Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
D I R ECT I ON
Pierre-Yves Soucy
C ON S EI L D E R É DA CT I O N
Fabienne Bradu, Michel Collot, Jean-Pierre Cometti,
Elke de Rijcke, Jalal El Hakmaoui, Henri-Pierre Jeudy,
François Rannou, Olivier Schefer, Pedro Serrano,
Pierre-Yves Soucy, Daniel Vander Gucht, Christophe Van Rossom
A BO NN E M EN T S
La revue paraît trois fois l’an. On peut s’abonner pour trois
numéros par virement au n° de compte ING --
(IBAN : BE / BIC : BBRUBEBB) à l’ordre de
L’étrangère à La Lettre volée, avenue Molière, B- Bruxelles
Abonnement de soutien : €
Abonnement régulier : € (+ € en dehors de la zone euro)
C O R R E S P ON D A N CE
À BRUXELLES : revue L’étrangère c/o La Lettre volée,
avenue Molière, B- Bruxelles. T&F
P I ER RE-YVES SOUCY
L e r é e l … l ’ i r ré d u c t i bl e
NOTES
P I ER RE CHAPPUIS
C e qu i v i e n t d’ e n de s s o us
Paysage et mémoire
Un lieu, tout ou partie, tel détail qui sur le moment nous frappe
— un bout de chemin zigzaguant entre deux villages, la pente d’un
coteau que parcourent des vignes, le froissement des maïs dans le
vent du matin ou, largement déployé sous nos yeux, le quadrillage
de champs et de prés étroitement entrelacés —, nous en sommes
aussitôt habités, nous les reconnaissons, fussions-nous pour la première
fois en leur présence, faute de quoi, privés de résonances, ils ne
nous parleraient pas. Comme si un paysage jamais n’échappait à
un jeu d’échos, de rappels, d’appels réciproques littéralement venus
d’en dessous (souvenus) à l’improviste, selon leurs propres lois. Si
courte soit leur expérience et de peu d’étendue leur mémoire, les
enfants eux-mêmes, dès leur plus jeune âge, éprouvent infaillible-
ment semblable impression de déjà vu, déjà vécu ; dans leur voix,
lorsqu’ils nous en font part, vibre l’accent d’une joie indéfinissable
remontée, on le sent, de plus loin, du fond de l’oubli.
P IE RRE C HA P P U I S
En cause, s’il s’agit de tous les mots, les rapports que tisse entre eux
une prose dont la ligne de vie (« … un tel charme, de si péné-
trantes douceurs, de si puissantes énergies… ») tient moins à la
raison qu’à une grâce naturelle sans heurts, sans effets de style, propre
à réveiller « la musique de l’âme », non point allant s’égarer parmi
les zones éthérées de l’esprit, mais, ici même, s’emparant de tout
l’être. Joubert encore : « Jamais homme n’a mieux fait sentir à
l’âme et au corps les délices de leur hymen. »
Entrailles : siège de nos émotions. Premières en cause (« Je sentis
avant de penser »), elles sont répercutées foncièrement dans l’écri-
ture, l’animent, courent sous le texte, mots, phrases en sont comme
aimantés : « … Je mis à ce voyage une quinzaine de jours que je
peux compter parmi les heureux de ma vie. J’étois jeune, je me
portois bien, j’avois assez d’argent, beaucoup d’espérance, je voya-
geois, je voyageois à pied, et je voyageois seul… » (Confessions,
Livre IV.)
Une résonance prend source en deçà des mots, dans ce qu’ils
aspirent à rejoindre, qui leur a servi de déclencheur et dont, obscu-
rément, ils sont ou se voudraient la réminiscence, assumant plus
que leur résurgence ou leur transplantation : un renouveau, un
revif. Débordement verbal ou resserrement extrême, lyrisme alors
désignera la corrélation au plus juste de « la vibration sonore » et
de « la mystérieuse aura du sens » (Gérard Macé).
M I C HEL COLLOT
U n paysa ge o b j e c t i f ?
il y a ce tracé
comme un fil jeté
une fonction spéciale sans formule
le rappel des forces qui organisent le paysage
une ligne pour la pensée qui compose le paysage
L’articulation du visible
NOTES
. AMIEL, Journal intime, t. II, octobre . Édition intégrale sous la direc-
tion de Bernard Gagnebin et Philippe M. Monnier, Lausanne, L’Âge d’Homme,
, p. .
. Cf. FRANÇOIS CHENG, « Homme-Terre-Ciel » in L’Écriture poétique chinoise,
Paris, Le Seuil, « Points », , p. .
. « Le Mimosa » in La Rage de l’expression, in Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », , p. .
. Cf. « Le lyrisme de la réalité » in La Matière-Émotion, Paris, PUF, , p. -.
. Paru à Sens, chez Obsidiane.
. Quelque chose continue, Grâne, Créaphis, .
. Poèmes paysages maintenant, Paris, Jean-Michel Place, (abrégé par la suite
en PPM suivi du numéro de la page citée), p. .
. FRANCIS PONGE, « Les façons du regard » in Proêmes, in Œuvres complètes, op.
cit., p. .
. Lettre à Émile Bernard du avril (CÉZANNE, Correspondance, Paris,
Grasset, , p. ).
. J’emprunte l’expression à MICHEL RAGON, « Vers une nouvelle conception
du “paysage” ou le “paysagisme abstrait” » (), repris in Vingt-cinq ans d’art
vivant, Paris, Galilée, , p. -.
. « My creativ method » in Méthodes, in Œuvres complètes, op. cit., p. .
. Le poème n° est sous-titré « La vallée de la Marne » ; et le n° , « Détails
du Causse de Gramat ».
. Cf. « D’un lyrisme objectif » in FRANÇOIS ROUGET et JOHN STOUT (s.l.d.)
Poétiques de l’objet, Paris, Champion, , p. -.
. Voir par exemple « La réserve », « poème enregistré » qu’on peut écouter sur
le site de Silence radio : www.stoc.be/_SR/SR_septembre/mbatalla.mp.
