'époque 1946-1982 (zone C), c'est-à-dire, l'époque
actuelle. Autrement dit, le grand espace « circulaire >> à droite est à
la fois la dernière période de la première partie de l'exposition
(historique) et sa deuxième partie (les vacances, aujourd'hui).
Le grand espace de droite, on le voit, matérialise cette ambiguïté entre
la notion « d'époque actuelle>> comme dernière période de la chronolo-
gie, et la notion de « l'actualité » des vacances en dehors de l'histoire,
ambiguïté que nous avons repérée déjà dans le projet. En fait, la suite
de la chronologie commencée dans le couloir se situe, dans l'espace
de droite, sur les murs: ce sont toujours des images en noir et blanc,
dont les auteurs sont des « grands noms » de l'histoire de la photo-
graphie, tandis que c'est le kiosque qui veut représenter « l'actua-
lité » en· dehors de l'histoire: le kiosque présente des images en
couleurs, des diapositives qui, à la différence des photographies
signées qui s'étalent sur les panneaux, n'ont aucune «identité»
esthétique.
L'ensemble des panneaux de textes s'inscrit dans l'univers du dis-
cours scientifique: le panneau qui présente l'exposition, identifie
l'auteur des commentaires comme étant un géographe au CNRS. Les
trois panneaux introductifs des périodes historiques sont, en effet,
signés par le spécialiste en question. A l'intérieur de chaque période
il y a des panneaux de textes qui ne sont pas signés mais aucun
élément ne semble indiquer qu'ils pourraient avoir un autre énoncia-
teur que celui qui a été ainsi identifié. D'autres noms propres
apparaissent dans les pannèaux entourant le kiosque, comme auteurs
de citations concernant les vacances. Ces panneaux, présentant des
statistiques sur les vacances, s'inscrivent aussi dans l'univers des
sciences sociales.
Signalons qu'une peinture murale évoquant les vacances occupe le
mur du fond de l'exposition, et qu'une bande-son diffusée depuis le
toit du kiosque fait entendre des « bruits de vacances » (des vagues,
du vent, des chants d'oiseaux, etc.}.
Ce premier aperçu de l'ensemble permet déjà de soulever un certain
nombre de problèmes.
46
FIGURE 2
.
...······
..···
..:..........
"ACTUALITE"
. ·. 8 -·--,1
··.
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v
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1
1
1
1
47
L'exposition est organisée en deux espaces dont les propriétés sont
très différentes. Le couloir à gauche invite à un parcours linéaire et
progressif, avec des éléments régulièrement étalés à gauche et à droite
du parcours. L'espace à droite, plus ou moins rectangulaire, implique
déjà deux parcours possibles pour l'observation des murs: soit dans
le sens des aiguilles d'une montre, soit dans le sens inverse. La
présence dominante du kiosque qui, vu de n'importe quel point,
cache une partie des murs, peut induire un comportement « circu-
laire ». Cet espace est probablement vécu soit comme une sorte de
couloir circulaire (dont la paroi « interne » serait définie par le
kiosque lui-même) soit comme une grande salle plus ou moins
rectangulaire, avec un kiosque au milieu.
Dans le premier cas, et quel que soit le sens du parcours, on aura
toujours d'un côté le matériel historique, marqué comme « photo
d'art », et de l'autre l'actualité, signifiée par les diapositives; c'est-
à-dire, d'un côté et de l'autre de ce « couloir» circulaire, deux
matières très hétérogènes. Dans le deuxième cas, la « salle » pourra
apparaître comme lieu d'exhibition de la dernière période historique
(sur les panneaux), et le kiosque perçu comme lieu de manifestation
de l'actualité.
Remarque : cette alternative dans la perception de la grande salle de
droite (comme une sorte de couloir « anneau» ou bien comme une
salle rectangulaire ayant le kiosque au milieu) rappelle les alternan-
ces, bien connues, de figure/fond dans la psychologie de la percep-
tion. Il nous paraît certain que ce type de phénomène joue un rôle
dans la perception des espaces architecturaux en général, et dans la
perception des espaces qui, comme celui d'une exposition, sont des
support de sens (des « médias » ), en particulier. Rôle important, car
selon la perception, le comportement induit par l'espace sera diffé-
rent.
Comme on l'a déjà signalé, à cette différence radical entre les deux
espaces proposés ne correspond pas une différence dans la « logi-
que » de l'étalement des éléments signifiants: la chronologie de
l'histoire des vacances commence dans le couloir et elle se poursuit
dans la grande salle de droite qui, en outre, présente l'actualité sur le
kiosque. Le passage d'un espace à l'autre doit donc produire une
« rupture » dans le vécu de cette « logique » de la chronologie.
Le choix de l'entrée (vers le couloir ou vers la salle de droite)
déterminera deux conditions de visite très différentes : le visiteur qui
choisit la dernière, se trouvera dans un espace où l'articulation entre
l'histoire et l'actualité n'est pas claire, et en plus il prendra la
chronologie « à rebours ». Le visiteur qui choisit le couloir se trou-
vera d'abord dans un univers historique bien ordonné, et ensuite, en
passant à la salle de droite, fera face à une« logique » complètement
48
différente: en outre, en abordant la dernière période à la sortie àu
bout du couloir, il ne trouvera pas de panneau introductif, celui-ci
étant situé à l'autre bout de la salle du kiosque, à droite de l'entrée
(figure 2).
Le problème de savoir quelle est l'articulation possible entre les
textes et les images reste posé : ces matières signifiantes se présentent
avec deux statuts très différents. Les textes apparaissent comme
énoncés dans le cadre du savoir « sociologique » et trouvent leur
caution dans la légitimité d'un énonciateur de science. Les images, (à
l'exception des diapositives du kiosque), renvoient à l'ordre de
l'esthétique, par le biais d'une proposition concernant l'histoire de la
photographie d'art.
Il ne faut pas oublier, enfin, que le thème de l'exposition relève a
priori du vécu quotidien des visiteurs: les vacances. Ce vécu, n'est-il
pas mis à distance à la fois par la nature « artistique » des images
montrées, et par le caractère « scientifique » du discours tenu ? Et ces
images en couleur du kiosque, auxquelles le vécu quotidien pourra
plus facilement s'accrocher car elles montrent des sites et des scènes
« courantes » des vacances actuelles, ne deviennent-elles pas, alors,
les couleurs de la banalité ?
49
La mise en espace :
le « bon corps du visiteur »
Il est évident que, dans un espace donné d'exposition, tous les points
possibles ne sont pas également intéressants. Une manière de carac-
tériser les propriétés d'une structuration déterminée de l'espace,
consiste donc à repérer les points qui sont décisifs pour définir une
stratégie de visite, et partant, pour différencier des stratégies différen-
tes. Ces points, nous les avons appelés les« nœuds décisionnels ». Un
nœud décisionnel est donc un point défini par le faisceau de directions
possibles à suivre par un sujet arrivé à ce point. Et une exposition peut
être représentée sous la forme d'une configuration de nœuds déci-
sionnels.
50
Ces éléments, nous les désignerons comme les unités d'étalement du
média exposition. Chaque direction de sortie d'un nœud est tracée
soit par rapport à une unité d'étalement visible depuis le nœud, soit
par rapport à des éléments que l'on pourrait désigner comme des
« ponctuations » de 1' espace (entrées et sorties des salles, couloirs de
transition d'un espace à un autre, etc.).
Une visite n'implique pas nécessairement le parcours de tous les
nœuds décisionnels composant une exposition. Il y aura des visites
plus ou moins « complètes », selon le nombre de nœuds parcourus.
Mais à cette étape de l'étude, nous avons postulé que toute visite
pouvait être définie, de ce point de vue, comme une succession de
choix effectués dans un certain nombre de nœuds décisionnels, cette
succession de choix représentant la stratégie du visiteur et donc la
nature de sa « négociation » vis-à-vis du média.
La figure 3 montre le nœud qui déterminait la décision d'entrée. Un
sujet situé dans le point (A) avait, simultanément dans son champ de
vision, six appels extrêmement forts.
FIGURE 3
51
Dans l'exposition, il y avait quatre photos de grandes dimensions
(160 x 120 cm). toutes les autres étant plus petites (40 x 50 cm). Trois
de ces quatre grandes photos étaient visibles depuis le point (A)
(directions l, 2 et 5). De ce même point on voyait aussi les deux
vitrines avec des mannequins (àirections 3 et 6) et enfin. le kiosque
(direction 4). Bien entendu, les directions l et 2 amenaient le sujet à
parcourir d'abord le couloir, tandis que les quatre autres l'amenaient
à commencer plutôt par la grande salle. Étant donné les différences
emre ces deux espaces, il est clair que le choix effectué par le sujet
au point (A) était décisif pour la détermination du type de visite qui
devait s'ensuivre.
Remarque : dans chaque cas, nous représentons conventionnelle-
ment comme « direction zéro » d'un nœud, celle qui implique que le
sujet revient sur ses pas (sans faire d'hypothèse sur la probabilité de
cette direction). Dans le seul cas du nœud (A), cette direction zéro
impliquait que le sujet décidait de ne pas visiter l'exposition. En
même temps, cette convention permet d'indiquer la vectorisation du
nœud.
La figure 4 montre les principales directions de nœuds décisionnels
pour un visiteur qui aurait commencé sa visite par le couloir. Le
nœud (B) est important dans la mesure où il contient une direction (6)
qui peut indiquer, si elle est choisie, une rupture de stratégie : le sujet
ayant choisi, pour commencer la visite, le couloir, décide de ne pas
aller jusqu'au bout de ce dernier et, en abandonnant la chronologie,
passe à la salle par l'ouverture qui lui est offerte à sa droite. Les cinq
autres directions indiquées dans ce nœud sont relativement homogè-
nes : elles impliquent la poursuite de la visite chronologique.
