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Choix Publics. Analyse économique des décisions publiques

Book · December 2010

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3 authors:

Mickael Melki Fran�ois Facchini


Université de Fribourg Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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Martial Foucault
Sciences Po Paris
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Emotional Reactions and Political Behavior: The 2015 Paris Attacks View project

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Choix publics

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ouvertures Économiques

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Choix publics
Analyse économique
des décisions publiques
Dennis C. Mueller
François Facchini • Martial Foucault
Abel François • Raul Magni-Berton • Mickaël Melki

Traduction de la 3e édition américaine

ÉCONOMIQUES
OUVERTURES

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Ouvrage original :
Public Choice III, 3th edition by Dennis C. Mueller
© Dennis C. Mueller 2003
Cambridge University Press

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation,
consultez notre site web : www.deboeck.com

© Groupe De Boeck s.a., 2010 1re édition


Rue des Minimes 39, B-1000 Bruxelles
Pour la traduction en langue française

Tous droits réservés pour tous pays.
Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie)
partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le
communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

Imprimé en Belgique

Dépôt légal :
Bibliothèque nationale, Paris : décembre 2010 ISSN 2030-501X
Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles : 2010/0074/299 ISBN 978-2-8041-6211-5

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AVANT-PROPOS

Pour la première fois en 2009 et 24 ans après la récompense obtenue par James Buchanan
pour ses travaux pionniers sur l’analyse économique des décisions publiques, le prix Nobel
d’économie a été attribué à une politiste, Elinor Ostrom 1, dont les thèmes de recherche et
la démarche s’inscrivent pleinement dans le courant du Public Choice. Ces deux prix Nobel
couronnent un courant pluridisciplinaire, qui est devenu essentiel à la fois pour la science
économique et pour la science politique.
Le livre d’origine de D.C. Mueller, publié en 2003 sous le titre Public Choice III,
est la troisième édition d’un travail qui perdure depuis plus de 30 ans 2 et qui vise à offrir
une perspective d’ensemble sur la théorie des choix publics. Il ne s’agit donc pas d’un
manuel d’introduction, mais d’une véritable somme de savoirs, élaborée à travers quasi-
ment cinquante années de recherches, sur l’une des approches les plus riches des sciences
sociales, située à mi-chemin des sciences politiques et économiques.
C’est pourquoi, il nous est apparu important de proposer un accès aisé à ces recher-
ches au public francophone et à tout type de lectorat (académique ou non). L’ouvrage
incontournable de D.C. Mueller s’est imposé comme le candidat naturel pour une traduction
et une adaptation au monde francophone. Ce livre possède en effet une réelle profondeur
historique, car son auteur couvre et participe au développement de ce champ des sciences
économique et politique. Il montre ainsi comment la connaissance scientifique se construit
collectivement autour d’un programme de recherche commun, et quelles sont les contribu-
tions du Public Choice à l’explication de questions économiques (e.g. la création de riches-
ses), juridiques (e.g. la formation du droit et des réglementations), politiques (e.g. des modes
de scrutin) ou sociologiques (e.g. la participation à l’action collective). En ce sens, il
s’adresse à un public très large d’étudiants, chercheurs et professionnels de l’économie, de la
politique, du droit, de la gestion publique, de l’administration publique, de la sociologie, etc.
L’avantage de cette traduction est évidemment de mettre à la disposition d’un
public francophone un ouvrage de référence. Il existe bien des articles de synthèse (Blais,
1982 ; Bénard, 1983, 1988 ; Pommerehme et Kirhgässner, 1990), des travaux de veille
scientifique 3 et des manuels d’économie publique en français (Frey, 1985 ; Généreux,

1 Son ouvrage principal a d’ailleurs été traduit récemment chez De Boeck : Ostrom (2010).
2 D.C. Mueller suit et participe au développement de ce courant, depuis 1979, date à laquelle il a fait sa première
synthèse pour Journal of Economic Literature.
3 Voir par exemple Lecaillon (1990), Lafay (1990a), Lafay (1990b), Lecaillon (1991).
6 CHOIX PUBLICS

1994 ; Greffe, 1994 ; Lafay et Lecaillon, 1992 ; Mueller, 1982 ; Wolfelsperger, 1995) qui
traitent de cette littérature, mais ils sont souvent anciens et ne permettent pas de se faire une
idée claire et globale de l’étendue et de la richesse du programme de recherche ouvert par
l’école des choix publics.
Pour autant, ce livre n’est pas une traduction stricte, il s’agit plutôt d’une adapta-
tion. L’intérêt de son adaptation est de présenter les applications de la théorie des choix
publics aux pays francophones. Nous montrons, d’une part, tout au long de l’ouvrage, que
les exemples de Mueller concernant notamment le système politique américain sont parfai-
tement transposables aux institutions politiques des pays francophones et européens et,
d’autre part, que ce courant a donné naissance à une littérature francophone non négligeable.
Cette adaptation de la version américaine est aussi l’occasion de mettre à jour les
références bibliographiques et éventuellement de montrer l’avancée de la littérature depuis
cette date. Un effort constant a été fait pour indiquer les références francophones les plus
récentes, ainsi que celles, éventuellement plus anciennes, qui proposaient des revues de
littérature en français.
Cette traduction-adaptation est également l’occasion de montrer l’importance prise
par les travaux empiriques et économétriques, et plus globalement par l’analyse quantita-
tive dans les sciences économiques et politiques contemporaines. S’il est vrai que jusqu’au
début des années 1980, l’apport de l’école des choix publics est principalement théorique
(Tullock, 1980), son apport empirique est depuis cette date considérable, quels que soient
les terrains empiriques ou les méthodes quantitatives utilisées. La lecture de ce livre et de
ses nombreux paragraphes consacrés aux tests empiriques finira de convaincre, nous
semble-t-il, les lecteurs les plus récalcitrants que l’analyse économique des décisions
publiques n’en est pas restée à l’analyse théorique.
Ce travail permet également de mettre en perspective l’apport de l’analyse écono-
mique de la politique aux sciences politiques et économiques. Il traite à cette occasion des
avantages et des inconvénients, ainsi que des réussites et des échecs relatifs, de la théorie
des choix rationnels à rendre compte des choix politiques ; tout en exposant les réponses
apportées aux limites rencontrées. Le lecteur pourra ainsi se faire une opinion sur l’ensem-
ble des arguments proposés.
Le lecteur pourra lire cet ouvrage de manière linéaire et classique puisque l’arti-
culation cohérente des chapitres permet une progression dans les questionnements : des
raisons de l’existence de l’État jusqu’aux questions normatives soulevées par l’analyse
économique des choix publics et la conclusion sur les apports du Public Choice à la
compréhension des phénomènes politiques. Il pourra également l’utiliser comme un
dictionnaire, en utilisant indépendamment et selon ses besoins, les différents chapitres qui
peuvent être lus de manière totalement autonome 4.

F. Facchini, M. Foucault, A. François, R. Magni-Berton et M. Melki.


4 Le lecteur qui souhaiterait approfondir ses lectures pourra se référer aux manuels en anglais sur des sous-
domaines plus restreints de l’analyse économique de la décision publique, mais également aux principales
revues scientifiques consacrées à ce thême comme Public Choice, European Journal of Political Economy,
Economics and Politics, ou encore Constitutional Political Economy, bien que la large diffusion des avancées
de ce courant fait qu’on retrouve dans pratiquement toutes les revues internationales d’économie et de science
politique des travaux s’y rattachant. Le lecteur trouvera également des informations auprès d’associations
professionnelles comme la Public Choice Society ou l’European Public Choice Society.
1
INTRODUCTION
8 CHOIX PUBLICS

Traditionnellement, la science économique et la science politique sont deux champs de


recherche séparés autant en ce qui concerne les méthodologies utilisées, que les questions
posées, ou encore les hypothèses explicatives formulées. Si cette séparation, que l’on peut
dater d’Aristote avec sa définition de l’homme comme un animal politique et d’Adam
Smith avec sa définition de la nature humaine portée vers l’échange, est ancienne et
toujours d’actualité, on peut légitimement en questionner la pertinence, la validité et l’uti-
lité.
L’économie des choix publics 1 répond clairement par la négative à cette question,
et argue que l’homme politique (l’homo politicus) et l’homme économique (l’homo oeco-
nomicus) sont une seule et même personne, et ce, indépendamment des hypothèses expli-
catives proposées. Il n’y a pas deux types d’humains : des humains qui agiraient dans la
sphère politique ou publique et des humains qui agiraient sur les marchés. Il n’y a qu’un
seul individu agissant dans deux sphères différentes. Mais à moins de proposer une théorie
explicative des changements de comportements dans les deux processus, il nous faut
concevoir une théorie explicative générale des comportements s’appliquant tant dans la
sphère économique que dans la sphère politique.
En ce sens, le courant du Public Choice peut être défini comme l’étude écono-
mique des processus de décision ayant lieu hors des marchés, ou bien plus globalement
comme l’analyse des interactions entre les processus politiques et économiques 2. Pour
autant, si les sujets au cœur de l’analyse des choix publics sont ceux de la science poli-
tique – les théories de l’État, les règles de vote et les modes de scrutin, les partis politiques,
etc. –, la méthodologie reste cependant celle de l’économie hypothético-déductive. Dit
autrement, l’analyse des décisions publiques se fait à l’aide des outils de l’économiste tels
que la modélisation ou les statistiques inférentielles. Mais le point méthodologique central
est l’utilisation de l’hypothèse de rationalité dans les décisions des acteurs. Le postulat de
base est alors que si les individus se comportent de manière rationnelle sur les marchés, ils
doivent également se comporter de manière rationnelle dans leurs activités politiques.
Historiquement, l’analyse économique des choix publics trouve ses origines dans
l’analyse des finances publiques et en particulier dans les œuvres de Knut Wicksell et
d’Erik Lindhal ainsi que dans les travaux de l’école italienne des finances publiques du
début du vingtième siècle. Ces spécialistes de finances publiques ont été les premiers à s’in-
terroger sur la manière dont les décisions relatives aux recettes et aux dépenses budgétai-
res étaient prises. La principale conséquence de ce changement de perspective a été de
déplacer l’analyse des effets de l’impôt, de la dette ou de la dépense publique vers les
causes de ces décisions budgétaires. Le Public Choice en s’inscrivant dans cette voie a ainsi
comblé un vide laissé par les théories classiques des finances publiques qui s’intéressaient
presque exclusivement aux conséquences des décisions budgétaires et fiscales.

1 Nous utilisons indifféremment les termes de « Public Choice », d’« analyse économique des décisions
publiques », d’« analyse économique de la politique », d’« analyse des choix publics », d’« économie poli-
tique » (Political Economics), de « nouvelle économie politique », etc., pour désigner l’ensemble des travaux
sur les interactions entre l’économie et la politique.
2 Ou comment les décisions économiques peuvent être influencées par des déterminants politiques, et ont donc
une dimension politique ; et comment les décisions politiques peuvent être influencées par des déterminants
économiques, et ont donc une dimension économique.
Introduction 9

Le Public Choice s’est alors développé pendant la période qui a suivi la Deuxième
Guerre mondiale (Buchanan 1980) à partir de cinq ouvrages pionniers, qui correspondent
à cinq questions ou reformulations fondamentales pour l’analyse des processus politiques.
Le premier ouvrage est celui de Joseph Schumpeter (1942) Capitalisme, socia-
lisme et démocratie, qui pose la question des objectifs poursuivis par les hommes politiques
dans la poursuite de leurs activités publiques. Il est en effet l’un des premiers auteurs à
appréhender les incidences sur l’analyse du fonctionnement démocratique de la levée de
l’hypothèse de bienveillance des hommes politiques, c’est-à-dire le fait que les hommes
politiques poursuivent des objectifs personnels (de carrière, idéologiques, etc.) distincts des
objectifs de l’intérêt commun ou général et qu’ils adoptent des stratégies afin de réaliser au
mieux ces objectifs.
Le deuxième ouvrage, de Kenneth Arrow (Arrow, 1951 et 1963), date de 1951 et
est une critique de la théorie de la souveraineté populaire. Il montre qu’il existe des contra-
dictions logiques lors du processus d’agrégation des préférences individuelles, c’est-à-dire
dans le passage de volontés individuelles à une volonté collective. Il n’existe pas, dans ces
conditions, de volonté commune, d’intérêt général définissable. Cet ouvrage est à l’origine
d’un important programme de recherche qui s’est développé par la suite sous le terme de
« théorie du choix social » (Social Choice and Welfare) ainsi que des problématiques autour
des modes de scrutin et de leurs capacités à refléter les préférences des populations.
Le livre d’Anthony Downs (1957) An Economic Theory of Democracy marque
quant à lui le début d’une analyse du processus électoral fondée sur l’hypothèse de ratio-
nalité. Il s’agit de s’intéresser aux stratégies des partis politiques et des candidats aux élec-
tions durant les campagnes électorales, mais également aux choix des électeurs de
participer au scrutin et de décider à qui donner leur suffrage. Ce texte est le livre fondateur
de l’analyse spatiale du vote, appelée également Political Analytics, qui offre un cadre
d’analyse des positionnements électoraux des candidats et des électorats.
Autre ouvrage fondateur, The Calculus of Consent de James Buchanan et Gordon
Tullock (1962) propose pour la première fois une analyse des procédures de choix d’une
règle de décision collective. À partir d’une étude des coûts et des bénéfices liés au vote
majoritaire, ils montrent alors les arbitrages à faire avec l’abandon de l’unanimité entre la
recherche du consensus et le coût de ce consensus. À la suite de cet ouvrage, un ensemble
important de travaux va se développer à la fois sur les propriétés des règles majoritaires et
sur les institutions encadrant les choix politico-économiques (Constitutional Political
Economy).
Enfin, le dernier ouvrage fondateur est celui de Manscur Olson (1965) The Logic
of Collective Action. Économiste de formation, Olson cherche à répondre à la question poli-
tique de la logique de la participation d’individus rationnels à une action collective, comme
être membre d’un parti politique, d’un groupe d’intérêt ou d’un syndicat, etc. Les réponses
qu’il apporte au paradoxe de l’action collective, sont à l’origine de tous les développements
de l’analyse économique des décisions politiques portant sur les activités politiques indivi-
duelles et sur les problèmes de passager clandestin (free rider) rencontrés par ses institu-
tions.
10 CHOIX PUBLICS

Ces cinq ouvrages sont donc à l’origine du développement des principales théma-
tiques ou des principales méthodologies du Public Choice. Si ce courant est né de l’appli-
cation d’outils économiques par des économistes à des problématiques politiques, il ne faut
pas, pour autant, réduire l’analyse économique des décisions publiques à l’application
exclusive du postulat économique de rationalité comportementale aux actions politiques
afin de mieux la critiquer (voir par exemple Green et Shapiro, 1994 et 1995 ; Udehn, 1997).
Plusieurs éléments étayent une perspective plus large de l’apport du Public Choice à l’ana-
lyse de la politique.
Premièrement, le cœur de l’explication de la théorie des choix publics n’est pas de
savoir si l’homo politicus est un homo oeconomicus, mais de préciser les conséquences des
stratégies de négociation politique qui conduisent aux décisions publiques. Cela correspond
au cœur de l’argumentation de l’article de J. Buchanan de 1949 qui annonce en quelque
sorte son programme de recherche. Ce qui compte, ensuite, c’est de préciser les caractéris-
tiques de cet échange par rapport notamment à l’échange sur les marchés. Dans ce cadre,
on peut alors définir la science économique comme une science de l’échange et la science
politique comme une science des échanges avec le gouvernement. C’est, en ce sens, que la
théorie des choix publics est devenue une véritable « science politique ». Cela permet de
se détacher analytiquement de la figure de l’homo oeconomicus (Buchanan, 1979 Chapi-
tre 4). Le principal apport de la théorie économique à la science politique est donc de
montrer que la politique est aussi le lieu d’un échange.
Deuxièmement, l’application du postulat de rationalité des comportements
humains n’est pas nouvelle en science politique et n’est pas l’apanage des auteurs du Public
Choice. Il existe, dans la science politique, une tradition philosophique et sociologique
fondée sur ce postulat au moins depuis Nicolas Machiavel, Thomas Hobbes et Benedict
Spinoza, ou encore chez James Madison et Alexis de Tocqueville. Aujourd’hui encore,
l’utilisation des outils et des notions économiques est le fait des politistes eux-mêmes. Si
ce postulat est perçu comme une atteinte à l’idéal politique de la transcendance de l’intérêt
général et de son incarnation dans l’homme politique du fait de son aromantisme et de sa
perspective critique de la politique, il n’est donc pas l’apanage de l’économie politique et
ne peut donc correspondre à un « impérialisme des sciences économiques ».
Ensuite, il n’est pas certain, que les auteurs fondateurs soient les plus grands défen-
seurs de l’hypothèse de rationalité substantive. K. Arrow, tout d’abord, affirme ainsi que
« la rationalité est d’autant plus plausible que les conditions sont idéales ; en dehors de
telles conditions les hypothèses de rationalité sont mises à rude épreuve et peuvent même
devenir contradictoires » (Arrow, 1987). Anthony Downs, ensuite, a proposé une théorie
spatiale du vote qui n’a pas forcément besoin pour se développer de l’hypothèse de pure
rationalité, le modèle d’Hotelling initial en étant dépourvu. De plus, son principal postulat
est que les électeurs ne s’informent pas spontanément sur les enjeux politiques et les condi-
tions électorales (candidats, programmes, politiques publiques, etc.) sur lesquels ils doivent
s’exprimer. Nous sommes donc plus proches, dès l’origine du Public Choice, d’une ratio-
nalité limitée que d’une rationalité substantive.
Enfin, l’analyse économique de la politique ne perd pas sa pertinence ni ses capa-
cités explicatives si on prend ses distances avec la théorie de l’équilibre et l’hypothèse
d’optimisation. Au contraire, le relâchement de ses postulats peut permettre d’enrichir
Introduction 11

considérablement les modèles explicatifs, qu’ils soient théoriques ou empiriques. Par


exemple, tout un ensemble de travaux s’est constitué autour du remplacement de l’hypo-
thèse que les hommes politiques par leurs actions cherchent à maximiser leur intérêt de
carrière par l’hypothèse qu’ils poursuivent des objectifs idéologiques qui leur apportent
également de la satisfaction.
Il y aura toujours de l’échange, de l’argent, des informations économiques qui
influencent les comportements électoraux, mais aussi des effets de calendrier et de la
couleur politique des gouvernements sur les politiques budgétaires ou redistributives, etc. ;
tous ces faits qui ont été mis en évidence par le Public Choice sont désormais indépendants
de l’hypothèse de rationalité, sont établis empiriquement et sont bien présentés dans ce
livre ainsi que leurs limites et avantages.
En conclusion, il apparaît que l’école des choix publics se définit donc, d’une part,
par l’assimilation de l’homo politicus à l’homo oeconomicus et, d’autre part, par l’analyse
des décisions politiques comme un échange, ce qui laisse une part très importante à l’étude
des institutions, de leur formation et de leurs influences sur les décisions individuelles.
Pour autant, le Public Choice n’est pas une école uniforme et homogène, mais plutôt un
courant de recherche traversé par de grandes oppositions et de grandes questions.
Ces controverses peuvent porter sur les postulats de base de la représentation de la
politique. Comme exemple, on peut ainsi citer l’opposition, déjà évoquée précédemment,
sur les objectifs poursuivis par les hommes politiques. Les politiciens ont-ils des objectifs
de carrière dans la gestion des politiques publiques (Downs 1957), et dans ce cas il s’agit
bien d’« office-seekers », ou poursuivent-ils des objectifs idéologiques, adoptant ainsi des
stratégies de « policy-seekers » ? Cette question se retrouve dans l’opposition entre les
cycles politico-économiques opportunistes et les cycles partisans.
Les oppositions peuvent également naître des résultats et conclusions des diffé-
rents travaux, qu’il s’agisse de modèles théoriques ou empiriques. Souvent, les résultats ne
convergent pas nécessairement du fait de différences d’hypothèses, de méthodologie ou de
terrains empiriques. C’est par exemple le cas autour de la question de l’efficacité ou de
l’inefficacité de la démocratie, au travers d’une comparaison avec le marché, dans sa capa-
cité à allouer de manière efficace les ressources politiques disponibles. Ces divergences
viennent alors enrichir et motiver de nouvelles recherches dans un processus cumulatif de
savoir.
Enfin, les controverses trouvent aussi leurs origines dans les perspectives métho-
dologiques adoptées par les chercheurs, notamment dans la distinction entre vision positive
et normative des travaux. S’il est vrai que l’analyse économique des décisions publiques
s’est développée essentiellement dans une perspective positive, elle a progressivement
offert un apport intéressant aux débats normatifs : la discussion sur des institutions poli-
tiques plus justes ne doit pas se limiter à proposer un contenu raisonnable à la justice
sociale, mais doit également fournir les caractéristiques d’un système politico-institution-
nel tel que des acteurs rationnels soient incités à produire cette justice sociale.
Ces grandes questions, ces grandes oppositions seront mises en lumière dans le
livre au fur et à mesure de la présentation des principales thématiques. Le lecteur se rendra
alors compte qu’elles restent largement ouvertes et à l’origine de nombreux développe-
12 CHOIX PUBLICS

ments. Il se rendra également compte que loin d’être un champ clos et fermé, l’analyse
économique de la politique contribue par son pluralisme méthodologique et thématique et
par sa vitalité à notre compréhension des phénomènes politiques et plus généralement des
phénomènes économiques. L’économie est contrainte, structurée, par les décisions poli-
tiques et par les institutions politiques. Le présent ouvrage nous explique pourquoi et
comment les acteurs organisent dès lors leurs actions à l’intérieur de ce cadre.
Le livre est organisé en 26 chapitres. Les deux premiers chapitres traitent de l’ori-
gine de l’État et cherchent à expliquer l’apparition de l’État. Deux arguments sont mis en
avant : le premier porte sur l’efficacité allocative (chapitre 2) et le second sur la redistribu-
tion (chapitre 3).
Dans une deuxième étape, les problématiques de la décision publique dans le cadre
d’une démocratie directe sont abordées. Dans un premier temps, il s’agit d’envisager le
choix d’une règle de vote (chapitre 4) en définissant la règle de majorité optimale qui se
distingue de l’unanimité et qui possède tant des propriétés positives (chapitre 5) que norma-
tives (chapitre 6). Des alternatives plus ou moins simples (chapitre 6) ou sophistiquées
(chapitre 7) à la règle de la majorité sont proposées dans un second temps. Mais la possi-
bilité d’expression de leur préférence par le vote pour les électeurs doit être mise en balance
avec les autres modalités d’expressions politiques comme la migration ou la révolution
(chapitre 8).
Dans une troisième étape, c’est le fonctionnement d’une démocratie représentative
qui est analysé. Après avoir abordé la question du fédéralisme comme système politique
(chapitre 10), la compétition électorale est analysée au travers de deux grands modèles de
vote. Le vote déterministe, où en première analyse la question de l’information des élec-
teurs ne se pose pas, permet de définir le théorème de l’électeur médian (chapitre 11). Le
vote probabiliste permet lui de prendre en compte les effets d’information sur le position-
nement électoral des candidats (chapitre 12). L’analyse est ensuite étendue aux systèmes
multi partis (chapitre 13) qui soulèvent des questions sur les modes de scrutin, sur les
objectifs des partis, sur les comportements stratégiques des électeurs, ainsi que sur la
formation des gouvernements. La question de la participation électorale et du paradoxe du
vote mis en évidence par l’application des choix rationnels ainsi que par les réponses
apportées est présentée dans le chapitre 14.
L’étude du fonctionnement des démocraties représentatives est également l’occa-
sion d’examiner les théories de la recherche de rente (chapitre 15) qui expliquent l’inves-
tissement de ressources par les acteurs privés dans la décision publique afin d’obtenir des
décisions qui leur soient économiquement favorables. La question de l’étude du fonction-
nement de l’administration est traitée dans le chapitre 16 alors que ses interactions avec les
pouvoirs législatifs et exécutifs sont analysées dans le chapitre 17.
La cinquième étape porte sur différents domaines importants de l’analyse écono-
mique des décisions publiques tant dans une dimension théorique qu’empirique. La dicta-
ture est ainsi étudiée dans le chapitre 18 autour des questions des objectifs des dictateurs,
du mode de fonctionnement des dictatures, de leur disparition et de leurs performances
économiques. L’une des questions les plus traitées quantitativement par le Public Choice
est certainement celle des liens entre la concurrence électorale et les politiques macroéco-
nomiques (chapitre 19), notamment autour des cycles politico-économiques. Une autre
Introduction 13

problématique également beaucoup étudiée par le Public Choice est celle des groupes d’in-
térêt et de leurs relations, qu’elles soient financières ou informatives, avec les hommes
politiques (chapitre 20). Les deux derniers thèmes ont trait à la taille de l’État. Il s’agit
d’une part, de présenter les théories explicatives de la croissance de l’intervention publique
(chapitre 21), et d’autre part, d’appréhender les liens entre la taille de l’État et les perfor-
mances macroéconomiques d’un pays (chapitre 22).
La sixième étape modifie la perspective et propose une présentation de la dimen-
sion normative des analyses du Public Choice. Trois éléments sont plus particulièrement
traités en lien avec les développements des théories des choix sociaux : la question de la
fonction du bien-être social (chapitre 23) ; la question de la possibilité ou de l’impossibi-
lité d’un ordre social (chapitre 24) ; et enfin, la question du contrat social juste (chapi-
tre 25).
Le dernier chapitre de l’ouvrage (chapitre 26) se propose en guise de conclusion
de faire le point sur les apports de l’école des choix publics aux connaissances des phéno-
mènes politiques. Il s’agit de montrer les avantages et les limites de l’approche et de répon-
dre aux principales critiques, souvent injustifiées, faites à cette démarche volontairement
pluridisciplinaire et particulièrement fructueuse.
PARTIE
1

LES ORIGINES DE L’ÉTAT

Chapitre 2. La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 17


Chapitre 3. La raison des choix collectifs : la redistribution 55
2
LA RATIONALITÉ
DES CHOIX COLLECTIFS :
L’EFFICIENCE ALLOCATIVE

2.1 Biens publics et dilemme du prisonnier 18


2.2 Jeux de coordination 23
2.3 Biens publics et jeu de la poule mouillée 25
2.4 Fourniture volontaire de biens publics avec des rendements
d’échelle constants 27
2.5 Fournitures volontaires de biens publics en faisant varier
les technologies d’offre 31
2.6 Les externalités 35
2.7 Le théorème de Coase 37
2.8 Coase et le noyau 40
2.9 Une généralisation du théorème de Coase 42
2.10 Le théorème de Coase tient-il sans des droits de propriété prédéfinis ? 45
2.11 Les externalités en présence d’un grand nombre d’acteurs 46
2.12 Externalité avec un grand nombre d’individus - une seconde fois 49
2.13 Résultats expérimentaux portant sur la fourniture volontaire de biens publics 51
18 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

2.1 BIENS PUBLICS ET DILEMME DU PRISONNIER


Le mérite le plus important de l’économie a probablement été de démontrer que des indi-
vidus aux motivations purement égoïstes peuvent tirer profit l’un de l’autre grâce à
l’échange. Si A élève du bétail et B cultive du blé, les deux peuvent améliorer leur bien-
être en échangeant du bétail avec du blé. À l’aide du système des prix, le processus peut
être généralisé à une grande variété de biens et de services.
Bien que souvent décrit comme le parfait exemple de l’issue bénéfique produite
par l’activité purement privée des individus, en l’absence de tout gouvernement, le théo-
rème de la main invisible présuppose un système de choix collectifs comparable en sophis-
tication et en complexité au système de marché. Les choix qui opposent A à B ne consistent
pas seulement à faire un échange ou à ne pas le faire, comme on pourrait implicitement le
penser. A peut choisir de voler le blé de B, plutôt qu’abandonner son bétail pour l’obtenir.
B peut faire de même. Contrairement à l’échange, qui est un jeu à somme positive bénéfi-
ciant aux deux participants, le vol est au mieux un jeu à somme nulle. Ce que gagne A, B
le perd. Si le vol, ainsi que les protections contre le vol, diminuent la capacité de A et de B
à produire du blé et du bétail, cela devient un jeu à somme négative. Alors qu’en échan-
geant chacun essaye d’améliorer sa position et les deux finissent par l’améliorer ; s’ils
volent, en revanche, les objectifs égoïstes de chacun laissent les deux dans une moins
bonne situation qu’au départ.
Cet exemple peut être illustré de façon plus stratégique par la matrice 2.1. Pour
simplifier la discussion, ignorons la possibilité d’échanger et supposons que chaque indi-
vidu ne cultive que du blé. Le carré 1 donne l’allocation de biens quand A et B s’abstien-
nent de voler (les gains de A précèdent ceux de B dans chaque case).

Matrice 2.1
Le vol comme dilemme du prisonnier.

B
Ne vole pas Vole
A
Ne vole pas 1 4
(10 ; 9) (7 ; 11)
Vole 2 3
(12 ; 6) (8 ; 8)

Les deux joueurs sont dans la meilleure situation lorsqu’ils renoncent à voler, mais
chacun est dans une situation encore meilleure s’il est le seul à voler (cases 2 et 4). Dans la
matrice 2.1, le vol est une stratégie dominante pour les deux joueurs, ainsi définie parce
qu’elle domine toutes les autres stratégies en promettant à celui qui l’a choisie un plus
grand gain que toute autre stratégie et ce quel que soit le choix de l’autre joueur. Dans un
environnement anarchique, on peut s’attendre à ce que les choix indépendants de chaque
individu conduisent les deux à adopter la stratégie dominante correspondant au vol et à se
retrouver dans la case 3. La distribution de blé dans la case 3 représente une « distribution
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 19

naturelle » des biens (ainsi appelée par Bush, 1972), à savoir la distribution qui émergerait
dans un état de nature de type hobbésien.
À partir de cet état de nature, les deux individus peuvent améliorer leur situation
en s’engageant mutuellement – de façon tacite ou formelle – à ne pas voler. Ils s’accorde-
ront si l’application d’un tel accord coûte moins que le gain conjoint qu’il permet d’obte-
nir. En passant de la case 3 à la case 1, les deux individus accomplissent un changement
parétien qui les amène hors de l’état de nature hobbesien (Bush, 1972 ; Bush et Mayer,
1974 ; Buchanan, 1975a ; Schotter, 1981). Le contrat qui permet un tel changement est une
sorte de contrat constitutionnel qui établit les droits de propriété et les contraintes compor-
tementales pour chaque individu. L’existence de ces droits est sans aucun doute une condi-
tion nécessaire pour pouvoir faire des contrats post-constitutionnels, qui créent par la suite
un système d’échanges volontaires (Buchanan, 1975a). Les problèmes des choix collectifs
se manifestent lorsqu’on quitte l’anarchie hobbésienne et se définissent par l’existence d’un
groupe ou d’une communauté reconnaissable.
Un système de droits de propriété et de procédures pour les appliquer sont un bien
public samuelsonien en cela que « chaque consommation individuelle ne limite pas la part
de consommation de ce bien des autres individus » 1. Ou encore, un bien public pur peut
être défini comme devant être fourni en quantité équivalente à tous les membres d’une
communauté. Des exemples familiers de bien publics purs sont la défense nationale, la
police et les pompiers. La défense nationale est le bien fourni par la collectivité contre les
menaces extérieures. Les lois et leurs applications protègent contre les menaces intérieu-
res ; les pompiers contre le feu. Toute fourniture d’un bien public qui requiert un coût en
ressources, en temps ou en contraintes morales peut être décrite comme une stratégie de jeu
analogue à la matrice 2.1. Si on remplace le vol par le paiement pour l’armée, ou pour la
police ou encore pour les pompiers, on peut voir émerger la même stratégie. Chaque indi-
vidu est plus gagnant si tous contribuent à fournir le bien collectif plutôt que si personne ne
contribue. Mais chacun est encore plus gagnant s’il est le seul à ne pas payer pour le bien.
Un bien public pur a deux caractéristiques importantes : la non-rivalité et l’impos-
sibilité ou l’inefficacité d’exclure d’autres personnes de sa consommation une fois qu’il a
été fourni par quelques membres de la communauté (Musgrave, 1959 ; Head, 1962). La
non-rivalité est une propriété de la production ou de la fonction de coût du bien public. Le
cas extrême de non-rivalité est un bien dont les coûts de production sont tous fixes et dont
les coûts marginaux de production sont nuls (par exemple, un monument public). Pour un
tel bien, l’accroissement du nombre des consommateurs (les touristes) ne prive pas les
autres de leurs bénéfices de consommations. Même un bien avec des coûts moyens décrois-
sants, bien que les coûts marginaux soient positifs, garde des éléments de non-rivalité qui
accroissent les problèmes de production collective.
La caractéristique de la non-rivalité crée la possibilité de gains suite à un déplace-
ment coopératif de la case 3 à la case 1. Étant donnée la non-rivalité, une décision de

1 Samuelson (1954, p. 386). La mesure dans laquelle les individus peuvent être exclus des bénéfices d’un bien
public varie. Un homme ne peut défendre sa maison des invasions étrangères sans défendre en même temps
celle de son voisin, mais il peut laisser brûler la maison du voisin sans risquer d’endommager la sienne.
Tullock (1971c) a suggéré que des procédures de paiement volontaire pour les biens publics excluables intro-
duiraient des situations qui ressemblent à la dernière citée.
20 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

consommation collective est nécessaire pour produire efficacement le bien. S’il faut deux
fois plus de ressources pour protéger A et B des autres que pour protéger seulement l’un
d’entre eux, l’action collective est alors non nécessaire en raison d’une possibilité d’ex-
clure. Chacun peut choisir de façon indépendante s’il contribue ou non à sa propre protec-
tion.
Certaines personnes peuvent être exclues des bénéfices tirés d’une visite de la
statue placée dans une galerie privée si elles ne payent pas pour la voir. Mais personne ne
peut être empêché de voir une statue ou un monument qui est sur la place d’un centre ville.
Pour beaucoup de biens publics, l’exclusion de quelques membres de la communauté de sa
consommation est impossible ou impraticable. L’échec de l’application du principe d’ex-
clusion produit une incitation à se comporter de façon non coopérative et individualiste,
c’est-à-dire à pouvoir gagner en bougeant de la case 1 vers les cases 2 ou 4. L’impossibi-
lité de l’exclusion augmente la chance que des processus purement volontaires de fourni-
ture du bien public soient interrompus. Alors, lorsqu’elles sont conjointes, les propriétés du
bien public offrent la raison d’être des choix collectifs. La non-rivalité est la carotte qui
pousse à prendre des décisions coopératives-collectives bénéficiant à tous ; le principe
d’absence d’exclusion est la pomme qui tente les individus à devenir indépendants et non
coopératifs.
Bien que le plus pur des biens publics soit caractérisé par les deux propriétés de
non-rivalité et d’impossibilité d’exclusion, des problèmes de révélation de préférences se
manifestent toujours si seulement la première de ces propriétés est présente. Ce qui signi-
fie qu’une définition alternative du bien public est qu’il peut être fourni en quantités équi-
valentes à tous les membres de la communauté avec un coût marginal nul. La substitution
du « doit » par « peut » dans la définition implique que l’exclusion devient possible. Un
exemple classique d’un bien public conforme à cette définition est un pont. En absence de
congestion, les services offerts par le pont peuvent être mis à disposition de tous les
membres de la communauté, mais ce n’est pas obligatoire. L’exclusion est possible. Cepen-
dant, aussi longtemps que le coût marginal lié à l’usage du pont de la part d’un individu
reste nul, exclure quelqu’un qui tirerait un bénéfice marginal en empruntant le pont serait
une violation du principe de Pareto. La non-rivalité seule peut créer le besoin d’une action
collective pour parvenir à l’optimalité de Pareto. La matrice 2.1 décrit le dilemme du
prisonnier désormais largement analysé. Le trait principal de ce jeu est que le joueur en
ligne classe les quatre situations possibles ainsi 2 > 1 > 3 > 4, alors que le classement du
joueur en colonne est 4 > 1 > 3 > 2 2. La stratégie non coopérative est dominante pour les
deux joueurs. C’est la meilleure stratégie pour un joueur sur un jeu non répété au regard
des choix stratégiques de l’autre joueur. Le résultat, la situation 3, est un équilibre de
Cournot-Nash 3. Cette situation a également la regrettable propriété d’être le seul résultat
qui n’est pas Pareto-optimal. Pour chacune des trois autres cases, un changement peut

2 Un postulat supplémentaire que les gains du joueur en ligne dans la case 2 et ceux du joueur en colonne dans
la case 4 soient inférieurs à leurs deux gains dans la case 1 est nécessaire pour s’assurer qu’ils ne s’accordent
pas pour suivre une stratégie mixte, en coopérant et en faisant défection à tour de rôle ; autrement dit, ne pas
se voler réciproquement sur deux périodes doit produire des gains plus élevés que se voler l’un l’autre à tour
de rôle.
3 Un ensemble de stratégies S = (s1 , s2 , …, si …, sn ) est un équilibre de Nash si pour chaque joueur i , si est sa
stratégie optimale, quand tous les autres joueurs j = i jouent leurs stratégies optimales s j , s j ∈ S.
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 21

mettre au moins un joueur dans une plus mauvaise situation, alors que pour la case 3, un
changement vers la 1 améliore la situation des deux joueurs.
En dépit de l’évidente supériorité du résultat coopératif où personne ne vole sur le
résultat où tous volent, la domination des stratégies de vol a pour conséquence que choisir
ensemble de ne pas voler ne conduit pas à un équilibre stable, au moins pour l’un des deux
joueurs. La solution coopérative peut émerger, cependant, en tant que résultat d’un « super-
jeu » du dilemme du prisonnier répété encore et encore par les mêmes joueurs. La solution
coopérative peut apparaître, même en absence d’une communication directe entre les
joueurs, si chaque joueur choisit une stratégie du « super-jeu » qui lie son choix des straté-
gies coopératives dans un jeu singulier aux stratégies des autres joueurs. Une telle stratégie
dans un « super-jeu » consiste pour un individu à jouer dans le jeu en cours la même stra-
tégie que celle utilisée par l’autre joueur dans le jeu précédent. Si les deux joueurs adop-
tent cette stratégie et si tous commencent par utiliser la stratégie coopérative, la solution
coopérative émerge à chaque étape du jeu. Cette stratégie du « donnant-donnant » bat
toutes les autres stratégies proposées par un panel d’experts en théorie des jeux dans un
tournoi par ordinateur organisé par Axelrod (1984).
Une stratégie alternative, qui parvient au même résultat, consiste pour chaque
joueur à jouer une stratégie coopérative aussi longtemps que l’autre joueur le fait, et à punir
l’autre joueur quand il fait défection avec une série de coups non coopératifs qui suit cette
défection, avant de revenir à une stratégie coopérative. Encore une fois, si tous les joueurs
commencent en coopérant, ce résultat continue pendant tout le jeu (Taylor, 1987, ch. 3).
Dans ces deux stratégies coopératives, entraînant une solution au super-jeu du dilemme du
prisonnier, on parvient à l’équilibre grâce à la punition (ou à la menace de punition) du
comportement non coopératif de chaque joueur, dans ce cas par la non-coopération de
l’autre joueur. Cette idée que le comportement non coopératif (antisocial, immoral) doit
être puni pour inciter à se conformer à la règle du groupe a été trouvée dans la plupart, sinon
toutes les philosophies morales, et offre un lien direct entre cette large littérature et la
théorie moderne 4.
Quand le nombre de joueurs dans un dilemme du prisonnier est petit, il est
évidemment plus facile d’apprendre leur comportement et de prédire s’ils répondront aux
choix stratégiques coopératifs et de quelle façon. Il est aussi plus facile de détecter le
comportement non coopératif et, quand cela est possible, de le repérer pour le punir, de
manière à encourager à l’avenir des stratégies coopératives. Quand le nombre de joueurs est
important, il est facile pour un joueur d’adopter des stratégies non coopératives sans être
détecté, puisque l’impact d’une défection singulière est petit. Ainsi, il ne sera pas puni car il
ne pourra pas être découvert ou il sera trop couteux pour les joueurs coopératifs de le détec-
ter et de le punir. Donc, le conformisme volontaire avec des sanctions ou la fourniture de
biens publics ont plus de chances d’apparaître dans des petites communautés que dans des
grandes (Coase, 1960 ; Buchanan, 1965a). La dépendance au comportement coopératif dans
des grandes communautés ou groupes conduit au free-riding (ou comportement de passager
clandestin) et à la sous-fourniture ou à la non-fourniture du bien public (Olson, 1965).

4 Pour des discussions classiques du comportement moral et de la punition, qui sont les plus modernes et les
plus en ligne avec la discussion autour du dilemme du prisonnier, voir Hobbes, Léviathan (1651, chapitres 14,
15, 17, 18) et Hume (1751, pp. 120-127).
22 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

Dans une communauté grande, mobile et hétérogène, il peut y avoir besoin d’éta-
blir formellement quel comportement est mutuellement avantageux (par exemple, combien
chacun doit contribuer pour un bien public), parfois même simplement pour que les indi-
vidus sachent quel comportement est compatible avec quel intérêt commun. Étant donné
les incitations à faire défection, la coopération peut requérir l’application de récompenses
ou de sanctions individuelles. Olson (1965) a montré que la participation individuelle dans
de grandes organisations et fondées sur le volontariat, comme les syndicats, les groupes
d’intérêts et d’autres groupes organisés, n’était pas fonction des bénéfices collectifs que ces
organisations fournissaient à leurs membres, mais des incitations individuelles qu’elles
offraient sous la forme de bénéfices sélectifs pour la participation et la présence, ou sur des
peines telles que des amendes ou autres sanctions individuelles.
L’une des conséquences est que la démocratie, définie comme un ensemble de
procédures formelles de vote pour produire et appliquer des choix collectifs, est une insti-
tution très utile pour les communautés impersonnelles de grande taille. Les familles pren-
nent une série de décisions collectives sans toujours voter ; les tribus votent seulement
occasionnellement. Une métropole ou une nation peut avoir à faire un grand nombre de
décisions par des processus de choix collectifs, bien que beaucoup d’entre eux puissent ne
pas correspondre à ce que nous avons défini ici comme un processus démocratique 5. De
façon analogue, des communautés petites et stables peuvent susciter la conformité volon-
taire aux règles du groupe et des contributions pour la fourniture d’un bien public local en
utilisant des canaux de communication informelle et des pressions de groupe. Des commu-
nautés plus larges et plus impersonnelles doivent par contre établir des peines formelles
contre les comportements antisociaux (tels que voler), lever des impôts pour fournir les
biens publics et employer une police pour assurer la coopération.
La taille de la communauté, sa dépendance de sanctions formelles et de leur appli-
cation par la police ainsi que l’échec dans le dilemme du prisonnier peuvent tous être
dynamiquement associés. La détection des tricheurs dans le dilemme du prisonnier prend
du temps. Une augmentation du nombre de défections peut conduire à une augmentation
ultérieure de ces défections, mais seulement après un certain temps. Si, du fait d’un accrois-
sement de la taille de la communauté ou pour quelques autres raisons, la fréquence des
défections devait augmenter, on pourrait s’attendre à ce qu’après un certain laps de temps
les violations du dilemme du prisonnier se multiplient. La fréquence des défections dans la
période qui suit augmenterait toujours plus et, de manière concomitante, le besoin et la
dépendance en efficacité policière pour que les lois soient appliquées. Buchanan (1975a) a
décrit un tel processus comme l’érosion du capital juridique (c’est-à-dire du respect des
règles) d’une communauté 6. Aujourd’hui, cette forme de capital fait notamment référence
au capital social. Putnam (2000) fournit des preuves d’un déclin important du stock de
capital social dans toutes les démocraties occidentales dans les générations récentes.
Taylor (1987) associe la rupture de la solution coopérative au dilemme du prison-
nier non pas à la taille de la communauté, mais au niveau d’intervention du gouverne-

5 Il faut aussi garder à l’esprit que la démocratie est seulement un moyen potentiel pour produire des biens
publics. Les autocraties ou les oligarchies fournissent aussi des biens collectifs à leur communauté. Les auto-
craties sont discutées au chapitre 18.
6 Voir Buchanan (1965a).
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 23

ment 7. L’intervention de l’État dans la fourniture de ce que la collectivité veut ou de l’ap-


plication de normes sociales « libère » psychologiquement l’individu de l’obligation de
travailler pour la volonté collective et de préserver ces normes. L’intervention de l’État
conduit à augmenter le comportement antisocial ; cette augmentation incite à demander
plus d’intervention de l’État et ainsi de suite. Frey (1997b) utilise un argument analogue.
Les avantages et les sanctions produites par l’État pour susciter du comportement coopé-
ratif peuvent entraîner un effet d’éviction en détruisant les motivations intrinsèques des
individus à se conduire moralement et comme de bons citoyens. Ces théories peuvent cons-
tituer une explication pour la montée des dépenses publiques au cours du siècle dernier.
L’accroissement de la mobilité et de l’urbanisation a provoqué une diminution de la coopé-
ration des citoyens, ce qui a causé une demande pour plus d’intervention étatique. L’inter-
vention de l’État a, à son tour, réduit la propension des citoyens à coopérer entre eux en
provoquant ainsi une intervention étatique toujours plus grande.
Ce scénario d’effilochement des liens sociaux a été remarquablement décrit par
Rawls (1971) à propos de l’évolution d’une société juste dans laquelle les comportement
moraux (justes et coopératifs) d’un individu conduisent à un accroissement du comporte-
ment moral des autres, en renforçant le comportement coopératif du premier et en l’encou-
rageant toujours plus. Le processus dynamique de ces deux scénarios est le même et c’est
seulement leur direction qui est inversée.

2.2 JEUX DE COORDINATION


Le dilemme du prisonnier est un dilemme parce qu’il récompense la tricherie à partir de la
solution coopérative du jeu et, par conséquent, la rend individuellement rationnelle. Toutes
les situations dans lesquelles l’utilité d’une personne dépend de l’action d’une autre ne
récompensent pas nécessairement la « tricherie », et donc ne font pas apparaître un
problème d’action collective qui caractérise le dilemme du prisonnier. Une telle situation
inclue les jeux de coordination.
La matrice 2.2 décrit ces jeux. Si Ligne et Colonne jouent leur stratégie A, les deux
reçoivent le gain positif a. S’ils se coordonnent sur la stratégie B, ils obtiennent le gain b.
Et s’ils manquent leur coordination, les deux ne reçoivent aucun gain. Maintenant, suppo-
sons que chaque joueur connaît tous les gains possibles de la matrice 2.2 et doit choisir une
stratégie indépendamment de ce que l’autre joueur choisit et dans l’ignorance de stratégies
envisagées pas l’autre joueur. Quelle stratégie un individu rationnel devrait-il choisir ?
Chaque joueur sait que l’autre joueur aimerait bien choisir la même que lui, mais aussi qu’il
n’a aucune connaissance de ce qu’il va choisir, il ne peut évidemment faire aucun choix
rationnel.

7 En effet, « le principal point (de Taylor) vise à établir » que « la coopération peut se développer dans un super-
jeu du dilemme du prisonnier, quel que soit le nombre de joueurs » (1987, p. 104). À la page suivante, il
concède, cependant, qu’« il est plutôt évident que la coopération parmi un nombre assez important de joueurs
a « moins de chances » d’apparaître que la coopération parmi un petit nombre » (p. 105).
24 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

Matrice 2.2
Un jeu de coordination.

D
Stratégie A Stratégie B
G
Stratégie A 1 4
(a ; a) (0 ; 0)
Stratégie B 2 3
(0 ; 0) (b ; b)

Supposons maintenant que b > a. Clairement, les deux joueurs ont une préférence
pour se coordonner sur la stratégie B. La stratégie B devient une forme de point de Schel-
ling, et les deux joueurs peuvent s’attendre à ce que les deux choisissent cette stratégie
(Schelling, 1960). Mais que faire si b = a ? Il semblerait que les deux joueurs n’aient pas
d’autre choix que de recourir au jeu du pile ou face, sinon celui d’essayer de communiquer
l’un avec l’autre. Avec b = a, les deux joueurs sont indifférents entre la coordination sur
les stratégies A ou B. Si l’un d’eux pouvait proposer de se coordonner sur la stratégie B,
l’autre n’aurait aucune raison d’objecter et n’aurait aucune raison de faire défection une
fois que l’accord a été trouvé. Les jeux de coordination ont donc une stabilité inhérente
alors que celle-ci est absente dans plusieurs autres jeux qui représentent des dilemmes
sociaux, comme le dilemme du prisonnier.
En effet, à cause de cette stabilité intrinsèque, l’ensemble des stratégies Pareto-
optimales est censé émerger quand le jeu de coordination est répété, en exigeant beaucoup
moins de postulats comportementaux que ceux qui étaient nécessaires pour parvenir au
résultat Pareto-optimal dans un super-jeu du dilemme du prisonnier. Supposons par
exemple que tous les individus ignorent les gains des différentes combinaisons de straté-
gies, les choix que l’autre joueur a fait dans le passé ainsi que le choix actuel de l’autre
joueur. La seule information dont un joueur dispose consiste dans ses propres choix straté-
giques passés sur un nombre fini de jeux et les gains qu’il a obtenus. Étant donnée cette
connaissance limitée, il choisira de jouer la stratégie qui a le plus rapporté dans un passé
récent.
Par exemple, supposons qu’il ne se rappelle que des gains des cinq derniers jeux
et qu’il a joué trois fois A et deux fois B. Dans deux des trois coups où il a joué A, il a
obtenu a ; dans un des deux coups où il a joué B il a reçu b. Il choisira alors d’augmenter
la fréquence avec laquelle il choisira la stratégie A. Si l’autre joueur adopte la même règle
de comportement, les deux joueurs se coordonneront spontanément sur la stratégie A et
rejoueront cette même stratégie aussi longtemps que la structure des gains restera la même.
Plusieurs contributions à la théorie des jeux évolutionnaires ont modélisé l’action
individuelle comme un apprentissage adaptatif, dans lequel le choix stratégique individuel
d’aujourd’hui dépend des gains qu’il a reçus dans un passé récent, ou du moins de ceux
qu’il a pu observer. Ces modèles démontrent comment des choix stratégiques coordonnés
peuvent émerger dans des jeux analogues à la matrice 2.2 8. Ces résultats sont d’une grande

8 Voir, par exemple, Sugden (1986) ; Warneryd (1990) ; Kandori, Mailath et Rob (1993) ; et Young (1993).
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 25

importance parce qu’ils sont fondés sur des postulats très réalistes relatifs aux capacités des
individus à s’engager dans des stratégies rationnelles et à la façon dont l’apprentissage se
fait. Ils montrent comment des conventions sociales peuvent évoluer pour résoudre des
problèmes de coordination sans le besoin d’un État 9.
Des exemples de jeux de coordination incluent le code de la route ainsi que les
règles de conduite en général : conduire sur la droite, dépasser à gauche, céder le passage
aux voitures qui viennent de la droite et ainsi de suite. Si tous les problèmes produits par
l’interaction sociale étaient aussi simples que décider de quel côté de la route il faut
conduire, on pourrait aisément imaginer de se débarrasser de l’État. Mais c’est loin d’être
le cas, comme notre discussion sur le dilemme du prisonnier l’a déjà montrée et comme le
jeu de la poule mouillée va bientôt l’illustrer.

2.3 BIENS PUBLICS ET JEU DE LA POULE MOUILLÉE


Le dilemme du prisonnier est l’illustration la plus fréquemment utilisée des situations dans
lesquelles un bien collectif émerge. Mais la technologie de fourniture du bien public peut
être générée par d’autres types d’interactions stratégiques. Considérons l’exemple suivant.
Les jardins de deux individus ont une frontière commune. G possède une chèvre
qui occasionnellement se promène dans le jardin de D et mange l’herbe et les fleurs. D a
un chien qui de temps en temps va dans la propriété de G pour chasser et effrayer la chèvre
de sorte qu’elle ne donne plus de lait. Une barrière qui séparerait les deux jardins pourrait
empêcher que ces événements se produisent.

Matrice 2.3
La construction d’une barrière comme un jeu de la poule mouillée.

D
Contribue Ne contribue pas
G
Contribue 1 4
(3 ; 3) (2 ; 3,5)
Ne contribue pas 2 3
(3,5 ; 2) (1 ; 1)

La matrice 2.3 illustre cette situation. En l’absence de barrière, D et G se retro-


uvent avec un niveau d’utilité égal à 1. La barrière coûte 1000 euros et chacun est disposé
à dépenser le coût total de la barrière pour bénéficier de celle-ci. Le niveau d’utilité de
chacun (2) est plus élevé avec la barrière plutôt que sans elle, même en payant seul le coût
total. Ce postulat assure que les niveaux d’utilité des deux individus sont encore plus élevés
si chacun paye la moitié du coût de la barrière (case 1). Enfin, chacun préfère bien sûr la
situation où il obtient la barrière sans avoir à la payer (correspondant aux gains de 3,5 pour
9 Il est possible qu’une société veuille se bloquer sur un équilibre centré sur la stratégie A, même si b > a, de
sorte qu’on pourrait retrouver un petit rôle pour l’État, en ce qu’il serait capable d’annoncer sur quelle straté-
gie les citoyens devraient se coordonner afin de trouver un équilibre encore plus avantageux.
26 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

G et D dans les cases, respectivement, 2 et 4). La matrice 2.3 illustre le jeu de la « poule
mouillée ». Il diffère du dilemme du prisonnier en cela que le résultat dans lequel personne
ne contribue (case 3), qui est Pareto-inférieur à celui où les deux joueurs contribuent (case
1), n’est pas un équilibre. Puisque chaque individu est toujours mieux en payant seul pour
la barrière, chacun est incité à se déplacer vers les cases 2 ou 4 plutôt que de continuer à
voir le résultat donné dans la case 3. Les cases 2 et 4 sont deux équilibres de ce jeu ; les
deux seuls. L’ordre des gains dans un jeu de la poule mouillée pour le joueur en ligne est
indiqué dans les cases 2 > 1 > 4 > 3, alors que dans le dilemme du prisonnier celui-ci
était 2 > 1 > 3 > 4. L’inversion des deux dernières cases pour les deux joueurs est à l’ori-
gine du changement dans l’équilibre.
Dans les cases 4, 1 et 2, la barrière est construite. Ces cases diffèrent seulement sur
l’identité de qui paye la barrière, donc sur les gains d’utilité des deux joueurs. Dans la case
4, G paie le prix complet de 1000 euros de la barrière et son niveau d’utilité est égal à 2. Dans
la case 1, G paie 500 euros et reçoit un niveau d’utilité de 3, alors que dans la case 2 G ne
paie rien et son niveau d’utilité est de 3,5. La plus faible augmentation d’utilité est donnée
par l’écart entre avoir 500 euros en moins dans son portefeuille et avoir son portefeuille plein
(0,5). L’utilité augmente davantage si on passe de 1000 euros en moins à 500 en moins (1),
ce qui reflète l’hypothèse de décroissance de l’utilité marginale des revenus. Si G et D ont
des utilités marginales de leur revenu déclinantes, comme cela a été postulé dans la matrice
2.3, alors la solution de partager le coût de la barrière, en plus d’être plus équitable, maximise
l’utilité totale. Avec des postulats différents, une barrière plus résistante et plus haute peut être
construite quand le coût est partagé et le résultat peut être alors encore plus efficient dans la
case 1 où l’on partage les coûts. Mais le résultat de la case 1 n’est pas en équilibre. D et G
obtiendront plus s’ils peuvent convaincre l’autre de payer le prix total de la barrière. Une
façon de le faire est de s’engager soi-même à ne pas construire la barrière, ou au moins de
convaincre son voisin que l’on a pris un tel engagement de sorte que le voisin, disons, D,
croie que son choix se situe entre les cases 2 et 3 et alors il choisit naturellement 2.
Le jeu de la poule mouillée est souvent utilisé pour décrire les interactions entre
nations (Schelling, 1966, chapitre 2). Soit D une superpuissance qui préfère qu’il y ait d’au-
tres pays avec des institutions démocratiques et C un pays qui favorise des institutions
communistes. Une guerre civile fait rage dans un petit pays P entre un groupe qui veut
installer le communisme et un groupe qui essaye d’installer une constitution démocratique.
Cette situation peut aisément rappeler le jeu de la poule mouillée. Chaque superpuissance
veut aider le groupe favorable à son idéologie dans le pays P, et veut que l’autre superpuis-
sance reste neutre. Mais si l’autre superpuissance, par exemple C, aide déjà son groupe dans
P, alors il vaut mieux pour D de ne rien faire plutôt que d’aller aider son groupe dans P en
étant ainsi entraîné dans une confrontation directe entre superpuissances. Les deux puissan-
ces gagnent nettement plus si chacune reste en retrait plutôt que si les deux interviennent.
Étant donnée cette configuration de gains correspondant au jeu de la poule
mouillée, chaque superpuissance peut pousser l’autre à rester en retrait en s’engageant
devant l’autre à défendre la démocratie (ou le communisme) partout dans le monde où elle
est menacée. Un tel engagement, associé à une réputation de « dur », pourrait pousser
l’autre superpuissance à rester en retrait toutes les fois qu’un conflit entre des forces
communistes et démocratiques éclate dans un petit pays.
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 27

Le danger de cette situation, cependant, est que les deux superpuissances devien-
nent si engagées dans leur stratégie de soutien aux groupes qui leur sont idéologiquement
proches et si désireuses de maintenir leur réputation de « dureté », qu’aucune des deux ne
reste en retrait. La confrontation entre superpuissances est alors causée par la guerre civile
dans le petit pays P.
Comme dans le dilemme du prisonnier, la solution de la coopération conjointe du
jeu de la poule mouillée peut émerger à partir d’un super-jeu de la poule mouillée si chaque
joueur reconnaît les bénéfices à long terme de la coopération et adopte la stratégie du
donnant-donnant ou une autre analogue (Taylor et Ward, 1982 ; Ward, 1987). Autrement,
les deux superpuissances (ou les deux voisins) peuvent reconnaître les dangers inhérents à
la stratégie non coopérative de l’engagement et négocier directement ensemble afin de
tomber d’accord pour suivre une stratégie coopérative. Par conséquent, bien que la struc-
ture du jeu de la poule mouillée diffère de celle du dilemme du prisonnier, les solutions
optimales du jeu sont similaires et requièrent une sorte d’accord formel ou tacite pour
coopérer. De même, plus le nombre de joueurs augmente, et plus la chance qu’un accord
formel soit nécessaire augmente (Taylor et Ward, 1982 ; Ward, 1987). Donc, pour le jeu de
la poule mouillée, comme pour le dilemme du prisonnier, le besoin d’institutions démo-
cratiques pour parvenir à des solutions de jeu efficientes et coopératives s’accroît avec
l’augmentation du nombre de joueurs.

2.4 FOURNITURE VOLONTAIRE DE BIENS PUBLICS


AVEC DES RENDEMENTS D’ÉCHELLE CONSTANTS
Dans cette section, nous explorons plus formellement les problèmes posés par la fourniture
volontaire de biens publics. Considérons comme bien public pur une digue construite avec
des sacs de sable. Chaque membre de la communauté apporte volontairement autant de sacs
de sable qu’il veut. Le nombre total de sacs offerts est la somme des contributions de
chaque membre. Plus il y a de sacs fournis et plus haute et forte est la digue, ce qui
correspond au souhait de tous les membres de la communauté. Si G i est la contribution au
bien public de l’individu i, alors la quantité totale fournie du bien public est :

G = G 1 + G 2 + G 3 + …G n (2.1)

Supposons que la fonction d’utilité de chaque individu est donnée par Ui (X i , G), où X i est
la quantité de bien privé que i consomme.
Maintenant, considérons la décision de i sur la quantité de bien public qu’il est prêt
à fournir et qui équivaut à son G i optimal étant donnée sa contrainte budgétaire
Yi = Px X i + Pg G i , où Yi est son revenu et Px et Pg sont les prix, respectivement, des biens
privés et des biens publics. En l’absence d’une institution pour coordonner les quantités de
bien public offert, chaque individu doit décider indépendamment des autres individus la
quantité de bien public qu’il va fournir. En prenant cette décision, il est raisonnable de
postuler qu’un individu considère la quantité de bien public offerte par la communauté
28 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

comme fixe. Chaque i choisit le G i qui maximise Ui , étant données les valeurs de G j choi-
sies par tous les autres individus j. La fonction objectif de l’individu i est alors :

Oi = Ui (X i , G) + λi (Yi − Px X i − Pg G i ). (2.2)

En maximisant (2.2), en ce qui concerne les produits G i et X i


∂Ui
− λi Pg = 0 (2.3)
∂G
∂Ui
− λi Px = 0 (2.4)
∂ Xi
à partir de quoi on obtient :
∂Ui /∂G Pg
= (2.5)
∂Ui /∂ X i Px

comme condition pour la maximisation de l’utilité. Chaque individu achète le bien public
comme s’il était un bien privé, en considérant les achats des autres membres de la commu-
nauté comme donnés. Cet équilibre est souvent désigné équilibre de Cournot ou de Nash,
en ce qu’il ressemble aux postulats comportementaux que Cournot a faits à propos de
l’offre d’un bien privé homogène dans un marché oligopolistique.
Maintenant, confrontons (2.5) avec la condition d’optimalité de Pareto. Pour l’ob-
tenir, nous maximisons la fonction de bien-être suivante :
W = λ1 U1 + λ2 U2 + … + λn Un , (2.6)
où tous les λi > 0. Étant donnés les poids positifs de toutes les utilités individuelles, toute
allocation qui n’est pas Pareto-optimale – c’est-à-dire par laquelle l’utilité d’une personne
peut être augmentée sans que personne n’en perde – ne peut pas donner une valeur
maximum à W. Alors, en choisissant X i et G i pour maximiser W, nous obtenons une allo-
cation Pareto-optimale.
En maximisant (2.6), sous la contrainte agrégée de budget

n 
n
Yi = Px X i + Pg G (2.7)
i=1 i=1

nous obtenons des conditions de premier ordre :



n
∂Ui
γi − λPg = 0 (2.8)
i=1
∂G
et
∂Ui
γi − λPx = 0, i = 1, n, (2.9)
∂ Xi
où λ est le multiplicateur Lagrangien sur les contraintes de budget. En utilisant n équations
dans (2.9) pour éliminer le λi dans (2.8), nous obtenons
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 29

 λPx
.∂Ui /∂G = λPg (2.10)
i
∂Ui /∂ X i

à partir duquel nous déduisons :


 ∂Ui /∂G Pg
= (2.11)
i
∂Ui /∂ X i Px
L’équation (2.11) est la condition familière de Samuelson (1954) pour une fourniture
Pareto-optimale de bien public. Des décisions indépendantes pour maximiser l’utilité
conduisent chaque individu à égaliser son taux marginal de substitution du bien public par
le bien privé au ratio des prix, comme si le bien public était un bien privé (2.5). L’optima-
lité de Pareto, cependant, requiert que la somme des taux marginaux de substitution de tous
les membres de la communauté soit égale à ce ratio des prix (2.11).
Le fait que la quantité de bien public fournie dans l’équilibre de Cournot-Nash
(2.5) est moins élevée que sa quantité Pareto-optimale peut être appréhendé en réécrivant
(2.11) ainsi :
∂Ui /∂G Pg  ∂U j /∂G
= − . (2.12)
∂Ui /∂ X i Px j=i
∂U j /∂ X j
Si G et X sont des biens normaux dans chaque fonction d’utilité individuelle, alors
 ∂U j /∂G
>0
j=i
∂U j /∂ X j
et le taux marginal de substitution du bien public par le bien privé pour l’individu i défini
par (2.12) est inférieur à ce qui a été défini par (2.5), ce qui implique qu’une plus grande
quantité de G et une plus petite quantité de X i ont été consommées quand (2.12) plutôt que
(2.5) est satisfaite.
Pour se rendre compte de l’importance de ces différences, considérons le cas spéci-
fique où Ui est une fonction d’utilité de Cobb-Douglas, c’est-à-dire Ui = X iα G β ,
0 < α < 1, et 0 < β < 1. Si l’on suppose (2.5), cela devient :
β X iα G β−1 Pg
= , (2.13)
α X iα−1 G β Px
à partir de quoi il suit que
Px β
G= Xi . (2.14)
Pg α
En substituant avec (2.1) et avec la contrainte budgétaire, cela donne :
  
Px β Yi Pg
Gi = − Gi , (2.15)
i
Pg α Px Px

à partir de quoi on obtient :


  
β βYi
1+ Gi = − Gi + (2.16)
α j=i
α Pg
30 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

ou
α  βYi
Gi = − Gi + . (2.17)
α + β j=i (α + β)Pg

L’équation (2.17) implique que plus les individus i pensent que le bien public fourni par les
autres citoyens sera grand, et plus la quantité du bien public qu’ils choisiront volontaire-
ment de fournir sera petite. Avec seulement deux citoyens dans une communauté, (2.17)
définit la courbe de réaction habituelle de la théorie du duopole. Dans cette situation, c’est
une droite avec une pente négative.
Si tous les membres de la communauté ont des revenus identiques, Y, alors tous
choisiront les mêmes niveaux de G i et (2.17) peut être utilisé pour trouver la contribution
dans l’équilibre d’un seul individu :
α βY
Gi = − (n − 1) G i + , (2.18)
α+β (α + β)Pg
à partir de quoi on obtient
β Y
Gi = . (2.19)
αn + β Pg
La quantité du bien public fourni par la communauté à travers des contributions indépen-
dantes devient alors
nβ Y
G = nG i = . (2.20)
αn + β Pg
Ces quantités peuvent être comparées à des quantités Pareto-optimales. Avec des individus
à revenu identique, tous contribuent à la hauteur de G i et ont le même X i restant, de sorte
que (2.11) devient
β X iα G β−1 Pg
n α−1 β
= . (2.21)
α Xi G Px

En utilisant les contraintes de budget pour éliminer X i et en réorganisant l’expression, cela


donne pour une contribution Pareto-optimale d’un individu seul,
β Y
Gi = . (2.22)
α + β Pg
et
nβ Y
G = nG i = . (2.23)
α + β Pg
Appelons une quantité Pareto-optimale de bien public définie par (2.23) G P O , et la quan-
tité donnée dans l’équilibre de Cournot-Nash (2.20), G C N . Leur ratio est alors défini
nβ Y
GC N αn + β Pg α+β
= = . (2.24)
GPO nβ Y αn + β
α + β Pg
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 31

Ce ratio est inférieur à 1, si n > 1, et tend vers zéro à mesure que n augmente. Donc, pour
toutes les communautés plus grandes qu’un individu solitaire, la fourniture volontaire et
indépendante du bien public est inférieure à sa quantité Pareto-optimale, et l’écart relatif
entre ces deux quantités s’accroît à mesure que la taille de la communauté augmente.
L’étendue d’une sous-fourniture du bien public située dans un équilibre Cournot-
Nash dépend de la nature des fonctions d’utilités individuelles : plus le ratio de β sur α est
grand et plus l’étendue de la sous-fourniture sera petite. Avec α = 0, c’est-à-dire quand
l’utilité marginale du bien privé est nulle, G C N = G P O . Cette équivalence se maintient
aussi avec des courbes d’indifférence à angle droit, là où l’utilité marginale du bien privé,
en gardant fixe la quantité du bien public, est nulle (Cornes et Sandler, 1986). Mais avec
les courbes d’indifférences traditionnelles, régulières et convexes à l’origine, on peut s’at-
tendre à une sous-fourniture du bien public volontairement fourni et à ce que la taille rela-
tive de cette sous-fourniture varie avec la taille de la communauté. Pour parvenir à une
allocation Pareto-optimale, il faut des institutions qui puissent coordonner les contributions
de tous les individus.

2.5 FOURNITURES VOLONTAIRES DE BIENS PUBLICS


EN FAISANT VARIER LES TECHNOLOGIES D’OFFRE
Beaucoup de biens publics peuvent être décrits en utilisant la technologie additive utilisée
dans la section précédente. Les biens publics de type « dilemme du prisonnier » – par
exemple l’ordre dans la communauté ou la qualité de l’environnement – sont fournis par
chaque individu qui contribue à la « production » du bien collectif sans voler ni polluer.
Pour un bien public de ce type, la quantité offerte est dans une certaine mesure additive en
ce qui concerne chaque contribution individuelle. Plus il y a de gens qui s’interdisent de
voler, plus la communauté est sûre et plus le bien-être de tous ses membres est grand.
Cependant, il y a d’autres biens publics pour lesquels la participation de tous les
membres est nécessaire pour assurer un bénéfice. L’équipage d’un petit bateau, les canots
à deux places et les bobsleighs en sont des exemples. Pour aller tout droit, avec un canot,
il faut que chaque rameur tire sa rame avec une force égale. Les sous-contributions ou les
sur-contributions sont pénalisées par un mouvement circulaire du bateau. Seule une égale
contribution des deux rameurs est récompensée par un avancement efficient du bateau.
Avec de tels biens, les gains des cases 2, 4 et 3 de la matrice 2.1 deviennent pour tous infé-
rieures à la case 1 et le comportement coopératif volontaire devient très plausible.
De tels biens sont produits par ce que Hirshleifer (1983, 1984) appelait la techno-
logie du « maillon faible ». La quantité de bien public disponible est égale à la plus petite
quantité de bien public fourni par chaque membre de la communauté. À l’opposé de la
technologie du maillon faible, on peut concevoir une technologie du maillon fort, pour
laquelle le montant global du bien public fourni est égal à la quantité la plus importante
fournie par un membre de la communauté. Comme exemple de la technologie du maillon
fort, on peut penser à une communauté dans laquelle d’abord chaque membre dessine un
32 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

plan de construction d’un bateau (ou d’un pont) pour traverser une rivière, et ensuite on
sélectionne le meilleur et on le construit.
La technologie du maillon faible est comme une fonction de production à coeffi-
cient fixe pour les biens publics. La contribution marginale de l’individu i à l’offre du bien
public, ∂G/∂G i , est égale à zéro si sa contribution excède celle des autres membres de la
communauté (G i > G j pour chaque j). Mais ∂G/∂G i équivaut à la fonction d’offre de la
communauté quand G i < G j pour tout j. La technologie additive suppose une fonction de
production additive et séparable, alors que la technologie du maillon fort suppose une
forme de rendement croissant de façon discontinue. Ce dernier semble le moins plausible
des trois, donc nous considérons seulement les cas compris entre le maillon faible et les
technologies de production additives.
Considérons une communauté de deux fermiers australiens dont les champs sont
contigus et terminent sur un segment de buisson. Chaque nuit, les kangourous sortent du
buisson et détruisent les récoltes des fermiers. Les fermiers peuvent protéger leurs récoltes
en érigeant une barrière tout au long de la frontière entre leur propriété et le buisson.
Chaque fermier est responsable pour l’achat de la barrière de son propre segment de fron-
tière. Les technologies suivantes peuvent être utilisées :
– Le maillon faible : les kangourous s’adaptent rapidement aux changements de leur
environnement et découvrent le point le plus faible de la barrière. Le nombre de
kangourous qui entrent dans les deux champs des fermiers est déterminé par la
taille de la barrière dans son point le plus faible.
– L’addition non pondérée : les kangourous sont très stupides et sondent la barrière
au hasard. Le nombre de kangourous qui entrent dans les deux champs est inver-
sement proportionnel à la taille moyenne des deux barrières.
– Les rendements décroissants : si la barrière d’un fermier est plus basse que celle
de l’autre fermier, quelques kangourous, mais pas tous, apprendront à ne sonder
que la barrière plus basse, et la plus haute barrière empêchera quelques kangou-
rous de sauter par-dessus.
Maintenant, considérons la formulation générale suivante de l’offre de bien
public : soit G le nombre d’unités de bien public fourni, défini dans ce cas comme le
nombre de kangourous qu’on a empêché d’entrer dans les champs. Définissons les unités
de barrière achetées au prix Pf ainsi :

G = F1 + wF2 , 0 ≤ F1 ≤ F2 , 0≤w≤1 (2.25)

où Fi est l’achat de la barrière du fermier i. Si w = 0, nous avons le cas du maillon faible


et G = F1 , la plus petite des deux contributions. Plus w est grand, plus la contribution du
second s’ajoute à celle du premier pour contribuer à l’offre de G, jusqu’à ce que w = 1, où
on atteint la fonction d’offre par addition non pondérée examinée dessus. Pour simplifier le
problème, supposons que les deux fermiers ont des fonctions d’utilité identiques et que les
deux G et les biens privés X ne sont pas des biens inférieurs. Alors, le fermier avec le
revenu le plus faible choisira toujours d’acheter une quantité plus petite de barrière, donc
le fermier 1 est celui avec le plus petit revenu. Il maximise son utilité U1 (X, G) en choi-
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 33

sissant un niveau de consommation du bien privé X 1 et de contribution au bien public F1


en satisfaisant sa contrainte de budget, Y1 = Px X 1 + Pf F1 . La solution est toujours (2.5),
avec le prix du bien public fixé à Pf .
La solution au problème de maximisation de l’utilité pour le fermier 2 est cepen-
dant

∂U2 /∂G Pf
= (2.26)
∂U2 /∂ X w Px

tant que F2 > F1 . En effet, le fermier 2 est confronté à un prix relativement plus élevé pour
accéder au bien public F, puisque la contribution marginale pour son achat est inférieure à
celle de 1, si l’on emploie la technologie définie par (2.25). Plus w est petit et moins 2
achète de la barrière (et plus sa contribution optimale pour le bien public sera petite). Avec
un w assez petit, la solution à (2.26) requiert F2 < F1 . Mais alors 2 serait le plus petit
contributeur et sa contribution optimale serait définie par (2.5). Puisque 2 est favorable à
une plus grande contribution que 1, s’il s’adapte simplement à la contribution de 1 en satis-
faisant (2.26), il viole F2 > F1 .
Pour déterminer la condition du niveau Pareto-optimal de G, nous choisissons les
niveaux de X 1 , X 2 , et G de façon à maximiser l’utilité de 1, en gardant l’utilité de 2 cons-
tante, et en satisfaisant (2.25) ainsi que les contraintes budgétaires individuelles ; autrement
dit, nous maximisons
 
L = U1 (X 1 , G) + γ U2 − U2 (X 2 , G) + λ [G − F1 − wF2 ] , (2.27)

à partir de quoi, il en découle que

∂U1 /∂G ∂U2 /∂G Pf


+w = . (2.28)
∂U1 /∂ X ∂U2 /∂ X Px

Seulement dans le cas extrême du maillon faible, où w = 0, la condition pour une Pareto-
optimalité pour la communauté (2.28) est satisfaite par les deux individus agissant de façon
indépendante, et pour laquelle (2.28) se réduit à (2.5), de sorte que les deux fermiers achè-
tent une quantité de barrière satisfaisante (2.5) 10. D’un autre côté, avec w = 1, nous avons
une offre de bien public par addition non pondérée et (2.28) devient alors (2.11) – la condi-
tion de Samuelson (1954) pour l’optimalité de Pareto – qui provoque le fait qu’une trop
petite quantité de bien public sera offerte.
De plus, la différence entre la quantité de bien public offerte volontairement
lorsque chaque fermier agit de façon indépendante et la quantité Pareto-optimale augmente
avec w. Pour illustrer ce point, supposons encore que les deux individus ont un revenu iden-
tique Y, et des fonctions d’utilité identiques U = X α G β . Les deux alors vont acheter la

10 Cette conclusion est contingente par rapport aux revenus initiaux des deux fermiers et par rapport à la
contrainte implicite que le fermier 2 ne puisse pas transférer de l’argent à 1, ni acheter la barrière à sa place.
Avec un w assez faible ou un Y2 /Y1 assez fort, la Pareto-optimalité sans contraintes peut exiger que 2 finance
l’achat de la barrière de 1. Voir Hirshleifer (1984).
34 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

même quantité de barrière BF et de bien privé X. À partir de (2.5) et de (2.25), nous obte-
nons que la quantité de bien public offerte à travers les décisions des deux fermiers indé-
pendants et maximisant leur utilité correspond à l’équilibre de Cournot-Nash :

βY (1 + w)
GC N = . (2.29)
Pf [α (1 + w) + β]

De la même façon, (2.28) peut être utilisé pour parvenir à un G Pareto-optimal :

β Y
GPO = (1 + w). (2.30)
α + β Pf

En divisant (2.29) par (2.30) nous obtenons le ratio des offres indépendantes de quantités
Pareto-optimales de bien public :

GC N α+β
= . (2.31)
GPO α (1 + w) + β

Avec w = 0, le ratio est un, mais il baisse quand w augmente. Avec n individus, (2.28) se
généralise :
∂U1 /∂G ∂U2 /∂G ∂U3 /∂G ∂Un /∂G Pf
+ w2 + w3 + . . . + wn = (2.32)
∂U1 /∂ X ∂U2 /∂ X ∂U3 /∂ X ∂Un /∂ X Px
Et (2.31) se généralise :

GC N α+β
= . (2.33)
GPO α (1 + w2 + w3 + . . . + wn ) + β

L’écart entre les quantités fournies indépendamment et la quantité Pareto-optimale du bien


public augmente avec le nombre de personnes présentes dans la communauté et le poids de
la contribution additionnelle augmente.
Les expériences conduites par Harrison et Hirshleifer (1986) avec deux joueurs
indiquent que les individus fourniront volontairement une quantité de bien public proche
de la quantité Pareto-optimale dans des situations de maillon faible (w = 0), mais en four-
niront une quantité inférieure dans les situations d’addition non pondérée et de maillon fort.
Les résultats expérimentaux de van de Kragt, Orbell et Dawes (1983) avec des petits
groupes indiquent aussi que la fourniture efficiente d’un bien public est probable dans des
situations qui ressemblent à la technologie du maillon faible. Donc, la fourniture volontaire
de biens publics sans coordination ni coercition ne parvient à un niveau Pareto-optimal que
quand la technologie de fourniture du bien public est conforme aux conditions remplies
dans la situation du maillon faible. Malheureusement, avec des grandes communautés, il
est difficile de trouver beaucoup de biens publics dont la fourniture volontaire est réalisa-
ble et tous les wi associés aux contributions plus grandes que le minimum sont égaux ou
proches de zéro. Dans des grandes communautés, donc, quelques mécanismes institution-
nels pour coordonner et contraindre les contributions individuelles pour l’offre d’un bien
public apparaissent nécessaire.
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 35

2.6 LES EXTERNALITÉS


Les biens publics sont un exemple classique des types de défaillances du marché que les
économistes citent comme justification pour l’intervention publique. Les externalités sont
la deuxième catégorie fondamentale de défaillances du marché. On parle d’externalité (ou
d’effet externe) quand l’activité de consommation ou de production de la part d’un individu
ou d’une entreprise a une conséquence inattendue sur la fonction d’utilité ou de production
d’un autre individu ou entreprise. Un individu A plante un arbre pour avoir de l’ombre,
mais sans le vouloir il cache aux voisins une belle vue sur la vallée. Une usine décharge ses
déchets dans une rivière et, sans le vouloir, augmente les coûts de production de la brasse-
rie qui se trouve en aval. Ces activités peuvent être opposées aux transactions habituelles
du marché dans lesquelles l’action de A, mettons, d’acheter l’arbre a un impact sur B, le
vendeur d’arbres, mais cet impact est entièrement pris en compte au travers du système des
prix. Mais s’il n’y a pas de marché pour la vue de la vallée ou pour la qualité de l’eau de
la rivière, il n’y a pas non plus de mécanisme de prix pour coordonner les actions indivi-
duelles. Étant donné l’existence d’externalités, il résulte que certains marchés aboutissent
à une allocation des ressources non Pareto-optimale.
Pour envisager plus clairement le problème, considérons une situation dans
laquelle deux individus consomment chacun le bien privé X, et A consomme le bien E à
l’origine de l’externalité. L’individu A achète X et E de façon à maximiser son utilité sous
la contrainte de budget, Y A = X A PX + E A Pe ; c’est-à-dire que A maximise

L = U A (X A , E A ) + λ (Y A − X A Px − E A Pe ) . (2.34)

La maximisation de (2.34) par rapport à X et E produit la condition familière de premier


ordre pour la maximisation de l’utilité individuelle quand il y a deux biens privés :

∂U A /∂ E Pe
= . (2.35)
∂U A /∂ X Px

Mais E est une activité qui produit une externalité, donc il faut également tenir compte de
la fonction d’utilité de B, même si B n’achète ni ne vend E. Pour parvenir à une allocation
Pareto-optimale de X et E, on peut maximiser l’utilité d’un individu, sous la contrainte que
l’utilité de l’individu reste constante et que le budget combiné des deux individus ne soit
pas dépassé
 
L P O = U A (X A , E A ) + γ U B − U B (X B , E A ) + γ (Y A + Y B − Px X A − Px X B − Pe E A

La consommation de E par A, E A , dans la fonction d’utilité de B représente la nature de


l’externalité liée à l’activité E. En maximisant (2.36) par rapport à Y A , Y B et E A on obtient
∂ L PO ∂U A
= − y Px = 0, (2.37)
∂XA ∂X
∂ L PO ∂U B
= λ(− ) − y Px = 0, (2.38)
∂XB ∂X
36 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

∂ L PO ∂U A ∂U B
= −λ − γ Pe = 0, (2.39)
∂ EA ∂E ∂E
Utilisons maintenant (2.37) et (2.38) pour éliminer λ et γ de (2.39), nous obtenons comme
condition de Pareto-optimalité

∂U A /∂ E ∂U B /∂ E Pe
+ = (2.40)
∂U A /∂ X ∂U B /∂ X Px
ou
∂U A /∂ E Pe ∂U B /∂ E
= − . (2.41)
∂U A /∂ X Px ∂U B /∂ X

L’équation (2.41) donne la condition pour la Pareto-optimalité ; (2.35) donne la condition


pour l’allocation optimale du budget de l’individu A. L’équation (2.35) spécifie le niveau
de E, puisque seulement A décide combien de E il achète. Si l’activité E crée une externa-
lité positive,
∂U B /∂ E
> 0,
∂U B /∂ X
∂U A /∂ E
alors est plus grand qu’il n’est nécessaire pour atteindre l’optimum de Pareto.
∂U A /∂ X
Lorsque E produit une économie externe positive, A achète trop peu de E (et trop de X). À
l’inverse, lorsque E génère une externalité négative,
∂U B /∂ E
< 0 et A achète trop de E.
∂U B /∂ X
Bien que considérée comme une catégorie de défaillance du marché à part, la condition de
Pareto-optimalité pour une externalité est identique à celle pour un bien public pur, comme
le révèle une comparaison de (2.40) et de (2.11) (Buchanan et Stubblebine, 1962). La diffé-
rence entre un bien public pur et une externalité est que dans le cas d’un bien public tous
les membres d’une communauté consomment le même bien, alors que pour une externalité
le bien consommé par les secondes parties peut être différent de celui consommé par
l’acheteur direct. Quand A contribue à l’achat de fleurs pour embellir les rues de sa ville, il
aide à financer un bien public. Quand A plante des fleurs dans son jardin, il crée une exter-
nalité positive pour les voisins qui peuvent avoir du plaisir en les regardant. Si quelques
voisins sont allergiques au pollen issu des fleurs du jardin, l’initiative de A crée une exter-
nalité négative. Ce qui est crucial dans le problème de la Pareto-optimalité n’est pas que A
et B consomment précisément le même bien, mais que la consommation de A altère l’uti-
lité de B de façon non prise en compte par le système des prix. B n’est pas exclu des effets
collatéraux de la consommation de A, et c’est cette condition de non-exclusion qui unit les
biens publics et les externalités dans une seule et même condition de Pareto-optimalité. Et
c’est cette condition de non-exclusion qui nécessite une coordination des activités de A et
de B pour parvenir à la Pareto-optimalité.
Une façon d’adapter la consommation de A du bien E de façon à ce qu’elle puisse
entraîner une Pareto-optimalité est que le gouvernement impose une taxe ou offre une
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 37

subvention pour l’activité liée à E. Si, par exemple, E génère une externalité négative, une
taxe sur E égale à
∂U B /∂ E

∂U B /∂ X
augmente le prix de E relativement à X précisément par la quantité nécessaire pour parve-
nir à la Pareto-optimalité. Inversement et dans le cas d’une externalité positive, une subven-
tion versée à A pour chaque unité de E consommée, inférieure au montant impliqué par
(2.35) entraîne le même effet. L’existence d’un gouvernement qui corrige les externalités
en levant des taxes et en offrant des subsides est une justification traditionnelle de l’inter-
vention de l’État le plus souvent associée au nom de Pigou (1920).
Dans la plupart des discussions sur les taxes pigouviennes, le gouvernement est
supposé « connaître » les taux marginaux de substitution des différentes parties qui génè-
rent ou sont affectées par les externalités. Souvent, le gouvernement est considéré comme
un individu, le gouverneur, qui possède toute l’information pertinente pour déterminer l’al-
location des ressources Pareto-optimale et qui par la suite annonce les taxes et les subven-
tions optimales. Mais d’où le gouverneur obtient-il ces informations ? Dans quelques
situations – par exemple quand les activités d’une usine affectent les coûts d’un autre
producteur – on peut penser que le gouverneur réussira à recueillir les données techniques
et les utilisera pour prendre une décision. Mais quand l’utilité d’un individu est affectée,
l’information technique est très difficile à obtenir. Une bonne partie de ce livre décrit
comment les institutions démocratiques révèlent l’information concernant les préférences
des individus sur les décisions telles que celles sur les externalités. La prochaine section
discute une approche plus directe à cette question.

2.7 LE THÉORÈME DE COASE


Ronald Coase, dans un article classique publié en 1960, lança un défi à la sagesse tradition-
nelle en économie concernant les externalités, les taxes et les subventions. Coase soutenait
que l’existence d’effets externes associés à une activité donnée n’exige pas nécessairement
une intervention de l’État sous la forme de taxes ou subventions. La solution Pareto-opti-
male dans des situations avec externalités pourrait être, et souvent était, trouvée par les
parties concernées sans l’aide de l’État. De plus, la nature du résultat était indépendante de
la répartition initiale des droits de propriété, c’est-à-dire que dans le cas d’une externalité
négative associée avec E, cela vaut aussi bien quand la loi garantit à l’acheteur de E le droit
d’acheter E dans des quantités illimitées que quand la loi garantit à B le droit d’être protégé
de toute conséquence négative issue de la consommation de E par A.
Bien que Coase développe son argumentation par des exemples, sans jamais affir-
mer ni démontrer aucun théorème, on se réfère communément aux résultats principaux de
l’article en parlant de « Théorème de Coase ». Le théorème peut être défini comme suit :
Le théorème de Coase : en absence de coûts de transaction et de négociation, les parties touchées
par une externalité s’accorderont pour mettre en place un système d’allocations des ressources qui
est à la fois Pareto-optimal et indépendant de toute répartition préalable des droits de propriété.
38 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

Dit autrement, Pigou avait tort : l’intervention de l’État n’est pas nécessaire pour
résoudre les problèmes liés aux externalités.
Considérons premièrement un cas particulier de ce théorème. Soit A une usine qui
produit des gadgets avec comme sous-produit de la fumée. Soit C une lingerie dont les
coûts sont augmentés à cause de la fumée produite par A. Quand A est en activité, les profits
de C sont de 24.000 euros, mais si A devait cesser d’un seul coup son activité, les profits
de C s’élèveraient à 31.000 euros. Les profits de A sont de 3.000 euros. En supposant que
les facteurs de production de A peuvent être redéployés gratuitement, la société dans son
ensemble va mieux si A cesse sa production. C gagnerait alors un surplus net sur les coûts
de 31.000 euros, alors que le surplus combiné quand A et B produisent est seulement de
27.000 euros.
Mais supposons qu’il n’y a pas de loi qui interdit les émissions de fumée. A est
alors libre de produire et la solution socialement moins bonne semble s’imposer. Pourtant,
C pourrait payer un pot-de-vin aux propriétaires de A pour qu’ils cessent leur production
en promettant de les payer 3.000 euros par année. Ou alors, C pourrait acheter A pour
ensuite fermer l’usine. Si i est le coût du capital, et que le marché prédit que A gagnera
3.000 euros par an pour toujours, alors la valeur de marché de A est de 3.000 euros divisé
par i. Cependant, la valeur escomptée par C de la fermeture de A est de 7.000 euros divisé
par i. Les propriétaires de C réalisent un accroissement de leur richesse de 4.000 euros
divisé par i s’ils achètent et ferment A.
Pour montrer que le résultat socialement efficace survient indépendamment de la
répartition des droits de propriété, supposons que le profit annuel de A soit de 10.000 euros
et que pour C tout reste comme avant. Maintenant, la solution efficiente exige que A conti-
nue à produire. Supposons cependant que les droits de propriété avantagent C. Des lois
strictes antipollution existent et C peut porter plainte contre A et le forcer à cesser la
production. Les profits de A sont maintenant tels que A peut offrir à C un pot-de-vin de
7.000 euros + α, avec 0 ≤ α ≤ 3.000 euros, pour ne pas porter plainte. Les propriétaires des
deux entreprises sont alors aussi ou plus satisfaits avec cette solution alternative que si A
ferme. De plus, on peut s’attendre à ce que le résultat socialement optimal se réalise.
Notons qu’avec les conditions du premier exemple, où les profits de A étaient de
seulement 3.000 euros, A ne corromprait pas C pour qu’il lui permette de continuer à
produire, de sorte que le résultat socialement efficient continuerait à se réaliser.
Quand l’activité qui produit des externalités a un effet variable en fonction du
niveau d’activité sur la partie qui subit l’externalité, le théorème de Coase reste valable. Si,
pour A, le taux de substitution marginal de E pour X (M RS EA X ) décroît quand A augmente,
alors M RS EA X − Pe /PX a une pente négative, comme la figure 2.1 le montre. Le point où
M RS EA X − Pe /PX croise l’axe horizontal, E 1 , est le niveau du bien E que A choisit quand
il agit indépendamment de B. C’est le niveau de E qui satisfait (2.35).
Si E crée une externalité négative sur B, alors −M RS EA X est positive. Dans la
figure 2.1, −M RS EB X est reproduit sous le postulat raisonnable que B accepte d’abandon-
ner un montant d’autant plus grand de X pour empêcher que A consomme une autre unité
de E que la quantité de E est élevée. E P O est le niveau Pareto-optimal de E, le niveau qui
satisfait (2.41).
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 39

Figure 2.1
Quantité Pareto optimale d’un bien avec effets externes.

La zone E P O F G E 1 mesure l’utilité perdue par B si A consomme E 1 plutôt que


E P O . E P O F E 1 mesure le gain d’utilité de A pour les unités supplémentaires de E. B et A
parviennent à une meilleure situation si A accepte un pot-de-vin égal à Z par B pour
consommer E P O plutôt que E 1 , avec E P O F E 1 < Z < E P O F G E 1 . En particulier, si B
offrait à A un pot de vin de E P O F pour chaque unité de E que A renonçait à consommer,
A choisirait de consommer exactement E P O unités de E, et serait satisfait dans la zone W.
Et B se situerait alors dans la zone V contrairement au résultat E 1 issu de simples actions
indépendantes.
Avec des droits de propriété inversés, B pourrait interdire à A de consommer E et
forcer ainsi le résultat à 0. Mais alors A renoncerait aux bénéfices O H F E P O , alors que B
gagnerait seulement O F E P O , ce qui s’opposerait à l’allocation optimale E P O . L’intérêt
égoïste conduirait A à proposer et B à accepter un pot-de-vin Z  , pour permettre à A de
consommer E P O , avec O F E P O < Z  < O H F E P O 11.
Coase a démontré son théorème avec quatre exemples tirés de configurations
réelles. Beaucoup d’expérimentations ont été conduites dans lesquelles des étudiants-sujets
reçoivent des matrices de gains qui ressemblent à celles qu’on observerait dans une situa-
tion avec externalités. Des solutions Pareto–optimales sont observées dans plus de 90 % de
ces expérimentations 12. Le théorème de Coase offre une alternative logique et empirique-

11 Pour une quantité identique de E acheté, si A reçoit ou paye le pot-de-vin, aucun effet de revenu ne doit être
présent. Quand ils existent, les solutions exactes nécessitent l’usage de fonction compensée de la demande
(Buchanan et Stubblebine, 1962). Nous avons également fait abstraction de la difficulté pour les gens de
produire intentionnellement une externalité négative pour recevoir un pot-de-vin, ce qui a été discuté par
Baumol (1972).
12 Voir Hoffman et Spitzer (1982, 1986), Harrison et McKee (1985) et Coursey, Hoffman et Spitzer (1987).
40 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

ment pertinente à l’action de l’État dans des situations d’externalités. Mais ce résultat se
maintient-il lorsque le nombre des parties impliquées dans l’externalité augmente ? Nous
allons maintenant discuter cette question.

2.8 COASE ET LE NOYAU


Les exemples proposés par Coase et ceux discutés plus haut n’impliquent que deux parties.
Le théorème tient-il lorsqu’il y a plus de deux parties impliquées ? Hoffman et Spitzer
(1986) présentent des résultats expérimentaux dans lesquels des allocations Pareto-optima-
les sont réunies dans des négociations coasiennes parmi pas moins de 38 parties. Mais
Aivazian et Callen (1981) présentent un exemple dans lequel le théorème échoue avec
seulement 3 parties. Prenons donc leur exemple.
Ils utilisent une usine A, qui produit de la fumée, et une lingerie, C, comme dans
l’exemple précédent. Ils représentent les profits de l’entreprise par des fonctions formali-
sées dans le langage de la théorie des jeux. Nous pouvons reformuler l’exemple précédent
avec les caractéristiques suivantes : V (A) = 3.000 euros, V (C) = 24.000 euros et
V (A, C) = 31.000 euros où V (A, C) est une coalition entre A et C qui correspond à un
mélange de A et C qui résulte de la cessation des activités de A.
Maintenant, supposons l’existence d’une seconde usine, B, qui produit de la
fumée. Les fonctions classiques pour ce problème sont définies comme suit :

V(A) = 3.000 euros V(B) = 8.000 euros V(C) = 24.000 euros


V(A, B) = 15.000 euros V(A, C) = 31.000 euros V(B, C) = 36.000 euros
V(A, B, C) = 40.000 euros

Le résultat Pareto-optimal est la grande coalition V (A, B, C), dans laquelle A et B cessent
leur production. Si les droits de propriété avantagent C, le résultat parétien se réalise : C
interdit à A et B de produire et ni la coalition entre A et B (V [A, B] = 15.000 euros) ni l’ac-
tion indépendante des deux usines (3.000 + 8.000 euros) ne peut offrir à C un pot-de-vin
suffisamment grand pour compenser la perte des 16.000 euros en cas de déplacement de V
(A, B, C) à V(C).
Supposons cependant que A et B aient le droit d’émettre de la fumée. C offre alors
à A et B respectivement 3.000 et 8.000 euros pour cesser leur production. Une telle propo-
sition peut être bloquée par A en proposant à B de former une coalition et partager V(A, B)
= 15.000 euros avec une allocation, par exemple de X A = 6.500 euros et X B = 8.500 euros.
Mais C, à son tour, peut bloquer la coalition entre A et B en proposant une coalition entre
lui-même et B, par exemple de X B = 9.000 euros et X C = 27.000 euros. Mais cet ensem-
ble allocatif peut aussi être bloqué.
Pour prouver que, d’une manière générale, la grande coalition est instable, nous
montrons qu’elle ne se situe pas dans le noyau. Fondamentalement, une grande coalition
est dans le noyau si aucun sous-ensemble de la coalition ne peut se former, notamment les
situations où un individu agit indépendamment, et ne peut offrir à ses membres des gains
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 41

plus élevés que ceux qu’ils ne pourraient obtenir dans la grande coalition. Si (X A , X B , X C )
est une allocation située dans le noyau, alors elle doit satisfaire les conditions (2.42), (2.43)
et (2.44)
X A + X B + X c = V (A, B, C) (2.42)
X A ≥ V (A) , X B ≥ V (B) , X C ≥ V (C) (2.43)
X A + X B ≥ V (A, B) , X A + X C ≥ V (A, C) , X B + X C ≥ V (B, C) . (2.44)
La condition (2.44) implique que
1
X A + X B + Xc ≥ [V (A, B) + V (A, C) + V (B, C)] (2.45)
2
à partir de quoi et de (2.42) on peut tirer que
1
V (A, B, C) ≥ [V (A, B) + V (A, C) + V (B, C)] . (2.46)
2
Mais les chiffres de l’exemple contredisent (2.46) :
1
40.000 < (15.000 + 31.000 + 36.000) = 41.000
2
La grande coalition n’appartient donc pas au noyau.
Le problème principal dans l’exemple considéré est l’externalité de la fumée
produite par les usines A et B, imposée sur la lingerie C. Les gains pour internaliser cette
externalité peuvent être représentés par le postulat que

V (A, C) > V (A) + V (C) (2.47)


V (B, C) > V (B) + V (C) (2.48)
V (A, B, C) > V (A) + V (B, C) (2.49)
V (A, B, C) > V (B) + V (A, C) (2.50)

Dans leur exemple, Aivazian et Callen postulent aussi qu’une externalité existe entre les
deux usines polluantes ; c’est-à-dire qu’elles gagnent à former une coalition indépendante
de la lingerie C :
V (A, B) > V (A) + V (B) (2.51)

Cela est clairement une externalité distincte de celle qui concerne C et l’une ou les deux
autres usines. Aivazian et Callen (1981, p. 177) supposent l’existence d’une économie
d’échelle entre A et B. Mais l’existence de cette seconde externalité est cruciale pour
prouver que le noyau n’existe pas. En combinant (2.49) et (2.50) on obtient
1
V (A, B, C) ≥ [V (A) + V (B) + V (B, C) + V (A, C)] . (2.52)
2
Si maintenant V (A, B) ≤ V (A) + V (B), c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’avantage à former
une coalition entre A et B, alors
1
V (A, B, C) ≥ [V (A, B) + V (B, C) + V (A, C)] . (2.53)
2
42 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

et la condition (2.46) est satisfaite. La grande coalition est désormais dans le noyau. La
démonstration de Aivazian et Callen qu’il n’y a pas de noyau lorsque les droits de propriété
avantagent les usines fonctionne non pas simplement parce qu’un troisième joueur a été
ajouté, mais aussi parce qu’une seconde externalité a été ajoutée, à savoir le gain issu de la
combinaison de A et B. De plus, l’absence de noyau repose sur la condition que les deux
externalités peuvent être éliminées simultanément à l’aide d’une règle précise d’attribution
de responsabilité.
Dans quelle mesure cet exemple affaiblit-il le théorème de Coase ? Par rapport à
l’élimination de l’inefficience causée par une externalité unique, nous ne pensons pas que
l’exemple a beaucoup de pertinence. Supposons par exemple que les droits de propriété
avantagent A et B, mais que la loi permet à C de les empêcher de continuer leur activité si
elle paie une juste compensation. C offre aux propriétaires de A et B respectivement 3.000
et 8.000 euros par année et pour toujours s’ils cessent leur activité. Ils refusent en deman-
dant 15.000 euros. Si l’affaire devait aller devant une cour de justice, est-ce que la cour
devrait accepter l’argument justifiant la compensation de 15.000 euros et selon lequel A et
B pourraient gagner plus en continuant leur activité et en s’alliant ? Nous doutons qu’un
juge veuille entériner un tel argument. Cependant, en incluant la valeur de la coalition entre
A et B pour examiner si le noyau existe, nous avons légitimé la menace de A et B de s’al-
lier et éliminé une externalité pour faire obstacle à la formation d’une coalition entre A, B
et C qui puisse aussi en éliminer une autre. Conceptuellement, il pourrait être préférable de
supposer que A et B puissent soit fusionner, sans l’accord de C, soit rester séparés. S’ils
fusionnent, la négociation est entre C et la coalition AB. Dans ce cas, le théorème de Coase
tient, puisque V (A, B, C) > V (C) + V (A, B). Si, en revanche, A et B ne fusionnent pas,
(2.52) devient la condition pertinente pour déterminer l’existence du noyau et le théorème
tient toujours 13.

2.9 UNE GÉNÉRALISATION DU THÉORÈME DE COASE


Le théorème de Coase échoue dans l’exemple de Aivazian et Callen, parce qu’aucune coali-
tion stable ne peut être formée parmi les trois acteurs. Si l’entreprise C contacte A et lui
propose de former une coalition qui augmente les profits des deux entreprises, B réplique
en proposant à A une meilleure offre. Mais cette nouvelle coalition est toujours vulnérable
face à une contre-offre de C. Cette forme cyclique qui va d’un résultat possible à un autre
apparaîtra souvent dans ce livre. Cela arrive parce que chaque acteur peut unilatéralement
rompre un accord et accepter une meilleure offre.
Pour autant, Bernholz (1997a, 1998) a proposé de sauver le théorème de Coase en
restreignant la liberté des individus de rompre un accord préalablement contracté. Plus
précisément, Bernholz exige que tous les contrats externes et tous les contrats internes
13 Les valeurs de marché combinées de A et de B doivent se situer entre 11.000/i euros, la valeur que le marché
donne aux entreprises s’il considère la probabilité de fusion égale à 0 (3.000/i + 8.000/i euros), et 15.000/i
euros, la valeur d’une entreprise fusionnée. Donc, l’option de C qui achète A et B et forme une grande coali-
tion grâce à la fusion peut exister si le propriétaire met en vente A et B. Ainsi, dans l’esprit du théorème de
Coase, les actions individuelles et le marché des entreprises peuvent éliminer les externalités sans l’interven-
tion de l’État.
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 43

soient obligatoires, ce qui signifie qu’un accord, une fois contracté, ne peut être rompu que
si toutes les parties consentent à le rompre. Un exemple de contrat externe serait un accord
entre l’entreprise A et l’entreprise C pour fusionner et former une nouvelle entreprise. Une
fois que ce contrat a été signé, il est requis que tous les contrats internes soient obligatoi-
res, ce qui implique que A ne pourrait accepter une offre de B pour fusionner ensemble que
si C accepte. Puisque C perdrait en jouant le jeu seul, il accepterait que A rompe le contrat
et s’accorde avec B, seulement si A et B offrent à C un pot-de-vin compensateur. Mais si C
rompt avec A, le gain de A et B issu de leur coalition n’est pas suffisant pour compenser C
de ses pertes. Donc C n’acceptera jamais de laisser A fusionner avec B. Après que A et C
ont accepté de fusionner, le seul nouvel accord possible est celui de former la grande coali-
tion, ce qui se réalisera puisqu’elle conduit à une amélioration des positions des trois
parties. Donc, lorsque tous les contrats (internes et externes) sont obligatoires, une des
quatre séquences des mouvements représentés dans la figure 2.2 doit être mise en œuvre.
Les trois entreprises forment une grande coalition soit immédiatement, soit en passant par
une coalition de deux d’entre elles, coalition qui fusionnera avec la troisième entreprise
restante.

Figure 2.2
Trajectoires alternatives qui mènent à la grande coalition.

Étant donnée la présence d’un système bien défini de droits de propriété et l’ab-
sence de coûts de transaction, Bernholz (1997a, 1998) prouve que l’existence de contrats
internes et externes obligatoires suffit pour s’assurer que la frontière parétienne soit
atteinte. En partant d’un état d’anarchie, des individus rationnels et égoïstes contracteraient
une série de contrats qui les conduiraient à la frontière parétienne. Aucun problème de cycle
du type de celui formulé par Aivazian et Callen ne pourrait survenir, ni d’ailleurs d’autres
formes de cycle discutées plus loin dans ce livre 14. Dans un monde sans coûts de transac-
14 Bernholz pose quelques postulats supplémentaires, mais les postulats clefs de la preuve sont ceux d’absence
de coûts de transaction et de contrats obligatoires.
44 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

tion, le seul rôle de l’État serait de définir un ensemble initial de droits de propriété et de
s’assurer que tous les contrats soient effectivement obligatoires. L’idée initiale de Coase
(que deux individus rationnels, en absence de coûts de transaction, s’accorderaient pour
résoudre des conflits sur une externalité de façon à parvenir à l’optimalité de Pareto) peut
être généralisée à tous les individus qui viseraient à résoudre de façon optimale tout
problème d’action collective.
Le théorème de Bernholz n’infirme pas, bien sûr, la démonstration qu’il n’y a pas
de noyau dans l’exemple des trois usines, ainsi que dans un plus large nombre d’exemples.
Donc, on ne peut pas exclure la possibilité qu’un ensemble de contrats Pareto-optimaux ne
soit jamais réalisé. Tout comme l’âne de Buridan qui reste immobile parce qu’il est inca-
pable de choisir entre deux tas de foins identiques et équidistants, les individus face à
plusieurs options contractuelles, chacune accroissant leur bien-être, peuvent être incapables
d’en choisir une, et finir par n’en choisir aucune. Bien que ce cas soit une possibilité
logique, pour des individus plus rationnels que l’âne de Buridan, on peut attendre qu’ils
contractent un accord avantageux pour ensuite se diriger vers d’autres qui vont vers la fron-
tière de Pareto.

Figure 2.3
Utilités possibles face à une externalité.
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 45

2.10 LE THÉORÈME DE COASE TIENT-IL SANS DES DROITS


DE PROPRIÉTÉ PRÉDÉFINIS ?
Dans notre présentation du théorème de Coase, l’allocation Pareto-optimale est atteinte
indépendamment de toute répartition initiale des droits de propriété. Qu’arrive-t-il, cepen-
dant, s’il n’y a pas de répartition initiale de droits de propriété ? Est-ce que le théorème de
Coase est encore valide ?
Pour voir les implications de cette condition, considérons la figure 2.3. A entrep-
rend l’activité E qui crée une externalité qui nuit à B, comme cela a été discuté dans l’exem-
ple représenté dans la figure 2.1. La répartition initiale des droits de propriété favorise A.
S P représente le niveau d’utilité de A et B quand A achète E sans prendre en considération
B (E 1 dans la figure 2.1). Le pot-de-vin minimum que A acceptera pour parvenir au résul-
tat Pareto-optimal équivaut à la zone triangulaire au-dessous de sa demande prévue entre
E 1 et E P O . Si B paye seulement ce pot-de-vin minimal, son utilité augmente de l’équiva-
lent de W + v dans la figure 2.1, et le résultat passe de S P à y. Si, d’un autre coté, tous les
gains issus de la réduction du niveau de E vont vers A, le résultat passe de S P à z. La courbe
qui relie les points y et z représente toutes les combinaisons d’utilité que A et B peuvent
atteindre en réduisant la consommation par A de E à son niveau Pareto-optimal. Le théo-
rème de Coase établit qu’en absence de coûts de transactions, quelques points entre y et z
sont atteints.
Que se passe-t-il, pour autant, si les droits de propriété ne sont pas assignés initia-
lement ? Vraisemblablement A voudra consommer E 1 et B voudra éviter que A consomme
E. Pour ce faire, B pourrait acheter un pistolet ou engager un voyou pour intimider A. La
violence pourrait s’ensuivre. Sans droits de propriété pré-répartis, A et B sont remis dans
l’anarchie et les ressources additionnelles peuvent être gâchées dans la guerre pour déter-
miner combien de E sera consommé par A. Le statu quo, en anarchie, régresse de S P à S A .
Mais s’il n’y a aucun coût de transaction, A et B ne resteront pas au point S A . Ils
s’accorderont pour avancer gratuitement vers quelques points situés sur y − z. Si « zéro
coût de transaction » signifie également « zéro coût de négociation », alors des individus
rationnels et égoïstes ne dépenseront jamais des ressources pour résoudre les conflits,
puisque ces conflits peuvent toujours être résolus sans coût et pour l’avantage des deux
parties. A et B bougeraient instantanément de S A à y − z.
Une telle interprétation de l’axiome de zéro coût de transaction rend à la fois le
théorème de Coase trivial et le transforme en une tautologie, en ne se limitant alors qu’à
établir que les personnes rationnelles ne manqueront jamais des opportunités pour amélio-
rer leur situation sans avoir à payer des coûts 15.
En même temps, l’argument aide à illustrer simplement l’importance des postulats
que nous faisons sur les coûts de transaction et il donne une idée supplémentaire en quoi
les droits de propriété sont précieux. L’éventail des combinaisons d’utilité qui améliorent
simultanément la condition de A et B est beaucoup plus grand quand ils négocient à partir
du point S A qu’à partir du point S P . Donc, les étapes impliquées dans la négociation sont
15 Voir Mueller (1991) et Usher (1998).
46 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

beaucoup plus nombreuses en S A qu’en S P . Dans le monde réel, où les négociations ne sont
pas réalisées gratuitement, il peut être plus aisé pour A et pour B de conclure une négocia-
tion s’ils commencent du point S P , puisque les étapes sont beaucoup moins nombreuses en
partant de ce point. Cela explique de nouveau pourquoi les individus peuvent choisir, à
partir d’un état d’anarchie représenté par S A , de définir la répartition des droits de propriété.
De tels droits peuvent réduire les futurs coûts de transaction et de négociation 16.

2.11 LES EXTERNALITÉS EN PRÉSENCE D’UN GRAND


NOMBRE D’ACTEURS
Le théorème de Coase implique que quand les coûts de transaction sont nuls, tous les choix
collectifs qui mènent à une amélioration de Pareto sont réalisés. Tout bien public avec des
bénéfices plus grands que ses coûts est fourni. Tout effet externe Pareto-pertinent est
traité. Toute entreprise qui pourrait faire des profits est lancée. Pour cela, peu importe
combien de participants sont nécessaires pour parvenir au choix collectif optimal.
Dans cette section, nous indiquons pourquoi le postulat des coûts de transaction
nuls devient d’autant plus irréaliste que le nombre de participants à l’action collective
augmente. Nous traitons un argument selon lequel le théorème de Coase devient « indéter-
miné » avec l’accroissement du nombre des participants, même quand les coûts de trans-
action deviennent nuls 17.
Nous avons déjà démontré cette proposition dans les sections 2.4 et 2.5 et dans le
cas des contributions volontaires d’individus à un bien public, en prenant les contributions
de tous les autres individus comme données. Hormis dans le cas extrême de la technologie
du maillon faible, la quantité du bien public fourni appréhendée comme un pourcentage du
montant Pareto-optimal, devient indéfiniment petite au fur et à mesure que le nombre de
contributeurs augmente.
Considérons maintenant un exemple différent qui implique un bien public discret
qui pourrait atteindre l’optimalité de Pareto au travers d’actions volontaires qui sont plus
susceptibles de se produire 18. Une digue qui protégera pour toujours une communauté

16 Voir encore Muller (1991). Nous reviendrons sur le problème de comment les droits peuvent être définis dans
les chapitres 26 et 27.
17 Nous suivons le développement de l’argument proposé par Dixit et Olson (2000). Voir aussi Palfrey et Rosen-
thal (1984).
18 Les contributions individuelles devraient être plus probables avec les biens publics discrets, parce que le bien
public n’est pas fourni à tous tant que le montant total des contributions n’excède pas le coût du montant forfai-
taire du bien public qui correspond dans la littérature expérimentale au « seuil de fourniture » (provision point).
Bien que l’existence d’un seuil de fourniture en lui-même ne semble pas atténuer le resquillage (free-riding)
dans les expérimentations sur les biens publics (Isaac, Schmidtz et Walker, 1989 ; Asch, Gigliotti et Polito,
1993), Isaac, Schmidtz et Walker (1989) ainsi que Bagnoli et McKee (1991) trouvent une augmentation signi-
ficative des contributions volontaires dans les expérimentations qui incluent à la fois des seuils de fourniture et
une option de remboursement. Dans ces expériences, un individu « perd sa contribution » seulement si le seuil
de fourniture est atteint et si le bien public est fourni. Cette combinaison du seuil de fourniture et de l’option
de remboursement caractérise l’exemple suivant, et donc nous pouvons nous attendre grâce à ces expérimenta-
tions à ce que les participants à la réunion décident si le bien public est fourni et contribuent au montant requis.
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 47

d’une inondation pourrait être construite au coût C. Chacun des N membres de la commu-
nauté a des goûts et des revenus identiques et obtiendrait un gain d’utilité de V si la digue
était construite. Évidemment, la digue devrait être construite si N V > C . Mais une déci-
sion collective doit être prise pour fournir le bien public. Une réunion est ainsi organisée à
laquelle tous les N membres de la communauté sont invités. Chaque personne est libre de
s’y rendre ou non. La présence à la réunion peut être décisive pour décider si le bien public
sera produit et pour partager ses coûts. Étant donnée l’absence d’une institution telle que
l’État qui peut rendre les contributions obligatoires, ceux qui ne viennent pas à la réunion
ne peuvent pas être forcés à payer les coûts du bien public.
Grâce au postulat des coûts de transaction (et de négociation) nuls, nous pouvons
supposer que les n individus qui se présentent au meeting choisissent de construire la digue,
si nV > C , et, par exemple, qu’ils décident de partager les coûts de façon égalitaire.
Sachant cela, chaque individu peut décider de se rendre à la réunion. En supposant tous les
individus identiques, il est raisonnable de limiter notre attention aux choix stratégiques
symétriques. Il n’y a que deux choix de stratégie pure : participer ou s’abstenir. Il y a donc
deux équilibres de Nash possibles et symétriques dans des stratégies pures : un où tous
participent et un où tous s’abstiennent. Supposons que M est le nombre minimal de parti-
cipants qui suffit pour que la digue soit construite, (M − 1)V < C < M V . Alors la parti-
cipation est un équilibre de Nash symétrique si et seulement si M = N . Avec M < N et
toutes les autres personnes participantes, un individu a intérêt à s’abstenir et à resquiller
(free riding) quant la fourniture du bien public est assurée par le reste de la communauté.
Le cas M = N correspond à la forme extrême de la technologie du maillon faible décrite
dans la section 2.4, et produit à nouveau la quantité Pareto-optimale du bien public avec
une participation volontaire.
L’abstention est un équilibre de Nash symétrique pour tout M supérieur à 1. Si
plusieurs individus doivent participer pour que la digue soit construite, et que tous les
autres (N − 1) individus s’abstiennent, il n’y a pas de raison pour le nième individu de ne
pas s’abstenir également. Même avec un N relativement petit, le nombre de situations dans
lesquelles M ≥ 2 a plus de chances d’être plus grand que celui pour lequel M = N . Donc,
si des équilibres stratégiques purs émergeaient, ils pousseraient probablement tous les
membres de la communauté à s’abstenir.
En reconnaissant cela, notre résident sophistiqué pourrait choisir d’adopter une
stratégie mixte, c’est-à-dire de participer avec une probabilité P (0 < P < 1) et de s’ab-
stenir avec une probabilité 1 − P. De cette manière si toutes les personnes choisissent le
même P, il y a au moins une probabilité positive pour que le bien public soit fourni. Bien
sûr, il faut alors qu’il y ait une probabilité positive pour que le bien public ne soit pas fourni,
et cela affaiblit un peu le théorème de Coase.
Considérons maintenant la décision de Jacques, un membre typique de la commu-
nauté. Si Jacques participe et que le bien public est fourni, ses bénéfices nets sont
(V − C/n) avec n participants. Ses bénéfices attendus s’il participe sont alors la probabi-
lité que le bien public soit fourni, c’est-à-dire la probabilité que n ≥ M × (V − C/n).

N −1
(N − 1)! C
P n−1 (1 − P)(N −1)−(n−1) [V − ]. (2.54)
n=M
(n − 1)! ((N − 1) − (n − 1))! n
48 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

Le bénéfice attendu de l’abstention est V fois la probabilité que le bien public soit fourni
même quand il s’abstient :

N −1
(N − 1)!
P n (1 − P) N −1−n V. (2.55)
n=M
n! (N − 1 − n)!

Quel que soit n > M , le bien public aurait été fourni sans la participation de Jacques, et il
perd C/n. Il reçoit un gain net en participant seulement quand sa participation accroît n
pour parvenir à M, une éventualité dont la probabilité chute avec l’accroissement de N, en
maintenant M/N constant. Dixit et Olson (2000) ont calculé P et la probabilité cumulative
π qu’assez de gens participent de façon à ce que le bien public soit fourni, pour différentes
valeurs de C, M et N, en maintenant V fixe à 1. Quelques-uns de leurs résultats sont repro-
duits dans le tableau 2.1.
Quand la participation d’une personne est décisive, C/M < V < C/(M + 1). Le
montant du gain issu de la participation de cette personne (V − C/M) est alors le seuil
crucial pour l’inciter à la participation. Donc, apparemment, des petits changements dans
C peuvent avoir des effets énormes sur P et π. Avec M = 10 et N = 20, la probabilité pour
qu’un individu participe tombe de 0,091 à 0,011 lorsque C augmente de 9,1 à 9,9. Mais
même dans le cas où P = 0,091, la probabilité que 10 ou plus de personnes choisissent de
participer est à peine de 0,0000032. Même cette probabilité semble grande comparée aux
autres entrées sur la table. C’est seulement pour des communautés très petites que les

Tableau 2.1
Probabilités de participation optimale (P) et probabilités de fourniture du bien public (π) lorsque la participation est
volontaire.

V = 1,0
C = 9,1 C = 9,5 C = 9,9
N P π P π P π
M = 10
20 0,091 0,32 × 10–5 0,053 0,18 × 10–7 0,011 0,40 × 10–14
30 0,048 0,76 × 10–6 0,027 0,37 × 10–8 0,005 0,66 × 10–15
40 0,032 0,43 × 10–6 0,018 0,20 × 10–8 0,004 0,33 × 10–15
80 0,014 0,20 × 10–6 0,008 0,87 × 10–9 0,002 0,14 × 10–15
160 0,007 0,15 × 10–6 0,004 0,61 × 10–9 0,001 0,94 × 10–16
M = 50
60 0,084 0,60 × 10–43 0,049 0,97 × 10–55 0,010 0,11 × 10–88
100 0,018 0,27 × 10–58 0,010 0,10 × 10–70 0,002 0,26 × 10–105
150 0,009 0,74 × 10–62 0,005 0,23 × 10–74 0,001a 0,48 × 10–109
200 0,006 0,30 × 10–63 0,003a 0,88 × 10–76 0,001a 0,17 × 10–110
250 0,005 0,56 × 10–64 0,003a 0,16 × 10–76 0,001a 0,29 × 10–111
aCes chiffres doivent se lire avec une décimale de plus.
Source : Dixit et Olson (2000, Tables 1 et 3).
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 49

probabilités de participations, et donc que le bien public soit fourni, restent raisonnable-
ment élevées. (Si V = 1,0, C = 1,5, M = 2, et N = 6, alors P = 0,176 et π = 0,285.)
Qu’advient-t-il si quelqu’un convoque une réunion pour fournir un bien public pur
et que personne ne vient ? Évidemment, le bien public ne sera pas fourni. Mais, il est tout
aussi évident si les coûts de transaction sont nuls qu’il paierait pour convoquer une autre
réunion. Si le bien public échoue à être fourni à la première réunion, les individus rééva-
lueraient certainement leur décision de s’abstenir, et seraient présents à la seconde réunion,
ou à la troisième, ou à la quatrième. Hélas, il y a aussi un effet contraire. Si beaucoup de
réunions sont maintenues, un individu rationnel et égoïste serait encouragé à diminuer son
P et à parier pour qu’assez de gens soient présents à la réunion pour fournir le bien public,
réunion qui précède celle où il ira 19.
Pour s’assurer que le bien public soit fourni dans un laps de temps raisonnable, il
faut à la fois organiser la réunion et annoncer que le bien public sera fourni seulement dans
le cas où tous les N membres de la communauté participent. La menace de ne pas produire
le bien public si M ≤ n < N est crédible aussi longtemps qu’il n’y a pas de coûts pour
organiser une autre réunion, puisque dans une réunion pour laquelle n < N tous les parti-
cipants gagnent à l’ajourner et à attendre jusqu’à ce que n = N . Sachant que le bien public
sera fourni seulement quand chacun viendra à la réunion, chaque personne pourrait bien
venir dès la première réunion. Le théorème de Coase est reconfirmé sous la clause que
quelques agents (l’État ?) à la fois organisent les réunions pour tous les membres de la
communauté et annoncent que la communauté parviendra à une décision seulement si tous
les membres sont présents.
Nous sommes alors obligés d’apporter des réserves sur les implications du théo-
rème de Coase généralisé discuté dans la section 2.9. Le pré-requis de rendre obligatoires
les contrats externes et internes peut ne pas suffire pour s’assurer que tout contrat Pareto
préféré sera signé. Lorsqu’un bien public non excluable est en jeu, il peut être nécessaire
également que tous les membres de la communauté participent à la signature du contrat qui
le fournit 20.

2.12 EXTERNALITÉ AVEC UN GRAND NOMBRE D’INDIVIDUS -


UNE SECONDE FOIS
Autrefois, les résidents de la communauté de Shangri-la votèrent à l’unanimité pour se
taxer eux-mêmes afin de construire une digue qui les protégerait des inondations. Ils formè-

19 Bien sûr, π > 0 si P > 0. Donc, aussi longtemps que P n’est pas égal à 0, la possibilité que le bien public soit
fourni existe, même si π devient infinitésimal. Si le postulat d’absence de coûts de transaction est interprété
comme impliquant qu’un nombre infini de réunions peuvent être organisées dans une période infiniment
courte, alors le théorème de Coase est reconfirmé.
20 Dixit et Olson montrent, cependant, que ce résultat ne se maintient pas si on introduit un coût de transaction
modeste sous la forme du coût d’aller à la réunion. Étant donnés de tels coûts, chaque individu a une incita-
tion à s’abstenir pour les éviter. Si suffisamment de personnes vont à la réunion pour fournir le bien public (n
≥ M), ils ont maintenant une incitation de le fournir, même si n < N, en évitant ainsi de subir les coûts de devoir
aller à la prochaine réunion une nouvelle fois.
50 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

rent alors un club pour préserver Shangri-la des inondations (PSCF). Le PSCF se réunis-
sait une fois par an pour fixer le niveau de taxation nécessaire pour maintenir la digue.
Puisque Shangri-la croissait et prospérait, un deuxième problème surgit. Le
nombre d’automobiles avait tellement augmenté que l’air devint irrespirable. Jane, qui
possédait une bicyclette, mais pas de voiture, présuma qu’il y avait beaucoup de personnes
comme elle qui seraient prêtes à se taxer elles-mêmes pour offrir à tous les conducteurs
d’automobiles un pot-de-vin pour réduire la pollution de leurs voitures. Elle décida alors
de former un club – le club pour préserver Shangri-la de la pollution (PSPC). Considérons
maintenant la tâche à laquelle Jane était confrontée. Elle devait d’abord approcher tous
ceux qui, comme elle, désiraient de l’air pur et leur demander de venir à la réunion pour
créer le PSPC. S’ils avaient lu la section précédente de ce livre, certains auraient choisi de
ne pas aller à la réunion dans l’espoir que cette réunion décide d’offrir aux automobilistes
un pot-de-vin et réussisse ainsi à réduire la pollution sans qu’eux-mêmes aient à débourser
quoique ce soit. Mais même si suffisamment de contribuables étaient présents à la réunion,
celle-ci aurait la tâche de décider combien d’argent il faudrait collecter par participant et à
combien s’élèverait le pot-de-vin. Le PSPC doit donc se former et surmonter cet obstacle.
Mais après il faudra également faire face à la difficulté de contacter tous les automobilis-
tes et leur demander s’ils acceptent de prendre les mesures nécessaires pour améliorer la
qualité de l’air en échange des pots-de-vin. L’hypothèse d’absence de coûts de transactions
est clairement intenable. Les coûts de transaction pour organiser ces deux groupes de
personnes sont énormes.
Désespérée, Jane était tout près d’abandonner son idée, quand elle se rappela
qu’elle était toujours membre d’un club qui incluait tous les résidents : le PSCF. Elle
pouvait donc proposer une taxe et un pot-de-vin à la prochaine réunion de la PSCF. Si une
réduction Pareto-optimale de la pollution est possible, il doit exister une combinaison de
taxes et de subventions qui recevrait le soutien unanime de tous les citoyens de Shangri-la.
Ce problème résolu, les réunions pouvaient continuer en prenant en considérations d’aut-
res problèmes tels que protéger la communauté des incendies et des vols, éclairer les routes,
etc.
Nous avons découvert une autre raison possible de l’existence de l’État : écono-
miser les coûts de transaction pour permettre de meilleures décisions collectives. Bien
qu’un accord séparé, volontaire et contractuel puisse être efficace pour corriger toutes les
défaillances du marché dans un monde sans coûts de transaction, dans le monde réel les
coûts de former chaque club séparément et d’écrire chaque contrat est énorme. Une fois
qu’un club incluant tous les membres de la communauté a été formé pour résoudre une
défaillance particulière du marché, des gains considérables en temps et énergie peuvent être
faits, notamment dans le fait de réunir différents groupes impliqués par une mesure, pour
résoudre d’autres types de défaillances. Donc, l’État peut être défini comme une sorte de
club dont on est involontairement membre et qui existe pour économiser les coûts de trans-
action et résoudre toutes les défaillances de marché qui se présentent 21.
21 Quand nous utilisons le gouvernement pour corriger simultanément plus d’une externalité et pour déterminer
le niveau de fourniture de plusieurs biens publics, nous sommes confrontés aux problèmes soulevés par Aiva-
zian et Callen (1981). On pourrait alors anticiper que l’absence de noyau, c’est-à-dire l’absence d’équilibre,
sera un problème par rapport aux décisions du gouvernement concernant les biens publics et les externalités.
Voir, aussi, Aivazian et Callen (2000).
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 51

2.13 RÉSULTATS EXPÉRIMENTAUX PORTANT


SUR LA FOURNITURE VOLONTAIRE DE BIENS PUBLICS
Le postulat du comportement rationnel et égoïste conduit aux deux prédictions suivantes :
1. Dans un jeu du dilemme du prisonnier à deux joueurs et joué une seule fois, les
deux joueurs sélectionnent une stratégie non coopérative.
2. Si le jeu du dilemme du prisonnier à deux joueurs est répété un nombre indéfini de
fois, les deux joueurs peuvent à partir d’un moment choisir une stratégie coopéra-
tive à chaque nouvelle étape du jeu.
Aucune de ces deux prédictions n’a été entièrement confirmée dans des expéri-
mentations en laboratoire, notamment avec des étudiants d’université qui jouent à des jeux
de dilemme du prisonnier ou, ce qui revient à la même chose, décident d’un montant de
contribution volontaire pour la fourniture d’un bien public. À peu près la moitié des parti-
cipants dans des dilemmes de prisonniers joués une seule fois et à deux personnes, coopè-
rent ; les contributions volontaires à un bien public pur sont en moyenne à peu près la
moitié des stratégies coopératives de contribution dans les jeux joués une seule fois et dans
les premiers tours des jeux répétés. Les contributions chutent si le jeu est répété avec les
mêmes joueurs et il atteint le stade cohérent avec la stratégie non coopérative optimale
après une demi-douzaine de tours dans un jeu. Les deux résultats contredisent le postulat
que les sujets de ces expérimentations se comportent de façon rationnelle et égoïste 22.
Concernant les prédictions des super-jeux du dilemme du prisonnier, les résultats
sont plus rassurants, en particulier sur les expérimentations, qui montrent d’abord un déclin
de la coopération comme dans les expérimentations du dilemme du prisonnier, puis une
augmentation continue de la coopération jusqu’à ce qu’une parfaite complicité (le résultat
coopératif) soit rétablie. Cependant, cette solution coopérative n’émerge pas tant que le jeu
oligopolistique n’a pas été répété au moins 35 fois, voire plus (Alger, 1987 ; Benson et
Faminow, 1988).
Un postulat comportemental cohérent avec les résultats des ces expérimentations
variées est que les sujets sont adaptativement égoïstes. Leur comportement présent reflète
le conditionnement passé. Beaucoup de gens depuis leur enfance ont été récompensés s’ils
coopéraient dans des situations de dilemme du prisonnier (en étant honnêtes, altruistes,
généreux) et punis s’ils ne coopéraient pas. Dans un premier temps, lorsqu’ils reconnais-
sent par la structure des gains une expérimentation typique de contribution volontaire à un
bien public, ils la reconnaissent comme une situation dans laquelle la coopération est atten-
due et qui par le passé a été récompensée. Leur réaction conditionnée est de coopérer, au
moins à un certain degré. Pour autant, un tel comportement coopératif peut rapidement
disparaître à cause du comportement non coopératif ou semi-coopératif des autres joueurs.
En effet, la stratégie du donnant-donnant qui fonctionne si bien dans les jeux de dilemme
du prisonnier simulés à l’ordinateur, n’est rien de plus qu’une stratégie pour conditionner

22 Le nombre d’expérimentations de ce type est immense. Les résultats ont été présentés par Davids et Holt
(1993, ch. 6), Roth (1995, pp. 26-35), Ledyard (1995), Ostrom et Walker (1997) et Hoffman (1997).
52 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

la coopération à travers le fait de jouer son coup en récompensant la coopération passée ou


en punissant la non-coopération 23.
La preuve de l’importance du conditionnement pour déterminer le comportement
d’un individu dans des situations d’interaction a été fournie par Glaeser, Laibson, Scheink-
man et Soutter (GLSS, 2000). Leurs expérimentations portent sur la propension des indi-
vidus à faire confiance à d’autres individus plutôt que de contribuer au bien public ; mais
si cette variable fondamentale est importante dans un contexte, elle a des chances d’être
importante également dans un autre. GLSS trouvent que les gens qui sont en désaccord
avec l’opinion selon laquelle « on ne peut pas faire confiance aux inconnus », sont plus
confiants dans les expérimentations auxquelles plus tard ils participeront. En outre, ils
tendent à faire plus confiance aux membres de leur propre groupe ethnique qu’à ceux issus
des autres groupes. Ce comportement semble avoir été conditionné par les expériences
passées des individus avec les étrangers et les membres des autres groupes sociaux 24.
Il y a deux raisons pour s’attendre à ce que la coopération dans un jeu du dilemme
du prisonnier ou les contributions dans un jeu de contribution volontaire à un bien public
chute avec l’augmentation du nombre de joueurs : (1) le gain marginal d’une contribution
individuelle baisse quand le nombre de joueurs augmente et (2) il devient plus difficile
d’identifier et de punir les resquilleurs. La première explication est à la base de l’ineffi-
cience croissante des contributions volontaires discutée dans les sections 2.4, 2.5, et 2.11.
Cette prédiction a été confirmée dans la littérature expérimentale. Bien que les individus ne
resquillent pas avec la même ampleur que celle prédite par le modèle du choix rationnel,
ils répondent aux incitations marginales et contribuent plus quand les gains marginaux sont
plus grands 25.
Dans un jeu du dilemme du prisonnier à deux joueurs, la défection par l’autre
joueur peut être aisément détectée et punie. Avec trois joueurs ou plus, il peut être difficile
de déterminer quel autre joueur fait défection, et en plus il est impossible de punir un joueur
qui a fait défection sans aussi punir tous les autres. Cette différence importante entre les
dilemmes du prisonnier à deux personnes et ceux à n personnes (n > 2) peut expliquer que
la coopération, dans la forme d’une parfaite complicité, est souvent observée dans des jeux
de duopole, là où l’équilibre de Cournot ou d’autres équilibres non coopératifs dominent
les jeux oligopolistiques avec trois joueurs ou plus (Holt, 1995, pp. 406-409). Bien que
cette conclusion soit controversée, les résultats expérimentaux sur les biens publics avec
contribution volontaire semblent montrer que la contribution d’un joueur reste constante ou

23 Ahn, Ostrom, Schmidt, Shupp et Walker (2001) et Clark et Sefton (2001) fournissent des preuves empiriques
de cette sorte de conditionnement des joueurs dans des situations de jeu répété.
24 Nous discuterons le pouvoir explicatif du postulat de l’égoïsme adaptatif à plus grande échelle dans le chapi-
tre 14, quand nous viserons à expliquer un autre paradoxe du modèle du choix rationnel : pourquoi les gens
vont voter.
25 Voir Ledyard (1995, pp. 149-151). Une exception à ce résultat est reportée par Isaac, Walker et Williams
(1994). Ils trouvent qu’en augmentant les récompenses marginales de la contribution à nombre de joueurs
constant, on n’observe aucun effet, où même paradoxalement cela réduit le niveau des contributions. Ils trou-
vent, cependant, que quand la récompense marginale est réduite et le nombre de joueurs est simultanément
augmenté, les contributions baissent. Ficher, Isaac, Schatzenberg et Walker (1995) trouvent que les différen-
ces dans un groupe concernant les récompenses marginales de la contribution sont associées avec des diffé-
rences significatives dans les contributions avec des plus grandes incitations marginales associées à des plus
grandes contributions. Voir aussi la discussion dans Ostrom et Walker (1997, pp. 49-69).
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative 53

augmente avec l’augmentation du nombre de joueurs quand le gain marginal d’une contri-
bution individuelle reste constant (Ledyard, 1995, pp. 151-158 ; Ostrom et Walker, 1997,
pp. 49-69).
Aucun de ces résultats expérimentaux n’offre une confirmation sans réserve aux
prédictions du modèle du choix rationnel concernant le comportement humain dans des
situations de type dilemme du prisonnier. Cependant, ces résultats ne doivent pas être vus
comme affaiblissant la théorie de l’existence de l’État qui repose sur le dilemme du prison-
nier, sur les défaillances de marché et sur le comportement de passager clandestin. Dans un
dispositif expérimental, les personnes coopératives et celles qui font défection peuvent
seulement récompenser ou punir à travers le jeu, ou peut-être, si la communication est
permise, à travers des encouragements ou des réprimandes verbales aux autres joueurs.
Dans le monde réel, un ensemble beaucoup plus riche de récompenses et de punitions est
disponible : de la gifle sur la main ou une tape sur la tête donnés aux enfants jusqu’à la
peine de mort pour les adultes. Dans le monde réel, les individus n’ont pas besoin de décou-
vrir comment ils doivent se comporter et comment les autres « joueurs » vont vraisembla-
blement se comporter, ce qui est souvent le cas dans les expérimentations. Dans beaucoup
de situations réelles, la communication entre les joueurs est possible et, de ce point de vue,
les résultats expérimentaux selon lesquels la coopération augmente quand la communica-
tion est permise sont largement et solidement confirmés 26.
Donc, les résultats issus des expérimentations sur le dilemme du prisonnier ou sur
la contribution volontaire à un bien public soulignent le besoin d’une institution comme
l’État qui annonce quel comportement est attendu pour tous les individus dans ces situa-
tions, et qui aide à s’assurer que ce comportement peut être effectivement attendu.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Beaucoup d’études ont choisi l’état d’anarchie comme point de départ et ont montré comment les
droits de propriété, ou des agences privées de protection, ou l’État peuvent émerger comme solu-
tions institutionnelles aux dilemmes sociaux présents dans l’anarchie. Voir Skaperdas (1992),
Usher (1992) et Sutter (1995).
La meilleure et courte introduction au jeu du dilemme du prisonnier est probablement celle de Luce
et Raiffa (1957, pp. 94-113). Rapoport et Chammah (1965) ont un livre sur le sujet. Taylor (1987,
pp. 60-108) présente dans un contexte de choix collectif une discussion exhaustive des possibilités
de solutions coopératives qui émergent dans un super-jeu du dilemme du prisonnier. Hardin (1982,
1997) discute également le dilemme du prisonnier dans un contexte de choix public. Axelrod
explore en profondeur la solution du donnant-donnant au super-jeu du dilemme du prisonnier et sa
pertinence pour la réalisation de résultats coopératifs dans les situations réelles.
Parmi d’autres travaux liés au dilemme du prisonnier, il y a Runciman et Sen (1965), Hardin (1971,
1982, 1997), Riker et Ordeshook (1973, pp. 296-300) et Taylor (1987, ch. 1). Dans son excellent
manuel sur les choix publics, Inman (1987, pp. 649-672) discute plusieurs solutions supplémen-

26 Voir Davis et Holt (1993, pp. 334-338) et Ledyard (1995). Une expérimentation particulièrement intéressante
à ce sujet a été conduite par Gächter et Fehr (1997). Elle montre que même avec une possibilité minime de
discuter sur les contributions avant et après l’expérience, un niveau suffisant de sanctions sociales est mis en
place pour induire les étudiants à contribuer significativement plus à la fourniture du bien public.
54 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

taires au dilemme du prisonnier et des justifications de l’intervention de l’État pour améliorer l’ef-
ficience allocative.
La littérature expérimentale sur le dilemme du prisonnier et les contributions volontaires aux biens
publics est présentée par Davis et Hold (1993), Roth (1995), Ledyard (1995), Ostrom et Walker
(1997) et Hoffman (1997).
Hamlin (1986) présente les problèmes normatifs liés à la théorie de l’État issue du choix rationnel,
en donnant une attention particulière au dilemme du prisonnier.
Quelques exemples intéressants de situations réelles qui ont les caractéristiques du jeu de la poule
mouillée, ainsi que les solutions possibles à ce jeu, sont fournis par Taylor et Ward (1982).
Les discussions classiques sur les externalités incluent les essais de Meade (1952) et Scitovsky
(1954), l’article de Buchanan et Stubblebine (1962) et le livre de Baumol (1967b). Mishan (1971)
présente la littérature et Ng (1980, ch. 7) offre une discussion intéressante des externalités et du
théorème de Coase. Cornes et Sandler (1986) offrent une analyse intégrée des externalités et des
biens publics purs ou presque purs.
Le noyau est discuté et défini par Luce et Raiffa (1957, pp. 192-196).
Dahlman (1979) lie les coûts de transaction et l’intervention de l’État au théorème de Coase. Froh-
lich et Oppenheimer (1970) montrent que, pour conclure que l’étendue du resquillage augmente
avec la taille du groupe, nous avons besoin de plus que le postulat d’individus rationnels et égoïs-
tes, à savoir des postulats sur les coûts de transaction.

En français.
Dans la bibliographie présentée, on peut trouver la traduction d’Axelrod (1996). Signalons égale-
ment, une courte et claire introduction générale sur le dilemme du prisonnier et ses développements
récents, surtout expérimentaux, par Eber (2006).
On peut trouver une traduction de l’article de Coase, ainsi que bien d’autres articles cités dans ce
livre, dans le recueil de Généreux (1996).
3
LA RAISON DES CHOIX COLLECTIFS :
LA REDISTRIBUTION

3.1 Redistribution comme assurance 57


3.2 La redistribution comme bien public 59
3.3 Redistribution pour satisfaire des normes d’équité 61
3.4 La redistribution pour améliorer l’efficacité allocative 63
3.5 La redistribution comme prédation 65
3.6 Transfert de revenu 69
3.7 Redistribution et distribution du revenu 70
3.8 La redistribution pour des intérêts spéciaux 72
56 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

Il est aisé d’imaginer qu’un gouvernement émergent d’un processus anarchique pur réus-
sisse à protéger les membres de la communauté des prédateurs et à coordonner les activi-
tés sociales et économiques comme la chasse ou la cueillette de ses membres. Il est
envisageable, aussi, de penser l’État comme une organisation uniquement au service de la
distribution des richesses existantes. Le meilleur chasseur ou le guerrier le plus courageux
devient le chef de la tribu. Il acquiert, ainsi, suffisamment d’autorité pour exiger le respect
et les hommages des autres membres de la communauté. La guerre et la police sont les acti-
vités primaires d’un État. Les gains de ces activités peuvent être accaparés par les leaders
de la communauté.
La naissance de l’État s’explique, alors, soit par l’obligation pour une communauté
d’avoir une organisation qui s’occupe de l’intérêt général et qui est capable de satisfaire les
besoins collectifs de tous les membres du groupe, soit par l’intérêt d’une minorité qui l’uti-
lise à ses fins personnelles. La première explication renvoie à tous les travaux qui cherchent
à expliquer pourquoi l’État est nécessaire pour atteindre l’efficacité allocative, la seconde
pense l’État comme un simple outil de redistribution en faveur de ceux qui le contrôlent 1.
Ces deux explications sont très importantes. Elles structurent l’ensemble des théo-
ries de la naissance de l’État. Elles mobilisent, de plus, une distinction efficacité - redistri-
bution qui est fondamentale pour l’école des choix publics et l’économie publique en
général.
L’affectation des ressources rares par le système des prix permet, dans le cadre de
la théorie de l’équilibre, de définir un certain nombre de situations Pareto-optimales (effi-
caces). Avant que le système des prix puisse affecter les ressources rares, il faut cependant
que les dotations initiales de chaque individu aient été définies. Cela pose un premier
problème de définition des droits. Il faut, aussi, s’interroger sur la répartition des gains à
l’échange. Dans un monde sans institutions, les gains à l’échange sont répartis de façon
arbitraire. Le système des prix est, néanmoins, fondé sur une structure de droits qui résout
la question de la répartition des gains à l’échange 2.
L’affectation des ressources rares par des procédures de décision collective pose
aussi des problèmes d’efficacité et de redistribution. Il faut, d’une part, définir les quanti-
tés de biens collectifs que la société doit produire pour atteindre l’optimum et, d’autre part,
s’interroger sur les critères de distribution des gains de l’action collective.
Ce chapitre propose différentes explications de la distribution des gains de l’action
collective et illustre son propos par quelques données statistiques sur les activités de redis-
tribution des États dans un certain nombre de pays du monde et de la France en particulier.

1 Pour des discussions sur le type d’exploitation dictatoriale pouvant émerger de l’anarchie, voir Skepardas
(1992), Usher (1992, ch. 4), Olson (1993) et le chapitre 18. Il est intéressant de noter que les anthropologues
politiques ont engagé le même débat sur les origines de l’État que celui du public choice moderne sur les acti-
vités actuelles de l’État. Pour une excellente revue des débats en anthropologie politique, voir Haas (1982).
2 Cette affirmation est correcte uniquement dans un monde sans règles comme le monde de la boîte d’Edge-
worth qui structure le raisonnement proposé ici. Dans cette perspective très orthodoxe, « les contraintes insti-
tutionnelles annexes qui agissent sur les variables ne sont pas elles-mêmes à proprement parler le sujet de la
théorie de l’optimum ou du bien-être ; elles doivent être considérées comme données » (Samuelson, 1948,
pp. 221-222). Si on intègre les institutions, l’arbitraire devient la légalité. Si on utilise les institutions de la
liberté contractuelle, la répartition des gains à l’échange dépend de la volonté des parties. Elle n’est pas, en ce
sens, arbitraire.
La raison des choix collectifs : la redistribution 57

3.1 REDISTRIBUTION COMME ASSURANCE


Au moment où les individus sortent de l’état de nature et forment la société civile, il est
probable qu’il y ait une grande incertitude sur les conséquences sur le bien-être de chacun
d’entre eux. La sécurisation des droits peut procurer des avantages à certaines personnes et
leur permettre de devenir riches. D’autres, au contraire, peuvent être appauvries par cette
nouvelle situation contractuelle (contrat social). Cette incertitude sur les gains du change-
ment institutionnel peut expliquer pourquoi un certain nombre d’individus vont chercher à
introduire des mécanismes de redistribution dans la constitution, au moment de la signature
du contrat social (Buchanan et Tullock, 1962, ch. 8)
Pour mieux comprendre cette explication, on va supposer que dans la société post-
constitutionnelle il y a deux classes de revenu. À l’intérieur de chaque classe, les revenus
sont identiques, Y1 et Y2 > Y1 . Soit r le nombre de riches dans la classe 2 et p le nombre
de pauvres dans la classe 1. Un individu incertain sur sa future position désirera lever une
taxe T sur les riches et une subvention B bénéficiant aux pauvres de façon à maximiser la
fonction objectif suivante :

O = π2 U2 (Y2 − T ) + π1 U1 (Y1 + B) (3.1)

où π2 et π1 correspondent aux probabilités pour que l’individu soit pauvre (classe 2) ou


riche (classe 1), respectivement (π2 = r/(r + p), π2 = p/(r + p)), n supposant l’absence
de coûts de transaction dans les transferts de revenu,

r T = p.B (3.2)

En substituant π1 et π2 et T dans (3.1) et en maximisant en fonction de B, nous obtenons

dO r dU2  p  p dU1
= − + = 0, (3.3)
dB r + p dY r r + p dY

ce qui permet d’écrire l’équation suivante

dU2 dU1
= . (3.4)
dY dY
Un individu qui maximise son utilité attendue, sachant qu’il ne sait pas s’il sera riche ou
pauvre, défendra des taxes redistributives dont le montant correspond aux utilités margina-
les des membres de chaque groupe. Si tous les individus ont la même fonction d’utilité, ils
choisiront des taxes et des subventions qui égalisent les revenus de tous les individus 3.
En créant des institutions pour redistribuer des riches aux pauvres, l’individu
prudent prend une assurance contre la possibilité de se retrouver pauvre. L’incertitude sur
la position future peut ainsi conduire à l’accord unanime pour introduire dans la constitu-

3 Lerner (1944, pp. 23-40) était le premier à démontrer qu’une distribution égalitaire des revenus maximise l’uti-
lité espérée d’un individu incertain sur sa position future. Voir également Sen (1973) et Olson (1987).
58 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

tion des institutions redistributives. Dans ce cas, la constitution devient une sorte de police
d’assurance.
Généralement, les individus achètent sur le marché de l’assurance des contrats
pour mutualiser les risques et répondre à leur demande de certitude. On peut, dans ces
conditions, se demander pourquoi l’assurance contre un risque constitutionnel ne pourrait
pas être prise en charge par le marché. Pour expliquer l’intérêt d’une règle constitutionnelle
capable de couvrir les risques constitutionnels, on peut mobiliser la théorie des défaillan-
ces du marché de l’assurance. Il y a un risque de constitution d’un monopole naturel.
La quantité de risque pris par chaque membre d’un fond d’assurance décroît avec
l’augmentation des personnes qui contribuent à ce fond. Quand les risques associés aux
nouveaux membres sont les mêmes que les risques pris par les anciens membres, la taille
idéale du fond d’assurance est infinie. L’assurance devient une sorte de « monopole
naturel » où la taille optimale du « club des assurés » correspond à tous les membres de la
société (Arrow et Lind, 1970).
Tous les individus ne perçoivent pas, cependant, les risques d’être pauvres sous les
nouvelles règles constitutionnelles de la même façon. Ceux qui ont moins d’intelligence ou
d’ambition ont des probabilités plus élevées d’être pauvres que les autres ; les gens plus
intelligents et ambitieux ont des probabilités plus faibles que la moyenne. S’il est possible
pour chaque individu de déterminer sa propre probabilité d’être pauvre – alors que cela
n’est pas possible pour une compagnie d’assurance privée – la vente d’assurances par une
entreprise privée pourrait conduire à un problème d’antisélection.
Pour le voir, considérons la décision d’acheter une assurance d’invalidité. Suppo-
sons que tous les individus bien portants aient des revenus et des fonctions d’utilité iden-
tiques. Soit Y H le revenu d’une personne bien portante et Y D le revenu d’une personne
invalide : Y D < Y H . Chacun est bien portant dans la période 1 et peut s’assurer contre une
invalidité dans la période 2. Pour la population entière, la probabilité d’être invalide est de
π D . En ignorant l’administration et tous les autres coûts de transaction, une compagnie
privée d’assurance devrait fixer une prime (ou une taxe) équivalente à T, telle que le béné-
fice B pour les invalides soit B = T /π D . Maintenant, considérons la décision d’un individu
i qui réfléchit à prendre une assurance contre l’invalidité et qui a une probabilité subjective
de devenir invalide de πi . Il veut maximiser son utilité espérée sur les deux périodes. En
ignorant l’escompte du temps, cela implique qu’il maximise

E(U ) = U (Y H − T ) + πi U (Y D + B) + (1 − πi )U (Y H ) (3.5)

En substituant à B et en maximisant en fonction de T, nous obtenons

d E(U ) dU (Y H − T ) πi dU (Y D − B)
=− + =0 (3.6)
dT dY πD dY

ou

dU (Y H − T ) πi dU (Y D − B)
= .
dY πD dY
La raison des choix collectifs : la redistribution 59

Quand la probabilité subjective de i de devenir invalide égale la probabilité de la popula-


tion, πi = π D , nous obtenons le même résultat qu’avec (3.4). Les individus i achètent un
niveau d’assurance T, tel que leur utilité marginale dans la première période, quand leur
revenu est élevé, équivaut à leur utilité marginale dans la deuxième période quand ils sont
invalides. Un individu qui sait ou pense qu’il a une plus petite chance de devenir invalide
que la moyenne, achète un montant tel que :

dU (Y H − T ) dU (Y D − B)
< , (3.8)
dY dY

qui implique un plus petit niveau de protection. Les individus avec πi > π D achètent une
protection plus grande que la moyenne. Cela implique que la moyenne πi pour le fond d’as-
surance est plus grande que π D . Si les individus en moyenne peuvent juger correctement
de leur propre πi , la compagnie d’assurance privée fera faillite. L’existence d’une infor-
mation correcte et privée sur les risques entraîne une mauvaise sélection dans les marchés
de l’assurance, qui conduit à la disparition de ces marchés 4. Forcer tous les membres de la
société à adhérer à un programme d’assurance peut être Pareto-avantageux par rapport à
cette situation 5.

3.2 LA REDISTRIBUTION COMME BIEN PUBLIC


Une deuxième explication peut-être avancée 6. Les riches acceptent de transférer du revenu
aux pauvres non pas parce qu’ils sont en situation d’incertitude sur leur futur, mais par
empathie ou une autre motivation altruiste similaire. Ce comportement peut être analysé en
utilisant la même grille d’analyse que celle précédemment utilisée. Chaque membre du
groupe des plus riches est censé gagner une satisfaction des gains d’utilité des membres des
classes plus faibles. Le groupe avec le plus haut revenu agit comme une sorte de club qui
accepte unanimement de transférer du revenu vers les membres des groupes les plus
démunis. En supposant trois groupes, avec Y3 > Y2 > Y1 , chaque membre du groupe 3,
quand il vote, peut être conçu comme maximisant une fonction objective qui est la somme
pondérée des utilités des membres de son propre groupe et de celles des membres du
groupe avec le revenu le plus faible :

O = n 3 U3 (Y3 − T ) + α2 n 2 U2 (Y2 + B2 ) + α1 n 1 U 1(Y1 + B1 ), (3.9)

où n 3 , n 2 et n 1 correspondent au nombre d’individus issus respectivement des groupes 3, 2


et 1 ; T est la taxe imposée sur le groupe le plus riche, et B1 et B2 sont les subventions par

4 Il peut être possible de séparer les forts et les faibles risques individuels en offrant un contrat d’assurance diffé-
rent pour chacun. De tels équilibres séparés peuvent ne pas exister, cependant, et quand ils existent, leurs utili-
tés attendues sont plus faibles que lorsque tous les individus sont obligés d’acheter une assurance avec la
même prime. Voir Arrow (1963), Akerlof (1970), Pauly (1974) et Rothchild et Stiglitz (1976).
5 Pour une discussion plus approfondie, voir Overbye (1995b).
6 Cette hypothèse a été pour la première fois développée par Hochman et Rodgers (1969).
60 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

tête pour les deux autres groupes. Chaque membre du groupe le plus riche considère l’uti-
lité des membres de son groupe de façon non pondérée et, au contraire, pondère les utilités
des membres des autres groupes (α1 ≤ 1, α2 ≤ 1). En substituant à partir des contraintes
de budget
n 3 T = B2 + n 1 B1 (3.10)

et en maximisant en fonction des productions de B1 et B2


 
dO n1
= −n 3 U3 + α1 n 1 U1 = 0 (3.11)
d B1 n3
 
n2
−n 3 U3 + α2 n 2 U2 = 0, (3.12)
n3
d’où
U3 = α2 U2 = α1 U1 . (3.13)

Si un membre de la classe la plus riche pondère de la même façon les utilités des membres
des classes 1 et 2 (α1 = α2 ) et suppose que chacune accorde la même utilité au revenu,
alors (3.13) implique l’existence de subventions aux membres des classes 1 et 2 dont le
montant doit être équivalent à l’utilité marginale de leurs revenus. Puisque Y2 > Y1 , si l’uti-
lité marginale du revenu chute avec l’augmentation du revenu, alors les revenus de la caté-
gorie la plus désavantagée doivent augmenter jusqu’à égaliser ceux de la classe 2, avant
qu’un transfert soit opéré vers la classe 2 (von Furstenberg et Mueller, 1971).
Un altruiste radical qui pondère de la même manière sa propre utilité et celle des
autres (α1 = α2 = 1) voterait pour égaliser totalement le revenu de tout le monde. Un
altruiste modéré qui donne plus d’importance à sa propre utilité qu’à celle des autres (0 <
α < 1) ne favoriserait pas des transferts importants au point d’égaliser ses propres revenus
avec les revenus de ceux auxquels il transfère des subventions.
L’équation (3.13) pourrait être utilisée pour prédire le comportement électoral d’un
membre du groupe le plus riche sur la question de la redistribution ou d’autres formes de
solidarité. Puisque la solidarité est un acte purement volontaire, là où les politiques
publiques redistributives ne le sont pas, on pourrait se demander pourquoi si tous les
membres du groupe 3 favorisent la redistribution, on ne fait pas confiance à la solidarité
privée (des clubs) pour redistribuer les revenus.
On peut, alors, à nouveau utiliser l’argument du passager clandestin pour compren-
dre l’intervention de l’État. Si un membre du groupe 3 désire voir augmenter le bien-être
de tous les individus du groupe 1, et non seulement le bien-être de ceux qu’il connaît
personnellement, il ne peut pas parvenir à ce but seul. Si tous les membres du groupe 3 ont
le même sentiment que lui, ils peuvent parvenir à ce but par une action collective. Mais si
l’association volontaire est utilisée, la stratégie du passager clandestin peut être dominante
et rationnelle, et la quantité de redistribution fournie inférieure à celle Pareto-optimale.
L’approche Pareto-optimale de la redistribution voit la redistribution comme la politique
menée si seuls les riches votaient et acceptaient d’appliquer la règle de l’unanimité.
La raison des choix collectifs : la redistribution 61

3.3 REDISTRIBUTION POUR SATISFAIRE DES NORMES


D’ÉQUITÉ
Les deux premières explications proposées rendent compte de la redistribution par les gains
d’utilité que l’individu retire du don.
Quand l’individu 2 s’assure contre un risque de maladie, il accepte le risque de ne
pas tomber malade et de payer les soins d’un autre individu 1 tombé malade. L’individu 2
cherche à éviter une perte d’utilité au cas où il tomberait malade sans assurance. Le fait que
l’utilité de l’individu 2 augmente à cause de la signature d’un contrat d’assurance à l’ori-
gine d’une redistribution de ses revenus vers l’individu 1 est aussi une conséquence de la
décision de l’individu 1 d’être assuré.
D’une façon analogue, avec l’hypothèse d’une redistribution Pareto-optimale,
c’est le gain d’utilité du donneur qui détermine la décision de redistribuer. La motivation
est comparable à celle d’un passant qui donne de l’argent à un mendiant. Il donne parce
qu’il a peur que le mendiant ne l’agresse.
Une troisième explication est, cependant, possible. Elle est incompatible avec les
deux premières et a été mise en évidence de manière assez claire par le jeu du dictateur.
Dans une de ces expérimentations, Eichenberger et Oberholzer-Gee (1997) avaient sélec-
tionné des étudiants pour être des dictateurs sur la base de leur bonne note à un petit test
préalable. On donnait à chaque dictateur sept francs suisses et on lui disait qu’il avait été
couplé avec un autre étudiant qui n’avait pas été choisi pour être dictateur. Aucun étudiant
ne connaissait qui était l’autre joueur. Il savait que leurs identités n’allaient pas être révé-
lées après l’expérimentation. Les dictateurs savaient qu’ils pouvaient décider de donner
volontairement une partie ou la totalité de leurs sept francs suisses pour l’autre étudiant
anonyme. Le choix le plus consistant avec une motivation étroitement égoïste serait de ne
rien donner. Les dictateurs, en moyenne, donnaient un tiers de leurs sept francs aux
étudiants inconnus 7.
Les comportements mis en évidence par des expériences ne relèvent pas de l’as-
surance, car le dictateur sait qu’il peut garder les sept francs. Il n’y a aucun risque pour lui
de se retrouver à la place de l’autre étudiant. Puisqu’il ne sait pas qui est l’autre étudiant.
Il ne sait pas non plus très bien pourquoi il renonce à une partie de son utilité pour amélio-
rer celle de l’autre étudiant. Notez que l’explication proposée originairement par Hochman
et Rodgers est inapplicable dans cette situation. Il n’y a pas de raisons pour le dictateur de
croire que l’autre étudiant anonyme est plus défavorisé que le dictateur – au-delà des sept
francs.
Eichenberger et Oberholzer-Gee (1997) expliquent les comportements des
étudiants par l’existence d’une norme d’équité. Ils choisissent de donner les sept francs aux
autres étudiants couplés avec eux parce qu’ils suivent une règle. Ils reconnaissent qu’il y

7 De la même verve, dans l’expérimentation du « gangster » où l’on permettait à des étudiants sans argent de
prendre les sept francs à des étudiants anonymes qui avaient gagné cet argent grâce à une bonne performance
dans un test, les étudiants « gangsters » ne prenaient que trois quarts des sept francs. Des résultats similaires
ont été rapportés dans d’autres études (Kahneman, Knetsch et Thaler, 1986 ; Davis et Holt, 1993, pp. 263-68).
62 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

avait un élément de chance dans le fait d’être ou de ne pas être choisi comme dictateur, et
donc ils sentaient que la décision équitable était celle de partager les sept francs.
Eichenberger et Oberholzer-Gee font aussi l’hypothèse que les dictateurs seront
d’autant plus généreux que le don ne leur coûte rien. Ce type d’explication a une consé-
quence sur le choix de la redistribution au moment du vote. L’électeur vote d’autant plus
facilement pour la redistribution, pour donner une plus grande partie des sept francs, que
l’action est collective, elle engage l’ensemble de la collectivité. Il choisit différemment s’il
est confronté à un choix qui n’engage que lui. Quand le choix de redistribuer est fait collec-
tivement, il est moins cher d’exprimer une volonté de donner, puisqu’un vote individuel a
seulement un impact probable sur la décision 8. Eichenberger et Oberholzer-Gee prédisent
une plus grande générosité de la part des dictateurs quand cela ne leur coûte rien – par
exemple quand ils ne font que répondre à un questionnaire qui leur demande le montant
qu’un dictateur devrait donner. Certaines des expérimentations d’Eichenberger et Ober-
holzer-Gee confirment cette prédiction.
La notion d’équité apparaît sous plusieurs formes dans beaucoup d’expérimenta-
tions. Une classe d’expérimentations qui ressemblent beaucoup au jeu du dictateur est le
jeu de l’ultimatum. Dans des conditions analogues à l’expérimentation décrite ci-dessus, le
premier étudiant propose une distribution des sept francs et le second étudiant a la possibi-
lité de rejeter cette proposition. S’il la rejette, aucun étudiant n’a rien. Si le joueur 1 propose
7 – e pour lui-même et e pour le joueur 2, le comportement égoïste de la part du joueur 2
consiste à accepter toute proposition tant que e > 0. Le comportement égoïste du joueur 1
consiste à choisir un e très petit. Mais les expérimentations du jeu de l’ultimatum condui-
sent généralement à ce que les joueurs 1 proposent des e de 30 pourcent ou plus de la
somme à distribuer, et que les joueurs 2 rejettent des e > 0, quand ils sont substantiellement
inférieurs à ce type de division. L’explication la plus fréquemment donnée pour ce compor-
tement apparemment irrationnel repose encore sur l’idée d’une norme d’équité. Les offres
de beaucoup de joueurs 1 sont contraintes par ses normes, et quand le e choisi est si faible
qu’il viole les normes d’équité de 2, ce dernier punit le joueur 1 en rejetant sa proposition 9.
Étant donnés les nombreux résultats expérimentaux qui attestent l’importance de la notion
d’équité, cette notion ne peut être exclue comme explication pour la redistribution volon-
taire.

Discussion
À première vue, nos trois premières explications de la redistribution semblent assez diffé-
rentes. Chacune semble être une justification potentielle de l’engagement de l’État dans la
redistribution une fois qu’il existe, ou peut-être une justification de l’existence même de
l’État. Si on regarde plus en profondeur, cependant, les différences entre les trois formes de
redistribution ne sont pas aussi importantes qu’une analyse superficielle peut le laisser
apparaître.

8 Cet argument est un cas particulier de l’hypothèse du vote expressif discutée au chapitre 14.
9 Voir Güth, Schmittberger et Schwarze (1982) ; Kahneman, Knetsch et Thaler (1986) ; Güth et Tietz (1988,
1990). Kirchsteiger (1994) démontre, cependant, que l’envie peut également jouer un rôle dans les jeux de l’ul-
timatum.
La raison des choix collectifs : la redistribution 63

Bien que l’existence d’une véritable incertitude sur les positions futures peut
conduire des individus purement égoïstes à signer des contrats d’assurance qui redistri-
buent le revenu une fois que les positions réelles ont été révélées, Harsanyi (1955) et Rawls
(1971) développent des théories normatives dans lesquelles les individus supposent pour
des raisons éthiques qu’ils ont été incertains sur leurs positions futures. Rawls appelle
même sa théorie justice comme équité, et on peut penser que sa description du contrat social
comme une sorte de contrat d’assurance est simplement une façon d’articuler les normes
de justice. Nous reviendrons sur la théorie de Harsanyi dans le chapitre 23 et sur la théorie
de Rawls dans le chapitre 25.
Il est possible, aussi, que le mendiant ne provoque pas la peur, mais la compassion.
On se dit « cela aurait pu m’arriver » et on laisse quelques pièces de monnaie dans la main
du mendiant. Cet acte de don altruiste ressemble à la théorie normative de Rawls. Il s’en-
racine dans nos intuitions spontanées de justice. Bien qu’un étudiant suisse ne soit pas
forcément pris d’une émouvante compassion envers un autre étudiant à qui on n’a pas
donné sept francs, une certaine reconnaissance du rôle de la chance dans cette répartition
peut aider à expliquer sa générosité.
Faute de psychanalyser chaque donneur, il peut être difficile de déterminer laquelle
de ces trois explications de la redistribution volontaire est réellement à l’œuvre. En effet, si
nous désirons aller au-delà du simple constat selon lequel les individus donnent volontai-
rement, et essayer de prédire qui a le plus de chance de donner et combien il donnera, nous
serions probablement obligés d’introduire une sorte de théorie psychologico-comporte-
mentale (chapitre 2), afin de nous aider à comprendre la coopération dans les jeux du
dilemme du prisonnier, car ces deux types de « comportement irrationnel » ont beaucoup
de choses en commun 10.

3.4 LA REDISTRIBUTION POUR AMÉLIORER L’EFFICACITÉ


ALLOCATIVE
Les trois premières théories de la redistribution reposent sur des postulats particuliers
concernant les préférences des gens : ils peuvent être adverses au risque, altruistes ou suivre
des normes d’équité. La quatrième théorie ne fait aucune hypothèse sur les préférences
individuelles, mais postule plutôt qu’il y a des différences dans la productivité des indivi-
dus. Sous ce postulat, la redistribution des revenus et des ressources productives peut
conduire à un accroissement de l’efficacité allocative, à une amélioration de la situation des
membres de la société. Pour bien comprendre cette explication, on peut repartir d’une situa-
tion d’anarchie 11.
Les individus P et U vivent dans une communauté qui contient un montant fixe de
terres. Ces terres peuvent être utilisées pour cultiver du blé. P est un fermier talentueux et
10 Wilson (1993) pense, cependant, qu’un « sens moral », dont un sens d’équité fait partie, est au moins en partie
inné. En supposant que Wilson a raison, alors nous devrions nous attendre à ce que tout le monde donne volon-
tairement à un certain degré, mais nous aurions encore besoin d’autres facteurs pour prédire que les personnes
donnent plus ou moins.
11 La discussion suivante est basée sur l’article de Bös et Kolmar (2003).
64 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

qui a une forte productivité. S’il travaille sur l’ensemble de la terre, il peut produire 100
unités de blé. U est un fermier relativement moins productif. S’il travaille sur cette même
terre, il ne peut produire que 50 unités de blé. La figure 3.1 représente la frontière des
possibilités de production de la communauté.

Figure 3.1
Fonction des possibilités de production et courbe d’allocation pour P et U.

Dans un monde anarchique la distribution de la terre est telle que P et U pourraient


obtenir l’allocation A si les deux individus consacraient toute leur énergie à la culture du
blé. Chaque individu sait, cependant, que s’il vole l’autre il obtiendra individuellement plus
de blé. On peut s’attendre, alors, à ce que chacun consacre une partie de son temps à voler
le blé. Les deux s’engagent, dès lors, dans l’activité improductive qui est le vol. Leurs
comportements placent la communauté en A plutôt qu’en A. L’État, comme cela a été
montré dans le chapitre précédent, peut résoudre ce problème et empêcher P et U de s’en-
gager dans des activités prédatrices. Il peut les placer en A.
Puisque la productivité de P est plus grande, la production totale de la commu-
nauté augmenterait si la terre était transférée de U vers P. Mais U n’accepterait jamais un
tel transfert si la prédation était interdite, parce que tout mouvement vers la gauche sur la
courbe de la production possible détériore sa position. Cependant, un tel transfert pourrait
être réalisé, si P acceptait de partager son blé avec U. La production totale maximale arrive,
La raison des choix collectifs : la redistribution 65

donc, au point B. Un accord entre P et U consisterait à transférer l’ensemble du capital


foncier vers P et à donner ensuite une partie du blé produit à U. Cet accord pourrait permet-
tre à la communauté de parvenir au point comme C où les deux parties améliorent leur posi-
tion par rapport à la situation initiale.
Si l’État existe déjà et qu’il impose des droits de propriété et des contrats qui inter-
disent le vol, le mouvement de A à C peut être obtenu grâce à des contrats privés. P ne pour-
rait qu’acheter la terre à U. De tels transferts de ressources des propriétaires moins
productifs aux plus productifs est un événement quotidien dans une économie de marché.
Mais si nous postulons que l’État n’existe pas, alors un tel échange est impossible. U ne
voudrait jamais transférer volontairement la terre à P, même si P lui promet de partager le
blé avec lui, parce qu’en absence d’une institution qui rend les promesses obligatoires,
celles-ci ne sont pas crédibles. Une fois que P entre en possession de la terre, il n’a plus
aucune incitation à en partager les fruits avec U. L’échange Pareto-avantageux de la terre
avec du blé peut être réalisé avec un accord constitutionnel entre P et U qui rendrait à la
fois plus riche en terres le plus productif P, et garantirait qu’ensuite il partage le produit de
son travail avec le plus pauvre U.
La terre n’est plus un facteur de production aussi important qu’il ne l’était autre-
fois. L’exemple proposé peut, pour cette raison, paraître anachronique pour expliquer les
politiques de redistribution des États aujourd’hui. Il peut, néanmoins, être modifié pour
rendre compte d’autres types de transfert. Par exemple, U pourrait être un enfant pauvre et
non scolarisé qui, s’il était instruit, pourrait devenir hautement productif. Les politiques qui
taxent la richesse et fournissent de l’éducation gratuite pour les enfants pourraient, alors,
augmenter suffisamment le revenu total de la communauté de sorte que tous les membres
soient avantagés.

3.5 LA REDISTRIBUTION COMME PRÉDATION


Les quatre motifs pour redistribuer décrits jusqu’ici mènent en principe à des politiques
publiques de redistribution qui font l’unanimité.
La plupart des régimes politiques non démocratiques ne prennent pas leurs déci-
sions collectives à l’unanimité 12. Si un gouvernement peut agir sans l’accord d’un citoyen,
la redistribution prend la forme d’un transfert involontaire d’un perdant vers des gagnants
majoritaires. Le processus politique peut alors se modéliser comme un processus de
concurrence pour la rente (les transferts).
Supposons deux groupes en concurrence. Chaque membre obtient une utilité du
revenu des ressources politiques qu’il engage pour obtenir des revenus supplémentaires par
transfert de l’État. Seul un groupe sur les deux peut obtenir des transferts positifs. L’autre
groupe doit utiliser ses ressources politiques pour réduire ses taxes. Soit Yi le revenu d’un
membre du i-ème groupe, Ui son utilité, et Ri ses ressources politiques, i = 1,2. Tous les
membres du groupe 1 ont la même fonction d’utilité U1 = U1 (Y1 + B, R1 ), où

12 Le « presque » pourrait être éliminé s’il n’y avait pas des associations de nations, comme l’Union européenne,
qui utilise la règle de l’unanimité pour certaines ou toutes les décisions collectives.
66 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

(∂U1 /∂Y1 ) > 0, (∂ 2 U1 /∂Y12 ) < 0, (∂U1 /∂ R1 ) < 0 et (∂ 2 U1 /∂ R12 ) < 0. Devoir utiliser les
ressources politiques pour obtenir les bénéfices B, baisse l’utilité des membres du groupe
1. Pour le groupe 2, nous avons U2 = U2 (Y2 + B, R2 ), où (∂U2 /∂Y2 ) > 0,
(∂ 2 U2 /∂Y22 ) < 0, (∂U2 /∂ R2 ) < 0 et (∂ 2 U2 /∂22 ) < 0, où T est la taxe par tête nécessaire
pour fournir B.
Pour comprendre le problème pleinement, nous avons besoin d’en savoir plus sur
la nature des institutions, les buts de ceux qui prennent part au gouvernement et les
contraintes qui pèsent sur la poursuite de ces buts. En faisant abstraction de ces informa-
tions, nous pouvons simplement définir les ressources politiques de façon à ce que B = B
(R1 , R2 ), (∂ B/∂ R1 ) > 0, (∂ 2 B/∂ R12 ) < 0, (∂ B/∂ R2 ) < 0 et (∂ 2 B/∂ R12 ) < 0.
Un membre du groupe 1 choisit R1 de façon à ce qu’il maximise

O1 = U1 (Y1 + B, R1 ) = U 1(Y1 + B(R1 , R2 ), R1 ) (3.14)

ce qui donne

∂ O1 ∂U1 ∂ B ∂U1
= + =0 (3.15)
∂ R1 ∂Y ∂ R1 ∂ R1
ou

∂U1 ∂ B ∂U1
=− . (3.16)
∂Y ∂ R1 ∂ R1
Cette condition est illustrée dans la figure 3.2. Un membre du groupe 1 consacre ses
ressources politiques jusqu’à ce que la désutilité marginale de ses pertes [−(∂U1 /∂ R1 )]
équivaut à l’utilité marginale issue des subventions que cette dépense produit
[(∂U1 /∂Y )(∂ B/∂ R1 )]. Une relation analogue vaut pour les membres du groupe 2, avec la
seule différence que ses gains marginaux viennent de la réduction de la taxe à payer.
Puisque B est une fonction de R1 et de R2 à la fois, le R1∗ optimal dépend de R2 ,
et les deux groupes sont en complet équilibre seulement quand chacun a choisi son R ∗
optimal, avec la condition que les autres groupes j soient aussi à leur R j∗ optimal 13.
Les ressources politiques peuvent prendre plusieurs formes. Dans une démocratie,
il pourrait y avoir une pression exercée par un groupe sur un parti (par l’envoi de tracts,
d’enveloppes remplies d’argent, par coups de fil) pour parvenir à sa victoire. Ici, on pour-
rait s’attendre à ce que les groupes avec de faibles coûts d’opportunité en temps (chômeurs,
retraités) parviennent mieux à gagner des subventions.