. Cf. « La pensée paysage » in Le Paysage : état des lieux, textes réunis par Michel
Collot, Françoise Chenet et Baldine Saint Girons, Bruxelles, Ousia, , p. -.
. « Paysage : c’est-à-dire. Note sur mon projet d’écriture », publié sur le site
de l’Association Autres et pareils, http://autresetpareils.free.fr/artistes/olivier.htm
. Id.
. Le Rideau de dentelle, Bordeaux, Le Bleu du ciel, (abrégé par la suite en
RD), quatrième de couverture.
. Une campagne, Bordeaux, Le Bleu du ciel, (abrégé par la suite en UC),
p. .
. L’Articulation du visible, Marseille, Le mot et le reste, (abrégé par la suite
en AV), p. .
. Restanques, Liège, Atelier de l’agneau, , p. .
HU BE R T A NTO I N E
Né en . Après avoir publié son premier recueil de
poésie (Le Berger des nuages, Amay, L’Arbre à paroles, ),
il s’installe à Guadalajara, au Mexique, où il ouvre le restau-
rant Le Coq à poil qui devient rapidement un centre culturel
alternatif. Les éditions du Cormier (Bruxelles) ont accueilli
deux de ses ouvrages (La Terre retournée, et Vociférations,
). En , on le retrouve chez Gallimard, au sein
de la collection « Verticales », avec des contes poétiques :
Introduction à tout autre chose. Son prochain livre, Exercices
d’évasion, paraît au Cormier dans le courant de cette année.
H U BE RT ANTOINE
E xe rc ic e s d ’é va s i o n
(E xt ra i t s )
*
H UB E R T A N T O I NE
J’irai plus loin que la sauvagerie, jusqu’au bout des postures et des
indulgences, jusqu’à tondre le troupeau de vaches, à déchiqueter
les papiers de la philosophie, à crever les yeux des étoiles, à empê-
cher les femmes d’accoucher.
Le désordre est une plante qui boit l’eau de cette cohérence.
Et si je mange encore, c’est pour donner une chance à un geste
de danse.
*
E XERCICES D’ÉVASION
J’ai été éduqué à tailler les rosiers en ronciers, à boire du vin entre
les repas, à regarder les filles dans les seins. Aussi, quand le clairon
sonne le rassemblement, une pièce de puzzle manque à mon jeu.
Le désir.
*
H UB E R T A N T O I NE
Bien sûr je ne suis pas très clair. Est-ce ma faute si rien n’arrête le
sixième sens ? Je me cogne à mes membres ; mon cœur cuit à feu
doux ; les orteils ne se lavent jamais seuls. Avec ça, comment ne
pas se sentir trahi par le fruit ?
(Ce salaud nous lâche toujours.)
F R ANÇOIS AMANECER
Po é s ie e t my s t è re :
a ffron te m e n t o u é v i t e me n t
les fleurs) trouvent grâce à ses yeux, apportant à ces poèmes d’Ariel
les rares traces d’aménité qu’ils enferment. Tour à tour sont convo-
qués hôpitaux et maternités, fleurs et pierres, Dieu et Lucifer, les
nazis et leurs victimes juives, Ku Klux Klan et kamikazes, etc. Au
terme de cette violente poussée poétique, il semblait qu’elle avait,
selon Ted Hughes, exorcisé les spectres de sa vie .
Puis vint Noël, suivi de l’hiver le plus froid de l’après-guerre.
Sylvia Plath se remit à écrire le janvier. En une semaine, elle
composa douze nouveaux poèmes, ses textes d’après Noël. Elle s’ar-
rêta le février. Le , elle eut le geste fatal : découverte trop tard,
il fut impossible de la ranimer. Les poèmes de cette ultime période,
à la différence de ceux qui avaient précédé, sont d’un ton presque
méditatif. Leur morbidité est empreinte de morbidezza : de
douceur. Leur imagerie est simple. Ils ne mettent plus en scène
des personnages fantasmagoriques, mais la montrent elle, Sylvia,
face à son destin. Ils semblent jalonner un chemin qui mène Plath
au travers de quatre états : dépression, fascination, succion et enfin
geste mortel. Le tout jette une lumière crue sur l’affinité qui parfois
existe entre poésie et suicide — une sorte d’image inversée de la
parenté entre poésie et expérience mystique .
Sheep in Fog
They threaten
To let me through to a heaven
Starless and fatherless, a dark water .
tuée une insidieuse fatigue : lenteur du train, raideur des os. Dans
cette immobilité dépressive — et c’est la note sombre qu’ajoute
le tercet du janvier — s’est infiltrée une pulsion de mort.
Edge
son décès, les témoins trouvèrent deux verres de lait vides au chevet
de ses enfants — et ceux-ci, heureusement, vivants et sains.
Outre une préfiguration, on peut voir dans ce poème tout l’effet
de la fascination morbide. Plath se met en scène morte et son poème,
tel un miroir, lui renvoie une image magnifiée, « grecque », de
son cadavre sous une lune indifférente. Ainsi que le souligne Jean-
Pierre Vernant à propos de la Gorgone : « Ce que vous donne à
voir le masque de Gorgô, quand vous êtes fasciné, c’est vous-même,
vous-même dans l’au-delà, cette tête vêtue de nuit, cette face masquée
d’invisible qui, dans l’œil de Gorgô, se révèle la vérité de votre
propre figure . » « Dans la mort, cette tête à laquelle on se trouve
réduit, cette tête désormais inconsistante et sans force, pareille à
l’ombre d’un homme ou à son reflet dans un miroir, est noyée
d’obscurité, encapuchonnée de ténèbres. C’est une tête vêtue de
nuit . » « Par le jeu de la fascination, le voyeur est arraché à lui-
même, dépossédé de son propre regard, investi et comme envahi
par celui de la figure qui lui fait face et qui […] s’empare de lui . »
Contusion
In a pit of rock
The sea sucks obsessively,
One hollow the whole sea’s pivot.