Le point (C) nous est apparu, dans cette analyse, comme l'un des
points cruciaux de l'exposition. Tout d'abord, le sujet arrivant à ce
point après avoir visité le couloir, se trouve en face d'un espace
radicalement différent de celui qu'il vient de parcourir. Deuxième-
ment, le kiosque lui cache une grande partie de ce qui est exposé dans
cet espace nouveau. Il devra choisir soit de poursuivre l'examen des
photographies, celles-ci se présentant maintenant à sa droite (direc-
tion 5), soit d'aller vers le mur éloigné du fond où il y a aussi des
photos (direction 2), soit d'aller vers des unités d'un nouvel ordre, la
vitrine basse ou le kiosque (directions l et 3), soit enfin, en adoptant
un comportement de « fuite », d'aller vers la sortie qu'il aperçoit
(direction 4). A l'exception de la direction 5, par conséquent, les
quatre autres directions contenues dans ce nœud impliquent un
changement de la stratégie de visite adoptée pendant le parcours du
couloir. On peut facilement déduire que ce même point (C), vectorisé
en sens inverse (c'est-à-dire, pour le visiteur qui prend le couloir en
ayant d'abord visité la salle), aura des propriétés très différentes.
52
FIGURE 4
53
FIGURE 5
FIGURE 6
54
FIGURE 7
55
de visite pour un sujet ayant choisi l'entrée de la salle du kiosque),
la différence entre les choix 3, 4 et 7 ne suffit pas à distinguer des
stratégies de visite différentes.
Bien que ia description de !"exposition comme une configuration de
nœuds soit tentante (car il n'est pas difficile d'envisager sa mathéma-
tisation) elle ne nous a paru utile que comme un premier repérage des
propriétés de la mise en espace. L'essentiel est de comprendre que la
probabilité pour qu'une direction donnée, dans un nœud donné. soit
choisie par un sujet, varie selon la stratégie de visite de ce dernier. Par
conséquent, les nœuds peuvent être considérés comme une façon
d'appréhender certaines propriétés de l'étalement spatial des élé-
ments de l'exposition: leur rôle est de définir un faisceau de choix
possibles, mais la configuration des nœuds ne suffit pas à expliquer
les comportements des sujets. Pour rendre compte de ces comporte-
ments, il faut faire intervenir les stratégies de visite. Parler de
stratégies revient à souligner que deux visiteurs qui déploient deux
stratégies différentes, vont valoriser différement, en arrivant au même
nœud, les directions qui leur sont proposées.
Deux autres limitations d'une représentation en termes de nœuds
sont à souligner. La première découle du fait que les cheminements
possibles à partir d'un point donné sont évidemment affectés par la
quantité de personnes qui se trouvent dans les lieux : une direction
peut exister dans le champ perceptuel du sujet, mais lui apparaître
bloquée par d'autres visiteurs (cela a été souvent le cas en ce qui
concerne les écrans du kiosque, lorsque des groupes de visiteurs se
formaient devant eux). Par conséquent, l'« état» de chaque nœud est
en changement perpétuel en fonction des changements dans la
densité des visiteurs présents. Dans nos observations, nous n'avons
pas tenu compte de ce facteur de densité. D'une part parce qu'il
aurait exigé une approche quantitative, et non pas qualitative, de
notre objet. D'autre part, parce que nous avons constaté que les
différentes statrégies déployées par les sujets s'adaptaient aux
« flux » des visiteurs sans changer pour autant de nature.
La deuxième limitation, nous l'avons constatée au cours de nos
observations des comportements des visiteurs : l'une des stratégies
repérées n'est pas représentable par le modèle des nœuds. Nous y
reviendrons. Disons pour le moment que le concept de « nœuds » a
été construit sur l'idée d'un cheminement vers les unités signifiantes,
d'une approche plus ou moins frontale des éléments exposés. Or,
nous avons constaté qu'il y avait au moins une stratégie de visite qui
était, si l'on peut dire, tangentielle ou latérale. Ce qui nous a permis
de comprendre que dans notre analyse a priori de l'exposition, nous
n'avions pas correctement abordé le problème de la distance entre le
56
corps du sujet et J'objet culturel. Distance de contrôle de l'objet qui
s'est avérée très imponante.
Cette analyse a priori nous a pennis, ~!'. t0!!S cas, de tracc1 ic portrait
du « bon corps visiteur».
Le «bon corps visiteur» est celui qui s'abandonne d'abord à la
linéarité de la logique historique d'un phénomène social : cette
histoire est progressive, intelligible, structurale, pourrait-on dire. Les
panneaux de texte (figure 8) lui racontent, à chaque étape, les aspects
essentiels: « la naissance des vacances », « trains et voyages »,
« colonies de vacances », « associations et sports », << stations bal-
néaires et thermales »,«les premiers congés payés»,« Léo Lagrange
et la politique des loisirs du Front populaire», etc.
Dans les panneaux de la première période, les caractères gras dans
le texte (marque de l'énonciateur qui indique ce qu'il considère le
plus important) soulignent des éléments conceptuels:« la rapidité du
nouveau moyen de transport permet d'envisager des déplacements
plus fréquents »; « trains de plaisir», «trains de luxe », « une vie
saine au grand air», «stations climatisées )>, «rendez-vous mon-
dains ». (Par la suite, le critère de soulignage se modifie: on met en
caractère gras les noms propres et les noms d'institutions. Comme si,
en se rapprochant du temps présent, il était plus difficile pour
l'énonciateur d'orienter le visiteur en termes d'un jugement sur le
sens de l'histoire).
Cette histoire est en même temps esthétisée: si l'intelligible, donné
par le langage, est sévèrement sociologique, le visible, travaillé par
l'œil des grands photographes, est beau à regarder.
Deux registres parallèles, donc, dans cette histoire dont le couloir
comme type d'espace souligne la linéarité progressive (car que
peut-on faire d'autre, dans un couloir, sinon avancer?): le « bon
corps visiteur » est celui qui utilise simultanément ses deux cer-
veaux: il sociologise son hémisphère gauche, tandis qu'il apprécie la
sensibilité de l'image bien construite avec son hémisphère droit !IJ.
Mais à un moment donné cette linéarité s'arrête: l'après-guerre c'est
déjà notre époque. Le« bon corps visiteur» est celui qui sait s'éclater
dans la multiplicité d'appels simultanés de J'actualité.
Or, malgré la confusion qui la caractérise, cette époque qui est la
nôtre permet encore le plaisir esthétique: même si l'on peut tourner
autour de la banalité quotidienne offerte par les images du kiosque,
dans la salle on est encore entouré de belles photos.
{l) Nous nous sommes permis ainsi de faire allusion, d'une façon quelque peu ironique. au savoir biologique
concernant la <<spécialisation >> des hémisphères cérébraux tel qu'il a été repris par la << philosophie »
mac-Juhaniennc.
57
23 24
58
Troisième partie
Ethnographie d'une exposition
Bestiaire illustré
61
Nous avions voulu aller le plus loin possible dans nos observations
avant d'interroger les sujets : notre typologie était une typologie de
types de parcours, et nous ne savions rien sur ces personnes. Les
critères de classement étaient donc totalement extérieut:S : les modes
de« traversée» de l'espace, la distance gardée par le visiteur vis-à-vis
des panneaux, l'ordre de visite, les variations (ou manque de varia-
tion) dans le comportement du sujet dans les espaces différents.
Chaque configuration paraissait avoir une « logique » propre, mais
nous ne savions pas si les sujets appartenant au même « type »
avaient quelque chose en commun, mis à part le fait qu'ils avaient
effectué le même type de parcours.
Nous avons alors décidé de désigner nos types par des noms d'ani-
maux que l'on pouvait intuitivement associer à chaque type de
configuration. Nous avons ainsi voulu marquer le fait que la typolo-
gie de visites dans cette étape, avait été construite par le moyen de
données purement comportementales, bien que ces comportements
observés concernaient un objet dont nous connaissions déjà les
propriétés signifiantes. Bien entendu, ces noms contenaient auto-
matiquement des connotations de stratégie: en les nommant ainsi,
nous mettions déjà du sens dans chacun de nos types. Car observer un
comportement (même celui; précisément, d'un animal) c'est lui
attribuer un sens, déceler une intention, percevoir une logique : la
perception la plus fugace d'une conduite est imbibée de significa-
tions. Si nous avons construit une sorte de bestiaire provisoire, ce
n'était donc pas pour feindre d'avoir fait des observations dépour-
vues d'hypothèses sur le sens des conduites : il fallait, bien au
contraire, « laisser fonctionner » ce niveau primaire, fondamental de
la perception du comportement des êtres vivants qui nous les montre
comme des êtres intentionnels, poursuivant un but, développant une
« logique », « négociant » avec leur environnement. Niveau qui est
la plus simple et la plus radicale réfutation des prétentions béhavio-
ristes. Et il s'agissait de voir, par la suite, si ce sens perçu par nous
et matérialisé dans un parcours dessiné sur le plan, correspondait, par
ailleurs, à quelque chose.
Nous avons identifié quatre espèces de visite:
les fourmis, ou la visite proximale.
Les papillons, ou la visite pendulaire.
Les poissons, ou la visite glissement.
Les sauterelles, ou la visite « punctum ».
Chacune de ces espèces peut être caractérisée par une série de
propriétés qui définissent un mode de visite.
62
La fourmi:
- Elle se situe à une distance réduite (par comparaison aux autres
types) des panneaux devant lesquels elle s'arrête. C'est pourquoi nous
avons appelé la visite fourmi une visite proximale.
- Toujours comparativement, le temps de visite est le plus long:
environ vingt minutes.
- La visite comporte un maximum d'arrêts (une vingtaine en
moyenne).
- La fourmi évite, dans la mesure du possible, de traverser des
espaces vides même réduits: elle progresse, autant que possible, le
long d'un même « mur».
- La fourmi applique la même stratégie dans les deux espaces (le
couloir et la salle de droite). C'est-à-dire (toujours comparativement)
que son comportement ne change pas sensiblement lorsqu'elle passe
d'un espace à l'autre.
- La fourmi suit l'ordre chronologique proposé par l'exposi-
tion - au moins tant que l'étalement de celle-ci le permet.
lW
A
• 21 ~
21 ~
FIGURE 9 li
21 n
A Arret
R Regerd
63
Le papillon :
- Il effectue une visite « en zig-zag», avec un mouvement d'alter-
nance: gauche-droite-gauche-droite. C'est pourquoi nous parlons de
visite pendulaire: avant observé un panneau à sa gauche, le papillon va
voir ensuite ce qu'il y a « en face », à sa droite.