13 C’est un équilibre de Nash. Si nous spécifions les formes fonctionnelles de U1 et B, alors (3.16) pourrait être
utilisé pour trouver le R1∗ optimal comme une fonction de R2 et les paramètres dans les fonctions U1 et B.
Cette équation constituerait une fonction de réaction pour un membre du groupe 1. En substituant la fonction
de réaction d’un membre du groupe 2 dans cette équation, cela nous permettrait de trouver R2∗ et R1∗ à l’équi-
libre de Nash.
La raison des choix collectifs : la redistribution 67

Bénéfices
et désutilités
marginale de R

Figure 3.2
La dépense optimale des ressources politiques.

Une classe aristocratique peut être capable de gagner les faveurs d’un gouverne-
ment en invitant certains membres de ce gouvernement à faire partie de cette aristocratie.
La ressource politique de l’aristocratie dans cette situation est son droit de définir qui sont
ses membres. Le coût d’ajouter des membres du gouvernement à l’aristocratie est que celle-
ci perd un peu de son exclusivité, et la valeur d’en être un des membres décline.
Au Moyen Âge, l’Église pouvait obtenir des richesses de l’État en utilisant ses
relations particulières avec Dieu, et en vendant des places au paradis et d’autres services à
la royauté (Ekelund et al. 1996).
La forme la plus simple de ressource politique est, bien sûr, l’argent. Il peut être
utilisé pour gagner des faveurs en versant des pots-de-vin aux membres du gouvernement,
en faisant du lobbying, en contribuant à leurs campagnes, etc. Quand R1 est de l’argent,
alors U1 devient U1 (Y1 + B − R1 ), et (3.16) s’écrit
∂B
= 1. (3.17)
∂ R1
Le montant de monnaie optimal respecte l’égalité entre l’utilité de la dernière pièce dépen-
sée et le montant du transfert obtenu grâce à cette action auprès du gouvernement.
La redistribution involontaire, issue de cette dépense, coûte à ceux qui paient le
transfert, mais aussi plus globalement à l’ensemble du groupe. Le modèle le plus simple est
68 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

le suivant. L’argent du groupe perdant est prélevé par l’État qui le verse au groupe des
gagnants. L’État met alors en place un échange à somme nulle. Ce que perdent les uns est
gagné par les autres. Il s’agit d’un pur modèle de taxe-subvention. Dans un modèle un peu
plus élaboré, on peut supposer qu’il s’agit d’un échange à somme négative. Les deux
groupes utilisent des ressources pour prendre une partie de la richesse de l’autre groupe. Il
est possible, alors, que leurs situations soient meilleures s’ils ne cherchaient pas à obtenir
un transfert de l’autre groupe.
Pour comprendre cela, supposons que les deux groupes dépensent de l’argent pour
obtenir une subvention et que leurs efforts se compensent parfaitement les uns les autres.
Aucun des deux groupes n’obtient des avantages de leurs actions, et les deux se retrouvent
dans une moins bonne situation qu’au départ. Ils perdent le montant des ressources dépen-
sées pour faire du lobbying. La frontière des possibilités de production se déplace vers l’in-
térieur, à cause des dépenses de lobbying. Le nouvel équilibre est inférieur à celui que la
société pourrait obtenir si les groupes ne s’étaient pas engagés dans des efforts pour obtenir
de la redistribution involontaire. (Évidemment, les lobbyistes reçoivent du revenu des deux
groupes. Mais si nous supposons que le lobbying est un secteur parfaitement compétitif, le
revenu de chaque lobbyiste devrait simplement être égal à ses coûts d’opportunité – le
revenu qu’il pourrait gagner dans une quelconque autre occupation. Si nous supposons que
ces occupations alternatives sont, contrairement au lobbying, socialement productives, la
perte sociale issue des efforts des deux groupes chercheurs de subvention, correspond à la
production marginale des lobbyistes, s’ils avaient choisi une activité socialement utile.)
La situation se dégrade encore lorsque l’on fait observer que les taxes et les
subventions ne peuvent pas être créées gratuitement. Les bénéfices du groupe 1 sont équi-
valentes aux taxes imposées au groupe 2 moins les coûts de transaction, c, entraînant le
transfert :
n1 B = n2 T − C (3.18) 14

Dans c sont inclus les coûts de mise en œuvre de l’impôt et des aides, les coûts de diffu-
sion auprès des intéressés, et les coûts de contrôle nécessaires pour s’assurer que tous les
membres du groupe 2 paient leur taxe et que les subventions ne parviennent qu’aux
membres du groupe 2. Il s’agit de poursuivre en justice les tricheurs. La perte sociale issue
de l’ensemble de ces activités improductives doit être ajoutée à la perte sociale issue de la
création d’une bureaucratie dont la seule fonction est d’organiser les transferts involontai-
res 15.
À cette perte sociale sèche (c) qui explique l’existence d’un échange politique à
somme négative s’ajoute l’ensemble des distorsions issues des incitations provoquées par
les taxes et les subventions sur les équilibres de marché 16. Si le revenu du groupe 1
augmente parce qu’il a réussi à taxer le groupe 2, les membres du groupe 1 vont être en
mesure d’épargner moins et de travailler moins. Les subventions réduisent l’effort produc-
tif du groupe 1. Browning (1987, 1989) a calculé que la somme de tous les coûts d’échange

14 n 1 et n 2 sont les membres des groupes 1 et 2.


15 On peut sur ce point de reporter au chapitre 15 sur la théorie de la recherche de rente.
16 Voir le chapitre 22, sur les distorsions fiscales.
La raison des choix collectifs : la redistribution 69

politique nécessaires à la mise en œuvre de la subvention peut représenter neuf fois la


valeur du revenu transféré.
La redistribution ne se fait pas non plus toujours des riches vers les pauvres. Les
transferts peuvent se faire vers les pauvres, les riches, la classe moyenne, les capitalistes,
les grandes entreprises, les travailleurs, les propriétaires fonciers, les élites au pouvoir, et
plus généralement les intérêts spéciaux de toute sorte. Le nombre de bénéficiaires de la
redistribution publique et le sens de la redistribution sont donc quasi infinis. Des études
empiriques et des théories peuvent, alors, être élaborées pour expliquer la manière dont
l’échange politique affecte les richesses produites par les agents sur les marchés. La section
suivante va se contenter de confronter les explications proposées à quelques faits.

3.6 TRANSFERT DE REVENU


La première explication proposée des politiques de redistribution de l’État considérait
qu’elle relevait du domaine de l’aversion au risque des individus. Le citoyen, ne sachant
pas s’il sera au chômage, malade, trop âgé, etc., vote pour une assurance sociale qui protège
contre un certain nombre de risques qu’il perçoit comme importants. Il est intéressant à cet
égard de noter que les politiques assurantielles les plus importantes sont situées dans les
pays occidentaux et se sont développées entre 1929 et la Seconde Guerre mondiale. Durant
cette période les individus avaient de bonnes raisons de croire qu’ils pouvaient perdre leur
travail ou devenir pauvres. L’incertitude économique et géostratégique a donc sans doute
un effet sur la demande de protection sociale et les montants redistribués. Dryzek et Goodin
(1986) ont observé ce phénomène en Grande-Bretagne durant les bombardements nazis. Ils
soutiennent que ces risques communs ont rendu les Britanniques plus conscients de leurs
liens avec leurs compatriotes. La guerre renforce les liens patriotiques et conduit les
hommes à se mettre à la place de leurs voisins. Les Britanniques votèrent, dans ces condi-
tions, pour des politiques d’expansion de la couverture sociale qui ne les protégeaient pas
seulement contre les dégâts de la guerre, mais aussi contre les risques communs auxquels
ils avaient à faire face en période de paix. Dryzek et Goodin (1986) présentent des preuves
empiriques de leurs explications en montrant les liens qui existent entre politiques d’assu-
rance sociale en Grande-Bretagne et événements de la Seconde Guerre mondiale. Ils mont-
rent aussi que les politiques de couverture sociale dans d’autres pays développés sont liées
à l’incertitude issue de la guerre.
Les politiques d’assurance sociale constituent une fraction importante des trans-
ferts directs sans condition de ressources dans les pays occidentaux. L’essentiel des trans-
ferts directs sont inclus dans des politiques redistributives de type assurantiel (voir tableau
3.1). Cette forme de redistribution correspond assez bien à l’explication par l’assurance que
constitue la redistribution en situation d’incertitude. Cela supposerait que les riches antici-
pent qu’ils pourraient un jour être pauvres. Il est difficile, cependant, de savoir s’il s’agit
d’un motif d’assurance, d’un acte altruiste ou du respect d’une règle d’équité.
On peut, toutefois, dire que l’explication de la redistribution par la recherche d’une
situation Pareto-optimale correspond aux transferts en nature comme le logement, la nour-
riture ou les soins médicaux (Aaron et von Furstenberg, 1971 ; Giertz, 1982). Le fait que
70 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

Tableau 3.1
Dépenses sociales publiques en % du PIB en 1998.

Retraites et
Total invalidité Famille Chômage Santé Autres
France 28,8 13,7 2,7 3,1 7,3 2,1
Allemagne 27,3 12,8 2,7 2,6 7,8 1,5
Suède 31,0 14,0 3,3 3,9 6,6 3,2
Royaume-Uni 24,7 14,2 2,2 0,6 5,6 2,0
États-Unis 14,6 7,0 0,5 0,4 5,9 0,9
Source : Alesina et Glaeser (2004). Ces dépenses comprennent les prestations en espèce ou en nature.

des individus souhaitent améliorer la condition des pauvres sous la forme de transferts en
nature de ce type, implique que la redistribution favorise plutôt les intérêts de ceux qui
paient les impôts. Cette explication suppose cependant que les transferts en nature soient
affectés aux plus pauvres. On revient ainsi à la question du sens de la redistribution.

3.7 REDISTRIBUTION ET DISTRIBUTION DU REVENU


La plupart des États des pays développés ont mis en place de telles politiques de redistri-
bution. Elles se classent en quatre types (Palme 2001) 17. La redistribution horizontale vise
à répartir le revenu au cours du cycle de vie. Elle passe essentiellement par le système des
retraites. L’individu dépense pendant la période où il ne travaille plus une partie de ce qu’il
a gagné pendant sa période d’activité. La redistribution des risques permet d’indemniser la
minorité des assurés plus lourdement touchées que la moyenne. Elle repose sur un principe
de mutualisation. La redistribution verticale consiste à prendre aux riches pour donner aux
pauvres. La redistribution régressive consiste à donner plus aux pauvres qu’aux riches.
Herman Deleek en 1978 a nommé ce type de redistribution l’effet Matthieu 18. La référence
à l’évangile selon saint Matthieu vient de ce que dans le cadre de la parabole des talents,
au chapitre 25 verset 29, il est écrit : « car à celui qui a, l’on donnera et il aura du surplus ;
mais à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a ». La redistribution ne se fait donc
pas seulement des riches vers les pauvres.
Il est, cependant, difficile de savoir dans quel sens va la redistribution. Une
réponse complète exige de prendre en considération l’incidence à la fois des taxes et des
transferts, mais aussi des dépenses publiques et des politiques réglementaires. L’impact des

17 Palme J. (2001), « Protection sociale et lutte contre les inégalités : le modèle scandinave », dans Pallier B. et
Daniel C., (éds), La protection sociale en Europe : le temps des réformes, DRESS - MIRE, La Documentation
française.
18 Deleeck (1978), « L’effet Matthieu », Recherches Sociologiques, repris par Bichot J. (2002), « L’effet Matthieu
revisité », Droit Social, n° 6, juin, pp. 575-581.
La raison des choix collectifs : la redistribution 71

taxes sur la distribution des revenus est plus aisé à évaluer que l’impact des dépenses,
même si l’incidence de certaines taxes reste très discutée 19.

Tableau 3.2
Distribution des revenus des ménages, avant et après redistribution en France. 2000.

Catégories selon les quantiles de niveau de vie


Inférieur à C30 C30 à C50 C50 à C90 C90 à C99 Supérieur à C99
Répartition de la population (%) 30 20 40 9 1
Revenus moyens par
ménage (euros par mois)
Salaires 481 997 1875 3392 6421
Bénéfices 4 5 61 134 736 3759
Indemnités de chômage 83 87 105 143 271
Pensions alimentaires et retraites 314 495 598 871 891
Revenus du patrimoine 19 30 62 271 672
Revenu initial (a) 942 (4 %) 1670 (7 %) 2775 (12 %) 5413 (23 %) 13014 (55 %)
Allocations logement 90 32 7 1 1
Allocations familiales 53 37 29 27 24
Autres prestations familiales 48 36 19 7 7
Minima sociaux 64 22 9 4 6
Prestations (b) 255 127 63 40 38
Impôt sur le revenu 2 21 136 640 2903
Taxe d’habitation 7 19 37 62 86
Contributions sociales 59 116 216 448 1179
Impôts directs (c) 68 156 388 1151 4169
Revenu disponible (a + b – c) 1129 (6 %) 1641 (9 %) 2449 (13 %) 4302 (23 %) 8883 (48 %)
Champ : Ménages dont le revenu déclaré au fisc est positif ou nul et dont la personne de référence n’est ni étudiante ni militaire du contingent.
Lecture : la 1ère catégorie (colonne de gauche) regroupe par construction les 30 % des personnes ayant le niveau de vie le plus faible. Ceci
représente 17,306 millions de personnes. En moyenne, ces ménages disposent de 1129 € par mois. Se référer au tableau 1 pour les valeurs des
quantiles C30, C50, C90 et C99.
Source : Enquête revenus fiscaux 2000, Insee-DGI

Pour les dépenses, les choses sont beaucoup plus compliquées. Les systèmes
publics de sécurité sociale en France ou aux États-Unis ne cherchent, par exemple, pas
seulement à aider les pauvres. Quand Bill Gates prendra sa retraite, il aura droit à une
pension de la sécurité sociale américaine. Les bénéfices que les riches reçoivent de la
protection policière et de la défense nationale sont-ils proportionnels aux taxes qu’ils
paient ? Les dépenses pour la police et la défense sont-ils des biens finaux ou des biens

19 Voir, par exemple, la présentation de Mieszkowski (1969).


72 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

intermédiaires (Meerman, 1980) ? Les effets de la réglementation publique sur la distribu-


tion des revenus sont encore plus difficiles à évaluer et restent un domaine assez méconnu
des sciences économiques. Quelles sont les pertes de revenu pour les actionnaires et les
employés des sociétés de boissons alcoolisées de l’interdiction de la publicité dans les jour-
naux et à la télévision ? Quelles sont les pertes des conducteurs de taxi lorsque l’État leur
impose un compteur ?
Les calculs les plus simples sur la redistribution prennent en compte simplement
les taxes et les transferts en liquide ou en nature. En France, ces calculs révèlent une redis-
tribution qui va globalement des riches vers les pauvres 20. Le tableau 3.2 présente des esti-
mations sur la France en 2000. En comparant le revenu initial avec le revenu disponible,
on peut calculer que l’État réduit la part du revenu reçue par les 1 pourcent les plus riches
d’environ 30 % et celle des 10 pourcent des plus riches d’environ 20 %. En même temps,
la part du revenu des 30 % les plus pauvres augmente d’environ 20 %. Néanmoins, même
après ces ajustements, les ménages qui se situent dans le décile des plus riches reçoivent au
total presque 6 fois plus que le groupe des plus pauvres, c’est-à-dire qu’en moyenne chaque
ménage riche gagne presque 13 fois plus qu’un ménage pauvre. Le modèle de transfert des
revenus en France serait mixte. La redistribution serait à la fois assurantielle (chômage,
retraites, etc.) et favorable aux plus pauvres. On retrouve un résultat similaire pour l’en-
semble des pays industrialisés. L’effet net des taxes et des transferts dans ces pays accroît
les revenus des déciles les plus bas dans la distribution des revenus, par rapport aux plus
élevés. Ces données sont largement consistantes avec les prédictions des modèles théo-
riques qui font de la redistribution un acte volontaire.

3.8 LA REDISTRIBUTION POUR DES INTÉRÊTS SPÉCIAUX


Une telle inférence reste, cependant, difficile à confirmer. Elle est aussi contredite par d’au-
tres faits. Notamment par des politiques sectorielles où on peut constater des phénomènes
de redistribution régressifs.
Si le système public des retraites était une vraie politique assurantielle, tous les
participants paieraient une partie de leur revenu pendant leur vie active et l’affecteraient à
un fonds commun. Ceux qui survivraient pendant la retraite recevraient un revenu de ces
fonds. La redistribution prendrait en partie la forme d’un transfert intrapersonnel et inter-
générationnel de revenu de X, le travailleur au temps t, à X, le retraité à t + n, et en partie
la forme d’un transfert interpersonnel de Y au temps t à X à t + n, qui résulte de la dispa-
rition de Y avant t + n.
Mais ce modèle ne correspond pas à celui qui s’est mis en place dans les princi-
paux pays développés. La retraite de X à t + n est couverte directement pas les taxes payées
par tous les Y à t + n. Les transferts vont de la génération actuelle de travailleurs à la géné-
ration passée de travailleurs. Ce trait du système public des retraites implique que les
20 Dans les pays européens, ce type de redistribution des riches vers les pauvres est beaucoup plus accentué
qu’aux États-Unis. Cependant, même aux États-Unis, ce type de redistribution existe quel que soient les
calculs sur la prise en compte des bénéfices des dépenses publiques. Voir Gillespie (1965, 1976), Dodge
(1975), Reynolds et Smolensky (1977) et Musgrave et Musgrave (1980, p. 276).
La raison des choix collectifs : la redistribution 73

niveaux des taxes et des transferts peuvent refléter une redistribution involontaire. Avec un
vrai programme d’assurance-retraite, X et Y devraient décider le niveau de transfert qu’ils
sont prêts à faire au temps t + n, et donc les taxes qu’ils payeront à t, sachant qu’ils igno-
rent s’ils survivront ou non à t + n. Avec les systèmes de retraite par répartition qui existent
actuellement, X sait quand il a intérêt à voter pour une augmentation des retraites, à savoir
à t + n, car alors il en bénéficiera pendant que quelqu’un d’autre payera. Sa motivation pour
voter pour une augmentation des retraites est pleinement consistante avec le postulat de
l’égoïsme rationnel et avec une théorie de la redistribution comme prédation.
Jacques Bichot (2002) 21 met en exergue pour le système français plusieurs effets
Matthieu. Dans le régime de sécurité sociale, tout d’abord, un bilan des cotisations et des
pensions sur la vie entière montrerait qu’un cadre supérieur a la perspective de recevoir à
titre de pensions 44 % de plus que ses cotisations, un cadre moyen 32 %, un ouvrier quali-
fié ou spécialisé 10 % et un manœuvre 3 %. Dans l’enseignement, il existerait aussi un effet
Matthieu. Un enfant d’ouvrier bénéficie en moyenne d’une dotation scolaire, c’est-à-dire
d’une part du budget de l’enseignement, au sens large, sensiblement inférieure à celle dont
profite un enfant de cadre supérieur. Bichot (2002, pp. 580-581) estime qu’« à la louche »
la collectivité consacre annuellement 985 euros par enfant d’ouvrier et 5336 par enfant de
cadre supérieur pour les conduire vers un diplôme post-baccalauréat. Il y a donc un effet
Matthieu. Il faut, cependant, noter que les dépenses d’éducation ont une incidence très
différente selon le degré d’enseignement. Celles pour le supérieur sont régressives, mais
l’impact est un volume peu important car elles représentent un très faible pourcentage du
revenu primaire des ménages. En revanche, les dépenses pour le secondaire et le primaire
ont un effet redistributif significatif parce qu’elles sont progressives.
La politique agricole peut aussi être à l’origine d’effets Matthieu. Quand un
fermier X vote pour un candidat qui promet d’augmenter le prix des produits fermiers et
d’augmenter les transferts aux fermiers, il sait qu’il sera le bénéficiaire direct de ces poli-
tiques. L’employé d’une banque parisienne doit considérer que sa probabilité de devenir
fermier est négligeable. S’il soutient un tel programme, c’est parce qu’il intègre le bien-être
du fermier dans sa fonction d’utilité. Il votera, alors, probablement pour une politique de
redistribution qui avantagera des individus aux revenus et au patrimoine supérieurs aux
siens.
En 1985, aux États-Unis, deux tiers des 7,7 milliards de dollars ont été destinés aux
aides agricoles avec plus de 100.000 dollars de ventes annuelles – à peine 13,8 pourcent de
toutes les entreprises agricoles. À peu près un tiers de toutes les subventions sont allées aux
fermiers avec plus d’un milliard de profit 22. Au Japon, les politiques de protection de
l’agriculture ont aidé à accroître les revenus des ménages dans les fermes – qui étaient à
peu près les mêmes que ceux des travailleurs urbains en 1955 – de 32 pourcent au-dessus
du niveau de revenu des travailleurs urbains en 1984 23.
En Europe la Politique Agricole Commune a légalement pour objectif de réaliser
une certaine parité moyenne entre les revenus des agriculteurs et ceux des autres secteurs
21 Bichot, J. (2002). « L’effet Matthieu revisité », Droit Social, n° 6, juin, pp. 575-581.
22 Gardner (1990, pp. 27-29) ; Schultze (1972) observe des faits similaires à la fin des années 1960.
23 En ajustant par rapport aux tailles des ménages, les revenus ont monté de 77 % au-dessus des revenus urbains
en 1955, à 14 % au-dessus en 1984. Voir Hayami (1990, p. 206).
74 LES ORIGINES DE L’ÉTAT

d’activité. Cet objectif de parité des revenus a fait l’objet de multiples études statistiques.
« Dans la plupart des pays de l’OCDE pour lesquels on dispose d’information, le revenu
moyen des ménages agricoles est proche de la moyenne de l’ensemble de l’économie. Pour
la moyenne des trois années les plus récentes les revenus des ménages agricoles sont signi-
ficativement supérieurs (de plus de 15 %) aux Pays-Bas, au Danemark, en France, en
Finlande et en Belgique, et ils sont significativement inférieurs (de plus de 15 %) en Grèce,
en Corée, en Turquie et en Suisse » (OCDE 2002) 24. Les revenus agricoles étant très
dépendants du prix des biens agricoles, ces disparités évoluent rapidement. La tendance
montre, cependant, que nous sommes désormais en présence d’une politique de redistribu-
tion qui ne sert pas forcément à enrichir les plus pauvres de la société.
L’ensemble de ces travaux montre la difficulté qu’il y a à évaluer précisément les
effets redistributifs des politiques publiques et à les expliquer, car en l’absence d’informa-
tions sur le sens de la redistribution il est difficile de savoir si les électeurs sont altruistes
ou égoïstes, s’ils s’assurent ou s’ils appliquent juste des normes d’équité. Les travaux les
plus récents insistent, alors, sur les croyances des acteurs à propos de l’origine des inégali-
tés. Ils cherchent à expliquer l’attitude des électeurs vis-à-vis des inégalités par leurs
perceptions.
Alesina et Angeletos (2003), par exemple, soutiennent que les Européens et les
Américains n’ont pas les mêmes préférences pour la redistribution parce qu’ils n’ont pas
les mêmes croyances en la matière sur l’origine de la richesse. Les Européens voient dans
la réussite économique le signe de la chance, de la naissance, des relations voire de la
corruption et de la malhonnêteté. Les Américains, au contraire, jugent que la réussite est
uniquement due au travail et aux talents des agents. Ils méritent leur argent. La faible redis-
tribution aux États-Unis et la forte redistribution en Europe s’expliqueraient, alors, par le
même souci de justice. Il faut que la société soit juste, autrement dit, qu’elle fasse respec-
ter l’égalité des chance et l’honnêteté. En Europe, cela passe par une politique de redistri-
bution active capable de corriger les inégalités de la vie, aux États-Unis chacun a ce qu’il
mérite. Il n’est pas question, dès lors, de trop modifier la répartition des revenus issus des
échanges de marché. Le contraste est évidemment très important avec un pays comme la
France qui par la voie du Conseil Constitutionnel a considéré en 1993 que la progressivité
de l’imposition globale sur le revenu des personnes physiques avait une valeur constitu-
tionnelle. Cette valeur découlerait de l’article 13 de la déclaration des droits de l’homme et
du citoyen qui estime que « la contribution commune… doit être également répartie entre
les citoyens, à raison de leur faculté ».
Il est difficile, pour toutes ces raisons, de connaître l’effet des politiques de redis-
tribution sur les inégalités économiques. Il y a tellement d’effets différenciés et contradic-
toires que de nombreux chercheurs pensent que toutes les activités du gouvernement sont
égoïstes et motivées par la redistribution (Meltzer et Richards, 1978, 1981, 1983 ; Peltz-
man, 1980 ; Aranson et Ordeshook, 1981 ; Alesina et Glaeser, 2006). Ils abandonnent ainsi
l’idée qu’elles cherchent à réaliser l’intérêt général 25.

24 OCDE (2002), Rapport de synthèse sur les questions de revenu des ménages agricoles dans les pays de
l’OCDE, AGR/CA/APM (2002) 11/FINAL.
25 Voir le Chapitre 21.
La raison des choix collectifs : la redistribution 75

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Ce chapitre a bénéficié des études de Rodgers (1974) et Oppenheimer (1979).
Levy (1987) a écrit une étude intéressante sur les changements des modèles redistributifs aux États-
Unis, depuis la Seconde Guerre mondiale, mais sans se concentrer sur les processus des choix
publics.
Rae et ses collaborateurs (1981) ont sorti ensemble une intéressante compilation de différentes défi-
nitions de l’égalité, qui sous-tendent les discussions sur la redistribution.
Goddin (1988) analyse et défend les politiques de redistribution, dans une perspective normative.
Pour des développements sur la relation démocratie-redistribution on peut consulter l’article de
Antonio M. Jaime-Castillo (2008). « Préférences pour la redistribution en Europe : Inégalité
Sociale, État-Providence et Dispositions Fiscales », Pôle Sud, 1, n° 28, pp. 109-141.
En français, le travail récent d’Alesina et Glaeser (2004) teste une série de théories pour expliquer
pourquoi les pays européens redistribuent plus que les États-Unis. À noter également l’article de
Roemer et Van der Straeten (2005) sur l’influence de l’hétérogénéité ethnique et l’immigration sur
la redistribution.
PARTIE
2

CHOIX PUBLICS LES


DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Chapitre 4. Le choix de la règle de vote 79


Chapitre 5. Les propriétés positives de la règle majoritaire 93
Chapitre 6. Les propriétés normatives de la règle majoritaire 147
Chapitre 7. Les alternatives simples à la règle majoritaire 169
Chapitre 8. Les alternatives sophistiquées à la règle majoritaire 183
Chapitre 9. Sortie, protestation et trahison 209
4
LE CHOIX DE LA RÈGLE DE VOTE

4.1 La règle de l’unanimité 80


4.2 Critiques de la règle de l’unanimité 85
4.3 La majorité optimale 87
4.4 La majorité simple comme majorité optimale 90
80 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Deux maximes générales peuvent servir à régler ces rapports : l’une, que, plus les
délibérations sont importantes et graves, plus l’avis qui l’emporte doit approcher
de l’unanimité ; l’autre, que, plus l’affaire agitée exige de célérité, plus on doit
resserrer la différence prescrite dans le partage des avis : dans les délibérations
qu’il faut terminer sur-le-champ, l’excédant d’une seule voix doit suffire.
Jean-Jacques Rousseau

Ce chapitre, ainsi que les quatre prochains, explore les propriétés de différentes règles de
vote. Ces règles peuvent être considérées comme une façon de gouverner directement,
comme lors des délibérations locales, des référendums, des assemblées ou des commissions
de représentants politiques. En suivant la terminologie de Black (1958), nous nous référe-
rons souvent aux « décisions des comités » pour parler des résultats du processus de vote.
Il faut se souvenir, cependant, que le mot « comité » est utilisé dans son sens le plus large,
et peut impliquer l’ensemble de la population, comme dans un référendum. Quand un
comité de représentants est impliqué, les résultats peuvent être strictement et uniquement
liés aux préférences des représentants eux-mêmes. La relation entre les préférences des
citoyens et celles de leurs représentants sera prise en compte plus tard.

4.1 LA RÈGLE DE L’UNANIMITÉ


Puisque tout le monde peut bénéficier de la fourniture d’un bien public, la règle de vote la
plus évidente pour le fournir semblerait le consentement unanime. Wicksell (1896) a été le
premier à lier le gain potentiel pour tous issu de la décision collective à la règle de l’una-
nimité. Cette règle, associée à la proposition que chaque bien public est financé par une
taxe séparée, constitue le « nouveau principe » de taxation de Wicksell. Pour comprendre
comment cette procédure peut fonctionner, considérons un monde avec deux personnes et
un bien public. Chaque personne a un revenu initial, Y A et Y B , et une fonction d’utilité
définie sur le bien public et un bien privé, U A (X A , G) et U B (X B , G), où X est le bien privé
et G le bien public. Le bien public doit être financé par une taxe t sur l’individu A, et (1 -
t) sur l’individu B. La figure 4.1 représente les courbes d’indifférence de l’individu A entre
les biens privés et le bien public. Supposons que les prix du bien privé et du bien public
soient tels que si A doit payer pour tout le bien public (t = 1), la contrainte de budget de A
serait équivalente à Y A t1 . Si A doit payer seulement la moitié du coût du bien public, sa
contrainte de budget serait Y A t0,5 , et ainsi de suite. Avec le partage de la taxe à 0,5, le choix
optimal concernant la quantité de bien public serait G 0 . Notez, cependant, que la combi-
naison de taxes et de bien public (t0,33 , G 1 ) et (t0,33 , G 2 ) ont la même courbe d’indifférence
que (t0,5 , G 0 ), et qu’on pourrait calculer une infinité de combinaisons de taxes et de quan-
tités de bien public à partir de la figure 4.1, qui repose sur la courbe d’indifférence A. Il est
donc possible de représenter la courbe d’indifférence de A dans un espace taxe-bien public
(Johansen, 1963).
Le choix de la règle de vote 81

Figure 4.1
Quantités optimales pour un votant en fonction de différentes taxes.

La figure 4.2 représente cet espace. Les points 0, 1 et 2 dans la figure 4.2
correspondent aux points 0, 1 et 2 dans la figure 4.1. La courbe d’indifférence A dans la
figure 4.2 correspond à la courbe de la figure 4.1.

Figure 4.2
Représentation des préférences du votant dans un espace (taxes-bien public).
82 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Pourcentage Pourcentage
de taxes de taxes
payés par payés par
B A

Figure 4.3
Courbe des contrats dans un espace bien public-taxes.

Pour représenter tous les points de la figure 4.1 dans un espace défini par la quan-
tité de bien public et la taxe, nous redéfinissons chaque fonction d’utilité individuelle
uniquement en termes de G et t. À partir de la contrainte de budget, on obtient

X A = YA − t G
(4.1)
X B = Y B − (1 − t)G.

En substituant (4.1) dans chaque fonction individuelle d’utilité, nous obtenons les fonctions
d’utilité désirée pour A et B définies par G et t :

U A = U A (Y A − t G, G)
(4.2)
U B = U B (Y B − (1 − t) G, G).

La figure 4.3 décrit la carte des courbes d’indifférence sélectionnées par A et B d’un espace
bien privé-bien public vers un espace bien public-taxe. La part des coûts du bien public que
supporte A va de 0, tout en bas de l’échelle verticale, à 1 qui est au sommet. La part de la
taxe de B va dans la direction opposée. Donc, chaque point dans la figure 4.3 représente un
ensemble de partages de l’impôt suffisant pour couvrir le coût complet de la quantité de
bien public. Chaque point est sur la courbe d’indifférence de A et sur celle de B. Chaque
point implique donc une quantité de bien privé consommée par chaque individu, selon sa
Le choix de la règle de vote 83

contrainte de budget (4.1), la quantité de bien public et la taxe qu’il devra payer. A1 et
B1 sont les niveaux d’utilité des individus A et B ; si chacun agit seul dans la contribution
du bien public et assume 100 pourcent de son coût 1.
Pour comprendre que chaque point sur CC  est une allocation Pareto-efficiente,
prenons le total des différentiels de chaque fonction d’utilité individuelle concernant t et G
et maintenons les revenus initiaux (Y A , Y B ) constants :

∂U A ∂U A ∂U A
δU A = (−t)dG + dG + (−G)dt
∂X ∂G ∂X (4.3)
∂U B ∂U B ∂U B
δU B = (−1 + t)dG + dG + (G)dt
∂X ∂G ∂X
En rendant le changement global de l’utilité de chaque individu égale à zéro, nous pouvons
résoudre pour la pente de chaque courbe d’indifférence individuelle :

 A ∂U A t∂U A
dt −
= ∂G  ∂X (4.4)
dG ∂U A
G
∂X

En comparant les pentes des deux courbes d’indifférence, nous obtenons la condition
samuelsonienne (1954) de Pareto-efficience :

∂U A /∂G ∂U B /∂G
+ =1 (4.5)
∂U A /∂ X ∂U B /∂ X

Maintenant, considérons les processus suivants de choix public. Un observateur impartial


propose une répartition de taxes, t F et (1 – t F ), et une quantité de bien public, G F . Si la
combinaison tombe dans la lentille formée par A1 et B1 , les deux individus préfèrent cette
proposition plutôt que partager les coûts d’un bien public que chacun devrait financer dans
sa totalité. Le deux voteront pour cette proposition, s’ils votent sincèrement. F deviendra
donc le nouveau statu quo, et une nouvelle proposition sur le partage des taxes et la quan-
tité de bien public à fournir sera proposée 2. Lorsqu’une combinaison est trouvée, qui
tombe à l’intérieur de la lentille formée par A2 et B2 elle est unanimement préférée à F. Elle
devient donc le statu quo et le processus continue jusqu’à obtenir un point dans CC  tel que
E. Dès que cela se produit, la nouvelle proposition sera unanimement préférée, dans le sens
où elle améliorera le sort des deux individus et que le choix social sera fait à l’unanimité.

1 Pour simplifier la discussion, nous ignorons l’effet que la fourniture unilatérale du bien public de la part d’un
individu peut avoir sur l’utilité de l’autre. Prenons un bien public comme un pont sur une rivière. A1 et B1
représentent les utilités que chaque individu peut obtenir si chacun construit son propre pont. À l’intérieur des
courbes de A1 et B1 il y a des points correspondants à une plus grande utilité pour tous les deux qui peuvent
être obtenus en coopérant et en construisant un seul pont.
2 Bien sûr, la règle pour sélectionner un nouveau partage des impôts ou une nouvelle combinaison de bien public
et impôt, par la procédure décrite ci-dessus, doit être soigneusement spécifiée pour permettre une convergence
vers la frontière parétienne. Pour une description plus précise des caractéristiques de ces règles, le lecteur est
renvoyé à la littérature sur les processus walrassiens de révélation des préférences sur les biens publics, comme
elle a été présentée par Tulkens (1978).
84 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Notez que pour tout partage des taxes compris dans l’allocation E, chaque quan-
tité individuellement optimale de bien public diffère de la quantité du bien public sélec-
tionnée. A préfère une quantité plus faible de bien public, alors que B préfère une quantité
plus élevée. Par conséquent, étant donné le partage de taxes t E et (1 − t E ), chacun est
« forcé » de consommer une quantité de bien public différente de sa quantité préférée
(Breton, 1974, pp. 56-66). Cette forme de coercition peut être évitée en utilisant une
variante légèrement différente de la procédure de vote (Escarraz, 1967 ; Slutsky, 1979).
Supposons, pour un ensemble initialement choisi de taxes t et (1 − t), que les votants
doivent comparer toutes les quantités de bien public possibles, et une quantité donnée est
choisie seulement si les courbes d’indifférence des deux individus sont tangentes à la ligne
de la taxe qui va de t jusqu’au point choisi. Si aucune quantité de bien public n’est trouvée
pour ce t initialement choisi, un nouveau t est choisi et le processus se répète. Cela conti-
nue jusqu’à ce qu’un t soit trouvé tel que tous les individus sont prêts à voter pour la même
quantité de bien public contre toutes les autres. Dans la figure 4.3, cela se produit au niveau
L, avec des taxes de t L et (1 − t L ). L est un équilibre de Lindhal.
Les résultats des deux procédures de vote décrites ci-dessus (E et L) diffèrent à
plusieurs égards 3. Au niveau L, le taux marginal de substitution du bien public pour le bien
privé pour chaque individu est égal à sa taxe :

∂U A /∂G ∂U B /∂G
=t = (1 − t) (4.6)
∂U A /∂ X ∂U B /∂ X

L est donc un équilibre, dans lequel tous les individus préfèrent cette quantité de bien public
à toute autre, étant donné qu’à chaque individu est assignée une taxe fixe. E (ou tout autre
point atteint par la première procédure) est un équilibre en ceci qu’au moins un individu
détériore sa situation s’il y a un mouvement vers un autre point quelconque. Donc, L est
conservé par une décision collective qui repose sur l’accord unanime de tous les membres
du comité sur la quantité de bien public à consommer, à répartition des taxes données ; E
est gardé grâce au pouvoir de veto de chaque individu impliqué par la règle de l’unanimité.
Le niveau de contrainte imposé par chaque procédure dépend des mérites de la contrainte
à obtenir une quantité optimale de bien public avec une répartition donnée de taxes (recher-
che sur la ligne horizontale représentée dans la figure 4.3). La distribution des utilités au
niveau L, à laquelle on parvient avec la seconde procédure, dépend seulement des dotations
initiales et des préférences individuelles, et a l’avantage (possible) d’être indépendante de
la séquence des répartitions proposées de l’impôt, si l’on suppose qu’il y a un seul L. Le
résultat obtenu avec la première procédure est dépendant des dotations initiales, des fonc-
tions d’utilités individuelles et de l’ensemble spécifique et de la séquence des combinai-
sons proposées d’impôt et de quantité de bien public. Bien que cette « dépendance au
sentier » de la première procédure puisse être perçue comme indésirable, elle a l’avantage
(possible) de laisser l’ensemble des contrats possibles (courbe CC  ) ouverte à la sélection.
Comme il a déjà été démontré, tous les points sur CC  sont Pareto-efficients, et donc ils ne
peuvent être comparés sans des critères additionnels. À ce propos, il faut noter que si un
point sur CC  , disons E, pouvait être préféré d’un point de vue d’un ensemble de critères
normatifs, il pourrait toujours être atteint à travers la seconde procédure de vote, en distri-
3 Pour une discussion détaillée, voir Slotsky (1979).
Le choix de la règle de vote 85

buant les dotations initiales de telle sorte que L puisse être obtenu aux niveaux d’utilités
impliqués par E (McGuire et Aaron, 1969). Cependant, les hypothèses concernant le niveau
d’information dont il faut disposer pour y parvenir, sont évidemment très lourdes.
Nous avons esquissé ici seulement deux procédures possibles de vote pour attein-
dre la frontière parétienne. Beaucoup de travaux ont décrit la procédure par tâtonnement
walrassien pour atteindre cette frontière lorsqu’un bien public est présent. Ceux-ci ont un
« planificateur central » ou un « commissaire-priseur » qui réunit l’information d’un certain
type à partir des citoyens-électeurs, la diffuse suivant une règle donnée, puis renvoie un
message aux électeurs pour qu’ils commencent un nouveau scrutin. Ces procédures
peuvent être largement regroupées parmi celles dans lesquelles le planificateur annonce le
niveau de taxation (les t dans l’exemple précédent), et les citoyens répondent en donnant la
quantité du bien public – qui est le processus initialement décrit par Erik Lindhal (1919)
(voir également Malinvaud, 1970-1, section 5) ; ou alors, dans celles où le planificateur-
commissaire-priseur annonce les quantités de bien public et les citoyens répondent en
donnant le prix (le taux marginal de substitution), comme dans Malinvaud (1970-1,
sections 3 et 4) et Drèze et de la Vallée Poussin (1971). Un élément crucial de toutes ces
procédures est la règle computationnelle utilisée pour agréger les messages des électeurs et
pour utiliser un nouvel ensemble de signaux. C’est cette règle qui détermine si, quand et à
quel endroit sur la frontière parétienne le processus va mener. Bien qu’il y ait des implica-
tions évidentes de ces règles sur les distributions finales, elles ne sont en général pas
conçues pour parvenir à un but normatif spécifique. Ces procédures sont toutes sujettes à
la même distinction importante. D’une part, la question de savoir si elles permettent ou non
d’atteindre l’ensemble de la frontière parétienne. D’autre part, le fait qu’elles mènent
toujours à un résultat dépendant d’un ensemble donné de conditions, comme dans l’équili-
bre de Lindhal. À ce titre, elles peuvent également partager d’autres propriétés générales
de la règle de l’unanimité.

4.2 CRITIQUES DE LA RÈGLE DE L’UNANIMITÉ


La règle de l’unanimité est seulement une règle de vote qui produit nécessairement des
quantités de bien public et une répartition des impôts Pareto-préférées, une propriété qui a
conduit Wicksell (1896) et plus tard Buchanan et Tullock (1962) à la soutenir. Deux prin-
cipales critiques ont été soulevées contre elle. Premièrement, la recherche par tâtonnements
d’un point sur la courbe des contrats peut prendre un temps considérable, en particulier
dans une large communauté avec des goûts hétérogènes (Black, 1958, pp. 146-7 ; Bucha-
nan et Tullock, 1962, ch. 6). La perte de temps des membres de la communauté pour décou-
vrir la répartition des taxes Pareto-optimale pourrait être supérieure aux gains de ceux qui,
sans cette règle, se retrouvent à devoir payer une taxe supérieure aux bénéfices qu’ils reti-
rent du bien public. Un individu qui ignorerait s’il serait exploité sous une règle moins
exigeante que la règle de l’unanimité, pourrait aisément préférer une telle règle plutôt que
perdre du temps pour atteindre la pleine unanimité. La seconde objection contre la règle de
l’unanimité est qu’elle encourage le comportement stratégique 4. Si A connaît la taxe maxi-
4 Voir Black (1958, p. 147), Buchanan et Tullock (1962, ch. 8), Barry (1965, pp. 242-50) et Samuelson (1969).
86 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

male que B est prêt à payer plutôt que renoncer au bien public, A peut forcer B à accepter
C sur la courbe des contrats, en votant contre toutes les taxes plus grandes que tC . Tous les
gains issus de la fourniture du bien public vont alors bénéficier à A. Si B se conduit de la
même manière, le résultat final va dépendre du pouvoir de négociation des deux individus.
La même chose vaut pour les autres équilibres sur la courbe des contrats (Musgrave, 1959,
pp. 78-80). La négociation peut allonger d’autant plus le temps nécessaire à trouver un
accord collectif, que chaque joueur doit « tester » la disponibilité des autres à faire des
concessions.
Le problème des négociations dans la règle de l’unanimité est analogue au
« problème des incitations » dans la fourniture volontaire d’un bien public. Ce dernier est
une conséquence directe des propriétés d’absence de rivalité et de non-exclusion d’un bien
public. Étant données ces propriétés, chaque individu a une incitation à masquer ses préfé-
rences et à resquiller, puisque la quantité de bien public fournie est largement indépendante
de ce simple message. La littérature sur les procédures de révélation volontaire des préfé-
rences a largement éludé ce problème en postulant une révélation des préférences honnête,
malgré les incitations à être malhonnête. Le plus fort argument analytique pour justifier ce
postulat est que la transmission d’un message sincère est une stratégie minimax, c’est-à-
dire que la révélation sincère des préférences maximise le résultat le plus mauvais qu’un
individu peut obtenir (Drèze et de la Vallée Poussin, 1971). Mais un meilleur gain peut être
obtenu à travers une dissimulation des préférences, et on peut s’attendre à ce que quelques
individus optent pour cette stratégie audacieuse. Si, pour éliminer cette incitation, on oblige
tous les citoyens à voter en faveur d’une proposition qui associe une quantité du bien public
et une répartition de taxes, avant que le bien public ne soit fourni, le problème du
resquillage disparaît. Chaque vote individuel devient alors essentiel pour fournir le bien
public. Ce renversement des positions individuelles dans les décisions collectives modifie
ses options stratégiques. Là où avec une configuration de révélation volontaire, un individu
peut miser sur le reste du groupe pour qu’une quantité acceptable de bien public soit
fournie sans sa contribution, avec la règle de l’unanimité il peut miser sur le fait que les
autres membres du groupe préfèrent réduire la taille de sa contribution plutôt que prendre
le risque que la décision collective soit continuellement bloquée. Bien que les stratégies
soient différentes, les deux solutions au problème du bien public sont potentiellement
vulnérables face au comportement stratégique.
Les résultats expérimentaux de Hoffman et Spitzer (1986) et Smith (1977, 1979a,
1979b, 1980) indiquent que la négociation stratégique de la part des individus avec la règle
de l’unanimité, peut ne pas entraîner des problèmes majeurs. Les expériences de Hoffman
et Spitzer étaient imaginées pour voir si la capacité des individus à parvenir à des alloca-
tions Pareto-optimales dans des situations d’externalité analogues à celles décrites par
Coase, était moindre si le nombre des parties impliquées augmentait. Puisque toutes les
parties impliquées doivent se mettre d’accord lors d’une négociation qui est antérieure à la
mise en place effective de la décision, les expérimentations testent essentiellement l’idée
que la négociation stratégique par les individus pourrait infirmer l’existence de proposi-
tions Pareto-optimales lorsqu’on utilise la règle de l’unanimité. Hoffman et Spitzer (1986,
p. 151) trouvent que « si effet il y a, l’efficience est accrue dans les groupes plus grands »
(avec des groupes composés de 20 personnes).
Le choix de la règle de vote 87

Même si le comportement stratégique n’empêche pas de parvenir à une décision


unanime, ni ne la retarde indéfiniment, on pourrait objecter à la règle de l’unanimité le fait
que le résultat obtenu dépend de la capacité de négocier et des préférences pour le risque
des individus (Barry, 1965, p. 249 ; Samuelson, 1969). Une telle critique contient implici-
tement un jugement normatif selon lequel la distribution des gains issue de la coopération
ne devrait pas être faite selon la volonté de prendre des risques. Mais on pourrait également
soutenir que la volonté de prendre des risques est souhaitable. Avec la règle de l’unanimité,
un individu qui vote contre une répartition des taxes donnée pour obtenir une taxation plus
faible, risque que le bien public ne sera pas produit du tout, ou alors à une quantité plus
faible que la quantité optimale. Voter de cette façon signifie exprimer une faible préférence
pour le bien public, parce qu’il est « en réalité » plus grand que les bénéfices attendus.
Quelqu’un qui ne voudrait pas voter stratégiquement pourrait être vu comme évaluant le
bien public plus qu’il ne le fait, et donc peut-être, pourrait-on lui faire supporter un prix
plus élevé pour le fournir.
Nous sommes clairement ici dans le domaine de l’économie normative, tout
comme lorsque nous comparions les points E et L et donnions des critères pour établir
comment les gains issus de la coopération devraient être partagés 5. En effet, pour une
évaluation complète de la règle de l’unanimité, les propriétés normatives doivent être prises
en considération. La défense de Wicksell de la règle de l’unanimité se fondait sur ses
propriétés normatives. D’après lui, l’unanimité protégerait les individus de la contrainte
que les autres membres de la communauté pourraient exercer sur eux. Wicksell utilise le
terme « contrainte » non pas dans le sens employé par Breton, qui l’utilise pour signifier le
fait d’avoir des évaluations différentes sur le bien public à la marge du prix de la taxe, mais
dans le sens d’être contraint à travers la décision collective de payer pour un bien public
davantage que l’ensemble des bénéfices qu’on en retire. Cet argument en faveur de la règle
de l’unanimité découle directement du point de vue de Wicksell sur le processus des choix
collectifs comme un échange volontaire mutuellement avantageux, qui rejoint celui de
Buchanan et Tullock (1962) (voir aussi Buchanan, 1975b).
Cette insistance sur la nature d’échange volontaire du choix collectif est à la base
des travaux classiques de Wicksell et de Lindhal et constitue le lien intellectuel entre eux.
Il mène au principe de l’unanimité dans le cas de Wicksell, et, dans le cas de Lindhal, à
l’ensemble des taxes égal à l’évaluation marginale du bien public faite par les individus.
Cela explique aussi la référence à la taxation « juste » dans les titres de leurs deux ouvra-
ges. Nous reviendrons sur ces problèmes dans le chapitre 6.

4.3 LA MAJORITÉ OPTIMALE


Lorsqu’une majorité moindre que l’unanimité est suffisante pour résoudre un problème, il
existe la possibilité que quelques individus subissent des torts par la décision du comité. La
contrainte de Wicksell sur une minorité peut donc se réaliser. Si le problème est de type
bien public-dilemme du prisonnier, des reformulations du problème capables d’assurer
5 Au moins deux propositions normatives pour partager ces gains sont dépendantes de la négociation et des
préférences pour le risque des individus (Nash, 1950 ; Braithwaite, 1955).
88 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

l’approbation unanime existent, mais l’utilisation d’une règle moins exigeante que la règle
de l’unanimité peut être considérée comme imposant un coût sur ceux dont la situation se
détériore après la décision collective. Ce coût pourrait être évité par un autre coût – le
temps additionnel et les efforts nécessaires pour redéfinir le problème de sorte que la déci-
sion puisse profiter à tous. Il peut être décrit comme la différence dans les niveaux d’utilité
réellement obtenus et ceux qui auraient pu être obtenus sous la règle de l’unanimité. Bucha-
nan et Tullock sont les premiers à discuter ces coûts et les appellent les « coûts externes »
de la règle de décision (1962, pp. 63-91 ; voir aussi Breton, 1974, pp. 145-148).
Lorsqu’aucun coût n’est associé avec la règle de l’unanimité, cette règle serait
évidemment optimale, puisqu’elle minimise les coûts externes de décision. Mais le temps
requis pour résoudre un problème de façon à ce que tous puissent en bénéficier est parfois
considérable. Du temps peut également être nécessaire pour parvenir à trouver la formula-
tion d’une proposition qui profite à tous, ou pour expliquer la nature des bénéfices de la
proposition aux citoyens qui ne la comprennent pas bien. Par ailleurs, on doit également
ajouter le temps perdu issu des manœuvres stratégiques que les individus mettent en œuvre
pour être mieux placés sur la courbe des contrats, comme nous l’avons décrit précédemment.
La plupart des observateurs, y compris les plus favorablement disposés à l’égard
de la règle de l’unanimité comme Wicksell, Buchanan et Tullock, ont considéré ces
derniers coûts suffisamment grands pour justifier l’abandon de cette règle. Dès lors, si nous
ne sommes pas tous d’accord sur la décision d’un comité, quel pourcentage d’entre nous
serait d’accord y participer ? Les considérations précédentes suggèrent l’existence d’un
compromis entre les coûts externes liés à une solution qui nuit à certains individus, et les
coûts en temps perdu lors de la prise de décision. Au premier extrême nous avons l’unani-
mité, avec laquelle tout individu peut bloquer toute décision jusqu’à ce qu’il y en ait une
qui le satisfasse ou qu’il pense être la meilleure qu’il puisse obtenir. Les coûts de décision
externes avec cette règle sont nuls, mais les coûts en temps de la décision peuvent être
quasiment infinis. À l’autre extrême, chaque individu décide seul face à chaque problème.
Aucune perte de temps n’est possible, comme dans les décisions sur les biens privés purs,
mais les coûts externes de permettre à chaque individu de décider unilatéralement pour la
communauté peuvent également être infiniment grands.
Les diverses possibilités sont représentées dans la figure 4.4, empruntée à Bucha-
nan et Tullock (1962, pp. 63-91). Les coûts d’une décision collective particulière sont
présentés sur l’axe vertical. Le nombre de personnes allant de 0 à N, la taille du comité
nécessaire pour voter une décision, correspond à l’axe horizontal. La courbe C est la fonc-
tion du coût externe qui représente la perte d’utilité attendue issue de la victoire d’une déci-
sion à laquelle au moins un individu est opposé. La courbe D représente les coûts en temps
de la décision pour parvenir à la majorité requise pour prendre une décision, conçue comme
une fonction de la taille de la majorité requise. La majorité optimale correspond au pour-
centage du comité qui permettra de minimiser les deux ensembles de coûts. Cela arrive au
point K, où le résultat de la somme verticale des deux courbes est le plus petit possible. La
majorité optimale pour résoudre un problème collectif, étant données les courbes des coûts,
est K /N . À ce pourcentage, le gain attendu en utilité de la redéfinition d’un projet de loi
pour obtenir le soutien d’un individu supplémentaire égalise la perte de temps attendue
produite par cette action.
Le choix de la règle de vote 89

Coûts
escomptés

Nombre d’individus dont


l’accord est requis pour
une action collective

Figure 4.4
Choisir la majorité optimale.

Puisque ces coûts diffèrent probablement selon les enjeux rencontrés, on ne peut
pas s’attendre à ce qu’une règle de vote soit optimale pour tous les enjeux. Les coûts exter-
nes vont varier selon la nature des enjeux et les caractéristiques de la communauté qui doit
prendre la décision. Toutes choses égales par ailleurs, quand les opinions diffèrent forte-
ment ou quand l’information est rare, de longues périodes de temps peuvent être requises
pour parvenir à un consensus. Si les coûts probables pour les citoyens en désaccord ne sont
pas trop élevés, des pourcentages relativement petits de la communauté peuvent suffire
pour prendre une décision. Encore une fois, l’exemple extrême ici est celui des biens privés
purs. En revanche, les enjeux pour lesquels de grandes pertes peuvent arriver, demandent
des majorités plus importantes (par exemple, les enjeux liés aux droits de l’homme) 6. Plus
la communauté est grande, et plus il y a d’individus avec des goûts similaires, et donc, il
est probablement plus facile de parvenir à un consensus parmi un nombre absolu donné
d’électeurs. Par conséquent, une augmentation de N devrait infléchir la courbe D vers la
droite et vers le bas. Mais la baisse des coûts pour parvenir à un consensus parmi un
nombre donné de citoyens n’est probablement pas pleinement proportionnelle à l’accrois-
sement de la taille de la communauté. Donc, pour des enjeux de ce type, le pourcentage

6 Dans le chapitre 26, nous présentons une analyse plus formelle et générale du choix constitutionnel de la règle
de vote.
90 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

optimal requis K /N pour prendre une décision est probablement décroissant avec l’aug-
mentation de la taille de la communauté (Buchanan et Tullock, 1962, pp. 111-116).
On peut s’attendre à ce que les individus dont les goûts sont très différents de ceux
des autres membres de la communauté favorisent des majorités plus inclusives. Buchanan
et Tullock postulent que le choix de la majorité optimale pour chaque catégorie d’enjeux
est fait lors d’un choix constitutionnel dans lequel chaque individu est dans l’incertitude sur
ses futures positions, goûts, etc. Par conséquent, chacun voit le problème de la même
manière, et un accord unanime est atteint pour qu’une règle moins exigeante que l’unani-
mité soit utilisée pour l’ensemble des enjeux. Quand un tel consensus n’existe pas, l’épi-
neuse question à traiter porte sur quelle majorité devrait être requise pour décider quelles
majorités sont requises pour tous les autres enjeux. La question étant posée, nous avançons
dans cette direction.

4.4 LA MAJORITÉ SIMPLE COMME MAJORITÉ OPTIMALE


La méthode de la règle de la majorité exige qu’au moins le premier nombre entier au-dessus
de N/2 soutienne une décision avant que celui-ci devienne le comité de décision. Rien de
ce que nous avons dit jusqu’ici n’indique pourquoi K /N = N/2 devrait être la majorité
optimale pour la plupart des décisions du comité ; et pourtant, c’est la règle de vote choisie
partout dans le monde, dans les parlements, les réunions de quartiers ou des associations de
parents d’élèves. Comme Buchanan et Tullock (1962, p. 81) le notent, pour qu’une règle,
telle la règle de la majorité, soit la majorité optimale pour un grand nombre de décisions,
il doit exister une discontinuité dans une des fonctions de coûts au point N/2, qui fait que
la somme des deux courbes soit minimisée à ce point dans la plupart des cas.
Une explication possible pour rendre compte de l’existence de cette discontinuité
dans la courbe des coûts de la prise de décision, D, consiste à prendre davantage en compte
les dynamiques internes de la décision des comités. Quand moins de la moitié des membres
d’un comité est suffisante pour prendre une décision, il existe la possibilité pour les deux
solutions, la décision A et la décision opposée non-A, de passer. Par exemple, la proposi-
tion d’augmenter les dépenses scolaires de 10 pourcent pourrait dans un premier temps être
approuvée par une majorité gagnante (de, disons, 40 pourcent). Mais une contreproposition
de diminuer les dépenses de 5 pourcent peut aussi recevoir une majorité gagnante. Quand
moins de la moitié des votants suffit pour prendre une décision, le comité pourrait bloquer
des décisions à travers une série indéfinie de décisions qui se compensent et qui demandent
beaucoup de temps et de patience de la part des membres. La méthode de la règle de la
majorité simple offre la majorité la plus petite possible pour qu’une décision soit prise sans
qu’il y ait la possibilité que des propositions contradictoires soient simultanément votées
(Reimer, 1951).
Dans la figure 4.5, les courbes des coûts de décision et des coûts externes sont
dessinées de telle façon que leur minimum se trouverait à la gauche de N/2 si D continuait
à décroître au fur et à mesure qu’il avance vers la gauche. Mais la courbe D est plus élevée
à la gauche de N/2, puisqu’elle inclut des coûts supplémentaires de décision qui consistent
à produire des décisions contradictoires. Cette portion de la courbe D a été dessinée comme
Le choix de la règle de vote 91

Coûts
escomptés

Nombre d’individus dont


l’accord est requis pour
une action collective

Figure 4.5
Les conditions pour faire de la majorité simple une majorité optimale.

une ligne droite, mais elle pourrait raisonnablement être en forme de U ou de U inversé. La
rupture au niveau N/2 rend cette majorité optimale pour ce comité 7.
Sans une rupture en D, le minimum pour C + D ne sera obtenu qu’à la gauche de
N/2, là où la courbe D monte plus rapidement, c’est-à-dire lorsqu’elle monte vers la droite
7 Tullock (1998, pp. 16-17, 93-94) a fait une objection à cette explication de la grande popularité de la règle de
la majorité simple qui présuppose une rupture dans la courbe des coûts de décision. Il cite les élections prési-
dentielles aux États-Unis ou les élections parlementaires en Grande-Bretagne comme exemples de l’utilisation
d’une règle qui exige moins que la majorité simple, parce que les présidents des États-Unis sont occasionnel-
lement élus sans recevoir la majorité du vote populaire, tout comme le parti qui gagne la majorité des sièges
à la Chambre des Communes britannique ne gagne presque jamais la majorité des voix. Mais ce sont des
exemples de règles électorales qui peuvent convertir moins d’une majorité des votes populaires en victoire
d’un parti ou d’un candidat. Il s’agit ici du choix de la règle de vote du comité. Ni la Chambre des Commu-
nes, ni les deux chambres aux États-Unis n’utilisent de règle de majorité de moins de 50 pourcent, ni aucun
autre comité ne le fait, pour autant que nous le sachions. En effet, si le parlement britannique utilisait, disons,
une majorité de 40 pourcent pour faire passer une loi, alors un parti qui n’aurait pas réussi à obtenir la majo-
rité des sièges dans une élection n’aurait pas nécessairement « perdu » les élections. Tant qu’il obtient 40 %
des sièges, il pourrait faire passer des lois unilatéralement, tout comme le parti « gagnant ». Plus fondamenta-
lement, cependant, si les constitutions choisissent les règles de vote dans les parlements en pesant les coûts
externes et les coûts de prise de décision de chaque règle, comme Buchanan et Tullock l’ont soutenu, alors on
ne peut pas expliquer le succès universel de la majorité simple sans l’existence d’un nœud ou d’une rupture
dans une des deux courbes au niveau K /N = N /2. Si cette discontinuité n’est pas dans D, elle est nécessai-
rement dans E. Bien sûr, une autre façon d’expliquer la popularité de la règle de la majorité simple est d’aban-
donner les calculs des coûts comme ceux introduits par Buchanan et Tullock. Nous examinons d’autres critères
pour choisir la règle de majorité simple dans le chapitre 6. Dans le chapitre 26, nous intégrons les deux appro-
ches.
92 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

plus que C ne monte vers sa gauche. Autrement dit, les coûts de décision varient beaucoup
plus en fonction de la taille de la communauté qu’en fonction des coûts externes de la prise
de décision collective. N/2 est la majorité optimale pour les comités à cause de cette
discontinuité dans la courbe D. La méthode de la majorité simple sera sélectionnée comme
règle de décision du comité, par un comité dont les membres accordent une valeur relati-
vement haute aux coûts d’opportunité du temps. Si ce n’était pas pour les coûts en temps
impliqués par les décisions contradictoires comme A et non-A, la majorité qui minimiserait
le coût pour le comité devrait être inférieure à 0,50. La majorité simple est optimale parce
qu’elle est la plus petite majorité que l’on peut sélectionner en évitant que des lois conflic-
tuelles obtiennent en même temps une majorité gagnante.
La rapidité n’est pas la seule propriété de la règle de la majorité pour autant. Cette
règle est si importante que nous utilisons les deux chapitres suivants pour discuter de ses
autres propriétés.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Tulkens (1978) présente une excellente revue de la littérature sur les procédures de tâtonnement pour
révéler les préférences sur les biens publics. Milleron (1972) présente la littérature sur les biens
publics en général.
Les premières discussions sur les approches en termes d’échange volontaire de Lindhal et Wicksell
sont présentées par Musgrave (1939) et Buchanan (1949). Voir aussi Head (1964).
La relation entre la théorie du vote de Wicksell et l’équilibre de Lindhal est abordée par Escarraz
(1967), qui a décrit le premier la façon dont l’équilibre de Lindhal pourrait être obtenu avec la règle
de l’unanimité. Escarraz soutient que la règle de l’unanimité était un postulat nécessaire à la base
de l’idée de Lindhal que l’équilibre serait atteint et il serait à l’origine du concept lindhalien de
« distribution identique du pouvoir politique ». Avec cette interprétation, la distribution identique
du pouvoir politique de Lindhal, la liberté de la contrainte de Wicksell, la règle de l’unanimité et
l’ensemble des prix des taxes égal aux taux marginaux d’utilité pour le bien public sont tous
élégamment assimilés.
5
LES PROPRIÉTÉS POSITIVES
DE LA RÈGLE MAJORITAIRE

5.1 Règle majoritaire et redistribution 94


5.2 L’apparition de cycles 99
5.3 Le théorème de l’électeur médian – dans un espace unidimensionnel 102
5.4 La règle majoritaire dans un espace multidimensionnel 102
5.5 Démonstration du théorème de l’électeur médian
dans le cas multidimensionnel 109
5.6 Les équilibres induits par la règle majoritaire lorsque
les préférences ne sont pas représentées dans l’espace 110
5.7 Démonstration du théorème de l’axiome de restriction
et de la règle majoritaire 112
5.8 Les restrictions sur les préférences, sur la nature et le nombre
des alternatives et sur les choix de la règle de vote, pouvant conduire
à un équilibre 114
5.9 Le marchandage politique 121
5.10 Marchandage politique et cycle 126
5.11 Les tests empiriques du marchandage politique 127
5.12 La manipulation de l’agenda politique 130
5.13 Les explications de l’absence de cycle 133
94 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

5.1 RÈGLE MAJORITAIRE ET REDISTRIBUTION


Comme l’indique le chapitre 4, la règle de vote à la majorité minimise le temps de la prise
de décision. Les dirigeants politiques dont l’unique mission est de fournir des biens collec-
tifs et de remédier aux externalités pourraient, pour cette raison, s’en tenir à ce seul argu-
ment pour choisir cette règle de vote. La règle de vote à la majorité a, néanmoins, d’autres
propriétés et d’autres effets. Elle a notamment des effets redistributifs et allocatifs. Elle
peut, dans le même temps, avantager la majorité et désavantager la minorité.
Pour mieux comprendre ce point, considérons la figure 5.1. Les utilités ordinales
de deux groupes d’électeurs, les riches et les pauvres, sont représentées sur les axes verti-
cal et horizontal. Par hypothèse, tous les membres ont des fonctions de préférences iden-
tiques au sein de chaque groupe. Si aucun bien public n’est fourni, les individus
représentatifs de chaque groupe ont des niveaux d’utilité se situant en S et en T. Lorsque
seuls des biens privés sont produits, le point des dotations initiales se situe en E, sur la fron-
tière des possibilités de Pareto. La fourniture d’un bien collectif peut, par hypothèse,
augmenter l’utilité de chacun des deux individus. Sa production élargit ainsi la frontière des
possibilités de Pareto, qui est désormais représentée par la courbe X Y Z W . Le segment Y Z
correspond à la courbe des contrats CC  , de la figure 5.1. Avec la règle de l’unanimité, les
deux groupes d’électeurs n’approuveront la fourniture de bien collectif que si leur bien-être
est amélioré. La règle de l’unanimité aboutit nécessairement à une combinaison de parts
d’impôt et d’une certaine quantité de bien collectif conduisant les deux groupes quelque
part sur le segment Y Z , le long de la frontière des possibilités de Pareto.

Résultats du vote
à la majorité avec
une majorité de riches
Résultats du vote
à l’unanimité

Résultats du vote
à la majorité avec
une majorité de pauvres

Figure 5.1
Résultat du vote sous la règle de l’unanimité et la règle de la majorité simple.
Les propriétés positives de la règle majoritaire 95

Il n’y a cependant aucune raison de penser que la règle de la majorité conduise à


se placer sur le segment Y Z . Une coalition d’un certain nombre de membres du comité de
décision peut avoir intérêt à reformuler la question soumise au vote, de manière à accroître
ses gains aux dépens des individus extérieurs à la coalition. Elle peut, par exemple, modi-
fier les parts d’impôt afin que les individus coalisés paient moins. Si les riches faisaient
partie de la majorité, ils compléteraient, selon toute vraisemblance, la proposition de four-
niture du bien collectif par un ensemble de dispositions fiscales suffisamment régressives
pour que le résultat final du vote se situe sur le segment X Y . Si les pauvres faisaient partie
de la majorité, les impôts seraient suffisamment progressifs pour que le résultat du vote soit
sur le segment Z W .
Étant donné qu’il est possible de redéfinir la proposition, en modifiant la quantité
de bien collectif fournie et/ou les parts d’impôt, on peut s’attendre à ce que le résultat final
du processus de décision collective se situe en dehors du segment Y Z représentant les
situations préférées au sens de Pareto (Davis, 1970). Tant qu’il sera possible de reformuler
la proposition de manière à avantager la majorité, ces nouvelles formulations seront adop-
tées. On peut ajouter qu’en principe, une coalition majoritaire stable devrait systématique-
ment défavoriser la minorité dans la mesure où la majorité n’a aucun scrupule à agir ainsi
et que la constitution l’y autorise.
Le processus par lequel une proposition qui bénéficie d’un soutien unanime se
transforme en une proposition qui n’est appuyée que par une majorité simple ressemble au
processus, décrit par William Riker (1962), par lequel de « grandes coalitions se transfor-
ment en coalitions de la taille minimum pour obtenir la victoire ». Pour développer sa
théorie des coalitions, Riker formule deux hypothèses fondamentales : (1) les décisions
sont prises à la majorité, (2) le jeu politique est un jeu à somme nulle. Il suppose que les
décisions relatives à l’efficacité de l’affectation des ressources (les quantités de biens
publics) sont résolues naturellement de façon optimale, et que le processus politique ne sert
qu’à résoudre les problèmes de répartition. Il pose la question suivante. Quel choix effec-
tuer à l’intérieur de l’ensemble des solutions efficaces au sens de Pareto (pp. 58-61) ? Riker
adopte ainsi la position extrême selon laquelle le jeu politique ne porte que sur des problè-
mes de répartition et qu’il est par conséquent un jeu à somme nulle (pp. 29-31). Étant donné
que la règle de la majorité consiste à prélever les perdants, les membres de la coalition
majoritaire pourront augmenter leur bien-être au détriment d’un nombre toujours plus
grand de perdants, tant que ces derniers restent minoritaires. Cela signifie que la coalition
des perdants augmentera jusqu’à ce qu’elle soit presque aussi importante que celle des
gagnants, et que la proposition ne sera adoptée qu’à une « faible » majorité. Pour Riker, la
commission se compose de plusieurs factions, ou plusieurs partis, de différentes tailles, et
non de deux coalitions « naturelles » comme nous l’avons décrit plus haut. Le processus
par lequel une coalition atteint la taille minimum nécessaire pour l’emporter consiste en des
alliances et scissions de factions ou de partis jusqu’à ce qu’émergent deux grandes coali-
tions de taille sensiblement égale. Dans la procédure de vote habituelle, ce processus
consisterait à ajouter et à retirer des amendements à chaque proposition, de telle sorte qu’on
accroisse le nombre de perdants et les avantages des gagnants.
Plusieurs auteurs ont décrit les moyens par lesquels la règle majoritaire pouvait
conduire à une redistribution qui ne passe pas par des transferts monétaires directs. Le
96 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

premier à avoir orienté ses recherches dans cette direction est Gordon Tullock (1959).
Tullock a pris comme exemple une communauté de 100 agriculteurs qui pour accéder à la
route principale de leur exploitation agricole doivent emprunter des petits chemins sinueux,
chacun de ces chemins desservant 4 ou 5 exploitations. La question est, alors, de savoir si
la communauté des 100 agriculteurs doit financer l’entretien de tous les chemins par un
impôt frappant tous les membres de la communauté. Il est évidemment possible de conce-
voir une proposition combinant un certain niveau d’entretien et un ensemble de parts d’im-
pôts pour chaque agriculteur, qui serait adoptée à l’unanimité. Mais, sous la règle de la
majorité, certains auront davantage intérêt à proposer l’entretien de la moitié des chemins
grâce à un impôt frappant tout le monde. On peut donc envisager qu’une coalition de 51
agriculteurs se forme et propose que seuls les chemins qui desservent leurs exploitations
soient entretenus grâce aux impôts payés par l’ensemble de la communauté (Tullock discute
d’autres possibilités que nous évoquerons plus tard). Sans la règle de la majorité, cette
proposition serait approuvée et impliquerait une redistribution défavorable aux 49 agricul-
teurs qui paient des impôts sans bénéficier de l’entretien de leurs chemins, et favorable aux
51 agriculteurs dont les impôts ne couvrent que la moitié des coûts d’entretien des chemins.
Dans l’exemple de Tullock, c’est l’inclusion dans le budget de la communauté
entière d’un bien bénéficiant uniquement à un sous-ensemble de la communauté qui est à
l’origine d’une redistribution favorable aux 51 agriculteurs de la coalition majoritaire.
Chaque chemin ne dessert que 4 ou 5 exploitations et n’est donc un bien collectif que pour
ces agriculteurs. Il semblerait que la juridiction optimale, en termes de taille, assurant la
fourniture de chacun de ces biens publics « locaux » soit des groupes de 4 ou 5 agriculteurs
desservis par le même chemin. La possibilité d’inclure des biens privés dans le budget
public comme moyen de redistribution a été discutée pour la première fois par James
Buchanan (1970). Elle a ensuite été analysée par plusieurs autres auteurs. En se fondant sur
l’article de Buchanan, Robert Spann a montré que la fourniture collective d’un bien privé
financée par un ensemble de parts d’impôt de Lindhal aboutit à une redistribution au détri-
ment des riches et au bénéfice des pauvres (Spann, 1974).
Pour préciser ce point, considérons la figure 5.2. Soit D p la fonction de demande
des pauvres, D R celle des riches. Soit X un bien privé pur dont le prix est égal au coût social
marginal, PX . Si le bien est offert de manière privée sur le marché, les pauvres achètent X P
au prix PX et les riches achètent X R . Supposons ensuite que le bien soit acheté collective-
ment et réparti ensuite en quantités égales entre toutes les personnes, comme s’il s’agissait
d’un bien public. La quantité optimale de X correspond alors à l’intersection de la fonction
de demande collective, qui est obtenue en sommant verticalement les fonctions de demande
individuelles. (Nous ignorons ici toute considération relative aux effets de revenu. Cette
omission n’influe pas sur l’argumentation ici développée.)
La fonction d’offre, dans le cas d’une fourniture collective, est obtenue en multi-
pliant le prix de marché du bien par le nombre des membres de la communauté. Si nous
supposons, pour des raisons de simplicité, que les riches et les pauvres sont en nombre égal,
la communauté achètera X c unités du bien pour chaque individu. L’évaluation marginale
du bien par un pauvre, pour cette quantité, est X c H , et sa part d’impôt de Lindhal est t p .
Un membre du groupe des riches paie t R . Les pauvres reçoivent une subvention réelle de
AC H t p , égale au produit de la différence entre le prix qu’ils paient pour le bien et son coût
Les propriétés positives de la règle majoritaire 97

Figure 5.2
Redistribution avec fourniture publique du bien privé.

social par la quantité qu’ils consomment. Mais le gain, en termes de surplus du consom-
mateur, qu’entraîne pour eux la fourniture collective du bien privé n’est égale qu’à
AB H t P . La fourniture collective de X est donc à l’origine d’une perte sèche de BC H . En
plus du transfert direct de revenu de R vers P(t P FC A) qu’implique la subvention des
achats de X par P, R voit son bien-être se dégrader parce qu’il est obligé de consommer une
quantité de X inférieure à la quantité optimale. R perd le triangle du surplus du consom-
mateur FC E .
Cette perte d’efficacité provient de la contrainte à laquelle est soumis le compor-
tement de chaque individu, chacun étant obligé de consommer la même quantité du bien
privé. Étant donnés les coûts de production du bien privé, le bien-être de chacun serait
amélioré si l’on permettait à chaque individu de maximiser son utilité personnelle par
rapport à l’ensemble des prix de marché, c’est-à-dire le prix de ce bien et ceux des autres
biens. La contrainte supplémentaire qui impose que chacun consomme une quantité iden-
tique réduit l’ensemble des utilités possibles. Mais les pauvres gagnent toujours plus à cette
redistribution que s’ils ne recevaient rien. Donc s’ils ne parviennent pas à obtenir des
subventions monétaires directes par le jeu des transferts forfaitaires, alors qu’ils peuvent les
obtenir par l’intermédiaire d’une collectivisation de l’offre du bien privé, cette dernière
solution sera préférable.
Contraindre les riches à consommer moins de X que ce qu’ils souhaiteraient est
source d’inefficience à laquelle il est possible de remédier dès lors que ceux-ci peuvent
acheter des unités supplémentaires de X sur le marché. Les gouvernements fournissent
généralement des biens qui peuvent être produits par le marché : des logements, de la santé,
de l’éducation et de nombreux autres biens. En présence de tels types de biens, les indivi-
98 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

dus peuvent compléter leur consommation publique par une consommation privée sur les
marchés libres. Quand les classes aisées payent pour envoyer leurs enfants dans une école
privée, comme c’est le cas aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en France, une nouvelle
forme de redistribution, des riches vers les pauvres, se produit. En effet, les riches finan-
cent une partie du bien public qu’ils ne consomment pas. Même si, en laissant la possibi-
lité aux riches d’acheter le bien privé sur le marché, on réduit la perte d’efficacité liée à la
fourniture publique du bien privé, on ne l’élimine pas totalement pour autant. En effet, ceux
qui restent dans le programme sont toujours artificiellement contraints d’acheter un bien
privé de qualité uniforme et en quantité égale.
L’inefficience perdure également dans le cas où les classes supérieures continuent
d’utiliser le service public, mais complètent leur consommation sur le marché. Si la quan-
tité (ou la qualité) de service public est choisie à la règle de la majorité simple, la quantité
(ou la qualité) choisie peut être plus élevée que celle souhaitée à la fois par les riches et les
pauvres. Les pauvres s’opposent aux choix collectifs parce qu’ils sont obligés de consom-
mer une quantité de bien public plus grande que ce qu’ils souhaitent, étant donné leur
niveau d’impôt. Les riches, quant à eux, préféreraient payer moins d’impôts, consommer
moins de service public et s’approvisionner sur le marché 1.
Considérons le cas français. Alors que l’enseignement élémentaire et secondaire
fourni publiquement par l’éducation nationale est une redistribution des groupes à hauts
revenus vers ceux à faibles revenus, l’enseignement supérieur public (les Universités fran-
çaises) opère, quant à lui, une redistribution des classes inférieures vers les classes moyen-
nes. Enfin, l’enseignement universitaire en droit, en médecine et en gestion qui est fourni
« gratuitement » par l’État (comme c’est le cas dans de nombreux pays d’Europe) opère
une redistribution des classes moyennes vers les futures classes supérieures 2.
Les modalités de transfert de l’État décrites dans le chapitre 3 montraient que la
redistribution ne s’effectuait pas toujours des riches vers les pauvres, et qu’elle n’était
même pas forcément justifiée par des différentiels de revenus (effet Matthieu).
La profession, le sexe, l’ethnie, le lieu de résidence, les préférences en matière de
loisirs et les affiliations politiques peuvent également servir de critère à la redistribution.
Pour que la redistribution ait lieu sous la règle de la majorité, il faut que les membres de la
coalition gagnante soit identifiable. La proposition gagnante pourra ainsi donner lieu à une
discrimination positive en leur faveur. Cette discrimination positive peut porter soit sur la
redistribution des bénéfices sur lesquels porte la proposition (par exemple, comme l’entre-
tien inégal des différents chemins menant aux exploitations, pour reprendre l’exemple de
Tullock) soit sur un crédit d’impôt (comme dans la situation décrite par Buchanan et Spann
dans laquelle tout le monde reçoit la même quantité d’un bien privé X mais y contribue
inégalement avec des parts d’impôts différentes).
Quelle que soit la forme qu’elle prenne, que la décision politique prise à la majo-
rité soit un jeu à somme nulle, comme le suppose Riker, ou qu’elle implique un change-
ment de l’efficacité allocative qui s’accompagne d’une redistribution, il n’en reste pas
1 Gouveia (1997). Ce résultat repose sur le théorème de l’électeur médian qui sera introduit dans la partie 5.3
de ce chapitre.
2 Les inefficiences de la redistribution en matière d’éducation sont discutées dans Barzel (1973) et Barzel et
Deacon (1975).
Les propriétés positives de la règle majoritaire 99

moins que les aspects redistributifs seront toujours présents lors du vote. La règle de la
majorité crée inévitablement une incitation à former des coalitions et à redéfinir les propo-
sitions soumises au vote de manière à ce que les gains redistributifs soient captés par ces
coalitions. Le simple fait de savoir qu’une proposition a été adoptée avec son lot de parti-
sans et d’opposants, ne permet pas de distinguer s’il s’agissait vraiment d’un bien public
qui repoussait la frontière des possibilités de Pareto jusqu’à X Y Z W sur la figure 5.1 et qui
s’accompagnait d’un impôt défavorable aux pauvres, de telle sorte que l’on aboutirait par
exemple au résultat A ; ou bien s’il s’agissait d’une simple redistribution le long de la fron-
tière d’efficacité de Pareto relative au bien privé, qui conduirait au point B ; ou encore s’il
s’agissait d’une redistribution inefficace, des pauvres vers les riches, par l’intermédiaire de
la fourniture collective du bien privé, situation correspondant au point C. Ce dont on est à
peu près sûr, c’est que les riches ont tendance à croire qu’ils seront favorisés, alors que les
pauvres semblent plutôt penser qu’ils seront défavorisés par l’adoption de cette proposi-
tion, c’est-à-dire par un déplacement dans la région S EY X .
Même si la naissance de l’État s’explique davantage par des efforts de coopération
bénéficiant à tous les membres de la communauté que par la prise du pouvoir par un groupe
au détriment du reste de la communauté, il ne fait aucun doute que l’utilisation de la règle
majoritaire pour la prise de décisions collectives contribue à transformer l’État, au moins
en partie, en un État redistributif. Étant donné que toutes les démocraties modernes utili-
sent cette règle (elle est en effet souvent considérée comme la marque du caractère démo-
cratique d’un gouvernement), elles sont toutes en partie, sinon entièrement, des États
redistributifs.

5.2 L’APPARITION DE CYCLES


Étant donné que la règle majoritaire induit la question de la redistribution dans le proces-
sus de décision collective, nous allons maintenant nous focaliser sur cette caractéristique
de la règle majoritaire. Soit une commission composée de trois personnes (V1 , V2 , V3 ) qui
doit décider de la manière de partager un don de 100 € entre chacun des trois membres en
utilisant la règle de la majorité. Nous sommes en présence d’une pure question de redistri-
bution, un simple jeu à somme nulle. Supposons que V2 et V3 s’accordent pour partager les
100 € entre eux dans les proportions respectives 60/40, V1 aura alors beaucoup à gagner à
former une coalition gagnante. Il pourrait par exemple proposer à V3 de partager « équita-
blement » (50/50) les 100 € entre eux deux et ainsi exclure V2 . Vu que cette perspective est
plus intéressante pour V3 , on peut s’attendre à la formation de cette coalition. Mais V2 , à
son tour, aura tout intérêt à former une nouvelle coalition gagnante. Il pourra alors propo-
ser à V1 un partage 55/45. Cela aboutirait à une nouvelle coalition, et ainsi de suite. Lorsque
les propositions portent sur une redistribution du revenu ou de la richesse, les membres de
la coalition perdante seront toujours fortement incités à essayer de rejoindre la coalition
gagnante, fût-ce au prix d’un partage non équitable.
Le résultat conduisant à un partage 50/50 des cent euros entre deux votants est une
solution de von Neumann-Morgenstein à ce jeu particulier (Luce et Raiffa, 1957, pp. 199-
209). Mais ce jeu comporte trois solutions de ce type (partage entre V1 et V2 , partage entre
100 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

V1 et V3 , partage entre V2 et V3 ) et il n’existe aucun moyen de prédire laquelle des trois


adviendra, dans le cas où l’une d’entre elles s’imposerait. Ainsi, l’apparition de majorités
cycliques semble plus que probable lorsque des questions de redistribution sont en jeu. Il
est toujours possible de reformuler une proposition qui avantagera au moins un membre de
la communauté et en lèsera certains autres. Il est donc toujours possible qu’apparaissent de
nouvelles coalitions gagnantes, comprenant certains membres de la précédente coalition
perdante, et excluant certains membres de l’ancienne coalition gagnante. Mais, comme
nous l’avons vu lors de la présentation de la règle majoritaire, quand les propositions
soumises au vote peuvent faire l’objet d’amendements au sein de la commission, il est
possible de transformer une simple décision d’efficience allocative en une décision
comportant simultanément une redistribution et une modification de l’efficacité allocative.
Il semblerait donc que, lorsqu’un comité a la possibilité de proposer des amendements aux
propositions soumises au vote, le risque d’apparition de majorités cycliques soit très impor-
tant.
Il y a plus de deux cents ans, le marquis de Condorcet (1785) avait déjà perçu le
risque de cycle inhérent à la règle majoritaire. Un siècle plus tard, C.L. Dodgson (1876)
revient sur ce problème, qui deviendra une des préoccupations majeures de la littérature
moderne sur les décisions publiques, initiée par Duncan Black (1948b) et Kenneth Arrow
(1951, édition révisée 1963) 3. Considérons trois votants (V1 , V2 , V3 ), dont les préférences
sur trois questions (X, Y, Z ) sont représentées dans le tableau 5.1 (> signifiant « préféré
à »). X peut l’emporter sur Y, Y sur Z et Z sur X. Si les votes portent sur des paires, cela peut
conduire à un cycle sans fin. La règle de la majorité ne peut dégager, en l’absence d’arbi-
traire, aucune solution gagnante 4.

Tableau 5.1
Configuration des préférences des électeurs à l’origine d’un cycle.

Alternatives/questions
Électeurs X Y X Y
V1 > > <
V2 > < >
V3 < > >
Communauté > > >

Si nous définissons Z comme la proposition répartissant l’ensemble des gains entre


V2 et V3 dans les proportions 60/40, c’est-à-dire l’issue (0, 60, 40), Y, l’issue (50, 0, 50) et
X, l’issue (55, 45, 0), le classement ordinal des propositions de la figure 5.3 correspond au
jeu de répartition à somme nulle, présenté ci-dessus. Mais il est également possible d’avoir
des classements similaires à ceux du tableau 5.1 et de la figure 5.3 pour des questions rela-
tives à la seule efficacité de l’affectation des ressources. Si X, Y et Z représentent des
niveaux de dépenses croissants pour un bien collectif, on peut dire que les préférences des
votants V1 et V3 sont unimodales dans l’espace formé par l’utilité et le bien collectif (voir
la figure 5.3). Cependant, les préférences de V2 sont bimodales, d’où l’apparition de cycles.
3 Pour un aperçu des premières contributions, consultez Black (1958), Riker (1961) et Young (1997).
4 Voir l’article d’A.K. Sen (1970a, pp. 698-77).
Les propriétés positives de la règle majoritaire 101

Figure 5.3
Configuration des préférences des électeurs à l’origine d’un cycle.

Si on changeait les préférences de V2 de manière à ce qu’elles soient unimodales, le cycle


disparaîtrait.
Un théorème fondateur de l’étude des choix publics a été fourni par Duncan Black
qui montre que la règle de la majorité conduit à un équilibre lorsque les préférences des
électeurs sont unimodales (1948a). Si l’on peut représenter les préférences des électeurs
dans un espace unidimensionnel, le long d’un axe, comme c’est le cas pour des questions
relatives aux préférences des électeurs en matière de dépenses publiques, l’équilibre
correspondra au pic de la préférence de l’électeur médian. La figure 5.4 représente les

Utilité

Quantité de biens publics

Figure 5.4
Le rôle décisif de l’électeur médian.
102 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

préférences unimodales de cinq électeurs. Les électeurs 3, 4 et 5 préfèrent m à toute autre


proposition prévoyant une offre moins importante de bien collectif. Les électeurs 3, 2 et 1
privilégient m face à toute autre proposition visant à la fourniture d’une quantité plus
importante de bien collectif. La préférence de l’électeur médian sera alors décisive.

5.3 LE THÉORÈME DE L’ÉLECTEUR MÉDIAN –


DANS UN ESPACE UNIDIMENSIONNEL
La démonstration reprend les travaux de Enelow et Hinich (1984, ch. 2). Les deux princi-
pales hypothèses du théorème de l’électeur médian sont : (1) les questions sont définies le
long d’un vecteur unidimensionnel x et (2) les préférences de chaque électeur sont unimo-
dales dans x. Représentons les préférences de l’électeur i par la fonction d’utilité Ui ( )
défini sur x, Ui (x). Soit xi∗ le point préféré de i sur le vecteur x. Appelons xi∗ le point idéal
de i.
Définition : xi∗ est le point idéal de i si et seulement si (ssi) Ui (xi∗ ) > Ui (x) pour tout x = xi∗ .
Définition : Soit y et z deux points sur l’axe x, tels que, soit y, z ≥ xi∗ soit y, z ≤ xi∗ . Les préférences
de i sont alors à pic unique ssi [Ui (y) > Ui (z)] ↔ [|y–xi∗ | < |z–xi∗ |].
En d’autres termes, la définition des préférences unimodales stipule que si y et z sont deux points du
même côté que xi∗ , alors i préfère y à z si et seulement si y est plus près de xi∗ que z. Si toutes
les préférences sont unimodales, il est impossible que l’on ait des préférences telles que celle de
l’électeur 2 sur la figure 5.3 (notons que z est le point idéal de l’électeur 2 sur cette figure).

Définition : Soit {x1∗ , x2∗ , ..., xn∗ } les n points idéaux pour une commission de n individus. Soit N R le
nombre de xi∗ ≥ xm et N L le nombre de xi∗ ≤ xm . Alors xm est une position médiane ssi N R ≥ n/2 et
N L ≥ n/2.
Théorème : Si x est une question unidimensionnelle et que tous les électeurs ont des préférences à
pic unique pour x, alors xm , la position médiane sera la seule alternative retenue sous la règle majo-
ritaire.
Démonstration : Prenons z, tel que z = xm , par exemple z < xm . Soit Rm le nombre de points idéaux
à droite de xm . La définition des préférences à pic unique nous dit que tous les électeurs Rm avec des
points idéaux à droite de xm préfèrent xm à z. La définition de la position médiane nous dit que
Rm ≥ n/2. Donc le nombre d’électeurs préférant xm à z est au moins Rm ≥ n/2. xm ne peut pas
perdre contre z sous la règle de la majorité. De la même manière, on peut montrer que xm ne peut pas
perdre contre tout z > xm .

5.4 LA RÈGLE MAJORITAIRE DANS UN ESPACE


MULTIDIMENSIONNEL
La propriété d’unimodalité garantit une forme d’homogénéité de l’ordre des préférences
(Riker, 1961, p. 908). Les personnes qui ont de telles préférences sur une question sont
Les propriétés positives de la règle majoritaire 103

convaincues qu’il existe une quantité optimale de bien collectif pour cette question et que
plus on s’éloigne de cet optimum, plus le bien-être diminue. Si l’on plaçait les différentes
quantités de dépenses de défense le long de l’axe horizontal, un classement des préféren-
ces tel que celui de la figure 5.4 signifierait que l’électeur 1 est totalement insouciant et que
l’électeur 5 perçoit une menace de guerre très élevée ; mais il existerait un consensus sur
le classement des valeurs attribuées aux différents niveaux des dépenses de défense. Les
théorèmes de Black et de Kramer établissent qu’un consensus de ce type (sur une question
à une seule dimension) est une condition suffisante de l’existence d’un équilibre sous la
règle de la majorité. Pendant la guerre du Vietnam, on a souvent dit que certaines person-
nes souhaitaient soit un retrait immédiat des troupes américaines soit un renforcement
massif des efforts entrepris pour parvenir à une victoire totale. Ce genre de préférences
ressemble à celles de l’électeur 2 de la figure 5.3. Ce sont des classements de préférences
de ce type qui peuvent conduire à l’apparition de majorités cycliques.
Soulignons qu’ici le problème peut ne pas provenir de la manière de concevoir une ques-
tion selon une unique dimension, mais du nombre de dimensions lui-même. La guerre du
Vietnam, par exemple, soulevait des questions à la fois à propos de la position militaire des
États-Unis à l’étranger et des dispositifs humanitaires à mettre en place face aux morts et
aux destructions engendrées. Un citoyen américain pouvait parfaitement être en faveur
d’un niveau de dépenses de défense élevé pour des raisons relatives à la première dimen-
sion, tout en souhaitant un retrait total de l’armée américaine pour des raisons propres à la
seconde dimension. Ces considérations soulèvent donc à leur tour le problème de savoir
dans quelle mesure une question peut être considérée comme unidimensionnelle.
Si toutes les questions étaient unidimensionnelles, les chances que les individus
aient des préférences plurimodales du type de celles décrites par la figure 5.3 seraient assez
faibles pour que l’apparition de cycle ne représente une menace réelle. Mais, dans un
monde à plusieurs dimensions, des préférences semblables à celles du tableau 5.1 semblent
relativement plausibles. Les alternatives X, Y et Z pourraient, par exemple, représenter les
différents projets d’utilisation de terrains libres : la construction d’une piscine, de courts de
tennis ou d’un terrain de football. Chaque électeur pourrait avoir des préférences unimo-
dales sur les dépenses à effectuer pour chacune de ces activités sans que cela n’empêche
l’apparition de cycles à propos de la question de l’utilisation du terrain. Comme nous
l’avons montré, l’introduction de considérations relatives à la répartition, peut également
conduire à l’apparition de cycles.
Jusqu’à maintenant, nous avons concentré tous nos efforts afin de savoir sous
quelles conditions la règle de la majorité pouvait mener à un équilibre. En revenant à la
figure 5.4, nous pouvons constater assez facilement que m, la position de l’électeur médian,
apparaît comme un équilibre parce que les quatre autres électeurs sont également répartis,
deux par deux, de part et d’autre de m. R.C. Plott (1967) a généralisé cette condition. Il a
démontré que la règle de la majorité peut conduire à un équilibre, si celui-ci est le point
idéal pour un (et seulement un) individu et si tous les autres peuvent être répartis par paire
d’individus dont les intérêts sont diamétralement opposés. En effet, à chaque fois qu’une
proposition est modifiée de manière à améliorer le bien-être d’un individu A, cela dégra-
dera dans les mêmes proportions celui d’un autre individu B.
104 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Pour saisir l’intuition qui se cache derrière le résultat majeur de Plott, observons
tout d’abord la figure 5.5. Soit x1 et x2 , deux questions ou deux dimensions d’une même
question. Les préférences individuelles sont définies pour x1 et x2 avec A le point idéal,
c’est-à-dire le point préféré dans le repère x1 x2 pour un individu A. Si on envisage une troi-
sième dimension, perpendiculaire au plan x1 x2 , l’utilité étant mesurée dans cette troisième
dimension, le point A est alors la projection du pic de l’utilité de A sur le plan x1 x2 . Un
second plan passe entre le pic et la base, il coupera le pic selon des courbes représentant
des niveaux d’utilité équivalents. Une de ces courbes, en forme de cercle, est représentée
sur la figure 5.5.

Figure 5.5
Résultat du vote pour une commission composée d’un seul individu.

Si l’on conçoit l’individu A comme une commission à lui tout seul, prenant des
décisions à la majorité, on peut raisonnablement penser qu’il choisira le point A. C’est pour
lui le point dominant dans le plan x1 x2 . C’est donc « un point qui ne peut perdre face à
aucun autre ». Ce que nous cherchons à démontrer ce sont les conditions d’existence d’un
tel point lorsqu’une commission est composée de plus d’un membre.
Supposons qu’un second individu B intègre la commission. Sous la règle majori-
taire, tout point n’étant pas sur la courbe de contrat, comme le point D sur la figure 5.6,
peut-être battu par tout point appartenant à la courbe de contrat, tel que E. Autrement dit,
aucun point ne figurant sur la courbe de contrat ne peut être un point dominant. De la même
manière, les points sur la courbe de contrat tels que E ne peuvent pas perdre contre les
points qui n’y figurent pas, comme A et B.
Les propriétés positives de la règle majoritaire 105

Figure 5.6
Résultat du vote d’une commission à deux membres.

Cet exemple illustre bien que les notions de prédominance des préférences et d’op-
timalité parétienne sont étroitement liées. En effet, pour que E soit le point dominant, il doit
nécessairement faire partie de l’ensemble de Pareto de toutes les coalitions majoritaires
potentielles. Car si ce n’est pas le cas, il existera un point Z dans l’ensemble de Pareto d’une
coalition majoritaire qui sera donc préféré à E.
Considérons maintenant le cas où une commission est composée de trois membres.
Soit C le point idéal du membre C sur la figure 5.7. Les ensembles de Pareto pour chaque
coalition majoritaire sont encore une fois les segments liant les points idéaux deux à deux,
AC, BC et AB. Il n’existe aucun point se trouvant sur les trois segments à la fois et donc
aucun point ne peut recouvrir tous les ensembles de Pareto. En suivant la logique du para-
graphe précédent, il n’y a pas de point dominant sous la règle de la majorité. Le point D,
par exemple, est sur la frontière Parétienne A − C mais en dehors de la frontière A − B. Il
existe donc des points sur AB tels que Z qui peuvent l’emporter sur D.
Le triangle ABC, côtés inclus, représente l’ensemble de Pareto pour une commis-
sion à trois membres. Si la règle de l’unanimité était utilisée, la commission serait amenée
à choisir un point situé à l’intérieur du triangle ABC ou sur ses côtés. À ce stade, la commis-
sion serait dans une impasse, ses membres ne pouvant s’accorder à l’unanimité sur un autre
point. Tous les points du triangle ABC constituent donc des équilibres potentiels. Cepen-
dant, sous la règle de majorité, seuls les ensembles de Pareto des coalitions majoritaires
conviennent. Ils sont au nombre de trois, mais étant donné qu’il n’existe aucun point
commun à ces trois ensembles, il n’est pas possible d’atteindre un équilibre.
La situation serait différente si le point idéal du troisième membre de la commis-
sion se trouvait sur la droite AB, comme le point E (figure 5.8). Les trois ensembles de
106 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Figure 5.7
Situation cyclique lors du vote d’une commission à trois membres.

Figure 5.8
Situation d’équilibre lors du vote d’une commission à trois membres.
Les propriétés positives de la règle majoritaire 107

Pareto des coalitions majoritaires sont à nouveau les segments reliant les points idéaux,
c’est-à-dire AB, AE et EB. Cependant, il existe maintenant un point commun à ces trois
ensembles, E, qui est le point dominant sous la règle de la majorité.
Quand le point idéal du troisième membre de la commission se trouve sur le rayon
reliant les points dominants des deux autres membres, ce qui était un problème de choix
multidimensionnel devient un problème de choix unidimensionnel. En effet, la commission
doit sélectionner une combinaison de points, x1 et x2 , situés sur le rayon passant par A et
B. Ce sont les conditions pour que le théorème de l’électeur médian puisse s’appliquer et
que le choix de la commission corresponde au point idéal de l’électeur médian, c’est-à-dire
le point E. Notons également que les intérêts des autres membres de la commission, A et B,
sont diamétralement opposés et « s’équilibrent » mutuellement, conformément à l’appro-
che de l’équilibre du théorème de Plott.
Imaginons maintenant que la commission s’agrandisse de deux membres. On
comprend aisément que si les points idéaux de ces deux nouveaux membres se trouvent sur
le rayon passant par AB, il existera toujours un équilibre. Si un point se trouve en haut à
gauche de E et l’autre en bas à droite de E, E reste alors l’unique point dominant sous la
règle de la majorité. Mais si les deux points ne se trouvent pas sur le segment AB mais tout
de même sur la droite AB, par exemple en haut à gauche de A, il y aura alors toujours un
équilibre, qui deviendra A.
Il n’est pas nécessaire, néanmoins, que les points idéaux des nouveaux membres
se situent sur la droite AB pour qu’il existe toujours un point dominant. Supposons que les
points idéaux des deux nouveaux membres se trouvent sur un segment passant par E, mais
différent de AB, comme par exemple passant par les points F et G sur la figure 5.9. Dans
une commission composée de cinq membres, il faut au moins trois personnes pour former

Figure 5.9
Résultat du vote d’une commission à cinq membres.
108 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

une coalition majoritaire. Les ensembles de Pareto pour les coalitions majoritaires sont les
triangles AEF, AEG, GEB et BEF ainsi que les segments AB et GF (voir la figure 5.9). Ces
six ensembles de Pareto comportent tous un point commun, qui est E. Il représente le point
dominant sous la règle de la majorité. E est toujours le point d’équilibre, car les intérêts des
nouveaux membres sont positionnés de manière symétrique de part et d’autre de E. Les
intérêts des deux nouveaux membres sont différents mais s’équilibrent. Tant qu’on ajoute
des nouveaux membres deux à deux au sein de la commission et que leurs points idéaux
ont E pour centre de symétrie, l’équilibre est alors conservé. E reste donc l’équilibre de la
commission sous la règle de la majorité.
Le fait que E soit le point dominant sur la figure 5.9 n’est pas une application
directe du théorème de l’électeur médian comme c’est le cas pour la figure 5.8. L’espace
multidimensionnel de la figure 5.9 ne peut pas être réduit à un ensemble à une dimension.
Mais le point E est un point médian dans un sens plus général. Considérons une droite
passant par E, comme WW sur la figure 5.10. Il y a trois points à gauche (ou au-dessus) de
cette droite et autant de points à droite (ou en dessous) de celle-ci. Un déplacement de E
vers la gauche rencontrera l’opposition de la coalition majoritaire (EBF) et un déplacement
vers la droite provoquera l’opposition de la majorité (EAG). Étant donné que cela vaut pour
n’importe quelle droite passant par E, aucun déplacement de E n’est possible ; ce qui fait
de E un équilibre. E satisfait la définition d’un point médian présenté dans la section 5.3,
par rapport aux aires situées de part et d’autre de la droite WW passant par E. Le nombre
de points idéaux sur E et à sa gauche est supérieur a n/2, c’est le cas aussi pour les points
sur E et à sa droite, n étant le nombre de membres au sein de la commission, ici 5. Vu que
cette propriété vaut pour toutes les droites WW passant par E, E est un point médian dans
tous les cas. Le théorème – la condition nécessaire et suffisante pour que E soit le point
dominant est qu’il soit médian dans tous les cas – est démontré dans la prochaine section.

Figure 5.10
Les propriétés positives de la règle majoritaire 109

5.5 DÉMONSTRATION DU THÉORÈME DE L’ÉLECTEUR


MÉDIAN DANS LE CAS MULTIDIMENSIONNEL
Ce théorème a été démontré pour la première fois par Davis, DeGroot et Hinich (1972).
Nous reprenons ici la démonstration de Enelow et Hinich (1984, ch. 3).
Pour commencer, nous généralisons les définitions de N R et N L . N R représente le
nombre de points idéaux situés à droite (ou en dessous) de toute droite passant par E ; et
N L , le nombre de points idéaux situés à gauche (ou au-dessus) de ces droites. Nous conser-
vons l’hypothèse de la forme circulaire des courbes d’indifférence.
Théorème : E est un point dominant sous la règle de la majorité si N R ≥ n/2 et N L ≥ n/2 pour toute
droite passant par E.
Démonstration :
Condition suffisante : Prenons un point Z = E (voir la figure 5.11) et regardons s’il est néanmoins
possible que E l’emporte sur Z sous la règle majoritaire. Traçons la droite ZE puis la droite WW,
perpendiculaire à ZE. Étant donnée la forme circulaire des courbes d’indifférence, E est plus proche
de tout point idéal situé à droite (ou en dessous) de WW que Z. N R électeurs préfèrent E à Z. Par hypo-
thèse, N R ≥ n/2, donc Z ne peut l’emporter face à E.

Figure 5.11

Condition nécessaire : Nous devons montrer que si Z est un point qui ne satisfait pas la condition
N R ≥ n/2 et N L ≥ n/2, pour toute droite WW passant par Z, alors il ne peut pas être un point domi-
nant. Soient Z et WW de la figure 5.12 tels que N R < n/2. Alors N L > n/2. Déplaçons maintenant
WW parallèlement à sa position initiale jusqu’à ce qu’elle atteigne un point Z  situé sur la droite
perpendiculaire à WW tel que N L satisfait la condition N L ≥ n/2 pour la droite W  W  passant pas Z.
Il est clair que l’on doit finir par atteindre un point Z  qui satisfait cette condition. Choisissons main-
tenant un point Z  entre Z et Z  sur le segment Z Z  . N L défini par rapport à la droite passant par Z 
110 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

parallèle à WW doit satisfaire N L ≥ n/2. Mais les N L électeurs dont les points idéaux sont situés à
gauche de W  W  doivent tous préférer Z  à Z. Z ne peut donc pas être un point dominant.

Figure 5.12

5.6 LES ÉQUILIBRES INDUITS PAR LA RÈGLE MAJORITAIRE


LORSQUE LES PRÉFÉRENCES NE SONT PAS
REPRÉSENTÉES DANS L’ESPACE
Jusqu’à présent, les résultats de ce chapitre, relatifs aux équilibres sous la règle majoritaire,
ont été obtenus dans le cadre d’un modèle spatial du choix. C’est sans doute une manière
naturelle de traiter des questions de choix pour des économistes car ils analysent souvent
les choix individuels en supposant les fonctions d’utilité définies sur des variables conti-
nues et illustrent leurs résultats à l’aide de la géométrie. Mais que l’on perçoive ces résul-
tats d’une manière positive (il existe bel et bien un équilibre sous la règle majoritaire) ou
négative (mais uniquement sous des hypothèses très restrictives), il est utile de se deman-
der dans quelle mesure ces résultats dépendent de la formulation de la question. Ces résul-
tats seraient-ils meilleurs on non en termes d’équilibre si l’on abandonnait les modèles
spatiaux pour traiter l’étude de la règle majoritaire ? Après tout, les individus ne font pas
appel à des modèles spatiaux pour voter. Ces questions rappellent une attaque de Stokes
(1963) à l’égard de l’approche des choix publics des phénomènes politiques, au moment où
Les propriétés positives de la règle majoritaire 111

les modèles spatiaux de la théorie des choix publics ont fait intrusion dans la littérature des
sciences politiques.
Tous les résultats majeurs concernant le comportement des consommateurs
peuvent être obtenus sans recourir à la géométrie ou à des calculs. Il suffit pour cela de
supposer que les préférences individuelles remplissent certains axiomes basiques de la
rationalité (Newman, 1965). Étant donné que les théorèmes portant sur le comportement
des consommateurs obtenus à partir de ces axiomes ressemblent beaucoup à ceux obtenus
à partir de calculs, on peut supposer qu’il en est de même pour les fonctions de décisions
collectives telles que la règle majoritaire. Nous allons voir que cette intuition se vérifie.
Le concept de point idéal d’un individu est directement transposable en termes
axiomatiques, à partir du moment où l’on suppose que les préférences individuelles satis-
font les trois axiomes de réflexivité, de complétude et de transitivité. Appelons R la rela-
tion qui équivaut soit à une préférence stricte, P, soit à une relation d’indifférence, I, les
axiomes deviennent alors :
Réflexivité : Pour tout x de l’ensemble S, xRx.
Complétude : Pour toute paire de x et y de l’ensemble S, avec x ≠ y, soit xRy, soit yRx, soit
nous avons les deux.
Transitivité : Pour tout triplet x, y, z appartenant à S, (xRy et yRz) → (xRz).

Si les préférences individuelles satisfont ces trois axiomes, elles définissent alors
un classement de l’ensemble des alternatives, S. L’individu est supposé capable de classer
en fonction de ses préférences toutes les alternatives de S. Le point idéal est alors l’alter-
native la plus haute dans son classement, c’est-à-dire celle qu’il privilégie face à toutes les
autres. Étant donné l’hypothèse que les préférences individuelles donnent lieu à un classe-
ment, une manière simple de savoir s’il existe un équilibre sous la règle majoritaire est de
se demander si cette règle permet d’établir un classement des préférences individuelles et
plus particulièrement si elle remplit l’axiome de transitivité. Si c’est le cas, il doit alors
exister une alternative qui bat toutes les autres de n’importe quel ensemble et qui constitue
un point dominant (l’équilibre).
La règle majoritaire définit un classement de l’ensemble, S, des alternatives si les
préférences individuelles, en plus de satisfaire les trois axiomes définissant un classement,
satisfont également l’axiome de restriction (extremal restriction axiom) 5.
Axiome de restriction : Si pour tout triplet classé (x, y, z), il existe un individu i dont le clas-
sement des préférences est x Pi y et y Pi z, alors tout individu j préférant z à x(z Pj x) doit
avoir les préférences z Pj y et y Pj x .
Cet axiome amène plusieurs remarques. Bien qu’il ne nécessite pas l’attribution
d’une position dans l’espace des différentes alternatives, il implique tout de même que les
individus aient une vision particulière de ces alternatives. Ils ont à établir un classement des
alternatives tel que x, y, z ou z, y, x ; ils ne peuvent pas, par exemple, pas les classer de la
manière suivante : y, x, z.

5 Voir Sen et Pattanaik (1969). Sen (1966, 1970a, chs. 10, 10*) présente d’autres variantes de cet axiome (tout
aussi restrictives) et du théorème de base.
112 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Deuxièmement, cette condition n’implique pas que tous les individus aient soit le
classement x Pi y Pi z soit le classement z Pj y Pj z. La seconde partie de cette condition ne
vaut que si certains individus préfèrent z à x. Mais cela est impossible. Chacun préférera x
à z ou bien sera indifférent entre ces deux alternatives. Dans ce cas, le théorème indique
qu’il ne peut y avoir de cycle.
Troisièmement, si l’on veut classer les alternatives de gauche à droite (x, y, z), la
condition s’apparente mais n’est pas équivalente à la propriété d’unimodalité. La condition
permet en particulier le classement des préférences x I j z Pj y en présence des préférences
x Pi y Pi z. Si y est la préférence du milieu, alors l’ordre de préférences x I j z Pj y implique un
double pic en x et en z. La condition nécessite cependant que les deux pics en x et z soient
de même importance.
Bien que l’axiome de restriction évite de définir les alternatives dans l’espace, il
représente tout de même une lourde contrainte sur les classements possibles des individus
pour que la règle majoritaire respecte l’axiome de transitivité. Si une commission a à
décider si une parcelle de terrain doit servir à construire un terrain de football (x), un court
de tennis (y) ou une piscine (z), il est alors tout à fait possible que certains individus préfè-
rent le football au tennis et le tennis à la natation. Il est aussi tout à fait possible que d’au-
tres préfèrent le tennis à la natation et la natation au football. Si ces deux types d’individus
composent la commission, l’axiome de restriction sera alors violé, ce qui peut donner lieu
à l’apparition de majorités cycliques sous la règle de la majorité. On démontre ce théorème
dans la section suivante.

5.7 DÉMONSTRATION DU THÉORÈME DE L’AXIOME


DE RESTRICTION ET DE LA RÈGLE MAJORITAIRE
Théorème : La règle majoritaire définit un ordre pour tout triplet (x, y, z) si et seulement si tout
ensemble possible de préférences individuelles satisfait l’axiome de restriction.

La démonstration provient de Sen (1970a, pp. 179-81).


Condition suffisante : Les cas les plus intéressants sont lorsqu’au moins un élec-
teur a les préférences suivantes :
1. x Pi y Pi z.
En plus des électeurs de type 1, l’axiome de restriction rend possible l’existence
d’électeurs dotés des quatre ensembles d’ordre de préférences suivants 6 :
2. z Pj y Pj x
3. y Pj z I j x
4. z I j x Pj y
5. z I j x I j y.

6 En réalité, il autorise plus que ces quatre ensembles, mais les autres sont éliminés à partir du moment où il y
a un électeur pour qui zPx.
Les propriétés positives de la règle majoritaire 113

On peut supposer que les électeurs de type 5 ne voteront pas et seront donc ignorés.
Supposons maintenant que le théorème ne soit pas valable ; ce qui revient à faire l’hypo-
thèse qu’il existe un cycle en avant.

x Ry, y Rz et z Rx ,

le R sans indice désignant l’ordre social sous la règle majoritaire. Appelons N (zPi x) le
nombre d’individus préférant z à x :

(z Rx)([N (z Pi x) ≥ N (x Pi z)]. (5.1)

Par hypothèse, au moins un individu a le classement de préférences suivant : x Pi y Pi z.


Ainsi :
N (x Pi z) ≥ 1 (5.2)

Et à partir de (5.1), il vient :


N (z Pi x) ≥ 1. 7 (5.3)

Appelons N1 le nombre d’individus ayant des préférences données par (1) ci-dessus, N2 le
nombre d’individus ayant des préférences données par (2), etc.

(x Ry) → (N1 + N4 ≥ N2 + N3 ) → [N4 ≥ (N2 − N1 ) + N3 ] (5.4)


(y Rz) → (N1 + N3 ≥ N2 + N4 ) → [N3 ≥ (N2 − N1 ) + N4 ] (5.5)
(z Rx) → (N2 ≥ N1 ). (5.6)

Pour que (5.4) et (5.5) soient valables :


N2 = N1 (5.7)
Et donc :
N3 = N4 . (5.8)

Ce qui nous donne :


(N2 + N3 ≥ N1 + N4 ) → (y Rx) (5.9)
(N2 + N4 ≥ N1 + N3 ) → (z Ry) (5.10)
(N1 ≥ N2 ) → (x Rz). (5.11)

Cependant (5.9) via (5.11) implique un cycle à rebours. Ainsi, si l’axiome de restriction est
respecté, un cycle en avant peut exister uniquement dans le cas particulier où un cycle en
arrière existe. Un cycle s’ensuit car la société est indifférente vis-à-vis des trois alternati-
ves. Le nombre d’électeurs préférant x à y est égal au nombre de ceux préférant y à x. Le
nombre d’électeurs préférant y à z est égal au nombre de ceux préférant z à y. Le nombre
d’électeurs préférant x à z est égal au nombre de ceux préférant z à x.

7 Les conditions (5.2) et (5.3) garantissent que, parmi les cinq types d’ensemble donnés ci-dessus, il y a unique-
ment les ordres de préférences des membres de la commission qui respectent l’axiome de restriction.
114 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Si l’on suppose que le théorème est violé par un cycle à rebours, le même argu-
ment permet de démontrer que la restriction extrême entraîne également un cycle en avant.
Condition nécessaire : Il faut montrer que le non-respect de l’axiome de restriction
peut mener à des préférences sociales non transitives sous la règle de la majorité.
Supposons qu’un individu i ait les préférences suivantes :

x Pi y Pi z. (5.12)

La restriction extrême sera violée si un individu a le classement des préférences suivant :


z Pj x et z Pj y et x R j y (5.13)
ou bien :
z Pj x et y Pj x et y R j z. (5.14)
Supposons que (5.12) et (5.13) soient valables. Alors, sous la règle de la majorité, on
obtient :
x PyI zI x,
ce qui est en contradiction avec l’axiome de transitivité.
Supposons ensuite que (5.12) et (5.14) soient valables. La règle majoritaire donne
alors :
x I y Pz I x ,
ce qui contredit à nouveau l’axiome de transitivité. Lorsque l’axiome de restriction n’est
pas respecté, la règle majoritaire ne permet plus de produire un classement complet de
toutes les alternatives.

5.8 LES RESTRICTIONS SUR LES PRÉFÉRENCES,


SUR LA NATURE ET LE NOMBRE DES ALTERNATIVES
ET SUR LES CHOIX DE LA RÈGLE DE VOTE, POUVANT
CONDUIRE À UN ÉQUILIBRE
5.8.1 L’homogénéité des préférences
Pour le lecteur peu familier avec la littérature de la théorie des choix publics, les résultats
en termes d’équilibre sous la règle de la majorité doivent être aussi surprenants que décon-
certants. Ils sont surprenants, car personne ne peut croire que la règle de vote la plus utili-
sée pour les décisions collectives produise autant d’incohérence dès que la condition de
transitivité est violée. Il est aussi difficile de croire que les préférence nécessaires à l’émer-
gence d’un équilibre sous la règle de la majorité soient aussi improbables que ne le prédit
la littérature du choix social.
Malgré cette incrédulité, la théorie reste très pessimiste ; ce que Kramer (1993) a
parfaitement illustré en généralisant la condition d’unimodalité à des espaces multidimen-
Les propriétés positives de la règle majoritaire 115

sionnels. Le théorème de Kramer est particulièrement représentatif du travail des écono-


mistes parce qu’il étudie le choix des électeurs dans un cadre familier où il existe une
contrainte budgétaire et des courbes d’indifférence convexes.

Figure 5.13
Les cycles possibles avec des courbes d’indifférence standards.

Sur la figure 5.13, x1 et x2 représentent les quantités de deux biens collectifs. BB


est la droite représentant la contrainte budgétaire pour la commission décidant de la four-
niture des biens collectifs. Tous les points de cette droite sont des alternatives possibles. U1A
et U2A sont deux courbes d’indifférence de l’individu A. Les préférences de A concernant le
triplet (x, y, z) sont x PA y PA z. Attribuons à C la courbe d’indifférences U C , représentée en
pointillés sur le graphique. Les préférences de C concernant le triplet (x, y, z) sont
y PC z PC x . L’axiome de restriction défini dans la section 5.6 n’est pas respecté. Avec des
individus tels que A et C dans la commission, la règle majoritaire produira des cycles sur
des triplets tels que (x, y, z), sélectionnés à partir de l’ensemble des alternatives possibles.
Or tout ce qu’il y a d’inhabituel avec les courbes d’indifférence de A et C est qu’elles se
recoupent. Quand peut-on être sûr que l’on évite tout ordre de préférences qui viole
l’axiome de restriction sur les ensembles possibles ? La seule condition évidente à laquelle
les préférences doivent obéir pour garantir l’unimodalité (et par voie de conséquence un
équilibre avec la règle de la majorité) est que tous les individus aient des courbes de préfé-
rences identiques ou, comme l’a expliqué Kramer (1973, p. 295), que les ordres de préfé-
rences des individus témoignent d’une complète unanimité.
Nous retombons alors sur la règle d’unanimité. Si ce que nous recherchons ici est
une règle de vote capable de révéler les préférences des individus à l’égard des biens collec-
tifs, les options possibles semblent être les suivantes. On pourrait par exemple recourir à
116 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

une règle d’unanimité impliquant un nombre infini de reformulations de la proposition


jusqu’à ce que l’une d’elles satisfasse tous les citoyens. Toutes les nouvelles reformulations
peuvent, tour à tour, être rejetées jusqu’à ce qu’un point de la frontière de Pareto soit atteint.
Une fois qu’un tel point est atteint, aucune autre proposition ne pourra l’emporter face à ce
point dans un vote à l’unanimité et le processus prendra fin. Il est possible de réduire le
nombre de reformulations nécessaires pour atteindre la majorité en diminuant la taille de la
majorité requise pour adopter une proposition. Alors que cela permet d’accélérer le proces-
sus d’obtention de la « première » majorité décisive, il ralentit, sans doute indéfiniment, le
processus d’obtention de la « dernière » majorité décisive, c’est-à-dire celle qui bat toutes
les autres. En effet, toute règle de vote qui ne requiert pas une approbation unanime,
dégrade inévitablement le bien-être de certains. Cette situation revient à une redistribution
des opposants vers les partisans de la proposition adoptée. Comme c’est le cas pour toute
mesure impliquant une redistribution, il est généralement possible d’obtenir une nouvelle
proposition qui permette un transfert des gains à un plus petit nombre d’individus et de
susciter ainsi une nouvelle coalition gagnante. La condition d’ « équilibre parfait » de Plott
garantit que la règle de la majorité conduit à un équilibre en raison de l’introduction de
l’hypothèse d’une symétrie rigoureuse des préférences, qui garantit que toute nouvelle
formulation implique des redistributions symétriques et dont les gains se compensent. On
peut observer le même effet de compensation lorsque l’on s’intéresse aux conditions de
réalisation de la solution médiane. L’axiome de restriction a, dans ce cas, tendance à limiter
les conflits entre individus aux intérêts complètement opposés (par exemple, x Pi y Pi z
contre z P j y P j x ). La condition d’« identité des fonctions d’utilité » de Kramer élimine tout
conflit et du même coup tout problème de redistribution.
Les aspects redistributifs de règles moins contraignantes que l’unanimité expli-
quent les similitudes entre les preuves et conditions menant à un équilibre sous la règle de
la majorité et celles à l’origine d’une fonction de bien-être social (ou du théorème d’im-
possibilité). Dans les deux cas, elles sont minées par leur incapacité à trancher entre les
différents points qui représentent des optimums au sens de Pareto, autrement dit leur inca-
pacité à trancher la question de la redistribution (voir Sen, 1970a, chapitres 5, 5).
Ces théorèmes établissent tous la possibilité d’apparition d’un cycle lorsqu’un
certain nombre de conditions restrictives ne sont pas réunies. Ils n’établissent à aucun
moment l’apparition systématique de cycles. Comme Kramer (1973) l’a fait remarquer,
l’existence d’une majorité avec des préférences identiques est suffisante pour assurer
l’existence d’équilibre sous la règle de la majorité sans tenir compte des préférences de tous
les électeurs (voir aussi Buchanan, 1954a). Plus généralement, nous pouvons espérer avoir
suffisamment d’informations pour savoir si un ensemble de préférences conduira plus ou
moins souvent, en pratique, à l’apparition de cycle.
De nombreux travaux ont étudié la probabilité d’apparition de ces cycles en utili-
sant des techniques de simulation. Quand aucune restriction particulière n’est introduite
quant à l’ordre des préférences des individus, la probabilité d’émergence d’un cycle est très
forte et s’approche de 1 à mesure que le nombre d’alternatives possibles augmente 8. Nous

8 Garman et Kamien (1968) ; Niemi et Weisberg (1968) ; DeMeyer et Plott (1970) ; Gehrlein et Fishburn
(1976b). Cette littérature a aussi été synthétisée par Niemi (1968), Riker et Ordeshook (1973, pp. 94-97) et
Plott (1976).
Les propriétés positives de la règle majoritaire 117

pouvons également affirmer qu’un cycle n’apparaît pas si une majorité d’électeurs a des
préférences identiques. On peut, à partir de cela, s’attendre à ce que l’introduction de diver-
ses hypothèses d’homogénéité concernant les préférences des électeurs diminue la proba-
bilité d’apparition de cycles. Ce qui est d’ailleurs vérifié. Niemi (1969), Tullock et
Campbell (1970) ont montré que la probabilité de formation d’une majorité cyclique dimi-
nuait avec l’accroissement du nombre d’individus ayant des préférences unimodales.
Williamson et Sargent (1967) et Gehrlein et Fishburn (1976a) ont montré quant à eux que
cette probabilité diminuait avec la proportion de la population qui a les mêmes préféren-
ces 9. De même, Kuga et Nagatani (1974) ont trouvé qu’elle augmentait avec le nombre de
paires d’électeurs dont les intérêts s’opposent. Ces résultats suggèrent que la probabilité
d’apparition d’un cycle sous la règle majoritaire serait faible si le processus de décision
collective se limitait à des déplacements de points qui convergeraient vers la courbe de
contrats (ce qui représente des cas où les décisions peuvent être prises sous la règle de la
majorité), c’est-à-dire lorsque les intérêts des électeurs ont tendance à coïncider.

5.8.2 Préférences homogènes et règles à la majorité qualifiée


Les résultats que nous avons passés en revue dans la section 5.8.1 nous indiquent que la
probabilité d’apparition de cycles sous la règle de la majorité simple diminue lorsque les
préférences des électeurs tendent à s’homogénéiser. Cette probabilité diminue également à
mesure qu’augmente la majorité nécessaire pour l’emporter sur le statu quo.

Figure 5.14
Équilibres avec des règles de majorité qualifiée différentes.

9 Voir aussi Abrams (1976) et Fishburn et Gehrlein (1980).


118 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

La figure 5.14a nous permet de mieux comprendre cela. Comme précédemment, une
communauté doit décider des quantités à fournir pour deux biens collectifs, x1 et x2 . Les
points idéaux des citoyens sont uniformément distribués sur une surface formant un triangle
équilatéral. Chaque point du triangle représente le point idéal d’un électeur. Les droites
coupant le triangle divisent celui-ci en neuf triangles plus petits de surface équivalente.
Aucun point du grand triangle ne respecte la condition d’équilibre parfait de Plott. Il n’y a
donc pas d’équilibre sous la règle majoritaire. Par exemple, le point g, qui est le centre de
gravité du grand triangle serait battu par un point légèrement en dessous tel que le point g  .
Il y a cinq petits triangles en dessous de la droite horizontale AB passant par g, et uniquement
quatre au dessus. Cinq neuvièmes des citoyens préféreront donc des points en dessous de g
plutôt que g et donc certains points tels que g  pourront l’emporter à la majorité contre g.
En revanche, tout point du grand triangle constitue un équilibre sous la règle de
l’unanimité. Le grand triangle représente l’ensemble de Pareto. Dès lors qu’une proposition
de l’ensemble de Pareto a été acceptée et devient le nouveau statu quo, toute tentative de
s’éloigner de ce point sera rejetée par veto. On s’attend de manière assez intuitive à ce que
l’ensemble des points constituant des équilibres potentiels diminue en même temps que la
majorité nécessaire pour défaire le nouveau statu quo, jusqu’à devenir l’ensemble vide. Ce
qui se vérifie. Avec une règle de la majorité à, par exemple, 89 %, tous les points, tels que
n’, situés légèrement en dessous de n pourront l’emporter face à ce dernier. En effet, 89 %
des points idéaux se trouvent en dessous de la droite CD et donc plus de 89 % de la commu-
nauté préfèrent n  à n. Aucun des points situés dans les trois triangles gris de la figure 5.14b
ne peut être un équilibre sous la règle de la majorité à 89 %, car chacun de ces points peut
être vaincu par un point appartenant au triangle blanc. Aucun des points appartenant aux six
triangles blancs ne peut être défait par un autre point sous la règle de la majorité à 89 %.
Dans ce cas, la plus petite majorité menant à un équilibre doit réunir cinq neuviè-
mes des électeurs. Toute droite passant par g divise le grand triangle (a) en cinq petits trian-
gles d’un côté et quatre de l’autre. Si plus de cinq neuvièmes de la population doivent voter
pour une proposition pour l’emporter face à g, alors les citoyens dont les point idéaux sont
situés dans les quatre triangles peuvent bloquer toute proposition formulée par les autres
citoyens afin de remplacer g par un point situé dans l’espace des cinq triangles. Toute autre
droite passant par g, comme par exemple la droite verticale par rapport au plan, divise le
grand triangle en deux parties, chacune d’elles contenant moins de cinq neuvièmes de la
population. Aucun point ne peut l’emporter sur g sous la règle de la majorité aux cinq
neuvièmes. C’est dans ce cas le seul équilibre stable.
Cet exemple soulève la question de savoir s’il est possible de déterminer dans
différentes situations la majorité qualifiée minimum garantissant l’existence d’un équilibre.
Black (1948b) a été le premier à étudier cette question. Sous l’hypothèse que tous les indi-
vidus ont des préférences convexes définies sur un espace à n dimensions, Greenberg
(1979) a montré que m ∗ , qui désigne la majorité requise garantissant l’existence d’au moins
un équilibre dan cet espace, devait remplir la condition suivante :

m ∗ ≥ n/(n + 1) (5.15)

Lorsque n = 1 et m ∗ = 0,5, l’équation (5.15) n’est qu’une reformulation du théorème de


l’électeur médian. Avec des préférences convexes définies dans un espace unidimension-
Les propriétés positives de la règle majoritaire 119

nel, il suffit qu’une proposition réunisse la majorité à 50 % plus une voix pour que l’exis-
tence d’un équilibre soit assurée. L’équation (5.15) implique cependant que plus le nombre
de dimension des questions soumises au vote est élevé, plus m ∗ augmentera en se rappro-
chant de l’unanimité.
Dans la continuité de ces travaux, la contribution importante de Caplin et Nalebuff
(1988) a montré qu’il était possible de diminuer considérablement m ∗ en imposant des
restrictions à la fois sur les préférences des membres de la communauté et sur la distribu-
tion de leurs points idéaux. Dans un espace à deux dimensions, l’utilité de chaque individu
est donnée par la figure 5.5, c’est-à-dire que chacun a une combinaison préférée de x1 et x2
et voit son utilité diminuer lorsque la combinaison choisie s’éloigne de ce point idéal. Si
l’utilité était représentée le long d’un troisième axe perpendiculaire à la page, elle prendrait
la forme d’un cône ou d’une montagne dont le sommet correspondrait au point idéal A.
Imaginons maintenant « la montagne d’utilité » de chacun des membres de la commission
sur la figure 5.5 et que l’agrégation de toutes ces montagnes constitue elle-même une
montagne à pic unique, ce pic étant situé à l’intérieur du plan x1 x2 . Compte tenu de ces
hypothèses sur les préférences individuelles et la distribution des points idéaux, Caplib et
Nalebuff montrent que m ∗ doit remplir la condition suivante :

m ∗ ≥ 1 − (n/(n + 1))n (5.16)

Toujours, quand n = 1 et m ∗ = 0,5. Quand n = 2 et m ∗ = 5/9, comme dans l’exemple ci-


dessus, m ∗ continue à augmenter avec n, pour atteindre un maximum inférieur à 64 %, car
la limite de (n/(n + 1))n lorsque n tend vers l’infini est 1/e, et 1/e < 0,368. Une majorité
à 64 % suffit pour garantir l’existence d’au moins un point dans un espace à n dimensions
qui ne pourra être vaincu par aucun autre, même quand n est infiniment grand. Des préfé-
rences comme celles requises pour établir l’équation (5.16) paraissent raisonnables dans la
mesure où le vote porte sur des quantités de biens collectifs à fournir et les parts d’impôts
pour le financement des biens collectifs sont prédéterminées 10. L’hypothèse de concavité
de la fonction de densité des points idéaux des électeurs est bien plus forte et impose un
certain degré de consensus social au sein de la communauté (la communauté n’est pas
divisée en groupes d’électeurs différents, chacun favorisant des combinaisons de biens
collectifs radicalement différentes). L’hypothèse de la généralisation de la propriété d’uni-
modalité accompagné d’un certain degré de consensus social suffit à éliminer la possibilité
d’apparition de cycles, dans la mesure où la communauté est prête à abandonner la règle de
la majorité simple pour une majorité qualifiée à 64 %. 11
Le résultat de Caplin et Nalebuff nécessite que nous reconsidérions la question de
la majorité optimale pour une règle de vote, traitée dans le chapitre 4. Dans les figures 4.4
et 4.5, nous montrions comment les coûts de prise de décision augmentent en continu
quand la majorité requise pour adopter une décision augmente de 0,5 point. Une telle hypo-
10 Il n’est pas nécessaire que les préférences individuelles prennent la forme de courbes d’indifférence en cercle
comme dans la figure 5.5. Il suffit qu’elle soit à pic unique dans un espace à n dimensions. Le lecteur pourra
se référer à Caplin et Nalebuff (1988, pp. 790-2) pour une présentation détaillée des hypothèses que nécessi-
tent la démonstration.
11 Caplin et Nalebuff (1991), qui démontrent le théorème de « l’électeur moyen » dans un espace à n dimensions,
desserrent l’hypothèse de concavité de la distribution des points idéaux des électeurs en prenant la log-conca-
vité.
120 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Coûts espérés

Figure 5.15
La majorité optimale avec cycle.

thèse semble raisonnable, si nous concevons ce processus comme la recherche d’une


nouvelle taxe ou de la combinaison des quantités de biens collectifs nous permettant
d’ajouter une personne à une coalition toujours plus grande qui préfère chaque nouvelle
proposition. Si nous pensons cependant que la tâche de la communauté est de choisir une
combinaison de plusieurs quantités de biens collectifs, une hypothèse plus raisonnable
serait que chaque nouvelle proposition évince certains membres de la précédente coalition
gagnante et en intègre de nouveaux. Nous avons vu comment de tels changements dans la
composition d’une coalition pouvaient générer des cycles. Le théorème de Caplin et Nale-
buff suggère que, dans ce type d’environnement, les coûts de prise de décision peuvent en
fait diminuer lorsque la majorité requise pour adopter une proposition augmentait de 0,5
point jusqu’à ce que l’apparition de cycles ne soit plus possible. La courbe D aurait désor-
mais une forme en U et il n’est pas plus pertinent de dire qu’elle est discontinue pour une
valeur de m = 0,5, étant donné que la courbe D admet un minimum à droite de cette valeur.
Le bas du U autour d’une majorité à 0,64, les coûts C et D combinés, atteindrait un
minimum légèrement à droite du bas de la courbe en U, en D. Une majorité qualifiée aux
deux tiers minimiserait la somme des coûts de prise de décision et les coûts externes des
décisions collectives (voir la figure 5.15) 12.
12 Coggins et Perali (1998) suggèrent que, déjà au treizième siècle, les Vénitiens avaient compris l’intérêt d’uti-
liser une règle de la majorité à 64 %, comme le montrent les règles qu’ils utilisaient pour le choix du Doge.
Les propriétés positives de la règle majoritaire 121

5.8.3 La relation entre le nombre de questions soumises


au vote et d’alternatives et la majorité requise
pour adopter une proposition
Dans un monde spatial où le choix porte sur différentes combinaisons de quantités de biens
collectifs, l’ensemble des alternatives possibles est infini. Une manière d’éliminer toute
possibilité d’apparition de cycle autre que l’augmentation de la majorité requise pour
choisir une alternative consiste à limiter le nombre d’alternatives dans l’ensemble des ques-
tions. Le théorème de James Weber (1993) illustre parfaitement ce résultat.

Théorème : Soit N le nombre d’électeurs avec N ≥ 2, A le nombre d’alternatives avec


A ≥ 2 et M le nombre de voix requises pour qu’une alternative soit adoptée, (N/2) < M ≤
N − 1. Il existe alors au moins un ensemble de classements des préférences individuelles
qui conduit à l’apparition d’un cycle, si et seulement si l’équation (5.17) est respectée :

[N ≥ (A/(A − 1))M] ↔ [M ≤ (A − 1)/A)N ] ↔ [A ≥ (N/(N − M))]. (5.17)

On voit bien à partir de l’inégalité la plus à gauche de (5.17) que plus N est grand pour un
A et un M donnés, plus il y a de chances pour que la condition d’apparition d’un cycle soit
satisfaite. L’inégalité la plus à droite de (5.17) révèle que plus le nombre d’alternatives est
élevé en maintenant N et M constants, plus il y a de chances pour que la condition d’appa-
rition d’un cycle soit remplie. L’inégalité du milieu fait référence au théorème de Caplin et
Nalebuff. Quel que soit le nombre d’alternatives A et de membres de la commission N, il
existe une majorité qualifiée, qui permet d’adopter une proposition, suffisamment haute
pour éliminer toute possibilité d’apparition de cycle. En présence d’un N très élevé et de
trois alternatives, cette majorité est de deux tiers ; avec six alternatives, elle est de cinq tiers,
etc. Compte tenu de cela, le résultat de Caplin et Nalebuff vaut pour un nombre infini d’al-
ternatives et pour des électorats très importants. Nous constatons que le coût à ne pas poser
de restrictions sur les formes des préférences des membres de la commission et sur leur
distribution, comme dans le théorème de Weber, est qu’il faut des majorités très importan-
tes pour éliminer le risque de cycle, même en présence d’un nombre restreint d’alternatives.

5.9 LE MARCHANDAGE POLITIQUE


Face à un choix entre X et ~X sous la règle de la majorité, la stratégie (dominante) qui
semble la meilleure est de déclarer ses préférences réelles vis-à-vis de X et ~X. La règle de
la majorité tient uniquement compte des préférences ordinales de chaque individu pour
cette paire d’alternatives. La condition d’optimalité parétienne de la provision de biens
collectifs nécessite de détenir des informations sur l’intensité relative des préférences indi-
viduelles. Cependant, les taux marginaux de substitution du public pour les biens privés
doivent être additionnés aux ratios de leurs prix. Comme cette information n’est pas direc-
tement intégrée sous la règle de la majorité, il n’est pas si étonnant que les résultats du vote
à la majorité ne remplissent pas la condition d’optimalité parétienne.
122 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

L’allocation Pareto-optimale des biens privés nécessite également des informa-


tions sur l’intensité des préférences individuelles. Ces informations sont révélées lors du
processus de choix des biens privés étant donné que les individus s’engagent égoïstement
dans l’échange de biens et de services afin de maximiser leur utilité personnelle. Mais en
votant sur des questions publiques, chaque individu est contraint de déposer un seul bulle-
tin pour ou contre une proposition donnée, sauf, bien sûr, si les individus ont le droit
d’échanger leur voix, autrement dit procéder à un marchandage politique (logrolling).
L’achat et la vente de voix par les citoyens est interdit dans tous les pays démo-
cratiques. Le simple fait qu’il existe des lois interdisant ces pratiques et qu’elles soient
occasionnellement enfreintes prouve bien que les individus n’accordent pas tous la même
valeur à leur voix. L’intensité des préférences individuelles peut varier. Bien que l’échange
de voix soient également interdits dans les organes législatifs, des procédures plus infor-
melles du type « tu votes pour mon alternative préférée et je voterai plus tard pour la
tienne » sont difficiles à prohiber. Des échanges de la sorte se produisent aux États-Unis,
depuis aussi longtemps que le Congrès existe. Le fait que ces échanges existent bel et bien,
malgré la stigmatisation morale de leur utilisation, a deux implications. La première est
qu’il faut que l’intensité des préférences sur des questions soumises au vote diffère entre
les membres du Congrès. La seconde est qu’elle renforce l’hypothèse selon laquelle le
comportement des élus s’explique par la poursuite de leur intérêt personnel. Notre penchant
naturel à troquer, échanger, commercer semble s’appliquer également au comportement des
élus à l’assemblée.
Pour comprendre cette procédure, considérons le tableau 5.2. Chaque colonne
nous donne les variations d’utilité de trois électeurs qu’entraîne l’adoption d’une proposi-
tion. Si, en revanche, elle n’est pas adoptée, leur utilité ne change pas. Si chaque proposi-
tion était adoptée séparément avec la règle majoritaire, aucune ne passerait. Mais les
électeurs B et C ont beaucoup à gagner à l’adoption de X et Y. Ils peuvent aboutir à ce résul-
tat si B vote pour Y en échange du vote de C pour X. Les deux propositions sont alors adop-
tées, dans l’intérêt mutuel de B et C.

Tableau 5.2
Exemple d’échanges de voix.

Alternatives
Électeurs X Y
A –2 –2
B 5 –2
C –2 5

Pour que des échanges mutuellement avantageux existent, il faut que la distribu-
tion des intensités des préférences ne soit pas uniforme. Si B et C ne retirent plus une utilité
de 5 mais de 2, respectivement des alternatives X et Y, ces deux individus n’auront alors
plus aucun intérêt à échanger leurs voix. On invoque souvent cette condition d’égalité des
intensités dans les argumentations favorables à la règle de la majorité simple (sans
Les propriétés positives de la règle majoritaire 123

marchandage politique). Nous y reviendrons au moment d’aborder les propriétés normati-


ves de la règle de la majorité, au chapitre 6.
On peut considérer que l’échange de voix entre B et C a amélioré le bien-être de
la communauté constituée par les trois électeurs, à condition de considérer les chiffres du
tableau 5.2 comme des utilités cardinales, comparables d’une personne à l’autre. Sans
échange de voix, la majorité exerce sur chaque question une tyrannie sur la minorité dont
l’intensité des préférences est relativement plus forte. À travers les échanges de voix, ces
minorités expriment l’intensité de leurs préférences, tout comme lors d’un échange portant
sur des biens privés, ce qui a pour effet de modifier et d’améliorer le bien-être global de la
communauté. Avec possibilité d’échange de voix, le gain net de la communauté est de 2
alors que sans échange, la communauté supporte une perte nette de 2.

Tableau 5.3
Les possibilités d’échanges.

Utilités
Électeurs impliqués
Paire gagnante Paire perdante dans l’échange A B C

X, Y ~X, ~Y B et C –4 3 3
X, ~Y X, Y A et B –2 5 –2
~X, ~Y X, ~ Y A et C 0 0 0

Une condition évidente pour que le bien-être de la communauté augmente grâce à


la modification des résultats entraînés par un échange de voix est que le total des change-
ments potentiels d’utilité des membres de la minorité (perdante) soit supérieur au total des
changements potentiels d’utilité des membres de la majorité gagnante sur les questions
soumises au vote. Remplaçons les 5 du tableau 5.3 par 3 ou les –2 de A par des –4, les
mêmes échanges de voix qu’auparavant se produiront. En effet, la configuration des échan-
ges de voix dépend uniquement de l’intensité relative des préférences des électeurs.
L’échange de voix aboutit cependant à une somme négative des utilités de la communauté.
La possibilité de marchandage politique augmente la probabilité de victoire des participants
sur les questions qui sont pour eux relativement les plus importantes. Elle tend donc à
augmenter les gains qu’ils réalisent.
Ces augmentations individuelles peuvent accroître le gain d’utilité de l’ensemble
de la communauté. L’échange de voix implique également des effets externes défavorables
(des pertes d’utilité) pour ceux qui n’échangent pas leurs voix et dont le bien-être aurait été
meilleur en l’absence d’échange de voix 13. Si ces effets négatifs sont importants, il se peut
qu’ils excèdent les gains de ceux qui procèdent à des échanges de voix, diminuant ainsi le
bien-être net de la communauté. Les critiques à l’égard du marchandage politique considè-
rent généralement ce type de situation. Elles supposent que le total des gains potentiels de
la majorité dépasse ceux de la minorité. Lorsque cette hypothèse est vérifiée, un échange

13 Voir Taylor (1971, p. 344) et Riker et Brams (1973).


124 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

de voix qui inverserait certains résultats de la règle de la majorité simple réduit le bien-être
collectif.
C’est ce type d’argument qu’utilise Tullock (1959) pour montrer que la règle de la
majorité avec échange de voix peut conduire à un excès de dépenses publiques. Soient A,
B et C trois agriculteurs, X une route utilisée uniquement par l’agriculteur B, Y une route
utilisée uniquement par l’agriculteur C. Si les gains bruts que retire chaque agriculteur
d’une route sont de 7 et les coûts sont égaux à 6 et sont partagés équitablement, nous obte-
nons les chiffres du tableau 5.3. Avec cette configuration des gains et des coûts, le marchan-
dage améliorera le bien-être total. Mais une proposition assurant un gain brut de 5 pour un
coût de 6, équitablement réparti, serait également adoptée. Cette proposition réduit le bien-
être de la communauté en conduisant à une construction excessive de nouvelles routes, dont
les avantages totaux sont inférieurs aux coûts totaux. Le problème se pose à nouveau dans
cette situation car la règle de la majorité peut impliquer simultanément des questions d’af-
fectation des ressources et de répartition. Les deux propositions impliquent à la fois une
construction de routes, dont les avantages bruts sont de 5 et les coûts de 6, et une redistri-
bution des richesses de A vers B et C ; ce dernier pouvant suffire à faire adopter les propo-
sitions.
Une différence majeure sépare les opposants des partisans du marchandage poli-
tique. Elle est liée à leur conception même du vote. Les partisans le considèrent comme un
jeu à somme positive tandis que ses opposants le voient comme un jeu à somme négative
(ou éventuellement nulle). Pour ces derniers, le jeu est intrinsèquement mauvais et donc
toute proposition visant à améliorer son efficacité ne peut que dégrader le résultat final. Les
exemples numériques qu’utilisent Riker et Brams (1973) pour appuyer leur critique du
marchandage politique sont tous de ce type : droits de douane, travaux publics entrepris à
des fins électoralistes… Ce sont tous des exemples de propositions qui profitent à une
minorité en raison de leurs effets redistributifs, susceptibles d’engendrer des pertes impor-
tantes pour la majorité 14. Les exemples de marchandage les plus nuisibles portent toujours
sur des questions de ce type, où l’on ajoute à l’ordre du jour, à des fins redistributives, des
biens privés ou des biens publics locaux, que l’on cherche à faire financer par des budgets
publics et dont la quantité dépasse ainsi le niveau optimal (Schwartz, 1975). Dans ces
conditions, la meilleure solution pour la communauté est évidemment le rejet de toutes ces
propositions. Dans cette logique, Riker et Brams (1973) recommandent la mise en place de
réformes destinées à supprimer toute possibilité de marchandage.
La fourniture d’un bien privé ou d’un bien public local sera d’un grand intérêt pour
un groupe restreint d’individus et d’un intérêt limité pour la majorité. Il est probable que
les conditions nécessaires à un marchandage seront obtenues par l’intégration de ces biens
à l’ordre du jour de la communauté. En revanche, l’intensité des préférences des différents
individus peut varier considérablement en ce qui concerne les véritables biens collectifs
purs comme la défense, l’éducation ou l’environnement. Sur ces questions, un échange de
voix peut être un moyen privilégié de révélation de l’intensité des préférences individuel-
les concernant les biens collectifs.
James Coleman (1966b) a proposé l’une des présentations les plus constructives
des perspectives offertes par le marchandage politique. Il décrit une situation dans laquelle
14 Voir aussi Schattschneider (1935), McConnell (1966) et Lowi (1969).
Les propriétés positives de la règle majoritaire 125

les membres d’une commission ou d’une assemblée parlementaire passent des accords de
marchandage politique sur toutes sortes de questions relatives à des biens collectifs.
Chaque électeur passe des accords pour échanger des voix avec d’autres électeurs, selon le
processus qui vient d’être décrit. Chaque électeur augmente ainsi sa possibilité d’agir sur
les événements (les propositions soumises au vote) auxquels il attache le plus d’importance
en échange d’une perte de contrôle sur ceux auxquels il attache peu d’importance. Cela
mène à une sorte d’optimum de Pareto ex ante où aucun électeur ne peut augmenter son
utilité espérée en se livrant à de nouveaux échanges de voix. Cet équilibre représente l’op-
timum de la fonction de bien-être social de Coleman.
Il se peut malheureusement que le marchandage politique ne conduise ni à une
meilleure révélation de l’intensité des préférences individuelles ni à une meilleure affectation
des biens collectifs, car le processus de marchandage peut échouer à produire des coalitions
stables, d’une part, et les individus peuvent adopter des stratégies de dissimulations réelles
de leurs préférences, d’autre part. Lorsque les échanges de voix passent uniquement par des
accords informels et s’effectuent de manière séquentielle, les électeurs sont incités à la fois
à mentir sur leurs préférences réelles au moment de passer l’accord et à violer l’accord, une
fois celui-ci conclu. Un électeur souhaitant la réalisation de X pourrait prétendre être
désavantagé par cette proposition afin de faire passer une autre proposition qui lui serait
favorable en échange de son vote pour X. Si cela réussit, il est doublement gagnant, sur X et
sur l’autre proposition qu’il affectionne. Mais rien n’empêche son partenaire de bluffer égale-
ment. Le résultat final du marchandage politique devient alors indéterminé (Mueller, 1967).
Même quand le bluff n’est pas un problème, la tricherie peut en être un. Quand les
différentes questions sont soumises au vote les unes après les autres, le partenaire de
l’échange, dont la proposition passe en premier, est évidemment très fortement incité à ne
pas respecter son engagement au moment de voter pour la seconde proposition impliquée
dans le marchandage. Cette incitation existe bien puisque les mêmes classements de préfé-
rences qui donnent lieu à des situations de marchandage politique présentent un risque
d’apparition de cycle électoral. Considérons à nouveau l’exemple du tableau 5.3. En plus
des propositions X et Y avec les résultats du tableau 5.3, nous avons les propositions ~X et
~Y qui seront « gagnantes » si X et Y échouent. Ces deux nouvelles propositions produisent
les résultats (0, 0, 0) pour les trois électeurs. Le processus de vote permet alors quatre
combinaisons de propositions : (X, Y), (~X, Y), (X, ~Y) et (~X, ~Y). La commission a à
choisir entre ces quatre combinaisons. Si le vote se fait sur des paires de propositions, il
existe alors un cycle dans lequel les paires (X, Y), (X, ~Y) et (~X, ~Y) sont choisies tour à
tour. En terme de processus de marchandage, l’existence de ce cycle implique qu’aucun
accord stable n’est possible. Nous avons vu que B et C ont tous deux davantage intérêt à
un accord pour obtenir (X, Y) qu’à une situation sans accord, (~X, ~Y) (voir le tableau 5.3).
Mais A peut améliorer son sort en proposant à B de voter pour X si celui-ci ne vote pas pour
Y. La paire (X, Y) peut alors être battue par (X, ~Y). Mais C peut ensuite proposer à A qu’au-
cun des deux ne subisse de perte d’utilité s’ils s’accordent à voter en respectant leurs préfé-
rences réelles et à réhabiliter la paire (~X, ~Y). Le cycle de marchandage peut alors
s’enclencher. La seule condition sous laquelle une situation de marchandage potentiel ne
pourra jamais permettre l’apparition de majorité cyclique est l’application de la règle de
l’unanimité (Bernholz, 1973). La prise en compte des différences d’intensité des préféren-
126 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

ces individuelles comme dans un processus de marchandage politique n’élimine par le


problème d’apparition de cycles. Au contraire, l’existence de l’un implique l’existence de
l’autre, ce que nous allons maintenant démontrer.

5.10 MARCHANDAGE POLITIQUE ET CYCLE


Nous pouvons illustrer le théorème de Bernholz (1973) avec l’exemple simple de la section
précédente. L’hypothèse clé est que chaque électeur i a un ordre de préférences bien défini
qui respecte les conditions d’indépendance des alternatives.

Alternatives indépendantes : Si X Pi ∼ X , alors (XY )Pi (∼ XY ).

Tous les électeurs votent systématiquement en fonction de leurs préférences


réelles.

Définition : Il y a marchandage politique si :

∼ X RX (5.18)
∼ Y RY (5.19)
XY P ∼ X ∼ Y (5.20)
où R et P sont les classements des préférences sociales définies selon la règle de vote utilisée. Dans
un vote « par paire », ~X l’emporte sur X et ~Y sur Y mais la paire XY peut battre ~X~Y.

Théorème : L’existence d’une situation de marchandage politique implique des préférences sociales
intransitives. L’existence d’un classement de préférences sociales transitif rend le marchandage poli-
tique impossible.
Démonstration de la première proposition : Supposons qu’il existe une situation de marchandage
politique [i.e. (5.18), (5.19) et (5.20) sont vérifiés]. Il existe alors des coalitions majoritaires h (i.e.
des coalitions majoritaires sous la règle de majorité) pour lesquelles on a :

∼ X Rh X (5.21)
∼ Y Rh Y (5.22)
XY Ph ∼ X ∼ Y (5.23)
De (5.21) et (5.22) ainsi que de l’hypothèse de l’indépendance des alternatives, on déduit :

∼ X ∼ Y Rh X ∼ Y (5.24)
X ∼ Y Rh XY (5.25)
Étant donné que chaque h représente une coalition gagnante, on a :

∼ X ∼ Y RX ∼ Y (5.26)
X ∼ Y R XY (5.27)
Les propriétés positives de la règle majoritaire 127

En combinant (5.20), (5.26) et (5.27), nous obtenons :

∼ X ∼ Y R X ∼ Y R XY P ∼ X ∼ Y (5.28)

L’existence d’une situation de marchandage politique implique que les préférences sociales sont
intransitives.
Démonstration de la seconde proposition : On part de l’hypothèse que la première partie du
marchandage politique a bien lieu pour démontrer que des préférences sociales transitives empêchent
la deuxième partie du marchandage d’avoir lieu (5.20). En d’autres termes, nous faisons les hypo-
thèses :
∼ X RX (5.18)
∼ Y RY (5.19)
Cela implique :
∼ Y Rh X (5.29)
∼ Y Rh Y (5.30)

En utilisant l’hypothèse d’indépendance des alternatives, on a :

∼ XY Rh XY (5.31)
∼ X ∼ Y Rh ∼ XY (5.32)

Étant donné que h est une coalition gagnante, nous obtenons :

∼ XY R XY (5.33)
∼ X ∼ Y R ∼ XY (5.34)
D’où :
∼ X ∼ Y R ∼ XY R XY (5.35)

Si les préférences sociales sont transitives, alors ~X~YRXY et la dernière partie de la définition du
marchandage politique ne sont plus respectées. L’existence de préférences sociales transitives
empêche toute possibilité de marchandage politique.

5.11 LES TESTS EMPIRIQUES DU MARCHANDAGE POLITIQUE


Dans toute démocratie, la formation de coalitions majoritaires, la sélection des membres du
gouvernement ou l’adoption des lois ont toujours donné lieu à d’« âpres négociations » 15.
Mais comme le marchandage se déroule lors de réunions politiques informelles à l’abri du
grand public, il est souvent difficile de vérifier si ces échanges ont bien lieu et d’identifier
les différents partis impliqués dans l’échange. Les échanges de voix concernent-ils toutes
les lois votées au Congrès américain ou aux Parlements français ou européen, seulement
quelques-unes ou aucune d’elles ? Dans le cas où ces échanges ont lieu seulement de temps
en temps, est-il possible d’identifier le type de questions sur lesquelles ils portent ? En

15 On pourra se référer à Mayhew (1966) et Ferejohn (1974) à ce sujet.


128 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

proposant une définition rigoureuse du marchandage politique, le courant du Public Choice


nous permet de répondre à ces questions.
Si un marchandage porte sur les propositions d et s, la définition du marchandage
politique nous dit que ces deux propositions seraient adoptées grâce à l’échange de voix et
rejetées si ces échanges n’avaient pas lieu. Un partisan de s qui échange sa voix pour la
proposition d contre des voix pour la proposition s votera contre ses propres préférences et
les intérêts de sa circonscription, uniquement s’il obtient en retour une chose qu’il valorise
davantage, un nombre suffisant de voix pour que s l’emporte. Il ne procédera logiquement
à aucun échange si s est vaincu même lorsque l’échange a lieu. Nous devrions donc obser-
ver qu’aucun échange ne se produit sur les propositions perdantes. Il paraît tout aussi
logique qu’il ne devrait pas échanger son vote pour d si s peut l’emporter sans négociation.
Aucun échange ne devrait impliquer des propositions qui passeraient avec une large majo-
rité. Les votes sur des proposions faisant l’objet de marchandage politique devraient être
serrés mais tout de même conduire à l’adoption de ces propositions. Ce sont les échanges
de voix qui devraient faire basculer favorablement les votes.
Stratmann (1992b) a testé ces prévisions relatives au marchandage politique à
partir de données sur le vote de différents élus concernant une loi agricole (Farm Bill,
1985) votée à la Chambre des Représentants aux États-Unis. On explique généralement le
vote des membres du Congrès à partir d’ensembles de variables mesurant les caractéris-
tiques de leur circonscription, x D , et les caractéristiques propres du candidat (par exemple
son idéologie), xC . Si l’on essaie d’expliquer le vote des élus sur trois amendements de la
loi farm bill qui auront des effets potentiels sur trois secteurs de l’agriculture : la culture de
pommes (p), l’élevage laitier (l) et la culture de sucre (s), sans tenir compte des effets du
marchandage politique, on obtient le système d’équations suivant :

p = a p + b p x D + c p xC + u p
d = ad + bd x D + cd xC + u d (5.36)
s = as + bs x D + cs xC + u s .
Si le marchandage politique porte sur ces trois amendements, la probabilité qu’un défen-
seur des intérêts agricoles liés au sucre vote en faveur des agriculteurs laitiers devrait être
plus importante que ce que l’on pourrait prédire à partir des caractéristiques personnelles
de cet élu et de celles de sa circonscription. Les prévisions relatives au marchandage poli-
tique peuvent être testées en ajoutant, à chaque équation de (5.36), les votes prévus pour
les deux autres lois. Ce qui nous donne :

p = a p + β p d̂ + γ p ŝ + b p x D + c p xC + u p
d = ad + αd p̂ + γd ŝ + bd x D + cd xC + u d (5.37)
s = as + αs p̂ + βs d̂ + bs x D + cs xC + u s .

avec p̂, d̂ et ŝ, les votes prévus à partir de (5.36) pour chaque amendement 16. Le tableau 5.4
nous donne une partie des résultats obtenus par Stratmann.

16 Kau et Rubin (1979) ont proposé d’ajouter les votes réels sur les autres propositions, mais cette approche
biaise l’estimation des variables qui captent le marchandage politique.
Les propriétés positives de la règle majoritaire 129

Tableau 5.4
Les preuves économétriques de l’existence de marchandage politique.

Variables explicatives
Variables p̂ d̂ ŝ Const CAP Agriculteur Parti
dépendantes
p 0,36* 0,53* – 0, 15 – 1,04 71* –0,84*
d 0,01 0,21* 0,14 0,18* 0,67* –0,72*
s 0,45* 0,30 –0,33* 1,37* 6,6 0,23

Source : Stratmann (1992, Tableau 1).

Pour mesurer les caractéristiques des circonscriptions et des élus, Stratmann a


utilisé le montant des contributions de campagne reçues par chaque candidat de la part des
lobbys (CAP) agricoles respectifs, la part de la population de la circonscription travaillant
dans le secteur agricole des pommes (respectivement, du lait et du sucre) et l’affiliation
partisane de l’élu (Républicain = 1, Démocrate = 0) 17. Const est la constante. L’astérisque
nous indique que le coefficient est significatif à au moins 5 %. La variable dépendante
prend la valeur 1 si l’élu a voté en faveur des intérêts agricoles, et 0 s’il a voté contre.
Si l’on s’attarde sur les variables exogènes significatives, nous remarquons que la
probabilité pour qu’un élu ait voté pour les intérêts d’un groupe d’agriculteurs augmente
avec le montant des contributions qu’il reçoit sous forme de contribution de campagne (du
secteur du lait et du sucre), et la partie de sa circonscription impliquée dans ce type d’agri-
culture (des pommes et du lait). Il y a une forte probabilité pour que les Républicains aient
voté contre les intérêts des producteurs de pommes et de lait.
Considérons maintenant les variables relatives aux hypothèses de l’existence de
marchandage politique. Nous nous apercevons que cinq des six votes prévus concernant les
deux autres amendements agricoles sont significatifs dans les trois équations. Les coeffi-
cients sont d’ailleurs relativement élevés. La probabilité pour qu’un élu, dont on prévoyait
qu’il voterait pour l’amendement sur le sucre, vote aussi pour l’amendement sur les
pommes était supérieure de 0,53 à ce qui était prévu sur la base des caractéristiques de l’élu
et de sa circonscription. Comme on pouvait s’y attendre, les élus dont on prévoyait un
changement de votes sous l’effet des négociations politiques ont des probabilités estimées
de voter pour les amendements respectifs qui chutent entre 0,3 et 0,5 en l’absence de
marchandage politique. On peut imaginer que ces élus aient reçu des sommes moins impor-
tantes pour changer leur vote que ceux auxquels on affectait une probabilité de seulement
0,0 à 0,3 de voter pour les amendements respectifs en l’absence d’échanges de voix (Strat-
mann, 1992, p. 1171).
Stratmann n’a pas donné les valeurs de p̂, d̂ et ŝ mais on peut utiliser les coeffi-
cients du tableau 5.4 et les votes effectifs concernant les trois amendements agricoles pour
obtenir des estimations de ces variables : p̂ = 61, d̂ = 207 et ŝ = 176. S’ils reposaient

17 La note ACLU de l’élu a aussi été prise en compte pour mesurer son idéologie, mais elle n’est pas significa-
tive dans l’équation étudiée ; c’est pourquoi nous ne l’avons pas prise en compte.
130 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

uniquement sur les votes guidés par les caractéristiques des élus et des circonscriptions, les
intérêts agricoles auraient échoué à la fois pour l’amendement sur les pommes, celui sur le
sucre et celui sur le lait. Ils seraient passés de 207 à 205. Il est intéressant de noter que la
seule variable co-déterminée non significative dans ces trois équations était pour p̂ dans
l’équation représentant le vote sur l’amendement pour le lait. Les voix des défenseurs des
intérêts des producteurs de pommes n’étaient pas nécessaires pour défendre les intérêts des
éleveurs laitiers et il ne semble pas que ces derniers les aient sollicités. Les voix motivées
par les intérêts de la filière du lait ont transformé une courte victoire de 207 à 205 en une
victoire plus probante de 245 à 167 d’après un calcul approximatif. Des marchandages poli-
tiques dépend la différence entre l’adoption ou le rejet des deux autres amendements.
Stratmann a également testé la présence de marchandage politique pour un amen-
dement laitier adopté à 351 voix contre 174 et pour un amendement sur le coton qui a été
rejeté à 251 voix contre 174. Conformément aux prédictions théoriques, on ne trouve
aucune preuve d’échanges de voix sur ces deux questions.
Le « logrolling », que nous avons traduit par « marchandage politique » ou
« échange de voix » est une expression typiquement américaine et désigne un phénomène
qui, comme nous venons de le voir, a bel et bien lieu au Congrès américain. Cependant,
cette pratique n’est pas propre à cet organe législatif ni aux États-Unis. Elvik (1995)
soutient par exemple que le marchandage politique peut expliquer la répartition des dépen-
ses en infrastructure routière en Norvège 18. Ce phénomène reste, néanmoins, assez peu
étudié dans des institutions comme le Parlement européen.

5.12 LA MANIPULATION DE L’AGENDA POLITIQUE


5.12.1 Le contrôle de l’agenda dans la théorie spatiale
du vote
Malgré l’abondance des théorèmes sur les cycles que nous avons présentés jusqu’à main-
tenant, nous sommes loin d’avoir épuisé le sujet. De nombreuses conséquences liées à la
formation de majorité cyclique et à l’instabilité qui en découle sont à noter. La production
de cycles par la règle majoritaire a été l’un des thèmes centraux de la littérature du Public
Choice. Mais cette question est-elle si importante dans la réalité ? Les décisions des
commissions sont-elles vraiment en proie à l’émergence de cycles interminables, comme le
suggère la théorie ? Probablement pas et nous allons voir dans la prochaine section les
différentes raisons pour lesquelles ce problème ne survient pas dans la réalité. Mais avant
cela, il convient d’examiner quelques résultats qui illustrent l’importance potentielle du
phénomène cyclique.
Dans un article important, McKelvey (1976) a posé les bases des théorèmes du
cycle. Si les préférences d’un individu sont telles qu’elles produisent potentiellement un
cycle, qu’il vote selon ses préférences réelles et que la règle majoritaire s’applique, alors

18 Voir aussi Fridstom et Elvik (1997).


Les propriétés positives de la règle majoritaire 131

l’individu contrôlant l’agenda politique (autrement dit l’ordre du jour) peut amener la
commission à choisir n’importe quelle proposition parmi les alternatives soumises au vote.
Le théorème est composé de deux parties. Il établi d’abord que, dans un cycle électoral, il
est possible de faire déplacer la commission d’une distance plus ou moins grande à partir
d’une position initiale S. Dans la figure 5.16, les points A, B et C représentent la position
idéale de trois électeurs et S la position initiale de la commission. Si chaque individu vote
systématiquement selon ses préférences réelles, alors la commission peut se déplacer de S
à Z, de Z à Z  et de Z  à Z  en seulement trois étapes. Plus la commission s’éloigne du
point S, plus les cercles d’indifférence de l’électeur sont importants. Le processus de vote
continue jusqu’à ce qu’un individu choisisse une distance particulière d à partir de S.
Appelons r, le rayon d’un cercle admettant S comme centre, tel que (1) soit la posi-
tion de l’individu qui contrôle l’agenda et qui veut atteindre un point à l’intérieur du cercle
(disons que le point idéal est A) et (2) – au moins n/2 – les positions idéales de la commis-
sion (dans notre situation ces positions sont au nombre de deux) à l’intérieur du cercle de
rayon r.
Prenons maintenant d tel que d > 3r . Rappelons qu’il est certain que la majorité
de la commission préfère A au dernier Z n du cycle, Z n étant situé à une distance d de S. Le
dernier choix que la commission a à faire est entre Z n et A et mène à la victoire de A. Celui
qui fixe l’ordre du jour peut soit suspendre le processus de vote, soit faire de nouvelles
propositions permettant de faire échouer A. Un membre d’une commission ayant le pouvoir
de fixer l’agenda politique peut donc faire en sorte d’atteindre son point idéal.
Le théorème de McKelvey a deux implications majeures. La première et la plus
évidente est que la possibilité de fixer l’ordre du jour est décisive. Si ce pouvoir est affecté

Figure 5.16
Les possibilités de manipulation de l’agenda politique.
132 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

à un individu particulier ou à une sous-commission donnée, il est alors nécessaire de


prendre certaines précautions. Sans cela, les individus contrôlant l’ordre du jour pourraient
obtenir des gains disproportionnés à l’action collective. La seconde est que l’existence d’un
cycle électoral introduit un certain degré d’imprévisibilité quant au résultat du vote. Ce qui
peut inciter à la manipulation du processus. Le fait qu’une commission ait pris telle ou telle
décision a peu d’importance d’un point de vue normatif. Ce qui importe en réalité, ce sont
les moyens mis en œuvre pour parvenir à ce résultat.

5.12.2 Le contrôle de l’agenda dans un jeu de partage


du gâteau
Harrington (1990) a également mis en évidence sous des conditions sensiblement différen-
tes de celles proposées dans la section 5.12.1, le pouvoir potentiel de celui qui fixe l’ordre
du jour. Imaginons qu’une donation de G dollars soit faite à une commission qui doit parta-
ger cette somme entre ses n membres. La procédure pour décider de la manière de partager
G est la suivante : un membre choisi au hasard propose une règle de partage. On appellera
cet individu, l’individu A. Si m membres de la commission, ou plus, avec 1 < m < n,
votent pour cette proposition, elle sera alors appliquée et le jeu se terminera ainsi. Si la
proposition ne reçoit pas les m voix nécessaires, alors un autre membre de la commission,
toujours choisi au hasard, fait une nouvelle proposition. Ce processus continue jusqu’à ce
qu’une proposition obtienne le nombre de voix requis, c’est-à-dire m. Par souci de simpli-
fication, nous supposerons que tous les membres ont des préférences identiques.
Considérons tout d’abord la stratégie de l’individu A qui propose une règle de
partage de G. Il anticipe que chacun des membres de la commission a un prix de réserve,
dont le montant minimal est x et pour lequel il préférera voter plutôt que d’attendre de
meilleures opportunités aux tours suivants. Étant donné que tous les membres ont des
préférences identiques, l’identité de la personne qui accepte la règle de partage proposée
importe peu. En effet, à partir du moment où un membre l’accepte, tous les autres l’accep-
tent également. Par conséquent, l’individu A maximise ses gains potentiels en proposant x
à m − 1 membres, G − (m − 1)x pour lui-même, et rien pour les n − m membres restants ;
sous l’hypothèse bien sûr que la part que les m membres reçoivent est supérieure au prix
de réserve, x.
Observons maintenant les stratégies des membres de la commission lors de la
détermination de leur prix de réserve. Ils savent qu’à chaque tour, ils ont une probabilité de
1/n d’être sélectionnés pour fixer l’agenda (la règle de partage dans notre exemple) et donc
de se voir attribuer G − (m − 1)x , une probabilité de (m − 1)/n de faire partie de la coali-
tion gagnante et d’obtenir x, et enfin une probabilité de (n − m)/n de se voir exclus du
partage de G. Si l’individu est neutre au risque et n’a pas de préférence entre un revenu
présent et un revenu futur, il choisira alors un prix de réserve égal à son gain anticipé à
chaque tour du jeu.

x = 1/n[G − (m − 1)x] + (m − 1)x/n + (m − n)/n.0. (5.38)


Les propriétés positives de la règle majoritaire 133

x est alors égal à G/n, et le gain de l’individu A qui fixe l’agenda est :

[(n − m + 1)/n]G. (5.39)

Tant que m < n, la part de G obtenue par l’individu A est supérieure à celle de n’importe
quel autre membre de la commission. Si m diminue, la part de G obtenue par l’individu A
augmente jusqu’à atteindre la moitié de G qui sera distribuée selon la règle de la majorité
simple.
En revanche, si les membres de la commission sont adverses au risque et ont une
préférence pour le présent, ils accepteront, pour toute proposition, un certain montant x
inférieur à G/n, plutôt que de courir le risque de se voir proposer des alternatives moins
bonnes et de supporter le coût d’attendre une nouvelle proposition. L’expression (5.39)
représente le gain minimum de l’individu A. Plus les membres de la commission sont
adverses au risque et impatients, plus les bénéfices de A seront importants.
Harrington étend ces résultats en démontrant qu’avec des règles du jeu différentes
concernant le partage du gâteau, l’individu qui a le pouvoir de fixer l’agenda obtient les
mêmes avantages. Ces résultats sont intéressants dans la mesure où ils ne sont pas liés à un
statut privilégié dont jouirait le membre de la commission qui fixe l’agenda. N’importe
quel individu choisi au hasard pour fixer l’agenda peut bénéficier d’un gain significatif par
rapport aux autres membres de la commission. Ces résultats dépendent de manière décisive
de l’utilisation de la règle de la majorité qualifiée, qui par définition ne requiert pas l’una-
nimité générale. Cela illustre à nouveau l’intérêt de la règle de l’unanimité, qui permet de
protéger les intérêts de l’ensemble des membres de la commission, face à l’égoïsme de l’in-
dividu qui contrôle l’agenda, dans notre cas 19.

5.13 LES EXPLICATIONS DE L’ABSENCE DE CYCLE


Si les problèmes de cycles sont aussi omniprésents que semble le suggérer la littérature du
Public Choice, comment expliquer la relative stabilité des décisions du Congrès américain
ou, plus largement, de l’appareil législatif ? Cette stabilité, passant à la fois par la capacité
des commissions à adopter des propositions et la pérennité de ces décisions d’une session
à l’autre. Tullock (1981) a posé cette question. Nous y reviendrons à plusieurs occasions
dans cet ouvrage.
La section 5.12 propose une première réponse. Cette dernière n’a rien de rassurant.
L’individu qui contrôle l’agenda peut conduire la commission à adopter une décision qui
corresponde à ses préférences. Cette solution au problème d’apparition de majorité
cyclique est une des réponses possibles à la question de Tullock. Elle repose sur une insti-
tution bien particulière qui est l’attribution à un individu du pouvoir de fixer l’ordre du jour
comme moyen de structurer les séquences du vote et d’éviter les cycles. Les institutions
19 On peut évidemment ajouter d’autres contraintes. Le principe de généralité de Buchanan et Congleton (1998)
exige un traitement égalitaire de tous les membres de la commission et donc un partage équitable. La simple
condition que l’ajout d’une proposition à l’ordre du jour soit nécessairement soutenu pas plusieurs individus
permet de réduire légèrement le pouvoir de l’individu contrôlant l’agenda politique. Voir également Baron et
Ferejohn (1987) à ce sujet.
134 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

jouent ainsi un rôle important dans l’apparition des cycles. Le respect de certaines procé-
dures par les groupes de décideurs peut constituer des contraintes institutionnelles. Une des
plus connues est l’interdiction de remettre à l’ordre du jour une proposition ayant déjà été
refusée par la commission. Dans cette section, il s’agira tout d’abord de considérer l’expli-
cation la plus simple de l’absence de cycles. C’est la nature même des questions soumises
au vote qui empêche la formation de majorités cycliques. Nous discuterons ensuite de deux
exemples dans lesquels la structure d’une commission conduit à un équilibre.

5.13.1 Des débats publics à une dimension


Si l’on considère le type de questions typiquement soumises à une assemblée législative, le
nombre de dimensions pouvant potentiellement faire l’objet de discussions semble presque
infini. Les budgets pour la défense impliquent par exemple des considérations humanitai-
res et de sécurité nationale ; une taxe sur l’émission de dioxyde de carbone conduit à un
arbitrage entre la croissance économique et la protection environnementale ; l’interdiction
de fumer dans les lieux publics introduit des problématiques de santé publique mais aussi
de libertés individuelles. Si les considérations, autrement dit les dimensions, que ces ques-
tions soulèvent semblent multiples, il apparaît dans la réalité que les individus appréhen-
dent les questions d’une manière relativement homogène.
Poole et Rosenthal (1985, 1991) ont développé un procédé qu’ils ont appelé
NOMINATE leur permettant d’appliquer des techniques d’analyses factorielles aux résul-
tats des votes du Congrès. Ils révèlent ainsi les dimensions idéologiques sous-jacentes au
débat public. Ils sont notamment parvenus à classer 81 % des votes du Sénat américain et
83 % des votes de la Chambre des Représentants entre 1789 et 1985 selon une unique
dimension 20.