F RA N ÇO IS A MAN ECER
Words
Axes
After whose strokes the wood rings,
PO ÉSIE ET MYSTÈRE : AFFRONTEMENT OU ÉVITEMENT
The sap
Wells like tears, like the
Water striving
To re-establish its mirror
Over the rock
tude de l’un exprime le doute, tandis que celle de l’autre dit toute
la révérence. Délibérément il enfreint cette « loi de l’unité de l’ins-
tant » que devait poser Diderot un siècle plus tard mais que Poussin,
Le Brun et Félibien — du vivant même de Rembrandt — avaient
explicitement dénoncés .
Évitement et poésie —. Ainsi le passage du mystère est-il parfois
si fermé à la représentation que seule la juxtaposition de ce qui le
précède et de ce qui le suit permet de l’appréhender. Ce mode
opératoire vaut aussi pour la crise, que le poète tente parfois de
saisir dans ce qui immédiatement précède ou suit le paroxysme .
Dans le registre de la sérénité, Jaccottet a fait un usage poétique
rare de la représentation par les prodromes et par les séquelles.
Ainsi exprime-t-il le miracle de l’aube :
L’aube n’est pas autre chose que ce qui se prépare, encore pur, à
brûler ; l’aube est celle qui dit : « attends encore un peu et je m’en-
flamme » ; le bourgeon de quelque incendie.
Mais celle-ci est plutôt ce que le feu ne touche qu’à distance,
ce qui est séparé du feu ou par la distance ou par le temps ou par
le souvenir, le mélange de l’ardeur et de la distance, la mémoire
de l’amour qui coulerait interminablement en nous .
NOTES
. TED HUGHES, « The Evolution of “Sheep in fog” », Winter Pollen, op. cit.,
p. -.
. Traduction de l’auteur : Bord // La femme est parachevée. / Son corps //
Défunt porte le sourire de l’accomplissement, / L’illusion d’une nécessité grecque
// Flotte dans les volutes de sa tunique, / Ses pieds // Nus semblent dire : /
Nous sommes venus jusqu’ici, c’en est fait. // Chaque enfant mort est lové, petit
serpent blanc, / Chacun auprès d’un petit // Pichet de lait, maintenant vide. /
Elle les a repliés // Dans son corps comme les pétales / D’une rose se ferment
quand le jardin // Se raidit et des odeurs coulent / De la gorge profonde et
sucrée de la fleur de nuit. // La lune n’a pas de quoi s’attrister, / Contemplant
la scène de son capuchon d’os // Elle est habituée à ce genre de choses. / Ses
bottes craquent et traînent.
. JEAN-PIERRE VERNANT, Œuvres, op. cit., p. .
. Ibid., p. .
. Ibid., p. .
. Tout n’était sans doute pas joué cependant. Le même jour elle écrit un poème,
Balloons, qui met en scène les ballons de ses enfants flottant dans l’air depuis Noël,
pleins de gaieté.
. Traduction de l’auteur : Contusion // La couleur inonde le point, pourpre
morne. / Le reste du corps est lessivé, / Couleur de perle. // Dans un puits de
rocher / La mer suce, obsessionnelle, / Un trou, pivot de la mer entière. // De
la taille d’une mouche, / La funeste marque / Glisse le long du mur // Le cœur
se ferme, / La mer reflue, / Les miroirs sont voilés.
. SYLVIA PLATH, « Cut — Poppies in July », Ariel, op. cit.
. Le film date de .
. Sa première tentative de suicide eut lieu à l’âge de treize ans. Elle est racontée
dans The Bell Jar, publié sous pseudonyme quelques jours avant sa mort.
. Traduction de l’auteur : Mots // Haches : / De leurs coups le bois résonne,
/ Et les échos ! / Échos s’échappant / Du centre tels des chevaux. // La sève /
Coule telle des larmes, telle l’eau / Luttant / Pour rétablir son miroir / Sur le
rocher // Qui tombe et tourne, / Crâne blanc, / Mangé d’herbes folles. / Des
années plus tard / Je les croise sur la route — // Mots secs et sans maître, /
Infatigables martèlements des sabots, / Tandis que, / Du fond du bassin, des
étoiles fixes / Gouvernent une vie.
. Voir l’observation manuscrite de Claude Lévi-Strauss, citée par Martin Rueff,
sur « Périodicité, symbole et rite ». CLAUDE LÉVI-STRAUSS, Œuvres, Paris,
Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », , p. , note .
. Cf. DAVID FREEDBERG et VITTORIO GALLESE, « Motion, Emotion and
Empathy in Esthetic Experience », Trends in Cognitive Sciences, vol. , n° , .
. SYLVIA PLATH, « Elm » in Ariel, op. cit.
F RA N ÇO IS A MAN ECER
. Cf. GIUSEPPE UNGARETTI, Nascita d’aurora () : E l’ora che disgiunge il
primo chiaro // Dall’ultimo tremore. Traduction de Philippe Jaccottet sous le
titre « Naissance d’aurore » : C’est l’heure qui du dernier tremblement // Disjoint
la première clarté.
. PHILIPPE JACCOTTET, Paysages avec figures absentes, Paris, Gallimard, « Poésie »,
.
. PHILIPPE JACCOTTET, L’Effraie, La Semaison, XIV, Paris, Gallimard, « Poésie »,
.
. GIORGIO MANGANELLI, « Cinq poèmes », Le Nouveau Recueil, n° , décembre
(dossier sur la poésie italienne contemporaine, réuni et traduit par Martin
Rueff), p. .
. Cité par CLAUDE LÉVI-STRAUSS dans Regarder écouter lire, op. cit., p. .
. Cf. PIERRE BAYLE, Pensées diverses sur la comète de .
. MICHEL DE MONTAIGNE, Essais, Livre II, chapitre XII.
. Selon le mot de Balzac cité par CLAUDE LÉVI-STRAUSS, op. cit., p. .