- Le temps de visite peut être qualifié de « semi-long >>: environ
quinze minutes.
- La visite comporte une quinzaine d'arrêts en moyenne.
- Comme la fourmi, le papillon semble éviter les grandes traversées
d'espaces vides.
- Dans le passage d'un espace à l'autre, il y a des changements de
comportements qui est plus sensible que chez la fourmi.
- Comme la fourmi, le papillon suit l'ordre chronologique de l'expo-
sition (et l'on peut dire même que son mouvement alternatif gauche-
droite lui permet de suivre la chronologie plus exhaustivement que la
fourmi).
,_
y.
li l)
li u u
• ,
21
FIGURE 10
l"~"'
\ :p.
64
Le poisson:
- Le poisson se caractérise par une trajectoire « entre deux eaux )) :
s'il a un mur à droite, il progressera à peu près au milieu. C'est
pourQuoi nous avons Hppelé sa visite de glissement.
- Le temps de la visite est court: cinq à dix minutes.
- Les arrêts sont rares: le poisson procède plutôt par ralentisse-
ments, qui lui permettent de regarder « de loin ». C'est pourquoi sa
visite est une sorte de passage.
- Il ne semble aucunement gêné en traversant des grands espaces
vides.
- Sa trajectoire apparaît le plus souvent comme une «boucle »,
comme animée d'un mouvement circulaire.
- S'il visite les deux espaces proposés, son comportement ne change
pas.
- Il est parfaitement indifférent à l'ordre chronologique proposé par
l'exposition.
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A
li
12
. lt
lt
1 •
1 :10
'f 21 n 24
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22
27 26
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FIGURE ll
\
~ Parcours observé d'un poisson
A: Arret
Des reaards tout
au lons de la
trajectoire
65
La sauterelle :
- La sauterelle progresse par « bonds ». On dirait que, ayant aperçu
au loin quelque chose qui 1'intéresse, elle s'y dirige sans hésitation.
C'est pourquoi nous avons appelé cette visite la visite « punctum »,la
visite dynamisée, à chaque moment, par l'attirance d'un élément
ponctuel (1>.
- Le temps de visite est court : environ cinq minutes.
- Les arrêts ne sont pas nombreux : cinq ou six en moyenne.
- La sauterelle traverse, insouciante, les espaces vides.
- Elle est, comme le poisson, i.ndifférente à l'ordre chronologique
proposé.
- Si la sauterelle visite les deux espaces, son comportement ne
change pas en passant de l'un à l'autre.
16 Il
JI
Zl 14
JI ll
11 a
lt
li
li
FIGURE 12
1. Arret
R Reaard
(1) Cette notion de« punctum >>,nous l'avons prise à Ro!and Barthes, La Chambre claire, P~ris, Gallimard.
1980.
66
Bien entendu, comme nous l'avons déjà souligné, ces noms conno-
tent.
Les visites fourmi et papillon semblent des visites « ordonnées »
appliquées, pourrait-on dire, marquées par une acceptation de la
logique de l'exposition. La fourmi «s'accroche» aux murs; elle
semble avoir peur du vide.
La visite poisson est sans doute une visite rapide; on dirait que le
poisson cherche une « vue d'ensemble », sans répondre à tel ou tel
appel particulier : il << garde ses distances » vis-à-vis des surfaces
signifiantes qui lui sont proposées.
On imagine aisément que la sauterelle fait une visite comparative-
ment plus « libre » que les autres, réagissant ici et là à des appels
forts, suivant les impulsions de son désir, éveillé par des éléments
éparpillés dans l'espace de l'exposition, indifférente à la structure qui
organise cette dernière.
A noter que ce sont les poissons qui résistent à une représentation de
l'espace en terme de « nœuds décisionnels » »leur stratégie n'est pas
déterminée par une approche vers une unité d'étalement donnée. Le
poisson a, au contraire, une sorte de stratégie de latérisation à l'égard
de ce qui est exposé : il ne va pas vers, il passe devant.
67
Du parcours au discours :
les entretiens
Ayant identifié quatre types de visiteurs, nous avons ensuite réalisé
vingt-cinq entretiens semi-directifs d'une durée moyenne d'une
heure.
Les sujets ont été choisis en fonction du type de visite qu'ils avaient
effectué: ils étaient abordés à la sortie de l'exposition qu'ils venaient
de visiter. L'identification des sujets avait lieu pendant les périodes
où la vidéo était en train d'enregistrer les images de l'espace de
l'exposition, afm de nous assurer qu'au moins une partie de la visite
de la personne choisie avait été enregistrée. Le parcours de chaque
sujet était identifié par l'enquêtrice chargée de mener l'interview: elle
suivait chaque « candidat » pendant la visite, et marquait sa trajec-
toire sur le plan de l'exposition.
L'entretien était organisé en trois grandes parties (cf. guide d'entre-
tien en annexes).
68
- Inventaire de !"exposition
On demandait au sujet de décrire ce qu'il avait vu dans l'expo-
sition.
- Le titre et l'affiche
On interrogeait le sujet à propos du titre de l'exposition: s'ille
trouvait peu adéquat au contenu de l'exposition, quel autre titre
aurait-il utilisé pour la nommer. On demandait ensuite l'opinion
du sujet sur l'affiche de l'exposition.
A la fin de cette première partie, on demandait au sujet de faire un
dessin de l'exposition.
69
celle d'autres visiteurs, n'a pas produit l'effet stimulateur que nous
escomptions a priori. Quelles que soient les raisons, nous avons
constaté une variété de réactions plus ou moins intéressantes,. mais
qui ne nous ont pas fourni des éléments additionnels par rapport aux
données recueillies par ailleurs en cours d'interview. Nous pouvons
supposer qu'il s'agit d'un résultat dû à la banalisation de plus en plus
grande de l'image vidéo, mais nous n'avons pas les moyens de vérifier
ici une telle hypothèse.
L'ensemble des entretiens comporte:
7 visites « fourmi »
6 visites « poisson >>
4 visites « papillon »
4 visites « sauterelle >>
4 visites « mixtes >>
Les sujets qui ont effectué le même type de visite ont-ils entre eux
quelque chose d'autre en commun ?
Dans ce qui suit, nous présentons les résultats de l'analyse du
discours que les sujets ont produit en situation d'interview. Bien
entendu, cette analyse n'est pas, ne peut pas être exhaustive: aucune
analyse de corpus, en fait, ne l'est. Il s'agissait d'effectuer une analyse
comparative: déterminer d'une part s'il y avait quelque chose en
commun aux sujets ayant réalisé le même type de visite, et d'autre
part, si de tels invariants existaient à l'intérieur de chaque type,
déterminer s'ils lui étaient propres, c'est-à-dire, s'ils permettaient de
le différencier des autres types.
L'exposé qui suit ne restitue donc pas tout ce que les sujets ont dit:
il présente et discute des invariants intratype et les variations inter-
type. De chaque type, autrement dit, nous n'avons retenu que ce qui
semble constituer le« noyau», noyau qui en même temps permet de
le distinguer des autres types. A chaque fois, nous nous interrogeons
aussi, bien entendu, sur les relations existantes entre ce« noyau »,tel
qu'il se manifeste dans le discours des sujets, et la stratégie de visite
qui sert à définir le type, telle que nous l'avions identifiée « de
l'extérieur».
De cette analyse, il ressort clairement que la typologie par observation
des comportements renvoie bien à une typologie plus fondamentale
des attitudes face à l'exposition en particulier, et plus généralement
à la consommation culturelle.
70
La fourmi ou le corps spectateur
12) On trouvera dans toute cette partie entre guille'llent~. à titre (l'illustration. de~ extraits d'interviews tels
qu'ils ont été enregistrés lors des entretiens semi-directifs.
71
préféré la linéarité relative du couloir à l'espace éclaté de la salle du
kiosque.
« Je suis la chronologie. »
« Je crois que je me suis trompé dans la chronologie à un certain
moment.»
« Quand on suit un parcours, on va au plus près. »
« Ce n'est pas normal de traverser un espace vide avec rien sur le mur.»
« Ii faut une certaine logique. »
« Il faut que les choses soient vues dans l'ordre chronoiogique. Alors, je
suis entré là où il y avait le titre. »
A noter aussi que, parfois, une contradiction très nette apparaît entre
l'image que le sujet a de ses habitudes d'appropriation (on serait
tenté de dire: son «moi idéal » de visiteur) et la stratégie qu'il a
effectivement appliquée dans le cadre de l'exposition sur les vacan-
ces. C'est le cas du sujet M12, une jeune femme de vingt-cinq ans.
Son parcours a été, typiquement, celui d'une fourmi (figure 18). Elle
semble en être consciente, et même le formuler comme une règle.
« Il faut que ce soit dans l'ordre chronologique. »
«J'avance d'une façon linéaire, sur le même panneau.»
72
L'imaginaire de l'espace
L'imaginaire des visiteurs fourmis semble marqué d'une façon
directe ou indirecte par la figure classique, quelque peu sacrée. du
«musée».
~~Il faudrait que ce soit un grand labyrinthe, il y aurait des fauteuils. un
endroit où on n'est pas seulement l'invité, l'étranger de passage, où l'on
·peut se permettre de posséder en toute quiétude. »
<~J'aime qu'un musée soit comme un labyrinthe, j'aime les cathédrales,
les endroits mystiques, la lumière étudiée.( ... ) Au musée d'art moderne,
on est comme dans une église, et c'est ce qu'il faut aux expos, seul face à
l'œuvre d'art.»
« J'aime les endroits où l'on peut se reposer, avec des chaises, attendre. »
«J'aime que les pièces présentées soient mise en valeur, qu'on soigne
l'encadrement, qu'il y ait au sol quelque chose d'agréable.»
« Ne pas être fatigué par une visite, mais en tirer un maximum, je n'aime
pas me fatiguer( ... ). Il faudrait des endroits de repos. »
« J'aimerais une qualification plus rigoureuse dans l'espace que le thème
représenté. (Ici) il y a un champ dP vision trop chargé( ... ). Il y a un
manque de recul( ... ). Cela manque d'éclairage( ... ). Il y a des possibilités
d'échappement, si bien que cela tourne dans tous les sens. ;;
« J'aime les endroits intimes, où l'on peut revenir sur ses pas( ... ). Besoin
de quiétude, d'espace, ne pas être bousculé.».