Figure 5.17
Les solutions possibles à une question selon un cadre unidimensionnel.

Poole et Smith (1994) ont utilisé ce procédé afin d’identifier la dimension la plus
significative dans la prise de décisions publiques. Leur résultat va dans le sens du théorème
de l’électeur médian et souligne l’intérêt de se concentrer sur une dimension unique des
débats publics. La figure 5.17 présente ces résultats. Le point R représente le point idéal
d’un élu sur une question publique donnée, le point M, la position médiane sur ce problème
et le point S, le statu quo. L’élu a alors conscience que, s’il propose son point idéal, il sera
battu par le statu quo. Un élu qui cherche à obtenir un résultat proche de sa position idéale
devra faire un compromis, en formulant une proposition éloignée de son idéal, comme par
20 Voir également Hinich et Pollard (1981), Poole et Romer (1985), Laver et Schofield (1990), Enelow et Hinich
(1994), et Hinich et Munger (1994).
Les propriétés positives de la règle majoritaire 135

exemple le point C. Même si ce compromis ne correspond pas à son point idéal, il est
toujours plus proche de M que ne l’est le point S. À l’inverse, un député qui cherche simple-
ment à exprimer son idéologie ne fera aucune concession. Il proposera sa position idéale,
R, et subira une défaite. Poole et Smith ont obtenu des résultats probants confirmant ces
hypothèses. Ainsi, 81 % des propositions adoptées au Sénat américain sont plus proches de
la position médiane que du statu quo. 62 % des propositions rejetées en sont plus éloignées.
Les élus voulant particulièrement imprimer leur conception sur une question en particulier,
ont formulé, en guise de compromis, des propositions plus proches du point médian que de
leur position idéale. Afin de rassembler les divers sujets abordés au Sénat américain et leur
donner une cohérence unidimensionnelle, Poole et Smith ont utilisé le procédé NOMI-
NATE. Cela leur a permis de prédire avec précision le vote des sénateurs en utilisant cet
espace unidimensionnel, montrant par la même occasion la pertinence du choix de cette
dimension. Le fait que les propositions et le vote des sénateurs puissent s’interpréter selon
une unique dimension, comme le suggère le théorème de l’électeur médian, laisse à penser
que les résultats en termes d’équilibre obtenus pour le Sénat s’appliqueraient également au
Congrès américain.
Ladha (1994) a également utilisé le procédé NOMINATE afin d’identifier les posi-
tions des députés. Il confirme ainsi l’hypothèse de la théorie de l’électeur médian selon
laquelle les votes sont unidimensionnels. Ladha a étendu la question aux amendements
proposés par les députés américains. Il montre qu’une série d’amendements qui fait évoluer
une proposition de la position E à R et de R à C a pour effet une opposition décroissante à
ces amendements. En effet, les élus des partis extrêmes ne changent pas de position contrai-
rement aux élus plus au centre pour qui les propositions d’amendement priment sur l’ex-
pression de leur position idéale.
Ces résultats vont dans le sens du modèle de l’électeur médian et renforcent l’idée
selon laquelle le débat public peut s’expliquer selon une unique dimension. Cependant, les
études visant à montrer que les questions publiques comportent plus d’une dimension, y
sont parvenues 21. On ne peut écarter tout risque d’apparition de cycle pour la simple raison
que toute question publique peut être classée le long d’un axe idéologique droite/gauche.

5.13.2 Voter selon une dimension à la fois


Le théorème de l’électeur médian nécessite à la fois que l’espace public soit unidimen-
sionnel et que les préférences soient unimodales. Si on était certain de la nature unidimen-
sionnelle des questions publiques, l’hypothèse d’unimodalité des préférences ne
constituerait pas un problème majeur. Ce qui pose problème, c’est bien l’hypothèse peu
réaliste du cadre unidimensionnel des décisions publiques.
Supposons donc que nous nous situons dans un espace à deux dimensions, mais
que le vote porte sur une seule dimension à la fois. Nous allons nous appuyer sur la
figure 5.18, où x1 et x2 représentent deux vecteurs de biens collectifs et donc les deux
dimensions de cette question publique. Nous supposons que les taux d’imposition néces-
21 Voir également Poole et Rosenthal (1985, 1991), Poole et Romer (1985), Laver et Schofield (1990) et Hinich
et Munger (1994). Voir Koford (1989, 1990) pour une critique du procédé NOMINATE.
136 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Figure 5.18
Les équilibres avec votes séquentiels.

saires au financement de ces biens sont donnés et que les points A, B et C représentent
toujours les points idéaux de nos trois électeurs. Nous savons que si chaque individu est
autorisé à proposer un point de l’hyperortant positif, il y aura des risques d’apparition de
cycles. Faisons désormais l’hypothèse que la commission composée de A, B et C suit la
règle selon laquelle le vote se fait dimension par dimension. Supposons que x2◦ est donné
et considérons le vote de la commission au niveau de x1 , avec x2◦ donné. Avec des courbes
d’indifférence circulaires, chaque électeur a des préférences unimodales dont la tangente
est x2◦ . B préfère le point b, A préfère le point a et C préfère le point c. A est l’électeur
médian dans la dimension x1 et x1m est la quantité de x1 choisie sous la règle majoritaire.
Considérons maintenant que x1 et x1m sont fixes et observons le choix de la commission
quant à la quantité de x2 . B devient alors l’électeur médian et x2m représente la quantité de
x2 choisie. Le point E est un équilibre avec la règle de la majorité, sous contrainte que x1
et x2 soient décidés de manière séquentielle.
Avec des taux d’imposition fixés, l’ensemble de Pareto est donné par le triangle
ABC. Le point E se trouvant à l’intérieur de ce triangle, il correspond à un optimum de
Pareto sous la contrainte que les parts d’impôt soient fixées. Or la répartition des parts
d’impôt fait partie des décisions importantes que doit prendre la commission. Si le choix
du taux d’imposition peut être formulé dans un espace unidimensionnel, ce que nous
permet de faire un impôt progressif, le vote pourra alors porter sur cette unique dimension
(par exemple la progressivité), avec x1 et x2 constants ; un équilibre étant choisi dans ces
trois dimensions. Mais cet équilibre n’a pas besoin d’être un optimum de Pareto (Slutsky,
1977b). Pour trouver les quantités Pareto-optimales de x1 et x2 , il suffit de choisir x1 et x2
ainsi que les parts d’impôt individuelles de manière à maximiser la somme des utilités des
Les propriétés positives de la règle majoritaire 137

membres de la commission. La solution satisfera alors les conditions d’allocation optimale


d’un bien collectif, mises en évidence par Samuelson. Choisir les quantités de chaque bien
collectif et les taux d’imposition pour une dimension à la fois ajoute des contraintes supplé-
mentaires au problème de maximisation. Il n’y a aucune raison de penser que le choix sous
contraintes de la commission correspondra à la solution qui aurait émergé sans contrainte,
ce qui d’ailleurs n’est généralement pas le cas. Il peut être très difficile d’atteindre un équi-
libre sous la règle de la majorité.

5.13.3 Équilibre en présence de marchandage politique


Les théorèmes selon lesquels le marchandage politique mène à l’apparition de cycles ou qui
prédisent que le membre de la commission qui fixe l’agenda politique pourra atteindre son
point idéal en présence de cycles, font l’hypothèse que les électeurs expriment leurs préfé-
rences réelles à chaque séquence de vote. Ils supposent également que les électeurs suivent
scrupuleusement l’ordre du jour, quel qu’il soit. Ces théorèmes semblent donc supposer un
degré de myopie exagérément élevé de la part des électeurs.
Considérons à nouveau le cycle d’échange de vote illustré par les tableaux 5.2 et
5.3. B échange, tout d’abord, son vote avec C, puis délaisse ce dernier pour A, qui, à son
tour, rompt son accord avec B pour aller voir du côté de C. Pour boucler le cycle, B et C
vont de nouveau échanger leur vote et le cycle peut recommencer. Mais, s’ils sont ration-
nels, ces trois individus devraient assez vite se rendre compte du caractère éphémère et
cyclique de leurs échanges. À partir du moment où chacun réalise qu’un échange appa-
remment avantageux a de grandes chances d’être renversé, il essaiera de s’en tenir à des
échanges relativement avantageux une fois qu’ils ont été passés ou bien il s’interdira toute
activité de marchandage politique. Il est intéressant de noter, à ce sujet, l’instabilité inhé-
rente aux résultats (X ; ~Y) et (~X ; Y). Dans chacune de ces deux situations, un individu (B
ou C) obtient un gain maximum qu’il peut espérer. Si A et B forme une coalition afin d’ob-
tenir le résultat (X ; ~Y), l’individu A pourra alors menacer B de ne plus coopérer ; cette
menace est réelle seulement si la coalition potentielle entre A et C permet à chacun d’obte-
nir des gains plus importants que ne leur rapporterait la coalition entre A et B. La seule
alternative pour B est alors de s’allier à C, ce qui provoquera une diminution des gains de
B. L’individu B préférera donc préserver son alliance avec A. Si l’individu A est rationnel,
B ne pourra préserver son alliance avec A. Si l’on considère désormais que la coalition entre
les agents B et C donne le résultat (X ; Y), alors B et C préféreront chacun s’allier à A afin
d’obtenir respectivement (X ; ~Y) et (~X ; Y). Chacun a donc autant à perdre d’une rupture
de leur alliance. Si un des deux agents commence à menacer l’autre de quitter la coalition
B – C, l’individu menacé pourra alors devancer et contrer cette menace en s’empressant de
s’allier à A. Étant donné que B et C sont exposés à la même menace et disposent des mêmes
moyens pour la contrer, ils peuvent décider de rester au sein de la coalition B – C.
Ces éléments nous laissent penser que B et C formeront une coalition en vue du
résultat (X ; Y), malgré l’existence d’opportunités de gains plus intéressantes. Ce résultat
fait partie des principales solutions qui permettent de résoudre les jeux de négociation
simple. Si les échanges de votes qui ont lieu dans les commissions parlementaires ont la
138 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

même configuration que des jeux de négociation simple, on peut alors s’attendre à ce que
le marchandage politique mène à des résultats stables et prédictibles même si ceux-ci
peuvent être défaits par d’autres résultats et malgré les risques d’apparition de cycles liés à
la myopie des individus. Oppenheimer (1979) a fourni des arguments allant dans ce sens
alors que McKelvey et Ordeshook (1980) ont montré que le marchandage politique ne
menait pas à des résultats stables et prévisibles.

Matrice 5.1
Les différentes options d’échange de voix.

Électeur C
Vote pour X et pour Y Vote pour Y et contre X
1 2
Vote pour X et pour Y
(+3, +3) (–2, +5)
Électeur B
3 4
Vote pour X et contre Y
(+5, –2) (0, 0)

Dans le jeu décrit par les tableaux 5.2 et 5.3, soit l’électeur B soit l’électeur C
pourra obtenir le résultat (~X ; ~Y) qui émerge lorsque chacun révèle sincèrement ses préfé-
rences en votant contre les deux propositions. Si B, par exemple, vote contre X et Y, l’indi-
vidu A pourra obtenir son résultat préféré (~X ; ~Y) en votant selon ses préférences réelles.
Il est possible que C ne lui fasse pas de propositions plus avantageuses. (~X ; ~Y) sera alors
adopté par la commission. Ainsi, si B et C craignent d’être désavantagés par l’échange des
votes comparativement à la solution (~X ; ~Y), ils peuvent alors adopter une stratégie plus
« sophistiquée » qui consiste à refuser les deux propositions afin de s’assurer du résultat
(~X ; ~Y) 22. Enelow et Koehler (1979) ont montré que la majorité peut toujours assurer le
meilleur résultat grâce à une stratégie de votes appropriée, même lorsque l’échange de
votes sincères aurait pu empêcher l’émergence d’un tel résultat.
Dès lors, il y a de bonnes raisons de croire que soit (X ; Y) soit (~X ; ~Y) sera le
résultat du processus de décision des commissions dans l’exemple des tableaux 5.2 et 5.3.
Bien que B ou C puisse préserver le résultat (~X ; ~Y) avec une stratégie de vote sophisti-
quée, la tentation de s’allier à un autre électeur pour obtenir (X ; Y) est forte. Ce qui empê-
cherait la formation de la coalition entre B et C, c’est la menace qu’une fois la coalition
formée, l’autre partenaire de l’échange ne respecte pas les termes de l’accord (ou s’allie à
A). Ce danger est particulièrement important lorsque les décisions concernant X et Y sont
prises de manière séquentielle. Nous sommes en présence d’une situation du dilemme du
prisonnier (Bernhoz, 1977). La matrice 5.1 nous donne les stratégies possibles des électeurs
B et C pour le choix des alternatives X et Y. Les deux agents sont plus avantagés par une
situation décrite par la case 1 du tableau 5.1, lorsqu’il y a échange de votes, que par celle
décrite par la case 4, sans échange de voix, malgré le fait que l’incitation à tricher est bien
22 La distinction entre « vote sincère » et « vote sophistiqué » a été établie par Farquharson (1969). Dans un vote
séquentiel par pair, un individu vote de façon sincère s’il vote, à chaque séquence, pour l’élément qu’il préfère.
Un individu vote de façon sophistiquée s’il choisit la stratégie optimale en anticipant les séquences futures et
le comportement des autres joueurs. Ce second type de vote nécessite donc que les joueurs entament un
processus d’induction rétrospective et qu’ils écartent toute stratégie faiblement dominée.
Les propriétés positives de la règle majoritaire 139

réelle. Si la proposition X est soumise au vote avant Y et si l’agent C respecte ses engage-
ments en votant pour X, les résultats de la colonne 2 deviennent peu plausibles. L’individu
B a alors à choisir entre les cases 1 et 3. Il optera évidemment pour la case 3 et trahira C si
ce dernier n’a aucun moyen de représailles.
Nous avons vu dans le chapitre 2 les conditions d’émergence de la solution coopé-
rative dans un jeu du dilemme du prisonnier. Il faut que chaque joueur pense qu’en optant
pour la stratégie de coopération, il amènera l’autre joueur à adopter la même stratégie. Si
les options stratégiques sont jouées les unes après les autres et si le jeu n’est joué qu’une
seule fois, le premier joueur n’a aucun moyen d’influencer la décision du second joueur. Il
y a donc très peu de chances pour que des échanges de voix aient lieu lorsque les décisions
sont prises de manière séquentielle et que les coalitions ne se forment qu’une seule fois. Un
jeu de marchandage politique stable et coopératif ne peut être mis en place que si les ques-
tions qui font l’objet d’échanges de voix sont votées simultanément. Une telle situation
peut survenir dans le cadre d’un projet de loi regroupant plusieurs mesures ou lorsque le
même ordre de propositions revient sans cesse et qu’il émerge un superjeu du dilemme du
prisonnier. Bernholz (1978) a étudié cette dernière possibilité. Sous l’hypothèse que le
même type de propositions revient constamment, il montre que l’apparition d’un superjeu
stable du dilemme du prisonnier est positivement corrélée à deux éléments : les gains nets
potentiels engendrés par la coopération et la probabilité que les mêmes joueurs participent
à chaque nouveau jeu. Comme Bernholz le souligne, on peut assimiler des situations de
marchandage politique à des superjeux du dilemme du prisonnier dans le cas d’une assem-
blée législative dont les membres représentent toujours les mêmes intérêts et dont le
mandat est relativement long.
Dans la section 5.11, nous avons présenté des éléments empiriques montrant que
trois amendements concernant le domaine agricole avaient bien fait l’objet de marchanda-
ges politiques. Ce qui contredit la preuve, établie dans la section 5.10, que l’existence
même d’échanges de voix révèle la présence d’un ensemble sous-jacent de préférences qui
peuvent conduire à des cycles sous la règle majoritaire. Qu’est-ce qui a empêché les cycles
de détruire tous les accords passés ? Il s’agit principalement de procédures de validation
par lesquelles doivent passer les projets ou propositions de lois avant d’être soumis au vote
d’une commission. Il s’agit aussi certainement des leaders des deux partis américains qui
s’occupent du bon déroulement des échanges de voix et de leur pérennité. Ces individus en
charge de contrôler l’agenda sont élus à leur poste par les membres de leur propre parti, sur
la base de leur capacité à empêcher la formation de cycles et à atteindre les objectifs de
l’ensemble des membres du parti, et pas uniquement des leaders. Haefele (1971) et Koford
(1982) ont tous deux observé le rôle significatif de la direction des partis à amener la légis-
lature à maximiser le bien-être social de l’ensemble des membres du parti. Leur description
plutôt optimiste du fonctionnement du pouvoir législatif contraste fortement avec la
majeure partie de la littérature sur le marchandage politique, la règle majoritaire et les
cycles 23.
23 Il en va de même du modèle d’échange de votes développé par Philipson et Snyder (1996) qui supposent
l’existence d’un commissaire priseur, incarné par le leader d’un parti politique. Celui-ci orchestrerait les
échanges de voix entre les électeurs qui ont des préférences d’intensité variable dans un espace unidimen-
sionnel afin d’atteindre un équilibre où la somme des utilités serait maximisée. Mueller, Philpotts et Vanek
(1972) ont obtenu des résultats similaires à partir d’un marché walrasien des votes.
140 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

5.13.4 Les preuves empiriques de l’existence des cycles


Nous avons vu jusqu’à maintenant un ensemble de théorèmes établissant l’apparition
presque inévitable de cycles, ainsi que de solides arguments allant dans le sens contraire.
Lesquels sont corrects ? La formation de cycles est-elle un phénomène exceptionnel voire
inexistant, ce que suppose la question rhétorique de Tullock (Pourquoi tant de stabilité ?),
ou bien peut-on observer la formation de cycles dans les faits ? Nous conclurons ce chapi-
tre avec deux séries de preuves soutenant la seconde proposition. Dans cette sous-section,
nous étudierons des faits survenus au Congrès américain. Dans la sous-section suivante,
nous analyserons certains résultats de l’économie expérimentale.

Un cycle apparaît quand y bat x, z bat y, et x bat z. Il y a peu de chance pour qu’une
commission soit assez bornée pour proposer exactement le même projet x, déjà rejeté lors
d’un précédent vote contre y. Il est plus probable qu’un cycle perdure lorsqu’une commis-
sion propose une alternative proche de x, qui l’emporte face à z, cette première étant à son
tour battue par une proposition semblable à y. Repérer la présence de cycles en examinant
le contenu de toutes les propositions individuelles apparaît comme une tâche longue et
fastidieuse.

Tableau 5.5
Les bénéfices anticipés et les variances de bénéfices avec et sans cycle.

A. Avec cycles
Propositions Électeur 1 Électeur 2 Électeur 3 Variance
1 0 ,75 0,25 0 0,097
2 0 0,75 0,25 0,097
3 0 ,25 0 0,75 0,097
Total 1 1 1 0
Somme des variances individuelles (3 × (0,097)) = 0, 292
B. Avec coalitions stables
1 0 ,5 0,5 0 0,055
2 0 ,5 0,5 0 0,055
3 0 ,5 0,5 0 0,055
Total 1,5 1,5 0 0,5
Somme des variances individuelles (3 × (0,055)) = 0, 167

Il est, cependant, possible de détecter la présence d’un cycle d’une autre manière.
L’identité des membres de la coalition gagnante est censée changer au cours du temps, tout
comme la distribution des bénéfices au sein de la commission. Considérons à nouveau le
jeu simple vu précédemment du partage d’un dollar entre trois personnes. La partie A du
tableau 5.5 donne les gains que nous pouvons anticiper en cas de cycle lié à la règle majo-
ritaire. Sur la première proposition, les joueurs 1 et 3 forment la coalition gagnante. Sur la
seconde, ce sont les joueurs 1 et 2, et ainsi de suite. L’issue du vote sur chaque question
prise séparément implique une distribution asymétrique du dollar ; un joueur obtenant au
Les propriétés positives de la règle majoritaire 141

moins la moitié du dollar et l’autre rien. C’est pourquoi la variance des gains du vote sur
n’importe quelle alternative devrait être importante et la somme des variances devrait
augmenter au cours du temps. Pourtant, lorsqu’un cycle se forme, un joueur qui perd à un
tour (de vote) devrait gagner à l’un des tours qui suivent. Les gains agrégés en présence
d’un cycle devraient donc être partagés plus équitablement qu’à n’importe quel autre tour.
En conséquence, la variance de la somme des gains devrait être bien inférieure à la somme
des variances provenant des tours individuels.
La partie B du tableau 5.5 nous donne le schéma de gains attendus en l’absence de
cycles, lorsqu’il existe une coalition stable. Nous anticipons à nouveau une distribution
inéquitable du dollar au moment de chaque séquence de vote et donc une variance positive
des gains. Désormais nous nous attendons, cependant, à ce que la même distribution des
gains persiste dans le temps. La variance de la somme des gains ne sera donc pas inférieure,
mais largement supérieure à la somme des variances lors de chaque séquence de vote indi-
viduel. Ce qui est le cas en présence de cycles.

Tableau 5.6
Les caractéristiques des subventions fédérales versées aux différentes circonscriptions, 1985-90.

Nombre de Programmes profitant Programmes profitant Variance Somme


Année programmes à une minorité à une minorité des sommes des variances
de circonscriptions de circonscriptions (%)
(1) (2) (3) (4) (5) (6)
1985 592 543 91,,7 5,6 E16 7,1 E15
1986 624 571 91,5 2,7 E16 5,5 E15
1987 637 575 90,3 2,2 E16 5,6 E15
1988 679 616 90,7 2,4 E16 6,4 E15
1989 706 646 91,5 2,7 E16 6,6 E15
1990 791 724 91,5 4,1 E16 7,2 E15
Source : Stratmann (1996a, Tableau 5 et 6)

Stratmann (1996a) a utilisé ces conclusions pour tester le caractère cyclique ou non
des subventions fédérales versées aux circonscriptions du Congrès américain entre 1985 et
1990. On sait que les programmes fédéraux sont largement redistributifs. Leur étude
devrait permettre de mettre en évidence la présence de cycles au congrès. Le tableau 5.6
présente les principaux résultats de Stratmann. La première remarque que l’on peu faire est
que les gains des différentes circonscriptions sont inégalement distribués. Chaque année,
une « minorité » de circonscriptions bénéficie de la majorité des subventions (plus de
90 %). En 1989, la moyenne des subventions fédérales reçues par les dix circonscriptions
les plus favorisées par ces programmes s’élevait à 968 millions de dollars. Elle était 75 fois
supérieure à celle des dix circonscriptions qui bénéficiaient le moins de ces programmes.
Les colonnes 5 et 6 du tableau 5.6 montrent que la variance des sommes des gains est,
chaque année, quatre à neuf fois supérieure à la somme des variances. Cela semble contre-
dire la prédiction selon laquelle les cycles apparaissent chaque année lors de ces program-
mes de subventions. Les coefficients de corrélation concernant les gains dans le temps sont
au moins de 0,9 ; ce qui sous-entend qu’aucun cycle n’apparaît au cours du temps (Strat-
142 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

mann, 1996a, p. 25) 24. Les résultats de Stratmann confirment, à partir de l’étude des
subventions fédérales, l’hypothèse de l’existence d’une coalition stable au Congrès améri-
cain entre 1985 et 1990.
Même si ces résultats supposent une « tyrannie de la majorité » au sein du Congrès
américain, ils posent certaines énigmes. Pourquoi, par exemple, une circonscription dont
l’élu est mis à l’écart de la coalition gagnante reçoit tout de même des subventions ?
Comment expliquer le manque de rationalité d’une grande partie des votes sur des
programmes électoralistes 25 ? Certains auteurs ont émis l’idée de l’existence d’« une
norme d’universalité » au sein du Congrès américain pour répondre à ces questions 26. Au
lieu d’encourager l’apparition de cycles et de courir le risque d’essuyer une défaite en
formant des coalitions majoritaires qui adoptent des lois à fort effet redistributif avec une
faible majorité de voix, une coalition de l’ensemble des membres émerge de manière à ce
que chacun soit assuré d’obtenir une partie des subventions fédérales.
Bien que le terme d’« universalité » soit un moyen séduisant de sortir du paradoxe
du soutien quasi unanime des programmes redistributifs, il n’est pas dénué de tout
problème. Il ne va pas de soi qu’il existe une norme universelle qui attribue à une personne
une part des gains 75 fois plus grande qu’à une autre. Allons plus loin. Si l’on tient compte
de la part d’impôt payée par chaque circonscription pour financer ces programmes, de
nombreuses régions (probablement la majorité) enregistrent des pertes nettes. Comment les
normes du Congrès américain peuvent-elles être à la fois universelles et aussi inégalitaires ?
Pour répondre à cette question, il est plus judicieux de définir les coalitions, non
comme des groupes d’élus en concurrence, mais des groupes d’élus ayant intérêt à se coali-
ser contre l’intérêt des citoyens. Les citoyens n’ont pas conscience des coûts liés aux
subventions fédérales, car le paiement des impôts sous-jacents est diffus. Ils considèrent
uniquement les bénéfices concentrés qu’ils reçoivent. Chaque élu est évalué sur la base de
sa contribution marginale au bien-être social de sa circonscription. Quel que soit le montant
de la subvention qu’il reçoit, elle sera comptabilisée par les électeurs comme une contribu-
tion marginale de l’élu. Même si un élu dont la circonscription reçoit uniquement
10 millions de dollars de subvention n’a pas « gagné » autant que l’élu de la circonscrip-
tion qui obtient 750 millions de dollars, ce premier a tout de même « gagné » quelque chose.
Selon cette interprétation, les perdants sont uniquement les citoyens-contribuables 27.

5.13.5 Les preuves expérimentales de l’existence de cycles


La meilleure manière de contrôler les caractéristiques de l’environnement pour tester la
présence de cycles est de se placer dans un cadre expérimental. De nombreuses expérien-
24 Van Deemen et Vergunst (1998) n’ont pas réussi à apporter la preuve de l’existence de préférences cycliques
lors des élections nationales néerlandaises de 1982, 1986, 1989 et 1994. Kurrild-Klitgaard (2001) a bien établi
la possibilité de formation d’un cycle mais uniquement si les Danois avaient voté pour leur Premier ministre
lors des élections de 1994.
25 Voir également Ferejohn (1974) et Mayhew (1974, pp. 88-113).
26 Voir également Weingast (1979), Weingast, Shepsle et Johnsen (1981), Shepsle et Weingast (1981) et Niou et
Ordeshook (1985). Tullock (1981) reprend cette explication pour répondre à la question de la stabilité effec-
tive des commissions :« Why so much stability ? ».
27 Pour un modèle formalisé du « paradoxe de l’universalité » qui suit cette interprétation, voir Schwartz (1994).
Les propriétés positives de la règle majoritaire 143

ces ont été menées sur le sujet des cycles. Beaucoup d’entre elles ont défini spatialement
l’ensemble des alternatives soumises au vote, comme nous l’avons fait tout au long de ce
chapitre. Dans ces expériences, les préférences sont déterminées de la sorte : si la commis-
sion adopte une position particulière xi dans l’espace à deux dimensions, on donne alors
une récompense de D dollars au participant i. Plus le choix de la commission est éloigné
de xi , plus la récompense accordée à ce participant sera faible. Même si, dans la plupart des
expériences, les courbes d’indifférence ont des formes circulaires, elles prennent parfois
des formes d’ellipse ou d’autres formes plus exotiques dans d’autres études. Les premières
expérimentations ont cherché à savoir si le vote des commissions aboutissait à un vain-
queur de Condorcet, lorsque celui-ci existait. D’après le théorème de Plott (1967), un équi-
libre ne pourra émerger dans un jeu spatial de vote que si les joueurs sont en nombre
impairs et qu’ils peuvent parfaitement être rangés par paire de part et d’autre du point idéal
de l’électeur pivot. Cette situation est représentée par la figure 5.9 où chaque lettre repré-
sente le point idéal d’un électeur et E l’unique point gagnant. Fiorina et Plott (1978) ont été
les premiers à mener des expériences de ce type. Leurs résultats montrent que, même si le
choix de la commission ne correspond pas exactement au résultat d’équilibre, il tend vers
un amas de points autour de cet équilibre. De nombreuses expériences ultérieures ont
confirmé ce résultat. On peut citer, par exemple, les résultats des expériences de McKelvey
et Ordeshook (1987) et les illustrer par la figure 5.19. Sur cette figure chaque point repré-
sente le résultat d’une expérimentation. L’équilibre est donné par le point x5 . La position
idéale du joueur 5 et la plupart des points choisis par la commission lors de chaque expé-

équilibre

Figure 5.19
Procédure de vote question par question avec possibilité de discussion (Figure extraite de McKelvey, Richard D. et Peter
Ordeshook, « A Decade of Experimental Research on Spatial Models of Elections and Committees », dans James M.
Enelow et Melvin J. Hinich (ed.), Advances in the Spatial Theory of Volting, Cambridge University Press, 1990, p. 113).
144 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

rience se concentrent autour de ce point. La commission réussit, cependant, à s’éloigner


fortement du point x5 , puisqu’elle choisit un point proche de x4 , très à gauche du repère.
Les commissions semblent donc bien graviter vers le vainqueur de Condorcet,
lorsqu’il existe. Mais qu’en est-il lorsque celui-ci n’existe pas ?
La théorie du chaos de Mc Kelvey (1976) apporte une première réponse : le résultat
du choix de la commission peut se trouver n’importe où sur la page de la figure 5.19 comme
à des kilomètres de celle-ci. Un tel résultat est, cependant, insuffisamment précis et tend à
nuire à sa crédibilité. Il est plus juste, pour cette raison, de penser que la commission choisit
un point soit à l’intérieur de l’ensemble des situations Pareto-optimales soit au centre de cet
ensemble. Les concepts de la théorie des jeux qui seront présentés au chapitre 11 permettent
même de prédire l’avènement d’un tel résultat et d’appréhender les problèmes de cycles dans
un contexte de concurrence entre deux candidats. La figure 5.20 représente les résultats d’une
série d’expériences faites par McKelvey, Ordeshook et Winer (1978). Ces expériences testent
le pouvoir prédictif du concept de solution compétitive proposée par la théorie des jeux. Elles
permettent d’affirmer que généralement le vote conduira à choisir un point à l’intérieur de
l’ensemble de Pareto, autrement dit la surface délimitée par les droites reliant les cinq points
idéaux. Chaque astérisque représente un résultat prédit par la solution compétitive. Tous les
points choisis par les commissions sont proches de ces prédictions. Les expériences de

Solutions compétitives
Résultats expérimentaux

Figure 5.20
Test de solution compétitive(Figure extraite de McKelvey, Richard D. et Peter Ordeshook, « A Decade of Experimental
Research on Spatial Models of Elections and Committees », dans James M. Enelow et Melvin J. Hinich (ed.), Advances in
the Spatial Theory of Volting, Cambridge University Press, 1990, p. 143).
Les propriétés positives de la règle majoritaire 145

McKelvey, Ordeshook et Winer, ainsi que d’autres expériences, ont aussi testé différentes
hypothèses concernant le choix des commissions en l’absence d’équilibre. Ces expériences
révèlent que la règle de la majorité sélectionne des résultats qui font partie de l’ensemble de
Pareto et ont tendance à former un amas. Ces résultats sont, néanmoins, moins proches les
uns des autres que lorsqu’il existe un équilibre 28.
McKelvey et Ordeshook (1984) ont aussi cherché à tester la réalité de la situation
envisagée dans la section 5.13.2. Elle montrait comment un équilibre pouvait émerger, sous
une règle majoritaire, lorsque la question était multidimensionnelle et que chaque alterna-
tive possible était votée l’une après l’autre. Ils retrouvaient le résultat de leurs expériences,
autrement dit les solutions de la figure 5.21. Le « point stable » se situe à l’intersection des
deux droites verticale et horizontale qui coupent les points idéaux médians dans les deux
directions. Sous l’hypothèse selon laquelle la commission est totalement libre de choisir
une nouvelle alternative, ces expériences montrent qu’elle va choisir des points qui ne sont
pas aussi concentrés autour de ce point stable que dans la situation envisagée lors de la
présentation de la figure 5.19. Ces points sont davantage concentrés que sur la figure 5.20
même s’il n’existe aucun point d’équilibre dans ces expériences. Si les commissions ne
peuvent changer qu’une dimension des propositions à la fois, les décisions obtenues pren-
dront alors la forme d’un amas de points concentrés. En effet, tous les points se trouvent au

Point stable

Une observation
Trois observations

Figure 5.21
Procédure de vote question par question sans possibilité de discussion (Figure extraite de McKelvey, Richard D. et Peter
Ordeshook, « A Decade of Experimental Research on Spatial Models of Elections and Committees », dans James M.
Enelow et Melvin J. Hinich (ed.), Advances in the Spatial Theory of Volting, Cambridge University Press, 1990, p. 143).

28 McKelvey et Ordeshook (1990) proposent une revue de littérature sur l’ensemble des résultats expérimentaux
concernant le vote spatial.
146 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

sein du pentagone formé par les diagonales reliant les positions idéales des membres de la
commission. En ne modifiant que très marginalement les procédures de vote des commis-
sions, on obtient une différence notable quant à la stabilité des décisions.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Sen, A. (1991). « La possibilité du choix social », Revue de l’OFCE, n° 70, juillet, pp. 7-61, dispo-
nible en version électronique http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ofce_0751-
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Salmon, P. et Wolfelsperger, A. (2001). « De l’équilibre au chaos et retour : bilan méthodologique des
recherches sur la règle de majorité », Revue française de science politique, vol.51, n° 3, juin,
pp. 331-369.
Enelow (1997) et Young (1997) proposent des revues de littérature sur la règle majoritaire. Karmer
(1972) présente une démonstration rigoureuse du théorème de l’électeur médian. Kramer et Klevo-
rick (1974) établissent des résultats similaires pour des optima locaux. Kats et Nitzan (1976) ont
montré qu’un équilibre local pouvait devenir un équilibre global en relâchant certaines conditions.
À la suite de Plott (1967), les articles majeurs sur les conditions de stabilité dans des modèles multi-
dimensionnels sont venus de Kadane (1972), Sloss (1973), Slutsky (1977a), Schofield (1978) et
Cohen (1979).
La littérature sur les restrictions axiomatiques sur l’ordre des préférences pour atteindre une règle majo-
ritaire est étudiée par Inada (1969), Sen (1970a), Plott (1971), Taylor (1971) et Pattanaik (1997).
En plus des articles cités, Simpson (1969) et Kramer (1977) ont apporté d’importantes contributions
en spécifiant les conditions sous lesquelles une majorité donnée m* suffit pour assurer l’équilibre.
Les discussions fondatrices sur l’échange de votes dans le courant du choix public proviennent de
Downs (1957), Tullock (1959), et par extension, de Buchanan et Tullock (1962). En sciences poli-
tique, la référence classique est Bentley (1907).
Les arguments selon lesquels, dans une structure appropriée, l’échange de vote permet d’améliorer
les revenus grâce à un vote simple, sincère et effectué sous la règle de la majorité ont été présen-
tés par Coleman (1966a,b, 1970) ; Mueller (1967, 1971, 1973) ; Wilson (1969, 1971a,b) ; Mueller,
Philpotts, et Vanek (1972) ; Koford (1982) et Philipson et Snyder (1996).
Les effets négatifs de l’échange de votes ont été étudiés de manière plus développée en science poli-
tique (Schattschneider, 1935 ; McConnell, 1966 ; Lowi 1969 ; Riker et Brams, 1973 ; Schwartz,
1975).
Le théorème reliant l’échange de vote et les cycles apparaît sous des formes diverses chez Parks
(1967), Kadane (1972), Oppenheimer (1972, 1975), Bernholz (1973, 1974a, 1975), Riker et Brams
(1973), Koehler (1975) et Schwartz (1981). Miller (1977) propose une revue très utile de cette litté-
rature ainsi que des démonstrations supplémentaires. Stratmann (1997) propose un résumé moins
technique de cette littérature.
Shepsle et Weingast (1981) discutent des différentes institutions possibles capables de conduire à un
équilibre. Niemi (1983) met l’accent sur l’importance potentielle de limiter l’ensemble des ques-
tions soumises au vote à un ensemble de choix restreints. Il présente aussi une version simplifiée
de la condition d’unimodalité.
Bernholz (1974b) fut le premier à proposer de limiter les considérations à une unique dimension à la
fois, pour parvenir à des équilibres. Slutsky (1977b) et Shepsle (1979) ont démontré ce résultat.
Coleman (1983) souligne l’importance de prendre en considération le fait que c’est dans un contexte
de long terme que les échanges de voix aboutissent à la stabilité. Bernholz (1977, 1978, 1997)
démontre plusieurs théorèmes permettant d’établir ce résultat.
McKevley et Ordeshook (1990) étudient la littérature expérimentale sur le vote spatial.
6
LES PROPRIÉTÉS NORMATIVES
DE LA RÈGLE MAJORITAIRE

6.1 Le théorème du jury de Condorcet 148


6.2 Le théorème de May sur la règle majoritaire 153
6.3 Preuve du théorème de May de la règle de la majorité 155
6.4 Le théorème de Rae et Taylor sur la règle de la majorité 156
6.5 Les hypothèses qui sous-tendent la règle de l’unanimité 157
6.6 Comparaison entre les différentes hypothèses qui sous-tendent
les deux règles 159
6.7 Les conséquences d’une application des règles aux mauvaises questions 162
6.8 Conclusion 165
148 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Dans le chapitre 4, nous avons soutenu que la popularité de la règle de vote à la majorité
s’expliquait par la rapidité de la prise de décision. Cet avantage de la règle majoritaire a été
en partie remis en cause dans le chapitre 5 qui a mis en évidence le risque d’apparition de
cycle. Il peut apparaître une majorité cyclique qui empêche la prise de décision. La déci-
sion collective deviendrait alors arbitraire. Elle serait déterminée par ses conditions insti-
tutionnelles ou par la personne qui a le pouvoir de fixer l’agenda. La question était de
savoir si la règle de la majorité restait la meilleure règle de décision collective pour maxi-
miser le bien-être social (section 5.13.3).
Les avantages de la règle de la majorité auxquels penseraient des étudiants qui ne
sont pas familiers de la théorie du choix social sont la justice, l’équité et l’égalité de la déci-
sion. Pour comprendre pourquoi la règle de la majorité s’est généralisée et est devenue aussi
répandue, il faut présenter ses caractéristiques normatives et positives. Dans ce chapitre,
nous allons exposer trois types d’arguments de nature normative en faveur de la règle de la
majorité simple. Les deux derniers sont assez proches. Le premier, en revanche, diffère des
deux autres parce qu’il reflète une conception très différente du choix démocratique.

6.1 LE THÉORÈME DU JURY DE CONDORCET


Prenons l’exemple d’un jugement rendu par un tribunal pour exposer le théorème de
Condorcet, à l’origine des débats sur les caractéristiques normatives de la règle de la majo-
rité.
Après avoir entendu tous les faits au cours du procès, la probabilité pour que le
juge prenne la bonne décision concernant la culpabilité de l’accusé est de 0,6. Un tribunal
qui aurait recours à la règle de l’unanimité utiliserait 21,6 % du temps qui lui est imparti.
Dans les autres cas, soit il ne réussirait pas à prendre de décision à l’unanimité, soit il pren-
drait une mauvaise décision dans 64,8 % des cas. On suppose, de plus, que la probabilité
pour qu’un jury composé de plusieurs juges ou jurés prenne la bonne décision, augmente
avec leur nombre lorsque la règle de la majorité simple est utilisée.
Cette propriété de la règle de la majorité simple a été discutée pour la première fois
par le marquis de Condorcet (1785) il y a 200 ans. Le fameux théorème de Condorcet dit
la chose suivante :

Théorème de Condorcet. Un nombre impair d’électeurs n qui doivent choisir entre deux
alternatives ont une probabilité a priori égale d’être correcte. Supposons que les électeurs
décident indépendamment les uns des autres et que chacun ait la même probabilité p de
prendre la bonne décision (1/2 < p < 1). Alors, la probabilité pour que le groupe prenne la
bonne décision en utilisant la règle de la majorité simple est égale à
n
Pn = [n!/ h!(n − h)!] p h (1 − p)n−h
h = (n + 1)/2

qui s’approche de un quand n devient grand 1.


1 Forme du théorème de Young (1997, p. 183). Voir aussi Young (1988).
Les propriétés normatives de la règle majoritaire 149

Ce théorème peut être utilisé, tout d’abord, pour justifier l’existence de jurys ayant
un grand nombre de juges et utilisant la règle de la majorité simple. Il y a plus de 2000 ans,
Athènes appliquait d’ailleurs cette règle sans connaître le théorème de Condorcet.
Ce théorème peut ensuite être utilisé pour justifier la démocratie directe et sa forme
moderne, le référendum. Supposons, par exemple, que tous les membres de la société
souhaitent voir disparaître les crimes et la souffrance liée à la vente illégale de drogue. Ils
proposent à cette fin de légaliser et de réglementer la vente de drogue. Ces décisions
doivent permettre d’éliminer les profits et la criminalité liés à la consommation de drogue.
Elles s’inspirent des mesures d’abrogation des lois sur la prohibition aux États-Unis de
1933 qui avaient pour but de mettre fin à la contrebande. Ce choix de la libéralisation ne
fait cependant pas l’unanimité. Certains peuvent penser qu’il va conduire à l’augmentation
de la consommation de drogues et à augmenter la criminalité et la misère sociale. Le théo-
rème de Condorcet préconise le référendum pour s’assurer que la bonne décision sera prise.
Il soutient que la probabilité de prendre une bonne décision avec une telle procédure est
proche de un si la probabilité pour qu’un individu prenne la bonne décision est supérieure
à 1/2 et que tous les citoyens prennent leur décision indépendamment les uns des autres.
Ce théorème peut, enfin, être utilisé pour défendre, sur des bases normatives, un
régime politique bipartite, utilisant la règle à la majorité et faisant respecter la pluralité lors
des élections. Il est légitime, en effet, de supposer que tous les citoyens ont les mêmes
attentes vis-à-vis de leur gouvernement.
Les citoyens des États-Unis ou de la France, par exemple, souhaitent un président
intègre, bon administrateur, capable d’équilibrer les budgets publics, de limiter l’inflation
et le chômage, etc. Il est logique, dans ces conditions, de préconiser la procédure du réfé-
rendum pour désigner le président si chaque citoyen est en mesure de déterminer avec une
probabilité supérieure à 1/2 le candidat qui aura toutes ces qualités. Une élection désigne-
rait avec une probabilité proche de un le meilleur candidat.
Le théorème de Condorcet repose néanmoins sur plusieurs hypothèses qui peuvent
être remises en question : (1) la probabilité pour que la décision soit correcte est la même
pour tous les individus, (2) le choix de chaque individu est indépendant du choix de tous
les autres, et (3) les électeurs votent de manière sincère (selon leurs préférences réelles) et
en ne se fient qu’à leur propre jugement.
Attribuer à chaque individu i une probabilité distincte de trouver la bonne solution
n’altère pas fondamentalement le théorème. Lorsque la distribution des probabilités pi est
symétrique, le théorème tient toujours, même si la distribution moyenne est supérieure à un
demi 2.
La deuxième hypothèse est plus problématique. On peut supposer, en effet, que
lorsque le jury se réunit pour décider du sort de l’accusé, il commence par un tour de table
où chaque juré exprime son opinion. Il est possible, dans ces conditions, que les jurés qui
prennent la parole en dernier aient plus de poids dans le processus de décision. Il est tout
aussi possible que, lorsque les premiers jurés se prononcent en faveur de la culpabilité de

2 Voir Grofman, Owen et Feld (1983), Shapley et Grofman (1984) et Shapley, Grofman, Nitzan et Paroush
(1982) qui ont généralisé le théorème.
150 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

l’accusé, cela influence grandement la décision des jurés suivants. Il y aurait comme un
effet boule de neige. Le fait que les délibérations soient publiques modifie profondément le
résultat d’une décision par rapport à un vote à bulletin secret. On peut même émettre l’hy-
pothèse que le jugement du premier juré en faveur de la culpabilité de l’accusé incite tous
les autres jurés à se prononcer à l’unanimité pour la culpabilité. Heureusement, on peut
supposer que les votes ne sont pas aussi interdépendants. Cela permet de sauver l’idée selon
laquelle la règle de la majorité peut permettre à la collectivité de faire le bon choix. Ladhat
(1992) a proposé l’expression suivante pour évaluer la relation qui pourrait exister entre
deux votes. Cette formule nous permet de penser que le théorème de Condorcet conserve
ses qualités.
p = p − [n/(n − 1)][(1 − p)/ p]( p − 0,25). (6.1)

Ce dernier exemple soulève indirectement les questions, d’une part, de l’origine de


l’information à partir de laquelle les électeurs prennent leurs décisions et, d’autre part, de
l’intérêt pour que les jurés votent sans connaître l’opinion des autres jurés. Austen-Smith
et Bank (1996, p. 14) ont présenté un modèle dans lequel un comportement sincère de tous
les jurés (électeurs) n’est pas rationnel et cela, même lorsque les électeurs ont des préfé-
rences communes. Un vote sincère n’est pas un équilibre de Nash. Pour mieux comprendre
leur argument, considérons le jeu suivant.
Soit un jeu à deux tours qui se joue avec deux urnes. L’une contient 60 boules
blanches et 40 boules noires et l’autre une boule noire. Cette information est connue de tous
les n joueurs. Une boule sera tirée dans l’une des deux urnes. Les n joueurs doivent décider
à l’aide de la règle de la majorité simple de la couleur de la boule qui sera tirée, n étant
impair. Si leur choix est correct, les joueurs reçoivent tous une récompense sous forme
monétaire. Un arbitre retourne d’abord une pièce de monnaie pour déterminer dans quelle
urne sera tirée la boule. Il prend une boule dans cette urne et la montre au premier joueur.
Il remet ensuite la boule dans l’urne et retire une autre boule et la montre au deuxième
joueur et ainsi de suite, jusqu’à ce que tous les n joueurs aient vu une boule de l’urne. L’ar-
bitre prend alors une autre boule dans l’urne et les joueurs votent sur la couleur de cette
dernière. Au moment de voter, aucun joueur ne sait quelle face de la pièce a été tirée. Les
joueurs ne connaissent que la couleur de la boule qu’ils ont vue.
Concentrons maintenant notre attention sur les choix d’un joueur, le joueur A. S’il
a vu une boule noire, il sait qu’elle provient soit de la première urne soit de la deuxième
urne. Il calcule la probabilité de victoire sachant que la boule est noire. Cette probabilité est
0,7(0,5.(1) + 0,5.(0,4)). Sa stratégie optimale repose uniquement sur l’information qu’il
possède, c’est-à-dire le fait qu’il ait tiré une boule noire. Si son vote repose uniquement sur
cette information, il se comporte alors comme le suppose le théorème de Condorcet en
révélant son information privée. Mais voter noir ne cesse d’être la stratégie optimale qu’à
partir du moment où il tient compte du fait que les autres joueurs font des anticipations
similaires et que le choix collectif se fait sous la règle de la majorité.
Sous cette règle, il y a deux possibilités : soit une autre couleur obtient une nette
majorité des voix des n − 1 autres joueurs, soit les n − 1 joueurs votent autant pour une
couleur que pour l’autre. Comme n − 1 est un nombre pair, si une couleur obtient une nette
majorité de voix, elle doit l’emporter avec au moins deux voix d’écarts sans compter le vote
Les propriétés normatives de la règle majoritaire 151

de A. Son vote ne peut pas changer le résultat, ce dont il est parfaitement conscient. Lorsque
les n − 1 autres joueurs votent autant pour une couleur que pour l’autre, le vote du joueur
A est décisif. Prenons le cas où la moitié des électeurs ont voté « blanc ». A sait que la boule
gagnante provient de l’urne contenant les 60 boules blanches. La probabilité qu’il s’agisse
d’une boule noire n’est pas de 0,7 comme pourrait le faire croire l’information privée de A,
mais de 0,4. Si A ignore cette information, sa décision fera pencher la décision collective
vers une situation moins probable. Pour cette raison, il est dans l’intérêt de A et de la collec-
tivité, que A ne décide pas en fonction de son information privée, mais en fonction de ce
qu’il sait sur ce que vont faire les autres.
Ce qui est vrai pour le joueur A vaut bien sûr pour tous les autres joueurs. La stra-
tégie individuelle optimale pour tout le monde est de voter « blanc ». Dire que la boule est
blanche est un équilibre de Nash pour chacun. Une fois que tout le monde comprend la
structure du jeu et adopte la stratégie sophistiquée induite par cette structure, tout le monde
vote pour la couleur blanche, même si chacun pense que la probabilité que la boule tirée
soit blanche n’est que de 0,3. Tous les électeurs votent pour la couleur blanche alors que
toutes les boules montrées par les joueurs étaient noires. Dans ce jeu, un vote sincère est
irrationnel et si tous les joueurs votent rationnellement, c’est-à-dire de manière « sophisti-
quée », cela produit de plus mauvais résultats que s’ils votent sincèrement. Austen-Smith
et Banks (1996) prouvent ainsi que, sous des hypothèses assez proches de celles du théo-
rème de Condorcet, on peut atteindre des résultats pernicieux.
Il existe cependant de nombreux équilibres de Nash pour un même jeu. Il est
important aussi de dire que tous ces équilibres ne posent pas les mêmes problèmes que
l’équilibre où tout le monde vote « blanc ». Dans cet exemple, lorsque n = 3 et que deux
joueurs votent sincèrement et le troisième de manière stratégique (toujours blanc), on est
en présence d’un équilibre de Nash qui offre de meilleurs perspectives de gains pour la
collectivité qu’un vote où tous les électeurs voteraient de manière sincère 3. Ladha, Miller
et Oppenheimer (1995) ont réalisé des expériences avec des jeux du type de ceux qui vien-
nent d’être décrits. Ils ont constaté que quand les jeux sont répétés et que les joueurs
peuvent vérifier la manière dont les autres joueurs ont voté lors des tours précédents, ainsi
que leurs informations privées, les joueurs peuvent être bloqués dans une combinaison où
certains votent sincèrement et d’autres adoptent une stratégie sophistiquée en supposant
qu’ils sont électeurs pivots.
Que devons-nous conclure de cela ? Est-il plus vraisemblable que les joueurs
votent (1) sincèrement en fonction de leurs informations privées – dans ce cas, le théorème
de Condorcet permet de défendre la règle de la majorité simple – (2) de manière sophisti-
quée en devenant des électeurs pivots, ou en adoptant une stratégie mixte ? Pour répondre
à cette question, il est utile de revenir à l’exemple du référendum sur la légalisation sur la
drogue. Si un tel référendum avait lieu aujourd’hui en France, les électeurs diraient à 60 %

3 Plus généralement, Ladha, Miller et Oppenheimer (1995) démontrent qu’il existe une minorité m < n/2 quelle
que soit la taille de la collectivité n, n étant réparti de sorte que la probabilité pour que la collectivité vote
correctement (et cela permette d’anticiper un gain) est plus grande que ce que le théorème de Condorcet prédit
quand la minorité vote stratégiquement en ignorant ses informations privées et que la majorité vote en utili-
sant son information privée.
152 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

que la solution du statu quo est la meilleure et à 40 % qu’il faut légaliser la drogue. Ce
choix serait porté par une connaissance commune en t1 . Si l’annonce du référendum
conduit à une campagne d’information et à des débats, les citoyens peuvent changer d’opi-
nion. Certains peuvent se renseigner sur la prohibition aux États-Unis et changer d’opinion
sur les vertus du statu quo. D’autres, après avoir pris connaissance de la situation aux Pays-
Bas, peuvent s’opposer à la libéralisation. Le jour du référendum, les électeurs qui votent
de manière sophistiquée vont admettre que leur vote ne sera décisif que si les électeurs se
répartissent équitablement entre les deux camps pro- et anti-libéralisation de la drogue.
Cela implique que la campagne ait changé l’opinion des électeurs lors du référendum, de
manière à équilibrer les deux camps. La diffusion de l’information a, dans ce cas, un effet
de conversion. L’électeur reconnaît que son vote ne sera décisif que si l’information privée
qu’il détient n’a aucune valeur. Il est rationnel d’ignorer cette information et il doit alors
fonder son vote uniquement sur la connaissance commune détenue par les électeurs avant
la campagne.
Si l’électeur qui a voté de manière sophistiquée est vraiment rationnel, il ne votera
pas, car la probabilité pour que 40 millions d’électeurs potentiels soient également répartis
entre les deux camps est infime. L’ensemble des coûts de collecte d’informations et du vote
est supérieur aux gains attendus d’un vote décisif, étant donné la faible probabilité pour
qu’un tel événement se réalise. Le problème n’est donc pas que l’électeur vote de manière
sincère ou sophistiquée, mais simplement qu’il aille voter.
Ces considérations sur le théorème de Condorcet nous conduisent au paradoxe du
vote. Ce paradoxe remet en cause les fondements normatifs de la démocratie. Il s’oppose
au théorème de Condorcet qui peut être perçu comme le fondement de cette démocratie
majoritaire. De nombreuses tentatives ont été faites pour résoudre ce paradoxe. Elles sont
résumées dans le chapitre 14 de cet ouvrage. L’une des hypothèses est que les citoyens
considèrent le vote comme faisant partie de leur devoir. Ils suivent une norme sociale. Si
cette hypothèse donne les raisons pour lesquelles les électeurs votent, elle peut aussi expli-
quer la manière dont les gens votent dans le cadre du théorème de Condorcet. Si l’électeur
croit en l’efficacité de la règle de la majorité, autrement dit en sa capacité à faire émerger
la bonne décision, il votera sincèrement.
Le théorème de Condorcet repose, néanmoins, sur une hypothèse. La politique est
un jeu coopératif, un jeu à somme positive où tout le monde peut être gagnant. Tous les
citoyens ont le même objectif. Ils souhaitent punir le coupable et acquitter l’innocent. Ils
veulent le meilleur président pour faire la meilleure politique. Cette hypothèse ne va pas de
soi dans la réalité. De nombreux observateurs et théoriciens de la politique pensent au
contraire qu’il s’agit d’un jeu à somme nulle. Le problème d’un référendum n’est pas de
trouver la meilleure solution, mais de trancher entre deux solutions. Les électeurs ne sont
pas d’accord, non pas parce que le monde est différent, mais parce qu’ils n’ont pas les
mêmes intérêts ou les mêmes valeurs. Dans le cas d’un référendum sur l’avortement, la
décision collective n’a pas pour ambition de dire la vérité mais de dire si un groupe (anti-
avortement) va ou non imposer son opinion à un autre groupe (pro-avortement). Il est alors
important de s’assurer que la règle de la majorité est légitime pour imposer la position d’un
groupe à un autre ; ce qui est l’objet des sections qui suivent.
Les propriétés normatives de la règle majoritaire 153

6.2 LE THÉORÈME DE MAY SUR LA RÈGLE MAJORITAIRE


Un des principaux théorèmes concernant la règle de la majorité a été proposé au milieu du
XXe siècle par May (1952). May définit d’abord une fonction de décision de groupe :
D = f (D1 , D2 , …, Dn ),
n étant le nombre d’individus qui composent la communauté. Chaque Di prend la valeur 1,
0 ou –1 si l’électeur i a respectivement les préférences suivantes entre deux propositions x
et y : x Pi y, x Ii y, y Pi x . P représentant la relation de préférence stricte et I la relation d’in-
différence. Ainsi, les Di servent essentiellement de bulletin de vote et f (.) joue le rôle de
règle pour déterminer le vainqueur. f (.) dépend de la nature des règles de vote et peut
prendre différentes formes. Sous la règle de la majorité simple, la fonction f (.) somme les
Di et attribue à D une valeur d’après la règle suivante :
 
 n
Di > 0 → D = 1
i=1
 
n
Di = 0 → D = 0
i=1
 
n
Di < 0 → D = −1
i=1

May définit les quatre conditions suivantes 4 :


Caractère décisif : la fonction de décision du groupe est définie et n’a qu’une seule
valeur pour tous les ensembles possibles d’ordres de préférences.
Anonymat : D n’est déterminé que par les valeurs des Di et ne dépend pas de la
façon dont les Di sont attribués. Toute permutation des bulletins de vote laisse D inchangé.
Neutralité : si x bat y (ou fait match nul avec y) pour un ensemble de préférences
individuelles et si tous les individus ont le même classement ordinal pour z et w que pour
x et y (c’est-à-dire x Ri y → z Ri w, etc.), alors z bat w (ou fait match nul avec w).
Réceptivité positive : Si D est égal à 0 ou 1 et qu’un individu change son vote initial
de –1 en 0 ou 1, ou de 0 en 1 et que tous les autres votes restent inchangés, alors D = 1.

Le théorème établit qu’une fonction de décision de groupe est la règle de la majo-


rité simple si et seulement si elle satisfait à ces quatre conditions. Ce résultat est le plus
important. Si nous cherchons à répertorier toutes les règles de vote possibles et à appliquer
ces conditions, nous pouvons espérer voir ces conditions satisfaites. Le théorème de May
nous dit qu’une fois que l’on ajoute ces trois conditions, nous avons réduit l’ensemble des
règles de vote possibles à une seule règle, celle de la majorité simple. Toutes les règles de
vote autres que la règle de la majorité simple violeront l’un ou l’autre de ces quatre axiomes.

4 Les dénominations et les définitions ont été quelques peu modifiées pour simplifier la présentation. En parti-
culier, on reprend ici la définition de la neutralité de Sen (1970a, p. 72).
154 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Ce résultat est à la fois surprenant et inquiétant. Il conduit à penser qu’une règle


de vote doit faire plus que remplir ces quatre axiomes. Il faut qu’elle en satisfasse un
cinquième. Dans ce cas, même la règle de la majorité ne pourrait être qualifiée et aucune
règle de vote ne pourrait satisfaire les conditions proposées. Le chapitre 5 nous laisse
également penser qu’aucune règle de vote ne peut satisfaire ces conditions. Il donne aussi
une forte indication sur ce que pourrait être ce cinquième axiome : la transitivité. Pour le
moment, nous ne souhaitons pas discuter de ce point qui sera traité au chapitre 24. Nous
souhaitons simplement trancher entre deux alternatives.
L’équivalence entre la règle de la majorité et ces quatre conditions signifie que
toutes les propriétés normatives de la règle de la majorité ainsi que ses défauts sont résumés
par ces quatre axiomes. Nous nous proposons pour cette raison de les examiner plus en
détail.
Le caractère décisif de la décision ne prête pas à controverse. Une procédure doit
avoir pour unique qualité de pouvoir faire un choix dès qu’il y a alternative. La procédure
de décision doit aussi avoir pour caractéristique de bien traduire les préférences de chaque
électeur. Cela conduit à l’autre propriété des règles de décision collective, la propriété de
réaction positive. Cela signifie que lorsqu’un électeur change ses choix, la décision est
modifiée.
Les deux autres axiomes sont plus importants qu’il n’y paraît ou que leurs déno-
minations pourraient le laisser entendre. L’axiome de neutralité, tout d’abord, introduit la
propriété d’indépendance 5. Sous cette propriété, seules les préférences ordinales de chaque
électeur, lors d’une décision entre deux possibilités, interviennent dans le vote. Toutes les
informations sur les préférences des électeurs sur les autres solutions de remplacement sont
écartées. La conséquence de cette propriété est qu’il n’existe aucun moyen de pondérer la
décision finale par l’intensité des préférences. L’axiome de neutralité élimine ainsi les
règles de vote comme la règle de Borda ou l’élection à point (chapitre 7). Il exige que la
règle de vote traite les problèmes deux à deux et indépendamment de la question posée.
Cela conduit à affirmer que la question de savoir si les lumières de l’arbre de Noël placé
sur la place du marché doivent être rouges ou bleues à la même importance (même pondé-
ration) que la question de savoir s’il faut confisquer la propriété de Monsieur Martin et la
redistribuer à l’ensemble ou à une partie de la communauté.
Si l’axiome de neutralité garantit que la procédure de vote traite de la même façon
chaque question, l’axiome d’anonymat garantit que chaque électeur est traité de la même
façon. La modification des préférences d’un électeur en faveur de la lumière rouge sur le
sapin de Noël et d’un autre électeur en faveur de la lumière bleue n’aura sous cet axiome
aucun effet sur la décision finale. On suppose implicitement que les préférences de l’élec-
teur A ont la même importance que les préférences de l’électeur B en ce qui concerne le
choix des couleurs des lumières de l’arbre de Noël. On fait l’hypothèse que A et B ont la
même intensité de préférence.
Si cet axiome ne pose pas de problème lorsque l’on choisit la couleur des lumiè-
res du sapin de Noël, il pose davantages de problèmes lorsqu’il s’agit de savoir si on doit
ou non confisquer et redistribuer la propriété de Monsieur Martin. Supposons que ce

5 Sen (1979, p. 72) ; Guha (1972).


Les propriétés normatives de la règle majoritaire 155

monsieur soit généreux, qu’il vote en faveur de la proposition et que celle-ci soit acceptée.
Supposons maintenant que M. Martin transforme son vote en vote négatif et qu’en même
temps, son pire ennemi qui vote toujours les alternatives opposées, change son vote en un
vote positif. En vertu de la condition d’anonymat, la proposition passera encore. Une procé-
dure de vote respectant cette condition est aveugle : peu importe si c’est M. Martin ou son
pire ennemi qui vote pour la confiscation de la propriété de M. Martin. Dans certaines
circonstances, il est clair que cette propriété peut s’avérer indésirable.

6.3 PREUVE DU THÉORÈME DE MAY DE LA RÈGLE


DE LA MAJORITÉ
Théorème : Une règle de décision collective est une règle à la majorité simple si et seule-
ment si elle remplit les quatre conditions présentées dans la section 6.2.
Cette règle de la majorité implique que quatre conditions plutôt évidentes soient
respectées.
1. Chaque voix est décisive. Elle soutient une alternative (+1 voix), ou s'y oppose
(–1) ou est neutre (0).
2. Une voix pour (+1) et une voix contre (–1) ont des effets opposés. Leurs effets sur
le résultat se neutralisent.
3. Si deux voix portent sur une même solution, il suffit d’en faire la somme pour
connaître l’effet de leurs choix sur le résultat final.
4. Si la somme des décisions de l’individu i(Di ) est nulle, une décision Di conduira

à une décision, Di > 0, la victoire de x. Une fois qu’une décision a été prise

Di > 0, toute nouvelle décision s’ajoute aux précédentes et modifie la somme

Di > 0 sans changer les résultats.
Ces quatre conditions ont un certain nombre de conséquences. Les trois premières
impliquent :
[N (−1) = N (1)] → D = 0. (6.2)

où N (–1) est le nombre d’électeurs pour y et N (1) le nombre pour x :


Supposons que (6.2) ne soit pas réalisé et que :
[N (−1) = N (1)] → D = 1. (6.3)
Lorsque le nombre de voix pour y est égal au nombre de voix pour x, le résultat est x.
Supposons, enfin, que le changement de y en z et de x en w, fait que le vote pour
z est comptabilisé comme un (–1) et le vote pour w comme un (+1). On inverse tous les
(+1) en (–1) et tous les (–1) en (+1). Ce changement est anonyme et ne doit pas influencer
la décision du groupe. Tous les électeurs qui considèrent à l’origine que x est une solution
moins bonne que y vont maintenant regarder la solution z comme une solution aussi satis-
faisante que la solution w. L’axiome de neutralité conduit ainsi à valider la solution z alors
156 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

que les électeurs avaient plutôt choisi x. z est cependant équivalent à y mais pas à x. Le
caractère décisif du choix n’est donc pas respecté.
L’équation (6.3) devient, dans ces conditions, incohérente avec les trois premiers
axiomes. Par un raisonnement analogue on peut montrer que (6.4) est incompatible avec
les trois premiers axiomes :
[N (−1) = N (1)] → D = −1. (6.4)
Ainsi, (6.2) doit être valide. De (6.2) et de l’axiome de réceptivité positive, on peut déduire
l’équation (6.5) :
[N (1) = N (−1) + 1] → D = +1. (6.5)
Quand le nombre de bulletins pour x est plus grand que le nombre de bulletins pour y, alors
x doit gagner. Supposons maintenant que, lorsque le nombre de bulletins pour x est m − 1
et supérieur au nombre de bulletins pour y, dans ces conditions x gagne. Un changement
dans les préférences d’un électeur fait que le nombre des électeurs qui préfèrent x à y est
maintenant plus grand que le nombre des électeurs préférant y à x et que ce résultat ne peut
être changé même si les électeurs sont réactifs. Par induction, les quatre conditions impli-
quent une règle de décision collective à la majorité simple.

6.4 LE THÉORÈME DE RAE ET TAYLOR SUR LA RÈGLE


DE LA MAJORITÉ
Les hypothèses qui sous-tendent le théorème de May sur la règle de la majorité sont très
proches de celles qui sont à la base du théorème présenté par Douglas Rae (1969) et
Michael Taylor (1969). Ces théorèmes paraissent pourtant en apparence très différents.
Rae (1969, pp. 43-44) pose le problème de cette manière : comment un individu,
qui est incertain quant à sa situation future avec la règle de vote, peut choisir une règle de
vote optimale. Sa présentation s’insère donc dans le cadre du choix constitutionnel d’une
règle de vote introduit par Buchanan et Tullock (1962, pp. 3-15) 6. La politique, telle que
Rae et Taylor la décrivent, est un jeu conflictuel. Certains individus gagnent au passage
d’une proposition, d’autres perdent inévitablement. L’individu représentatif, au niveau
constitutionnel, cherche à éviter, d’une part, que les propositions auxquelles il s’oppose lui
soient imposées et, d’autre part, à imposer aux autres les propositions qu’il soutient. L’in-
dividu suppose que les avantages qu’il tirera de l’adoption de propositions auxquelles il est
favorable seront égaux aux pertes entraînées par l’adoption de propositions auxquelles il
n’est pas favorable. Tous les électeurs ont donc des préférences d’intensité égale sur toutes
les propositions 7. Les propositions sont présentées de façon impartiale, si bien que chaque
électeur a la même probabilité d’appuyer ou de voter contre toute proposition qui est
présentée.

6 Voir aussi Buchanan (1966).


7 Rae (1969, p. 41, note 6). Plusieurs auteurs ont reconnus l’importance de cette hypothèse d’égale intensité. Les
notes du tableau 6.1 qui résume toutes les hypothèses donnent des références supplémentaires sur ce thème.
Les propriétés normatives de la règle majoritaire 157

Sous ces hypothèses, il est raisonnable de supposer que l’électeur représentatif


choisit une règle qui minimise la probabilité qu’une proposition appuyée par lui soit rejetée
et qu’une proposition à laquelle il est hostile soit adoptée. Rae (1969) et Taylor (1969)
démontrent que la règle de la majorité est la seule règle qui obéisse à ce critère 8.
L’exemple de Brian Barry (1965, p. 312) est un bon moyen de saisir toute la portée
de ce théorème. Cinq personnes occupent un compartiment dans un train où rien n’indique
qu’il est permis ou non de fumer. Sous cette condition, les passagers du train doivent
décider si les occupants du compartiment qui souhaitent fumer auront ou non le droit de le
faire. Si les individus étaient eux-mêmes dans la situation de ne pas savoir s’ils veulent
fumer ou non, l’hypothèse naturelle serait qu’un non-fumeur souffre autant de la fumée des
autres que ceux-ci souffrent d’être contraints de ne pas fumer. L’hypothèse d’intensité égale
semble défendable dans cette situation. Avec cette hypothèse et l’incertitude sur le fait
qu’on veuille ou non fumer, la règle de la majorité est la meilleure règle de décision. Elle
maximise l’utilité anticipée par un rédacteur de constitution.
Cet exemple illustre à la fois les hypothèses explicites et implicites qui fondent le
théorème de Ray et Taylor sur la règle de la majorité. Premièrement, la situation est nette-
ment conflictuelle. L’avantage du fumeur est gagné aux dépens du non-fumeur, et vice
versa. Deuxièmement, il est impossible d’éviter la situation conflictuelle. La solution qui
consiste à ce qu’une catégorie de passagers quitte le compartiment est exclue implicite-
ment 9. Il n’y a pas non plus de possibilité de redéfinir la question pour supprimer le conflit
et parvenir à un consensus. Chaque proposition n’a qu’une seule dimension et on ne peut
voter que par oui ou par non. Quatrièmement, la question a été déterminée par le hasard ou
de façon impartiale. Les passagers réunis dans le compartiment le sont de manière aléa-
toire. Cela n’introduit aucun biais de sélection en faveur d’une solution ou d’une autre. La
dernière hypothèse que comporte l’exemple est l’hypothèse d’égale intensité.
La meilleure manière de saisir l’importance de chacune de ces hypothèses dans
l’argumentation favorable à la règle de la majorité consiste peut-être à les opposer aux
hypothèses qui ont en général été émises en faveur de son antithèse, la règle de l’unanimité.

6.5 LES HYPOTHÈSES QUI SOUS-TENDENT LA RÈGLE


DE L’UNANIMITÉ
En accord avec les travaux de Wiksell (1896) et Buchanan et Tullock (1962), la politique
est un jeu coopératif à somme positive. L’objectif du groupe des électeurs est la recherche
de l’intérêt commun. Ce groupe est une association volontaire d’individus qui se réunissent
pour satisfaire leurs besoins communs 10. Comme l’association est volontaire, chaque
membre se voit garantir le droit de protéger ses propres intérêts contre ceux des autres
membres.
8 Le mot seul n’a de sens ici que lorsque la commission a un nombre pair de membres. Si n est pair, la règle de
la majorité et la règle n/2 ont toutes deux cette propriété en commun. Voir Taylor (1969).
9 Rae insiste beaucoup sur cette hypothèse pour défendre la règle de la majorité contre la règle de l’unanimité
(1975).
10 Voir aussi Buchanan (1949).
158 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Ce droit est préservé par le pouvoir donné à chacun, dans la règle de l’unanimité,
d’opposer son veto à toute proposition qui irait à l’encontre de ses intérêts ou par la possi-
bilité de sortir de la communauté ou par les deux à la fois.
Comme le but des électeurs est la réalisation de leurs préférences, il est logique
qu’ils privilégient des propositions qui viennent des individus eux-mêmes. Chaque indi-
vidu a, dans cette perspective, le droit de présenter des propositions à la commission, dont
il pense qu’elles lui seront avantageuses ainsi qu’à tous les autres membres. Si une
première proposition ne réussissait pas à obtenir une majorité unanime, elle serait redéfinie
jusqu’à ce qu’elle obtienne cette unanimité ou jusqu’à ce qu’elle soit rejetée de l’ordre du
jour. Ainsi, sous la règle de l’unanimité la procédure politique est implicitement une procé-
dure ouverte de discussion, de compromis et d’amendement qui se poursuit jusqu’à ce que
soit obtenue la proposition avantageuse pour tous. Les hypothèses fondamentales qui sous-
tendent cette vision de la politique sont que le jeu soit coopératif et qu’il soit en même
temps à somme positive : il existe une formulation de la proposition avantageuse pour tous
et la procédure peut s’achever dans un laps de temps raisonnable, en même temps que les
coûts de transaction associés à la prise de décision ne sont pas prohibitifs 11.
On peut aussi illustrer la procédure de vote envisagée par les partisans de l’unani-
mité par un exemple : la protection contre l’incendie dans une petite communauté. Un
citoyen propose à l’assemblée municipale de protéger la communauté contre les incendies
en achetant un camion et une caserne et il double sa proposition à la manière de Wicksell
d’une proposition d’impôt pour financer cet achat. Supposons que cette première proposi-
tion fiscale soit que chaque propriétaire foncier paie une fraction identique des coûts. Les
citoyens dont la propriété a le moins de valeur se plaignent. La valeur escomptée de la
protection contre l’incendie (la valeur de la propriété multipliée par la réduction du risque
de feu) est, pour certains propriétaires, inférieure à la part des coûts qu’ils doivent suppor-
ter avec une formule d’impôts forfaitaires. L’adoption de la proposition conduirait les
pauvres à subventionner la protection contre l’incendie obtenue par les riches. Une propo-
sition concurrente est présentée. Elle offre un système d’impôt proportionnel à la valeur des
propriétés. Les avantages escomptés de tous les citoyens sont maintenant supérieurs à la
part des coûts qu’ils financent. La proposition est adoptée à l’unanimité.

11 Wicksell (1896) comme Buchanan et Tullock (1962) admettent que les coûts en temps de la prise de décision
puissent être suffisamment grands pour que la règle de l’unanimité complète soit abandonnée au profit d’une
règle de la quasi-unanimité (Wicksell) ou même d’une règle fractionnaire moins stricte. De fait, une bonne
partie du livre de Buchanan et Tullock est consacrée au choix de la règle de « non-unanimité » optimale, tel
qu’on l’a présenté dans le chapitre 4 de ce livre. On pourrait donc se demander s’ils peuvent être légitimement
catalogués comme des champions de l’unanimité. D.C. Mueller a choisi de le faire parce qu’il pense qu’on
peut honnêtement caractériser leurs argumentations par le fait qu’elles établissent que si les coûts de transac-
tion n’existaient pas, l’unanimité serait la meilleure règle, et par conséquent, que toute règle proche a des
chances d’être la meilleure dans de nombreuses situations. Au contraire, Rae (1975) et Barry (1963) soutien-
nent tous deux que leur critique de l’unanimité ne se fonde pas seulement sur le critère des coûts de la prise
de décision.
Les propriétés normatives de la règle majoritaire 159

6.6 COMPARAISON ENTRE LES DIFFÉRENTES HYPOTHÈSES


QUI SOUS-TENDENT LES DEUX RÈGLES
La protection contre l’incendie, la suppression de la fumée émise par les usines et tous les
biens ayant des effets bénéfiques similaires peuvent illustrer les avantages d’une action
collective et de la production de biens collectifs, d’effets externes, autrement dit de biens
et services que le marché ne parvient pas à fournir dans une quantité avantageuse pour tous.
La production de ces biens collectifs améliore l’efficacité de l’affectation des ressources
rares. Elle permet de se déplacer d’un point situé en dehors de la frontière de Pareto vers
un point situé sur cette frontière. Les partisans de l’unanimité ont supposé qu’une action
collective impliquait des décisions collectives de ce type.
Les tenants de la règle de la majorité envisagent, au contraire, des choix conflic-
tuels où il n’existe pas de possibilités mutuellement avantageuses, comme c’est le cas lors-
qu’une communauté est contrainte de choisir entre des possibilités efficaces au sens de
Pareto. Dans l’exemple précédent de la protection contre l’incendie, de nombreuses propo-
sitions de répartition des parts d’impôt pouvaient couvrir les coûts de la protection contre
l’incendie, tout en améliorant le sort de tous. Toutes ces propositions auraient pu recevoir
une approbation unanime, si on les avait confrontées à la perspective d’absence de protec-
tion contre l’incendie. Dès qu’une de ces propositions a obtenu une majorité unanime,
aucune autre proposition de l’ensemble efficace de Pareto ne peut recueillir l’unanimité si
elle est présentée à son encontre. Toutes les autres propositions dégraderont nécessairement
le sort de quelqu’un (en augmentant sa part d’impôt) et ce dernier s’opposera à son adop-
tion.
Les critiques de la règle de l’unanimité et les défenses de la règle de la majorité
impliquent souvent des problèmes relatifs à la répartition des coûts ou aux droits de
propriété. Dans l’exemple de Barry, les occupants du compartiment sont en conflit sur le
droit à l’air pur et le droit de fumer ; lors de sa critique de la règle de l’unanimité, Rae
(1975, pp. 1287-1297) utilise un exemple similaire où il met en scène les fumées d’une
usine et le droit à l’air pur des citoyens situés à proximité. Dans les deux cas, il faut dire
qui possède les droits de propriété et assume ses conséquences sur la répartition de la
richesse. Si on donne aux fumeurs le droit de fumer, ceux qui recherchent l’air pur voient
leur sort se dégrader. Même dans des situations où ces derniers peuvent améliorer leur sort
en soudoyant les fumeurs pour qu’ils réduisent le niveau de la fumée, les non-fumeurs sont
dans une situation moins bonne lorsqu’ils ont à payer un pot-de-vin que si le droit de
propriété avait été inverse et si les fumeurs devaient payer ce pot-de-vin (Rae 1975).
Buchanan et Tullock (1962, p. 91) présentent le même exemple. Ils supposent, cependant,
que la question initiale du droit de propriété a déjà été résolue au stade constitutionnel. Cela
montre une autre différence entre les partisans de la règle de l’unanimité et les défenseurs
de la règle de la majorité. Les premiers supposent en général que les décisions sont prises
dans le cadre d’un ensemble prédéfini de droits de propriété, alors que les seconds, comme
Barry et Rae supposent qu’il faut prendre la décision sur les droits de propriété. Dans
l’exemple de Barry, c’est la seule décision à prendre. L’argumentation de Rae est plus
complexe. Il soutient que la constitution ne peut résoudre pour l’éternité tous les problèmes
de droits de propriété, parce que les progrès techniques et économiques conduisent certains
160 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

à s’interroger sur la place des biens collectifs et des effets externes dans les choix collec-
tifs. Dans tous les cas et sous l’hypothèse d’égoïsme des individus, il est clair qu’un accord
unanime sur la propriété de l’air est peu probable. Une règle moins contraignante que la
règle de l’unanimité semble nécessaire pour résoudre de façon équitable les problèmes
posés par la répartition initiale des droits de propriété.
Cette dernière affirmation doit être nuancée parce qu’elle suppose l’existence
d’autres hypothèses qui ont été introduites dans la présentation de la règle à la majorité : la
sortie est impossible (ou onéreuse) ; la question ne peut pas être redéfinie de telle sorte
qu’elle soit avantageuse pour toute le monde. La nécessité de la première hypothèse est
évidente. Si les occupants du compartiment pouvaient se rendre dans un autre comparti-
ment où il est explicitement permis ou interdit de fumer, le conflit disparaîtrait, de même
que si l’usine ou bien les résidents du voisinage pouvaient s’en aller sans coût. L’impor-
tance de la seconde hypothèse nécessite certains développements.
Considérons à nouveau l’exemple des fumeurs et du compartiment de train.
Supposons que le train ne soit pas autorisé à partir avant que les occupants du comparti-
ment aient décidé s’il était ou non permis de fumer. Si on utilisait la règle de l’unanimité,
le type de situation que les critiques de la règle de l’unanimité semblent redouter le plus,
une impasse coûteuse, pourrait apparaître.
Pour sortir de cette impasse, il se pourrait même que la minorité force la majorité
à capituler, si les avantages que la majorité trouve dans l’avance du train étaient suffisam-
ment grands. Avec ces hypothèses, la règle de la majorité devient très attrayante par rapport
à la règle de l’unanimité.
Changeons légèrement les données de l’exemple. Supposons que tous les passa-
gers du train doivent fixer les règles en ce qui concerne le droit de fumer avant que le train
ne parte. Comme il est manifestement plus avantageux de choisir un siège dans l’ensemble
d’un train que dans certaines parties du train seulement, on peut s’attendre à ce qu’un
égoïste rationnel préfère que le train entier soit déclaré comme une zone conforme à ses
préférences en ce qui concerne le droit de fumer. Si on utilisait la règle de la majorité pour
trancher la question, il serait permis ou interdit de fumer dans l’ensemble du train. Mais, si
l’on utilisait la règle de l’unanimité, les passagers du train seraient obligés d’étudier d’au-
tres possibilités que celles qui soumettraient l’ensemble du train à la même règle. La propo-
sition de réserver aux fumeurs certaines zones et d’interdire de fumer dans d’autres
émergerait facilement comme solution de compromis et bénéficierait d’une approbation
unanime face à la perspective de voir le train bloqué. Les membres de la majorité se trou-
veraient un peu moins bien avec ce compromis qu’ils ne l’auraient été si tout le train avait
été déclaré zone conforme à leurs préférences, mais les membres de la minorité s’en trou-
veraient mieux. Un observateur impartial pourrait facilement préférer le compromis auquel
la règle de l’unanimité a contraint le groupe au résultat auquel aboutit la règle de la majo-
rité.
Les arguments favorables à la règle de la majorité supposent implicitement que des
propositions de compromis de ce type sont impossibles. Lorsque les électeurs sont confron-
tés à des alternatives exclusives 12, que l’existence de solutions mutuellement avantageu-

12 Buchanan et Tullock (1962, p. 253) et Rae (1969, pp. 52-53).


Les propriétés normatives de la règle majoritaire 161

ses est technologiquement impossible ou qu’un certain nombre de contraintes rendent


impossible leur mise au vote, la règle à la majorité est une bonne règle de décision collec-
tive. Le tableau 6.1 résume les débats et les hypothèses faites pour soutenir ou critiquer les
règles de décisions à la majorité et à l’unanimité.
Ces hypothèses permettent de savoir les conditions de fonctionnement optimales
de chacune des règles de décision. Elles ne sont ni nécessaires ni suffisantes. Le tableau 6.1
montre immédiatement que les hypothèses favorables à chaque règle de décision sont
diamétralement opposées aux hypothèses formulées à l’appui de l’autre règle. Il est facile,
aussi, de constater l’importance de ces hypothèses lorsque l’on cherche à déterminer les
propriétés normatives des règles à la majorité et à l’unanimité.

Tableau 6.1
Les hypothèses favorables aux règles de la majorité et de l’unanimité.

Hypothèse Règle de la majorité Règle de l’unanimité


1. Nature du jeu (a) Conflictuel, à somme nulle Coopératif, à somme positive
2. Nature des propositions Redistribution, droits de propriété (cer- Amélioration de l’efficacité de l’affectation des
tains gagnent, certains perdent) ressources (biens publics, élimination des effets
Propositions s’excluant l’une l’autre et externes)
unidimensionnelles (b) Propositions pouvant comporter plusieurs dimen-
sions et dont tous puissent tirer avantage (c)
3. Intensité Égale sur toutes les propositions Aucune hypothèse
4. Méthode de formation Involontaire. Les membres sont réunis de Volontaire. Y entrent des individus aux intérêts
de la commission façon exogène ou de façon aléatoire (e) communs et aux préférences semblables (f)
5. Conditions de sortie Bloquée, onéreuses (g) Libres
6. Choix des propositions Propositions extérieures ou impartiales Propositions faites par les membres de la com-
(h) mission (i)
7. Amendement des propositions Exclu, ou limité de façon à éviter les Endogène à la procédure de la commission (i)
majorités cycliques (j)

(a) Buchanan et Tullock (1962, p. 253) ; Buchanan (1966, pp. 32-33)


(b) Barry (1965, pp. 312-314) ; Rae (1975, pp. 1286 - 1291)
(c) Buchanan et Tullock (1962, p. 80) ; Wicksell (1896, pp. 87-96)
(d) Rae (1969, p. 41, note 6) ; Kendall (1941, p. 117) ; Buchanan et Tullock (1962, pp. 128-130)
(e) Rae (1975, pp. 1277-1278)
(f) Wicksell (1896, pp. 87-96) ; Buchanan (1949). Cette hypothèse est bien sûr commune à toutes les théories contractuelles de l’État.
(g) Rae (1975, p. 1293)
(h) Cette hypothèse est implicite dans l’impartialité que Rae (1969) et Taylor (1969) postulent dans leurs preuves, et dans l’exemple de
Barry (1965, en particulier p. 313)
(i) Wicksell (1896) ; Kendall (1941, p. 109)
(j) Implicite
162 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

6.7 LES CONSÉQUENCES D’UNE APPLICATION DES RÈGLES


AUX MAUVAISES QUESTIONS
6.7.1 Décider d’améliorer l’efficacité allocative
via la règle de la majorité
Lorsqu’une proposition est soutenue par tous les électeurs, la règle de la majorité gaspille
près de la moitié des voix. Une coalition d’électeurs de la commission pourrait profiter de
cet état des choses pour redéfinir la proposition de manière à s’assurer des avantages
supplémentaires au détriment des membres qui ne font pas partie de la coalition. Dans
l’exemple de l’assemblée municipale, on pourrait facilement imaginer le scénario inverse
de celui que l’on vient de décrire. Une première proposition comportant un financement de
la protection contre l’incendie par un impôt foncier proportionnel est formulée.
Tous sont favorables à cette proposition. Elle serait donc adoptée à l’unanimité.
Mais l’assemblée municipale prend maintenant ses décisions à la majorité. Les citoyens les
plus riches de la ville se réunissent et proposent un impôt forfaitaire sur l’ensemble des
propriétaires fonciers. Les personnes les moins bien loties de la communauté s’opposent à
cette proposition régressive, mais elles œuvrent de façon à garantir une majorité en sa faveur
quand elle est confrontée à la proposition d’impôt proportionnel. Une coalition majoritaire
des riches a réussi à associer une protection contre l’incendie à un impôt régressif pesant sur
les pauvres. La croyance de Wicksell (1896, p. 95) selon laquelle la règle de l’unanimité
favoriserait les pauvres était probablement assise sur des considérations de cet ordre.
Il existe cependant d’autres manières par lesquelles une redistribution peut inter-
venir avec la règle de la majorité. Une coalition des résidents de la partie nord de la ville
pourrait se former et proposer la fourniture d’une protection contre l’incendie à toute la
ville ainsi que la création d’un parc dans la partie nord, l’ensemble devant être financé par
un impôt proportionnel sur l’ensemble de la communauté 13.
Si on fait l’hypothèse que le parc ne profitera pas aux résidents du sud de la ville,
cette proposition entraînerait une redistribution du revenu des résidents du sud vers les rési-
dents du nord aussi nette que celle d’une proposition consistant en une diminution des
impôts des résidents du nord et en une augmentation de ceux des résidents du sud.
Ainsi, sous la règle de la majorité, on peut s’attendre à ce qu’une procédure de
présentation des propositions et d’amendement de celles-ci, interne au comité directeur,
transforme des jeux à somme purement positive, qui portent sur des questions relatives à
l’efficacité de l’affectation des ressources, en jeux qui combinent des modifications dans
l’affectation des ressources à une redistribution. Comme Buchanan et Tullock (1962,
pp. 190-192) l’ont montré, quand des jeux de marchandage autorisent des compensations
monétaires, la redistribution de la richesse qui accompagnera l’adoption ou le rejet de n’im-
porte quelle proposition sera équilibrée. Dans les jeux de marchandage où les compensa-
tions monétaires sont interdites, la valeur exacte des transferts nets de revenu est plus

13 Cet exemple ressemble à celui qu’utilise Tullock (1959) pour démontrer que la règle de la majorité peut
conduire à des dépenses publiques excessives ainsi que cela a été montré plus haut.
Les propriétés normatives de la règle majoritaire 163

difficile à mesurer. Toutefois, quand des coalitions stables ne parviennent pas à se former,
on s’attend à ce que le processus dynamique de redéfinition des propositions que suscite la
règle de la majorité et qui conduit à la formation de coalitions gagnantes et perdantes de
taille presque égale et de composition changeante, finisse par entraîner à long terme une
redistribution nette nulle. L’hypothèse de Riker, selon laquelle toute la politique est un jeu
à somme nulle de redistribution pure, pourrait caractériser les aspects redistributifs à long
terme des résultats auxquels conduit la procédure politique avec la règle de la majorité.
Ces qualités de la règle de décision à la majorité doivent être soulignées. Les quali-
tés redistributives de la règle majoritaire peuvent provoquer une dynamique telle que la
majorité gagnante peut seulement faire perdre la majorité perdante et justifier l’hypothèse de
Rae selon laquelle la probabilité qu’elle favorise la solution des gagnants est égale à la
probabilité qu’elle favorise les perdants. Si on ajoute à cela l’hypothèse d’intensité égale
faite par Rae et l’axiome de May nous pouvons en conclure que les gains attendus des
gagnants sont égaux quelque soit la solution aux pertes d’utilité attendue du nombre des
perdants. Sous ces hypothèses normatives qui sous-tendent la règle majoritaire, il n’y a pas
de gains nets d’utilité attendus d’un changement de solution. Le jeu est à somme nulle aussi
bien en utilité espéré qu’en euro. Reste à savoir alors pourquoi les électeurs jouent. Les
hypothèses normatives développées dans cette section tendent à compromettre l’intérêt de la
règle de la majorité dans le long terme. Elles rendent son résultat indéterminé. Ce futur de
la règle de la majorité peut expliquer pourquoi des observateurs comme Britan (1975) sont
frustrés par les bénéfices à long terme de la règle majoritaire des régimes démocratiques.
Nous avons vu que les aspects redistributifs de la règle de la majorité peuvent
rendre difficile le maintien de coalitions gagnantes stables et aboutir à des majorités
cycliques. Mais si une coalition gagnante stable parvient à se former, les coûts de transac-
tion dus aux majorités cycliques ainsi qu’à la formation et à la destruction des coalitions
peuvent se réduire fortement ou disparaître. Si les membres d’une commission sont libres
de présenter et d’amender des propositions, une coalition majoritaire stable peut s’engager
dans une redistribution permanente au détriment des membres minoritaires de la commis-
sion. Il se peut que ce résultat d’une « tyrannie de la majorité » soit encore plus indésira-
ble qu’une redistribution vaine, mais plus ou moins impartiale, issue des cycles de majorité
(Buchanan, 1954). Stratmann, en 1996, a testé la présence d’un vote cyclique au Congrès
des États-Unis. Son résultat a été discuté dans le chapitre précédent. Il suggère qu’une telle
majorité stable et tyrannique existe au moins pour les subventions fédérales.
Ainsi, on observe que les arguments favorables à la règle de la majorité compor-
tent deux hypothèses implicites : aucune coalition majoritaire stable ne se forme pour
tyranniser la minorité et les coûts de transaction sont nuls. Cette dernière hypothèse est
analogue à l’hypothèse du temps de décision nul qui sous-tend la règle de l’unanimité.
La procédure de présentation des propositions doit être fixée de manière à ce que
des majorités cycliques ne puissent pas apparaître ou que, si elles apparaissent, elles ajou-
tent un élément de pure redistribution à un ensemble de décisions relatives à l’efficacité de
l’affectation des ressources prédéterminées, ou peu modifiées par le processus de redistri-
bution entraîné par les majorités cycliques. Si ce processus de redéfinition des solutions, de
formation de la coalition et de résultat cyclique a pour effet d’améliorer le bien-être social,
la question reste ouverte.
164 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

6.7.2 La décision de redistribuer via la règle


de l’unanimité
Si l’on suit le résultat du raisonnement précédent, la règle de l’unanimité n’est pas appro-
priée en présence d’une véritable situation de conflit. Elle peut alors bloquer toutes les
tentatives de redistribution des revenus et de redéfinition des droits.
Ce résultat conduit à discuter de manière critique des fondements et des qualités
de la règle de l’unanimité. On peut s’interroger, tout d’abord, sur l’effet de la règle de l’una-
nimité sur le progrès technique 14. Le train ne peut partir tant que les cinq occupants du
compartiment ne sont pas parvenus à un consensus sur le droit de fumer. La plupart des
progrès technologiques dégradent le sort de certaines personnes. De fait, presque toutes les
modifications de l’environnement physique sont susceptibles de détériorer le sort de quel-
qu’un 15. Même si, en principe, toute proposition de changement, jusqu’au choix de la
couleur de ma cravate, pourrait être décidée par la collectivité et assortie d’une compensa-
tion monétaire convenable pour les personnes qui subiraient un dommage, les coûts de
transaction associés aux décisions relatives à ces changements sont manifestement prohi-
bitifs lorsque l’on utilise la règle de l’unanimité. L’objection des coûts de décision portée
à l’encontre de la règle de l’unanimité réapparaît. Elle est implicitement favorable à la règle
de la majorité et tend à faire l’hypothèse que les progrès technologiques et les changements
dans les préférences pour la redistribution sont impartiaux. Le gain d’utilité d’un individu
favorable à un changement est égal à la perte d’utilité d’un individu qui y est hostile. Avec
le temps, ces gains et ces pertes sont répartis de façon impartiale entre toute la population.
Cette hypothèse dissimule une autre hypothèse, d’après laquelle la procédure de présenta-
tion des propositions à la commission est organisée de telle façon qu’il est impossible
d’amender les propositions pour faire en sorte qu’elles avantagent systématiquement un
groupe aux dépens des autres. Le temps et l’environnement soulèvent des problèmes qui
impliquent des changements impartiaux des droits de propriété et une redistribution impar-
tiale. La commission vote les propositions qui en résultent par oui ou par non, à mesure
qu’elles viennent selon la règle de la majorité. Tous profitent à long terme des gains d’ef-
ficacité qui résultent d’un progrès technologique continu, débarrassé de toutes les entraves
que suscitent les impasses de la procédure de décision collective.
La seconde critique importante soulevée par la règle de l’unanimité pour décider
des questions de redistribution et de redéfinition des droits de propriété est que le pouvoir
de veto de cette règle donne à une minorité la possibilité de violer une norme éthique géné-
ralement acceptée. L’abolition de l’esclavage, par exemple, peut être bloquée par les
propriétaires d’esclaves ; la redistribution du revenu vers les plus pauvres est bloquée par
les riches. Si un groupe parvient à s’assurer une part du revenu ou de la richesse de la
communauté supérieure à la moyenne grâce à la chance, à la compétence ou à l’habileté, la
règle de l’unanimité garantit que cette répartition ne pourra pas être bouleversée par une

14 Voir Reims (1951), Barry (1965, p. 315) et Rae (1975, pp. 1274, 1282, 1286, 1292-1293).
15 Cet argument semblerait pointer derrière les argumentations de Rae relatives à la dérive des droits de propriété
dans l’exemple de la fumée d’une cheminée d’usine (1975, pp. 1287-1293). Mais, comme le souligne Tullock
(1975), ces critiques ne sont pas suffisantes pour justifier que la règle de la majorité tranche cette question. Les
autres hypothèses que nous avons présentées sont également nécessaires.
Les propriétés normatives de la règle majoritaire 165

action collective de la communauté. Ceux qui gagnent au maintien du statu quo réussissent
toujours avec la règle de l’unanimité à la préserver 16.

6.8 CONCLUSION
À la suite de cette présentation des débats sur les qualités respectives des règles de la majo-
rité et de l’unanimité, on pourrait facilement conclure qu’il n’existe qu’une seule règle opti-
male pour prendre les décisions collectives. Wicksell (1896, p. 89) va d’ailleurs dans ce
sens :
« S’il faut approuver une dépense publique quelconque (…) on doit générale-
ment supposer que cette dépense (…) sert une activité utile pour l’ensemble de la
société et est reconnue comme telle par toutes les classes sans exception. Si ce
n’était pas le cas (…) pour ma part, je ne vois pas pourquoi cette dernière satis-
ferait un besoin collectif au sens propre du terme. »
Locke (1939, p. 455, §131) a une position semblable. En fait, cette position se
retrouve chez tous les tenants de la théorie du contrat social.
« Les hommes (…) n’entrant dans une société (…) qu’avec l’intention de préser-
ver leurs propres libertés et propriétés (il est, en effet, impossible de supposer
qu’une créature rationnelle change sa condition avec l’intention de se retrouver
dans une situation moins bonne), on ne peut jamais être sûr que le pouvoir de la
société ou du parlement ne dépasse les limites du bien public ; mais il est obligé
de garantir la propriété de chacun 17. »
À l’autre extrême, se trouve la conclusion de Brian Barry (1965, p. 313) :
« Mais une situation politique surgit précisément lorsque les partis débattent non
pas d’échanges mutuellement avantageux, mais de la légitimité de la position
initiale de l’un et de l’autre » (en italique dans l’original).
Dans le même ordre d’idées, William Riker (1962, p. 174) écrit :
« La majeure partie de l’activité économique est considérée comme un jeu à
somme non nulle, alors que l’activité politique est souvent considérée comme [un
jeu] à somme nulle. »
Il devrait maintenant être clair que la procédure de décision collective se heurte à
la résolution de deux types fondamentalement différents de décisions collectives. Elles
correspondent à la distinction entre les décisions d’affectation et les décisions de redistri-
bution (Mueller, 1977). Certaines décisions politiques importantes impliquent des déci-

16 Barry (1965, pp. 243-249) ; Rae (1975, pp. 1273-1276, 1286).


17 Kendall (1941) a défendu l’idée que Locke était un défenseur de la règle de la majorité. La seule raison expli-
cite que donne Locke est une sorte de problème de coût de transaction, associée au rassemblement de tous les
individus, analogue à la règle des coûts de décision de Wicksell-Buchanan-Tullock qui oblige à choisir une
règle moins exigeante que l’unanimité. Dans cette mesure, Locke est un unanimiste cohérent.
166 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

sions, qui sont potentiellement des jeux à somme positive, pour garantir la défense, la
police, la protection contre l’incendie, l’éducation, la préservation de l’environnement, etc.
Ces décisions ne vont pas d’elles-mêmes. Il est de même évident qu’une partie des
décisions politiques doit et devrait porter sur des questions fondamentales de redistribution
et de propriété. Les différences dans les caractéristiques de base de ces deux types de déci-
sions nous invitent à penser qu’il faut les traiter séparément sur le plan conceptuel et les
résoudre, sur le plan pratique, par des procédures de décision collective séparées et diffé-
rentes.
D’une certaine manière, il est injuste de placer Wicksell dans le présent contexte
car l’une de ses intuitions les plus importantes est d’avoir distingué, d’une part, les déci-
sions concernant l’affectation des ressources des décisions sur la répartition et d’avoir,
d’autre part, soutenu qu’il fallait les traiter avec des règles de décision différentes. Ces
distinctions ont été des contributions majeures pour l’ensemble des développements ulté-
rieures. Wicksell a, en réalité, devancé ses critiques car il n’a pas seulement reconnu que
les questions d’affectation et de répartition devraient être tranchées séparément ; il a égale-
ment suggéré que la règle de l’unanimité devrait céder la place à la règle de la majorité dans
la résolution des questions de répartition (1896, p. 109, note m). Mais Wicksell n’a rien dit
à propos de la manière dont la règle de la majorité pouvait servir à régler les problèmes de
répartition, et tous les fondements normatifs de l’utilisation de la règle de l’unanimité pour
la prise de décisions afférentes à l’affectation des ressources restent subordonnés au fait
qu’une répartition supposée équitable ait été déterminée avant que ne commence la prise
de décision collective sur les questions d’affectation.
Malheureusement, aucun des partisans de la règle de la majorité n’a élaboré une
explication des conditions dans lesquelles ces règles sont établies. De manière un peu
ironique, les arguments normatifs en faveur d’une utilisation de la règle de la majorité pour
résoudre les questions de redistribution et de droits de propriété sont subordonnés à des
décisions prises avant son application, tout autant que les arguments normatifs en faveur
d’une utilisation de la règle de l’unanimité pour prendre des décisions d’affectation des
ressources sont subordonnés à une détermination préalable d’une répartition équitable du
revenu. Le théorème de Rae et Taylor présuppose une procédure impartiale, dans laquelle
chaque électeur a une chance égale de l’emporter sur chaque question et peut escompter un
gain (ou une perte) égal au résultat d’une décision. Il faut faire des hypothèses du même
ordre pour parvenir à des arguments normatifs inébranlables en faveur des conditions de
neutralité et d’anonymat de May. Mais quelles sont les garanties que ces conditions seront
satisfaites ? Elles ne sont pas, à coup sûr, satisfaites dans les parlements actuels, où les
propositions et les amendements sont présentés par les membres du parlement et où les
décisions sont le fruit d’un mélange de majorités cycliques, de manipulations de l’ordre du
jour et de majorités tyranniques. Pour concrétiser les perspectives offertes par la règle de la
majorité dans la résolution des questions de droits de propriété et de redistribution, il est
nécessaire de définir une forme nouvelle de commission parlementaire, qui obéisse aux
conditions que les partisans de la règle de la majorité ont imaginées pour la défendre. Il faut
une décision constitutionnelle.
Mais quelle règle utiliser pour la création de la nouvelle commission ? Si on utilise
la règle de l’unanimité, ceux qui défendent le statu quo sont en mesure de bloquer la créa-
Les propriétés normatives de la règle majoritaire 167

tion de ce nouveau comité, dont les résultats, quoiqu’équitables, iraient à l’encontre des
intérêts favorables au statu quo. Mais si l’on utilise la règle de la majorité, une minorité
peut très bien contester à la fois les résultats de la procédure de répartition et la procédure
par laquelle elle a été établie. Quels arguments pour défendre l’équité de la décision de
redistribution prise par une commission parlementaire, peut-on opposer à une minorité qui
estime que la procédure même de création du comité a été inéquitable et qui a voté contre
elle en son temps ?
La question semble aussi légitime lorsqu’elle est soulevée contre une décision
prise avec la règle de la majorité dont la justification est subordonnée à l’équité de la procé-
dure de présentation des propositions, que lorsqu’elle est soulevée contre la règle de l’una-
nimité, dont la justification est subordonnée à un certain accord lointain, unanime, sur les
droits de propriété. À un moment quelconque, il faut bien s’attaquer au problème posé par
la façon dont l’équité est introduite dans la procédure de décision et par l’accord obtenu.
Nous nous sommes une fois de plus heurtés à un problème de régression à l’infini.
La seule manière de sortir de ce labyrinthe sain et sauf est de supposer qu’à un certain
moment, un accord unanime a été obtenu sur un ensemble de règles et de procédures 18. Si
cet accord crée une commission parlementaire destinée à fonctionner avec la règle de la
majorité, les résultats obtenus par cette commission peuvent être défendus en recourant au
motif d’après lequel tout le monde, à un moment donné, s’est accordé à penser que ce serait
une manière équitable de résoudre les types de questions dont la présentation au parlement
est autorisée. Cette interprétation place, à ce stade de l’analyse, la règle de la majorité dans
une position secondaire par rapport à la règle de l’unanimité. Elle soulève une nouvelle fois
la question de savoir comment on aboutit à un accord unanime et comment on crée une
procédure parlementaire capable de trancher aussi bien les questions de répartition que les
questions d’affectation. Nous répondrons à cette question dans la partie 5.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Les questions normatives soulevées dans ce chapitre et la littérature sur la règle de la majorité simple
sont synthétisées par Rae et Schickler (1997) et Young (1997). La généralisation la plus aboutie du
théorème de Condorcet a été présentée par Ben-Yashar et Nitzan (1997) qui font aussi autorité sur
l’ensemble de cette littérature. Sen (1970a, pp. 71-73) offre une autre preuve du théorème de May
(1972) et Campbell (1982) présente un résultat similaire.

18 Voir Buchanan et Tullock (1962, pp. 6-8).


7
LES ALTERNATIVES SIMPLES
À LA RÈGLE MAJORITAIRE

7.1 La liste des alternatives simples ? 170


7.2 Comparaison des règles de vote et efficacité au sens de Condorcet ? 171
7.3 Comparaison des règles de vote et efficacité au sens de la philosophie
utilitariste ? 174
7.4 La règle de Borda 175
7.5 Le vote par approbation 179
7.6 Implications pour la réforme des règles de décision électorale 180
170 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Au fil des années, plusieurs alternatives à la règle de la majorité ont été élaborées. Avant
de présenter les alternatives les plus récentes et qui sont aussi les plus complexes, nous
nous concentrerons dans ce chapitre sur quelques alternatives simples.
Ces alternatives à la règle de la majorité ne sont généralement pas considérées
comme des modalités particulières de révélation des préférences en matière de biens collec-
tifs. Elles sont simplement des moyens de choisir un candidat pour un poste donné. En
effet, toutes les propositions (ou candidats) ne peuvent être choisies simultanément. On ne
peut en désigner qu’une à la fois. Cette situation correspond, par exemple, à un choix entre
des listes de candidats qui postulent pour des emplois publics vacants. Il s’agit plus géné-
ralement de choix qui portent sur un ensemble de possibilités exclusives les unes des autres,
comme des points situés sur la frontière des possibilités de Pareto.

7.1 LA LISTE DES ALTERNATIVES SIMPLES ?


La règle de la majorité. Le choix porte sur le candidat qui est classé le premier par plus de
la moitié des électeurs.
La règle majoritaire avec élection en cascade. Si l’un des candidats m reçoit la
majorité des votes lors d’une première élection, il est considéré comme gagnant. Dans le
cas contraire, une seconde élection est organisée entre les deux candidats qui sont arrivés
en tête lors de la première élection. Le candidat qui reçoit le plus de bulletins est désigné
gagnant.
La règle de la pluralité. Le choix se porte sur le candidat qui est classé premier par
le plus grand nombre d’électeurs.
Le critère de Condorcet. Le choix se porte sur le candidat qui est victorieux de tous
les autres dans des élections à la majorité entre deux candidats. Cette procédure tire son
nom du fait qu’elle ait été initialement présentée par le marquis de Condorcet en 1785 (voir
Black, 1958, pp. 159-180).
Le vote exhaustif par le bas (coombs system). Chaque électeur indique le candidat
qu’il classe le moins bien dans la liste des m candidats. À la suite de ce premier vote, on
élimine le candidat classé le moins bien. On refait un vote. Les électeurs indiquent à
nouveau le candidat qu’ils classent le moins bien parmi une liste de m – 1 candidats. Le
candidat le moins bien classé par tous les électeurs est éliminé. On répète le processus
jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’un candidat. Ce dernier est alors déclaré victorieux.
Le vote exhaustif par le haut (hare system). Chaque électeur désigne, lors d’un
premier vote, son candidat favori parmi m candidats. À la suite de ce premier tour, on ne
retient que les candidats les mieux classés. On procède à un second vote au cours duquel
les électeurs désignent à nouveau leur candidat favori parmi une liste de m-1 candidats. On
réitère le processus jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un candidat.
Le vote d’approbation. Chaque électeur vote pour tous les k candidats pour
lesquels il est favorable (1 ≤ k ≤ m) parmi une liste de m candidats. Le candidat qui recueille
le plus grand nombre de voix est déclaré vainqueur.
Les alternatives simples à la règle majoritaire 171

Le décompte de Borda. D’après cette procédure, chaque électeur doit, selon ses
préférences, attribuer à chaque liste une note comprise entre 1 et m. Le candidat classé le
premier reçoit m points. Le candidat classé le second reçoit m − 1 points. Le candidat qui
arrive en dernière position reçoit un point. On fait ensuite le décompte des points attribués
à chaque candidat. Le candidat victorieux est celui qui a obtenu le plus de points.

7.2 COMPARAISON DES RÈGLES DE VOTE ET EFFICACITÉ


AU SENS DE CONDORCET ?
Cette liste de règles de vote, pourtant déjà longue, est loin d’être exhaustive. Elle reprend
néanmoins les règles les plus fréquemment étudiées par la littérature sur le sujet. Chaque
règle a des qualités. L’objet de ce chapitre est de déterminer la meilleure d’entre elles.
Il existe plusieurs critères pour juger de la qualité d’une règle de vote. On peut,
comme dans le chapitre 6, appliquer le raisonnement axiomatique à chaque procédure. Cela
nous amènerait à comparer les procédures en fonction de leurs propriétés axiomatiques. Le
caractère plutôt abstrait de ces démonstrations axiomatiques explique pourquoi il est diffi-
cile de dire qu’une règle A est supérieure à une règle B. On peut aussi désigner un critère
et comparer les procédures selon ce seul critère. La littérature a proposé ces deux types
d’approches. Nous allons donc ici progresser de cette manière.
Le premier axiome proposé par May en 1952 exige d’une règle de vote qu’elle soit
décisive, autrement dit qu’elle permette de désigner un gagnant. La règle de la majorité
remplit ce critère quand il n’y a que deux candidats. Cette restriction concernant le nombre
de candidats est introduite par May. Un choix entre deux alternatives est très simple à théo-
riser et toutes les règles proposées dans la liste permettent de sélectionner un gagnant quand
m = 2. Cela devient plus intéressant lorsque m ≥ 3. Avec m > 2, la règle de la majorité et le
critère de Condorcet ne peuvent déclarer aucun candidat gagnant. Aucun candidat ne reçoit
la majorité des votes et aucun ne peut être déclaré gagnant alors que toutes les autres procé-
dures permettent de désigner un gagnant. On peut ainsi, sur la base des arguments du chapi-
tre 6, dire que la règle de la majorité devrait être la règle de décision de la collectivité,
l’intérêt des autres règles n’existant que pour m > 2.
Les autres procédures permettent de désigner un gagnant, même quand il n’existe
pas de vainqueur de Condorcet. En revanche, lorsqu’il existe, ce vainqueur n’est pas certain
d’être choisi. Le tableau 7.1 présente une élection avec cinq électeurs où le candidat X est
victorieux lorsque la règle de la pluralité est utilisée alors que le candidat Y est victorieux
lorsque le principe de Condorcet est appliqué.
Le choix d’un candidat victorieux peut conduire les électeurs à adopter des straté-
gies lors de la procédure de vote. X peut aussi gagner sous cette règle si l’on s’en tient aux
préférences exprimées dans le tableau 7.1.
Dans le tableau 7.2, le candidat X est gagnant lorsque le critère de Condorcet est
appliqué. Y gagne en revanche si l’on a recours au critère de Borda. Dans le tableau 7.3, X
est à nouveau vainqueur dans le cas où le critère de Condorcet est utilisé. C’est en revan-
che W qui l’emporte avec la règle du vote exhaustif. Pour chacune de ces règles, excepté
172 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Tableau 7.1

V1 V2 V3 V4 V5
X X Y Z W
Y Y Z Y Y
Z Z W W Z
W W X X X

Tableau 7.2

V1 V2 V3 V4 V5
X X X Y Y
Y Y Y Z Z
Z Z Z X X

Tableau 7.3

V1 V2 V3 V4 V5
Y W X Y W
X Z Z Z X
Z X W X Z

celle de la majorité, un vainqueur peut être désigné mais ce ne sera pas celui qui respecte
le critère de Condorcet 1.
Si l’on juge que les propriétés de la règle de la majorité sont les meilleures, l’in-
capacité des autres règles à sélectionner un vainqueur de Condorcet, même lorsqu’il existe,
peut être perçue comme une défaillance importante. On peut évaluer les qualités d’une
règle en calculant le temps qu’il faut pour déterminer le vainqueur de Condorcet lorsqu’elle
est utilisée. Merill (1984, 1985) a fait un tel calcul et défini l’efficacité d’une procédure par
sa capacité à sélectionner le vainqueur de Condorcet quand il existe (efficacité à la Condor-
cet). Le tableau 7.4 nous donne les résultats de cette simulation pour un corps électoral de
25 électeurs affectés de manière aléatoire et pour un nombre variable de candidats.
La section 7.1 définit six règles de vote. Le critère d’efficacité de Condorcet
permet de les hiérarchiser. Les électeurs sont supposés maximiser une fonction d’utilité
espérée lors du processus électoral. Ils votent pour tous les candidats qui assurent, en
moyenne, une meilleure fourniture du bien collectif (Merrill, 1981). Avec deux candidats,
toutes les règles choisissent le candidat qui respecte le critère de Condorcet avec une proba-
1 Merrill (1984, p. 28, note 4) explique pourquoi l’efficacité au sens de Condorcet n’est pas très sensible au
nombre des électeurs.
Les alternatives simples à la règle majoritaire 173

bilité de 100 %. L’efficacité de toutes les procédures est inférieure à 100 % avec trois candi-
dats. Les baisses d’efficacité les plus marquées pour trois candidats sont pour le vote par
approbation et le vote pluraliste. Lorsque le nombre de candidats est supérieur à dix, les six
règles de vote se divisent en trois groupes selon leur indice d’efficacité de Condorcet : le
vote exhaustif et le décompte de Borda atteignent une efficacité d’environ 80 %, la règle
majoritaire en cascade et le vote par approbation ont un pourcentage inférieur de 60 % et la
règle de la pluralité sélectionne le vainqueur de Condorcet avec un pourcentage de 42,6 %.
L’hypothèse selon laquelle les électeurs votent neuf fois à des moments différents
(dans le cas du décompte de Borda et du vote exhaustif avec dix candidats) est peu opéra-
tionnelle. Si une de ces règles est utilisée, il faudrait donc simplifier la procédure. Il faudrait
demander simplement aux électeurs de donner leur classement complet puis utiliser un
ordinateur pour déterminer un gagnant suivant la règle proposée. Les exigences des règles
du décompte de Borda et du vote exhaustif sont identiques. Elles ne diffèrent que dans leur
traitement de l’information. Étant données ces conditions, il n’est peut-être pas surprenant
que leurs performances soient identiques.
Sur les six règles de vote énumérées dans tableau 7.4, le vote en cascade et le vote
pluraliste sont les seules règles d’usage courant aujourd’hui. On peut, pour cette raison,
regarder les résultats du tableau 7.4 d’une autre manière et calculer les gains en efficacité
au sens de Condorcet en ne tenant plus compte de ces deux règles. Les gains les plus impor-
tants seront réalisés avec les règles du décompte de Borda et du vote exhaustif, notamment
lorsque le nombre de candidats est supérieur à cinq. Lors des élections, cependant, elles
nécessitent beaucoup plus d’information des électeurs. Le vote par approbation peut être
comparé au vote en cascade et le vote pluraliste. Il peut également être désigné comme une
règle relativement simple et respectueuse du critère d’efficacité de Condorcet. Il apparaît
plus avantageux que le vote pluraliste et a des qualités relativement proches du vote en
cascade. Un avantage important que possède le vote par approbation sur le vote majoritaire
en cascade est qu’il permet aux électeurs de ne se rendre aux urnes qu’une seule fois
(Brams et Fishburn, 1981a, 1981b).

Tableau 7.4
Efficacité au sens de Condorcet pour une société donnée (25 électeurs).

Nombre de candidats
Système de vote 3 4 5 7 10
Cascade 96,2 90,1 83,6 73,5 61,3
Pluralité 79,1 69,4 62,1 52,0 42,6
Vote exhaustif par le base 96,2 92,7 89,1 84,8 77,9
Vote exhaustif par le haut 96,3 93,4 90,2 86,1 81,1
Vote d’approbation 76,0 69,8 67,1 63,7 61,3
Décompte de Borda 90,8 87,3 86,2 85,3 84,3
Maximiser l’utilité sociale 84,6 80,3 77,9 77,3 77,8

Source : Merrill (1984, p. 28).


174 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

7.3 COMPARAISON DES RÈGLES DE VOTE ET EFFICACITÉ


AU SENS DE LA PHILOSOPHIE UTILITARISTE ?
Bien que le critère d’efficacité de Condorcet soit une propriété importante des règles de
vote, qui favorise la règle de la majorité simple, on peut estimer qu’il ne suffit pas pour
départager deux règles de vote. Reprenons le tableau 7.2. Si l’on retient le critère de
Condorcet, le candidat X remporte les élections mais cette situation place les électeurs
minoritaires sous le coup de la tyrannie de la majorité. Sous la règle de la majorité, les trois
premiers électeurs peuvent imposer leur choix aux deux autres. Le candidat Y apparaît en
revanche comme une solution de compromis, étant donné qu’il est bien classé sur l’échelle
des préférences de tous les électeurs. Y pourrait donc être le meilleur candidat. La règle de
Borda comme le vote d’approbation aboutirait d’ailleurs au choix du candidat Y, si parmi
(V1 , V2 , V3 ), un électeur vote à la fois pour X et Y et non seulement pour X. Le candidat le
plus proche de Y est X puis vient Z. Il est probable que, dans un vote par approbation, les
électeurs voteront pour X et Y et non juste pour X.
Une alternative à l’efficacité au sens de Condorcet est le critère utilitariste. Dans
ce cas, la meilleure règle de vote est celle qui maximise une fonction de bien-être social de
la forme :

W = Ui , (7.1)

Ui représentant les utilités cardinales comparables des électeurs i. La ligne du bas du


tableau 7.4 révèle que le candidat choisi maximisera le bien-être social (7.1) et est le vain-
queur de Condorcet dans 80 % des cas. Comment les six règles satisfont-elles à ce critère
utilitariste ?
Le tableau 7.5 présente le résultat de quelques simulations pour un électorat
composé de 25 personnes. Notons, tout d’abord, que la mesure du vainqueur de Condorcet
respecte assez bien le critère utilitariste (7.1). Cela vaut également pour la règle de Borda.

Tableau 7.5
Efficacité utilitariste pour une société donnée de 25 électeurs.

Nombre de candidats
Système de vote 3 4 5 7 10
Cascade 89,5 83,3 80,5 75,6 67,6
Pluralité 83,0 75,0 69,2 62,8 53,3
Vote exhaustif par le base 89,5 84,7 82,4 80,5 74,9
Vote exhaustif par le haut 89,7 86,7 85,1 83,1 82,4
Vote d’approbation 95,4 91,1 89,1 87,8 87,0
Décompte de Borda 94,8 94,1 94,4 95,4 95,9
Maximiser l’utilité sociale 93,1 91,9 92,0 93,1 94,3

Source : Merrill (1984, p. 39).


Les alternatives simples à la règle majoritaire 175

Elle permet d’atteindre un niveau d’utilité sociale supérieur pour n’importe quel nombre de
candidats supérieur à deux. Elle permet aussi de trouver le vainqueur de Condorcet dans de
meilleures conditions que les cinq autres règles. Bordley (1983) présente des résultats
analogues. Bien qu’il ne propose pas d’information sur l’utilité cardinale, comme cela
aurait été nécessaire, pour avoir une efficacité utilitariste dans 100 % des cas, la règle de
Borda est capable d’atteindre cet objectif en fournissant des informations beaucoup plus
exhaustives.

7.4 LA RÈGLE DE BORDA


7.4.1 Les propriétés axiomatiques
La section 7.3 a permis de conclure que la règle de Borda pouvait être intéressante. Quelles
sont les autres propriétés normatives de cette règle de vote ? Procédons à la manière de May
(1952) pour rechercher une représentation axiomatique de la règle de Borda. Le premier
axiome de May est la capacité d’une règle à désigner un vainqueur dans un choix à deux
candidats. Le caractère décisif d’une règle de vote est évidemment très important. Si l’on
veut établir ce résultat de manière plus formelle, cela revient à dire que nous recherchons
une règle de vote qui soit capable de déterminer le meilleur choix parmi les possibles (Sen,
1970a, p. 10).
Définition de l’ensemble des possibles : Un choix x dans S est un meilleur élément de S respectant
la relation binaire R, si et seulement si pour tout y de S, xRy. Le choix des meilleurs éléments parmi
S est appelé l’ensemble des possibles C (S, R).

Nous espérons alors avoir une règle de vote qui définisse un ensemble des possi-
bles. Young (1974) prouve que la règle de Borda est la seule règle de vote qui définit un
ensemble des possibles et qui satisfait quatre propriétés : la neutralité, le principe d’annu-
lation, la fidélité et la cohérence.
Comme dans le théorème de May, la propriété de neutralité est une forme d’im-
partialité vis-à-vis des candidats et des solutions. Le nom du candidat ou la nature des solu-
tions n’interfèrent pas avec le choix.
Le principe d’annulation, comme le principe d’anonymat dans le théorème de
May, est une forme d’impartialité entre les électeurs. Toutes les déclarations des électeurs
i selon lesquelles x est préféré à y sont compensées ou neutralisées par un autre vote qui
déclare que y est préféré à x (Young, 1974, p. 45). Ce qui détermine l’ordre social de x et y
est le nombre d’électeurs préférant x à y. L’identité des électeurs n’a aucun effet sur le
résultat.
La propriété de fidélité est une condition totalement inoffensive pour les règles de
vote quand elle s’applique à une société composée uniquement d’un individu. Le choix de
la meilleure solution est celle préférée par les électeurs. On dit qu’il y a fidélité si le choix
est en accord avec les préférences des électeurs.
Les propriétés ci-dessus semblent raisonnables. Elles sont toutes satisfaites pour la
règle majoritaire. La propriété la plus originale est sans doute celle de cohérence.
176 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Cohérence : Soit N1 et N2 deux groupes d’électeurs qui sélectionnent une alter-


native parmi l’ensemble des possibles S. Soit C1 et C2 les différentes alternatives que les
deux groupes sélectionnent dans le cadre d’une règle de vote B. Si C1 et C2 ont des
éléments communs (c’est-à-dire C1 ∩ C2 non vide), alors, sous une règle de vote B et quand
ces deux sous-groupes sont réunis (NT = N1 ∪ N2 ), le gagnant à l’issue du vote est
contenu dans cet ensemble des possibles (C T = C1 ∩ C2 ).

Tableau 7.6

N1 N2
V1 V2 V3 V4 V5 V6 V7
z x y z z x X
X y z x x y z
y z x y y z y

Cette propriété de cohérence a un fondement intuitif évident. Si deux groupes


d’électeurs s’accordent sur une alternative lorsqu’ils choisissent séparément ces alternati-
ves, ils devraient également tomber sur la même alternative lorsqu’ils votent ensemble.
La règle de la majorité satisfait aussi le principe de cohérence quand les différents
problèmes et les préférences des électeurs sont tels qu’ils assurent la victoire du vainqueur
de Condorcet (Youbng, 1974, p. 44). Supposons, par exemple, que tous les problèmes
soient unidimensionnels et que tous les électeurs aient des préférences unimodales. Soit m 1
le résultat choisi par l’électeur médian pour un groupe d’une taille N1 , N1 étant impair. Soit
l’intervalle m 2 − m 2 , le choix de la règle de la majorité pour une autre collectivité de taille
N2 , avec N2 pair. Si m 1 échoue dans l’intervalle m 2 − m 2 , alors m 1 sera le vainqueur de la
règle à la majorité si les deux groupes se combinent, car l’un des électeurs de N1 choisira
m 1 comme solution favorite et ([(N1 − 1]/2 + N2 /2) électeurs ont des pics de préférences
à gauche de m 1 et autant d’électeurs ont des pics à droite de m 1 . Dans cette situation, la
règle de la majorité satisfait la propriété de cohérence.
Nous ne pouvons pas toujours garantir que les conditions garantissant l’avènement
du vainqueur de Condorcet seront satisfaites. Quand ce n’est pas le cas, des cycles peuvent
émerger de la forme x Ry Rz Rx . Si, dans une telle situation, nous définissons l’ensemble
des choix possibles comme (x, y, z), la règle de la majorité viole la propriété de cohérence,
comme le montre l’exemple proposé par Plott (1976, pp. 562-563).
Soit N1 et N2 deux groupes d’électeurs dont l’ordre des préférences est donné par
le tableau 7.6. Pour le groupe N1 , un cycle peut apparaître pour les choix (x, y, z). Pour le
groupe N2 , x et z sont les alternatives les mieux classées. Elles battent l’une et l’autre l’al-
ternative y. Le choix, lorsque les deux groupes sont réunis sous la règle de la majorité, sera
z. z est l’alternative gagnante. Il viole pourtant la condition de cohérence.
Une autre manière d’analyser le problème est de faire remarquer que ces deux
versions de la règle de la majorité ne satisfont pas le critère de cohérence mais qu’elles
partagent cette caractéristique avec le critère de Condorcet qui ne définit pas toujours un
Les alternatives simples à la règle majoritaire 177

ensemble de choix non vide. On peut alors proposer de passer de deux à trois groupes et
d’étudier les implications de ce changement sur le choix du candidat sélectionné. Avec
deux ou trois groupes, nous pouvons espérer qu’une règle de vote permette de sélectionner
un candidat tout en respectant les principes de neutralité, de nullité, de fidélité et de cohé-
rence. Le théorème de Young démontre que l’information nécessaire est un ordre de préfé-
rence complet de tous les électeurs sur l’ensemble des mondes des possibles 2.

7.4.2 Décompte de Borda et tyrannie de la majorité


Dans la section 7.3, on a montré comment les règles de la majorité simple et de la pluralité
peuvent donner lieu à une tyrannie de la majorité à l’intérieur des coalitions, dans la mesure
où une coalition majoritaire peut obtenir dès son premier choix un nombre relativement
élevé d’électeurs. Cette forme de tyrannie de la majorité ne peut cependant pas être géné-
ralisée.
Considérons le classement des préférences des électeurs du tableau 7.7. Une coali-
tion des trois premiers électeurs peut imposer ses préférences à la communauté si la règle
de la majorité simple est adoptée quelle que soit la manière dont les choix sont présentés
aux électeurs. Si les électeurs doivent choisir parmi les quatre alternatives, la coalition
impose son premier choix, c’est-à-dire X. Si le choix collectif est restreint aux alternatives
Y, Z et W, la coalition impose son premier choix, Y, parmi les trois alternatives. Quel que
soit l’ordre dans lequel sont présentées les alternatives, la coalition des trois premiers élec-
teurs obtient toujours son choix favori.
X gagnerait aussi sous la règle du décompte de Borda si cette alternative faisait
partie des alternatives proposées aux électeurs. Si, pour une raison ou pour une autre, X
n’était pas réalisable et que les électeurs devaient choisir entre (Y, Z, W), Z gagnerait sous
la règle du décompte de Borda. La prise en compte d’informations supplémentaires sur les
préférences des électeurs conduit la règle du décompte de Borda à s’écarter de la solution

Tableau 7.7

V1 V2 V3 V4 V5
X X X Z Z
Y Y Y X X
Z Z Z W W
W W W Y Y

2 Nitzan et Rubinstein (1981) ont substitué au principe de fidélité la condition de monotonie. Ils ont prouvé
l’équivalence entre ces quatre axiomes et ont montré que la règle du décompte de Borda offre un classement
complet de toutes les alternatives. La monotonie peut être formulée de la manière suivante. Soit W et Y deux
options possibles et U et U  deux séries de préférences des électeurs. Supposons que la règle de vote classe x
au même rang que y. Introduisons une troisième alternative z qui est préférée par l’électeur i soit z Pi x au
regard de son niveau d’utilité U mais U  (x Pi z). La règle doit désigner l’alternative gagnante. X doit être
désigné puisque x est préféré à y(x P y). Pour que ce résultat s’impose, il faut cependant qu’il y ait monotonie.
178 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

issue d’un simple pouvoir majoritaire. Baharad et Nitzan (2001) montrent que les règles
telles que le décompte de Borda sont un meilleur rempart contre la tyrannie de la majorité
que des règles telles que la pluralité parce qu’elles prennent en compte les préférences des
électeurs sur l’ensemble des alternatives proposées 3.

7.4.3 Décompte de Borda et stratégie de manipulation


Bien que la règle du décompte de Borda possède des propriétés semblables voire équiva-
lentes à la règle de la majorité et qu’elle permette de se rapprocher des résultats d’une fonc-
tion de bien-être social utilitariste ou d’éviter la tyrannie de la majorité, sa principale
faiblesse réside dans sa vulnérabilité aux comportements stratégiques (Pattanaik, 1974 ;
Sen, 1984). Considérons à nouveau le tableau 7.2. L’alternative Y gagne sous le décompte
de Borda quand tous les électeurs votent sincèrement. Si les trois premiers électeurs
devaient indiquer leur classement, cela donnerait X Pi Z Pi Y . Néanmoins, le décompte de
Borda sélectionnerait X comme l’alternative gagnante. On peut dire, alors, qu’il existe une
incitation pour les électeurs 1 à 3 à manipuler leurs préférences s’ils connaissent celles des
autres électeurs et anticipent qu’ils votent sincèrement.
Avec trois alternatives ou plus, toutes les règles de vote peuvent faire l’objet de
manipulations de la part d’électeurs qui ne révèlent pas leurs préférences réelles. La ques-
tion est, dans ces conditions, de savoir si une règle est moins manipulable qu’une autre 4.
Saari (1990) a tenté de répondre à cette question en examinant l’ordre des préférences des
groupes d’au moins trois électeurs en présence d’au moins trois alternatives. Saari construit
une mesure pour évaluer le degré de manipulation (micromanipulability). Cette mesure est
le pourcentage de situations dans lesquelles une personne ou une petite coalition pourrait
améliorer son sort en manipulant ses préférences pour une règle de vote donnée. Il trouve
que la meilleure règle parmi celles discutées dans ce chapitre est la règle du décompte de
Borda. C’est la règle qui minimise ou réduit la probabilité de voir apparaître une stratégie
de manipulation gagnante.
N’importe quel groupe d’électeurs peut agir de manière stratégique. Si les électeurs
4 et 5 dans le tableau 7.2 soupçonnent les autres électeurs de manipuler leurs préférences
afin d’obtenir la victoire de l’alternative X qui est la plus mauvaise pour eux, ils peuvent
également falsifier leurs préférences réelles et proposer le classement suivant : Z P Y P X.
Si les deux groupes d’électeurs manipulent désormais leur vote, c’est l’alternative Z qui
l’emporte sous la règle du décompte de Borda. Les électeurs 1 à 3 ont une chance de gagner
s’ils placent l’alternative Z au-dessus de l’alternative Y dans leur ordre de préférence afin
de faire gagner Z et non X. La règle de Borda satisfait les conditions de non-négativité ou
de non-monotonie (Smith, 1973). Soutenir Y contre Z lors de l’expression des préférences
accroît le poids ou laisse la position de Y inchangée dans l’ordre social. En revanche, cela
produit l’effet inverse sur Z. On peut considérer que les électeurs sont peu disposés au
risque en raison de leur incertitude concernant les chances de succès des alternatives X, Y

3 Les propriétés des autres règles de vote (vote par point) sont étudiées dans le prochain chapitre.
4 Le principal théorème formulé au sujet des stratégies de manipulation des règles de vote a été proposé par
Gibbard (1973) et Satterthwaite (1973). Leurs résultats sont discutés et présentés dans le chapitre 24.
Les alternatives simples à la règle majoritaire 179

et Z. Cela provient soit de leur ignorance quant aux préférences des autres électeurs soit de
l’incertitude relative à leur propre stratégie. Dans ce cas, cette aversion au risque les conduit
à maximiser leur utilité espérée dans le cadre d’une règle de décompte de Borda sans mani-
puler leur préférence, autrement dit en déclarant honnêtement leur véritable classement.
Plus le nombre d’électeurs est grand, plus il est difficile de supposer qu’ils connais-
sent les préférences des autres électeurs et donc plus les chances de succès d’une stratégie
de manipulation sont faibles. La probabilité d’être l’électeur décisif diminue aussi avec la
taille de l’électorat. Il est alors probable que le succès de la stratégie de manipulation sous
la règle du décompte de Borda baisse avec l’augmentation du nombre des électeurs 5.

7.5 LE VOTE PAR APPROBATION


Étant donné le grand nombre d’alternatives, la règle du décompte de Borda a pour princi-
pal défaut sa complexité. Les électeurs doivent lister de manière complète et précise l’en-
semble de leurs choix, ce qui peut les décourager.
À l’inverse, le vote par approbation ne leur demande que de dire s’ils soutiennent
ou non un candidat. Si les candidats sont également répartis dans l’espace en termes d’uti-
lité espérée, alors la ligne qui sépare les candidats divisera également les électeurs en deux
groupes de taille équivalente (Merrill, 1981). Les électeurs n’ont pas besoin de se préoccu-
per de la manière dont les deux ensembles de candidats se positionnent l’un contre l’autre.
Quand le nombre des candidats est faible ou que le nombre des électeurs indiffé-
rents à l’un ou l’autre des candidats est grand, le vote par approbation présentera quelques
avantages par rapport aux autres règles de vote, notamment parce qu’il décourage les votes
stratégiques. Brams et Fishburn (1978) ont prouvé que quand les préférences des électeurs
sont dichotomiques au sens où il est possible pour un nombre important d’entre eux de
classer tous les S candidats en deux groupes Si1 et Si2 , tels que i est indifférent à tous les
candidats Si1 et parmi tous les candidats Si2 , alors sous un vote par approbation, il y a une
seule stratégie gagnante qui consiste à voter pour tous les candidats du groupe Si j qui ont
le plus de chance de gagner. Le vote par approbation est la seule procédure de vote qui
présente une stratégie gagnante unique.
Quand les préférences des électeurs sont trichotomiques, c’est-à-dire lorsque les
candidats sont divisés en trois groupes Si1 , Si2 , Si3 , alors la seule stratégie gagnante avec
la règle du vote par approbation est de voter sincèrement soit pour tous les candidats du
groupe favori soit pour tous les candidats des deux groupes les plus appréciés. Le vote par
approbation est la seule règle de vote qui impose la sincérité pour des situations où les
préférences sont trichotomiques.
Quand les préférences des électeurs sont multichotomiques, c’est-à-dire lorsque les
candidats sont divisés en au moins quatre groupes, aucune procédure de vote n’est sincère.
Étant donné que toutes les règles de vote décrites dans ce chapitre sont identiques
aux règles de la majorité lorsqu’il n’y a que deux candidats, l’importance des résultats pour
5 Étant donné que le nombre des alternatives est donné. Inversement les possibilités de manipulation augmen-
tent avec le nombre des alternatives (Nitzan, 1985).
180 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

les situations où les préférences des électeurs sont dichotomiques repose sur la validité de
l’hypothèse d’indifférence des électeurs aux différentes paires de candidats quand l’élec-
tion met en concurrence plusieurs candidats. Les opinions des auteurs diffèrent sur ce point
(Niemi, 1984). Le vote par approbation s’avère plus sensible à la manipulation que la règle
de décompte de Borda, d’après Saari (1990).
Le vote par approbation mérite donc d’être présenté comme une règle de vote
capable de se substituer avantageusement aux règles de la pluralité, de la majorité ou de la
majorité à plusieurs tours. Elle respecte aussi bien le critère de Condorcet que l’efficacité
utilitariste et possède une plus grande simplicité que la plupart des règles en présence.

7.6 IMPLICATIONS POUR LA RÉFORME DES RÈGLES


DE DÉCISION ÉLECTORALE
La désignation du président ou des députés au Congrès est fondée sur un système majori-
taire à un tour qui est la règle de la pluralité. La règle de la pluralité apparaît comme la règle
de vote la moins bonne au regard du critère de Condorcet et des critères d’efficacité utili-
tariste. Ces résultats apparaissent particulièrement justes pour qualifier des élections où le
nombre des candidats est élevé au premier tour comme dans les primaires américaines
(Kellen et Mott, 1977).
Joslyn, dans une étude de 1976 sur les primaires du parti démocrate aux États-Unis
en 1972 propose ce type d’étude. Il soutient que la règle de la pluralité favorise les candi-
dats extrémistes comme George McGovern, qui fut placé en tête par la majorité des États
lors de ces élections. Mc Govern avait, pourtant, un classement relativement médiocre par
rapport à l’autre candidat, Edmund Muskie. Ce dernier se situait au centre des préférences
et des expressions électorales. Le plus intéressant de l’étude de Joslyn reste cependant le
calcul qu’il propose sur le nombre final de délégués auquel auraient conduit différentes
règles de vote. Les résultats sont présentés dans le tableau 7.8 (l’élection en deux temps est
une procédure d’élimination en deux étapes). Ce tableau a pour intérêt de montrer l’aug-
mentation spectaculaire du nombre de délégués favorables à Muskie, lorsque l’on utilise
n’importe quelle règle autre que la règle de la pluralité 6.

Tableau 7.8
Nombre d’élus sous différentes règles de vote.

Règle de Élection Critère Décompte Décompte


Candidat
la pluralité en deux temps de Condorcet de Borda de Borda ajusté
McGovern 1,307 766 766 766 584
Muskie 271 788 869 869 869

a Le décompte de Borda ajusté permet de faire des liens. Voir Black (1958, pp. 61-64).
Source : Josyln (1976, Tableau 5, p. 12).

6 Voir Kellette et Mott (1977) et Brams et Fishburn (1978, pp. 840-842).


Les alternatives simples à la règle majoritaire 181

On pourrait soutenir que Muskie aurait dû être le candidat désigné par le parti
démocrate en 1972 et qu’en conséquence, n’importe quelle autre procédure de vote est
préférable à la règle de la pluralité. Muskie aurait eu plus de chances que McGovern de
battre Nixon et les partisans de McGovern auraient sans doute préféré une victoire de
Muskie à une défaite de McGovern dans l’ultime combat contre Nixon. Riche de la sagesse
infinie que donne une vision rétrospective, on peut soutenir que le pays se serait mieux
porté si Muskie l’avait emporté sur Nixon.
Les règles de vote, du jeu ont donc leur importance sur le résultat des élections et
in fine sur les politiques publiques qui seront menées par les élus.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Les premiers travaux portant sur les règles de vote sont dues à Black (1958, pp. 55-75). Black
présente aussi une liste bibliographique des travaux de Condorcet (pp. 159-180) et de Jean-Charles
de Borda (pp. 156-159, pp. 178-190). On peut aussi consulter Young (1998 ou 1997).
La règle du décompte de Borda est aussi discutée par Plott (1976, pp. 560-563), Sen (1982, pp. 187-
207, 239-240, 376-377) et Schwartz (1986, pp. 179-181). Saari (1994) développe une méthodolo-
gie (géométrie) pour étudier les propriétés des règles de vote. Il refonde un certain nombre de
résultats sur les cycles de vote et les propriétés des règles de vote.
On peut aussi se référer à Brams (1975, ch. 3), Brams et Fishbur (1978) et Fishburn et Brams (1981a,
b) ainsi qu’au livre de Brams et Fishburn 1983) qui propose une synthèse de ces travaux.
8
LES ALTERNATIVES SOPHISTIQUÉES
À LA RÈGLE MAJORITAIRE

8.1 La procédure de révélation de la demande 184


8.2 Le vote par point 195
8.3 Une explication de la procédure du vote par point de Hylland-Zeckhauser 196
8.4 Le vote par veto 199
8.5 Une comparaison des procédures 205
184 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

En 1954, dans un article classique de la littérature sur les biens collectifs, Paul Samuelson
a à la fois défini les conditions nécessaires à l’atteinte d’un optimum de Pareto en présence
de biens collectifs et influencé le champ de l’économie publique en montrant qu’il n’exis-
tait aucune procédure de révélation des informations relatives qui permette de déterminer
la quantité de biens collectifs satisfaisant les conditions de l’optimalité parétienne. Dans
une section intitulée « Impossibilité d’une solution spontanée décentralisée », Samuelson
(1954, p. 182) affirmait « qu’aucun système de prix ne peut servir à déterminer l’optima-
lité des niveaux de consommation collective » (en italique dans l’original).
L’importance de ces résultats conduisit une génération d’économistes à les refor-
muler de différentes manières et à se lamenter sur l’absence de procédures de révélation des
préférences individuelles en matière de biens collectifs. La règle de l’unanimité semblait
menacée par les coûts de transaction et les incitations des décideurs et des électeurs à
adopter des comportements stratégiques. La rareté de l’information et les conséquences
néfastes des règles moins contraignantes que l’unanimité rendaient la règle de la majorité
tout aussi inopérante.
Il faut attendre les années 1970 pour qu’une révolution conceptuelle se produise
dans ce champ des sciences économiques. De nouvelles procédures commençaient à appa-
raître, soutenant qu’il existait une solution au problème de la révélation des préférences en
matière de biens collectifs. Comme cela arrive dans l’art, les techniques et la science, l’im-
possible est devenu possible. Les économistes ont changé d’avis et il s’en est suivi une litté-
rature abondante sur le sujet.

Tableau 8.1

Alternatives
Électeurs P S Impôt
A 30 20
B 40 0
C 20 10
Total 50 40 30

8.1 LA PROCÉDURE DE RÉVÉLATION DE LA DEMANDE


8.1.1 Présentation de la procédure et de son
fonctionnement
Cette procédure a été décrite en détail pour la première fois par William Vickrey
en 1961. Il attribue cette suggestion intéressante à un article de Lerner de 1944 sur le
contrôle économique. La procédure est, en ce sens, antérieure de dix ans à l’article de
Les alternatives sophistiquées à la règle majoritaire 185

Samuelson. Mais ni Lerner ni Vickrey n’ont appliqué cette procédure à la résolution des
problèmes de révélation des préférences en matière de biens collectifs. Il faut aussi atten-
dre les articles de Clarke (1971, 1972) et Groves (1973) pour percevoir l’importance de
cette procédure dans ce domaine de l’économie publique.
Pour comprendre le fonctionnement de cette procédure de révélation des préféren-
ces, considérons une décision collective entre deux propositions P et S. Supposons un
comité directeur constitué de trois individus ayant les préférences décrites dans le tableau
8.2. L’électeur A s’attend à gagner 30 euros si P est adopté. L’électeur C espère 20 euros,
tandis que l’électeur B anticipe un gain de 40 euros si la proposition S est adoptée. La
procédure pour sélectionner la proposition victorieuse consiste à demander dans un premier
temps à chaque électeur la valeur en euros qu’il accorde aux avantages qu’il escompte de
l’adoption de sa proposition favorite. Dans un second temps, on additionne ces sommes et
la proposition qui comporte les avantages escomptés les plus importants est déclarée victo-
rieuse. Dans notre exemple, il s’agit de P, parce qu’elle fournirait aux individus A et C des
avantages d’une somme totale de 50, alors que la proposition S procure des avantages
uniquement à l’individu B d’un montant moindre (40).
Les électeurs sont incités à annoncer leurs véritables préférences pour les diverses
propositions du fait qu’ils seront soumis à certains impôts en fonction de leurs réponses et
des effets sur le résultat final. Ces impôts sont calculés comme suit. On additionne les voix,
en euro, de tous les autres votants et on détermine le résultat. On ajoute les voix, en euro,
de l’élection, et on regarde si le résultat est changé. S’il ne l’est pas, ils ne paient pas
d’impôt. S’il est changé, ils paient un impôt équivalent aux avantages nets escomptés dans
le cas d’une victoire de l’autre proposition, en l’absence de son vote. Ainsi, un électeur ne
paie d’impôt que lorsque son vote a un effet décisif sur le résultat. Il ne paie pas l’impôt
qu’il a annoncé, mais seulement la somme nécessaire à l’équilibre des avantages anticipés
des deux propositions. La dernière colonne du tableau 8.2 nous donne les impôts des trois
électeurs. En l’absence de A, les votes, en euro, sont de 40 pour S et de 20 pour P. Le vote
de A est décisif pour déterminer le résultat et impose un coût net de 20 aux deux autres élec-
teurs. Ce coût net représente l’impôt de A. Le vote de B n’influe pas sur le résultat et B ne
paie pas d’impôt. En l’absence du vote de C, S l’emporterait une nouvelle fois, si bien que

Tableau 8.2

Alternatives
Électeurs P S Impôt
A 30 10
B 40
C 20 0
A’ 30 10
B’ 40
C’ 20 0
Total 100 80 20
186 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

C paie un impôt égal aux avantages nets que les autres électeurs auraient reçus s’il n’avait
pas voté (40 − 30 = 10).
Avec cet impôt, chaque électeur est incité à révéler ses véritables préférences à
propos des deux propositions. Toute somme d’avantages, procurée par P au votant A, et que
ce dernier déclarerait égale ou supérieure à 21 ne modifierait pas la décision collective, ni
son impôt. S’il déclarait des avantages nets inférieurs à 20, la proposition S serait choisie
et l’impôt de A passerait de 20 à 0, mais ses avantages, égaux à 30, disparaîtraient égale-
ment. Un électeur ne paie d’impôt que si son vote est décisif et l’impôt qu’il paie est
toujours égal ou inférieur aux avantages qu’il reçoit. Il n’est donc pas incité à sous-évaluer
ses propres avantages car il risque de laisser passer une chance d’effecteur un vote décisif
à un coût inférieur aux avantages qu’il en attend. Il n’est pas davantage incité à surévaluer
ses propres préférences, parce qu’il risque d’émettre un vote décisif et de devoir payer un
impôt supérieur à ses avantages réels, bien que cet impôt soit inférieur à ses avantages
annoncés. La stratégie optimale consiste à révéler ses préférences réelles.
Pour maintenir la qualité de ce système incitatif, il ne faut pas que les recettes
fiscales prélevées pour induire une révélation honnête des préférences soient rendues aux
votants d’une manière susceptible d’influencer l’orientation de leur vote. Le plus sûr, si on
veut éviter que l’argent introduise des distorsions dans les incitations est de faire sans. Mais
cela implique que le résultat auquel conduit la procédure ne sera pas optimal au sens de
Pareto (Groves et Ledyard, 1977a, b ; Loeb, 1977). Il est alors possible de déterminer de
manière explicite à quel point la procédure s’écartera d’une situation optimale au sens de
Pareto : la différence est égale aux recettes tirées de l’impôt incitatif. Dans l’exemple précé-
dent, ce montant n’est pas négligeable : il équivaut à trois fois les avantages nets que
procure l’action collective.
Heureusement, le montant des impôts collectés grâce à la procédure de révélation
des préférences sur la demande devrait diminuer à mesure que le nombre des électeurs
augmente (Tideman et Tullock, 1976, 1977). Pour nous en convaincre, prenons les préfé-
rences des trois électeurs supplémentaires A , B  et C  , telles qu’elles apparaissent dans le
tableau 8.2. Ces trois nouveaux électeurs ont des préférences identiques aux trois électeurs
initiaux A, B et C. La proposition P l’emporte encore une fois parce qu’elle dégage un
surplus de 20. L’impôt de l’électeur C a diminué de 20 en passant de 20 à 0 alors que
l’impôt de l’électeur A est passé de 30 à 10. En l’absence de l’électeur C, les gains nets
entre les deux propositions sont nuls pour les autres électeurs (80 pour la proposition P et
80 pour la proposition S). Même si le vote de C favorise la proposition P, le gain de 20 qu’il
en retire n’a aucun effet négatif sur les autres électeurs. C ne paie pas d’impôt. A paie
encore un impôt positif, mais dont le montant a été réduit, parce que le coût net de son vote
pour tous les autres électeurs a diminué. Avec trois électeurs de plus (A , B  et C  ) dont
les préférences seraient identiques à celles de A, B et C, le résultat ne changerait pas et les
impôts de tous les électeurs seraient nuls.
Ainsi, la décision collective prise par cette commission de neuf membres serait
optimale au sens de Pareto. Bien que la procédure prévoie la possibilité d’attribuer des
coefficients de pondération en fonction de l’intensité des préférences, l’effet des préféren-
ces de n’importe quel électeur sur le résultat final diminuera avec l’augmentation du
nombre des électeurs, comme pour les autres procédures de vote.
Les alternatives sophistiquées à la règle majoritaire 187

Groves et Leydard (1977c, p. 140) soutiennent qu’ils sont capables de concevoir


des contre-exemples dans lesquels l’incitation au surplus fiscal est très importante.
Kormendi (1979, 1980) a soutenu la même position. Ces exemples conduisent à augmen-
ter de manière égale le nombre des électeurs de la communauté favorable aux propositions
P et S. Si la communauté était également divisée entre les électeurs favorables à P et les
électeurs favorables à S, chaque vote pourrait être décisif et le montant des recettes fisca-
les collectées serait très grand. En revanche les bénéfices sociaux seraient très faibles. Nous
serions alors face à un problème de répartition, opposant les P aux S. Pour un bien collec-
tif pur, l’augmentation du nombre des n électeurs devrait faire disparaître l’effet incitatif de
l’impôt. Pour une démonstration rigoureuse de ce résultat, on peut consulter l’article de
Rob (1982).
La procédure donne les moyens de connaître l’échelle des demandes individuelles
en matière de biens collectifs. On peut suivre sur ce point la présentation de Tideman et
Tullock (1976). On demande à chaque individu de présenter son échelle de valeur en
matière de biens collectifs. Toutes les échelles individuelles sont additionnées verticale-
ment afin d’obtenir la demande globale pour un bien collectif donné. L’intersection de la
fonction de demande ainsi obtenue avec la fonction d’offre du bien collectif détermine la
quantité d’équilibre. Si chaque individu a donné honnêtement son échelle de valeur, la
procédure détermine la quantité de biens collectifs optimale au sens de Pareto, conformé-
ment à la définition de Samuelson (1954) et de Bowen (1943).
Dans cette procédure aussi, les individus sont incités à révéler leurs véritables
préférences grâce à l’existence d’un prélèvement fiscal spécial. Les individus sont assujet-
tis à deux impôts. L’un sert à couvrir l’ensemble des coûts de production du bien collectif,
l’autre à garantir une révélation honnête des préférences des électeurs. Dans notre premier
exemple, on supposait implicitement que le premier impôt faisait partie des propositions P
et S. Imaginons que le bien collectif puisse être produit à un coût unitaire constant, C, et
que chaque électeur doive supporter une part de ce coût, Tj ; de façon à ce que
n
j=1 Tj = C . Ces parts Tj sont la première composante de l’impôt payé par chaque indi-
vidu. L’autre composante est calculée d’une manière analogue à celle qui avait servi à
déterminer l’impôt supporté par chaque individu dans notre exemple précédent. On déter-
mine d’abord la quantité du bien public qui serait fournie en l’absence de l’échelle de
demande de l’individu i et la contribution aux coûts totaux de production du bien collectif.
On détermine ensuite la quantité calculée à partir des informations qu’il a données sur son
échelle de demande et le montant de sa contribution. La différence représente l’effet des
préférences de l’individu sur le résultat collectif. Cet effet a un coût pour les autres élec-
teurs. Ce coût est égal à la valeur absolue de la différence entre le coût de production des
unités supplémentaires et la somme des échelles de demande individuelle portant sur ces
unités. Ainsi, si i oblige la collectivité à consommer une quantité plus grande que celle qui
correspond à son échelle de demande, le coût de production des unités supplémentaires sera
supérieur à la somme que les autres électeurs sont prêts à payer pour ces unités et i devra
supporter la différence. À l’inverse, si l’électeur i est à l’origine d’une consommation
moindre que la collectivité, la demande globale des autres électeurs pour des unités supplé-
mentaires de biens collectifs dépassera le coût de production du bien, et l’électeur i devra
supporter la différence, qui représente la perte de surplus du consommateur.
188 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Cette dernière situation est représentée par la figure 8.1. En l’absence d’échelle de
demande de l’individu i, la demande globale du bien public est D − Di . Si on retranche sa
part d’impôt préétabli, le coût du bien collectif est C − Ti . Si on ne tient pas compte des
préférences de i, la collectivité achètera une quantité A de bien collectif. Si on intègre dans
le calcul les préférences de i, la collectivité achète Q. Pour cette quantité Q, la demande est
égale à l’offre. Le passage de A à Q a un coût pour les autres électeurs, que l’on peut
mesurer par la différence entre la somme que les autres électeurs seraient prêts à payer pour
obtenir les unités supplémentaires (A − Q) et les impôts qu’ils devraient payer pour
obtenir ces unités (C − Ti )(A − Q). Cette différence est représentée par le triangle hachuré
situé au-dessus de la droite C − Ti . Ce triangle représente l’impôt supplémentaire au-delà
de Ti Q, que l’électeur i doit payer.
La construction d’une fonction d’offre de bien collectif effective, Si , en sous-
trayant de C la fonction D − Di , pour l’électeur i, permet de comprendre la nature de stra-
tégie optimale. En présence d’un impôt incitatif, il a intérêt à révéler sa véritable demande.
L’intersection entre la demande individuelle de bien collectif de l’électeur Di et cette fonc-
tion, Si , détermine la quantité optimale de bien collectif pour l’électeur. Cette quantité est
Q. En fixant son échelle de demande à Di , l’électeur i contraint la communauté à consom-
mer Q au lieu de A. Il économise au passage un impôt personnel équivalent au rectangle

Prix

Quantité

Figure 8.1
Nouvelle procédure de révélation des préférences.
Les alternatives sophistiquées à la règle majoritaire 189

Ti (Q A). Il doit payer l’impôt incitatif représenté par le triangle hachuré, qui est égal au
triangle hachuré du dessus et perd le surplus du consommateur représenté par le quadrila-
tère c. Le gain net qu’il trouve à obliger la collectivité à consommer Q plutôt qu’à lui laisser
consommer A est donc égal au triangle s. On peut constater qu’il n’a rien à gagner en fixant
une échelle de demande en dessous de Di , en remarquant que le triangle s disparaît en Q.
À gauche de Q, la somme de l’impôt incitatif payé par i et de la perte de son
surplus du consommateur serait supérieure à l’impôt Ti qu’il économise. S’il fixe son
échelle de demande au-dessus de Di , Ti dépasse la somme de l’augmentation de son
surplus du consommateur et de l’économie d’impôt incitatif qu’il réalise. La stratégie opti-
male de i consiste donc à révéler honnêtement sa véritable échelle de demande Di .
On peut aussi déterminer de manière algébrique le résultat de la procédure. Il faut
alors écrire Ui (G), la fonction d’utilité de l’électeur i pour la consommation du bien collec-
tif G. ti est la taxe incitative. Nous ignorons les effets revenus. On peut supposer, pour cette
raison, que l’utilité marginale de la monnaie est constante et mesurer Ui (G) en euros. L’ob-
jectif de l’électeur i est alors de maximiser une fonction d’utilité Ui , sous deux types de
contraintes : la contrainte de coût de production pour le bien collectif Ti G et la taxe incita-
tive, ti . Ce qui permet d’écrire :

Oi = Ui (G) − Ti G − Ti . (8.1)

La taxe incitative que i doit payer est le coût que son vote impose à tous les autres élec-
teurs, autrement dit la différence entre l’utilité retirée par les électeurs de la consommation
du bien collectif et le coût de production qu’il partage pour consommer cette quantité :

Ti = (Tj G − U j (G)). (8.2)
j=i

En substituant (8.2) dans (8.1) et en maximisant la fonction d’utilité tout en respectant les
contraintes sur G, on obtient :

d Oi /dG = Ui (G) − Ti − (Tj − U j (G)). (8.3)
j=i

En fixant (8.3) nul, nous pouvons résoudre le programme de maximisation et déterminer la


quantité optimale de bien collectif G pour i étant donné la taxe payée par l’ensemble de la
collectivité, Ti , et la taxe incitative, ti . En tenant compte des conditions du premier ordre,
nous obtenons les conditions d’optimalité du premier ordre de la fourniture de biens collec-
tifs de Samuelson :
 
Ui (G) = Ti = C
i i

Notons que la quantité de biens collectifs sélectionnée par la procédure est Pareto-optimale.
Elle garantit aussi que U  (G) = Ti , i = (1, n), comme on peut le voir sur la figure 8.1. Une
caractéristique importante de la procédure est que la part du coût de production du bien
collectif supporté par un individu est indépendante de son échelle de demande. Cette indé-
pendance est nécessaire pour s’assurer de la sincérité des révélations des préférences. Seule
190 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

la taxe incitative représentée par les triangles hachurés de la figure 8.1 dépend directement
de l’échelle de demande des individus et rappelle l’existence d’une perte de ressources qui
n’est distribuée à aucun des acteurs en présence.
L’idée d’un double tarif pour assurer l’efficacité allocative des ressources dans les
industries sujettes à des économies d’échelle ou à d’importants coûts fixes a été appliquée.
Les meilleurs exemples sont probablement dans les secteurs de l’électricité et du gaz (voir
Kahn, 1970, pp. 95-100). Le principe qui sous-tend la fixation de leurs prix est analogue à
ceux proposés par la procédure de révélation de la demande. À la somme payée pour le
consommateur pour la prestation délivrée, s’ajoutent des frais supplémentaires qui dépen-
dent du coût que la demande additionnelle du consommateur fait supporter à l’ensemble de
la collectivité. Les biens collectifs sont aussi caractérisés par des coûts fixes élevés et la
propriété de production jointe. Dans ces conditions, une procédure spécifique de révélation
de la demande qui conduit à la mise en place de deux tarifs paraît justifiée.
Green et Laffont (1977a) ont démontré que la classe des procédures de révélation
de la demande, développée initialement par Groves (1973), représente en réalité l’ensem-
ble complet de ces procédures. Les exemples précédents n’en sont qu’une variante, dans
laquelle la révélation honnête des préférences est la stratégie dominante. Cela signifie que,
quel que soit le message que les autres votants fournissent à l’agent qui les reçoit, la stra-
tégie optimale d’un individu consiste toujours à révéler ses véritables préférences. Cette
propriété de la procédure dépend de l’absence d’interaction entre la part d’impôt assignée
à un individu, l’échelle de demande qu’il révèle et les échelles de demande révélées par les
autres individus. Un individu ne peut influencer, de manière directe ou indirecte, le montant
de l’impôt qu’il paie uniquement en modifiant son échelle de demande. On peut ainsi dire
que la procédure telle qu’elle est décrite par ces auteurs est une analyse d’équilibre partiel
pure, qui néglige toutes les interactions entre les échelles des électeurs provoquées par des
effets revenus ou d’autres types de relations.
Les variantes en termes d’équilibre partiel de la procédure de révélation de la
demande présentent l’avantage d’inciter la révélation honnête des préférences et de respec-
ter les conditions d’efficacité de Samuelson. Elles ne garantissent cependant pas l’équilibre
budgétaire. Il est impossible, pour cette raison, d’admettre qu’elles sont efficaces au sens
de Pareto. La procédure proposée suscite ainsi deux types de controverses : l’une à propos
du montant des recettes fiscales totales obtenu grâce à l’impôt incitatif, l’autre sur son opti-
malité au sens de Pareto. Groves et Ledyard (1977a) ont proposé une version de cette
procédure en termes d’équilibre général qui respecte la condition de l’équilibre budgétaire.
Chaque individu annonce une approximation de sa véritable fonction de demande sous la
forme quadratique suivante :
m i = βi G − (γ /2n)G 2 , (8.5)

où γ est une constante pour tous les individus, y la quantité de biens collectifs et n le
nombre de consommateurs. L’impôt de chaque individu est donné par l’équation suivante :
Ti = ai G ∗ (m) + (γ /2)[((n − 1)/n)(m i − µi )2 − (σi ], (8.6)

où ai est une part d’impôt préétablie, y ∗ (m) la quantité de bien collectif choisie par agré-
gation des informations données par chaque individu, µi la moyenne des messages de tous
Les alternatives sophistiquées à la règle majoritaire 191

les autres électeurs, et σi l’écart-type sur les informations données par tous les autres élec-
teurs. Chaque individu paie une part d’impôt fixe, ai et une part variable qui augmente avec
la différence entre la quantité qu’il propose et celle proposée par tous les autres électeurs
et qui diminue proportionnellement à l’ampleur de la dispersion entre les autres proposi-
tions. Un électeur est là encore pénalisé, dans la mesure où la quantité de bien collectif qu’il
propose diffère de celle proposée par les autres électeurs mais sa pénalité est d’autant plus
faible que le désaccord est plus fort entre les autres votants à propos de la quantité souhai-
table de bien collectif. Pour transmettre l’information optimale, un électeur doit connaître
la part d’impôt préétablie qui lui a été affectée, le niveau de la constante fixée, la moyenne
et l’écart-type des messages de tous les autres électeurs. Il faut donc appliquer une procé-
dure d’ajustement séquentielle, où l’on transmet à chaque individu la moyenne et l’écart-
type des informations données par les autres électeurs, tels qu’ils ont été calculés à l’étape
précédente, afin qu’il puisse faire ses calculs à l’étape en cours. Les informations livrées
par les électeurs à cette dernière étape deviennent la base du calcul statistique de la nouvelle
moyenne et du nouvel écart-type et seront transmises à chaque électeur. La procédure conti-
nue ainsi jusqu’à ce que l’équilibre soit atteint 1.
L’utilisation de la procédure de Groves-Ledyard permet de déterminer l’impôt de
chaque individu de manière à assurer l’équilibre budgétaire et, si chaque électeur traite les
messages des autres comme donnés, chacun est incité à révéler honnêtement ses préféren-
ces. L’équilibre optimal au sens de Pareto peut donc être atteint (1977a, pp. 794-806). Il se
peut, cependant, que la solution la plus intéressante pour chaque électeur ne soit pas de
traiter les informations transmises par tous les autres électeurs comme des données. Le fait
que l’équilibre budgétaire et les équilibres individuels soient atteints grâce à une procédure
d’ajustement comportant de multiples étapes, rend les informations livrées par chaque indi-
vidu, à chaque étape de la procédure, dépendantes des messages transmis par les autres
individus à l’étape précédente. Un électeur capable de déduire les effets de l’information
qu’il transmet aux autres aux étapes de vote suivantes, peut alors être incité à manipuler les
informations qu’il transmet lors des votes ultérieurs en donnant lors des premiers votes de
fausses indications sur sa propre échelle de demande. Les preuves de l’existence d’une
situation Pareto-optimale fournies par Groves et Ledyard postulent essentiellement un
comportement du type Cournot : chaque électeur traite les messages des autres électeurs
comme donnés à chaque étape de la procédure d’ajustement. Dès que les électeurs
commencent à prendre en compte les réactions des autres électeurs, les comportements de
type Stackelberg, peuvent être optimaux au plan individuel, mais les propriétés de révéla-
tion honnête des préférences et l’efficacité au sens de Pareto que comportent la procédure
peuvent être perdues (1977b, pp. 118-120 ; Grove, 1979 ; Margolis, 1983).
Dans la procédure de révélation de la demande de Groves-Ledyard, la révélation
des préférences individuelles n’est pas honnête, l’équilibre budgétaire est respecté et
l’équilibre atteint est un équilibre de Nash, c’est-à-dire que si tous les autres individus révè-
lent honnêtement leurs préférences à chaque étape de la procédure, il est de l’intérêt de
chacun de faire de même. L’enjeu d’un tel résultat, lorsque le nombre des électeurs est
assez grand est alors de savoir s’il est raisonnable de penser que les électeurs vont adopter

1 Groves et Loeb (1975) sont les premiers à avoir envisagé la possibilité de parvenir à l’équilibre budgétaire
quand l’échelle de demande d’une firme a une fonction quadratique de la forme précisée ci-dessus.
192 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

une attitude de type Cournot lorsqu’ils vont révéler des informations. Cette question ne
peut être tranchée à l’aide d’une argumentation a priori 2.
De nombreuses critiques ont été adressées aux procédures de révélation de la
demande lorsqu’elles ont été proposées. L’une d’entre elles porte sur la relation entre
l’augmentation des revenus induits par l’impôt incitatif. Pour préserver ces propriétés inci-
tatives, le revenu collecté à travers l’incitation fiscale est payé par l’individu i qui ne peut
le récupérer. Ce problème pourrait facilement être circonstancié sans avoir à augmenter la
charge de monnaie issue de l’impôt incitatif. Si, par exemple, deux communautés de taille
à peu près égale utilisaient cette procédure, elles pourraient s’entendre pour intervertir des
recettes fiscales incitatives chaque année et reverser les fonds au prorata de la contribution
de chaque citoyen. Bailey (1997) propose de donner à chaque individu une part égale des
recettes fiscales pour qu’elle puisse être reversée aux n − 1 citoyens de la communauté.
Le problème le plus sérieux survient cependant lorsque le niveau de l’impôt est
suffisamment important pour induire des effets revenus.
Les effets revenus sont cependant intégrés dans les analyses en termes d’équilibre
général proposées par Groves et Ledyard (1977a).
Pour tenir compte de ces effets revenus de manière adéquate, on a besoin d’hypo-
thèses toujours plus fortes et de procédures de vote plus complexes que celle de Groves-
Ledyard (Conn, 1983) 3. Dans ces procédures, les comportements stratégiques deviennent
plus intéressants 4.
Les autres difficultés auxquelles se heurte cette procédure sont communes à la
plupart des procédures de vote, sinon à toutes.
Les incitations à transmettre l’information. Dans la mesure où le montant de
l’impôt incitatif prélevé sur chaque individu diminue à mesure que le nombre des électeurs
augmente, l’incitation à une transmission consciencieuse de l’information disparaît 5. Ainsi,
la procédure de révélation de la demande est prise dans une forme de dilemme que l’on peut
qualifier de dilemme numérique. Si les électeurs sont peu nombreux, les impôts incitatifs
peuvent être forts. Dans cette situation, l’inefficacité parétienne provoquée par l’existence
de recettes fiscales inutilisées peut être importante et l’incitation à transmettre l’informa-
tion nécessaire à la prise de décision peut s’affaiblir. L’information transmise par les élec-
teurs pourrait ainsi devenir imprécise sans, cependant, être systématiquement malhonnête.
Clarke (1977), Green et Lafont (1977) et Tullock (1977a) ont exposé des moyens de
contourner ce problème en proposant un système représentatif et des techniques d’échan-
tillonnage. Ces techniques soulèvent, malheureusement, les problèmes suivants :
Les coalitions. Une coalition d’électeurs qui estiment que chacun aurait un gain
net de 100 à voir la proposition P gagner pourrait augmenter significativement la chance
2 Le résultat de base a été établi par Groves et Leydard (1977a). Pour une discussion sur la portée de ce résul-
tat, voir Greenverg, Mackay et Tideman (1977) ; Groves et Ledyard (1977c).
3 Pour une discussion du problème provoqué par l’effet revenu ou la non-séparabilité des fonctions d’utilité, voir
Groves et Ledyard (1977b), Freen et Laffont (1977a, 1979) et Laffont et Maskin (1980). Pour une défense de
l’hypothèse, voir Tideman et Tullock (1977).
4 Pour une discussion plus générale de ce problème, voir Hurwicz (1979).
5 Voir Clarke (1971, 1977), Tideman et Tullock (1976), Tullock (1977a, 1982), Margolis (1982a) et Brubaker
(1983).
Les alternatives sophistiquées à la règle majoritaire 193

de succès de cette proposition en s’accordant pour soutenir qu’ils gagneraient 200 en cas
de victoire de P. Aussi longtemps que la proposition P gagne avec un gain de plus de 200,
ils n’ont pas intérêt à agir de manière indépendante, mais ont en revanche intérêt à se coali-
ser. Si, malgré cette stratégie, P était rejeté lors de l’élection, ils ne verraient pas leur sort
se détériorer. C’est seulement si la proposition P gagne avec plus de 100 et moins de 200
(éventualité peu probable si la coalition est très nombreuse) qu’un électeur aurait un sort
moins bon avec le résultat issu de la stratégie de coalition qu’avec le résultat atteint à la
suite d’une stratégie d’indépendance. Il existe ainsi des incitations à former des coalitions
pour manipuler les résultats dans la procédure de révélation de la demande (Bennett et
Conn, 1977).
On ne peut que donner raison à Tullock (1977c) lorsqu’il soutient qu’il y a peu de
chance pour que le problème de la formation des coalitions soit sérieux si le nombre des
électeurs est grand et si l’élection à lieu à bulletin secret. Sous ces hypothèses, la coalition
serait soumise à d’importantes stratégies de passager clandestin. La stratégie optimale d’un
électeur est de susciter la formation d’une coalition de vote autour de l’idée d’un gain de
200 pour ensuite, lors du vote, voter pour un gain de 100. Si tous les électeurs adoptent
cette stratégie, nous retrouvons une situation où les électeurs révèlent honnêtement leur
préférence 6.
Il est juste, en revanche, de soutenir que lorsque les électeurs sont peu nombreux
et que le vote est public, comme dans les assemblées représentatives, il y a plus de chance
pour que des coalitions se forment.
Cette tendance à la coalition est d’autant plus forte dans les assemblées représen-
tatives que les électeurs désignent des représentants qui appartiennent à des partis et qui, à
ce titre, sont déjà membres d’une coalition. Nous sommes à nouveau confrontés à un
dilemme numérique : dans une démocratie directe comportant de nombreux électeurs,
personne n’est incité à collecter l’information ou à rejoindre une coalition ; dans de petites
collectivités, on est incité à collecter des informations non seulement sur ses propres préfé-
rences, mais aussi sur celles d’autres électeurs qui peuvent être des membres potentiels
d’une coalition.
La faillite. La procédure de révélation de la demande peut conduire à une situa-
tion où la richesse privée d’un individu est confisquée en totalité par la collectivité (Groves
et Ledyard, 1977b, pp. 116-118). Cette possibilité de spoliation existe pour toutes les règles
de vote à l’exception de la règle de l’unanimité. De plus, elle ne représente pas un problème
sérieux dans la pratique. Elle oblige cependant à placer la procédure dans un système cons-
titutionnel qui garantit que certaines propositions ne seront pas soumises au vote 7.
Dans ces conditions, la procédure de révélation de la demande est assez proche des
travaux wickselliens sur les décisions collectives. La décision collective se situe dans un
système formel de droits de propriété et se fonde sur une répartition équitable du revenu.
L’action collective a pour objectif d’améliorer l’efficacité de l’affectation des ressources et
non d’aboutir à une justice distributive. La redistribution sert uniquement à aboutir à des

6 Pour une discussion plus approfondie, voir Tideman et Tullock (1981).


7 Pour une présentation plus complète de la question de la faillite, voir Tullock (1977a) ; Tideman et Tullock
(1977) ; Groves et Ledyard (1977c).
194 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

situations Pareto-optimales. Elle est plus un moyen de réaliser l’affectation optimale des
ressources, l’intérêt général qu’un instrument de redistribution proprement dit 8.

8.1.2 Vernon Smith et le mécanisme d’enchère


Vernon Smith (1977, 1979a,b) a été l’un des premiers à examiner expérimentalement une
version simplifiée des procédures de révélation de la demande. Dans son expérience,
chaque individu i annonce à la fois une enchère, bi , qui est la part des coûts du bien collec-
tif qu’il s’engage à couvrir, et une proposition sur les quantités de bien collectif qu’il
souhaite, G i . Le prix fiscal i est la différence entre les coûts du bien public, c, et l’enchère
agrégée, Bi , de tous les autres n − 1 électeurs.
ti G = (c − Bi ).G, (8.7)
 n
où Bi = j=i b j et G = k=1 G k/n . La procédure sélectionne une quantité de bien collec-
tif seulement lorsque chaque électeur a donné son prix fiscal et proposé une quantité de
bien collectif :
bi = ti et G i = G, pour tout i, (8.8)

Après chaque itération, les électeurs sont tenus informés de la prise en compte dans la
procédure de leur prix fiscal et de la quantité qu’ils ont proposée (8.8).
Si l’enchère de l’électeur descend en dessous de son prix fiscal, il peut être ajusté
soit grâce à une nouvelle enchère, soit par une variation de la quantité de bien collectif.
Ce n’est que quand l’unanimité se fait à la fois sur le prix fiscal et sur la quantité
de bien collectif que la procédure peut s’arrêter.
L’équation 8.8 décrit la situation d’équilibre et l’utilité de l’individu i peut
s’écrire :
Vi = Ui (G) − Ti G, (8.9)
où l’utilité de la consommation du bien G est exprimée en unité monétaire. Si on maximise
Vi , l’utilité de l’individu i, par rapport à G i , on obtient la condition d’optimalité pour i, la
quantité optimale de bien collectif.

d Vi /dG i = Ui /n − ti /n = 0
(8.10)
Ui = ti .

Chaque électeur égalise l’utilité marginale de sa consommation du bien collectif à son prix
fiscale. Si on somme les équations (8.10) de tous les électeurs, on aboutit à l’équation (8.11) :
n n n
Ui = Ti = (c − Bi ) = c. (8.11)
i=1 i=1 i=1

Les équations (8.10) et (8.11) définissent les conditions d’équilibre de Lindhal.