. ROBERT CREELEY, Just in Time, New York, New Directions, , p..
Traduction de Stéphane Bouquet dans Action poétique, n° , décembre ,
p. .
JEA N- P IE RR E B URGA R T
Né en , il a publié au Mercure de France (Paris) deux
livres de poèmes (Ombres, et Failles, ), un texte
destiné au théâtre (Le Bracelet de verre, ) et des traduc-
tions de poèmes de Paul Celan (in Strette, ). Aux éditions
Sens&Tonka (Paris), un essai sur la peinture et la ressem-
blance : Le Tain des choses, et des poèmes : Le Second
Jour, . Peintre, il a exposé son travail à la Galerie Claude
Lemand (Paris) en janvier .
J E AN -PIERRE BURGART
V ite s s e d u r ê ve,
im mo bil i té d u s o m m e i l
Sans date
L’oracle
Après l’averse
La banalité enchantée
Varech
L’encre et le pinceau
Septembre
Sait-elle que l’automne est là, septembre, et son ciel pâle comme
l’iris de ses yeux que l’âge a bleuis ?
Un long sommeil, un long silence l’ont envahie et tissent la trame
uniforme de ses jours et de ses nuits, entrecoupés de mauvais rêves
et d’éveils soudains sur l’absence et le vide.
Solstice
L É OP OLD PEETERS
par et termine sur ce vers : « The moon is the mother of pathos and
pity » (la lune est la mère du pathétique et de la pitié). Pour Stevens,
la lune, par sa clarté obscure, donne aux choses un air de mystère,
les rend souvent irréelles en stimulant ou en excitant l’imagina-
tion, elle déforme le réel de ce monde au lieu d’en révéler la vérité
en nous, la lune, en d’autres mots, ce « bijou d’Atlas », stimule la
faculté de rêver au lieu de nous permettre de mieux voir et d’ob-
server attentivement, puisque pour Stevens sa lumière est « jaune »
ou « brune ». Et bien sûr je ne peux pas me retenir de renvoyer
à du Bellay regrettant dans un sonnet l’absence d’inspiration et s’y
rappelant les moments où les muses le menaient danser « au soir,
sous la nuit brune ». Stevens lui-même a d’ailleurs avoué qu’en
présence de la lune et de la mer il éprouve un sentiment d’isole-
ment qui a pour effet de le renfermer dans sa propre imagination.
Mais retour à notre lettre.
Après la paraphrase discursive intellectuelle, Stevens retourne
au poème en gésine mais suggère un autre titre dans lequel les
blondes sont devenues des bébés, Babies qui vivent dans un palais,
la majuscule indiquant qu’il s’agit bien d’un titre, [The] Palace of
Babies, titre de la version définitive du poème qui figure dans
Harmonium. L’incroyant maintenant, protagoniste du poème, est
l’humeur (the mood) des désenchantés en présence de l’enchanté.
On remarquera que l’idée est maintenant montée d’un degré dans
l’abstraction puisqu’il ne s’agit plus de désirs ou d’ambitions sociaux
mais d’une attitude mentale, celle de l’individu incroyant solitaire
se trouvant confronté par un palais des bébés. Il n’est plus sûr si
ceux-ci sont des avatars des blondes, ils pourraient maintenant être
des nouveau-nés. Le palais, alors métaphore peut-être pour une
maternité, tient donc pour le lieu de l’enchantement. Stevens ajoute
entre parenthèses « je hais comme le diable d’écrire ainsi », puis il
passe à un autre poème. Il est temps de tourner notre attention
vers ce poème et de le lire. Je le lis et copie en le transposant en
français, strophe par strophe, et en le commentant, au fur et à mesure
de ce qui frappe mes nerfs :
LIR E WALLACE STEVENS
Palace of Babies
Pas moyen de savoir déjà ce que sont ces bébés. J’admets que
dans la lettre ces bébés semblent avoir remplacé les « blondes », ce
qui permet d’inférer que le vocable baby représente une personne
qui se comporte comme un petit enfant naïf ou qui est trop faci-
lement émue ; il peut tout aussi bien être un terme d’affection qui,
s’il est employé d’une façon mal appropriée, peut donner offense
parce qu’alors senti comme condescendant ou trop familier. « Palais »
lui aussi frappe, surtout qu’il est en incidence avec des bébés : est-
ce l’endroit ou la bâtisse où pour les crédules se trouvent les objets
de leurs rêveries ? Le génitif peut être subjectif ou objectif dans
ce titre, pas moyen de décider d’emblée. Le degré zéro de l’ar-
ticle ne permet pas non plus de préciser et le titre crée donc une
attente ou une curiosité qui sera immédiatement confrontée à celui
à qui on ne la fait pas : l’incroyant se promenait sur la place illu-
minée par la lune. Le verbe to walk est employé transitivement
avec le sens de se promener ou de marcher autour ou de part et
d’autre, sans autre destination. L’expression a quelque similarité
avec celle de to walk the beat, patrouiller, ce que font les policiers
qui doivent surveiller une certaine aire d’une ville. Ce sens trouve
un écho dans le dernier vers disant que l’incroyant « observe ce
qui pour lui sont des éclaboussures de lune sur les murs ». Mais
d’abord je dois m’occuper du deuxième vers : « En dehors de grilles
de serafin travaillé ». Ce dernier syntagme a de quoi étonner. Le
« serafin », bien sûr, nous savons que c’est l’ange de l’ordre le plus
élevé, le vocable hébreu dérivant du verbe ayant le sens de « brûler »,
ces anges sont enflammés d’un zèle ou amour sacré. Mais qu’ont-
ils à faire du palais ? Je découvre alors que, dans l’Ancien Testament,
les séraphins proviennent d’une vision qu’Isaïe a eue du Saint des
L ÉO P O L D P E E TE R S
saints du temple dont ils sont des figures les plus proches de la présence
divine et par conséquent ignées. D’un coup nous sommes trans-
portés dans le domaine religieux dans lequel les anges jouent un
rôle important puisque l’homme les a imaginés pour être les inter-
cesseurs entre ciel et terre. J’ajoute que pour Stevens il y a plusieurs
sortes d’imagination parmi lesquelles il situe celle de la Bible. Mais
les séraphins sont les plus hauts et leur feu a de quoi inquiéter ceux
qui s’approchent et de leur refuser l’entrée. Ce que font les grilles
d’ailleurs devant un palais. Ici pourtant ils sont hammered et ce verbe
signifie to contrive by intellectual labour : inventer par un labeur intel-
lectuel. Ces anges sont donc le fruit d’une imagination laborieuse.