Une image de quiétude, de repos, est opposée à l'image d'un espace
« peu soigné », à la fatigue, à la bousculade, à l'accumulation qui
caractérisent les expositions. Et la figure de la chaise et du fauteuil
revient dans·le discours. En toute quiétude, face à l'~~ œuvre d'art»,
on n'est pas ~~ l'étranger de passage ».
A différence de l'espace des expositions, cet espace imaginaire du
musée est un espace dégagé.
« JI y a des choses que j'ai été obligé d'éviter à cause du kiosque. »
~~Ce gros truc au milieu, il cache ce qu'il y a derrière. »
« J'ai été gêné par l'espace, j'ai voulu reculer, et j'ai gêné des gens».
Le passage à l'espace de la salle du kiosque a manifestement gêné les
visiteurs-fourmis en vertu de leur stratégie chronologique. Ils ont
ressenti ce passage comme une rupture.
« Je ne suis pas sûr d'avoir suivi l'itinéraire. J'étais dans les années 36, et
puis je suis arrivé en 60. »
Si leur espace imaginaire doit être dégagé afin de rendre possible une
contemplation « dans la quiétude », les fourmis n'aiment pas les
grands espaces non signifiants.
73
« ... espace trop grand au milieu. Derrière le kiosque trop d'espace sans
rien à voir. »
Un autre visiteur qualifie de «méandres» une partie de la salle du
kiosque qu'il n'a pas visitée.
L'attitude pédagogique et réceptive caractéristique de ces sujets
appelle donc un étalement clair des éléments, permettant de suivre la
logique proposée (chronologique en l'occurence), permettant de se
repérer à tout moment, suffisamment dégagé pour bien voir sans se
fatiguer, tout en s'assurant qu'on n'a rien raté.
Dans ce contexte, on comprend que lorsque des critiques s'expriment
à propos de l'exposition sur les vacances, elles visent les aspects les
plus éloignés de la figure classique de l'« œuvre d'art».
« Le quotidien n'empêche pas l'esthétique. Voyez Hockney, il y a plus de
création, une maîtrise de la lumière; pourtant. c'est le quotidien. Ce qui
rn 'intéressait, c'est comment le sujet ... allait être traité( ... ). Il peut y avoir
une esthétique intrinsèque au sujet. »
Mais en ce qui concerne cette exposition.
« C'est le quotidien banal( ... ). Je ne vois pas l'intérêt de montrer notre
quotidien. »
Un autre visiteur, à propos du kiosque.
« On n ·a pas envie de regarder. Les diapos brusquent l'imagination et
elles sont bruyantes. »
« Le montage audiovisuel n'apporte pas grand chose. »
« Je n ·avais pas été là. C'est pareil, le kiosque. On voit ça dans toutes les
agences de, voyage. »
«J'étais désolé de /afin de I'expo. (C'est-à-dire la partie concernant la
période postérieure à 197 5), parce que je n ·ai plus regardé les articles et
parce que j"ai pas regardé l'audiovisueL »
Il y a donc bien un« noyau>> signifiant cohérent associé au parcours
de type fourmi, tel qu'il se dégage du discours des visiteurs qui ont
adopté cette stratégie d'appropriation.
Face au choix initial, ils ont opté pour la linéarité: l'espace « circu-
larisé » par le kiosque et aperçu à droite ne les a pas attirés : le
kiosque apparaissait en même temps comme un élément qui « ca-
chait» une partie de l'exposition. Engagés dans le couloir, ils se
trouvaient « pris en charge » par une logique forte, qui répondait
bien à leur attitude à la fois méthodique et réceptive. Animés par
l'archétype de la« visite de musée», ils ont« suivi le mur>>; arrivés
à la grande salle, ils ont essayé de la traiter de la même façon;
autrement dit, ils ont, pour la plupart, ignoré le kiosque ou, tout au
moins. ils ont essayé d'ignorer l'altéraiion que lt: kiosque produisait
dans leur perception de la salle de droite, qu'ils auraient voulu une
74
salle de musée avec quatre murs. Un élément additionnel favorisait
cette attitude de refus du kiosque, ce « grand truc au milieu »:le fait
qu'il était le support du matériel le plus éloigné de leurs attentes
« esthétiques >>. Nous disposons d'un élément tendant à prouver que
l'attitude pédagogique et réceptive des fourmis fonctionne essentiel-
lement à l'égard du fantasme de l'« œuvre» plutôt qu'à l'égard du
savoir en général, autrement dit, qu'il s'agit d'une attente de didac-
tisme à propos de « l'art »: c'est le fait qu'ils déclarent ne pas avoir
lu les panneaux de textes, ou qu'ils les trouvent «trop longs ». Cette
indication, tout comme leur refus de la «banalité » du quotidien,
montre que les fourmis ont été motivées surtout par l'un des discours
tenus par l'exposant (Les grands noms de la photo« d'art») et qu'ils
ont plus ou moins ignoré l'autre (le discours « scientifique » sur les
vacances des Français).
Si nous comparons la structure proposée par l'exposant aux attentes
caractérisant ces visiteurs, nous arrivons à une conclusion para-
doxale: les fourmis qui, parmi les quatre types, sont ceux qui ont
effectué les visites les plus longues, sont probablement ceux qui ont
été les plus gênés par la mise en espace de l'exposition.
75
Le papillon ou le corps livre
La motivation : le thème
Trois des quatre papillons étaient venus exprès pour visiter l'exposi-
tion Vacances en France. La stratégie papillon est donc associée à une
motivation forte:
« J'ai vu cette expo dans le Pariscope, cela m'a amusé, j'ai coché, je me
suis dit "tiens, je vais aller y jeter un coup d'œil': »
«J'étais venu voir Braque et Tanguy, et j'avais vu que cette expo était
dans le Pariscope ... »
« Je suis venu parce que je sais qu'il y avait cette expo. J'aime bien cette
époque de 1900 à nos jours. »
« Je voulais savoir comment on traite un tel sujet. »
« Ce qui rn 'intéresse c'est le côté historique et social des vacances. »
« Je me suis dit: quels articles ils ont triés pour cette expo, parce qu'il y a
dix mille articles sur les vacanees. >>
« Les façons dont on illustre les vacances. >>
Liée à cette motivation forte, il y a donc chez les papillons une attente
(plus ou moins explicite) qui concerne l'énonciateur de l'exposition,
c'est-à-dire l'exposant: un intérêt non seulement sur le thème, mais
sur la façon de le traiter, une curiosité, en quelque sorte, de savoir
comment l'exposant s'est « débrouillé» en abordant un thème
comme celui des vacances. La stratégie d'appropriation papillon
semble se situer à la fois sur le plan de l'énoncé (le thème) et sur le
plan de l'énonciation (les questions concernant l'activité de l'expo-
sant).
A la différence des visiteurs fourmis, la motivation des papillons
semble totalement étrangère au souci pédagogique : à aucun moment
il n'est question d'apprendre comme élém·ent central; la visite ne
semble pas être vécue de façon prédominante sur le registre de la
relation didactique, même si, bien entendu, étant donné l'intérêt
qu'ils ont pour le thème, l'enjeu de la visite ne peut pas être indiffé-
rent au contenu de l'exposition.
« C'est un flash (l'exposition) (... ). Ce type d'expo. c'est pour créer une
ambiance, on vient chercher à la limite une information, mais c'est surtout
une ambiance. >>
« Ce qui est intéressant, c'est la façon dont on illustre les vacances. »
« Je n'avais jamais vu une exposition sur les vacances des Français. C'est
le côté historique et photographique qui rn 'a plu. »
« On a l'impression de voir un reportage. »
76
Les figures 20 à 23 (cf. annexes) présentent les parcours observés de
quatre papillons. Sans manifester aucune inquiétude particuliere de
rater une partie de l'exposition (comme c'était le cas des fourmis) ces
sujets ont en fait effectué des visites plus exhaustives, plus completes,
que les fourmis. Le sujet FI (figure 20) qui semblerait être une
exception, ne rest pas en réalité : ce sujet a visité deux fois /"exposition:
le parcours représenté dans la figure 20 est celui de sa première visite.
Il est, en effet, revenu quelques jours plus tard, et il a parcouru la
partie droite de l'exposition, qu'il n'avait pas regardée dans sa
première visite.
77
cuillères. cartes postales, habits. photos, diapos ... ". Je n'ai pas regardé les
diapos. je suis plus intéressé par le noir et blanc. »
Dans le cadre d'une visite intentionnelle motivée au départ par le
caractère « expo photo>> de l'exposition, ces sujets n'ont pas pour
autant refusé de s'intéresser à d'autres éléments qui leur étaient
proposés, à l'exception des diapositives (ce qui s'explique aisément
chez les visiteurs motivés par l'histoire de la photographie). Aucune
de ces remarques ne traduit, on le voit, une attitude passive ou
purement réceptive, ni le souci de recueillir un maximum d'informa-
tions pendant la visite, souvent au contraire, c'est dans le registre du
plaisir et de la curiosité que le papillon se situe: « c'est marrant »,
«j'aime», «c'est révélateur», «c'est une ambiance», «c'est amu-
sant ».
La stratégie : le plan
Ce qui apparaît comme spécifique à la stratégie des papillons c'est
ce que l'on peut appeler le besoin de plan. Ce besoin, il faut le situer
dans le contexte de la motivation forte et préalable à la visite:
puisqu'ils savent ce qui les intéresse, ce qu'ils sont venus voir, ils
ressentent le besoin d'avoir une vue d'ensemble leur permettant de
repérer ce qu'ils cherchent.
« Dans une expo. j'arrive en sachant ce que je veux, je n ·ai pas le temps
d'arriver e( de ne pas savoir. »
« Je suis gêné par les salles qui vont dans tous les sens;je veux avoir une
vision totale ... quand j'ai appréhendé une première fois, je traverse les
salles à toute vitesse( ... ). Avec une ville c'est pareil, j'aime avoir un plan,
une vision globale. »
« Quand j'ai appréhendé l'ensemble, ça va. »
« Je veux dominer. faire une visite personnelle, établir une filière. »
« J'ai organisé mon planning, je sais ce que je veux voir. »
Une fois qu'ils se sont donnés des repères, les papillons acceptent
volontiers la logique qui est proposée par l'exposant, c'est-à-dire la
chronologie.