8 Tullock a étudié les effets redistributifs de la procédure de demande et soutenu qu’elle lui était favorable. Sur
la distinction entre une redistribution optimale au sens de Pareto et les autres formes de redistribution, voir
Hochman et Rodgers (1969, 1970).
Les alternatives sophistiquées à la règle majoritaire 195

Le mécanisme d’enchère incite les individus à révéler leurs préférences pour le


bien collectif en faisant payer à chaque électeur une taxe fondée, non pas sur ses préféren-
ces révélées pour les biens collectifs, mais sur l’agrégation de toutes les autres préférences
déclarées. Chaque électeur doit consentir à payer la différence entre le coût total du bien
collectif pour l’ensemble des électeurs et ses bénéfices. L’ultime incitation à révéler ses
préférences honnêtement est que chaque électeur sait qu’aucune quantité de bien collectif
ne sera produite sans un accord unanime sur les quantités et le prix fiscal.
Le travail expérimental conduit par Smith (1977, 1979a,b, 1980) utilise différen-
tes variantes des procédures de révélation de la demande et indique qu’elles convergeaient
assez rapidement vers un équilibre de Lindhal. Harstad et Marrese (1982) soutiennent
également la convergence vers un résultat efficace dans neuf expériences réalisées dans le
cadre de la procédure de Groves-Ledyard. Ces résultats conduisent à penser que la vulné-
rabilité des procédures de révélation de la demande aux stratégies individuelles ne doit pas
être prise trop au sérieux. Le Public Broadcasting System a employé avec succès d’autres
types de procédure de révélation des préférences pour affecter les fonds du programme
spatial (Ferehohn, Forsythe et Noll, 1979). Tideman (1983) a obtenu de bons résultats sur
des communautés d’étudiants en utilisant ce type de procédure. Ces expériences dans le
monde réel des procédures de révélation de la demande réhabilitent les travaux théoriques
et leur capacité à influencer la pratique.

8.2 LE VOTE PAR POINT


Nous attendons d’une bonne procédure de vote qu’elle permette de révéler l’information à
la fois sur la quantité Pareto-optimale de bien collectif et sur les parts fiscales qui permet-
tront de financer cette quantité. Le processus de révélation de la demande élude le
deuxième problème en proposant à l’électeur de révéler son consentement à payer, son prix
fiscal. Il conduit à la problématique de la révélation honnête des préférences des électeurs
pour déterminer les quantités Pareto-optimales de bien collectif. Il mène à l’élaboration de
systèmes fiscaux incitatifs.
Un impôt ne sert pas uniquement à révéler le consentement à payer des individus
en matière de biens collectifs, il a aussi des effets sur le niveau des revenus, autrement dit
sur l’incitation au travail. Il dépend, de plus, de la répartition des revenus. Il n’est pas inin-
téressant, dans ces conditions, de modifier la procédure de vote et de passer à un vote par
point où les électeurs disposent d’un même nombre de points. Ils sont détenteurs d’un stock
de monnaie qu’ils peuvent répartir selon leur volonté sur tel ou tel bien collectif, mais qu’ils
ne peuvent pas utiliser pour acheter des biens privés. Une telle procédure lève les problè-
mes liés à la répartition des revenus et aux effets désincitatifs de l’impôt sur l’offre de
travail et le niveau des revenus. Hylland et Zeckhauser (1979) ont proposé une telle procé-
dure.
Il s’agit de donner aux citoyens des stocks de points ou de monnaie afin qu’ils
puissent les affecter aux biens collectifs de leur choix. Une telle procédure, comme l’avait
déjà compris Dodgson, ne résout pas, en revanche, le problème de la révélation des préfé-
rences. Les individus peuvent chercher à améliorer leurs situations en surestimant leur
196 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

préférence sur les problèmes qui leur paraissent les plus importants (Philpoots, 1972 ;
Paroush, et Lampert, 1980 ; Nitzan, 1985). L’apport de la procédure de Hylland et
Zeckhauser (1979) est la règle d’agrégation des points qu’ils proposent. Cette règle incite
les individus à être honnêtes. Ils montrent qu’en donnant une quantité donnée de points à
chaque électeur, les électeurs révéleront leurs préférences réelles en matière de biens
collectifs si le gouvernement agrège la racine carrée des points de chaque électeur. Les
principales étapes de cette démonstration sont décrites dans la section suivante.

8.3 UNE EXPLICATION DE LA PROCÉDURE DU VOTE


PAR POINT DE HYLLAND-ZECKHAUSER
Nous allons à nouveau supposer que les parts fiscales sont prédéterminées pour chaque
citoyen et chaque bien collectif. Chaque citoyen peut calculer son prix fiscal pour chaque
quantité de biens collectifs. Il peut calculer, pour cette raison, sa quantité de biens collec-
tifs pour chaque niveau de prix. Cette procédure de vote par point, comme la procédure de
révélation de la demande, ne traite pas du problème de l’optimalité de la pression fiscale.
Son objectif est de révéler l’intensité des préférences des électeurs afin de déterminer la
quantité de biens collectifs Pareto-optimale.
Supposons qu’il faille déterminer les quantités optimales de K biens collectifs.
Chaque électeur i possède un stock de points, Ai , qu’il peut répartir afin de financer la
production des K biens collectifs selon l’intensité de leurs préférences. Si les électeurs
souhaitent augmenter la quantité de biens collectifs, ils affectent un nombre plus important
de points à ce bien. S’ils souhaitent baisser sa quantité, ils affectent un nombre négatif de
points. Si |aik | est le nombre absolu des points que peuvent affecter les électeurs i aux K
biens collectifs, alors les aik doivent satisfaire :

K
|aik | ≤ Ai . (8.12)
k=1

Le gouvernement convertit les points des électeurs en utilisant la règle suivante :


bik = f (aik ), (8.13)
où bik prend le signe de aik et (bik = 0) ↔ (aik = 0). La règle la plus simple est, bien sûr,
bik = aik , mais comme nous le verrons plus tard, cette règle ne fournit pas les mesures
nécessaires pour inciter les citoyens à révéler honnêtement leurs préférences. Les quantités
de biens collectifs sont déterminées par une procédure itérative. Le gouvernement joue le
rôle du commissaire priseur. Il annonce une quantité de biens collectifs qui peut être le
niveau de l’année passée.
G 01
G 02
..
.
G 0K
Les alternatives sophistiquées à la règle majoritaire 197

Chaque électeur répond à l’annonce du gouvernement en indiquant sa propre répartition


des points pour les différents K biens collectifs, ce qui vérifie l’équation (8.12). Si un élec-
teur veut une plus grande quantité de G k que G 0k , il affecte alors une partie de ses points à
k, c’est-à-dire aik > 0 et vice versa. Le gouvernement détermine alors un nouveau vecteur
de quantité de biens collectifs qui vérifie l’équation (8.13), ce qui permet d’écrire :

n
G 11 = G 01 + bi1
i=1
n
G 12 = G 02 + bi2
i=1
..
.

n
G 1K = G 0K + bi K
i=1

Le processus est répété jusqu’à ce qu’un vecteur de biens collectifs vérifie l’équation (8.14)
n
Bik = 0 , k = 1, K
i=1

Cette procédure itérative pose trois questions intéressantes :


1. Est-ce qu’il y a convergence ?
2. Quelles sont les propriétés normatives du panier de biens collectifs sélectionné ?
3. Quel forme prend la fonction f ( ) ?
Démontrer les qualités de convergence d’un processus itératif n’est jamais chose
aisée. Hylland et Zeckhauser (1979) laissent cette question de côté.
L’optimalité parétienne est la propriété normative généralement étudiée par l’éco-
nomie publique. Cette propriété existe si on peut choisir un vecteur de biens collectifs
G = (G 1 , G 2 , …, G K ) qui maximise l’équation :
 n
W (G) = λi Ui (G)
i=1

où Ui (G) est l’utilité que l’électeur i retire de la consommation d’une grandeur vectorielle
G de biens collectifs (voir chapitre 2, section 2.4). Pour que W (G) soit à son maximum, il
faut que les conditions du premier ordre soient respectées pour chacune des K quantités de
bien collectif :
 n
λi ∂Ui /∂G k (8.16)
i=1

Le poids approprié de chaque utilité marginale doit être équilibré. Cela suppose que toutes
les variations de G k traduisent une variation égale à ∂Ui /∂G k . Nous montrons alors que
deux conditions de notre vecteur d’équilibre de biens collectifs doivent être satisfaites, (8.16)
et (8.14). Nous pourrions assurer que l’optimalité parétienne converge à l’équilibre si :
Bik = λi ∂Ui /∂G k (8.17)
198 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Nous pourrions nous assurer de l’optimum de Pareto pour chaque vecteur d’équilibre pour
lequel la procédure converge si

Bik = 0 , k = 1, K .
i=1

(8.16) devrait alors être satisfait et l’optimum parétien réalisé. Nous devons maintenons
déterminer la forme de la fonction f ( ). Cette fonction doit remplir les conditions établies
par l’équation (8.17).
Considérons, désormais, la décision d’affectation de ses points, Ai , par l’électeur
i, pour chaque étape de l’itération. Le citoyen souhaite maximiser son utilité définie par le
vecteur des biens collectifs étant donné sa contrainte de budget/point (8.12), qui doit être
telle que la nième itération t + 1 maximise :
 
  
Oi = Ui G t1 + b j1 + bi1 , …, G tk + b jk + bik , …, G tk + b jk + bik
j=i j=i j=i
  (8.18)

k
+ µi Ai − |aik |
k=1

Les Gtk sont les quantités de biens collectifs que le gouvernement doit annoncer à chaque

itération. La somme j=i b jk représente les points agrégés par les autres électeurs lors de
l’itération et n’est pas sous le contrôle de i. Alors, i peut changer seulement les bik . L’équa-
tion (8.18) atteint son maximum quand les K équations suivantes sont satisfaites :

∂Ui /∂G k . f (aik ) = µi k = 1, K (8.19a)


quand aik > 0, ou
∂Ui /∂G k . f (aik ) = −µi k = 1, K (8.19b)

quand aik < 0. En substituant ∂Ui /∂G k f (aik ) dans l’équation (8.17) nous obtenons :

Bik = f (aik ) = λi µik / f (aik ) (8.20)

quand aik > 0. Désormais, λi est le poids de i pour W et µi est la valeur du multiplicateur
de Lagrange (8.18). Alors λi µi = C , une constante. La fonction f ( ) doit être telle que :

f (aik ) f (aik ) = C (8.21)


d f (aik )/daik = 2 f (aik ) f (aik ) (8.22)
Nous obtenons :
d f (aik )/daik = 2c (8.23)
Si nous intégrons (8.23), nous obtenons :
f (aik ) = 2Caik + H (8.24)
Où H est une constante arbitraire d’intégration. Si H = 0, nous avons :
 
f (aik ) = Caik = 2λi µiaik (8.25)
Les alternatives sophistiquées à la règle majoritaire 199

µi représente l’utilité marginale d’un point de l’électeur i, µi peut être changé par une
modification des stocks de points initiaux, Ai . Si Ai est choisi tel que :
µi = 1/2(λi ), (8.26)
alors :

f (aik ) = aik (8.27)

Le calcul de maximisation de l’utilité de chaque point par l’électeur sera tel qu’il maximi-
sera la fonction de bien-être W, (8.15), pour un stock de points Ai approprié, si le gouver-
nement détermine les quantités de biens collectifs en agrégeant les racines carrées de
chaque point affecté par les électeurs. En prenant la racine carrée des allocations des points,
cela sanctionne les électeurs qui voudraient sur-affecter des points aux alternatives qu’ils
valorisent le plus. Cela permet de pallier les insuffisances d’une procédure naïve du type
f (aik) = aik .
Il est intéressant aussi de faire remarquer qu’une affectation égalitaire des points
Ai = A pour tous les électeurs i s’accorde avec l’idée que chaque individu doit avoir un
poids égal dans la définition de la fonction de bien-être social W, si et seulement si l’utilité
marginale de chaque point est la même pour tous les électeurs. Cette condition est la même
que celle qui consiste à supposer que les individus retirent la même utilité marginale de
l’action collective (Mueller, 1971, 1973 ; Mueller, Tollison et Willett, 1975). Une affecta-
tion égalitaire des points peut aussi être interprétée comme un moyen implicite d’attribuer
une pondération, λi , moindre à ceux qui ont des préférences plus intenses, des µi plus
élevés.
L’équilibre obtenu grâce à la procédure par point de Hylland et Zeckhauser est un
équilibre de Nash, ce qui signifie que l’adoption de stratégies aux étapes intermédiaires ou
la formation de coalition peuvent modifier le résultat. Cela veut aussi dire que les stratégies
consistant à battre le système ne sont pas immédiatement apparentes.

8.4 LE VOTE PAR VETO


Les procédures de révélation de la demande et de vote par point sont à rapprocher des
mécanismes de marché dans lesquels la monnaie ou le vote monétaire sont utilisés pour
exprimer les préférences. L’équilibre est ici atteint grâce à un processus de tâtonnement.
Les propriétés en termes de bien-être des procédures dépendent en partie de la possibilité
de faire des comparaisons interpersonnelles d’utilité et d’avoir des utilités cardinales afin
d’agréger les euros ou les points attribués par chaque électeur. À l’inverse, le vote par veto
utilise seulement des informations sur les utilités ordinales 9. L’optimalité parétienne est
atteinte, comme sous la règle de l’unanimité, par rejet des solutions sous-optimales. La
procédure ressemble aussi sous certains aspects à la règle de la majorité.
Le vote par veto (VV) diffère des procédures discutées précédemment dans ce
chapitre en ce sens qu’il permet de déterminer à la fois les quantités de biens collectifs et
9 Cette procédure a été initialement proposée par Mueller (1978) puis développée par Moulin (1979, 1981a,b,
1982) et Mueller (1984).
200 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

la part fiscale de chacun pour financer la production du bien. La procédure qui fait appel
au veto diffère de toutes les autres procédures de vote parce qu’elle ne considère pas que
les alternatives données.
La procédure du vote par veto nécessite deux étapes. Dans une première, chaque
électeur ajoute une proposition à l’ensemble des propositions soumises au vote. Ces propo-
sitions portent sur la quantité de biens collectifs qu’il faut produire et le montant de l’impôt
nécessaire pour la financer ou sur un vecteur d’impôt et de quantité correspondant à
plusieurs types de biens collectifs. À la fin de la première étape, la collectivité doit se
prononcer sur les n propositions formulées par les n membres de la collectivité et une
proposition de statu quo (par exemple : la situation de l’année passée, ou des quantités
nulles pour tous les biens collectifs, etc.). Dans une seconde étape, on détermine l’ordre des
votes au hasard. Le vote se déroule, ensuite, de cette manière. Chaque électeur élimine une
proposition parmi l’ensemble des propositions. Le premier électeur élimine une proposition
parmi les n + 1 propositions. Le deuxième électeur, parmi les n restantes. Le vote continue
jusqu’à ce que le dernier électeur ait exprimé son veto. La proposition qui n’a pas fait
l’objet d’un veto est déclarée victorieuse.

Tableau 8.3
Classement issu d’une procédure de vote par veto : exemple 1.

Électeurs
Alternatives A B C
A 1 2 3(2)
B 3 1 2(3)
C 2 3 1
S 4 4 4

Pour mieux comprendre les propriétés de cette procédure de vote par veto, prenons
l’exemple d’un groupe de trois électeurs. Les électeurs A, B et C élaborent les propositions
a, b et c. La proposition s consiste à refuser a, b et c, autrement dit à adopter la solution de
statu quo. Les préférences individuelles sont données par le tableau 8.3. On ignore dans un
premier temps les informations données entre parenthèses.
Supposons que chaque électeur connaisse l’ordre des préférences de tous les
autres. Supposons que le hasard ait déterminé un ordre où c’est A puis B puis C qui votent.
A peut faire gagner sa proposition en mettant son veto sur la proposition b. B, alors, peut
mettre son veto soit sur a soit sur s, C peut mettre son veto sur les autres propositions de
sa paire (s ou a), et c gagnera. Comme B préfère a à c, la meilleure stratégie de B est de
mettre son veto sur c et laisser C mettre son veto sur le statu quo, et donner ainsi la victoire
à la proposition a.
Supposons maintenant que le hasard ait donné l’ordre suivant, A puis C puis B. A
n’a aucun moyen d’assurer la victoire de sa proposition. Si A met son veto pour c, C place
son veto sur a ou s et b l’emporte. Si A met son veto sur b, C met son veto sur a et c gagne.
Les alternatives sophistiquées à la règle majoritaire 201

Comme A préfère c à b, il mettra son veto sur b, et laissera c l’emporter. Les propositions
gagnantes pour les six séquences de vote possibles sont les suivantes :

ABC → a BC A → b
AC B → c C AB → d
B AC → a C B A → b.

Dans ces conditions, chaque proposition a au moins une chance sur trois de l’emporter.
Les préférences présentées dans le tableau 8.3 produisent un cycle sous la règle de
la majorité et avec un vote par paire sur les alternatives a, b et c. Dans cet exemple, le paral-
lèle entre la règle de la majorité et le vote par veto s’arrête ici. Alors que cette première
engendre un cycle, ce dernier sélectionne un gagnant au hasard avec une probabilité égale.
Maintenant, remplaçons les gains de l’électeur C par les chiffres entre parenthèses
dans le tableau 8.3. Cela suppose que C préfère désormais a à b, les autres classements
restant les mêmes. Cette modification augmente la probabilité pour que la proposition a
gagne. Elle a 5 chances sur 6 de l’emporter. Le seul ordre qui puisse sélectionner une
proposition différente est la séquence CAB qui entraîne la victoire de c.
Cet exemple illustre une importante propriété incitative du vote par veto. A
augmente la probabilité de victoire de sa proposition en modifiant les préférences des
autres électeurs. Cela incite les électeurs à faire des propositions qui tiennent compte des
préférences des autres électeurs dès le début de la procédure. La même incitation existe,
bien évidemment, pour tous les électeurs. Il s’engage alors une intense concurrence entre
les électeurs pour avoir la proposition la plus attractive.

Tableau 8.4
Élimination des différentes alternatives et vote par veto : exemple 2.

Électeurs Rejets, ri Ensemble des propositions gagnantes possibles


V1 p3 ou p2 ou p1 [p1] ou [p2]
V2 p4 ou p3 ou p2 [p1, p2] ou [p1, p3]
..
.
Vn–3 pn–1 ou pn–2 ou pn–3 [p1, …, pn–4, pn–3] ou [p1, …, pn–4, pn–2]
Vn–2 pn ou pn–1 ou pn–2 [p1 , …, pn–3, pn–2] ou [p1, …, pn–3, pn–1]
Vn–1 pn ou pn–1 [p1, …, pn–2, pn–1] ou [p1, …, pn–2, pn]
Vn s [p1, p2, …, pn]

La procédure peut être utilisée pour sélectionner une solution unique qui l’emporte
sur toutes les (n + 1) autres alternatives, compte tenu de la séquence W déterminée au
hasard (Mueller, 1978, 1984). Les chances pour qu’une question l’emporte varient directe-
ment en fonction de sa position parmi les n + 1 propositions dans le classement de chaque
électeur. La proposition la plus mal classée aura moins de chances de l’emporter que les
autres.
202 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Prenons un exemple afin de mieux comprendre le fonctionnement de cette procé-


dure. Une communauté composée de n membres gagne G dollars si elle parvient à s’en-
tendre sur une manière de redistribuer cette somme. En revanche, si les membres de cette
communauté ne trouvent aucun accord, personne ne profitera des G dollars et le statu quo
l’emportera. Le problème est alors de savoir comment redistribuer G tout en tenant compte
du principe d’unanimité. Face à un tel problème, la règle de la majorité simple conduit à
l’apparition de cycles. Examinons le résultat sous la règle W.
Un électeur pourrait proposer que la totalité de G lui soit affectée. Mais une telle
proposition serait vouée à l’échec. Il sait qu’il doit partager le montant du don G avec les
autres électeurs. Ce même électeur peut plus raisonnablement proposer un partage équita-
ble de G entre les n joueurs, chacun obtenant la même part. Une telle proposition permet-
trait d’éviter le veto des autres électeurs. Il est tout aussi possible que notre électeur désire
égoïstement s’attribuer une part sensiblement plus importante que celle des autres joueurs.

(G/n − ei /n − 1, G/n − ei /n − 1, ..., G/n + ei , ..., G/n − ei /n − 1). (8.28)

Il propose alors un partage égal de G entre les n-1 autres joueurs tout en s’octroyant une
prime de G/n + ei . Les autres joueurs bénéficient alors d’une part de G/n − ei /n − 1.
Supposons que toutes les alternatives autres que s prennent cette forme.
Sous cette condition, nous pouvons désigner ces propositions comme ayant un
haut degré d’égalitarisme. Appelons p1 l’alternative la plus égalitariste et ayant le plus petit
e1 , p2 la proposition ayant un e2 légèrement supérieur à e1 , et ce jusqu’à pi , ayant un ei
légèrement supérieur à ei−1 . Supposons qu’aucune de ces alternatives n’ait un ei identique.
Supposons maintenant que l’ordre des préférences soit donné par le tableau 8.4. V1
est le premier à voter, V2 , le second et ainsi de suite. Une fois la séquence de vote par veto
déterminée, elle est annoncée à tous les électeurs. Étant donnée la nature des alternatives,
tous les électeurs peuvent aisément déterminer le classement complet des n + 1 proposi-
tions de tous les autres électeurs. Tous les électeurs placent l’alternative s, le statu quo, en
dernière position. Tous savent que Vn , le dernier votant de la séquence, classera s en
dernier. Compte tenu de ce choix entre s et les autres propositions, Vn rejettera s. s étant
abandonné, aucun électeur ne gaspillera son droit de veto pour s. Considérant Vn , on peut
dire qu’il existe un certain nombre de propositions gagnantes parmi l’ensemble ( p1 , p2 , …,
pn ). Les n électeurs se voient proposer trois alternatives et rejettent s ainsi que les derniè-
res de son classement. Parmi les propositions gagnantes possibles ( p1 , p2 , …, pn ), Vn−1
opposerait par exemple son veto à la proposition qu’il classe en dernière position. Appe-
lons cette proposition rn−1 . Si tous les électeurs qui précédent Vn−1 rejetaient rn−1 , ils
perdraient leur droit de veto. Ils laisseront alors à Vn−1 le soin de rejeter rn−1 . Compte tenu
de la nature des propositions, nous pouvons réduire la liste des candidats possibles pour
l’alternative rn−1 . Vn−1 classe la proposition la moins égalitaire, pn , tout en bas de son clas-
sement car elle lui assure les plus faibles niveaux de gains, sauf si pn est l’alternative qu’il
propose. Si Vn−1 a proposé pn , il n’a pas pu proposer pn−1 et classe donc cette dernière au
rang le plus bas de ses préférences. Vn−1 doit alors rejeter soit pn soit pn−1 .
En procédant ainsi, on peut lister les électeurs en associant à chacun une alterna-
tive qu’ils rejettent. Si Vn−1 a proposé pn , cela signifie que Vn−2 ne l’a pas proposé, que ce
n’était pas dans son intérêt. Vn−2 rejette alors pn . Si l’on considère à la fois le vote de Vn−1
Les alternatives sophistiquées à la règle majoritaire 203

et Vn−2 , soit un de ces deux votants, soit les deux ne proposent pas pn . pn est alors défini-
tivement rejeté par un des trois derniers votants. Si l’on considère les trois derniers élec-
teurs, s et pn sont définitivement éliminés de l’ensemble des alternatives gagnantes
possibles. Comme nous nous occupons de la séquence de votes par veto, nous découvrons
que toutes les alternatives sont éliminées à l’exception de p1 et p2 , les deux propositions
les plus égalitaristes.
La proposition p1 , la plus égalitariste, gagne la plupart du temps parce que tous les
électeurs autres que son auteur la classent en deuxième position après leur propre proposi-
tion. Si l’auteur de la proposition p2 , parvient à voter en premier dans la séquence de vote
(V1 ), il peut faire gagner sa proposition 10. La probabilité pour que l’électeur porteur de la
proposition p1 soit le premier dans la séquence de vote tend vers zéro quand le nombre des
électeurs, n, est grand.
Plus généralement, le vote par veto sélectionne l’alternative la plus haute du clas-
sement des préférences de l’ensemble des électeurs. Quand l’espace des alternatives propo-
sées est unidimensionnel et que les préférences des électeurs sont unimodales, le vote par
veto affecte une probabilité de succès non nulle uniquement aux propositions du deuxième
tiers des électeurs, la probabilité la plus élevée revenant à la proposition médiane. Cette
tendance à la sélection médiane est renforcée par les incitations des électeurs au moment
où ils proposent leurs alternatives.
Supposons qu’une communauté cherche à déterminer les quantités et les qualités
de deux biens collectifs X et Y. Soit Ui (X, Y ) la fonction d’utilité d’un individu i qui atteint
son maximum au point I. Supposons des courbes d’indifférence circulaires autour de I. Les
propositions sont de combinaisons de X et de Y, de la forme pi (X, Y ). La probabilité que
tous les autres j électeurs rejettent pi est d’autant plus grande que l’utilité maximum, J, est
éloignée de i. Cette probabilité est πi j (X i , Yi ). La probabilité que les n − 1 électeurs rejet-
tent cette proposition, pi , est :

πi = π ji , (8.29)
j=i

πi n’est pas continue, bien qu’on puisse raisonnablement supposer qu’elle est presque une
fonction continue qui admet un minimum au point C (qui n’est autre que le centre de la
distribution des pics d’utilité des n − 1 autres votants) lorsque n est grand. Soit Ui l’utilité
espérée de i si sa proposition échoue. Il faut alors qu’il propose un ensemble de deux carac-
téristiques (xi , yi ) afin de maximiser son utilité espérée E(Ui ).
E(Ui ) = (1 − π i ).Ui (xi , yi ) + π i U i . (8.30)
La maximisation de (8.30) par rapport à xi et yi et l’égalisation à zéro de chaque équation
nous donnent :
∂Ui /∂ xi (1 − π i ) − Ui ∂π i /∂ xi + ∂π i /∂ xi .U i = 0
(8.31)
∂Ui /∂yi (1 − π i ) − Ui ∂π i /∂yi + ∂π i /∂y i U i = 0
10 Notons que p2 n’est pas toujours gagnante lorsque le votant à l’origine de cette proposition vote en premier.
Quand elle est suivie par la proposition p3 , le votant à l’origine de la proposition p2 n’opposera pas son veto
contre p1 , parce que celui qui a proposé p3 utilisera son vote pour rejeter p2 . Ainsi, p1 gagne toujours quand
la proposition p2 est rejetée et qu’elle est suivie de la proposition p3 .
204 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Ce qui conduit au résultat suivant :

∂Ui /∂ xi /∂Ui /∂yi = ∂π/∂ xi /∂π i /∂yj . (8.32)

L’équation (8.2) définit un point de tangence entre une courbe d’indifférence de I


et une isoprobabilité autour du point C (voir figure 8.2) ; il apparaît alors un point de
contact à la tangence des deux courbes d’indifférence.

Figure 8.2
Détermination des propositions de l’électeur i.

En formulant une proposition, l’électeur i se déplace le long de la courbe des


contrats en direction du point C sachant que la probabilité pour que sa proposition soit
rejetée est d’autant plus grande qu’il est proche de C. L’application de la séquence V réduit
progressivement le nombre des propositions situées le long de la fonction de densité, autre-
ment dit de la fonction qui définit les points optimum et conduit à faire triompher l’alter-
native la plus proche du centre de la distribution.
La procédure de vote par veto a les mêmes défauts que les autres procédures. Plus
le nombre des électeurs est grand, plus l’incitation à participer décroît. La procédure est
également sujette au risque d’apparition de cycles. Si, dans l’exemple précédent, deux des
trois votants décident de se coaliser contre le troisième, la redistribution se fera au détri-
ment de ce dernier. L’électeur isolé peut utiliser son veto pour neutraliser seulement une des
deux propositions qui lui sont défavorables. Comme pour les règles de vote, ce problème
de coalition est d’autant moins important que le nombre des électeurs est grand.
Les alternatives sophistiquées à la règle majoritaire 205

8.5 UNE COMPARAISON DES PROCÉDURES


Quand Samuelson (1954, p. 182) affirme qu’il est impossible de trouver une procédure
capable de révéler les préférences des individus en matière de biens collectifs, il fait l’hy-
pothèse que les recettes fiscales sont utilisées pour financer la fourniture du bien collectif.
La part des coûts du bien collectif supportée par un individu ne serait pas liée à ses préfé-
rences pour le bien. Les procédures de révélation de la demande et de vote par veto résol-
vent le problème de la révélation des préférences en reliant l’état des préférences et la part
des coûts, comme dans la procédure d’enchère de Smith (1977).
L’ensemble des ces procédures ne parvient pas à faire correspondre à chaque élec-
teur le coût du bien collectif qui correspond à leurs préférences. Elles imposent un coût aux
électeurs, qui sont obligés d’agir pour orienter la décision collective dans leur direction.
Comme Groves (1979, p. 227) l’observait, « l’idée de quid pro quo, de donnant-donnant
est fondamentale pour une théorie économique de l’échange ». En dehors des modèles de
logrolling ou de marchandage, les procédures démocratiques de la théorie ou du monde réel
n’ont fait aucune place à l’idée de « donnant-donnant ». Cela explique peut-être leur faible
importance dans l’objectif wicksellien de transformer les rapports avec l’État en échanges
volontaires. Dans la plupart des procédures démocratiques, les voix sont distribuées essen-
tiellement sous la forme de biens gratuits, les seuls coûts étant en termes de temps.
Les procédures présentées dans ce chapitre rompent, en partie, avec cette tradition
car la procédure de révélation de la demande et le vote par point supposent des dépenses
« monétaires » des électeurs ou un vote en monnaie fongible.
Les procédures discutées dans ce chapitre s’inscrivent également dans le prolon-
gement de cette tradition wicksellienne dans la mesure où le problème de la répartition
équitable des revenus est supposé avoir été réglé avant même l’application de la procé-
dure 11. Dans les procédures de révélation de la demande et de vote par point, la part des
coûts du bien collectif supportée par les individus est prédéterminée. Sous la procédure de
révélation de la demande, le résultat dépend fortement de la distribution initiale des
revenus. Avec le vote par point, elle dépend de la distribution des points. Le vote par veto
ne rencontre pas ce problème de distribution initiale des « revenus ».
Initialement le but de l’action collective est d’augmenter le bien-être de tous et le
processus de décision collectif a pour objectif d’indiquer les situations potentielles d’amé-
lioration du bien-être de tous. Les propositions diffèrent néanmoins concernant la réparti-
tion des avantages procurés par l’action collective. La procédure de révélation de la
demande oblige les individus à se déplacer le long de leurs courbes de demande ou d’offre
afin de maximiser la somme des surplus des individus. Les gains de l’action collective sont
distribués à ceux qui supportent la part des coûts de la fourniture de biens collectifs la plus
basse et qui ont les revenus initiaux les moins élevés 12. Avec le vote par point, les gains
sont attribués à ceux qui ont les parts fiscales les plus basses et le stock de points le plus
faible. Le vote par veto ressemble au partage d’un gâteau à partir d’un tirage aléatoire. Les

11 Pour une discussion de cela dans le contexte d’une procédure de révélation de la demande, on peut lire
Tideman (1977).
12 Tullock (1977b) a défini les propriétés normatives de cette procédure.
206 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

gains de l’action collective tendront à être répartis également entre les individus et cette
propriété égalitariste représente la caractéristique normative de cette procédure.
La démarche wicksellienne de l’échange volontaire est liée à la philosophie indi-
vidualiste (Buchanan, 1949). Chaque individu s’engage dans la procédure de décision
collective pour améliorer son bien-être personnel et la procédure est fixée de manière à ce
que chacun puisse en tirer avantage. La procédure de décision collective comporte à cet
égard un ensemble implicite de garanties ou de contraintes d’ordre constitutionnel. Elle
suppose aussi qu’il est impossible que des coalitions de groupes se constituent contre d’au-
tres groupes. Chaque homme défend son intérêt personnel, mais comme sur un marché, il
ne lutte pas, collectivement du moins, contre un autre. Les trois procédures présentées dans
ce chapitre supposent toutes que les propositions soumises au vote respectent l’ordre cons-
titutionnel et excluent de manière explicite les coalitions. Avec la procédure de révélation
de la demande, l’impôt supporté par un individu est exactement égal au coût qu’il impose
aux autres du fait de sa participation au processus de décision collective. Avec le vote par
veto, un individu peut se protéger d’une menace de discrimination en utilisant son pouvoir
de veto contre ce type de proposition.
Ces trois propositions n’ont pas pour seul point commun de respecter l’individua-
lisme wicksellien, elles se rapprochent également par les contraintes qu’elles font peser sur
les individus engagés dans la procédure. Il ne suffit pas pour un individu d’exprimer son
accord ou son désaccord. L’individu doit procéder à une évaluation en euro des gains qu’il
tire des diverses solutions possibles et, dans le cas du vote par veto, des avantages qu’en
tirent les autres électeurs. Cet objectif est atteint d’autant plus facilement que la procédure
respecte une autre caractéristique wicksellienne : chaque proposition de dépense est asso-
ciée à une proposition de recette du même montant. Ces trois procédures nécessitent cepen-
dant que les électeurs détiennent beaucoup plus d’informations que dans les procédures de
décision collective actuelle. Elles sont également peut-être trop sophistiquées pour le profil
de l’électeur moyen révélé par les enquêtes d’opinion relatives aux connaissances des élec-
teurs sur les candidats et les propositions de politique publique. Pour de nombreux obser-
vateurs, ce manque de maturité des électeurs constitue un obstacle à la mise en place de ce
type de procédure dans la vie politique concrète. Mueller (2003, p. 180) soutient que,
depuis les travaux de Samuelson et Arrow, la littérature sur les biens publics et les décisions
démocratiques a effectivement montré que la révélation des préférences des individus en
matière de biens collectifs n’est pas une tâche facile. Si les électeurs ne peuvent répondre
que par oui ou par non, cette tâche devient même impossible.
Une partie importante de la discussion autour de ces procédures a été utilisée dans
le contexte de la démocratie directe. Elles semblent tout de même plus facilement applica-
bles dans des systèmes représentatifs, comme des parlements. Ici, l’argument selon lequel
la procédure serait trop complexe pour un électeur moyen ne tient plus. Dans le cadre d’un
parlement, les procédures de vote par point et par veto auraient des avantages sur la procé-
dure de révélation de la demande qui suppose l’utilisation d’incitations monétaires réelles.
(Qui paie la taxe incitative : le citoyen ou le représentant ?) L’utilisation des points pour le
vote des représentants ou les caractéristiques du vote par veto seraient aussi utiles pour les
électeurs au moment où ils évaluent leurs représentants. Seule l’hypothèse d’absence de
coalition constitue un problème, au moins dans un système bipartisan. Avec seulement
Les alternatives sophistiquées à la règle majoritaire 207

deux partis, par exemple, le vote par veto produirait le même résultat que la règle de la
majorité. Les procédures de vote par point et de vote par veto peuvent néanmoins être adap-
tées aux caractéristiques d’un parlement multipartite. Elles auraient l’avantage de permet-
tre à tous les partis d’influencer les résultats du vote. Elles éviteraient que seule l’opinion
des coalitions majoritaires soutenant le gouvernement l’emporte 13.
À travers chacun de ces points faibles, ces trois procédures suggèrent que le
problème de la révélation des préférences en présence de biens collectifs peut être résolu à
la fois théoriquement et dans la pratique. La solution optimale provient sûrement d’une
variante de l’une ou l’autre de ces procédures ou peut-être d’une procédure qui n’a pas
encore été inventée. Malgré leurs différences intrinsèques, les similitudes entre les trois
procédures étudiées sont telles qu’on ne peut s’empêcher de penser que les caractéristiques
communes de ces procédures fassent partie de la solution ultime du problème de révélation
des préférences. Si cela est vrai, nous pourrions alors clore le programme de recherche sur
les processus de choix collectif initiés par Wicksell.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Pour compléter les procédures discutées dans ce chapitre, on peut mentionner les références suivan-
tes : Thompson (1966), Drèze et de la Vallée Poussin (1971) et Bohm (1972).

13 Voir Mueller (1996a, Ch. 11).


9
SORTIE, PROTESTATION
ET TRAHISON

9.1 La théorie des clubs 210


9.2 Voter-avec-les-pieds 215
9.3 L’optimum global via le vote-avec-les-pieds 218
9.4 Les clubs et le noyau 223
9.5 Voter-avec-les-pieds : validation empirique 228
9.6 L’association volontaire, l’efficience allocative et l’équité de répartition 232
9.7 La théorie de la révolution 235
210 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Parmi les lois qui régissent les sociétés humaines, il en existe une qui semble être
plus précise et plus claire que toutes les autres. Si être un homme consiste à
demeurer civilisé ou à le devenir, l’habileté à s’associer doit croître et s’améliorer
dans les mêmes proportions que l’augmentation de l’égalité des conditions.
Alexis de Tocqueville

Dans son livre Exit, Voice and Loyalty (1970), Albert Hirschman développe une distinction
très utile entre d’une part les différents processus par lesquels les individus expriment leurs
préférences par des décisions d’entrée et de sortie, et d’autre part les processus par lesquels
une forme de communication est employée, qu’elle soit écrite, verbale ou sous la forme
d’une protestation. Un exemple du premier processus serait un marché pour un bien privé,
au sein duquel les acheteurs indiqueraient leurs attitudes à l’égard des caractéristiques de
prix et de qualité d’un bien en diminuant ou en augmentant (entrée ou sortie) leurs achats.
Un exemple pour illustrer l’utilisation de l’opinion pour influencer le lien entre prix et coût
serait une réclamation ou une recommandation envers le fabricant concernant le produit
délivré. Une condition nécessaire pour que la sortie soit effectivement utilisée est évidem-
ment que les utilisateurs potentiels de cette option soient mobiles. Une parfaite mobilité à
la fois des acheteurs et des vendeurs (entrée et sortie libres) est une hypothèse soulignant
toutes les démonstrations de l’efficience du marché. Par contraste, la littérature ciblée sur
les processus de vote, le choix public et la science politique, a presque exclusivement admis
(le plus souvent de manière implicite) que la sortie n’était pas une option. Les frontières de
l’État sont prédéfinies et inclusives. La citoyenneté est fixe. Un citoyen est, au plus, auto-
risé à s’abstenir de participer au processus politique, mais il ne peut pas quitter le régime
politique pour éviter les conséquences de ses décisions.
En partant de l’hypothèse que les frontières et la citoyenneté sont fixées, les carac-
téristiques d’un bien public pur, non-exclusion et non-rivalité, requièrent que la protesta-
tion collective et le processus de décision hors marché soient utilisés pour révéler les
préférences individuelles et pour parvenir à l’efficience de Pareto, telle que définie par
Samuelson (1954). Mais beaucoup de biens ne sont des biens publics « purs » que dans un
sens limité. Pour ces biens, le principe de non-exclusion et/ou l’absence de rivalité ne peut
être applicable à la totalité des possibilités alternatives de distribution et de production.
Pour ces quasi-biens publics ou ces biens publics locaux, on pourrait employer la « sortie »
comme une alternative ou un complément au processus de protestation. Ces possibilités
sont examinées dans le présent chapitre.

9.1 LA THÉORIE DES CLUBS


Considérons l’effet de ne retenir que la propriété de non-rivalité des biens publics. L’ex-
clusion est possible, mais l’ajout d’un nouveau membre diminue le coût moyen de ce bien
pour tous les autres membres ; cela signifie qu’il y a des économies d’échelle. Si les coûts
moyens chutent indéfiniment, la taille optimale du groupe de consommation est la popula-
tion totale, et le problème traditionnel du bien public persiste. Si les coûts unitaires finis-
sent par cesser de diminuer ou par augmenter, que ce soit parce que les économies d’échelle
sont épuisées ou en raison des coûts additionnels liés au nombre de bénéficiaires, la taille
Sortie, protestation et trahison 211

optimale du groupe de consommation peut être plus petite que la population. Si ceux qui
ne contribuent pas aux coûts de fourniture du bien public peuvent être exclus de sa consom-
mation, il devient possible pour un groupe d’individus de se mettre volontairement d’ac-
cord sur la fourniture d’un bien qui ne profiterait qu’à eux seuls. Une telle association
volontaire établie dans le but de fournir des biens publics excluables est ce que nous défi-
nissons comme étant un club. Bien que nous devions généralement supposer que la fourni-
ture du bien public aux membres du club implique au moins certains coûts fixes, et
peut-être certains coûts variables décroissants, il faut noter que le bien public fourni par
certains clubs « sociaux » repose entièrement sur la présence des autres membres du club.
Prenons par exemple un club de bridge. Dans ce cas, il n’existe, hormis le temps, aucun
coût pour fournir le bien public, et aucun bénéfice, à l’exception de ceux qui découlent de
l’association avec d’autres membres jouant au bridge. L’exclusion est cependant possible,
et l’analyse de ces clubs est analogue au cas plus général qui nous intéresse ici. Les asso-
ciations volontaires pour fournir (ou pour influencer la fourniture) des biens publics non
excluables ne correspondent pas à la définition du club employée ici, bien que ces associa-
tions s’attribuent elles-mêmes parfois le nom de « clubs ». Ces associations sont typiques
dans leur tentative d’influencer la fourniture du bien public par l’intermédiaire d’un autre
organe, comme une assemblée régionale ou nationale, et doivent être traités comme des
groupes d’intérêt plutôt que comme des clubs (voir chapitres 15, 20 et 21).
Buchanan (1965a) fut le premier à explorer les propriétés d’efficacité des clubs
volontaires en utilisant un modèle dans lequel les individus ont des goûts identiques pour
les biens tant publics que privés. Pour comprendre ce que cela implique, considérons
l’exemple que Buchanan emploie en premier : la formation d’un club de natation. Suppo-
sons d’abord que la taille de la piscine, et par conséquent son coût total (F), est fixe, et que
la seule chose qui reste à choisir est la taille du club. La figure 9.1 montre les bénéfices
marginaux et les coûts marginaux (respectivement MB et MC) d’un membre supplémen-
taire du point de vue d’un autre membre. Si les goûts et les revenus sont identiques, il est
raisonnable de supposer un partage égal des coûts. Pour le premier membre, le bénéfice
marginal résultant de l’addition d’un second membre au club correspond à l’économie de
la moitié du coût de la piscine, soit M B = F/2. Le bénéfice marginal d’un troisième
membre représente, pour les deux premiers membres, une économie supplémentaire d’un
tiers du coût de la piscine. Les bénéfices supplémentaires résultant de l’ajout de nouveaux
membres, autrement dit les économies réalisées par les autres membres du fait de la répar-
tition supplémentaire des coûts fixes, continuent de baisser en même temps que la taille du
club (N ) augmente, comme le montre la courbe M B sur la figure 9.1. Les coûts marginaux
d’un nouveau membre sont donnés par la courbe MC. Ce sont des coûts psychologiques.
Si les individus préfèrent nager seuls, ces coûts seront positifs sur toute la courbe. Si les
individus apprécient la compagnie des autres lorsqu’ils ne sont pas trop nombreux, les coûts
marginaux des membres supplémentaires seront négatifs sur les niveaux faibles de la taille
du club. Cependant, les coûts positifs d’une augmentation du nombre de membres finissent
par prédominer, et la taille optimale du club, N0 , correspond à l’endroit où le coût margi-
nal d’un membre supplémentaire équivaut à la réduction des cotisations dues par les autres
membres, du fait de la répartition des coûts fixes sur un membre du club supplémentaire 1.

1 Voir McGuire (1972, pp. 94-7) et Fisch (1975).


212 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Figure 9.1
Détermination de la taille optimale du club.

La figure 9.1 peut aussi être utilisée pour illustrer les cas opposés que sont les biens
privés purs et les biens publics purs. Pour un bien public pur, l’ajout d’un membre supplé-
mentaire au club ne diminue jamais les bénéfices de l’appartenance au club pour les autres
membres. Le coût marginal est égal à zéro et coïncide avec l’axe horizontal. La taille opti-
male du club est infinie. Pour un bien privé pur, comme une pomme par exemple, la surpo-
pulation apparaît dès la première unité. Si le consommateur retire un surplus de
consommation de sa pomme, l’utilité anticipée du don de la moitié de sa pomme est supé-
rieure aux gains provenant du partage des coûts, et la taille optimale du club se réduit à un
membre. Cela dit, même avec des biens aussi privés que des pommes, une consommation
de forme coopérative peut être optimale. Si, par exemple, le prix unitaire des pommes est
plus bas lorsqu’elles sont vendues par caisses, la distribution de pommes présente des
caractéristiques de non-rivalité et peut imposer des clubs d’achat dont la taille optimale sera
supérieure à un membre unique.
La théorie des clubs peut être étendue pour prendre en compte le choix de la quan-
tité et d’autres caractéristiques du bien de consommation collective. Il est plus simple d’en-
treprendre cette extension de manière algébrique. Définissons l’utilité d’un individu
caractéristique à partir d’un bien privé X , d’un bien public G, et de la taille de club N ,
U = U (X, G, N ). Incluons dans le coût de fourniture du club en bien public un coût fixe
(F) et une unité de coût (le prix) représentée par Pg. Supposons que les agents n’ont pas
la même fonction d’utilité U , mais disposent du même revenu Y , et que chacun paie les
mêmes frais d’adhésion au club, t. Pour déterminer le niveau de bien public à fournir et la
Sortie, protestation et trahison 213

taille que le club doit avoir, nous supposons que l’utilité d’un membre caractéristique du
club est maximisée. Cet objectif doit être posé en tant que choix conscient des membres
fondateurs du club, ou être imposé par un marché concurentiel pour les adhésions à un club.
S’il existe une compétition pour les adhésions, tout club qui ne saurait fournir à ses
membres le maximum d’utilité, ne survivrait pas, étant donnée la technologie d’approvi-
sionnement du bien public excluable. En prenant en compte le budget limité d’un membre
caractéristique, on obtient le Lagrangien suivant :

L = U (X, G, N ) + λ(Y − P x X − t) (9.1)

Si le club doit fonctionner sous la contrainte d’un budget équilibré, alors t doit satisfaire
l’égalité t N = F + PgG. En utilisant cette équation pour remplacer t dans (9.1), on
obtient :

L = U (X, G, N ) + λ(Y − P x X − F/N − PgG/N ) (9.2)

En maximisant (9.2) en fonction de X , G et N , on obtient les conditions de 1er ordre


suivantes :

∂L ∂U
= − λPx = 0 (9.3)
∂X ∂X
∂L ∂U Pg
= −λ =0 (9.4)
∂G ∂G N
 
∂L ∂U λ F + Pg G
= + =0 (9.5)
∂N ∂N N2
Ce qui donne à partir de (9.3) et de (9.4) :

∂U
Pg
N ∂G =
∂U Px
∂X
La quantité de bien public fourni aux membres du club doit être décidée de telle sorte que
la condition de Samuelson pour un approvisionnement Pareto-optimal soit satisfaite. Ceci
signifie que la somme des taux marginaux de substitution des biens publics par rapport aux
biens privés pour tous les membres du club, doit être égale au ratio de leurs prix.
On obtient donc à partir de (9.4) et de (9.5) :

−∂U
F + Pg G
N = ∂G . (9.7)
∂U Pg
∂N
Si une extension de la taille du club provoque une augmentation indésirable du nombre de
membres, ∂U/∂ N < 0, et (9.7) implique N > 0. Plus la désutilité résultant de l’augmen-
214 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

tation du nombre de membres relativement à l’utilité marginale du bien public, est élevée,
plus la taille optimale du club est réduite. Plus les coûts fixes de fourniture du bien public
aux membres du club sont élevés, plus la taille optimale du club est grande, du fait des
avantages de la répartition de ces coûts fixes sur un nombre d’adhérents plus grand.
L’hypothèse selon laquelle les individus ont des goûts et des revenus identiques est
plus qu’une simple convenance pour mener l’analyse. Il est souvent inefficace d’avoir des
individus aux goûts différents dans un même club, si cela peut être évité. Si tous les indi-
vidus sont identiques, excepté le fait que certains préfèrent les piscines rectangulaires
tandis que d’autres préfèrent les piscines ovales, alors la constellation optimale des clubs
répartit les individus entre les clubs qui ont une piscine ovale et ceux qui ont une piscine
carrée 2. Certaines différences dans les goûts pour un bien public peuvent tout de même être
accueillies efficacement au sein d’un même club. Par exemple, si certains individus souhai-
tent nager tous les jours, tandis que d’autres seulement une fois par semaine, cette hétéro-
généité de préférences peut être résolue efficacement en affectant aux différents membres
des tarifs différents pour le service fourni par le club. Si les seuls coûts liés à l’extension
de la taille du club proviennent de l’augmentation du nombre de membres, les tarifs opti-
maux pour financer le club incluront un prix par visite. Des frais d’usage similaires sont
nécessaires pour obtenir l’allocation et l’utilisation optimale du bien proposé par le club, si
les coûts de fourniture de ce bien (la maintenance, par exemple) sont positivement liés à
l’utilisation (Berglas, 1976 ; Sandler et Tschirhart, 1984, 1997, pp. 342-3 ; Cornes et
Sandler, 1986, pp. 179-84).
Si l’éventail des préférences et des technologies pour fournir des biens publics
excluables est tel que le nombre de clubs constitués de manière optimale, qui peuvent être
formés dans une collectivité d’une taille donnée, est élevé, alors une allocation efficace de
ces biens publics excluables à travers une association volontaire d’individus sous forme de
clubs peut être envisagée. Pauly (1967, p. 317) compare le règlement ou la charte d’un club
à un contrat social accepté à l’unanimité par tous les membres, et la théorie des clubs, selon
ces hypothèses, est beaucoup plus dans l’esprit de l’approche de l’échange contractuel et
volontaire développée par les théories des choix publics et des finances publiques. Avec un
grand nombre d’alternatives possibles au niveau des clubs, chaque individu peut se garan-
tir à lui-même des avantages égaux pour un partage égal des coûts, puisque toute tentative
de discrimination contre lui provoquera son départ pour un club concurrent, ou même la
création d’un nouveau club. Néanmoins, si la taille optimale des clubs est grande par
rapport à la taille de la population, il se peut qu’il y ait de la discrimination et qu’il n’existe
pas d’équilibre stable. Avec un club d’une taille optimale des deux tiers de la population,
par exemple, seul un club de ce type peut exister. Si un tel club est constitué, ceux qui n’en
font pas partie sont incités à débaucher des membres en offrant des tarifs disproportionnés
par rapport aux bénéfices tirés de l’extension du club plus petit. Mais les membres restant
dans le club plus grand sont motivés pour maintenir la taille du club, et peuvent attirer de
nouveaux membres en offrant tous les avantages d’adhérer à un grand club ; et ainsi de
suite. Il n’est pas nécessaire d’avoir une répartition stable des tailles des clubs et des béné-
fices (Pauly, 1967, 1970). D’un point de vue analytique, le problème est identique à celui

2 Buchanan (1965a) et McGuire (1974).


Sortie, protestation et trahison 215

du noyau vide en présence d’externalités discuté au chapitre 2, ou plus généralement du


problème des cycles (voir la section 9.4).
Même lorsque la constellation de clubs est stable, quand les tailles optimales du
club sont grandes par rapport à la taille de la population, tous les individus ne feront pas
partie d’un club constitué de manière optimale. Bien que l’association volontaire d’indivi-
dus dans le but de former des clubs augmente leur utilité, cela ne maximisera pas l’utilité
agrégée de toute la population, définie de manière à inclure ceux qui ne font pas partie de
clubs de taille optimale (Ng, 1974 ; Cornes et Sandler, 1986, pp. 179-84). Ce point est illus-
tré dans la section 9.3 avec une forme de club légèrement différente.

9.2 VOTER-AVEC-LES-PIEDS
Dans la théorie des clubs, l’exclusion de la consommation d’un bien public peut être rendue
possible par le biais de dispositifs institutionnels. Une barrière peut être construite autour
de la piscine et seuls les membres du club seront autorisés à y pénétrer. Cependant, même
s’il n’y a pas de barrières autour de la piscine, ceux des individus qui vivent à une distance
éloignée de la piscine se retrouvent de fait exclus de son usage par les coûts du déplace-
ment. Lorsque la consommation d’un bien public requiert que celui-ci soit à un certain
endroit, la distance peut servir de dispositif d’exclusion. Si différents agglomérats de biens
publics de ce type étaient proposés à des endroits différents, une division spatiale de la
population en « clubs » de goûts homogènes émergerait, les individus choisissant de résider
dans les localités qui leur offrent la constellation idéale de biens publics. Aucun vote n’au-
rait à être organisé, et toutes les préférences apparaîtraient à travers le silencieux « vote
avec les pieds » : des individus sortant et entrant des communautés, possibilité qui a été
mentionnée pour la première fois par Tiebout (1956).
Contrairement à la promesse décevante de la loi de la majorité, à la qualité
utopique de la loi de l’unanimité, et à l’imposante complexité des procédures plus récentes
et plus sophistiquées, les clubs de Buchanan et le « vote avec les pieds » de Tiebout
semblent accomplir la tâche de révéler les préférences individuelles par le dispositif éton-
namment simple qui consiste à laisser les individus se positionner (ranger) eux-mêmes à
l’intérieur de groupes de goûts semblables. L’efficience et le gain mutuel que Wicksel a tiré
de la règle de l’unanimité dans son approche de l’action collective comme échange volon-
taire, résultent de l’association volontaire d’individus en clubs ou en collectivités locales.
Buchanan décrit les propriétés d’un club unique, et les conditions d’adhésion à un
club seul et isolé [(9.6) et (9.7)]. Tiebout décrit le processus du « vote avec les pieds » qui
pourrait atteindre l’optimum de Pareto en tenant compte de la population dans son ensem-
ble. Cependant, une collectivité locale est une forme de club, et les clubs sont un type de
collectivité. Par conséquent, les conditions (9.6) et (9.7) doivent aussi être valables pour
une collectivité unique, et un monde de clubs doit, en principe, offrir le même potentiel que
ce que le modèle de Tiebout offre pour parvenir à l’efficience de Pareto définie pour toute
la population. De plus, tous les problèmes de stabilité ou d’inefficience de Pareto qui
peuvent se manifester dans la prise en compte d’un modèle, sont probablement valables
pour l’autre.
216 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Les conditions suivantes garantissent l’optimalité globale de la fourniture des


biens publics excluables et sont donc applicables à la fois aux clubs et aux modèles de
« vote avec les pieds » 3.
1. La mobilité complète de tous les citoyens
2. Une pleine connaissance des caractéristiques de toutes les communautés (clubs)
3. La disponibilité d’un assortiment de choix de communautés (clubs) recouvrant la
totalité des possibilités de types de biens publics désirés par les citoyens
4. L’absence d’économies d’échelle dans la production du bien public et/ou de
minimum d’échelle de production optimale relativement à la taille de la population
5. L’absence d’externalité entre les communautés (clubs)
6. L’absence de contraintes géographiques sur les individus en ce qui concerne leurs
revenus.
Les hypothèses 1 et 6 sont spécifiques au modèle de « vote avec les pieds », mais
une certaine forme d’hypothèse de libre association est certainement implicite au sein du
modèle des clubs s’il s’agit de produire un optimum global. Certaines difficultés particu-
lières liées à la sixième hypothèse sont discutées plus loin. Les hypothèses 1 et 5 ont
tendance à aller à contre-courant. Plus la communauté est grande, plus il revient cher de la
quitter, et plus la mobilité est réduite. Par conséquent, la sortie est une alternative plus
raisonnable dans le cas des petites communautés que dans le cas des grandes. D’un autre
côté, plus la communauté est petite, plus il est probable que les bénéfices de l’approvi-
sionnement de tel ou tel bien public se répercutent sur les autres communautés et soient la
source d’externalités entre les communautés et d’allocations non Pareto-optimales.
Les hypothèses 2 et 3 soulèvent des problèmes complémentaires. L’argument de
base suppose un éventail de choix de paniers possibles de biens publics disponibles dès le
début. Mais comment cet éventail des possibilités est-il établi ? Deux possibilités viennent
à l’esprit : une autorité locale ou des actionnaires peuvent fonder différents clubs ou
communautés locales avec différents paniers de biens publics, et informer tous les citoyens
potentiels des caractéristiques de chaque club-communauté. Il apparaît cependant deux
difficultés évidentes à cette résolution du problème. Premièrement, supposer l’existence
d’une autorité centrale qui sache quels paniers de biens publics doivent être fournis permet
d’évacuer une bonne partie du problème de la révélation des préférences, ce que le modèle
est supposé résoudre. Si l’autorité centrale savait quelles étaient les préférences des gens,
elle n’aurait qu’à affecter les individus au club ou à la localité appropriée. Deuxièmement,
même si cela est, dans une certaine mesure, réalisable, cette solution au problème de la
connaissance des préférences va à l’encontre de l’esprit décentralisateur des modèles de
Buchanan et de Tiebout 4.
Il est plus approprié d’émettre l’hypothèse qu’il existe des entrepreneurs qui créent
des clubs et des collectivités là où c’est nécessaire, pour un partage des « profits » générés
par la fourniture d’une quantité ou d’un ensemble de biens publics désirés. Ces clubs et ces
collectivités pourraient se développer sur une base telle que l’objectif ne serait pas la

3 Voir Tiebout (1956), Buchanan et Wagner (1970), Buchanan et Goetz (1972), McGuire (1972), Oates (1972),
et Pestieau (1977).
4 Voir Pauly (1970) et McGuire (1972).
Sortie, protestation et trahison 217

recherche du profit, et dans ce cas, les récompenses destinées aux entrepreneurs fondateurs
prendraient probablement une forme non pécuniaire, comme, par exemple, le pouvoir et le
prestige associés à la fondation d’une organisation. Tiebout utilise le terme de « managers
communaux » plutôt que de « maires » pour désigner les dirigeants des localités, proba-
blement par reconnaissance de leur rôle entrepreneurial. Frey et Eichenberger (1995, 1999)
ont mis l’accent sur la création de clubs de biens publics, qu’ils appellent des juridictions
fonctionnelles, chevauchantes et concurrentes (FOJC pour Functionnal Overlapping, and
Competing Jurisdictions), comme étant un moyen de mieux ajuster la fourniture de biens
publics et les préférences des citoyens.
Il faut aussi souligner le fait que beaucoup de biens ayant des caractéristiques de
non-rivalité significatives, mais pour lesquels il est possible de pratiquer l’exclusion, sont
fournis par des entrepreneurs à la recherche de profits. La production de programmes télé-
visuels et la radiodiffusion sont de bons exemples d’activités ayant des propriétés de non-
rivalité importantes, mais pour lesquelles l’exclusion est possible grâce à des dispositifs de
brouillage. Ainsi, il n’est pas rare de trouver des entreprises privées qui proposent un
ensemble de programmes télévisés en échange d’une redevance, et ce, à côté d’un ensem-
ble de programmes fournis publiquement. Les premiers sont des clubs de consommation
classiques créés pour la consommation d’un ensemble particulier de programmes télévisés,
tandis que les programmes diffusés publiquement ne sont accessibles qu’aux citoyens
proches des points de transmission. Les responsables de l’aménagement du territoire reçoi-
vent une récompense entrepreneuriale en fonction de la constellation particulière des
caractéristiques de biens publics et privés qu’ils combinent dans les communautés qu’ils
créent.
Comme toujours avec un bien ou un service fourni par le marché, l’optimum de
Pareto ne peut être complètement envisagé si le bien n’est pas fourni dans des conditions
de concurrence. De plus, la fourniture des biens publics excluables par un monopole
augmente les solutions efficaces qui vont au-delà de celles qui existent pour le monopole
d’un bien privé (Brennan et Walsch, 1981 ; Burns et Walsch, 1981). Néanmoins, la
présence de nombreuses firmes à but lucratif en compétition avec des clubs et des localités
à but non lucratif dans l’approvisionnement de biens publics excluables (télévision, sports
et loisirs, éducation, voyage, santé) atteste de l’importance de la fonction entrepreneuriale
dans la production de biens publics excluables.
Bien que les clubs puissent être les fournisseurs d’un seul bien (club de natation)
ou de plusieurs (tennis, golf et natation), les collectivités, quant à elles, fournissent inévi-
tablement un certain nombre de biens et de services, et ont la capacité d’en fournir bien
plus. Si le nombre de dimensions du bien public augmente, alors la plausibilité de l’hypo-
thèse 3 diminue d’autant. Par exemple, avec une seule possibilité de bien public à choisir,
comme la proportion de tulipes dans un jardin public, 101 communautés suffisent pour
permettre à chaque individu de consommer sa fraction optimale de tulipes au centile près.
Avec deux possibilités, comme les proportions de chênes et de tulipes, le nombre de
communautés nécessaires pour assurer l’optimum de Pareto passe à 101 au carré. Chaque
bien public supplémentaire augmente le nombre de localités requises d’un exposant plus
élevé. Si le nombre de biens publics est très élevé, l’on trouve une solution dans le fait
d’avoir un nombre de communautés égal à la taille de la population. Chaque commu-
218 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

nauté/individu devient une localité avec un panier de biens publics-privés (jardins, forêts)
adapté à ses propres goûts, c’est une conséquence possible du modèle que Thiebout lui-
même reconnaît 5.

9.3 L’OPTIMUM GLOBAL VIA LE VOTE-AVEC-LES-PIEDS


Considéré dans un sens global, l’optimum de Pareto exige que le changement incrémental
des bénéfices nets pour la communauté lorsqu’un individu la rejoint soit égal à sa perte
incrémentale lorsque l’individu la quitte :

n 
m
U Ai = − U Bi . (9.8)
i=1 i=1

Le changement d’utilité du nième individu lorsqu’il se joint à la communauté A est l’uti-


lité totale qu’il a d’être en A (U An ), de la même manière que ce qu’il a perdu en quittant B
est son utilité totale en B (U Bm ). L’équation (9.8) peut donc être réécrite ainsi :

n−1 
m−1
U An + U Ai = U Bm + U Bi . (9.9)
i=1 i=1

Dans un environnement de concurrence pure, le produit marginal de chaque facteur est le


même dans toutes les industries et dans tous les secteurs. Si les externalités et autres
défaillances de marché ne sont pas présentes, le bien-être de chacun n’est pas affecté par la
localisation des autres individus. Tous les U i s’égalisent à zéro, hormis pour l’individu
qui se déplace, et il s’installe naturellement dans la communauté qu’il préfère. En présence
de biens publics, les U i pour les individus d’une communauté sont positifs pour un indi-
vidu entrant supplémentaire, et les coûts totaux du bien public sont répartis sur un plus
grand nombre d’individus. Un nouvel entrant confère ainsi des externalités positives à la
communauté. D’une autre manière, un nouvel entrant peut engendrer des coûts de conges-
tion, donc des externalités négatives, à une communauté qui s’est agrandie au-delà de la
taille optimale pour sa production locale de biens publics. Dans les deux cas, dès lors que
l’individu mobile ne fait que comparer ses niveaux d’utilité dans les deux communautés, et
ignore les effets marginaux de ses mouvements sur les autres (les U i en A et B), le « vote
avec les pieds » ne produira pas, en général, d’optimum de Pareto, en présence de biens
publics et d’externalités 6.
Pour voir comment un équilibre qui n’est pas Pareto-optimal peut émerger, suppo-
sons qu’il n’existe que deux communautés dans lesquelles un individu puisse vivre, A et
B. Chaque communauté et ses résidents sont identiques. Chaque communauté fournit un
bien public, qui est fourni de manière optimale lorsque deux tiers des résidents potentiels
des deux communautés le consomment. Ainsi, il n’y a suffisamment d’individus que pour
une seule communauté de taille optimale. La situation est représentée par la figure 9.2. La
5 Voir aussi Pestieau (1977).
6 Voir Buchanan et Wagner (1970) ; Buchanan et Goetz (1972) ; Flatters, Henderson et Mieszkowski (1974) ;
et Pestieau (1977).
Sortie, protestation et trahison 219

courbe M B A représente les bénéfices moyens qu’un membre de la communauté A tire de


son adhésion à la communauté en fonction de la taille de celle-ci. Ces bénéfices augmen-
tent au début, du fait des économies d’échelle caractéristiques du bien public, puis
commencent à diminuer en même temps que les coûts de la densification commencent à
outrepasser les bénéfices tirés des coûts économisés. La courbe M B A représente aussi les
bénéfices marginaux que gagne un membre de la communauté B en migrant vers A. M B B
est l’image miroir de M B A , définie en tenant compte de la population de B.

Bénéfice marginal Bénéfice marginal


de se déplacer de se déplacer
de A vers B de B vers A

Figure 9.2
Bénéfices marginaux de l’émigration.

La population de B est lue de droite à gauche le long de l’axe horizontal. M B B


représente aussi le coût marginal (MC A ) pour un citoyen de B de migrer vers A. Comme
souvent, l’équilibre individuel se produit à l’intersection du coût marginal et des bénéfices
marginaux en phase décroissante. Une telle intersection n’existe pas dans cette figure. L’in-
tersection correspondant à une division égale de la population est un minimum local. Pour
toute répartition dans laquelle une communauté a une population plus nombreuse que
l’autre, les avantages de l’adhésion à la plus grande communauté sont plus importants. La
migration se fait de la plus petite vers la plus grande communauté, et cela se poursuit
jusqu’à ce que toute la population se trouve dans l’une des communautés. Si les coûts de
congestion augmentaient de manière significative, M B A déclinerait suffisamment vite
après son sommet pour rencontrer MC A . Cela créerait un équilibre pour la plus grande des
deux communautés à une taille supérieure à son optimum, mais inférieure à celle de la
population totale. Cependant, dans les deux cas, les tailles des communautés à l’équilibre,
atteintes via la migration volontaire, ne sont pas celles qui maximisent le niveau d’utilité
220 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

moyen de tous les individus dans les deux communautés. Ce niveau maximum correspon-
drait dans cet exemple au fait que la population serait répartie de manière égale entre les
deux communautés. Cette répartition de la population maximise les bénéfices moyens tirés
du fait d’être dans l’une ou l’autre des communautés. Cependant, une fois ce point dépassé,
les bénéfices marginaux issus du passage à une plus grande communauté sont supérieurs à
ceux que l’on a en restant, et la population se redistribue d’elle-même jusqu’à ce qu’un
équilibre stable, mais inefficient, soit atteint (Buchanan et Wagner, 1970).
Bien que l’hypothèse selon laquelle une communauté de taille optimale comprend
plus de la moitié de la population totale puisse sembler irréaliste si l’on pense à une super-
ficie et à une population aussi grandes que celles des grands États, souvent le migrant
potentiel ne peut pas envisager une gamme d’options aussi vaste. Le choix pertinent peut
être de rester dans la petite ville B ou de migrer vers la grande ville proche A. À l’intérieur
de cet éventail circonscrit de choix, la communauté de taille optimale peut comprendre plus
de la moitié des populations combinées des deux communautés, et la tendance à une surpo-
pulation de la ville centrale devient alors évidente.
Si la taille optimale de la collectivité correspond à moins de la moitié de la popu-
lation, les courbes des bénéfices et des coûts marginaux se croisent et parviennent à un
équilibre stable avec une population également répartie entre les deux communautés. Cet
équilibre aboutit à une maximisation des bénéfices potentiels de chaque citoyen, sous la
contrainte qu’il devrait y avoir deux communautés. Lorsque des communautés supplémen-
taires peuvent être créées, et que la taille optimale de la communauté est petite par rapport
à la population totale, nous revenons à une situation comme celle décrite par Tiebout, dans
laquelle la migration libre et la création de nouveaux clubs peuvent aboutir à un ensemble
de communauté, chacune de taille optimale.
Cependant, d’autres complications sont introduites au modèle de Tiebout, dès lors
que les individus gagnent une partie de leurs revenus à l’extérieur de la communauté.
Supposons à nouveau l’existence de deux communautés ayant chacune des possibilités
identiques de production, et des individus aux goûts identiques. Au sein de chaque commu-
nauté, chaque individu perçoit le même salaire, w, pour des services qu’il fournit au
système de production local, et un revenu différentiel, ri ≥ 0, qui est lié à l’individu, et non
à sa localisation. Ce revenu peut provenir de dividendes, comme dans l’exemple de
Tiebout, ou bien de rentes d’actifs propres à l’individu, tels que les droits d’auteur d’un
écrivain. Nous faisons référence à ce type de revenus comme simplement un revenu de
rente, comprenant toutes les sources possibles de rente. À présent, prenons deux commu-
nautés avec un nombre égal de travailleurs, des frontières de possibilités de production
identiques, ainsi que des fiscalités aux structures identiques. Dans une situation d’équilibre,
la production totale de biens publics et privés dans la communauté A doit être égale à la
somme de ses revenus salariaux et de rente :

NA 
NA
Yi + G = N A w A + ri (9.10)

L’utilité d’un habitant de A est donnée par :

Ui (Yi , G, N A ) (9.11)
Sortie, protestation et trahison 221

comme précédemment. En substituant G de (9.10) à (9.11), nous obtenons


   
Ui Yi , N A w A + ri − Yi , N A (9.12)

L’hypothèse de systèmes fiscaux structurés de manière identique suppose que l’individu


peut avoir accès aux mêmes paniers de biens privés, Yi , dans les deux communautés. Avec
des populations et des capacités de production identiques, N A et w A sont respectivement
identiques à N B et w B . En supposant que le bien public n’est pas un bien inférieur, une
partie des suppléments de revenus de rente dans A partira pour augmenter la production de
  
biens publics. Ainsi, ri − Yi est plus élevée en A qu’en B si ri est plus élevée en A
qu’elle ne l’est en B. À partir du moment où les biens publics sont pris en compte dans la
fonction d’utilité individuelle avec un signe positif, il vaut mieux pour l’individu qu’il
rejoigne la communauté aux revenus de rente les plus élevés, en supposant que toutes les
autres caractéristiques des communautés sont les mêmes.
Si les communautés perçoivent des revenus de rente différents, la même structure
fiscale n’est pas optimale dans les deux communautés. Néanmoins, si les goûts sont les
mêmes, un individu bénéficie toujours d’un panier d’impôts et de biens publics plus attrac-
tif dans la communauté qui perçoit des revenu de rente plus élevés.
Ainsi, le fait d’avoir des revenus de rente plus élevés, en attirant la population de
l’autre communauté, joue le même rôle que le fait d’avoir une grande population en
présence de caractéristiques de non-rivalité. En effet, on peut voir à partir de (9.12) que les
revenus de rente, la proportion des salaires et la taille de la population entrent tous dans la
fonction d’utilité de la même manière, à travers la notion de bien public. Ainsi, toute
augmentation de la population, de la proportion des salaires ou des revenus de rente, ceteris
paribus, augmente l’utilité de l’individu en augmentant la quantité de biens publics dispo-
nibles. Cependant, une augmentation de la population peut aussi avoir des effets néfastes
sur la fonction d’utilité, par l’effet de congestion pris en compte par le troisième argument
dans la fonction. Face à une augmentation de la population, on peut aussi s’attendre à une
baisse de la proportion des salaires, ce qui réduit alors l’accès de l’individu aux biens
privés, de même que son niveau de bien-être. En revanche, une augmentation des revenus
de rente a un impact positif sans ambiguïté.
Tout comme le bien-être d’un individu est plus élevé s’il entre dans une commu-
nauté dont les revenus de rente sont plus élevés ; plus le niveau de bien-être d’une commu-
nauté est grand, plus le revenu de rente d’un nouvel entrant sera élevé. Les effets négatifs
d’une augmentation de la densité de population sur les salaires et les coûts (du fait de l’ar-
rivée d’un nouvel entrant), sont identiques, mais les bénéfices tirés de l’augmentation des
revenus fiscaux pour financer l’approvisionnement en biens publics sont évidemment d’au-
tant plus grands que le revenu de rente du nouvel entrant est élevé 7. Si la communauté s’est
étendue au point que le gain marginal provenant de la répartition des coûts des biens
publics sur les autres contribuables est juste égal au coût marginal, en termes de réduction
des salaires et de congestion de la population, ajouter un autre individu qui ne gagnerait
7 Cet effet est particulièrement flagrant dans le modèle de Flatters et al. (1974, pp. 101-2), qui aboutit à une règle
d’or, selon laquelle toutes les rentes sont destinées à la production des biens publics et tous les salaires desti-
nés à la production des bien privés. Cependant, ce modèle est fondé sur des hypothèses différentes de celles
discutées ici.
222 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

qu’un salaire ne ferait qu’empirer l’état de la communauté. Mais s’il dispose de revenus de
rente suffisamment élevés, les gains supplémentaires provenant du financement d’une
expansion de la fourniture de biens publics par ces revenus outrepassent les coûts. En
prêtant moins d’attention à la taille de la communauté, un membre supplémentaire peut
toujours augmenter le bien-être de tous les membres existants s’il apporte avec lui un
revenu de rente suffisamment élevé.
De même qu’une mobilité totale entre communautés ne peut permettre une répar-
tition Pareto-optimale de la population là où les économies d’échelle sont élevées dans la
production des biens publics, une mobilité totale permet difficilement une répartition
Pareto-optimale de la population dès lors que l’on est en présence de rentes. Dans l’exem-
ple précédent, la répartition socialement optimale de la population est celle qui égalise le
produit marginal d’un travailleur dans chaque communauté. Mais si la répartition des
revenus de rente diffère d’une communauté à l’autre, il se produira une migration en faveur
de la communauté qui dispose des rentes les plus élevées. Cette migration continuera
jusqu’à ce que la baisse du produit marginal et que l’augmentation des coûts de congestion
de la population soient assez élevées pour contrebalancer l’avantage que cette communauté
tire de ses revenus de rente plus élevés, et que les niveaux moyens d’utilité soient égaux
dans les deux communautés.
Pour parvenir à une répartition socialement optimale de la population, les impôts
et les subventions doivent être perçus ou sur chacune des résidences à l’intérieur d’une
communauté donnée, ou sur chaque mouvement à l’entrée et à la sortie de celle-ci. L’une
des possibilités est de conférer à une autorité centrale le droit d’effectuer des transferts
entre communautés. Une telle autorité déterminerait alors quelle serait la répartition socia-
lement optimale de la population, lèverait les taxes et distribuerait les subventions pour
parvenir à cette répartition optimale. D’une manière générale, l’autorité centrale tenterait
d’arriver à la condition d’équilibre donnée par (9.9). Cela requiert une fiscalité égale à
n−1
i=1 U A dans la communauté A, si A est la communauté qui se trouve être, ou devien-
i
m−1
drait, la communauté trop grande, et des subventions égales à i=1 U Bi pour la commu-
nauté B si celle-ci perdait sa population. Si la seule différence entre les deux communautés
était le niveau de revenu de rente, il suffirait de mettre en œuvre une politique d’équipe-
ment. L’autorité centrale lèverait un impôt sur le revenu de rente dans la communauté qui
bénéficie de revenus de rente initiaux plus élevés, et verserait des subventions à la commu-
nauté qui souffre de rente plus faible, afin de permettre une égalisation des revenus de rente
et des populations dans les deux communautés 8.
Il existe un autre moyen d’atteindre l’optimum de Pareto : par la voie de la décen-
tralisation, en donnant à chaque communauté le droit de mettre en place un impôt sur l’im-
migration et l’émigration. Si, pour la communauté A, les externalités issues de
l’immigration étaient positives, elle pourrait verser aux nouveaux arrivants une subvention

égale à U Ai et lever un impôt identique sur l’émigration. Si B agit de même, tous les
individus seraient contraints d’internaliser les coûts externes que leurs mouvements ont
provoqués, et l’efficience de Pareto serait atteinte 9.

8 Flatters et al. (1974) et McMillan (1975).


9 Buchanan (1971) et Buchanan et Goetz (1972).
Sortie, protestation et trahison 223

Bien que ces alternatives conduisent à des résultats identiques en termes d’effi-
cience, ils diffèrent à la fois par leur esprit et par leur propriétés d’équité. La dernière alter-
native mélange le système décentralisé de « vote-avec-les-pieds » de Tiebout avec la
théorie des clubs pour apporter une solution décentralisée au problème d’allocation de la
population. La mise en œuvre d’un tel système de taxes et de subventions par des commu-
nautés locales offre immédiatement aux communautés favorisées par des caractéristiques
naturelles, telles que la taille de la population, les revenus, et ainsi de suite, des droits de
propriété précieux, qu’elles utilisent en taxant les membres à l’extérieur de leur commu-
nauté (i.e., ceux qui seraient entrés en l’absence d’un programme de taxes-subventions). La
solution centralisée confère à la population totale un droit de propriété dans les deux
communautés, et parvient à l’efficience allocative en taxant tous les membres de la
communauté favorisée pour pouvoir subventionner la communauté défavorisée.
La différence entre les deux types de politiques est plus facile à appréhender en
considérant à nouveau notre exemple de revenu de rente, mais en supposant que les revenus
de rente individuels ne sont pas reliés à des individus donnés, mais sont les revenus de rente
de localisation cumulés par tous les résidents d’une communauté donnée. Accorder le droit
de taxer la migration des résidents à l’intérieur de la communauté disposant des revenus de
rente les plus élevés les conduirait à atteindre en permanence des niveaux d’utilité plus
élevés que ceux atteints par la communauté moins favorisée. Ceux qui seraient assez chan-
ceux pour naître dans une région géographiquement plus désirable, ou assez rapides pour
y déménager seraient toute leur vie mieux lotis que ceux qui auraient dû rester dans leur
région moins désirable. En revanche, la solution centralisée égaliserait les niveaux d’utilité
entre les deux communautés en taxant la région aux revenus de rente les plus élevés et en
subventionnant celle aux rentes les plus faibles.
Même lorsque les revenus de rente sont liés aux individus plutôt qu’à leur localisa-
tion, la révélation des préférences à la Tiebout associée aux impôts et aux subventions locales
peut soulever des enjeux d’équité. Ainsi, une communauté peut toujours faire mieux en
admettant un individu dont le revenu de rente est suffisamment élevé. Une fois qu’une
communauté a atteint sa taille optimale en vue du partage des coûts des biens publics, il lui
faut adopter une politique qui, par exemple, n’admettrait que les nouveaux membres qui
apportent avec eux des revenus de rente supérieurs à la moyenne. Cela peut être réalisé en
établissant des exigences de répartition au sein de zones en matière de taille de lots de terrain
et de standing d’appartements, qui écarteraient effectivement ceux dont les revenus sont infé-
rieurs à un certain niveau. L’individu mobile, d’un autre côté, a intérêt à se joindre à une
communauté qui a des revenus de rente plus élevés que les siens. Le croisement de ces deux
stratégies pourrait permettre un tri des individus à l’intérieur des communautés aux revenus
de rente équivalents. Les revenus identiques et l’hypothèse sur les préférences que Buchanan
propose par commodité dans son étude des clubs sont un résultat plausible à la recherche de
Tiebout sur les communautés optimales (Buchanan et Goetz, 1972 ; Epple et Romer, 1991).

9.4 LES CLUBS ET LE NOYAU


De la précédente discussion ressortent trois interrogations concernant les caractéristiques
globales d’un monde de clubs et la révélation des préférences par le « vote-avec-les-
224 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

pieds » : (1) peut-il exister une répartition équilibrée de la population entre les clubs (les
communautés), (2) l’équilibre qui émerge est-il Pareto-efficient, et (3) quelles sont les
propriétés de redistribution et d’équité qui en découlent ? Afin d’illustrer davantage ces
interrogations, nous allons considérer un exemple simple présenté pour la première fois par
Ellickson (1973).
Supposons que chaque individu i ait la fonction d’utilité hyperbolique u i = xi g
définie avec le bien privé x et le bien public g. Chaque individu d’un club consomme la
même quantité de bien g. Étant donné que ∂u i /∂ xi = g, l’utilité marginale du bien privé
est la même pour tous les individus au sein d’un club. Nous travaillons avec une utilité
transférable en x.
Les coûts unitaires pour fournir le bien g aux clubs de tailles 1, 2 et 3
membres/habitants sont, respectivement, a, b et c. Si a = b = c, on est en présence d’un
bien public pur. Si a = 1/2b = 1/3c, on est en présence d’un bien privé pur. Si le bien est
un bien public pur, la taille optimale du club est la population. Si c’est un bien privé pur, la
taille optimale du club est égale à un individu. Nous supposons que le bien public a des
coûts de congestion tels que :
a < b < 2a et b < c < (3/2)b.
Tout d’abord, considérons la quantité g de biens choisis et le niveau d’utilité obtenu lors-
qu’un individu agit seul. Prenons w pour représenter la richesse de i. Nous maximisons u i
sous la contrainte budgétaire wi = xi + ag ; ce qui donne :

L i = xi g + λ (wi − xi − ag) (9.13)

En maximisant en fonction de g et xi ,
∂ Li
= xi − λa = 0 (9.14)
∂g
∂ Li
= g−λ=0 (9.15)
∂ xi
En résolvant pour xi ,
xi = ag (9.16)

À partir de la contrainte bugdétaire et de (9.16)


wi = wi + ag = 2ag (9.17)
Ce qui donne :
wi
ag = (9.18)
2
et
wi2
u i = xi g = ag 2 = (9.19)
4a
L’équation (9.19) donne le niveau d’utilité de sécurité pour tout individu i : le niveau d’uti-
lité que i peut atteindre en agissant seul. Aucun individu ne rejoint un club ou une commu-
nauté s’il n’est pas certain d’avoir une utilité d’un niveau au moins égal à wi2 /4a.
Sortie, protestation et trahison 225

À présent, déduisons les conditions à partir desquelles un club de deux (i et j) peut


se former. La condition de Samuelson pour atteindre l’optimum de Pareto implique que la
somme des taux marginaux de substitution (TMS) pour les deux membres d’un club soit
égale au coût marginal du bien public ; c’est à dire que :
T M Si + T M Sj = b (9.20)
À présent, nous avons :
∂u i
∂g xi
T M Si = = (9.21)
∂u i g
∂x
de sorte que
xi xi
= =b (9.22)
g g
ou bien que
xi + x j = bg (9.23)
La contrainte budgétaire combinée du club est :
wi + w j = xi + x j + bg (9.24)
À partir de (9.23) et de (9.24), nous obtenons une quantité Pareto-optimale de bien public
pour un club de deux membres.
wi + w j
g= (9.25)
2b
Pour être incité à se joindre à un club de deux, chaque individu doit parvenir à un niveau
d’utilité au moins égal au niveau auquel il peut parvenir en agissant seul. À partir de (9.24),
on peut donc écrire ainsi l’utilité de i
u i = xi g = (wi + w j − x j − bg)g = (wi + w j )g − bg 2 − x j g (9.26)

À présent, l’utilité de j est représentée par x j g. Si l’on pose qu’au niveau minimum w2j /4a,
j est disposé à entrer dans le club, alors on peut déterminer si un club de deux se forme en
voyant si l’utilité de i dans le club est supérieure à son niveau de sécurité, ce qui donne la
condition
  w2j w2
u i = wi + w j g − bg 2 − ≥ i (9.27)
4a 4a
En utilisant (9.25) pour remplacer g et en effectuant quelques réductions algébriques, on
obtient :
 2
wi + w j wi2 + w2j
≥ (9.28)
b a
ce qui est la condition nécessaire pour former un club de deux membres. La forme d’un
club dépend de la richesse respective de i et j, et des coûts relatifs de la fourniture en biens
226 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

publics g dans les deux contextes. Pour voir ce qui est en jeu, supposons que w j = αwi ,
avec 0 ≤ α ≤ 1. Alors, pour (9.28) donné, la condition suivante doit être satisfaite :
1 + 2α + α 2 b
≥ (9.29)
1+α 2 a
Les deux côtés de l’inégalité (9.29) ont une valeur comprise entre 1 et 2, mais plus α est
bas, plus la partie gauche de l’égalité (9.29) est faible. Pour former un club de deux, le
revenu de j doit être suffisamment élevé par rapport à celui de i, afin que le partage des
coûts du bien g soit assez important pour que i trouve une compensation à la densification
de la population due à l’entrée de j dans le club (i.e., b devient plus grand que a).
La condition nécessaire pour qu’un club de trois membres ait une fourniture
Pareto-optimale en bien public est donnée par :
wi + w j + wk
g= (9.30)
2c
D’une manière analogue aux démonstrations précédentes, on peut montrer que la valeur
d’une coalition de trois, V (i jk), est (wi + w j + wk )2 /4c. Pour former une grande coali-
tion, il faut satisfaire les conditions (9.31) et (9.32) :

V (i jk) ≥ V (i) + V ( j) + V (k)


(9.31)
V (i jk) ≥ V (i j) + V (k)

V (i jk) ≥ V ( jk) + V (i)


(9.32)
V (i jk) ≥ V (ik) + V ( j)

où V (i) = wi 2/4a, et V (i j) = (wi + w j )2 /4b. Supposons maintenant que i et j perçoivent


des revenus identiques, et que le revenu de k est la fraction α de celui de i ; ce qui donne :
wi = w j = w
wk = αw.
Considérons uniquement les implications de (9.32). Tout d’abord, il faut noter qu’un résul-
tat dans lequel i et j forment un club domine les résultats dans lequel i et j sont séparés et
forment alternativement un club avec k :
V (i j) + V (k) ≥ V ( jk) + V (i) = V (ik) + V ( j) (9.33)
Dès lors que
(2w)2 α 2 w2 (1 + α)2 w2 w2
+ > + (9.34)
4b 4a 4b 4a
si b/a < 2 et α < 1. Ainsi, s’ils ne se forment qu’un club de deux membres, ce seront les
deux individus les plus riches qui formeront le club. Pour que l’individu le plus pauvre, k,
soit admis, (9.35), il faut que :
(2 + α)2 w2 4w2 α 2 w2
> + (9.35)
4c 4b 4a
Sortie, protestation et trahison 227

Plus la variable c est petite par rapport à b et a, et plus α est grand, plus il est probable que
la condition (9.35) soit satisfaite. L’individu le plus pauvre, k, sera invité à rejoindre le club
de i et j si son revenu est assez élevé.
Supposons maintenant que α = 1/3, a = 1, b = 3/2, et c = 2. Avec ces paramè-
tres, la condition (9.35) n’est pas vérifiée et le club de trois ne se forme pas. Cependant, un
club constitué des deux individus les plus riches se formera, dès lors que
4w2 /4b > 2w2 /4a, avec b = 3/2 et a = 1. Si les deux individus riches ont la possibilité
de former un club ensemble et de maintenir k à l’extérieur, ils le feront. Si, néanmoins, il
est impossible d’empêcher les individus de se déplacer, c’est ce que k choisira de faire. Le
fait que k décide ou non d’intégrer la communauté dépendra de la part d’impôts qui lui sera
attribuée une fois à l’intérieur. Si, par exemple, la communauté était tenue de financer g en
imposant à tous ses membres le montant de la taxe de Lindhal pour g, alors il serait plus
intéressant pour k d’être dans la communauté plutôt que de rester au-dehors en s’auto-
approvisionnement. Le prix fiscal à la Lindhal est son T M S, qui s’écrit xk /g. Ainsi, à partir
de la contrainte budgétaire,
xk
wk = xk + g (9.36)
g
ou bien
wk
xk = (9.37)
2
La moitié du revenu de k est utilisé pour payer g, et l’autre moitié est utilisée pour sa
consommation de biens privés. Étant donnée sa part de taxe Lindhal, son utilité dans la
communauté de trois membres est :
αw (2 + α)w 7 2
u k = xk g = = w (9.38)
2 2c 72
Tandis que, s’il joue le jeu tout seul, il n’a que

α 2 w2 w2
uk = = (9.39)
4a 36
Ainsi, k choisira de rejoindre la communauté si cela lui est permis, quand bien même l’uti-
lité agrégée de la communauté est plus faible lorsqu’il en fait partie que lorsqu’il ne s’y
trouve pas. Il devrait donc être évident que k pourrait choisir d’entrer dans la communauté
plus riche, même s’il laisse derrière lui d’autres k qui verraient leur situation se dégrader à
cause de son départ de leur communauté.
Même si le club de trois fournit une utilité agrégée plus faible que le club de deux
avec k tout seul, la redistribution effective des deux membres plus riches vers le membre
plus pauvre, lorsque g est fourni aux trois membres et financé par les montants de la taxe
Lindhal, conduit k à entrer dans la communauté, et ce, à son avantage. Nous observons ici
exactement le même type de redistribution Pareto-inefficiente que celle que nous avions
vue dans le chapitre 5, quand un bien privé pur était fourni à une communauté dans des
quantités égales comme s’il s’agissait d’un bien public, et était financé par un prix fiscal à
la Lindhal.
228 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

La Pareto-infériorité de la solution du club de trois membres dans cet exemple


implique que i et j ont tout intérêt à soudoyer k pour qu’il reste en dehors de la commu-
nauté, si son entrée suppose que ne lui soit imposé, pour bénéficier du bien g, que le prix
fiscal Lindhal. Ils auraient même intérêt à lui imposer une taxe d’entrée ou quelque autre
moyen institutionnel (e.g. une exigence de répartition en zones).
Enfin, nous allons montrer que, lorsque le noyau n’est pas fait d’une grande coali-
tion, il n’existe alors aucun noyau, même si une coalition de deux peut fournir à ses
membres une utilité plus élevée que lorsqu’ils jouent seuls. Supposons que
wi = w j = wk = w. Prenons a, b et c tels que :

(3w)2 4w2 w2 3w2


V (i jk) = < + = V (i j) + V (k) >
4c 4b 4a 4a
avec

3w2
= V (i) + V ( j) + V (k) (9.40)
4a
Au moins un membre de la coalition i − j doit payer au maximum le montant de la taxe
Lindhal de sorte que l’utilité individuelle soit d’au moins :

w 2w 2w2
ui = = (9.41)
2 2b 4b
Mais (9.40) implique que

4w2 2w2
> = 2V (k) (9.42)
4b 4a
Ainsi, un membre de la coalition i − j qui ne paie que le prix fiscal Lindhal doit avoir une
utilité plus élevée que l’individu resté au-dehors de la coalition. L’individu extérieur k doit
être en mesure d’offrir au membre de i − j payant au minimum du prix fiscal Lindhal une
proposition plus attractive pour former une coalition de deux personnes, et alors i − j ne
peut être maintenue. Nous avons ici exactement le même cas d’instabilité que celui auquel
nous étions confrontés dans le chapitre 2, lorsque nous étions en présence de multiples
externalités (Aivazian et Callen, 1981).

9.5 VOTER-AVEC-LES-PIEDS : VALIDATION EMPIRIQUE


Dans le modèle de Tiebout, les individus rationnels quittent les communautés qui offrent des
paniers de biens publics à la fiscalité moins attractifs pour celles qui proposent des paniers
plus attractifs. Trois séries d’implications testables empiriquement découlent de cette hypo-
thèse : (1) les individus se déplacent en fonction des offres de dépenses et de fiscalité du
gouvernement local, (2) ce processus de migration permet de discriminer les individus dans
des groupes de goûts homogènes consommant les paniers de biens publics de leur choix, et,
Sortie, protestation et trahison 229

par conséquent (3), les individus sont plus satisfaits des lots de biens publics dont ils dispo-
sent localement pour une fiscalité donnée là où le tri de Tiebout s’effectue 10.
En ce qui concerne la première implication, de nombreuses études ont trouvé que
les niveaux à la fois des services publics locaux et des taux d’imposition influencent le fait
qu’une famille déménage ou non, ainsi que le choix de la communauté vers laquelle elle se
dirige 11. Par exemple, en examinant les réponses à un sondage effectué dans le Colombus
(Ohio) en 1966, on constate une corrélation significative entre les perceptions individuel-
les sur le fait qu’il y aurait des problèmes avec le voisinage et les intentions de déménager
(Orbell et Uno, 1972). De plus, la tendance à quitter l’endroit plutôt que de recourir à la
discussion, était plus forte dans les régions urbaines qu’elle ne l’était dans les banlieues.
Les individus semblaient penser que la discussion était une option plus efficace dans les
banlieues que dans les villes. John, Downing et Biggs (1995) rapportent qu’un cinquième
de ceux qui changeaient de localité dans la région de Londres considéraient les taux d’im-
position comme un facteur important dans leur décision de déménager 12.
Alors que les riches fuient les hauts niveaux d’imposition, les pauvres se dirigent
vers les hautes prestations d’aide sociale (Gramilch et Laren, 1984 ; Blank, 1988 ; Cebula
et Koch, 1989 ; Cebula, 1991). Cette migration est tellement systématique que les gouver-
nements des États la prennent en compte lorsqu’ils établissent les niveaux des prestations
sociales. Si un État voit qu’un grand nombre de pauvres vivent dans les États voisins, il
mettra en place un niveau de prestations sociales bas (Smith, 1991) 13.
Un groupe social est particulièrement bien adapté pour tester l’hypothèse de
Tiebout, il s’agit des personnes âgées, dès lors que leurs revenus sont typiquement d’ori-
gine non salariale, et qu’ainsi leur choix de lieu de résidence ne dépend pas des caractéris-
tiques du marché du travail. Cebula (1990) a montré que la population des personnes âgées
était manifestement plus disposée à aller dans les États qui n’avaient pas d’impôts sur le
revenu. Les résultats de Conway et de Houtenville (1998) dépeignent cependant un tableau
plus complexe. Ils tentent de considérer à la fois les incitations fiscales qui conduisent les
personnes âgées à se déplacer d’un État à un autre, et les incitations sous la forme de dépen-
ses publiques. Leurs résultats pour l’émigration soutiennent généralement les prédictions
du modèle de Tiebout. Les citoyens âgés sont plus disposés à quitter les États où la part de
la fiscalité est importante et les prix pour les services publics élevés. Les impôts sur la
propriété élevés apparaissent comme un stimulant particulièrement important pour quitter
un État. Néanmoins, en ce qui concerne l’immigration, les résultats de Conway et Houten-
ville ne valident pas l’hypothèse de Tiebout. Les personnes âgées ont tendance à aller dans
les États qui ont globalement les mêmes caractéristiques que celui qu’ils s’apprêtent à
quitter. Les facteurs autres que la composition et l’efficacité du secteur public entre les

10 Une quatrième implication possible serait que les valeurs des habitations soient augmentées dans les commu-
nautés aux dépenses et à la fiscalité élevées (Oates, 1969). Celle-ci est plus problématique et n’est pas étudiée
ici. Voir néanmoins Edel et Sclar (1974), Hamilton (1976) et Epple, Zelenitz et Visscher (1978).
11 Pour un rappel des travaux jusqu’à 1979, voir Cebula (1979). Pour les écrits postérieurs à cette date, voir
Cebula et Kafoglis (1986) et Dowding, John et Biggs (1994).
12 Voir aussi le témoignage supplémentaire présenté par Dowding et John (1996).
13 Pour un rappel de ces écrits avec des références supplémentaires, voir Brueckner (2000).
230 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

États semblent déterminer le choix que les personnes âgées font de leur nouveau lieu de
résidence, une fois qu’ils ont choisi de partir 14.

Tableau 9.1
La fréquence de répartition des indices d’homogénéité des revenus, dans les communes du comté de Los Angeles,
1950, 1970.

0,333-0,339 0,340-0,349 0,350-0,369 0,370-0,379 0,400 et + Total


1950 25 5 5 3 4 42
(0,60) (0,12) (0,12) (0,07) (0,010) (100)
1970 (anciennes villes) 9 13 11 4 5 42
(0,21) (0,31) (0,26) (0,10) (0,12) (100)
1970 (nouvelles villes) 1 9 12 1 7 30
(0,03) (0,30) (0,40) (0,03) (0,23) (100)
1970 (toutes les villes, en 12 22 23 5 13 75
incluant 3 anciennes villes (0,16) (0,29) (0,31) (0,07) (0,17) (100)
de 1950 pour lesquelles
les données étaient
manquantes en 1950)

Note : les pourcentages sont entre parenthèses.


Source : Miller, Cities by Contract, Cambridge, MA : MIT Press, 1981, p. 134.

Comme dans tant d’autres régions, la Californie a impulsé dans le monde une
tendance croissante vers plus de mobilité, avec Los Angeles comme archétype de la ville
de la fin du vingtième siècle. Si le processus de Tiebout parvient à classer les individus à
l’intérieur de communautés locales homogènes, alors les effets de ce processus devraient
apparaître à Los Angeles. C’est ce qui se produit.
Gary Miller (1981, chap. 6 et 7) a calculé avec la méthode de Herfindhal les
indices des inégalités de revenus (la somme du carré des pourcentages de la population
dans différentes strates de revenus) pour des communes du comté de Los Angeles entre
1950 et 1970. Dès lors qu’il n’utilise que trois strates de revenus, une hétérogénéité
complète des revenus impliquerait un index de 0.333, tandis qu’une homogénéité complète
(tous les habitants se trouvent dans la même strate de revenus) impliquerait un indice de
1,0. En 1950, 60 % des 42 villes pour lesquelles les données étaient disponibles étaient
virtuellement non différenciables du degré maximum d’hétérogénéité et du comté de Los
Angeles dans son ensemble (indice = 0,335) (voir tableau 9.1). Seulement 10 % des villes
de 1950 rentraient dans la catégorie la plus homogène (0,400 et +).

14 Une partie de l’inadéquation entre les résultats de Conway et Houtenville et l’hypothèse de Tiebout peut s’ex-
pliquer comme étant due au niveau d’agrégation de leur analyse. Les États qui ont des impôts sur la propriété
élevés et de hauts niveaux de services publics attirent généralement les individus qui ont des voisins désira-
bles. Les communautés locales dans lesquelles les personnes âgées s’installent ont, cependant des dépenses
d’éducation et des impôts sur la propriété faibles. Le choix que les personnes âgées font de leur nouvelle rési-
dence est également dominé par des facteurs du secteur non public, comme le désir de se trouver près des
enfants et des petits-enfants.
Sortie, protestation et trahison 231

La répartition des indices en 1970 changeait clairement en faveur d’une plus


grande homogénéité, avec seulement 16 % des communes dans la catégorie la plus hétéro-
gène et 17 % dans la catégorie la plus homogène, même si le comté de Los Angeles dans
son ensemble restait, en 1970, à un niveau d’hétérogénéité semblable à celui de 1950
(indice = 0,334). Peut-être que la meilleure preuve du fait que le processus de Tiebout
aboutit à une augmentation de l’homogénéité des revenus vient-elle de la création de 30
nouvelles communes. Dans la mesure où de nouvelles communes ont été créées pour satis-
faire les demandes déçues par les communautés existantes, leur composition devrait être
plus en accord avec l’hypothèse de Tiebout, à une époque où la mobilité est élevée. Seule-
ment 1 communauté sur les 30 nouvellement créées avait une hétérogénéité de revenus
comparable à celle du comté dans son ensemble ; presque un quart des nouvelles commu-
nes entrait dans la catégorie des plus homogènes. Dans l’étude de Miller, ce qui conduit à
la création de nouvelles communautés suburbaines est, généralement, une préférence
commune pour les impôts faibles et l’aversion pour les dépenses de redistribution des villes
plus grandes et plus anciennes. Miller y présente aussi la preuve d’une augmentation de
l’homogénéité raciale et de l’accroissement de l’hétérogénéité à travers les communes du
comté de Los Angeles entre 1950 et 1970.
Grubb (1982) prouve également que le tri à la Tiebout fonctionne dans la région
métropolitaine de Boston, et Hamilton, Mills et Puryear (1975) montrent que, dans les
régions statistiques métropolitaines standards (Standard Metropolitan Statistical Areas),
plus le nombre de districts scolaires mis à la disposition des citoyens est élevé, moins il y
a d’inégalités de revenus, et, en général, les variables du modèle de Tiebout sont mieux
estimées pour la banlieue que pour les observations de centre-ville. Des résultats similaires
ont été rapportés par Eberts et Gronberg (1981). Comme prévu, le processus de Tiebout
fonctionne également, et permet donc de réduire la dispersion des revenus au sein d’une
localité donnée.
En utilisant une période de temps beaucoup plus longue que celle de toutes les
autres études, Rhode et Strumpf (2000) ont néanmoins prouvé une hétérogénéité décrois-
sante au sein d’une communauté, en utilisant plusieurs mesures de l’hétérogénéité. Leur
travail suggère que des facteurs supplémentaires au-delà de la mobilité affectent l’hétéro-
généité intra et inter-communautaire sur le très long terme 15.
Des preuves corroborant ce résultat d’une autre manière ont été présentées par
Munley (1982) et Gramilch et Rubinfeld (1982a). Le tri à la Tiebout devrait être d’autant
plus complet que le nombre de circonscriptions politiques dans lesquelles un citoyen peut
choisir de vivre sont nombreuses. En accord avec cette prévision, Munley constate que la
dispersion des demandes des électeurs en matière d’éducation dans le Long Island décrois-
sait à mesure que le nombre de circonscriptions scolaires augmentait dans une région
géographique donnée. De la même manière, Gramlich et Rubinfeld trouvent une variation
résiduelle au niveau des demandes de dépenses plus faible dans la région métropolitaine de
Detroit que dans les autres parties du Michigan, où le nombre de communautés locales à la
disposition des citoyens est plus faible.
Le processus de Tiebout contient implicitement l’hypothèse que, lorsque des
citoyens aux préférences homogènes forment une communauté, la communauté fournit le
15 Stein (1987) donne aussi une preuve équivoque sur le classement de Tiebout.
232 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

niveau de dépenses démandé par ces citoyens, et que les citoyens sont donc plus satisfaits
avec les biens publics locaux qu’ils consomment. Cette partie du modèle de Tiebout est
soutenue par Gramilch et Rubinfeld (1982a, p. 556), qui constatent que deux tiers des élec-
teurs interrogés dans la région métropolitaine de Detroit souhaitaient qu’il n’y ait aucun
changement au niveau des dépenses publiques, tandis que le désir de changement n’était en
moyenne que de 1 %. Bien que le pourcentage d’électeurs qui ne désirent aucun change-
ment dans les dépenses (60 %) était élevé dans le reste du Michigan, le fait que ce pour-
centage soit plus bas que pour Detroit suggère que les résidents de la région métropolitaine
de Detroit, comme ils disposent d’un plus grand nombre de communautés dans lesquelles
ils peuvent choisir d’habiter, vont plutôt s’installer dans les communautés qui leur assurent
un meilleur niveau de fournitures, et ce, avec le niveau de dépenses qu’ils demandent.
Les constats de Gramlich et Rubinfeld sont corroborés par Ostrom (1983) et
Mouritzen (1989), qui rapportent tous deux que les citoyens expriment une plus grande
satisfaction de leurs services publics locaux dans des régions urbaines dotées d’un plus
grand nombre de circonscriptions locales. La preuve de Brueckner (1982) selon laquelle la
valeur des propriétés, dans 54 communautés du Massachussets, ne suggérait pas non plus
de sous- ou de sur-fourniture de biens publics locaux, apporte encore un soutien supplé-
mentaire à l’hypothèse de Tiebout.

9.6 L’ASSOCIATION VOLONTAIRE, L’EFFICIENCE ALLOCATIVE


ET L’ÉQUITÉ DE RÉPARTITION
L’approche de « l’échange volontaire » conçue par Wicksell parvient à l’efficience alloca-
tive en imposant une règle d’unanimité au sein de la localité, de sorte que chaque décision
collective doit bénéficier à tous pour être acceptée. Cette approche présuppose qu’il existe
dès le début et de manière prédéfinie une collectivité et un ensemble de citoyens.
Les théories des clubs et du « vote-avec-les-pieds » cherchent à déterminer une
répartition Pareto-optimale des biens publics à travers l’association volontaire d’individus
aux goûts semblables. Dans ce cas, les dimensions de politique et de citoyenneté sont des
résultats du processus de « vote ». Ces processus parviennent en général à l’optimum de
Pareto en regroupant les individus au sein de clubs et de localités aux goûts homogènes.
Pris à l’extrême, ils satisfont la sévère condition de Kramer selon laquelle les décisions
doivent être prises en respectant la règle de la majorité conforme, c’est-à-dire que tous les
individus ont des cartes d’indifférence identiques, à travers l’imposition d’une règle silen-
cieuse de l’unanimité 16. On peut supposer, tout en restant réalistes, que ces processus se
rapprochent de la satisfaction de cet objectif, lorsque, relativement à la taille de la popula-
tion, (1) il y a un petit nombre de biens publics et/ou (2) il y a un petit nombre de préfé-

16 Voir aussi McGuire (1974), et à propos des relations entre le « vote-avec-les-pieds » et la règle de l’unanimité,
voir Pauly (1967, p. 317). Dans la proposition de Frey et de Eichenberger (1995, 1999), ce n’est pas la mobi-
lité des citoyens qui stimule la compétition entre les communautés, mais l’entrée et la sortie des unités poli-
tiques à l’intérieur d’un système fédéral.
Sortie, protestation et trahison 233

rences distinctes pour les combinaisons de biens publics. Dès lors que l’on considère que
le choix public a pour tâche de révéler les (différentes) préférences individuelles pour des
biens publics, la formation de clubs et le vote-avec-les-pieds résolvent en partie le
problème du choix public en limitant son champ d’action.
Malgré ces restrictions, la capacité d’exclure certains individus des bénéfices d’un
bien public reste un mécanisme potentiellement puissant pour révéler les préférences indi-
viduelles. Si A demande à faire construire des courts de tennis, et B un terrain de golf, alors,
dans une communauté où tout le monde doit consommer le même panier de biens publics,
et dans laquelle les préférences sont connues au moyen du vote, il est possible que cela
conduise à des quantités non optimales d’au moins un bien pour l’un des votants. Ce votant,
A, est alors bien moins loti que ce qu’il aurait été si B avait aussi préféré le tennis au golf
et était prêt à supporter une plus grande part des coûts de cet équipement. Si A était membre
de la communauté et B à l’extérieur, A préférerait nettement que d’autres individus aux
préférences plus proches des siennes rejoignent la communauté, et, si c’était en son
pouvoir, discriminerait B en leur faveur.
Rien de tout cela n’est vraiment troublant si les biens publics sont le tennis et le
golf, et si les localités sont des clubs privés. Personne ne s’oppose trop énergiquement au
fait qu’un club de tennis réserve l’adhésion à ceux qui veulent jouer au tennis. Mais les
conséquences sont plus gênantes lorsque l’on prend en compte des définitions du bien
public plus générales. Comme nous l’avons vu, quand des individus ont une élasticité-
revenu positive de la demande pour les biens publics, ils tirent des avantages à faire partie
d’une communauté qui a des revenus en moyenne plus élevés que les siens, du fait des
unités supplémentaires de biens publics qu’elle fournit. Même quand un individu voit son
évaluation marginale de bien public taxée – il s’agit du montant de la taxe Lindhal – une
redistribution effective des riches aux pauvres a lieu à travers la distribution égalitaire du
bien public, ce qui se produit nécessairement à partir du moment où les riches et les pauvres
consomment ce bien ensemble. Mais l’élasticité-revenu de la demande d’un individu peut
être regardée comme une sorte de « goût » pour un bien public. Si le titulaire de l’adhésion
à une localité est libre d’exclure de nouveaux membres, alors on peut s’attendre à une
discrimination des individus au sein de localités aux goûts et aux revenus identiques,
contrecarrant les chances pour que ce type de redistribution puisse avoir lieu.
Wicksell suppose que le vote sur les questions de répartition a lieu après la déter-
mination d’une juste distribution des revenus. La même hypothèse pourrait être faite pour
soutenir l’association volontaire comme solution au problème des biens publics. Cepen-
dant, force est de reconnaître ici que l’approche de l’association volontaire est susceptible
d’affecter la distribution des revenus, tout en révélant les préférences pour des biens
publics. Une distribution donnée de revenus privés pourrait être considérée, uniquement
lorsque les individus résident dans des communautés aux strates de revenus hétérogènes,
de sorte que la population relativement pauvre bénéficie de la demande plus élevée de biens
publics formulée par la population relativement plus aisée. La même distribution de
revenus pourrait être considérée comme inique si les individus étaient répartis au sein de
communautés au revenu similaire, et la population relativement pauvre ne pourrait
consommer que les quantités de biens publics qu’elle serait elle-même en mesure de
fournir.
234 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

Ceci est la conséquence logique du vote-avec-les-pieds, ainsi que de ce qui


précède. Si la distribution qui résulte de ce processus était perçue comme étant inique, il
serait possible de corriger cela en réalisant des transferts entre les communautés, mais ici
nous passons directement à la question des frontières adéquates de la collectivité et des
droits des citoyens.
Dans un système fédéral, on peut envisager la citoyenneté de deux façons. La
citoyenneté principale peut résider dans la collectivité locale, et l’État central considéré
comme une simple union ou confédération de collectivités locales, avec certains pouvoirs
qui lui sont délégués. Inversement, la citoyenneté principale peut résider dans l’État
central, les collectivités locales n’étant alors que des branches administratives du gouver-
nement central et ayant des pouvoirs délégués d’en-haut. Selon la première conception du
système politique, cela signifierait que les droits de la collectivité locale de définir sa
propre citoyenneté et de prendre et choisir les entrants, dominerait le droit des citoyens
dans la confédération plus large, de migrer, libéré de tout obstacle, dans quelque collecti-
vité locale que ce soit. Il s’agit de l’antagonisme entre deux des conditions nécessaires pour
parvenir à une allocation décentralisée et efficiente des biens publics : le postulat d’une
mobilité totale, et le droit pour l’administration locale de taxer et de subventionner la
migration. Si la citoyenneté principale réside dans l’État central, alors on peut présumer
que les individus seraient libres d’entrer ou de sortir des communautés locales sans subir
de pénalités imposées localement. Les questions d’équité seraient envisagées depuis la
perspective de l’État central, qui serait libre de s’engager dans des transferts intergouver-
nementaux.
La même distinction existe en ce qui concerne les clubs. La liberté de former des
associations volontaires peut être considérée comme l’un des droits fondamentaux de l’in-
dividu. Pour exercer ce droit d’une manière optimale, les membres d’un club doivent être
libres de déterminer les caractéristiques qualitatives et quantitatives du bien public exclua-
ble qui leur est fourni, ainsi que la taille du club en termes de membres. Lorsque les fonc-
tions d’offre pour les biens publics excluables et la taille de la population permettent la
formation de nombreux clubs, chacun de taille optimale, la formation volontaire de clubs
peut aboutir à une allocation Pareto-optimale des ressources dans toute la communauté. Le
résultat est entièrement analogue à l’allocation optimale des ressources qui se réalise sur un
marché grâce aux actions volontaires, lorsqu’il existe un grand nombre d’acheteurs et de
vendeurs. En effet, les entreprises ne sont jamais que des clubs de propriétaires de facteurs
de production, créés pour réaliser des économies entre des productions complémentaires,
là où les clubs abordés dans ce chapitre se forment pour réaliser des économies de consom-
mation de biens complémentaires non rivaux. Cependant, une fois encore comme sur le
marché, lorsque la technologie et la taille de la population se conjuguent de telle sorte
qu’elles ne produisent qu’un petit nombre de clubs de taille optimale, les décisions des indi-
vidus prises de manière indépendante pour maximiser leur utilité ne peuvent permettre
d’aboutir à un résultat qui serait optimal du point de vue de la communauté entière.
Dans le chapitre 2, nous soutenions que l’État apparaissait comme une institution
à faible coût de transaction, qui permet d’obtenir les accords de coopération nécessaires
pour parvenir à l’optimum de Pareto, lorsqu’on se trouve en présence de biens publics et
d’externalités. Par extension, les clubs, les collectivités locales et la structure institution-
Sortie, protestation et trahison 235

nelle de l’État sur le mode fédéral peuvent être créés pour minimiser les coûts de transac-
tion afférents aux décisions collectives (Tullock, 1969 ; Breton et Scott, 1978) 17. Mais la
discussion de ce chapitre montre que la création de nouvelles juridictions administratives à
l’intérieur d’un État, que l’attribution de fonctions et de sources de revenu à différentes
unités, ainsi que la définition de droits civiques à l’intérieur d’un État fédéral, améliorent
les résultats, qui vont au-delà des économies réalisées sur les coûts de transaction et de l’ef-
ficience allocative. Ils sont au cœur des caractéristiques normatives de la collectivité.

9.7 LA THÉORIE DE LA RÉVOLUTION


Lorsque ni le scrutin ni le vote-avec-les-pieds ne constituent des modes d’expression
adéquats, il reste toujours le canon de fusil cher au Président Mao. On pourrait s’attendre
à trouver plus d’éléments analytiques à propos des révolutions que ce qui a été effective-
ment écrit, étant donné le rôle qu’elles jouent dans les politiques du monde réel. Pour celui
qui analyse les choix publics, l’énigme de la révolution réside dans la question de savoir
pourquoi les individus y participent, et ainsi pourquoi elles ont encore lieu.
Considérons la décision de l’individu i sur l’opportunité de participer ou non à une
révolution dans son pays, et, le cas échéant, sur la durée de sa contribution. Il est mécon-
tent du régime en place et anticipe les bénéfices de βi au cas où la révolution aboutirait et
qu’un nouvel ordre serait imposé. La probabilité pour que cela se produise est une fonction
du temps que i décide de consacrer à la révolution, tir , et le temps durant lequel tous les

autres citoyens y participeront, Oir = j=i t jr . Appelons cette probabilité π(tir , Oir ). En
plus des gains, au cas où la révolution aboutirait, i recevrait un plaisir personnel de la parti-
cipation au mouvement révolutionnaire, que cela réussisse ou non, Pi (tir , Oir ). Opposés à
ces bénéfices, les coûts de la participation doivent être pris en compte. S’il arrivait que i
soit capturé et puni, celui-ci ferait face à une amende ou à un emprisonnement dont découle
une perte d’utilité Fi . La probabilité pour qu’il soit capturé, Ci , est une fonction du temps
qu’il consacre à la révolution, tir , le temps que les autres y consacrent, Oir , et les ressour-
ces dépensées par le régime pour écraser la révolution, R, ce qui donne Ci (tir , Oir , R), que
l’on peut dériver de manière partielle :

∂Ci ∂Ci ∂Ci


> 0, < 0, > 0.
∂tir ∂ Oir ∂R

De plus, en consacrant du temps à la révolution, i renonce à ses revenus. Si w est le salaire


du marché, alors le coût d’opportunité est wtir .
Les bénéfices attendus de la participation à la révolution sont ainsi :

E i = βi πi (tir , Oir ) + Pi (tir , Oir ) − Fi Ci (tir , Oir , R) − wtir (9.43)

17 Par analogie, les clubs de propriétaires de facteurs de production (les entreprises) se constituent pour minimi-
ser les coûts de transaction dans le processus de production (Coase, 1937).
236 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES DIRECTES

En maximisant (9.42) pour tir , on obtient :

∂πi ∂ Pi ∂Ci
βi + = Fi +w (9.44)
∂tir ∂tir ∂tir

comme étant la condition que i doit satisfaire lorsqu’il détermine le niveau optimal de son
activité révolutionnaire. Le gain marginal attendu, en termes de bénéfices de bien public
(βi ), d’une heure de participation supplémentaire, ajoutée au plaisir personnel marginal,
doit être égal aux risques d’être capturé pour une heure supplémentaire passée à faire la
révolution, ajoutée au salaire perdu du fait de n’avoir pas travaillé cette heure-là.
Si Oi est élevé, le changement de πi et de Ci , relatif à une heure de participation
supplémentaire pour une personne en moyenne, sera négligeable. Le fait de savoir si quel-
qu’un participe ou non, et si oui, à quel degré, dépendra donc presque uniquement de la
satisfaction personnelle pure tirée de la participation au mouvement révolutionnaire ; parti-
cipation comparée avec les revenus perdus du fait d’avoir pris du temps sur son activité de
marché (Tullock, 1971a, 1974). Ce résultat est très semblable à celui de la littérature sur la
participation électorale.
Pour le citoyen moyen, les bénéfices d’une révolution réussie sont les bénéfices de
pur bien public liés au fait de vivre sous un régime plutôt que sous un autre. Mais pour
certains, βi représente les bénéfices d’une position dans le nouveau gouvernement formé
après la révolution. Pour ces dirigeants, βi et ∂π/∂tir sont tous deux beaucoup plus élevés
que pour la moyenne des individus. Par conséquent, il est plus facile d’expliquer la parti-
cipation des dirigeants à un mouvement révolutionnaire en utilisant un modèle de choix
rationnel que d’expliquer celle de la masse (Silver, 1974 ; Tullock, 1974). Il faut cependant
noter que, pour les dirigeants, Fi et ∂Ci /∂tir sont aussi plus élevés. Selon la théorie du
choix rationnel, les dirigeants d’une révolution sont comme les entrepreneurs dans la
théorie de l’entreprise, des preneurs de risques dotés d’un optimisme extrême quant à leur
capacité à déjouer les pronostics.
L’effet marginal de la contribution d’un individu moyen au succès de la révolution
devrait diminuer avec les contributions agrégées des autres, Oi . Cet effet passager clan-
destin fera diminuer tir (Olson, 1965 ; Austen-Smith, 1981a). Mais plus le nombre d’indi-
vidus est important, moins il y a de danger. Le risque marginal d’être capturé, ∂Ci /∂tir ,
diminue également lorsque l’activité révolutionnaire des autres augmente, ce qui encourage
à plus de participation à la révolution (Gunning, 1972 ; DeNardo, 1985). Les récompenses
personnelles dues à la participation à la révolution sont aussi caractérisées par un effet d’en-
traînement, et augmentent à mesure que d’autres se joignent au mouvement. Ainsi, les
niveaux de participation pourraient être caractérisés par des rendements d’échelle crois-
sants ou décroissants.
Une augmentation des ressources consacrées à l’écrasement de la révolution
devrait conduire à une augmentation de la probabilité marginale d’être capturé, et ainsi
décourager la participation. Plus les coûts monétaires, w, sont élevés, plus la participation
devrait être faible.
Bien que l’approche de l’activité révolutionnaire par le comportement rationnel
donne quelques aperçus des raisons pour lesquelles des révolutions se produisent, elle
Sortie, protestation et trahison 237

n’engendre pas pour autant une grande variété d’implications testables. Il apparaît cepen-
dant que le succès d’une révolution est considérablement affecté par les ressources que le
régime déploie pour y mettre un terme, et, par ce moyen, pour freiner la participation
(Silver, 1974 ; DeNardo, 1985).
Peut-être l’implication la plus caractéristique de la théorie est de prévoir que la
participation décline avec le taux de salariat. Austen-Smith (1981a) a aussi montré qu’elle
diminuait avec une réduction de l’incertitude sur les salaires, si les participants avaient une
aversion pour le risque. Des tests de ces implications réalisés par Finney (1987) montrent
que le nombre de morts dues à des violences politiques dans un pays est négativement lié
au niveau et à la croissance du revenu national, et est positivement lié à l’écart-type du taux
de croissance (une mesure de l’incertitude).
Bien que les résultats, à l’instar de ceux de Finney, soient encourageants, il est
temps de voir dans quelle mesure le modèle du comportement rationnel peut expliquer un
comportement aussi extrême que celui observé lors des révolutions. Exactement comme la
fourniture volontaire d’un bien public, le choix optimal des individus les plus rationnels,
lorsqu’une réunion est appelée à se transformer en révolution, est de rester chez soi (Olson,
1965 ; Dixit et Olson, 2000). Néanmoins, ces modèles comblent un vide analytique dans la
littérature du public choice. Dans un État fermé, un individu risque toujours d’être
« exploité » ou « tyrannisé » par une majorité ou une minorité de ses compatriotes. Ses
choix, dans de telles situations, sont de continuer à s’investir dans la protestation dans
l’espoir que cela changera, ou de chercher une nouvelle collectivité par le biais de la migra-
tion, ou encore d’en créer une nouvelle en faisant la révolution. L’objectif de la théorie du
choix public doit être d’expliquer ces trois types de choix.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
La discussion autour de l’efficience et de l’équité dans un système fédéral est antérieure aux écrits de
Tiebout sur le choix public. Voir, par exemple, Buchanan (1950, 1952), Scott (1950, 1952a,b) et
Musgrave (1961).
Ng (1985b) montre que l’on ne peut pas obtenir l’efficience en formant un club sans que l’on viole
soit l’équité, comme on l’a soutenu précédemment, soit la liberté (d’association volontaire).
Les écrits de Tiebout à propos des clubs ont été revisités par Hendersen (1979) ; Sandler et Tschir-
hart (1980, 1997) ; Dowding, John et Biggs (1994) ; et Inman et Rubinfeld (1997). Ostrom et
Walker (1997) examinent les propriétés d’une variété d’organisations faites sous la forme de clubs
ou de communautés politiques.
Les propriétés des marchés dans le domaine des biens publics excluables des prix sont analysées par
Oakland (1974), Burns et Walsh (1981), Brennan et Walsh (1981) et Walsh (1986).
Sur ces questions, on pourra également trouver les principaux ouvrages d’A. Hirschman traduits en
français.
Une recension en français des théories économiques des révélations à été faite par J.-D. Lafay (1991).
PARTIE
3

LES
CHOIX PUBLICS
DANS LES DÉMOCRATIES
REPRÉSENTATIVES

Chapitre 10. Fédéralisme 241


Chapitre 11. Théorie du vote déterministe 265
Chapitre 12. Théorie du vote probabiliste 287
Chapitre 13. les systèmes multipartis 305
Chapitre 14. Le paradoxe du vote 347
Chapitre 15. La recherche de rente 379
Chapitre 16. La Bureaucratie 407
Chapitre 17. Pouvoir législatif, administration, exécutif et pouvoir judiciaire 449
Chapitre 18. La dictature 471
10
FÉDÉRALISME

10.1 La logique du fédéralisme 242


10.2 Pourquoi la taille des gouvernements peut être « trop grande »
dans un système fédéral ? 246
10.3 Subventions intergouvernementales dans un contexte de fédéralisme 249
10.4 Pourquoi la taille des gouvernements reste-t-elle « trop importante »
ou « trop petite » dans un contexte fédéral ? 257
10.5 Le problème de la centralisation dans un contexte de fédéralisme 262
242 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Dans cette troisième partie, nous allons étudier les propriétés de différents types de gouver-
nement représentatif qui ont été élaborés et suggérés afin d’améliorer le mécanisme de
révélation des préférences qu’est la démocratie directe. Deux modèles de démocratie repré-
sentative sont généralement opposés : le gouvernement fédéral du type de celui qui a été
mis en place aux États-Unis et le modèle d’État central, tel qu’il s’est développé en France.
Ce chapitre applique la théorie des clubs exposée au chapitre 9, décrit les qualités du
modèle fédéral américain et propose un certain nombre d’applications de la théorie du fédé-
ralisme au cas de la Suisse, de l’Allemagne et du Canada.

10.1 LA LOGIQUE DU FÉDÉRALISME


10.1.1 Le problème de l’affectation des compétences
La théorie de la structure gouvernementale optimale montre que le choix d’un niveau de
compétence dépend de la taille du groupe, de son implantation géographique et de l’ho-
mogénéité des préférences des individus constituant le groupe.
Imaginons un régime politique composé de trois niveaux de juridictions et de neuf
personnes. Le problème consiste à produire deux types de bien public : G L et G F . G F est
un bien public tel que la défense nationale. Une fois fourni par un niveau de juridiction, il
est disponible pour les deux autres. G L est un bien public à l’origine d’externalités géogra-
phiquement délimitées (localized spillover), comme la sécurité (police). G F et G L sont par
hypothèse des biens publics unidimensionnels. Les neuf membres du régime politique
disposent de préférences unimodales avec des points idéaux. La figure 10.1 représente leurs
préférences.

Figure 10.1
Points idéaux dans un système politique fédéral.

Les neuf membres consomment la même quantité de biens publics G F . Les indi-
vidus A1 , A2 et A3 appartiennent à la communauté A, et consomment uniquement la quan-
tité de biens publics G L fournie par leur juridiction. Le même raisonnement s’applique aux
trois individus appartenant à B et aux trois autres appartenant à la juridiction C.
Supposons que les neuf individus décident sous une règle de vote à la majorité des
quantités de biens publics G F et G L et que la quantité de bien public G L relève d’une déci-
sion de chaque groupe de trois. Tous les électeurs ont des préférences unimodales et déci-
dent dans un espace des choix à une seule dimension. Cela permet, d’une part, d’appliquer
le modèle de l’électeur médian et implique, d’autre part, que les quantités fournies des
Fédéralisme 243

biens G F et G L correspondent au point idéal, B2 , de l’électeur médian dans cet espace poli-
tique. Étant donné que G F possède les propriétés d’un bien public pour l’ensemble de la
collectivité (neuf personnes), toute quantité de biens G F et G L choisie, doit être consom-
mée par l’ensemble des neuf citoyens. Sous la règle de la majorité simple, le montant B2
peut être considéré comme l’optimum économique. À l’inverse, les propriétés de biens
publics G L sont propres à chaque juridiction locale. Connaissant les points idéaux de la
figure 10.1 et sous le postulat de préférences unimodales, les membres de la juridiction A
peuvent tous améliorer leur situation si une quantité plus faible de G L est produite. Les
membres de la juridiction C verront leur situation s’améliorer si la quantité de bien public
G L s’élève. De telles quantités seront choisies si chaque juridiction locale peut décider à la
majorité simple de son propre niveau de bien public G L . Ainsi, le meilleur mécanisme
institutionnel pour bénéficier des quantités G F et G L idéales consiste, d’une part, à donner
au niveau de décision le plus élevé (les neuf électeurs) le soin de décider de la quantité de
bien public G F et au niveau le plus bas (trois électeurs) la responsabilité de choisir la quan-
tité de bien public G L . Si on adopte une telle solution, on crée un État fédéral.
À partir de l’exemple précédent, supposons maintenant que G F est la défense
nationale et G L la police. Si une partie quelconque de la France était envahie par une armée
étrangère, c’est toute la population française qui serait en danger. Tous les Français ont
donc un intérêt commun à assumer leur défense contre une éventuelle invasion. Les Pari-
siens ne sont, en revanche, nullement affectés par les cambriolages ou les incendies sévis-
sant à Marseille. La défense nationale concerne l’ensemble des Français et sa production
provoque des effets de débordement (spillover effects). Les Français peuvent, alors, avoir
intérêt à produire la défense nationale au niveau central (État) et la police au niveau local.
La ville de Paris produit le bien sécurité pour les Parisiens et l’État central protège les Fran-
çais contre une invasion étrangère. L’impôt local finance la police locale. L’impôt national
finance la défense nationale. La définition d’une structure de gouvernement idéal dépend
ainsi du type de bien public auquel on se réfère. Le fédéralisme s’impose comme le
meilleur système, car un système unitaire produit une quantité de police identique sur tout
le territoire français, alors que la ville de Paris a un besoin moins important de sécurité que
la ville de Marseille. Un système unitaire produit la quantité de bien public local (police)
qui correspond à la demande de l’électeur médian national alors qu’il faudrait qu’elle repré-
sente la demande de l’électeur médian des citoyens de la ville de Marseille.
Un État fédéral a deux caractéristiques fondamentales : (1) séparation et chevau-
chement des niveaux de gouvernement et (2) spécialisation des compétences à chaque
niveau de gouvernement. La situation extrême d’un système fédéral reposerait sur l’exis-
tence d’autorités spécifiques pour chaque niveau de gouvernement. Chaque niveau serait
en mesure de déterminer à la fois le niveau de dépenses publiques et le montant d’impôts
pour financer ses dépenses. Aucun système fédéral contemporain ne correspond à ce cas
extrême.
Aux États-Unis, par exemple, les compétences primaires pour l’application des
lois concernent les gouvernements locaux et l’État fédéral, bien que le Congrès américain
ait voté des lois qui encadrent certaines infractions pénales ayant pour conséquence que la
police fédérale, telle que le FBI (Federal Bureau of Investigation), peut souvent être
conduite à faire ce que font déjà les polices locales ou à les accompagner dans leur travail.
244 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Dans plusieurs pays de tradition fédérale, comme l’Allemagne, les gouvernements locaux
et régionaux disposent d’une autorité très limitée pour lever leurs propres impôts. Ils se
retrouvent, alors, contraints lors de l’affectation des transferts reçus du gouvernement
central. Malgré quelques différences entre les États fédéraux, tous les pays qui ont adopté
ce modèle de gouvernement présentent ces deux caractéristiques à des degrés plus ou
moins variables.
L’existence de l’État s’explique généralement par les défaillances du marché
(chapitre 2). Lorsque l’on étend ce raisonnement aux juridictions politiques et au système
fédéral, on cherche à savoir quel niveau de gouvernement doit produire quel type de bien
public : police, justice, ramassage des ordures ménagères, éducation, etc. On veut s’assu-
rer que ce sont bien les individus qui utilisent le bien public qui contribuent à son finance-
ment 1. L’application de la théorie économique des externalités à la définition de la
structure politique détermine les frontières de chaque gouvernement sur la base de l’am-
pleur des externalités générées par la fourniture de biens publics, ou encore la taille de la
juridiction dans un jeu de type dilemme du prisonnier. Si la taille des externalités dérivées
de deux biens publics en présence est identique, alors, ces deux biens peuvent être produits
au niveau du même gouvernement. Si, en revanche, ces deux biens publics ne génèrent pas
le même niveau d’externalités géographiques, une structure fédérale optimale impliquera
que chaque bien soit fourni par un gouvernement différent, par exemple chaque loi sera
déterminée et appliquée par un gouvernement différent. Un individu pourrait facilement
être citoyen dans des centaines de gouvernements différents mais qui se chevauchent.
Il est plutôt évident qu’un tel design institutionnel peut ne pas être optimal. En
mobilisant la fameuse théorie des coûts de transaction, une autre explication de la forma-
tion des États fédéraux peut être avancée. L’existence de coûts de transaction peut expli-
quer pourquoi un État fédéral est composé, de manière optimale, de quelques niveaux de
gouvernement dotés de compétences multiples plutôt que de centaines de niveaux de
gouvernement avec seulement une compétence attribuée. Même dans une démocratie
directe, chaque citoyen doit encourir des coûts de participation aux décisions prises lors de
réunions définissant les actions à prendre. Il doit, donc, contrôler ceux qui exécutent les
tâches qu’il a autorisées. Remplacer la démocratie directe par une démocratie représenta-
tive allège le fardeau des décisions budgétaires et fiscales des citoyens vers les représen-
tants politiques, mais en contrepartie alourdit le fardeau lié à la participation au processus
de désignation des représentants, et in fine étend les devoirs de contrôle des citoyens aux
représentants choisis et aux bureaucrates qui exécutent les décisions collectives. Si les
citoyens sont mobiles à travers les juridictions, nous devons prendre en compte les coûts
liés à la décision de localisation géographique et donc aussi les coûts de déplacement. Les
personnes qui évoquent les problèmes d’attribution de compétences dans un système
fédéral doivent mettre dans la balance d’un côté les coûts de transaction liés à l’existence
de multiples niveaux de gouvernement et de l’autre, les inefficacités informationnelles qui
surviennent en présence d’un seul gouvernement aux compétences élargies au regard des
bénéfices que ce gouvernement apporte aux citoyens.
Dans ces conditions, pourquoi ne pas envisager un seul niveau de gouvernement
qui décide de tous les enjeux publics ? Le caractère non optimal de cette attribution dans
1 Principe dit du théorème de Oates (1972).
Fédéralisme 245

notre exemple précédent dépend de l’idée de contrainte qui pèse sur le gouvernement
« supérieur » lorsqu’il décide de choisir le même niveau de biens pour toutes les juridictions
de niveau inférieur. Une telle contrainte n’a aucune raison d’exister. Les individus ont la
liberté de choisir s’ils veulent une quantité spécifique de G L pour chaque communauté : A,
B ou C ou s’ils préfèrent imposer à tous les membres de la communauté une même quantité
de G L . Si les trois citoyens de la juridiction B sont indifférents entre ces deux propositions,
les six autres électeurs (juridictions A et C) seront en faveur d’un montant de bien public
G L différent. Ainsi, une assemblée unique de tous les citoyens attribuant des responsabili-
tés pour les niveaux de biens publics locaux et nationaux pourrait, en principe, reproduire
les mêmes décisions que lorsque les biens publics sont fournis par les juridictions locales.
La raison pour laquelle les quantités de tous les biens publics ne sont pas décidées
dans une assemblée unique de citoyens (ou de leurs représentants) est encore une fois liée
à l’existence de coûts de transaction. Une fois que nous élargissons la liste des biens publics
à produire à l’échelle locale, régionale et nationale, il deviendra inconcevable pour une
assemblée unique de décider les quantités de chaque panier de biens publics à fournir pour
chaque juridiction 2.

10.1.2 Fédéralisme avec représentation par zone


géographique
Jusqu’ici la discussion admettait l’hypothèse que la démocratie directe est utilisée aux deux
niveaux de gouvernement. Supposons, maintenons, que le niveau de gouvernement le plus
élevé opte pour un régime de gouvernement représentatif. Chaque juridiction locale désigne
un représentant. Ce dernier aura un droit de vote au niveau du gouvernement supérieur 3.
Admettons, tout d’abord, que c’est l’assemblée représentative du niveau du
gouvernement le plus élevé qui détermine la quantité de G F , et que les quantités de G L sont
toujours déterminées par un système de démocratie directe selon une règle de majorité
simple. Sous ces hypothèses, les quantités G L choisies dans les trois juridictions correspon-
dront toujours au point idéal de l’électeur médian dans chacune des juridictions, ce point
étant vu comme optimal étant donné la contrainte posée par la règle de majorité simple.
Supposons maintenant que les représentants sont élus selon la règle de pluralité
(appelée aussi système « first-past-the-post »). Le candidat recevant le plus de voix est élu.
Si l’assemblée représentative ne s’intéresse qu’à la seule question de la quantité de biens
G F à fournir, alors les candidats vont entrer en compétition pour obtenir des votes sur la
promesse d’un certain niveau de biens G L , s’ils sont élus à l’assemblée. Ce faisant, la ques-
tion importante est de déterminer la position que le représentant élu occupera sur le conti-
nuum G F . Le théorème de l’électeur médian s’applique là encore : les trois représentants
élus vont choisir les quantités G F correspondant aux points A2 , B2 et C2 . Si l’assemblée

2 Une partie de la littérature étudie la relation entre coût de transaction et bien public dans le cadre du problème
de l’affectation des compétences. Voir Tullock (1969), Oates (1972) et Breton et Scott (1978). Une bonne
revue de la littérature est proposée par Inman et Rubinfield (1997).
3 La suite de la partie III traite d’un gouvernement représentatif, nous n’entrerons pas dans les détails du prin-
cipe de fonctionnement d’un tel gouvernement mais considérerons plutôt une version simplifiée.
246 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

représentative décide à la majorité simple les quantités G F , B2 est choisi et ce système


fédéral avec gouvernement représentatif produit les mêmes résultats qu’un système de
démocratie directe à chaque niveau de gouvernement local.
On peut, néanmoins, faire l’hypothèse que l’assemblée représentative est autorisée
à voter sur la quantité G L à fournir. Si nous considérons encore une fois que la même quan-
tité G F doit être fournie à chaque juridiction locale, alors le résultat sous cette forme de
représentation géographique est identique à celui obtenu sous une démocratie directe. Le
représentant A2 préfère B2 à tout autre point situé à sa droite, le représentant C2 préfère B2
à tout autre point situé à sa gauche, et le représentant B2 préfère B2 parmi tous les autres
points, donc B2 est le vainqueur. La représentation par zone géographique produit, dans ce
cas, le même résultat que la démocratie directe, même si les quantités G L fournies dans
chaque juridiction varient. La situation change toutefois lorsque nous élargissons la dimen-
sion des enjeux et introduisons la question du financement des biens publics, autrement dit
de l’impôt.

10.2 POURQUOI LA TAILLE DES GOUVERNEMENTS PEUT ÊTRE


« TROP GRANDE » DANS UN SYSTÈME FÉDÉRAL ?
10.2.1 Le marchandage politique ou « logrolling »
Le raisonnement reprend une partie des hypothèses du premier modèle. Les enjeux sont
unidimensionnels et sont représentés par la figure 10.1. Les électeurs sont toujours neuf.
Une assemblée représentative a été élue avec trois représentants qui préfèrent respective-
ment les positions A2 , B2 et C2 . L’assemblée est maintenant libre de décider à la fois le
niveau des dépenses en biens publics et le niveau de taxation pour les financer. Un résultat
possible serait de fournir les montants A2 , B2 et C2 de G L aux trois juridictions avec des
taux de taxation qui garantissent que les recettes fiscales de chaque juridiction couvrent ses
besoins de consommation de bien public G L . Une telle règle de financement diminuerait
les taux de fiscalité des juridictions B et C et modifierait leur point idéal sur la droite de la
figure 10.1. Leurs représentants en profiteront pour demander une quantité plus importante
de biens publics. Une coalition entre les représentants de B et C a des chances de se former.
Chaque juridiction choisit sa propre quantité de biens G L et paie pour son financement sans
tenir compte de ses propres recettes fiscales. Si une coalition entre les représentants de B
et C se forme, elle pourrait imposer ce résultat. Il pourrait s’ensuivre une quantité trop
grande de biens G L fournis dans ces juridictions au regard des quantités nécessaires si la
fourniture de G L était sous la responsabilité d’un gouvernement local.
Cet exemple ressemble à celui donné par Tullock (1959) où il expliquait pourquoi
il existe une surproduction de biens publics. Il prenait l’exemple d’une route au sein d’une
communauté de 100 fermiers. Chaque fermier est desservi par une route. Tullock ne consi-
dérait pas l’existence d’un gouvernement représentatif, laissant entendre que le problème
de la surproduction pouvait survenir en présence d’une démocratie directe. Les citoyens des
juridictions B et C ont intérêt à se coaliser contre les fermiers de la communauté A. Cette
Fédéralisme 247

stratégie discriminante (envers A) a des conséquences négatives sur l’efficacité allocative


de la structure politique (surproduction). Elle n’est pas en soi la conséquence directe d’un
système fédéral. Elle est, en revanche, le résultat de l’utilisation de la règle de majorité
simple. Le fédéralisme n’est pas à l’origine de la surproduction, mais modifie la nature des
coalitions et la répartition de l’impôt nécessaire au financement des biens publics.
Pour préciser ces effets, on peut imaginer ce qui se produirait dans un régime où
les élus ne représentent pas une zone géographique particulière. Dans un tel système, tous
les électeurs doivent choisir un candidat parmi une liste de noms qui ne représente pas leurs
territoires en particulier, mais l’ensemble de la communauté nationale. Les partis politiques
sélectionnent les candidats. Chaque parti anticipe qu’il peut gagner de nombreux sièges au
Parlement. Dans un tel système, ce sont les partis politiques qui représentent les citoyens 4.
Cela signifie, si on reprend notre exemple, que les neuf électeurs se répartissent parmi les
partis en fonction de leurs préférences pour une quantité ou une autre de biens publics, G L
et G F (figure 10.1). Dans un monde où les citoyens sont séparés géographiquement en trois
petites communautés, il est raisonnable de faire l’hypothèse que trois partis (A, B et C) vont
se constituer avec un nombre identique de sièges au sein de l’assemblée nationale. Cette
affectation des sièges est susceptible de produire exactement le même résultat que dans un
système politique où la représentation n’est pas nationale, mais locale. Avec une distribu-
tion géographique de préférences sur l’ensemble des décisions à prendre, il n’y a aucune
raison d’attendre de grandes différences dans les résultats.
Il suffit, cependant, que les électeurs votent pour des représentants politiques qui
ne correspondent pas à leurs zones géographiques pour que les résultats soient légèrement
différents. Au lieu d’avoir trois juridictions A, B et C, nous avons trois juridictions 1, 2 et
3 avec les citoyens A1 , B1 et C1 dans la communauté 1 ; A2 , B2 et C2 dans la communauté
2, etc. La demande de biens publics est dispersée uniformément entre des individus qui
expriment une demande faible, médiane et forte. Avec une telle distribution géographique
des préférences, la représentation géographique conduira à trois juridictions représentées
par des individus qui auront respectivement les positions B1 , B2 et B3 . B2 sera encore la
quantité choisie de biens publics G F . Si les quantités de G L sont décidées par l’assemblée
gouvernementale la plus haute, une coalition entre les représentants de deux des juridic-
tions locales peut encore s’attendre à discriminer la troisième juridiction en la taxant pour
produire la quantité G L de bien public, mais sans lui fournir ce bien public et ainsi augmen-
ter la quantité consommée par elle-même de G L .
Il est vraisemblable que la situation soit plutôt différente d’un système politique où
la représentation n’est pas géographiquement située, mais partisane. Dans ce cas, on peut
envisager que les partis A, B et C gagnent des sièges en promettant de représenter toutes les
demandes (faible, médiane et forte) de biens G H et G L . Une coalition entre deux des partis
sera désormais fondée sur les niveaux de leur demande pour les biens publics. Il est dès lors
possible que la coalition soutienne des programmes qui conduisent à une sur- ou à une
sous-production de biens publics. Cela dépend du type de coalition. Si les individus se
coalisent sur la base de leurs différences de revenu, les individus les plus riches vont s’en-
tendre pour faire payer les individus les plus pauvres et inversement.

4 Les caractéristiques des systèmes multipartis sont le sujet du chapitre 13.


248 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Notons que sous un système représentatif détaché de son socle territorial et si les
quantités de G L sont décidées au niveau de chaque juridiction nationale, une coalition entre
les partis A et B favorisera, toutes choses égales par ailleurs, une fourniture uniforme de G L
dans toutes les juridictions locales qui étaient entre A3 et B1 . Cela a pour conséquence de
réduire la quantité de biens publics pour deux des trois juridictions, quand elles sont seules
responsables de la décision. C’est pourquoi nous écrivons « trop grande » entre guillemets
dans le titre de cette section. Dans un système fédéral, les stratégies de coalition et la redis-
tribution des biens publics par le gouvernement central engendrent généralement une situa-
tion de surproduction de biens publics locaux dans certaines juridictions et de sous-
production dans d’autres.
Cette conclusion est un cas particulier de l’exploitation de la minorité par la majo-
rité sous la règle de la majorité simple, que Tullock a décrit dans son exemple sur les
fermiers et les routes. Certains ont contesté cet argument. Nous examinons désormais leurs
arguments.

10.2.2 Universalisme
La thèse selon laquelle une coalition réussit à exploiter la règle de décision collective à la
majorité pour faire payer plus certains membres de la collectivité n’est pas partagée par
tous les auteurs. Cette forme de « tyrannie » de la majorité gagnante n’est pas évidente, car
l’alternance politique rend cette stratégie risquée. Le représentant ou le parti qui se trouve
dans une coalition gagnante aujourd’hui peut se retrouver du côté des perdants demain.
Pour éviter de tels risques, plusieurs auteurs ont soutenu que les assemblées législatives
adoptent une norme d’universalisme. Chaque juridiction locale fournit un bien public local
que le gouvernement central fournit à son tour.
Si le gouvernement central utilise une norme d’universalisme, il doit déterminer
les quantités de bien G L pour chaque juridiction locale. Il est probable qu’il fournisse les
montants A2 , B2 et C2 si les préférences des citoyens sont telles que représentées sur la
figure 10.1. La validation empirique d’un tel universalisme suggère que les demandeurs les
plus « forts » ont une plus grande influence dans l’assemblée (Weingast et Marshall, 1988 ;
Hall et Grofman, 1990). Ainsi, au lieu d’avoir un ensemble de résultats A2 , B2 et C2 , les
situations A3 , B3 et C3 sont attendues.
Souvent, l’effet d’une représentation géographique n’implique pas nécessairement
qu’un bien public local donné soit fourni par le gouvernement central pour chaque juridic-
tion locale, mais plutôt que différents biens publics locaux soient produits. Chaque repré-
sentant d’une assemblée fédérale propose un projet favori (a pet project) que les électeurs
aimeraient voir financer par le gouvernement fédéral. L’application de la norme d’univer-
salisme résulte de la satisfaction de l’ensemble de ces souhaits.
Schwartz (1994) présente un modèle pour expliquer comment ce phénomène se
manifeste. Chaque représentant est préoccupé par sa réélection. Les électeurs de leur côté
sont préoccupés par la fourniture des projets favoris. Les électeurs ignorent les coûts de tels
programmes. Le résultat final est la production de biens publics locaux par le gouvernement
central qui aurait été individuellement rejetés par les juridictions locales respectives.
Fédéralisme 249

10.3 SUBVENTIONS INTERGOUVERNEMENTALES


DANS UN CONTEXTE DE FÉDÉRALISME
Une caractéristique importante d’un système fédéral est qu’un niveau de gouvernement
particulier ne peut pas fournir des biens publics pour une autre juridiction, mais il peut
verser des transferts sous la forme de subventions intergouvernementales. Ces subventions
sont généralement hiérarchisées au sens où elles vont du niveau de gouvernement central
vers les gouvernements locaux, mais ce n’est pas toujours le cas. Le budget de l’Union
européenne ne correspond pas, cependant, à ce cas de figure puisque ce sont les États
(niveau inférieur) qui financent le niveau supérieur. Les transferts sont ascendants et non
descendants. Les mécanismes de péréquation budgétaire inscrits dans la constitution de la
République fédérale allemande dans son article 107 ou dans la constitution française via
l’article 72 alinéa 5, relèvent bien de ce type de redistribution des niveaux de gouvernance
les plus hauts vers les plus bas 5.
Dans cette section, nous nous intéresserons aux propriétés de tels transferts inter-
gouvernementaux, en étudiant dans un premier temps l’argument normatif justifiant ces
subventions et dans un deuxième temps la validation empirique de leurs effets.

10.3.1 Subventions intergouvernementales et optimalité


de Pareto
Les subventions intergouvernementales peuvent contribuer à améliorer les ressources
d’une juridiction lorsqu’un bien public fourni localement génère des externalités positives.
Le cas des autoroutes est un bon exemple. Dans certains systèmes fédéraux, comme celui
des États-Unis, chaque gouvernement régional est responsable de la construction et de la
gestion des routes à l’échelle de sa juridiction. Cependant, en plus de leurs électeurs, les
citoyens des autres juridictions peuvent emprunter les routes de l’État en question. Pour
atteindre l’optimalité parétienne, la demande de construction et de gestion de telles routes
devrait être mesurée en additionnant le niveau de demande de tous les usagers, qu’ils soient
citoyens ou non de la juridiction où l’infrastructure routière est installée. Mais le système
politique prend seulement en compte les demandes en routes pour les citoyens de la juri-
diction. La demande en routes pour l’ensemble des citoyens est donc sous-estimée à
l’échelle du pays avec comme conséquence une quantité finale de biens routes inférieure à
la quantité Pareto-optimale.
Dans cet exemple, la fourniture de routes par une juridiction entraîne des externa-
lités positives pour les autres juridictions. En termes d’externalités, ce problème rejoint
celui déjà discuté dans la section 2.6, excepté que cette fois-ci l’externalité est symétrique.
Dans le cas de deux juridictions, A et B, la quantité de bien public, G A , que A consomme
égalise sa propre fourniture de routes, R A , plus une fraction s A de la quantité de routes
fournies par B(0 < s A < 1) ; l’inverse est vrai pour B :

G A = R A + s A RB G B = RB + sB R A (10.1)
5 Gilbert G. (1996).
250 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Si tous les citoyens de la juridiction A avaient le même revenu, Y A , et des fonctions d’uti-
lité de la forme U A (X A , G A ), alors ils s’accorderaient à l’unanimité pour construire la
quantité de routes qui maximise la formule lagrangienne suivante :
L = U A (x A , G A ) + λ(Y A − Px x A − Pr R A ) (10.2.)
où Px et Pr sont respectivement les prix du bien privé X et des routes, et G A satisfait l’équa-
tion 10.1. Le programme d’optimisation de 10.2 donne les conditions de premier ordre
suivantes :
∂U A
∂G A Pr
= (10.3)
∂U A Px
∂XA
Une condition similaire pourrait être dérivée pour le citoyen représentatif de la juridiction
B (tous les agents de B ont une fonction d’utilité identique).
Pour obtenir les quantités Pareto-optimales de routes, nous maximisons l’utilité
d’un représentant A en fonction de quatre variables de décision X A , X B , R A et R B sous la
contrainte que l’utilité d’un représentant B soit constante, et d’une contrainte budgétaire
agrégée.
L P O = U A (x A , G A ) + λ(U B − U B (x B , G B ))
(10.4)
+ γ (Y A + Y B − Px x A − Px x B − Pr R A − Pr R B ).
Quatre conditions de premier ordre en sont déduites :
∂ L PO ∂U A
= − γ Px = 0
∂XA ∂XA
∂ L PO ∂U B
= − γ Px = 0
∂XB ∂XB
(10.5)
∂ L PO ∂U A ∂G A ∂U B ∂G B
= −γ − γ Pr = 0
∂ RA ∂G A ∂ R A ∂G B ∂ R A
∂ L PO ∂U A ∂G A ∂U B ∂G B
= −γ − γ Pr = 0
∂ RB ∂G A ∂ R B ∂G B ∂ R B
À partir de (10.1), nous obtenons :
∂G A ∂G A ∂G A ∂G B
= 1, = SB , = 1, = SA (10.6)
∂ RA ∂ RB ∂ RB ∂ RA
En substituant (10.6) dans (10.5), on obtient 6 :
∂U A /∂G A Pr ∂U B /∂G B
= − sB
∂U A /∂ X A Px ∂U B /∂ X B
(10.7)
∂U B /∂G B Pr ∂U A /∂G A
= − sA
∂U B /∂ X B Px ∂U A /∂ X A
6 On peut comparer ce raisonnement aux dérivations portant sur les externalités dans l’équation (2.34) à travers
(2.41).
Fédéralisme 251

L’équation (10.3) établit que la condition est satisfaite lorsque le citoyen représentatif de la
juridiction A maximise son utilité ignorant les conséquences de sa décision pour B. Une
condition analogue vaut pour B. En substituant (10.3) dans (10.7), nous obtenons :
∂U A /∂G A Pr
= (1 − s B )
∂U A /∂ X A Px
(10.8)
∂U B /∂G B Pr
= (1 − s A )
∂U B /∂ X B Px
Pour atteindre une offre Pareto-optimale de routes dans les deux juridictions, une subven-
tion pigouvienne doit être proposée à une juridiction A selon un principe d’égalisation entre
chaque quantité de routes et le niveau proportionnel d’externalités dérivées de ses routes
vers la juridiction B.
Une manière de résoudre ce problème consiste à laisser le niveau de gouvernement
le plus élevé prélever une imposition forfaitaire sur les deux juridictions et à offrir ensuite
à chacune d’elles des subventions sous la forme de subventions compensatoires (matching
grants). L’effet d’une subvention compensatoire sur les achats d’une juridiction locale est
illustré sur la figure 10.2. En l’absence de toute subvention, la juridiction fait face à sa

Figure 10.2
Les effets d’une subvention de compensation.
252 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

contrainte budgétaire B B et décide d’acheter une quantité X 0 de bien privé et G 0 de bien


public. Une subvention compensatoire de 50 % implique l’achat par le gouvernement
fédéral d’une unité de G pour chaque unité de G achetée par la juridiction locale, ce qui
revient à réduire de 50 % le prix de G pour la juridiction locale. En conséquence, cela
déplace la contrainte budgétaire de la juridiction vers B B  pour une quantité G M G de bien
public acheté. Si G est un bien normal, l’effet substitution et l’effet revenu de la subven-
tion compensatoire occasionnent une augmentation du bien G acheté. Ces deux effets agis-
sent en sens opposé par rapport à la consommation du bien privé X. Cependant, l’effet net
peut conduire à une réduction de la quantité du bien X acheté. Si cela se produit, l’aug-
mentation de la quantité G occasionnée par l’introduction d’une subvention compensatoire
sera plus importante que le montant d’argent réellement transféré du centre vers la juridic-
tion locale. Ainsi, les subventions compensatoires sont un puissant outil pour influencer les
choix de dépenses publiques des gouvernements locaux.
Une deuxième forme de subvention intergouvernementale est souvent employée,
il s’agit des subventions générales (unrestricted grand). Comme son nom l’indique, ce sont
des subventions sans conditions. Elles laissent une grande liberté aux gouvernements
locaux pour utiliser cet argent, y compris sous forme de dépenses fiscales, c’est-à-dire en
diminuant le niveau d’imposition locale à certains ou à l’ensemble des citoyens et en leur
permettant, par conséquent, d’augmenter leur consommation de biens privés. Les effets
d’une subvention générale sont illustrés sur la figure 10.3. En l’absence de subvention, la
contrainte budgétaire de la juridiction est toujours BB. Chaque juridiction achète une quan-
tité X 0 de bien privé et G 0 de bien public. La subvention générale permet à la juridiction
d’augmenter sa consommation du bien privé en B  (ou B si elle compense toute la subven-
tion par une réduction d’impôts) ou d’augmenter sa consommation de bien public pour un
même montant. Alors la contrainte budgétaire se déplace en B  B  et une nouvelle combi-
naison d’achats de biens publics G U G et de biens privés X U G apparaît. Le seul impact
d’une subvention générale sur la quantité de biens publics locaux achetés passe par l’effet
revenu et débouche sur une augmentation plus faible des dépenses de biens publics de la
juridiction locale par rapport à l’accroissement de la subvention compensatoire.
Une troisième forme de subvention intergouvernementale doit être prise en consi-
dération. Il s’agit d’une subvention budgétisée ou affectée (earmarked grant). Les subven-
tions affectées peuvent seulement être utilisées pour financer des programmes pour
lesquels elles sont dédiées. D’un certain point de vue, elles ressemblent aux subventions
générales car elles n’empêchent pas un gouvernement local de dépenser la somme d’argent
qu’il souhaite dans ces programmes. Les subventions affectées donnent donc la possibilité
aux gouvernements locaux de réduire leur niveau d’imposition. Mais une telle subvention
ne permet pas à la juridiction de réduire sa consommation de bien public. Il doit affecter le
budget à sa production. Par conséquent, une subvention affectée d’un montant identique à
une subvention générale déplacera la contrainte budgétaire du point B  au point B
(figure 10.3). La nouvelle contrainte budgétaire devient la droite B B  B  . Si la quantité de
bien public que la juridiction aurait achetée en l’absence de subventions affectées dépasse
le montant de la subvention (ce qui est le cas sur la figure 10.3), alors le seul impact d’une
subvention affectée sur les quantités des deux biens achetés est entièrement lié à l’effet
revenu. Le résultat est exactement le même que s’il n’y avait eu aucune condition associée
Fédéralisme 253

Figure 10.3
Les effets de subventions affectées forfaitaires.

à la subvention. Si la quantité de bien public que la juridiction avait acheté en l’absence de


subventions affectées était plus faible que le montant de la subvention, alors une subven-
tion affectée augmenterait la quantité de bien public acheté jusqu’au niveau de la subven-
tion.
Des trois formes de subventions discutées, les subventions compensatoires permet-
tent clairement au gouvernement central d’en avoir pour son argent en affectant le choix
des dépenses publiques locales. Ce type de subvention est fidèle à la logique de rationali-
sation des externalités locales.
Une justification alternative à l’emploi des subventions intergouvernementales est
de compenser le différentiel de capacités budgétaires des juridictions locales. Considérons
l’exemple déjà mentionné sur la figure 10.1 et admettons que la raison pour laquelle la juri-
diction A souhaite acheter une quantité moindre de biens publics tient au fait que ses
citoyens disposent d’un revenu plus faible que dans les juridictions B et C. Selon la logique
de redistribution Pareto-optimale présentée dans le chapitre 3, les citoyens des juridictions
B et C peuvent retirer une utilité en transférant de l’argent à destination de la communauté
A. Un impôt proportionnel ou progressif sur le revenu combiné à une subvention fédérale
pour A pourrait alors ressembler à une redistribution Pareto-optimale.
254 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Si les citoyens du groupe A préfèrent des quantités de biens publics plus faibles que
ceux des groupes B et C (parce qu’ils sont par exemple plus pauvres que les citoyens de B
et C), la consommation de biens privés dans le groupe A devrait, alors, être plus faible que
dans les deux autres juridictions. Si les citoyens dans B et C désirent seulement que le
niveau de bien-être des citoyens de A augmente par l’intermédiaire de subventions inter-
gouvernementales, ils voteront, sans doute, pour la mise en œuvre d’une subvention géné-
rale. Une telle subvention permettrait aux citoyens du groupe A d’utiliser les fonds de la
manière qu’ils souhaitent, et donc d’affecter ces sommes aux biens publics et privés de
manière à maximiser leur niveau d’utilité. C’est la forme de subvention intergouverne-
mentale qui est la plus compatible avec le choix souverain du consommateur/citoyen. Ainsi,
la logique derrière la forme optimale de subvention intergouvernementale est complète-
ment renversée lorsqu’il s’agit d’atteindre une optimalité parétienne : là où les subventions
compensatoires sont préférables pour corriger les inefficacités produites des externalités
inter-juridictionnelles, les subventions générales sont optimales pour éliminer les externa-
lités interpersonnelles qui surviennent lorsque les résidents de juridictions riches prennent
en considération la situation des personnes qui résident dans des juridictions pauvres.
Parfois, il est avancé que les subventions intergouvernementales sont nécessaires
pour les juridictions à faible revenu, non seulement pour permettre à leurs citoyens d’amé-
liorer leur niveau de bien-être, mais aussi pour leur permettre d’augmenter leurs achats de
biens spécifiques fournis volontairement par le gouvernement. Les citoyens de juridictions
riches retirent seulement un niveau d’utilité en dehors de la consommation supplémentaire
de certains biens publics par les juridictions pauvres. L’éducation constitue un bon exemple
d’un tel bien spécifique. Si le groupe A peut produire de l’éducation sans en supporter l’in-
tégralité des coûts fiscaux, l’électeur médian de ce groupe choisira un niveau A2 d’éduca-
tion supérieur à celui qu’il aurait choisi en l’absence de subvention. Les citoyens des
juridictions B et C, de leur côté, considèrent qu’aucun enfant ne devrait recevoir moins
d’éducation qu’un niveau implicite B2 d’éducation. Si c’était le cas, les subventions fédé-
rales de nature compensatoire ou affectées en matière d’éducation versées aux juridictions
locales pourraient être nécessaires pour atteindre une optimalité parétienne.
Il existe d’autres facteurs qui affectent la nature et la taille des subventions inter-
gouvernementales mais plusieurs d’entre eux restent des hypothèses sur l’existence réelle
de telles subventions plutôt que des hypothèses sur leur justification normative. Analysons
ces différences dans la section suivante.

10.3.2 Validation empirique de l’existence de subventions


intergouvernementales
L’analyse des subventions intergouvernementales conduit à formuler des prévisions très
claires de leurs effets sur le niveau des dépenses publiques des gouvernements locaux. Si
le budget d’un gouvernement local correspond à 5 % du revenu des résidents, et si l’élas-
ticité-revenu de la demande de biens publics locaux est unitaire, alors 5 % de toute subven-
tion globale vers un gouvernement local devrait déboucher sur une croissance en dépenses
publiques locales, et le reste serait affecté à de la consommation privée et à l’épargne des
Fédéralisme 255

résidents, car dans ce cas de figure (subvention sans condition) seul l’effet revenu joue.
Cependant, cette prévision a été régulièrement invalidée dans la littérature empirique. La
hausse des dépenses publiques locales a été évaluée en moyenne entre 25 % et plus de
200 % du montant de la subvention accordée, avec une moyenne supérieure à 50 %. Fina-
lement, l’argent transféré du gouvernement central vers un gouvernement local reste « collé
au secteur public local ». Ce résultat est tellement récurrent qu’il a donné son nom à l’effet
« papier tue-mouche » (flypaper effect) 7.
La réfutation empirique de l’impact prévu des subventions gouvernementales a
donné lieu à une inflation de travaux ancrés dans la littérature du fédéralisme financier, qui
ont soit tenté de raffiner le modèle théorique pour l’adapter aux données empiriques, soit
tenté d’améliorer les données utilisées pour les faire correspondre au modèle théorique 8.
La littérature est si vaste qu’il serait impossible de l’analyser en profondeur. Nous nous
contenterons donc ici d’un double examen explicatif de l’effet flypaper et d’une discussion
critique des modèles économétriques mobilisés.
Une première explication de l’effet flypaper concerne un autre concept, celui de
l’illusion budgétaire – fiscal illusion – (Courant, Gramlich et Rubinfeld, 1979 ; Oates,
1979). Tanzi (1980) a établi que ce concept d’illusion budgétaire remontait aux travaux de
John Stuart Mill en s’appuyant sur les citations de Pareto. Mais c’est plutôt à l’économiste
italien Puviani (1897, 1903) que le mérite revient dans une première tentative d’inscrire
l’illusion budgétaire dans une théorie positive du gouvernement (voir la discussion dans
Buchanan, 1967, pp. 126-43). L’idée générale derrière ce concept repose sur le principe
qu’il existe certaines sources de recettes budgétaires qui ne sont pas complètement ou tota-
lement observées par les citoyens. Si l’argent provenant de telles sources est dépensé, un
grand nombre de citoyens bénéficieront des dépenses publiques correspondantes et soutien-
dront l’augmentation de dépenses publiques. Parce que les individus ne sont pas toujours
conscients des sources de telles dépenses publiques, ils ne perçoivent finalement pas le fait
qu’ils ont acquitté pour cela des impôts plus élevés ou qu’ils ont finalement renoncé à une
baisse d’impôts pour obtenir davantage de biens publics. Ainsi, les dépenses engagées par
des recettes dont l’origine n’est pas perçue par les citoyens en raison d’illusion budgétaire
devraient augmenter la popularité du gouvernement. Par ailleurs, les gouvernements en
place qui cherchent à être réélus ont une forte incitation à dépenser toute recette qui est
sujette à illusion budgétaire, voire même à chercher des recettes budgétaires qui présentent
une telle caractéristique. En ce qui concerne la problématique des subventions intergou-

7 L’impact des transferts forfaitaires sur la dépense locale est positif. Cela signifie que les transferts encouragent
les dépenses publiques locales. Ce problème est connu sous le nom de flypaper effect (expression de Gram-
lich et Galper, 1973). Rigoureusement, il correspond au fait qu’un euro de transfert supplémentaire induit une
augmentation de la dépense locale qui est supérieure à celle qui résulterait d’un euro de revenu supplémentaire
pour l’individu représentatif de l’Administration Publique Locale (APUL) considéré. Si l’agent représentatif
de l’APUL considéré dispose d’un euro de revenu supplémentaire, il va utiliser ce revenu supplémentaire pour
partie pour consommer davantage de biens privés mais également pour partie pour accroître ses dépenses et
sa demande de biens publics locaux. L’accroissement des transferts de l’État provoque ainsi une augmentation
des dépenses publiques. Kurnow (1963) et Gramlich (1977), dans leur revue de la littérature, dressent une liste
des augmentations estimées dans les dépenses locales qui correspondent en moyenne à 245 % du montant de
la subvention.
8 Pour des revues de la littérature, voir Gramlich (1977), Inman (1979), Fisher (1982), Heyndels et Smolders
(1994, 1995), Hines et Thaler (1995), Becker (1996) et Bailey et Connolly (1998).
256 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

vernementales, l’illusion budgétaire implique que les électeurs ne perçoivent pas que ces
subventions leur sont implicitement dédiées, plutôt qu’aux décideurs publics locaux, et
donc l’argent pourrait être alloué directement aux électeurs si les gouvernants décidaient
d’agir ainsi. L’ignorance des citoyens à la logique économique des subventions intergou-
vernementales explique donc cette illusion budgétaire. Cela revient à dire que l’illusion
budgétaire conduit les gouvernements locaux à dépenser une part plus importante des
subventions reçues dans le but de maximiser l’utilité des électeurs. Le gouvernement local
peut donc tirer un bénéfice de cette situation, ce qui explique le paradoxe de l’effet flypa-
per.
La partie précédente expliquant l’effet flypaper souligne la motivation des élus
locaux à augmenter leur popularité. Une seconde explication de l’effet flypaper met en
avant la motivation de dirigeants locaux non élus qui exercent des responsabilités bureau-
cratiques. Niskanen (1971) a formulé l’hypothèse que les bureaucrates cherchent à maxi-
miser la taille de leur budget. Sa théorie s’appuie sur l’existence d’asymétries
informationnelles où les décideurs publics locaux élus sont en déficience d’information par
rapport aux bureaucrates de leur administration qui possèdent cette information 9. À l’appui
de cette théorie économique de la bureaucratie, l’effet flypaper peut être expliqué de la
manière suivante : le gouvernement central alloue à un gouvernement local une subvention
spécifique pour un programme d’éducation. La subvention est moins importante que le
budget d’éducation actuel du gouvernement local et correspond donc à une subvention
générale qui devrait entraîner une faible hausse des dépenses publiques d’éducation. Les
bureaucrates en charge du budget local d’éducation tiennent à dépenser cet argent et profi-
tent de l’ignorance des élus locaux sur les coûts et bénéfices des programmes d’éducation
pour les convaincre que cet argent est réellement important pour améliorer la qualité des
programmes locaux d’éducation. Une part importante de cette subvention finit donc
comme un supplément dans le budget local dédié à l’éducation 10.
La prévision selon laquelle les subventions intergouvernementales auraient un
impact budgétaire modeste s’applique aux subventions générales et à la plupart des subven-
tions spécifiques (affectées). L’impact des subventions compensatoires pourrait être beau-
coup plus grand. Comme il n’est pas toujours facile de déterminer la nature des subventions
versées, certaines subventions compensatoires ont été prises en compte (à tort) dans les
études empiriques qui trouvent un effet flypaper. Cela reste une explication empirique
possible.
Une explication analogue consiste à avancer qu’une subvention spécifique pour-
rait implicitement être une subvention compensatoire (Chernick, 1979). Lorsque le gouver-
nement central décide d’allouer une subvention compensatoire d’éducation à un
gouvernement local, il présume que le gouvernement local dépensera davantage en éduca-
tion. Si le gouvernement local choisit d’utiliser l’essentiel de cette subvention pour réduire
le niveau d’imposition et non pour améliorer l’offre d’éducation, l’objectif du gouverne-
ment central ne sera pas atteint. Ce résultat pourrait réduire la probabilité qu’une telle
9 La théorie de Niskanen est discutée dans le chapitre 16, avec la théorie de Brennan et Buchanan (1980).
10 L’explication de Wilde (1968, 1971) de l’effet flypaper anticipe d’une certaine façon le modèle de Niskanen.
Schneider et Ji (1987) fournissent un support empirique pour l’explication fondée sur le pouvoir bureaucra-
tique en montrant que l’accroissement de la compétition entre gouvernements – qui réduit probablement le
pouvoir monopsonique de la bureaucratie – réduit l’étendue de l’effet flypaper.
Fédéralisme 257

subvention soit de nouveau versée à l’avenir. Si les membres du gouvernement local réali-
sent cela – et sinon, il est vraisemblable que les membres du gouvernement central les
sensibilisent à ce danger – alors ils traiteront la subvention spécifique comme une subven-
tion compensatoire et augmenteront leur budget d’éducation d’un montant supérieur à celui
garanti par l’effet revenu de la subvention elle-même. Il est donc préférable pour les élus
locaux d’obtenir des transferts du gouvernement central même s’ils doivent les dépenser en
éducation que de ne rien obtenir du tout.
Plusieurs critiques ont été adressées aux analyses économétriques cherchant à
estimer l’effet flypaper. Mais l’amélioration des techniques économétriques ne semble pas
suffisante pour éliminer cet effet 11. Peut-être que la critique la plus simple et probablement
la plus dévastatrice de la vérification empirique de l’effet flypaper est celle fournie par
Becker (1996). Elle consiste à éliminer l’effet flypaper en substituant une fonction loga-
rithmique à une fonction linéaire basique. Parmi les nombreux travaux économétriques,
l’impact de telles substitutions reste modeste au regard des conclusions tirées. En attendant
la confirmation des travaux de Becker avec d’autres bases de données, on doit toujours
conclure qu’une part significative d’une subvention fédérale entraîne une surconsomma-
tion de services publics locaux 12.