La lune, remarquons-le, jette non pas des taches de lumière mais
des éclaboussures sur les murs, sans doute du palais. Et là se pose
une question rythmique. En effet, les deux premiers vers sont des
pentamètres ïambiques mais le dernier contient un double accent
sur moon et blotches, et le vers ne compte que quatre pieds. Je sens
ce double accent, qui casse le vers en deux et donne aux éclaboussures
une importance inattendue, comme un geste d’horreur ou d’im-
patience. Première réaction de lecteur : la confusion règne et la
question se pose si le poète y pourra mettre de l’ordre.
du vers elle aussi est tonique) contraste vivement avec les précé-
dents, tous ïambiques, et crée effectivement l’impression de harsh-
ness (dureté), la voix narrative, s’étant faite aigre et rauque,
effectivement tape sur les nerfs du lecteur. Ajoutons qu’en anglais
le vocable solitude désigne aussi un lieu solitaire ou déserté. À l’ar-
rière-fond, comme un écho par implication, on entend ainsi la
moonlit place (comme dans solitary place) du premier vers du poème.
Souvent donc les vocables font entendre plus que leur sens premier
en évoquant leur situation et leur fonction dans des expressions
courantes qui en anglais sont fort concrètes. Il serait d’ailleurs inutile
de vouloir démêler les images de ces strophes car elles se combi-
nent pour créer le contraste entre deux tonalités de la sensibilité,
l’une résultant de l’enchantement à laquelle s’oppose l’autre du désen-
chantement de l’incroyance renfrognée. Passons à la dernière strophe.
tout cas, non pas dans son esprit maintenant, mais dans son cœur,
l’incroyance du marcheur gisait tout froid, je dirais comme un cadavre
à l’opposé des êtres qui viennent de naître. Par rapport à ces deux
reprises, le dernier vers donne l’impression d’être ajouté comme
une conclusion ou une confirmation, comme un point d’orgue
ironique :
qui prend le thé avec de vielles femmes crédules elles aussi bland,
dans un autre palais, celui de Hoon. L’adjectif bland est ambigu
car il signifie à la fois « débonnaire, affable » et « narquois ». En
fait cette ambiguïté correspond assez bien à ce peuvent être la plupart
des vieux hommes du monde. Ce type does the talking, il fait les
frais de la conversation, expression dans laquelle les « frais » aussi
sont ambivalents. Je discute brièvement ce poème pour arrondir
cette introduction à la lecture des poèmes de Wallace Stevens et
arriver à des conclusions provisoires.
que les images elles aussi, chargeant le rythme ïambique d’un poids
sémantique, contribuent à la tension processive, car elles n’ont pas
des contours bien définis, si caractéristiques des concepts et des
signifiés, leur ouverture leur permet de suggérer et de contracter
des liens avec les autres images de sorte qu’elles se réverbèrent
entre elles et partant dans le lecteur. Dans ce verbe « réverbérer »
j’entends le vocable « verbe » : dans les vocables les images commen-
cent à parler, elles acquièrent une voix. Ainsi l’« abstraction » des
images rejoint le domaine du sensible, elle est portée par le rythme
et la musique verbale ou le chant, car ceux-ci sont des réalités
sensibles dans le poème, qui s’adressent non pas à l’intellect et à
ses connaissances, toujours insuffisantes d’ailleurs dans ce cas, mais
à la sensibilité. Ainsi pour Le Docteur cubain : dans ce poème le
lecteur peut sentir que certaines conditions ou situations ont la
force de pénétrer et de perturber dans n’importe quel refuge, car
ce besoin de solitude et de protection n’est pas un concept mais
un sentiment et même plus un état éprouvé dans le corps qui subit
un malaise. Ce qui nous ramène à la tonalité particulière de cette
poésie, qui peut parfois être sentie comme une façon qu’a le poète
de faire pavaner son brio verbal, tonalité dominante dans ce premier
recueil, que Stevens appelle la gaudiness, pour lui, essentielle dans
toute poésie.
Le substantif gaudiness s’appuie sur l’adjectif gaudy correspon-
dant dont le sens est fort complexe. Dans son trésor de la langue
anglaise, Roget le fait figurer sous plusieurs rubriques contrastées,
voire contradictoires, comprenant florid (fleuri) pour les couleurs
au sens de haut-en-couleur, ornamented (ornementé) pour le général
« riche » auxquels ressortissent gorgeous (magnifique), garish (voyant
ou criard), glittering (brillant), flash (superficiel), et sous ostentatious
(fastueux) comme ayant le sens de « vulgaire ». On le voit, l’ad-
jectif se trouve sur un fil de rasoir d’où il peut basculer des deux
côtés laudatif et péjoratif. La gaudiness doit donc savoir jusqu’où
aller trop loin. Pour ma part cette pléthore de nuances m’incite à
le relier à son origine étymologique, le latin gaudium, soit gau, racine
LIR E WALLACE STEVENS
NOTES
M I C HEL PAGNOUX
R eg a rds
( Pre m iè re p a r ti e )
Une table desservie ; une nappe, une grappe de raisin posée sur
une assiette ; quelques convives. Un après déjeuner.
Nos regards sont égarés. Torpeur. Elle obnubile. Engourdies,
on dirait les choses abîmées à jamais dans un songe sans fin, reti-
rées et vaines.