« J'ai repéré le flux. l'instinct grégaire, et ensuite, j'ai repéré les photos. »
« Cela me semble plus logique de rentrer par là.» (C'est-à-dire le
couloir).
« J'ai lu tout ce qui avait sous le titre (c'est-à-dire le panneau de
présentation no 1) pour voir d'où venait le matériel. »
«C'est ici(c'est-à-dire le couloir) que cela commence.»
« Quand on ne connaît rien, on a besoin de points de repère, au niveau des
époques: si je veux me repérer dans l'évolution d'un art, il faut des choses
qui se suivent. »
78
Ayant accepté l'ordre chronologique, certains papillons ont été,
comme les fourmis, gênés par le passage du couloir à la salle du
kiosque.
« J"ai voulu ecumer, mais au bout (du couloir) c'était plus possible.
J"aurais preféré la continuite dans les photos. »
L'acceptation de l'organisation chronologique par les papillons
semble donc devoir être interprétée d'une façon différente de celle
des fourmis: ce n'est pas, comme chez les fourmis, dans le cadre
d'une attitude passive et purement réceptive que la dimension
historique est prise en charge mais, au contraire, comme résultat d'un
repérage préalable des lieux qui traduit une volonté de maîtrise de la
visite en accord avec les objectifs et les intérêts précis qui les ont
amenés à visiter l'exposition.
C'est donc la motivation forte qui nous permet aussi de comprendre
le fait que la visite papillon est en réalité plus exhaustive que celle
des fourmis: la technique du mouvement alterné droite-gauche était
sans doute à la fois mieux adaptée à l'étalement de cette exposition
(si l'on voulait vraiment suivre la chronologie) et plus sûre (si l'on
voulait ne pas rater des éléments). Par comparaison avec la visite-
papillon, celle des fourmis, marquée à la fois par une volonté
d'« apprendre » et par la technique consistant à « suivre le mur)),
nous apparaît maintenant quelque peu mécanique.
En même temps, bien entendu, la visite papillon est plus sélective:
puisqu'elle est déterminée par des intérêts précis, le papillon n'aura
pas de scrupules à «sauter» des choses si elles ne l'intéressent pas.
« Je choisis, quand cela m'ennuie, je laisse, je ne regarde pas.... »
« Il y a des choses qui me plaisent, d'autres que je laisse (... ). J'ai le
sentiment d'avoir opéré un choix.»
C'est l'un des papillons qui nous a fourni lui-même ce qui nous paraît
une belle image pour traduire ce rythme « alterné >) qui caractérise la
modalité de visite des papillons.
« J'ai fait comme on lit un journal: de droite à gauche.»
Comparaison qui peut surprendre: pourquoi de droite à gauche et
non pas de gauche à droite ? Pourtant, la métaphore paraît correcte:
d'abord, le journal est fermé et l'on regarde la «une)>, lorsqu'on
commence à le feuilleter, le nouvel espace qui s'ouvre après la
« une )> se situe forcément à gauche de celle-ci. Le rythme est donc
bien: droite-gauche/droite-gauche. De même pour un livre.
Le papillon traite les panneaux comme des grandes pages, et son
mouvement alterné reproduit le feuilletage d'un journal ou d'un livre.
Dès lors, on est tenté d'associer cette métaphore au fait que le capital
culturel des papillons (nous y reviendrons) parait plus élevé que celui
79
des fourmis. Ces dernières, par leur attitude à la fois pédagogique et
comparativement passive, sont-elles marquées par la télévision, tan-
dis que les papillons (grands visiteurs d'expositions et de musées)
seraient-ils plus proches de la culture du livre ? Cette recherche étant
une« étude de cas>>, nous ne sommes pas en mesure de répondre à
de telles questions. Mais la problématique que l'on peut entrevoir
ainsi mérite d'être signalé.e.
80
Le poisson ou le corps qui passe
l\lotivation : Beaubourg en général
Des six poissons, un seul était au courant à l'avance de l'existence de
l'exposition sur les vacances, car il avait regardé Pariscope avant de
venir; pourtant, il n'affirme pas explicitement avoir retenu cette
exposition comme l'un des motifs de sa présence dans les lieux.
Nous avons donc affaire à des sujets qui, tout en ayant des images
différentes du Centre Georges Pompidou, étaient venus « voir
Beaubourg ». La décision de visiter l'exposition sur les vacances a été
prise sur le champ. Bien entendu, cette motivation « générique »
n'est sans doute pas étrangère au rapport à la culture qui caractérise
ces sujets.
« Je viens deux ou trois fois par an, chaque fois que je viens à Paris. Pour
prendre la température du Centre. Je vais en bas, regarder les revues. Je
ne vais jamais au musée, je ne sais pas ce qu'il y a dans le musée.( ... ) J'ai
commencé par regarder les revues, je ne savais pas qu'il y avait d'expo
dans la bibliothèque. »
«J'ai profité d'un créneau d'une heure et demie pour venir. C'est la
première fois( ... ). Je m'étais déjà intéressé à Beaubourg par ce qu'on en
dit dans les journaux( ... ). Je m'attendais à des choses plus dans l'actua-
lité( ... ). Je suis venu à cet étage sans but précis (... ). J'ai vu l'expo en
passant, je l'ai trouvée intéressante. c'est le genre d'expo qu'on aimerait
voir dans un établissement scolaire en province. »
« Beaubourg, c'est le séjour obligatoire quand je viens en France: ici. c'est
la dignité de l'artiste, c'est un palais des artistes. Une maison qui n'est pas
vraiment un musée, c'est complexe, c'est un palais pour les arts, pas dans
le sens conservateur( ... ). Je ne vais pas dans les musées traditionnels( ... ).
Je regarde toujours Pariscope avant de venir( ... ). J'ai vu l'annonce de
cette expo dans Pariscope (... ). Il n y avait rien d'intéressant, mais le lieu
Beaubourg est plus fort que le contenu de l'exposition. »
«Je viens à la bibliothèque, c'est un exercice pour la mémoire. Je venais
quand j'étais à l'école. Maintenant, je me cantonne souvent dans la partie
du bas, l'exposition au demi-étage. En haut (5' étage) je n'ai jamais été,
je ne sais pas ce qu'il y a( ... ). Je ne savais pas qu'il y avait J'expo, j'ai vu
les diapos depuis l'escalier et aussi les photos d'amateur noir et blanc,
comme il y a à la FNAC de temps en temps.»
« Beaubourg ressemble à un endroit commercial( ... ). C'est un centre qui
appartient aux jeunes, les expos doivent être très critiques( ... ). Je faisais
une visite à la bibliothèque, et j'ai vu /'expo en passant. Ça m'a intéressé
parce que j'ai vu peu d'endroits de vacances en France. »
«J'ai fait une promenade dans tout le bâtiment, jusqu 'au dernier étage.»
«Je suis venu comme cela( ... ). J'ai travaillé au :r étage, et j'ai vu l'expo
en passant. Alors, j'ai décidé de revenir avant de partir. »
81
L'exposition sur les vacances, dans ce contexte, est apparue comme
faisant partie de l'expérience« Beaubourg en général ».L'exposition
a été alors appréhendée si l'on peut dire« en survol »,comme le reste
du bâtiment. A l'exception d'un sujet (qui l'a trouvée «très, très
intéressante») l'exposition sur les vacances ne semble pas avoir
véritablement « accroché » ces visiteurs. L'un des poissons exprime
une opinion très positive à l'égard de Beaubourg comme « lieu
d'art» et manifeste une attitude franchement négative vis-à-vis des
musées traditionnels, et aucun des autres ne semble entretenir un lien
fort avec les « objets culturels ».
« Je me suis demandé ce que c'était, c'était une balade. Je n'avais rien
décidé, je n'ai pas cherché à voir ou à ne pas voir une exposition (... ).
Quand je vais dans une expo, c'est pour voir le style( ... ). C'est des photos
de Monsieur tout le monde (... ). Je n'ai pas été dans le décrochement
(c'est-à-dire le couloir) j'ai pensé que c'était le même style de photos.»
« Je ne pourrais pas vous dire le sujet de l'exposition( ... ) des clichés de la
vie de tous les jours, des choses qui rn 'intéressent moins( ... ). C'est surtout
des clichés connus( ... ). Je cherche des photos insolites, parce que des
plages avec des gens, on connaît déjà( ... ). Il ne restera pas grand chose,
sauf si cela me rappelle quelque chose, c'est intéressant sur le moment.»
« C'était sur l'évolution des vacances en France. » ·
« C'est une expo sur les habitudes des Français. »
S2
dans leurs parcours, n'est donc pas une « vue d'ensemble » pour
mieux choisir, comme c'était le cas chez les papillons, mais une
distance en quelque sorte de « protection » du moi, une distance leur
permettant, peut-être, de pouvoir partir immédiatement s'ils jugent à
un moment donné qu'ils ont passé assez de temps dans les lieux.
Les parcours faits par les poissons montrent bien qu'ils n'ont pas, en
majorité, respecté la chronologie. Ils manifestent, à l'égard de cette
dernière, une attitude en définitive d'indifférence même si certains
d'entre-eux se sont aperçus qu'elle existait.
« A partir de 1959, j'ai vu qu'on remontait dans le temps. je me suis rendu
compte du changement d'années>>
« Si j'étais organisé, j'aurais pris le sens>>
« J'ai suivi le parcours( ... ). J'ai senti une évolution. >>
« Il y avait des panneaux avec des dates. J'ai pas vu de chronologie. »
« C'est les vacances des Français à différentes époques. >>
« Dans le couloir c'est les vacances anciennes, autour du kiosque la partie
plus moderne. »
83
A noter que c'est chez les poissons que l'on trouve les seuls cas d'une
telle rupture de parcours, consistant à s'engager d'abord dans le
couloir mais à l'abandonner au plus vite par le passage vers la salle
du kiosque qui se trouvait a!! milieu.
Passer devant, afin, comme l'a dit un poisson, de «jeter un œil ».