10.4 POURQUOI LA TAILLE DES GOUVERNEMENTS RESTE-T-


ELLE « TROP IMPORTANTE » OU « TROP PETITE »
DANS UN CONTEXTE FÉDÉRAL ?
Une large partie de la littérature public choice, à l’instar de l’effet flypaper, soutient d’une
manière ou d’une autre que le gouvernement grandit jusqu’à parvenir à une taille trop
importante, dans le sens qu’il atteint une taille plus grande que celle qui maximiserait l’uti-
lité de l’électeur médian, ou qui maximiserait certaines fonctions de bien-être définies sur
les utilités des membres de la juridiction. Cependant, il y a aussi plusieurs raisons de penser
que certaines portions du secteur public sont trop petites dans une démocratie. Ce danger
est particulièrement saillant dans un État fédéral avec une représentation géographique 13.
Pour illustrer comment les dépenses publiques peuvent être en même temps trop
importantes ou insuffisantes, considérons un État fédéral à deux niveaux. Au lieu d’admet-
tre que les préférences de l’électeur médian sont décisives, comme dans les deux premiers
modèles de ce chapitre, nous posons que les préférences de ceux qui gouvernent sont déci-
sives. L’objectif principal d’un politicien élu est d’être réélu à la prochaine élection. Plus le
gouvernement dépensera, plus les électeurs seront heureux et plus le candidat sortant
augmentera sa probabilité de réélection. Sous l’hypothèse que cette probabilité de réélec-
tion augmente avec un taux marginal décroissant, nous pouvons représenter graphiquement

11 Voir l’analyse et les tests de Wyckoff (1991).


12 Worthington et Dellery (1999) ont confirmé les résultats de Becker en utilisant les données sur les subventions
en Australie.
13 Downs (1961) était l’un des premiers à exprimer que, dans une perspective de choix publics, le gouvernement
pourrait être trop petit dans une démocratie.
258 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

respectivement sur les figures 10.4a et 10.4b l’évaluation marginale des dépenses engagées
par les élus locaux (M VL ) et les élus fédéraux (M VF ) (si nous avions considéré comme
décisives les préférences des bureaucrates maximisateurs de budget, alors les courbes
représenteraient les utilités marginales des bureaucrates locaux et fédéraux).
Alors que la dépense publique peut faire gagner des votes, augmenter le niveau
d’imposition peut, toutes choses égales par ailleurs, en faire perdre. Les droites MCL et
MCF sur les figures 10.4a et 10.4b représentent les coûts marginaux d’une popularité
réduite pour chaque recette supplémentaire nécessaire au financement des dépenses
publiques engagées aux deux niveaux de gouvernement. Si la constitution définit l’alloca-
tion de biens publics locaux aux gouvernements locaux et l’allocation de biens publics
nationaux aux gouvernements fédéraux, alors ces deux niveaux de gouvernement choisis-
sent d’offrir les quantités G 0L et G 0L où le gain marginal d’une augmentation de dépenses
sur la probabilité d’être réélu égalise juste la baisse de la probabilité d’être réélu suite à une
hausse des impôts.
Maintenant, considérons que les représentants à l’assemblée nationale sont géogra-
phiquement élus et que cette même assemblée est libre de fournir directement des biens
publics locaux ou d’allouer des subventions aux gouvernements locaux. Ces représentants
peuvent alors augmenter leurs chances d’être réélus en dépensant plus en biens publics
nationaux et en dépensant davantage en biens publics locaux. À partir de ce raisonnement,
représentons sur la figure 10.4b l’évaluation marginale d’une augmentation de dépenses
publiques locales pour ceux qui siègent à l’assemblée nationale.
L’évaluation marginale des dépenses au niveau fédéral pour des biens publics
locaux et nationaux est donnée par M VF + M VL . Le nouveau niveau de dépenses fédéra-
les totales, incluant les subventions versées au gouvernement local et la fourniture directe

Figure 10.4
Effets des subventions sur les dépenses du gouvernement dans un système fédéral.
Fédéralisme 259

de biens publics locaux est G TF , qui est la somme des dépenses du gouvernement central en
biens publics nationaux, G GF , et la somme des subventions ou dépenses directes locales,
G G (G G = G TF − G GF ). La production totale du gouvernement central augmente et ses
dépenses en biens publics nationaux baissent de G 0F à G GF . Le financement de biens publics
locaux en dehors des recettes fédérales a pour conséquence de « faire sortir » du budget
fédéral le financement de certains biens publics nationaux. Si G 0F était le niveau optimal de
dépenses des biens publics nationaux, alors le changement du financement de certains
biens à partir du budget du gouvernement local vers le niveau national aurait pour effet de
rendre trop petit le budget fédéral prévu pour le financement des biens publics nationaux 14.
En regardant cette fois du côté du gouvernement local (figure 10.4b), nous obser-
vons qu’une subvention G G fait déplacer le coût marginal du gouvernement local sur
MC LG . Le nouveau niveau de dépenses locales incluant la subvention est G GL . Même si nous
avions admis que la subvention était une subvention générale plutôt qu’une subvention
compensatoire, en autorisant le gouvernement local à couper certains impôts, la subvention
réduit son coût marginal d’achat de biens publics locaux et débouche sur une augmentation
des dépenses de biens publics locaux de G GL − G 0L , soit un montant qui excède celui que
nous aurions pu observer par le seul effet revenu 15.
Une comparaison des figures 10.4a et 10.4b révèle que l’effet net des transferts
intergouvernementaux sur la taille du secteur public est positif. La diminution des dépen-
ses consacrées aux biens publics nationaux, G 0F − G GF , est moindre que la hausse de dépen-
ses en biens publics locaux, G GL − G 0L . Un gouvernement fédéral avec représentation
géographique et subventions intergouvernementales peut conduire à un niveau de dépenses
inférieur au niveau optimal au niveau national et dépenser plus qu’il ne serait optimal à
l’échelle locale.
Grossman (1989a) a testé la prévision selon laquelle les subventions intergouver-
nementales entraînent un plus grand secteur public à partir de données comparatives et de
séries temporelles aux États-Unis 16. Son estimation comparative concernait l’année 1976-
77 et 48 États. Une des relations estimées était de la forme :

G = .036∗∗ + 6 × E −5∗∗ T R + 4 × E −6∗ Y + 1 × E −5∗∗ F T R + 3 × E −4 M F G


2
n = 48, R = .583 (10.9)
** = significatif à 5 %, * = significatif à 10 %.

14 Un modèle dans lequel la compétition politique mène des politiciens qui maximisent les voix à choisir des
quantités Pareto-optimales de biens publics est discuté dans le chapitre 12. Ce modèle prédirait que, si le
gouvernement central est chargé de financer des biens publics locaux, le bien-être va décliner. Ce résultat est
décrit dans la figure 10.4b.
15 La différence des résultats de ce modèle et de ceux du modèle simple des subventions utilisées dans la section
précédente est importante car le modèle simple suppose que les coûts marginaux d’acheter plusieurs biens
publics sont constants en l’absence d’une subvention compensatoire, alors qu’ici nous postulons que les coûts
marginaux des politiciens sont croissants.
16 Le modèle ci-dessus est une version simplifiée de celui présenté par Grossman. Pour un modèle de transferts
intergouvernementaux dans un système fédéral beaucoup plus élaboré, voir Renaud et van Winden (1991).
260 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Dans cette équation, G correspond aux impôts nationaux et locaux mesurés par une
portion du revenu personnel, TR correspond aux transferts d’État par habitant vers les juri-
dictions locales, FTR correspond aux transferts fédéraux par habitant vers l’État, et MFG
correspond à la taille de la population divisée par le nombre de gouvernements locaux dans
l’État (c’est-à-dire les villes et les comtés). La troisième variable n’était pas significative-
ment différente de zéro, mais les deux autres l’étaient. Le signe positif du coefficient
associé à TR indique qu’une augmentation dans la taille du secteur public dans un État en
proportion du montrant des transferts est passé du gouvernement de l’État aux gouverne-
ments locaux. Le signe positif de FTR illustre la présence d’un effet flypaper. L’estimation
de Grossman implique une élasticité des dépenses de l’État (en dehors de toute subvention
fédérale) de 31 %. En prenant en compte les dépenses engagées au plan fédéral, de l’État
et des juridictions locales, les séries temporelles de cette étude confirment l’hypothèse
selon laquelle les transferts intergouvernementaux dans un système fédéral entraînent un
accroissement de la taille du secteur public 17.
Une forme un peu différente de perte sociale survient lorsque deux gouvernements
se font concurrence pour fournir le même service. Cela rejoint le fameux problème de « pot
commun » lorsque deux gouvernements surexploitent l’ensemble des ressources fiscales
des contribuables 18.

Tableau 10.1
Répartition des dépenses de l’Union européenne par catégorie fonctionnelle, 1985-1995 (en %).

1985 1995
Redistribution Agriculture et pêche 72,9 53,6
Politique régionale 5,9 13,6
Politiques sociales 5,7 11,9
Efficacité allocative Recherche, énergie, transport 2,6 5,6
Relations extérieures . 6,2
Coûts administratifs 4,6 5,1
Divers 4,4 4,5

Source : Goodman, 1996, pp. 101, 105-06.

Il existe une importante littérature aux États-Unis qui a discuté la possibilité que
les gouvernements locaux transfèrent au plan national le financement de projets locaux
créant de facto un effet d’éviction sur les intérêts nationaux 19. Cependant, l’Union euro-
péenne fournit un exemple encore plus illustratif de ce phénomène. Le Conseil européen
est l’organe de décision le plus important de l’Union européenne et tient régulièrement des
rencontres à Bruxelles. Chaque État membre est représenté au Conseil par des délégués
17 Bien que Grossman ne teste pas explicitement la présence d’un effet d’éviction (crowding out), le fait qu’une
des prédictions de son modèle était confirmée, nous porte à croire que ses autres implications ont des chances
d’être observées dans ses données.
18 Voir les modèles et les preuves empiriques fournies par Flowers (1988), Mingué (1997) et Wrede (1999).
19 Voir, par exemple, Ferejohn (1974) et Fiorina (1977a).
Fédéralisme 261

désignés par chaque gouvernement national. Ainsi, au sein de l’organe décisionnel le plus
important en Europe, une forme de représentation géographique, à l’instar des États-Unis,
existe.
Le Conseil fait face à une contrainte budgétaire très forte. Son financement
provient des contributions des États membres qui sont déjà poussés au maximum de leurs
capacités de financement par un niveau d’imposition nationale (voir chapitre 22). Le
montant du budget européen représente moins de 3 % du PIB de l’Union européenne.
Donc, si tout programme public local – c’est-à-dire, dans le cas européen, national – trouve
un chemin dans le budget européen, il existe un risque élevé d’effet d’éviction dans la
consommation du bien public « européen ».
D’un autre côté, les décisions prises au sein du Conseil européen étaient prises à
l’unanimité jusqu’en 1991. À partir de la discussion engagée dans le chapitre 4, on aurait
pu s’attendre à ce qu’une telle règle de décision ait écarté du budget européen les biens
publics locaux et toute forme de redistribution involontaire. Mais ce ne fut pas le cas. À la
place, le Conseil semble avoir pratiqué le même type d’universalisme que celui observé au
sein du Congrès américain. Le tableau 10.1 sépare les principales dépenses de l’Union
européenne entre deux années (1985 et 1995). Les dépenses qui étaient purement ou large-
ment redistributives représentaient environ 85 % du budget de l’Union européenne en 1985
et 80 % en 1995. Les activités qui pouvaient être facilement identifiées comme possédant
des propriétés de bien public représentaient seulement 2,6 % du budget européen en 1985.
Même si les dépenses de relations extérieures (aide aux pays non-membres de l’UE) étaient
comptabilisées comme des dépenses de redistribution Pareto-optimales (efficacité alloca-
tive), les dépenses pour améliorer l’efficacité allocative n’atteignaient que 11,2 % du
budget européen en 1995.
Aujourd’hui, le poste budgétaire le plus important du budget européen concerne
les subventions accordées aux agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune.
On peut avancer qu’à l’échelle nationale, cela pourrait constituer une forme de redistribu-
tion Pareto-optimale. Les citoyens français retirent une utilité à voir leurs agriculteurs
subventionnés, et sont donc disposés à payer des prix plus élevés pour les produits agrico-
les et acquitter des impôts plus élevés pour financer de telles subventions. Il est toutefois
difficile d’appuyer cet argument au niveau de l’Union européenne. Pour aller dans ce sens,
on devrait considérer qu’un citoyen moyen, par exemple portugais, retire une certaine
utilité à l’amélioration du sort des agriculteurs français – même si l’agriculteur français
moyen est plus riche que le citoyen moyen portugais. La prédominance de la politique
redistributive agricole dans le budget européen repose sur la même logique de politique
clientéliste qui a conduit à subventionner les grandes exploitations agricoles aux États-
Unis. Chaque agriculteur européen peut imposer des coûts politiques suffisamment impor-
tants auprès de leurs décideurs nationaux pour les forcer à s’engager dans des opérations
de lobbying et ainsi obtenir de substantielles subventions.
Étant donné l’échelle de redistribution au sein de l’UE et la taille du budget, il ne
reste guère de marges de manœuvre pour financer des biens publics européens qui devaient
justifier l’existence de l’UE – tels que la défense et la politique étrangère. En admettant
qu’il existe certains biens publics européens, les politiques de redistribution de l’UE, favo-
risées par la structure politique confédéraliste avec représentation géographique, ont
262 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

débouché sur des dépenses trop faibles dans le domaine qui justifiait l’existence de l’UE, à
savoir la fourniture de ces biens publics.

10.5 LE PROBLÈME DE LA CENTRALISATION


DANS UN CONTEXTE DE FÉDÉRALISME
La constitution de la République fédérale allemande de 1949 a de fait créé une république
fédérale. La constitution a attribué des sources spécifiques de recettes fiscales aux gouver-
nements régionaux (Länder), telles que l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, ou
encore l’impôt sur la fortune et les droits de succession. En 1950, environ 40 % de l’en-
semble des recettes fiscales étaient prélevées par les gouvernements régionaux et locaux.
Depuis 1995, ce chiffre a chuté à seulement 7 % car le gouvernement fédéral s’est emparé
de toutes les principales sources de recettes fiscales (Blankart, 2000).
En 1929, les dépenses du gouvernement fédéral américain représentaient moins de
la moitié des dépenses des États et des juridictions locales. Aujourd’hui, elles sont 50 %
plus grandes que les dépenses des États et des juridictions locales 20.
Ce processus de centralisation des finances publiques s’est répété et encore répété
dans plusieurs pays. Ce phénomène est si commun que certains Européens l’ont baptisé Loi
de Popitz en référence au chercheur allemand qui avait souligné « la force d’attraction du
gouvernement central » il y a plus de 70 ans 21.
Dans le travail de Blankart (2000) qui rend compte de l’application de la loi de
Popitz au cours de la seconde moitié du vingtième siècle en Allemagne, les membres élus
des Länder étaient prêts à se rendre complices de ce processus qui dépouille leurs gouver-
nements de leur autorité en matière d’imposition. Le gouvernement central a effectivement
contribué à l’organisation d’un cartel parmi les Länder pour éliminer la concurrence fiscale.
La description donnée par Grossman et West (1994) du processus de centralisation
au Canada sur la même période est très semblable à celle décrite par Blankart pour l’Alle-
magne. Un cartel de provinces canadiennes en accord avec le gouvernement central a signi-
ficativement réduit les différences de taux de taxation parmi les provinces. Pour réduire la
pression concurrentielle que le vote par les pieds a introduite dans les provinces, un méca-
nisme de péréquation du gouvernement central vers les provinces a été mis en place.
La constitution de cartels parmi les niveaux inférieurs de gouvernement destinés à
éliminer la concurrence fiscale et la migration ne permet pas seulement de centraliser l’ac-
tivité gouvernementale ; cela contribue à accroître la taille des provinces. Les mécanismes
à l’œuvre sont pour beaucoup identiques à ceux décrits plus tôt à propos de l’effet des
subventions intergouvernementales sur la taille du gouvernement. Grossman et West ont
montré empiriquement qu’il existe un lien entre l’activité de centralisation du gouverne-
ment au Canada et la croissance du secteur public dans son ensemble. Blankart fournit une
validation indirecte pour l’Allemagne sous la forme d’une comparaison entre l’Allemagne

20 Voir tableau 21.1.


21 Voir la discussion dans Vaubel (1994) et Blankart (2000).
Fédéralisme 263

et la Suisse. Alors que les sources de recettes gouvernementales sont devenues dramati-
quement plus centralisées en Allemagne depuis la Seconde Guerre mondiale, elles sont
devenues de plus en plus décentralisées en Suisse. Durant la même période, le secteur
public allemand a grossi 20 pourcent plus vite qu’en Suisse 22.
L’exemple de la Suisse montre que la loi Popitz peut parfois être révoquée.
Plusieurs caractéristiques des institutions politiques helvétiques aident à comprendre ce
résultat. Les citoyens suisses sont capables d’adresser une pétition pour un référendum
dans le but de réexaminer toute décision majeure de leurs élus. Ces référendums ont
souvent été utilisés pour condamner les augmentations de dépenses ou de taxation. Certai-
nes juridictions locales continuent de recourir à la démocratie directe, éliminant ainsi la
possibilité que ceux qui sont au gouvernement de substituer leurs préférences en ce qui
concerne les programmes du gouvernement pour celles des citoyens. Plus important, les
citoyens suisses ont régulièrement résisté aux tentatives d’affaiblissement de leur contrôle
direct sur le gouvernement, à l’instar de leur rejet répété d’entrer dans l’Union euro-
péenne 23.
Potentiellement, la constitution peut aussi aider à préserver une structure fédéra-
liste décentralisée en attribuant clairement différentes fonctions et sources de revenus à
différents niveaux de gouvernement. Une telle attribution était déjà présente dans la cons-
titution allemande de 1949. Cependant, elle fut simplement amendée pour accommoder le
processus de décentralisation, comme dans le cas canadien (Blankart, 2000 ; Grossman et
West, 1994, p. 22). La section 8 de la constitution américaine attribue au gouvernement
fédéral une liste courte et plutôt spécifique de fonctions, excepté la première de la liste -
« assurer la défense commune et le bien-être social des États-Unis ». Cette attribution cons-
titutionnelle de fonctions a réussi à empêcher le gouvernement central d’empiéter sur les
compétences des États et des gouvernements locaux depuis plus d’un siècle et demi,
jusqu’à ce que la constitution soit amendée par une réinterprétation juridique dans les
années 1930.
La leçon que l’on peut tirer de ces exemples est qu’une attribution constitution-
nelle de fonctions doit être accompagnée de procédures qui rendent difficile l’amendement
de la constitution, et que la justice doit être ferme dans son interprétation de la constitution
pour s’assurer que les objectifs de la structure fédérale ne soient pas contournés 24.

22 Voir tableau 21.2.


23 Pour une plus longue discussion sur le cas suisse, voir Frey (1994). Vaubel (1996) trouve dans une comparai-
son internationale que les référendums sur les hausses de fiscalité fédérale empêchent le retour à la centrali-
sation. Il identifie plusieurs autres facteurs qui réduisent le risque de centralisation, entre autres l’âge de la
Cour constitutionnelle.
24 Ackerman (1998) raconte les événements des années 1930 qui ont supprimé les obstacles constitutionnels à
l’expansion des activités du gouvernement fédéral. Aranson (1992 a,b) décrit comment la Cour suprême a
essayé vaillamment, mais au final sans succès, de protéger le fédéralisme des attaques du Congrès. Voir aussi
Niskanen (1992). Filippov, Ordeshhok et Shvestova (2001) sont très sceptiques sur le potentiel constitution-
nel d’attribution de compétences des fonctions gouvernementales pour protéger le fédéralisme.
264 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Les travaux classiques sur le fédéralisme en économie et science politique, en dehors de The Fede-
ralist lui-même, sont l’œuvre de Riker (1964), Elazar (1966), Friedrich (1968), Oates (1972) et
Breton et Scott (1978).
Pour une revue récente de la littérature en économie/théorie des choix publics, voir Inman et Rubin-
feld (1997).
Gilette (1997) offre une discussion générale sur le problème d’attribution de compétences et sur les
conflits entre niveaux de gouvernement qui surviennent dans un système fédéral.
Strumpf et Oberholzer-Gee (2000) montrent empiriquement que la présence de groupes géographi-
quement concentrés avec des préférences élevées peut influencer l’attribution de compétences dans
un système fédéral.
Filippov, Ordeshook et Shvestova (2001) analysent le problème de limitation de l’instabilité politique
dans les systèmes fédéralistes.
On peut par ailleurs consulter trois ouvrages majeurs sur la question du fédéralisme :
– Boadway Robin et Anwar Shah (2009). Fiscal Federalism : Principles and Practice of Multiorder
Governance. Cambridge : Cambridge University Press.
– Rodden Jonathan A., Gunnar S. Eskeland et Jennie Litvack (2003). Fiscal Decentralization and the
Challenge of hard Budget Constraints. MIT Press.
– Rodden Jonathan A. (2006). Hamilton’s Paradox : The Promise and Peril of Fiscal Federalism.
Cambridge : Cambridge University Press.

En français, Guy Gilbert (1996) propose une revue très exhaustive des problèmes microéconomiques
sous-jacents au fédéralisme financier.
Gilbert Guy (1996). « Le fédéralisme financier, perspectives de microéconomie spatiale », Revue
économique 47(2) : 311-63.
Autres références francophones :
Mueller D.C. (1995, p. 784), « Fédéralisme et Union européenne : une perspective constitution-
nelle« , Revue d’économie politique, vol. 105, pp. 779-805.
Rocaboy, Y. (1994). « L’influence des subventions sur la dépense publique locale », Revue d’écono-
mie politique, 54(4), juillet-août, pp. 589-603.
Josselin J.M. et Marciano A. (2002), « Les relations de mandat dans les systèmes constitutionnels.
Approche théorique et application au cas européen », Revue d’économie politique, 112 (6), nov.-
déc., pp. 921-941.
Gilbert G. (1996), La péréquation financière entre les collectivités locales, Paris, PUF.
Alain Guengant, (2001) « Économie spatiale et économie publique », Cahiers d’économie et socio-
logie rurales, 58-59, pp. 59-79.
11
THÉORIE DU VOTE DÉTERMINISTE

11.1 Les résultats dans un système bipartite 266


11.2 La compétition entre deux partis dans un espace politique sous contraintes 273
11.3 Assouplissement des conditions du modèle de Downs 278
11.4 Tester l’hypothèse de l’électeur médian 281
11.5 Est-ce que les dépenses publiques locales sont des biens publics ou privés ? 284
266 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Les politiciens n’ont ni amour ni haine. Ils sont gouvernés par les intérêts et non
les sentiments.
Earl of Chesterfield.

Avec un grand nombre d’électeurs et d’enjeux, la démocratie directe est impossible. Même
pour des groupes suffisamment petits où chaque individu peut se réunir et décider des
enjeux – disons un groupe de 500 – il est impossible pour tous les individus de présenter
leur propre opinion, si brève soit-elle, sur chaque enjeu. Ainsi, le « problème du président
de séance » est de choisir des individus pour représenter les positions de la plupart des indi-
vidus du groupe (de Jouvenel, 1961, fr. 2005). Quand un groupe est trop grand pour se
réunir, des représentants doivent être choisis par d’autres moyens.
La littérature sur la théorie des choix publics s’est concentrée sur trois aspects de
la démocratie représentative : le comportement des représentants durant une campagne
électorale et, par la suite, lors de l’exercice de leurs fonctions ; le comportement des élec-
teurs lorsqu’ils choisissent leurs représentants ; et les résultats caractéristiques d’une démo-
cratie représentative. La théorie des choix publics suppose que les représentants, tout
comme les électeurs, sont des agents économiques rationnels qui maximisent leur utilité.
Bien qu’il soit naturel de supposer que l’utilité puisse être une fonction du panier de biens
publics et de services consommés, il n’est pas aussi évident de formuler les « conditions
naturelles » qui décrivent la maximisation de l’utilité du représentant. L’hypothèse fonda-
mentale de la théorie de Downs (Downs, 1957, p. 28) est que « les partis proposent des
politiques en vue de gagner leur élection, et non de gagner les élections en vue de mettre
en œuvre des politiques ». Son étude fut la première à explorer systématiquement les impli-
cations de ce postulat. La littérature s’est ensuite développée à l’intérieur de ce cadre 1.
La littérature en théorie des choix publics et en science politique s’est principale-
ment concentrée sur la démocratie représentative puisqu’elle constitue le mode d’expres-
sion politique dominant. Bien que plusieurs enjeux abordés dans la littérature aient été
décrits ici dans le contexte d’un modèle basé sur la démocratie représentative, lorsque nous
faisons référence aux comités, nous employons ce terme dans le sens d’une assemblée de
représentants et nous faisons référence aux coalitions au sens de partis politiques. Plusieurs
des problèmes et résultats déjà discutés ici se rapportent presque directement à la démo-
cratie représentative. Ainsi, le lecteur ne s’étonnera pas de voir réapparaître les notions
d’électeur médian, de théorie des cycles et de marchandages de votes.

11.1 LES RÉSULTATS DANS UN SYSTÈME BIPARTITE


Hotelling, en 1929, présenta pour la première fois la théorie de l’électeur médian comme
étant le résultat d’une démocratie représentative bipartite. Cet article est une des sources
d’inspiration des travaux de Downs et plus directement de Black. En effet, il pourrait être
considéré comme l’article pionnier de la théorie des choix publics principalement parce

1 Pour un argumentaire documenté en faveur du postulat de la maximisation du vote, voir Mayhew (1974).
Théorie du vote déterministe 267

qu’il fut le premier à utiliser les outils de la science économique pour analyser le proces-
sus politique.
Dans le modèle de Hotelling-Downs, les opinions politiques sont représentées
comme étant divisées selon un continuum libéral-conservateur (gauche-droite). Il est
supposé que chaque électeur préfère que son candidat ou son parti 2 se positionne d’une
certaine manière sur ce continuum. Plus le candidat est éloigné de cette position, moins
l’électeur souhaitera son élection ; le modèle Hottelling-Downs suppose ainsi des préfé-
rences unimodales. La figure 11.1 montre une distribution de fréquence de positions préfé-
rées pour les candidats. Nous supposons dans un premier temps que cette distribution de
fréquence est unimodale et symétrique.

Nombre
de votants

Positions des candidats

Nombre
de votants

Nombre
de votants

Figure 11.1
Représentations de l’électeur médian avec une compétition bipartite.

2 Le mot « candidat » ou « parti » peut être utilisé de manière interchangeable, ce qui implique que lorsque nous
discutons de partis, ils prennent une position unique aux yeux des électeurs.
268 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Si chaque électeur vote et qu’il vote pour le candidat qui se situe le plus près de
ses préférences, L reçoit tous les votes des individus qui se situent à gauche du point X, le
point médian du segment LR. R reçoit tous les votes à droite du point X. Si L et R sont les
positions que les deux candidats prennent, R va gagner. L peut augmenter son total de votes
en se rapprochant de R, déplaçant X à droite, le contraire est aussi vrai pour R. Chaque
candidat est ainsi poussé vers la position préférée de l’électeur médian. La logique de cet
argument est la même que celle décrivant la victoire de l’enjeu favorisé par l’électeur
moyen puisque dans le modèle Hotelling-Downs il n’existe qu’un seul enjeu, le position-
nement à droite ou à gauche du vainqueur final. Les conditions qui sous-tendent ce résul-
tat initial sont si irréalistes (un seul enjeu ; une distribution de préférences unimodales et
symétriques ; tous les individus votent ; deux candidats en concurrence) que plusieurs cher-
cheurs se sont naturellement décidés à examiner les conséquences d’un assouplissement de
ces conditions. Dès lors que tous les électeurs votent, les électeurs positionnés entre la posi-
tion d’un candidat et le point le plus extrême pris par l’autre candidat sont « forcés » de
voter pour lui. Ainsi, le candidat peut tenter d’aller chercher les votes de l’autre candidat
en « envahissant son espace », et ce processus va se poursuivre jusqu’à ce que les deux
convergent vers l’électeur médian.
Smithies (1941) a toutefois montré dans une première extension du modèle de
Hotelling que les électeurs pourraient décider de laisser tomber un candidat s’il s’éloigne
trop de leur propre position pour voter pour un autre (troisième) candidat ou simplement ne
pas voter du tout. Deux hypothèses raisonnables à propos de l’abstention sont que (1) les
positions des candidats peuvent être trop rapprochées pour rendre le vote profitable (indif-
férence), et que (2) le candidat le plus près est toujours trop loin pour rendre le vote atti-
rant (aliénation). Soit Pj la plateforme du candidat j, Pi∗ est le point idéal (plateforme) pour
l’électeur i, et Ui (Pj ) est la fonction d’utilité de l’électeur i pour une plateforme j ; alors,
nous pouvons définir formellement l’indifférence et l’aliénation comme suit :
Indifférence : l’électeur i vote si et seulement si |Ui (P1 ) − Ui (P2 )| > ei pour tout ei > 0 .

Aliénation : l’électeur i vote si et seulement s’il existe certains δi > 0 , tels que
 
Ui (P ∗ ) − Ui (Pj ) < δi , pour j = 1 ou 2.
Les termes ei et δi sont des constantes spécifiques à l’électeur qui détermine s’il
vote ou non.
Si la probabilité qu’un électeur ne vote pas est une fonction croissante de la proxi-
mité de deux candidats, un mouvement vers le centre d’une distribution de préférences
symétriques a un effet symétrique sur le nombre total de votes total pour chacun des candi-
dats. L’attraction vers le médian demeure et le point d’équilibre reste le médian. L’indiffé-
rence n’influe pas sur ce résultat. Si la probabilité qu’un électeur s’abstienne est une
fonction croissante de la distance des candidats avec sa position favorite, le candidat est
attiré vers l’électeur modal. Cependant, si la distribution est symétrique et unimodale, la
médiane et le mode vont se confondre et le résultat de l’électeur médian ne changera pas.
Ainsi, ni l’indifférence ni l’aliénation – ensemble ou pris séparément – n’influenceront la
tendance des deux candidats à converger vers la position préférée de l’électeur médian
Théorie du vote déterministe 269

quand la fréquence de distribution des préférences de l’électeur est symétrique et unimo-


dale (Davis, Hinich et Ordeshook, 1970).
La tendance à se conformer aux préférences de l’électeur médian peut être affai-
blie si la distribution des préférences de l’électeur est soit asymétrique soit multimodale. Si
la distribution est asymétrique mais unimodale, la position optimale pour chaque candidat
est de s’approcher du mode si les électeurs s’aliènent lorsque les candidats s’éloignent de
leur position (Comanor, 1976). Nous pouvons observer ce phénomène sur la figure 11.1b.
Supposons que chacun des candidats est au point M, la médiane de la distribution. Un
déplacement vers X réduit la probabilité que les électeurs situés dans la région hachurée à
droite du point M ne votent pour lui. Ce déplacement va aussi accroître la probabilité que
les électeurs dans la région hachurée à gauche de X votent pour lui de manière proportion-
nelle (les deux régions hachurées ayant la même superficie). Puisqu’il y a plus d’électeurs
dans la région à gauche de X que dans la région à droite de M, l’effet net de ce mouvement
vers le mode, en ne considérant que l’effet d’aliénation, va augmenter la probabilité de
voter en faveur d’un candidat. Toutefois, puisque M est la médiane, le même nombre
d’électeurs doit être distribué à droite et à gauche de ce point. L’effet d’aliénation sur le
nombre de votes d’un candidat doit dominer l’effet causé par le déplacement depuis M.
Comme Comanor (1976) l’a toutefois montré, la distance entre la médiane et le mode n’est
probablement pas assez grande pour provoquer un déplacement significatif attribuable à
l’effet d’aliénation par rapport à la position prédite d’un candidat sous l’hypothèse de
l’électeur médian.
La figure 11.1c montre une distribution symétrique binomiale. Comme on peut
l’anticiper, la présence de l’effet d’aliénation peut, à travers la même logique précédem-
ment exposée, éloigner le candidat de la médiane pour le rapprocher des deux modes
(Downs, 1957, pp. 118-22). Cela n’est toutefois pas nécessaire, si l’effet d’aliénation est
faible, le résultat (médian) peut rester inchangé ou ne produire aucune stratégie stable ;
voilà la force du mouvement vers le centre dans un système bipartite où il y a un seul
gagnant (winner-take-all) (Davis et al., 1970).
Un éparpillement des candidats peut se produire si les élections comportent deux
étapes : une compétition pour la désignation des candidats à l’intérieur des partis et une
compétition entre les partis. Pour remporter la course à la désignation à l’intérieur d’un
parti, le candidat est attiré vers la position médiane du parti ; alors que si le candidat veut
gagner les élections, il est de nouveau attiré vers la médiane de la population. Si la position
de l’autre candidat est considérée comme fixe, nous nous retrouvons dans un jeu avec une
stratégie Cournot, avec des équilibres généralement situés entre la médiane du parti et de
la population (Coleman, 1971, 1972 ; Aranson et Ordeshook, 1972 ; Calvert, 1985).
Dans le chapitre 5, nous avons vu qu’une distribution unimodale assure un équili-
bre majoritaire si les enjeux peuvent être résumés par une seule dimension. Dans cette
situation, l’unimodalité des préférences assure que le critère d’équilibre parfait de Plott sera
atteint pour un résultat respectent la préférence de l’électeur médian. Mais la condition
d’unimodalité n’assure pas l’existence d’un équilibre quand nous nous déplaçons vers plus
d’une dimension. Le lecteur ne sera toutefois pas surpris d’apprendre que même les résul-
tats concernant l’instabilité des équilibres sous une règle majoritaire dans un espace multi-
dimensionnel peuvent être directement reportés dans la littérature sur la démocratie
270 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

représentative. Le problème auquel fait face un candidat en proposant une plateforme


multidimensionnelle qui l’emporte sur les autres plateformes est identique au problème de
trouver un enjeu qui l’emporte sur tous les autres enjeux dans un espace multidimension-
nel.
Si nous combinons les hypothèses de distribution multimodale et de présence
d’aliénation, nous pouvons envisager la situation dans laquelle un candidat présentant une
plateforme comportant des positions extrêmes sur plusieurs enjeux obtiendrait tout de
même l’appui d’un nombre suffisant de minorités pour battre le candidat qui se positionne
sur la médiane de toutes les positions. Quand cela arrive, une minorité qui appuie un candi-
dat pour la position que ce dernier prend sur quelques enjeux clés indépendamment de ses
positions sur d’autres enjeux vise au fond à échanger son vote sur certaines questions pour
lesquelles ces minorités ont une préférence forte par rapport à d’autres enjeux 3.
Malheureusement, la possibilité de marchander son vote produit régulièrement des
cycles d’alternance. Considérons les préférences des électeurs dans le tableau 11.1. Suppo-
sons maintenant que les deux candidats jouent leur élection sur trois enjeux. Si le premier
prend position en faveur des trois (un résultat qui maximise le gain net en utilité pour tous
les électeurs), il peut tout de même être battu par un candidat qui est en accord avec deux
enjeux et qui s’oppose à un troisième (disons, PPF), puisque deux des trois électeurs béné-
ficient toujours de la défaite d’un enjeu. Cependant, PPF peut être battu par PFF et PFF
peut aussi l’être par FFF. Mais les trois électeurs préfèrent PPP à FFF, le cycle est donc
complet. Chaque plateforme peut être battue.
Dans une élection unique, les candidats ne peuvent pas changer plusieurs fois leur
plateforme, l’alternance n’est donc pas probable. À travers le temps, il se peut toutefois que
cela arrive. Dans la mesure où les candidats sortants sont obligés de choisir leur plateforme
« initiale » en premier, les adversaires ont l’avantage de choisir en deuxième, et donc
d’opter pour la plateforme gagnante. S’il y a alternance dans un système biparti, nous
pouvons nous attendre à ce que le candidat sortant perde continuellement (Downs, 1957,
pp. 54-62) 4.

Tableau 11.1

Électeur
Enjeu A B C
I 4 –2 –1
II –2 1 4
III –1 4 –2

3 Downs (1957, pp. 132-7) ; Tullock (1967a, pp. 57-61) ; Breton (1974, pp. 153-5). Notez que cette forme
d’échange de faveurs est encore plus facile à envisager quand les enjeux sont multidimensionnels. Quand cela
arrive, nous n’avons pas besoin de considérer l’hypothèse d’aliénation pour avoir une stratégie dominante de
marchandage.
4 Bien sûr, un des avantages d’être le candidat sortant est qu’il peut réécrire les lois électorales en sa faveur.
Théorie du vote déterministe 271

Ainsi, nous devons encore une fois faire face au problème de l’instabilité politique
issue d’une représentation politique qui prend la forme de tourniquet (revolving-door). On
peut toutefois s’interroger sur le bien-fondé d’une telle conjecture. Bien qu’il soit difficile
d’identifier des cycles dans l’activité d’un comité, la prédiction voulant que le candidat du
parti sortant soit fréquemment battu est facilement testable. Dans le tableau 11.2, les
données présentées montrent la fréquence avec laquelle le candidat du parti sortant est
défait dans une élection au poste de gouverneur. Puisque le candidat du parti qui détient le

Tableau 11.2
Résultats électoraux et taux de croissance, 1775-1996.

Nombre Part de changement Part de vote du Différence entre les Total parti
Période
d’élections du parti parti vainqueur 2 premiers partis minoritaire
1775-93 41 0,273 0,708b 0,489b 0,073b
1794-1807 85 0,133b 0,700b 0,426b 0,026
1808-19 95 0,211 0,637b,c 0,297c 0,022b
1820-34 163 0,190b 0,675b 0,406b,c 0,055b
1835-49 201 0,292c 0,551b,c 0,142b,c 0,039
1850-59 156 0,296 0,541b 0,137b 0,056b
1860-69 176 0,260 0,627b,c 0,271c 0,017b,c
1870-79 167 0,259 0,571b,c 0,177b,c 0,035
1880-89 160 0,244 0,580 0,196 0,036
1890-99 178 0,290 0,551b,c 0,172b 0,070b,c
1900-09 184 0,143b,c 0,588c 0,218c 0,043c
1910-19 185 0,315c 0,565b 0,215 0,085b,c
1920-29 187 0,211c 0,619c 0,269b 0,031c
1930-39 180 0,320c 0,608 0,248 0,032
1940-49 178 0,243 0,633b 0,272 0,010b
1950-59 173 0,236 0,612 0,232 0,009c
1960-69 156 0,372b,c 0,568b,c 0,146b,c 0,010b
1970-79 151 0,391b 0,596 0,160b 0,024b
1980-89 120 0,325 0,569 0,160 0,018b
1990-96 103 0,379b 0,565 0,175b 0,040
1775-1996 3039 0,273 0,596 0,226 0,037

a Ajusté en supprimant chaque première élection dans chaque État, car aucun changement ne peut être observé pour cette première élection.
b Statistiquement significatif à 5 % par rapport à la moyenne du reste de l’échantillon.
c Statistiquement significatif à 5 % par rapport à la moyenne du sous-échantillon précédent.
Source : Glashan (1979) ; Mueller (1982) ; Election Research Center (1985) ; Scammon, Gillivray et Cook (1998) et Congressional Quarterly
(1998).
272 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

poste de gouverneur doit, dans une certaine mesure, s’appuyer sur la plateforme du candi-
dat sortant, la théorie de l’alternance prédit que le candidat sortant sera battu, que ce soit la
même personne ou non qui se présente (c’est l’appartenance partisane qui prime ici).
En plus de la prédiction que la probabilité de changement de gouvernement est
unitaire, deux autres hypothèses « naïves » peuvent être mises en avant :
1. Hypothèse aléatoire : les élections sont des événements aléatoires, peut-être parce
que les électeurs ne prennent pas le temps de recueillir de l’information à propos
des candidats en raison de mesures incitatives trop faibles. Cette hypothèse nous
amène à prédire que la probabilité de changement du parti d’un gouverneur dans
le système bipartite étatsunien est d’une chance sur deux 5.
2. Hypothèse de la conspiration : les candidats sortant peuvent manipuler le système
ou les préférences de l’électeur pour qu’ils ne soient jamais battus. La probabilité
qu’il soit battu est nulle.

Figure 11.2
Électorat avec trois votants avec un triangle équilatéral comme ensemble Pareto-optimal.

Depuis la naissance de la République étatsunienne, le parti du gouverneur sortant


a échoué à reconquérir son siège à peine plus d’une fois sur quatre. Même si la fréquence
de changement du parti au pouvoir a augmenté depuis les années 1960, aucune décennie
n’a vu un parti d’opposition dépasser la barre des 40 % pour remporter une élection du
gouverneur. En moyenne dans l’histoire, les élections américaines au poste de gouverneur
ont eu un taux de rotation qui se situe à mi-chemin entre des élections qui seraient truquées
au profit du parti sortant et un résultat aléatoire. L’hypothèse du tourniquet dans la théorie

5 À certaines périodes de l’histoire américaine, quelques États ont eu plus de deux partis avec des candidats en
course pour le poste de gouverneur, impliquant une probabilité de changement légèrement en dessous de 0,5.
Théorie du vote déterministe 273

des cycles est rejetée de manière retentissante 6. Avec le résultat des comités de vote, la
question de Tullock « Why so much stability ? » reste pleine d’acuité.

11.2 LA COMPÉTITION ENTRE DEUX PARTIS


DANS UN ESPACE POLITIQUE SOUS CONTRAINTES
11.2.1 L’ensemble découvert
Une explication de l’apparente stabilité des politiques électorales, du moins à ce qu’on peut
en juger par les résultats de politiques observés, peut être que les candidats ne choisissent
pas leur plateforme parmi toutes les politiques réalistes possibles, mais restreignent plutôt
leur choix à un sous-ensemble particulier de l’espace politique.
Considérons la figure 11.2, où les points idéaux pour les trois électeurs sont encore
représentés dans un espace d’enjeux à deux dimensions. Si les courbes d’indifférence des
électeurs sont des cercles concentriques centrés autour de points idéaux, alors les lignes
AB , BC et AC sont des frontières d’efficacité pour toutes les paires d’électeurs respecti-
ves et elles forment les limites d’un ensemble de Pareto.
Comme nous l’avons indiqué dans le chapitre 5, aucun point dans un plan x,y ne
peut gagner contre tous les autres points à la majorité, et les propriétés cycliques inhéren-
tes à la règle majoritaire pourraient nous conduire à une séquence par paires de votes repré-
sentées n’importe où dans l’espace des politiques possibles, par exemple le point i. De plus,
certains points comme j qui sont juste à l’extérieur de l’ensemble de Pareto peuvent l’em-
porter contre des points comme k qui sont à l’intérieur pour un vote majoritaire. Mais doit-
on vraiment s’attendre à ce que les candidats dans une élection à deux partis choisissent une
plateforme i ou même j ? Est-ce que le niveau d’attractivité des plateformes vers les points
idéaux des électeurs ne se manifeste pas en quelque sorte lui-même ?
Tullock (1967a, b) a été un des premiers à mettre en avant l’argument selon lequel
le cycle serait restreint à un espace circonscrit près des points où les courbes médianes des
électeurs se croisent 7. La justification théorique de cette prédiction a été apportée par le
travail de Miller sur l’ensemble découvert 8.
L’ensemble découvert est l’ensemble des points y à l’intérieur de l’espace des alternatives possibles
S, tel que pour toute autre alternative z dans S, soit yPz ou yPxPz s’il existe un x dans S, où aPb signi-
fie que a bat b d’après la règle majoritaire.

6 Bien sûr, dans plusieurs élections d’État, seulement un parti a présenté un candidat comme gouverneur. Mais
ce fait semble être plus cohérent avec l’hypothèse de la conspiration qu’avec l’hypothèse de l’alternance. En
considérant la vulnérabilité inhérente du candidat sortant dans la théorie de l’alternance, pourquoi est-ce que
les Démocrates au Vermont et les Républicains en Alabama ont été si inefficaces pour trouver des plateformes
et des candidats crédibles pour défier les candidats sortants ?
7 Une ligne médiane divise l’espace des enjeux pour que jamais plus de la moitié des points idéaux des élec-
teurs ne soit de l’un ou l’autre des côtés (voir chapitre 5, sections 5.4 et 5.5)
8 L’expression initiale est dans Milller (1980), avec une correction dans (1983). Pour des explications plus
approfondies, voir Ordeshook (1986, pp. 184-187) et Feld et al. (1987).
274 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

En l’absence d’un gagnant de type Condorcet, aucune plateforme n’est imbattable.


Mais si le candidat choisit une plateforme à partir de l’ensemble découvert, il sait qu’il
pourra l’emporter sur n’importe quelle plateforme choisie par son adversaire, tout au plus
par le biais d’une plateforme intermédiaire. Dans le pire des scénarios, sa plateforme va
être prise dans un cycle dans lequel il y aura toujours une autre plateforme qui sera en posi-
tion de la battre. D’ailleurs, si le candidat choisit une plateforme qui est couverte, non
seulement cette plateforme peut être battue, mais la plateforme qui a gagné intègre des
dimensions que sa plateforme ne peut pas défaire. Ainsi, sa plateforme est contenue dans
un triple choix transitif dans lequel elle est la plateforme la moins appréciée des trois.
Pour comprendre plus clairement, admettons qu’il existe seulement quatre choix
possibles (x, y, z, w) et les deux candidats doivent en sélectionner un pour leur plateforme.
La règle de la majorité établit les relations binaires suivantes :

x Py y Pz zPx
x Pw y Pw w Pz

Les résultats x, y, et z sont tous découverts. Par exemple, z l’emporte sur x, mais perd avec
y, alors que ce dernier peut être battu par x. De manière similaire, ni x ni z ne couvrent w,
– z parce qu’il perd face à w, et x parce qu’il perd face à z. Toutefois, y couvre bien w,
puisque simultanément il l’emporte sur w et est battu par x, alors que ce dernier ne peut être
battu par w ; y bat z et w, et w l’emporte seulement sur z. La victoire de w est un sous-
ensemble de la victoire de y. Ainsi y domine w comme choix stratégique ; y défait chaque
résultat que w peut battre, et y l’emporte sur w. L’ensemble découvert, dans ce cas (x, y, z),
correspond à l’ensemble des plateformes qui ne peuvent pas être dominées 9.
Retournons à la figure 11.2, où nous pouvons facilement voir que j est couvert par
h, puisque h bat j et est ensuite battu par g, mais j ne peut pas battre g. Tous les points que
j défait sont aussi battus par h, alors aucun candidat ne devrait choisir j plutôt que h.
Quand il y a trois électeurs et que l’ensemble de Pareto est un triangle équilatéral,
comme dans la figure 11.2, l’ensemble découvert est l’optimum de Pareto (Feld et al.,
1987). Mais cet ensemble découvert peut être bien plus petit que l’optimum de Pareto.
McKelvey (1986) a prouvé que l’ensemble découvert est toujours contenu à l’intérieur d’un
cercle de rayon 4r, où r est le rayon minimal d’un cercle qui croise toutes les lignes média-
nes 10. Ce cercle est défini comme la partie jaune d’un œuf. Avec un triangle équilatéral, le
jaune d’œuf est tangent au point milieu de chaque côté. Mais maintenant il faut considérer
les points idéaux des trois électeurs, qui forment un triangle isocèle de hauteur 6r, où r est
le rayon du cercle, qui est encore tangent aux trois lignes médianes (voir figure 11.3). La
théorie de McKelvey implique que le point idéal C, même situé à l’intérieur d’un optimum
de Pareto, est maintenant à l’extérieur de l’ensemble découvert et donc est dominé par les
points situés sur la ligne AB ou proche de AB .

9 Cette propriété tient toujours ; voir Ordeshook (1986, pp. 184-6).


10 Feld et al. (1987) démontrent que les ensembles découverts sont toujours à l’intérieur de 3.7r du centre du
jaune d’œuf, et prédisent que cette distance est réduite à 2.83r du centre en présence de trois électeurs.
Théorie du vote déterministe 275

Figure 11.3
Électorat avec trois votants avec un triangle isocèle comme ensemble Pareto-optimal.

Sur la figure 11.4, deux électeurs de plus ont été ajoutés avec des points idéaux de
chaque côté de m, la médiane de AB . Les trois lignes médianes sont maintenant C D , C E
et AB . Le rayon du jaune d’œuf et les dimensions de l’ensemble découvert se rétrécissent
à e < r . Étant donné que de plus en plus d’électeurs sont ajoutés d’un côté ou de l’autre de
m le long de AB , l’ensemble découvert converge vers m. Lorsque les candidats restreignent

Figure 11.4
Électorat avec cinq votants avec un triangle isocèle comme ensemble Pareto-optimal.
276 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

leur choix à l’ensemble découvert, le résultat d’une concurrence à deux candidats converge
vers ce qu’on aurait pu anticiper à partir du théorème de l’électeur médian si l’électeur C
n’était pas présent, même si la présence de C est suffisante pour détruire la condition
d’équilibre parfait de Plott (1967) et la garantie de l’existence d’un équilibre.
Comme exemple final, considérons la figure 11.5. Les points idéaux de l’électeur
sont tous rangés sur la circonférence du cercle avec un rayon c centré au point o. La condi-
tion de Plott (1967) assure un équilibre au point o seulement quand les points idéaux de
l’électeur apparaissent en paires au bout de la ligne opposée de longueur 2c, qui passe à
travers o, par exemple A et B, et le point idéal d’un électeur est au point o. Même si aucun
électeur n’a comme point idéal o, l’ensemble découvert peut toutefois rétrécir en o à
mesure que l’on ajoute de manière aléatoire des points idéaux au périmètre du cercle. Cela
donne o ou des points très proches comme les résultats prédits sous le modèle de concur-
rence à deux partis quand des candidats choisissent leur plateforme à partir d’un ensemble
découvert.
Avec les points idéaux des électeurs représentés sur les figures 11.4 et 11.5, il est
intuitivement suggéré que les candidats vont choisir une plateforme aux points, ou très près
des points, m et o. Mais m et o peuvent être battus sous la règle majoritaire, à l’instar de
tous les autres points situés dans l’espace x, y. La plus grande partie de la littérature en
théorie des choix publics s’est contentée de laisser la discussion à ce stade, l’implication
étant que tous les résultats dans le plan x, y peuvent survenir de manière égale. La propriété
de dominance de l’ensemble découvert apparaît toutefois comme une raison suffisante pour

Figure 11.5
Électorat avec six votants avec un ensemble Pareto-optimal circulaire.
Théorie du vote déterministe 277

choisir des points en son sein, ce qui en retour attire notre attention sur le statut des points
se rapprochant de m et o 11.

11.2.2 L’ensemble découvert en présence d’enjeux


consensuels
Dans une des premières critiques du modèle spatial de Downs, Stokes (1963) souligne entre
autres la négligence de l’existence d’enjeux consensuels (valence issues). Les enjeux
consensuels sont des enjeux pour lesquels il y a consensus chez les électeurs pour dire que
« plus est mieux que moins ». Nous pouvons prendre l’honnêteté pour exemple. Tous les
électeurs préfèrent un candidat honnête à un candidat malhonnête ; plus un candidat est
perçu comme honnête, plus il a de chances d’être apprécié de ses électeurs. Même si la
critique de Stokes à l’endroit de Downs était justifiée, l’introduction d’enjeux consensuels
au modèle peut aider à déterminer des équilibres même dans un espace d’enjeux multidi-
mensionnels.
Pour ce faire, supposons encore qu’il y ait seulement trois électeurs. Écrivons l’uti-
lité de l’électeur i face à la plateforme du candidat j comme suit :
 2
Ui = K i + γ Vj −  Ii − Pj 
j
(11.1)

Vj est la valeur de l’enjeu consensuel dans la fonction d’utilité de chaque électeur i et γ est
 
le poids d’un enjeu.  Ii − Pj  est la distance euclidienne entre le point idéal Ii de l’électeur
i, Pj est la plateforme du candidat j. Supposons maintenant que les points idéaux des trois
électeurs sont situés dans les coins du triangle équilatéral tel qu’illustré sur la figure 11.6,

avec comme coordonnées A(1, 1), B(3, 1) et C(2, 1 + 3). Supposons aussi que tous les
électeurs évaluent plus fortement le candidat 1 sur l’enjeu de consensus que le candidat 2,
V1 > V2 . Si le candidat 1 choisit comme plateforme le point qui se situe à un tiers du point
C sur la ligne bissectrice AB , l’utilité retirée par chaque électeur de la plateforme du candi-
dat 1 va s’écrire ainsi :
 √ 2
j 2 3 
Ui = K i + γ V1 − = K i + γ V1 − 4 3 (11.2)
3

La meilleure réponse du candidat 2 est de choisir le centre d’une des lignes entre les deux
points idéaux des électeurs, c’est-à-dire 2, 2’ ou 2’’. Cette plateforme offre à chacun de ces
deux électeurs une utilité :
j
Ui = K i + γ V2 − (1)2 = K i + γ V2 − 1 (11.3)

Ainsi si γ (V1 − V2 ) > 1/3, il n’y a pas de plateforme que 2 peut choisir qui lui permettrait
de battre 1. Ansolabehere et Snyder (2000) ont examiné les conditions nécessaires pour
11 Goff et Grier (1993) mettent en avant que les tendances de vote au Congrès américain sont plus facilement
représentées par l’hypothèse que les résultats tombent à intérieur de l’ensemble découvert.
278 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Figure 11.6
Électorat avec trois votants avec un triangle équilatéral comme ensemble Pareto-optimal.

générer une stratégie d’équilibre en présence d’enjeux consensuels. Voici un des théorèmes
qu’ils avancent :
Théorème : Supposons que V1 > V2 . Alors, il existe une paire de stratégies d’équilibre

(P1 , P2 ) si et seulement si r < γ (V1 − V2 ) .
où r est le rayon du « jaune d’œuf ».
Ainsi, pour toute distribution de points idéaux d’un candidat, il existe une diffé-
rence d’enjeux consensuels entre les deux candidats suffisamment importante pour garan-
tir au candidat arrivé en tête sur cet enjeu de l’emporter, s’il choisit une plateforme près du
centre de la distribution des points idéaux de l’électeur.

11.3 ASSOUPLISSEMENT DES CONDITIONS DU MODÈLE


DE DOWNS
Plusieurs auteurs ont discuté le caractère plausible des conditions qui sous-tendent le
modèle de Downs. Cependant, en assouplissant ces conditions, on peut parfois trouver une
Théorie du vote déterministe 279

autre explication au fait que nous n’observons pas le degré d’instabilité anticipé du modèle
dans un contexte multidimensionnel. Un ensemble de modèles assouplit la condition qui
stipule que l’électeur vote avec une probabilité de 1 pour le candidat qui prend la position
la plus proche de son point idéal. Cet ensemble de modèles va être abordé dans le chapi-
tre 12. Nous allons ici discuter seulement de deux modifications supplémentaires au
modèle de Downs.

11.3.1 Les candidats ont des préférences sur le choix


des politiques
Wittman (1973, 1977) est un des premiers à s’interroger sur le postulat de Downs stipulant
que les candidats sont seulement intéressés à gagner les élections. Si les candidats sont
concernés par les politiques publiques résultant d’une élection, indépendamment du fait
qu’ils soient élus ou non, ils vont être moins disposés à abandonner certaines positions poli-
tiques pour gagner des votes. La suggestion de Wittman a suscité un grand nombre de vali-
dations empiriques dans le cadre de modèles de cycles partisans (voir chapitre 19).
Kollman, Miller et Page (1992) permettent aux candidats de donner un poids à leur
propre idéologie au moment de choisir leurs positions, et les candidats ont une information
imparfaite quant aux préférences des électeurs. Des simulations sur des élections à deux
candidats montrent une convergence sur les positions centristes.
Glazer et Lohman (1999) ont aussi proposé un modèle avec des candidats ayant
des préférences personnelles sur les politiques, et capables de se pré-engager à l’avance
face à certaines positions politiques. Cette action se déroule en dehors de l’élection et, de
ce fait, réduit la dimension de l’espace décisionnel et la vraisemblance d’un cycle.
Si l’espace des enjeux peut être réduit à une seule dimension, le problème des
cycles disparait, si la condition d’unimodalité est satisfaite. Poole et Romer (1985) ont
employé une technique des moindres carrés multidimensionnels pour cartographier des
cotes de popularité des membres de la Chambre des représentants pour 36 groupes d’inté-
rêts à l’intérieur d’un espace politique multidimensionnel. Leurs résultats montrent que
trois dimensions suffisent pour obtenir tout le pouvoir prédictif inhérent aux cotes de popu-
larité, à l’aide d’une simple dimension libéral-conservateur fournissant 94 pour cent du
pouvoir explicatif. Dans une étude suivante, Poole et Rosenthal (1997) ont analysé chaque
vote par appel nominal (roll call vote) à la Chambre des représentants et au Sénat entre
1789 et 1985. Ils semblent avoir réussi à expliquer la majorité des comportements électo-
raux des membres du Congrès avec une simple division idéologique.
Si l’espace d’enjeux dans les élections présidentielles était similaire à celui des
élections du Congrès, alors les résultats de l’étude de Poole-Romer-Rosenthal implique-
raient qu’un espace d’enjeux pour ces élections serait conforme au modèle simple de Hotel-
ling-Downs. La plupart des observateurs politiques à l’extérieur des États-Unis ont
identifié au moins deux dimensions essentielles pour l’espace des choix politiques 12. Ainsi,

12 Voir, par exemple, Budge, Robertson et Hearl (1987) ; Budge (1994) ; Laver et Schofield (1990) ; Schofield
(1993a,b,1995) ; et Schofield, Martin, Quinn et Whitford (1998).
280 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

se débarrasser du risque d’instabilité politique en réduisant l’espace d’enjeux à une seule


dimension ne semble pas possible pour d’autres pays que, peut-être, les États-Unis 13.

11.3.2 Les candidats peuvent entrer et sortir


de la compétition
Le modèle downsien postule que les candidats s’occupent seulement de leur propre victoire
électorale et traite le nombre de candidats comme donné. En plus d’assumer des candidats
se préoccupant du résultat de politiques publiques, quelques articles ont exploré les impli-
cations de laisser des candidats (citoyens) entrer ou sortir d’une élection 14.
Pour comprendre les implications de ce modèle, considérons que certains citoyens
sont seulement préoccupés des résultats en termes de politiques. Ils n’obtiennent aucune
gratification personnelle à être candidat ou à gagner une élection autre que le bénéfice de
pouvoir mettre en œuvre leurs politiques préférées. Devenir candidat implique de subir des
coûts fixes, C. Admettons ensuite que tous les citoyens votent pour un candidat qui leur
promet la plus grande utilité. Avec la possibilité d’entrer et de sortir du marché politique,
un équilibre doit satisfaire deux conditions. (1) Aucun citoyen qui a choisi de devenir un
candidat ne peut augmenter son utilité espérée en changeant sa plateforme ou en se retirant
des élections. (2) Aucun citoyen qui n’est pas candidat ne peut augmenter son utilité
espérée en devenant candidat.
Pour obtenir un équilibre dans lequel il y a seulement un candidat, il doit exister
un choix de plateforme qui est un vainqueur de Condorcet. Un citoyen dont le résultat
préféré est cette plateforme, choisira de devenir candidat, et aucun autre citoyen ne prendra
la peine de supporter les coûts d’entrée, puisqu’aucune autre plateforme ne peut gagner.
Pour qu’un équilibre existe en présence de deux candidats, il doit exister deux enjeux qui
divisent également l’électorat, et aucun enjeu tiers préféré par un large nombre d’électeurs
ne doit émerger. Puisque personne ne va choisir d’être un candidat à moins d’avoir une
chance de gagner, les équilibres avec le plus grand nombre de candidats nécessitent aussi
un nombre d’enjeux différent égal au nombre de candidats, ce qui divise la population dans
des groupes de taille égale.
Un résultat intéressant que l’on peut distinguer dans le modèle citoyen-candidat est
que l’équilibre du modèle spatial de Downs, dans lequel deux candidats adoptent une plate-
forme qui favorise l’électeur médian, n’est pas en réalité un équilibre. Si un des candidats
a pris la position préférée par l’électeur médian, aucun autre citoyen ne va choisir d’être
candidat et prendre la même position, puisqu’il devra subir le coût d’être candidat sans
obtenir de bénéfices liés à la victoire de la politique préférée. Avec un espace d’enjeux
unidimensionnels, le seul équilibre qui implique deux candidats suppose que ces derniers
prennent des positions de chaque côté de la médiane. Chacun des deux candidats doit avoir
des chances égales de gagner, et le gain individuel tiré d’une victoire doit excéder le coût

13 Kenneth Koford (1989, 1990) a aussi remis en question le résultat pour les États-Unis.
14 Voir Palfrey (1984) ; Feddersen, Sened et Wright (1990) ; Osborne et Sliviniski (1996) ; Besley et Coate
(1997) ; et Congleton et Steunenberg (1998). La prochaine discussion repose sur Besley et Coate.
Théorie du vote déterministe 281

de devenir candidat. Le modèle de l’élection du citoyen-candidat nous fournit ainsi une


explication supplémentaire pour que les candidats dans une élection à deux partis ne déci-
dent pas d’adopter des plateformes identiques.

11.4 TESTER L’HYPOTHÈSE DE L’ÉLECTEUR MÉDIAN


Plusieurs études ont essayé de soulever le voile de la démocratie représentative en modéli-
sant les décisions budgétaires gouvernementales comme si elles étaient prises selon le seul
clivage gauche-droite, et pouvaient essentiellement être considérées comme des choix
discrétionnaires de l’électeur médian 15. Un modèle de l’électeur médian typique va consi-
dérer que l’électeur maximise son utilité sous une contrainte budgétaire qui inclut leur
contribution fiscale au financement du bien public. Il en ressort la formulation d’une fonc-
tion de demande pour l’électeur médian :

ln G = a + α ln tm + β ln Ym + γ ln Z + µ (11.4)

où G sont les dépenses gouvernementales, tm et Ym sont respectivement la contribution


fiscale et le revenu de l’électeur médian, et Z est un vecteur de paramètres de préférence
(nombre d’enfants, catholique ou non-catholique et ainsi de suite). L’équation (11.4) est
ensuite estimée en utilisant des données comparatives sur les dépenses locales de toute
nature.
Un nombre important d’études ont testé quelques variantes autour de l’hypothèse
de l’électeur médian indiquée dans (11.4). La très grande majorité des travaux soutient
l’hypothèse de l’électeur médian à partir de coefficients statistiquement significatifs quand
Ym et tm ont les signes attendus. Denzau et Grier (1984) nous apportent une preuve supplé-
mentaire en démontrant que ces coefficients varient autour d’une fourchette étroite quand
12 variables qui conditionnent Z glanées dans la littérature sont intégrées dans les équations
incorporant les données sur le district scolaire de New York.
Le mérite de l’approche de la théorie des choix publics peut être souligné en
comparant ses conclusions avec celles de l’approche traditionnelle, qui fait le lien entre les
dépenses publiques et l’urbanisation, la taille de la population et la densité, le salaire moyen
d’une juridiction, et peut-être plusieurs autres variables socioéconomiques, qui dépendent
des biens en question 16. La majorité de ces variables peut être intégrée dans Z, le vecteur
de choix, et d’autres ont été ajoutées dans des études de choix publics. Les innovations clés
de l’approche en termes de choix publics ont consisté à remplacer le revenu moyen par le
revenu médian et d’ajouter la contribution fiscale de l’électeur médian. La prise en compte
de la variable de contribution fiscale est une nette amélioration par rapport aux études
précédentes qui ne l’introduisaient pas dans l’équation de demande. Cela signifie que
l’achat de biens publics est le résultat d’une forme de processus de choix collectif pour
lequel le coût d’un bien public est fondamental, tout comme la valeur qu’on lui accorde
telle qu’elle se reflète par des caractéristiques socioéconomiques.

15 Pour un recensement de la littérature, voir Deacon (1977a,b) et Inman (1979).


16 Pour une revue de la littérature classique, voir Gramlich (1970).
282 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

La bonne performance du revenu médian dans l’explication des dépenses


publiques locales ne peut pas être interprétée aussi aisément que l’affirme l’approche de la
théorie des choix publics. Comme nous l’avons précédemment noté, la plupart des études
existantes ont supposé que la demande des biens publics locaux est liée aux revenus
moyens. Or il faudrait plutôt mobiliser un modèle particulier de finances publiques locales
pour prédire que les revenus et les dépenses ne sont pas reliés. Donc, la plus-value de l’ap-
proche de la théorie des choix publics est de démontrer que c’est le revenu de l’électeur
médian, et non pas celui de l’électeur moyen, qui détermine la demande en biens publics.
La plupart des études n’ont pas testé cette hypothèse. En effet, il est vraiment difficile de
tester cette hypothèse, étant donné que les autres conditions nécessaires pour tester la
théorie de l’électeur moyen impliquent une équation qui utilise des données comparatives.
Comme Bergstrom et Goodman (1973, pp. 286-7) l’ont démontré, pour estimer cette équa-
tion en données comparatives, on doit assumer une certaine proportionnalité entre les
distributions d’électeurs à travers les juridictions locales pour assurer que la quantité de
biens publics demandés par les électeurs disposant d’un revenu médian est toujours égale
à la quantité médiane de biens publics demandés par chaque juridiction. Toutefois, si cette
proportionnalité tient, la moyenne de distribution étant aussi proportionnelle, la corrélation
entre la moyenne et la médiane du revenu à travers une juridiction serait parfaite, et il n’y
aurait aucune façon de discriminer entre la fonction de demande de l’approche des choix
publics et celle des écoles de pensée rivales. La seule raison pour laquelle la théorie des
choix publics produit des prédictions différentes que les autres modèles serait d’observer si
le ratio entre le revenu médian et la moyenne des revenus diffère à travers les juridictions ;
c’est-à-dire s’il existe des degrés différents entre les coefficients de dissymétrie à travers
les communautés, et si ces différences dans les coefficients de dissymétrie sont fondamen-
tales dans la détermination de la demande de biens publics.
Pommerehne et Frey (1976) ont testé cette dernière hypothèse. Ils ont trouvé que
la variable du revenu médian était plus satisfaisante pour expliquer les dépenses publiques
locales que le revenu moyen, même si la supériorité du revenu médian comme variable
explicative n’était pas particulièrement éclatante. Un argument plus convaincant pour
assoir la supériorité du revenu médian sur le revenu moyen a été obtenu dans une étude de
Pommererehne (1978) qui a utilisé des données sur 111 municipalités suisses pour tester
son hypothèse. Ces données présentent l’avantage important et singulier d’établir l’in-
fluence d’une démocratie représentative, puisque l’échantillon contenait des décisions
prises en situation de démocratie directe comme des réunions communales et d’autres
prises dans des assemblées représentatives. Pommerehne a montré que le revenu médian
avait un rendement significativement meilleur que le revenu moyen pour expliquer les
dépenses publiques dans des villes qui adoptent la démocratie directe. Dans les villes qui
ont adopté un système de démocratie représentative, le revenu médian améliore légèrement
les résultats mais « son pouvoir explicatif n’est pas significativement supérieur pour chaque
catégorie de dépenses ».
Ainsi, la prise en compte de représentants dans le processus démocratique déci-
sionnel ne semble pas introduire un niveau suffisant de « bruit blanc » pour dissimuler la
relation entre les préférences de l’électeur médian et les résultats finaux. Ceci remet en
cause les estimations trouvées aux États-Unis, qui s’appuient entièrement sur les résultats
Théorie du vote déterministe 283

d’élections de représentants. Il est intéressant d’observer que Pommerehne a montré que


même l’existence d’un référendum optionnel ou obligatoire sur les dépenses municipales
des villes gouvernées par des assemblés représentatives ajoutait suffisamment de contrain-
tes sur le comportement des représentants pour rendre le modèle de l’électeur médian
meilleur que dans les villes dans lesquelles la démocratie représentative était capable de
fonctionner sans contrepouvoir.
Thurbull et Mitias (1999) ont conduit des tests économétriques rigoureux sur la
performance du revenu médian et des variables de contribution fiscale dans le modèle des
dépenses, en comparant les valeurs moyennes de ses variables à partir de données au niveau
des États et des comtés américains. Leurs tests tendent à rejeter les deux variables autant
pour les États que pour les comtés. Le seul niveau de gouvernement pour lequel le modèle
de l’électeur médian n’est pas rejeté est au niveau municipal – le plus bas niveau de gouver-
nement examiné 17.
Gramlich et Rubinfeld (1982a) sont allés plus loin en suggérant que la perfor-
mance prédictive du revenu médian est, dans la majorité des études, simplement un arté-
fact de l’agrégation des données comparatives. En utilisant les données de questionnaire
pour l’État du Michigan, ils ont montré que « les individus avec un plus grand revenu à l’in-
térieur d’une juridiction… ne semblent pas avoir de désirs plus importants en matière de
dépenses publiques » que les individus avec des revenus plus faibles. L’élasticité des
revenus pour la demande en matière de dépenses publiques « est très près de zéro » quand
elle est mesurée à l’intérieur d’une juridiction (1982a, p. 544). Les élasticités positives esti-
mées en données comparatives sont entièrement dues à la relation positive entre le revenu
et les dépenses de la juridiction, précisément la relation que l’approche traditionnelle a
estimée et que la théorie des choix publics a tenté d’améliorer.
Un autre doute au sujet du pouvoir de prédiction du modèle de l’électeur médian
concerne les variations des coefficients estimés de variables clés. Les élasticités de revenus
dans l’étude de Bergström et Goodman (1973) varient entre 0,16 et 0,73 alors que les élas-
ticités de prix fiscal varient entre – 0,01 et 0,50 (Romer et Rosenthal, 1979a, p. 159). Les
estimations par Deno et Mehay (1987) d’élasticité de revenu de demande de services
publics généraux au niveau municipal dans les États du Michigan et de l’Ohio atteignent
0,76, alors que les estimations de Turnbull et Djoundourian (1994) pour cinq États du
« Midwest » (Michigan, Ohio, Illinois, Indiana et Wisconsin) s’élèvent seulement à 0,22.
Les estimations de Turnbull et Djoundourian sur les élasticités de contribution fiscale pour
ces cinq États (– 0,88) sont près des estimations de Deno et Mehay pour le Michigan et
l’Ohio (– 0,72), mais sont toutes les deux très loin des estimations de Deno et Mehay pour
les États-Unis (– 0,12)
Tout cela montre que nous devons être prudents quand nous interprétons des résul-
tats empiriques pour les modèles de choix publics. Comme dans tous les domaines de l’éco-
nomie, la sophistication et l’élégance des modèles théoriques sous-jacents à la théorie des
choix publics dépassent de loin les limites imposées par les données qui peuvent être esti-

17 Turnbull et Djoundourian (1994) et Turnbull et Mitias (1999). D’autres confirmations du modèle de l’électeur
médian en utilisant des données municipales sont fournies par Deno et Mehay (1987), Wyckoff (1998) et Turn-
bull et Chan (1998).
284 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

mées par des modèles empiriques. En allant de modèles théoriques aux « vérifications »
empiriques, de nouveaux postulats et compromis doivent souvent être faits rendant plus
difficile l’interprétation des résultats. Ce que l’on pourrait conclure de manière péremptoire
sur la base des résultats déduits de manière analytique de relations comportementales
postulées, doit plutôt être traité avec prudence lorsqu’il provient d’équations comporte-
mentales estimées empiriquement.
La même prudence doit être de mise lorsque des conclusions plus larges sont tirées
à partir d’une série de résultats en provenant d’un modèle fondé sur la théorie des choix
publics. Il est pratique courante en économie de « tester » des hypothèses en observant si
les résultats sont « conséquents » avec le modèle sans explorer s’ils sont aussi conséquents
avec d’autres hypothèses conflictuelles. Même s’il est peut-être injuste d’exiger des stan-
dards plus élevés pour les théories des choix publics que pour d’autres branches de l’éco-
nomie, cette méthodologie n’est pas suffisante. Pour démontrer que la théorie des choix
publics peut contribuer utilement à l’actuelle littérature empirique sur les finances
publiques et sur les politiques publiques, ses modèles doivent être testés contre les modèles
existants, qui ignorent les considérations de la théorie des choix publics. À moins que les
modèles dérivés de la théorie des choix publics puissent se révéler plus performants que les
théories traditionnelles et les modèles « ad hoc » contre lesquels ils rivalisent, nous devons
rester prudents sur la pertinence des théories des choix publics. Jusqu’à maintenant peu
d’études ont proposé de telles comparaisons. Nous avons recensé trois d’entre elles dans
cette section (Pommerehne et Frey, 1976 ; Pommerehne, 1978 ; Turnbull et Chan, 1998).
Elles présentent toutefois des résultats peu encourageants quant au potentiel de prévision
des politiques des gouvernements représentatifs avec un modèle d’électeur médian agissant
comme un dictateur.

11.5 EST-CE QUE LES DÉPENSES PUBLIQUES LOCALES


SONT DES BIENS PUBLICS OU PRIVÉS ?
En plus d’estimer les élasticités de revenu médian et de contribution fiscale, plusieurs arti-
cles ont estimé un paramètre évaluant le « degré de publicitude » basé sur les coefficients
de contribution fiscale et des variables de population. Ce paramètre est défini de telle sorte
que « [s’il] est près de zéro, il y aura des économies substantielles pour les grandes villes,
puisque dans les grandes villes il y a plus de consommateurs qui peuvent partager les coûts
des biens publics avec un effet d’éviction mineur. Alors que s’il tend vers 1, les gains retirés
du partage des coûts des biens publics entre les contribuables sont approximativement
compensés par la désutilité de partager les installations avec plus de personnes » (Bergs-
tröm et Goodman, 1973, p. 282). Toutes les études discutées ici arrivent au constat que ce
paramètre est voisin de la valeur 1. Borchering et Deacon (1972, p. 900) conseillent vive-
ment qu’« une attention particulière soit accordée à l’interprétation » de ce coefficient, et
observent que les « conclusions normatives tirées des résultats stipulant que les biens sont
mieux desservis par le privé (ou quasi-privé) plutôt que par le public sont hautement
conjecturelles ». Toutefois, la tentation de construire ces conjectures normatives sont
Théorie du vote déterministe 285

évidemment attrayantes pour plusieurs auteurs, et plus d’un y a succombé 18. Ces conclu-
sions ne sont toutefois pas garanties. Les coefficients à partir desquels le degré de « publi-
citude » est estimé sont obtenus à partir d’équations comparatives établies sur des
observations de juridictions de taille différente, chacune d’elles fournissant des services
(considérés homogènes à travers les juridictions) à leurs membres. L’estimation à 1 du
paramètre pour le service de protection policière implique qu’un citoyen vivant dans une
ville de deux millions d’habitants n’améliore pas sa situation après avoir soustrait les coûts
d’une augmentation (répartie sur tous les citoyens) de la protection policière sur un plus
grand nombre de contribuables, aux coûts additionnels (plus de crimes ?) qui résultent de
la concentration de citoyens dans une grande ville. Ceci n’implique pas que les individus
dans une plus grande ville puissent contractualiser avec des polices « privées » aussi effi-
cacement que les départements de police municipale peuvent l’offrir. Puisqu’il n’y a pas de
systèmes de police privée inclus dans ces études, rien ne peut être dit à propos des coûts
relatifs à la protection policière publique. Personne ne peut aussi dire si les citoyens dans
une partie d’une ville de deux millions d’habitants pourraient efficacement former un club
local et se procurer leur propre protection policière. S’il y a des effets redistributifs forts
d’une partie de la ville à une autre, il se peut qu’il n’y ait pas de manière efficace d’offrir
une protection policière à une ville de deux millions d’habitants autrement que par la
collectivisation, même si les bénéfices nets de la protection policière à un citoyen dans une
ville de deux millions d’habitants ne sont pas nécessairement plus grands que ceux d’un
citoyen d’une ville deux fois moins grande. La conclusion des résultats des études qui
présument que la protection policière est un bien privé vient d’une confusion entre la
propriété de non-rivalité et celle de non-exclusivité des biens publics. Les études citées
précédemment montrent que les bénéfices nets de la non-rivalité dans la fourniture de biens
publics dépendent généralement de l’échelle de grandeur de la communauté considérée. Le
fait que des parties de ces communautés peuvent être exclues efficacement des bénéfices
de ces services seulement dans un sous-ensemble de la population, sous la forme d’une
fourniture privée ou par un club local, est une autre hypothèse qui n’a pas été testée.

18 Pour un exemple, voir Niskanen (1975, pp. 632-3) ; Borcherding, Bush et Spann (1977).
286 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
La littérature sur le vote spatial et la compétition électorale été recensée par Taylor (1971), Riker et
Ordeshook (1973, ch. 12), Borooah et van der Ploeg (1983), Enelow et Hinich (1984), Calvert
(1986) et Ordeshook (1986, ch. 4 ; 1997).
Barr et Davis (1966) et Davis et Haines (1966) ont été les pionniers dans l’application du modèle de
l’électeur médian, et leur travail a été suivi par des tentatives de sophistication par Borcherding et
Decon (1972), Bergstrom et Goodman (1973), Peterson (1973, 1975), Clotfelter (1976), Pomme-
rehne et Frey (1976), Deacon (1978), Inman (1978), Pommerehne (1978), Holcombe (1980),
Congleton et Bennett (1995) et Ahmed et Greene (2000).
Les remarques critiques dans les sections 11.4 et 11.5 sont similaires à plus d’un égard à la recension
faite par Romer et Rosenthal (1979a).
Pour plus ample discussion et critiques du paramètre du « degree-of-publicness », voir Inman (1979,
p. 296) et Oates (1988a).
En français, l’article de de Jouvenel (1961) a été traduit (2005). De nombreuses études ont confirmé
la théorie de l’électeur médian au niveau municipal (Baudry et al., 2002 ; Binet et Pentecôte, 2006 ;
et dans une moindre mesure Le Maux 2007). En revanche, cet impact est moins visible dès qu’on
passe à une échelle supérieure, comme le département (Dubois et al., 2005).
Marc Baudry, Mathieu Leprince et Cyriaque Moreau (2002). « Préférences révélées, bien public local
et électeur médian : tests sur données françaises », Economie & prévision 5, n° 156, pp. 125-146.
Bertrand de Jouvenel (2005). « Le problème du Président de séance », Négociations 2, n° 4, pp. 175-
186.
Marie-Estelle Binet et Jean-Sébastien Pentecôte (2006). « Structure de l’impôt et cycle électoral au
plan municipal », Economie & prévision, 3, n° 174.
Éric Dubois, Matthieu Leprince, Sonia Paty (2005). « Les déterminants politiques des choix fiscaux
locaux », Revue de l’OFCE, 3, n° 94, pp. 317-349.
Benoit Le Maux (2007). « L’électeur médian est-il vraiment décisif ? Un examen des communes fran-
çaises », Revue d’économie régionale et urbaine, n° 5, pp. 921-944.
12
THÉORIE DU VOTE PROBABILISTE

12.1 L’instabilité avec le vote déterministe 288


12.2 L’équilibre sous le vote probabiliste 291
12.3 Les caractéristiques normatives de l’équilibre 292
12.4 Équilibres avec des groupes d’intérêts 294
12.5 Une application sur la fiscalité 297
12.6 Commentaires 300
288 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

La logique sociale ou la fonction de l’activité parlementaire est sans aucun doute


de produire des lois et, en partie, des mesures administratives. Mais pour
comprendre la manière dont les politiques démocratiques servent cet objectif
social, nous devons commencer par une bataille compétitive pour le pouvoir et les
positions politiques et réaliser que la fonction sociale est accomplie comme par
hasard, dans le même sens que la production est incidente à la réalisation de
profits.
Joseph Schumpeter

Le problème des cycles a hanté la littérature de la théorie des choix publics depuis son
apparition. Les cycles introduisent un degré d’indétermination et d’incohérence dans le
processus politique qui nuit à la capacité de l’observateur de prédire des résultats et brouille
les propriétés normatives des résultats atteints. Le théorème de l’électeur médian offre une
voie de sortie de ce marasme d’indéterminations, une voie de sortie que plusieurs cher-
cheurs à l’esprit empirique n’ont pas hésité à emprunter. Cependant, l’équilibre de l’élec-
teur médian demeure un artéfact de la prévision selon laquelle l’espace des enjeux
politiques n’a qu’une seule dimension (Hinich, 1977). Si les candidats peuvent s’affronter
autour de deux dimensions ou plus, l’équilibre disparaît et avec lui le pouvoir de prédiction
de modèles économétriques qui s’appuient sur le concept d’équilibre.
Naturellement, de nombreux efforts ont été entrepris pour éviter les terribles impli-
cations qu’aurait le postulat d’un espace d’enjeux multidimensionnels. Certaines d’entre
elles ont été abordées dans le chapitre précédent. Nous nous pencherons ici sur un ensem-
ble de modèles qui proposent une modification particulièrement plausible et puissante du
modèle classique de concurrence spatiale bipartite et qui permettent de produire des résul-
tats en équilibre. Commençons cependant par réexaminer la raison pour laquelle le modèle
classique échoue dans recherche d’un équilibre.

12.1 L’INSTABILITÉ AVEC LE VOTE DÉTERMINISTE


Considérons de nouveau une situation où nous retrouvons trois électeurs avec des points
idéaux à A, B et C dans l’espace d’enjeux x, y (figure 12.1). Avec des fonctions d’utilité
différentiables, les courbes d’indifférence des électeurs forment des cercles concentriques
et l’ensemble de Pareto est le triangle disposant de sommets en A, B et C. Les deux candi-
dats entrent en compétition en sélectionnant des points dans le quadrant positif x, y.
L’intuition suggère que le candidat choisit des points à l’intérieur de ABC. Un
point à l’extérieur du triangle peut-il remporter plus de votes qu’un point à l’intérieur,
considérant qu’il doit toujours fournir une utilité inférieure à chacun des trois électeurs que
certains points à l’intérieur du triangle ? L’intuition suggère encore que la compétition entre
les candidats pour les trois votes les pousse vers le centre du triangle, vers un point tel que
M.
Mais nous avons vu au chapitre 5 que le point M ne peut constituer un équilibre si
les candidats visent à maximiser leurs votes et que les électeurs votent pour les candidats
Théorie du vote probabiliste 289

Figure 12.1
Points idéaux de 3 électeurs.

qui prennent la position la plus rapprochée de leur position idéale. Si le candidat 1 est à M,
alors 2 peut battre 1 en prenant n’importe quelle position à l’intérieur des trois demi-cercles
formées par Ua et Ub , Ua et Uc , et Ug et Uc (voir la figure 12.2). Il est à noter que ces demi-
cercles incluent des points comme N hors de l’ensemble de Pareto. Cependant, n’importe
quel point que 2 sélectionné peut être battu par un mouvement en réponse de 1 et vice-versa
jusqu’à l’infini.
Considérons maintenant le postulat selon lequel chaque électeur vote avec certi-
tude pour le candidat dont le programme est le plus près de son point idéal. Le candidat 1
a pris position à P1 dans la figure 12.3 et le candidat 2 prend position le long de AZ. En
décidant quel point choisir le long de AZ, 2 évalue les effets de ce choix sur la probabilité
de gagner le vote de A. Sous le postulat du vote déterministe, l’électeur A vote pour le
candidat se situant le plus près du point A, cette probabilité reste à zéro aussi longtemps que
2 reste en dehors de Ua pour ensuite sauter à un lorsque 2 dépasse le contour de Ua . La
290 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Figure 12.2
Possibilités de cycle.

Figure 12.3
Réponse de l’électeur A au déplacement du candidat 2.

probabilité de A votant pour 2 est une fonction discontinue qui vaut 0 pour tous les points
qui se situent hors de Ua et 1 pour tous les points à l’intérieur.
Que le candidat s’attende à ce que les électeurs répondent aux changements effec-
tués dans son programme d’une manière aussi radicale apparaît peu probable pour plusieurs
Théorie du vote probabiliste 291

raisons. Premièrement, A n’est pas nécessairement informé de manière parfaite de la posi-


tion des deux candidats et, pour cette raison, A ne va peut-être pas réaliser que 2 s’est
rapproché de son point idéal. Deuxièmement, d’autres événements aléatoires peuvent
influencer la décision de A qui peut changer ses préférences ou son vote d’une manière
imprévisible. Troisièmement, 2 ne sait peut-être pas de manière certaine où se situe le point
idéal de A. Une hypothèse plus réaliste quant aux prédictions de 2 sur ses chances de gagner
le vote de A est donc représentée par une fonction continue de la distance entre la position
du candidat et de l’électeur qui augmente à mesure que 2 se rapproche de A 1.
À l’aide de cette alternative plausible au postulat du vote déterministe, la compé-
tition bipartite pour les votes peut produire un résultat d’équilibre.

12.2 L’ÉQUILIBRE SOUS LE VOTE PROBABILISTE


Les modèles de vote déterministe supposent que les choix de l’électeur varient de manière
schizophrénique suivant les mouvements des candidats à mesure qu’ils entrent en compé-
tition pour les votes. Un léger mouvement vers la gauche fait perdre le vote de A, mais
assure celui de B et de C. Les candidats cherchent à maximiser le nombre de votes auxquels
ils sont en droit de s’attendre, ce qui est simplement en retour la somme des probabilités
que chaque électeur va voter pour le candidat. Définissons π1i comme la probabilité que
l’électeur i vote pour le candidat 1, et E Vi est le vote auquel 1 peut s’attendre. Alors le
candidat 1 cherche à maximiser :
n
E V1 = π1i (12.1)
i=1

Sous un vote déterministe, π1i et π2i adoptent la forme d’une fonction à échelon :

(π1i = 1) ↔ U1i > U2i


(π1i = 0) ↔ U1i ≤ U2i (12.2)
(π2i = 1) ↔ U1i < U2i

où U1i et U2i sont les utilités probables sous les programmes de 1 et 2 respectivement.
Les modèles de vote probabilistes remplacent (12.2) avec l’idée que la fonction de
probabilité est continue en U1i et U2i ; c’est-à-dire :
∂ fi ∂ fi
π1i = f i (U1i , U2i ), > 0, < 0. (12.3)
∂U1i ∂U2i
Trouver un maximum pour (12.1) est beaucoup plus facile si les π1i sont des fonctions
concaves lisses et continues que des fonctions discontinues. L’hypothèse du vote probabi-
liste réalise cette substitution et se retrouve au centre des différences entre les caractéris-
tiques des deux modèles.

1 Pour de plus amples justifications de ce modèle d’hypothèse de vote probabiliste, voir Hinich (1977) ; Cough-
lin, Mueller et Murrell (1990) ; et Hinich et Munger (1994, pp. 166-76).
292 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

La fonction d’utilité de chaque électeur peut être pensée comme des montagnes
aux sommets desquelles se situe le point idéal de chaque électeur. L’hypothèse du vote
probabiliste transforme ces montagnes d’utilité en montagnes de probabilité avec la proba-
bilité que n’importe quel électeur qui vote pour un candidat donné atteigne un sommet
quand le candidat prend position au point idéal de l’électeur.
L’équation (12.1) fait l’agrégation de ces montagnes de probabilités individuelles
pour former une montagne de probabilités agrégées. La compétition pour les votes entre les
candidats les conduit au sommet de cette montagne.
Le fait que la position des candidats au sommet de la montagne soit un équilibre
peut être établi de diverses manières. Par exemple, la nature de jeu à somme nulle de la
compétition pour les votes, combinée à l’hypothèse de la continuité sur π1i et π2i (qui
implique la continuité de E V1 et E V2 ), peut être utilisé pour établir un équilibre de Nash si
l’espace d’enjeux sur lequel le candidat évolue est compact et convexe (Coughlin et Nitzan,
1981a). Si les fonctions sont strictement concaves, l’équilibre est unique, avec les deux
candidats soumettant le même programme.

12.3 LES CARACTÉRISTIQUES NORMATIVES DE L’ÉQUILIBRE


Examinons maintenant les propriétés supplémentaires de l’équilibre en établissant
quelques hypothèses sur les fonctions de probabilité. Premièrement, nous supposons que
tous les électeurs votent de manière à ce que la probabilité que i vote pour le candidat 2 est
égale à un moins la probabilité que i vote pour 1 ; c’est-à-dire :

π2i = 1 − π1i (12.4)

De plus, pour satisfaire (12.3), les fonctions de probabilité doivent être choisies pour que :

0 ≤ f() ≤ 1 (12.5)

pour tous les arguments valides. En tant que première illustration, admettons que f i ( ) est
une fonction concave et continue des différences en utilités promises dans les programmes
des deux candidats :

π1i = f i (U1i − U2i ), π2i = 1 − π1i . (12.6)

Considérons maintenant une concurrence électorale entre les deux candidats définis autour
d’un espace politique dont l’enjeu est la distribution de Y euros entre les n électeurs 2. L’uti-
lité de chaque électeur est une fonction de son revenu, Ui = Ui (yi ), Ui > 0, Ui < 0. Le
candidat 1 choisit un vecteur de revenu (y11 , y12 , …, y1i , etc.) pour maximiser son vote
escompté, E V1 , sujet à la contrainte du revenu total ; c’est-à-dire qu’il maximise :
 
  
E V1 = π1i = f i (Ui (y1i ) − Ui (y2i )) + λ Y − y1i . (12.7)
i i i

2 Coughlin (1984, 1986) a analysé ce problème.


Théorie du vote probabiliste 293

Le candidat 2 choisit un vecteur de revenus qui maximise 1 − E V1 , c’est-à-dire un vecteur


 
qui minimise E V1 . Si les fonctions f ( ) et U ( ) sont continues et strictement concaves,
les deux candidats vont choisir le même programme. Ces programmes vont ensuite satis-
faire aux conditions de premier ordre suivantes :

f i Ui = λ = f j U j , i, j = 1, n. (12.8)

Chaque candidat égalise les utilités pondérées marginales de l’électeur avec les pondéra-
tions ( f i ), qui dépendent de la sensibilité du vote d’un électeur aux différences dans les
utilités promises par les candidats. Plus grandes sont les chances que le vote pour 1 de
l’électeur i dépende d’une augmentation de U1i − U2i , plus élevé sera le revenu promis à i
par les deux candidats.
Si la réponse probabiliste de tous les électeurs aux différences des utilités promi-
ses étaient les mêmes, c’est-à-dire f i ( ) = f j ( ) pour tout i, j alors (12.8) se simplifie en

Ui = U j pour tout i, j = 1, n. (12.9)

Cette condition est la même que celle devant être satisfaite pour maximiser la fonction du
bien-être social benthamienne :

W = U1 + U2 + ... + Ui + ... + Un (12.10)

Ainsi, lorsque la réponse probabiliste de tous les électeurs à l’utilité espérée du programme
des candidats est la même, la compétition pour les votes entre les candidats les force à
choisir un programme qui maximise la fonction de bien-être social benthamienne 3.
Lorsque la réponse probable des électeurs diffère, la compétition entre les candidats débou-
che sur la maximisation d’une fonction de bien-être social benthamienne pondérée.
Une alternative raisonnable à l’hypothèse selon laquelle les décisions d’un électeur
dépendent des différences dans l’utilité à laquelle il s’attend du programme des candidats
est qu’elles dépendent des ratios d’utilités, c’est-à-dire que π1i est de la forme :

π1i = f i (U1i /U2i ) (12.11)

En substituant (12.11) à (12.7) et en se rappelant que U1i = U2i à l’équilibre nous obte-
nons :
Ui U j
f i = λ = f i , i, j = 1, n. (12.12)
Ui Uj

comme condition de premier ordre pour la maximisation à laquelle l’on s’attend pour
chacun des candidats. Lorsque les réponses probabilistes marginales sont identiques chez
tous les électeurs, cela se simplifie en :
Ui U j
= , i, j = 1, n. (12.13)
Ui Uj
3 Ledyard (1984) obtient la fonction de bien-être social benthamienne en utilisant une hypothèse analogue à
(12.6).
294 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

qui est la condition de premier ordre obtenue en maximisant le fonction de bien-être social
de Nash.
W = U1 .U2 .U3 ...Un (12.14)

Une fois de plus, la concurrence entre les candidats est perçue comme le produit de la maxi-
misation implicite d’une fonction de bien-être social classique 4.
Pour prendre un dernier exemple, considérons de nouveau la compétition spatiale
avec les trois électeurs représentés à la figure 12.1. Supposons que les probabilités que i
soutienne les candidats 1 et 2 soient définies par (12.6). Puisque nous savons que ce
problème est équivalent à la maximisation de (12.10), nous pouvons établir le programme
d’équilibre qui maximise (12.10). Nous écrivons les fonctions d’utilité des trois électeurs
telles que Ua = Z a − (1 − x)2 − (1 − y)2 , Ub = Z b − (5 − x)2 − (1 − y)2 , Uc = Z c
−(3 − x)2 − (5 − y)2 , où les Z i représentent les niveaux d’utilité atteints aux points
idéaux respectifs de chacun des votants. Les deux conditions de premier ordre sont :

2(1 − x) + 2(5 − x) + 2(3 − x) = 0
(12.15)
2(1 − y) + 2(1 − y) + 2(5 − y) = 0

à partir desquelles nous obtenons le programme qui maximise le vote probable pour les
deux candidats (3, 7/3), le point M sur la figure 12.1. La compétition pour les votes conduit
les deux candidats dans l’ensemble de Pareto à un point situé au milieu du triangle.
Lorsque l’on suppose que les probabilités du soutien d’un électeur dépendent des
différences dans l’utilité espérée, la compétition conduit les candidats vers la moyenne
arithmétique (pondérée) de l’utilité des électeurs. Quand les probabilités dépendent des
ratios d’utilité, l’équilibre tend vers la moyenne géométrique. De plus, une autre condition
à propos de la relation entre la probabilité du soutien d’un électeur et son utilité espérée
pour chaque programme en compétition pourrait produire des équilibres sur d’autres
points. Mais aussi longtemps que la probabilité de gagner le vote d’un individu répond de
manière positive à une augmentation dans l’utilité qu’un électeur retire du programme d’un
candidat, nous pouvons espérer retrouver ces équilibres à l’intérieur d’un ensemble de
Pareto, et ainsi avoir les propriétés normatives désirées (Coughlin, 1982, 1992).

12.4 ÉQUILIBRES AVEC DES GROUPES D’INTÉRÊTS


La section précédente décrit une série de résultats sous la condition du vote probabiliste qui
sont un effet salutaires. La compétition politique peut produire des résultats d’équilibre, et
ces résultats peuvent potentiellement avoir des propriétés normatives intéressantes. Dans
cette section, nous allons discuter l’extension du modèle du vote probabiliste qui permet de
mieux comprendre la nature des résultats obtenus.

4 Coughlin et Nitzan (1981a) obtiennent le fonction de bien-être social de Nash d’une hypothèse sur les πi analo-
gue à (12.11).
Théorie du vote probabiliste 295

Coughlin, Mueller et Murell (1990) ont étendu le modèle du vote probabiliste pour
intégrer l’impact des groupes d’intérêts sur la compétition politique. Les groupes d’intérêts
sont définis comme des groupes d’individus avec des préférences et des revenus identiques.
Si Ui j est la fonction d’utilité de l’électeur j qui est membre d’un groupe d’intérêt i, alors
Ui j = Ui , pour tout j = 1 et n i , où n i est la taille du ième groupe d’intérêt. Chaque individu
est un membre d’un des groupes d’intérêt.
La condition du vote déterministe (12.2) est remplacée par la condition suivante :

(π1i j = 1) ↔ (U1i > U2i − bi j )


(π1i j = 0) ↔ (U1i ≤ U2i − bi j ) (12.16)
(π1i j = 1) ↔ (U1i < U2i − bi j )

Les bi j sont des termes « biaisés ». Un bi j > 0 implique un biais positif en faveur du candi-
dat 1 de la part du jème électeur dans le ième groupe d’intérêt. L’utilité que cet électeur espère
du programme du candidat 2 doit excéder celle qu’il espère du programme du candidat 1
par plus de bi j , avant que 1 ne perde ce vote au profit de 2.
Un élément probabiliste est introduit par le modèle en supposant que les termes
biaisés sont des variables aléatoires tirées d’une distribution de probabilités avec des para-
mètres connus pour chacun des individus.
La figure 12.4 montre une distribution de probabilités uniforme d’un individu dans
un groupe d’intérêt donné. Ce groupe peut être considéré biaisé en faveur du candidat 1,
puisque le gros de la distribution est à droite de la ligne 0. Néanmoins, certains individus
de ce groupe vont être associés avec les termes de biais négatif. Si le candidat 1 s’aligne
sur le programme du candidat 2, il gagne la majorité, mais pas tous les votes du groupe
d’intérêt i.
La condition qui stipule que les groupes d’intérêt sont biaisés en faveur ou en défa-
veur de certains candidats ou partis est en accord avec les tendances de vote observées. Les
ouvriers et les fonctionnaires ont tendance à voter pour les partis de gauche, alors que les

Fréquence

Figure 12.4
Distribution uniforme de biais.
296 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

cadres du privé ou les commerçants tendent à voter pour les partis de droite. Mais bien
évidemment, ce sont des généralisations qui ne sont valables qu’en moyenne.
La condition qui stipule que les candidats connaissent la distribution de termes
biaisés, mais pas les termes individuels de biais, implique qu’aucun des candidats ne peut
dire avec certitude comment un certain nombre de membres d’un groupe d’intérêt particu-
lier va voter. Ce qu’ils peuvent prédire est la possibilité d’obtenir une plus grande fraction
du vote d’un groupe d’intérêt si la différence dans l’utilité retirée par le membre d’un
groupe d’intérêt entre les promesses faites dans son programme et celui de son opposant
augmente.
La condition (12.16) implique que la probabilité que i supporte le candidat 1 va
dépendre de la différence entre les utilités promises par les programmes des deux candi-
dats. La condition de premier ordre pour la maximisation du vote espéré est ainsi de forme
(12.8). Toutefois, quand les biais sont tirés d’une distribution uniforme, f i , le changement
dans la probabilité de gagner le vote d’un membre d’un groupe d’intérêt i, correspond à la
hauteur de la distribution uniforme, h i , d’où les bi j sont obtenus. Puisque la surface de la
distribution uniforme est égale à un, alors h i = 1/(ri − li ). Ainsi, sous la condition qui
stipule que les termes biaisés sont distribués uniformément, une compétition bipartite pour
un vote mène chaque candidat à offrir des programmes qui maximisent la fonction de bien-
être suivante :
W = α1 n 1 U1 + α2 n 2 U2 + ... + αm n m Um (12.17)

où αi = f i = 1/(ri − li ). Plus grande est la différence entre ri et li , les frontières de la


distribution uniforme pour un groupe d’intérêt i, plus grand sera l’éventail sur lequel les bi j
sont distribués. Plus grand est cet éventail, et plus les bi j vont être importants dans la déter-
mination du vote des membres d’un groupe d’intérêt, et moins importantes seront les
promesses d’utilité. Étant donné le dernier résultat, chaque candidat donnera moins de
poids à ce groupe d’intérêt en choisissant son programme.
Les résultats du modèle du vote probabiliste incluant les groupes d’intérêt ressem-
blent aux modèles précédemment vus au sens où il existe plusieurs équilibres qui sont
Pareto-optimal. En fait, une fonction additive de bien-être est maximisée, bien que des
poids différents soient assignés à différents groupes d’intérêts.
Cette dernière propriété soulève des questions normatives importantes à propos
des équilibres obtenus dans la lutte pour gagner des votes. Même si les candidats sont incer-
tains sur la façon dont les membres des différents groupes vont voter, cette incertitude varie
d’intensité selon les groupes. Une façon par laquelle les groupes d’intérêts essaient d’in-
fluencer les politiques publiques est de montrer au candidat le nombre potentiel de votes
qui pourraient être gagnés à l’intérieur de leur groupe d’intérêt s’ils prenaient certaines
positions dans leurs programmes. Les groupes d’intérêts essaient d’augmenter le bien-être
de leurs membres en réduisant l’incertitude du candidat en ce qui a trait aux votes de leurs
membres.
Mais ceci implique en retour que différents groupes d’intérêts reçoivent des pondé-
rations différentes dans les fonctions objectif du candidat et donc reçoivent des pondéra-
tions différentes dans la fonction de bien-être social, qui est implicitement maximisée à
travers la compétition entre candidats. Quand les candidats ne sont pas certains des votes
Théorie du vote probabiliste 297

des différents groupes et que ces groupes ont différentes capacités d’approcher les candi-
dats, alors ceux qui bénéficient de la compétition politique dépendent en partie du groupe
d’intérêt dont ils font partie. L’égalitarisme inhérent au slogan « un homme, une voix » est
perverti quand les groupes d’intérêts sont utilisés comme intermédiaires entre les candidats
et les citoyens.

12.5 UNE APPLICATION SUR LA FISCALITÉ


12.5.1 La logique générale
Les modèles du vote probabiliste sont devenus de plus en plus populaires depuis les vingt
dernières années pour analyser les résultats électoraux. Par exemple, une bonne partie de la
littérature sur les groupes d’intérêts a employé ce modèle et nous allons nous y attarder
dans le chapitre 20. Nous allons nous concentrer ici à analyser l’application de ce modèle
sur la taxation.
Imaginons un pays avec un système politique bipartisan. L’économie est consti-
tuée d’un bien privé, X, et le gouvernement fournit un bien public, G, qu’il finance à l’aide
de taxes sur les revenus individuels. Nous allons considérer que le gouvernement peut
implanter une nouvelle taxe, ti , sur chaque individu i. Chaque revenu individuel (Yt ) est
consacré complètement à la consommation personnelle du bien X et au paiement de la taxe,
Yi = (1 − ti )X i . Sous ces conditions, la fonction de vote espéré pour le parti 1, représen-
tée dans l’équation (12.7), est modifiée pour devenir :
 
   
E V1 = π1i = f i (Ui (G, X 1i ) − Ui (G, X 2i )) + λ Yi − G− X i . (12.18)
1 i i i

Pour équilibrer son budget, le gouvernement doit choisir un taux de taxation individuelle ti
n
tel que G = i=1 ti Yi . Le parti 1 maximise le nombre de votes attendus en choisissant G
et ti qui maximisent (12.18). En maximisant sous la contrainte de G, nous obtenons la
condition de premier ordre suivante :

n
∂Ui
fi = λ. (12.19)
i=1
∂G
n
En posant G = i=1 ti Yi dans la contrainte budgétaire de (12.18), et en remplaçant dans
chaque Ui (G, X i ) les contraintes budgétaires individuelles, et ensuite en maximisant sous
la contrainte de ti , nous obtenons les conditions de premier ordre suivantes :
∂Ui
fi = λ, i = 1, n. (12.20)
∂ Xi
Une comparaison entre (12.19) et (12.20) avec (2.8) et (2.9) du chapitre 2 nous montre
qu’elles sont les mêmes excepté que nous avons maintenant implicitement admis que
PG = PX = I , et que les γi dans l’équation (2.8) et (2.9) ont été remplacés par des f i . Les
298 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

yi dans (2.8) et (2.9) étaient des pondérations positives placées sur l’utilité de chaque indi-
vidu dans la fonction de bien-être social (2.6) qui était maximisée pour trouver la quantité
Pareto-optimale de bien public. Les f i sont les poids que chaque parti place implicitement
sur les utilités de chaque individu quand il maximise son vote escompté. Comme nous
l’avons vu dans le chapitre 2, chaque f i de (12.20) peut être utilisé pour remplacer un f i
dans l’équation (12.19) pour donner :
 ∂Ui /∂G
= 1, (12.21)
i
∂Ui /∂ X i

où (12.21) est encore la condition de Samuelson (1954) de Pareto-optimalité en présence


de biens publics quand PG = PX . Même si chaque parti est seulement intéressé à maximi-
ser ses votes espérés, la compétition pour les votes force chacun d’eux à choisir un niveau
de taxation individuelle et une quantité de bien public qui satisfont les conditions de l’op-
timalité de Pareto.
Même si le résultat électoral issu du modèle de vote probabiliste satisfait les condi-
tions de l’optimalité de Pareto, les niveaux d’utilité réalisés que (12.19) et (19.20) impli-
quent, sont vraisemblablement assez différents de ceux qu’un planificateur social impartial
pourrait produire en sélectionnant une série de y pour sa fonction de bien-être social.
L’équation (12.19) implique que le processus politique produit une grande quantité de biens
publics si les votes de ceux qui sont en faveur d’une grande quantité de biens publics

réagissent fortement au programme annoncé par les partis (c’est-à-dire que leurs f  ( )
sont grands). L’équation (12.20) signifie que les individus les plus réactifs par leur vote au
programme mis en avant pas les partis obtiendront une quantité plus grande de biens privés
(autrement dit leur taux de taxation sera plus faible).
Cette comparaison des conditions de premier ordre qu’on obtient en maximisant
une fonction de bien-être social, et les conditions de premier ordre qui sont implicitement
obtenues à travers le processus de la compétition électorale, révèle une similarité peut-être
surprenante entre les prédictions des politiques de taxation qui émergent d’une analyse
positive de la taxation en utilisant le modèle de vote probabiliste et les prescriptions norma-
tives qu’on dérive à partir de la théorie de la taxation optimale. Par exemple, les deux impli-
quent une taxation potentielle très complexe. Quand les fonctions d’utilité individuelles
diffèrent fortement, alors que tous doivent consommer les mêmes quantités de biens
publics, le niveau de taxation peut être très variable pour pouvoir satisfaire les conditions
de premier ordre de l’optimum de Pareto. Quand il existe de grandes différences indivi-
duelles dans le niveau d’accessibilité et de réactivité à la politique, les partis peuvent être
forcés d’offrir à des individus et des groupes des niveaux de taxation très différents s’ils
veulent maximiser leurs chances de se faire élire.
Ces prédictions à partir de l’analyse positive de la taxation diffèrent radicalement
des prescriptions normatives de chercheurs comme Simon (1938) et plus récemment
Buchanan et Congleton (1998), qui affirment que le traitement équitable des individus
requiert que les citoyens placés dans des situations similaires soient taxés de manière simi-
laire 5. Malgré les nombreux défenseurs d’une telle forme d’équité horizontale, et les

5 Voir la discussion par Hettich et Winer (1999, ch. 5).


Théorie du vote probabiliste 299

nombreuses propositions pour une taxation qui soit généralisée et à taux unique, le système
de taxation dans la majorité des pays développés reste rempli d’exemptions et privilèges
spéciaux. Ainsi, la prédiction de cette théorie positive semble, à partir d’observations
superficielles, s’avérer vraie. Nous allons maintenant présenter plus de preuves systéma-
tiques sur les déterminants de la structure des niveaux de taxation.

12.5.2 Les recherches empiriques


Le modèle de vote probabiliste prédit que les politiques de taxation sont biaisées en faveur
des personnes et des groupes qui sont capables de garantir des votes à un parti qui leur offre
des traitements de taxation favorables. Pour tester le modèle, nous avons besoin d’identi-
fier les personnes ou les groupes susceptibles d’offrir un grand nombre de voix, et de véri-
fier s’ils reçoivent un traitement favorable dans le système de taxation. Puisqu’aucun index
de la force politique n’est disponible actuellement, le modèle de vote probabiliste ne mène
pas directement à des prédictions concernant les groupes qui vont bénéficier d’une fiscalité
favorables.
Une seconde difficulté pour tester les implications du modèle de vote probabiliste
est dû au fait que certaines de ses prédictions sont identiques à celles des théories rivales.
Par exemple, un des résultats majeurs dans la littérature sur le niveau de taxation optimale
est que les politiques de taxation devraient essayer de minimiser les pertes sèches. Toute-
fois, un parti qui maximise les votes ne sera pas intéressé à faire des pertes sèches parce
que cela lui causerait une perte de votes. En effet, l’ensemble optimal des taxes du point de
vue du parti maximisateur de votes – tout comme la planification sociale qui maximise la
fonction de bien-être – serait une série de taxes forfaitaires. Les deux politiques idéales ne
devraient pas différer dans la forme que prendra la taxe, mais plus dans son amplitude.
Ainsi, les preuves présentées par Kenny et Toma (1997), que les taxes et les politiques de
seigneuriage aux États-Unis autrefois ont eu tendance à lisser les revenus (smooth income)
comme le prédit la littérature sur le niveau de taxation optimale, est cohérent avec l’hypo-
thèse que ces politiques sont introduites par les partis qui cherchent à maximiser les votes
en période électorale 6.
La principale théorie alternative au modèle du vote probabiliste pour expliquer les
politiques de taxation est le modèle de l’électeur médian. Mais ici aussi, les deux modèles
peuvent mener à des prédictions similaires, si on suppose que la classe moyenne est un
groupe politique efficace (c’est-à-dire qu’elle a un f  élevé dans l’équation (12.20)). Est-
ce que l’existence de déductions fiscales pour les enfants implique que les parents sont un
groupe d’intérêt politique efficace, que l’électeur médian a des enfants, ou que le planifi-
cateur social a placé un poids supplémentaire sur les fonctions d’utilité des gens qui ont des
enfants ?
Malgré ces énigmes, dans certains cas, il est possible d’inférer qu’une taxation
observable est cohérente avec l’hypothèse que certains groupes exercent une plus grande

6 La même chose peut bien sûr être dite pour plusieurs autres études qui essayent de tester les propositions de
la théorie sur le niveau de taxation optimal. Voir les références dans Kenny et Toma (1997) et Hettich et Winer
(1999, chap. 8).
300 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

influence dans la détermination des taxes. Par exemple, les propriétaires de maisons
dispendieuses ne sont pas supposés avoir un poids additionnel dans la fonction de bien-être
social d’un planificateur raisonnable, ni d’inclure l’électeur médian dans ce groupe. Hunter
et Nelson (1989) ont trouvé que la proportion du revenu des taxes totales dans les paroisses
de Louisiane représenté par les taxes sur la propriété est inversement reliée au pourcentage
de propriétaires de maisons qui possèdent des maisons dispendieuses. Ainsi, cela semble
confirmer l’hypothèse que les riches propriétaires sont un groupe efficace en Louisiane 7.
Hettich et Winer (1984, 1999, ch. 9) emploient le modèle du vote probabiliste pour
développer leur étude sur la dépendance à l’impôt sur le revenu comme source de revenu
dans les États. Le soutien le plus évident au modèle du vote probabiliste vient de la seconde
équation de leur modèle, qui prédit que même les États permettent aux résidents de crédi-
ter leurs paiements de taxe sur la propriété contre leurs obligations d’impôt sur le revenu.
Encore une fois les riches propriétaires semblent exercer une influence significative comme
les citoyens de plus de 65 ans 8.
Même si le nombre d’études qui testent directement l’importance d’une force poli-
tique dans la détermination de la structure de taxation est faible, les résultats sont encoura-
geants jusqu’à maintenant.

12.6 COMMENTAIRES
Quand Anthony Downs a mis en avant sa théorie économique sur la démocratie, il semblait
suggérer que les résultats d’un système politique dans lequel les candidats sont en compé-
tition pour les votes d’un électorat, devraient d’une manière ou d’une autre échapper aux
implications nihilistes de la littérature sur l’alternance, et plus généralement au théorème de
l’impossibilité d’Arrow (voir un exemple dans Downs, 1957, pp. 17-19). Toutefois, Downs
ne réussit à démontrer aucun résultat normatif concernant les résultats d’une compétition
politique. La littérature ultérieure sur le modèle spatial du vote a au fur et à mesure prouvé
que la théorie des cycles est potentiellement un problème quand les candidats sont en
concurrence pour des votes comme c’est le cas des votes dans une commission.
La littérature sur le vote probabiliste se glisse entre la littérature des choix publics
sur le vote des commissions et celle qui porte sur la compétition électorale. Les votes dans
des commissions sont, par leur nature, déterministes, et les problèmes de majorités cycliques
vont continuer à confondre les résultats sous les règles comme celle de la majorité simple.
Mais si les électeurs récompensent un candidat qui leur promet une utilité plus grande, en
augmentant la probabilité de voter pour lui, alors la compétition de votes entre les candidats
conduit – « comme s’il y avait une main invisible » – à un programme qui maximise le bien-
être social. L’analogie entre la compétition de marché et la compétition politique existe. Les
deux résultent dans une allocation des ressources qui est optimale au sens de Pareto. La foi
de Downs dans l’efficacité de la concurrence politique a donc été réhabilitée.
7 Une paroisse en Louisiane est une unité de politique locale qui correspond au comté dans les autres États. Les
fermiers sont aussi identifiés comme un groupe politique efficace par Hunter et Nelson.
8 Plusieurs variables additionnelles, que Hettich et Winer supposent significatives, le sont. Mais souvent ces
autres variables peuvent être également cohérentes avec les modèles alternatifs.
Théorie du vote probabiliste 301

Plusieurs auteurs ont questionné la pertinence de certaines des conditions sur


lesquelles reposent les principaux théorèmes dans la littérature du vote probabiliste, à
savoir que les fonctions de probabilité du vote d’un électeur pour un candidat donné sont
monotones et concaves pour une utilité promise à un électeur par un candidat, et que l’en-
semble des enjeux sur lesquels les candidats sont en compétition est un ensemble compact
et convexe (Slutsky, 1975 ; Usher, 1944 ; Kirchgässner, 2000).
Par exemple, Kirchgässner remet en question la généralité des modèles de vote
probabiliste en construisant un exemple avec trois électeurs dont les points idéaux sont
situés de manière à former un triangle comme celui de la figure 12.1. Il choisit ensuite des
probabilités telles que le candidat 2 peut augmenter ses chances de gagner les voix de A et
de B en se déplaçant vers le point central de AB suffisamment pour compenser amplement
la réduction de la probabilité que C vote pour lui, en supposant que le candidat 1 est situé
à M. Par cet exemple, Kirchgässner affirme qu’un cycle peut aussi se produire avec un vote
probabiliste.
Évidemment, un électorat à trois électeurs est plutôt rare et il peut être raisonnable
de penser que les candidats veuillent essayer de gagner les voix de deux des trois électeurs.
Avec un grand nombre d’électeurs et une distribution unimodale des points idéaux, une
telle stratégie avec le vote probabiliste pourrait sembler beaucoup moins raisonnable.
Toutefois, même avec un électorat à trois électeurs, les théorèmes qui prouvent l’existence
d’équilibres sous un vote probabiliste restent valides – si l’on maintient les postulats du
théorème.
Dans leurs preuves de l’existence d’un équilibre sous un vote probabiliste, Cough-
lin et Nitzan (1981a, b) considèrent que la probabilité que l’électeur i vote pour chacun des
deux candidats est une fonction concave de la forme suivante :
U1i U2i
π1i = , π2i = (12.22)
U1i + U2i U1i + U2i

Maintenant, considérons que l’utilité retirée par chaque électeur i d’un programme du
candidat j prenne la forme suivante :
 2
Ui = K −  Ii − Pj  ,
j
(12.23)
où Ii est le point idéal de l’électeur i, Pj est le programme du candidat j, et |Ii − Pj | est la
distance euclidienne entre deux points. K est la constante positive que représente l’utilité
de chaque électeur selon la combinaison de x, y qui correspond à son point idéal. K doit être
j
suffisamment grand pour que Ui > 0, si il est cohérent de fournir les biens publics x et y à
tous.
Si le candidat 1 est situé au point M qui est équidistant de A, B, et C, et si le candi-
dat 2 est à mi-chemin entre A et B, alors la probabilité que le candidat 1 gagne les votes de
A ou B est :
 2
K − √23 K − 43
π1A = π1B =  2 = , (12.24)
K − √23 + K − 1 2K − 73
302 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

alors que la probabilité de gagner le vote de C est :


K− 4
K− 4
π1C = 3
= 3
(12.25)
K− 4
3
+K −3 2K − 13
3

Les probabilités respectives pour le candidat 2 sont :


K −1 K −3
π2A = π2B = , π2C = (12.26)
K − 73 2K − 13
3

En additionnant chaque fonction de probabilité pour les trois électeurs nous obtenons π1 et
π2 , à partir duquel il est facile de montrer que :


1
(π1 > π2 ) ↔ K > . (12.27)
2
Rappelons-nous que K doit être suffisamment grand pour que la fourniture de x et y soit
intéressante pour la communauté. Il est facile de voir que (12.27) est satisfaite pour chacun
des programmes des deux candidats. Le candidat 2 ne va pas augmenter sa probabilité de
gagner en quittant la position M.
Si nous pensons que les deux candidats promettent des paniers différents de biens
publics, alors l’imposition d’une contrainte de budget sur le gouvernement ou une
contrainte de ressources sur l’économie devrait suffire pour que l’ensemble de l’enjeu satis-
fasse les conditions de compacité et de convexité. Avec deux biens publics, x et y et une
contrainte de budget, B, la condition sera satisfaite. Est-ce que ces conditions sont raison-
nables ? Est-ce qu’il y a une probabilité pour un citoyen donné de voter pour le candidat 1
pour chaque programme possible que ce candidat peut choisir ? Est-ce que ces program-
mes s’étendent jusqu’à l’infini dans certaines directions de l’espace d’enjeux ? Ultime-
ment, ce sont des questions à propos de la psychologie de l’électeur qui ne peuvent pas être
résolues par un argument logique 9.
Une manière alternative de tester l’exactitude des conditions qui sous-tendent les
théorèmes est de tester leurs implications. Dans un système bipartisan comme aux États-
Unis, les candidats convergent-ils vers les mêmes positions (ou presque) sur l’ensemble
complet des enjeux ? Est-ce que le processus électoral produit parfois des candidats avec
des positions extrêmes sur une série d’enjeux et, à d’autres moments, avec des positions
complètement différentes ? Si le lecteur pense que oui, alors il devrait douter des postulats
qui sous-tendent les modèles de vote probabiliste. Si le lecteur pense le contraire, il peut se
rassurer par les implications de ce modèle.
9 Enelow et Hinich (1989) ont introduit un élément probabiliste dans un modèle électoral bipartisan comme un
terme d’erreur aléatoire dans les anticipations d’un candidat sur son nombre de votes. La question de savoir si
un équilibre existe ou non, va dépendre de « la variance de cet élément aléatoire..., de la taille de l’ensemble
des positions politiques possibles d’un candidat, de la saillance des enjeux politiques au sein des électeurs, de
la dimension de l’espace politique, et du degré de concavité dans les fonctions d’utilités de l’électeur »
(p. 110). Ainsi, le modèle de vote probabiliste de Enelow et Hinich illustre certains aspects que Kirchgässner
pointe dans sa critique. L’existence d’un équilibre n’est pas garantie par l’introduction d’un élément aléatoire
dans un système bipartisan. Une fois encore, il n’est pas facile de dire si les conditions (à propos de la gran-
deur de l’espace des possibles, la concavité de la fonction d’utilité de l’électeur, etc.) qui sont nécessaires pour
assurer un équilibre sont raisonnables ou non.
Théorie du vote probabiliste 303

Même si nous acceptons les postulats qui sous-tendent les modèles de vote proba-
biliste et ses implications à propos des équilibres dans une compétition bipartisane, on peut
faire face à des problèmes normatifs très désagréables. Le modèle de vote probabiliste
incluant des groupes d’intérêts implique que différents groupes reçoivent des poids diffé-
rents dans la fonction de bien-être maximisée implicitement par la compétition entre candi-
dats. La littérature empirique sur la taxation discutée plus haut, qu’on reverra dans le
chapitre 20, souligne l’importance de cet enjeu en fournissant des preuves suffisantes d’une
relation d’échange bilatérale entre les candidats et les groupes d’intérêt. Alors qu’il est
rassurant de savoir que la compétition politique nous mène à un équilibre sur la frontière
des possibilités de Pareto, avant de faire les éloges d’un système démocratique bipartite
nous voulons peut-être nous demander où ce point se trouve sur la frontière. Avant de juger
les mérites d’un système bipartisan, il est utile de le comparer avec ses alternatives – un
système avec parti unique et un système multipartite. Nous allons analyser les systèmes
multipartites dans le prochain chapitre et laisser les systèmes à un seul parti pour le chapi-
tre 18.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Les premiers articles à établir l’existence des équilibres sous des conditions de vote probabiliste
furent écrits par Davis et al. (1970) et Hinrich, Ledyard et Ordeshook (1972, 1973). Même si le
résultat d’équilibre était clairement là, la signification de ce résultat n’avait pas été appréciée par
les observateurs, parce que les éléments probabilistes dans le modèle étaient considérés comme
étant dus aux abstentions quand les candidats étaient trop loin du point idéal de l’électeur. Ainsi,
les équilibres semblent fusionnés comme une sorte de conséquence accidentelle du refus de voter
de certains électeurs. Ceci est apparu comme étant une base douteuse sur laquelle bâtir un argu-
ment normatif fort pour les résultats d’une compétition électorale. Toutefois, comme la littérature
a évolué, l’emphase s’est détournée des abstentions à l’incertitude de la part des candidats ou des
électeurs. Les articles pertinents dans cette évolution sont : Comanor (1976), Denzau et Kats
(1977), Hinich (1977), Coughlin et Nitzan (1981a, b), Coughlin (1982, 1984, 1986), et Ledyard
(1984), Enelow et Hinich (1984, ch. 5), Ordeshook (1986, pp. 177-180 ; 1997), et Coughlin (1992).
Ces articles nous donnent une vue d’ensemble de la littérature.
La signification normative des résultats est illustrée plus clairement par Coughlin et Nitzan (1981 a),
Coughlin (1982, 1984, 1992) et Ledyard (1984) est soulignée de manière incisive par Wittman
(1989, 1995).
Wittman (1984) étend les résultats de l’équilibre à la compétition entre plus de trois candidats,
Austen-Smith (1981b) à une compétition entre partis dans plusieurs circonscriptions.
Samuelson (1984) considère que les candidats commencent avec des points de départ différents et,
dans chaque élection, ont des contraintes sur la distance qu’ils peuvent prendre de leurs points de
départ. Les équilibres surviennent quand les candidats adoptent des programmes différents et
calculent différemment les votes escomptés. Hansson et Stuart (1984) ont obtenu des résultats simi-
laires en supposant que les candidats ont des fonctions d’utilité qui sont définies sur un choix stra-
tégique.
L’analyse des choix publics des systèmes de taxation a été lancée par Hettich et Winer (1984, 1988).
Une revue de la littérature a été menée par Hettich et Winer (1997, 1999).
Finalement, une mention doit être faite pour le travail le plus important, celui de Becker (1983).
Becker ne modélise pas le processus de la compétition politique, mais suppose que le gouverne-
304 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

ment est une forme de marché pour équilibrer les demandes des groupes d’intérêts pour des
faveurs. À l’équilibre, l’optimum de Pareto tient comme dans les équilibres des modèles de vote
probabilistes.
En français, le modèle du vote probabiliste a été introduit par Lafay (1992). Quelques études sur
sondages ont été conduits pour établir l’effet des déclarations des sondés sur les probabilités de
vote (Magni Berton, 2003, 2009 ; Denni et Caillot, 2007).
13
LES SYSTÈMES MULTIPARTIS

13.1 Deux approches de la représentation 306


13.2 Sélectionner un corps représentatif de législateur 307
13.3 La représentation proportionnelle en pratique 308
13.4 Les règles électorales 308
13.5 Les règles électorales et le nombre de partis 313
13.6 Les règles électorales et le degré de proportionnalité 319
13.7 Les objectifs des partis politiques 321
13.8 La stabilité des gouvernements 334
13.9 Stabilité sociale 340
13.10 Le vote stratégique 340
13.11 Remarques conclusives 343
306 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Il y a une distinction radicale entre penser contrôler les affaires du gouvernement


et le faire en réalité.
John Stuart Mill

13.1 DEUX APPROCHES DE LA REPRÉSENTATION


« Les opinions sont divisées sur le rôle et la fonction des élections dans le proces-
sus démocratique et donc sur l’un des éléments de base de la théorie démocra-
tique. D’après la première approche, les élections servent en premier lieu à choisir
un gouvernement – un cabinet, une administration ou le pouvoir exécutif – et,
accessoirement, si ce n’est pas du tout le cas, à refléter les priorités et les opinions
des citoyens. Selon cette approche, un gouvernement peut gouverner aussi long-
temps qu’il conserve la confiance (reflète les priorités ou opinions) du parlement
élu… Ceux qui s’inscrivent dans cette approche – qui, notons-le, pose les bases de
la théorie du gouvernement responsable – ont tendance à se concentrer sur des
questions et des problèmes en lien avec le cabinet plutôt qu’avec le parlement ou
les citoyens.
D’après la seconde approche, les élections sont essentiellement des instruments
dans les mains du peuple qui lui servent à signaler des priorités ou des opinions
particulières aux candidats (représentants) et, accessoirement, à choisir les
hommes remplissant la fonction gouvernementale. La base de cette approche, qui
établit les fondations de la théorie du gouvernement représentatif, est l’hypothèse
selon laquelle les gouvernements cherchent à satisfaire les priorités des citoyens
dans l’élaboration des politiques publiques qui seraient, dans le cas contraire,
impossibles à mettre en œuvre ou alors dans des proportions sous-optimales. »
(Breton et Galeotti, 1985, pp. 1-2)

Le modèle de compétition bipartisan ou à deux candidats des chapitres 11 et 12 fournit un


fondement théorique à la première approche du gouvernement. Tant que les deux partis ou
candidats devront continuer à se battre pour obtenir les suffrages des citoyens, ils resteront
réceptifs aux priorités de ceux-ci. Chacune d’entre elles reçoit un poids politique positif
dans les fonctions objectifs des candidats en compétition. Cependant, avec un électorat
important, ce poids serait faible et l’équilibre auquel les candidats arriveraient serait très
éloigné du programme préféré des citoyens. De plus, parce que le gouvernement gouverne
pour plusieurs années, les « problèmes » sur lesquels les candidats se disputent ne sont pas
des propositions de programme ou de dépenses spécifiques mais plutôt des positions poli-
tiques et idéologiques générales. En conséquence, en votant pour un candidat particulier, le
citoyen ne vote pas pour quelqu’un qui représentera directement et étroitement les priori-
tés des citoyens, il vote pour un candidat ou un parti auquel il espère confier le pouvoir de
gouverner pendant le prochain mandat. Cette approche du processus de gouvernement
ressemble quelque peu à la sélection du souverain de Hobbes, sauf que le souverain doit
périodiquement se présenter pour se faire réélire.
les systèmes multipartis 307

L’idéal-type pour la seconde approche du gouvernement est la démocratie athé-


nienne. Les résultats du gouvernement devraient refléter les priorités du peuple, comme
dans une démocratie directe. Une démocratie représentative n’est nécessaire que si le pays
est trop important pour que tous les citoyens puissent se rassembler et délibérer directement
sur les problèmes. En choisissant des représentants, on cherche à sélectionner ceux dont le
scrutin reproduit ce qui se passerait, si tous les citoyens se rassemblaient et votaient direc-
tement sur les problèmes.
Les modèles idéaux de la première approche de la démocratie ont été présentés
dans les chapitres 11 et 12. Dans cette partie, nous esquissons une représentation idéale du
second modèle de démocratie, puis nous continuons en discutant des systèmes de repré-
sentation proportionnelle, comme ils se présentent dans les faits.

13.2 SÉLECTIONNER UN CORPS REPRÉSENTATIF


DE LÉGISLATEUR
Nous cherchons une assemblée dans laquelle chaque citoyen est représenté par quelqu’un
qui a des priorités identiques aux siennes 1. Cependant, une telle assemblée représentative
ne peut pas être formée, sauf si quelques citoyens ont les mêmes priorités. Sinon, la seule
assemblée vraiment représentative inclurait tous les citoyens. Supposons alors que l’en-
semble des citoyens puisse être divisé en s groupes : tous les membres du groupe ayant des
idées parfaitement homogènes sur les problèmes publics. Soit n i le nombre de citoyens
avec les priorités de type i . Un corps entièrement représentatif peut alors être formé en
sélectionnant s individus, un de chaque groupe, et en donnant à chaque représentant un
nombre de voix à l’assemblée, proportionnel au nombre d’individus représentés : par
exemple, le représentant du groupe i a n i voix. Dans une telle assemblée, chaque citoyen
serait représenté par quelqu’un dont les priorités sont identiques aux siennes et toutes les
priorités des citoyens seraient représentées en proportion de leur occurrence parmi l’en-
semble des citoyens.
La plus simple façon de former une telle assemblée serait d’offrir des récompen-
ses suffisamment élevées pour que les membres de chaque groupe soient incités à se faire
élire. En supposant que les citoyens votent pour des représentants avec des priorités iden-
tiques aux leurs, une assemblée pleinement représentative serait alors formée.
Si s est si important qu’il rend une telle assemblée peu maniable, alors la taille de
celle-ci devrait être limitée (1) par la fixation d’un nombre de sièges m, seuls les candidats
m ayant récolté le plus de voix étant autorisés à siéger, ou (2) par la fixation d’un nombre
ou d’un pourcentage minimum de voix qu’un candidat doit gagner pour être autorisé à
siéger à l’assemblée. La première proposition garantit qu’au maximum m sièges seront
remplis à l’assemblée. La seconde permet qu’un nombre variable de sièges soient remplis,
mais un nombre plus petit que s peut être garanti en fixant un nombre de voix nécessaires
pour être correctement élu.
1 Le modèle de cette partie ressemble à celui examiné par Tullock (1967a, chap. 10), Mueller, Tollison et Willet
(1972, 1975) et Mueller (1996a, chap. 8).
308 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Ces deux propositions auraient pour résultat de faire voter les citoyens pour des
candidats qui ne siégeront pas à l’assemblée. Ceci pourrait être évité par l’organisation d’un
second tour entre les gagnants du premier tour pour déterminer combien de voix chacun
aurait à l’assemblée. Chaque citoyen pourrait alors voter pour le représentant sélectionné
au premier tour dont les priorités sont les plus proches des siennes. Même si la représenta-
tion n’était alors plus parfaite, elle se rapprocherait plus de l’idéal que le résultat d’une
compétition à deux candidats où le gagnant emporte tout (winner takes all).
Enfin, si la taille réalisable d’une assemblée m est importante par rapport à s, m
citoyens devraient être choisis aléatoirement parmi la population et se reposer sur la loi des
grands nombres pour s’assurer que l’assemblée est formée de membres dont les priorités
sont proportionnées à celles de l’ensemble des citoyens (Mueller, Tollison et Willett,
1972).

13.3 LA REPRÉSENTATION PROPORTIONNELLE EN PRATIQUE


Il y a une différence importante entre le système idéal de représentation proportionnelle
comme il vient juste d’être défini et son équivalent dans la réalité. Dans deux pays seule-
ment, Israël et les Pays Bas, tous les électeurs du pays sont face à une liste identique de
partis et de candidats. Dans tous les autres, le pays est divisé en circonscriptions dans
lesquelles sont élus plusieurs représentants. Ainsi, le mode de représentation est typique-
ment un compromis entre la forme extrême de représentation géographique dans les systè-
mes « le premier emporte le poste » et le système proportionnel généralisé.
Dans un système proportionnel typique, les branches exécutive et législative du
pouvoir sont combinées. Après une élection, le chef du gouvernement et son gouverne-
ment 2 sont, soit choisis directement par l’assemblée soit par le chef de l’État (le Président,
la Reine), sur conseil du pouvoir législatif. Ainsi, lorsque plusieurs partis réussissent à
former ensemble une majorité de coalition, ils peuvent effectivement choisir le chef de
l’exécutif et les membres du gouvernement.
Dans la suite du chapitre, nous examinons les propriétés des systèmes politiques
dans les régimes proportionnels et leurs effets. Nous commençons par l’examen de
quelques règles électorales qui peuvent exister dans les systèmes proportionnels.

13.4 LES RÈGLES ÉLECTORALES


Notre système proportionnel idéal n’avait qu’une seule circonscription où sont élus autant
de personnes qu’il y a de sièges disponibles dans l’assemblée législative. Les systèmes
proportionnels réels sont différents, tant sur le nombre de circonscriptions qui divisent un
pays que sur le nombre de personnes qui peuvent être élues. Moins il y a de circonscrip-
tions qui divisent la collectivité, plus il y a de personnes qui sont élues par circonscription,
2 Nous utilisons indistinctement les termes de cabinet et de gouvernement pour désigner l’ensemble des person-
nes dirigeant le pouvoir exécutif.
les systèmes multipartis 309

et plus un système fondé sur un découpage géographique ressemblera au système propor-


tionnel idéal. Pour chaque système dans lequel plus d’une personne est élue par circons-
cription, une formule doit être trouvée pour traduire les voix de la circonscription en sièges
au Parlement. Ces formules peuvent être issues des différences entre le pourcentage de
suffrages récoltés par un parti au niveau national et le pourcentage de sièges qu’il a au
Parlement. Commençons par illustrer ce qu’impliquent les cinq formules les plus utilisées.

13.4.1 Les formules de Droop, Imperiali, d’Hondt et Sainte-


Lagué
Examinons le tableau 13.1 3. Un pays fictif de 10 300 000 électeurs est divisé en 10 circons-
criptions. Les sièges au Parlement sont répartis entre chaque circonscription, proportion-
nellement à la population. Par exemple, la circonscription 1 est deux fois plus peuplée que
la circonscription 2, et peut donc obtenir deux fois plus de sièges. La population de chaque
circonscription est telle que l’attribution des sièges est exacte : chaque représentant est élu
par 100 000 électeurs. D’ordinaire, même la répartition des sièges la plus juste occasionne
évidemment des différences entre les circonscriptions dans les rapports du nombre d’élec-
teurs par siège.
Il y a huit partis politiques qui cherchent à faire élire des représentants au Parlement, mais
ils n’ont pas tous présentés des candidats dans chaque circonscription. Lorsqu’un parti
n’arrive pas à présenter une liste de candidats dans une circonscription, cela est signalé
dans le tableau par NL. Chaque électeur ne vote que pour un seul parti, peu importe la
circonscription. Les sièges dans la circonscription sont attribués proportionnellement aux
suffrages obtenus à l’intérieur de la circonscription. Nous supposons que la règle de répar-
tition est la règle la plus large. Nous allons commencer par calculer le quotient de Hare à
l’aide de la formule :
v
q= (13.1)
s
où v mesure le nombre total de suffrages dans une circonscription, et s le nombre de sièges
à remplir. Le nombre de sièges gagnés par chaque parti est déterminé en divisant le nombre
de voix gagnées par le parti, v p , par q. Cette division donne un entier non négatif I et une
fraction f , 0 ≤ f ≤ 1. Cela donne :
vp
=I+ f (13.2)
q

Dans un premier temps, la répartition des sièges entre les partis est faite en donnant à
chaque parti un nombre de sièges égal à son I. Les sièges restants sont attribués aux partis
en fonction de l’importance des voix restantes, f . Par exemple, sur la base du I de chaque
parti, les sièges de la circonscription 1 sont répartis de la façon suivante : trois sièges pour

3 Ce tableau ainsi que la plus grande partie de la discussion du paragraphe sont extraits de Mueller (1996a,
ch. 10).
310

Tableau 13.1
Répartition des sièges dans un système pluri-représentants et à plusieurs circonscriptions.

Circ. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Totaux
Répartition
Parti V S V S V S V S V S V S V S V S V S V S V s réelle
A 349 851 4 489 441 5 141 222 1 73 444 1 NL 111 422 1 141 383 1 268 317 3 NL 4 525 1 579 605 16 16
B NL 69 617 1 92 856 1 101 867 1 17 642 71 683 1 155 363 2 182 741 2 81 646 1 115 922 1 889 337 9 10
LES

C 41 442 NL 52 956 1 NL 66 817 1 NL 646 522 7 433 829 4 124 317 1 611 323 6 1 977 206 20 20
D 107 814 1 31 145 NL 32 496 75 323 1 NL NL 110 009 1 111 666 1 224 103 2 692 556 7 6
E NL 180 017 2 66 100 1 115 466 1 NL 88 238 1 333 661 3 101 842 1 NL 89 306 1 974 630 10 10
F 23 500 16 333 41 323 304 275 3 80 969 1 NL 141 682 1 NL NL 79 221 1 687 303 7 6
G 227 275 2 490 376 5 480 727 5 170 631 2 59 249 192 349 2 NL 162 300 2 190 841 2 NL 1 973 748 19 20
H 50 118 1 323 071 3 224 816 2 101 821 1 NL 236 308 2 81 389 1 140 962 1 91 530 1 275 600 3 1 525 615 15 15
Totaux 800 000 8 1 600 000 16 1 100 000 11 900 000 9 300 000 3 700 000 7 1 500 000 15 1 400 000 14 600 000 6 1 400 000 14 10 300 000 103 103
CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES
les systèmes multipartis 311

A, un pour D et 2 pour G. Les sièges restants sont donnés à A et H car ils ont la portion de
voix restante la plus importante.
L’avant-dernière colonne du tableau 13.1 montre le total des voix gagnées par
chaque parti dans le pays (V ) et le nombre de sièges que chacun aurait si la formule 13.2
était appliquée aux totaux nationaux plutôt qu’au total circonscription par circonscription.
La dernière colonne représente les sièges remportés dans les dix circonscriptions. La
correspondance entre les sièges gagnés dans les dix circonscriptions et ce qui aurait été
attribué si le pays n’était composé que d’une circonscription, est proche mais pas parfaite.
Si elle était appliquée à l’ensemble des voix du pays, la formule de répartition du plus grand
nombre de voix restante, attribuerait un siège en plus aux partis D et F et un de moins pour
B et G.
Même si le quotient de Hare, associé à la règle de répartition du plus grand nombre
de voix restantes dans une circonscription, est le plus direct et le plus facile à appliquer, il
n’est pas le seul à être utilisée. Il existe deux variantes du quotient de Hare, le quota de
Droop, d :
v v
d= ou d = +1 (13.3)
s+1 s+1
et l’Imperiali i :
v
i= , (13.4)
s+2
avec d tel que défini à gauche de l’expression 13.3 et i arrondi à l’entier le plus proche. La
méthode d’Hondt ne calcule pas un quotient mais répartit simplement les sièges de la
circonscription en appliquant le principe du plus grand nombre de voix restantes de façon
répétitive. La formule modifiée de Sainte-Lagué utilise 1, 4, 3, 5, 7,… comme diviseurs au
lieu de 1, 2, 3, 4,… comme le fait la formule d’Hondt. Il y a encore d’autres variantes qui
sont ou ont été utilisées 4. Comme nous allons le voir, elles diffèrent sur la qualité de la
correspondance entre le nombre de suffrages récoltés et le nombre de sièges attribués, mais
elles essayent toutes de faire en sorte que cette correspondance soit raisonnable et proche.

13.4.2 Le vote uninominal et transférable (STV)


Dans les systèmes de STV, le citoyen vote pour un, ou plus souvent, pour plusieurs candi-
dats, plutôt que pour un parti. Chaque électeur classe les candidats se présentant dans sa
circonscription. Les gagnants sont déterminés en utilisant le second quota de Droop,
comme il a été précédemment défini :
v
d= +1 (13.5)
s+1

4 Ces diverses formules sont illustrées et comparées par Carstairs (1980, chs 2 et 3), Balinsky et Young (1982),
Lijphart (1986) et Aly (1993, pp. 225-38).
312 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

avec v et s correspondant aux totaux des votes et des sièges dans une circonscription,
comme précédemment. On commence par définir le nombre de candidats avec le plus de
voix de premier rang, excédant d. Ces candidats sont tous élus. Toutes les voix de premier
rang pour un candidat qui dépassent celles nécessaires pour atteindre d sont attribuées aux
seconds choix des électeurs. Si, après ces transferts de voix, un candidat a plus de voix que
d, les voix excédentaires sont attribuées au troisième choix des électeurs, et cela jusqu’à ce
que les s sièges soient attribués. Actuellement, le STV est utilisé en République d’Irlande,
à Malte, en Irlande du Nord (pour élire les représentants au Parlement européen), en
Australie (pour élire les sénateurs) et dans quelques villes américaines.
Lorsque les électeurs ne classent que les candidats d’un seul parti, les résultats
dans la représentation des partis à l’aide du STV sont identiques à ceux résultant de l’utili-
sation de la formule de répartition des voix restantes (Lijphart, 1986, p. 175). La principale
différence entre le STV et un système de listes de partis réside dans le fait que sous un
système de listes, la direction du parti doit déterminer quelles seront les personnes qui
rempliront les sièges gagnés par le parti, alors qu’avec le STV, il revient aux électeurs de
faire ce choix. Avec le STV, les électeurs ont la possibilité de sanctionner un chef de parti
en lui donnant par exemple un rang très bas, alors qu’avec le système de liste, il serait élu
tant que sa place au sein de la direction du parti lui assurant un rang dans la liste du parti
est plus haut que le nombre de sièges obtenus par le parti.
Le STV semblerait alors avoir tous les avantages d’un système de liste de partis
(les électeurs pouvant parfaitement ranger les candidats dans le même ordre que celui
choisi par le parti), en plus de l’avantage évident d’offrir la possibilité dans le processus
électoral aux électeurs de donner leur opinion sur les mérites de chaque membre du parti.
En outre, le STV a un avantage particulier : il permet aux groupes ethniques, religieux et
sexuels, de choisir des membres du parti provenant de leur groupe 5.

13.4.3 Le scrutin de vote limité


Dans les systèmes de scrutin de vote limité, chaque électeur a c voix, avec c ≤ s et s étant
le nombre de sièges à pourvoir dans la circonscription. Les s candidats ayant le plus de voix
dans une circonscription siègent au parlement. Les voix sont comptées par personne, au
lieu de l’être par parti, et ainsi le scrutin limité ressemble un peu au STV car l’électeur peut
indiquer quels membres du parti il souhaite voir au parlement. Mais il peut aussi voter pour
des personnes issues de partis différents. L’Espagne est le seul pays à utiliser le scrutin
limité, avec c > 1, pour l’élection de la Chambre Haute 6.
Le scrutin limité est un compromis entre les systèmes purement proportionnels
dans lesquels les partis ou candidats reçoivent un nombre de sièges au parlement propor-
tionnel au nombre de voix reçues et les systèmes majoritaires dans lesquels les représen-
tants sont élus avec des nombres différents de voix. Cette dernière caractéristique crée des

5 Pour plus de détails sur les avantages et les inconvénients du STV, voir Hellett (1984), Katz (1984), Amy
(1993, pp. 183-91, 193-7) et Bowler et Grofman (2000b).
6 Pour une discussion sur le scrutin limité en général, et en particulier sur l’expérience espagnole, voir Lijphart,
Lopez et Sone (1986) et Cox (1997, pp. 115-17).
les systèmes multipartis 313

problèmes de stratégie aussi bien pour les électeurs que pour les candidats des partis.
Supposons par exemple, que quatre sièges soient à pourvoir dans une circonscription et que
chaque électeur ait trois voix, comme c’est le cas en Espagne. Un électeur voudra peut-être
que les quatre sièges soient occupés par des représentants du parti qu’il préfère, mais il n’a
que trois voix. Si le parti présente quatre candidats, l’électeur doit choisir un candidat sur
les quatre pour lequel il ne votera pas. Si tous les électeurs qui soutiennent le parti choisis-
sent de ne pas voter pour la même personne, alors seulement trois membres du parti seront
élus. Cependant, si le nombre d’électeurs soutenant le parti est important, les quatre sièges
pourraient être attribués aux membres de ce parti, sous différents modèles de répartition des
votes. Cela pourrait amener quelques électeurs à voter pour leur quatrième choix de candi-
dat du parti, et non plus pour leur premier choix, espérant alors que leur premier choix
recevra beaucoup plus de voix que celles requises pour être élu. Mais, si un nombre impor-
tant d’électeurs fait de même, leur premier choix pourrait ne pas réussir à être élu alors que
le quatrième le serait.
Les partis font face à un problème de symétrie lorsqu’ils choisissent le nombre de
candidats à présenter aux élections. Les voix d’un parti qui présente quatre candidats pour
quatre sièges pourraient être tellement diluées que seulement deux d’entre eux seraient
élus, alors que s’il n’en avait présenté que trois, ils auraient pu être tous élus. Cependant,
s’il ne présente que trois candidats, il renonce à la chance d’en faire élire quatre. Ces consi-
dérations stratégiques montrent que les systèmes de scrutin limité sont des moyens moins
efficaces pour obtenir des informations sur les priorités des électeurs que les systèmes
proportionnels d’élection par liste ou que le STV.

13.4.4 Les systèmes de scrutin uninominal et non


transférable (SNTV)
Dans une hypothèse spéciale de scrutin limité, nous avons s > 1 et c = 1. Lorsque s et c
sont égaux à 1, nous avons un système de majorité relative, ce qui explique que le SNTV
se rapproche beaucoup plus d’un système de majorité relative que des systèmes de scrutin
limité avec c > 1. En fait, lorsque c = s = 1, le scrutin limité ressemble au SNTV, il se
rapproche donc des systèmes proportionnels ou de majorité relative, que s et c soient petits
ou grands. Le SNTV a été utilisé au Japon, en Corée et à Taïwan, mais ce système a été
remplacé au Japon, grâce à des changements constitutionnels récents par un mélange entre
des circonscriptions à un seul élu qui utilisent la règle de la majorité relative et un système
proportionnel pour les sièges restants 7.

13.5 LES RÈGLES ÉLECTORALES ET LE NOMBRE DE PARTIS


Quelles différences sont produites par les règles électorales ? Avec la règle de la majorité
relative, les partis minoritaires, dont le soutien est réparti de façon égale sur tout le terri-
7 Pour plus de discussions sur les systèmes de SNTV, voir Lijphart, Lopez et Sone (1986) et Grofman, Lee,
Winckler et Woodall (1999).
314 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

toire, ne gagnent pas de sièges. Au fil du temps, le manque continu de succès de ces partis
politiques pourrait entraîner un tarissement de leur soutien financier et décourager leurs
membres et leurs chefs. Donc, sous la règle de la majorité relative, on s’attend à ce que ces
partis minoritaires disparaissent, sauf si leurs sympathisants sont concentrés dans des zones
géographiques spécifiques. On s’attend à ce que la règle de la majorité relative produise un
système bipartisan.
En 1954, Maurice Duverger soutenait qu’en fait cette tendance de la règle de la
majorité relative peut être « une vraie loi sociologique » 8. La Loi de Duverger repose sur
la supposition que les citoyens votent de façon stratégique.
Pour voir pourquoi, il faut considérer le calcul d’un électeur sous la règle de la
majorité relative, lorsque trois candidats issus de trois partis sont en compétition. En se
fondant sur les sondages précédant l’élection, ainsi que sur les performances passées des
trois partis dans sa circonscription, l’électeur estime que les probabilités de victoire des
trois candidats sont π A > π B > πC . Pour que sa voix fasse la différence, la victoire des
deux candidats recevant le plus de voix doit être liée à sa voix, et il doit donner sa voix
décisive à l’un d’entre eux. Sauf si π B et πC sont très proches, la probabilité d’un lien
entre les candidats des partis A et C est bien plus faible que la probabilité d’un lien entre A
et B. Si l’électeur veut avoir une vraie chance d’affecter les résultats de l’élection, il ne doit
pas « gâcher » sa voix en votant pour le candidat du parti C, mais il doit plutôt la donner
au candidat qu’il préfère voir gagner entre le parti A et le parti B. Avec la règle de la majo-
rité relative, les électeurs rationnels désertent les partis minoritaires au profit des deux
partis majoritaires 9.
La logique du calcul de l’électeur qui étaye la loi de Duverger peut être générali-
sée aux systèmes électoraux qui permettent à deux représentants ou plus d’être choisis dans
une circonscription, ce qui mène à la prédiction générale qu’il y aura plus de deux partis en
compétition lorsqu’il y a plus d’un représentant élu dans chaque circonscription. Il est
souvent fait référence à cette prédiction en tant que loi de Duverger.
Supposons maintenant que deux représentants peuvent être élus dans une circons-
cription et que des candidats issus de quatre partis sont en compétition pour deux sièges.
L’électeur estime que les probabilités de gagner pour chaque parti sont
π A > π B > πC > π D. Si les différences entre chaque paire de probabilités sont substan-
tielles, l’électeur gâchera sa voix en votant pour le parti A ou D. Le premier rang de candi-
dats en compétition est presque certain de gagner un des deux sièges, la vraie compétition
concerne le second siège. La probabilité d’un lien pour le second siège entre les candidats
issus des partis qu’on s’attend à voir aux deuxième et troisième rangs est bien plus impor-
tante que celle d’un lien entre le parti classé quatrième et les trois autres. Si l’électeur veut
avoir une chance d’affecter les résultats de l’élection, il choisira entre les deux candidats en
concurrence pour le siège marginal dans la circonscription. Si M représentants sont élus
8 Comme cité par William Riker (1982a, p. 754). Riker revoit à la fois l’histoire intellectuelle de la « loi » et les
preuves empiriques accumulées autour d’elle.
9 Si le nombre d’électeurs dans la circonscription est important, l’électeur rationnel se rendra peut-être compte
que la probabilité qu’il y ait un lien entre deux des candidats est infime, et il ne votera pas du tout. Donc, l’hy-
pothèse que les électeurs rationnels votent stratégiquement inclut une présomption qu’ils votent comme si leur
voix avait une chance significative d’affecter le résultat. Nous traiterons de la question des raisons pour
lesquelles les électeurs votent dans le prochain chapitre.
les systèmes multipartis 315

dans la circonscription, alors la compétition pour le siège à faible majorité a lieu entre les
candidats classés M et M+1 dans les sondages pré-électoraux et les électeurs rationnels se
concentreront sur ces deux candidats 10.
Le raisonnement mène à des prédictions assez précises : non seulement nous
devons nous attendre à ne trouver que deux partis majoritaires lorsqu’un représentant est
élu dans chaque circonscription (circonscription à un seul représentant) mais également le
nombre de partis importants doit augmenter avec la taille électorale moyenne des circons-
criptions. Cependant, la logique liant la taille de la circonscription au nombre de partis
s’applique uniquement au niveau de la circonscription. Dans une circonscription où est élu
un seul représentant, un vote sera probablement gâché s’il est en faveur du quatrième parti
le plus fort dans la circonscription, même si c’est le plus important au niveau national.
Donc, la loi de Duverger et son hypothèse ne sont valables que pour des pays dans lesquels
l’importance des partis varie de façon marquée selon les régions 11.
Avant qu’il soit possible de vérifier s’il y a une relation entre le nombre de repré-
sentants élus par circonscription et le nombre de partis, il est nécessaire de définir ce que
« nombre de partis » veut dire. Dans un pays où il y a cinq partis, chacun obtenant 20 % du
vote populaire, il semble raisonnable de parler de « cinq partis majoritaires ». Cependant,
si les partis reçoivent respectivement 60, 30, 7, 2, et 1 % des suffrages, cela semble plus
difficile de considérer ce système comme un « système à cinq partis », car on s’attend à ce
qu’il fonctionne plus comme un système mono-parti ou bi-partis. Pour tenir compte des
différences de taille des partis, la plupart des chercheurs mesurent le nombre effectif de
partis dans un pays.
Ces statistiques peuvent être calculées en se fondant sur le nombre de voix que
chaque parti a reçu dans tout le pays lors d’une élection (ENV), ou en se fondant sur le
nombre de sièges qu’il a au Parlement (ENS). Si v p est le nombre de voix que le parti p a
reçu lors de l’élection, et que v est le nombre total de voix, alors ENV se définit de la sorte :
1
ENV = n   (13.6)
 vp 2
v
p=1

Voici la formule analogue appliquée aux sièges gagnés par les partis (sp), dans un parle-
ment avec s sièges.
1
E N S = n  2 (13.7)
 Sp
S
p=1

Dans les deux exemples précédents d’un système à cinq partis, lorsque chaque parti obtient
20 % des suffrages, le ENV est de 5 alors qu’il est de 2,2 dans le second cas 12.

10 Voir McKelvey et Ordeshook (1972) et Cox (1997, chs 2, 4 et 5).


11 Humes (1990) démontre que plus de deux partis peuvent survivre lorsque M = 1, s’ils décident simultanément
de sortir.
12 Une statistique analogue est utilisée par la littérature en économie industrielle pour mesurer le nombre réel de
firmes dans un secteur d’activité. C’est simplement un sur l’indice de concentration de Herfindahl. En science
politique, il est aussi fréquemment appelé indice de Laakso-Taagepera (Laakso et Taagepera, 1979).
316 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Les tableaux 13.2 a et b présentent les chiffres de l’ENV et de l’ENS pour 19 pays
à circonscription à représentant unique (CRU) et pour 34 pays pour lesquels plusieurs
représentants sont élus par circonscription (CRM). On remarque aisément que les systèmes
de CRU produisent des équivalents plus bas, peu importe si les statistiques sont fondées sur
les sièges gagnés à l’assemblée législative ou sur le décompte des suffrages. Il est aussi
évident que les formules utilisées pour traduire les voix en sièges tendent à concentrer le
pouvoir sur les partis importants, dans les deux types de systèmes, avec une concentration
plus importante encore dans les pays à CRU.
Le nombre significatif de partis des pays à CRU calculé sur les sièges au Parle-
ment est exactement de 2,00 et donc offre un soutien assez spectaculaire à la loi de Duver-
ger. Cependant, l’examen des chiffres par pays révèle plusieurs problèmes importants
concernant les systèmes bipartisans. D’une part, la Barbade, Trinité et Tobago qui ressem-
blent à des pays mono-parti, et d’autre part, la France, Grenade et la Corée du Sud, ont tous
un ENS supérieur à 3. Néanmoins parmi les dix-neuf pays à CRU, treize ont un ENS situé
entre 1,5 et 2,5.
En France, le nombre de partis, plus important que prévu, est souvent attribué à
l’utilisation de la règle électorale des deux tours. Pour être élu au premier tour, un candidat

Tableau 13.2a
Nombres moyens de représentants par circonscription (M), nombres réels de partis (ENV, ENS), déviations par rapport à
la proportionnalité (Dev) et réduction relative du nombre de partis (RRP).

Circonscriptions à représentant unique Année M ENV ENS Dev (%) RRP (%)
Australie 1984 1,0 2,79 2,38 11,5 18,7
Bahamas 1987 1,0 2,11 1,96 19,2 7,7
La Barbade 1986 1,0 1,93 1,25 – 54,4
Belize 1984 1,0 2,06 1,60 22,0 28,8
Boswana 1984 1,0 1,96 1,35 17,2 45,2
Canada 1984 1,0 2,75 1,69 24,9 62,7
Dominique 1985 1,0 2,10 1,76 34,8 19,3
France 1981 1,0 4,13 2,68 20,6a 54,1
Grenade 1990 1,0 3,84 3,08 – 24,7
Inde 1984 1,0 3,98 1,69 31,8 135,5
Jamaïque 1989 1,0 1,97 1,60 – 23,1
Corée du Sud 1988 1,0 4,22 3,56 – 18,5
Nouvelle-Zélande 1984 1,0 2,99 1,98 19,0 51,0
St Kitts et Nevis 1984 1,0 2,45 2,46 – –0,4
Sainte-Lucie 1987 1,0 2,32 1,99 26,0 16,6
Saint-Vincent et Grenadines 1984 1,0 2,28 1,74 17,8 31,0
Trinité et Tobago 1986 1,0 1,84 1,118 – 55,9
Royaume-Uni 1983 1,0 3,12 2,09 23,4 49,3
États-Unis 1984 1,0 2,03 1,95 6,7 4,1
Moyenne 1,0 2,68 2,00 21,1 30,5

Sources : voir tableau 13.2b


les systèmes multipartis 317

Tableau 13.2b
Nombres médians de représentants par district (M), nombres effectifs de partis (ENV, ENS), déviations par rapport à la
proportionnalité et réduction relative du nombre de partis (RRP).

Année M (réel) ENV ENS Dev (%) RPR(%)


Argentine 1985 9,0 3,37 2,37 42,2
Autriche 1986 30,0 (20) 2,72 2,63 4,3 3,4
Belgique 1985 8,0 (12) 8,13 7,01 7,7 16,0
Bolivie 1985 17,5 4,58 4,32 5,6
Brésil 1990 30,0 9,68 8,69 5,9 11,4
Colombie 1986 8,0 2,68 2,45 3,4 9,4
Costa Rica 1986 10,0 (8) 2,49 2,21 1,2 12,7
Chypre 1985 12,0 3,62 3,57 1,4
Danemark 1984 11,0 (25) 5,25 5,04 2,9 4,2
République Dominicaine 1986 5,0 3,19 2,53 26,1
Équateur 1984 3,0 10,32 5,78 16,0 78,5
Le Salvador 1985 4,0 (4) 2,68 2,10 27,6
Finlande 1983 17,0 (13) 5,45 5,14 3,9 6,0
Allemagne 1983 1,0 (10) 3,21 3,16 0,8 1,6
Grèce 1985 6,0 (3) 2,59 2,14 9,0 21,0
Honduras 1985 9,0 3,49 2,80 2,2 24,6
Islande 1983 7,0 (60) 4,26 4,07 4,3 4,7
Irlande 1987 5,0 (4) 3,46 2,89 3,2 19,7
Israël 1984 120,0 (50) 4,28 3,86 5,8 10,9
Italie 1983 24,0 (20) 4,51 4,11 4,5 9,7
Japon 1986 4,0 (4) 3,35 2,57 6,9 30,4
Liechtenstein 1986 15,0 2,28 1,99 14,6
Luxembourg 1984 21,0 (16) 3,56 3,22 7,5 10,6
Malte 1987 5,0 (5) 2,01 2,00 2,6 0,5
Maurice 1983 3,0 1,96 2,16 -9,3
Pays-Bas 1986 150,0 (75) 3,77 3,49 8,0
Norvège 1985 10,0 (90) 3,63 3,09 8,7 17,5
Pérou 1985 9,0 3,00 2,32 29,3
Portugal 1983 16,0 (12) 3,73 3,41 5,7 9,4
Espagne 1986 7,0 (7) 3,59 2,81 17,5 27,8
Suède 1985 12,0 (12) 3,52 3,39 2,0 3,8
Suisse 1983 12,0 (8) 5,99 5,26 4,3 13,9
Uruguay 1989 11,0 3,38 3,35 0,9
Venezuela 1983 11,0 (27) 2,97 2,42 7,9 22,7
Moyenne 19,2 (19,2) 4,10 3,48 5,8 14,9

aà partir des votes du premier tour.


Sources : Les chiffres Dev correspondent à 1985 et proviennent de Taagepera et Shugart (1989, Tableau 10.1). RRP (%) = (ENV/ENS-1)x100.
Les M effectifs sont pour le début des années 1980 et proviennent de Taagepera et Shugart (1989, Tableau 12.1). Tous les autres chiffres
proviennent de Cox (1997, Appendice C).
318 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

doit récolter la majorité des voix. Si personne n’obtient la majorité absolue au premier tour,
les candidats ayant reçu moins de 12,5 % des inscrits sont éliminés du scrutin et un second
tour est organisé, pour lequel seule une majorité relative est requise pour gagner. Cepen-
dant, la logique sous-jacente à la loi de Duverger devrait s’en tenir au second tour et je vois
difficilement pourquoi on ne pourrait pas espérer l’émergence de deux partis majoritaires
en France 13.
Les chiffres entre parenthèses dans la colonne M sont les ajustements par la
méthode de Taagepera et Shugart (1989), ajustements par rapport aux nombres de repré-
sentants par circonscription tels que définis dans la loi électorale. Les calculs tiennent
compte des ajustements éventuels dans le second rang du nombre de sièges que chaque parti
obtient et qui sont basés sur la répartition des suffrages à un niveau plus élevé d’agrégation
comme par exemple en Autriche ou en Allemagne ; des effets de seuil dans les pourcentages
de voix nationales ; et ainsi de suite. Parfois, les effets de ces ajustements sont assez impor-
tants, comme par exemple, la réduction de 150 à 75 du nombre de représentants élus par
circonscription aux Pays-Bas alors que leur nombre augmente de 10 à 90 en Norvège 14.
La logique sous-jacente à l’hypothèse de (M + 1)/M amène à prédire que non
seulement il y a deux partis lorsque M = 1 et plus de deux partis lorsque M ≥ 2, mais aussi
que le nombre de partis augmentera avec M. Les données du tableau 13.2b sont cohérentes
avec cette prévision. Le tableau 13.3 présente les ENS moyens pour différentes variations
de M. Plus il y a de représentants élus dans chaque circonscription d’un pays, plus le
nombre réel de partis augmente.

Tableau 13.3
Nombres effectifs de partis dans les Assemblées, nombre de représentants élus par district, et déviations par rapport à
la proportionnalité.

Dev moyen Dev moyen


M ENS moyen
(Taagepera et Shugart, 1989) (Lijphart, 1990)
1,0 2,00 (19) 21,1 (13) 12,9 (6)
2,0 ≤ 5,0 2,12 (8) 7,5 (5) 7,5 (4)
6,0 ≤ 10,0 3,34 (7) 4,9 (6) 5,6 (9)
11,0 ≤ 15,0 3,98 (7) 4,8 (4)
> 15,0 4,09 (11) 5,8 (9) 3,5 (12)a

aMoyenne pondérée des chiffres pour les Ms de 1 à 25, et supérieurs à 25.


Notes : Le nombre de pays sur lesquels les calculs effectués sont entre parenthèses.
Moyenne ENS et Dev pour Taagepera et Shugart proviennent du tableau 13.2.

13 Une telle tendance est ensuite renforcée par la propension des partenaires de coalition à se retirer entre les deux
tours des élections, voir Tsebelis (1990).
14 Les Pays-Bas utilisent un système de listes de partis au niveau national. Les Néerlandais votent donc pour des
partis et non des personnes. Il y a 150 sièges au Parlement néerlandais, mais le seuil pour obtenir des sièges
ne permet pas qu’il y ait 150 partis au Parlement. Cox place l’Allemagne comme un pays CRU. Cependant,
seulement la moitié des 496 sièges sont répartis de cette manière. L’autre moitié est remplie en fonction des
parts de voix que chaque parti a reçues dans les 16 Länder. Nous avons donc classé l’Allemagne avec les pays
CRM, en fonction de la taille réelle de ses circonscriptions électorales.
les systèmes multipartis 319

Cox (1997, ch. 11) a entrepris une analyse méthodique de la relation entre la taille
des circonscriptions électorales et le nombre de partis représentés à l’Assemblée nationale.
Utilisant les données des pays du tableau 13.2, il a estimé l’équation suivante :
ENS = 0,58 + 0,51 ENV + 0,08 ENV × ln(M) + 0,37 ENV × UP, R2 = 0,921
Soit ln(M) le log naturel du nombre médian de représentants élus par circonscription et UP
l’ajustement réalisé à cause de l’existence de formules d’attribution de second rang comme
il en existe en Allemagne 15. Plus de partis ont tendance à être représentés parmi le corps
législatif dans les pays où la répartition des priorités des électeurs est telle qu’elle donne
des voix à un plus grand nombre de partis. Et le fait que beaucoup de partis gagnent des
voix est accentué par les règles électorales qui permettent à un nombre important de repré-
sentants d’être élus dans chaque circonscription 16.
Comme cela a été remarqué auparavant, lorsque l’importance des partis diffère de
façon importante dans le pays, la loi et l’hypothèse de Duverger risquent de ne plus fonc-
tionner. Des différences géographiques significatives dans la puissance des partis peuvent
être associées à une hétérogénéité ethnique et religieuse. Cox essaie alors d’expliquer les
nombres équivalents fondés sur les votes dans le pays, en utilisant un indice sur la diver-
sité ethnique et ln(M). Il obtient les meilleures estimations lorsque ces deux variables inter-
agissent. Les pays dans lesquels sont élus un nombre important de représentants dans
chaque circonscription électorale et dans lesquels il y a beaucoup de groupes ethniques
différents ont tendance à avoir un nombre important de partis récoltant des voix 17.

13.6 LES RÈGLES ÉLECTORALES ET LE DEGRÉ


DE PROPORTIONNALITÉ
Nous avons vu dans le tableau 13.1 que la répartition des sièges entre partis dans le cadre
d’un système de représentation proportionnelle peut ne pas être strictement proportionnelle
aux voix que chaque parti a récoltées dans le pays, lorsqu’il est divisé en circonscriptions
électorales pour la sélection des représentants. Cependant, les différences entre les voix
récoltées et la répartition des sièges dans le corps législatif peuvent devenir assez specta-
culaires dans les systèmes électoraux dans lesquels un représentant est élu dans chaque
circonscription.
Pour l’envisager, examinons le tableau 13.4. La distribution des voix aux partis
dans chacune des dix circonscriptions est décrite pour un corps électoral de cent millions
d’électeurs. Chaque circonscription comprend dix millions d’électeurs. Avec la règle de la
pluralité, les deux partis les plus importants au niveau national, A et B, ne gagneraient
aucun siège, même s’ils gagnent 30 % et 25 % des voix dans le pays. Le parti C récolterait
la moitié des sièges, soit 2,5 fois sa part du vote national, et les partis D et E gagneraient
chacun une fraction de sièges deux fois plus importante que leur part dans le vote national.
15 Cox suppose le M de l’Allemagne comme étant égal à 1,0 et s’appuie sur le fait que le M réel en Allemagne
est bien plus important avec la variable muette UP. Tous les coefficients sont très significatifs.
16 Voir aussi Taagepera et Shugart (1989, ch. 13).
17 Cox (1997, pp. 214-18) ; voir aussi Ordeshook et Shvetsova (1994).
320 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Tableau 13.4
Distribution des voix dans 10 circonscriptions électorales (nombres de voix en millions).

Circonscriptions
Partis 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
A 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3
B 3 3 2 2 3 0 3 3 3 3
C 0 0 0 0 0 4 4 4 4 4
D 0 0 4 4 4 3 0 0 0 0
E 4 4 1 1 0 0 0 0 0 0
Total 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10

Même si cet exemple n’est pas naturel et bien évidemment extrême, lorsque les électeurs
de chaque parti sont répartis au hasard, à travers les circonscriptions électorales, avec la
règle de la majorité relative, un petit avantage dans les pourcentages du soutien populaire
d’un parti peut se traduire par un avantage important dans le pourcentage des sièges
obtenus (Segal et Spivak, 1986).
Cet exemple soulève juste la question du degré d’exactitude lors de la transforma-
tion des voix du pays en sièges dans l’assemblée législative en fonction des différentes
règles électorales. Dans le tableau 13.2, la colonne appelée « Dev » donne une réponse à
cette question. Dev est la déviation par rapport à la stricte proportionnalité mesurée par
l’écart entre le partage des voix pour chaque parti, v p , et le partage des sièges de l’assem-
blée, s p , comme calculé par Taagepera et Shugart (1989). Elle est obtenue en utilisant cette
formule :
1 n  
s p − v p 
Dev = (13.8)
2 p=1

La déviation moyenne de la proportionnalité pour les pays CRU est de 21,1 % alors qu’elle
n’est que de 5,8 % pour les pays CRM.
La dernière colonne du tableau 13.2 présente la réduction du pourcentage du
nombre effectif de partis qui a lieu dans chaque système, lorsque l’on différencie le nombre
de partis dans le partage des voix du nombre de partis dans le corps législatif. Malgré la
baisse de 78,5 % du nombre de partis enregistrés en Équateur – où ne sont élus que trois
représentants en moyenne par circonscription – la relative réduction des partis dans les pays
CRM équivaut seulement à 50 % de celle des pays CRU.
Dans le tableau 13.3, la colonne du milieu indique la déviation moyenne de la
proportionnalité pour différentes variations de M. Il y a une baisse importante en allant d’un
représentant par circonscription à une variation de 2 à 5, et une petite baisse en allant de 2-
5 à 6-10. Cependant, les échantillons de taille sont petits et, en fait, la Dev significative
augmente un peu pour les pays avec M > 15.
La troisième colonne du tableau 13.3 fournit des données comparables pour des
déviations de la proportionnalité, calculée par Lijphart (1990), pour une période allant de
les systèmes multipartis 321

1945 à 1985. Les observations de Lijphart sont des valeurs significatives de Dev pour tous
les pays. Lijphart utilise un bien plus petit échantillon de pays CRU que Taagera et Shugart
et obtient une Dev bien moins importante que celle obtenue par ces derniers. Néanmoins,
le même modèle général peut être observé avec une baisse importante de la déviation
moyenne de la proportionnalité en allant des pays CRU aux pays CRM, avec entre deux et
cinq représentants par circonscription et toujours de petites baisses quand la taille de la
circonscription grandit.
Lijphart a aussi comparé les différentes méthodes de conversion des voix en
sièges. Il y a aussi trouvé quelques différences, mais moins importantes que celles relatives
au nombre de représentants par circonscription. Les plus petites déviations de la propor-
tionnalité ont été observées dans les cinq pays qui utilisent la méthode de Hare et les
méthodes de Sainte-Lagué (déviation moyenne de 2,6 pourcent). Les méthodes de Droop,
Imperiali, de Sainte-Lagué modifié et les systèmes de STV arrivent en seconde position
(six pays dont la déviation moyenne est de 4,5 pourcent). La méthode d’Hondt est la moins
proportionnelle des méthodes de représentation proportionnelle testées, avec une déviation
moyenne de 5.9 pourcent dans les 14 pays où elle est utilisée 18.

13.7 LES OBJECTIFS DES PARTIS POLITIQUES


Une des phrases les plus citées de Downs est son affirmation que « les partis formulent des
politiques pour gagner les élections et non pas le contraire : ils gagnent les élections pour
formuler des politiques » (1957, p. 28). Les politiques du parti jouent un rôle purement
instrumental en politique, et les partis sont prêts à changer leurs politiques pour gagner les
élections. Cette affirmation sur la flexibilité idéologique met en exergue la certitude de
Downs que les partis maximisent les voix attendues et sa prédiction qu’ils convergent vers
le position idéale de l’électeur médian dans un système bipartisan et dans un espace de
problèmes unidimensionnel. En fait, cela mène à la prédiction selon laquelle le parti de
gauche dépasserait aisément le parti de droite si ce dernier avait pris par erreur une posi-
tion à gauche de la position de l’électeur médian.
Pour appliquer l’affirmation de Downs sur les objectifs des partis dans le système
de représentation proportionnelle, il est nécessaire de mener l’analyse en deux étapes : le
choix d’une position le long d’un spectre idéologique avant une élection et le choix de rejoin-
dre ou non une coalition pour former un gouvernement après une élection. La première chose
à noter lorsqu’on essaye d’appliquer cette affirmation à des élections dans un système multi-
partis est que le fait de gagner a une signification différente que dans un système bipartisan.
Ignorant la possibilité d’un lien lorsqu’il y a deux partis, l’un des deux doit gagner une majo-
rité de voix pour former le gouvernement. Lorsqu’il y a plus de deux partis, aucun d’entre
eux ne peut obtenir une majorité absolue, et on peut donc dire qu’aucun parti n’a remporté
l’élection. On peut aussi dire que tous les partis gagnent une élection multipartis car chaque
parti (en général) gagne quelques sièges et donc continue à se battre dans d’autres élections
et surtout à marchander une place dans le gouvernement qui sera formé après l’élection.
18 Pour plus de résultats empiriques sur les conséquences des lois électorales, voir Rae (1971), Rose (1984),
Grofman et Lijphart (1986), Taagepera et Shugart (1989), Lijphart (1994) et Powell (2000).
322 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Les théorèmes établissant une série d’équilibres de positions politiques dans des
systèmes pluri-partis ou pluri-candidats sont assez difficiles à prouver et impliquent
souvent des conditions d’équilibre assez compliquées ou peu vraisemblables 19. D’un autre
côté, quelques observations sur les systèmes européens de représentation proportionnelle
montrent que les partis s’établissent bien sur certaines positions dans l’espace idéologique
et tendent à y rester. Chaque État européen a son parti socialiste, son parti chrétien, son
parti vert et ainsi de suite, et pratiquement chaque observateur placera les chrétiens démo-
crates à la droite des socialistes et les verts à leur gauche. Il arrive qu’il y ait des change-
ments de position mais les partis ne semblent pas jouer à saute-mouton dans l’espace en
recherchant des voix (Budge, Robertson et Hearl, 1987), pas plus qu’ils ne convergent vers
un même ensemble de politiques publiques.
Une des manières de rendre compte de ces phénomènes est d’affaiblir ou d’aban-
donner l’affirmation de Downs sur la maximisation des voix et de la remplacer par une
hypothèse qui donne de l’importance à l’idéologie d’un parti 20. Supposons alors que
l’unique objectif de la direction d’un parti soit de représenter la position idéologique de ses
sympathisants et qu’il le fasse en adoptant la position médiane de ses sympathisants. Si
nous présumons, comme dans le modèle de Downs, un espace politique unidimensionnel
avec des citoyens votant pour le parti dont la position est la plus proche de leur point idéal,
il en résulte un équilibre avec des partis répartis sur le spectre idéologique 21.
La figure 13.1 dépeint l’équilibre avec cinq partis et une répartition uniforme des
points idéaux des électeurs. Chaque parti reçoit 20 des voix et la position occupée par le
parti médian, le parti C, coïncide avec le point idéal de l’électeur médian.

Parti A Parti B Parti C Parti D Parti E

20 % 20 % 20 % 20 % 20 %

G D

Figure 13.1
Les positions des partis avec une distribution uniforme des points idéaux des électeurs.