Nul ne relève d’un mot le décor de la nappe ; personne ne
remarque le raisin. Aucun ne s’y absorbe. L’heure est infructueuse
où règne le quelconque.
Que voyons-nous, ne regardant pas ? Rien de remarquable.
Rien ne subsiste d’une vue sans regard. Le monde oppose une
vacance dont rien ne se livre, sinon « l’indifférencié », « la préci-
pitation de l’illimité », comme le remarquait André du Bouchet .
Il est l’invu, comme l’on dirait l’impensé : à regard vacant, monde
manquant.
Une grappe de raisin ? Motif ancien de tableau. Les Grecs
nommaient rhyparographies ou rhoprographies les représentations de
choses communes et viles, les tables chargées de mets, les témoi-
M IC H E L PA GN O U X
marquer l’effet des grandes ombres, & des grandes lumières liées
ensemble, formant des groupes qui servent de repos aux yeux du
Spectateur. La grappe de raisin, dont les grains sont, d’un côté,
une masse de clair, & les grains, du côté opposé, une masse d’ombre,
REGARDS
Le sens premier de voir serait percevoir les images des objets par le sens
de la vue. (Recevoir, selon certains dictionnaires, recueillir apparaît
également.)
Les images des objets ? Des images ? Nos yeux paraissent
condamnés aux images, au règne du tout image, absolument, sans
partage. L’image en lieu et place du monde. Le monde rapporté
à un tégument imagé, l’image monde, le monde image. Image,
image jusqu’au mot lui-même : image, image des images, comme
de toute éternité. À ce régime, le réel bredouille et piétine sous
forme d’imitation : le fantôme du monde soliloque sous nos yeux.
Son caractère tient de la reproduction. Le monde s’avère une simple
M IC H E L PA GN O U X
Voir
qui confirme : « J’ai des yeux. Ils sont valides. Je vois. » Le second
indique que la vue s’est déjà bel et bien saisie de son objet : « Vois-
tu ce point minuscule à l’horizon ? Je le vois. » Il a fallu pour cela
non plus voir, mais regarder. Il a fallu donner à ce regard un objet
et une direction. Ne perdons pas cela de vue.
Voir les choses, nous en assurer, en organiser les catégories et
relever leurs dissemblances, c’est aussitôt les nommer. Des huîtres
et des citrons de mots, par exemple, qui vaudront à perte de vue
hors de leur présence, dont nous aurons fait des biens communs.
Nous pouvons dès lors prononcer, noter « citron », le décrire,
le dépeindre sans le voir, sans citron sous les yeux, sans représen-
tation préalable sauf mémorielle, ne sachant en donner de repré-
sentation peinte ou dessinée crédible qu’en sa présence. Il nous
faut le regarder, l’observer, l’analyser, « en ligne directe ». Il nous
faut le ramener. Mais d’où ? De son gîte, de ce point où réside sa
présence, dont nous ramènerons des apparences, prélevées d’un
zeste, d’un étal de fruits ou d’un merveilleux bodegón de Zurbarán
peint en . D’un livre ? Lire, est-ce déjà regarder ?
Voir du haut de soi, à hauteur de regard, de cœur et d’esprit,
à hauteur de langage, « à hauteur de battement de paupières ».
Mais que contempler ? Peut-être ce qu’écrit Maurice Merleau-
Ponty : « la vibration des apparences qui est le berceau des choses ».
Merleau-Ponty qui, plus loin, dit également : « Tout montre que
les animaux ne savent pas regarder, s’enfoncer dans les choses sans
rien en attendre que la vérité . »
tons. Les présences les plus assurées, les blocs lourds et posés, les
appuis réconfortants frissonnent.
« Admirable tremblement du temps », notait Châteaubriand .
Aussi, la première leçon du regard relevant pareilles résonances
est-elle qu’il est faillible et que nous le sommes. Que parmi les
choses en veille, seules les images seront fixes, composés d’inertie
et de catatonie sans extase. Que les images, comme les représen-
tations, viendraient-elles de nous, sont exemptes de toute énergie
comme de toute velléité vibratoire, dépourvues de la vie qui agite
leurs modèles. Et, de surcroît, que ce qui frisonne et déconcerte
dans les images peintes se trouve être, non pas l’image, mais la
peinture elle-même, comme elle est peinte, sa part humaine —
qui admirablement tremble dans le temps en effet —, et non pas
la chose vue, non pas la chose représentée, ni même l’effort de
spéculation qui les a commuées en figures de tableaux.
Notre attention tient du discontinu, jusqu’à vaciller parfois. L’œil
est impropre aux longs affûts. Serait-il clairvoyant, après un modeste
laps de temps, le regard se détache de toute attenance. La vue se
brouille. La prise se dérobe. Se diffuse un écran de fumée, le nuage
d’encre de la seiche. Ce que l’on espérait captif se retire dans l’in-
décis et se voile. L’œil se voit congédié, son indiscrétion le condamne.
Submergé plutôt, il se déconcentre, s’embue et dessille. Les contours
et les masses se fondent, vaporeux. Prudent, l’œil brûlant se recule
de tout point fixe. Les paupières bienveillantes l’essuient et l’hu-
mectent. Il revient sur le champ s’acharner à ce qu’il s’était donné
et le scrute à nouveau. Telle est la perscrutation, la recherche profonde.
Dans les parages de la couleur et sous l’effet de la lumière, l’agi-
tation est des plus vives. Dissocier de proches nuances, tenter de
soutenir la blancheur ou la saturation d’une couleur, chercher à
s’assurer de passages ou de gradations, ne s’envisage qu’à raison de
n’en rien saisir. Là, très précisément là où aucun là ne séjourne,
ne réside nul point fixe. L’on dirait une oscillation désordonnée,
non gouvernée, livrée à elle-même. Quelque chose de très rapide
mais sans direction annoncée, ivre, la couleur sur sa lancée, pour
REGARDS
Regarder
Tout regard, à dessein, lance pour aviser au devant d’elle, les yeux
d’une « face toute entière devenue regard » (André du Bouchet).