C'est-à-dire, avoir quand même, consommé l'objet et vu« son style».
Mais tout en étant pressé, ne voulant pas véritablement entrer dans
une négociation appropriative avec le sens proposé. On dirait que les
poissons ont un rapport « touristique » à la culture. Et qu'ils refusent
(à l'opposé des fourmis) de se sentir engagés dans un rapport
« pédagogique », de se sentir « guidés ».
84
La sauterelle ou les «pseudopodes »
85
L'espace : éclatement et indifférence
Des quatre types de visite, celle des sauterelles est sans doute la
moins affectée par l'étalement des éléments de l'exposition. A noter
que ni le thème de la chronologie, ni les remarques sur l'espace de
l'exposition ne sont apparus spontanément dans le discours de ces
sujets: ce n'est que par des relances qu'ils ont été amenés à faire des
commentaires sur ces points.
« Il ny avait pas d'ordre chronologique. Les photos sont très bien. J'ai
toujours tendance à court-circuiter l'ordre propre( ... ). Je me guide par le
sens visuel, cela me déplaît de suivre le sens proposé. »
« Il y a plusieurs parties ? J'ai pas fait attention. J'ai parcouru rapide-
ment, c'est des photos qui ont été faites par des amateurs. »
«J'ai/ait une visite de droite à gauche, on doit faire une visite de gauche
à droite.»
« C'est bien, il faut des angles, aménager des panneaux, je ne sais pas s'il
y a une logique ou si tout a été mis un peu comme ça. >>
86
« J'ai été attiré à cause de la dimension du vélo par rapport au person-
nage. »
Les figures 30 à 33 (cf. annexes) présentent les parcours observés des
quatre sauterelles. On voit bien les « sauts » qui composent la visite,
visant à chaque fois un élément qui éveille la curiosité, le souvenir,
la mémoire.
L'« absorption» de la visite dans un vécu purement personnel, est
manifeste dans l'indifférence de la sauterelle au passage de l'espace
du couloir à l'espace de la salle: on dirait qu'il n'y a aucune
« lecture» de l'étalement proposé et que, ayant décidé que l'objet ne
se prêtait pas à autre chose, l'espace a été entièrement reconstitué au
rythme des pulsions.
Ce qui pose, bien entendu, le problème de la généralité d'une telle
stratégie, et de la probabilité de sa transposition à d'autres types
d'expositions. Il est parfaitement possible que certains de ces sujets
se livrent, par ailleurs, à des visites tout à fait différentes de celle
qu'ils ont effectuée à l'occasion de l'exposition sur les vacances,
pourvu qu'ils décident qu'il s'agit d'une exposition « sérieuse» ou
« culturelle » et non pas un « gadget ». Cela dit, les entretiens
semblent indiquer par ailleurs que ces sujets ne visiteraient pas des
expositions perçues· comme « spécialisées » ou «trop précises », et
dans ce cas, leur stratégie de sauterelle traduirait une attitude plus
générale vis-à-vis de la culture.
87
Dessins
88
Étant donné, par conséquent, que notre typologie ne se veut en aucun
cas une typologie de personnes, mais une typologie de stratégies de
visite, nos remarques sur les dessins des sujets interviewés ont un
caractère purement indicatif: nous nous bornerons à signaler quel-
ques tendances qui semblent associées à nos types d'une façon
générale, en évitant toute spéculation qui serait pour le moins
hasardeuse.
On trouvera regroupés en annexes, les plans dessinés par les quatre
types de sujets, groupés par types : les fourmis (figures 34 à 40), les
papillons (figures 41 à 44), les poissons (figures 45 à 50) et les
sauterelles (figures 51 à 54).
Un examen comparatif de ces quatre groupes de dessins semble
indiquer que les éléments différentiels les plus pertinents concernent,
non pas le caractère représentationnel des dessins (caractère qui est
sans doute le plus déterminé par la « compétence » du sujet dans la
technique du dessin d'un plan) mais le vécu de l'exposition qu'ils
viennent de visiter.
Les sujets ayant réalisé une visite fourmi semblent être, comparati-
vement, ceux qui différencient le plus nettement l'espace d'exposi-
tion (marqué par des traits qui délimitent cet espace, perçu comme
plus ou moins rectangulaire) du parcours effectué. En même temps,
l'aspect « longer les murs », caractéristique de la stratégie fourmi
apparaît dans plusieurs de ces dessins (figures 35, 37 et, moins
clairement 38). A noter que dans tous les dessins, une flèche ou une
ligne marque explicitement le point d'entrée dans l'exposition, à
savoir le couloir à gauche,. ce qui semble confirmer l'importance du
choix d'entrée chronologique pour les fourmis.
La différenciation entre l'espace visité et le parcours devient moins
claire chez les papillons : parmi les quatre dessins, il y en a un où il
ne semble pas avoir de parcours tracé (figure 41) et un autre où la
délimitation des lieux a pratiquement disparu (figure 43).
On dirait que chez les poissons et les sauterelles, des phénomènes
émergent qui traduisent plus l'expérience subjective liée à la stratégie
qu'une volonté quelconque de dessiner le plan de l'exposition visitée.
(Moins la visite est motivée par le thème de l'exposition, plus le
dessin reflète-t-il le vécu subjectif?).
En tout cas, signalons tout d'abord l'image étonnante, apparue
exclusivement chez les poissons, de la circularité (figures 45, 46b, 50).
A noter, que le sujet F4 (figures 46a et b) a voulu faire, spontanément,
deux dessins: le premier représentant la visite qu'il venait d'effec-
tuer, le second la visite « idéale ». Si dans le premier, un principe de
circularité est déjà visible, le dessin de la visite « idéale» n'est rien
d'autre que le concept d'un parcours circulaire dans un espace
89
circulaire. De même pour le poisson 09 (figure 50), ces dessins
évoquent la loi d'une stratégie, et l'espace visité (comme différent du
parcours effectué) est complètement évacué de la représentation.
Sous une forme plutôt d'ondulations que de circularité, le dessin du
poisson M8 (figure 48) obéit au même principe: face à la demande
de dessiner l'exposition que l'on vient de visiter, les poissons dessi-
nent, en quelque sorte, la pulsion de visite qui leur est propre : glisser,
tourner sans s'arrêter.
La comparaison entre l'imaginaire de certains poissons (figures 45,
46b, 50) et le dessin de la sauterelle M 1 (figure 51) permet de cerner
assez bien la différence entre les deux types de stratégie : au tracé
continu d'un parcours en boucle chez les poissons, s'oppose la
présentation d'un parcours morcelé, coupé en fragments indépen-
dants, chacun marqué par une flèche enfermée dans un espace
cloisonné et séparé de l'autre. Image saisissante du « saut » de la
sauterelle vers le « punctum » : la flèche vise, à chaque fois, un mur,
et non pas une entrée ou une sortie. A noter que cette représentation
du parcours en branches divergentes et séparées les unes des autres,
apparaît dans trois des quatre dessins des sauterelles (figures 51, 52
et 53).
Certains aspects des dessins produits par les sujets semblent donc·
bien pouvoir être mis en rapport avec leurs modalités d'appropria-
tion. Bien entendu, nos observations ne sont pas probantes, et il
faudrait les vérifier à l'occasion d'autres recherches sur les stratégies
de visite. En tous cas, il est à remarquer qu'une plus grande volonté
de << représenter » l'exposition par le plan apparaît chez les sujets
plus « motivés » (fourmis et papillons) et en particulier chez les
fourmis. Le dessin exprime plus facilement le vécu subjectif de la
propre stratégie (plutôt que l'espace visité) dans le cas des sujets
moins (ou pas du tout) motivés dans leur visite (poissons et sauterel-
les). Un certain soin de distinguer entre le parcours et l'objet culturel
n'est peut-être pas étranger, chez les fourmis, à leur attitude quelque
peu« scolaire » à l'égard des expériences culturelles définies comme
des « occasions d'apprendre ».
Par contre, le « besoin de plan », exprimé systématiquement par les
papillons dans les entretiens ne semble pas du tout se traduire par
une plus grande précision dans le dessin du plan de l'exposition. La
question reste posée. En tous cas, il ne semble pas absurde de penser
que plus l'exécution du dessin est orientée par une motivation
« représentationnelle » (faire, le plus correctement possible, le plan
de l't!xposition que l'on vient de voir) plus elle sera dépendante de
la capacité générale du sujet pour le dessin. Par contre, le vécu
subjectif d'une stratégie (comme par exemple: «glisser». «tourner
autour», « s'approcher») peut être exprimé par quelques lignes
n'ayant aucune prétention de « bien représenter» les lieux; cette
90
expression « subjective» risque donc moins d'être déterminée par la
culture (ou le manque de culture) «graphique» du sujet.
91
Les cas « mixtes »
Parmi nos vingt-cinq sujets, quatre n'ont pas pu être classés sans
ambiguïté Ûi1us i'un des quatre; lypes définis: ce soni des cas « mix-
tes » dans ce sens que chaque parcours manifeste deux stratégies
différentes de la visite.
Les figures 55, 56 et 57 (cf. annexes) représentent les parcours de trois
de ces cas « mixtes t3 J ».
Le premier est une combinaison de papillon (surtout dans le couloir)
et de sauterelle (dans la salle du kiosque) (figure 55). Cette combina-
toire semble associée à ce qui apparaît très clairement dans l'inter-
view comme une visite à double objectif Il s'agit d'une femme mariée
de 35 ans qui a deux enfants. Elle était intéressée par le thème (elle
est venue exprès pour voir l'exposition) mais en même temps elle
déclare« préparer la visite de l'exposition pour les enfants ». Or, du
point de vue de son intérêt propre, elle tient un discours typiquement
de sauterelle: elle semble avoir réagi par « puncti ».
« Les diapos sur la mer, c'est un plaisir visuel. »
« La montagne, cela m'intéressait, je suis languedocienne. »
«Je voulais voir comment les vacances ont démarré. »
Mais d'autre part, la « préparation » de la visite des enfants a pu
éveiller une observation plus attentive de l'ordre et de l;1 mise en
espace de l'exposition.