19 Voir, par exemple, Hinich et Ordeshook (1970, pp. 785-8) ; Lindeen (1970) ; Selten (1971), Wittman (1984) ;
Greensberg et Weber (1985) ; Breyer (1987) ; De Palma, Hong et Thisse (1990), Hermsen et Verbeek (1992) ;
Lin, Enelow et Dorussen (1999) ; et Hamlin et Hjortlund (2000).
20 La présupposition de Downs que les politiciens cherchent uniquement à maximiser les suffrages aux dépens
de la cohérence idéologique a été critiquée par Wittman (1973) dans le contexte du modèle bipartisan. Dans
une analyse détaillée des élections aux Pays-Bas et en Allemagne, Schofield, Martin, Quinn et Whitford (1998)
montrent que les partis peuvent laisser passer l’opportunité d’augmenter leurs voix dans une élection et donc
leur poids au prochain parlement, parce que cela les obligerait à négocier sur une position idéologique qui est
éloignée de leur point idéal lors des négociations sur la formation d’un cabinet. Sur ce point, voir aussi Adams
(1999, 2000).
21 Cela a été prouvé par McGann (2002) avec l’ajout d’une hypothèse selon laquelle le nombre de partis est fixé
et qu’ils sont ordonnés de droite à gauche.
les systèmes multipartis 323

La figure 13.2 dépeint une distribution non uniforme des points idéaux des élec-
teurs. Même si l’électeur médian soutient toujours le parti C, sa position (5) ne coïncide
plus avec le point idéal de l’électeur médian (M = 5,67). De plus, le parti D gagne en fait
une part plus importante des suffrages en occupant l’espace qui contient la densité la plus
importante d’électeurs. Le parti A, quant à lui, est défavorisé par la fraction relativement
petite de l’électorat localisé dans son espace idéologique.
Mc Gann (2002) examine aussi les implications de supposer que les positions des
partis sont choisies en prenant en compte à la fois les priorités des sympathisants du parti
et le gain potentiel en voix en cas de changement de position. Comme on pourrait peut-être
s’y attendre, un tel changement d’objectifs tend à changer les positions vers la médiane de
distribution des points idéaux de l’électeur et réduit les parts de voix gagnées par les partis
centristes.
Les dirigeants des partis doivent aussi se demander s’ils doivent compromettre la
position idéologique de leur parti au tour final de l’élection, lors de la formation du gouver-
nement. Si deux partis ou plus forment un gouvernement, au moins l’un d’entre eux doit
approuver la mise en œuvre d’un ensemble de politiques qui ne correspondent pas entière-
ment à son ensemble préféré. Le compromis avec les préférences de la politique du parti
est souvent le prix à payer pour gagner de l’influence sur les politiques effectivement mises
en œuvre. Donc, on pourrait remplacer la première partie de l’affirmation de Downs dans
les systèmes multipartis par « les partis changent de politiques pour entrer dans le gouver-
nement ».
Dans la prochaine sous-section, nous examinons plusieurs hypothèses qui permet-
tent différentes prévisions sur la formation des gouvernements. Quelques-unes supposent

Parti D

Parti C

Parti B

Parti E

Parti A

10 % 20 % 24 % 30 % 16 %

G D

Figure 13.2
Les positions des partis avec une distribution non uniforme des points idéaux des électeurs.
324 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

qu’un parti est capable de faire n’importe quoi pour entrer dans un gouvernement, d’autres
supposent qu’une inertie politique est présente au niveau de la formation du cabinet et utili-
sent cette supposition pour prédire quels partis sont susceptibles de former un cabinet.

13.7.1 Les théories sur la coalition gouvernementale


dans un espace politique unidimensionnel
Un pays imaginaire, Demokrastan, a sept partis politiques. Ces partis sont en compétition
pour des suffrages dans un espace de problème politique à une dimension. Chaque parti se
positionne le long de cette ligne gauche-droite, comme ceci :

Une élection est organisée et chaque citoyen vote pour le parti qui est le plus
proche de son point idéal. L’élection débouche sur la répartition des 100 sièges du Parle-
ment en fonction des nombres sous les lettres de chaque parti. Comme cela arrive souvent
dans les systèmes pluripartisans, aucun parti n’obtient une majorité de sièges.
Si le Parlement du demokrastan, comme la plupart des autres, utilise la règle de la
majorité simple, il est raisonnable de supposer que l’objectif de tous les partis qui veulent
former une coalition, est de chercher à en construire une qui contrôle au moins 51 sièges,
pour qu’elle puisse décider de tous les projets de lois qui sont débattus durant la session
parlementaire. Il y a 61 possibilités de coalition qui contrôlent au moins 51 sièges : une
grande coalition de tous les partis, de six des sept partis, peu importe lesquels (six possibi-
lités) ; B et quatre autres partis, E et quatre autres partis, B et E plus trois autres partis (18
possibilités) ; 24 coalitions à quatre partis possibles ; 10 coalitions possibles entre trois
partis ; et une coalition possible entre deux partis : B et E. Laquelle de ces coalitions, s’il
y en a une, formera le gouvernement ?
Neumann et Morgenstern (1953) étaient les premiers à avoir fourni une hypothèse
sur les coalitions pouvant être formées. Ils ont proposé la formation d’une coalition
gagnante minimale.
Définition : Une coalition est une coalition gagnante minimale si le départ de n’importe lequel de
ses membres entraîne sa transformation de coalition majoritaire en coalition minoritaire.
L’intuition qui sous-tend la proposition de Neumann et Morgenstern est évidente.
Tous les ajouts à une coalition gagnante minimale vont renouveler les propositions du
gouvernement qui, sinon, appartiendraient aux membres originaux, et vont probablement
changer les résultats de la coalition, loin de ceux favorisés par les membres originaux. Il y
a 11 coalitions gagnantes minimales possibles au Parlement du Demokrastan (BE, ABF,
ACE, ADE, AEF, AEG, ABCD, ABCG, ABDG, CDEF, et DEFG).
Riker (1962) a étendu l’intuition à la base du concept de la coalition gagnante
minimale à l’étape suivante du choix de la coalition, et a montré que parmi les coalitions
gagnantes minimales ce serait la plus petite qui serait formée. Cette hypothèse repose sur
les systèmes multipartis 325

la modélisation des politiques comme un jeu à somme nulle. La plausibilité de cette suppo-
sition est mieux évaluée lorsque l’on pense que tous les problèmes politiques impliquent
une redistribution de la richesse à somme nulle, c’est-à-dire sans création de richesse. Dans
un tel jeu, la stratégie optimale est de permettre à la coalition adverse d’être aussi grande
que possible mais de rester une coalition perdante et qui subit les coûts de la politique. Sous
la contrainte de formation du gouvernement, le gain à se partager est le nombre fixe de
postes dans le gouvernement. Chaque parti veut avoir autant de postes ministériels que
possible. Plus sa place dans la coalition est importante, plus il réclamera de postes. Ceci
plaide en faveur d’une taille de la coalition gagnante minimale aussi petite que possible, en
termes de nombre de sièges au Parlement. Riker propose alors la solution de la coalition
gagnante minimum (GM).
Définition : Une coalition gagnante minimum contient le plus petit nombre de sièges de toutes les
coalitions gagnantes minimales.
Il y a une seule coalition gagnante minimum parmi les onze coalitions gagnantes
minimales. CDEF qui contrôle 51 sièges, est la coalition de majorité la plus petite qu’il soit
possible de former.
Former une coalition entraîne un marchandage au sein des membres potentiels de
la coalition, ce qui prend du temps. Il est donc raisonnable de supposer qu’il est plus facile
pour trois partis de former une coalition, que pour quatre, et toujours plus facile pour deux
partis de former une coalition. Donc, on peut s’attendre à ce que la coalition composée du
plus petit nombre de partis est celle qui a le plus de chance d’être formée (Lieserson, 1966).
Cette hypothèse mène aussi à une seule prévision dans notre exemple – une coalition entre
les partis B et E.
Les quatre hypothèses que nous venons d’examiner fondent leurs prévisions
uniquement sur la taille ou sur le nombre des membres potentiels de la coalition gagnante.
Leur positionnement sur le spectre gauche/droite est ignoré. Ces hypothèses incorporent
donc l’affirmation de Downs selon laquelle les politiques publiques n’ont pas de valeur
intrinsèque pour la direction d’un parti. Son seul objectif est de faire partie de la coalition
gagnante. Le parti B est donc autant prêt à créer une coalition avec E, qu’avec C ou A.
Cependant, si gagner n’est pas tout, le parti B devrait préférer former une coalition
avec C qu’avec E, ceteris paribus, car le résultat de la politique d’une telle coalition va
vraisemblablement se rapprocher bien plus de la position de B dans l’espace gauche/droite.
Les deux prochaines hypothèses examinées sur la composition d’une coalition gagnante
supposent que les positions des membres potentiels de la coalition affectent aussi leurs
chances de rejoindre une coalition gagnante 22.
Axelrod (1970) a proposé que les partis formant une coalition gagnante doivent
être adjacents le long de la dimension unique de définition des politiques. Cette hypothèse
du minimum de connexion du gagnant (MCG) réduit à quatre le nombre de coalitions

22 Pour plus de détails sur les différences entre les théories qui envisagent les partis comme des chercheurs de
postes purs ou comme orientés politiquement, voir Laver et Schofield (1990, chap 3-5) et Müller et Strom
(1990, pp. 5-9). Müller et Strom (1999) proposent des études de cas illustrant comment les chefs de partis agis-
sent lorsque les objectifs de recherche de votes et de postes sont en conflit. Notre discussion dans ce paragra-
phe repose grandement sur Laver et Schoffield.
326 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

gagnantes potentielles dans notre exemple : ABCD, BCDE, CDEF et DEFG. Notons que
l’exigence que les positions des partis soient voisines les unes des autres implique que la
coalition peut être de type MCG sans être une coalition gagnante minimum, comme c’est
le cas pour CDEF. Les sièges du parti D ne sont pas nécessaires à la formation de la coali-
tion gagnante, mais ne pas l’inclure briserait la connexion entre les quatre partis. Si C, E et
F formaient une coalition gagnante minimale, cela ne leur coûterait rien d’introduire D dans
la coalition, en termes de divergence de leurs positions politiques.
Il est plausible qu’il soit plus facile pour deux partis de s’accorder sur un jeu de
politiques communes lorsqu’ils sont situés près l’un de l’autre que lorsqu’ils sont éloignés.
Le parti F peut conclure un accord avec E plus facilement qu’avec G. En l’étendant, ce
raisonnement mène à prédire que la coalition gagnante sera la coalition MCG avec le plus
petit alignement (de Swaan, 1973). Invoquer l’hypothèse de l’alignement minimal le plus
proche mène à l’unique prévision que la seule coalition formée est CDEF.
Même si ces six hypothèses n’incluent pas toutes celles qui ont été proposées, elles
incluent celles qui sont le plus souvent citées et qui ont accumulé le plus de validations
empiriques. Pour tester les deux dernières, nous avons besoin de localiser tous les partis
d’un pays le long de la dimension gauche/droite. Pour ce faire, les chercheurs en politiques
européennes se sont appuyés sur les jugements d’un panel d’experts, un ensemble de
données d’enquêtes et l’analyse du contenu des manifestes de partis 23. Comme les cher-
cheurs interrogés ne sont pas tous d’accord à certains niveaux sur les positions des diffé-
rents partis, et même parfois sur quels partis sont membres de facto de la coalition qui
forme le gouvernement, il n’est pas surprenant de trouver des divergences sur les valida-
tions empiriques des prédictions des différentes théories sur la formation des coalitions
observées. Taylor et Laver (1973), de Swaan (1975) et de Swaan et Mokken (1980) affir-
ment tous que l’hypothèse MCG donne la meilleure explication pour les données obser-
vées. Mais Warwick (1979, 1994) trouve que l’hypothèse MCG n’ajoute aucun pouvoir
explicatif aux prévisions par rapport à l’hypothèse de la coalition gagnante minimale. La
comparaison plus récente de Laver et Schofield (1990) soutient la position de Warwick.
La première chose à noter dans le tableau 13.5 est qu’un tiers des gouvernements
en Europe, entre 1945 et 1987, étaient des gouvernements minoritaires. Comme toutes les
théories sont prédites à partir de l’hypothèse que les partis veulent faire partie de la coali-
tion de majorité, cette fraction substantielle de gouvernements minoritaires doit être vue
comme les contredisant toutes.
Le second constat à faire est qu’il est très rare qu’un parti gagne une majorité de
sièges dans les systèmes de représentation proportionnelle. Cela arrive dans à peine 10 %
des cas.
Envisageons maintenant les taux de succès du MCG et du GM pour prédire la
formation des coalitions. Nous voyons qu’il y a 123 exemples dans lesquels aucun parti ne
gagne la majorité des sièges au Parlement. Parmi ces coalitions, à peine plus de 50 % (62
observations) étaient des coalitions MCG et 77 des coalitions GM (63 pourcent). Seuls 9
des gouvernements MCG n’étaient pas des coalitions GM. Donc, la classification de Laver
et Schofield confirme le jugement précédent selon lequel l’hypothèse de MCG n’ajoute
qu’un faible pouvoir prédictif à l’hypothèse GM.
23 Pour une discussion et une comparaison de ces techniques, voir Laver et Schofield (1990, pp. 245-65).
les systèmes multipartis 327

Tableau 13.5
Fréquence des types de coalitions par pays, 1945-1987.

Situations minoritaires
Situations Surplus MCG MCG GM
Pays majoritaires non MCG non GM et GM non MCG Minorité Total
Autriche 6 – – 5 1 1 13
Belgique 1 4 – 7 8 2 22
Danemark – – – 2 – 18 20
Finlande – 17 – 4 1 10 32
Allemagne 2 – – 9 1 – 12
Islande – 2 – 6 4 2 14
Irlande 4 – – – 3 5 12
Italie 4 8 6 – 3 14 35
Luxembourg – 1 – 8 1 – 10
Pays-Bas – 5 3 4 2 3 17
Norvège 4 – – 3 – 8 15
Suède 1 – – 5 – 10 16
Total 22 37 9 53 24 73 218

Note : MCG : minimum de connexion du gagnant ; GM : gagnante minimum


Source : Laver et Schofield (1990, p. 100)

Dans notre exemple avec sept partis, il y avait 61 possibilités de coalitions qui
pouvaient être formées et qui contrôlaient une majorité de sièges au Parlement. Seulement
onze d’entre elles étaient GM. Si notre hypothèse nulle était que chacune des 61 coalitions
de majorité possibles était également vraisemblable, nous nous attendrions alors à observer
une GM une fois sur six. Les nombres dans notre exemple devraient se rapprocher de ceux
habituels des Parlements européens, et nous nous attendrions donc à voir une GM un
sixième du temps, lorsqu’une majorité de coalition réussit à être formée. La prévision que
la coalition qui forme un gouvernement soit GM fait bien plus que juste attribuer à chaque
majorité de coalition possible une probabilité égale d’être formée. Les taux de succès du
GM continuent à augmenter si nous y ajoutons tous les gouvernements qui ont été formés
par un seul parti détenant la majorité des sièges car eux aussi sont des GM.
Les quatre autres théories unidimensionnelles sur la coalition discutées auparavant
sélectionnent toutes des sous-ensembles parmi les ensembles de coalitions MCG ou GM.
Elles ont donc des taux de réussite encore plus bas pour prédire la formation des coalitions
que le GM et le MCG. Les six théories prédisent toutes la formation d’une majorité de
coalition et sont donc contredites par l’existence d’une portion importante de gouverne-
ments minoritaires. L’existence d’autant de gouvernements minoritaires peut être expliquée
328 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

par le fait que la politique publique est très importante pour les partis et affecte leur volonté
de joindre une coalition 24.
Dans l’exemple avec les sept partis, si aucun gouvernement n’est formé et que les
partis votent simplement la loi, la nature unidimensionnelle de l’espace idéologique nous
amène à prédire la victoire des propositions de la position médiane. Toutes les propositions
formulées par le parti D devraient gagner. Vu sa position centrale, D devrait donc essayer
de former un gouvernement seul. Même s’il est peu probable qu’un parti avec 4 pourcent
des sièges au Parlement essaye de former un gouvernement minoritaire ; si D avait par
exemple 40 % des sièges, il pourrait très bien essayer.
Van Roozendaal (1990, 1992, 1993) définit un parti central exactement de la même
façon que la définition de la position médiane du chapitre 5 : en incluant les voix du parti
central, il y a 50 pourcent ou plus des voix au Parlement qui sont à droite et à gauche du
parti qui a la position centrale. En étendant la logique du théorème de l’électeur médian à
la formation du cabinet, van Roozendaal prédit que les partis centraux feront partie de
chaque gouvernement, qu’il soit minoritaire ou majoritaire.
Des 196 gouvernements européens examinés par Laver et Schofield (1990, p. 113),
165 contenaient ou étaient soutenus par un parti centriste. Donc, la théorie de van Roozen-
daal sur la formation des gouvernements obtient un soutien empirique notable. Cependant,
presque 20 pourcent des gouvernements formés ne contenaient pas de parti centriste. Nous
avons donc toujours besoin d’hypothèses explicatives supplémentaires ou d’une théorie
plus générale. Une possibilité est que l’espace des problèmes politiques n’est pas unidi-
mensionnel comme le supposent van Roozendaal et plusieurs autres théories examinées
auparavant. Si cet espace a une seconde dimension, alors le parti D de notre exemple, qui
a seulement 4 pourcent des sièges au Parlement, pourrait se voir refuser l’entrée dans le
gouvernement. Même si c’est une position centrale dans un espace unidimensionnel, cela
peut ne plus être le cas dans un espace multidimensionnel. Nous envisageons maintenant
deux théories sur la formation des coalitions qui prennent en compte plus d’une dimension
dans l’espace des problèmes politiques.

13.7.2 Les théories des coalitions gouvernementales dans un


espace politique bidimensionnel ou multidimensionnel
13.7.2.1 Le cœur politique
Lorsque l’espace-problème a deux dimensions ou plus, la possibilité de cycles existe. L’al-
ternance dans la formation des gouvernements prend la forme de coalitions instables. Une
coalition entre les partis A, B, et E est préférée à une coalition entre A, B et C, mais la coali-
tion ABE perd contre la coalition BEF, et ainsi de suite.
Dans le chapitre 11, nous soutenons que le vote dans un espace multidimensionnel
ne peut pas conduire à des cycles qui couvrent tout l’espace car certains points en domi-

24 Pour une analyse sur les raisons pour lesquelles les gouvernements minoritaires sont si souvent formés, voir
Strom (1984, 1996).
les systèmes multipartis 329

nent d’autres. On peut raisonnablement supposer que les propositions gagnantes sont confi-
nées dans une certaine zone centrale de l’espace comme l’ensemble non recouvert et le
noyau (yolk). Les concepts comme l’ensemble non recouvert et le noyau ne peuvent pas
être raisonnablement généralisés pour prévoir la victoire des grandes coalitions, parce que
le résultat est un assemblage de partis ayant différents points idéaux. La question qui se
pose n’est pas quel point unique sera choisi dans l’espace, mais plutôt quelle coalition
unique de partis sera formée. Néanmoins, on peut s’attendre à ce que les partis de la coali-
tion gagnante soient situés dans une région centrale de l’espace-problème, et à ce que
certains concepts analogues à l’ensemble non recouvert définissent cette région centrale.
Schofield (1993a,b, 1996a) a proposé une telle région, qu’il appelle cœur de la politique.
Pour localiser le cœur, nous devons dans un premier temps localiser toutes les
lignes médianes dans l’espace bidimensionnel des problèmes politiques, ou tous les plans
médians dans un espace multidimensionnel. Tous les points situés le long ou d’un côté de
la ligne médiane (plan) s’ajoutent à la majorité des votes dans une législature. Dans la
figure 13.3, les partis du parlement israélien, la Knesset, sont placés dans un espace-
problème bidimensionnel formé par les positions des partis sur les problèmes de sécurité
nationale et sur leur position idéologique en matière religieuse ou laïque. Les lignes média-
nes sont basées sur le nombre de sièges (indiqué au-dessous des partis) que chaque parti a

Religieux

Majorité

Majorité
Cœur

Majorité

Séculier

Colombe Sécurité nationale Faucon

Figure 13.3
La Knesset en 1988 (source Schofield (1997, p. 289).
330 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

gagnés à l’élection de 1988. Il y a trois lignes et elles forment un triangle. Ce triangle cons-
titue le cœur politique de la Knesset. L’ensemble de Pareto est la zone délimitée par les
points idéaux de tous les partis, et nous voyons donc que le cœur se trouve à l’intérieur de
l’ensemble Pareto. (Le cœur se situe toujours à l’intérieur de l’ensemble Pareto ou, au pire,
coïncide avec lui.)
Si nous considérons un parti comme le Degel Hatora, noté DH sur la figure, nous
pouvons voir qu’il était dans une situation désavantageuse en essayant d’obtenir sa posi-
tion la plus favorable, car la majorité des votes à la Knesset est détenue par les partis sur
ou à gauche de la ligne médiane passant par SHAS et LIK. Ainsi, ces partis préfèrent indu-
bitablement les points situés plus près de cette ligne médiane au point idéal de DH. En
revanche, les points situés dans le cœur ne peuvent perdre que contre d’autres points du
cœur. Ainsi, les alternances devraient être confinées à l’intérieur du cœur, et on s’attend à
ce que la coalition éventuellement formée contienne un ou plusieurs membres du cœur.
Deux gouvernements ont exercé leurs fonctions pendant quatre ans jusqu’à
l’élection suivante : la coalition conduite par le Likud (LIK) et comprenant le parti
travailliste (LAB) fut suivie d’une coalition qui comprenait le Likud et SHAS.
La figure 13.4 illustre la situation après l’élection de 1992 en Israël. Les trois
lignes médianes se croisent maintenant au point idéal du parti travailliste, qui constitue le
noyau central. Aucun point situé au-dessus du point idéal du parti travailliste ne peut diriger

Religieux

Médiane

Noyau

Médiane

Séculier

Colombe Sécurité nationale Faucon

Figure 13.4
La Knesset en 1992 (source Schofield (1997, p. 289).
les systèmes multipartis 331

une majorité. La prévision devient certaine et le parti travailliste fera partie de la coalition
gagnante qui forme le gouvernement. Lorsque toutes les lignes médianes se coupent en un
point unique, celui-ci constitue le noyau. Lorsqu’elles ne se coupent pas en un point unique,
la surface qu’elles délimitent est appelée l’ensemble du cycle. Le cœur est l’union de l’en-
semble du cycle et du noyau central. La théorie de Schofield prévoit que toute coalition,
qui forme un gouvernement, contient au moins un des partis situés dans le cœur. Cette
théorie semble avoir un pouvoir de prévision considérable (Schofield, 1993b).

13.7.2.2 La médiane dimension par dimension


Nous avons vu dans le chapitre 5 qu’un équilibre peut parfois être produit dans un espace
multidimensionnel en votant sur une dimension à la fois 25. Laver et Shepsle (1996) ont
étendu cette idée des problèmes de scrutins à la formation des gouvernements. Ils notent
que la formation d’un gouvernement ne pose pas simplement le problème de savoir quels
partis le constituent, mais aussi celui de savoir quel parti obtient quel ministère. Ils suppo-
sent que si le parti A obtient le ministère du budget, il met en œuvre une politique qui
correspond exactement à son point idéal dans cette dimension, et pas seulement une poli-
tique économique proche de son point idéal. Cette hypothèse permet de réduire considéra-
blement le nombre de résultats possibles du processus de coalition, et augmente ainsi les
chances d’un résultat à l’équilibre.
Pour voir ce qui est en jeu, considérons la figure 13.5, qui représente les positions
de quatre grands partis allemands en 1987. Les deux plus importantes dimensions poli-
tiques en Allemagne ont été identifiées comme étant la politique économique et la politique
étrangère. Les points idéaux des quatre partis ont été représentés par des points en gras. Les
deux lignes passant par le point noté GG représentent la position du parti des verts en
matière de politique économique et de politique étrangère. Chaque intersection de deux
lignes représente une possible attribution de poste ministériel : ministère des finances ou
ministère des affaires étrangères. Par exemple, l’intersection notée GC représente une attri-
bution du ministère des finances au parti des verts et du ministère des affaires étrangères
aux démocrates chrétiens, dont le point idéal est noté CC. Si les démocrates chrétiens
avaient formé un gouvernement seuls, ils auraient occupé deux ministères et le gouverne-
ment formé serait au point CC. Pour plus de clarté, tous les gouvernements n’ont pas été
indiqués. Les points F F et SS représentent les points idéaux des deux autres partis, les
libéraux et les socialistes.
Aucun parti n’avait de majorité en sièges au Bundestag. Les démocrates chrétiens
avaient assez de sièges pour être capables de constituer une coalition majoritaire avec n’im-
porte lequel des autres partis. Le parti socialiste était le deuxième plus grand parti au
Bundestag, mais il ne pouvait former un gouvernement de coalition qu’en s’associant soit
aux démocrates chrétiens soit aux deux autres partis. La position médiane dans la dimen-
sion de la politique économique était donc occupée par les démocrates chrétiens, alors que
la médiane dans la dimension de la politique étrangère était occupée par les libéraux. La
médiane dimension par dimension se situait à C F .

25 Voir aussi Kadane (1972) et Slutsky (1977b).


332 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Politique
étrangère

Politique économique

Figure 13.5
Formation du gouvernement allemand au Bundestag en 1987.

Les démocrates chrétiens et les libéraux avaient constitué le gouvernement précé-


dent et s’étaient partagé deux ministères clés, les démocrates chrétiens occupant le minis-
tère des Finances et les libéraux, les Affaires étrangères. L’attribution des ministères C F
fut, par conséquent, un statu quo. La question à laquelle furent confrontés les partis après
les élections de 1987, a été de savoir si une nouvelle distribution des ministères et, peut-
être, une nouvelle coalition des partis pourraient briser ce statu quo.
Les cercles nommés IG , I S , IC et I F représentent les courbes d’indifférences pour
les quatre partis qui traversent le point de statu quo. N’importe quel point à l’intérieur d’un
de ces cercles est favorisé par le parti dont la courbe d’indifférence est représentée et est
donc préféré au gouvernement de statu quo. Les régions grisées représentent les ensembles
d’options gagnantes contre le statu quo, ou l’ensemble des points favorisés par une coali-
tion de majorité contre le statu quo. Les ensembles d’options gagnantes ne sont pas vides
et donc, les politiques représentées par les différents statu quo de distribution de ministè-
res pourraient perdre contre bien d’autres combinaisons politiques à l’assemblée, si l’as-
semblée devait voter sur ces combinaisons politiques. L’hypothèse centrale du modèle de
Laver et Shepsle est toutefois que l’assemblée n’est pas autorisée à voter les combinaisons
les systèmes multipartis 333

de ces ensembles d’options gagnantes, mais simplement les politiques proposées par le
parti occupant le ministère approprié. Toutefois, ce qui est pertinent, ce n’est pas qu’un
ensemble d’options gagnantes soit non vide mais qu’il contienne les points où les lignes
établies dans la figure se croisent. Si l’ensemble des options gagnantes contient un tel point,
alors il existe une répartition ministérielle qui peut briser le statu quo, et la théorie prévoit
ces nouvelles formes de gouvernement. Aucun point n’est contenu dans l’ensemble des
options gagnantes pour le point C F et la théorie Laver-Shepsle prévoit alors que le statu
quo soit renforcé. La théorie fait la prévision précise que les démocrates chrétiens et les
libéraux formeront le gouvernement, et que le ministère des Finances ira aux démocrates
chrétiens et les Affaires étrangères aux libéraux, ce qui est exactement ce qui s’est produit.
Dans cet exemple précis, la médiane dimension par dimension implique une coali-
tion de deux partis. Cela peut bien sûr arriver qu’un seul parti occupe cette position. Si un
parti était dans ce cas et que son ensemble des options gagnantes ne contenait pas de point
de croisement, alors il n’y aurait pas d’attribution de postes de ministres qui pourrait faire
échouer l’attribution de ces deux postes. Laver et Shepsle (1996, pp. 69-78) définissent un
tel parti comme étant très fort et ils prévoient qu’il soit dans n’importe quel gouvernement
stable qui se forme.
Ils définissent aussi les partis simplement forts. Le point idéal d’un parti simple-
ment fort a un ensemble d’options gagnantes non vide, mais tous les points dans cet ensem-
ble impliquent des attributions de cabinet dont le parti a sa part. Imaginons, par exemple,
que la position du parti des Verts sur les problèmes économiques ait été décalée assez loin
vers la droite dans la figure 13.5 de telle sorte que sa ligne de préférence et la ligne hori-
zontale passant par CC se coupent, dans l’option gagnante (nouvellement établie), en C F .
Les démocrates chrétiens peuvent alors se rapprocher de leur point idéal en éliminant de la
coalition les libéraux et en accueillant les verts, ce qu’ils feraient sans doute si cette
nouvelle coalition ne devait pas perdre par rapport à une autre, et qui ne laisserait pas les
démocrates chrétiens dans une situation pire. Ainsi, un parti moyennement fort est fort car
il peut opposer son veto même loin de son point idéal, et peut par conséquent « faire et
défaire les gouvernements ». Les deux modèles de partis forts (très et simplement fort)
tendent à être relativement larges et à se situer au centre de l’espace politique (Laver et
Shepsle, 1996, pp. 184-5).
Un des avantages importants de la théorie de Laver-Sheplse est qu’elle peut
permettre de prédire les gouvernements de minorité, comme par exemple quand un parti est
très fort mais a moins de sièges que la majorité requise au parlement. La théorie fonctionne
également pour les coalitions majoritaires de surplus, quand l’espace comporte trois dimen-
sions ou plus (Laver et Shepsle, 1996, pp. 266-9). Ainsi, tout comme l’existence de gouver-
nements qui excluent le parti médian dans un espace unidimensionnel, l’existence de
gouvernements avec des majorités de surplus implique que cet espace peut avoir plus de
deux dimensions, si on accepte les autres principes de la théorie de Laver et Shepsle.
Laver et Shepsle (1996, chap. 6-9) soumettent leur théorie à plusieurs tests empi-
riques comprenant des milliers de simulations de formation de coalition. En général, la
théorie reçoit une validation impressionnante tant des simulations que de la confrontation
aux données sur la formation véritable des gouvernements. Elle semble toutefois meilleure
pour expliquer la formation des coalitions dans les pays comme la Suède, qui a un parti
334 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

central important, que dans des pays comme la Belgique ou le Danemark, qui ont de nom-
breux partis de taille petite ou moyenne. Cependant, l’ensemble de la théorie tient assez
bien, particulièrement lorsque l’on prend en compte certaines spécificités.

13.8 LA STABILITÉ DES GOUVERNEMENTS


13.8.1 La durée des gouvernements
Dans un système parlementaire, le gouvernement ne survit que dans la mesure où il peut
conserver le soutien d’une majorité des membres du parlement. Quand il n’y a que deux
partis, cette tâche est relativement facile, étant donné que le parti majoritaire doit unique-
ment faire en sorte de maintenir le soutien des membres de son propre parti. Cependant,
lorsque le gouvernement est constitué d’une coalition de partis, la tâche devient plus diffi-
cile. Les différents partis ont des points de vue différents sur ce que devrait être le
programme du gouvernement, et ont, peut-être, également des divergences quant aux coûts
ou aux avantages que pourraient entraîner une chute du gouvernement, une prise de pouvoir
par une nouvelle coalition ou encore, la convocation de nouvelles élections. Ainsi, on s’at-
tend à ce que la vie d’un gouvernement soit plus courte dans un système multiparti.
L’idée énonçant que la représentation proportionnelle conduit à un gouvernement
instable est la plus considérée, la plus fréquente et la plus violemment critiquée (e.g.,
Hermens [1933, 1941, 1951], Schumpeter [1950, pp. 272-3], Black [1958, pp. 81-2]). Taylor
et Herman (1971) ont fourni la première des nombreuses études testant la validité empirique
de cette hypothèse. En utilisant les données de 196 gouvernements depuis la seconde Guerre
mondiale, ils ont constaté que la stabilité d’un gouvernement, mesurée en durée de survie,
était négativement corrélée à la fois au nombre de partis au parlement (r = −0, 39) et au
nombre de partis formant la coalition gouvernementale (r = −0, 307). L’indice d’Herfin-
 2
dahl de fractionnement partisan du parlement (F = 1 − pi = 1 − E N S, pi = 0 propor-
tion des sièges détenus par le ième parti) est négativement corrélé à la stabilité politique à
la fois quand elle est mesurée pour le parlement entier (r = −0, 448) et pour le gouverne-
ment (r = −0, 302). Les gouvernements à parti unique ont une durée moyenne de
1107,9 jours, presque deux fois plus longue que les gouvernements de coalition
(624,5 jours).
Warwick (1979, 1994) met l’accent sur la durabilité des gouvernements de coali-
tion, et constate que les coalitions majoritaires durent plus longtemps que les coalitions
minoritaires, et que les coalitions GM durent beaucoup plus longtemps que celles d’un
autre type. La durabilité d’un gouvernement est inversement proportionnelle au nombre de
partis qu’il comporte. Plusieurs autres études ont confirmé ces conclusions de différentes
manières 26.
Le tableau 13.6 présente des données sur les durées des gouvernements européens
sur la période 1945-1987 recueillies par Schofield (1993b), et sur la période 1948-1998
26 Voir Powell (1981, 2000), Midlarsky (1984), Schofield (1987) et Taagepera et Shugart (1989, pp. 99-102) ;
pour des discussions et des références supplémentaires, Warwick (1979, 1994) et Laver et Schofield (1990).
les systèmes multipartis 335

recueillies par Müller et Strøm (2000b). Notons tout d’abord qu’il existe une grande varia-
tion dans les durées de vie des gouvernements, à la fois entre pays et selon les différents
types de structures de coalition. Le gouvernement italien dure en moyenne un an, tandis

Tableau 13.6a
Durée moyenne des gouvernements européens par type de coalition : 1945-1987 (en mois).

AUS ALL BEL ICE LUX NOR IRE SUE DAN P-B FIN ITA Total
Majorité monoparti 46 46 48 49 24 45
Coalition de surplus avec 24 49 16 26
parti majoritaire
Coalition non connectée 10 40 47 15 11 17
et non GM
Coalition connectée mais 18 40 5 38 16 22 23
non GM
Coalition MCG mais non 25 20 22
GM
Coalition de surplus 24 49 12 40 5 34 15 17 21
Coalition GM et MCG 40 33 27 36 45 31 24 43 35 15 35
Coalition GM mais non 39 33 24 44 61 42 23 33 17 31
MCG
Coalition minimale 40 33 25 39 47 37 42 24 43 31 19 17 33
Coalition minoritaire 67 5 10 24 36 44 30 24 12 26
avec soutien
Coalition minoritaire 2 5 25 27 21 16 4 7 6 15
sans soutien
Coalition minoritaire 67 7 8 24 30 30 22 4 10 9 19
Total 41 37 22 34 45 32 39 28 26 27 15 13 26

Source : Schofield (1993b)


MCG : coalition de type « minimum de connexion du gagnant » ; GM : coalition gagnante minimum

Tableau 13.6b
Nombre et durée moyenne des gouvernements européens par type - 1948-1988 (en mois).

AUS ALL BEL ICE LUX NOR IRE SUE DAN P-B FIN ITA Total
Nombre de 21 25 32 15 25 21 25 30 22 36 47 25,5(a)
gouvernements
Durée moyenne (b) 28 23 17 39 25 30 26 21 27 16 12 23,4(a)

(a) - la moyenne comprend également la France et le Portugal. La France a connu 22 gouvernements avec une durée moyenne de 21 mois,
le Portugal 10 avec une durée moyenne de 20 mois.
(b) - Les exemples de Mûller et Strom sont exprimés en jours. Ils sont convertis en mois en divisant par 30.
Source : Mûller et Strøm 2006b, p. 585)
336 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

que les gouvernements au Luxembourg durent 5 ans, avec une moyenne de 45 mois dans
les données de Schofield et de 39 mois dans celles de Müller et Strøm.
Parmi les différents types de coalitions, les gouvernements à majorité à parti
unique ont duré le plus longtemps (moyenne de 45 mois) ; les gouvernements de minorité
ont la vie la plus courte (moyenne de 19 mois). Les coalitions gagnantes minimum durent
en moyenne deux fois plus longtemps que les coalitions de surplus (33 mois contre 21). La
prédominance, en termes de stabilité, des gouvernements à majorité uniparti sur toutes les
autres formes serait renforcée si des données sur la durée des gouvernements dans les systè-
mes majoritaires étaient incluses dans le tableau 27.

13.8.2 La mort des gouvernements


Alors que les premières recherches ont mesuré la stabilité gouvernementale comme la
durée de vie d’un gouvernement, des travaux plus récents se sont intéressés à prévoir la
probabilité de sa chute.
Dans sa forme la plus simple, cette approche considère les chutes des gouverne-
ments comme simplement une fonction d’événements aléatoires 28. Pour autant, on s’attend
à ce que les différences importantes entre les durées de vie des gouvernements, présentées
dans le tableau 13.6, ne soient pas toutes dues au hasard. Plusieurs différences institution-
nelles sous-jacentes existent et impliquent des événements aléatoires dans la chute des
gouvernements plus fréquents dans certains pays que dans d’autres.
Dans une contribution particulièrement féconde, King, Alt, Burns et Laver (1990)
tentent de déterminer quelles sont ces différences sous-jacentes. Ils modélisent le taux de
risque (la probabilité conditionnelle qu’un gouvernement meurt à un instant t) comme une
fonction exponentielle d’un ensemble de variables institutionnelles et politiques tirées de la
littérature sur la stabilité gouvernementale. Considérant H comme ce taux de risque, nous
avons
H = ex p(−β  x),

où x est le vecteur des variables affectant les morts gouvernementales, et β  le vecteur des
coefficients à estimer 29. En cohérence avec la littérature antérieure, King et les autres
auteurs trouvent premièrement que les gouvernements de majorité ont des taux de risque
plus bas et deuxièmement que ceux ayant des niveaux élevés de fractionnalisation ont des
taux plus élevés.
Warwick (1994) élargit et réanalyse le modèle de King et al. Le tableau 13.7
présente les estimations pour deux de ses équations. Les six variables incluses dans l’équa-
tion 1 sont les seules d’une grande série à s’avérer significatives parmi celles que Warwick
teste. Les variables tentent de capturer différents aspects de la complexité d’une situation
de négociation et les coûts pour les partis d’une chute du gouvernement. Par exemple, plus
la part des membres d’un gouvernement qui revient dans le gouvernement suivant est
27 Voir aussi Lijphart (1984, 1999).
28 La contribution pionnière est due à Browne, Frendreis et Gleiber (1986).
29 Pour la dérivation de cette équation, voir King et al. (1990) et Warwick (1994, pp. 17-21).
les systèmes multipartis 337

grande, plus le coût pour un parti de voir le gouvernement chuter est faible, et plus il y a
de chance qu’il chute réellement. Le coefficient positif de polarisation politique peut être
expliqué ainsi : plus le parlement est polarisé (c’est-à-dire si les partis les plus forts sont à
droite et à gauche) plus importante sera la probable perte en suffrages lors de la prochaine
élection pour un parti quelconque qui compromettrait sa position politique en la déplaçant
vers le centre. Puisque la création et le maintien des coalitions dépendent de compromis,
les gouvernements de coalition dans un système polarisé sont les plus susceptibles de
chuter.

Tableau 13.7
Déterminants du taux de risque de chute des gouvernements.

Équations
Modèle 1 Modèle 2
Variables explicatives Coef. (e.t.) Coef. (e.t.)
Statut majoritaire : le gouvernement est une majorité de coalition –1,11 (0,16) –1,37 (0,23)
Statut postélectoral : premier gouvernement après une élection –0,61 (0,15) –0,51 (0,17)
Investiture : un vote formel d’investiture est requis 0,44 (0,15) 0,50 (0,19)
Nombre réel de partis représentés au gouvernement 0,20 (0,06) 0,11 (0,07)
Proportion des partis du gouvernement participant au gouvernement suivant 1,60 (0,47) 1,34 (0,51)
Polarisation politique : proportion de sièges détenus par les partis extrémistes 3,54 (0,62) 2,62 (0,83)
Diversité idéologique : indice à partir d’échelles d’opposition gauche/droite, 0,34 (0,14)
clérical/laïque, pro/anti régime
Ratio de vraisemblance –1120 –842
Nombre d’observations 360 284

Définitions de la variable : voir Warwick (1994, pages 39-40, 53-62)


Source : Warwick (1994, tableaux 3.3 et 4.4).

Le coefficient affecté à la situation de majorité et le nombre effectif de partis au


gouvernement présentent un intérêt particulier. Un gouvernement formé d’une coalition
majoritaire a une probabilité nettement plus faible de s’effondrer qu’un gouvernement mino-
ritaire. Le nombre effectif de partis dans le gouvernement est tout simplement l’ENS pour
les partis qui le composent. Conformément à l’analyse de King et al. ainsi qu’à la littérature
sur la durée des gouvernements, Warwick constate que la probabilité de chute d’un gouver-
nement augmente selon le nombre de partis présents dans la coalition qui le soutient 30.
L’équation 2 du tableau 13.7 comprend en plus un indice de la diversité idéolo-
gique des coalitions de partis formant les gouvernements. Cet indice est construit à partir
30 Pour une discussion des autres variables de l’équation 1, voir Warwick (1994, ch. 3). Strøm (1985) a égale-
ment conclu que le statut de la majorité allonge, de manière significative, la durée de vie du gouvernement. Il
a également constaté que les partis des gouvernements minoritaires tendent à faire mieux aux élections que
ceux des gouvernements majoritaires, et, à partir de cela, conclut que le fait d’être dans un gouvernement
minoritaire peut être bien plus avantageux pour les partis leaders. Taagepera et Shugart (1989, pp. 99-102) ont
noté que l’ENS, pour l’ensemble du parlement, est inversement lié à la durée du gouvernement.
338 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

de trois autres indices : une échelle normale d’opposition gauche-droite, une échelle d’op-
position clérical-laïque, et une échelle relative au soutien au régime. Cela a un effet positif
et significatif sur le taux de risque. Plus la diversité idéologique entre les partis formant le
gouvernement est grande, plus la probabilité que le gouvernement s’effondre est impor-
tante. Une fois que la diversité idéologique est incluse dans le modèle, le nombre de partis
de gouvernement perd de sa significativité statistique. Warwick (pp. 64-7) interprète ce
résultat comme le fait que les données du nombre effectif de partis captent une partie de
l’information sur la diversité idéologique. Quand elles sont omises c’est effectivement cette
diversité idéologique qui augmente la probabilité qu’un gouvernement multipartite chute,
et non le nombre de partis qu’il comporte.
Nous avons vu précédemment que le degré d’hétérogénéité ethnique et sociale
dans un pays avait une corrélation positive avec le nombre effectif de partis dans le pays.
Plus il y a de partis au parlement, plus la part en sièges de chaque parti est petite, et plus il
y a besoin de partis pour constituer une coalition majoritaire. Si la diversité idéologique
dans un pays est reflétée par les partis de son parlement, nous pouvons nous attendre à des
degrés plus élevés de diversité idéologique en fonction du nombre de partis formant le
gouvernement. Ainsi, on peut interpréter les résultats de Warwick de l’équation 2 du
tableau 13.7 de la façon suivante : le nombre de partis qui composent un gouvernement
ainsi que leur diversité idéologique sont susceptibles d’être liés positivement à la probabi-
lité de sa chute.
Une fois la diversité idéologique introduite dans le modèle, Warwick constate que
les coalitions minimales gagnantes ne sont pas plus susceptibles de survivre que d’autres
formes de coalitions (pp. 67-72). La seule caractéristique de la coalition qui s’avère être
significative et importante dans l’explication du taux du risque, est son statut de majorité.
Une abondante littérature a maintenant assez fermement établi que de bonnes
conditions économiques augmentent la probabilité qu’un président ou un gouvernement
soit réélu, et que les présidents et les partis tiennent compte de ce paramètre lors de l’éla-
boration de leurs politiques économiques (voir chapitre 19). Cette littérature a largement
ignoré la question de savoir si les conditions économiques influent également sur l’espé-
rance de vie d’un gouvernement. Il semble tout à fait plausible que cela soit le cas. Une
mauvaise conjoncture économique pourrait conduire les partis à verrouiller une coalition,
de peur d’être tenus responsables, à la prochaine élection, de l’état de l’économie ; une
période de prospérité économique pourrait maintenir des coalitions factices alors que tous
les députés veulent s’attribuer le mérite de cette prospérité à la prochaine élection. Les
données de Warwick sont conformes à ces propositions. L’environnement économique
difficile des années 1980 et 1990 semble avoir à la fois augmenté les taux de risque pour
l’ensemble des pays d’Europe occidentale, et les avoir rendus plus sensibles aux variations
du chômage et de l’inflation, étant donné le poids croissant que les électeurs ont attribué à
ces phénomènes économiques au fil du temps 31.
31 Compte tenu du mauvais état de l’économie allemande au début des années 1980, il était peu probable que la
coalition entre le parti socialiste et les libéraux puisse être à nouveau au pouvoir après les prochaines élections.
Ce paramètre semble avoir joué dans la décision des libéraux de former une nouvelle coalition avec les chré-
tiens démocrates (Poguntke, 1999). La décision du parti socialiste autrichien, en 1966, de ne pas renouveler la
grande coalition avec le parti populaire a également été influencée par l’état de détérioration de l’économie à
cette période.
les systèmes multipartis 339

13.8.3 Résumé
La littérature étudiée dans cette section qui concerne la stabilité gouvernementale, ainsi que
certaines des conclusions des précédents chapitres, peut se résumer à l’aide d’un schéma
(figure 13.6). Les politiques d’un pays à une seule confession religieuse n’ont pas tendance
à se diviser en fonction de caractéristiques religieuses. Les différences linguistiques ne
prendront pas une dimension politique majeure dans un pays où tout le monde parle la
même langue. L’hétérogénéité ethnique, religieuse et idéologique d’un pays détermine la
place de ces enjeux. Le nombre d’enjeux politiques primordiaux d’un pays détermine le
nombre de partis politiques qu’il possède. Cependant, le nombre de partis politiques est
également lié aux règles électorales du pays. Particulièrement, le nombre de partis poli-
tiques sera lié de façon certaine au nombre de représentants qui peuvent être élus dans
chaque circonscription. Et aussi bien le nombre de partis politiques que le niveau d’hété-
rogénéité idéologique sont inversement proportionnels à la stabilité gouvernementale.
On peut encore ajouter bien des éléments à la figure 13.6 et peut-être aussi d’au-
tres liens. Par exemple, à un niveau constitutionnel, la diversité sociale peut expliquer le
choix de règles électorales. La Suisse et la Belgique ont toutes deux abandonné le scrutin
proportionnel uninominal à la fin du XIXe siècle en réponse à de violentes protestations de
citoyens qui ne souhaitaient pas être représentés par des personnes d’un groupe religieux
ou linguistique différent (Lakeman 1974, pp 192-99 ; Carstairs, 1980, chap. 6 et 13). Ceci
nous amène à la question du rapport entre les règles électorales et la stabilité sociale.

Nombre de partis

Nombre de représentants Stabilité Nombre de dimensions


élus par circonscription du gouvernement politiques

Diversité ethnique,
religieuse et idéologique

Figure 13.6
Les déterminants de la stabilité gouvernementale.
340 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

13.9 STABILITÉ SOCIALE


Sous le régime de la pluralité presque la moitié des citoyens peuvent être représentés par
quelqu’un pour qui ils n’ont pas voté ; avec trois partis ou plus, bien souvent plus de la
moitié est « représentée » de cette façon (Buchanan et Tullock, 1962, p. 242). Lors des élec-
tions qui marquent le retour aux affaires du Labour Party de Tony Blair, avec une majorité
écrasante de 60 % des sièges au parlement, le parti ne rassemblait que seulement 44 % des
suffrages soit à peu près le même pourcentage qu’un candidat malchanceux face à une
victoire probante aux présidentielles françaises. Cette caractéristique de la règle de la plura-
lité peut conduire les électeurs à l’aliénation vis-à-vis des élections et peut expliquer la
baisse significative de la participation en système majoritaire et en démocratie bipartisane,
plus que dans les systèmes à représentation proportionnelle 32. Powell (1982) a également
trouvé une fréquence significativement plus élevée de protestations politiques dans les
systèmes bipartisans.
Donc, l’avantage souvent mis en avant d’une plus grande stabilité en système
bipartisan semble souffrir de certaines restrictions. La stabilité à l’intérieur d’un processus
politique qui se construit en niant la représentation proportionnelle de diverses minorités
est compensée par la décision des minorités écartées de se retirer du processus politique.

13.10 LE VOTE STRATÉGIQUE


Le vote stratégique peut se produire pour deux raisons : (1) l’électeur ne souhaite pas voter
pour un candidat ou un parti qui a très peu de chance de remporter un siège dans sa circons-
cription ; ou (2) l’électeur ne souhaite pas voter pour un parti qui a très peu de chance de
rejoindre la future coalition gouvernementale. Dans cette section, nous allons discuter des
éléments de preuve pour les deux perspectives de vote stratégique, en commençant par les
pays où s’applique la règle électorale de la majorité.

13.10.1Le vote stratégique sous la règle de la majorité


Comme nous l’avons vu, la loi de Duverger repose sur le principe que le premier type de
vote stratégique se situe dans les circonscriptions uninominales qui utilisent la règle de la
majorité. Cependant, pour que le vote stratégique aboutisse a deux partis principaux, les
électeurs doivent estimer que les chances du candidat du troisième parti de remporter un
siège sont significativement plus faibles que celles du candidat en seconde place. Si les
partis supposés arriver en second ou en troisième sont supposés obtenir une portion simi-
laire des suffrages, il n’y a pas de raison de délaisser le troisième candidat pour lui préférer
le second. Donc, il n’y a pas de vote stratégique attendu quand les candidats des deuxième
et troisième partis ont des chances similaires de gagner. Si nous calculons alors la propor-

32 Voir Powell (1981), Jackman (1987), Blais et Carty (1990), Amy (1993, chap 7), Mueller et Stratmann (2002).
Mudambi, Navarra et Nicosia (1996) exposent des témoignages plus détaillés d’électeurs siciliens en système
proportionnel.
les systèmes multipartis 341

tion relative des suffrages du troisième et du second candidat, 3P/2P, nous pourrions nous
attendre à ce que cette proportion traduise une répartition bimodale dans la circonscription.
Lorsque les probabilités de gagner entre le second et le troisième candidat diffèrent beau-
coup, 3P/2P devrait être proche de zéro ; inversement, quand ces probabilités sont proches,
le ratio devrait être proche de 1. Et les proportions intermédiaires devraient disparaître.
Une différence significative entre la portion des suffrages attendus pour le second
parti et le troisième est nécessaire mais n’est pas une condition suffisante pour le vote stra-
tégique. Si le principal parti dans une circonscription est considéré comme le quasi-vain-
queur, il n’y a aucune raison de délaisser le troisième parti pour le second, dans la mesure
où les deux n’ont qu’une chance infime de gagner. On peut tout aussi bien voter pour le
parti qu’on préfère, puisque le résultat de l’élection est connu d’avance. Donc, on ne peut
pas prévoir la répartition bimodale des proportions de 3P/2P dans les circonscriptions où
les probabilités sont élevées que le parti principal gagne.
Les démocrates libéraux 33 sont devenus le troisième grand parti ces dernières
années en Grande-Bretagne, ce qui en fait un pays parfait pour tester ces prévisions. Cox
(1997, pp. 85-9) propose un tel test. Dans les circonscriptions peu disputées, il trouve une
distribution unimodale des proportions de 3P/2P avec un mode situé entre 0,3 et 0,4. D’un
autre côté, dans les circonscriptions très disputées, la répartition bimodale de ces propor-
tions correspond à ce que prévoit l’hypothèse du vote stratégique, avec un mode situé entre
0,1 et 0,2 et le second entre 0,9 et 1.
Bien que les résultats de Cox suggèrent fortement que le vote stratégique s’est
produit en Grande-Bretagne, cela n’implique pas qu’une grande partie des anglais votent
stratégiquement. L’hypothèse ne suggère pas de vote stratégique dans les circonscriptions
où le parti principal a de grandes chances de l’emporter, ni où les différences de probabili-
tés sont faibles entre le deuxième et le troisième parti. Même lorsqu’aucune de ces deux
conditions n’est satisfaite, tous les électeurs ne votent pas stratégiquement 34. Cette preuve
du vote stratégique associée à ce qui a été discuté auparavant concernant la relation entre
les suffrages et les sièges laisse entendre que les démocrates libéraux en Grande-Bretagne
ont été doublement désavantagés par la règle majoritaire. Certains électeurs les ont délais-
sés pour les deux principaux partis afin de ne pas gaspiller leur voix, avec pour résultat que
les démocrates libéraux reçoivent moins de suffrages que d’intentions de vote. De plus, le
système électoral transforme la part des suffrages des démocrates libéraux en une petite
portion de sièges au parlement.
Cox (1997, pp. 81-3) a également étudié la présence de vote stratégique en Alle-
magne et a montré la preuve de son existence. Les résultats des études confirment encore
une fois la preuve statistique que le vote stratégique a bien lieu.

13.10.2Le vote stratégique dans un système multipartis


La généralisation des tests sur la distribution de la proportion 3P/2P aux systèmes de
circonscription à plusieurs représentants requiert que l’on observe le ratio (M + 1)/M , où
33 Anciennement « l’Alliance ».
34 Cox (1997, pp. 85-9) cite et analyse plusieurs études.
342 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

M est le nombre d’élus sélectionnés dans une circonscription. Un simple coup d’œil au
tableau 13.2 suggère que la logique de de ce test disparaît quand M s’accroît. Une inter-
prétation simpliste de cette théorie impliquerait 76 partis en lice aux Pays-Bas, alors qu’il
est clair que le nombre réel de partis dans ce pays est bien plus faible. Cox (1997, chap. 5)
a montré que les prévisions concernant cette proportion (M + 1)/M se maintiennent, tant
que M reste inférieur à cinq. Ainsi, le vote stratégique ne semble pas influer sur les résul-
tats dans les systèmes de représentation proportionnelle, où la taille des circonscriptions est
moyennement grande 35.
Les électeurs ont généralement des a priori non seulement sur les suffrages espérés
par chaque parti gagnant une élection, mais aussi sur quels partis sont susceptibles de
former des coalitions. Ces a priori peuvent également produire du vote stratégique.
Considérons encore l’exemple du Demokrastan, où les partis se situeraient le long
d’un espace monodimensionnel gauche-droite. Les chiffres sous la ligne représentent main-
tenant le nombre espéré de sièges pour chaque parti à l’issue de l’élection.

La constitution du Demokrastan oblige le président à proposer au parti qui a reçu


le plus de suffrages aux élections de former le gouvernement. Si l’élection se déroule
comme prévu, E sera invité à former le gouvernement, et alors on prévoit soit une coalition
CDEF soit une coalition DEFG. Les partisans du parti A ont désormais une forte motiva-
tion à voter pour B afin de faire monter son nombre de siège au-dessus de celui de E, car B
pourrait favoriser une coalition ABCD. En anticipant cela, les partisans de F et G peuvent
alors porter leurs suffrages sur E. Même une convention aussi simple que celle de deman-
der au plus grand parti de former le gouvernement peut conduire au vote stratégique et à un
afflux de suffrages pour les plus grands partis.
Cependant, le vote stratégique peut également fonctionner en faveur des partis plus
modestes. Étudions l’exemple suivant tiré de Cox (1997, pp. 197-8). Les positions du parti
social-démocrate allemand (S), des libéraux (F), et des démocrates chrétiens (C) se présen-
tent ainsi :

Les chiffres sous la ligne représentent à nouveau le nombre attendu de sièges pour
chaque parti juste avant l’élection. La constitution allemande impose à chaque parti un seuil
minimum de 5 pourcent des suffrages nationaux pour avoir un siège au Bundestag. Si les
sondages préélectoraux sont exacts, les libéraux ne dépasseront pas ce seuil et les deux
autres partis se partageront proportionnellement les sièges. Le parti social-démocrate peut
former le gouvernement seul. L’idéologie des libéraux étant plus proche de celle des démo-
crates chrétiens que de celle des socialistes, si les libéraux parviennent à dépasser le seuil
minimal, ils formeraient une coalition de majorité avec les démocrates chrétiens. Sachant
35 Ordeshook et Zeng (1994) discutent des motivations à voter stratégiquement dans le système du scrutin trans-
férable.
les systèmes multipartis 343

cela, les partisans des Démocrates chrétiens ont une forte motivation à voter pour les libé-
raux afin qu’ils obtiennent au moins 5 pour cent des voix. Des situations similaires sont
devenues courantes en Allemagne depuis 1961, et les libéraux ont essayé de tirer avantage
de leur positionnement proche du centre en encourageant ouvertement les citoyens alle-
mands à voter stratégiquement 36.

13.11 REMARQUES CONCLUSIVES


Nous avons débuté ce chapitre avec une citation d’Albert Breton et Gianluigi Gaelotti
(1985) concernant deux perspectives de la représentation politique. Il semble clair dans ce
chapitre, comme dans les deux qui précèdent, que les systèmes bipartis où « le gagnant
emporte tout », autant que les systèmes proportionnels, sont représentatifs, dans le sens où
les préférences de chaque citoyen sont considérées dans les résultats finals du processus
politique. Dans un système bipartisan, les préférences individuelles du citoyen ont une
influence sur le programme du candidat ainsi que sur les résultats dans la mesure où la
nécessité de se faire réélire force les gagnants à mettre en œuvre leur programme. Dans un
système proportionnel, chaque citoyen est représenté par un parti pour lequel il a voté, ou
le parti de la personne pour qui il a voté. Le choix entre les partis est plus large, et le citoyen
peut voter pour un parti qui représente ses préférences de plus près que dans des systèmes
bipartisans.
Ces deux visions de la représentation politique conduisent logiquement à des
règles électorales alternatives pour choisir ses élus. La loi de Duverger prédit que la règle
de la majorité va produire deux partis dominants, ce qui en moyenne se produit. Mais, dans
beaucoup de pays bipartisans, comme le Canada et la Grande-Bretagne, il existe souvent
de puissants troisième ou quatrième partis. En conséquence, les électeurs peuvent avoir des
motivations pour voter stratégiquement, de sorte que le partage des voix entre les partis ne
reflète pas forcément le premier choix des électeurs, et que le parti qui remporte la majo-
rité des sièges peut souvent le faire sans avoir remporté la majorité des suffrages des élec-
teurs. En effet, il peut se produire qu’une majorité d’électeurs préfère un autre parti que
celui qui « remporte » une élection 37.
Pour avoir plus de deux partis dans une assemblée, on doit élire plus d’un parti ou
plus qu’une personne pour chaque circonscription. Le nombre de partis dans une assemblée
tend à augmenter avec le nombre de représentants élus par circonscription (M), et quand
(M) dépasse 5, le vote stratégique semble disparaître. Avec un M moyennement élevé, le
système proportionnel montre également des écarts modestes de répartition des sièges qui
sont strictement proportionnels aux suffrages. Donc, beaucoup de systèmes proportionnels
36 Pour plus de commentaires et de citations, voir Cox (1997, pp. 194-8) et Poguntke (1999, p. 232).
37 Ces deux inconvénients des systèmes bipartisans qui utilisent le principe de pluralité pour produire une majo-
rité parlementaire peuvent être éliminés en adoptant le principe d’une élection à deux tours pour répartir les
sièges, de la même manière que l’élection du président en France. Tous les citoyens du pays ont en face d’eux
la même liste de partis à chaque tour, et les votes se font sur une base nationale. Si aucun parti ne reçoit une
majorité de votes au premier tour, un second tour est organisé avec les deux partis ayant reçu le plus de suffra-
ges au premier tour. La logique (M + 1)/M peut s’appliquer à ce principe, et on peut espérer que le système
bipartisan évolue avec le temps. Pour plus de commentaires, voir Mueller (1996, chap. 9 et 10).
344 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

réels peuvent être considérés comme des approximations du « système idéal » décrit au
début de ce chapitre, dans la mesure où la représentation des différents groupes d’électeurs
est prise en compte.
La logique sous-jacente au système proportionnel idéal est de représenter les préfé-
rences de tous les citoyens à l’assemblée nationale en proportion de leur nombre dans la
population, au sens large, et ensuite de regrouper ces préférences de façon optimale. Pour
les raisons exposées dans les chapitres 4, 5 et 6, la règle de la majorité simple n’est pas
adaptée pour parvenir à ce regroupement optimal. En plus d’une règle majoritaire efficace,
on peut utiliser une version du vote par veto, pour que l’ensemble des préférences des
citoyens aient une influence sur le résultat. Dans un système proportionnel idéal, l’exécu-
tif et le législatif seraient séparés, et la fonction de l’exécutif serait de réaliser « ce que veut
le peuple », par l’intermédiaire des décisions prises par l’assemblée 38.
Les systèmes proportionnels dans la réalité s’éloignent de cet idéal car ils utilisent
inévitablement la règle de la majorité simple pour les décisions législatives, et fusionnent
les fonctions législatives et exécutives en exigeant que le parlement choisisse, ou au mieux
accepte, les choix du chef de l’exécutif ou du gouvernement. Cette exigence sur la forme
du gouvernement dans le système proportionnel modifie les options stratégiques de l’élec-
teur. Si l’assemblée utilise une règle de vote qui permet au parti choisi d’influer sur les
décisions, alors l’électeur aurait une forte motivation à voter pour le parti dont les positions
sont les plus proches des siennes. Toutefois, si seulement quelques partis entrent au gouver-
nement, et que ce gouvernement décide de l’ensemble des décisions politiques, alors l’élec-
teur rationnel doit prendre en compte la possibilité que chaque parti puisse entrer au
gouvernement, ainsi que son positionnement, avant qu’il ne décide pour quel parti voter.
Donc, sous cette forme de gouvernement et en système proportionnel, la répartition des
votes entre les partis peut refléter de façon inexacte les préférences des citoyens pour les
positions politiques de chaque parti.
Malgré ces différences importantes entre les systèmes électoraux réels et leurs
versions théoriques, on peut espérer que les deux sont assez proches, de manière à pouvoir
utiliser la littérature de la théorie des choix publics pour comparer les systèmes électoraux
réels. Dans un système purement bipartisan, un parti remporte toujours une majorité de
votes et de sièges au parlement, et on peut donc espérer une stabilité pour ces gouverne-
ments de majorité. Dans les systèmes bipartisans réels, les gouvernements de majorité ne
se constituent pas toujours, mais se constituent, comme on l’espère, bien plus souvent que
dans les systèmes proportionnels 39.
Avec deux partis et un espace unidimensionel des enjeux politiques, les deux
concourent pour que le vote de l’électeur médian et la plateforme gagnante coïncide avec
le point idéal de l’électeur médian. Le modèle probabilistique du vote présenté dans le
chapitre 12 nous laisse espérer des résultats équilibrés dans le système bipartisan, même s’il
y a plus d’une dimension dans cet espace, avec un parti vainqueur situé en moyenne vers

38 Pour d’autres commentaires sur les différences entre les deux types de système et les moyens de créer leurs
prototypes idéaux, voir Mueller (1996a, chap. 8 à 10).
39 Blais et Carty (1988) énoncent qu’un parti seul remporte une majorité absolue des sièges au parlement dans
72 pourcent des cas dans un système bipartis contre 10 pourcent des cas dans un système proportionnel. Powel
(2000) a dernièrement entrepris une vaste comparaison entre les systèmes bipartis et multipartis.
les systèmes multipartis 345

les points idéaux de l’électeur. Même lorsque l’équilibre ne peut pas exister, les construc-
tions théoriques comme l’ensemble non recouvert ou le noyau (yolk), nous laissent entre-
voir des résultats en système bipartisan qui se rapprochent de la répartition des points
idéaux des électeurs (voir chapitre 11).
La littérature sur les systèmes multipartis conduit, parfois même de façon surpre-
nante, a une conclusion très similaire. Quand un espace politique unidimensionnel existe,
la parti occupant le point idéal de l’électeur médian peut espérer rejoindre n’importe quelle
coalition qui se forme, ou même former le gouvernement lui-même quand bien même il
n’occupe pas une majorité de sièges au parlement. Quand cet espace a plus d’une dimen-
sion, la coalition gagnante qui compose le gouvernement est susceptible de contenir le parti
situé sur la médiane dimension par dimension si un tel parti existe, ou, tout au moins, sur
la médiane d’une des dimensions de cet espace. Les concepts tels que l’ensemble non
recouvert et le noyau, sont remplacés par le cœur politique pour prédire quels partis vont
rejoindre les gouvernements de coalition, et cela implique à nouveau qu’ils vont se situer
quelque part près du centre des points idéaux des électeurs. Dans les systèmes multiparti-
sans, l’électeur médian est considéré comme l’acteur clé par le parti « central », « fonda-
mental » ou « fort ».
Les partis « forts » sont vastes et implantés centralement, alors que les partis
« fondamentaux » se positionnent à l’intersection des lignes médianes. L’utilisation quasi
exclusive de la règle de la majorité simple dans les systèmes bipartisans ou multipartisans
produit une puissante force centripète indépendamment de la règle électorale utilisée pour
attribuer les sièges des assemblées.
De l’utilisation du modèle spatial de vote de Downs dans les études tant pour les
systèmes bipartisans que multipartisans, il résulte, sans surprise, une grande préoccupation
pour les positions des candidats et partis des deux systèmes. L’hypothèse, souvent impli-
cite dans les travaux, est que les politiques en rapport avec les positions situées sur l’espace
politique sont retenues. La préoccupation d’analystes comme Breton et Gaelotti sur le
gouvernement responsable ne concerne pas tant la nature des politiques promises que le fait
que les promesses sont tenues et que les décisions politiques sont effectivement mises en
œuvre. Quand le gouvernement revient sur ses promesses dans un système bipartis, les
électeurs ont une stratégie claire pour le punir, en votant pour le parti d’opposition. Dans
les systèmes proportionnels, la meilleure stratégie de l’électeur est moins évidente, puisque
que la responsabilité des politiques passées est partagée par tous les membres de la coali-
tion, et l’électeur ne met manifestement pas ses propres intérêts en avant en affaiblissant le
parti qui lui est le plus proche. Sans surprise, on trouve que les changements dans un
gouvernement suite à une élection sont plus souvent observés dans un système bipartisan
que multipartisan 40.
L’abondante littérature sur l’alternance et les cycles nous conduit à anticiper que
l’instabilité gouvernementale prend la forme de décisions politiques perpétuellement chan-
geantes. Le coût le plus significatif de l’instabilité gouvernementale peut être une paraly-
sie complète du gouvernement. Schofield (1995) a montré, par exemple, que les
démocrates chrétiens ont occupé une position très proche du « cœur » politique dans l’Ita-
40 Blais (1991, p. 242) compare le système proportionnel et bipartis avec des critères supplémentaires de perfor-
mance, comme le font Grofman et Reynolds (2001) et Powell (2000).
346 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

lie d’après-guerre, et donc qu’ils furent membres de la quasi-totalité de la cinquantaine de


gouvernements constitués jusqu’au milieu des années 1990. À ce moment, les Italiens ont
voté contre tous les partis majeurs, et les démocrates chrétiens ont disparu en tant que parti.
On suppose que cela s’est produit, non parce que les électeurs italiens étaient en désaccord
avec les positions politiques des grands partis, mais en raison de la mise en œuvre de ces
politiques. Ainsi, les différences les plus significatives entre les systèmes électoraux ne
résident pas dans le fait de savoir à quel point les préférences des électeurs sont représen-
tées au parlement, ou comment le parlement décide de ce qui doit être fait, mais plutôt dans
le fait de savoir si l’assemblée décide de quoi que ce soit, et si ses décisions sont mises en
œuvre. Nous reviendrons sur ces questions dans le chapitre 17.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Parmi les classiques, Considérations sur le gouvernement représentatif de John Stuart, première
publication en 1861, est intéressant à lire pour la discussion sur la théorie de la représentation
proportionnelle ainsi que pour celle sur la théorie politique plus générale.
Des discussions plus récentes sur les propriétés normatives de la représentation proportionnelle
comprennent Pitkin (1967), Riker (1982a), Chamberlin et Courant (1983), Johnston (1984), Rose
(1984), Sugden (1984), Blais (1991), Powell (2000) et Grofman et Reynolds (2001).
Pour une analyse formelle des diverses règles de répartition des sièges à l’Assemblée législative après
les élections, voir Balinsky et Young (1978, 1982). Myerson et Weber (1993), Myerson (1999) et
Persson et Tabellini (2000a, ch. 8) examinent les questions de stabilité et de performance dans des
systèmes électoraux différents.
Schofield (1997) passe en revue l’analyse spatiale du vote dans les systèmes multipartisans et fournit
une introduction simple au concept de cœur. Austen-Smith (1996) propose des modifications au
sein du cœur pour éliminer la possibilité de sélectionner un résultat qui n’appartient pas à l’en-
semble non recouvert.
Grofman et van Roozendaal (1997) proposent une excellente étude de la littérature sur la stabilité
gouvernementale. Müller et Strom (2000a) présentent 15 essais sur les gouvernements de coalition
en Europe. Grofman, Lee, Winckler et Woodall (1999) proposent 18 contributions sur le vote
simple non transférable en vigueur au Japon, en Corée et à Taiwan. Douze essais sur la procédure
du vote simple non transférable sont inclus dans les travaux de Bowler et Grofman (2000a).
14
LE PARADOXE DU VOTE

14.1 L’hypothèse de l’électeur rationnel 348


14.2 L’hypothèse de l’électeur rationnel : les preuves empiriques 353
14.3 L’hypothèse de l’électeur expressif 365
14.4 L’hypothèse de l’électeur éthique 367
14.5 Les préférences éthiques comme comportement égoïste 370
14.6 L’électeur égoïste 372
14.7 Résumé et implications 375
348 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

La caractéristique distinctive du choix public est l’hypothèse que les individus, dans l’arène
politique comme dans le secteur marchand, se comportent de façon rationnelle et selon leur
propre intérêt personnel. Nous avons examiné des exemples de compétition de candidats
fondés sur cette hypothèse, mais il a encore été dit peu de chose sur l’acteur clé du proces-
sus politique qu’est l’électeur individuel. Ce chapitre comble ce manque.

14.1 L’HYPOTHÈSE DE L’ÉLECTEUR RATIONNEL


14.1.1 La maximisation de l’utilité attendue
L’hypothèse de l’électeur rationnel a d’abord été développée par Downs (1957, chapi-
tres 11-14) et a été élaborée plus tard par Tullock (1967a, pp. 110-14) et Riker et Ordes-
hook (1968-1973). En choisissant entre deux partis ou candidats, l’électeur envisage les
différents « flux d’utilité » pouvant être déduits des politiques promises par chaque candi-
dat. L’électeur calcule l’utilité attendue de la victoire de chaque candidat et vote naturelle-
ment pour le candidat dont la politique promet l’utilité la plus grande. Ainsi, voter est un
acte purement instrumental dans la théorie du vote rationnel. On vote pour obtenir la
victoire de son candidat préféré. Le bénéfice du vote est la différence entre les services
attendus des politiques de ces deux candidats. Nous appelons cette différence B.
Bien sûr, il est peu probable qu’un seul vote décide du résultat d’une élection. Le
vote d’un électeur a un impact sur le résultat uniquement quand (1) les votes de tous les
autres électeurs sont uniformément répartis entre les deux candidats ou (2) quand le candi-
dat préféré de ce dernier peut perdre d’une voix s’il ne votait pas. Nous appelons les proba-
bilités de ces deux événements respectivement P1 et P2 . Si son candidat préféré a 50 % de
chances de finalement gagner, la première élection pourrait se terminer en un match nul,
alors la probabilité qu’un vote individuel unique contribue à la victoire du candidat préféré
de l’électeur est P = P1 + (1/2)P2 . Les bénéfices attendus du vote sont P B.
P a été calculé de différentes manières. Selon une première approche, chaque élec-
teur peut être vu comme sortant une boule d’un sac dans lequel la fraction p des balles est
labélisée candidat 1 et (1 − p) est labélisé candidat 2. Chaque électeur est supposé avoir
une estimation préalable de p. S’il y a N électeurs et que N est impair, alors P1 pour
chaque autre électeur est simplement la moitié exacte des électeurs restants (N − 1) qui
feront un choix nommé candidat 1 et l’autre partie restante fera un choix nommé candidat
2, compte tenu du préalable p de l’électeur. P devient alors :
3e−2(N −1)( p− 2 )
1 2

P= √ (14.1)
2 2π(N − 1)
P diminue lorsque N augmente, et p diminue de 1/2 1. Même si p = 1/2, la probabilité
1 Owen et Grofman (1984) dérivent la formule suivante pour la probabilité que le vote d’un électeur brise une
égalité lorsque N est impair.
2e−2(N −1)( p−1/2)
2

POG = √ .
2π(N − 1)
Maintenant P1 est simplement la probabilité que N soit impair (0,5) fois POG , et il en est de même pour P2 .
Ainsi, P ≈ (1/2)POG + (1/4)POG , qui est la formule du texte. Voir aussi Beck (1975), Margolis (1977) et
Mayer et Good (1975).
Le paradoxe du vote 349

qu’un vote unique décide de l’élection est de 0,00006 s’il y a 100 000 000 d’électeurs 2. S’il
y avait un coût à voter (C), alors les bénéfices espérés de la victoire d’un candidat préféré
devraient être réellement importants pour que le calcul de l’électeur produise un gain d’uti-
lité à voter (P B − C > 0). L’approche ci-dessus peut être critiquée en ceci qu’elle
implique une infime probabilité que tous les électeurs choisissent le candidat 1 alors que le
candidat 2 n’obtient aucun vote. Les électeurs ne choisissent pas un candidat comme on
choisit une boule dans un sac. Le jour de l’élection, il est plus raisonnable de penser que
tous les électeurs sont déterminés à voter soit pour le candidat 1, soit pour le candidat 2.
Chaque électeur fait une prédiction (p) concernant la fraction de la population des votants
potentiels qui sont déterminés pour le candidat 1, fondée par exemple sur les sondages
préélectoraux. L’électeur rationnel sait, cependant, que la mesure de ce p est inexacte.
Ainsi, pour décider s’il votera ou non, un électeur rationnel doit calculer la probabilité que
son vote produise une égalité ou la brise, étant donné p, et l’imprécision avec laquelle elle

est estimée. Cette probabilité est inversement proportionnelle à N p(1 − p), l’écart-type
du nombre estimé de personnes votant pour un candidat, et qui donc devient infime quand
N devient important 3.
Quelques personnes ont remarqué que la probabilité de se faire renverser par une
voiture en allant au bureau de vote ou en en revenant est la même que la probabilité d’être
l’électeur décisif 4. Si être renversé est pire que voir son candidat préféré perdre, alors le
coût potentiel de voter excéderait le gain potentiel, et aucun individu égoïste ne voterait
jamais. Mais des millions le font, et c’est bien cela le paradoxe.
Il y a essentiellement trois perspectives autour de ce paradoxe : (1) redéfinir le
calcul rationnel de l’électeur de sorte que l’action rationnelle est maintenant de voter ; (2)
assouplir l’hypothèse de rationalité ; (3) assouplir l’hypothèse d’intérêt personnel. Ces trois
approches ont été suivies. Nous commençons avec trois essais qui supposent un comporte-
ment rationnel, intéressé, tel qu’il a été traditionnellement dépeint dans la théorie des choix
publics, puis, nous considérerons d’autres remises en cause radicales de cette hypothèse de
comportement.

14.1.2 Un goût pour le vote


Le moyen le plus simple pour réconcilier la rationalité de l’électeur avec l’action de voter
consiste à poser comme principe l’existence d’avantages liés à l’acte en lui-même, et non
pas dépendants des conséquences de cet acte, c’est-à-dire pas comme si le vote était décisif.
Les individus peuvent avoir une envie patriotique ou civique, et le vote peut aider à soula-

2 Peters (1998, p. 180) omet le 2 du dénominateur de (14.1) et calcule ainsi P comme 0,00012.
3 Avec p = 0,51 et N = 100 000 000, P = 6 × 10−6 (Fischer, 1999, p. 274). La formule (14.1) implique une
baisse très forte de P, de telle sorte que p s’éloigne de 0,5, tandis que la méthode d’échantillonnage que nous
venons de décrire suppose une relation beaucoup plus plate et plausible entre P et p. Voir Mayer et Good
(1975), Fischer (1999) et Shachar et Nalebuff (1999).
4 Skinner (1948, p. 265) apparaît comme étant le premier à avoir utilisé la probabilité d’un accident de voiture
pour mettre en avant la défaillance de l’hypothèse de l’électeur rationnel, probabilité décrite quelque neuf
années avant Downs, et citée dans Goodin et Roberts (1975). Meehl (1977) l’a également utilisée.
350 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

ger cette envie, en apportant des avantages (services) D 5. Ainsi, une personne vote si PB
+ D – C > 0. Avec un faible PB, l’acte du vote s’explique par les bénéfices personnels
(l’apport psychique) tirés de l’action de voter en elle-même, D, dépassant l’investissement
personnel pour aller au bureau de vote, C. Voter n’est pas considéré comme un acte méca-
nique pour choisir le candidat gagnant, mais comme un acte personnel, symbolique, dans
lequel la satisfaction est indépendante du résultat de l’élection.
Cette modification de la théorie de l’électeur rationnel réconcilie l’acte du vote
avec la rationalité personnelle, mais elle le fait en supprimant l’hypothèse raisonnable et
intéressée de son pouvoir prédictif. N’importe quelle hypothèse peut être rattachée à n’im-
porte quelle preuve contradictoire avec l’ajout d’hypothèse complémentaire adéquate. Si je
trouve que la quantité demandée de voitures Mercedes augmente suite à une augmentation
de leur prix, je n’ai pas besoin de rejeter la loi de la demande, j’ai seulement besoin de la
mettre de côté, et dans ce cas, on suppose un penchant pour le snobisme. Mais en le faisant,
je réduis la loi de la demande en une hypothèse plutôt qu’en une loi, à moins que je n’aie
un argument logique précis pour prévoir cet attrait pour le snobisme.
C’est le goût pour le devoir civique qui vient au secours de l’hypothèse de l’élec-
teur rationnel et intéressé. Si ce goût explique l’acte du vote, que peut-il expliquer d’autre ?
Si une électrice est poussée vers le bureau de vote par un sens du devoir civique, quelle
motivation détermine ses actes une fois là ? Vote-t-elle pour le candidat dont la politique
sert ses intérêts proches, ou est-ce que son sens civique la pousse à voter pour le candidat
dont la victoire serait la plus utile à l’intérêt public et général ? Si les électeurs peuvent être
motivés par le sens civique, alors pourquoi pas les bureaucrates et les politiciens ? Sans une
théorie expliquant l’origine, la force et l’étendue d’un sens personnel du devoir civique, le
simple postulat de sens du devoir civique « sauve » l’égoïsme rationnel en abolissant son
contenu prédictif.

14.1.3 Le vote comme un jeu du chat et de la souris


Si chaque électeur rationnel décidait de ne pas voter car son vote a trop peu de chances
d’influer sur le résultat, et si tous les électeurs étaient rationnels, alors personne ne vote-
rait. Mais alors, n’importe quel électeur pourrait déterminer le résultat de l’élection en
votant. S’il semble rationnel pour un individu de s’abstenir, cela dépend du fait que les
autres électeurs s’abstiennent. Plus le nombre d’abstentionnistes que j’espère est élevé,
plus il est rationnel pour moi de voter. Le résultat est un jeu non coopératif à n personnes,
dans lequel la stratégie de chaque personne de voter ou de s’abstenir dépend de leurs anti-
cipations sur les décisions des autres électeurs. Conformément à quelques suppositions, les
solutions de ce jeu indiquent un nombre positif de votes individuels (Ledyard, 1981, 1984 ;
Palfrey et Tosenthal, 1983). Mais quand les individus sont incertains sur l’investissement
que représente le vote pour les autres citoyens, et que la taille de l’électorat est importante,
un individu rationnel vote seulement si le bénéfice psychique du vote dépasse l’investisse-

5 Voir Riker et Ordeshook (1968). Tullock (1967a, p. 110) décrit ces gains psychiques personnels du vote
comme un coût négatif, C.
Le paradoxe du vote 351

ment personnel (Palfrey et Rosenthal, 1985). Cet effort pour soutenir l’hypothèse de l’élec-
teur rationnel en s’appuyant sur la théorie du jeu ne fonctionne pas. Examinons-en une
autre.

14.1.4 L’électeur rationnel en stratège du regret minimax


Dans un article très commenté, Ferejohn et Fiorina (1971, p. 525) ont l’intention de
« montrer un moyen pour sortir les théoriciens du choix rationnel de cette situation
fâcheuse » due au paradoxe du vote. Ils reconnaissent que le talon d’Achille de la rationa-
lité est la très faible (mais positive) probabilité qu’un vote puisse changer le résultat d’une
élection. Ils posent alors le principe que les électeurs peuvent prendre une décision pas
seulement en fonction de l’importance stratégique de chaque événement, mais en préférant
donner à chaque événement un poids égal, comme dans la stratégie du regret minimax (qui
consiste à minimiser le regret maximum). En vertu de cette règle de décision, on ne calcule
pas les retombées réelles de chaque combinaison de choix stratégiques et d’états du monde,
mais le regret, c’est-à-dire la différence entre le résultat obtenu par une stratégie donnée et
celui que l’on aurait obtenu si on avait choisi la meilleure stratégie alternative. On choisit
alors l’action qui minimise le regret. Voter pour son deuxième choix est, sans surprise, une
stratégie dominée. Ainsi, cette décision se réduit à l’opportunité de voter pour l’un des
premiers choix ou de s’abstenir. Il y a essentiellement deux états pertinents à considérer :
S I , où le résultat de l’élection est indépendant du choix de l’électeur de voter ou non et S D ,
où le vote d’un individu conduit à la victoire d’un candidat soit par égalité des voix, soit en
impliquant un nouveau tour de scrutin, grâce auquel le candidat gagne. Si un individu vote
et que le résultat des élections est indépendant de son vote, il regrette d’avoir voté parce
qu’il a engagé C en vain (voir Matrice 14.1, case (a) : chaque entrée correspond au regret
que l’on ressent). Si le résultat des élections est indépendant du vote d’un individu et si
celui-ci s’est abstenu, il n’aura aucun regret (b) ; il en est de même s’il vote et apporte ainsi
le vote décisif (c). Si les gains nets d’obtenir la victoire d’un candidat sont au moins équi-
valents au double des coûts du vote, C, alors le regret maximum est obtenu lorsqu’un indi-
vidu s’abstient alors que son vote aurait été décisif.
La stratégie du regret minimax est extrêmement conservatrice et conduit à un
comportement plutôt étrange lorsqu’elle est appliquée à d’autres décisions ou même lors-
qu’elle est étendue au contexte du vote, comme plusieurs critiques l’ont souligné 6. Suppo-
sons, par exemple, qu’un électeur soit indifférent aussi bien au candidat de droite qu’au
candidat de gauche. Alors, sa stratégie du regret minimax est de s’abstenir. Supposons
maintenant qu’un parti nazi présente un candidat. Le critère du regret minimax oblige ici
l’électeur à se rendre aux urnes afin d’éviter une éventuelle victoire de ce parti, bien que
hautement improbable, dans le cas où le candidat nazi gagnerait d’une seule voix. Cette
situation s’applique particulièrement bien au second tour de l’élection présidentielle fran-
çaise de 2002 qui a vu s’affronter un candidat de droite et un candidat d’extrême-droite. Du
fait des enjeux en cas de victoire du candidat d’extrême-droite, les électeurs de gauche ont

6 Beck (1975), Goodin et Roberts (1975), Mayer et Good (1975) et Meehl (1977).
352 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

largement soutenu le candidat de droite alors même que la victoire du candidat d’extrême-
droite paraissait peu probable.

Matrice 14.1
Options de regret minimax.

États de nature
SI SD
(a) (c)
Vote
C 0
Stratégies
(b) (d)
Abstention
0 B-C

Peu de situations dans la vie quotidienne où les individus peuvent faire appel à des
stratégies du regret minimax viennent à l’esprit. En effet, il est plus facile de penser à des
exemples où les gens présentent la tendance inverse. Perdre sa maison et ses biens doit être
un désastre au moins comparable à celui d’avoir un deuxième choix pour la victoire d’un
président, et n’a probablement pas moins de probabilité de se produire que le fait qu’un
vote décide d’une élection. Pourtant, beaucoup de gens ne se protègent pas eux-mêmes
contre les pertes dues aux inondations, même lorsque l’assurance est vendue à des prix
inférieurs à la valeur actuarielle (Kunreuther et al., 1978) 7. Est-il raisonnable de supposer
que la même personne peut prendre des risques à l’égard de sa maison ou de ses biens
personnels, mais devient un conservateur utilisant la stratégie du minimum du regret
maximum lorsqu’il s’agit de décider s’il va voter ou non ?
Ferejohn et Fiorina semblent le penser. Ils citent Levine et Plott (1977) en accord
avec « la possibilité que des individus agissent comme s’ils variaient leurs règles de déci-
sion en fonction du contexte de la décision » (1975, p. 921). Les gens votent aussi. La ques-
tion n’est pas de savoir si ces choses se produisent, mais si elles peuvent être expliquées et
prédites à l’aide du postulat de l’égoïsme rationnel. Si les individus passent souvent de stra-
tégies sans prise de risques à des stratégies avec prise de risques, comment pouvons-nous
prévoir leur comportement ? Quelle théorie nous dit quelle situation engendre quelle stra-
tégie ? Rationnaliser une action donnée a posteriori comme pouvant peut-être être compa-
tible avec l’utilisation d’une stratégie de décision particulière dans cette situation ne suffit
pas à justifier le postulat de l’égoïsme rationnel comme le fondement d’une théorie géné-
rale du comportement, à moins d’avoir une théorie pour prévoir quelles stratégies de déci-
sions sont choisies dans telles ou telles situations.

7 D’autre part, certaines personnes achètent une assurance contre les inondations même si la probabilité d’un tel
événement est très basse. Peters (1998) utilise ce genre de comportement et des hypothèses sur l’aversion du
risque, moins extrêmes que celles de Ferejohn et Fiorina, afin d’essayer de réhabiliter l’électeur rationnel
Downsian qui va voter.
Le paradoxe du vote 353

14.2 L’HYPOTHÈSE DE L’ÉLECTEUR RATIONNEL : LES PREUVES


EMPIRIQUES
La défense majeure de Ferejohn et Fiorina repose sur des preuves empiriques. Le facteur
déterminant de la participation électorale dans le cadre de l’hypothèse du minimax-regret
est B − C . Les coûts du vote sont difficiles à définir et à mesurer, mais les données sur
l’écart de perception entre les candidats sont rassemblées dans les enquêtes comme celles
menées par l’Université du Michigan (Survey Research Center). Celles-ci peuvent être
utilisées comme une mesure de B. B figure aussi dans le modèle d’utilité espérée de
Downs, tout comme P. Le test de l’hypothèse du regret minimax, par Ferejohn et Fiorina,
est de voir si les différences de B et P sont significativement liées à l’abstention des élec-
teurs. Selon le regret minimax, B seulement devrait être lié à la participation électorale ; la
probabilité d’être l’électeur décisif n’a pas d’importance. Selon l’hypothèse de Downs, la
maximisation de l’utilité attendue, elle devrait être liée à la fois à B et P. Le choix entre
ces hypothèses repose sur le fait de savoir si P, la probabilité que le vote d’un électeur soit
décisif, est systématiquement liée à l’abstention.
En examinant les résultats des sondages préélectoraux et postélectoraux de 1952,
1956, 1960 et 1964, ils trouvent que l’hypothèse du regret minimax est soutenue cinq fois
et celle de Downs seulement une fois (1975). Un coup d’œil à la figure 14.1 révèle pour-
quoi on ne pourrait pas être surpris par la faible performance de P que Ferejohn et Fiorina
ont observée. Sur cette figure, T retrace le pourcentage de la population en âge de voter qui
vote à chaque élection présidentielle américaine depuis 1932 jusqu’à 2000. W retrace les
votes pour le candidat gagnant à la présidentielle sous forme d’un pourcentage des votes
combinés pour les candidats républicains et démocrates. Le modèle de Downs prévoit que
les creux de W devraient coïncider avec des pics de T . L’élection Kennedy-Nixon de 1960
correspond au taux le plus élevé de participation durant cette période de 64 ans avec une
étroite marge de victoire, et ainsi se conforme bien à cette prévision. Mais la participation
en 1964, année de la victoire écrasante de Johnson, n’a baissé que légèrement par rapport
à son pic de 1960, et plusieurs autres années – comme 1948 et 1976 – semblent hors du
champ de prévision du modèle de Downs.
Environ 90 pourcent des sondés de l’échantillon de Ferejohn et Fiorina ont affirmé
avoir voté. Il s’agit d’un pourcentage beaucoup plus élevé que le pourcentage habituel aux
États-Unis et suggère un échantillon non aléatoire et non représentatif du comportement
des électeurs. Plus important encore, la variation des taux d’abstention est susceptible
d’être insuffisante pour nous permettre de procéder à des tests par rapport aux autres varia-
bles. Un aperçu de certains éléments de preuve supplémentaire semble légitime.
Kenny et Rice (1989) ont constaté que plus du tiers des répondants au sondage sont
parfois « inquiets » du fait que, s’ils ne votent pas, le candidat préféré perde à cause d’un
seul vote. Conformément à l’explication « minimax » du vote, le pourcentage de ces sondés
qui ont voté aux élections de 1985 est plus élevé que celui du reste des personnes interro-
gées.
Blais et al. (1995) ont observé une fraction encore plus élevée d’étudiants cana-
diens qui « se sentiraient terriblement mal s’ils ne votaient pas et que leur candidat perdait
354 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Pourcentage

Figure 14.1
Pourcentage de suffrages du candidat victorieux et de la participation aux élections présidentielles américaines 1932-
2000.

Note : Les carrrés représentent le taux de participation et les triangles les suffrages du candidat victorieux

à cause d’un vote », et ces étudiants ont également montré une propension plus élevée à
voter à l’élection nationale de 1993. Cependant, dans une régression expliquant la décision
de vote, la « variable minimax » s’est révélée être statistiquement insignifiante une fois que
sont incluses les autres variables mesurant le sens du devoir civique de l’individu. « Ceux
qui croient qu’il est du devoir de chaque citoyen de voter sont enclins à dire qu’ils se
sentent vraiment terriblement mal s’ils ne votaient pas et que leur candidat perde d’une
voix » (Blais, Young, Fleury et Lapp, 1995, p. 833). Par conséquent, l’explication du
« regret minimax » du vote ne peut être distinguée empiriquement de l’explication du goût
pour le vote.
L’un des premiers articles à présenter des preuves empiriques à l’appui de l’hypo-
thèse de l’électeur entièrement rationnel est de Riker et Ordeshook (1968), duquel nous
avons emprunté la formule de cette hypothèse R = P B + D − C . Riker et Ordeshook ont
examiné 4 294 réponses de questionnaires sur les présidentielles du SRC pour les années
1952, 1956 et 1960. Ils ont croisé les réponses afin de voir si P, B et D ont un impact signi-
ficatif sur la probabilité d’un vote individuel. Ils ont trouvé qu’une fois pris en compte
Le paradoxe du vote 355

l’effet des autres variables, P, B et D ont tendance à avoir un impact significatif sur la
probabilité du vote, comme le prévoit l’hypothèse de l’électeur rationnel. Ainsi, les résul-
tats de Riker et Ordeshook soutiennent à la fois le vote instrumental dans l’hypothèse de
l’électeur rationnel (poids de P et B) et l’influence du goût pour le vote (D).
Bien que P, B et D semblent tous liés au comportement de l’électeur, comme le
prévoit l’hypothèse de l’électeur rationnel, l’importance quantitative de D est beaucoup
plus grande que celle de P ou B. La différence dans la probabilité du vote, entre ceux dont
P est élevé (ceux qui pensaient que l’élection serait serrée) et ceux dont P est bas, en igno-
rant à la fois B et D, est de 78 % contre 72 %. Quatre-vingt-deux pour cent des répondants
connaissant des valeurs élevées de B ont voté, par opposition aux 66 % des répondants
avec des valeurs basses de B. Cependant, 87 % des personnes interrogées avec des valeurs
élevées de D ont voté contre seulement 51 % avec des valeurs faibles de D. D a été opéra-
tionnalisé par Riker et Ordeshook à travers des questions liées au devoir du citoyen. Ainsi,
la différence entre un sens civique élevé et un sens du devoir citoyen bas a un impact beau-
coup plus fort sur la participation électorale que les différences entre des valeurs élevées de
P ou de B et des valeurs basses de ces mêmes variables. Les deux composantes de l’hy-
pothèse de l’électeur rationnel sont donc soutenues dans l’étude de Riker-Ordeshook, mais
la composante du goût a le plus grand impact quantitatif.
Parmi les tests les plus ambitieux de l’hypothèse de l’électeur rationnel en termes
de taille d’échantillon et de nombre de variables prises en compte, on trouve celui d’As-
henfelter et Kelley (1975). Ils ont examiné les réponses de 1 893 personnes sondées par le
SRC dans le cadre des élections présidentielles américaines de 1960 et 1972. Ils ont mis en
relation les réponses individuelles à la question « Avez-vous voté ? » avec un grand ensem-
ble de variables regroupées de la manière suivante :
1. Les caractéristiques personnelles
2. Les variables du coût
3. La valeur stratégique du vote
4. L’intérêt pour la campagne électorale
5. L’obligation à l’égard du vote.
Ces variables peuvent être liées à l’hypothèse de l’électeur rationnel.

R = P B + D − C, (14.2)

avec C évidemment aux variables du regroupement 2, P et B liés à la rubrique 3 ; B et éven-


tuellement D liés à la rubrique 4 ; et D à la 5. Les caractéristiques personnelles de chaque
individu (éducation, revenu, âge, etc.) pourraient être liées à un quelconque élément de R
et les auteurs ne précisent pas clairement la distinction entre les hypothèses.
Les résultats d’Ashenfelter et Kelley ont donné une soutien mitigé à l’hypothèse
de l’électeur rationnel. Plusieurs mesures du coût du vote sont statistiquement significati-
ves et ont le bon signe. Les plus importantes parmi celles-ci ont été l’existence d’une taxe
forfaitaire sur le vote (poll tax) et de tests mesurant le niveau d’alphabétisation, qui étaient
légaux en 1960 mais abolis en 1972. Une taxe sur le vote de six dollars réduit la probabi-
lité d’un vote individuel de 42 pourcent (Ashenfelter et Kelley, 1975, p. 708). Ce résultat
356 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

donne une idée approximative de ce qu’est la distribution de P B + D pour une large frac-
tion des électeurs. Plusieurs des autres variables introduites comme variables proxy pour les
coûts du vote n’ont pas eu de bons résultats bien que la multicolinéarité entre les variables
du coût soit un problème.
Passant aux variables proxy pour P et B, Ashenfelter et Kelley (1975, p. 717)
n’ont pas constaté que la perception d’un électeur concernant le caractère serré du scrutin
a une influence statistiquement significative sur la probabilité du vote. D’autre part, la
variable pour P a le signe exact, et la différence entre le pourcentage des électeurs qui
pensaient que la victoire de Nixon en 1972 serait serrée et le pourcentage de ceux qui
pensaient que l’élection Nixon-Kennedy de 1960 serait serrée, était aussi grande (10 %
contre 60 %) que la différence entre les niveaux de cette variable entre 1960 et 1972
(pp. 720-1). Ces deux résultats sont d’une importance considérable dans l’explication
d’une autre incohérence déconcertante de la littérature sur la participation des électeurs, et
nous allons y revenir.
Parmi les variables qui peuvent mesurer la perception, par un individu, des diffé-
rences entre les candidats, B, la réponse à la question « Comment pensez-vous que vous
allez voter ? » s’est avérée avoir le pouvoir le plus explicatif. Si, au moment du sondage,
un individu était indécis quant à la façon dont il va voter, il y a 40 % de probabilité en moins
que cet individu vote. Si l’indécision d’un individu se présente en raison d’une petite diffé-
rence perçue entre les deux candidats, un petit B, alors ce résultat offre un appui considé-
rable à l’hypothèse de l’électeur rationnel. Mais si l’indécision concernant la façon dont il
va se prononcer, découle de l’indécision quant à savoir s’il va voter – ce qui veut dire qu’il
n’est pas intéressé par l’élection – alors l’impact de la conclusion est moins clair. Certaines
personnes peuvent tout simplement préférer se tenir à l’écart du processus politique.
Les individus qui se sentaient une « forte obligation » de voter, l’ont fait avec une
probabilité supérieure de 30 % ; et ceux se sentant « une très forte obligation » ont voté
38 % de fois plus souvent (pp. 719-20). Ces variables, mesurant un sens de l’obligation du
vote, ont un pouvoir explicatif substantiel. Leur importance impressionnante souligne l’im-
portance du terme D dans le calcul de l’électeur rationnel.
Ashenfelter et Kelley (1975, p. 724) concluent ainsi : « La théorie de la participa-
tion qui est le mieux validée par nos résultats est celle qui postule le sens du devoir ou
l’obligation morale de vote comme étant la motivation première pour le scrutin. Les varia-
bles ayant le plus d’impact quantitatif sur le vote sont l’éducation, l’indécision, les varia-
bles binaires représentant le sens d’une obligation de vote, et certaines variables du coût ».
Cette étude offre un soutien assez fort à l’interprétation du vote rationnel par Tullock-
Riker-Ordeshook, laquelle considère D et C dans les termes de l’équation B P + D − C ,
comme dominant la décision de vote. Comme indiqué précédemment, l’indécision pourrait
provenir d’un petit B, mais elle pourrait également peser sur D, si l’obligation morale de
vote est affaiblie par le fait de ne pas savoir pour qui voter. L’éducation devrait réduire
ceteris paribus l’importance des termes BP, car des niveaux d’éducation plus élevés
devraient rendre moins sensible à la fausse idée qu’un vote fait la différence (que P est
grand). L’impact positif de l’éducation sur le vote doit ensuite passer par les termes D et C.
Nous examinerons par la suite le rôle de l’éducation dans l’explication du vote.
Le paradoxe du vote 357

Une tendance très similaire est apparue dans les résultats de l’analyse, faite par
Silver (1973), de 959 questionnaires du SRC issus de l’enquête électorale de 1960.
Plusieurs variables du coût (du vote) étaient significatives, comme l’étaient l’intérêt pour
la campagne, le sens du devoir citoyen et l’éducation. Le fait que la personne pense que
l’élection va être plus ou moins serrée, n’a pas d’impact significatif sur la probabilité du
vote. Ainsi dans les résultats de Silver, le seul soutien à la partie BP de l’hypothèse de
l’électeur rationnel vient des réponses autour de l’intérêt pour la campagne électorale, si
l’on suppose que ces variables mesurent B, bien que Silver les considère comme une
mesure de D.
Cette même vision générale de la décision de l’électeur réapparaît dans l’analyse
de Brody et Page (1973) à partir des résultats de l’enquête menée sur plus de 2500 élec-
teurs lors de l’élection présidentielle américaine de 1968. Pour expliquer l’abstention, ils se
concentrent sur l’importance de l’indifférence (la différence perçue entre les candidats) et
du détachement (la différence entre la position d’un électeur et la position de son candidat
préféré, on parle également d’aliénation de l’électeur). L’abstention augmente autant avec
l’indifférence qu’avec le détachement, mais pas assez pour confirmer une interprétation
purement mécanique de l’action de voter. Quarante-trois pourcent des 201 personnes qui
ne font aucune différence entre les candidats (B = 0) votent toutefois. Quarante-quatre
pourcent des 174, qui étaient aussi détachés qu’indifférents, choisissent de voter (Brody et
Page, 1973, p. 6). Pour ces électeurs et sans doute pour beaucoup d’autres, les éléments D
et C de R peuvent expliquer la décision du vote.
Le cinquième test de l’hypothèse de l’électeur rationnel utilisant les données du
SRC, bien qu’explicitement construite sur la formulation de Downs, est plus difficile à
interpréter. Frohlich et al. (1978) reconstituent des données pour B, P et D d’après les ques-
tions du SRC en combinant diverses questions d’importances différentes. Ils font alors
diverses hypothèses sur la distribution de la variable inconnue C, et utilisent des combi-
naisons de B, P, D et C 8 pour prévoir à la fois le taux de participation et le choix du candi-
dat à l’élection présidentielle de 1964. L’hypothèse où C suit une distribution log-normale
a le mieux fonctionné, et avec cette hypothèse, ils peuvent prévoir la participation avec un
R 2 de 0,847 9. Mais Frohlich et al. n’ont pas présenté leurs résultats de manière à mesurer
l’importance relative de B P, D et C dans l’explication du taux de participation, bien que
l’hypothèse en ce qui concerne la distribution de C soit importante. Cependant, l’avis de
l’individu sur l’importance de son vote (la variable proxy pour P) apparaît vraiment impor-
tant, suggérant que P joue un rôle plus important dans l’explication du taux de participa-
tion dans l’étude de Frohlich et al., que dans celles de Ferejohn et Fiorina d’une part, et
d’Ashenfelter et Kelley d’autre part.
Matsusaka et Palda (1993) ont présenté les données des enquêtes sur le vote aux
élections générales de mai 1979 et de février 1980 au Canada. Ils ont découvert que la
prévision d’une élection plus ou moins serrée n’avait statistiquement pas d’impact signifi-

8 Ils ont formulé l’équation R = B P + D − C légèrement différemment, mais leur formulation et celle utilisée
ici sont équivalentes.
9 Comme avec l’échantillon SRC de Ferejohn et Fiorina, un pourcentage gigantesque de 90,9 pourcent des
sujets a déclaré avoir voté, ce qui soulève des problèmes de représentativité ou de mauvaise représentativité.
358 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

catif sur la probabilité du vote d’une personne. Aucune mesure directe de B, C ou D n’a été
incluse dans l’estimation.
Les résultats tirés de ces six études ainsi que de quatre autres sont résumés dans le
tableau 14.1. Aux quatre variables clés du modèle de Downs – P, B, D et C – ont été ajou-
tées deux des variables sociologiques qui reviennent le plus régulièrement avec les mêmes
signes : l’éducation (E) et le revenu (Y). Même si, cependant, il existe certaines exceptions.
Comme indiqué ci-dessus, les personnes interrogées pour les sondages électoraux
surestiment systématiquement la fréquence avec laquelle ils votent. Par exemple, 91 pour-
cent des personnes interrogées au cours d’un sondage au Canada ont déclaré avoir voté à
l’élection générale de 1979 pour laquelle le taux de participation n’était que de 76 pour-
cent. Ce degré de surestimation introduit une erreur dans la mesure de la variable dépen-

Tableau 14.1
Résumé des études testant le modèle de Downs (avec extensions) sur des données d’enquêtes.

Études Échantillon et période P B D C E Y


Riker et Ordeshook, 1968 4294 questionnaires, présidentielles USA + + +
1952, 1956, 1960
Brody et Page, 1971 2500 questionnaires, présidentielles USA 1968 0 +
Ashenfelter et Kelley, 1975 1893 questionnaires, présidentielles USA 0 + + – + +
1960, 1972
Silver, 1971 959 questionnaires, présidentielles USA 1960 0 +? +? – +
Frohlich,Oppenheimer, Smith 1067 questionnaires, présidentielles USA 1960 + +? +? –?
et Young, 1978
Parry, Moyser et Day, 1992 Environ 1600 questionnaires, élections locales +? +? – 0
et nationales, Gde-Bretagne 1984, 1985
Matsusaka et Palda, 1992 2744 questionnaires, élections nationales, 0 + 0
Canada, 1979, 1980
Knack, 1994 4651 questionnaires, élections nationales, + + +
USA, 1984, 1986, 1988
Green et Nikolaev, 1999 Envrion 21000 questionnaires, élections USA, – – –
1972 à 1993
Thurner et Eymann, 2000 1400 questionnaires, élections nationales, +
Allemagne, 1990 (faible)a

Notes : P, B, D et C sont des variables pour les principaux composants du modèle de Downs, R = PB + D – C.
E et Y correspondent au niveau d’instruction et de revenu de l’électeur.
« + » indique un effet positif important sur la probabilité qu’un sondé ait répondu qu’il a voté
« – » indique un effet négatif, et « 0 » un effet non-significatif. Les cases vides indiquent que la variable n’est pas prise en compte. Un point
d’interrogation indique une incertitude sur le fait que les données correspondent à la variable.
a Le test de Thurner et Eymann met en avant des différences dans les positions des partis sur les questions clés qui ont fait augmenter le vote

du sondé. Un effet significatif a été observé pour une seule question : l’immigration. Nous le considérons comme une faible preuve de l’im-
portance de B.
Le paradoxe du vote 359

dante qui réduit le pouvoir explicatif du modèle et explique pourquoi le modèle type, utili-
sant les données de sondage, explique uniquement un petit pourcentage de la variation de
la variable dépendante. En effet, Matsusaka et Palda (1999) trouvent que les estimations
d’un modèle avec 36 variables explicatives ne leur permettent pas de classer correctement
plus de participation (classement entre les comportements prédits et observés en matière
d’abstention) qu’une prédiction moyenne.
Cette difficulté avec les données de sondage est évitée lorsque l’on utilise les
données de taux de participation effectif. Dans ces études, l’hypothèse de l’électeur ration-
nel est testée en rapportant les chiffres globaux de la participation électorale, par exemple,
au niveau de l’État, aux caractéristiques de la population des électeurs de cet État. Ces
études ont essentiellement testé si P, la probabilité qu’un vote change le résultat, a un
impact significatif sur les taux de participation. Ils l’ont ainsi fait en régressant les taux de
participation au niveau de p, le pourcentage des voix allant au candidat de premier plan, et
de N, la taille de la circonscription. La référence aux formules utilisées pour calculer P, qui
ont été discutées dans la section 14.1.1, indique que P varie inversement à la fois avec N et
l’écart de P par rapport à un demi. Le tableau 14.2 résume les résultats de 26 études,
abstraction faite de la forme fonctionnelle utilisée pour introduire N et ( p − 0, 5). Certains
utilisent le pourcentage attendu (réel) de votes allant au candidat gagnant comme donnée
pour ( p − 0, 5) ; d’autres utilisent la marge de victoire du gagnant. Chacun diffère de
l’autre en ce qui concerne le choix de la forme fonctionnelle et le choix des autres varia-
bles incluses. Nous nous concentrons ici sur ( p − 0, 5) et N, mais nous rendrons compte à
nouveau des résultats de l’éducation et du revenu lorsque ceux-ci sont inclus. Un coeffi-
cient négatif pour ( p − 0, 5) où N est considéré comme étant conforme à ce que l’hypo-
thèse de l’électeur rationnel prévoit. Seuls les signes et les niveaux de significativité sont
indiqués dans le tableau. Cebula et Murphy (1980) essayent une mesure ex ante de
( p − 0, 5) en limitant leur exemple aux États ayant une majorité démocrate à la chambre
basse et considérant ( p − 0, 5) comme la fraction démocrate de la chambre. Le dernier
ensemble de résultats de Foster (1984) utilise une mesure ex ante similaire de ( p − 0, 5),
mais à la fois pour les majorités républicaine et démocrate. Shachar et Nalebuff (1999)
calculent une équation pour déterminer le vote attendu. La plupart des autres études présu-
ment les attentes rationnelles des électeurs et mesurent ( p − 0, 5) par la répartition réelle
dans le vote entre les candidats le jour de l’élection.
La plus ambitieuse de ces études – séparée des autres par des lignes horizontales –
est celle de Foster (1984) qui réévalue les modèles de quatre études, et élabore son propre
modèle en utilisant les données des élections présidentielles de 1968, 1972, 1976 et 1980.
L’instabilité dans les estimations des coefficients en coupe instantanée empêchait l’analyse
en données de panel pour réestimer les modèles de Barzel-Silberberg et de Kau-Rubin,
alors les résultats en coupe sont présentés. En général, la participation électorale n’est pas
liée à ( p − 0, 5) ou à N dans l’analyse par Foster de l’hypothèse de l’électeur rationnel. En
dehors de la victoire de Nixon en 1972, ( p − 0, 5) fonctionne assez mal. N ne fonctionne
que modérément mais de façon plus cohérente.
Foster (1984, p. 688) conclut « que la probabilité perçue d’une élection serrée au
niveau agrégé n’est pas un facteur puissant sur lequel on peut compter pour expliquer une
variation inter-circonscription dans les taux de participation des électeurs aux élections
Tableau 14.2
360

Résumé des études testant le modèle de Downs (avec extensions) sur des données agrégées.

Études Échantillon et période p — 0,5 N E Y


Barzel et Silberberg, 1973 122 élections de gouverneurs, 1962, 1964, 1966, 1968 – (0,01) – INS
Silberman et Durden, 1975 400 circonscriptions pour le Congrès US, 1962 – (0,01) – (0,01) +(0,01)
Tollison, Crain et Paulter, 1975 29 élections de gouverneurs, 1979 – (0,01) – INS
Kau et Rubin, 1976 50 États — présidentielle US 1972 +INS –(0,01)
Settle et Abrams, 1976 26 élections présidentielles, de 1868 à 1972 (sauf 1944) – (0,01)
Crain et Deaton, 1977 50 États, présidentielle US de 1971 –(0,01) –INS +(0,01)
Cebula et Murphy, 1980 35 États, présidentielle US de 1976 –(0,10)a
Chapman et Palda, 1983 Circonscriptions électorales dans 5 provinces canadiennes de 1972 à 1978 –(0,05)b +(0,01)c –(0,01)d
Patterson et Caldeira, 1983 46 États, 1978, 1989, élections de gouverneurs (0,05) – +(0,05) INS
LES

Foster, 1984 50 États


Barzel-Silberger présidentielles 1968 +(0,05) +INS
présidentielles 1972 –(0,01) –INS
présidentielles 1976 –INS –INS
présidentielles 1980 +INS –INS
Foster, 1984 50 États
Kau-Rubin présidentielles 1968 +(0,05) –INS
présidentielles 1972 –(0,01) –INS
présidentielles 1976 –INS +INS
présidentielles 1980 –INS –INS
Foster, 1984 200 États, présidentielles de 1968, 1972, 1976, 1980 –INS –(0,10) +(0,01)
Silberman-Durden
Foster, 1984 200 États, présidentielles de 1969, 1972, 1976, 1980 –INS –(0,01) +(0,01)
Crain-Deaton
Foster, 1984 200 États, présidentielles de 1969, 1972, 1976, 1980 –(0,10)a –INS
Wolfgram-Foster
CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES
Études Échantillon et période p — 0,5 N E Y
Tucker, 1986 362 élections pour l’état de Washignton, 1976-82 –(0,01)
Hansen, Palfrey et Rosenthal, 1987 1806 élections scolaires dans l’Oregon, 1970-3 (0,01) –
Durden et Gaynor, 1987 847 observations. Élections au Congrès, 1970 et 1982 –(0,01) –(0,01) +(0,01)
Capron et Kruseman, 1988 26 pays démocratiques, 1959-66 –(0,01)
Le paradoxe du vote

Darvish et Rosenberg, 1988 108 municipalité en Israël, 1978, 1983 –(0,01) –(0,01)
Knesset, parlement israélien, 1977, 1981 –INS
Cox et Munger, 1989 270 élections pour la chambre des représentants, 1982 –(0,01) +(0,01) +(0,01)
Filer, Kenny et Morton, 1991, 1993 Données du comté, présidentielles américaines, 1948, 1960, 1980 +(0,01) +(0,01)e
Kirchgässner et Schimmelpfennig, 1992 248 circonscriptions, élections nationales allemandes de 1987 –(0,01) INS
Élections nationales Grande-Bretagne de 1987
Matsusaka, 1993 885 scrutins en Californie, 1912-90 INS
Fort, 1995 Référendum sur une centrale nucléaire aux USA –(0,01) +(0,01)
562 pays, 1976, 1980
Grofman, Collet et Griffin, 1998 Élections partielles au sénat et à la chambre US, 1952-92 –(0,01)
Shachar et Nalebuff, 1999 50 États, présidentielles US 1948-88 –(0,01)f –(0,01) +(0,01) +(0,01)

Notes : (p – 0,5) = pourcentage réel de vote pour le candidat principal ou marge de victoire du gagnant.
N : taille de la circonscription.
a donnée pour la variable proxy utilisée, proportion de démocrates à la chambre basse pour l’ensemble des états avec plus de 50 pour cent de représentation démocrate.
b significatif dans 6 des 10 élections provinciales, et mauvais signe ou non significatif dans 3 sur 10
c coefficient d’éducation généralement positif, souvent significatif
d coefficient de revenus toujours négatif, parfois significatif
e spécification non linéaire
f caractère semé prédit à partir d’une équation de régression
361
362 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

présidentielles américaines ». Cette conclusion semble justifiée en ce qui concerne ses


propres estimations et son nouveau travail sur les quatre autres études. Mais un examen des
autres études du tableau 14.2 révèle que ( p − 0, 5) et N ont le plus souvent le signe prévu,
et quand leurs coefficients sont significatifs, ils sont, à une exception près, le signe correct.
Bien que l’aspect serré des élections ne pèse pas toujours dans les élections elles-mêmes,
il l’est tout de même plus souvent que pas du tout.
Par ailleurs, le scepticisme quant à l’importance du caractère serré des élections est
renforcé si l’on considère certaines tendances qui apparaissent lorsque l’ensemble des
données du scrutin est utilisé pour tester le modèle de Downs de l’électeur rationnel. Par
exemple, les candidats et les groupes d’intérêt ont une plus grande propension à mobiliser
leurs partisans si les élections sont anticipées comme serrées. Ainsi, la participation élec-
torale peut augmenter au cours d’élections serrées, non pas parce que les électeurs ont une
opinion accrue sur l’efficacité de leurs votes, mais parce qu’ils subissent plus de pression
(Cox et Munger, 1989 ; Aldrich, 1993, 1995, 1997, pp. 387-9 ; Matsusaka et Palda, 1993 ;
Shachar et Nalebuff, 1999).
Matsusaka et Palda (1993) testent le biais d’erreur écologique introduite par la
substitution des prévisions des électeurs quant au caractère serré de l’élection par les résul-
tats réels de l’élection. Comme indiqué précédemment, ils ne trouvent pas que l’anticipa-
tion des électeurs directement mesurée affecte la probabilité de participation des sondés.
D’autre part, la mesure agrégée ex post pour la même élection à partir de la marge de
victoire a un coefficient négatif et significatif sur la participation, comme le prévoit le
modèle de Downs. Matsusaka et Palda interprètent cette disparité dans les résultats comme
une confirmation de l’illusion écologique. Dans une autre étude s’appuyant sur les propo-
sitions de vote en Californie, Matsusaka (1993) trouve à nouveau que dans ce contexte
l’aspect serré de l’élection est sans importance pour expliquer le nombre des suffrages
exprimés.
De plus, Grofman, Collet et Griffin (1998) prétendent avoir découvert une illusion
écologique qui va à l’encontre du modèle de Downs. « Puisqu’en moyenne une plus grande
proportion d’électeurs se déclare de la tendance républicaine, une plus grande proportion
de ces républicains déclare se rendre aux urnes, une plus grande proportion des électeurs
pro-républicain participent, et une plus grande proportion des électeurs pro-républicains
déposent des bulletins valides… il est possible de faire une erreur d’interprétation en analy-
sant le lien entre la participation et la compétition en termes transversaux. L’effet écolo-
gique fonctionne de telle sorte que le taux de participation maximum ne sera pas atteint
quand les parts de vote républicain contre démocrates sont presque de 50-50, mais le serait
plutôt lors d’élections plus déséquilibrées dans lesquelles la part du vote républicain est
sensiblement supérieur à 50 pourcent » (p. 235, notes omises). Bien qu’ils ne vérifient pas
cette illusion écologique dans l’ensemble de leurs estimations, ils trouvent que la marge de
victoire est un déterminant de participation significatif aux élections du Sénat et de la
Chambre des Représentants (voir tableau 14.2) 10. Comme c’est malheureusement souvent
le cas dans les tests empiriques d’une hypothèse controversée, différents chercheurs abou-
tissent à des conclusions opposées concernant la significativité quantitative et statistique

10 Voir aussi la discussion de Grofman (1993b) sur les biais existant dans les tests empiriques du modèle Down-
sien de l’électeur, et Shachar et Nalebuff (1999).
Le paradoxe du vote 363

des valeurs clés : dans ce cas celles de ( p − 0, 5) et N du modèle downsien de l’électeur.


Une étude sur données françaises (Fauvelle-Aimar et François, 2006) a permis de trancher
la question du choix de la mesure de l’anticipation du caractère serré de l’élection. En
travaillant sur les élections législatives françaises qui comportent deux tours de scrutin, il
est possible d’utiliser le premier tour comme un bon indicateur pour les électeurs du carac-
tère serré au second tour. Les auteurs ont alors montré qu’une fois contrôlé l’effet de la
mobilisation, les circonscriptions qui avaient connu un premier tour serré, quelle que soit
la mesure, avaient un niveau de participation plus élevé au second.
Les résultats de Ashenfelter-Keller en ce qui concerne l’aspect serré d’une élection
doivent être rappelés ici. Ils ont trouvé qu’il y avait une différence statistiquement faible et
un effet quantitativement très faible sur la probabilité individuelle de participation si l’in-
dividu pensait que l’élection était serrée. Les changements dans les perceptions des élec-
teurs de l’aspect plus ou moins serré d’un scrutin devraient varier considérablement d’une
élection à l’autre. Un sondage préélectoral Gallup prévoyant qu’un candidat obtiendrait 60
pourcent des votes rend la victoire de celui-ci quasi certaine. Rares sont ceux qui parient
contre un candidat lorsque les sondages de la période préélectorale le créditent de 54 à 56 %
des suffrages. La différence entre les probabilités préalables d’une élection qui est « trop
serrée pour appeler au vote », comme les compétitions Kennedy-Nixon en 1960 et Bush-
Gore en 2000, et celles de la victoire écrasante de Nixon sur McGovern en 1972, est, en
quelque sorte, la différence qu’on pourrait faire entre tirer à pile ou face et faire un pari sûr.
Avec ces changements de probabilités, même si seulement quelques électeurs sont faible-
ment influencés par des changements dans leur anticipation du caractère serré de la compé-
tition, de grands changements dans les taux de participation peuvent s’ensuivre. Cette
considération peut expliquer pourquoi l’aspect serré de la course dans chaque État semble
avoir eu un impact significatif sur les taux de participation électorale pour la victoire écra-
sante de Nixon en 1972 (Crain et Deaton, 1977 ; Foster-Barzel-Silberberg et Foster-Kau-
Rubin, 1984), et pourquoi cela a affecté les taux de participation dans la victoire de Johnson
en 1964 (Frohlich et al., 1978).
D’une certaine manière une faible performance de P dans l’explication des taux de
participation des électeurs soutient la perspective générale de l’électeur comme un égoïste
rationnel plus qu’elle ne la contredit. Même lorsque la probabilité du vote de chaque élec-
teur pour l’un des candidats est de 0,5, la probabilité qu’un seul vote soit décisif dans un
État de 100 000 000 électeurs est seulement de 0,00006. Comme Riker et Ordeshook
(1968) le notent au sujet de leur constat selon lequel la participation électorale est sensible
à l’évolution de P, cette constatation implique une réaction exceptionnellement flexible des
électeurs à l’évolution des probabilités. Si les conducteurs réagissent, au même niveau, à
l’évolution de la probabilité d’accident, de fortes pluies provoqueraient des routes aban-
données ! Riker et Ordeshook (1968, pp. 38-9) suggèrent que la réaction très flexible des
électeurs à l’évolution de P, peut être due au pouvoir de persuasion de la télévision et des
annonces radio diffusant des « votre vote compte » 11. Les résultats de Tollison, Crain et

11 Comme indiqué précédemment, l’intensité avec laquelle les citoyens sont informés que leur vote compte ou
la fréquence avec laquelle ils reçoivent d’autres messages et pressions les incitant à voter, peuvent augmenter
dans les districts où le scrutin s’annonce serré, donnant lieu à une fausse corrélation entre la participation et le
caractère serré de l’élection.
364 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Paulter (1975) sont conformes à l’explication, donnée par Riker et Ordeshook, de l’impor-
tance de la perception de l’aspect serré de l’élection. Ils ont remarqué une incidence accrue
de cette variable dans les États ayant une distribution relativement importante de journaux.
« Dans des élections serrées, l’information concernant les résultats attendus tend à encou-
rager les gens à voter. » Mais si les électeurs sont si facilement induits en erreur quant à
l’importance de leur vote, la confiance dans l’intelligence de l’électeur rationnel se trouve
affaiblie. Bien que la naïveté et la rationalité ne soient pas strictement opposées, l’existence
de cette première sape quelque peu l’importance de l’hypothèse de rationalité.
Les résultats examinés ici suggèrent que la relation entre les changements de P et
l’abstention des électeurs est plus fragile que ne le concluent Riker et Ordeshook. Si c’est
le cas, alors les électeurs sont moins naïfs quant à leur capacité à changer les résultats de
l’élection, et se comportent ainsi dans ce qui semble être une voie rationnelle plus sophis-
tiquée. Mais, se faisant, ils confirment l’interprétation la plus cynique de la rationalité des
électeurs, c’est-à-dire le point de vue non instrumental selon lequel le vote est uniquement
déterminé par la valeur du bénéfice psychologique (D) et par les coûts privés (C) associés
au vote. Cette interprétation, en dérivant d’une théorie du vote, soulève la question des
déterminants de D et C.
Certains composants de C sont faciles à identifier. Les impôts de capitation, les
tests d’alphabétisation, et d’autres obstacles érigés dans les États américains du Sud pour
empêcher les Noirs de s’inscrire ou de voter, ont été jugés comme ayant des effets signifi-
catifs et négatifs (Ashenfelter et Kelley, 1975 ; Filer, Kenny et Morton, 1991 ; et les études
de cas dans Davidson et Groman 1994). De même, Jackman (1987) a constaté que les taux
de participation des électeurs ont tendance à être plus élevés dans les pays, comme la
Belgique, où de petites amendes sont appliquées si l’on ne vote pas.
Plusieurs États aux États-Unis établissent des listes de jurés à partir des listes élec-
torales. Cette pratique élève le coût de l’inscription électorale en augmentant le risque
d’être appelé à la fonction de juré, si l’on s’inscrit. Knack (1993, 2000) a constaté que la
sélection des jurés à partir des listes électorales abaisse sensiblement la probabilité que les
gens s’inscrivent pour voter, ainsi que les taux de participation des électeurs.
Heckelman (1995) a constaté une baisse de sept points aux élections aux postes de
gouverneur après l’introduction du vote à bulletin secret au début des années 1890. La
récompense servant à inciter les gens à voter pour un candidat en particulier baissa de façon
spectaculaire quand le corrupteur ne pouvait plus vérifier que le bénéficiaire du pot de vin
avait en effet voté pour le « bon candidat ». Lorsque les pots de vins diminuèrent, la parti-
cipation diminua également 12.
Une croyance communément admise établit que le mauvais temps décourage les
citoyens d’aller voter. Shachar et Nalebuff (1999) ont observé la baisse des taux de parti-
cipation aux élections présidentielles américaines lorsqu’il pleuvait, mais aussi bien Knack
(1994) que Masusaka et Palda (1999) ont constaté que le temps n’avait pas d’impact signi-
ficatif sur la participation électorale aux États Unis et au Canada. Cependant, Knack
(1994) a bien observé que le mauvais temps entraînait une baisse significative de la proba-
bilité que les personnes, ayant un faible sentiment du devoir civique, aient l’intention de

12 Voir aussi Heckelman (2000).


Le paradoxe du vote 365

voter, alors qu’il n’avait aucun effet sur le vote de ceux ayant un sentiment élevé. Les
conclusions de Knack soulignent bien l’importance conjointe des termes D et C dans le
modèle de Downs 13. À un niveau agrégé, le même constat a été effectué pour les départe-
ments français. À savoir que la participation électorale diminue avec une météo peu favo-
rable ainsi qu’avec un scrutin se déroulant durant des congés scolaires (Ben Lakdhar et
Dubois, 2006 et 2007). Ce dernier élément met en lumière le coût important en France des
contraintes administratives pesant sur le vote par procuration et l’interdiction du vote à
distance.
D’où provient le sens du devoir civique, le goût de vote, et comment peut-on
prédire sa variabilité entre les individus et dans le temps ? Nous allons maintenant exami-
ner deux réponses à cette question.

14.3 L’HYPOTHÈSE DE L’ÉLECTEUR EXPRESSIF


En tentant de réconcilier l’acte de vote avec un comportement rationnel, Fiorina (1976)
propose l’hypothèse qu’un individu ne vote pas pour influencer le résultat du vote en parti-
culier, mais pour exprimer un avis sur ce que le résultat de l’élection devrait être. L’avan-
tage du vote vient de l’acte de vote en lui-même et de la possibilité d’expression que cet
acte permet, et non de la récompense espérée du résultat de l’élection. Cet avantage tiré de
la possibilité d’expression devient un autre facteur à inclure dans D pour expliquer l’acte
de vote.
Bien sûr, l’hypothèse de l’électeur expressif est aussi tautologique que l’hypothèse
du goût du vote, à moins que nous puissions définir ce que certaines personnes veulent
exprimer et d’autres non, et ainsi proposer une hypothèse réfutable. Une possibilité est que
l’électeur veut exprimer une préférence pour le candidat qui lui promet la plus grande
récompense après l’élection. Nous aimons tous les gens « qui sont de notre côté » plutôt
que ceux qui cherchent à nous nuire ; les gens qui nous ressemblent plutôt que ceux qui
sont radicalement différents ; etc. Si par rapport au candidat Y, le candidat X promet de faire
plus pour nous, ou de faire moins contre nous, alors nous devrons choisir de voter pour X,
non parce que nous pensons qu’en le faisant nous aiderons à sa victoire, mais comme
moyen d’exprimer notre soutien à sa position, pour le remercier de soutenir nos intérêts,
pour l’encourager. Cette interprétation de l’hypothèse de l’électeur expressif fait de D une
fonction de B, comme par exemple :

D = D  + B, (14.3)

où D’ prend d’autres éléments de D, comme le sens du devoir civique. Cette interprétation


implique que B seul, et non P ou PB, devrait avoir la capacité explicative la plus impor-
tante dans le modèle de Downs. Cette prédiction est similaire à celle de l’hypothèse du
regret minimax. Ainsi, la preuve de Ferejohn et Fiorina (1975) en faveur du regret minimax
peut aussi être considérée comme un soutien à l’hypothèse de l’électeur expressif. D’un

13 Voir aussi Knack (1992).


366 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

autre côté, les études démontrant que P est un facteur significatif, et que B est de signifi-
cativité modeste, doivent être considérées contre elle. La première interprétation de l’hy-
pothèse de l’électeur expressif mène à la même prévision que le modèle downsien, sur
comment un individu vote, s’il vote. Sa nouveauté provient entièrement de la façon dont
elle explique pourquoi un individu vote.
Plusieurs auteurs ont proposé une interprétation quelque peu différente du vote
expressif. Ils prétendent qu’en séparant l’acte de vote du résultat de l’élection, l’existence
d’un faible P du fait d’un vaste électorat, libère l’électeur pour exprimer des préférences.
Du coup ces dernières s’éloignent radicalement de celles qu’il exprimerait s’il pensait que
son vote était décisif. Brennan et Buchanan (1984) suggèrent, par exemple, que la nature
non instrumentale du vote peut conduire à un vote plus irresponsable. Un exemple lié aux
élections présidentielles françaises de 2002 peut être donné. L’électeur croit que la victoire
de X serait un désastre pour le pays. Mais X est le seul candidat qui condamne l’afflux d’im-
migrants et promet de « faire quelque chose à leur sujet ». L’électeur se sent menacé par le
nombre croissant d’immigrants et laisse libre cours à son inquiétude en votant pour X, une
chose qu’il n’aurait jamais faite s’il pensait que la victoire de X dépendait de son vote. Un
scrutin à deux tours peut encore plus renforcer le caractère expressif du vote. Par exemple,
en supposant la présence de son candidat préféré au second tour, il est possible d’utiliser le
premier tour pour exprimer des préférences politiques et envoyer un « message » à ce
candidat en votant pour un autre. Mais de la même manière que pour le caractère serré du
scrutin, le calcul repose sur des anticipations sur ce que feront les autres électeurs, dans
notre exemple qualifier le candidat préféré pour le second tour (Blais, 2004).
Inversement, le fait de savoir qu’un vote « ne compte pas » peut induire à expri-
mer des sentiments plus nobles. Certaines personnes donnent à des œuvres caritatives, s’ar-
rêtent pour aider quelqu’un dont la voiture est en panne, apportent les bouteilles et
cannettes aux bacs de recyclage, etc. Une explication de ces actions en apparence désinté-
ressées est que le comportement de la personne est gouverné par des normes de conviction
morale, qui prescrivent certains types de comportements envers les autres. Puisque le vote
implique des décisions collectives qui touchent tous les membres de la communauté, on
peut s’attendre à ce que les normes qui régissent le comportement envers les autres soient
particulièrement susceptibles d’entrer en jeu lorsque des individus votent. Quand des
personnes votent, ils expriment leurs idées sur ce qui est bon pour la communauté ainsi que
sur l’élection du candidat qui serait la plus important pour l’intérêt public 14.
Cette interprétation du vote expressif semble en contradiction avec la preuve que
de nombreuses personnes votent stratégiquement (Cox, 1997). Lors d’une élection dans
une circonscription à un seul siège, l’électeur ne va pas voter pour son premier choix si ce
candidat est arrivé troisième ou quatrième aux primaires. Il décide de ne pas gaspiller son
vote, et vote plutôt pour un des deux candidats en tête. Si cet électeur voulait seulement
exprimer ses idées sur la victoire de quel candidat est la meilleure pour la communauté, il
n’espère pas donner à l’élection le moindre poids. Son désir de ne pas « gaspiller son vote »

14 Bien que Brennan et Lomasky (1993) et Brennan et Hamlin (2000) admettent que le vote expressif pourrait
prendre une forme vindicative, leurs ouvrages mettent beaucoup plus l’accent sur l’électeur bien intentionné,
et constituent une défense pleine d’esprit de cette version de l’hypothèse de l’électeur expressif.
Le paradoxe du vote 367

semble suggérer qu’il pense que son « vote compte », et donc qu’il considère le vote
comme une action instrumentale.
À la fois Carter et Guerette (1992) et Fisher (1996) ont réalisé des expériences
pour tester une forme d’intérêt public ou privé dans l’hypothèse du vote expressif. Ils
testent si les individus sont plus enclins à faire un don à une organisation charitable plutôt
qu’à conserver l’argent pour eux lorsque la perception du poids de leur vote décroît. Les
deux études trouvent de faibles preuves en faveur du vote expressif 15.
Cette dernière version de l’hypothèse de l’électeur expressif a plus de points
communs avec l’hypothèse de l’électeur éthique.

14.4 L’HYPOTHÈSE DE L’ÉLECTEUR ÉTHIQUE


Toutes les études vues jusqu’à présent perçoivent l’individu comme optimisant son utilité,
et sont donc largement compatibles avec le postulat comportemental qui sous-tend toute la
théorie les choix publics. Et ce, même si la dernière hypothèse étudiée pose comme prin-
cipe que l’avantage qu’un individu reçoit du fait d’exprimer ses idées sur l’intérêt public,
le conduit à voter. L’interprétation de l’acte de vote discutée dans cette section va un peu
plus loin 16. Elle considère l’électeur comme ayant deux catégories de préférences, une
catégorie éthique et une catégorie égoïste. La dernière ne comprend que sa propre utilité,
la première comprend l’utilité des autres, ou la perception de celle-ci. Dans certaines situa-
tions, comme par exemple le consommateur sur le marché, seules des préférences égoïstes
entrent en jeu. On optimise son utilité définie conventionnellement. Dans d’autres situa-
tions, on utilise ses préférences éthiques. Voter est une de ces situations où les préférences
éthiques commandent.
La vision « Dr. Jekyll et Mr. Hyde » de la nature humaine a une ascendance longue
et distinguée. L’importance d’un sens du devoir civique dans l’explication du vote résonne
avec cette hypothèse de l’électeur éthique, tout comme l’interprétation du vote expressif
qui la considère comme une opportunité d’exprimer ses vues sur l’intérêt public. Mais l’hy-
pothèse de l’électeur éthique comme explication de la participation souffre de la même
carence que le « goût pour le vote ». Au lieu de nous fournir une hypothèse avec laquelle
nous pourrions développer une théorie du vote et peut-être un autre comportement social,
il produit une rationalisation a posteriori de l’acte. Il fournit la fin d’une histoire du vote,
et non le commencement d’une théorie comportementale du vote.
La dichotomie entre éthique et individualisme présumée dans la théorie éthique du
vote pourrait être mise en œuvre comme une théorie prédictive en supposant que chaque

15 Fischer critique le modèle expérimental de Carter et Guerette et prétend trouver des appuis plus forts au vote
expressif qu’ils ne l’ont fait. Sur les 82 participants, 42 ont voté égoïstement dans huit de ces expériences, avec
toutefois 20 votants de façon altruiste. Les 20 autres n’ont pas voté avec constance, comme l’avait énoncé l’hy-
pothèse de l’électeur expressif. Ainsi, l’hypothèse décrit le comportement d’au plus un quart des participants
à l’expérience.
16 Voir Goodin et Roberts (1975), Margolos (1982b) et Etzioni (1986). L’approche de Hasanyi (1955) est la
même, bien qu’il ne discute pas de l’acte de voter. Voir également le commentaire d’Arrow (1963, pp. 81-91).
368 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

personne i optimise une fonction objectif de la forme suivante 17 :



Oi = Ui + θ Uj (14.4)
j =i

Un électeur i réellement individualiste définit θ = 0 ; un électeur vraiment altruiste θ = 1


comme chez Harsanyi (1955). Dans les deux cas, l’individu se comporte de façon ration-
nelle pour optimiser une fonction-objectif. Quel que soit le cas, l’analyse bénéficie des
avantages de l’hypothèse de rationalité, à savoir des prédictions claires sur le comporte-
ment humain, avec la condition de premier ordre de la maximisation de l’expression (14.4)
où θ est égal à zéro ou à un.
Hudson et Jones (1994) ont estimé θ , et ont alors réalisé un test direct de cette
interprétation de l’hypothèse de l’électeur éthique. Ils dirigent deux études à Bath en Angle-
terre en 1988 et 1992. Les électeurs devaient commenter différentes propositions politiques
relatives à des modifications d’impôt, de dépenses de santé, d’éducation et de divers avan-
tages sociaux. Les électeurs ont d’abord identifié leur politique préférée, puis ont ensuite
déclaré s’ils pensaient que cette politique allait leur rendre service personnellement, et
ensuite si cette politique allait servir l’intérêt général. À partir des réponses à ces questions,
Hudson et Jones estiment les grandeurs de θ à 0,66 en 1988 et à 0,73 en 1992.
Dans le sondage de Hudson et Jones, les électeurs sont confrontés à un choix entre
des propositions qui servent leur intérêt personnel et des propositions qu’ils perçoivent
comme étant du domaine de l’intérêt général. Dans l’analyse menée par Jeffrey Smith
(1975) sur une élection intermédiaire dans une circonscription de l’Oregon, les électeurs
étaient effectivement confrontés à un choix simple : sont-ils favorables à des taxes plus
élevées ou non ? Le vote portait sur la question de savoir si les charges fiscales à l’intérieur
de la circonscription devaient être égales ou non suite à une égalisation qui augmentait le
taux d’imposition de certains quartiers en réduisant ceux d’autres quartiers. Une simple
application de l’hypothèse de l’intérêt personnel implique un vote pour l’égalisation si elle
baisse les taxes que l’électeur aura à payer, et contre si elle les augmente. Le pourcentage
en faveur de l’égalisation est lié à ce que l’on gagnait à l’égalisation, et est plus important
quand les avantages sont importants (Smith, 1975, p. 64) :

Pourcentage de grands 18 gagnants en faveur de l’égalisation : 60.7


Pourcentage de petits gagnants en faveur de l’égalisation : 52.9
Pourcentage de petits perdants en faveur de l’égalisation : 46.1
Pourcentage de grands perdants en faveur de l’égalisation : 32.7

Notons que dans cette enquête les électeurs n’avaient pas de choix direct à faire
entre leur intérêt individuel et l’intérêt collectif (même si on peut avancer qu’un électeur
éthique votera pour l’égalisation sans se soucier de l’équité). Alors qu’une majorité a voté
constamment en vue de son intérêt personnel, plus de 40 pour cent de la population a voté

17 Cette approche est élaborée par Mueller (1986).


18 Les grands gagnants (ou perdants) voient leurs taux d’imposition baisser (ou augmenter) du fait de la péré-
quation de plus de 1 $ pour 1000 $ de valeur imposable.
Le paradoxe du vote 369

pour une augmentation des impôts. Certains facteurs indépendants de l’intérêt personnel
peuvent avoir influencé le vote de cette partie importante des citoyens 19.
La proposition de limiter l’augmentation des taxes soulève un arbitrage entre inté-
rêts publics et privés via les diminutions des dépenses publiques qu’elle implique si la
proposition de limitation est adoptée. Gramlich et Rubinfeld (1982b) observent à partir de
l’examen des réponses faites par 2001 ménages à un sondage téléphonique dans le Michi-
gan que les bénéficiaires (personnes âgées, au chômage, malades) ont seulement une plus
faible tendance à voter contre une limitation des impôts que les non-bénéficiaires. Une
différence encore plus marquante est le fait des fonctionnaires : 42 pour cent d’entre eux
votent pour réduire les dépenses publiques. En général, les modèles du vote par intérêt
personnel expliquent mal le vote sur les problèmes de la Proposition 13 20 (Lowery et
Segelman, 1981). Les votes sur ce genre de propositions semblent mieux expliqués comme
étant des « actes symboliques » contre un « mauvais gouvernement » par des citoyens cher-
chant une meilleure efficacité gouvernementale ; c’est-à-dire le genre d’action qu’on peut
espérer d’un électeur (expressif) doté d’un sens civique.
Des comparaisons plus directes avec le test de Hudson et Jones sur l’hypothèse de
l’électeur éthique sont obtenues dans les études sur le vote économique, qui estiment les
coefficients de pondération relative des variables égotropiques et sociotropiques. Les varia-
bles égotropiques mesurent les attentes de l’électeur concernant les gains des politiques du
gouvernement sur son revenu personnel, sa situation professionnelle, etc. Les variables
sociotropiques mesurent les attentes de l’électeur concernant les effets des politiques
gouvernementales au sens large, sur le bien-être de l’ensemble des citoyens. En liant le
soutien des électeurs au gouvernement à leur réponses à ce type de questions, les cher-
cheurs ont été en mesure d’estimer les équivalents de θ dans (14.4), où θ = 1 implique que
seules les variables sociotropiques pèsent sur la décision, et où θ = 0 implique que la déci-
sion dépend exclusivement des variables égotropiques. Des estimations de θ entre 0,5 et 1,0
ont été faite pour les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne 21. Seuls les
électeurs danois semblent se conformer largement à l’hypothèse de l’électeur égotropique
d’après les études de Nannestad et Paldam (1996, 1997). Ils estiment en effet un θ à environ
0,15 pour le Danemark 22.
Les résultats des recherches sur le financement des biens collectifs montrent que
les personnes ont tendance à participer volontairement à environ la moitié de la différence
entre les montants optimaux en commun et les montants optimaux individuels (Hoffman,
1997), ce qui est également compatible avec un θ à environ 0,5.

19 Une interprétation similaire se prête à l’analyse de Bloom (1979) du vote sur la classification fiscale dans le
Massachusetts.
20 La Proposition 13 est une Initiative populaire de limitation de la taxation sur la propriété proposée lors d’un
référendum d’initiative populaire en Californie en 1978 et qui limite les impôts fonciers que l’État peut préle-
ver. Votée comme un amendement, elle a été ajoutée à l’article 13 de la constitution de l’État de Californie le
6 juin 1978.
21 Kinder et Kiewiet (1979), Markus (1988, 1990) et Lewis-Beck (1988). Voir aussi Fiorina (1978, 1981), Kiewet
(1981, 1983), Kirchgässner (1985) et Lewin (1991).
22 Déduit à partir du tableau 6 dans Nannestad et Paldam (1996).
370 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

L’ensemble des tests précédents sur la motivation directe ou indirecte des électeurs
supposent que l’électeur se comporte soit éthiquement soit égoïstement. L’électeur est libre
de choisir entre une proposition qui est favorable à l’intérêt général et une proposition qui
est favorable à son propre intérêt, 0 < θ < 1. Aucune tentative n’a été faite pour tester une
hypothèse d’électeur immoral, et une possibilité que θ < 0 n’a pas été envisagée. Pourtant,
Sears, Law, Tyler et Allen (1960) ont montré dans leur analyse des données d’une enquête
sur l’élection présidentielle américaine de 1976 que les préjugés raciaux constituaient une
des « attitudes symboliques (qui avaient) des effets importants » dans l’explication du vote
dans quatre domaines politiques controversés, « tandis que l’intérêt personnel n’en avait
presque aucune » (voir aussi Sears, Hensler et Speer, 1979). Dr. Jekyll et Mr. Hyde sont
rejoints par Simon Legree 23. Sur les questions concernant les hommes et les femmes, les
attitudes sexistes pourraient bien aussi jouer un rôle. L’ensemble des différentes préféren-
ces auxquelles un individu peut faire appel augmente.
Même si nous supposons que nous pouvons définir les arguments des fonctions
d’utilité individuelle qui entrent au bénéfice de (14.4) (revenus, recettes publiques, etc.),
nous ne pouvons pas estimer un pareil modèle tant que nous n’avons pas spécifié les déter-
minants de θ . Comment peut-on prédire quand une personne se comportera egoïstement ou
éthiquement, ou dans quelle mesure ses préférences éthiques guideront ses actions, dès lors
que le comportement éthique n’est pas une simple alternative ou décision ? Qu’est-ce qui
fait que les électeurs danois votent de façon plus égotropique que leurs voisins allemands ?
Qu’est-ce qui fait que les étudiants en économie accèdent plus facilement à un diplôme plus
élevé que les étudiants des autres disciplines (Marwell et Ames, 1981) ? Pour prévoir de
telles différences on a besoin de faire plus que simplement énoncer des préférences
éthiques, on a besoin d’une théorie sur comment les préférences éthiques s’élaborent, ce
qui détermine leur force, et ce qui provoque leur utilisation. On a besoin d’une théorie de
l’apprentissage, qui est probablement à trouver dans les domaines de la psychologie ou de
la sociologie.

14.5 LES PRÉFÉRENCES ÉTHIQUES COMME COMPORTEMENT


ÉGOÏSTE
La psychologie comportementale propose une description relativement simple du proces-
sus d’apprentissage 24. Les actions suivies d’une récompense augmentent en fréquence. Les
actions suivies d’une punition baissent en fréquence. L’homme apprend pour éviter ce qui
provoque la douleur, et pour faire ce qui lui procure du plaisir. Quand on observe comment
un homme apprend, il est difficile de rejeter le postulat que l’homme est naturellement un
animal égoïste. Les mêmes principes semblent décrire le processus d’apprentissage chez
tous les animaux. L’homme diffère des autres animaux non dans sa façon d’apprendre, mais

23 Simon Legree est l’esclavagiste raciste de « La Case de l’Oncle Tom ».


24 Pour un examen des principes de base en psychologie comportementale, voir Notterman (1970) et Schwartz
et Lacey (1982, ch. 1-6).
Le paradoxe du vote 371

dans ce qu’il apprend. L’homme est capable d’apprendre des modèles de comportement
beaucoup plus complexes que les autres créatures 25.
Le comportement éthique est acquis. Beaucoup de cet apprentissage se fait quand
nous sommes enfants. Quand nous commettons des actes qui nuisent aux autres, nous
sommes punis par nos parents, professeurs ou autres adultes responsables. Les actes qui
bénéficient aux autres sont récompensés. Les modèles de comportement éthique acquis
pendant l’enfance peuvent être maintenus à une fréquence élevée à l’âge adulte par de
simples rappels occasionnels, positifs et/ou négatifs 26. Ce que nous décrivons habituelle-
ment comme un comportement éthique n’est intrinsèquement ni plus ni moins égoïste que
ce que nous appelons un comportement égoïste. C’est une réponse conditionnée par
certains stimuli régis par un renforcement d’expériences passées.
Il y a plusieurs avantages à utiliser la psychologie comportementale ou une
variante de la psychologie cognitive qui subsume leurs principes afin d’expliquer le
comportement éthique. Premièrement, cela nous permet de travailler avec un concept
simple de l’homme, une conceptualisation cohérente avec le postulat égoïste-individualiste
sous-jacent à la fois à l’économie et aux théories des choix publics. Deuxièmement, cela
nous permet de développer une théorie purement positive du comportement, libre de tous
présupposés normatifs qui accompagnent souvent la vision « Dr. Jekyll et Mr. Hyde » de
l’homme. Troisièmement, cela nous indique en quoi des variables peuvent expliquer pour-
quoi certaines personnes se comportent d’une façon communément décrite comme éthique
et d’autres non. Le milieu familial durant l’enfance, l’expérience éducative, la religion, la
stabilité d’une communauté et beaucoup d’autres facteurs qui peuvent influencer l’expé-
rience d’apprentissage du comportement éthique chez une personne deviennent des varia-
bles explicatives possibles d’une théorie positive du comportement éthique. Donc, un
comportement éthique comme le vote peut s’expliquer si on retient l’hypothèse d’égoïsme,
ou au moins en la modérant, l’hypothèse de rationalité.
L’équation (14.4) peut être utilisée pour décrire le comportement dans des situa-
tions impliquant des choix éthiques, en considérant que les individus agissent comme s’ils
cherchaient à l’optimiser, avec un θ quelconque pas nécessairement égal à zéro ou à un.
L’argument est semblable à celui d’Alchian (1950) pour qui la compétition élimine les
entreprises les moins profitables, conservant seulement les plus profitables, et dont l’action
au final ressemble à celle qui aurait été choisie si elles avaient cherché à optimiser le profit
global même quand cela n’est pas réellement profitable au niveau de l’entreprise. C’est
l’intérêt collectif d’une société dans certains contextes d’établir des institutions qui pous-
sent les gens à se comporter comme s’ils devaient optimiser l’expression (14.4) où θ = 1.
Bien que ce degré de comportement coopératif soit rarement atteint, le processus de condi-
tionnement est généralement couronné de succès en suscitant un certain degré de coopéra-
tion. Ainsi, le comportement observé ressemble à ce qu’on pourrait espérer si des personnes
optimisaient consciencieusement (14.4) avec un θ > 0, même si le comportement indivi-

25 Pour expliquer des comportements complexes, on fera appel à des variantes de la théorie cognitive. Mais
comme le suggère Schumpeter, voter est probablement mieux compris comme une action relativement simple
et habituelle.
26 Voir les références en note 22.
372 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

duel est guidé par le conditionnement social 27. Avec cette interprétation, θ est un paramè-
tre comportemental qui s’explique par l’histoire du conditionnement individuel ou du
groupe, et non une série de variables de choix ou un paramètre dépendant du fait que la
personne ait choisi d’être aujourd’hui Jekyll ou Hyde 28.

14.6 L’ÉLECTEUR ÉGOÏSTE


Normalement, quand nous modélisons le comportement individuel, l’histoire passée d’un
individu ne joue aucun rôle dans l’analyse. Les coûts irrécupérables sont irrécupérables, le
passé est le passé, et tous les problèmes sont les conséquences futures de l’action indivi-
duelle. Concernant le vote, cette conceptualisation de l’acte du vote se résume à trois varia-
bles pertinentes : le bénéfice tiré de la victoire du candidat préféré, B ; la probabilité que
son vote apporte la victoire, P ; et le coût de se rendre aux urnes, C.
La modélisation du comportement individuel conditionné par l’apprentissage
passé déplace l’attention des gains futurs liés à l’élection vers les différentes actions de
l’histoire de l’individu. La liste des variables explicatives possibles s’allonge considéra-
blement.
Nous avons déjà fait le point sur le fait qu’on pouvait s’attendre à ce que les années
d’éducation, si les électeurs étaient purement rationnels et égoïstes, soient négativement
liées à la probabilité de voter. Une personne sans instruction pourrait être trompée par des
annonces télévisées le poussant à croire que son vote compte, mais une personne plus
éduquée doit rester rationnellement cynique vis-à-vis de l’efficacité de son vote.
Toutefois on apprend plus que la théorie des probabilités à l’école. On apprend
aussi à coopérer. Le nombre d’années d’études achevées indique le niveau et la puissance

27 La sélection darwinienne va jouer un rôle en déterminant quelles institutions sociales ou quels groupes survi-
vront. Si les revenus collectifs de la coopération sont larges, ces groupes ont plus de chance de susciter un
comportement coopératif (comprenant des individus se comportant comme si θ = 1) qui aura plus de chance
de perdurer. Les forces d’évolution peuvent aussi sélectionner des structures génétiques plus favorables à l’ap-
prentissage et à l’enseignement du comportement coopératif, quand la coopération fait augmenter les chances
de survie individuelle.
28 Overbye (1995a) propose une explication pour un vote qui mène à des prévisions dont beaucoup sont similai-
res à la théorie comportementale qui vient d’être discutée, bien que cette théorie soit complètement cohérente
avec l’hypothèse de l’acteur rationnel et égoïste. Building et Franck (1988) et Overbye avancent l’idée que les
gens votent pour développer une réputation de personne qui vote, du même genre que le don à des œuvres peut
être considéré comme un investissement pour développer une réputation de générosité. Ces réputations servent
de signaux pour les autres qui indiquent que l’acteur est le genre de personne qui ne trichera pas sur un contrat,
s’impliquera dans des problèmes sociaux, etc. À la longue une telle réputation peut entraîner une augmenta-
tion du revenu, des relations personnelles plus heureuses, etc. Ainsi, développer une telle réputation en votant
est une action rationnelle qui sert à long terme l’intérêt personnel de l’individu. L’hypothèse d’Overbye
conduit à des prévisions similaires à l’explication psychologique décrite plus haut, car la valeur d’une telle
réputation dépend du groupe qui entoure la personne. Donc, Overbye prédit que beaucoup des variables socio-
logiques précédemment analysées doivent être corrélées à des habitudes conditionnées à coopérer. Hudson
(1995) et Uhlaner (1989a,b, 1993) se rapprochent de l’hypothèse comportementale soulignée ici en élaborant
un lien entre le vote et l’appartenance à un groupe, et la récompense et l’approbation des autres membres de
ce groupe.
Le paradoxe du vote 373

du conditionnement dans les nombreux jeux coopératifs. Soit on reçoit son diplôme, on est
récompensé encore et encore pour avoir respecté les règles et avoir fait ce qui était attendu,
soit on est généralement puni quand on a enfreint les règles. On attend des plus éduqués
qu’ils se comportent de façon plus coopérative, en enfreignant le moins de règles, que ce
soit le code de la route ou des règles plus sociales, et qu’ils fassent plus que ce qui est
attendu d’eux en tant que citoyens. Presque toutes les études sur la participation électorale
ont démontré que les années d’études avaient un impact positif et significatif sur la partici-
pation 29.
Le revenu est une autre variable qui a toujours le signe contraire dans l’explication
du taux de participation à celui attendu de la simple application du postulat de l’égoïsme
rationnel. Plus le revenu est élevé, plus le coût d’opportunité du temps augmente, et ceteris
paribus plus la probabilité d’aller aux urnes diminue 30. Mais on constate que le revenu est
constamment et positivement corrélé avec la probabilité de voter 31.
Le revenu, tel un diplôme, est une marque de succès au regard de certaines règles
du jeu sociétal. Bien sûr, certaines personnes accumulent des revenus en violant les règles
avec brio, mais il est peu probable que beaucoup d’entre elles fassent partie des panels de
sondages. Les personnes à fort revenu sont plus susceptibles de se plier aux règles et à vivre
avec des pratiques plus sociales. De plus, ce fort revenu est la preuve d’une récompense en
soi, depuis que l’argent est une des valeurs maîtresses et symboliques de la société. Les
personnes à fort revenu, comme les personnes instruites, sont supposées enfreindre le
moins de règles possibles, et se comporter de façon socialement coopérative, par exemple
en votant.
Cette interprétation du vote comme une sorte de « bonne habitude » conditionnée
semble être compatible avec les résultats expérimentaux de Blais et Young (1999). Ils
observent une baisse significative des taux de participation parmi les étudiants d’une
université canadienne après un cours de dix minutes sur le modèle électoral de Downs. Il
est apparu que de nombreux étudiants « ne pensent pas habituellement en termes de béné-
fices et de coûts » lorsqu’ils votent, car le vote est plutôt pour eux « un acte irréfléchi et
habituel, fondé principalement sur le sens du devoir » (p. 52). Lorsqu’ils entendent que
cette action caractérisée en tant que choix rationnel implique de peser des bénéfices et des
coûts, 7 % supplémentaires décident de ne pas voter.
Il y a bien sûr d’autres explications que celles données ci-dessus pour lesquelles le
revenu et l’éducation pourraient être positivement liés à la participation politique. L’édu-
cation par exemple peut réduire les efforts de recherche d’informations sur les candidats et

29 Campbell et divers auteurs (1964, pp. 251-4) ; Milbrath (1965) ; Kelley, Ayres et Bowen (1967) ; et Verba et
Nie (1972, pp. 95-101). Voir aussi les études citées dans les tableaux 14.1 et 14.2. L’éducation semble avoir
un effet important et positif sur le vote d’après l’étude de Patteson et Caldeira (1983) ; même lorsqu’on consi-
dére séparément les électeurs de chaque parti. L’incapacité à obtenir un impact significatif quand le revenu est
inclus est sans doute due à la multicolinéarité, une difficulté rencontrée dans beaucoup d’études.
30 Voir les commentaires de Russel, Fraser et Frey (1972) ; et de Tollison et Willett (1973).
31 Dahl (1961) et Lane (1966) cités par Frey (1971) ; Milbrath (1965) ; Kelley, Ayres et Bowen (1967) ; Dennis
(1970) ; et Verba et Nie (1972, pp. 95-101). Voir aussi les études dans les tableaux 14.1 et 14.2. Chapman et
Palda (1983) constituent une importante exception en obtenant un coefficient négatif significatif, comme
prédit par l’hypothèse de l’électeur rationnel. Voir également Mueller et Stratmann (2002).
374 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

être ainsi positivement reliée au vote, comme le prédit le modèle de l’électeur rationnel 32.
Si l’éducation est positivement associée au vote parce qu’elle réduit par exemple les coûts
de la participation politique, on pourrait s’attendre à une hausse substantielle du taux de
participation depuis que le niveau d’éducation augmente. Pourtant, depuis le début des
années 1960 la participation électorale dans la plupart des démocraties occidentales n’a
cessé de décliner considérablement et régulièrement (voir figure 14.1). Abramson et
Aldrich (1982) attribuent pour les États-Unis au moins les deux tiers de cette baisse à deux
facteurs : (1) la moindre identification de l’électeur aux partis politiques, et (2) une perte
de croyance dans la réactivité de l’exécutif. Ces deux facteurs peuvent à leur tour s’expli-
quer comme le résultat d’un rendement négatif du vote depuis l’élection présidentielle de
1960. Lors d’une élection présidentielle normale, plus de la moitié des électeurs sont
récompensés pour avoir été aux urnes puisque cette action est suivie de la victoire de leur
candidat préféré. En ce sens, la règle de la majorité a tendance à favoriser la participation
électorale. Toutefois, depuis 1960, trois présidents ont été élus dont les performances
durant leurs fonctions ont dû causer une grande déception à leurs partisans : Johnson à
cause du Vietnam, Nixon avec le Watergate, et Carter à cause de ses pauvres performances
économiques..Ainsi, voter pour le vainqueur a été puni, et cette punition peut expliquer la
baisse de la fréquence avec laquelle les gens sont allés voter après 1960. La figure 14.1
montre également que la spirale de la baisse de participation électorale depuis 1960 s’est
simplement approchée des bas niveaux de participation de l’épreuve de la grande dépres-
sion, où la perte de confiance dans le gouvernement était très élevée.
Cette explication comportementale du vote peut également être considérée comme
un soutien à l’hypothèse de l’électeur expressif. Brennan et Buchanan (1984) comparent le
vote aux acclamations dans une manifestation sportive. Dans chaque cas, l’acteur reçoit un
plaisir personnel de cet acte ; dans chaque cas, l’action a un effet négligeable sur le résul-
tat de la compétition. L’acclamation d’un supporter est récompensée si son équipe gagne ;
la plupart des supporters acclament l’équipe locale. Les équipes locales gagnantes donnent
plus de satisfactions positives à leurs supporters. Ces mêmes équipes locales gagnantes ont
tendance à avoir plus de public et des supporters plus expressifs que les équipes perdan-
tes 33.
Cette interprétation d’un renforcement positif du vote est également compatible
avec le constat de taux de participations plus élevés dans les pays dotés de systèmes multi-
partisans que dans les démocraties bipartisanes (Jackman, 1987). Dans un système multi-
partisan, les actions de la quasi-totalité des électeurs sont renforcées par le fait que le parti
pour lequel ils ont voté gagne quelques sièges. Dans un système bipartisan, une partie
importante des électeurs est punie de son vote par la défaite de son parti.

32 Voir en particulier Frey (1971), et l’échange qui a suivi entre Russell (1972), Fraser (1972), Frey (1972), Tolli-
son et Willett (1973) et Chapman et Palda (1983).
33 Matsusaka (1995) propose une explication comportementale quelque peu différente sur la baisse de la partici-
pation aux présidentielles américaines depuis 1960. Il met en avant une variante à l’hypothèse de l’électeur
expressif dans laquelle les électeurs obtiennent plus de services en votant, étant plus confiants dans la supé-
riorité de leur candidat préféré. Matsusaka suppose que le Vietnam, le Watergate et autres ont augmenté l’in-
certitude des Américains à propos de ce qu’est un « modèle correct du monde », et donc une incertitude pour
quel candidat voter. Cette incertitude accrue renforce bien sûr l’abstention.
Le paradoxe du vote 375

14.7 RÉSUMÉ ET IMPLICATIONS


L’ensemble de la littérature de la théorie des choix public se rapporte aux résultats des votes
en commission ou suppose que les électeurs votent, sincèrement ou stratégiquement, pour
obtenir le résultat leur promettant les plus grands avantages. Tous la littérature est fondée
sur l’hypothèse que c’est le niveau de B dans l’équation R = P B + D − C qui détermine
la façon dont un individu vote.
Le fondement logique de cette hypothèse est profondément limité pour des élec-
tions ou des commissions dans lesquelles le nombre d’électeurs est important. P est alors
infinitésimal, le terme PB disparaît, et les considérations autres que la valeur instrumentale
du vote déterminent si oui ou non une personne vote, ou tout au moins le devrait, ou au
moins si une personne est suffisamment intelligente et rationnelle pour faire une estimation
raisonnable quant à l’ampleur de P.
La littérature empirique étudiée ici est rassurante à la fois sur l’intelligence et sur
la rationalité des électeurs en ce qu’elle indique que P a une relation un peu faible (statis-
tiquement) et incohérente sur la décision du vote. L’explication principale sur la raison pour
laquelle des individus votent vient des éléments D et C dans R, comme l’ont d’abord
affirmé Downs (1957) et Tullock (1967a).
L’interprétation et les caractéristiques des composants de C ont été assez contro-
versées, et d’importantes preuves empiriques indiquent que la participation chute quand le
coût de l’élection augmente. D’autre part, un désaccord considérable existe sur l’interpré-
tation et la modélisation de P.
Une interprétation consiste à dire que certains individus trouvent une utilité à
exprimer leurs préférences pour un candidat en particulier grâce à l’acte du vote. Cette
interprétation propose une raison expliquant pourquoi une personne vote, mais pas
comment elle vote. Pour se servir de l’hypothèse de l’électeur expressif pour expliquer
comment une personne vote, on a besoin de spécifier ce que veut exactement exprimer une
personne en votant.
Contrairement à l’hypothèse de l’électeur expressif, l’hypothèse de l’électeur
éthique est une explication du comment un individu vote. Il vote en fonction de ce que ses
préférences éthiques lui dictent. L’électeur réellement éthique a un θ = 1 et vote pour la
proposition qui optimise le bien-être global de la communauté dans laquelle il a un poids
négligeable. L’électeur éthique, et rationnel, se rend compte, cependant, que la probabilité
que sa voix influe sur le résultat est également négligeable, et donc il s’abstient. Pour
obtenir une théorie éthique sur la raison pour laquelle les gens votent à partir de la théorie
éthique, on doit énoncer que voter améliore le bien-être des autres, par, disons, l’améliora-
tion de la qualité des résultats du processus politique (de meilleurs résultats se produisent
quand tous le monde vote), ou en aidant à maintenir les institutions démocratiques. L’élé-
ment D dans R = P B + D − C est principalement le résultat d’un vote sur le bien-être de
tous les autres 34. Ainsi, cette hypothèse de l’électeur éthique en tant qu’explication du

34 C’est la méthode décrite par Frohlich et al. (1978) dans leur test de l’hypothèse de Downs.
376 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

pourquoi les gens votent subsume essentiellement les prémisses d’un raisonnement en
termes de devoir civique.
Alors que les hypothèses d’électeurs expressifs et éthiques proposent des raison-
nements sur pourquoi et comment les gens votent, elles ne fournissent pas un ensemble de
propositions vérifiables sans élaboration supplémentaire. Pour comprendre pourquoi, il
faut à nouveau envisager l’analogie entre voter et acclamer. Pourquoi certains supporters
font-ils du bruit ? Certainement pour exprimer leur soutien à leur équipe. Supposons
maintenant que nous voulons dépasser la simple rationalisation, alors pourquoi certains
supporters font-ils un acte aussi irrationnel que celui d’applaudir ? Supposons que nous
voulons prédire quels supporters applaudissent, ceux qui ne le font pas, pour quelle équipe
ils le font, avec quelle intensité, etc. Comment pourrions-nous procéder ? Une solution
serait de mener une enquête sur les supporters pendant un match. Nous pourrions alors
trouver que les supporters qui supportent l’équipe locale ont tendance à venir de la région
de l’équipe locale. Beaucoup de ceux qui supportent l’équipe adverse viennent de sa
région. Allons plus loin, et enquêtons sur pourquoi ils sont devenus supporters, et nous
pourrions trouver qu’ils ont grandi dans la région, que leurs parents les emmenaient aux
matchs quand ils étaient enfants, beaucoup de leurs camarades d’école étaient également
supporters de cette équipe, etc. Nous ne serions pas étonnés de trouver que les motivations
de ceux qui ne sont pas supporters sont assez différentes. Nous pouvons commencer à
élaborer à partir d’une telle information un ensemble de variables évaluant les caractéris-
tiques personnelles des supporters sportifs, ce qui nous permettrait de prévoir le compor-
tement du supporter.
Une telle approche serait similaire aux enquêtes d’opinion utilisées pour étudier le
comportement de l’électeur. La psychologie comportementale propose une explication des
raisons pour lesquelles l’histoire individuelle d’une personne est un facteur déterminant
pour l’explication du vote. Appliquer les principes de la psychologie comportementale est
une façon particulièrement attrayante en choix public pour introduire des « variables socio-
logiques », comme l’éducation et l’exemple familiale dans un modèle de comportement de
l’électeur, car c’est totalement compatible avec la portion égoïste du postulat rationnel-
égoïste, et dans certaines circonstances la psychologie comportementale prédit l’action des
personnes comme si elles optimisaient une fonction d’utilité.
Une telle théorie comportementaliste du vote peut être interprétée simplement
comme une alternative aux théories de l’acteur rationnel incluant les variantes de l’électeur
expressif et éthique. Toutefois on peut également considérer les différentes théories comme
complémentaires. La psychologie comportementale fournit une théorie de la formation des
préférences qui peut guider le choix des variables dans les préférences qu’un électeur
expressif veut exprimer par exemple. La preuve étudiée plus haut indique que les individus
mettent beaucoup d’importance dans le bien-être des autres lorsqu’ils indiquent leurs préfé-
rences pour certaines politiques publiques. Leurs réponses aux questions d’enquête sont
comme s’ils optimisaient une fonction-objectif avec une importance positive du bien-être
des autres. Une hypothèse de l’électeur expressif-éthique est conforme avec les réponses de
ces enquêtes. Plusieurs implications en découlent.
Premièrement, si voter était en soi une action éthique (conditionnée), alors les esti-
mations des pondérations qui portent sur l’utilité des autres, le θ de (14.4), et qui sont issues
Le paradoxe du vote 377

des réponses des citoyens dans les enquêtes, sous-estiment le θ des électeurs, puisque les
citoyens avec des θ élevés votent plus que la moyenne des enquêtés. Les expériences telles
que celles de Fisher (1996) dans lesquelles voter est obligatoire par la nature de l’expé-
rience, surestiment l’importance du comportement purement intéressé dans la population 35.
Cette observation a un rôle important dans les propositions visant à augmenter arti-
ficiellement le taux de participation, comme par exemple les amendes aux personnes qui
ne votent pas (Lijphart, 1997). De telles mesures augmenteraient les taux de participation
des « électeurs égoïstes » par rapport aux « électeurs éthiques », et par là même réduiraient
la qualité des résultats sociaux.
Le danger est accru si une raison importante des abstentions est le nombre d’élec-
teurs indécis sur le choix des candidats, comme le souligne Matsusaka (1995) et comme le
suggèrent les éléments de son importante enquête 36. Pousser plus de gens à voter est donc
susceptible de conduire aux urnes des individus indécis ou incertains sur les candidats. Cela
semble un bien mauvais moyen pour améliorer le résultat des élections 37.
La question clé normative soulevée par la littérature à propos de pourquoi et
comment les gens votent est de savoir si remplacer un électeur expressif-éthique (condi-
tionné) par un électeur rationnel-égoïste du modèle traditionnel du choix public améliore-
rait ou aggraverait les résultats du processus. Hélas, on ne peut pas simplement répondre
« oui » ou « non » à cette question 38. Même quand les gens attachent de l’importance au
bien-être des autres, ils peuvent réévaluer leurs priorités face aux différentes alternatives
politiques. L’« alternance » est toujours possible, et avec elle existe la possibilité de mani-
pulation du calendrier électoral entre autre.
De plus, la prise en considération de ces questions au travers d’un filtre éthique-
idéologique tendrait à réduire le nombre de dimensions dans l’espace idéologique et donc
la probabilité de cycles (Hinich et Munger, 1994, chap. 6 et 7). Cependant, introduire des
considérations éthiques/idéologiques peut également accroître leur saillance, et rendre les
compromis plus difficiles à obtenir. Sur des sujets tels que l’avortement, les transports
scolaires, les lois sur l’immigration, et les statuts officiels des langues, le centre du spectre
idéologique peut être faiblement occupé. Même lorsque le cadrage idéologique et éthique
de ces questions réduit l’importance de la question à une simple dimension gauche-droite,
l’instabilité politique peut survenir si des divisions éthiques-idéologiques au sein du
système politique conduisent à une polarisation (Sartori, 1976). L’incapacité à faire des
compromis sur un sujet éthique a conduit les États-Unis dans une guerre civile sanglante.
Le Canada et la Belgique ont été poussés au bord de la dissolution à cause de problèmes
linguistiques ; l’Irlande du Nord et Israël à cause de la religion.

35 Rappelons que plus de la moitié des participants des huit expériences de Fischer votent tous égoïstement, avec
une répartition équitable entre un vote altruiste cohérent et un autre expressivement altruiste.
36 Le fait d’être indécis avant une élection et de ne pas voter semble être significativement corrélé. Voir par
exemple Ashenfelter et Kelley (1975, p. 717).
37 Très peu de travaux existent pour tester les effets d’une participation élevée sur le processus politique. Voir
toutefois Husted et Kenny (1997), Lott et Kenny (1999) et Mueller et Stratmann (2002).
38 Pour des arguments sur un « oui » à cette question, voir Brennan et Lomasky (1993) et Brennan et Hamlin
(2000).
378 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Le modèle de vote probabiliste prévoit un équilibre dans les systèmes bipartis dans
lesquels une certaine fonction de bien-être social est optimisée. Avec les groupes d’intérêt
et les contributions de campagne ajoutés à ce modèle, le poids que chaque groupe reçoit
implicitement dans ce schéma de bien-être social varie, mais les avantages espérés restent
pareto-optimaux. Ces prévisions ne sont pas affectées par la substitution des préférences
expressives-éthiques sous-entendues par (14.4) à des préférences égoïstes. Seule l’impor-
tance assignée à chaque groupe change. Un tel amendement pourrait améliorer de beaucoup
la capacité prédictive de ces modèles. Par exemple, les agriculteurs des pays développés
ont été extraordinairement gagnants à avoir des gouvernements démocratiquement élus qui
leur ont obtenu d’importantes aides publiques et ont maintenu des prix de vente élevés. Les
subventions agricoles ont constitué plus de la moitié du budget de l’Union européenne tout
au long de son existence, en dépit du fait que le Conseil européen a fonctionné selon la
règle de l’unanimité sur une grande partie de cette période. Pourquoi les agriculteurs ont-
ils réussi à gagner les faveurs des gouvernements démocratiques plus que les infirmières
ou les plombiers par exemple ? Une raison est peut-être que chaque enfant dans ces pays a
grandi en lisant des livres ou en chantant des chansons sur la belle vie et les bonnes gens
de la ferme. D’innombrables livres et films dépeignent de courageuses familles d’agricul-
teurs qui luttent contre le mauvais temps et les cyniques banquiers pour maintenir leur
ferme opérationnelle. Les citoyens de tous les pays développés ont été conditionnés à
penser avec émotion aux agriculteurs et ils attachent implicitement de l’importance à leur
bien-être en votant. Les mineurs ont également reçu un traitement particulièrement favora-
ble dans la littérature, la chanson et le cinéma, et sont eux aussi bien perçus par l’opinion
publique.
Est-ce que les résultats du processus démocratique peuvent s’améliorer avec la
repondération des utilités des différents groupes calculée sur ce que les citoyens expriment
lorsqu’ils votent avec leurs préférences éthiques plutôt que leurs préférences personnelles
et égoïstes ? La réponse à cette question dépend de la façon dont ce nouvel ensemble de
pondérations correspond aux préférences du lecteur.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Pour une présentation de la littérature concernant les raisons pour lesquelles les gens votent, voir
Aldrich (1997). Pour une présentation concernant la manière dont les gens votent, voir Fiorina
(1997).
Merill et Grofman (1999) développent le modèle spatial downsien pour expliquer comment les
citoyens votent. Le soutien empirique à leur prédiction s’appuyant sur des données de France,
Norvège et des États-Unis peut être considéré comme un soutien à l’hypothèse de l’électeur ration-
nel et intéressé – une fois que l’on a fait abstraction de savoir si l’acte de voter est lui-même ration-
nel.
Pour des études sur la participation électorale en France, on se référera à François (2003), Fauvelle-
Aimar et François (2006) et Ben Lakdhar et Dubois (2006 et 2007). En français, l’analyse de Blais
(2004) porte sur le comportement stratégique dans un mode de scrutin à deux tours.
15
LA RECHERCHE DE RENTE

15.1 La théorie de la recherche de rente 380


15.2 Recherche de rente et régulation 391
15.3 Recherche de rente et processus politique 395
15.4 La recherche de rente avec droits de douanes et quotas 396
15.5 Les autres formes de recherche de rente 402
15.6 Quelle est l’importance des pertes de bien-être provenant
de la recherche de rente ? 403
380 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Dans le chapitre 12, nous faisions référence à un modèle politique dans lequel les politi-
ciens offrent des politiques ou des lois pour gagner les voix des citoyens et des groupes
d’intérêt. Au vu de notre discussion sur ce point, la législation peut être interprétée soit
comme un ensemble de biens collectifs dont les caractéristiques peuvent plaire à tel ou tel
groupe d’électeurs, soit comme des transferts de revenus d’un groupe de la population vers
un autre. Ces transferts peuvent à leur tour être interprétés comme une lacune fiscale qui
profite à un groupe particulier et qui s’accompagne d’une augmentation du taux d’imposi-
tion moyen pour récupérer les revenus redistribués. Ils peuvent, cependant, prendre des
formes plus ou moins subtiles.
Le gouvernement peut, par exemple, contribuer à créer, renforcer ou protéger des
positions de monopoles pour certains groupes. Ce faisant, le gouvernement augmente la
rente monopolistique de ces groupes privilégiés aux dépens du consommateur. Les rentes
monopolistiques que les gouvernements peuvent contribuer à créer s’apparentent à des prix
que les groupes ont tout intérêt à obtenir. Le terme de recherche de rente désigne, alors,
l’activité consistant à investir des ressources pour obtenir le droit d’imposer ses prix.