Regard scrupuleux, gouverné. Sur son élan, dans la lumière et
par sa cause, il ajuste au dehors ses yeux jaillis de leurs orbites. Puis
au-dedans, revenus et rentrés, il recueille et crible leur moisson.
Les yeux en avant de soi. Les yeux d’un être traversant au devant
de lui-même, et qui soutiennent l’en-face. Est-ce un mouvement
de notre fait, une effectuation ? Sont-ils happés par la requête d’un
monde qui nous enjoint à l’attention, nous projette son extério-
rité afin que nous la rejoignions ? Conjonction croisée des adresses
M IC H E L PA GN O U X
Annonciation à l’escargot
Suite de l’escargot
Dépiction
Ce terme, peu usité, peu ou pas répertorié par les principaux diction-
naires, traduit de l’anglais, regarde la peinture. Il est ambigu. L’anglais
le charge de dire le trait, la délinéation, que l’on suivrait comme
du bout du doigt. Il se réfère également à l’art du portrait — où
l’on relèverait ce qui dépeint la ressemblance. Il est proche en effet
de dépeindre, sinon de décrire. En français, l’on aimerait que sa
racine latine permette de l’associer à l’éclairement du pictural. La
dépiction serait cette manière de considérer la picturalité de l’œuvre
peinte, pour elle-même et non plus au travers des significations
qu’elle permet et abrite. Il compléterait le travail de la dénotation,
sans s’y confondre. Il s’appliquerait à la langue peinture, à son verbe,
la désignerait, abstraite de la gangue de l’œuvre dans son entiè-
reté, dans l’épaisseur du palimpseste sémantique de ses signifiés. Il
en relèverait l’art et l’éclat. Il deviendrait un éminent département
de l’analyse critique des œuvres, une discipline première de l’es-
thétique et de son étude. Las, il est confiné à un usage ambivalent
— la dépiction contribuerait-elle à faire ressortir le pictural ou l’his-
toria de l’œuvre peinte ? — et ne donne lieu à nulle étude systé-
matique de la picturalité. Ici, pour le plaisir, ne serait-ce qu’un
instant, ce mot se voit chargé de nous ouvrir les yeux à la pein-
ture : la dépiction qualifie le travail du regard esthétique porté à l’œuvre
peinte, en tant qu’elle est… une œuvre peinte, à savoir sur ce qu’elle
comporte de peint. Il fait écho au regard pictural, celui du peintre
à l’œuvre qui, regardant d’un côté les choses et le monde et de
l’autre sa palette, les commue en tableau.
Trajet du regard
NOTES
. Id.
. Id.
. FRANCIS PONGE, « Berges de la Loire » in La Rage de l’expression, in Œuvres
complètes, t. I, op. cit.
. FRANCIS PONGE, « Escargots » in Le Parti pris des choses, in Œuvres complètes,
t. I, op. cit.
. DANIEL ARASSE, « Le regard de l’escargot » in On n’y voit rien, Paris, Denoël,
.
. SVETLANA ALPERS, L’Art de dépeindre, trad. Jacques Chavy, Paris, Gallimard,
.
. Id.
. Id.
. « Dépiction », extrait de Matière à peindre, op. cit. Cf. NELSON GOODMAN,
Manières de faire des mondes, trad. Marie-Dominique Popelard, Paris, Jacqueline
Chambon, , rééd. Paris, Gallimard, « Folio Essais », .
. ANDRÉ DU BOUCHET, « Lettre à Jean-Michel Reynard » in La Parole ensau-
vagée, Bruxelles, La Lettre volée, , p. .
P IE R R E C H APP UI S
Né en , il est l’auteur d’une douzaine de recueils de
poésie parus pour la plupart à Paris chez José Corti dès
(dernier titre en date : Comme un léger sommeil, )
où il a aussi publié des ensembles de notes et réflexions
(dont La Rumeur de toutes choses, ) et des lectures critiques
(Tracés d’incertitude et Deux essais, Michel Leiris/André du
Bouchet, ). Il a par ailleurs publié Le Noir de l’été (Chêne-
Bourg, La Dogana, ) et Éboulis & autres poèmes précédé
de Soustrait au temps, avec une préface de Michel Collot
(Chavannes-près-Renens, Empreintes, ), et il a prin-
cipalement collaboré ces dernières années à La Revue de
Belles-Lettres et aux revues Conférence et L’Étrangère.
P I ER RE CHAPPUIS
M e s u re r l ’ o b s cu r
( po ur p re n d re p a r t a u x p o èmes
d e P ie r re Vo é l i n )
l’abri, dans les profondeurs — et nous n’avons pas prise sur lui,
nul accès qui fût simple et direct » (La Nuit accoutumée). Alors peuvent
s’entendre « tant de paroles imprononcées », dans le poème comme
dans les hêtres auxquels il se sent accordé.
cause dès le premier vers et dans tout le poème, alors que je n’in-
tervient qu’allusivement (« boire dans mes yeux »). Essentiels, outre
les doigts tenant comme une offrande « la rose silencieuse », les
yeux ou, ailleurs, le visage, la bouche (et bien sûr la parole), la
main, soit ce qui est gage d’un contact, d’un échange, d’une commu-
nication (cruciale comme chez Paul Celan ou Ossip Mandelstam)
du moi intérieur à un tu convié, jamais précisé (effacement encore
de toute incidence personnelle), adressé autant aux choses qu’aux
êtres : « toi le glacier », ou « toi la neige salie », « vous les fleurs »,
etc.
NOTE
: , -
+ - : lettre.volee@skynet.be - www.lettrevolee.com
⁄
:
, - -
: + - : +
: @.
: . , -
: + - : +
: .
: , -
: + - : +
: @.