«J'ai cherché d'abord en sortant face au kiosque; il faut traverser toute la
salle pour reprendre et faire le tour. »
L'interview, qui paraît au premier ·abord assez peu cohérente, s'ex-
plique à partir de cette coexistence de deux motivations différentes:
d'une part un intérêt personnel, qui déclenche des « sauts » caracté-
ristiques de la sauterelle; d'autre part, la présence de cette préoccu-
pation didactique à propos de ses enfants, qui la rend soudain
attentive à la clarté plus ou moins grande de la présentation. Ce cas
de « mixité » semble donc pouvoir bien se comprendre à la lumière
de ce que nous avons par ailleurs sur les cas « purs ».
Les deux autres cas mixtes (figures 56 et 57) ont trois points en
commun. Il s'agit dans les deux cas de visites particulièrement
complètes; il n'y avait pas de motivation préalable (l'exposition a été
trouvée « par hasard » dans les lieux) et, dans les deux cas, la visite
a suivi l'ordre chronologique.
(3) A posteriori, nous avons décidé d'éliminer de l'analyse le quatrième cas mixte (F7). Le recoupement des
informations fournies par le sujet dans la fiche signalétique avec le contenu de l'interview a fait ressortir, en
effet, des éléments extrêmement douteux. L'analyse de l'interview, nous permet de penser que ce sujet a
volontairement biaisé ses réponses et donné à l'enquêtrice des faux renseignements.
92
Si le cas FI 0 (figure 56) a été identifié à l'observation comme à la fois
fourmi et poisson, il est par son « idéologie », beaucoup plus fourmi
que poisson. On dirait qu'il s'agit d'une fourmi qui n'a pas de
difficulté à ti a verser les espaces vides; arrivé à une « zone >> qui
l'intéresse, sa technique d'appropriation est typiquement celle d'une
fourmi. Ce sujet a été extrêmement sensible à la chronologie, quïl a
suivie attentivement, et il a été gêné, par conséquent, dans le passage
du couloir à la salle. Son dessin du plan traduit ce souci de « l'or-
dre »; il est remarquable par ses détails et entièrement construit en
termes de périodes de l'exposition (figure 58). Il n'a pas manqué de
faire des remarques à propos de l'étalement historique.
«J'ai trouvé dommage que l'on dise de 1860 à nos jours et que l'on
commence en 1900 (... ). Après, je suis. revenu pour voir si je n'avais pas
oublié quelque chose entre 1860 et 1900 (... ). On voit vraiment la
démocratisation des vacances, on voit bien l'évolution( ... ). J'ai vu le titre
derrière le kiosque (1946-1982) et pour moi ça s'arrêtait là, et je me suis
dit qu'il manquait des dates».
Il s'agit par ailleurs d'un sujet qui ne fréquente pas les expositions;
il vient souvent à Beaubourg, mais exclusivement pour travailler à la
bibliothèque. Ce cas semble comfirmer que la stratégie fourmi est en
effet associée à une motivation forte d'apprentissage et de systémati-
t::ité.
93
Dans l'ensemble, on dirait que de ces trois cas « mixtes »,seulement
le premier semble l'être vraiment: sa « double » stratégie est asso-
ciée, nous l'avons vu, à une double motivation. Le second paraît être
une fourmi, qui n'est pas gênée par la traversée d'espaces transition-
nels. Ce qui montre qu'on n'est pas poisson par ce seul fait, considéré
isolément, mais par l'application systématique de la stratégie de la
« traversée » ou du glissement, tout au long d'une visite. Nous
sommes tentés de classer le troisième comme un papillon qui s'est
adapté aux espaces accessibles en fonction du nombre de visiteurs.
Ces cas ont été identifiés comme « mixtes » en vertu des règles
méthodologiques que nous nous sommes données au départ: le
classement d'une visite devait être fait en fonction du parcours
observé, et avant la réalisation de l'entretien. Bien entendu, le
développement des techniques d'observation et le raffinement de la
typologie peut nous amener à abandonner une telle règle. En défini-
tive, la détermination complète de la nature d'une stratégie doit
reposer, à terme, sur une ((batterie» d'observations comprenant à la
fois le parcours observé et l'analyse du discours des visiteurs. Ce qui
nous intéressait de vérifier dans cette recherche exploratoire c'était la
fiabilité d'une certaine procédure d'observation pour l'identification
des stratégies. Il nous semble que cette vérification a été faite.
94
Conclusion
A propos des modes d'appropriation,
de Vacances en France
et de cette recherche
98
Nous avons résumé l'essentiel de la typologie dans les schémas 5 à
8 (voir ci-après).
GRAPHIQUE 1
PAS DE MOTIVATION
PAS DE NEGOCIATION A PROPO~ DU THEME RECHERCHE DE
NI AVEC IIEAU~OURG CO!o+Œ FIGURE DE . . LA "tAITRISE
DE L'OBJET
CULTURE
. PAS D! MOTIVATION
PAS DE NEGOCIATION A PROPOS DU THEM!
llECHERCHE DES
NI AVEC IEAUIIOURG COMME FIGURE DE "PUNCTI"
CULTIJRE-
lEABSOilPTION DANS LA SUIJ!CTIVIT! - "L'!XPCSITION
N'EST PAS
CULTURELLE"
CORPS
AVEC
. 'PSEUDOPODES"'
lOO
Une typologie formulée dans ces termes pose plus de problèmes
qu'elle n'en résout; c'était bien l'un de nos objectifs. De par sa nature
même, cette recherche ne peut pas répondre à la question de savoir
comment on peut articuler des typologies d'appropriatio~ de dis-
cours sociaux à des données « objectives » sur la position sociale des
sujets. L'articulation est, à notre avis, possible, et quelques « pistes »
pointent dans nos propres données (cf. échantillon en annexes). Il ne
semble pas déraisonnable de conclure par exemple, que tandis que
les fourmis de l'échantillon sont des personnes ayant peu de capital
économique et un peu de capital culturel, les papillons ont, en
revanche, plus et de l'un et de l'autre. On pourrait alors mieux
comprendre l'attitude de docilité pédagogique des premiers, et la
maîtrise des seconds.
Il faut insister sur le fait que nous n'avons pas décrit une typologie
d'acteurs sociaux, ni pas non plus des types de personnalité, mais des
types de stratégies de visite. Même si nous pensons que certaines
stratégies sont peut-être plus stables que d'autres, cela ne veut pas
dire qu'un papillon ou une fourmi le seront toujours et nécessairement
dans leur appropriation d'expositions: un sujet qui a manifesté une
stratégie fourmi dans sa visite de 1' exposition Vacances en France peut
sans doute s'engager dans une stratégie tout à fait différente. S'il
catégorise l'objet à s'approprier comme un objet ne se présentant pas
comme un discours à statut pédagogique, c'est-à-dire, comme un
objet qui n'exige pas de lui une attitude d'apprentissage. Ce que nos
hypothèses impliquent, en ce qui concerne ces deux stratégies plus
« stables », c'est que si l'objet d'appropriation met en jeu le rapport
du sujet à la culture, lorsque ce rapport est de maîtrise on risque de
voir apparaître une stratégie de type papillon, et.Iorsque ce rapport
est de souci, il est probable que le sujet développe une stratégie de
type fourmi.
Une telle ligne de réflexion ne nous paraît pas seulement intéres-
sante, mais, à terme, indispensable. Nous ne nous aventurerons pas
ici, pourtant, étant donné le caractère exploratoire de cette étude et
la portée de notre échantillon.
101
A propos de Vacances en France
Malgré la diversité de modes d'appropriation auxquels est soumis
n'importe quel discours social, le champ de ces modes n'est pas sans
rapports à la structure du discours et à ses propriétés signifiantes.
Rappelons rapidement quelques caractéristiques de l'exposition que
nous avons étudiées et leurs « effets )) sur les stratégies de visite.
Le double discours qui structurait l'exposition (sociologique d'une
part, esthétique de l'autre), ne semble avoir été« intégré H que par les
fourmis c'est-à-dire, par les visiteurs ayant une forte motivation
« d'apprendre )) et manifestant une certaine passivité. Pour les
autres, que ce soit comme résultat d'une sélectivité préalable (les
papillons, intéressés essentiellement par la photo) d'une stratégie de
survol (les poissons, qui pour la plupart ont ignoré le couloir) ou
d'une visite fortement subjective, ignorant la proposition faite par
l'exposant (les sauterelles), la simultanéité de ces deux discours sociaux
étalés en parallèle n'a pas été véritablement acceptée.
Comparativement, le caractère spatial dominant de cette exposition
(la composition de deux espaces très différents : le couloir et la salle
du kiosque) semble avoir produit des effets plutôt négatifs; plus on
était motivé par le thème (fourmis et papillons), plus on était gêné par
la mise en espace, bien que cette dernière ait perturbé beaucoup
moins les papillons (a cause de leur plus grande maîtrise de la visite,
et de leur sélectivité) que les fourmis. Par contre, cette double
structure n'a pas eu d'effets sur des visites plus rapides et plus
superficielles (poissons et sauterelles).
Au fond, aucun des quatre types de stratégie ne correspond exacte-
ment au « bon corps visiteur )) que nous avons décrit « a priori H à
partir de l'analyse de l'exposition: les papillons et les fourmis ont
pris en charge la première partie de la proposition de l'exposant
(dans le couloir) mais ils ne l'ont pas« suivie)) (ou beaucoup moins)
dans la deuxième partie (la salle du kiosque). Le couloir a été plutôt
ignoré par les poissons. Et si les sauterelles ont visité souvent les deux
parties, leur stratégie a fait éclater le caractère chronologique de
l'exposition.
102
prétées comme des jugemements sur son efficacité. D'une part,
évaluer l'exposition n'était pas du tout l'objectif de cette recherche:
l'étude d'un cas n'était ici qu'un moyen pour commencer à compren-
dre les conditions de production et de visite des expositions et, en
même temps et par conséquent, d'entamer une démarche concep-
tuelle et méthodologique. D'autre part, ne disposant pas d'informa-
tions sur l'importance relative de chaque type de stratégie dans la
population totale de visiteurs, aucune conclusion ne peut être tirée
sur l'efficacité de l'exposition.