15.1 LA THÉORIE DE LA RECHERCHE DE RENTE


Tullock (1967c) est le premier à avoir traité de manière rigoureuse le sujet de la recherche
de rente. Le terme de « recherche de rente » a été utilisé pour la première fois par Krueger
(1974) pour décrire l’activité en question. La figure 15.1 représente le programme de

Prix

Coût marginal

Quantité

Figure 15.1
Le coût social du monopole avec recherche de rente.
La recherche de rente 381

demande pour un produit soumis à un monopole. Si le groupe monopolistique fait payer le


prix de monopole, Pm , au lieu du prix de concurrence parfaite, Pc , il apparaît le rectangle,
R, qui représente la rente monopolistique, ainsi que le triangle de bien-être, L, représentant
la perte du surplus du consommateur. Ce triangle correspond plus précisément au bien-être
dont aurait bénéficié le consommateur si le bien avait été produit dans les conditions de la
concurrence parfaite.
Dans les discussions habituelles sur le monopole, la convention est de considérer
L comme une mesure de la perte d’efficacité engendrée par le monopole et R comme une
redistribution de revenu directe du consommateur du produit ou du service monopolisé vers
son producteur. Supposons, cependant, que le monopole a été créé et est protégé par le
gouvernement. Par exemple, une compagnie aérienne peut se voir attribuer un monopole
sur une ou plusieurs routes aériennes. S’il y avait plus d’une compagnie dans le pays
capable d’assurer le service pour ces routes, alors R ou la valeur présente escomptée de R
serait le prix récompensant la compagnie qui obtiendrait du gouvernement le monopole sur
ces routes. Les compagnies vont alors chercher à investir des ressources afin d’augmenter
leurs chances d’obtenir le monopole. L’intuition première de Tullock (1967c) révéla que les
ressources investies pouvaient constituer le coût social du monopole qui s’ajouterait au
triangle de bien-être, L.
Buchanan (1980a, pp. 12-14) a identifié trois types de dépenses de recherche de
rente pouvant être socialement néfastes :
1. Les efforts et dépenses des bénéficiaires potentiels du monopole.
2. Les efforts des membres du gouvernement pour obtenir ou réagir aux dépenses de
ces bénéficiaires potentiels.
3. Les distorsions induites par le monopole lui-même ou par le gouvernement, qui
résulteraient de l’activité de recherche de rente.
Pour donner un exemple de chaque type de dépenses, supposons qu’une compa-
gnie aérienne emploie des lobbyistes pour soudoyer les fonctionnaires chargés d’attribuer
les routes. Tous les fonctionnaires savent, alors, que leurs revenus peuvent être augmentés
de pots-de-vin s’ils sont en charge de l’attribution des routes. Ceux qui ont les revenus les
moins élevés vont, donc, investir des ressources dans l’étude de l’industrie aéronautique
afin d’obtenir ces postes privilégiés. On suppose, enfin, que des revenus fiscaux supplé-
mentaires, provenant de la création du monopole, entraînent une concurrence entre les
autres groupes d’intérêt pour l’obtention de subventions ou d’exonérations fiscales.
Les efforts de lobbying de l’industrie aéronautique illustrent bien le premier type
de perte sociale. Les efforts des bureaucrates pour être promus sont un exemple de la
seconde catégorie (à supposer qu’ils n’améliorent pas le processus d’allocation des routes,
ce qui semble réaliste puisque cette allocation est déterminée par des pots-de-vin). Les
dépenses engagées par les autres groupes d’intérêt pour capter les revenus fiscaux supplé-
mentaires nous donnent un bon exemple de la troisième catégorie de perte sociale.
Le pot-de-vin en lui-même n’est pas considéré comme une perte sociale. En effet,
si une compagnie pouvait acquérir une position de monopole en offrant simplement un pot-
de-vin, que la transmission de ce pot-de-vin aux responsables de l’allocation des routes ne
présentait aucun coût et que le pot-de-vin n’avait pas d’autres conséquences, alors aucune
382 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

perte sociale ne serait engendrée par cette corruption. Cela ne représenterait qu’un transfert
redistributif de plus, des passagers vers les fonctionnaires en passant par la compagnie
aérienne. Le coût social engendré par le pot-de-vin se décompose en réalité en coûts de
transaction liés à l’activité de corruption, en frais supportés par le lobbyiste, et en pertes en
temps et en argent liées à la compétition entre fonctionnaires pour obtenir les postes qui
leur permettront de recevoir le pot-de-vin 1.
La littérature a consacré une attention considérable pour savoir si les rentes mono-
polistiques étaient totalement dissipées par les dépenses socialement inefficientes pour
capter ces rentes. Nous allons étudier cette question avec une série de modèles, en
commençant par le modèle de recherche de rente basique avec un nombre fixe de joueurs.
Nous nous pencherons, ensuite, sur les conséquences de la libre entrée avec une approche
séquentielle du jeu puis sur un certain nombre d’extensions du modèle.

15.1.1 Le modèle de recherche de rente basique


avec un nombre fixe de joueurs
Dans le jeu de recherche de rente basique, n joueurs investissent chacun I pour capter une
rente d’un montant R. On suppose que la probabilité de chacun de capter la rente est
proportionnelle à son investissement.
f i (Ii )
πi (Ii ) = n (15.1)
j=1 f j (I j )

avec ∂πi /∂ Ii > 0. Les investissements dans la recherche de rente peuvent avoir des rende-
ments décroissants, constants ou croissants c’est-à-dire ∂ 2 πi /∂ Ii2 < 0, = 0 ou > 0. Tullock
(1980) introduit ce modèle en faisant l’hypothèse que f i(Ii ) = Iir , et une grande partie de
la littérature s’en est tenue à cette variante du modèle. Avec cette formulation, les proposi-
tions « la recherche de rente a des rendements décroissants, constants ou croissants » se
traduisent par : r < 1, = 1, ou > 1.
Sous l’hypothèse que tous les individus sont neutres vis-à-vis du risque, chacun
choisit le I qui maximise son gain espéré E(G),
 
Ir
E(G) = + T R − I, (15.2)
Ir

T désignant l’impact des dépenses totales des n − 1 autres joueurs, T = j=i I jr . Sous
l’hypothèse de Cournot-Nash, que les dépenses des autres joueurs restent fixes, la condi-
tion de premier ordre provenant de (15.2) est :
r I r−1 R r I r−1 I r R
− r − 1 = 0. (15.3)
I +T
r (I + T )2
1 Brooks et Heijdra (1986) ont discuté de la possibilité que certaines dépenses pour l’obtention d’une rente
pouvaient être assimilées à un transfert et non pas à une perte sociale sèche. Congleton (1988) fait, quant à lui,
remarquer que les revenus versés au lobbyiste ne sont pas un transfert pur, si l’on suppose qu’ils pourraient
être employés à faire quelque chose de socialement productif.
La recherche de rente 383

En faisant l’hypothèse d’un équilibre symétrique, nous obtenons à partir de (15.3) :

I = (n − 1)r R/n 2 . (15.4)

Un joueur neutre vis-à-vis du risque investit le montant I donné par (15.4) tant que ce I
donne un gain espéré (15.2) positif. Lorsque le gain espéré est négatif, le chercheur de rente
potentiel ne participe pas. Trois résultats qui dépendent de la valeur de r sont particulière-
ment intéressants.

15.1.1.1 Le cas des rendements décroissants ou constants, r ≤ 1


Si l’on utilise et réarrange l’équation (15.2) à partir de (15.4), l’équation (15.5) donne la
condition qui garantit un gain espéré positif pour participer à la recherche de rente :
n
≥ r. (15.5)
n−1
étant donné que le n minimum est deux, 1 < n/(n − 1) ≤2, et que (15.5) est vérifié pour
tout r ≤ 1. Le montant total investi à l’équilibre est de n fois l’investissement I de l’équa-
tion (15.4),
n(n − 1) (n − 1)
nI = 2
rR = r R. (15.6)
n n
Si l’on divise ce nombre par R, on obtient le montant total investi dans la recherche de rente
qui peut s’exprimer sous forme d’une fraction des rentes recherchées,

nI (n − 1)
= r. (15.7)
R n
Avec des rendements d’échelle constants, on obtient un résultat analogue à celui
du modèle oligopolistique de Cournot. La partie de la rente totale qui est dissipée va de 1/2
lorsqu’il n’y a que deux joueurs à 0 lorsque n tend vers l’infini.
Avec des rendements décroissants (r < 1), la partie de la rente dissipée est
toujours inférieure à un. Par exemple, si r = 1/2, la partie de r dissipée sera comprise entre
1/4 et 1/2.

15.1.1.2 Le cas des rendements croissants avec 1 < r ≤ 2


Si n ≥ 2, n/(n − 1) est majoré par 2 et d’après (15.5), r est minoré par 2. Avec r = 2 et
n = 2, chaque joueur investit R/2 et la somme totale investie sera égale au total de la rente
recherchée.
Avec des r plus petits, des équilibres peuvent exister avec des n supérieurs à 2. Par
exemple, si r = 1,5, un équilibre existe avec n = 3, et à cet équilibre, il y a dissipation
totale de la rente. Si n = 2, seulement 3/4 de R seront dissipés. À partir de l’équation
(15.4), il est facile d’expliquer la relation inverse entre r et le nombre de joueurs partici-
384 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

pant à la recherche de rente avec I > 0. Appelons I ∗ le I qui remplit la condition d’opti-
malité. Alors :
∂ I ∗ /∂r = (n − 1)R/n 2 > 0.

Une augmentation de r, n restant constant, augmente l’investissement optimal pour chaque


joueur et donc les chances que la somme des investissements soit supérieure à R, ce qui
rend la participation au jeu irrationnelle. En revanche, une hausse de n réduit l’investisse-
ment optimal des joueurs, ∂ I ∗ /∂n < 0, ce qui augmente la probabilité avec des I positifs.
Avec 1 < r ≤ 2, il y a dissipation totale de R pour des valeurs de n et de r qui
égalisent l’équation (15.5) ; par exemple n = 2 et r = 2, n = 3 et r = 1,5, n = 4 et
r = 4/3, etc. Pour tous les autres équilibres avec I > 0, n I < R.

15.1.1.3 Le cas des rendements croissants avec r > 2


Avec r > 2, les rendements croissants sont suffisamment importants pour qu’aucun équili-
bre de stratégie pure n’existe. La forme extrême de rendements décroissants ressemblerait
à une vente aux enchères avec R qui revient au chercheur de rente le plus offrant, c’est-à-
dire qui a le I le plus élevé. Chaque chercheur de rente est incité à surenchérir par rapport
aux autres joueurs tant que I < R. On peut, alors, s’attendre à une course aux enchères qui
mène tous les I vers R. Dans une vente aux enchères classique, comme pour les œuvres
d’art, le plus offrant obtient l’œuvre et débourse le montant de son enchère, alors que les
autres offreurs repartent sans l’œuvre mais avec le montant de leur dernière enchère.
Cependant, l’activité de recherche de rente est telle que tous les participants perdent leur
investissement. Les politiciens ne restituent pas les contributions de campagne et les pots-
de-vin qu’ils ont reçus des participants qui n’ont pas obtenu un tarif préférentiel, un soutien
à leurs prix, etc. Dans la recherche de rente, il est fort probable que la course aux enchères
n I se rapproche de n R (Tullock, 1980).
Cependant, avant que I égalise R, le gain espéré d’un chercheur de rente devient
négatif et si celui-ci est neutre vis-à-vis du risque alors il abandonnera la partie. Dès que
tous les participants sont sortis du jeu, la concurrence peut reprendre. Il n’existe aucun
équilibre de Nash de stratégie pure pour ce jeu, mais il existe bien des équilibres de straté-
gie pure pour lesquels il y a dissipation totale de la rente ex ante 2.
Une stratégie mixte est une stratégie dans laquelle chaque chercheur de rente tire
un I dans un chapeau contenant un nombre infini de I différents allant de 0 à R. Étant donné
qu’aucune personne rationnelle, neutre vis-à-vis du risque, ne voudra participer à ce jeu si
son gain espéré est négatif, il n’est pas surprenant de trouver que les bénéfices attendus de
ce jeu sont nuls. Dans un tel jeu, la somme des I tirés par chaque joueur ne sera pas exac-
tement égale à R. On peut, alors, s’attendre à une surdissipation de R dans certaines situa-
tions, lorsque les rendements croissants de la recherche de rente sont particulièrement
importants. Baye, Kovenock et de Vries (1999) ont démontré que la probabilité qu’il y ait
sur-dissipation de R diminuait avec N, mais seulement jusqu’à 0,44 quand N tend vers l’in-
fini.

2 Voir Hillman et Samet (1987) et Baye, Kovenock et de Vries (1994).


La recherche de rente 385

15.1.2 Les effets de la libre entrée


Tant que les gains espérés du chercheur de rente restent positifs après l’entrée de joueurs
supplémentaires, on peut s’attendre à ce que n augmente si l’entrée est libre. Nous avons
vu dans la sous-section 15.1.1 qu’il existe toujours un équilibre avec I > 0, lorsque 0 < r
≤ 1. On peut s’attendre à ce que dans ce cas de nouveaux participants entrent dans le jeu
avec n qui tend vers l’infini. À partir de (15.7), on obtient :
nI
lim = r. (15.8)
n→∞ R
Dans le cas où l’entrée serait libre et les rendements d’échelle constants (r = 1), on peut
prévoir une dissipation totale de la rente. À la suite de Posner (1975), la plupart des études
empiriques qui ont tenté de mesurer les pertes engendrées par la recherche de rente, ont fait
les hypothèses de la libre entrée et des rendements croissants, et ont ainsi approximé les
pertes liées à la recherche de rente par l’aire du rectangle de la rente monopolistique.
Lorsque (1 < r ≤ 2), il existe un nombre fini n ∗ ≥ 2, tel que le gain espéré d’un
investissement I ∗ qui satisfait l’équation (15.4) est positif, alors que pour n ∗ + 1 le gain
espéré est négatif. La libre entrée produira donc un équilibre pour lequel n = n ∗ . R sera
totalement dissipé si ce n ∗ égalise l’équation (15.5). La dissipation de la rente ne sera pas
totale s’il satisfait l’inégalité (15.5). Plus r est petit, plus n ∗ sera élevé et plus on s’attend à
ce qu’une grande partie de R sera dissipée.
Comme nous l’avons remarqué dans la sous-section 15.1.1.3, quand r > 2, les
seuls équilibres de ce jeu sont des équilibres mixtes dans lesquels les rentes sont dissipées
en totalité ex ante par la somme des investissements des chercheurs de rente. Ce résultat est
indépendant de n.

15.1.3 La recherche de rente avec investissements


séquentiels
Jusqu’à maintenant, nous avons supposé que tous les joueurs décidaient simultanément du
niveau de leurs investissements. Comme nous l’avons déjà mentionné, cette modélisation
de la recherche de rente est analogue au modèle de Cournot, à la différence que les impli-
cations normatives sont inversées. Alors que, dans un oligopole, l’augmentation du nombre
de vendeurs augmente la production et donc le bien-être social en raison de la baisse des
prix, dans un jeu de recherche de rente, l’augmentation du nombre de joueurs réduit le bien-
être social en augmentant les sommes totales investies dans la recherche de rente.
Le mathématicien allemand von Stackelberg a été le premier à étudier l’oligopole
avec des choix de production séquentiels. Dans le modèle oligopolistique de von Stackel-
berg, le premier joueur à choisir son niveau de production peut tirer profit de la pente néga-
tive des courbes de réaction qui caractérisent les jeux de fixation des quantités en
sélectionnant un niveau de production supérieur au niveau d’équilibre du jeu non séquen-
tiel, celui de Cournot. Si deux vendeurs ont des coûts de production différents, la société
sera plus riche dans un jeu duopolistique de Stackelberg si le vendeur qui a les coûts les
386 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

plus bas est le premier à fixer sa production. Une fois encore, dans un jeu de recherche de
rente séquentiel, la situation sera complètement inversée. Des montants inférieurs seront
investis et la société sera donc plus riche si le chercheur de rente le plus efficace joue en
deuxième.
En effet, prenons un jeu de recherche de rente simple avec deux joueurs, dans
lequel le premier joueur choisit un investissement I L , et le second un investissement I F .
Par souci de simplicité, nous choisissons de représenter l’efficacité relative de l’investisse-
ment de chaque joueur par un coefficient multiplicateur α plutôt que par une relation expo-
nentielle. La probabilité que L gagne la course à la rente s’écrit alors
IL
π L (I L ) = , (15.9)
IL + α IF
avec α < 1, ce qui implique que les investissements du premier joueur sont plus efficaces
que ceux du second. α > 1 impliquerait donc l’inverse. Le gain espéré de L peut s’écrire
de la manière suivante :
 
IL
E(G L) = R − IL . (15.10)
IL + α IF

Si l’on maximise (15.10) par rapport à I L , on obtient :



IL = α R IF − α IF . (15.11)
Si l’on applique la même chose avec le choix que fait F de son investissement I F , on a

R IL IL
IF = − . (15.12)
α α
Les équations (15.11) et (15.12) nous donnent les choix optimaux de I L et I F , compte tenu
de l’investissement de l’autre joueur. Ces deux équations définissent ainsi les fonctions de
réaction de chaque joueur. L peut tirer partie de son avantage à commencer le jeu en substi-
tuant la fonction de réaction de F dans la fonction de gain L, (15.10), et en choisissant le
I L qui maximise cette expression. Après cette substitution, il vient :
IL
E(G L ) =  R − IL . (15.13)
IL + α IL R
α
− IL R
α

Ce qui peut se simplifier de la manière suivante :


IL
E(G L ) = √ R IL . (15.14)
α R IL
Si l’on maximise (15.14) par rapport à I L , on obtient :
R
IL = . (15.15)

Si l’on substitue cette valeur de I L dans (15.12), on a la réponse optimale de F à L :
 
R 1
IF = 1− . (15.16)
2α 2α
La recherche de rente 387

À partir de (15.15) et (15.16), on voit facilement que lorsque les investissements des deux
joueurs ont la même efficacité (c’est-à-dire α = 1), ils investissent le même montant R/4
et le résultat est le même que dans le jeu non séquentiel de Cournot.
Quand α = 1, le joueur dont l’investissement est le plus efficace aura un gain
espéré plus élevé s’il joue en deuxième, alors que le joueur le moins efficace aura un
meilleur retour sur investissement en commençant le jeu. On peut voir cela en utilisant
(15.15), (15.16) et (15.10) pour obtenir le gain espéré que chaque joueur retire à être le
meneur ou le suiveur :
R
E(G L ) = (15.17)

 
1 2
E(G F ) = R 1 − . (15.18)

Avec α = 3/4, le premier joueur à choisir son investissement est le joueur le plus fort et
son gain espéré donné par (15.17) est R/3. Si on fait les mêmes hypothèses sur l’équilibre
des forces, et que le joueur le plus fort joue en seconde position, cela implique que
α = 4/3 et que les gains espérés pour le second joueur soient plus élevés et atteignent la
valeur de 25R/64, cette dernière étant supérieure à R/3. Si le joueur peut choisir le
moment et le montant de son investissement, le joueur le plus fort choisira de jouer en
deuxième, et le plus faible en premier. Cela sera plus profitable à la société que toutes les
autres séquences, car le montant total investi sera minimisé.
Dans cet exemple, nous avons supposé que les deux joueurs différaient par l’effi-
cacité relative de leurs investissements, représentée par α. Un moyen de complexifier le
modèle serait de faire l’hypothèse que les deux joueurs n’accordent pas la même valeur à
la rente. Avec α = 1, le joueur qui attribue le plus de valeur à la rente préférera être le
deuxième joueur et fera le plus grand investissement. Plus généralement, si α1 et α2 repré-
sentent respectivement l’efficacité des investissements des joueurs 1 et 2, R1 et R2 les
valeurs que les deux joueurs attribuent à la rente, alors le joueur 1 aura un investissement
I supérieur et choisira de jouer en deuxième si et seulement si α1 R1 > α2 R2 . 3

15.1.4 La modification des hypothèses


Les hypothèses sous-jacentes du modèle basique de recherche de rente ont été modifiées de
plusieurs manières. Nous n’allons pas aborder toutes les variantes du modèle présentes
dans la littérature. Cependant, quelques-unes des ses principales extensions méritent tout
de même notre attention.

15.1.4.1 La neutralité vis-à-vis du risque


Considérons tout d’abord l’effet de l’abandon de l’hypothèse de la neutralité vis-à-vis du
risque. Hillman et Katz (1984) montrent les effets de l’aversion au risque des chercheurs
3 Notre exposé suit le travail de Leininger (1993). On pourra aussi se reporter aux résultats plus généraux de
Baik et Shogren (1992), qui reprennent Dixit (1987), Hillman et Riley (1989) et Nitzan (1994a).
388 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

de rente en faisant l’hypothèse que les individus ont des fonctions d’utilité logarithmiques.
Le tableau 15.1 est extrait de leur article. R/A représente les rentes à gagner par rapport à
la richesse initiale du chercheur de rente, n le nombre de chercheurs de rente. Notons que
lorsque les rentes en jeu sont faibles comparativement à la richesse initiale du chercheur de
rente (i.e. moins de 20 %), plus de 90 % de la valeur des rentes sont dissipés par la concur-
rence pour leur obtention. Ce résultat tient toujours lorsque l’on introduit la possibilité
d’aversion au risque en supposant d’autres formes de fonctions d’utilité (Hillman et Katz,
1984, pp. 105-7).
Une grande partie de la littérature discute du processus de recherche de rente
comme si les individus agissaient pour leur propre compte. Si c’est bien le cas, on peut
raisonnablement supposer que la valeur de la rente recherchée est largement contingente
vis-à-vis des actifs initiaux du chercheur de rente. Mais, dans la plupart des cas de recher-
che de rente dans le secteur public et probablement dans le secteur privé également, la taille
de la rente recherchée sera petite par rapport aux actifs des chercheurs de rente. Si l’on
suppose que les actionnaires d’une grande société sont les seuls bénéficiaires des profits,
alors les rentes que la compagnie aérienne obtiendrait en ayant un monopole sur une route
aérienne doivent être comparées à la richesse agrégée des actionnaires de la compagnie.
Les rentes que les producteurs laitiers perçoivent de l’augmentation du soutien au prix du
lait doivent être divisées par les actifs de tous les agriculteurs laitiers. Dans le secteur
public, le rapport des rentes potentielles sur les actifs initiaux des groupes de recherche de
rente concernés doit être faible, ce qui correspond à la première ou éventuellement la
deuxième colonne du tableau 15.1. Si la concurrence pour la recherche des rentes n’est pas
limitée, on peut s’attendre à une dissipation totale de ces rentes même quand les chercheurs
sont averses au risque 4.
La question de la taille des actifs des chercheurs de rente se complique un peu plus
lorsque l’on remarque que les sociétés par action ou d’autres formes de groupe d’intérêt
peuvent être sujettes au problème du principal-agent. La décision d’investir les fonds de la

Tableau 15.1
La dissipation de la rente en concurrence, avec utilité logarithmique, A = 100.

n
R/A 2 3 5 10 50 100 1000
0,10 98 97 96 96 95 95 95
0,20 95 94 93 92 91 91 91
0,50 88 85 83 82 81 81 81
1,00 76 74 72 70 70 69 69
5,00 32 34 35 36 36 36 36
10,00 18 21 22 23 24 24 24

Source : Hillman et Katz (1984).

4 Plus généralement, Konrad et Schlesinger (1997) montrent qu’une augmentation du degré d’aversion au risque
des chercheurs de rente a un effet ambigu sur la taille de leurs investissements.
La recherche de rente 389

compagnie pour remporter le monopole sur une route aérienne est prise par les dirigeants
de l’entreprise. Tout le problème est, donc, de savoir avec la richesse de quelle personne ou
entité, doit-on comparer l’investissement réalisé pour obtenir la rente.
Quand les acteurs impliqués dans le jeu de recherche de rente sont des dirigeants,
qui sont les agents des actionnaires, l’hypothèse d’aversion au risque ne tient plus. Le gros
de l’argent investi par le dirigeant appartient aux actionnaires de la compagnie, ce qui incite
les managers à prendre plus de risques (Jensen et Meckling, 1976). Quand les chercheurs
de rente sont des agents qui investissent l’argent de leur principal, des comportements de
prise de risque sont plus réalistes que l’hypothèse d’aversion au risque, ce qui favorise la
dissipation totale de la rente. Des considérations similaires pourraient sans doute s’appli-
quer aux actions des agents d’autres groupes d’intérêt, comme les syndicats, les associa-
tions agricoles,…
Knight (1934) pense que le processus d’auto-sélection des entrepreneurs fait de ces
individus un groupe doté d’une forte préférence pour le risque. Il prévoit ainsi que les
profits agrégés seront en moyenne négatifs en raison de la concurrence acharnée que se
livrent ces entrepreneurs attirés par le risque. Comme les profits équivalent aux rentes pour
l’entrepreneur individuel, l’hypothèse de Knight suggère qu’en situation de concurrence, la
recherche de rente des entrepreneurs provoque une dissipation des rentes supérieure à la
totalité des rentes potentiellement perçues. Cette conclusion devrait être valable aussi bien
si les rentes recherchées proviennent d’investissements sur le marché privé (i.e. publicité
ou brevet) ou sur le marché politique (dépense de campagne, lobbying) ; cette tendance
étant accentuée dans le cadre des relations principal-agent.

15.1.4.2 Les groupes et la recherche de rente


Lorsque les groupes s’engagent dans des activités de recherche de rente, cela produit deux
effets contradictoires sur le niveau des investissements. Premièrement, lorsqu’un individu
rejoint un groupe, il forme un cartel avec les autres membres du groupe. Cela augmente
l’efficacité des efforts de recherche de rente du groupe ainsi que ses gains espérés (Baik et
Shogren, 1995). Cependant, si aucune contribution minimum n’est imposée à chaque
membre, le groupe s’expose au problème habituel du passager clandestin. La somme des
contributions des membres du groupe aura tendance à être inférieure au montant collectif
optimal, ce qui, bien sûr, est préférable pour la société (Nitzan, 1991) !
Sous l’hypothèse des rendements d’échelle constants (r = 1 dans (15.2)), le béné-
fice optimal de chaque membre sera proportionnel à sa contribution au groupe et la somme
de tous les investissements du groupe aura à nouveau tendance à dissiper les rentes recher-
chées (Lee, 1995).

15.1.4.3 La recherche de rente lorsque la probabilité de gagner n’est pas définie


par une fonction logit
L’utilisation de l’équation (15.1) pour définir les probabilités de victoire de chaque cher-
cheur de rente a ses limites. En effet, quand tous les investissements sont nuls, cette
390 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

méthode ne permet plus de définir ces probabilités. On pourrait dans ce cas faire l’hypo-
thèse, réaliste, que tous les joueurs ont la même probabilité de gagner. Cependant, l’équa-
tion (15.1) impliquerait alors un bond discontinu vers 1 dans la probabilité de victoire de
chaque joueur s’il dépense ne serait-ce qu’une somme infime pour remporter la rente. Des
investissements nuls de recherche de rente conduisent à un équilibre très instable quand les
probabilités de succès sont définies mathématiquement comme dans (15.1). Ce problème
peut être surmonté en supposant que les probabilités de gagner la rente dépendent des diffé-
rences de montants dépensés dans la recherche de rente plutôt que de leurs ratios (Hirsh-
leifer, 1989). Cependant, les variantes de ce modèle posent elles aussi quelques problèmes.
Par exemple, avec deux joueurs, A et B, la probabilité pour A de gagner la rente prend la
forme π A = f (I A − I B ). Cette probabilité sera la même si A investit 100 € et B, 1 € ou si
A investit 1 000 100 € et B, 1 000 001 € 5.

15.1.4.4 Les différents types de concours de recherche de rente


Une grande partie de la littérature suppose que tous les joueurs accordent la même valeur
au prix dans un concours de recherche de rente. Il est pourtant possible que la valeur d’une
licence pour importer des automobiles diffère pour chaque importateur potentiel. Une
compagnie aérienne peut, par exemple, faire plus de profits sur une route particulière que
ses concurrents. Dans ce cas, le gouvernement peut réussir à augmenter l’importance des
dépenses de recherche de rente totales en organisant astucieusement le concours pour la
rente.
Considérons tout d’abord un concours avec deux joueurs qui accordent les valeurs
R1 et R2 au prix à gagner, comme par exemple une licence d’importation. Le prix est attri-
bué à l’importateur qui fait l’investissement le plus important pour capter la rente. Aucun
équilibre de stratégie pure n’existe. Quand R1 = R2 = R, chaque joueur choisit un inves-
tissement au hasard parmi une distribution uniforme qui va de zéro à R (Hillman et Samet,
1987). En revanche, si R1 > R2 , le joueur 2 réalisera que son investissement optimal fondé
sur cette stratégie est inférieur à celui de 1 et donc que ses chances de gagner sont moins
importantes. Cette prise de conscience conduira le joueur 2 à investir encore moins que si
R1 = R2 . Ainsi, lorsqu’un joueur accorde bien plus de valeur à un prix que les autres
joueurs, cela décourage ces derniers à investir. Les dépenses totales de recherche de rente
seront alors moins importantes qu’avec une distribution plus égalitaire des bénéfices des
chercheurs de rente. Cela permettra finalement au gouvernement d’accroître ses revenus en
organisant les concours de recherche de rente de manière à ce que le joueur qui accorde la
plus grande valeur au prix n’ait pas le droit de concourir.
Pour illustrer cela, considérons un concours dans lequel le prix est attribué au
joueur qui fait le plus grand investissement. Les valeurs que chaque joueur accorde au prix
sont R1 ≥ R2 ≥ R3 ≥ …Rn . Kovenock et Vries (1993) ont montré que, dans ce type de

5 Pour une caractérisation axiomatique des différents types de jeux de recherche de rentes, voir Skaperdas
(1996).
La recherche de rente 391

concours, le montant maximum que le gouvernement peut gagner, W, est donné par l’ex-
pression suivante :
  
R2 R2
W = 1+ . (15.19)
R1 2

Comme l’investissement fait par le joueur 2 diminue à mesure que R1 augmente, W varie
dans le sens inverse de R1 . Si maintenant R1 = 100, R2 = 50 et R3 = 45, (15.19) implique
que W sera de 37,5 si le joueur 1 est autorisé à investir pour obtenir le prix, tandis qu’il
vaudra 42,75 s’il est exclu du jeu. Étant données les valeurs très proches que les joueurs 2
et 3 accordent au prix, l’augmentation de leurs investissements provoquée par l’exclusion
du joueur 1 fera plus que compenser la perte de l’investissement de 1. Une manière pour le
gouvernement d’écarter le joueur 1 est d’organiser le concours en deux étapes. Le gouver-
nement annonce, tout d’abord, une liste limitée de candidats (les importateurs) autorisés à
concourir pour le prix (la licence), puis il autorise les joueurs de la liste à faire des inves-
tissements (pots-de-vin, contributions de campagne, etc.). Ne figurant pas sur la liste, le
joueur 1 se trouve exclu 6.

15.2 RECHERCHE DE RENTE ET RÉGULATION


La théorie économique justifie généralement la régulation, par l’existence de « monopole
naturel » dont les coûts moyens diminuent à long terme. L’exemple classique du pont est
un cas extrême de situation de monopole naturel. La collectivité a besoin d’un unique pont
et une fois que celui-ci est construit, le coût marginal à autoriser des voitures supplémen-
taires à traverser le pont est nul. Le prix optimal du péage est donc de zéro. Cependant, si
une firme privée s’occupe de la gestion du pont, elle fixera un prix afin de maximiser son
revenu. Il en résultera une sous-utilisation du pont, socialement inefficace. Toute industrie
avec des coûts moyens qui diminuent à long terme de manière continue est un « monopole
naturel » en ce sens qu’une seule entreprise est nécessaire pour fournir toute la production
d’un secteur. Dans ce cas, on a besoin de réguler pour éviter qu’une firme profite de sa posi-
tion de monopole. Pour revenir à la figure 15.1, la régulation est dite nécessaire pour aider
les consommateurs à capter le triangle L du surplus du consommateur 7.
Dans le processus de régulation, les intérêts des producteurs et des consommateurs
sont opposés. Plus le prix fixé par le régulateur est élevé, plus le rectangle de la rente mono-
polistique revenant aux producteurs sera élevé. Comme la régulation est un processus poli-
tique bureaucratique, on peut vraisemblablement supposer que les vendeurs d’un produit
régulé vont faire pression sur les régulateurs pour faire monter les prix et accroître la taille
du rectangle. Dans un papier qui marque un tournant décisif dans la littérature sur la recher-

6 Pour une présentation plus exhaustive de l’organisation optimale de concours de recherche de rente, voir
Nitzan (1994c) et Gradstein (1998).
7 En pratique, la régulation aux États-Unis avait tendance à imposer des prix plus proches des coûts moyens de
production que des coûts marginaux. De cette manière, il se produisait des pertes du triangle de bien-être
même si la régulation fonctionnait bien (Kahn, 1970).
392 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

che de rente, Stigler (1971) 8 déplace les débats sur la régulation de la question normative
du prix à fixer pour minimiser L vers l’analyse positive de l’effet de la lutte pour l’obten-
tion de R sur le niveau du prix. Bien que le papier de Stigler soit plus ancien que la littéra-
ture sur la recherche de rente, il a tout de même attiré l’attention sur le pouvoir qu’ont les
régulateurs de créer des rentes et sur les efforts de recherche des entreprises des secteurs
régulés. Prolongeant l’argument de Stigler, Peltzman (1976) a intégré à la fois les consom-
mateurs et les producteurs dans la lutte pour la recherche de rente. Il a décrit la régulation
comme le résultat d’un calcul fait par un politicien pour maximiser ses voix. Soit V, le
nombre de voix que le politicien reçoit, qui est une fonction des utilités du producteur
régulé, U R , et des consommateurs du produit régulé, UC :

∂V ∂V
V = V (U R , UC ), > 0, > 0. (15.20)
∂U R ∂UC

Par souci de simplicité, nous supposons que les utilités du consommateur et du régulateur
sont des fonctions linéaires de R et de L, ce qui donne :

U R = R, UC = K − R − L , (15.21)

avec K une constante arbitraire. Si l’on suppose ensuite que les conditions de second ordre
s’appliquent et garantissent l’existence d’un maximum, le régulateur qui maximise ses voix
fixe un prix, P, qui satisfait :

dV ∂V d R ∂V d R ∂V dL
= − − =0 (15.22)
dP ∂U R d P ∂UC d P ∂UC d P
ou encore :
 
∂V d R ∂V dR dL
= + . (15.23)
∂U R d P ∂U C dP dP

Le régulateur qui maximise le nombre de ses voix fixe un prix tel que le gain pour
les producteurs que représente une augmentation des rentes monopolistiques, est tout juste
compensé par la perte des voix des consommateurs due à une augmentation de R et de L.
Même si la plupart des secteurs régulés ne sont pas des monopoles, le nombre de
vendeurs est généralement faible. Il est en tout cas toujours plus faible que le nombre de
consommateurs. Les coûts que représente l’organisation des producteurs combinée à la
répartition des bénéfices, R, entre chaque producteur, ont de grandes chances de rendre
∂ V /∂U R largement supérieur à ∂ V /∂UC , au moins pour un choix initial de valeurs de R
(Olson, 1965 ; Stigler, 1971 ; Peltzman, 1976). Stigler (1971) insiste sur ce point affirmant
que les firmes régulées sont les principaux bénéficiaires de la régulation. Les prix seront
augmentés jusqu’à ce que d R/dp diminue suffisamment ou que ∂ V /∂UC devienne suffi-
samment grand pour égaliser l’équation (15.23). Remarquons également que tant que

8 On peut consulter l’article de Jean Bénard (1988) dans la Revue d’économie politique pour une présentation
de cette théorie (p. 16) et plus généralement de cette littérature sur la capture du régulateur (p. 18 et suivante).
La recherche de rente 393

∂ V /∂UC > 0, en d’autres termes, tant que des voix sont perdues en raison de la diminution
de l’utilité des consommateurs, l’équation (15.23) ne sera pas résolue au prix qui maximise
la rente, c’est-à-dire où l’on a d R/d P = 0. Lorsque d R/d P = 0, d L/d P est supérieur à
zéro et ∂ V /∂UC > 0, le membre de droite de l’équation (15.23) devient positif. Le politi-
cien qui maximise ses voix peut privilégier les producteurs de l’industrie régulée, mais se
retient pour ne pas fixer un prix au niveau qui maximise la rente (Peltzman, 1976, pp. 222-
41 ; Becker, 1976). Peltzman a tiré quelques conclusions intéressantes de son analyse,
comme celle que « des situations de monopole naturel ou bien de concurrence pure sont
politiquement plus attrayantes pour la régulateur que des formes oligopolistiques hybri-
des » (1976, pp. 223-4, en italique dans la version originale). L’équation (15.23) implique
que la régulation fixe des prix entre ceux du monopole pur et ceux de la concurrence pure.
Si l’on suppose que les prix de l’oligopole ont tendance à se situer entre ceux du monopole
et ceux de la concurrence, les oligopoles et leurs consommateurs ont alors moins à gagner
de la régulation que les consommateurs d’un monopole naturel et les producteurs de la
concurrence pure. Cet argument permet d’expliquer la régulation du secteur agricole que
l’on retrouve dans de nombreux pays et en Europe en particulier 9, ainsi que d’autres inter-
ventions dans des secteurs de même intensité concurrentielle comme le camionnage et les
taxis aux États-Unis.
Stigler (1971) met l’accent sur le pouvoir des groupes réglementés qui utilisent le
processus de réglementation pour améliorer leurs revenus. Certaines études soutiennent
cette approche de la régulation, comme par exemple Shepherd (1978), Paul (1982), Ulrich,
Furtan et Schmitz (1987) et Alexander (1997). Un exemple classique de coût social provo-
qué par la régulation de la recherche de rente est l’industrie aéronautique des États-Unis
jusqu’à ce qu’elle soit déréglementée à la fin des années 1970. Le Bureau de l’Aéronau-
tique Civile (BAC, Civil Aeronautics Board) contrôlait la concurrence sur les prix, mais
autorisait la libre concurrence pour la clientèle par la fourniture d’avantages non-payants
comme la distribution de boissons ou encore la diffusion de films. La concurrence porte
alors sur ces coûts additionnels et plus sur la rente que leur assurent désormais les prix fixés
par le BAC (Douglas et Miller, 1974).
Posner (1975) fait l’hypothèse que tout le rectangle R est dissipé par les dépenses
de recherche de rente et utilise des estimations de l’augmentation des prix provoquée par
la réglementation pour calculer R + L de plusieurs secteurs pour approximer le coût social
de la réglementation. Ces estimations figurent dans le tableau 15.2. Dans la colonne η1 sont
représentées les élasticités de la demande calculées sous l’hypothèse que l’industrie fixe
des prix afin de maximiser les rentes monopolistiques, (P − MC)/P = 1/η, en utilisant
des estimations indépendantes de la hausse des prix sous la réglementation. Les estimations
de la colonne η2 proviennent d’études économétriques de l’élasticité de la demande pour
ces secteurs. Les colonnes C1 et C2 nous donnent des mesures de R + L faites respective-
ment à partir des estimations η1 et η2 . Elles sont toutes plutôt élevées, aussi bien dans l’ab-
solu que par rapport aux estimations existantes du coût social du monopole dans le secteur
privé, qui s’appuient sur les mesures de L.

9 Voir en français Pondaven (1989).


394 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Peltzman (1976) avait mis l’accent sur l’arbitrage entre les intérêts du régulateur
et ceux du consommateur dans l’équilibre final de maximisation des voix. En cherchant à
vérifier la généralisation de la théorie de Stigler faite par Peltzman, des études ont cherché
des variables mesurant à la fois les intérêts des producteurs-vendeurs et ceux des consom-
mateurs. Leffler (1978), Keeler (1984), Primeaux, Filer, Herren et Hollas (1984) et Becker
(1986) proposent tous des preuves qui corroborent l’idée que l’intérêt des consommateurs
et des producteurs a un certain poids dans le résultat final de la régulation.
Paul et Schoening (1991) ont étendu le modèle de base de Peltzman pour prendre
en compte la recherche de rente de partis tiers. Ils ont trouvé des preuves de la recherche
de rente de partis tiers et de la théorie de la capture en analysant la régulation des prix de
l’électricité. En effet, les prix de l’électricité sont plus élevés dans les États où les régula-
teurs sont nommés que dans ceux où ils sont élus. En revanche, Teske (1991) ont établi que
les membres d’une commission élue avait tendance à changer plus facilement les tarifs télé-
phoniques pour satisfaire les exigences des firmes. Son étude de cas des États-Unis révèle
cependant qu’une des firmes en question était un lobbyiste très efficace.
Ippolito et Masson (1978) montrent que la régulation dans l’industrie du lait redis-
tribue des rentes d’un groupe de producteurs à un autre et d'un groupe de consommateurs
à un autre. L’étude de Kamath sur la régulation du marché du sucre en Inde fournit des
preuves supplémentaires à l’appui de la théorie de la capture. Wise et Sandler (1994) trou-
vent également que les intérêts agricoles peuvent influencer la législation sur la régulation
des pesticides, alors, que des groupes environnementaux plus diffus n’ont pas le même
succès. Salhofer, Hofreither et Sinabell (2000) estiment les pertes du triangle et du rectan-
gle dues à la recherche de rente à partir du protectionnisme agricole en Autriche. Bien
qu’ils trouvent que les agriculteurs autrichiens s’enrichissent aux dépens des consomma-
teurs et des contribuables, ils concluent que les producteurs en amont et en aval de l’in-
dustrie agroalimentaire gagnent davantage.
Deux articles ont utilisé l’approche de l’étude de cas pour tester la présence d’ac-
tivité de recherche de rente. Cette approche examine les variations du cours des actions des
firmes concernées par la régulation au moment où la régulation est annoncée. En observant
la chute des valeurs du marché sur les principales places boursières, Schwert (1977) a
conclu que les consommateurs recevaient des gains redistributifs importants du vote de la
législation dans les années 1930 sur la règlementation financière.
En revanche, avec un échantillon de 48 cas, Beck et Connolly (1996) ne sont pas
parvenus à identifier l’existence d’effets significatifs sur le cours des actions des entrepri-
ses concernées par les mesures du gouvernement. Leur explication de l’absence du moindre
effet richesse qui proviendrait du gain d’un concours de recherche de rente, est que les pot-
de-vin et autres investissements réalisés par la firme compensent largement la rente éven-
tuellement gagnée. Cependant, cette explication pose quelques problèmes. Bien que sous
certaines conditions, les dépenses totales de tous les chercheurs de rente peuvent égaler la
valeur du prix recherché, les dépenses du sous-groupe qui a finalement gagné le prix ne
correspondant pas à ce prix. Si c’était le cas, pourquoi une personne rationnelle choisirait-
elle d’entrer dans la compétition ? Beck et Connolly tentent d’expliquer leurs résultats en
invoquant la malédiction du vainqueur. Mais cela revient tout de même à supposer que les
chercheurs de rente ne sont pas rationnels.
La recherche de rente 395

15.3 RECHERCHE DE RENTE ET PROCESSUS POLITIQUE


La théorie de la régulation de Stigler-Peltzman part du conflit entre vendeurs et acheteurs
pour l’acquisition du prix et analyse ensuite comment ce conflit peut être résolu par l’État,
totalement guidé par la pression politique exercée par les deux camps. Les deux groupes
impliqués et leurs intérêts sont facilement identifiables. Dans d’autres situations de recher-
che de rente, il est parfois plus difficile de déterminer, d’une part, les groupes à la recher-
che de rentes et, d’autre part, leurs intérêts. Il faut alors un modèle politico-économique
plus général du processus de recherche de rente.
S’appuyant sur un papier de Stigler (1976), McCormick et Tollison (1981) déve-
loppent un tel modèle. Ils font l’hypothèse fondamentale que toute législation consiste en
un transfert de richesse. Les États sont organisés pour transférer ces richesses efficacement.
Tout individu ou groupe d’intérêt est à la fois offreur et demandeur potentiel de transferts
de richesse. L’État prend à ceux qui sont les moins capables de résister aux demandes de
transfert de richesse et donnent à ceux qui sont les mieux organisés pour soutenir leurs
demandes. Comme la théorie de la régulation de Stigler-Peltzman, celle de McCormick et
Tollison (1981, ch. 1-3) est construite à partir de la théorie d’Olson (1965) de la formation
des groupes d’intérêt.
Pour réussir à obtenir un transfert de richesse, un groupe d’intérêt doit gagner une
majorité de voix dans les deux chambres d’un pouvoir législatif bicaméral. Plus il y a de
sièges dans chaque chambre, plus il y aura de ressources engagées pour gagner le vote du
législateur. De plus, en faisant l’hypothèse que les rendements pour obtenir des votes favo-
rables sont décroissants dans chaque chambre et en maintenant le nombre total de sièges
constant, il sera d’autant plus facile de remporter les votes des législateurs que le nombre
total de sièges est également réparti entre les deux chambres. McCormock et Tollison
(1981, pp. 45-55) établissent que ces deux variables, le nombre de sièges et le ratio de
sièges dans les deux chambres, sont significativement corrélés au degré de régulation
économique de chaque pays et au nombre total de lois promulguées. Campbell (1994)
soutient aussi que ces deux caractéristiques de la législature du New Hampshire expliquent
les niveaux d’imposition relativement bas de cet État. McCormock et Tollison poursuivent
l’analyse des déterminants des salaires des législateurs et de ceux des gouverneurs (1981,
ch. 4-7).
Landes et Posner (1975) proposent la théorie du système judiciaire indépendant,
complétant ainsi les modèles de gouvernement de McCormock-Tollison. Ils considèrent
également que les législateurs vendent la législation en échange de « contributions de
campagnes, de votes, de promesses implicites de faveurs futures, et même parfois de récom-
penses illégales » (p. 877). Dans cette configuration, un système judiciaire indépendant
peut augmenter la valeur de la législation vendue en la rendant insensible aux pressions
politiques de court terme qui iraient à son encontre. C’est apparemment ce que les pères
fondateurs de la constitution des États-Unis avaient en tête lorsqu’ils établirent un système
judiciaire indépendant. Dans la théorie de Landes-Posner, le premier amendement apparaît
comme « une forme de législation protectrice obtenue par un groupe d’intérêt composé
d’éditeurs, de journalistes, d’essayistes qui tirent des revenus de différents types publica-
tions et de plaidoyers » (p. 893). C’est avec de tels résultats que la science antidivinatoire
396 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

s’est faite une réputation. Mais on arrive tout de même à des conclusions moins pessimis-
tes lorsque l’on intègre les groupes d’intérêt au processus politique en utilisant un des
modèles de vote probabilistes exposés dans le chapitre 12. Dans ces modèles, la concur-
rence pour les voix des électeurs amène chaque parti à proposer un programme qui maxi-
mise une forme de fonction de bien-être social dans laquelle les utilités de tous les électeurs
ont des pondérations positives. Bien que l’on puisse considérer que les groupes d’intérêt
« achètent la législation » en intégrant les contributions de campagne et les activités de
lobbying dans les modèles, les résultats politiques demeurent efficients tant qu’ils satisfont
la condition de l’optimalité parétienne 10. Ces modèles posent les fondements logiques de
la majeure partie de la littérature sur la politique commerciale endogène, que nous allons
maintenant étudier.

15.4 LA RECHERCHE DE RENTE AVEC DROITS DE DOUANES


ET QUOTAS
15.4.1 Les effets économiques des droits de douane, des
quotas et des restrictions d’exportation volontaires
Peu de points suscitent un plus grand consensus parmi les économistes que la proposition
selon laquelle le libre échange maximise le bien-être de la société 11. Pourtant les droits de
douane, quotas et restrictions au commerce international sont légion et les politiques
commerciales nationales sont un sujet de conflit permanent. Comme pour la régulation, on
peut penser que les gains d’efficacité allocative provenant du libre échange et qui sont
reconnus par tous les économistes, ont été sacrifiés au nom de l’égalité apparente des rentes
et des gains redistributifs assurée par la limitation des échanges.
Pour percevoir les enjeux sous-jacents, considérons la figure 15.2. Soit SM , l’offre
d’importation de produits X et S D , l’offre de produits domestiques. ST et D sont respecti-
vement les programmes d’offre et de demande d’un pays. En situation de libre échange, X F
est acheté au prix PF avec une production composée de la production domestique, D F et
des importations, M F . Maintenant, considérons qu’un droit de douane est imposé sur les
importations. Cela modifie le programme d’offre d’importations pour donner le nouveau

programme SM qui comprend le droit de douane. L’offre totale devient alors ST et X R
composé de M R et D R est vendu au prix PR .
Les tarifs douaniers entraînent une perte de bien-être par rapport à la consomma-
tion précédente X F − X R , représentée par le triangle L du surplus du consommateur et par
le triangle I qui résulte de l’augmentation de la production domestique D R − D F . Le trian-
gle I révèle une perte sociale dans la mesure où il représente les ressources intérieures utili-
sées dans la production supplémentaire D R − D F qui n’auraient pas manqué si X était
disponible au prix de libre échange PF .

10 Voir la discussion du chapitre 20.


11 Pour une synthèse des reproches adressées au libre échange, voir Findlay et Wellisz (1986, pp. 221-2).
La recherche de rente 397

Importations et production domestique avec droits de douane et quotas.


Figure 12

En plus de ces deux triangles de perte de bien-être, la figure 15.2 représente les
rentes gagnées par les propriétaires et producteurs de l’industrie domestique, R(PR PF E G),
et les revenus issus des droits de douane perçus par le gouvernement, T (PR C B A). R et T
représentent les revenus qui motivent la demande des membres des secteurs protégés ou du
gouvernement pour le tarif douanier.
398 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

La production de X R vendu au prix PR peut aussi provenir de la mise en place de


quotas sur les importations. Les importations sont alors limitées au niveau M R . L’industrie
domestique reçoit à nouveau une rente R, mais le rectangle T représente désormais les
rentes reçues par les importateurs qui auront la « chance » d’obtenir la licence pour les M F
unités à importer. La pression politique exercée par les vendeurs domestiques sera alors la
même, que la limitation des échanges se fasse sous forme de quotas ou de droits de douane
(en supposant le même niveau d’importation final). Cependant, la pression pour la mise en
place de quotas sera exercée par les importateurs alors que celle pour les droits de douane
sera l’œuvre de membres du gouvernement ou d’éventuels bénéficiaires de l’augmentation
des revenus du gouvernement.
La mise en place de quotas ou de droits de douane profite aux propriétaires de l’in-
dustrie domestique protégée et éventuellement aux titulaires des licences d’importation
alors qu’elle nuit aux producteurs des pays exportateurs. Cela aura pour effet de conduire
ces exportateurs à demander l’aide de leur gouvernement pour les soulager des effets néfas-
tes de ces politiques de restriction des échanges, ce qui se traduit généralement par des
tensions entre les gouvernements concernés ou des plaintes pour violation du traité à l’Or-
ganisation Mondiale du Commerce. Cependant, ces effets indésirables peuvent être évités
si le pays importateur choisit un troisième instrument pour protéger ses producteurs, une
Restriction Volontaire d’Exportations (RVE). Dans ce cas, le gouvernement du pays impor-
tateur demande au gouvernement du pays exportateur de négocier avec les compagnies
exportatrices une réduction « volontaire » des exportations égale, par exemple, à X R − D R .
Les producteurs et consommateurs du pays importateur ne perçoivent alors aucun change-
ment. En revanche, le rectangle ne revient plus ni au gouvernement du pays importateur,
contrairement au revenu du droit de douane, ni aux importateurs, mais aux compagnies du
pays exportateur. En s’accordant sur une RVE, les gouvernements ont bel et bien soutenu
les producteurs des deux pays en créant un cartel et en limitant la production. Ils peuvent
alors compter sur la reconnaissance des entreprises (Hillman et Ursprung, 1988). Le
nombre de RVE a cru de manière spectaculaire durant les vingt dernières années. On a
estimé qu’elles donnaient lieu à des niveaux de protectionnisme aussi élevé qu’un droit de
douane ad valorem de 40 pourcent (Tarr, 1989).

15.4.2 Les modèles endogènes de protectionnisme


Toutes les industries ne sont pas protégées contre la concurrence sur les importations, et
celles qui le sont, le sont à des degrés différents. Comment peut-on prédire quelle industrie
parviendra à obtenir la protection du gouvernement ? Des études ont tenté de répondre à
cette question en considérant le protectionnisme comme une variable endogène des
modèles visant à rendre compte de l’influence des facteurs politiques 12. Dans un de ces
modèles, Grossman et Helpman (1994) cherchent à expliquer la « vente de protection-
nisme » avec un modèle dans lequel le gouvernement est supposé maximiser une somme
pondérée des utilités de tous les citoyens et les contributions politiques des lobbyistes à la

12 Voir en particulier Findlay et Wellisz (1982) ; Mayer (1984) ; Hillman, (1982, 1989) ; Magee, Brock et Young
(1989) ; Vousden (1990) ; et Trefler (1993).
La recherche de rente 399

recherche de protectionnisme. Cette fonction objectif est très proche de celle qui résulte de
la concurrence politique dans les modèles probabilistes du vote. Et elle mène à des résul-
tats similaires en termes d’efficience des différentes situations de protectionnisme. Plus la
demande domestique pour le produit est inélastique, plus le triangle L de perte de bien-être
de la figure 15.2 sera petit. Leur modèle prévoit, alors, des droits de douane plus élevés
pour les produits avec des programmes de demande plus inélastiques. Il prévoit aussi des
tarifs douaniers plus élevés dans les secteurs où les groupes d’intérêt sont bien organisés.
Goldberg et Maggi (1999) ont vérifié empiriquement ces prédictions ainsi que
celles du modèle qui utilise des données de 1983 pour certains secteurs des États-Unis. Ils
approximent le protectionnisme par le niveau des barrières commerciales sans tarif doua-
nier et la puissance du groupe d’intérêt par la variable binaire qui capte si les contributions
de campagne d’une industrie sont inférieures ou supérieures à 100 millions $ en 1981-2.
Une étude sur le protectionnisme qui se rapproche davantage de la littérature sur
la recherche de rente est celle de Lopez et Pagoulatos (1994). Ils commencent par estimer
la taille des rectangles de la recherche de rente, R et T de la figure 15.2, qu’ils comparent
ensuite aux contributions des comités d’action politique (CAP). Ils concluent ainsi à une
relation positive et fortement significative. Plus les contributions que les CAP industriels
versent aux politiciens sont importantes, plus leurs rentes issues du protectionnisme sont
élevées.
Alors que Goldberg et Maggi (1999) ainsi que Lopez et Pagoulatos (1994) ont
établi une corrélation entre le protectionnisme effectif et les contributions des CAP, d’aut-
res études établissent une relation entre le vote des membres du Congrès sur la législation
protectionniste et les niveaux et origines des contributions qu’ils reçoivent des CAP.
Baldwin (1985, pp. 59-69) a étudié l’effet des contributions faites par les syndicats aux
membres du Congrès sur le vote de ces derniers lors du Trade Act de 1994 ; Coughlin a
étudié la même question pour l’Automotive Products Act de 1982 (loi pour l’amélioration
des conditions d’embauche dans l’industrie automobile), qui fait partie de la législation sur
le parc automobile domestique. Tosini et Tower (1987) ont analysé l’effet des contributions
faites par les groupes d’intérêt de l’industrie du textile sur les votes au congrès pour la loi
sur le textile de 1985. Ces trois études ont trouvé un effet positif et significatif de l’impor-
tance des contributions politiques des groupes d’intérêt sur la probabilité pour un membre
du Congrès de voter pour une législation protectionniste. D’autres variables significatives
de ces études mesurent l’importance des industries protégées dans la circonscription ou
dans l’État du membre du Congrès, le taux de chômage dans l’État et l’affiliation partisane
du membre du Congrès 13.
Dans la lignée d’autres études, Lopez et Pagoulatos (1994) intègrent aussi une
mesure de la concentration du secteur industriel dans leur modèle. Cet ajout peut se justi-
fier de deux manières. Premièrement, plus un secteur est concentré, plus il sera facile de
s’organiser et donc plus le lobbying sera efficace (Olson, 1965). Deuxièmement, plus un
secteur est concentré, plus il sera facile pour les producteurs de ce secteur d’augmenter les
prix et de tirer profit d’une réduction de la concurrence des producteurs étrangers. En plus

13 Voir aussi la revue des effets des contributions des CPA sur les votes des membres du Congrès dans le chapi-
tre 20.
400 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

de Lopez et Pagoulatos (1994), les études de Pincus (1975), Marvel et Ray (1983), Godeck
(1985) et Trefler (1993) ont également constaté des tarifs douaniers plus élevés dans les
secteurs à forte concentration. Caves (1976) et Finger, Hall et Nelson (1982) ont cependant
trouvé que la concentration industrielle était négativement corrélée au protectionnisme.
La même logique que celle qui prévoit une corrélation positive entre la concentra-
tion des vendeurs et le protectionnisme peut nous amener à conjecturer une corrélation
négative entre la concentration des acheteurs et le protectionnisme, ce qui a également été
observé (Pincus, 1975 ; Trefler, 1993).
L’argument d’Olson sur la relation entre faible taille des groupes et efficacité d’or-
ganisation est conforté par le fait que le secteur agricole est davantage protégé dans les pays
développés où les agriculteurs sont relativement peu nombreux que dans les pays en déve-
loppement où ils sont très nombreux (Balisacan et Roumaset, 1987). Les tarifs douaniers
généralement plus élevés dans les industries de biens de consommation appuient un peu
plus l’argument d’Olson (Baack et Ray, 1983 ; Marvel et Ray, 1983 ; Ray, 1991).
Alors que généralement les consommateurs ont tendance à être assez mal organi-
sés, les travailleurs sont souvent très bien organisés. Il n’est donc pas surprenant de cons-
tater que les tarifs douaniers ont tendance à être plus élevés dans les industries à forte
intensité de main-d’œuvre (Caves, 1976 ; Anderson, 1980 ; Saunders, 1980 ; Ray, 1981,
1991 ; Marvel et Ray, 1983 ; Dougan, 1984 ; Baldwin, 1985).
Ces études révèlent que le processus politique répond à la pression des groupes
d’intérêt en offrant du protectionnisme. Elles ne disent cependant pas si ce protectionnisme
donne lieu « uniquement » à des transferts aux industriels privilégiés ou bien s’il entraîne
des investissements qui dissipent les transferts. Dans un article fondateur, Krueger (1974,
pp. 52-4) énumère les nombreuses formes de pertes sociales qui résultent de la « vente de
protectionnisme » par le gouvernement : (1) la construction d’usines avec des capacités de
production trop importantes lorsque les licences sont attribuées en fonction des capacités
de production des usines ; (2) l’entrée d’un nombre très important de firmes qui n’attei-
gnent pas la taille optimale lorsque les licences sont allouées équitablement entre tous les
candidats ; (3) des efforts de lobbying et des pots-de-vin sous forme d’embauche de
proches des clients fonctionnaires, moins productifs que leurs revenus, dans le but d’obte-
nir des licences d’importation ; et (4) le coût de la concurrence entre les membres du
gouvernement pour obtenir les postes qui permettent de recevoir les pots-de-vin.
Krueger a proposé des mesures de rentes provenant de licences d’importation en
Inde. Son étude a révélé une perte probable de 7,3 % du revenu national en 1964. Pour le
cas turc en 1968, les licences d’importation ont engendré une perte de ressources équiva-
lente à 15 % du PNB (Krueger, 1974, pp. 55-7). Comme les calculs de Posner, ces estima-
tions sont imprécises mais n’en sont pas moins impressionnantes.
Les modèles de recherche de rente avec monopole naturel prennent comme réfé-
rence la situation où le monopole existe déjà et essaient de voir si les rentes sont intégrale-
ment dissipées. Il serait toutefois plus naturel de prendre comme point de départ une
situation de libre échange. Dans ce cas, la limitation des échanges entraînerait des pertes
représentées par le triangle d’Harberger ainsi que des investissements qui dissiperaient la
totalité de la rente. Si ces derniers sont effectivement assez importants pour dissiper l’inté-
La recherche de rente 401

gralité de la rente potentielle, alors les coûts sociaux de la recherche de rente à travers le
protectionnisme excéderont la taille du rectangle 14.

15.4.3 Les zones d’ombre qui demeurent


La littérature qui traite des politiques commerciales de manière endogène part générale-
ment de l’hypothèse que les gouvernements utilisent des politiques pour redistribuer des
revenus à certains groupes et essaie ensuite de savoir quels groupes seront ainsi favorisés
et dans quelles proportions. Dans son excellente revue de la littérature, Rodrik (1995)
soulève deux questions gênantes. Premièrement, si le but des politiques commerciales est
de redistribuer des rentes et des revenus, pourquoi les gouvernements choisissent-ils de tels
instruments politiques inefficaces plutôt que, par exemple, des transferts de revenu, des
baisses d’impôts directs ou des subventions à la production, qui s’accompagnent générale-
ment de pertes sèches moins importantes ? Deuxièmement, pourquoi les interventions des
gouvernements en matière de politiques commerciale prennent si souvent la forme de limi-
tation des échanges (droits de douane, quotas) plutôt que d’incitation à l’échange (subven-
tions aux exportations) sachant que ces dernières sont souvent supérieures aux limitations
commerciales en termes d’efficience ? Rodrik a passé en revue les quelques modèles du
choix rationnel qui se sont intéressés à ces deux questions, mais n’en a tiré aucune réponse
convaincante.
Les questions soulevées par Rodrik concernant les politiques commerciales sont
les mêmes que celles que les économistes des finances publiques se posent depuis des
années : comment se fait-il que les transferts en nature soient si courants alors qu’ils repré-
sentent un instrument de redistribution bien moins efficient que les transferts monétaires ?
Pour répondre sérieusement à ces questions, il nous faut certainement sortir du champ
restreint des modèles du choix rationnel.
Un début de réponse serait, par exemple, de s’intéresser à l’asymétrie « irration-
nelle » entre l’importance que les individus accordent à une perte de revenu et celle qu’ils
accordent à un gain d’un montant équivalent (Kahneman et Tversky, 1979, 1984). Cette
asymétrie nous amènerait à penser que les individus pourraient faire pression plus vigou-
reusement contre une perte de revenu provoquée par une expansion des importations que
pour obtenir une hausse de revenu par l’intermédiaire de subventions aux exportations. Il
y aurait comme un « effet Duesenberry » ou de cliquet des subventions. Les individus s’ha-
bituent à une subvention et font pression de manière bien plus vigoureuse contre leur
suppression que pour leur introduction. Ces régularités psychologiques correspondent
parfaitement à quelques « faits stylisés » des politiques commerciales : (1) le protection-
nisme commercial est souvent une réponse à des événements qui affectent durement
certains groupes ou secteurs comme une baisse importante des prix des biens importés ou
une récession (Kurthn 1979 ; Takacs, 1981 ; McKeown, 1983 ; Ray, 1987 ; Magee, Brock
et Young, 1989, ch. 11 ; Hansen, 1990 ; Trefler, 1993 ; Rama, 1994 ; O’Halloran, 1994) ;

14 Il est cependant possible, lorsque l’on prend comme référence une situation optimale de second rang, que la
recherche de rente puisse améliorer le bien-être comme, par exemple, en éliminant une barrière commerciale
(Bhagwati et Srinivasen, 1980 ; Bhagwati, 1982).
402 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

(2) les niveaux effectifs de protectionnisme ou d’efforts pour obtenir des aides sont positi-
vement corrélés aux taux de chômage (Takacs, 1981 ; Magee, 1982 ; Baldwin, 1985,
pp. 142-80 ; Bohara et Kaempfer, 1991 ; Schuknecht, 1991 ; Trefler, 1993 ; Das et Das,
1994) ; et (3) le phénomène de « dépendance de sentier » des restrictions commerciales. En
d’autres termes, une fois que le protectionnisme est mis en place, il a tendance à perdurer
dans le temps (Brainard et Verdier, 1997 ; Gardner et Kimbrough, 1989).
Nous attirons l’attention sur le fait qu’à partir du moment où l’on explique l’utili-
sation du protectionnisme comme instrument de redistribution, par les comportements irra-
tionnels des agents, ce sont uniquement ceux qui recherchent des compensations qui sont
irrationnels en ce sens qu’ils semblent surréagir à certains événements qui leur sont défa-
vorables. En revanche, la réponse politique à ces efforts de lobbying est parfaitement
rationnelle. Les partis au gouvernement maximisent leur chance de réélection. En effet,
comme il est difficile d’identifier et de quantifier les pertes subies par les industriels à la
suite d’événements tels qu’une baisse drastique du prix des produits importés, la mise en
place de droits de douane ou de quotas peut s’avérer être la manière la moins coûteuse
d’orienter la redistribution vers les « bons » bénéficiaires (Feenstra et Lewis, 1991).

15.5 LES AUTRES FORMES DE RECHERCHE DE RENTE


La réglementation et le protectionnisme commercial ne sont pas les seuls moyens pour le
gouvernement de jouer sur la distribution des revenus. On peut également penser aux trans-
ferts directs, qui peuvent donner lieu à des investissements visant à changer leur taille et
leur direction (Tullock, 1971d). Plus généralement, Aranson et Ordeshook (1981, pp. 81-2)
soulignent que même la production d’un bien qui présente les caractéristiques d’un bien
public, comme une autoroute, a des effets redistributifs qui peuvent influencer la décision
collective pour la fourniture de ce bien :
« Une conception plus répandue de la production correspond à l’idée qu’un
contractant se voit chargé de la construction d’une route au détriment d’autres
contractants. Un industriel en particulier reçoit un contrat de sous-traitance au
détriment des autres industriels. Certains bureaucrates sont rémunérés pour plani-
fier et superviser la construction au détriment d’autres bureaucrates ou même du
secteur privé. Ceux qui spéculent judicieusement sur la terre dans une région
particulière gagnent une plus-value au détriment d’autres spéculateurs. En
somme, un système de production d’autoroute financé collectivement possède la
principale caractéristique des biens privés : l’excluabilité ».

Tout le budget fédéral peut être considéré comme une gigantesque rente pouvant
être captée par ceux qui ont le plus d’influence politique.
On peut s’attendre à ce que les conséquences redistributives de l’activité contrac-
tuelle des gouvernements influencent le niveau des dépenses de campagnes électorales et
de lobbying, comme dans les modèles de recherche de rente. Les dépenses de campagne
électorales devraient provenir de ceux qui recherchent les contrats publics, et ces contrats
devraient revenir à ceux qui versent des contributions. Zardkoohi (1985) a établi que le
La recherche de rente 403

Tableau 15.3
Estimations des pertes de bien-être issues de la recherche de rente.

Études Pays Année Perte de bien-être


Krueger (1974) Inde 1964 7 % du PNB
Krueger (1974) Turquie 1968 15 % du PNB (secteur marchand)
Posner (1975) États-Unis Plusieurs années 3 % du PNB (réglementation)
Cowling et Mueller (1978) États-Unis 1963-6 13 % du GCP 1 (monopole privé)
Cowling et Mueller (1978) Royaume-Uni 1968-9 7 % du GCP (monopole privé)
Ross (1984) Kenya 1980 38 % du PIB (secteur marchand)
Mohammad et Whalley (1984) Inde 1980-1 25-40 % du PNB
Laband et Sophocleus (1988) États-Unis 1985 50 % du PNB
Lopez et Pagoulatos (1994) États-Unis 1987 12,5 % de la consommation domestique
1. GCP : gross corporate product (produit intérieur brut des entreprises).
Source : adaptée de Tollison (1997, Tableau 1, p. 514).

montant des contributions de campagne faites par une entreprise est positivement et signi-
ficativement corrélé à la part de la production du gouvernement achetée par les firmes et à
la nature plus ou moins réglementée du secteur d’activité où évolue la firme. Wallis (1986)
a montré que, dans les années 1930, les États de taille importante utilisaient leur avantage
numérique à la Maison Blanche pour obtenir une plus grande partie des programmes
d’aides fédérales que celle que le sénat leur accordait. Sans surprise, ceux qui travaillent
dans le gouvernement participent également à la recherche de rente. Waters et Moore
(1990) ont montré que le vote de lois favorables aux employés du secteur public est posi-
tivement corrélé au pouvoir des syndicats professionnels du public et négativement au
pouvoir des groupes d’intérêts qui s’y opposent.

15.6 QUELLE EST L’IMPORTANCE DES PERTES DE BIEN-ÊTRE


PROVENANT DE LA RECHERCHE DE RENTE ?
Les estimations des pertes sociales issues de la recherche de rente se divisent en deux caté-
gories 15.
Une première approxime les pertes sociales par les aires du rectangle du profit et
du triangle de bien-être causés par les droits de douane ou utilise d’autres variables comme
l’augmentation des dépenses gouvernementales. Ces estimations ont tendance à être relati-
vement grandes. Elles sont de l’ordre de 50 % du PIB, ce que nous montre le tableau 15.3
avec les études de Ross (1984), Mohammad et Whalley (1984), Laband et Sophocleus
(1988).
15 On peut consulter l’article de Ignacio Del Rosal (2009).
404 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Une seconde catégorie d’études utilise les dépenses effectives de lobbying. Ces
études suggèrent que les pertes sociales ne représentent qu’une infime partie des rentes en
jeu. Par exemple, Dougan et Snyder (1993) ont calculé que la réglementation fédérale
concernant le pétrole dans les années 1970 a donné lieu à une perte nette de 1,1 milliard de
dollars. Les dépenses de lobbying de l’ensemble des groupes d’intérêt concernés par cette
réglementation ont été estimées à 125 millions de dollars, soit 11 % du triangle de perte 16.
Les estimations de Goldberg et Maggi (1999) du modèle de Grossman et Helpman
mènent à des conclusions similaires. Rappelons que ce modèle suppose que le gouverne-
ment maximise une somme pondérée des utilités de tous les citoyens et des dépenses des
groupes d’intérêt. Les estimations de Goldberg et Maggi attribuent une pondération de 0,98
au bien-être des citoyens et de 0,02 à celui des groupes d’intérêt. Ces pondérations ne
semblent pas si surprenantes vu que les obstacles au commerce international aux États-Unis
sont en général plutôt faibles. Bien que la recherche de rente par des mesures protection-
nistes existent, et a les effets escomptés, ces conséquences ne sont pas si importantes.
Cependant, avant de minimiser l’inefficacité sociale de la recherche de rente, on
doit garder à l’esprit que les dépenses de ceux qui parviennent à obtenir des rentes ne sont
qu’une partie des pertes sociales issues de la recherche de rente. Aux investissements des
chercheurs de rente de l’industrie pétrolière qui gagnent le concours, il faut ajouter les
dépenses des perdants des autres secteurs qui ont tenté leur chance après avoir observé les
politiques du gouvernement dans le secteur pétrolier. De plus, les changements de richesse
engendrés par les politiques gouvernementales entraînent des investissements supplémen-
taires réalisés par ceux qui tentent d’anticiper ces changements et de profiter de cette
connaissance. Quand le département de la défense annonce la victoire de General Dyna-
mics (GD) face à Boeing dans la compétition pour un contrat portant sur un système
d’armes particulier, la réaction typique des marchés boursiers est une hausse du prix de
l’action General Dynamics et une baisse de l’action Boeing. Une personne qui détient cette
information avant qu’elle soit divulguée peut réaliser d’importants profits en bourse, même
si elle n’a pas de participation directe dans les rentes distribuées par le gouvernement. Les
investissements en information visant à anticiper les transferts de rente sont donc à ajouter
aux investissements faits pour obtenir ces transferts lorsque l’on calcule le coût total de la
recherche de rente (Hirschleifer, 1971 ; Tollison, 1989).
Ce dernier exemple nous rappelle que la recherche de rente ne concerne pas
uniquement le secteur public, et que toute tentative pour mesurer le coût total de la recher-
che de rente dans une économie nationale doit inclure les coûts de recherche de rente dans
le secteur privé. Une armée de courtiers et d’analystes existe à Wall Street ainsi que dans
toutes les grandes places boursières. Des milliards de dollars sont dépensés pour réunir des
informations sur les entreprises afin que les investisseurs puissent choisir la « bonne entre-
prise » à mettre dans leur portefeuille d’actions. Bien qu’un marché du capital efficient
diminue le coût du capital pour les firmes, seulement une petite partie des investissements
annuels réalisés par les entreprises est financée par de nouvelles émissions d’actions. Plus
de 95 % des actions échangées ne proviennent pas de nouvelles émissions. Le moindre gain
réalisé par l’achat d’actions de la « bonne compagnie » est automatiquement compensé par
une perte subie par le vendeur de l’action. Le fait que certaines compagnies remportent des
16 Voir aussi Tullock (1988).
La recherche de rente 405

rentes importantes et que ces rentes fluctuent au cours du temps entraîne d’énormes inves-
tissements monétaires et en temps de la part des agents qui tentent d’anticiper des change-
ments et d’en profiter.
Cowling et Mueller (1978) ont inclus toutes les dépenses publicitaires des entre-
prises dans leurs estimations du coût social du monopole ; or la publicité sert parfois à
informer les acheteurs de certaines caractéristiques d’un produit et améliore ainsi l’alloca-
tion des ressources. Toutes les dépenses publicitaires ne peuvent donc pas être considérées
comme une perte sociale. Mais une grande partie des publicités est simplement destinée à
redistribuer des rentes gagnées par des compagnies dans un marché donné. Une part non
négligeable de toutes les dépenses publicitaires doit être considérée comme des investisse-
ments de recherche de rente.
Cela vaut également pour une partie des dépenses en R&D ainsi que pour les hono-
raires des juristes qui assurent les droits de propriété associés à la R&D. En effet, une
grande partie des activités des juristes peut être considérée comme une recherche de rente
pure. Courbois (1991) a établi un lien entre recherche de rente et faible croissance écono-
mique. Rama (1994) a également montré que la recherche de rente via les restrictions
commerciales avait des effets néfastes sur la croissance économique en Uruguay. Plus
généralement, les preuves de la corrélation négative entre taille du secteur public et crois-
sance dans les pays développés nous montre bien le coût de la recherche de rente dans la
mesure où cette activité augmente la taille de l’État (voir la discussion du chapitre 22).
Cette observation nous fournit une autre piste que celle utilisée habituellement
pour estimer les pertes de bien-être issues de la recherche de rente. On pourrait, à partir de
la comptabilité nationale, identifier toutes les activités qui sont liées de près ou de loin à la
recherche de rente. Cela nous fournirait une liste qui ne se limiterait pas aux activités de
lobbying ou de publicité politique. Même si les analystes financiers, juristes, publicitaires,
et autres, sont indispensables à toute économie capitaliste, les rentes gigantesques générées
par une économie comme celle des États-Unis, a sans aucun doute produit un nombre
considérable de chercheurs de rente.
Pour clore ce chapitre, il serait intéressant de comparer la manière de mesurer le
coût social de la recherche de rente que nous venons de décrire avec celle de Phillips (1966)
qui a essayé, il y a déjà un moment, de mesurer « le coût social des monopoles en écono-
mie capitaliste ». Philipps a également procédé en additionnant plusieurs postes de la
compatibilité nationale mais avec des critères différents. Il comptabilisait toutes les activi-
tés économiques qui n’auraient pas été en monopole si le socialisme ne menaçait pas le
capitalisme américain. Pour l’année 1996, il a ainsi pris toutes les dépenses de défense dont
l’unique vocation était de protéger le capitalisme du communisme. Il a aussi tenu compte
de tous les revenus des juristes pour estimer le coût social du droit par l’État et producteur
de conflits. Bien que la plupart des chercheurs du Public Choice considéreraient qu’une
partie du budget de la défense sert à la fourniture d’un bien public pur, cela ne les empê-
cherait pas de penser, à l’instar d’Aranson et Ordeshook (1981), qu’une autre partie
provient de la recherche de rente. L’intégration de toutes ces dépenses augmente considé-
rablement les coûts sociaux de la recherche de rente. Sa liste finale nous donne un coût
social qui représente 50 % du PIB, ce qui correspond à la plus grande estimation de la litté-
rature sur la recherche de rente.
406 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Les apports fondateurs de Tullock (1967c) et Krueger (1974), parmi d’autres, ont été réunis dans une
anthologie sur la recherche de rente réalisée par Buchanan, Tollison et Tullock (1980).
Tollison (1982, 1997) et Nitzan (1994b) ont proposé des revues de littérature sur la recherche de
rente. Des revues de la littérature du Public Choice sur les déterminants du protectionnisme ont été
proposées par Frey (1984, ch. 2 et 3 ; 1985 en allemand ; 1985, ch. 2 et 3) ; Nelson (1988) ; Hillman
(1989) ; Magee, Brock et Young (1989) ; Rodrick (1995) ; et Magee (1997). Bhagwati et Rosen-
dorff (2001) rassemblent les apports majeurs de cette littérature.
Si l’on considère les pots-de-vin comme des transferts purs, ils ne représentent plus des activités de
recherche de rente inefficaces, mais ne font pas non plus partie des activités les plus saines.
Hillman et Ursprung (2000) montrent comment la recherche de rente qui prend la forme de corrup-
tion peut mener une nation au déclin économique. Rose-Ackerman (1978, 1999) analyse la corrup-
tion du point de vue de la théorie du Public Choice. Ses ouvrages complètent parfaitement la
littérature sur la recherche de rente (voir le chapitre 22).
On peut consulter l’article d’Ignacio Del Rosal (2009), « The Empirical Measurement of Rent-
Seeking Costs », Journal of Economic Surveys, DOI : 10.1111/j.1467-6419.2009.00621.x, pour
une synthèse récente de ces travaux.
Vornetti, P. (1990), « La théorie de la recherche de rente. Une rente pour la théorie économique »,
Analyses de la SEDEIS, n° 78, novembre, pp. 175-180.
Rapoport H. (1995), « Recherche de rente, politique commerciale et développement », Revue Fran-
çaise d’économie, X (2) : 147-185 (printemps).
Vornetti P. (1998), « Recherche de rente, efficacité économique et stabilité politique », Mondes en
Développement, tome 26, pp. 102-113.
16
LA BUREAUCRATIE

16.1 Incertitude, information et pouvoir 410


16.2 Le bureaucrate maximise son budget 412
16.3 Les extensions du modèle 416
16.4 Les hypothèses comportementales alternatives 419
16.5 Les tests empiriques 422
16.6 Le gouvernement comme Léviathan 436
16.7 Conclusion 445
408 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Le chapitre précédent a focalisé l’attention sur le côté demande des choix publics. Les
préférences des citoyens/électeurs déterminent les décisions des acteurs publics. Le
gouvernement, comme dans un pur échange marchand, est conçu comme une institution
qui n’a aucun autre objectif que de répondre et de s’ajuster aux demandes individuelles des
électeurs en matière de politiques publiques. Dans cette perspective, les individus qui
composent le gouvernement, les élus comme les candidats, ne cherchent qu’à être élus. À
cette fin, ils cherchent à séduire les électeurs et à s’imposer face aux autres candidats lors
des élections, du processus de concurrence politique. La théorie de la recherche de rente et
l’ensemble de la littérature qu’elle a suscité a commencé à introduire une autre fonction
d’objectif pour le gouvernement. Les politiciens n’agissent pas seulement pour obtenir un
maximum de suffrages. Ils peuvent aussi rechercher le plaisir et la richesse. Leurs préfé-
rences peuvent alors agir sur le résultat du processus de décision publique.
Dans ce chapitre et les suivants, nous examinerons plusieurs théories des choix
publics qui donnent au gouvernement un rôle déterminant dans la formation des politiques
publiques et le processus de révélation de la demande des citoyens. Ces chapitres dévelop-
pent ce que l’on peut appeler un modèle d’offre des choix publics.
Dans ce chapitre, seul le comportement du bureaucrate est étudié. Il s’agit de
savoir dans quelle mesure les quantités de biens publics produites par l’État traduisent, non
pas les préférences des électeurs, mais celles des bureaucrates.
Le terme « bureaucratie » a été introduit par le philosophe français Vincent de
Gournay en 1765 et a, depuis son introduction, une connotation plutôt négative (van
Creveld, 1999, p. 137). Alors que l’expression « laisser faire », aussi introduite par de
Gournay porte en elle les notions de liberté et d’efficacité, au moins aux yeux d’un certain
nombre d’économistes, le terme bureaucratie suggère un comportement routinier, contraint
et le plus généralement source d’inefficacité. Le bureaucrate serait l’antithèse iconoclaste
de l’entrepreneur sur un libre marché. Il serait l’homme conformiste assis derrière son
bureau.
Cette figure du bureaucrate oisif n’est pas celle qui est décrite et théorisée par le
sociologue Max Weber 1. La théorie de la bureaucratie de l’école des choix publics n’ex-
plique pas les comportements des bureaucrates par la culture et les valeurs du service
public et/ou la recherche de pouvoir, mais par la poursuite d’intérêts égoïstes. Le modèle
wébérien classique de bureaucratie soutient que le type purement bureaucratique d’organi-
sation administrative est « capable d’atteindre le plus haut degré d’efficacité et qu’il est,
en ce sens, le moyen connu le plus rationnel d’exercer le pouvoir sur des êtres humains »
(Weber 1978, p. 223 cité par Cheung 1997, p. 528).
L’école des choix publics soutient, au contraire, que le bureaucrate est inefficace
et profite de sa position pour tirer des profits personnels de la demande de bien publics
exprimés lors des élections.
La critique de la théorie de l’efficacité de la bureaucratie contraste avec le sens
même du mot bureaucratie qui, comme nous l’avons rappelé, est plutôt péjoratif et n’a pas
débuté avec la théorie des choix publics et les travaux de Niskanen en particulier. La litté-

1 Voir à ce sujet : Rosette, N. (1995). Max Weber et la bureaucratie, Aix : Presses Universitaires.
La Bureaucratie 409

rature anglophone avec l’ouvrage de Northcote Parkinson (1962) faisait déjà observer que
le nombre des marins de la Royal Navy avait baissé entre 1914 et 1928 de 67 % alors que
le nombre des bureaucrates du ministère de la Marine avait augmenté dans la même période
de 78 % (Parkinson, 1957, p. 7).
Cette critique s’est ensuite prolongée avec les travaux de Tullock (1965), Downs
(1967) et Niskanen (1971). Niskanen formalise en fait ce que Parkinson avait déjà constaté.
Au lieu de maximiser le nombre d’employés, les chefs de bureau cherchent à maximiser la
taille de leur budget. Ces deux approches sont équivalentes si la taille du budget est liée au
nombre d’employés, comme Staaf l’a observé pour l’enseignement aux États-Unis 2. Nous
reviendrons sur ce point au cours du chapitre.
En France, la question de l’efficacité de la bureaucratie et de son caractère plétho-
rique est omniprésente dans le débat politique et les essais des journalistes politiques,
hommes politiques et intellectuels, mais quasiment absente des recherches des économis-
tes, qui outre une veille scientifique et quelques travaux au début des années 1980 n’ont
pratiquement pas étudié les liens entre le comportement des bureaucrates et la croissance
des dépenses publiques.
Après un dépouillement des principales revues de science économique dirigées par
des économistes français, on constate, en effet, que c’est au début des années 1980 que l’on
trouve le plus de publications. Il y a l’ouvrage de Xavier Greffe publié en 1980 3 qui est
contemporain de la thèse de troisième cycle de Claude Le Pen en 1981 (Le Pen, 1981) et
d’un article publié dans la Revue d’économie politique 4 en 1981 ainsi que d’une synthèse
faite par Guy Terny et Pascal Baraduc (1982) dans cette même revue. Il y a ensuite la vieille
scientifique proposée par la revue Analyse de la SEDEIS et réalisée par Jacques Lecaillon
(1989) 5 et Jean-Dominique Lafay (1994) 6. Il y a enfin quelques articles publiés dans la
Revue économique et la Revue d’économie politique sur les comportements bureaucra-
tiques d’administrations spécifiques telle que la Banque centrale 7.
Ce faible intérêt des économistes français pour l’étude du comportement des
bureaucrates contraste avec les nombreux essais et pamphlets écrits par des journalistes ou
des fonctionnaires sur les dysfonctionnements de la bureaucratie française et ses effets sur
l’équité et la croissance nationale. On peut citer des ouvrages comme Le Mal français
d’Alain Peyrefitte (Peyrefitte, 1976) 8, Toujours plus de François de Closet (Closets,

2 Staaf a vérifié cette relation pour les États-Unis dans Staaf (1977).
3 Voir Greffe X. (1980), Analyse économique de la bureaucratie, Paris, Economica.
4 Voir Le Pen (1982) qui présente « un modèle de comportement bureaucratique ».
5 Voir Lecaillon (1989) sur la question : « Le pouvoir bureaucratique est-il sans limites ? » et Lecaillon J. (1994)
sur le thème « Bureaucratie et bien être ».
6 Voir Lafay (1994) pour la « Théorie économique de la bureaucratie : du mea culpa de Niskanen à l’examen
des faits ».
7 Consulter N’Guessan (1991) pour « un modèle de comportement bureaucratique de la Banque centrale », et
N’Guessan (1989) à propos du « système de contrôle du comportement bureaucratique de la Banque
centrale ».
8 Ce livre tente d’expliquer pourquoi certaines nations réussissent mieux que d’autres dans le domaine du déve-
loppement économique et social et livre l’expérience d’un ministre de la République sur l’ampleur du malaise
administratif français. Le Mal français est le refus des valeurs de la liberté et du pluralisme. Il est la confiance
dans la mainmorte de l’État et la méfiance vis-à-vis des entrepreneurs.
410 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

1982) 9 ou L’impuissance publique de Nicolas Baverez et Denis Olivennes (Olivennes et


Baverez, 1989, 1990).
Ce chapitre donne les bases de la théorie économique de la bureaucratie et discute
à partir d’arguments théoriques et empiriques de la thèse de l’inefficacité des comporte-
ments bureaucratiques et de sa contribution à notre compréhension du phénomène. Il
débute par une présentation de la thèse de Max Weber et l’importance qu’il accorde à la
recherche de pouvoir des bureaucrates (16.1). Il insiste, à cette occasion, sur la manière
dont l’école des choix publics ignore la notion de pouvoir et renouvelle en même temps son
analyse. Il développe ensuite le modèle de Niskanen (16.2) et les débats qu’il a suscités
(16.3, 16.4). Il expose alors une synthèse d’un certain nombre de travaux comparatifs qui
montrent que généralement la production publique est moins efficace que la production
privée (16.5). Il conclut par un modèle alternatif au modèle de Niskanen qui est le modèle
du Léviathan fiscal de Brennan et Buchanan (16.6). Dans ce modèle, l’intérêt des bureau-
crates et des hommes politiques sont convergents. La recherche de pouvoir des hommes
politiques sert la recherche de pouvoir des bureaucrates et nuit au bien-être des citoyens.

16.1 INCERTITUDE, INFORMATION ET POUVOIR


Dans son sens le plus intuitif, le mot pouvoir renvoie à la capacité ou à la possibilité de faire
quelque chose (Wagner, 1969, pp. 3-4) 10. Le quelque chose peut cependant avoir une très
grande variété de sens, chacun de ces sens renvoyant à un type de pouvoir. Le pouvoir
physique est la capacité à utiliser la force. Le pouvoir économique est la capacité à acheter
des biens. Le pouvoir politique doit être défini comme la capacité à atteindre certaines fins
à travers le processus politique. Pour observer la manière dont agit le pouvoir politique, il
faut qu’il existe des conflits d’objectifs entre individus. Si tous les membres de la société
sont en faveur de x et contre y et que x est choisi, on ne peut pas dire qu’un individu A favo-
rable à la proposition x ait exercé un pouvoir pour faire gagner A. Ce n’est que si A est le
seul à être favorable à x et que cette proposition sort victorieuse du processus politique que
l’on peut dire que A a du pouvoir.
Dans le contexte politique, Russell (1938) définit trois situations dans lesquelles
un individu peut exercer une influence : (1) en utilisant un pouvoir physique direct qui
conduit à l’emprisonnement ou à la mort, par exemple, (2) en infligeant des gains ou des
sanctions, et (3) en agissant sur l’opinion à travers le contrôle de l’éducation ou l’usage de
la propagande. Les deux premiers types de pouvoir peuvent être réunis sous la notion géné-
rale de pouvoir procédural ou instrumental. L’individu A peut rendre la proposition x victo-
rieuse parce qu’il agit dans le cadre d’une dictature et qu’il est le dictateur ou parce que la
procédure de vote lui permet de faire ce choix. Le pouvoir procédural donne ainsi à celui
qui contrôle l’agenda un rôle déterminant dans l’adoption d’une solution publique. La troi-
sième source de pouvoir donnée par Russell généralise la notion de pouvoir politique à
toutes les formes d’information : éducation, propagande et persuasion. L’information a une

9 Voir aussi du même auteur : De Closets F. (1977), La France et ses mensonges, Paris, Denoël.
10 Cette section reprend très largement le texte de Mueller (1980).
La Bureaucratie 411

valeur ou un grand pouvoir seulement en présence d’incertitude. L’incertitude crée l’exer-


cice potentiel du pouvoir. L’information fournit la possibilité de l’exercer.
Le pouvoir politique permet à une personne de faire faire quelque chose à une
autre personne qui ne voulait initialement pas le faire (Simon, 1953 ; Dahl, 1957, p. 80).
Dans le problème de la manipulation de l’agenda présenté au chapitre 5, ce n’était pas
seulement l’autorité de A qui permettait de déterminer le résultat ; mais aussi la connais-
sance de A sur les préférences des électeurs participant à la consultation et l’ignorance des
résultats du vote.
Étant donnée l’incertitude d’une partie des électeurs et la connaissance de A, A
peut conduire la collectivité à choisir z contre y, z  contre z, et finalement à imposer la
proposition x. Il est important, néanmoins, de noter que si tous les électeurs préfèrent y à x,
sauf l’électeur A, ils lui imposeraient y en votant z contre y. Leur manque d’information
comparé à A donnerait à A le pouvoir d’utiliser sa position pour manipuler l’agenda et faire
gagner sa solution préférée, c’est-à-dire x.
Revenons à la liste des sources du pouvoir de Russell. Nous pouvons constater que
c’est l’incertitude qui donne le pouvoir physique au dictateur ou au superviseur qui distri-
bue les bénéfices et les peines à ses subordonnés. Si B sait avec certitude que A lui donnera
un gain s’il fait x, alors B s’exécutera et fera x aussi longtemps qu’il est certain du pouvoir
de A. Dans une bureaucratie aucune incertitude n’existe. Le pouvoir a de l’autorité, mais
celle-ci est sans effet. Tous les employés peuvent prévoir avec certitude ce qui va se passer.
Les procédures de sanction vis-à-vis des employés sont connues du superviseur et des
employés et sont entièrement codifiées. Les réactions des acteurs sont, dans ces conditions,
parfaitement prévisibles. Dans un monde de parfaite certitude tous les individus agissent à
partir de règles et de procédures parfaitement connues (Simon, 1953, p. 72).
Ce type de situation est parfaitement décrit par le livre de Crozier (1964, 1963)
intitulé Le phénomène bureaucratique. Dans ce livre, la bureaucratie a un monopole et
opère dans un monde certain. La certitude peut cependant être rompue, notamment quand
une machine cesse de fonctionner. Cela place les employés opérant sur les machines dans
une situation de dépendance, de pouvoir. Étant donné qu’ils doivent produire une certaine
quantité de biens, ils sont pénalisés en cas de panne des machines. Ils doivent alors rattra-
per leur retard et travailler davantage pour atteindre leur objectif. Il apparaît donc que le
superviseur a moins de pouvoir que la machine sur ses employés car il n’a finalement
aucun moyen de contrôler les machines ni de savoir à quel moment elles tomberont en
panne (Crozier, 1984, pp. 98-111).
Ils peuvent aussi chercher à conserver leur pouvoir en exerçant des pressions sur
les réparateurs et en les pressant à accélérer le travail de maintenance. Ce sont alors les
réparateurs qui détiennent le pouvoir. Ils sont les seuls à pouvoir réparer les machines ;
chaque machine étant différente. De plus, la réparation apparaît comme un art et non
comme une science. La confrontation entre le superviseur et le réparateur porte sur la capa-
cité de ce dernier à prévenir les pannes. Cette capacité représente une inconnue pour le
superviseur. Ses efforts pour anticiper les pannes et contrôler le réparateur sont toujours
limités par cette incertitude, cette inconnue.
Cette situation que nous présente Crozier illustre le pouvoir de l’expert dans la
bureaucratie. Max Weber mettait déjà l’accent sur le pouvoir de l’expertise. C’est ce
412 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

pouvoir qui est au cœur des modèles discutés dans ce chapitre. Tous les modèles d’écono-
mie de la bureaucratie traitent du pouvoir comme le résultat d’une situation d’asymétrie
d’information dans un monde incertain.

16.2 LE BUREAUCRATE MAXIMISE SON BUDGET


Le bureaucrate cherche le pouvoir. L’entrepreneur cherche le profit. Pour Knight (1921), le
profit existe parce que le monde est incertain et que les hommes qui prennent des risques
et possèdent de bonnes informations perçoivent dans cette incertitude une source de gain.
Il existe ainsi une relation très ténue entre la théorie économique du profit et la théorie poli-
tique du pouvoir. Le profit et le pouvoir existent parce que l’univers est incertain et que
certains individus mieux informés peuvent l’exploiter.
Dans les firmes modernes, les informations sont collectées et transformées par les
dirigeants. Ils détiennent un pouvoir. Une grande différence entre les firmes privées et les
bureaucraties publiques est que le pouvoir du dirigeant peut être mesuré en termes moné-
taires. Le dirigeant privé fait du profit et la collecte d’information fait partie des moyens
pour identifier ces profits.
Légalement, néanmoins, les firmes privées appartiennent aux actionnaires qui sont
les bénéficiaires ultimes des profits de l’entreprise. Les dirigeants peuvent cependant cher-
cher à détourner une partie des profits qu’ils génèrent. Ils peuvent distribuer une partie de
ces profits en salaire et en bonus. Ils peuvent aussi substituer à la recherche de profit les
sureffectifs (création d’emplois), un nombre pléthorique de collaborateurs, des primes
(Williamson, 1964), la recherche de sécurité (Fisher et Hall, 1969 ; Amihud et Lev, 1981)
et la réalisation d’objectifs non marchands qui peuvent conduire la firme à se placer dans
une situation d’inefficience-X (Leibenstein, 1966 ; Comanor et Leibenstein, 1969) 11.
Beaucoup d’objectifs non marchands des dirigeants ne sont généralement pas
corrélés à la taille ou à la croissance de la taille de la firme (Baumol, 1959 ; Marris, 1964,
chapitre 2). Les grandes firmes peuvent aussi être utilisées pour justifier d’importantes
rétributions et permettre aux managers de justifier certains avantages qu’ils s’accordent.
Les firmes les plus complexes et les plus grandes sont celles où il est le plus difficile pour
les actionnaires de contrôler les dirigeants. On peut en déduire que la croissance de la taille
de la firme est un objectif qui préoccupe principalement le dirigeant parce qu’il en est le
principal bénéficiaire.
La recherche de profit n’est pas l’objectif légal ou explicite des bureaucrates dans
le secteur public. Il est toujours plus difficile pour un bureaucrate que pour un dirigeant du
privé de transformer des gains en rémunération monétaire. Les objectifs non marchands des
managers deviennent les objectifs naturels des bureaucrates publics. Parmi ces buts non
marchands, la taille et l’aversion au risque ont été les objectifs les plus étudiés. Le premier
effort systématique d’étude des comportements des bureaucrates dans le cadre de l’école

11 Voir aussi l’ouvrage en français de B. Coriat et O. Weinstein (1995), Les nouvelles théories de la firme, pour
une mise en perspective des théories contemporaines de la firme.
La Bureaucratie 413

des choix publics a été fait par William Niskanen. Nous présentons dans la section suivante
son apport 12 et les débats que son hypothèse a suscités.

16.2.1 Environnement et incitation


Une des caractéristiques des administrations publiques est que leurs extrants ont une nature
non marchande (Downs, 1967, pp. 24-25). Une administration publique ne vend pas des
marchandises à l’unité, mais des services agrégés. Même si on peut les décomposer en
plusieurs biens distincts, le contribuable achète avant tout un niveau d’activité (Niskanen,
1971, pp. 24-26).
Ainsi le ministère de la Défense produit le service de défense du territoire national
en achetant du matériel militaire et en payant des hommes pour faire ou se préparer à faire
la guerre. Le contribuable achète le service défense nationale et non les heures de chaque
militaire ou un char de combat. Ce qui lui importe, c’est d’être protégé en cas de conflit
avec un autre pays. Cette caractéristique des biens produits par l’État est à l’origine d’un
problème de supervision et de pilotage pour le ministère à qui les fonds publics sont attri-
bués. Il pose un problème de contrôle aux élus politiques et aux contribuables. Ces derniers
achètent un niveau de défense nationale mais ne peuvent contrôler uniquement le nombre
des chars et de militaires. Comment peut-on contrôler l’efficacité de la production des
services publics en l’absence de mesure de ces derniers ?
Le problème de supervision est renforcé par la nature bilatérale du monopole qui
caractérise la relation qu’entretient le bureau à son autorité de tutelle (Niskanen, 1971,
pp. 24-26). La nature même du bien vendu suffit à faire de l’acheteur de la production d’un
bureau un monopsone. Un bien public est, par définition, consommé par la collectivité tout
entière et le mandataire de la collectivité est un monopsone qui achète pour le compte de
celle-ci. Nous avons vu que l’État pouvait ne pas se contenter d’offrir des biens publics
purs. Il n’en reste pas moins qu’il demeure le seul mandataire du groupe d’intérêt qu’il
représente lorsqu’il a affaire aux bureaucrates publiques. Même si l’État agit comme
mandataire unique de toute la population ou d’un groupe d’intérêt, il n’est pas nécessaire
qu’il fasse ses achats auprès d’un unique fournisseur, bien que ce soit souvent ce qui se
produit. La raison habituelle pour laquelle on attribue à un bureau le monopole de la
production d’un service donné est d’éviter le gaspillage engendré par des doublons poten-
tiels dans la production. Bien que cet argument soit en partie juste, le fait que la plupart des
administrations publiques soient des monopoles les libère d’une pression de la concurrence
qui les contraindrait à l’efficacité et priverait l’organisme qui attribue les fonds, d’autres
sources d’information qui permettraient de juger de l’efficacité des administrations
publiques en situation de monopole. Le problème de supervision inhérent à la nature de la
production des administrations publiques s’en trouve accentué.
12 Le livre de Niskanen (1971) a été précédé par deux livres très éclairants sur la bureaucratie, dus à Gordon
Tullock (1965) et à Anthony Downs (1967). Bien qu’ils soient écrits par des économistes (Downs est un poli-
tiste), et même par deux des pères fondateurs de l’école des choix publics, ces premiers travaux ne cherchent
pas à développer une théorie, ou un modèle, de la bureaucratie dans la perspective qui est celle de cette école.
Ils utilisent plutôt les méthodes de l’analyse économique pour étudier différentes facettes des organisations
bureaucratiques, et éclairent plusieurs questions importantes à cette occasion.
414 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

L’inefficience des services produits par l’administration trouve aussi sa cause dans
le système de rémunération des bureaucrates. Alors que les dirigeants d’une société privée
peuvent prétendre à une part des profits qu’engendre une efficacité accrue, les traitements
des bureaucrates publics ne sont pas liés ou ne sont liés qu’indirectement (peut-être même
inversément selon Warren, 1975) à l’efficacité. Ainsi, les administrations publiques se carac-
térisent par un faible contrôle externe de leur efficacité et par de faibles incitations internes.
Si le bureaucrate n’est pas incité à améliorer l’efficacité de son service, quels sont
alors ses objectifs et quel lien ont-ils avec l’efficacité ? Niskanen recense les objectifs
possibles suivants d’un bureaucrate : « le traitement, les indemnités assurées par le poste,
la réputation, le pouvoir, le mécénat, la production du bureau, la gestion du change-
ment » 13. Il affirme alors que tous ces objectifs, à l’exception des deux derniers, sont liés
positivement et de manière monotone à la taille du budget.

16.2.2 Le modèle
L’administration publique se voit allouer un budget de la part de l’organisme qui gère les
fonds publics (le Congrès aux États-Unis ou l’Assemblée nationale en France). Le montant
de ce budget est une fonction positive de la production de l’administration :
B = B(Q), B  > 0, B  < 0 (16.1)
Cette fonction peut être perçue comme une fonction des avantages collectifs ou comme une
fonction d’utilité publique. Les bénéfices sont supposés augmenter, mais avec des rende-
ments décroissants à mesure que la production s’accroît.
L’administration a une fonction de coût qui augmente à taux croissant, de la même
façon que la fonction de coût d’une firme concurrentielle.
C = C(Q), C  > 0, C  > 0, (16.2)
Cette fonction de coût est seulement connue des membres de l’administration (ou d’un de
ses sous-ensembles). C’est pour cette raison qu’il existe un problème de supervision ou de
pilotage. L’organisation qui gère les fonds publics connaît la fonction des gains pour la
collectivité de la production du bien collectif (16.1), mais ne connaît pas la fonction de coût
de l’administration. Elle ne connaît que la relation qui existe entre le niveau de la produc-
tion de biens collectifs et le niveau du budget. Elle ne peut donc pas savoir si l’activité de
production de l’administration est efficace au sens de Pareto, autrement dit si les gains
publics marginaux sont égaux aux coûts publics marginaux. L’organisation qui gère les
fonds publics ne connaît que la production totale de l’administration et son budget total.
L’administration est donc libre de maximiser son budget sous la contrainte que ce budget
couvre les coûts de production. Si nous supposons que l’administration ne restitue jamais
de fonds à l’organisation qui gère les fonds publics, cette contrainte se traduit par une
égalité. La fonction d’objectif de l’organisation qui gère les fonds est alors :
O B = B(Q) + λ(B(Q) − C(Q)), (16.3)
13 Downs (1967, pp. 81-111) consacre aussi une bonne partie de son livre sur la bureaucratie à l’analyse des
objectifs du bureaucrate.
La Bureaucratie 415

Les conditions de premier ordre sont :


λ
B  (Q) = C  (Q) (16.4)
1+λ
B(Q) = C(Q) (16.5)
L’optimalité pour l’organisation qui gère les fonds publics suppose que le gain marginal
d’une unité supplémentaire de bien collectif pour lui (la collectivité) soit égal au coût
marginal pour l’administration.
B  (Q) = C  (Q) (16.6)
Le multiplicateur représente l’utilité marginale d’un assouplissement de la
contrainte budgétaire. (16.4) implique alors que B  > C  . Le budget est fixé au-delà du
point où les gains publics marginaux égalisent les coûts marginaux. Si B et C sont des fonc-
tions quadratiques, B  et C  deviennent alors des droites et nous observons des situations
semblables à celle décrite par la figure 16.1 (Niskanen, 1971, p. 47). Au lieu de demander
un budget qui permettrait de produire Q 0 et de maximiser les gains nets de l’organisation
qui gère les fonds publics, autrement dit la collectivité nationale, l’administration deman-
dera un budget plus important, compatible avec la production Q ∗ . En Q ∗ , le triangle E est
égal au triangle F. La totalité de l’accroissement du surplus du consommateur, dû à la
production des unités infra-marginales jusqu’en Q 0 , est absorbée par la différence entre les
coûts marginaux pour toutes les unités comprises entre Q 0 et Q ∗ .
Niskanen aborde aussi la possibilité que la fonction de demande de l’organisation
qui attribue les fonds publics soit si loin sur la droite (ou inélastique) que les gains margi-
naux de Q pour le bailleur de fonds deviennent nuls avant que F ne soit aussi grand que E.

Figure 16.1
La surproduction comme résultat de la stratégie des bureaucrates publics.
416 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

La contrainte selon laquelle le budget total doit couvrir les coûts totaux ne jouerait pas dans
ce cas et l’administration se contenterait alors du niveau de production qui satisferait le
bailleur de fonds. Cette situation est représentée par la fonction B  et la quantité Q sur la
figure 16.1.
La possibilité que l’organisation qui attribue les fonds publics soit satisfaite par
une certaine quantité de biens collectifs avant même que l’administration ait pu capter l’en-
semble du surplus des consommateurs qu’il est capable d’exploiter, pourrait conduire un
bureaucrate, qui maximise son budget, à proposer d’autres produits que celui dont il est le
seul responsable. Cette stratégie pourrait prendre la forme d’innovations radicales ou, plus
probablement, d’un empiètement sur les champs de compétence et d’activité d’une autre
administration ou d’une firme privée.

16.3 LES EXTENSIONS DU MODÈLE


Le pouvoir du bureaucrate d’obtenir des budgets supérieurs à ceux que les assemblées
parlementaires voudraient lui attribuer, met en évidence trois caractéristiques des situations
de marchandage décrites par Niskanen : (1) l’administration est en situation de monopole,
(2) il est le seul à connaître ses coûts et (3) il est institutionnellement autorisé à accepter ou
à refuser les propositions budgétaires. Si on lève l’une ou l’autre de ces hypothèses, on
affaiblit la position de l’administration et on renforce celle de l’organisation qui attribue les
budgets publics.

16.3.1 Les hypothèses institutionnelles alternatives


La possibilité de pouvoir faire uniquement des propositions budgétaires de type « à prendre
ou à laisser » confère au bureaucrate un pouvoir sur l’ordre du jour extrêmement important.
La tutelle ou l’organisme qui attribue les fonds publics définit les biens à financer. Il ignore
les véritables coûts de la production de ces biens. Seul le bureaucrate connaît la fonction
de coût. Le bureaucrate, en revanche, connaît bien la demande de la tutelle. Cela place le
bureaucrate dans la même situation que précédemment.
Sous ces conditions, supposons que l’administration soit contrainte de révéler son
prix par unité produite d’extrant, Q, à la tutelle qui choisit librement cette quantité, Q. Le
budget de l’administration est désormais :

B = PQ (16.7)

Avec Q = f (Q), la demande de la tutelle, connue du bureaucrate. Le bureaucrate choisira


alors un P de manière à maximiser (16.7) sous la contrainte B ≥ C(Q).
La condition de premier ordre pour ce problème est simplement :

dB dQ
=Q+P = 0, (16.8)
dP dP
La Bureaucratie 417

ce qui permet d’obtenir :


P dQ
η= = 1. (16.9)
Q dP
Si la contrainte B ≥ C(Q) n’est pas effective, le bureaucrate fixe le prix unitaire au niveau
du point où l’élasticité de la demande est égale 1. En revanche, en présence de la contrainte,
le bureaucrate choisira le prix le plus bas pour lequel le budget couvre ses coûts totaux.
Sous l’hypothèse d’un programme de demande qui prend la forme d’une droite et des coûts
marginaux constants, les différentes possibilités sont données par la figure 16.2. Avec le
coût marginal le plus bas, C L , le bureaucrate annonce le prix, P1 , pour lequel son revenu
est maximisé. Toutefois, quand le coût marginal excède P1 , le bureaucrate est forcé de
révéler son vrai coût marginal pour obtenir le plus grand budget possible, par exemple
P H = C H . Alors, quand l’administration doit déclarer un prix par unité ou un ensemble
de prix, sous le principe du « à prendre ou à laisser », son pouvoir sur la tutelle dépend de
l’élasticité de la demande de celle-ci. Si le coût marginal croise la demande dans sa partie
élastique, l’administration révélera ses coûts réels. Quand la demande pour ses services est
inélastique, le bureaucrate peut étendre son budget au-delà de ce qu’aurait préféré la tutelle,
en annonçant un prix unitaire plus élevé que son coût réel (Breton et Wintrobe, 1975 ;
Bendor, Taylor et van Gaalen, 1985) 14.
La capacité qu’a le bureaucrate à ne pas révéler ses coûts à la tutelle lui procure un
pouvoir considérable. Dans la pratique, ce pouvoir est cependant limité. Les problèmes

Figure 16.2
Les différentes options pour les bureaucrates en matière de fixation de prix.

14 Clarr (1998) donne à la tutelle l’autorité de réglementer à la fois les prix et les quantités produites par le bureau
et dérive de son modèle une politique de second rang pour la tutelle. En général, il ne peut pas obtenir encore
un résultat de premier rang parce qu’il manque de connaissance sur la fonction de coût du bureau.
418 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

d’agence peuvent être en partie levés par la cour des comptes qui a pour mission de détec-
ter et de révéler les dépenses publiques excessives et d’alerter ainsi la tutelle. Il peut égale-
ment y avoir des délateurs parmi les bureaucrates. En déclarant que P > C  (Q), le
bureaucrate court le risque d’avoir des pénalités, autrement dit une baisse de ses budgets
futurs et/ou des sanctions plus personnalisées (coupe discrétionnaire dans les budgets,
promotion, licenciement, etc.).
La sanction prévue pour annoncer un P > C  est π(P), π  > 0. Si π est défini en
unités comparables à B, alors les objectifs du bureaucrate peuvent être de maximiser la
fonction suivante :
0 = B − π(P) (16.10)
Sous ces conditions, on obtient :
P dQ
η= . = 1 − π (16.11)
Q dP
Si la contrainte B ≥ C(Q) n’est pas effective, le bureaucrate annonce un prix plus bas que
P1 , situé dans la partie inélastique du programme de demande, afin de réduire la probabi-
lité d’être sanctionné (Bendor, Taylor et van Gaalen, 1985). À partir du moment où la
tutelle peut contrôler au moins partiellement et sanctionner le bureaucrate, ce dernier est
forcé de déclarer un prix plus proche de son coût marginal réel.
Cette conclusion est renforcée si l’on suppose, comme cela est souvent le cas, que
le bureaucrate est adverse au risque. Si les bureaucrates sont adverses au risque, chaque
euro supplémentaire fournit une utilité marginale plus basse et augmente le prix des sanc-
tions anticipées ; ce qui entraîne une augmentation de la désutilité marginale. L’aversion au
risque des bureaucrates le conduira à baisser encore son prix au-delà du risque neutre
(Bendor, Taylor et van Gaalen, 1985).
À partir du moment où la tutelle peut surveiller le bureaucrate et recueillir des
informations, le pouvoir de l’administration sur la tutelle n’est plus le même comparé à la
situation initiale où l’administration connaît la fonction de demande de l’administration et
la tutelle ignore la fonction de coût de l’administration. Le pouvoir de la tutelle peut encore
être renforcé par la mise en place d’un système qui dissimule sa demande au bureaucrate.
Miller et Moe (1983) montrent comment cette situation oblige le bureaucrate à révéler ses
véritables coûts.
Enfin, le pouvoir de l’administration est affaibli par la concurrence que se livrent
les bureaucrates entre eux. Si chaque administration annonce un prix unitaire, la tutelle peut
utiliser ces informations pour comparer les offres de chaque administration et obliger les
bureaucrates à révéler la bonne information. En effet, la concurrence entre les bureaux sert
à contrôler l’activité des bureaucrates et à les forcer à déclarer des prix plus faibles 15.
Si on relâche l’une ou l’autre des hypothèses du modèle de maximisation du
budget, la thèse selon laquelle les budgets publics sont toujours excessifs n’est plus
toujours vraie.
15 McGuire, Coiner et Spancake (1979) ; Bendor, Taylor et van Gaalen (1985). Niskanen (1971, chapitres 18 à
20) focalise l’attention sur la concurrence potentielle entre les bureaux et entre les bureaux publics et les firmes
privées. C’est un moyen d’obliger les bureaucrates à être sincères.
La Bureaucratie 419

16.3.2 Négociation entre la tutelle et l’administration


Les élus sont en compétition sur la base de leur capacité à défendre les intérêts des élec-
teurs en contrôlant l’activité des bureaucrates. Les bureaucrates sont en concurrence en vue
d’obtenir une promotion et des fonds publics. Ils cherchent donc à plaire aux élus qui repré-
senteront leur tutelle. Les intérêts des deux principaux acteurs rentrent alors en conflit. La
plupart du temps, les conflits portent sur la taille des budgets et donnent lieu à des jeux de
négociation (Breton et Wintrobe, 1975, 1982 ; Miller, 1977 ; Eavey et Miller, 1984). Le
bureaucrate garde le monopole d’un certain nombre d’informations et de l’expertise. La
tutelle détient en revanche le pouvoir budgétaire. Il peut ou non, offrir des primes et/ou
sanctionner le bureaucrate. Le résultat le plus plausible, comme dans la plupart des modèles
de négociation, est le compromis. Le budget sera en dessous du budget espéré par le
bureaucrate, mais au-dessus de celui attendu par la tutelle et les électeurs.

16.4 LES HYPOTHÈSES COMPORTEMENTALES ALTERNATIVES


Migué et Bélanger (1974) ont fait remarquer qu’utiliser le budget pour augmenter la quan-
tité de biens collectifs pouvait entrer en conflit avec d’autres objectifs supposés des bureau-
crates. Weatherby (1971) suggère, par exemple, à l’instar de Williamson (1964), que
l’augmentation du nombre des bureaucrates pourrait aussi représenter un objectif pour les
bureaucrates. La poursuite d’un tel objectif aurait pour résultat d’augmenter les coûts de
production par unité d’extrant et serait interprétée comme la forme particulière d’un objec-
tif plus général qui est la maximisation de l’inefficience-X ou du budget discrétionnaire du
bureaucrate.
Chant et Acheson (1972, 1973) ont développé et testé un modèle comportemental
des banques centrales dans lequel le banquier central cherche le prestige et évite le
risque 16. Conformément à nos précédentes considérations sur le pouvoir, dans le modèle
de Chant et Anderson, le banquier central est dans le secret. Chant et Acheson testent leur
modèle en analysant le comportement de la Banque centrale au Canada. Leur modèle peut
également s’appliquer au comportement de la Banque centrale européenne.
Si le prestige ne semble pas être l’objectif majeur des administrations publiques
(telles que le ministère des Transports ou de la Santé), minimiser les risques semble bien
caractériser l’attitude des bureaucrates. Nous allons, dans les sections suivantes, préciser le
rôle de ces objectifs en présentant des modèles où les bureaucrates cherchent à éviter les
risques et/ou à maximiser leur budget discrétionnaire.

16.4.1 La maximisation du budget discrétionnaire


Dans la figure 16.3, Q représente la production d’un bureau et Y correspond à tous les
autres objectifs de l’organisme chargé d’attribuer les fonds publics, la tutelle 17. Cette orga-

16 Voir Chant et Acheson (1972, 1973) et Acheson et Chant (1973).


17 L’exposition suit l’article de Wyckoff (1990).
420 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

nisation a un budget total, B, qu’elle peut diviser entre la production de biens collectifs par
l’administration et d’autres objectifs. B B est alors la contrainte budgétaire de la tutelle.
Umax et Umin sont deux courbes d’indifférence de l’organisation qui attribue les
fonds publics. Ces courbes d’indifférence sont celles de l’électeur médian. La tutelle est
une organisation, comme une assemblée parlementaire, qui cherche à maximiser ses
chances de réélection en satisfaisant la demande du dictateur positionnel (électeur médian).
Étant donné sa contrainte budgétaire, la combinaison optimale pour les parlementaires de
Y et de Q se situe au point de tangence O.
Umin est le niveau minimum d’utilité que l’organisation qui attribue les fonds
publics tolérera avant de changer d’offreur et de fermer le bureau. La seule combinaison
quantité - budget que le bureau peut atteindre est soit au-dessus de Umin soit en dessous de
B B.
Un bureaucrate qui maximiserait la taille de son budget offrirait le niveau de
production Q z qui lui permettrait d’avoir le budget B Z  . Tous les points le long de Umin à
gauche de Z conduisent à une taille de budget plus petite, comprenant le budget discré-
tionnaire. Le budget discrétionnaire est mesuré par la distance entre un point sur la courbe
Umin et un point sur la droite représentant la contrainte budgétaire B B. Le bureau cherche

Figure 16.3
Le choix d’une administration qui maximise son budget discrétionnaire.
La Bureaucratie 421

à maximiser cet écart (budget discrétionnaire). Il va choisir alors le point S sur la


figure 16.3. En S la distance entre la contrainte B B et Umin est maximum.
Si le bureau maximise son budget discrétionnaire, le niveau de la production de
biens publics sera Q s . Si le budget discrétionnaire est nul, le coût total pour la tutelle sera
de B E  .
L’offre des bureaucrates sera néanmoins B S  . Ce surcoût s’explique par le compor-
tement des bureaucrates qui ne travaillent pas autant qu’ils le pourraient ou qui proposent
de produire le bien public Q avec une combinaison d’intrants qui n’est pas optimale – trop
de personnel et/ou des rémunérations trop élevées.
Il est aussi utile de noter que, même si Q s est la bonne quantité pour la tutelle,
l’existence du phénomène d’inefficience-X ne permet pas de produire une quantité opti-
male pour la tutelle car le coût de Q s est supérieur à ce qu’il devrait être.
Plusieurs études ont utilisé des analyses en termes de fonction de possibilité de
production ou des techniques économétriques similaires pour estimer l’efficacité relative
de la production privée ou publique de différents biens 18. Ces techniques d’estimation
utilisent des données sur les extrants et sur les coûts des différentes firmes et dessinent une
frontière des possibilités de production optimale. Sur la figure 16.3, une telle mesure serait
le ratio B E  /B E ∗ . Il représente les coûts les plus bas pour une quantité de production Q s
donnée. La plupart des études montrent que les offreurs publics sont moins efficaces que
les offreurs privés. La figure 16.3 explique théoriquement ce résultat par l’existence de
phénomènes d’inefficience-X lors de la production des biens publics. Ce n’est pas parce
que les contribuables ne consomment pas la bonne quantité de biens publics mais parce
qu’ils paient trop cher par rapport au service public rendu.

16.4.2 L’aversion au risque des bureaucrates


Les effets de l’aversion au risque des bureaucrates sur leur performance sont plus difficiles
à prédire et à mesurer. Dans la section 16.3.1, nous avons fait remarquer que l’aversion au
risque peut ramener les administrations qui maximisent leur budget à leur taille optimale.
L’aversion au risque peut aussi avoir un effet sur le type de projets pris en charge par les
bureaux et souhaités par la tutelle, dans la mesure où celle-ci peut contrôler sans coût l’ac-
tivité de toutes les administrations. Peltzman (1973) a estimé, par exemple, que l’adminis-
tration américaine des denrées alimentaires et des médicaments (Federal Drug
Administration) coûte plus de vies qu’elle n’en sauve, en retardant excessivement la certi-
fication des nouveaux médicaments. Ce résultat s’explique par la surestimation des risques
d’erreur des bureaucrates qui ne souhaitent pas prendre de risques. Ils préfèrent prendre
plus de temps pour certifier les médicaments que prendre le risque de mettre sur le marché
un médicament dangereux. Dans le même esprit, Gist et Hill (1981) ont montré que les
fonctionnaires du ministère du Logement et du Développement urbain (Department of
Housing and Urban Developement) affectent des fonds publics aux villes qui ont les projets

18 Pour des études particulières sur ce point, voir Haye et Wood (1995), Duncombe, Miner et Ruggiero (1997),
Hayes, Razzolini et Ross (1998) et Majumdar (1998).
422 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

d’investissement les moins risqués. Ils mettent ainsi en difficulté les villes qui ont les
programmes immobiliers les plus risqués parce qu’ils veulent éviter qu’on leur reproche
d’avoir prêté de l’argent public pour des projets qui n’ont pas abouti.
Lindsay (1976) propose aussi des données qui attestent l’aversion au risque des
fonctionnaires du ministère de la Santé (Veteran Hospital Administration). Ces derniers
concentrent leur budget sur des biens facilement mesurables comme les lits d’hôpitaux, le
nombre de patients soignés par jour, etc. Ils délaissent, en revanche, la qualité du service et
l’ensemble des services difficilement mesurables.
Lors de leurs études sur les Services de l’immigration et de la naturalisation (Immi-
gration and Naturalization, INS) de l’administration américaine, Davila, Pagan et Grau
(1999) font des observations similaires. Parce qu’il est plus facile de mesurer le nombre de
personnes entrant illégalement sur le territoire que de mesurer le nombre d’immigrés illé-
gaux dans un pays, l’INS consacre le gros de ses ressources à limiter l’entrée des immigrés
illégaux. Il néglige alors le travail de contrôle des immigrés qui travaillent déjà clandesti-
nement et qui pourraient être reconduits à la frontière. Tous ces exemples montrent l’im-
portance de l’information dans la bonne gestion de l’administration par la tutelle. Cette
dernière possède un certain contrôle sur la bureaucratie. Elle peut lui assigner des objectifs
et mesurer ses performances. Il lui est cependant difficile de surveiller l’ensemble des
agents de la fonction publique. Il demeure donc toujours une zone d’ombre, de pouvoir, que
le bureaucrate utilisera pour réaliser ses propres objectifs au détriment des objectifs de la
tutelle qui est censée représenter les électeurs.

16.5 LES TESTS EMPIRIQUES


Tous les modèles de bureaucraties passés en revue jusqu’à présent suggèrent que les
budgets affectés aux bureaucrates sont trop élevés parce que ces derniers ont la possibilité
de poursuivre leur propre intérêt aux dépens des attentes de l’organisation qui attribue les
fonds publics, et plus généralement des citoyens. Breton et Wintrobe (1982, pp. 96-97) ont
critiqué cette position en estimant que les bureaucrates, comme les managers des grandes
firmes, ne sont pas totalement libres de poursuivre leurs propres buts. Ils peuvent même
avoir moins de pouvoir discrétionnaire que leur collègue du secteur privé parce qu’ils
opèrent dans un contexte dans lequel une très forte concurrence pour les promotions et les
nominations existe. Le fait que les bureaucrates publics sont plus mobiles que les dirigeants
des grandes firmes suggère que, pour les bureaucrates publics, le marché est plus concur-
rentiel que pour les chefs d’entreprise. L’organisation qui attribue les fonds publics – les
assemblées représentatives et l’exécutif – est aussi dans un environnement très concurren-
tiel. Les élus doivent se présenter devant les électeurs périodiquement. Ils exercent donc
une pression sur les bureaucrates pour que ces derniers utilisent au mieux leurs compéten-
ces 19.
Alors, comme c’est souvent le cas, la question de savoir s’il y a une surproduction
de biens collectifs du fait des comportements des bureaucrates devient une question empi-
19 Pour deux défenses vigoureuses de l’efficacité du gouvernement et l’idée que la concurrence en démocratie
est un bon moyen de contrôler le travail des bureaucrates, voir Wittman (1995) et Breton (1996).
La Bureaucratie 423

rique. Cette section est consacrée à ces travaux et à l’examen des preuves qui ont été
données pour l’une ou l’autre des thèses en présence. La thèse de l’inefficacité des bureau-
craties semble plus juste que sa concurrente.

16.5.1 Les travaux sur l’explication de Niskanen


et ses alternatives proprement dites
L’analyse de l’efficacité relative des productions publiques et privées tend à soutenir la
thèse de l’inefficacité. Cela ne veut pas dire, cependant, que les thèses proposées par la
théorie économique de la bureaucratie initiée par Niskanen ont été vérifiées. Peut-être que
cette inefficacité s’explique par des raisons bien différentes. C’est pour cette raison qu’il
existe aussi une importante littérature qui cherche à vérifier les hypothèses proprement
dites sur le comportement des bureaucrates.
L’ouvrage collectif dirigé par André Blais et Stéphane Dion propose une telle véri-
fication (Blais et Dion, 1991). Les travaux suscités par l’ouvrage de Niskanen ont permis
de mieux dessiner les contours de validité de ce principe général qui, comme l’ont soutenu
Blais et Dion, peut faire l’objet d’une hypothèse forte et d’une hypothèse faible (Blais et
Dion, 1991, p. 6). L’hypothèse forte suppose que le budget est la seule variable de la fonc-
tion d’utilité du bureaucrate. L’hypothèse faible suppose que le bureaucrate souhaite géné-
ralement un budget plus important mais ce n’est pas son seul objectif et il ne fait pas
forcément un calcul de maximisation pour y arriver. Les stratégies des bureaucrates sont
alors explicables par des considérations budgétaires mais pas seulement. Les travaux
contemporains d’économie de la bureaucratie ne cherchent pas alors nécessairement à
rejeter en bloc ou à accepter le modèle de Niskanen. Il s’agit plutôt de préciser ses points
forts et ses faiblesses, afin notamment d’atténuer ce lien causal et mécanique entre compor-
tement bureaucratique et expansion du gouvernement qui échoue, notamment, à expliquer
la privatisation et la réforme du secteur public (Dunleavy, 1986).
Globalement et en accord avec l’avis de Niskanen (1991, 1994), l’hypothèse
faible de Niskanen est correcte (Blais et Dion, 1991, p. 335). Les bureaucrates dans leur
grande majorité préfèrent plus de budget que moins et, pour cette raison, ont une tendance
à demander plus de fonds pour agir (Blais et Dion, 1991, p. 356). Il s’agirait alors d’une
sorte de constante ou de stratégie de long terme des administrations. Cela ne signifie pas
que le principe du « toujours plus de budget » résume l’ensemble de la fonction objectif
du bureaucrate (Niskanen, 1991). Le fait le plus évident pour soutenir cette proposition est
l’existence de règles de formation et d’exécution des budgets. Les hommes politiques ont
conscience de l’opportunisme des bureaucrates. Ils ont, pour cela, mis en place des procé-
dures pour éviter ses conséquences. On peut discuter de leur efficacité, mais on ne peut
nier qu’elles existent et qu’elles cherchent à réaliser un certain type d’objectif (Auction,
1991).
Les difficultés de mesure de la productivité dans le secteur public viennent ensuite
accréditer la thèse selon laquelle les politiciens manquent d’informations sur la fonction de
coût des bureaucrates. Elles ne lient cependant pas formellement les deux phénomènes
(Blais et Dion, 1991, p. 358). Bélanger (1977, 1981, p. 87) utilise cet argument pour accré-
424 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

diter l’existence d’un budget discrétionnaire. Pour que le gouvernement ne finance pas
l’inefficacité, il faudrait qu’il possède des critères d’évaluation des politiques publiques et
du travail des universitaires, par exemple. Or il n’en possède pas et affecte son argent sur
un critère simple, le nombre d’étudiants inscrits. Ce qui n’a rien à voir avec un critère de
qualité.
Il est constaté, tout d’abord, qu’il n’existe pas de relations robustes entre la taille
du budget et la promotion salariale. Le bureaucrate qui maximise son budget ne le ferait
pas, dans ces conditions, pour avoir un salaire plus élevé. Il faudrait mobiliser les autres
composantes de la fonction d’utilité. Si Staaf (1977) semble vérifier l’idée que les salaires
des fonctionnaires dépendent de la taille de leur budget, Robert Young (1991) et Johnson
et Libecap (1989) sont moins optimistes. Lors de leur étude sur un large échantillon pris
aux États-Unis dans les arcanes du gouvernement fédéral, ils constatent qu’il n’y a pas de
relations positives entre les salaires des bureaucrates et la croissance de leurs budgets. Ils
concluent qu’un bureau doit plus que doubler son budget pour voir ses salaires augmenter
de 4 %. Young (1991) sur la base d’une synthèse des travaux autour de la relation entre
taille du budget et promotion salariale conclut aussi que la relation entre les deux variables
est plutôt faible. L’article de Kiewiet (1991) va aussi dans le même sens. Il est difficile,
alors, d’affirmer l’existence d’une relation entre taille du budget et salaire.
Pour expliquer cet échec on peut rappeler que les syndicats de fonctionnaires
préfèrent généralement une augmentation du nombre des fonctionnaires à une augmenta-
tion de salaire. Ils sont alors plus favorables à une baisse de la charge de travail qu’à une
amélioration des rémunérations (Spizman, 1980). Le paiement ne se fait plus par les salai-
res mais en nature. Il devient possible de soutenir que les bureaucrates ont intérêt à avoir
de gros budgets, non pas parce qu’ils en tirent un salaire élevé, mais parce qu’il est source
de prestige et de pouvoir. Cette interprétation est confortée par le fait que les salaires de la
haute fonction publique sont moins élevés que ceux des cadres dirigeants des entreprises.
Les bureaucrates ne sont pas seulement payés en nature. Ils sont aussi attirés par le prestige
de la fonction et l’importance du personnel et des ressources qu’ils peuvent contrôler. Ils
ne raisonnent pas en termes de salaire, mais en nombre de fonctionnaires sous leurs ordres.
Ils raisonnent comme des militaires. Le grade définit le nombre d’hommes commandés
(Frank, 1988). Il n’est plus étonnant, alors, de constater que la taille des budgets ne soit
corrélée au salaire puisque le fonctionnaire valorise les gains en nature (appartement de
fonction, voiture, chauffeur, bureau dans les ministères de la République, etc.).
Les travaux empiriques conduisent, de surcroît, à faire remarquer que la théorie n’a
pas intérêt à simplifier abusivement le comportement des bureaucrates en modélisant le
comportement d’un type de bureaucrate (Young, 1991, pp. 33-58) et en ignorant le rôle des
syndicats dans le pouvoir que les fonctionnaires exercent sur les hommes politiques
(Borcherding, Bush et Spann, 1977, pp. 211-228 ; Girard et Cousineau, 1994).
L’article de Young (1991) montre, en effet, que certains bureaucrates souhaitent se
maintenir le plus longtemps possible dans leur emploi, d’autres privilégient la mobilité,
d’autres enfin préfèrent s’orienter vers le secteur privé. Ceux qui effectuent des travaux de
routine cherchent à travailler le moins possible, à augmenter leur salaire, ou à obtenir des
avantages sociaux. Ceux qui exercent des fonctions de direction cherchent au contraire à
satisfaire les attentes des cabinets ministériels qui les ont nommés pour, par exemple, faire
La Bureaucratie 425

des économies budgétaires. Il existe ainsi un antagonisme entre le haut et le bas de l’échelle
administrative. Les hauts fonctionnaires sont d’ailleurs beaucoup plus mobiles que les
petits fonctionnaires et n’ont alors aucune raison d’être systématiquement attachés au déve-
loppement d’un service particulier.
L’article de Borcherding, Bush et Spann (1977, pp. 211-228 cité dans Borcherding,
1977) focalise l’attention sur l’effet du comportement des syndicats de fonctionnaires et la
pression qu’ils exercent sur le pouvoir politique pour expliquer l’existence d’un statut de la
fonction publique et plus généralement d’une organisation dotée de règles de fonctionne-
ment méthodiques et un facteur non négligeable de gonflement des budgets parce qu’elle
laisse une marge de manœuvre très faible aux hommes politiques et aux managers publics.
Ces avantages sont ensuite utilisés par les syndicats de la fonction publique pour protéger
leurs avantages et en obtenir de nouveaux.
L’efficacité de la Voice (chapitre 9) du bureaucrate est d’autant plus grande qu’il
est souvent en situation de monopole et qu’il peut ainsi bloquer de nombreuses activités
économiques essentielles à la vie d’un pays. Une grève des fonctionnaires des impôts pour-
rait, par exemple, empêcher la levée de l’impôt et le paiement des fonctionnaires. La grève
des entreprises publiques de transports à qui on a progressivement donné le monopole de
la circulation dans les grandes capitales peut bloquer l’économie d’une région et nuire
gravement au bien-être des populations, les individus organisant leur vie autour des servi-
ces publics locaux de transports collectifs. Les bureaucrates ont ainsi un pouvoir de négo-
ciation très puissant pour faire pencher les décisions publiques en leur faveur.
L’observation des comportements syndicaux des fonctionnaires corrobore assez
bien ce type de scénario. Les employés du secteur public utilisent largement leur pouvoir
de pression pour empêcher les réformes et les hommes politiques d’agir. La grève est un
moyen traditionnel de pression des syndicats. Ce n’est cependant que depuis le quatrième
trimestre de 1982 qu’un recensement global des grèves dans la fonction publique de l’État
en France est faite par les services du ministère ou du secrétariat d’État chargé de la fonc-
tion publique (voir le Rapport annuel sur la fonction publique publié à la Documentation
française). Il est possible depuis cette date de comparer les jours non travaillés dans le privé
et le public. Il y a eu en moyenne moins de journées non travaillées dans la fonction
publique que dans les autres secteurs d’activité de 1983 à 1988, mais pas proportionnelle-
ment aux effectifs salariés concernés. Dans l’ensemble de ces six années, le taux de grève
a été en moyenne de 31 journées non travaillées par an pour 100 salariés dans la fonction
publique de l’État et d’un peu moins de 9 dans les autres secteurs d’activité, soit 3,5 fois
plus dans la première que dans les secondes. Pour le secteur de la poste et des télécommu-
nications, le taux de grève y est de 65 journées non travaillées par an pour 100 salariés en
moyenne de 1983 à 1988 et de 74 sur la seule période 1986-1988. Si on fait le même calcul,
non plus uniquement pour la fonction publique de l’État mais pour les entrepreneurs et
établissements publics (SNCF, RATP, EDF - GDF, etc.), on peut conclure que sur la période
1983-1988 le taux de grève a été cinq fois plus élevé en moyenne dans le secteur public que
dans le secteur privé. Sur la période 1986-1988, il a été huit fois plus élevé (Fontaine,
1989). Tous ces résultats peuvent donner lieu à actualisation et à des études qui restent
embryonnaires en France.
426 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

L’article de Jean-Marie Cousineau et Anne-Marie Girard (1994) montre, d’une


part, que l’action des syndicats de fonctionnaires est moins importante que celle des syndi-
cats du secteur privé et, d’autre part, qu’une forte syndicalisation du personnel du secteur
public favorise la croissance des budgets. Les syndicats préfèrent plus de fonctionnaires
dans le secteur public que des fonctionnaires mieux payés. Cela est totalement en accord
avec le principe selon lequel le pouvoir politique des électeurs dépend de leur nombre. Les
fonctionnaires ont plus de poids lorsqu’ils sont nombreux. Ainsi, contrairement au marché,
en démocratie, le principe « un homme, une voix » conduit les syndicats à maximiser leur
nombre au détriment de leur rémunération, ce qui a inévitablement des effets sur la sélec-
tion à l’embauche. En effet, les individus les plus attirés par des revenus élevés et en contre-
partie un travail intensif opteront pour le privé, alors que les individus qui souhaitent
gagner correctement leur vie sans se tuer à la tâche choisiront le secteur public.
Malgré tous les efforts déployés dans ce sens, il n’existe pas de preuves intangi-
bles que le budget public excède le budget souhaité par le Parlement. Cette proposition est,
en effet, difficile à tester car le budget souhaité ou optimal n’est pas connu. On ne peut alors
que procéder par approximation. Une méthode consiste à mesurer l’écart potentiel entre le
budget réel des bureaucrates et le budget souhaité par les électeurs (16.5.2). On peut aussi
comparer les coûts financiers de la fourniture publique et privée d’un service équivalent :
électricité, transport aérien, banque, services municipaux, gestion des forêts, gestion des
hôpitaux, gestion des maisons de retraite, école publique/école privée, transport ferroviaire,
etc. (16.5.3).
L’article de R.M. Spann (1977, pp. 71-89) dans l’ouvrage édité par T.E. Borcher-
ding recensait les études sur les coûts comparés entre le privé et le public dans les princi-
paux secteurs où coexistent les deux régimes (aviation commerciale, électricité, services
d’incendie, de ramassage des ordures, santé). Il arrivait à la conclusion que, dans la majo-
rité des cas, la production privée se faisait à des coûts moindres, parfois même largement
inférieurs à la production publique. Spann (1977, pp. 100-129) montre dans le même
ouvrage, qu’entre 20 et 25 pourcent de la hausse des dépenses non fédérales aux États-Unis
sont dus à la montée du prix relatif, consécutive à l’absence totale d’amélioration de la
productivité.
Le tableau 16.1 actualise ce résultat par de nombreuses autres études sans le
contredire et en le généralisant à beaucoup de pays autres que les États-Unis.

16.5.2 Le pouvoir lié à la maîtrise de l’agenda politique


On peut commencer par exposer les études qui cherchent à tester l’hypothèse selon laquelle
le budget des bureaux publics excède le niveau optimal pour la collectivité, autrement dit
celui souhaité par le Parlement. Cette hypothèse est très difficile à tester directement car le
niveau optimal reste une notion théorique et la mesure des services publics est loin d’être
parfaite. Mais certaines situations, notamment dans l’Oregon aux États-Unis, permettent
d’avoir quelques résultats empiriques.
Dans l’Oregon, il a été possible d’évaluer l’écart entre ce qui était demandé par la
population et le niveau effectif de dépenses publiques pour l’éducation. Dans cet État des
La Bureaucratie 427

États-Unis, chaque district a un budget maximum déterminé par la loi. La direction de


l’école peut néanmoins augmenter la taille de son budget en proposant un référendum une
fois par an. Si la nouvelle proposition de budget est adoptée à plus de 50 % des voix, la
limite légale est augmentée. En cas de refus, on revient au budget défini par la loi.
La situation permet ainsi de tester l’hypothèse des motivations des bureaucrates
qui sont chargés des dépenses d’éducation dans l’Oregon. On suppose que le niveau
optimal des dépenses d’éducation est le niveau demandé par l’électeur médian. Le vote
porte sur l’ensemble des niveaux de dépenses publiques possibles.
La figure 16.4 représente l’utilité retirée par l’électeur médian des dépenses d’édu-
cation, G. G r est le niveau des dépenses affectées à l’école si le référendum échoue. Il est
du niveau du budget légal de l’année passée. G m est le niveau souhaité des dépenses par
l’électeur médian ; G b , le budget demandé par référendum par les bureaucrates. Le médian
préfère G b à G r . Cela explique pourquoi la bureaucratie peut forcer le médian à voter pour
un budget plus important que celui qu’il choisirait s’il n’était pas contraint par l’avis du
référendum.
Romer et Rosenthal (1978, 1979b, 1982) ont analysé et testé un tel modèle d’af-
fectation par référendum des budgets publics pour financer les écoles dans l’État de l’Ore-
gon. Ils prédisent les dépenses budgétaires que l’électeur médian demanderait à partir d’un
modèle d’électeur médian standard. Ils trouvent que quand le montant des budgets versés
est inférieur au niveau nécessaire pour maintenir un système scolaire viable, le référendum
conduit à des budgets scolaires toujours supérieurs de 16,5 % à 43,6 % aux budgets souhai-
tés par le médian. D’autres confirmations de l’hypothèse du modèle sont contenues dans

Électeur
médian

Figure 16.4
Les différentes options qui s’offrent au bureaucrate qui fixe l’agenda politique afin de maximiser son budget.
428 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

les données collectées pour les 64 districts de l’État de l’Oregon qui échouent soit à orga-
niser le référendum, soit à augmenter le budget initialement voté.
Quand le budget versé excède le niveau demandé par le médian, on anticipe que le
bureaucrate ne demande pas de référendum. Il s’en tient alors à son budget légal. L’éva-
luation moyenne pour ces 64 districts était supérieure à 99 % de leur budget initial 20.
Le système de budgétisation des dépenses scolaires en Oregon fournit au bureau-
crate une opportunité d’augmenter la taille du budget en exploitant le pouvoir qui lui est
accordé pour faire une proposition de type « tout ou rien » lors du référendum. Mais,
comme on l’a déjà vu plus haut, la plupart des budgets scolaires sont le résultat d’un
processus de négociation entre l’administration publique et ses tutelles.
Sur la base d’une expérience faite dans les écoles, Eavey et Miller (1984) ont
montré que l’octroi par la tutelle d’un droit à former des coalitions augmentait leur pouvoir
vis-à-vis de l’acteur qui contrôle l’ordre du jour. L’expérience d’Eavey et Miller montre
que les solutions trouvées à l’issue de la négociation se situent entre les préférences de la
tutelle et du bureaucrate qui contrôle l’ordre du jour. Fort (1988), de son côté, a trouvé que
le financement des hôpitaux par émissions obligataires non renouvelables donnait des
résultats similaires à ceux qui auraient été trouvés avec l’hypothèse de l’électeur médian.

16.5.3 Les différences de coût entre la production de services


publics et privés
Dans certains cas, la nature du service public fait qu’il est difficile pour le bureaucrate de
produire une quantité très différente de celle demandée par la communauté. Le système
scolaire ne peut pas éduquer plus d’enfants que le nombre d’inscrits. Le département de
l’assainissement ne peut pas collecter plus de déchets que la communauté n’en produit.
Dans ces situations, un membre de l’administration peut simplement tirer profit de la lati-
tude qu’il a pour rendre la contrainte budgétaire plus lâche. Il fournit la quantité de biens
publics demandée, mais à un coût supérieur à ce qu’elle devrait être. Le coût supplémen-
taire pourrait traduire des rémunérations plus élevées dans le public que dans le privé, des
effectifs plus importants pour fournir des services équivalents ou plus généralement de
l’inefficience-X.
De nombreuses études dans les années 1970-1980 ont comparé la fourniture de
biens similaires par des entreprises publiques et privées. Le tableau 16.1 résume les résul-
tats de 71 études. Seules cinq de ces études observent que les firmes publiques sont plus
efficaces que les firmes privées. Dans dix études, il n’existe pas de différences significati-
ves entre les deux. Pour 56 études, les administrations publiques sont apparues moins
performantes que les firmes privées. La production d’un bien ou d’un service par une

20 Voir aussi Filimon (1982). D’autres évidences de l’existence d’un pouvoir discrétionnaire des bureaux publics
ont été produites par Shapiro et Sonstelie (1982) qui montrent que la proposition 13 dans l’État de Californie
conduisait à mobiliser des fonds des administrations locales et les forçait à une reconduction des dépenses
publiques passées. Kress (1989) a fait une observation similaire sur ce même État de Californie dans sa propo-
sition 13.
La Bureaucratie 429

bureaucratie d’État ou par une entreprise publique entraîne des profits résiduels plus bas
et/ou des coûts plus hauts et une productivité plus basse 21.
Dans de nombreuses études comparant la production publique et privée d’un bien
ou d’un service, les firmes privées évoluent dans un contexte fortement réglementé. Les
différences entre le public et le privé peuvent alors être réduites voir éliminées par l’exis-
tence de cette réglementation. La réglementation du marché de l’électricité aux États-Unis
incite, par exemple, les offreurs à maximiser leur profit et à choisir des investissements en
capital d’équipement plutôt inefficaces 22. Pour cette raison, les comparaisons les plus
significatives proposées dans les études listées dans le tableau 16.1 sont d’autant plus perti-
nentes qu’elles proposent des comparaisons entre des entrepreneurs privés qui évoluent
dans un univers de libre marché et des entreprises publiques.
Comme nous venons de le montrer, il existe désormais une large littérature discu-
tant, d’une part, des problèmes d’agence (principal-agent) dans les firmes privées et,
d’autre part, des buts variés des managers dans les grandes firmes. Les firmes publiques
sont, elles aussi, confrontées à des problèmes d’agence. L’ignorance rationnelle entraîne les
citoyens à être de piètres contrôleurs de l’efficacité des firmes publiques lors des suffrages
électoraux. Les asymétries d’information donnent aux managers des firmes dont la
propriété est publique, un pouvoir discrétionnaire important sur les représentants du Parle-
ment. L’introduction d’un superviseur entre le Parlement et le manager de l’entreprise
publique introduit d’autres relations principal-agent et renforce l’inefficience-X et la
lâcheté de la contrainte budgétaire. Les six dernières études du tableau 16.1 trouvent que
les firmes privées sont généralement plus performantes que les firmes publiques dans des
secteurs équivalents. Une propriété publique partielle est aussi à l’origine de moins bonnes
performances. Si des firmes qui font face à la concurrence deviennent inefficaces, qu’est-
ce que l’on peut attendre d’une bureaucratie qui produit des biens qui sont difficiles à
évaluer et qui est soumise à très peu ou pas de concurrence ?
Cette littérature a sans doute justifié les politiques de privatisation initiées dans ces
années et encore d’actualité dans de nombreux pays aujourd’hui. En 1986, avait débuté en
France un des plus grands mouvements de privatisation observés dans le monde. Les
années 1980 ont, de la même manière, été l’occasion d’importantes privatisations dans le
secteur des infrastructures en Amérique du Sud et en Afrique dans tous les secteurs : eau,
transport, énergie et télécommunication (Lora et Panizza, 2002). Toutes ces expériences de
privatisation ont fait l’objet d’évaluations diverses (Villalonga, 2000 ; Alexandre et Char-
reaux, 2004) qui, selon les cas, estiment qu’elles n’ont pas eu les résultats escomptés ou le
contraire. Au débat sur l’évaluation des politiques de privatisation, se sont ajoutées les
controverses autour, d’une part, de la mise en évidence d’autres formes d’intervention de
l’État que la production en régie et, d’autre part, des conditions de la soutenabilité des
privatisations (économie politique de la privatisation, Benson, 2002 ; Tollison et Wagner,
1991 ; Facchini, 2005). Pour les néo-institutionnalistes, il s’agit de définir la nature d’un

21 Voir Vining et Boardlan (1992, tableau 2) qui proposent une importante liste d’études difficiles à trouver ou
non publiées sur le sujet. Ils trouvent des résultats similaires.
22 Voir Averch et Johnson (1962). L’étude dans le secteur de l’assurance en Allemagne de Finsinger, Hammond,
et Tapp (1985) est plus instructive pour décrire l’effet du processus de régulation en Allemagne et l’ineffica-
cité qu’elle provoque qu’un exemple d’entreprise publique moins efficace qu’une entreprise privée.
Tableau 16.1
430

Coûts et indices de productivité pour des formes d’organisation alternatives.

Auteurs et Activités Lieu/Forme d’organisation Résultats


1. Compagnie aérienne
Davies (1971, 1977, 1981) Australie Indice d’efficacité du privé 12-100 % plus élevé
Forsyth et Hocking (1980) (b) Australie une compagnie aérienne privée et une publique Performances similaires
(1964-1976)
2. Banque
Davies 1981 Australie/ Banque privée vs. Banque publique Tous les indices de productivité, de prise de risque et de
profitabilité sont en faveur de la banque privée.
Davies et Brucato (1987) Les banques publiques sont moins profitables et prennent
moins de risques.
3 Autobus et système de transport
LES

Oelert (1976) Allemagne de l’Ouest (RFA), Autobus municipal vs. Privé Coûts des services publics d’autobus 160 % plus élevés que
dans le privé
Bails (1979) Autobus scolaire dans 6 États des États-Unis Les coûts sont plus bas dans les autobus de quartiers que pour
les autobus privés.
McGuire et Van Cott (1984) Autobus scolaire dans 275 districts en Inde (1979-1980) Les autobus privés ont un coût inférieur de 12 % par rapport
aux autobus publics
Pashigian (1976) Système de transit aux États-Unis dans 117 villes (1971) Les systèmes publics ont un profit marginal et un revenu par
véhicule inférieurs.
4. Service de ramassage des ordures ménagères
Budesrechnungshoff (1972) Services publics vs. privés dans la Poste de l’Allemagne de Service public : 40-60 % plus coûteux
l’Ouest (RFA)
Hamburger Senat (1974), Fischer-Menshausen (1975) Production publique vs. Contrat privé dans les immeubles Service public : 50 % plus coûteux que dans le privé
publics en RFA.
5. Gestion de la dette
Bennett et Johnson (1980a) Service Général de la comptabilité du gouvernement vs. Les services publics du gouvernement sont 200 % plus coûteux
Équivalent en contrat privé par dollar de dette gérée.
CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES
Auteurs et Activités Lieu/Forme d’organisation Résultats
6. Électricité
Meyer (a) (1975) Firmes publiques vs. Privées, États-Unis (échantillon 60-90) Indices montrant des coûts plus élevés dans le privé.
Moore (1970) 27 offices municipaux vs. 49 firmes privées (États-Unis) Surcapitalisation et coût de production plus élevés dans le
La Bureaucratie

Spann (b) (1977b) Villes USA service public (SanAntonio, Los Angeles) vs. firmes public
privées (Dallas, San Diego) Les firmes privées
Wallace et Junk (1970) Pour différentes régions aux USA : public vs. Privé
Le coût des opérateurs publics est plus élevé de 40 à 75 % que
les opérateurs privés, ces derniers ont aussi plus de 40 %
Atkinson et Halvorsen (b) (1986) Production d’électricité aux USA (1970) d’investissement par KWh que dans le public
DiLorenzo et Robinson (b) (1982) Production d’électricité aux USA Efficacité équivalente
Peltzman (1971) 135 producteurs d’électricité aux États-Unis Efficacité équivalente
Le privé est plus efficace.
7. Protection incendie
Ahlbrandt (1973) Scottsdale, Arizona (contrat privé) vs. Seattle (municipalité Les services municipaux ont des coûts 39-88 % plus élevés par
avec un service incendie) habitant.
Pescatrice et Trapani (a) (1980) 56 compagnies électriques, USA, (1965-1970)
Les propriétaires publics ont des coûts plus bas de 24-33 %
8. Gestion de la fôret
Bundesregierung Deutschland (1976) Gestion publique vs privée en Allemagne de l’Ouest (1965- Les revenus dans les forêts privées sont plus élevés de 45 DM
1975)
Pfister (1976) Gestion publique vs. Privée dans le Land de Bande- Le coût du travail est deux fois plus élevé par unité de produit
Württemberg. dans le public que dans le privé.
9. Hôpitaux
Clarkson (1972) Échantillon d’Hôpitaux aux USA. Non lucratif vs privé Les charges administratives sont plus significatives dans les
associations à but non lucratif. Les ratios d’intrants sont plus
élevés aussi dans ces associations. Ces deux résultats montrent
que les hôpitaux privés sont plus efficaces.
Lindsay (a) (1976) Hospices privés, versus publics Coût par jour pour chaque retraité moins élevé dans les
hospices publics ; la longueur des séjours est aussi plus
grande ; il accepte enfin plus de minorité comparativement
aux hospices privés.
431
Auteurs et Activités Lieu/Forme d’organisation Résultats
432

Rushing (1974) Échantillon de 91 services hospitalier de court séjour aux USA. Substitution entre les intrants et les extrants plus lâches dans
Non lucratifs privé vs lucratifs les hôpitaux à but non lucratif.
Wilson et Jadlow (1985) Hôpitaux du gouvernement vs. Hôpitaux privés Les hôpitaux privés deviennent moins des indices d’efficacité
que les hôpitaux publics.
Becker et Sloan (b) (1985) Données pour 1979 sur 2231 hôpitaux aux USA Coûts et profitabilité similaire dans les différentes formes
d’organisation (privée, lucratif, non-lucratif, publique)
Frech (1985) Clinique USA Aucune différence de coût significative entre organisation
lucrative et non-lucrative
Tuckman et Chang (1985) Clinique État du Tennessee Aucune différence significative entre organisation lucrative et
non- lucrative
10. Immobilier
Muth (1973) Coûts de la construction dans les villes américaines, privés vs. Les agences publiques sont 20 % plus coûteuses à qualité
Publics constantes par unité (qualité des maisons)
Rechnungshof Rheinland-Pfalz (1972) Entreprise Publique vs Privée, coût de l’offre immobilière en Agence publique plus coûteuse de 20 % que les contrats privés
LES

Allemagne de l’Ouest
Schneider et Shuppener (1971) Coût de la construction publique et privée en Allemagne de Les firmes publiques ont des coûts significativement plus
l’Ouest élevés
11. Assurance
Finsinger (a) (1981) Allemagne de l’Ouest. 5 firmes publiques vs 77 firmes privées Même niveau de rentabilité et aucune différence entre les
Assurance automobile publique dans le Manitoba vs. Assurance types d’organisation
Kennedy and Mehr (1977) privée dans l’Alberta Qualité et service d’assurance privée plus meilleurs
96 Compagnies d’assurance vie Allemande, 83 compagnies
Finsinger, Hammond et Tapp (a) (1985) d’assurance automobile (1979) Les entreprises publiques ont des coûts inférieurs aux
78 Compagnies d’assurance santé entreprises cotées en bourse.
Frech (1976) Les entreprises privées ont des coûts inférieurs de 15 % par
rapport aux associations.
12. Maintenance et réparation des cargos
Bennett et Johnson (1980) (a) Compagnies d’État vs. Cargos privés et pétroliers US Navy a des coûts de 230 à 5100 % plus élevés
CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES
Auteurs et Activités Lieu/Forme d’organisation Résultats
13. Transport ferroviaire
Caves et Christensen (b) (1980) Compagnie canadienne nationale vs. Compagnie privée Aucune différence de productivité, mais compagnies
canadienne canadiennes moins efficaces avant 1965, la période de
La Bureaucratie

réglementation publique la plus importante


14. Traitement des ordures ménagères
Collins et Downes (b) (1977) 53 villes et municipalités dans le pays de Saint-Louis. Aucune différence de coût significative
Missouri/public vs. Contrats privés
Savas (1974, 1977a, 1977b, 1980), Stevens et Savas (1978). Nombreuses villes américaines (USA), municipal vs. Monopole L’offre publique est de 40-60 % plus élevée que l’offre privée,
Université de Colombia, Graduate School Business Studies privé, franchise vs. Firmes non franchisées privées mais la franchise en monopole est de seulement 5 % plus
élevée que la firme privée non franchisée.
Petrovic et Jaffee (1977)
Hirsch (1965) (b) 83 villes dans le midwestern (USA) public vs. Privé Le coût du public est de 15 % plus élevé que le coût du privé
Kemper et Quigley (1976) 24 villes et municipalités dans le pays de Saint-Louis (USA), Aucune différence de coût
Missouri public vs. Firmes privées
Kitchen (1976) 101 villes dans le Connecticut (USA) sous monopole privé vs. Coût de la firme municipale supérieur de 14-43 %, mais coût
Privée non franchisée vs. Firmes municipales du privé non franchisé plus élevé de 25-36 % par rapport à la
firme municipale
Savas (1977c) (b) 48 villes canadiennes. Firmes privées vs. municipales Offre municipale plus coûteuse que firmes privées.
Pier, Vernon, et Wicks (a) (1974) 50 organisations privées vs. 30 firmes municipales à Aucune différence significative
Minneapolis (USA)
Pommerhene (1976) 26 villes du Montana. Firmes municipales vs. Firmes privées Offre municipale plus efficace
Spann (1977b) 102 villes suisses. Firmes municipales vs. privées Coûts firmes publiques plus de 15 %
Bennett et Johnson (1979) Plusieurs villes américaines (USA) firmes municipales vs. Firmes municipales plus coûteuses de 15 %
privées
Edwards et Stevens (1978) 29 firmes privées vs. firme publique (Fairfax en Virginie) Les firmes privées sont plus efficaces.
Stevens (1978) 77 villes américaines (USA), 1975, 340 publics et privés (USA, Les prix sont plus bas de 41 % quand les contrats sont privés.
1974-1975) La productivité du travail est moins élevée lorsqu’il y a un
monopole public.
433
Auteurs et Activités Lieu/Forme d’organisation Résultats
434

15. Épargne et prêts


Nicols (1967) Épargne Californie et prêts/coopérative ou mutuelle vs. Les mutuelles opèrent avec des coûts supérieurs d’environ
Compagnies privées 30 %.
16. École – éducation
Chubb et Moe (1990) Test de niveau pour 7 000 lycéens (USA, 1982, 1984) Les lycéens du privé ont un meilleur niveau que les lycéens du
public.
17. Eau
Crain et Zardkoohi (1978) 112 Firmes/ Municipales/vs offreurs privés ; cas étudié deux Les firmes publiques sont 40 % moins productives avec un
firmes de chaque type d’organisation. ratio capital-travail supérieur de 65 % à leurs équivalents
privés. Les firmes publiques privatisées voient leur production
par salarié augmenter de 25 % par rapport aux firmes
privées, alors que les firmes privées nationalisées voient plutôt
Mann et Miksell (1976) Firmes/municipales vs. Offreurs privés (USA) leurs effectifs augmenter de 40 %.
LES

Reprend le modèle de Meyer (1975) pour le secteur


électrique, mais l’ajuste au niveau du prix des intrants : les
Morgan (1977) 143 firmes dans 6 États des États-Unis/ municipales vs. firmes publiques sont plus chères de 20 %.
Offreurs privés Le coût est plus élevé de 15 % dans les firmes publiques.
Feigenbaum et Teeples (b) (1983) 57 compagnies d’eau privées et publiques (USA, 1970)
Les performances sont équivalentes.
19. Prévisions météorologiques
Bennett et Johnson (1980a) Bureau fédéral des USA vs. Service de contrat privé. Les services du gouvernement 50 % plus coûteux.
CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES
Auteurs et Activités Lieu/Forme d’organisation Résultats
20. Firmes dans le secteur industriel
Boardman et Vining (1989) Les 500 entreprises les plus importantes des États-Unis Les firmes mixtes et d’États sont moins profitables et leur
(1983) : 419 privées, 58 publics et 23 mixtes productivité est moins élevée que dans les firmes privées.
La Bureaucratie

Funkhouser et Macavoy (1979) 100 firmes indonésiennes (1971) Taux de profit inférieur de 14 à 15 % pour les firmes
publiques ; les prix sont identiques : les coûts plus élevés.
Majumdar (1998) Mesure l’efficacité relative d’une échantillon de firmes Les firmes publiques ont des scores d’efficacité en moyenne de
indiennes (1973-1989) à partir d’une courbe enveloppe 0,64-0,66 (1.0 etant le score maximum). Les firmes mixtes
ont en moyenne un score de 0,91 alors que les firmes privées
Échantillon pour six pays et quinze industries ont une moyenne de 0,975.
Picot et Kaulmann (1989) Les sociétés privées ont des taux de profit supérieurs aux
94 firmes autrichiennes (1975-1994) compagnies d’État.
Gugler (1998) Les firmes publiques ont des taux de profit plus faibles que les
370 firmes canadiennes (1986) banques familiales et les firmes à capitaux étrangers.
Vining et Boardman (1992) Les compagnies privées sont plus profitables et efficaces que
les firmes publiques. Les firmes mixtes sont entre les deux.

(a) Le secteur public est moins coûteux ou plus efficace.


(b) Aucune différence significative dans les coûts ou l’efficacité. Toutes les études sans a et b trouvent que les firmes du secteur public ont des coûts plus élevés ou sont moins efficaces.
Source : Borchering, Pommerehne et Schneider (1982, pp. 130-133) et d’autres articles.
435
436 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

contrat optimal entre le public et le privé afin de corriger les défaillances du marché sans
propriété publique, mais par des systèmes de concession 23. Ils espèrent ainsi faire bénéfi-
cier la communauté nationale des bienfaits du privé et du public. Ils n’envisagent, ni que
ce type de contrat cumule l’inefficience du public et du privé, ni qu’il repose sur une hypo-
thèse de bienveillance des acteurs publics que la théorie des choix publics et ses applica-
tions ont amplement remise en cause.

16.6 LE GOUVERNEMENT COMME LÉVIATHAN


16.6.1 Théorie
Les modèles comportementaux des bureaucrates, initiés par Niskanen, supposent qu’il
existe une relation de marchandage entre l’organisation qui attribue les fonds publics et le
bureaucrate. Ils décrivent la situation du Congrès des États-Unis ou du Parlement français.
Dans le modèle original de Niskanen, le bureaucrate possède toutes les informations signi-
ficatives et le pouvoir. L’organisation qui attribue les fonds publics a l’argent et le pouvoir
de réduire l’offre de l’administration. Les raffinements du modèle de Niskanen consistent
à s’interroger sur la réalité du pouvoir des administrations et la possibilité de lever un
certain nombre d’hypothèses pour relativiser l’idée selon laquelle les bureaucraties sont
toujours à l’origine de budgets publics toujours supérieurs au montant demandé par les
citoyens. Dans le prochain chapitre, nous décrirons des modèles qui font l’hypothèse
inverse aux modèles inspirés par Niskanen. Dans ces modèles, tout le pouvoir est entre les
mains de l’organisation qui attribue les fonds publics.
Dans le modèle du Léviathan de Brennan et Buchanan (1980), il y a fusion, collu-
sion entre l’organisation qui attribue les fonds publics (Congrès aux États-Unis ou Parle-
ment en France) et le bureaucrate. Ces deux acteurs ont le même intérêt : exploiter le
citoyen et maximiser la taille du budget. La concurrence politique est une contrainte inef-
ficace pour le gouvernement en présence d’ignorance rationnelle des électeurs, d’incerti-
tude inhérente à la règle de la majorité et d’une collusion potentielle entre les élus (Brennan
et Buchanan, 1980, pp. 17-24).
La concurrence politique ne peut contenir la demande du gouvernement pour les
dépenses publiques. Ce qui est possible, au contraire, avec la mise en place de contraintes
constitutionnelles sur l’impôt, l’endettement et la création monétaire. Brennan et Buchanan
supposent que la seule contrainte efficace sur le gouvernement dans le long terme est la
mise en place de contraintes constitutionnelles limitant le pouvoir fiscal, de création moné-
taire et d’endettement de l’État.
Le gouvernement n’est pas bienveillant, mais intéressé (Brennan et Buchanan,
1980, p. 2). Contrairement à l’analyse traditionnelle qui suppose que les gouvernements
cherchent à augmenter un montant donné de recettes fiscales sous des contraintes d’effica-
cité et d’équité, Brennan et Buchanan supposent que les citoyens cherchent à imposer des
contraintes sur le gouvernement bureaucratique en limitant ses recettes à un niveau donné.
23 Consulter Marty et al. (2006) pour un bilan en français sur les partenariats public-privé.
La Bureaucratie 437

Pour mieux comprendre la différence entre les deux hypothèses, on peut reprendre le
modèle traditionnel d’arbitrage entre le travail et le loisir en présence d’un impôt sur le
revenu. Sur la figure 16.5, AB représente le lieu des possibilités offertes à un individu en
l’absence de tout impôt.
Un impôt idéal déplacerait vers l’origine le lieu des possibilités offertes à l’indi-
vidu, sans produire de distorsions dans son choix entre la recherche d’un gain monétaire et
les loisirs. Ce déplacement pourrait, par exemple, conduire à C D, avec un impôt portant
sur la capacité de l’individu à gagner un revenu et non seulement sur les revenus qu’il a
réellement gagnés. Si l’autorité fiscale ne peut prélever des recettes qu’au moyen de
l’impôt sur les revenus gagnés, il doit prélever le même montant de recettes, AC, en insti-
tuant un taux d’imposition effectif nettement plus élevé sur les revenus gagnés, comme
l’indique implicitement la droite des possibilités offertes, E B. S’il fallait prélever un
montant donné de recettes fiscales, comme le supposent les écrits normatifs relatifs à la
fiscalité optimale, on préférerait l’impôt dont l’assiette est la plus large, parce que U2 > U3 .
Néanmoins, si le bureaucrate désire maximiser son budget et peut imposer les
loisirs et les revenus gagnés, il n’y a aucune raison de supposer qu’il s’arrêterait à un niveau
de recettes fiscales égales à AC. Si le citoyen acceptait que son utilité soit réduite par l’au-
torité fiscale jusqu’au niveau U3 , le bureaucrate cherchant à maximiser son budget augmen-
terait suffisamment les taux d’imposition pour prélever AG. La différence entre une
définition globale et une définition restreinte du revenu ne réside pas dans le niveau de
l’utilité de l’électeur contribuable qui est associé à des recettes fiscales données, mais dans

Revenu
gagné

Loisirs

Figure 16.5
Stratégies alternatives pour taxer les revenus et les loisirs.
438 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

le montant des recettes fiscales prélevées pour un niveau d’utilité donné, dans la vision de
l’État qui en fait un Léviathan avide.
Si l’électeur se retrouvait toujours au même niveau d’utilité quelle que soit la défi-
nition de l’assiette de l’impôt, la résolution de ce problème le laisserait indifférent. Mais
Brennan et Buchanan supposent qu’il existe des limites physiques et institutionnelles qui
excluent que les taux d’imposition nominaux perçus sur un revenu donné franchissent un
certain seuil. Avec ces limites, la capacité de la bureaucratie à imposer les citoyens est plus
faible avec une définition étroite de l’assiette de l’impôt qu’avec une définition large. Un
citoyen qui anticiperait que les bureaucrates maximisent leur budget, restreindrait sa capa-
cité de le faire en enserrant dans des limites constitutionnelles les types de revenus et de
richesse susceptibles d’être imposés.
Le modèle de Brennan et Buchanan renouvelle ainsi l’analyse standard des excès
de charge fiscale par habitant parce qu’il fait correspondre aux stratégies du Léviathan
fiscal les stratégies des contribuables. Le gouvernement a intérêt à mettre en place un impôt
qui provoque peu de distorsions et exploite efficacement les sources de revenu les plus
inélastiques à l’impôt. Le contribuable, de son côté, cherche à faire pression sur le gouver-
nement pour asseoir l’impôt sur des revenus élastiques.
Le modèle de Brennan et Buchanan s’applique à d’autres aspects de la fiscalité. Il
aboutit parfois à des conclusions analogues aux modèles fiscaux d’économie normative,
mais leurs origines sont totalement différentes. Un gouvernement qui maximise sa proba-
bilité de réélection est incité à mettre en place des systèmes fiscaux spéciaux pour favori-
ser l’intérêt des groupes de pression.
Un citoyen qui écrirait une constitution fiscale, dont l’objectif serait de limiter le
pouvoir du Léviathan, imposerait des impôts aux barèmes uniques afin de limiter sa capa-
cité à discriminer les citoyens par l’impôt et d’accroître ainsi ses recettes. Il favoriserait
l’équité horizontale pour restreindre les marges de manœuvre du gouvernement et non pour
réaliser un ordre éthique idéal 24. La même logique le conduirait à préférer les impôts
progressifs aux impôts régressifs. Les barèmes fiscaux qui comportent des taux marginaux
élevés permettent, en effet, de prélever moins de recettes que les barèmes qui comportent
de faibles taux marginaux.
Le modèle du Léviathan fiscal donne aussi une justification supplémentaire en
faveur de la prescription du Wicksell selon laquelle toute proposition de dépense doit être
accompagnée d’une proposition d’impôt pour la financer. Cette prescription semble une
évidence pour assurer la transparence ou l’information des citoyens/électeurs sur les coûts
et les bénéfices d’une mesure, quand les gouvernements cherchent à maximiser leur
revenu. Elle assure aussi l’équilibre budgétaire et force les gouvernements à produire des
bénéfices publics pour mieux sécuriser leurs revenus (Brennan et Buchanan, 1980, pp. 154-
155). Les ponts et les routes doivent être construits avant que le gouvernement puisse
collecter les fonds (ou lever une taxe).
La théorie des finances publiques traditionnelles soutient que la dette et la création
monétaire supposent que les objectifs des gouvernements sont, sous l’hypothèse du Lévia-
than fiscal, de chercher toujours de nouvelles sources de revenus. Ils utilisent à cette fin

24 Des arguments similaires mais de nature plus normative sont proposés par Buchanan et Congleton (1998).
La Bureaucratie 439

tous les instruments de politiques économiques dont ils disposent, ce qui peut être dange-
reux. La règle constitutionnelle selon laquelle le budget doit être à l’équilibre et toutes les
règles qui restreignent le pouvoir de création monétaire de l’État servent à limiter ce type
de stratégies gouvernementales (Brennan et Buchanan, 1980, ch. 5, 6 et 10). Il serait même
souhaitable d’empêcher l’État de créer de la monnaie (Brennan et Buchanan, 1980, p. 130)
afin de mieux contrôler ses abus de pouvoir.
Dans le modèle de Brennan et Buchanan, les citoyens ont perdu une partie du
contrôle qu’ils devraient exercer sur le gouvernement. Ils cherchent en instituant des règles
constitutionnelles sur le gouvernement à mieux le contrôler. L’objectif de maximisation du
budget est facilité par l’ignorance rationnelle des électeurs sur l’impact de la dette, les
effets de la création monétaire et leur charge fiscal. Le pouvoir d’information du Léviathan
fiscal réapparaît ainsi avec l’illusion fiscale et l’ignorance rationnelle. De temps en temps,
il arrive, cependant, que les citoyens perçoivent que le Léviathan gouvernemental a été trop
loin dans l’exploitation de leurs richesses. Ils sortent, alors, de leur situation d’ignorance et
cherchent des solutions à ces abus de pouvoir du gouvernement. Cela explique les révolu-
tions fiscales et les brèves victoires électorales des programmes de conservatisme fiscal aux
États-Unis durant le XIXe siècle. Entre ces périodes de résistance à l’impôt, le gouverne-
ment maximise ses recettes dans la limite de ses contraintes constitutionnelles.