L’étrangère, n°
- , « En guise d’ouverture » ; ,
« De toutes parts » ; , « L’éclat de l’étrangère » ;
, « Le livre des fluides » ; , « Histoire
illustrée de l’Invisible » ; , « Chaussées chaussées » ;
, « Mythologies » ; , « Le sommeil du
tambour » ; , « Anthologie d’air » ;
, « La fiction ou l’expérimentation des possibles »
L’étrangère, n°
, « L’art » ; , « Natures mortes
(voix) » ; , « Raconter » ; - ,
« S’arrachant au néant : Faulkner, l’invention du réel » ;
, « Ciel surface, II » ; ,
« Abeilles / Obstacles » ; , « Premier jour dans l’autre
monde » ; - , « La ville et les singularités quelconques »
L’étrangère, n°
- , « Anti-Ulysse » ; , « Rime » ;
- , « Aller, devant, “vers ce qui fut” » ;
, « Plusieurs étés » ; , « Divertimento mexicain » ;
- , « Poèmes costumes (Scènes et portraits) » ;
, « Les dépressions de la pensée chez Wittgenstein » ;
, « Complainte du vieux mâle » ; - , « Musil
et Wittgenstein au voisinage »
L’étrangère, n° -
- , « Au gré du temps qui passe » ; ,
« Intenable Matière » ; , « Une fois n’est jamais » ;
, « Le Nom exact d’Être est Chance » ; -
, « Révélation à la British Library : aucun, parmi les vivants
qui — d’un vivant — puisse » ; , « D’où un homme est-il
visible ? » ; , « Du dit jamais » ; ,
« Pierre Chappuis, d’un trait discontinu » ; , « Sans
combler de vides » , « D’après nature » ; , « La chambre noire
de l’intime » ; , « Ce désir toujours qui sauve et qui
tue » ; , « Ce qui bruit entre les mots » ; -
, « Traversée de l’épaisseur » ; , « Du plasma aux
trous noirs » ; , « Sans propriétés » ; ,
« Un homme du premier jour » ; - , « Douze
poèmes » ; , « Écrire à perte de mémoire » ;
, « Zone franche » ; , « Benoît Conort ou les voix
portées du poème » ; , « L’ombromane » ; -
, « Jean-Luc Sarré : la mémoire extérieure » ; - ,
« Dix pièces brèves » ; , « Alain Suied à la recherche du
« royaume perdu » » ; , « Entendre, écouter, comprendre » ;
, « Lire Mathieu Messagier et dévaler les pentes de
l’écriture » ; , « Dix-neuf poèmes plus raides que la
pente » ; , « Jacques Vandenschrick et la question de
l’origine » ; , « Dix poèmes » ; -
, « Atteindre le plus discret » ; , « Au fond du jour »
L’étrangère, n°
, « Poèmes » ; , « Sur Barnett Newman : Ohio .
Lieu et temps d’une expérience esthétique » ; , « Six
poèmes » ; , « Pas rattrapable » ; ,
« L’ortie » ; , « La piscine » ; ,
« Suspendre un instant »
L’étrangère, n°
- , « Poussière de andré du bouchet, comme de
personne » ; , « Intempéries » ; ,
« Nouvelles lettres sur l’éducation esthétique de l’homme » ;
, « Un lit de chair humaine » (extrait) ; ,
« Lieux dits » ; , « Du perdant et de la source lumineuse »
L’étrangère, n° -
- , « Malaise de la critique, critique d’un malaise » ;
, « Traceurs d’horizons » ; - , « La
relâche du regard » ; , « L’écart » ; - ,
« Sur la critique thématique » ; , « Phénoménologie et
expérience littéraire » ; , « Seuil critique » ;
, « Dormance (I) » ; , « Mais quelle communauté
scientifique ? (extrait) » ; , « La triangulation du cercle » ;
- , « Quelle critique ? Quels critères ? » ;
, « Surtout exercice » ; -, « Vers la clef de
l’indépendance : les jumeaux Schwitters » ; ,
« Éthique de la raison critique » ; , « Quelques
considérations sur la vocation philosophique de la critique » ;
, « Pour une éthique de la critique » ; ,
« Catalogues (extraits) »
L’étrangère, n°
, « Chute, disparition » ; , « Rimbaud
et la fin de la poésie » ; , « L’Éventail des possibles » ;
, « Chez Thomas Bernhard à Steinhof » ; - ,
« L’origine du lieu » ; , « En premier lieu » ;
, « Peinture » ; -, « Affleurements pour
attouchements » ; , « Sur la peinture de Bernard Gilbert » ;
-, « exuel » ; , « God disjunct »
L’étrangère, n°
, « L’envers (extrait) » ; , « Peinture » ;
, « Chant de l’étendue » ; - , « Et (plus
tard) précipitant » ; , « L’éducation des monstres » ;
, « De la forêt humiliée » ; - , « Visage d’une
mémoire (extraits ) » ; , « La poésie de Silvia Baron
Supervielle »
L’étrangère, n°
-, « Salerni (extrait) » ; -
, « Le ready-made original et sa doublure » ; ,
« Devenir-fantôme » ; , « Protocole de temps : sur le travail de
Leïla Brett » ; , « Ici au-dedans de ça » ;
, « Tout dire » ; , « Laisse passe » ; ,
« Loin en des terres intérieures »
L’étrangère, n° -
- , « Présentation. Mutation de la société, interdit et
création » ; , « Nitimur in vetitum » ; -
, « Le jeu des limites » ; , « Usinareva : la cité dans interdit » ;
, « De la subversion de la loi au plan du désir chez
Deleuze » ; , « Joël-Peter Witkin : le cliché pervers » ;
, « Imre Kertész ou l’écrivain interdit » ;
, « L’étouffoir suroxygéné » ; , « Les dangers
du relativisme pour la liberté de l’art » ; , « Dire entre les mots
l’interdit créateur. Fragments épars » ; -, « Et il
serait interdit de nous dire poète ? » ; - , « Par structure,
la vie est un jeu… » ; , « Liberté et interdit » ;
, « Interdit et censure. Quelle autonomie pour l’art et sa
réception ? »
ISBN 978-2-87317-358-6
,!7IC8H3-bhdfig!