Cela dit, nous pensons que notre démarche constitue un outil
qualitatif qui peut donner lieu à des évaluations très précises (à la fois
de projets et de réalisations d'expositions). Dans la conception d'une
exposition, il devrait être important de savoir quelles stratégies de
visite on veut favoriser, quelles autres empêcher ou rendre plus
difficiles, etc. En tous cas, une réflexion détaillée sur les stratégies de
visite, devrait faire partie de la conception de la « maquette » d'une
exposition. De même qu'une réflexion sur la cohérence de la mise en
espace par rapport aux objectifs (pédagogie, spectacle, histoire, etc.).
Le problème que nous soulevons ainsi est commun à bien d'autres
médias: il nous semble urgent d'aller au-delà d'une caractérisation
de la « cible » qui se borne à la concevoir comme un public passif
que l'on décrit en termes de catégories socioprofessionnelles.
Consommer un média (qu'il s'agisse d'une exposition, d'un magazine
ou d'une émission de télévisionn) est une activité à travers laquelle
l'acteur social négocie son rapport à la culture et, par ce biais, à
l'énonciateur du discours. La sociosémiotique de la réception dont
nous parlions doit nous permettre d'aborder ce genre de problèmes.
Le concept de « stratégie de visite » veut répondre à la spécificité du
média exposition.
Nous l'avons déjà dit: les recherches sur les médias qui tiennent
compte de la nature signifiante des discours que les médias véhicu-
lent sont peu nombreuses; les analyses qui essayent d'intégrer la
production et la reconnaissance sont encore presque inexistantes. Or,
en tant que recherche sur le média exposition, à la fois sensible à la
dimension sémiotique de l'objet, et préoccupée par la relation entre
la production et la reconnaissance, c'est-à-dire disposée à s'aventurer
dans la problématique du rapport entre l'énonciation culturelle
qu'est une exposition et la négociation (complexe) qu'est la visite,
celle-ci est, à notre connaissance, la première du genre.
Il est inutile de dire que, à ce titre, elle se veut à peine un début. Mais
il n'est peut-être pas superflu de dire que, à notre avis, une recherche
de ce genre n'est intéressante que lorsqu'elle aboutit à un objet qui
n'est plus tout à fait le même que l'objet prévu au départ.
103
Annexes
Sommaire
Parcours observés des sujets ........................................................ .. 109
Dessins de l'exposition produits par les sujets ........................... . 133
Les cas « mixtes » ........................................................................... . 151
Unités d'étalement de l'exposition ............................................... . 157
Guide d'entretien ..................... :....................................................... . 161
Échantillon ....................................................................................... . 165
Composition du public des exposition de la BPI 173
107
Parcours observés des sujets
Figure 13
Founni (M2)
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Figure 14
Fourmi (M4)
112
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Figure 18
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Figure 21
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Poisson (F6)
124
Figure 27
Poisson (MB)
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Figure 28
Poisson (F9)
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Poisson (M9)
127
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18
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128
Figure 31
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129
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130
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19
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Sauterelle ( Fll)
131
Dessins de l'exposition
produits par les sujets
Les cas « mixtes »
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37
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Figure 56
Founni-poisson (FJO)
154
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Figure 57
Fourmi-papillon (F12)
155
Unités d'étalement de l'exposition
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158
1 Générique de l'exposition: Titre/concepteurs/collaborateurs/affiche
2 Présentation première période. Texte:« 1860-1935, La naissance des vacan-
ces »+deux photos Seeberger, à droite.
3 Grande photo, Seeberger (plage).
4 Photos E. Roger.
5 Texte « Trains et voyage »+documents+ photos Seeberger.
6 Texte « Colonies de vacances »+documents.
7 Photos L. Aigner.
8 Photos Lartigue.
9 Textes «Associations et sports» et « Stations balnéaires et termales » +
documents.
10 Présentation deuxième période. Textes: «Les premiers congés payés» et
« Léo Lagrange et la politique des loisirs du Front populaire »+documents.
Il Photos L. Aigner.
12 Photos Ronis, Zuber, Bougier.
13 Grande photo Cartier-Bresson.
14 Photos Cartier-Bresson.
15 Vitrine mannequins (congé annuel, vélo, pique-nique).
16 Photos Jamet.
17 Texte « Les auberges de la jeunesse »+documents.
18 Grande photo Doisneau.
19 Photos Doisneau.
20 Photos Niepce.
21 Photos Cartier-Bresson.
22 Présentation troisième période. Texte« 1946-1982, les vacances deviennent un
phénomène de masses »+documents (cartes postales).
23 Photos Michaud, Maiofiss, Manceau.
24 Photos Depardon, Toth, Barret, Granveaud.
25 Texte « Vacances à l'étranger»+ documents+ photos.
26 Photos Rouillard, Voyeux, Tulane.
27 Photos d'amateurs.
28 Textes« Modèles de vacances », « Consommation et publicité », « Mesures et
projets 1982 )) +documents.
29 Grande photo Le Querrec.
30 Photos Le Querrec.
31 Photos Dityvon.
32 Photos Franck.
33 Textes « Vacances organisées )> et « Aménagement du
territoire )} +documents.
34 Vitrine basse avec objets et documents.
35a ~cran diapositives - Série << Vacances en groupe)>.
35b t;:cran diapositives - Série<< Voyages)).
35c t;:cran diapositives - Série << Campagne, tourisme vert )>.
35d t;:cran diapositives - Série << Mer)).
35e t;:cran diapositives - Série << Montagne)).
35f t;:cran diapositives - Série << Vacances organisées».
35g Ecran diapositives - Série << Habitat )>.
36a Statistiques: Vacances en chiffres. Combien de Français partent en vacances ?
Qui part en vacances ? Où habitent-ils ? Quel âge ont-ils ?
36b Statistiques: Où partent-ils en hiver ? Où partent-ils en été ? Où partent-ils à
l'étranger ?
36c Statistiques : Quand partent-ils ? Quel mode d'hébergement choisissent-ils ?
Comment partent-ils ?
37 Affiches publicitaires.
38 Vitrine mannequins (habillement ancien).
39 Vitrine mannequins (habillement actuel).
159
Guide d'entretien
Guide d'entretien
Lieu de Questions Objectifs
l'entretien
Hors Beaubourg: ses lieux (les étages), Le vivre beaubourg
exposition - fréquence de visite, Saisir le rapport à Beaubourg, à la
- lieux visités, culture.
- image et représentation du lieu,
- Beaubourg.
Motivation de la visite : Ex po: l'attente et ce que l'on a
- aujourd'hui à Beaubourg, trouvé.
- l'itinéraire jusqu'à l'exposition,
- la décision de visite de l'ex po,
- information préalable sur l'expo.
Mécanisme de la décision : Le vécu
- visite préméditée ou spontanée,
- intérêt : thématique, pédagogique,
- les photos.
Inventaire de l'expositionfspontiiDé: Repérage des zones d'intérêt.
- ce que vous avez vu dans l'exposition. Les zones d'appel.
Titre de l'exposition : Information donnée par le titre
- ce qu'il est. adéquation avec la lecture faite de
- ce qu'il pourrait être. l'expo présentée.
L'affiche:
-id.
Dessin: - l'imaginaire de l'espace,
- pouvez-vous dessiner cette exposition ? - les éléments retenus ou oubliés,
L'insertion de tout cela dans un
retranscription logique (le plan)
informant sur la stratégie de visite
(le vécu de 1'espace).
Dans << Vous allez me montrer votre visite de cette exposi- L'appel.
l'exposition tion et me dire au fur et à mesure ce que vous avez
fait>>:
- le choix des entrées.
- commentaire sur le thème: le thème, les photos,
les textes, les statistiques.
Faire expliciter: - explicitation de la stratégie
- la stratégie, d'aujourd'hui les exemples ...
- le changement de comportement. - les espaces gênants,
Proposer d'autres solution de parcours. - l'adaptation.
Les endroits non visités :
- commentaire,
- les textes non lus,
- les statistiques,
- kiosque. vitrines, etc.
La vidéo Le visiteur face à son comportement (la straté- - recoupement des phases anté-
gie - les choix). rieures.
Le comportement des autres - les autres types.
Relance générale sur les expos. Les lieux d'expos. - rapport à la culture du visiteur.
Attentes: - la visite ..et l'espace.
- une expo que vous avez particulièrement aimée,
que vous trouviez bien faite.
Au contraire, un exemple où vous vous sentiez
moins bien.
Fiche
signalétique
163
Échantillon
Échantillon : Base 25
Ty~: Age:
CS.P.:
H: 17 Étudiants .......................... 6
F: 8 Sans profession ................ 5
Actifs ................................ 14
167
00
"'
Type 1 - Fourmi
Profession
Age Visite
Sexe
d'ex positions
Interviewé Conjoint Père Mère
Proression Visite
Age Sexe
d'expositions
Interviewé Conjoint Père Mère
$
-...J
0
Type 3 - Poisson
Profession Visite
Age Sexe d'expositions
Interviewé Conjoint Père Mère
Profession
Visite
Age Sexe d'expositions
Interviewé Conjoint Père Mère
Cas mixtes
----- ---- --·
Profession Visite
---------
Age Sexe d'expositions
Interviewé Conjoint Père Mère
-·-·· --------------. . ···-- --- -·-- ---- ----·--
F3 35 F Mariée 2 enfants S.P. Cadre moyen Receveur S. P. Oui
agronome (Seita) des postes
-·------- -------~- ·--·- --------------- - - - - - - - - - · ·
FIO 19 H Célibataire Étudiant médecine Directeur Cie Contrôleur P1T Non
l'" année surveillance
Chômeurs 6% (4,5)
Retraités 6% (2)
Autres 4% (3,5)
N.R. (0,5)
100% (lOO)
N.R. 1%
100% (lOO)
175
Visite de l'exposition selon le jour de la semaine
IOOo/o (100)
176
Mode de fréquentation de l'exposition
selon le niveau d'études des visiteurs
N.R. 3% (3)
100% (100)
100% (lOO)
177
Table des matières
178
Fabrication : Transfaire 04250 Turriers
~
Achevé d'imprimer
le 31 janvier 1989
sur les presses de l'imprimerie Louis-Jean
avenue d'Embrun, (15(11)(1 G'ip
Dépôt légal: 81 - Janvier 1989