16.6.2 Tests empiriques - dépenses et fiscalité


gouvernementale
L’hypothèse du Léviathan fiscal suppose une certaine collusion entre les élus et les bureau-
crates. Elle estime aussi que seules les contraintes constitutionnelles sur les sources de
revenu ou le niveau des dépenses peuvent limiter la croissance de la taille de l’État. Les
travaux de Campbell (1994) proposent d’étudier la validité de cette proposition à partir
d’un cas historique (16.6.2.2).
Il peut être utile pour commencer de montrer que l’hypothèse du Léviathan fiscal
correspond bien à la dynamique des dépenses publiques dans un pays comme la France
(16.6.2.1). Nous mettrons l’accent sur tous les éléments qui peuvent conforter la thèse
d’une collusion des intérêts entre l’administration publique et le gouvernement. Il est
remarquable, tout d’abord, de constater que les bureaucrates ne sont pas en situation
d’agent au sens de la théorie de l’agence. Ils sont aussi des électeurs. Leur nombre en fait
une force politique extrêmement puissante dans un pays comme la France. Il est important,
ensuite, d’inscrire le phénomène de la fonctionnarisation de la sphère politique dans cette
problématique. Dans la plupart des démocraties, les élus sont d’anciens fonctionnaires, ce
qui a inévitablement des effets sur la dynamique des dépenses publiques et les politiques
adoptées. Il est utile, enfin, de décrire concrètement comment sont produites les lois en
France et comment progressivement le niveau technique (le bas) a pris le pas sur le niveau
politique (le haut) 25. Le système complexe de lois, de décrets, d’arrêtés ministériels et de
circulaires tend, en effet, à donner aux bureaucrates le pouvoir de modifier l’objectif de la
loi dans certains cas de servir d’autres intérêts que ceux pour lesquels la loi avait été votée.
25 On pourra consulter Facchini (1993), en français, pour une critique du modèle technocratique.
440 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

16.6.2.1 Le fait que les membres des administrations publiques soient aussi des électeurs
crée automatiquement une augmentation de la demande des services publics. La croissance
des dépenses publiques n’est plus le résultat d’un phénomène d’asymétrie d’information
mais bien d’un vote fondé sur le portefeuille. Il faut alors s’interroger sur l’orientation des
votes des acteurs du service public ainsi que sur leur taux de participation. Il est observé
dans la plupart des grandes démocraties que les agents de la fonction publique participent
plus aux élections que les agents du secteur privé. Ils ont donc un poids électoral plus fort
que leur poids en valeur absolu. Les fonctionnaires s’abstiennent donc moins que les autres.
Si les fonctionnaires orientent leurs voix vers les partis politiques interventionnistes, il est
juste d’affirmer qu’il y a un effet d’autorenforcement des dépenses publiques. Les bureau-
crates votent en faveur de politiques dépensières qui conduisent à augmenter les dépenses
publiques. Cette hypothèse trouve une confirmation dans les travaux de Borcherding, Bush
et Spann (1977) dans quatre pays sur onze avec un coefficient de 5 %, ce qui signifie que
globalement les bureaucrates votent plus à gauche de 5 %. Il est constaté aussi que lors des
référendums fiscaux aux États-Unis à la fin des années 1970, les bureaucrates étaient plus
enclins à voter contre les restrictions fiscales (Blais et Dion, 1987, p. 80). Blais et Dion
(1987, p. 81) concluent que les bureaucrates forment un électorat hétérogène, mais qu’il
existe une tendance chez eux à voter en accord avec l’intérêt de leur secteur d’emploi (Blais
et Dion, 1987, p. 81).
Les conclusions de Potvin (1994) vont dans le même sens. Sur la base d’une étude
comparative de la fonctionnarisation du personnel politique aux États-Unis, au Canada, en
Grande-Bretagne, en France, en RFA, Maryse Potvin (1994, p. 525) conclut qu’il existe
bien un effet pro-gauche de la fonctionnarisation dans les cinq démocraties étudiées. Elle
constate aussi une différenciation selon les secteurs publics. Les militaires sont plutôt à
droite. Ils soutiennent alors des candidats qui sont traditionnellement favorables aux dépen-
ses de défense. Les hauts fonctionnaires sont aussi généralement à droite. Ce phénomène
est renforcé par l’histoire politique des différentes démocraties étudiées. Il est probable, en
effet, que les bureaucrates nommés par le gouvernement ne s’engagent pas politiquement
contre les élus qui vont les nommer. Ils deviennent de droite par opportunisme et non par
conviction.
Le fait que les bureaucrates soient aussi des élus crée automatiquement une
augmentation de l’offre des services publics. Ils ne sont plus seulement des exécutants, ils
deviennent des décideurs. La question est alors de savoir si leur formation professionnelle
a un effet sur leur orientation politique et leur décision de politique publique. En France
comme en Allemagne, le nombre des bureaucrates élus est extrêmement important. Sur la
période 1980-1983, 46 % des élus au Bundestag étaient issus de la fonction publique. En
France, les élections législatives de 1981 ont porté à la députation 59,6 % de fonctionnai-
res dont 32 % d’enseignants (Blais et Dion, 1987, p. 79).
Ces élus de la fonction publique se retrouvent dans tous les partis, mais une majo-
rité appartient aux partis de gauche traditionnellement plus interventionnistes. Cela signi-
fie que la bureaucratie peut croître sans qu’aucune fonction de bien-être social ne soit
utilisée. La bureaucratie soutient sa croissance elle-même.
Ce phénomène est sans doute à l’œuvre en France, où les fonctionnaires représen-
tent entre le quart et le tiers des électeurs selon que l’on considère les sept millions d’agents
La Bureaucratie 441

publics ou les cinq millions de fonctionnaires (Rouban, 1998, p. 168, tableau 16.2). Ils
votent traditionnellement plus (moins d’abstentions) et plus souvent à gauche. Les fonc-
tionnaires de l’État sont, de surcroît, comme les agents des services publics, très hostiles
aux valeurs libérales. Rouban (1998, p. 172) propose de créer une échelle d’attitude mesu-
rant le libéralisme sur la base de plusieurs questions. Cette échelle permet de mesurer le
degré d’homogénéité et de corrélation statistique des réponses à plusieurs questions mettant
en lumière un ensemble de valeurs. L’échelle portant sur le libéralisme est composée de
questions concernant la perception de la notion de profit et des questions du type : pour
vous, le profit est quelque chose de très positif, d’assez positif, d’assez négatif, de très
négatif ? Le résultat de son enquête est résumé dans le tableau 16.3.
Ce tableau montre que l’antilibéralisme est plus affirmé dans la fonction publique
et plus particulièrement dans les catégories basses de l’administration (B et C) que chez les
salariés du secteur privé. Rouban (1998, p. 173) souhaite, cependant, nuancer son propos
en faisant remarquer que les catégories hiérarchiques jouent un rôle décisif en matière de

Tableau 16.2
Pourcentage de fonctionnaires par rapport à la population dans 21 pays développés, par échelon administratif et dans
les entreprises publiques.

Administration Administration Administration Entreprises Total secteur


Pays Année centrale étatique et locale générale non financières public
Suède 1979 2.55 12.12 14.66 1.64 16.31
Danemark 1981 2.57 8.78 11.35 1.18 12.58
Australie 1980 2.07 7.77 9.83 1.14 10.97
Royaume-Uni 1980 4.16 5.41 9.57 3.64 13.21
Norvège 1979 3.19 5.60 8.80
Nouvelle-Zélande 1981 6.86 1.52 8.38 1.96 10.35
Finlande 1979 8.11
Autriche 1979 3.85 4.25 8.06
États-Unis 1981 1.97 5.91 7.77 0.29 8.07
Belgique 1980 4.88 1.87 6.75 2.01 8.77
Islande 1980 5.49 0.93 6.42 1.24 7.65
Canada 1981 1.49 4.73 6.22 1.58 7.80
RFA 1980 1.30 4.76 6.06 1.64 7.70
France 1980 5.73
Pays-Bas 1980 2.50 2.96 5.46 0.33 5.79
Italie 1989 2.97 2.12 5.34 0.77 6.11
Suisse 1979 4.76
Luxembourg 1979 4.68
Irlande 1978 2.30 2.21 4.50 2.21 6.71
Espagne 1979 4.00
Japon 1980 1.04 2.73 3.75 0.69 4.44

Source Rowat 1990, p. 268, Tableau dressé à partir de S. Heller et A.A. Tait, (1983), Gouvernment employment and pay : some international
comparaisons, Washington, D.C. : FMI, Tableau 21, p. 41.
442 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

valeurs sociopolitiques. Il estime sur la base d’une enquête que la haute fonction publique
a intégré l’exigence de réformes de l’État et des modes de gestion. Le tableau 16.4 précise
ce point. La lecture de ces résultats montre surtout à nos yeux l’énorme écart (20 points)
entre l’élite publique et l’élite privée ainsi que les professions intermédiaires (23,1 points).

Tableau 16.3
Le libéralisme dans le secteur public et le secteur privé.

Fonction publique Dont Dont Dont Services Salariés


de l’État Catégorie A Catégorie B Catégorie C publics du secteur privé
Libéralisme – 58,5 51,9 59,3 61,5 59,3 45,4
Libéralisme + 41,5 48,1 40,7 38,5 40,7 54,6

Source Rouban (1998, p. 172).

Sur la base de ces résultats il n’est pas idéologique, dans ces conditions, de penser
qu’il existe un réel effet sur les politiques publiques de la politisation de la fonction
publique. Cette politisation de la fonction publique pose un problème de gouvernance, car
elle met en cause le principe d’autonomie fonctionnelle de l’administration et sa capacité à
élaborer des solutions aux problèmes de la société (Rouban 1998, p. 167). Elle favorise
aussi une sur-représentation de la fonction publique et une tendance à l’augmentation des
dépenses.

Tableau 16.4
Le libéralisme des agents des services publics et des salariés du secteur privé (%).

Groupes Services publics Secteur privé


Prof. Employés, Prof Employés,
Cadres Intermédiaires ouvriers Cadres intermédiaire ouvriers
Libéralisme – 46,3 61 61 26,3 37,9 51
Libéralisme + 53,7 39 38,9 73,7 62 48,9

Source : Rouban (1998).

L’étude de l’origine sociale des bureaucrates n’est pas non plus dénuée d’intérêt,
car elle permet de lier les modèles d’économie de la bureaucratie au modèle de l’électeur
médian ayant un revenu moyen. Il n’est pas impossible, en effet, que l’électeur médian soit
dans certaines démocraties comme la France, un fonctionnaire. Si les fonctionnaires sont
pour 80 % d’entre eux recrutés dans les classes moyennes comme le note Subramaniam
(2000) et que 60 % de la population appartiennent à la classe moyenne, ils deviennent dans
une certaine mesure représentatifs de la population, mais on a tendance à orienter les déci-
sions publiques vers leurs intérêts. Il est alors possible de voir se développer, comme sous
l’empire chinois, des relations entre une classe, la classe des lettrés et les diverses dynas-
ties dirigeantes qui favorisent l’émergence d’un statu quo porteur de stagnation (Subrama-
La Bureaucratie 443

niam, 2000, p. 573). En mettant au cœur du système politique une population à la culture
professionnelle routinière et conservatrice, le système électoral bloque les réformes et
empêche l’émergence d’innovations institutionnelles.
La grande force du modèle du Léviathan bureaucratique est de pouvoir s’accorder
avec une observation désormais partagée par de nombreux analystes de la vie administra-
tive de la plupart des démocraties constitutionnelles. On observe depuis l’émergence d’un
État providence que :
« Le pouvoir politique se substitue de façon croissante au pouvoir économique et
des problèmes dont la solution était auparavant laissée à l’initiative privée, relè-
vent maintenant des affaires publiques. Pressés de prendre de multiples décisions
de toutes sortes, pour lesquelles ils sont mal outillés, le Parlement et fréquemment
aussi le pouvoir exécutif s’en remettent aux bureaucrates, en tant que détenteurs
des connaissances nécessaires pour obtenir les résultats politiques désirés : en
tant que metteur en œuvre des instruments de la planification économique et
sociale là où ni le législateur ni l’exécutif ne savent exactement quels résultats
finaux sont souhaitables ; en tant qu’arbitres des conflits auxquels on demande, au
moins implicitement, de débrouiller l’écheveau inextricable des revendications et
des appréciations contradictoires, particulièrement lorsque le pouvoir législatif a
incorporé ses propres doutes et ses hésitations dans la loi » (Ehrmann, 1961,
p. 542).

Cette proposition est très instructive au sujet de la relation qu’entretiennent la


bureaucratie et les hommes politiques. Les hommes politiques ne savent ni vraiment ce
qu’ils veulent, ni ce qu’ils peuvent faire. Ils sont, pour ces raisons, strictement dépendants
des bureaucrates, mais pas au sens de la théorie du principal-agent, mais au sens où ils s’en
remettent aux bureaucrates pour élaborer les politiques publiques. L’ampleur des tâches du
centre est devenue beaucoup trop vaste pour être gérée par quelques ministres ou président
de la République, seuls dans leur cabinet présidentiel ou ministériel. Ils doivent être épaulés
dans leur mission par la bureaucratie qui est partie prenante des décisions sur les fins et les
moyens. L’origine de cette perte de pouvoir du politique au profit des bureaucrates s’ex-
plique simplement par l’avènement d’un État qui veut se substituer à la société civile et à
son système décentralisé. La conséquence de cet événement est la mise en place progres-
sive d’une relation privilégiée entre les bureaucrates et les groupes d’intérêt. Les bureau-
crates n’ont pas non plus la science infuse, ils sont obligés de collecter de l’information
pour élaborer les politiques publiques. Ils tissent alors des relations privilégiées avec les
groupes d’intérêt. Chaque ministère organise des relations et des échanges entre les groupes
d’intérêt de son secteur et son administration de tutelle.
Le modèle corporatiste est ainsi justifié par une forme de consumérisme public.
Les politiques publiques sont faites au service des usagers. Ces derniers doivent s’organi-
ser pour rendre audible leur demande. Les bureaucrates les y aident et les y encouragent en
structurant les relations entre l’offre et la demande de politique publique autour de leur
autorité. Le corporatisme est ainsi de mise, à des degrés divers selon les pays et les secteurs,
dans toutes les grandes démocraties occidentales. 1) Il sert l’objectif de connaissance des
problèmes concrets des administrations publiques. 2) Il permet aussi parfois de se déchar-
444 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

ger de la responsabilité de l’exécution sur les groupes d’intérêt bien organisés (Ehrmann,
1961, p. 545). La gestion paritaire patronat-syndicat des politiques sociales en France en
est un bon exemple. 3) Il conduit les bureaucrates à prendre l’initiative de créer des groupes
d’intérêt. Au lieu de subir la pression de groupes déjà constitués ils préfèrent organiser
l’échange et la représentativité du secteur qu’ils doivent gérer. Il existe alors une relation
de dépendance entre les groupes d’intérêt et les bureaucrates. Les services administratifs et
les groupes ont un intérêt commun au maintien d’un haut niveau d’intervention publique
parce qu’ils jouent l’un et l’autre leur survie. Les groupes d’intérêt peuvent même aller
jusqu’à vouloir influencer, clandestinement, en France du moins, la nomination (pression
sur les nominations) de tel ou tel responsable à la tête d’une administration publique
(Ehrmann, 1961, p. 551). Ils peuvent aussi proposer aux bureaucrates des hautes fonctions
de leurs secteurs d’activité. Il est possible alors d’avoir des situations dans lesquelles celui
qui réglemente une activité aujourd’hui, démissionne de la fonction publique et applique la
loi pour la société qu’il était censé réglementer. C’est la logique du pantouflage. La forma-
tion des politiques publiques en Suède, en Suisse ou en Belgique est très proche de ce
système où le Parlement ne fait qu’entériner les décisions du duo bureaucrate - groupe d’in-
térêt. Ce modèle de gouvernance était moins développé dans un pays comme la France qui
a gardé, jusqu’à la mise en place de la cinquième République, une place importante pour
les Commissions parlementaires. Depuis que la Constitution française de 1959 a limité le
pouvoir d’amendement de l’Assemblée nationale, les groupes ont, excepté certaines situa-
tions, déserté les couloirs du Parlement (Ehrmann, 1961, p. 548).
L’ensemble de ces évolutions et de ces faits confirme l’importance de la bureau-
cratie dans l’élaboration des politiques publiques et le caractère assez peu réaliste des
modèles qui théorisent la dynamique des dépenses publiques sans s’interroger sur le rôle
du bureaucrate (Bélanger 1970).
16.6.2.2 L’autre manière d’observer l’hypothèse du Léviathan fiscal est de montrer que
seules les règles constitutionnelles peuvent limiter la croissance de la taille de l’État. Camp-
bell (1994) étudie à cette fin la constitution du New Hampshire aux États-Unis. Cette cons-
titution impose un taux de l’impôt proportionnel.
La chambre basse a aussi un grand nombre de sièges, ce qui est inhabituel et la
proportion des sièges de la chambre basse par rapport à la chambre haute est très impor-
tante. Suivant l’argumentation de McCormick et Tollison (1981), cette figure de la consti-
tution du New Hampshire devrait rendre difficile sa modification par des groupes d’intérêt.
La conséquence est que le New Hampshire a l’une des assiettes fiscales les plus basses des
cinquante États des États-Unis – aucune taxe sur la consommation et un impôt sur le revenu
limité aux intérêts et aux dividendes.
Les habitants du New Hampshire approuvent les résultats de ces contraintes cons-
titutionnelles. Campbell note une augmentation de la population de cet État plus importante
que dans les États voisins. Pour reprendre l’expression de Tiebout, les citoyens ont voté
avec leurs pieds pour contraindre le Léviathan. Les habitants des États voisins ont immigré
dans l’État du New Hampshire.
Le résultat de Campbell sur le rôle déterminant des constitutions fiscales sur la
taille du gouvernement a été confirmé par l’étude de Nelson (1986). Elle trouvait que la
taille du gouvernement était une fonction négative du nombre de gouvernements locaux et
La Bureaucratie 445

positive de l’existence d’un impôt sur le revenu des personnes physiques. Si avoir un
nombre important de gouvernements locaux correspond à une structure fédérale plus forte
et des contraintes plus fortes sur les gouvernements, en raison de la concurrence intergou-
vernementale, alors Nelson confirme le modèle du Léviathan et l’efficacité des contraintes
constitutionnelles. Campbell notait aussi que l’État du New Hampshire avait un modèle de
gouvernement plus décentralisé que les États voisins comme le Vermont, le Maine et le
Massachusetts. D’autres preuves ont été avancées par Deacon (1979), Mehay (1984),
Meheay et Gonzales (1985) et Marlow (1988) pour confirmer l’effet négatif de la décen-
tralisation sur la taille des gouvernements. Plusieurs études en données transversales mon-
trent aussi que les structures fédérales sont inversement proportionnelles à la taille du
gouvernement (Cameron, 1978 ; Saunders, 1986 ; Schneider, 1986 ; Mueller et Stratmann,
2002). Oates (1985) n’a pu, en revanche, confirmer l’hypothèse du Léviathan par le biais
des données sur les structures constitutionnelles fédérales et le degré de centralisation de
l’impôt sur le revenu. La même chose a été observée par Nelson (1986) dans une analyse
sectorielle croisée sur les États des États-Unis.
Cependant, les bénéfices de la concurrence politique n’existent que si les gouver-
nements ne choisissent pas des stratégies de collusion, alors qu’ils avaient toutes les raisons
de le faire dans le modèle du Léviathan. Les accords intergouvernementaux sont un moyen
pour les États de s’étendre et de limiter la concurrence (Brennan et Buchanan, 1980,
pp. 182-183).
Dans le New Hampshire, le gouvernement utilise moins la stratégie de la collusion
intergouvernementale que les États voisins : Vermont, Maine et Massachusetts (Campbell,
1994, pp. 140-141). Grossman (1989a, b) et Grossman et West (1994) proposent des études
plus systématiques sur les États-Unis et le Canada 26.
L’ultime contrainte dans le modèle du Léviathan fiscal de Brennan et Buchanan est
la règle constitutionnelle. Le succès de la proposition 13 dans l’État de Californie pour
réduire la croissance de la taille du gouvernement en est une preuve (Shapiro et Sonstelie,
1982 ; Kress, 1989).

16.7 CONCLUSION
La grande majorité de la littérature de l’école des choix publics suppose que l’électeur est
souverain. Il domine l’État. Il est l’équivalent du consommateur sur un marché libre. Il est
l’ultime autorité dans la sphère politique.
Le mot souverain n’est cependant pas synonyme de citoyen. Historiquement, il
renvoie à une personne unique qui préside à la destinée du peuple comme un monarque.
L’État était en effet séparé du peuple qu’il dirigeait. Les citoyens servent l’État et non l’in-
verse.
Cette deuxième vision de l’État apparaît très clairement dans le modèle du Lévia-
than fiscal de Brennan et Buchanan, mais elle est aussi en partie présente dans les modèles

26 Pour une présentation plus approfondie et des preuves empiriques, voir les chapitres 10 et 21.
446 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

bureaucratiques classiques. Quel modèle explique le mieux la réalité publique dans les
différents pays du monde ?
Le modèle du citoyen souverain est probablement plus approprié pour décrire les
politiques publiques du canton suisse d’Appenzell. Le modèle du Léviathan est, en revan-
che, plus adapté pour des pays comme la France et l’Allemagne.
Les modèles de bureaucratie de Buchanan-Brennan et de Niskanen supposent l’un
et l’autre que le principal objectif des acteurs de l’État est de maximiser la taille du budget.
Le souverain et le bureaucrate sont l’un et l’autre sous l’emprise de l’appât du gain. Cette
emprise existe aussi dans le secteur privé et se traduit par la recherche d’un maximum de
richesse. Les rémunérations des dirigeants tendent, notamment, à être hautement corrélés à
la taille de la compagnie. Dans les services publics, néanmoins, les salaires des bureaucra-
tes ne sont pas liés de manière très stricte à la taille de leur bureau (Johnson et Libecap,
1989). Dans le secteur public, le bureaucrate exerce typiquement son pouvoir discrétion-
naire en créant et en saisissant les avantages qu’il peut tirer de la souplesse de son organi-
sation. Le système des écoles publiques aux États-Unis, par exemple, échoue non pas parce
qu’il n’éduque pas un grand nombre d’étudiants, mais parce qu’il leur donne une formation
de mauvaise qualité par rapport aux formations proposées par les écoles privées (Chubb et
Moe, 1990).
Il existe aussi de nombreux exemples qui montrent la lâcheté de la contrainte
budgétaire et son inefficacité. Il est évident aussi que les citoyens sont capables d’exercer
un contrôle sur le Léviathan. Hayes et Wood (1995) trouvent pour les services de police
municipaux dans l’État de l’Illinois aux États-Unis que les dérives bureaucratiques sont
faibles du fait d’une bonne information des citoyens. L’indice moyen d’efficacité pour les
polices départementales était de 0.96 sur une échelle de 0 à 1. Hayes, Razzolini et Ross
(1998) trouvent des résultats similaires pour d’autres services dans ce même État.
Duncombe, Miner et Ruggiero (1997) trouvaient que l’école publique dans l’État de New
York était d’autant plus efficace que les citoyens étaient incités à s’informer. La Proposi-
tion 13 fournit enfin un autre exemple de contrôle de la taille de l’État par les citoyens.
Des économistes comme Brennan, Buchanan ou Niskanen soutiennent que l’État
et ses bureaucrates exploitent les citoyens en utilisant leur pouvoir politique. D’autres
comme Breton (1996) et Wittman (1995) arguent que la concurrence politique dans le
système démocratique a des qualités comparables à la concurrence économique sur un
marché libre. Il n’est pas évident, alors, de savoir quel est le modèle qui décrit le mieux la
réalité. C’est évidemment une question empirique. Nous en avons présenté quelques
preuves dans ce chapitre. Nous approfondirons plus particulièrement ces points dans les
chapitres 20, 21 et 22.
Il serait injuste, cependant, de conclure ce chapitre sans faire référence à Ludwig
von Mises (1944) qui fut le premier à proposer une analyse économique de la bureaucratie.
Son livre composé de sept chapitres vise principalement à critiquer l’économie politique
socialiste, qui aurait pour principale conséquence de généraliser l’économie administrée et
de donner un rôle économique central aux bureaucrates. Il définit la bureaucratie comme
un mode de gestion applicable en différents secteurs de l’activité humaine (Mises, 1944,
2003, p. 50). Elle est un principe d’organisation administrative et de technique. Elle est la
méthode appliquée à la conduite des affaires administratives dont le résultat ne s’apprécie
La Bureaucratie 447

pas en monnaie sur le marché (Mises, 1944, 2003, p. 53). L’auteur l’oppose au système du
profit et place le débat au cœur de l’économie politique puisque le capitalisme est assimilé
au système du profit alors que le socialisme « signifie le contrôle généralisé de l’État dans
tous les secteurs de la vie privée et son pouvoir illimité dans l’organisation de la produc-
tion » (Mises, 1944, 2003, p. 14). Cette approche n’a pas fait l’objet d’importants déve-
loppements. Elle est, néanmoins, aujourd’hui l’objet d’analyses nouvelles 27 et de
perspectives prometteuses qui conduisent à penser que l’on pourrait renouveler la théorie
de la bureaucratie et la théorie du Léviathan fiscal par cette approche fondée sur la thèse de
l’impossibilité du calcul économique en l’absence de prix de marché.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Il existe de nombreuses revues de la littérature. On peut consulter Orzechowski (1977), Moe (1997),
Wintrobe (1997) et, pour une référence en français, Lafay (1994).
Le modèle du contrôle de l’Agenda politique a été approfondi par Mackay et Weaver (1981).
Dans le modèle de démocratie représentative de Breton (1974), le gouvernement est modélisé comme
un offreur en situation de monopole pour ce qui est de la production de biens collectifs comme la
défense, la police, la protection incendie et les autoroutes. Auster et Silver (1979) décrivent aussi
l’histoire de l’État comme s’il était un monopole.

27 On peut consulter Carnis (2007) pour une perspective critique de la théorie autrichienne de la bureaucratie de
Mises, ou Carnis (2010) pour une théorie de la bureaucratie inspirée du modèle de Niskanen et de l’approche
de Mises.
17
POUVOIR LÉGISLATIF,
ADMINISTRATION, EXÉCUTIF
ET POUVOIR JUDICIAIRE

17.1 Le modèle de la suprématie de l’assemblée législative 450


17.2 Les effets de l’incertitude et des coûts de transaction 453
17.3 L’Assemblée et le président 455
17.4 L’Assemblée, le président et le pouvoir judiciaire 462
17.5 La prise de décision législative dans l’Union européenne 465
17.6 Conclusions 468
450 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Dans le modèle politique fondé sur la recherche de rentes, abordé dans le chapitre 15, les
politiciens achètent et vendent les lois aux groupes d’intérêt. La production de la loi est un
marché sur lequel les rentes sont achetées et vendues. Les questions du pouvoir discrétion-
naire de l’administration sont ignorées. L’assemblée législative assure un contrôle total. Le
contraste est fort avec le premier modèle de bureaucratie abordé dans le chapitre précédent,
où le pouvoir législatif est à la merci complète d’une administration toute-puissante. Les
deux types de modèle sont, bien sûr, des cas antithétiques exposés pour illustrer certaines
caractéristiques du processus politique. Dans ce chapitre, nous examinerons plus particu-
lièrement la relation entre l’organe législatif et les administrations chargées de mettre en
œuvre les politiques initiées par l’assemblée. Nous considérerons également le rôle parti-
culier joué par le chef de l’exécutif dans des systèmes présidentiels, comme celui des États-
Unis, ainsi que le rôle du pouvoir judiciaire. Nous commencerons par l’examen d’un
modèle qui renverse complètement la relation de pouvoir telle que Niskanen la conçoit
dans son modèle de bureaucratie 1.

17.1 LE MODÈLE DE LA SUPRÉMATIE DE L’ASSEMBLÉE


LÉGISLATIVE
17.1.1 La domination de l’Assemblée sur la structure
administrative
Supposons que, comme dans le modèle de la recherche de rentes, chaque membre de l’as-
semblée législative cherche à se faire réélire en offrant des lois à ses électeurs et aux
groupes d’intérêts qui lui apportent leurs soutiens, notamment financiers. Cependant, il ne
peut, à lui seul, produire la législation que ses électeurs ou ses soutiens veulent. Il doit tout
d’abord convaincre une majorité de ses collègues de l’Assemblée de voter en faveur de ses
propositions de lois, puis il doit s’assurer que l’administration chargée de les mettre en
œuvre le fera dans le sens qui correspond aux souhaits de ses électeurs. La première diffi-
culté pourrait être résolue si l’assemblée législative était organisée comme un marché sur
lequel chaque législateur pouvait acheter les votes dont il a besoin pour les lois qu’il désire.
Mais ce n’est pas le cas : au lieu d’acheter ou de négocier des votes, les membres de l’As-
semblée peuvent seulement conclure des accords ; et ceux-ci sont potentiellement vulnéra-
bles du fait des parlementaires qui masquent ou dénaturent leurs préférences, qui ne
respectent pas leurs promesses ou qui produisent des votes cycliques, etc 2.
Weingast et Marshall (1988) soutiennent que le Congrès américain a conçu une
structure organisationnelle qui permet de résoudre à la fois le problème de s’assurer que les

1 Les modèles présentés dans ce chapitre s’inspirent de l’exemple institutionnel américain mais peuvent être
adaptés à toute configuration constitutionnelle.
2 Voir Mueller (1967), Park (1967), et la discussion sur les échanges entre les parlementaires (logrolling) dans
le chapitre 5.
Pouvoir législatif, administration, exécutif et pouvoir judiciaire 451

accords sont respectés, et le problème de leur acceptation par l’administration. En particu-


lier, en constituant simultanément des commissions qui proposent des lois et surveillent
ceux chargés de leur mise en œuvre, mais aussi des commissions de représentants qui ont
des intérêts forts associés aux lois traitées par chaque commission, le Congrès peut créer
une structure institutionnelle qui attribue le droit d’initier et de bloquer les lois aux
membres du Congrès qui peuvent le plus tirer profit de ce droit. De plus, le processus par
lequel les différences entre les versions des projets de loi de l’exécutif et du Sénat sont réso-
lues dans les commissions paritaires, donne aux membres des commissions à l’initiative de
la loi le pouvoir de s’assurer que les accords passés ne tombent pas à l’eau par la suite.

« Au lieu d’échanges de vote, les législateurs, dans le système des commissions,


institutionnalisent un échange d’influence en ce qui concerne les droits pertinents.
Au lieu d’appels d’offre pour les votes, les législateurs offrent des sièges dans des
commissions en relation avec des domaines politiques précieux pour leur réélec-
tion. Contrairement au choix politique dans le contexte d’un marché des votes, les
négociations législatives institutionnalisées par le système des commissions sont
nettement moins en proie à des problèmes d’exécution a posteriori. »
(Shepsle et Weingast, 1987, p. 148)

Les commissions du Congrès peuvent user du « pouvoir du portefeuille » qu’ils


contrôlent pour discipliner les organismes qui leur rendent des comptes. Puisque les
membres des commissions ont de forts intérêts dans la mise en œuvre des lois, les problè-
mes de passager clandestin pour rassembler les informations et contrôler le comportement
des administrations sont atténués. De plus, les membres des commissions peuvent souvent
compter sur leurs électeurs pour contrôler à leur place les activités des administrations. Par
exemple, si le ministère de l’Agriculture ne s’occupe pas des fermiers laitiers de la manière
dont le Congrès voudrait qu’ils soient traités, alors les fermiers laitiers s’en rendront
compte et ils seront incités à « tirer la sonnette d’alarme » qui permettra de faire connaître
leurs griefs aux commissions du Congrès qui gèrent le budget du ministère 3.
La validation empirique du modèle de la suprématie du Congrès américain est
fournie par beaucoup d’études qui ont trouvé une relation significative entre la nomination
dans une commission d’un membre du Congrès et les sommes d’argent fédéral circulant
dans sa circonscription. Les lois à visée électoraliste (pork-barrel) viennent tout de suite à
l’esprit quand on pense aux membres du Congrès vendant les lois. Par exemple, l’adhésion
au House Public Works Committee augmente réellement la part de favoritisme local dans
les budgets fédéraux alloués (Ferejohn, 1974). Mais l’élu peut aussi bénéficier du fait de se
trouver dans différentes commissions : des finances qui examine les recettes et/ou les
dépenses, de l’agriculture, des services armés, des services banquiers et monétaires, ou
encore d’autres commissions (Goss, 1972 ; Strom, 1975 ; Arnold, 1979 ; Holcombe et
Zardkoohi, 1981 ; Rich, 1989 ; Cohen et Noll, 1991 ; Alvarez et Saving, 1997 ; Kroszner

3 Voir McCubbins et Schwartz (1984). Cependant, un trop grand nombre de « fausses alertes » pourrait détruire
l’efficacité de ce moyen de contrôle (Lupia et McCubbins, 1994).
452 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

et Stratmann, 1998) 4. Si les électeurs de sa circonscription sont favorables à des dépenses


fédérales plus faibles, l’adhésion à des commissions de surveillance peut aussi servir à
maîtriser le budget des administrations.
Plusieurs études ont examiné l’influence du Congrès sur les politiques de régula-
tion de la Commission fédérale du commerce et du ministère de la Justice. Là aussi, les
membres des commissions en question – dites commissions « chien de garde » – semblent
être capables d’influencer les projets proposés par le gouvernement et le choix de la
commission qui les traitera. Au moins dans quelques secteurs, le Congrès semble être en
mesure d’obtenir des administrations publiques qu’elles fassent ce qu’il leur ordonne 5.

17.1.2 La suprématie du Congrès sur la procédure


administrative
Les études de McCubbins, Noll et Weingast (1987, 1989) – appelées « McNollgast » par la
suite – ont développé une variante quelque peu différente du modèle initial de la supréma-
tie du Congrès de Weingast, Moran et Marshall. La structure de base du modèle est encore
celle de la relation entre le principal et l’agent. Cependant, l’accent est mis sur le pouvoir
qu’a le Congrès de contrôler les administrations gouvernementales en définissant les procé-
dures administratives qui encadrent leur fonctionnement. Par exemple, en exigeant qu’un
organisme annonce une règle ou un changement de politique bien avant sa mise en appli-
cation, le Congrès veille à ce que les groupes d’intérêt concernés aient amplement le temps
de présenter des arguments pour ou contre ceux-ci. De même, en exigeant qu’un organisme
tienne des audiences publiques sur un possible changement de politique avant qu’il soit mis
en œuvre, le Congrès s’assure que les groupes d’intérêt ont une légitimité pour exposer
leurs arguments. Le modèle McNollgast fait également valoir que le problème principal-
agent, auquel le Congrès fait face en fournissant la législation à ses électeurs, est résolu
dans une certaine mesure par les électeurs eux-mêmes qui contrôlent les organismes qui les
concernent. Pour autant, le modèle McNollgast diffère du reste de la littérature sur la
suprématie du Congrès, en soulignant que celui-ci doit contrôler les administrations
gouvernementales « de front » par son autorité à définir les procédures administratives en
vertu desquelles celles-ci doivent fonctionner. Le Congrès rédige le contrat qui contraint les
agents administratifs. Ce contrat n’inclut pas seulement une définition étendue des objec-
tifs et des budgets pour réaliser ces objectifs, mais aussi les procédures administratives
détaillées qui veillent à ce que l’administration ne soit pas dans la capacité de s’éloigner de
ses objectifs en établissant son propre agenda.

4 Pour des contre-arguments et des témoignages, voir Rundquist et Griffith (1976), Rundquist (1978) et Kreh-
biel (1991).
5 Voir Faith, Leavens et Tollison (1982) ; Weingast et Moran, 1983 ; Coate, Higgins et McChesney (1990) ;
Vachris (1996) ; et le recueil d’essais dans Mackay, Miller et Yandle (1987). Eisner et Meier (1990) critiquent
cependant l’importance de l’influence du Congrès.
Pouvoir législatif, administration, exécutif et pouvoir judiciaire 453

17.2 LES EFFETS DE L’INCERTITUDE ET DES COÛTS


DE TRANSACTION
Bien que les preuves et arguments en faveur du modèle de suprématie du Congrès soient
suffisamment persuasifs pour que l’on écarte au moins la version la plus rigide du modèle
bureaucratique du chapitre précédent, il reste quelques questions à considérer dans la rela-
tion entre le pouvoir législatif et l’administration qu’elle a sous son contrôle. Pourquoi, par
exemple, le Congrès des États-Unis doit-il parfois adopter une législation très générale,
comme dans le domaine des politiques de concurrence, laquelle semble donner un pouvoir
considérable aux organismes de réglementation pour des actions discrétionnaires, et pour-
quoi dans d’autres cas, comme certaines législations environnementales, spécifie-t-il des
critères très précis ? Pourquoi les réglementations sont-elles parfois contrôlées par des
organismes gouvernementaux comme l’administration fédérale et, à d’autres moments, par
les tribunaux ? Dans cette section, nous examinerons deux séries de réponses qui ont été
données à ces questions.

17.2.1 L’incertitude et la question de la responsabilité


Comme déterminant de la forme que prend la législation, Fiorina (1982a) a insisté sur l’im-
portance de l’incertitude pour une part des membres du Congrès concernant les effets possi-
bles d’une partie de la législation. Deux exemples peuvent illustrer cette idée de l’influence
de l’incertitude.
Supposons, par exemple, que les représentants des États producteurs de coton et
ceux redevables de contributions de campagne électorale aux intérêts du coton, cherchent
à rembourser leurs débiteurs au travers d’une législation qui leur soit favorable. Un droit
de douane à l’importation du coton aura un effet direct et mesurable sur la richesse des
producteurs de coton et constitue donc, pour les représentants qui établissent le droit de
douane, un moyen d’échange immédiat. La forme préférée de législation est un droit de
douane avec un taux précis fixé par le Congrès.
Considérons, comme autre exemple, la législation de 1887 qui est à l’origine de la
création de l’Interstate Commerce Commission (ICC) dans le but de réguler les transports
ferroviaires et le Sherman Antitrust Act voté en 1890. Les deux furent des réponses à la
vague d’insurrections populaires de la fin du XIXe siècle, et avaient des bénéficiaires
ciblés : les travailleurs, les agriculteurs, les petites entreprises et vraisemblablement les
consommateurs. Mais il devait y avoir une incertitude considérable chez les membres du
Congrès concernant à la fois les impacts réels des lois sur les bénéficiaires visés ainsi que
les coûts politiques futurs des perdants probables de la législation (les transports ferroviai-
res et autres grands trusts). Des lois vagues, mais administrées par les organismes directe-
ment sous contrôle du Congrès, donnent à celui-ci l’opportunité d’adapter la législation au
fil du temps par son contrôle sur la ICC et sur le ministère de la Justice 6.
6 L’analyse de Libecap (1992) sur la promulgation de la loi Sherman est conforme au modèle de Fiorina fondé
sur les intérêts économiques. L’anlayse, par Poole et Rosenthal’s (1993), du vote de la loi sur le commerce
entre États, implique, toutefois, que c’est l’idéologie d’un député qui a déterminé son vote et non les intérêts
économiques de ses électeurs.
454 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

17.2.2 Incertitude, coûts de transaction et engagement


Les articles examinés jusqu’ici, de Niskanen en passant par le modèle McNollgast, contien-
nent des modèles mettant essentiellement en jeu deux acteurs : une assemblée législative et
une administration. Moe (1990a, b) et Horn (1995) ont ajouté à la représentation du fonc-
tionnement politique un troisième acteur : les futures législatures. Leur travail, comme celui
de Fiorina, Weingast et les autres, souligne à la fois l’incertitude sur l’avenir auquel les
législateurs doivent faire face et les coûts de transaction supportés pour obtenir des admi-
nistrations la mise en œuvre des lois conformes à leurs attentes. Mais Moe et Horn portent
aussi l’attention sur le problème de l’engagement que doivent prendre les législateurs au
moment où ils promulguent des lois. Même s’ils peuvent dominer les administrations aussi
fermement que le supposent les modèles de suprématie du Congrès, comment peuvent-ils
prévoir que les futures législatures puissent défaire les négociations faites aujourd’hui ?
En fournissant une réponse à cette question, Horn développe un modèle d’interac-
tion entre assemblée et administration qui introduit toutes les caractéristiques des modèles
examinés jusqu’à présent. Lorsque le Congrès établit un texte de loi, il doit (1) décider s’il
y a lieu d’écrire une loi générale et vague ou bien claire et précise ; (2) appliquer la loi par
le biais du secteur privé, d’une administration gouvernementale, ou d’une entreprise appar-
tenant à l’État ; (3) si on choisit le secteur privé, surveiller la mise en œuvre de la loi par
un organisme de réglementation ou par les tribunaux ; (4) déterminer quelles procédures
administratives régiront le comportement des organismes de réglementation ou des bureau-
craties publiques ; (5) définir les règles de la fonction publique qui régiront l’embauche, le
licenciement et la promotion de ceux qui travaillent dans ces organismes ; etc. Étant donné
les incertitudes que ces choix impliquent et les relations sous-jacentes en termes de princi-
pal-agent, le Congrès est confronté à un problème extrêmement complexe d’optimisation
chaque fois qu’il établit une législation importante. D’un autre côté, comme le décrit Horn,
le Congrès dispose d’un arsenal de mécanismes de contrôle qu’il peut manipuler à sa guise
pour atteindre le résultat souhaité pour des coûts minimes.
Pour illustrer la richesse de la théorie de Horn, examinons le rôle qu’il octroie aux
règles de la fonction publique. Imaginons que soit élue une assemblée qui est beaucoup
moins attachée à la protection de l’environnement que les assemblées précédentes ayant
adopté la loi de protection de l’environnement et créé une Agence pour la protection de
l’environnement (AEP). Cette nouvelle assemblée serait tentée d’essayer d’atteindre ses
objectifs en remplaçant de nombreuses personnes de l’AEP, qui sont fortement engagées
dans la protection de l’environnement, par d’autres qui seraient moins engagées voire hosti-
les à celle-ci. Cependant, les règles de protection élaborées de la fonction publique dont
disposent les employés gouvernementaux éliminent cette possibilité des outils de l’assem-
blée actuelle. Horn explique par la volonté du Congrès d’augmenter, à tout moment, la
valeur de la législation adoptée, en la protégeant des législations ultérieures, le remplace-
ment du spoil system au sein de l’administration, qui existait aux États-Unis au XIXe siècle,
par le système d’indépendance de la fonction publique qui existe aujourd’hui.
Epstein et O’Halloran (1999) s’appuient également sur la théorie des coûts de
transaction pour explorer le problème de la délégation par le Congrès. Cependant, ils
prolongent les travaux d’Horn et Moe en mettant en évidence ce qu’implique la présence
Pouvoir législatif, administration, exécutif et pouvoir judiciaire 455

d’un gouvernement divisé sur la délégation. Quand la présidence est contrôlée par un parti
et le Congrès par un autre, le problème principal-agent qui se pose avec la délégation de la
responsabilité des politiques augmente la probabilité que l’Assemblée (1) ne délègue pas,
(2) utilise des formulations plus précises quand elle délègue, et (3) délègue à un organisme
indépendant plutôt qu’à une administration de l’exécutif.
Horn, Epstein et O’Halloran fournissent des preuves considérables pour corrobo-
rer leurs théories. Mais ces théories posent une question déroutante à la littérature des choix
publics. Pourquoi un législateur adoptant un projet de loi aujourd’hui, restreindrait-il la
liberté du législateur de demain étant donné qu’il est fort probable qu’il s’agisse de la même
personne ? La réponse de Horn est que le législateur, en imposant une telle contrainte,
accroît considérablement sa capacité à lever des fonds et à être récompensé par les soutiens
d’aujourd’hui, et ce gain doit sans doute compenser les possibilités, qui lui seront fermées
demain, d’offrir des lois à d’autres soutiens. Mais cette réponse semble présumer une
sophistication et une clairvoyance de la part des électeurs qui sont en contradiction avec
l’image de l’électeur rationnellement ignorant que l’on trouve dans la littérature de la
théorie des choix publics 7. Les électeurs et les groupes d’intérêts sont-ils ainsi capables de
reconnaître que leurs objectifs à long terme seraient mieux servis si un texte de loi était
formulé vaguement, délégué à un organisme de réglementation avec telle ou telle règle
administrative, et ainsi de suite, plutôt que clairement rédigé et contrôlé par les tribunaux ?

17.3 L’ASSEMBLÉE ET LE PRÉSIDENT


Dans un système présidentiel, comme celui des États-Unis, bon nombre des administrations
qui mettent en œuvre les programmes créés par le pouvoir législatif, sont sous la supervision
du pouvoir exécutif et donc du président. Dans cette situation, la question de savoir si le
pouvoir législatif peut réussir à obtenir de l’administration qu’elle réalise les objectifs qu’il
lui fixe, prend une autre dimension si le président adhère à la volonté du pouvoir législatif.

17.3.1 Le pouvoir législatif contrôle le président


Considérons la figure 17.1. Les quantités de biens publics x et y doivent être déterminées.
Le président et le Congrès sont modélisés comme des agents ayant des préférences auto-
nomes définies sur x et y. L est le point idéal du Congrès et P est le point idéal du prési-
dent. Les courbes U Li et U Pi représentent les courbes d’indifférence pour le législateur et
le président. S représente le statu quo combinant x et y.
Le jeu législatif entre le président et le pouvoir législatif se déroule de la manière
suivante : le pouvoir législatif choisit d’abord une combinaison C de x et y. Le président a
alors le choix d’opposer son veto à cette proposition ou de la signer. S’il la signe, C devient
la nouvelle combinaison de x et y. S’il oppose son veto, le pouvoir législatif a la possibilité
de passer outre le veto. Aux États-Unis, cela nécessite une majorité des deux tiers dans les
deux chambres du Congrès. Si le pouvoir législatif peut passer outre un veto présidentiel
7 Cela semble même en contradiction ave la propre hypothèse de Horn (1995, p. 12) sur l’ignorance rationnelle
des électeurs.
456 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Figure 17.1
Jeu entre l’Assemblée et le président.
Pouvoir législatif, administration, exécutif et pouvoir judiciaire 457

en L, il propose bien évidemment de parvenir à ce point. Le cas le plus intéressant se pose


quand le pouvoir législatif ne peut pas passer outre le veto présidentiel.
Le pouvoir législatif sait que le président opposera son veto à toute proposition qui
le placerait dans une situation plus mauvaise que lorsqu’il se trouve dans la situation de
statu quo en S. Sa courbe d’indifférence passant par S, U P2 , représente la limite des combi-
naisons possibles que le législateur peut espérer atteindre. Toute proposition au-dessus et à
gauche de U P2 sera rejetée par le président aboutissant à la victoire de S. Compte tenu de
cette contrainte de veto, la proposition optimale du législateur sera C L .
L’interaction stratégique entre le président et le législateur peut également être
représentée à l’aide de l’arbre de décision donné par la figure 17.2. Le législateur joue le
premier et peut proposer que C = S ou un C différent. En supposant que certains C exis-
tent tels qu’ils offrent une utilité supérieure à S et qu’ils ne provoqueront pas un veto prési-
dentiel, il est dans l’intérêt du pouvoir législatif de proposer l’un de ces C, comme par
exemple C L . Le président est indifférent aussi bien vis-à-vis de cette proposition que de S,
et nous supposons ainsi qu’il n’oppose pas son veto et que, par conséquent, C gagne 8.

Oppose son veto à C S gagne


Choisit C = S P
S gagne
N’oppose pas son veto à C
L
Oppose son veto à C S gagne
Choisit C ≠ S P
C gagne
N’oppose pas son veto à C

Figure 17.2
Arbre de jeu quand l’Assemblée décide en premier.

17.3.2 Le contrôle présidentiel sur le pouvoir législatif


Ingberman and Yao (1991) ont suggéré que le président prend parfois l’avantage du premier
joueur (first mover) dans le jeu législatif en engageant lui-même certaines politiques avant
que le pouvoir législatif puisse faire ses propositions. Le jeu législatif est alors tel que sur
la figure 17.3 le président décide d’abord si oui ou non il engage une politique particulière,
C P . S’il ne l’engage pas, le pouvoir législatif est libre de proposer ce qu’il souhaite, et le
jeu se déroule comme dans le paragraphe précédent. Si par ailleurs le président engage une
combinaison C P , telle que représentée dans la figure 17.1, le jeu se déroule au niveau de la
branche inférieure de l’arbre de la figure 17.3. Le pouvoir législatif est toujours libre, bien
sûr, de proposer C L , cependant si cela est le cas et que le président garde son engagement
d’opposer un veto à toutes autres propositions que C L , il en résultera un statu quo. En
éliminant les stratégies faiblement dominées au-delà du stade de l’engagement du prési-
8 Pour poursuivre les discussions sur ce type de modèles, voir Shepsle et Weingast (1981), Denzau et Mackay
(1983) et Kiewiet et McCubbins (1988).
458 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

dent, on réduit l’arbre à celui présenté dans la figure 17.4. S’il existe des propositions
comme C P telles que le législateur accepte le statu quo et qui donnent une utilité au prési-
dent supérieure à C L , il est dans l’intérêt du président d’engager ces politiques.
Bien sûr, si le pouvoir législatif était vraiment indifférent entre C – pour lequel le
président s’est engagé – et le statu quo, il pourrait proposer le statu quo simplement pour
ennuyer le président. Pour éviter ce risque, et pour éviter de ne pas obtenir le résultat
souhaité parce qu’il avait mal évalué la situation en U L2 , le président est susceptible de
s’engager sur des propositions qui promettent quelques suppléments d’utilité pour l’as-
semblée par rapport au statu quo. Tenant compte des incertitudes de la situation, le prési-
dent pourrait, par exemple, s’engager à s’opposer à toutes propositions situées au-dessus et
à gauche de la ligne CC dans la figure 17.5. Cette ligne devient maintenant la limite de
l’ensemble des opportunités accessibles pour le législateur, et il choisira sur celle-ci le point
qui lui assurera la plus grande utilité, par exemple, C LC . Lorsque le président peut se pré-
engager sur certaines combinaisons de politiques publiques, l’issue probable du jeu légis-

Oppose son veto à C S gagne


Propose S P
N’oppose pas son veto S gagne
L
Ne s’engage pas Oppose son veto à CL
S gagne
Propose CL P
N’oppose pas son veto CL gagne
P
Oppose son veto à CP
S gagne
Propose CP P
S’engage sur CP N’oppose pas son veto CP gagne
L
Oppose son veto à CL
S gagne
Propose CL P
N’oppose pas son veto CL gagne

Figure 17.3
Arbre de jeu quand le président peut prendre des engagements.

Propose CL N’oppose pas son veto


Ne s’engage pas L P CL gagne

Propose CP N’oppose pas son veto


S’engage sur CP L P CP gagne

Figure 17.4
Arbre de jeu après élimination des stratégies faiblement dominées.
Pouvoir législatif, administration, exécutif et pouvoir judiciaire 459

Figure 17.5
Compromis entre l’Assemblée et le président : partage des « gains à l’échange ».
460 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

latif est une proposition de compromis offrant des gains au statu quo à la fois pour le prési-
dent et pour le législateur.
Comme toujours avec les stratégies de pré-engagement, il faut se demander si elles
sont crédibles. Si la proposition du législateur est juste à l’intérieur de U P2 , la courbe d’in-
différence du président passant par S, le président opposerait-il en effet son veto pour main-
tenir son engagement ? Évidemment dans un « jeu à un coup » cette action pourrait être
irrationnelle, et donc l’engagement non crédible. Mais le jeu législatif entre l’assemblée et
le président se répète de nombreuses fois sur un cycle électoral. Opposer son veto à un
projet de loi qui fournirait au président un petit gain d’utilité, peut être une stratégie ration-
nelle dans ces jeux répétés si cela rend les menaces de veto du président admissibles et
conduit ainsi à de futures propositions de la part du corps législatif qui contiendraient de
larges gains pour le président.
En pratique, bien sûr, le président ne peut pas strictement respecter la carte d’in-
différence du Congrès, ni respecter la sienne. Une incertitude sur ce que l’autre va faire
existe des deux côtés. Cameron (2000) a récemment modélisé les stratégies de négociations
des deux ensembles de protagonistes, et utilisé ce modèle pour interpréter l’utilisation du
droit de veto chez les présidents américains.

17.3.3 Le problème des blocages


Certains engagements que prend le président, se font durant la campagne électorale. Cepen-
dant, les membres de l’assemblée doivent aussi se présenter aux élections et prendre des
engagements envers leurs électeurs. Lorsque les deux branches se pré-engagent sur des
politiques de dépenses minimum ou maximum, le résultat peut être un ensemble de pré-
engagements qui assurent la victoire du statu quo.
Pour examiner cela, considérons la figure 17.6. Le président a promis durant la
campagne d’opposer son veto à toutes les propositions du Congrès qui n’assureraient pas
les combinaisons de x et y à la droite de la ligne C P − C P . Le législateur a promis à ses
électeurs qu’il ne serait proposé aucune combinaison à la droite de la ligne C L − C L. Il
n’y a pas de points à l’intérieur de l’espace délimité par les deux courbes d’indifférence U P2
et U L2 qui satisfasse ces deux contraintes. Alors le statu quo est choisi et gagne par défaut.
L’importance de la position du statu quo qui peut ou non faire surgir des blocages,
appelés plus populairement aux États-Unis « bouchons », a été illustrée par Krehbiel
(1998). En plus du président et du Congrès, Krehbiel ajoute un troisième acteur, le Sénat,
puisqu’une seconde chambre peut également causer des blocages par une obstruction systé-
matique pouvant faire renoncer les promoteurs d’un projet de loi ou les pousser à modifier
ce projet de loi en question, afin d’apaiser ses opposants à la chambre basse.
Considérons le problème de l’espace unidimensionnel présenté dans la figure 17.7.
Le Congrès est supposé être à nouveau une seule commission dont un membre médian a
un point idéal en m 9. En l’absence d’un veto présidentiel et d’obstructions du Sénat, m
gagnera contre tout point de statu quo. Deux tiers des points idéaux des membres du
9 L’importance des différences entre les préférences de l’Exécutif et du Sénat est illustrée par Morris et Munger
(1998).
Pouvoir législatif, administration, exécutif et pouvoir judiciaire 461

Figure 17.6
Blocage entre l’Assemblée et le président.
462 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

1/3 du Congrès 2/3 du Congrès 3/5 du Sénat 2/5 du Sénat

Libéral Conservateur

Figure 17.7
Modélisation du blocage législatif.

Congrès se trouvent sur ou à droite de v, pivot permettant de passer outre un veto prési-
dentiel. Trois cinquièmes des points idéaux pour les sénateurs se situent à gauche de f, qui
devient donc le point pivot où la loi peut être bloquée par une obstruction parlementaire.
Supposons que le président est un libéral avec un point idéal en p.
Considérons maintenant un point de statu quo tel que q1 est situé entre m et f . Le
point m représente une situation où il y aurait une majorité du Congrès plus importante
qu’au point q1 et m est également préféré par le président à q1 . Mais plus des deux
cinquièmes du Sénat préfèrent q1 à m, puisque le point pivot f est à droite du point q1 .
Ainsi, un vote au point m peut être bloqué par une obstruction parlementaire au Sénat. Les
promoteurs de la loi au point m n’ont pas la majorité des trois cinquièmes pour faire aboutir
le vote. Le statu quo l’emporte et le blocage est effectif.
Le même processus est valable si le point du statu quo q2 se situe entre v et m. Le
président préfère q2 à m et oppose son veto aux propositions de loi faites dans la situation
au point m. Le veto du président ne peut pas être ôté ; le blocage est à nouveau effectif.
Cependant, les points de statu quo en q3 et q4 ne peuvent pas l’emporter. Si on
prend comme point de statu quo q3 , l’Assemblée haute peut proposer v et passer outre le
veto du président si celui-ci prend la peine d’en poser un. Si on prend comme point de statu
quo q4 , une proposition faite au niveau du point f pourrait obtenir assez de soutien dans la
chambre basse pour éliminer l’obstruction parlementaire. Une caractéristique intéressante
de la théorie de Krehbiel est la mise en évidence de l’existence de blocages dans les poli-
tiques aux États-Unis qui ne dépendent ni de la présidence ni du Congrès contrôlé par diffé-
rents partis. Tout ce qui compte sont les positions relatives des points pivots et des statu quo.

17.4 L’ASSEMBLÉE, LE PRÉSIDENT ET LE POUVOIR JUDICIAIRE


17.4.1 Ajouter l’appareil judiciaire au modèle
Le troisième acteur potentiel du jeu législatif est, bien sûr, l’appareil judiciaire. Dans
nombre de pays comme les États-Unis, l’appareil judiciaire peut intervenir dans le jeu
législatif en déclarant que le compromis mis en place par les pouvoirs exécutif et législatif
est nul et non avenu. Il intervient en effet en contrôlant si la législation est incompatible
avec le contenu et les intentions de la Constitution.
Pouvoir législatif, administration, exécutif et pouvoir judiciaire 463

Le système judiciaire peut être introduit dans le modèle présenté précédemment en


supposant qu’il a également des préférences définies sur les axes x et y. Si le point idéal
pour l’appareil judiciaire réside à droite et en dessous du point P dans la figure 17.1, ou à
gauche et au-dessus du point L, son ajout dans le jeu législatif n’affecte pas les résultats, du
moment que cette série de résultats préférés au statu quo contient ceux d’un des autres
acteurs. Cependant, la situation change si le point idéal de l’appareil judiciaire est plus
proche des points de statu quo que ne le sont les points idéaux du président et du législa-
teur. Un exemple en est donné par la figure 17.8. Le point idéal pour l’appareil judiciaire

Figure 17.8
Compromis entre l’Assemblée, le président et le pouvoir judiciaire.
464 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

se situe en J et celui-ci opposera son veto à toute proposition qui ne relève pas de sa courbe
d’indifférence circulaire, UC , passant par S. La série d’alternatives aux statu quo qui pour-
raient être proposées par le pouvoir législatif et qui ne seraient pas soumises soit au veto
présidentiel, soit au veto de l’appareil judicaire, se trouve maintenant réduite à l’espace
représenté entre U P2 et U L2 par la partie foncée. Cet ensemble serait encore réduit si nous
permettons au président de recourir à certaines combinaisons.
Très souvent, le point idéal pour l’appareil judiciaire coïncide avec les statu quo.
Dans ce cas, l’ensemble des solutions alternatives au statu quo sur le plan législatif est, bien
sûr, nul. Un exemple connu allant dans ce sens s’est produit en Californie. Le gouverneur
souhaitait un changement de politique afin de refuser aux immigrants l’accès aux écoles
publiques et au système de santé. La Cour suprême de Californie préféra le statu quo sur
cette question et imposa celui-ci en déclarant anticonstitutionnelle la proposition du
gouverneur 10.

17.4.2 Les objectifs de l’appareil judiciaire


En modélisant le jeu législatif, il semble raisonnable de supposer que les « préférences »
du pouvoir législatif et du président sont le reflet de celles de leurs électeurs. Ainsi, en prin-
cipe, des hypothèses vérifiables peuvent être formulées à partir du moment où un président
oppose son veto à une loi, prend l’engagement de le faire, etc. Dans de nombreux pays ainsi
que dans tous les tribunaux fédéraux des États-Unis, les juges ne sont pas élus mais plutôt
nommés, et leur mandat est un mandat à vie. Qu’est-ce qui détermine alors les préférences
d’une personne qui ne doit ni se présenter devant les électeurs pour être réélu, ni craindre
une perte de revenu ou de position en raison des préférences qu’elle révèle à travers ses
décisions juridiques ?
Landes et Posner (1975) ont fourni une des premières réponses à cette question. Ils
ont affirmé que les rédacteurs de la Constitution des États-Unis souhaitaient augmenter la
valeur des lois échangées avec les groupes d’intérêt en augmentant la stabilité de celles-ci.
Cet objectif a été atteint grâce à la création d’un appareil judiciaire indépendant qui peut
user de son indépendance en opposant son veto à la fourniture d’une nouvelle législation
qui réduirait la valeur de celles passées.
Bien que cette hypothèse ait un certain attrait dans les pays où une assemblée légis-
lative siégeant écrit la Constitution, elle se heurte à certaines difficultés historiques au titre
de l’indépendance de l’appareil judiciaire aux États-Unis. Tout d’abord, les rédacteurs de
la Constitution des États-Unis l’octogénaire Benjamin Franklin, le futur président James
Madison, et bien d’autres qui se sont réunis à Philadelphie, n’étaient pas, à l’époque,
membres de l’assemblée législative et n’étaient même pas susceptibles de devenir membres
de l’assemblée législative que créa la Constitution. Deuxièmement, l’indépendance du
pouvoir judiciaire aux États-Unis doit sans doute plus à l’interprétation judiciaire ultérieure
de la Constitution qu’à la version d’origine.
10 Plusieurs études ont analysé le comportement du pouvoir judiciaire dans la perspective de la théorie des choix
publics. Voir, par exemple, Mashaw (1985, 1990), Ingberman et Yao (1991), Ferejohn et Weingast (1992a,b),
Levy et Spiller (1994) et les articles réunis dans Stearns (1997). Stearns (1994) offre une critique de certaines
applications des théories de choix publics à l’analyse du pouvoir judiciaire.
Pouvoir législatif, administration, exécutif et pouvoir judiciaire 465

Dans une perspective plus normative de la Constitution où celle-ci serait écrite par
les citoyens pour mettre en avant leurs propres intérêts, un pouvoir judiciaire indépendant
jouerait un rôle important comme représentant des citoyens. Un tel agent indépendant est
nécessaire pour aider à atténuer le problème de principal-agent entre les citoyens et leurs
représentants concernant les pouvoirs législatif et judiciaire. Même si, dans une telle
théorie normative, l’indépendance du pouvoir judiciaire ne permet qu’aux membres du
pouvoir judiciaire d’intervenir au nom des citoyens, elle ne leur donne pas les incitations
positives pour le faire 11.
La question de la définition des objectifs du pouvoir judiciaire dans la théorie des
choix publics a été traitée de manière très lointaine – c’est-à-dire en proposant un objectif
pour le pouvoir judiciaire sans défendre cette hypothèse, puis sans procéder à l’analyse des
conséquences de cette hypothèse sur les résultats en matière de législation. Bien que cette
approche puisse être défendue comme une première étape dans l’intégration du pouvoir
judiciaire aux modèles de comportement législatif, elle limite évidemment l’utilité de ces
modèles, à moins que nous puissions déterminer plus concrètement ce que les juges maxi-
misent et pourquoi ils le font. La question des motivations des juges d’un appareil judiciaire
indépendant reste une zone largement inexplorée par la théorie des choix publics 12.

17.5 LA PRISE DE DÉCISION LÉGISLATIVE DANS L’UNION


EUROPÉENNE
Bien que les écrits concernant les compromis et les négociations entre le législatif et l’exé-
cutif soient dominés par les études de la structure institutionnelle des États-Unis, un travail
supplémentaire a été réalisé sur d’autres pays. Bien que les structures institutionnelles
diffèrent dans ces autres pays, l’appareil d’analyse utilisé pour étudier les États-Unis peut
facilement être adapté aux institutions de ces derniers. Nous illustrerons ce point de vue par
une brève discussion sur les procédures de prise de décisions dans l’Union européenne.
Il existe trois acteurs principaux dans l’Union européenne : la Commission euro-
péenne, le Conseil de l’Europe et le Parlement européen. La Commission est l’équivalent
dans l’Union européenne du pouvoir exécutif, et est constituée d’un président et de
commissaires de chaque pays membre. Le Conseil peut être considéré, dans le système
politique européen, comme une « chambre » constituée par des représentants nommés par
chaque pays membre. Le nombre de membres élus par pays dépend de la taille de celui-ci.
Le Parlement européen est la deuxième chambre de l’Union européenne. Ses membres sont
élus dans chaque pays membre et le nombre de sièges est approximativement proportion-
nel à la taille des pays.
La figure 17.9. présente un schéma simplifié de la séquence de prise de décisions
en vertu de la procédure dite de coopération de l’Union européenne 13. La Commission
initie le processus législatif en faisant une nouvelle proposition de loi. Cette proposition va
11 Pour poursuivre la discussion, voir Mueller (1996a, ch. 19).
12 Voir, cependant, Posner (1993). Il est également possible que les préférences des juges n’aient pas vraiment
d’importance, car le droit évolue de telle façon, que seules les « lois opérationnelles » survivent.
13 La discussion suit Tsebelis (1994, 1997) ; voir aussi Steunenberg (1994) et Crombez (1996, 1997).
466 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

au Parlement européen, lequel peut l’accepter telle quelle, l’amender ou la rejeter par un
vote à la majorité simple. Si la proposition n’est pas rejetée, elle va ensuite au Conseil. Si
le Conseil l’accepte sans l’amender, elle devient une loi. Si le Conseil l’amende, la propo-
sition retourne au Parlement pour une dernière lecture. À ce stade, le Parlement a alors trois
possibilités : (1) accepter la proposition telle qu’elle est, (2) amender la proposition puis la
renvoyer au Conseil, ou (3) rejeter la proposition. À ce stade, le rejet de la proposition
requiert la majorité absolue du nombre total de sièges au Parlement. Si le Parlement rejette
ou modifie la proposition qu’il a reçue du Conseil, celle-ci retourne au Conseil. Le Conseil
peut passer outre le rejet du Parlement uniquement par un vote unanime. Il peut aussi
amender la proposition déjà amendée par le Parlement mais également et uniquement par
un vote unanime.

Commission

propose une llégislation


gislation

Parlement

acce
acceff
accepte
fffpte
fpte
ou amande

Conseil

accepte amende

adopté
Parlement
accepte
rejette à la majorité absolue
amende
adopté

Conseil Conseil

choue à obtenir
accepte unanimement échoue accepte à amende à
le projet rejet
rejeté l’unanimit
l’unanimité
unanimité la majorité
majorit l’unanimité
unanimité
l’unanimit
qualifiée
quali

la proposition
du Conseil devient statu quo devient devient
une loi l’emporte une loi une loi

Figure 17.9
Séquence de la procédure de décisions au sein de l’Union européenne.
Pouvoir législatif, administration, exécutif et pouvoir judiciaire 467

La procédure esquissée dans la figure 17.9. donne au Parlement européen un droit


de veto effectif sur toutes les propositions de lois émanant du Conseil, à la condition que le
Parlement puisse obtenir d’un membre du Conseil un soutien à son veto. Ce veto donne au
Parlement le pouvoir d’établir l’ordre du jour, ce qu’il pourrait utiliser afin d’obtenir le
résultat souhaité parmi l’ensemble des résultats que le Conseil est disposé à accepter à la
place du statu quo. Cette situation peut être illustrée à l’aide de la figure 17.10, qui est
simplement une nouvelle version de la figure 17.1, où P représente maintenant le point

Figure 17.10
Compromis dans l’Union européenne entre le Conseil et le Parlement.
468 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

idéal pour le Parlement européen, et C le point idéal pour le Conseil. Afin de simplifier l’ar-
gumentation, les préférences de la Commission n’ont pas été incluses dans la figure. Il est
supposé qu’une majorité de la Commission acceptera toutes propositions qui se dégagent
de cette procédure, comme ce fut également le cas dans la figure 17.9.
Si C est le point idéal où la majorité qualifiée du Conseil est suffisamment impor-
tante pour approuver la législation, et UC1 et UC2 sont les courbes d’indifférence de cette
majorité qualifiée, alors en deuxième lecture le Parlement sera tenté d’amender les propo-
sitions du Conseil afin que cela corresponde au point C P , et qu’il obtienne le meilleur résul-
tat parmi la série de propositions qu’à la fois le Parlement et le Conseil préfèrent au statu
quo (les points situés dans l’espace entre U P2 et UC2 ). Si à l’opposé, C est le point idéal
correspondant à un Conseil en situation d’accord unanime, alors il sera capable d’imposer
ce résultat si une majorité de la Commission préfère cette situation au statu quo.
De nouvelles procédures, introduites par le traité de Maastricht en 1992, ont ajouté
une étape supplémentaire dans la procédure de décision qui vient d’être décrite. Si le
Conseil n’accepte pas la proposition qui ressort de la seconde lecture faite par le Parlement
européen, le problème est alors confié à un commission de conciliation constituée de 15
représentants du Conseil et de 15 représentants du Parlement. Si cette commission ne
parvient pas à un accord, le Conseil est habilité à faire une proposition finale. Selon la
nature du problème, cette proposition exigerait soit un accord unanime du Conseil, soit une
majorité qualifiée. La proposition du Conseil ne peut être rejetée par une majorité absolue
du Parlement. Cette nouvelle procédure de conciliation déplace la décision du Conseil à la
fin du processus d’établissement de l’agenda, et augmente la probabilité que la proposition
CC l’emporte sur la proposition C P .
Bien entendu, ni la Commission, ni le Conseil, ni le Parlement ne sont des acteurs
unitaires avec des points idéaux uniques et des cartes d’indifférence uniques ; ainsi, une
analyse complète des prises de décisions dans l’Union européenne exige une structure plus
élaborée et l’utilisation de concepts, tels que le noyau, les ensembles non couverts (uncov-
ered set) et les tournois entre ensembles d’équilibres (the tournament equilibrium set) 14.
Une telle analyse est au-delà du cadre de ce chapitre.

17.6 CONCLUSIONS
La littérature sur les règles de vote examinée dans la première partie de cet ouvrage part du
principe que les électeurs choisissent les résultats directement. Quel que soit le point de
l’espace x − y que la commission choisit, celui-ci est mis en œuvre. La littérature sur la
démocratie représentative, examinée au début des chapitres de la deuxième partie, suppose
également que les politiques promises par les candidats ou les partis dans leurs efforts pour
gagner des voix, ne soient mises en œuvre qu’après l’élection. Les discussions dans ce

14 Le concept d’ensemble non recouvert (uncovered set) est discuté au chapitre 11. Les tournois entre ensemble
d’équilibres (turnament equilibrium set) ont été pour la première fois discutés par Schwartz (1990). Les appli-
cations de ces outils d’analyse à la prise de décision bicamérale comprennent Cox et McKelvey (1984),
Hammond et Miller (1987), et Tsebelis et Money (1997).
Pouvoir législatif, administration, exécutif et pouvoir judiciaire 469

chapitre et les précédents révèlent toutefois que ces points de vue du processus politique
sont beaucoup trop simplistes. Le dépouillement des bulletins de vote le jour du scrutin
constitue la fin d’une sorte de lutte politique et le début d’une autre : la lutte pour façonner
les résultats réels qui émergent du processus politique, lutte entre les organes de la décision
et de la mise en œuvre des décisions publiques, qu’ils soient élus ou nommés.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Wintrobe (1997) et Moe (1997) offrent un survol de la littérature sur l’administration et les négocia-
tions entre législatif et exécutif. Tsebelis et Money (1997) ont décrit et analysé les procédures de
négociation et de prise de décision commune dans plusieurs pays ainsi que dans l’Union euro-
péenne.
Les écrits de Bergman, Müller et Strom (2000) contiennent plusieurs articles analysant les problèmes
de délégation dans les démocraties parlementaires européennes.
18
LA DICTATURE

18.1 Les origines de la dictature 473


18.2 Les objectifs des dictateurs 476
18.3 Fonctionnement et survie des dictatures 478
18.4 L’apogée et le déclin des dictatures 484
18.5 Dictature et performance économique 487
18.6 Conclusions 492
472 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Le postulat de l’individualisme méthodologique est à la base de toutes les analyses des


théories du choix public. En tentant d’expliquer les actions gouvernementales, nous
commencerons par analyser le comportement des individus qui assurent le gouvernement.
Dans une démocratie, il s’agit des électeurs, de leurs représentants élus et des fonctionnai-
res nommés. Le postulat de l’individualisme méthodologique possède une analogie norma-
tive. Les actions du gouvernement devraient correspondre de manière fondamentale aux
préférences des individus que ces actions affectent. Le postulat de l’individualisme norma-
tif sous-tend beaucoup plus qu’une analyse normative en ce qui concerne les choix publics.
Par conséquent, il est assez compréhensible que pratiquement toutes les recherches dans le
domaine de la théorie du choix public soient concentrées sur l’analyse des gouvernements
démocratiques : premièrement, parce que quasiment tous les universitaires travaillant sur
ces questions ont vécu dans des pays démocratiques et que, par conséquent, cette forme de
système politique a pour eux l’intérêt le plus intrinsèque ; et deuxièmement, parce qu’ils
ont l’intuition que tout système gouvernemental devrait être organisé en démocratie.
Si quelqu’un pouvait classer dans une catégorie tous les gouvernements qui ont
existé, partout sur la planète depuis le début de l’histoire connue, comme étant soit une
démocratie, soit une dictature et si l’on avait évalué chaque gouvernement par sa durée,
alors on trouverait que les gouvernements démocratiques correspondent seulement à un
pourcentage minuscule de tous les gouvernements passés comme présents. Ce pourcentage
correspond d’ailleurs au niveau de l’intérêt que les chercheurs sur les choix publics ont
porté aux gouvernements non démocratiques dans leur recherche. Aujourd’hui encore à
l’époque où les gouvernements démocratiques sont plus répandus de par le monde qu’à
n’importe quel autre moment de l’histoire, ils ne représentent même pas un quart de tous
les gouvernements 1. Toute personne cherchant à connaître le fonctionnement des gouver-
nements actuels en différents endroits du globe devrait donc s’intéresser à l’étude de la
dictature. C’est seulement depuis la dernière décennie que les chercheurs du choix public
ont commencé à travailler sur ce sujet polémique. Ce chapitre expose quelques-uns de leurs
travaux.
La quatrième édition de The Concise Oxford Dictionary définit un dictateur
comme « un maître absolu, généralement temporaire, d’un État, spécialement celui qui
supprime un gouvernement démocratique ou lui succède ; une personne dotée d’une auto-
rité absolue dans n’importe quelle sphère ». Cette définition convient bien à l’archétype du
dictateur qu’est Adolph Hitler. Il succéda à une démocratie et la supprima, gouverna avec
une autorité absolue et son règne ne fut que temporaire. Pour autant, ceux qui ont vécu sous
la dictature de Fidel Castro ou sous celle de Joseph Staline doivent être dubitatifs en ce qui
concerne le caractère temporaire de la dictature, et aucun de ces dictateurs ne remplaça une
démocratie. Cependant, ils supprimèrent les tendances démocratiques qui existaient dans
leurs pays et ils ont en commun avec Hitler, et tous les autres dictateurs, le fait que le
pouvoir du dictateur est absolu. Cette caractéristique de la dictature suggère que l’analyse
des dictatures menée dans les théories du choix public, puisqu’elle est fondée sur l’indivi-
dualisme méthodologique, pourrait simplement impliquer des analyses des préférences et

1 Freedom House (1997) estime que seulement 22 pourcent des pays possèdent l’ensemble des libertés poli-
tiques et civiles que l’on associe aux démocraties à part entière.
La dictature 473

des actions d’un seul individu : le dictateur. Mais, aucun dictateur ne gouverne entièrement
seul. Il est entouré par une bureaucratie qui doit exécuter ses décrets et il est, par consé-
quent, confronté aux mêmes relations de type principal-agent, qui existe dans toute admi-
nistration. Et même les citoyens qu’il réprime ont la possibilité, dans la mesure du possible,
de résister aux actions du gouvernement ou de les soutenir, et, si c’est la résistance qui est
choisie, elle peut être passive ou active. Par conséquent, nous devrions trouver, en dépit des
différences significatives qui existent entre les dictatures et les démocraties, qu’une même
approche méthodologique de base peut être appliquée à l’analyse des dictatures et des
démocraties. En effet, nous devrions trouver que plusieurs des concepts analysés dans les
chapitres précédents sont également opérationnels dans l’analyse de la dictature. Nous
commençons ainsi, avec l’étude des origines de la dictature issue d’une situation anar-
chique.

18.1 LES ORIGINES DE LA DICTATURE


Nous avons noté dans le chapitre 2 que les solutions coopératives au dilemme du prison-
nier et que la fourniture en biens publics pouvaient être réalisées dans de petites commu-
nautés stables, sans même l’établissement d’institutions gouvernementales formelles, via le
comportement rationnel et égoïste d’individus engagés dans une série de dilemmes du
prisonnier répétés. Cependant, induire de tels mécanismes informels conduit la coopération
efficiente à l’échec, lorsque le nombre de joueurs augmente et que leurs identités changent.
La seule réponse à ces défaillances serait que tous les joueurs se réunissent et qu’ils conçoi-
vent et établissent un ensemble d’institutions démocratiques afin de résoudre ces problè-
mes liés à une action collective, ce qui constituera alors un avantage commun à tous les
joueurs. Une telle réponse s’inscrit dans la tradition de Wicksell, ce qui sous-tend nombre
de travaux de la théorie du choix public et représente le point central des chapitres 25 et 26.
Cependant, de telles solutions collectives aux problèmes de l’action collective sont en proie
au même comportement de passager clandestin qui provoque les problèmes à son origine
(Dixit et Olson, 2000). Par conséquent, on devrait s’attendre à ce que les solutions empi-
riques aux problèmes d’action collective impliquent plus souvent les actions d’individus
seuls ou celles de petits groupes. Reconnaissant les gains potentiels tirés de l’approvision-
nement de certains biens publics et les règles qui permettent de résoudre le dilemme du
prisonnier, certains individus entreprenants peuvent prendre les devants et établir des insti-
tutions afin de fournir ces biens et ces services.
Olson (1993, 2000) a défini dans cette optique l’émergence des dictatures. Un
dictateur est un maximisateur de richesses, qui vit en s’appropriant la richesse générée par
ceux qu’il gouverne. Cette stratégie de maximisation de la richesse doit se réaliser dans un
monde où les individus vivent dans une anarchie pacifique au sein de petites communau-
tés ; la stratégie est alors de créer une force militaire et de passer d’une communauté à une
autre en expropriant les richesses accumulées par chacune des communautés. Mais dans un
monde tel que celui-ci, l’individu qui ne fait pas partie de l’armée itinérante n’a aucune
motivation à accumuler de la richesse, étant donné qu’il doit vivre en se préparant à l’éven-
tualité qu’un bandit itinérant et son armée surgissent et lui volent la richesse accumulée. Un
474 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

bandit rationnel, maximisant sa richesse, souhaitera, dans ce cas-là, donner aux individus
des motivations pour créer de la richesse de manière à ce qu’il y ait plus de richesses dont
il puisse s’emparer. De telles motivations peuvent être fournies si le bandit ne prend qu’une
partie de la richesse d’une communauté et protège la richesse qui lui reste des autres bandits
itinérants. Par conséquent, un bandit itinérant peut accumuler plus de richesses en devenant
un bandit sédentaire et en fournissant tous les biens publics et les services qui persuaderont
ceux qu’il vole de produire de la richesse et qui nécessiteront une protection policière et
une défense contre les attaques externes. C’est de cette façon que naît la dictature 2.
Le bandit ainsi que la communauté qu’il domine ont intérêt à ce qu’il se sédenta-
rise, entretienne et protège sa communauté. Bien que la sédentarité du bandit fasse qu’il
aligne ses intérêts avec ceux de la communauté, cet alignement est loin d’être parfait. La
richesse de la communauté n’atteint pas le niveau qu’on obtiendrait avec un dictateur bien-
veillant qui maximiserait la richesse de celle-ci. Pour voir ce que cela implique, nous allons
étudier les flux de revenus plutôt que les réserves de richesses. Le dictateur fournit les biens
publics tels que les routes et les ponts, ainsi qu’un système judiciaire qui fait respecter les
contrats et protège la propriété, etc. Par conséquent, le revenu national Y augmente en fonc-
∂Y ∂ 2Y
tion de la valeur des biens publics G, Y = Y (G), avec > 0, < 0 . Afin de finan-
∂G ∂G 2
cer l’approvisionnement en biens publics, le dictateur met en place une taxe
proportionnelle sur les revenus, t. Cette taxe a des effets désincitatifs sur l’effort de produc-
tion de richesse, et ainsi, une taxe plus élevée conduit à une baisse du revenu national. Le
moyen le plus simple pour saisir ce phénomène est de supposer une élasticité constante en
fonction du taux d’imposition η et de noter le revenu réalisé Yr = Y (1 − ηt).
La consommation du dictateur, C, doit provenir de la recette de l’impôt, et donc
tYr = G + C . Le dictateur souhaite maximiser sa consommation qui est soumise à cette
contrainte des recettes fiscales. Si nous utilisons cette contrainte pour remplacer C, le dicta-
teur peut être pensé comme choisissant G et t afin de maximiser la fonction objectif
O D = tY (G)(1 − ηt) − G . Ce qui nous amène aux deux conditions suivantes de premier
ordre :

dY 1
= (18.1)
dG t

Y − 2ηtY = 0 (18.2)

à partir desquelles nous obtenons :


dY 1
= (18.3)
dG t
1
t= (18.4)

2 Volckart (2000) décrit comment est né l’État moderne dans l’Allemagne médiévale, en tant qu’institution four-
nissant une protection et générant des rentes.
La dictature 475

L’équation (18.4) définit le même taux optimal d’imposition que celui obtenu par Brennan
et Buchanan (1980) dans le modèle du Léviathan. En effet, dans ce modèle le dictateur
exploite la population exactement de la même manière que dans le modèle du Léviathan, à
l’exception près que l’argent pris aux citoyens de la communauté va financer la consom-
mation personnelle du dictateur plutôt que l’expansion de l’État.
Si les biens publics ne fournissent pas d’utilité aux citoyens de la communauté
autrement qu’à travers leur impact sur le revenu, les citoyens souhaitent alors augmenter le
revenu de la communauté net du montant nécessaire pour financer les biens publics,
Y (1 − ηt) − G . Si nous augmentons au maximum cette fonction à objectif sociétal, O S ,
nous obtenons en fonction de G :

∂ OS dY ∂t
= (1 − ηt) − Y η −1=0 (18.5)
∂G dG ∂G

en tenant compte que t est une fonction de G via la contrainte budgétaire. La première
 
dY
partie de (18.5), (1 − tη) , est le gain marginal que la communauté tire de l’aug-
dG
 
∂t
mentation de la quantité de biens publics. Le deuxième terme, Y η , est le coût
∂G
marginal de l’augmentation du montant des biens publics en raison du fait qu’une augmen-
tation de G nécessite également une augmentation de t, et que cette augmentation réduit Y
à cause des effets désincitatifs de l’imposition. Le troisième terme dans (18.5), –1, intègre
le coût marginal de l’augmentation de G due au fait que G doit être financé par Y.
Malgré la simplicité supposée des relations, en résolvant une valeur explicite de t,
dY
cela nous amène à une expression assez compliquée relative à t pour . Heureusement,
dG
nous pouvons observer à partir des fonctions objectifs du dictateur et de la communauté,
respectivement O D et O S , que la quantité de biens publics fournie par le dictateur tombe à
un niveau inférieur à la quantité socialement optimale.

O D = tY (G)(1 − ηt) − G (18.6)

O S = Y (G)(1 − ηt) − G (18.7)

Ces deux fonctions-objectifs sont tracées dans la figure 18.1. En raison de la concavité de
Y(G), et du fait que (1 − ηt) diminue avec t, O S est concave en G, tout comme O D . En
raison de la nécessité de financer la consommation du dictateur par la recette fiscale, t est
plus élevé sous une dictature quel que soit le niveau de G (et donc (1 − ηt) est plus bas).
Cela ajouté au fait que le premier terme à l’intérieur de O D est multiplié par t < 1, ce qui
garantit le fait que O D atteigne un maximum, et ce, avant O S . En d’autres termes, une
dictature fournit un plus petit niveau de G que ce qui serait socialement optimal.
476 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Figure 18.1
Fourniture d’un bien collectif sous une dictature et optimum de la communauté.

18.2 LES OBJECTIFS DES DICTATEURS


18.2.1 La consommation du dictateur
L’empereur romain Néron se livrait à toutes les activités de consommation possibles. Louis
XIV, « le Roi Soleil », construisit un château à Versailles qui aurait fait pâlir de jalousie
Néron. Henry VIII d’Angleterre possédait un appétit féroce pour la nourriture, les boissons
et les femmes. Quand Imelda Marcos, la femme de l’ancien dictateur des Philippines fuit
précipitamment le pays à la suite de la mort de son mari, on retrouva parmi l’ensemble des
effets qu’elle laissa derrière elle, 3000 paires de chaussures. La liste des autocrates qui
n’ont eu de cesse de taxer leurs sujets pour financer des modes de vie extravagants et
exotiques est pratiquement sans fin. L’hypothèse de la section précédente qu’un dictateur
utilise son autorité pour s’approprier les revenus de ses sujets afin d’améliorer sa consom-
mation personnelle concorde bien avec les attitudes observées des dictateurs.
La dictature 477

18.2.2 Le pouvoir
Cependant, tous les dictateurs n’aspirent pas à vivre « comme des princes ». Adolph Hitler
vivait plus modestement, malgré l’ampleur de son pouvoir absolu, comme l’avait fait Jean
Calvin durant la période où lui et ses partisans imposèrent une autocratie religieuse aux
citoyens de Genève. Certains dictateurs semblent être mus par des désirs qui vont bien au-
delà de leur consommation personnelle. Dans ce cas et dans des cas analogues, le dictateur
adopte une idéologie particulière qu’il souhaite inculquer aux autres. Le dictateur recher-
che du pouvoir pour maintenir et étendre une idéologie. Pour Hitler, il s’agissait du
fascisme ; pour Calvin, il s’agissait d’une version particulière du protestantisme qui fut
appelée calvinisme. Le dictateur mû par une telle idéologie s’attend à ce que ses sujets
adoptent les préceptes qui sous-tendent son idéologie et vivent selon ces derniers. Il
cherche à avoir un certain pouvoir sur ses sujets, du pouvoir pour contrôler ce qu’ils
pensent et ce qu’ils font. Jean Calvin, par exemple, dictait aux Genevois ce qu’ils devaient
porter, où ils devaient vivre, et les noms qu’ils devaient donner à leurs enfants (Bernholtz,
1997b, pp. 289-90). Le but du fascisme était de contrôler chaque aspect de la vie de ses
sujets, comme le révèla Mussolini 3. Tout système, comme le fascisme ou le calvinisme, qui
cherche un contrôle total sur la vie des individus, doit être placé dans la catégorie du tota-
litarisme 4. Le second objectif que nous pouvons attribuer à un dictateur est donc la recher-
che du pouvoir : le pouvoir de contrôler la plupart et, si possible, toutes les actions de ceux
qu’il gouverne.

18.2.3 La sécurité
Puisque nombre de personnes pourraient trouver le pouvoir et/ou le mode de vie d’un dicta-
teur séduisant, nombreux sont ceux qui souhaiteraient le remplacer. Si le dictateur veut
continuer à exercer son pouvoir et à profiter des avantages indirects de sa fonction, il doit
déjouer les tentatives des autres pour le remplacer. Conserver sa position – la sécurité de
son emploi – voilà le troisième et le plus évident des objectifs qu’un dictateur est suscepti-
ble de poursuivre, et l’un des plus difficile à réaliser (Tullock, 1987).
Dans cet ouvrage, nous avons examiné le comportement des trois acteurs d’une
démocratie – les citoyens électeurs, les politiques élus et les fonctionnaires nommés. Un
dictateur combine les trois rôles et, par conséquent, il n’est pas surprenant que ses motiva-
tions soient une combinaison des motifs supposés des trois types d’acteurs que l’on trouve
dans une démocratie. Dans une dictature, ce sont les préférences du dictateur, et non celles

3 « Pour résumer, pour le fasciste toute chose fait partie intégrante de l’État et il n’existe rien d’autre d’humain
ou de spirituel qui puisse avoir une quelconque valeur en dehors de l’État. En ce sens le fascisme est totali-
taire, et l’État fasciste interprète, développe, multiplie la vie tout entière des gens comme étant une synthèse
et l’union de chacune de ces valeurs. », Benito Mussolini.
Cette citation est tirée de Bernholz (1991, p. 431), où on peut trouver une définition et une discussion sur les
propriétés des mouvements totalitaires.
4 Pour de plus amples discussions au sujet des propriétés du totalitarisme et des références à la littérature qui
traite de ce sujet, hors de la littérature du choix public, voir Bernholz (1991, 1997b) et Wintrobe (1998, pp. 7-
11, 58-68).
478 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

des citoyens, qui sont primordiales et, par conséquent, les impôts et les dépenses du gouver-
nement sont orientés au moins pour une part vers la satisfaction de ses désirs de consom-
mation. De même dans une démocratie, les impôts et les dépenses du gouvernement sont
orientées, au moins pour une part, vers la maximisation des avantages que les citoyens
tirent de leur consommation de biens privés et publics. En tant que chef de l’État, le dicta-
teur est aux commandes de l’administration gouvernementale, et il doit, au minimum,
exercer un pouvoir sur cette bureaucratie pour atteindre ses autres objectifs. S’il souhaite
imposer une idéologie particulière à tous ses sujets, il doit exercer son pouvoir sur chacun
d’entre eux. Par conséquent, le dictateur, comme tous les autres bureaucrates, cherche le
pouvoir. Et finalement, comme chaque politicien élu, il veut rester dans l’exercice de ses
fonctions. Nous allons maintenant explorer en détail par quels moyens le dictateur atteint
ces objectifs.

18.3 FONCTIONNEMENT ET SURVIE DES DICTATURES


18.3.1 Le dictateur maximisateur d’utilité
À partir de la discussion de la section précédente, nous pouvons maintenant exprimer l’uti-
lité du dictateur comme une fonction de sa consommation, C, de son pouvoir, P, et de sa
sécurité, S : U (C, P, S) . Pour atteindre ces objectifs, nous devons supposer à la suite de
Wintrobe (1990, 1998), que le dictateur s’appuie sur deux instruments stratégiques : la
loyauté de ses sujets et la répression de ceux-ci. La loyauté est acquise en rendant les
citoyens meilleurs. Nous devons supposer que la loyauté des sujets de la dictature
augmente en même temps que leurs revenus nets d’impôts, L = L(YT ) , L  > 0, L  < 0 .
Afin de réprimer certaines actions des citoyens, le dictateur doit étendre les moyens de la
police, des prisons, des informateurs, etc. Par conséquent, le niveau de répression est une
fonction du montant de la recette de l’impôt qui y est consacré, R = R(TR ), R  > 0,
R  < 0. On peut raisonnablement supposer que le pouvoir du dictateur, P, ainsi que la
sécurité de sa position, S, augmentent en fonction de la loyauté de ses sujets et du montant
des ressources consacrées à la répression,
∂P ∂2 P ∂P ∂2 P
P = P(L , R), > 0, < 0, > 0, <0 ;
∂L ∂ L2 ∂R ∂ R2
∂S ∂2S ∂S ∂2S
S = S(L , R), > 0, < 0, > 0, < 0.
∂L ∂ L2 ∂R ∂ R2
Comme précédemment, nous supposons que le dictateur augmente les recettes par le biais
d’un impôt sur les revenus de la population. Nous pouvons supposer que cet impôt est fonc-
tion du niveau des biens publics fournis (comme précédemment), et résoudre à la fois ce
niveau et le taux d’imposition. Puisqu’on ne peut attendre de cette complexité supplémen-
taire aucune nouvelle solution, nous supposons simplement qu’aussi bien le niveau des
biens publics, G, que le produit national brut, Y sont fixés. Ainsi, la tâche du dictateur se
réduit à choisir un niveau de consommation, C, et les dépenses consacrées à la répression,
La dictature 479

TR afin de maximiser son utilité. Connaissant ces valeurs, le montant total prélevé par les
taxes est déterminé et fixe à son tour le revenu net d’impôts de la population
(YT = Y − G − C − TR ) , et ainsi le niveau de sa loyauté. En maximisant U en fonction de
C et de TR , on obtient :
∂U ∂U ∂U ∂ P ∂U ∂ S
= − − =0 (18.8)
∂C ∂C ∂P ∂L ∂S ∂L
∂U ∂U ∂ P ∂U ∂ P  ∂U ∂ S ∂U ∂ S 
=− + R − + R =0 (18.9)
∂ TR ∂P ∂L ∂P ∂R ∂S ∂L ∂S ∂R
En réécrivant (18.8), nous obtenons :
∂U ∂U ∂ P ∂U ∂ S
= − . (18.10)
∂C ∂P ∂L ∂S ∂L
Le dictateur choisit un niveau de consommation de telle sorte que l’utilité marginale issue
du dernier talent 5 de l’impôt consacré à sa consommation, soit égale à l’utilité marginale
qu’il recevrait d’un pouvoir et d’une sécurité accrus, si ce talent n’était pas prélevé par les
impôts en accroissant ainsi la loyauté des citoyens.
En réécrivant (18.9) nous obtenons :
 
∂U ∂ P ∂U ∂ S ∂U ∂ P ∂U ∂ S
+ R = + . (18.11)
∂P ∂R ∂S ∂R ∂U ∂ L ∂S ∂L
Le dictateur consacre de la recette fiscale à la répression jusqu’au point où le gain margi-
nal de la dépense supplémentaire d’un talent dans la répression est égal à l’utilité marginale
dérivée de l’augmentation de la loyauté que ce talent produirait s’il n’était pas prélevé en
impôt.

18.3.2 Les dictateurs fantoches et les dictateurs totalitaires


Wintrobe (1990, 1998) a examiné le comportement de célèbres dictateurs, qui se sont exclu-
sivement intéressés soit au pouvoir, soit à leur consommation personnelle. Il appelle « tota-
litaires », ceux qui poursuivent seulement le pouvoir, et « fantoches », ceux qui maximisent
leur propre consommation. Les équations (18.8) et (18.10) ne concernent pas les dictateurs
totalitaires et il reste la condition (18.11) pour équilibrer de manière optimale les gains issus
de l’augmentation de la loyauté et de la répression. Pour le dictateur fantoche, tous les
∂U
termes impliquant disparaissent dans (18.10) et (18.11) et nous nous retrouvons avec :
∂P
∂U ∂U ∂ S
= (18.12)
∂C ∂S ∂S
∂S  ∂S
R = (18.13)
∂R ∂L
5 Pour éviter de suggérer que n’importe quel pays particulier se trouve être une dictature, pour notre dictature
nous utilisons cette ancienne unité de monnaie.
480 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

Le dictateur fantoche arbitre entre le gain marginal d’utilité issu d’une augmentation de la
consommation et le gain marginal issu d’un autre talent laissé au peuple afin d’augmenter
sa sécurité, et il partage l’argent entre construire la loyauté de ses sujets et augmenter la
répression de sorte que ce soit également autant à la marge qu’augmenter la sécurité.
Une menace à la sécurité d’un dictateur peut être interprétée comme une hausse de
∂U /∂ S. La réaction du dictateur fantoche à une telle contestation est dépourvue d’ambi-
guïté. Il réduit sa consommation pour augmenter la loyauté et rééquilibrer les deux côtés
de (18.12). La réaction du dictateur totalitaire est plus ambiguë. L’augmentation de ∂U /∂ S
augmente à la fois du côté gauche et du côté droit de l’expression (18.11). Que le dictateur
totalitaire réagisse en réduisant les impôts pour augmenter la loyauté ou en les augmentant
pour accroître la répression, le choix entre ces deux stratégies dépend de leur efficacité rela-
tive.
Une augmentation exogène du revenu national produit une augmentation remar-
quable de la loyauté de la population et, ainsi, une chute de l’impact marginal de la réduc-
tion des impôts sur la population. Les côtés droits des expressions (18.12) et (18.13)
disparaissent, et le dictateur fantoche réagit en augmentant les impôts et en dépensant plus
d’argent pour la répression afin d’augmenter sa sécurité en plus de sa consommation
personnelle 6. Une augmentation exogène du revenu national diminue les termes du côté
droit de (18.11) et donc amène le dictateur totalitaire à réévaluer à la hausse les impôts et
à augmenter la répression afin d’accroître à la fois son pouvoir et sa sécurité.

18.3.3 Les stratégies sélectives de survie


Jusqu’ici nous avons supposé que la loyauté et la répression – bien qu’assez différentes
dans leurs causes – étaient similaires dans leurs effets. Toutes deux peuvent renforcer le
pouvoir et la sécurité du dictateur si plus de moyens leur sont consacrés. Cependant, les
modèles précédents ne spécifient pas comment ces ressources sont dépensées. Notamment,
il est possible que les actions de tous les citoyens soient surveillées et réprimées, ou que
seulement quelques-unes d’entre elles, ou bien encore que les impôts de tous les citoyens
soient diminués afin de gagner leur loyauté ou de seulement certains d’entre eux. Les poli-
tiques répressives, les informateurs du gouvernement, la police secrète et les escadrons de
la mort semblent susceptibles de propager la méfiance et la peur, et, dans beaucoup de cas,
de détruire la bonne volonté et la loyauté que d’autres politiques du gouvernement pour-
raient engendrer, telles que l’éducation gratuite, les arts et les logements subventionnés,
ainsi que les bonnes politiques économiques. Par conséquent, il semble plausible qu’un
dictateur s’investisse à tour de rôle dans la promotion de la loyauté et dans la répression.

6 Wintrobe (1998, chap. 3 et 5) suppose que la loyauté est une fonction croissante de la répression lorsque la
répression se trouve à un bas niveau. Ainsi, une croissance exogène de la loyauté due à une croissance des
revenus conduit le despote fantoche à réduire la répression. Nous préférons garder séparés les concepts de
loyauté et de répression dans nos développements. La loyauté connote une allégeance volontaire des citoyens
envers le dictateur, par la gratitude ou la confiance. La répression met l’accent sur le soutien involontaire du
dictateur, provenant de la peur et de la coercition.
La dictature 481

Une stratégie serait de cultiver la loyauté des individus ou groupes qui peuvent contribuer
le plus au succès de la dictature et de réprimer ceux qui sont les plus à même de lui nuire.
Aussi, la loyauté militaire est renforcée par de hauts salaires et de gros budgets, tandis que
les groupes étudiants et la presse sont censurés et réprimés 7.
Jusqu’à maintenant nous avons supposé que le dictateur fournit des biens publics
pour augmenter les impôts de tous les membres de la société à la fois pour développer la
loyauté qui contribue au pouvoir et à la sécurité du dictateur, et pour maximiser son revenu
fiscal potentiel. Cependant, la loyauté d’un groupe donné peut être gagnée de façon très
simple en transférant à celui-ci le revenu d’autres groupes à partir de la création d’impôts
grâce à la fourniture de biens publics purs et à partir de politiques économiques pertinen-
tes. Ainsi, on peut s’attendre à ce que le dictateur rationnel ne se contente pas de s’appro-
prier le revenu de la communauté pour satisfaire ses propres désirs consuméristes et ses
ambitions personnelles mais qu’il confère aussi un revenu à des groupes de la communauté
dont il veut renforcer la loyauté. À l’opposé, les groupes qui voient leurs revenus appro-
priés pour financer de tels transferts deviennent des cibles évidentes de répression.
Nous pouvons modéliser ce processus en supposant que le succès de la dictature,
quelle que soit sa mesure, ou de manière plus précise sa sécurité, S, est une fonction des
niveaux d’utilité obtenus par chaque groupe dans le pays, qui sont eux-mêmes des fonc-
tions du revenu gagné par chaque membre des groupes et de l’ensemble des
subventions/transferts qu’il reçoit, Ui = Ui (Yi + si ) , où si est la subvention à un membre
du groupe i , qui, si elle est négative devient un impôt. Lorsque le revenu d’un groupe
augmente, sa loyauté envers le régime et sa contribution à son succès augmentent d’autant.
Mais les contributions de chaque groupe au succès du régime peuvent être bien différentes.
Pour simplifier, nous allons identifier ces différences avec le paramètre αi qui est spéci-
fique à chaque groupe. De plus, le succès de la dictature dépend des moyens qui sont consa-
crés à la répression. Une fois de plus, nous allons supposer que les contributions au succès
du régime grâce à la répression diffèrent en fonction des groupes, et nous allons simple-
ment évaluer ces réponses différentielles avec le paramètre βi . La sécurité de la dictature
peut maintenant plus simplement être transcrite avec l’ajout de ces deux termes,

S = n 1 [α1 U1 (Y1 + s1 ) + β1 R(TR 1)] + n 2 [α2 U2 (Y2 + s2 ) + β2 R(TR 2)] + …


(18.14)
+ n i [αi Ui (Yi + si ) + βi R(TR i)] + … + n m [αm Um (Ym + sm ) + βm R(TR m)]

sachant que Tri est le montant du revenu fiscal consacré à la répression du groupe i, et que
n i est la taille de ce groupe. La tâche du dictateur est de maximiser S avec pour seule
contrainte le fait que le montant total des subventions et de la recette fiscale consacrée à la
répression soit égal au montant de la recette fiscale prélevée (subventions négatives) 8.


m 
m
n i si + n i TRi = 0 . (18.15)
i=1 i=1

7 Ce raisonnement explique pourquoi nous distinguons la loyauté de la répression. Si les dépenses qui permet-
tent d’augmenter la loyauté bénéficient aussi des cibles de la répression, alors il serait logique de considérer
que L = L(YT , R) avec ∂∂ RL < 0.
8 Nous laissons à nouveau de côté la consommation du dictateur et la fourniture en biens publics.
482 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

En plus de cette contrainte budgétaire, il y a les contraintes dues au fait que les dépenses
associées à la répression ne peuvent pas être négatives, et qu’aucune taxe s’appliquant à un
groupe ne peut excéder le revenu déterminé de manière exogène, si si < 0, alors
| − si | ≤ Yi , et TRi ≥ 0 pour tout i. En maximisant l’expression (18.14) en fonction de si et
de TRi , cela donne les conditions de premier ordre suivantes pour tous les groupes pour
lesquels les contraintes d’inégalité ne sont pas fixées :
αi Ui = α j U j = βk R  = βh R  (18.16)
Le revenu est redistribué entre les groupes de manière à égaliser les impacts marginaux sur
la sécurité du gouvernement provenant de l’augmentation du revenu d’un membre de l’un
des groupes. Des recettes fiscales sont allouées à la répression de chaque groupe afin d’éga-
liser à nouveau les impacts marginaux sur la sécurité de la répression d’un membre d’un
des groupes. Pour les groupes dont les βi sont très bas, les gains issus de la répression sont
si bas qu’aucune ressource n’est consacrée à cette activité. Les groupes dont les α sont très
bas voient tous leurs revenus continuellement taxés.
En réalité, une relation fonctionnelle plus complexe reliant S et les utilités des
citoyens et les gains issus de leur répression semble plausible. Par exemple, les gains issus
de la répression d’un groupe donné sont susceptibles d’augmenter en même temps que le
montant du revenu prélevé régulièrement, ce qui fait que βi est une fonction de si . Mais
nous n’avons pas besoin d’explorer ces alternatives plus compliquées pour voir que l’en-
semble des politiques d’un dictateur sont susceptibles d’impliquer l’usage de récompenses
et de punitions 9. Il est important de noter dans ce contexte que la tâche à laquelle est
confronté le dictateur consiste à choisir des politiques d’impôts/dépenses qui sont similai-
res à celle à laquelle sont confrontés les partis en compétition dans le système électoral
bipartisan, dans l’hypothèse d’un modèle de vote probabiliste (voir chapitre 2). Quand des
groupes d’intérêt contribuent de différentes manières au succès du parti, on leur promet des
avantages particuliers issus des programmes gouvernementaux. La compétition pour les
votes entre les deux partis conduit ces derniers à proposer un ensemble de politiques qui
maximisent une certaine forme de fonction pondérée du bien-être social. Le dictateur n’a
pas à combattre une opposition organisée, mais doit vivre dans la peur constante qu’un
général ou un caporal ou un universitaire provoque un enchaînement de manifestations qui
aurait pour résultat sa chute.
Cette incertitude amène le dictateur à maximiser une fonction-objectif qui dépend
des utilités des citoyens. Ce qui le distingue le plus d’un parti dans une démocratie est le
fait que les poids qu’il accorde aux utilités de certains groupes doivent réellement être
négatifs.

18.3.4 Le dilemme du dictateur


Par conséquent, nous observons que les citoyens font l’expérience de gains et de pertes
différentiels issus des politiques publiques tant sous une dictature que dans une démocra-
9 Pour des discussions supplémentaires concernant les stratégies sélectives utilisées par les dictateurs, voir
Wintrobe (1998, chap. 6-8).
La dictature 483

tie. La recherche de rentes s’instaurera et des groupes différents se disputeront pour les
obtenir. Pour atteindre ces objectifs, le dictateur doit distinguer ses vrais partisans de ses
ennemis, et déterminer lesquels récompenser et lesquels punir (les α et β de la sous-section
précédente). Dans une démocratie, cette information est facilement disponible. Des
groupes d’intérêt apportent un soutien visible à un parti sous la forme de votes et de parti-
cipation à sa campagne. Un politicien peut alors facilement déterminer de manière claire
les groupes qui lui sont le plus fidèles – lesquels groupes méritent des récompenses. En
revanche, dans une dictature, le soutien au gouvernement est beaucoup plus passif. Il prend
la forme d’une absence d’opposition active au gouvernement, il ne sabote pas ses poli-
tiques, ni ne déclenche une révolution pour le renverser, etc. Tous les groupes sont incités
à feindre de soutenir la dictature, même s’ils travaillent activement à sa perte. Le dictateur
doit faire face au difficile problème de distinguer les groupes qui le soutiennent réellement,
de ceux qui prétendent seulement le soutenir, ainsi que déterminer lesquels sont actifs mais
complotent secrètement pour le renverser.
Par ailleurs, l’incitation à cacher ses véritables intentions et opinions à propos de
la dictature augmente selon le niveau de la répression et la volonté du dictateur d’exercer
un pouvoir absolu. Chaque citoyen doit se demander quand il exprime ouvertement une
opinion à propos du dictateur et de ses politiques, et si cela va améliorer son bien-être ou
renforcer la répression. Par conséquent dans une dictature, il est attendu qu’un individu
rationnel cache ses véritables sentiments concernant la dictature et ses politiques. Cela est
vrai du citoyen moyen de la rue mais également pour les conseillers les plus proches et les
plus importants du dictateur. Il en découle un véritable dilemme pour le dictateur 10. Plus
son pouvoir est absolu et plus son usage de la répression, pour rester en place, est impi-
toyable, plus ses sources d’information quant à la manière d’exercer son pouvoir le plus
efficacement sont pauvres. Paradoxalement, le pouvoir effectif du dictateur qui utilise la
crainte et la répression pour rester au pouvoir décline en réalité à mesure qu’il utilise de
plus en plus ces stratégies.
Pour s’assurer d’un soutien à son régime, le dictateur doit trouver un moyen de
signaler, de manière crédible, à ceux dont il cherche à gagner la loyauté qu’il ne se retour-
nera pas contre eux. De même, ceux qui recherchent des rentes et autres récompenses de la
part du dictateur, doivent trouver un moyen de signaler leur volonté d’échanger leur loyauté
contre des rentes. Plus généralement, le dictateur a besoin de critères pour distinguer ceux
qui devraient être récompensés de ceux qui ne devraient pas l’être, mais également pour
déterminer ceux qui devraient être réprimés. Dans ce cas, l’idéologie peut jouer un rôle
utile. Dans une théocratie, par exemple, les citoyens peuvent être distingués sur la base de
leur appartenance ou non à la religion d’État. Ceux qui n’en font pas partie deviennent les
cibles évidentes de la répression et de la taxation. Le soutien au dictateur est obtenu parmi
les adeptes de la religion à travers des transferts monétaires et d’autres mesures pour gagner
leur loyauté. L’idéologie du régime identifie les gagnants et les perdants potentiels de la
politique du gouvernement, et contraint, jusqu’à un certain point, le dictateur à ne pas
employer la répression contre les membres de la religion d’État. L’existence de la religion
d’État aide ainsi à rendre les promesses du dictateur crédibles. D’autres critères de diffé-

10 Le terme vient de Wintrobe (1998, pp. 20-39) ; voir aussi Elster (1993, pp. 66-9).
484 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

renciation parmi les citoyens ont existé du fait d’intérêts économiques (communisme) ou
d’appartenance à des groupes ethniques (fascisme, apartheid, nationalisme) 11.

18.3.5 Les limites du totalitarisme


La discussion précédente révèle les raisons pour lesquelles peu de dictateurs se sont déjà
rapprochés de la réalisation des objectifs ambitieux que Mussolini avait établis pour le
fascisme ; objectifs auxquels lui-même n’était certainement pas parvenu. Une des explica-
tions est que le dictateur totalitaire est susceptible de passer à côté de l’information dont il
a besoin pour atteindre ses objectifs. Une deuxième raison est qu’il est susceptible de
manquer de ressources nécessaires à la réalisation de ses objectifs.
En se référant à l’équation (18.14), nous observons que le dictateur peut taxer
certains groupes et transférer des ressources à d’autres groupes pour gagner la loyauté de
ces derniers. Des ressources supplémentaires sont nécessaires pour continuer de réprimer
d’autres groupes, en particulier ceux qui sont lourdement taxés. Au fil du temps, la produc-
tivité des groupes visés par une taxation et une répression pesante est susceptible de dimi-
nuer. Pour maintenir les recettes fiscales, le régime doit étendre la liste des cibles de la
taxation et de la répression. Comme leur productivité diminue, la liste des groupes ciblés
doit à nouveau être étendue, et ainsi de suite. Une raison pour laquelle le régime totalitaire
n’est pas capable d’atteindre son objectif d’asservissement idéologique complet de la popu-
lation est qu’il manque des moyens économiques 12.

18.4 L’APOGÉE ET LE DÉCLIN DES DICTATURES


Dans la section 18.1, nous avons décrit comment une dictature pouvait surgir d’un état de
pure anarchie. Très souvent, les régimes dictatoriaux émergent à la suite d’une guerre ou
d’une révolution, ou de l’effondrement d’une forme différente de gouvernement. Les otto-
mans vainquirent et remplacèrent alors une théocratie byzantine en ruine. Napoléon Bona-
parte érigea son empire dictatorial dans une France déchirée par des troubles et des conflits
directement issus de la Révolution française. La dictature communiste qui établit et domina
l’ensemble de l’Union Soviétique pendant la plus grande partie du vingtième siècle surgit
à la suite d’une révolution qui fit irruption en Russie pendant la Première Guerre mondiale,
et remplaça la monarchie des Romanov. La dictature fasciste d’Hitler remplaça un système
de gouvernement démocratique durant la crise économique en Allemagne dans les années
1930. Fidel Castro mena une armée révolutionnaire qui remplaça un dictateur impopulaire
à Cuba. Dans ces exemples, comme dans beaucoup d’autres que nous pourrions citer, le
nouveau régime remplace un régime déclinant ou corrompu à un moment de grande insé-
curité et de mal-être dans le pays. Par conséquent, le nouveau régime dictatorial débute
souvent en bénéficiant d’un soutien considérable d’au moins une partie de la population.
11 Pour une ample discussion, voir Bernholz (1991,1997b) et Wintrobe (1998, ch. 7 et 8).
12 Voir Wintrobe (1998, ch. 3 et 5). La preuve empirique du lien entre dictatures et performance économique est
discutée plus bas.
La dictature 485

Le dictateur victorieux étend et renforce ensuite son soutien initial. Des récompenses sont
accordées pour s’assurer de la loyauté de certains groupes ; la répression est utilisée pour
contrôler la (possible) trahison des autres. Et si le mouvement qui mène à l’émergence de
la dictature avait une idéologie, le dictateur l’emploiera afin de renforcer la loyauté.
Les vainqueurs d’une lutte révolutionnaire, tout comme les vainqueurs de toutes
contestations politiques, sont remplis de joie et d’enthousiasme, ainsi que d’une conviction
qu’eux et leur idéologie ont été reconnus. Cet enthousiasme, nourri par la victoire, peut
aider à fournir l’énergie requise pour construire les nombreuses institutions nécessaires au
soutien de la dictature sur le long terme. Mais, avec le temps, un tel enthousiasme diminue,
les souvenirs de la victoire s’estompent et la dictature entre en déclin. L’exemple le plus
récent et le plus spectaculaire d’un déclin suivi de l’effondrement d’un système dictatorial
est évidemment l’effondrement des régimes communistes de l’Union soviétique et de l’Eu-
rope de l’Est. Wintrobe (1998), tout comme Olson (2000), ont fourni des explications
complémentaires de ce déclin, en se focalisant sur les propriétés des gigantesques systèmes
planifiés bureaucratiques d’État de ces pays.
Dans la représentation classique d’une organisation hiérarchique, l’information qui
permet à l’organisation de réussir (c’est-à-dire des changements dans les goûts des clients
ou des consommateurs, de nouvelles options technologiques, etc.) est accumulée tout en
bas de la hiérarchie et remonte jusqu’à son sommet, alors que les directives sont décidées
au sommet et descendent vers la base. Les deux types d’information se déforment et se
dissipent quand elles circulent à travers la hiérarchie. En plus des pertes involontaires de
contenu qui se produisent quand l’information circule, il se produit des déformations et une
destruction intentionnelle de l’information, lorsque les membres d’une hiérarchie poursui-
vent de façon opportuniste leurs propres objectifs. La tâche qui incombe à chaque supervi-
seur est de réduire de telles pertes de contrôle afin que l’organisation réussisse à atteindre
les objectifs poursuivis par la ou les personnes se trouvant au sommet de la hiérarchie 13.
Wintrobe (1998, ch. 9 et 10), en s’appuyant sur Breton et Wintrobe (1982), fait une
distinction dans une organisation hiérarchique entre les échanges verticaux et les échanges
horizontaux. Les subordonnés proposent certains services à leurs supérieurs qui, en retour,
leur offrent certaines récompenses. C’est de cette manière que s’établit la confiance entre
les subordonnés et leurs supérieurs, de tels échanges verticaux mènent ainsi à la satisfac-
tion complète des objectifs de l’organisation. On peut s’attendre à ce que l’enthousiasme
qui caractérise les premières années d’un nouveau système dictatorial combiné à de forts
engagements pour l’idéologie soutenant la dictature renforcent les niveaux de confiance
entre les membres hiérarchiquement liés des administrations de l’État, et ainsi contribuent
à l’efficacité de la dictature. Wintrobe argumente notamment que la confiance hiérarchique
était particulièrement forte dans la bureaucratie de l’État soviétique pendant la première
décennie suivant la révolution, et que cela aide à expliquer son succès extraordinaire et
surprenant ainsi que l’apparente efficacité de la planification centrale soviétique sur la
majeure partie du vingtième siècle.

13 Des discussions traditionnelles à propos des propriétés de ces hiérarchies peuvent être trouvées chez Simon
(1961) et Williamson (1964, 1975). Voir aussi Milgrom et Roberts (1992).
486 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

À la différence des échanges verticaux, les échanges horizontaux diminuent l’effi-


cacité des organisations hiérarchiques. Des échanges horizontaux ont lieu entre des indivi-
dus à un niveau donné de la hiérarchie. Tous les intérêts communs à ces individus, autres
que les objectifs généraux de l’organisation, sont susceptibles d’entrer en conflit avec ces
derniers. Par exemple, tous les scientifiques d’un laboratoire de recherche sont susceptibles
d’avoir un intérêt commun dans l’extension de leur liberté concernant la définition des
thèmes des recherches qu’ils poursuivent. La capacité du laboratoire à répondre aux ques-
tions qui lui ont été posées devrait cependant être réduite si la recherche de ses membres
s’éloigne trop des questions qui lui ont été posées. Par conséquent, quand un lien horizon-
tal se développe dans une administration bureaucratique, on peut s’attendre à ce que son
efficacité diminue, et les relations de confiance se développent entre des gens qui occupent
des positions similaires dans la hiérarchie.
Dès lors que les échanges verticaux contribuent au succès de l’organisation, ils
peuvent être ouvertement annoncés. En effet, récompenser un subordonné pour avoir fait
un bon travail est susceptible d’avoir un impact plus important sur le succès de l’organisa-
tion si les personnes d’un même niveau hiérarchique sont mises au courant de la récom-
pense plutôt que si cela reste secret. Les échanges verticaux peuvent être mis par écrit et
facilement vérifiés. En revanche, les échanges horizontaux qui profitent aux participants de
la transaction, mais qui endommagent l’efficacité de l’organisation, doivent être faits et
tenus secrets. Quand plusieurs individus sont impliqués, ces échanges ressemblent à des
arrangements de cartels. Sur les marchés économiques, des arrangements horizontaux de
cartels peuvent être nécessaires pour éviter le contrôle des autorités chargées du maintien
de la concurrence pour promouvoir l’efficacité de l’économie. Des arrangements horizon-
taux de cartels parmi les bureaucrates doivent aussi être conclus tacitement pour éviter le
contrôle de ceux qui siègent plus haut dans la hiérarchie et qui ont tout à perdre si l’orga-
nisation devient moins efficace.
Tous les membres d’un cartel horizontal sont pris dans un dilemme du prisonnier.
Les rentes créées par le cartel représentent un bien public pour les participants. Tous les
membres du cartel ont avantage à ce que l’accord collusoire soit maintenu, mais chaque
individu membre peut tirer encore plus d’avantage en trahissant le cartel. Dans un cartel
horizontal établissant des prix, une telle trahison prend la forme de réductions de prix (habi-
tuellement secrètes). Dans un cartel horizontal de bureaucrates, la trahison peut prendre la
forme d’une dénonciation d’autres membres permettant d’obtenir ainsi une récompense
séduisante ou une promotion.
De telles dénonciations sont assez fréquentes pendant les premiers moments d’un
régime dictatorial, quand beaucoup de ses membres restent « fidèles à la cause » et s’en-
gagent envers l’idéologie de base du régime. Le temps passe, les souvenirs de la révolution
s’estompent et l’ardeur pour ses principes idéologiques mollit. La dénonciation devient
plus rare. Avec le temps, il devient aussi plus facile de déterminer à qui on peut se fier afin
de rester loyal au cartel et qui est susceptible d’être un dénonciateur. Par conséquent, les
échanges horizontaux et les cartels chercheurs de rentes qui affaiblissent l’efficacité de la
bureaucratie apparaissent essentiellement dans des bureaucraties qui ont de l’ancienneté.
De même que la sclérose institutionnelle et la recherche de rentes qui conduisent
au déclin économique n’apparaissent que dans les démocraties d’un certain âge, là où suffi-
La dictature 487

samment de temps s’est écoulé depuis la révolution ou la guerre qui les a instituées, la sclé-
rose institutionnelle et la recherche de la rente au sein de bureaucraties géantes qui gèrent
une économie planifiée au niveau central se désagrègent uniquement à mesure que passent
les années suivant la révolution ou la guerre qui instaura la dictature.
Wintrobe et Olson reconnaissent à Staline le fait d’avoir su reporter la charge de la
sclérose bureaucratique, et ainsi d’avoir su prolonger le « miracle économique » de l’Union
soviétique en détruisant l’échange horizontal et les structures de cartel au sein des bureau-
craties soviétiques au moyen de purges nombreuses et brutales. D’une part, ces purges
modifiaient l’adhésion potentielle à tout cartel horizontal et d’autre part, elles augmentaient
la pénalité pour quiconque était dénoncé. La sclérose bureaucratique devint inévitable une
fois que les purges prirent fin, et les bureaucraties soviétiques furent capables de se main-
tenir dans une forme de maturité pacifique.

18.5 DICTATURE ET PERFORMANCE ÉCONOMIQUE


Les démocraties sont-elles plus performantes que les dictatures ? Plusieurs auteurs ont
abordé cette question importante de manière théorique et empirique. Malheureusement, la
littérature ne donne pas de réponse univoque. Nous allons commencer par traiter l’appro-
che théorique.

18.5.1 Les avantages relatifs de la dictature


et de la démocratie
Dans la section 18.1, nous avons vu qu’un dictateur cherchant à maximiser sa consomma-
tion fournit un plus petit montant de biens publics que ce qui serait optimal pour la commu-
nauté entière. Ce résultat implique que, dans une démocratie qui prend ses décisions
collectives en utilisant la règle de l’unanimité, le niveau de biens publics et le revenu natio-
nal soient plus élevés que dans une dictature dans laquelle le despote choisit le niveau de
bien public pour maximiser sa consommation personnelle. Pourtant, aucune démocratie ne
prend ses décisions collectives en utilisant la règle de l’unanimité, et nous savons que, dans
la plupart des démocraties, la majorité gagnante peut se comporter comme un dictateur en
s’appropriant le revenu de la minorité. Ces résultats seraient-ils pour autant meilleurs ou
pires que ceux obtenus sous une dictature ?
Pour en tirer des implications, supposons, comme dans la section 18.1, que le
revenu national est une fonction de la quantité de bien public fourni et diminue à mesure
que l’impôt proportionnel sur le revenu augmente, Y = Y (G)(1 − ηt), dans ce cas η est
l’élasticité du revenu tenant compte du taux d’imposition. L’objectif du dictateur est de
maximiser sa consommation qui est égale au total de la recette fiscale moins le montant des
dépenses de biens publics :

O D = tY (1 − ηt) − G (18.17)
488 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

D’un autre côté, la communauté dans son entier souhaite maximiser la différence entre le
revenu total et le coût des biens publics,
O S = Y (1 − ηt) − G . (18.18)
L’une des manières de concevoir le comportement d’une coalition majoritaire est qu’elle
sélectionne à la fois un montant de biens publics et, de même que le dictateur, transfère à
son avantage une partie du revenu de la communauté sous la forme d’une subvention, S.
Les recettes fiscales doivent par conséquent couvrir à la fois les dépenses de biens publics
et la subvention,
tY (1 − ηt) = G + S . (18.19)
Considérons m comme étant la fraction de la communauté qui est dans la coalition majori-
taire, son objectif est ensuite de maximiser son partage du revenu national net d’impôt plus
ses subventions :
O M = m(1 − t)Y (1 − ηt) + S . (18.20)
En utilisant (18.19) pour remplacer S dans l’expression (18.20), nous obtenons
O M = m(1 − t)Y (1 − ηt) + tY (1 − ηt) − G . (18.21)
Avec m = 0, l’expression (18.21) se réduit à l’égalité (18.17) et nous obtenons la fonction-
objectif du dictateur maximisateur de consommation. Avec m = 1, l’expression (18.21) se
réduit à l’égalité (18.18) et nous obtenons la fonction-objectif de la communauté qui maxi-
mise le revenu net des coûts de biens publics. Par conséquent, la fonction-objectif pour une
coalition majoritaire redistributive se situe entre une dictature pure et une communauté
fonctionnant selon la règle de l’unanimité, et le taux d’imposition ainsi que les quantités de
biens publics qu’elle choisit, se trouveront donc entre ces deux valeurs 14.
Bien qu’il soit instructif de concevoir une coalition majoritaire comme pouvant
s’offrir simplement une subvention à partir des recettes fiscales générales, étant donnés les
effets désincitatifs de la taxation, une coalition majoritaire ne se taxerait pas elle-même, ni
ne s’offrirait une subvention. Une stratégie alternative serait de se taxer elle-même, ainsi
que la minorité mais à des taux différents. Si nous considérons tm comme le taux d’impo-
sition de la coalition majoritaire, et tn comme le taux d’imposition de la coalition minori-
taire, la fonction-objectif de la coalition majoritaire devient simplement la maximisation de
son revenu net d’impôts soumise à la contrainte budgétaire :
O M = m(1 − tm )Y (1 − ηtm ) + λ [G − mtm Y (1 − ηtm ) − (1 − m)tn Y (1 − ηtn )] .
dY
Malgré sa simplicité, le développement de (18.22) ne donne pas de valeurs pour tm et
dG
qui permettent facilement des interprétations intuitives. Toutefois, la maximisation de
(18.22) donne des valeurs pour tn . Le taux d’imposition imposé à la minorité par la majo-
rité est exactement le même que celui imposé à la communauté par le dictateur cherchant
à maximiser sa consommation 15.
14 Pour de plus amples discussions utilisant un modèle plus élaboré, voir McGuire et Olson (1996).
15 En développant l’expression (18.22) tout en tenant compte des rendements de tn comme une condition de
premier ordre, nous obtenons λ [−(1 − m)Y (1 − 2ηtn )] = 0. Puisque λ > 0, l’expression entre crochets doit
être égale à zéro, ce qui implique que tn = 12 η.
La dictature 489

Par conséquent, bien que dans une démocratie on puisse s’attendre à ce que la
coalition majoritaire exploite la minorité de la même façon qu’un dictateur l’aurait fait, ses
choix seront moins des choix d’exploitation, et les résultats dans une démocratie majori-
taire seront plus proches de ceux qui maximisent le bien-être de la communauté que dans
une dictature.
Ces arguments font abstraction des problèmes auxquels font face les dictateurs, à
savoir le maintien de leur position, leur possible intérêt pour le pouvoir et leurs objectifs
idéologiques, ce qui aurait comme conséquence de réduire le bien-être de la communauté.
Overland, Simons et Spagat (2000) ont récemment exploré les conséquences de l’intro-
duction de l’incertitude, plutôt que de la survie, dans le modèle d’un dictateur cherchant à
maximiser sa consommation.
Ils supposent que la probabilité pour un dictateur d’être renversé diminue à mesure
que la prospérité de la communauté augmente. Si les conditions initiales – dans leur
modèle, le stock de capital initial – sont assez favorables pour produire un niveau de vie
au-dessus d’un seuil critique, la dictature a une probabilité suffisamment élevée de survie
pour que le dictateur choisisse des politiques pour promouvoir la croissance, puisqu’il sait
qu’il y a de grandes chances qu’il soit bien placé pour pouvoir accaparer une part du revenu
national. Cependant, si les conditions initiales sont défavorables, la probabilité que la dicta-
ture survive est faible et le dictateur pille l’économie. Overland, Simons et Spagat prédi-
sent ainsi que les dictatures se classent en deux catégories : les très performantes en termes
de croissance économique, et les désastreuses.
Dans un modèle assez différent, Robinson (2000) a montré que les dictateurs
pouvaient choisir de ne pas investir dans les biens publics (comme l’éducation) suscepti-
bles d’améliorer le bien-être de la communauté, parce qu’une société bien instruite est plus
apte à les renverser.
Il est difficile, avec de tels résultats, de prévoir si les dictatures sont performantes
ou pas en termes de croissance économique. Et l’on parvient à la même conclusion pour les
démocraties, une fois que nous admettons diverses formes de la recherche de rentes, les
cycles, les administrations cherchant à maximiser leur budget, etc. 16 Comme c’est souvent
le cas, la question doit être réglée de manière empirique.

18.5.2 La performance économique relative des dictatures


et des démocraties
Le niveau de revenu ou la croissance du revenu par personne sont souvent utilisés comme
des mesures de performance dans les comparaisons internationales, et tous les travaux
comparatifs sur les démocraties et les dictatures utilisent ce type de mesures. Elles résu-
ment nombre des attributs de la démocratie que la plupart des citoyens souhaiteraient
posséder. Par exemple, on devrait être beaucoup plus heureux de vivre dans un pays dans
lequel on est libre de lire ce que l’on veut, que dans un pays où la liberté est absente, même

16 Pour de plus amples discussions à propos des différents arguments théoriques et des références à la littérature,
voir Przeworski et Limongi (1993).
490 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

si les niveaux de revenus et les taux de croissance dans les deux pays sont les mêmes.
Néanmoins, il est intéressant de se demander si ces mesures de performance économique
sont systématiquement reliées au degré de liberté et de démocratie. Une littérature assez
étendue a tenté de nous offrir une réponse.
Bien qu’il y ait des problèmes à définir et à mesurer proprement la performance
économique, ces difficultés sont insignifiantes à côté des problèmes de définition et de
mesure de la liberté et de la démocratie. Aujourd’hui, l’approche standard consiste à combi-
ner divers indices de libertés civiles, économiques et politiques à l’intérieur d’un ou
plusieurs grands indices. Dans certains cas, par exemple Scully et Slottje (1991) et de Haan
et Siermann (1998), l’accent est mis sur les libertés économiques : les indices de « liberté
de régime de change », de « liberté de permis de travail » et ainsi de suite, sont combinés.
Dans d’autres études, l’accent est mis davantage sur les libertés démocratiques.
Le plus rassurant pour les défenseurs du marché libre et des systèmes capitalistes
est que les indicateurs de liberté économique semblent corrélés positivement avec les taux
de croissance du revenu par personne. De Hann et Siermann (1998), par exemple, montrent
que les coefficients de neuf mesures différentes de la liberté économique ont tous les signes
attendus dans les régressions pour expliquer la croissance du revenu par personne, et
certains d’entre eux du moins étaient statistiquement significatifs et réussissaient une série
de tests de sensibilité. Cependant, dans une étude complémentaire, de Haan et Sturm (2000)
rapportent que seules les augmentations, et non les niveaux, de la liberté économique ont
un impact significatif sur la croissance économique 17. Wu et Davis (1999), d’autre part,
constatent aussi qu’il existe une corrélation positive entre la croissance du revenu et un
indice composé de libertés économiques, et Knack et Keefer (1995) trouvent que la protec-
tion des droits de propriété est positivement liée à la performance économique quelle que
soit la forme du système politique.
Ce qui est moins rassurant pour les défenseurs de la démocratie, ce sont les types
de relations entre les libertés démocratiques/politiques et les taux de croissance du revenu.
Bien que certaines études ont établi un lien positif significatif entre les mesures de liberté
politique et la croissance (e.g., Pourgerami, 1992), d’autres ont trouvé que les régimes auto-
ritaires avaient de meilleurs niveaux de croissance (Adelman et Morris, 1973 ; Barro,
1996). Przeworski et Limongi (1993) réexaminent 21 études testant le lien qui pouvait
exister entre le type de système politique et la croissance économique, et sont incapables
de déterminer des tendances probantes à partir de ces résultats. L’une des raisons de l’am-
biguïté de ces résultats vient de la discussion sur le déclin de la tendance bureaucratique
des économies planifiées centralisées. Dans le chapitre 22, nous discuterons des hypothè-
ses et des preuves qui suggèrent que les démocraties peuvent aussi connaître un déclin
économique. Les deux (démocratie et dictature) passent par des « cycles de vie », de sorte
que leurs taux de croissance économique varient de manière significative en fonction de
l’âge du régime. Pour tester efficacement les effets de la démocratie et de la dictature, il
faut faire la différence entre les variantes de ces deux systèmes selon qu’ils sont récents ou
anciens.

17 Berggren (1999) a trouvé que l’augmentation des libertés économiques réduit les inégalités de revenu.
La dictature 491

La deuxième difficulté qui se présente lorsqu’on mesure l’impact de la démocratie


sur les performances économiques, est que ni la démocratie, ni la dictature n’existent sous
une forme unique. Dans les pays européens, anglo-saxons et d’Amérique latine gouvernés
démocratiquement, il y a des différences potentiellement très importantes en ce qui
concerne les règles électorales (bipartisme, multipartisme, présidentielle), l’utilisation des
institutions de démocratie directe comme le référendum, les structures fédérales, et ainsi de
suite. Il y a aussi des différences importantes au sein des dictatures. Wintrobe (1998), par
exemple, établit tout d’abord une distinction entre les dictatures totalitaires, fantoches,
tyranniques et timocratiques (chapitres 1-5). Puis il distingue, selon une perspective
économique, les systèmes dictatoriaux cleptocratiques, autoritaires capitalistes, d’écono-
mie planifiée, et d’économie souterraine (chapitres 6-10). Non seulement il n’y a aucune
raison de supposer que toutes ces différentes formes de dictatures montrent des niveaux de
performance économique similaires, mais l’analyse de Wintrobe démontre pour quelles
raisons on peut s’attendre à ce qu’elles fonctionnent tout à fait différemment les unes des
autres. En effet, le fait que des dictateurs différents fassent des choix de politiques aux
conséquences économiques totalement différentes pour leurs sujets était évident dans les
modèles simples analysés dans les sections précédentes.
La principale implication empirique du modèle d’Overland, Simons et Spagat
(2000) décrit en amont, est qu’il devrait y avoir une plus grande variation dans les taux de
croissance des dictatures qu’il y en a pour les démocraties. Ils en apportent effectivement
la preuve 18.

18.5.2.1 Un test direct du modèle de dictature de Wintrobe


Schnytzer et Šušteršič (1997) utilisent l’adhésion au parti communiste en Yougoslavie sur
la période allant de 1953 à 1988, comme un indice de soutien au régime communiste,
soutien qui contribue à sa stabilité durant cette période. Entre 1953 et 1988, l’adhésion au
parti communiste de Yougoslavie variait à la fois dans le temps et entre les différentes répu-
bliques qui forment la République yougoslave. L’une des explications possibles de cette
variabilité est que l’adhésion au parti augmente en fonction de l’augmentation de la popu-
larité du parti. Cette hypothèse nous conduirait à présupposer, en lien avec la littérature sur
les cycles politico-économiques examinée dans le chapitre 19, que l’adhésion devrait avoir
une corrélation négative avec des variables économiques telles que les taux de chômage et
d’inflation. L’adhésion au parti communiste pourrait, d’un autre côté, mesurer le degré de
loyauté envers le régime résultant des « échanges politiques » entre le gouvernement et les
citoyens, en accord avec les hypothèses de Wintrobe. Schnytzer et Šušteršič (1997, p. 121)
« supposent que les emplois, ou la probabilité d’obtenir une promotion, étaient une source
très importante de rentes fournies par le parti à ses membres. La valeur relative de cette
rente augmentait avec le chômage. Par conséquent, on devrait s’attendre à ce que l’adhé-
sion à la LCY (la Ligue des Communistes de Yougoslavie) ait un rapport positif au
chômage » – ce qui est exactement l’inverse de l’hypothèse du « cycle de popularité poli-
18 Pour de plus amples discussions sur les problèmes conceptuels et économétriques, essayant d’estimer les diffé-
rences entre les taux de croissance selon que les pays sont classés comme démocraties ou comme dictatures,
voir Przeworski et Limongi (1993).
492 LES CHOIX PUBLICS DANS LES DÉMOCRATIES REPRÉSENTATIVES

tico-économique ». Pour des raisons analogues, ils s’attendent à ce que l’adhésion à la LCY
soit inversement liée au niveau des salaires réels. Une série de régressions fournit l’appui
le plus fort à ces prévisions dans les deux provinces ayant une importante population serbe,
où le gouvernement communiste était établi avec le plus de fermeté – la Serbie et le Monté-
négro. Peu de preuves empiriques soutiennent l’hypothèse de l’échange politique dans les
républiques non serbes de Slovénie et de Macédoine, où le gouvernement communiste était
le plus faible. La preuve empirique de l’hypothèse de l’échange politique s’est effondrée
entre ces deux extrêmes en Bosnie-Herzégovine et Croatie, qui avaient différentes popula-
tions serbes et des régimes communistes dont les forces ont aussi diminué par rapport aux
quatre autres républiques. Les résultats de Schnytzer et Šušteršič prennent un sens avec
l’hypothèse que les gouvernements de la Serbie et du Monténégro, et dans une moindre
mesure de Bosnie-Herzégovine et de Croatie, renforçaient et soutenaient un mélange idéo-
logique de nationalisme serbe et de communisme à travers l’échange politique, comme le
suppose le modèle de Wintrobe sur la dictature.

18.6 CONCLUSIONS
Le terme de démocratie évoque la souveraineté des citoyens. Les citoyens décident des
politiques menées par l’État, et seules leurs préférences comptent. En revanche, le terme de
dictature renvoie à l’antithèse de la démocratie. Seule compte la préférence du dictateur.
Sans doute, dans une démocratie directe, les choix collectifs des citoyens tendent raison-
nablement à se rapprocher de l’idéal de la souveraineté des citoyens. Même dans ce cas, il
faut se soucier du problème de l’ignorance d’une partie des électeurs, et des cycles de
certains choix du fait des règles de vote. Cela mis à part, on peut espérer qu’il y ait une
certaine correspondance entre ce que les citoyens attendent de l’État et ce qu’ils ont effec-
tivement.
On peut prévoir que cette correspondance est incontestablement moindre lors-
qu’une assemblée de représentants élus par les citoyens décide de la politique gouverne-
mentale et nomme des administrations pour la mettre en œuvre. Cette dernière structure
institutionnelle introduit le problème de l’agrégation des préférences des citoyens en ce qui
concerne le choix de leur représentants, les problèmes principal-agent entre les citoyens et
leurs représentants, entre leurs représentants et les fonctionnaires qu’ils nomment pour
mener à bien leurs politiques, et les problèmes principal-agent à travers les niveaux hiérar-
chiques des administrations gouvernementales. Néanmoins, la croyance largement répan-
due selon laquelle les démocraties représentatives – malgré tous leurs défauts – parviennent
mieux que les dictatures à satisfaire les préférences de leurs citoyens reste bien ancrée, dès
lors que, dans les démocraties représentatives, les citoyens-principaux continuent d’exer-
cer un certain contrôle sur leurs agents politiques et administratifs, tandis que, dans une
dictature, ce contrôle est absent.
La littérature examinée dans ce chapitre jette le doute sur la validité de ce fort
contraste entre les régimes. Le dictateur se heurte au problème principal-agent en ce qui
concerne la difficulté d’instaurer comme priorités, pour les bureaucrates qu’il contrôle
nominalement, ses intérêts et non leurs intérêts propres. Cela contraint le dictateur à
La dictature 493

employer des mécanismes de récompenses et de sanctions pour instaurer une conformité


bureaucratique, d’une certaine manière comme en démocratie. Les citoyens peuvent faire
en sorte que le dictateur se sente plus ou moins en sécurité en octroyant ou en retirant leur
loyauté et leur soutien au régime. Cela contraint le dictateur à évaluer les impacts de ses
choix politiques sur le bien-être des citoyens, d’une certaine manière comme les élus
responsables du parti doivent évaluer les impacts de leurs politiques sur le bien-être des
électeurs. Dans les deux types de système politique, on peut s’attendre à un phénomène de
recherche de rentes.
Ces similarités aident à expliquer les raisons pour lesquelles il a été difficile
d’identifier de manière empirique des différences dans les indicateurs de performance
économique, comme les taux de croissance du revenu par personne, entre les dictatures et
les démocraties.
Ces observations ne signifient pas, évidemment, qu’il n’existe aucune différence
significative entre les démocraties et les dictatures. La possibilité pour les politiques répres-
sives d’augmenter le pouvoir et la sécurité de l’exécutif est bien plus grande dans la plupart
des dictatures que dans la plupart des démocraties. L’existence d’un ensemble de droits et
de libertés définies de manière constitutionnelle, et d’un pouvoir judiciaire indépendant
confère aux citoyens des protections supplémentaires dans la plupart des démocraties, qui
sont absentes dans la plupart des dictatures. Le plus grand avantage que la démocratie a sur
la dictature n’est pas d’être plus performante en moyenne, mais que la démocratie sombre
rarement à un niveau de misère aussi profond que celui trop souvent observé dans les pays
sous dictateurs.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
La contribution de référence à la littérature du choix public sur la dictature est celle de Tullock
(1987). Kurrild-Klitgaard (2000) a récemment présenté des preuves soutenant l’une des prédictions
clefs de Tullock, à propos de la succession dans les dictatures. Entre 935 et 1849, il y avait beau-
coup plus de stabilité lorsque le successeur du monarque était choisi selon des lois héréditaires qui
identifiaient clairement le prochain monarque, que lorsqu’il y avait une ambiguïté sur son identité.
PARTIE
4

APPLICATIONS
ET TESTS EMPIRIQUES

Chapitre 19. Compétition politique et performance macroéconomique 497


Chapitre 20. Groupes d’intérêt, contributions de campagne
et activités de lobbying 543
Chapitre 21. La taille de l’État 575
Chapitre 22. Taille de l’État et performance économique 611
19
COMPÉTITION POLITIQUE
ET PERFORMANCE
MACROÉCONOMIQUE

19.1 Performance macroéconomique et succès électoral 498


19.2 Politique et opportunisme 506
19.3 Politique partisane 509
19.4 Validation empirique 515
19.5 Comportement de l’électeur 529
19.6 Politique et inflation 531
19.7 Déficits 536
19.8 Réflexions 539
498 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Toute l’histoire politique montre que la durée d’un gouvernement et sa capacité à


conserver la confiance des électeurs lors d’élections générales dépendent du
succès de sa politique économique.
Harold Wilson (cité par Hibbs, 1982c)

Dans ce chapitre, nous présentons quatre applications de la théorie des choix publics pour
expliquer des phénomènes réels. La première analyse essaie d’expliquer les politiques
macroéconomiques. Jusqu’à quel point ces politiques sont-elles déterminées par la compé-
tition pour les votes ? Jusqu’à quel point les électeurs prennent-ils en compte les perfor-
mances macroéconomiques d’un gouvernement lors de leur vote ? Ces questions ont fait
émerger une variété de modèles théoriques pour expliquer les choix en matière de poli-
tiques macroéconomiques et un nombre gigantesque d’études empiriques. En effet, aucun
autre champ de la théorie des choix publics n’a autant suscité de tests empiriques que celui
consacré aux modèles politico-macroéconomiques. Malheureusement et comme souvent
pour des travaux empiriques, les auteurs ne parviennent pas aux mêmes conclusions, ce qui
contribue à créer des échanges très vifs. Plutôt que de tenter de résoudre tous ces désac-
cords, ce chapitre offre au lecteur un large aperçu de la nature des débats sur plusieurs
enjeux et leur validation empirique. Nous commencerons par la question posée par Harald
Wilson qu’il considère manifestement comme un fait établi : les conditions économiques
affectent-elles le choix de l’électeur ?

19.1 PERFORMANCE MACROÉCONOMIQUE


ET SUCCÈS ÉLECTORAL
19.1.1 Vote et fonctions de popularité
Kramer (1971) fut le premier à mettre en évidence une relation entre performances macro-
économiques et succès électoral. Il cherchait à expliquer le pourcentage de votes des candi-
dats républicains en course pour la Chambre des Représentants entre 1896 et 1964 par l’état
de l’économie. Kramer trouva que les voix obtenues par les candidats sortants étaient
inversement reliées au taux d’inflation et positivement liées à la croissance du revenu.
Un grand nombre de travaux empiriques ont confirmé les résultats originaux de
Kramer. Le tableau 19.1 fait état de plusieurs de ces études qui ont testé si le chômage (U),
l’inflation (P), ou le revenu réel (Y) influencent le pourcentage de suffrages obtenus par un
candidat ou un parti politique. Même si chaque variable n’est pas forcément significative
dans chaque étude, le nombre de fois où les coefficients de U, P ou Y sont statistiquement
significatifs et du signe attendu est tout à fait comparable à d’autres études empiriques
portant sur les relations macroéconomiques.
Les élections présidentielles américaines ont lieu tous les quatre ans, les élections
françaises tous les cinq ans depuis 2002 1. Une élection générale britannique doit se tenir
au maximum tous les cinq ans. Ainsi, les études cherchant à prédire le score électoral sont
contraintes par des échantillons très faibles, du fait d’un nombre d’élections restreint, et par
1 Auparavant et depuis les débuts de la 5e République, le mandat présidentiel était de sept ans.
Tableau 19.1
Effet des conditions macroéconomiques sur le vote des partis ou présidents

Variable
dépendante Taux de
Variables dépendantes Auteurs Période retardée Taux d’inflation (P) chômage (U) Revenu national (Y)
Élections américaines à la Chambre
des Représentants
% de votes républicains Kramer (1971) 1896-1964 –0,41*Pt –0,001∆Ut 0,27Yt
% de votes républicains Stigler (1973) 1896-70 –0,21**(Pt – P) 0 ,17*(Yt – Y)
% de votes républicains Alesina et Rosenthal (1995) 1915-88 0,89**
Probabilité de réélection du sortant Grier et McGarrity (1998) 1916-1994 –0,43*Pt –0,40**Ut –0,32**Yt
Élections sénatoriales
–1 –1
a
% de votes du parti sortant Peltzman (1990) 1950-88 – 3,6** ∑ ( P t + j – P̂ t + j ) 1,1** ∑ ∆ ln Y t + j
j = – 48 j = – 48
Compétition politique et performance macroéconomique

Vote républicain Bennett et Wiseman (1991) 1952-86 nsb nsb nsb

∆Y c ∆Y c
Vote du parti sortant Chressenthis et Shaffer (1993) 1976-90 0,18** 0,05P tc – 0,08 --------t – 0,01 --------t
Yt Yt

Élections présidentielles
Y t + Y t – 1 + Y t – 2 + Y t – 3
Ln(candidat en place) Niskanen (1979) 1896-1972 -
1,51 ln  ----------------------------------------------------
 4 

Candidats démocrates Fair (1982) 1961-1980 –0,68|Pt – Pτ–2|/2Pτ–1 0,98**∆Yt/Yt–1

% de votes candidats en place Kirchgässner (1981) 1896-1976 0,49** – 0,12** P t2


499
Variable
500

dépendante Taux de
Variables dépendantes Auteurs Période retardée Taux d’inflation (P) chômage (U) Revenu national (Y)
–1 –1
a
% de votes du parti sortant Peltzman (1990) 1952-88 – 9,7** ∑ ( P t + j – P̂ t + j ) 3,1** ∑ ∆ ln Y t + j
j = – 48 j = – 48

% de votes Bush par État Abrams et Butkiewicz (1995) 1992 0,75** –0,61**Ut 0,19**(∆Yt – ∆Yt–1)d
% de votes candidats républicains Alesina et Rosenthal (1995) 1915-88 0,74** 1,14**∆Yt
j e
Σ j14= 0 λ ∆ ln Y t – j
Candidat du parti sortant Hibbs (2000) 1952-1996 -
4,1** ----------------------------------
j
Σ j14= 0 λ

Élections du Gouverneur
–1
a
Probabilité de réélection du sortant Adams et Kenny (1989) 1946-84 0,007** ∑ ( Y t + j – Ŷ t + j )
j = –4

–1 –1
a
% de votes du parti sortant Peltzman (1990) 1952-88 – 2,7** ∑ ( P t + j – P̂ t + j ) 1,4** ∑ ∆ ln Y t + j
j = – 48 j = – 48

% de votes du parti sortant Levernier (1992) 1970-1988 0,39* –0,15Ut –0,31**∆Yt


Élections État

% de sièges démocrates par État Chubb (1988) 1940-82 0,42** – 0,53** Y tc


APPLICATIONS

Danemark
Variation à long terme des princi- –0,119(∆Ut
Madsen (1980) 1920-73 –0,43*Pt
paux partis de gouvernement – ∆Ut–1)
ET TESTS EMPIRIQUES
Variable
dépendante Taux de
Variables dépendantes Auteurs Période retardée Taux d’inflation (P) chômage (U) Revenu national (Y)
Norvège
Variation des partis de gouverne-
Madsen (1980) 1920-73 –0,36*Pt –0,61**Ut
ment en moyenne de long terme
Suède
Variation des partis de gouverne- –2,30*(∆Ut –
Madsen (1980) 1920-73 –0,22Pt 0,73**Yt
ment en moyenne de long terme ∆Ut–1)
France
P t + P t – 1 + P t – 2 Y t + Y t – 1 + Y t – 2
Partis d’opposition de gauche Rosa (1980) 1920-73 -
0,20*  ----------------------------------- – 0,08**  ------------------------------------
 3   3 

Grande-Bretagne
% de votes du parti sortant Hibbing (1987) 1945-84 –0,49*Pt –0,50*Ut –1,2*∆Yt
Compétition politique et performance macroéconomique

Angleterre
% de votes Parti Travailliste/Parti
Fielding (2000) 1997 1,02*Ut
Conservateur

Note : * significatif au seuil de 95 %, ** au seuil de 99 %. Les définitions des variables diffèrent selon les études (par exemple, revenu national réel vs. revenu national nominal). Le lecteur doit consulter les études
originales pour une description précise. X t est la valeur courante de X , X t−i est la variable retardée pour la période i , X t = X t−1 , X est la moyenne ou la tendance de la variable X .
Note :
aPt+ j , Y
t+ j est le taux d’inflation ou le revenu réel prédit en t + j.
b Conditions économiques des États non significatives.
C Conditions économiques nationales lorsque le Président appartient au même parti.
d « Croissance inattendue » du revenu réel par tête de l’État défini comme la croissance de 1988-1992 (Y ) ; moins la croissance de 1984-88 (Y
t t−1 )
e λ estimé à 0,95.
f Données en coupes par pays. Parti conservateur au pouvoir, signe prédit sur U positif.
t
Sources : Les premières études sont tirées de Schneider et Frey (1988, tableau 1). Reproduit avec la permission des Presses de l’Université de Duke.
501
502 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

conséquent par des degrés de significativité statistique limités. La proposition suggérée par
Kramer pour contourner ce problème consiste à estimer des relations pour des gouverne-
ments sous-nationaux, augmentant de facto le nombre d’observations.
Une autre méthode consiste à utiliser des données de sondage plutôt que des
données d’élection. En effet, les réponses aux questions de type « Pensez-vous que le Prési-
dent a fait un bon travail ? » reflètent au moins en partie le jugement d’un citoyen sur l’état
de l’économie et la responsabilité qu’il associe au président pour ce résultat. Puisque les
enquêtes d’opinion publiques sont plus nombreuses que les élections elles-mêmes, il est
possible d’utiliser des données économiques trimestrielles voire mensuelles. Le
tableau 19.2 présente plusieurs études qui ont testé une relation entre la popularité d’un
gouvernement ou d’un président (mesurée par les instituts de sondage à un niveau indivi-
duel) et les performances macroéconomiques. Harold Wilson semble avoir raison. Une
bonne performance macroéconomique augmente le jugement favorable des électeurs
envers le gouvernement sortant et donc augmente ses chances de réélection.

19.1.2 Qui les électeurs tiennent-ils responsables


des conditions économiques ?
Stigler (1973) s’est attaqué à la fois à la logique du travail de Kramer (1971) sur le vote aux
élections de la Chambre américaine et à ses résultats économétriques. En réestimant les
équations du modèle original pour différentes périodes, Stigler a montré que les coeffi-
cients se révèlent instables 2. Une des explications possibles à ce nouveau résultat repose
sur fait que les électeurs ne tiennent pas nécessairement les membres du Congrès pour
responsables des conditions macroéconomiques (Crain, Deaton et Tollison, 1978). Ils pour-
raient raisonnablement croire que leurs représentants sont davantage responsables de la
politique de redistribution et le Président comptable de la politique macroéconomique.
Cette interprétation est soutenue par différentes études empiriques de données de
sondage qui échouent à identifier une relation entre le vote aux élections de la Chambre et
les variables macroéconomiques (Fiorina, 1978 ; Weatherford, 1978 ; Kinder et Kiewiet,
1979). Même si Kramer (1983) a probablement raison d’avancer que des erreurs d’obser-
vations ont perturbé la corrélation attendue entre vote et variables macroéconomiques, ces
études ont néanmoins mis en lumière des relations lors de votes aux élections sénatoriales
et présidentielles. Les résultats de Peltzman (1990) présentés dans le tableau 19.1 sont en
ce sens révélateurs. Peltzman estime le même modèle sur la même période à partir des
votes aux élections présidentielles, sénatoriales et des États. Bien que les coefficients asso-
ciés à l’inflation et la croissance du PIB soient significatifs pour les trois élections, leur
ampleur est beaucoup plus forte pour l’élection présidentielle. Alesina et Rosenthal (1995)
obtiennent une relation significative entre la croissance du PIB et le vote présidentiel, mais
pas pour les élections de la Chambre 3. Bennett et Wiesman (1993) trouvent que les condi-
2 Voir aussi Arcelus et Meltzer (1975a,b), Bloom et Price (1975) et Groodman et Kramer (1975).
3 D’un autre côté, en utilisant les résultats des élections au Congrès plutôt que ceux pour l’élection présiden-
tielle, Kramer (1971) a observé une meilleure spécification du modèle. Voir aussi les résultats comparés de
Kuklinski et West (1981) pour le vote au Sénat et à la Chambre, et Fiorina (1978, 1981) pour le vote à la
Chambre et à la présidence.
Tableau 19.2
Influence des conditions macroéconomiques sur la popularité (POP) des partis

Variable
Variable dépendante /
Auteurs Période dépendante Taux d’inflation (P) Taux de chômage (U) Revenu national (Y)
Pays
retardée
États-Unis
Présidentielles, T Schneider (1978) 1961 :1-1968 :4 –2,61*Pt–2 –5,43**Ut–2
Présidentielles, T Schneider (1978) 1969 :1-1976 :4 –2,15*Pt–2 –3,89**Ut–2

POP Hibbs (1982c) 1961 :1-1980 :1 0,84b –0,017** ln (Pt/Pt–1) –0,017** ln (Ut/Ut–1) –0,015** ln (Yt/Yt–1)
ln  --------------------- , T
 100 – POP

POP Hibbs (1987) 1961 :1-1984 :1


ln  --------------------- , T 0,83b –0,028** ln (Pt/Pt–1) –0,030** ln (Ut/Ut–1) –0,011** ln (Yt/Yt–1)
 100 – POP
0,77b –0,039** ln (Pt/Pt–1) –0,025** ln (Ut/Ut–1) –0,018** ln (Yt/Yt–1)
Popularité parmi :
0,84b –0,031** ln (Pt/Pt–1) –0,015** ln (Ut/Ut–1) –0,015** ln (Yt/Yt–1)
Démocrates
Compétition politique et performance macroéconomique

Républicains
Indépendants
Présidentielles, T Smyth et Dua (1989) 1971-1978 –1,47**Pt +7,0**Ut – 0,60**Ut2
Présidentielles, M Smyth, Dua et Taylor (1994) 1981-1988 0,63** –0,11**Pt2 –0,35**Ut2
France
Présidentielles, M Lewis-Beck (1990) 1960 :1-1978 :4 –1,47**Pt–2 –0,56**Ut–2

POP Hibbs (1981) 1969 :4-1978 :4 0,8b 0,004**Pt –0,01**Ut 0,017**Yt


ln  --------------------- , T
 100 – POP

POP Lafay (1984) 1974 :10-1983 :12 –0,28**Pt –0,103**Ut–1 0,029**Yt–1


ln  --------------------- , T
 100 – POP
503
504

Variable
Variable dépendante /
Auteurs Période dépendante Taux d’inflation (P) Taux de chômage (U) Revenu national (Y)
Pays
retardée
Australie
Schneider et Pommerehne 1960 :2-1977 :2 0,66** –0,47**Pt–1 –1,13**Ut–1 0,005**Yt–1
Partis de gouvernement, T
(1980)
Danemark
Partis de gouvernement, T Paldman et Schneider (1980) 1957 :2-1968 :1 0,67** –0,41*(Pt – Pt–4) –0,73*(Ut – Ut–4) 0,19*(Yt – Yt–4)
Allemagne
Parti de gouvernement, M Kirchgässner (1976) 1951 :1-1966 :10 0,67** –0,20**Pt –0,43**Ut
Partis de gouvernement, M Kirchgässner (1977) 1970 :3-1976 :10 0,61** –0,09**Pt –0,31**Ut
Partis de gouvernement, T Hibbs (1982c) 1957 :4-1978 :4 0,88b –0,017** ln (Pt/Pt–1) –0,006** ln (Ut/Ut–1) –0,005** ln (Yt/Yt–1)
ln[POP(100 – POP)]
Grande-Bretagne

Leader gouvernement, T Pissarides (1980) 1955 :3-1977 :4 0,52** –0,57*(Pt – Pt–1) 1 0,26**Yt
4,55*  ----------
U 
(POPGOV – POPOPP) t–2

Partis de gouvernement, T Hibbs (1982c) 1959 :4-1978 :4 0,88b –0,0038** ln (Pt/Pt–1) –0,21** ln (Ut/Ut–1) –0,0081∆ ln (Yt/Yt–1)
ln[POP(100 – POP)]
Leader gouvernement, T Minford et Peel (1982) 1959 :1-1957 :3 1,95P tc + 1 0,53Y tc + 1
(POPGOV – POPOPP)
APPLICATIONS

Gouvernement, T Price et Sanders (1994) 1951-1989 0,87** –0,015**Pt – 0,009*Pt–2 –0,24*∆ ln Ut–1
ln[POP/(1 – POP)] –0,28*∆ ln Ut–2
Irlande
Leader du principal parti de Borooah et Borooah (1990) 1974-87 –1,86*Pt –0,008**Ut–1 1,39**Yt
gouvernement sur princi-
pal parti d’opposition, T
ET TESTS EMPIRIQUES
Variable
Variable dépendante /
Auteurs Période dépendante Taux d’inflation (P) Taux de chômage (U) Revenu national (Y)
Pays
retardée
Japon
Partis de gouvernement Inoguchi (1980) 1960-76 –0,68**Pt 0,59**Yt–2
Parti de gouvernement, T Suzuki (1994) 1961-87 0,81** 0,008Pt–1 0,0003**Yt–1
Nouvelle-Zélande
Leader gouvernement, T Ursprung (1983) 1970 :1-1981 :4 0,21 –0,35**(Pt – Pt–1) –2,12**Ut 0,07(Yt/Yt–1)
(POPGOV – POPOPP)
Gouvernement, T Smyth et Woodfield (1993) 1985-1990 2
–0,039Pt–4 –0,79**Ut2
Suède
Sociaux-démocrates, M Jonung et Wadensjoe (1979) 1967 :3-1976 :9 0,88** 0,10*Pt–1 –0,73**Ut–1
Pays-Bas
Renaud et van Winden 1970 :1-1981 :12
Popularité de 3 partis, M
(1987a)
Compétition politique et performance macroéconomique

Démocrate-chrétiens 0,83** –2,23*Pt –1,09*Ut


Sociaux-démocrates 0,83** –1,67*Pt –0,57*Ut
Libéraux-conservateurs 0,83** –0,78*Pt –0,36*Ut

Notes : Voir tableau 19.1


a T= Trimestriel ; M=Mensuel.
b Estimé par recherche itérative pour la somme minimum des erreurs au carré.
c Valeur projetée sous l’hypothèse d’anticipations rationnelles.

Sources : Schneider et Frey (1988, tableau 2 et 3). Reproduit avec la permission des Presses de l’Université de Duke.
505
506 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

tions économiques affectent les chances d’élection d’un candidat sénateur seulement si ce
dernier appartient au même parti que le président en place. Enfin, Chressanthis et Shaffer
(1993) ne trouvent aucun effet significatif pour les variables macroéconomiques sur le vote
aux élections sénatoriales.
Des relations plus faibles entre d’une part variables macroéconomiques et d’autre
part votes ou popularité (POP) ont été observées dans les pays où le gouvernement est cons-
titué d’une coalition de plusieurs partis 4. Ces résultats suggèrent encore une fois que les
conditions macroéconomiques influencent seulement la manière dont les citoyens votent
dès lors qu’ils peuvent « personnaliser » le ou les responsables de la situation économique.

19.2 POLITIQUE ET OPPORTUNISME


Si les électeurs prennent en compte la performance macroéconomique quand ils votent,
alors les politiciens choisiront les politiques macroéconomiques dans le but de gagner des
voix. Une manière de considérer ce problème est d’admettre que l’inflation (P) et le
chômage (U) sont les seules variables de la fonction d’utilité de l’électeur, et qu’une courbe
traditionnelle de Phillips à long terme LL existe (figure 19.1). Dès lors que l’inflation et le
chômage se détériorent, les courbes d’indifférence de l’électeur sont concaves à l’origine
avec des courbes d’indifférence plus proches de l’origine caractérisant des niveaux d’uti-

Figure 19.1
Arbitrage entre inflation (P) et chômage (U).

4 Voir aussi Alesina et al. (1999) et les discussions et références dans Nannestad et Paldam (1994, pp. 233-4).
Swank et Eisinga (1999) démontrent empiriquement que les gouvernements de coalition aux Pays-Bas sont
sanctionnés pour leurs mauvais résultats macroéconomiques, une fois contrôlés les effets partisans.
Compétition politique et performance macroéconomique 507

lité plus élevés 5. LL étant le domaine des possibles et en supposant deux partis politiques
en présence, la compétition électorale entre eux débouche sur un point unique de maximi-
sation de vote le long de LL. Alors que le plan d’indifférence de chaque électeur devrait le
conduire à favoriser un point différent le long de LL (avec seulement U et P dans la fonc-
tion d’utilité), la relation inverse entre U et P inhérente à la courbe de Phillips réduit l’en-
semble des possibles à une seule dimension de U (c’est-à-dire un seul choix). Les
préférences de l’électeur étant unidimensionnelles le long de LL, le modèle de l’électeur
médian peut s’appliquer. Si I1 et I2 sont les courbes d’indifférence de l’électeur médian,
alors les deux partis s’efforceront d’adopter des politiques de stabilisation qui déplacent
l’économie au point M sur la courbe de Phillips.

19.2.1 En présence d’électeurs myopes


En présence de choix contraints matérialisés par la courbe LL, et avec des électeurs parfai-
tement informés et rationnels, la concurrence à deux partis peut selon toute attente débou-
cher sur une combinaison unique chômage/inflation quel que soit le parti en place.
Cependant, la situation est quelque peu différente si, par exemple, les quantités répondent
plus rapidement aux changements macroéconomiques que les prix avec l’hypothèse de rigi-
dité nominale (Okun, 1981). Le gouvernement peut manipuler les leviers macroécono-
miques afin de réduire le chômage à court terme, avec des conséquences inflationnistes qui
interviendront plus tard. Maintenant, considérons des gouvernements qui font face à une
courbe de Phillips de type SS (figure 19.2). Si les électeurs ignorent ou dévalorisent le taux

Figure 19.2
Le cycle politico-économique.

5 Smyth et Woodfield (1993) estiment des courbes d’indifférence pour les électeurs néo-zélandais qui ressem-
blent à celles de la figure 19.1, à l’inverse des courbes d’indifférence estimées par Smyth et Dua (1989) pour
les États-Unis qui ont une forme en U inversé.
508 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

d’inflation futur éventuellement induit par un mouvement le long de SS à gauche de M,


alors le gouvernement sortant peut augmenter substantiellement le niveau d’utilité des élec-
teurs à court terme en adoptant des politiques qui déplacent l’économie vers le point M  .
Ainsi, le gouvernement sortant est en mesure d’augmenter ses chances de réélection en
réduisant le chômage l’année juste avant l’élection (Nordhaus, 1975 ; Lindbeck, 1976 ;
MacRae, 1977 ; Fair, 1978 ; Tufte, 1978). Dans les pays où les gouvernements peuvent
convoquer des élections à tout moment, le gouvernement sortant a un avantage supplé-
mentaire sur l’opposition puisqu’il peut faire en sorte que les élections se déroulent au
moment où les conditions économiques lui sont le plus favorables (Frey et Schneider,
1978b ; Lächler, 1982).
Évidemment, après l’élection, l’inflation grimpe du fait de l’ajustement des prix et
l’économie retourne le long de LL. Mais ce supplément d’inflation peut être l’héritage d’un
parti d’opposition, et même si le parti sortant l’emporte, il a la possibilité de réduire l’in-
flation après l’élection en menant une politique suffisamment déflationniste. Donc, il
ressort de cette première famille de modèles opportunistes que les partis sortants créent
délibérément un cycle politico-économique (CPE) caractérisé par une baisse du chômage
avant une élection et une hausse du chômage après l’élection (en diminuant l’inflation),
telle que représentée sur la figure 19.2 par la ligne en pointillés.

19.2.2 En présence d’électeurs rationnels


La modèle précédent admet que les électeurs sont myopes. Ils votent pour le gouvernement
au point M’ comme si la combinaison de U et P était durable, et même si l’économie se
détériorera par la suite et leur apportera des niveaux d’utilité plus faibles qu’aux points M
ou M’. De plus, ils n’apprennent pas de leurs erreurs. Chaque gouvernement essaie de
duper les électeurs en leur faisant croire qu’il est en mesure de s’éloigner de la courbe de
Phillips à long terme. Et les électeurs tombent régulièrement dans ce piège.
Cette forme de myopie extrême est difficilement compatible avec le postulat
d’électeurs rationnels sur lequel est fondé l’essentiel de l’approche du Public Choice, et
avec le postulat d’anticipations rationnelles de tous les agents économiques qui a long-
temps dominé l’approche macroéconomique depuis l’appariation des modèles CPE oppor-
tunistes. Selon Rogoff et Sibert (1988), plusieurs variantes du modèle de CPE
opportunistes sont apparues 6. Dans ces modèles, les candidats ou partis politiques diffèrent
dans leurs stratégies de politique macroéconomique. Un candidat A peut atteindre un
niveau plus élevé de croissance du revenu pour un niveau donné d’inflation que le candi-
dat B. Si les électeurs sont parfaitement informés, le candidat A gagne toujours l’élection.
Mais si les électeurs ne sont pas parfaitement informés, un cycle politico-économique peut
se mettre en place. Si A est le candidat sortant, il peut signaler sa plus grande compétence
en améliorant la situation économique avant l’élection. Les électeurs peuvent reconnaître
que A est le candidat le plus compétent car il aurait été plus coûteux pour un candidat moins
compétent d’adopter une telle politique. Bien que cette accélération artificielle de l’écono-

6 Voir aussi Lächler (1984), Persson et Tabellini (1990), Rogoff (1990), Alesina et Rosenthal (1995, chap. 9) et
Sieg (1998).
Compétition politique et performance macroéconomique 509

mie entraîne un niveau d’inflation non nécessaire après l’élection, les électeurs préféreront
élire A car il est en mesure de mieux gérer l’économie que son adversaire. Ce modèle prédit
donc, comme le modèle de l’électeur myope, que les gouvernements augmenteront certai-
nes catégories de dépenses ou laisseront courir les déficits avant une élection.

19.3 POLITIQUE PARTISANE


Le modèle de concurrence électorale à deux partis admet que les électeurs n’ont aucune
loyauté envers les partis qui n’ont à leur tour aucune loyauté envers des groupes spécifiques
d’électeurs. La compétition politique, à l’instar de la concurrence sur les marchés, demeure
impartiale. Les électeurs votent pour les partis dont les positions sont les plus proches des
leurs en matière d’inflation et de chômage. À long terme, les deux partis convergeront vers
la même combinaison de chômage et d’inflation sous la contrainte de la courbe de Phillips.
Les deux partis essaieront donc de la même manière de manipuler l’économie à leur avan-
tage juste avant l’élection.
Une partie importante de la littérature empirique indique toutefois que les choix
des électeurs ne sont pas aussi simples que la théorie le suggère. Les partis politiques ne
promettent pas exactement les mêmes politiques. Le fait que les électeurs soient attirés par
certains partis et que les partis soient soumis à une forme d’inertie idéologique peut être
expliqué par une extension du modèle de concurrence électorale avec des partis et électeurs
égoïstes.
Les travailleurs non qualifiés et les cols bleus ont plus de chances de devenir
chômeurs que les cadres et autres cols blancs. Donc, il est rationnel pour les groupes faible-
ment qualifiés d’être plus concernés par les politiques de lutte contre le chômage. Dans la
figure 19.3, l’axe vertical représente le pourcentage d’individus pour un groupe profes-
sionnel donné qui ont jugé le chômage comme « un enjeu particulièrement important » ou
« le problème le plus important » du moment. Sans surprise, le chômage est considéré
comme un enjeu important en 1975 lorsque le taux de chômage atteint 4,2 %, comparati-
vement à 1969 ou 1964 lorsque les taux s’établissaient respectivement à 2,5 % et 1,8 %.
Mais à aucun moment, les groupes professionnels les plus qualifiés ne manifestent une
préoccupation plus importante sur la question du chômage que les groupes les moins quali-
fiés.
Étant donné ce dualisme dans l’intensité des préférences, il n’est peut-être pas
surprenant que le soutien des groupes sociaux les moins qualifiés auprès du gouvernement
sortant soit davantage focalisé sur les questions de chômage. Le tableau 19.3 résume l’im-
pact des variations des taux de chômage, d’inflation et du revenu sur le soutien au prési-
dent des États-Unis et au gouvernement britannique. Dans les deux pays, la réaction des
groupes professionnels aux changements d’inflation et de chômage varie substantiellement.
En effet, il y a peu de différences dans la réaction des groupes à la variation du taux d’in-
flation dans chacun des deux pays, alors que la réponse des groupes au changement du taux
de chômage varie de 1 à 4 aux États-Unis, et de 1 à 2 au Royaume-Uni. Selon les estima-
tions de Hibbs, les Américains sont en moyenne beaucoup plus concernés par l’inflation
relativement au chômage que les Britanniques. Dans un autre ordre de comparaison, les
510 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

%
40
35
32
29
30
30
28

19
20 22
21
19

14
10 12

mai-75
sept-69 6
oct-64
0
Travailleurs semi- Travailleurs Contremaître Cadres
et non qualifiés, qualifiés et travailleurs
retraités, veufs non manuels

Figure 19.3
Pourcentage de répondants jugeant le chômage comme le « problème le plus sérieux ».

Source : Hibbs (1982b, p. 262).

Tableau 19.3
Variations de soutien politique au président américain et au gouvernement britannique en réponse aux performances
macroéconomiques.

Taux Taux Taux de croissance


Groupes professionnels
d’inflation de chômage du revenu réel
Soutien aux présidents américains, sondage Gallop (1960-79)
Cols bleus –3,3 –2,2 +2,7
Cols blancs –3,6 –1,6 +2,1
Non actifs –3,2 –0,45 +1,2
Soutien au gouvernement britannique (1962-78)
Travailleurs semi- et non qualifiés, retraités, veufs –1,9 –2,85 +1,0
Travailleurs qualifiés –1,8 –3,3 +1,3
Employés non manuels –1,7 –1,55 +0,55

Source : Hibbs (1982a, tableau 4 ; 1982b, tableau 3). Les chiffres sont ceux de Hibbs pour une augmentation de 2 points de pourcentage
divisés par 2.
Compétition politique et performance macroéconomique 511

Néo-Zélandais sont prêts à accepter d’importantes augmentations d’inflation contre de


faibles réductions de chômage (Smyth et Woodfield, 1993).
La figure 19.4 représente graphiquement les coefficients estimés pour le chômage
et l’inflation dans une équation de popularité présidentielle selon les catégories de revenus
(Schneider, 1978). Conformément aux résultats du tableau 19.3, le soutien au président est
plus sensible en matière de chômage pour les groupes sociaux aux revenus les plus faibles 7.
Inversement, les revenus les plus élevés semblent plus concernés par les questions d’infla-
tion. Bien qu’il y ait plus de variabilité dans les coefficients estimés par Schneider que ceux
de Hibbs, la courbe reliant tous les coefficients estimés d’inflation est plus aplatie que celle
consacrée à l’inflation, traduisant une variance inter-groupes plus forte pour la série du
chômage.
Ces différences d’attitude se manifesteront dans des plateformes électorales diffé-
rentes si, à l’inverse du modèle de Downs, les partis accordent des faveurs à différents
groupes d’électeurs. Wittman (1973) était le premier à modifier le modèle de Downs en
assignant aux chefs de parti d’autres objectifs que simplement gagner l’élection, avec en

Valeur
du coefficient

Chômage

Inflation

Popularité des présidents américains


[selon le revenu des électeurs, …]

et plus
Revenu nominal en dollars par année

Figure 19.4
Coefficients estimés du chômage et de l’inflation dans la fonction de popularité des présidents américains (1969-76),
selon 7 catégories de revenus.

Source : Schneider (1978) ; Schneider et Frey (1988).


7 La valeur étonnante pour le coefficient de chômage de la tranche de revenu la plus faible peut s’expliquer par
la part disproportionnée de retraités dans cette catégorie, qui sont moins concernés par les questions de
chômage.
512 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

toile de fond un postulat comportemental partisan. Les partis de gauche sont supposés
bénéficier du soutien politique des groupes professionnels à faibles revenus. Dans la
mesure où ces groupes sont plus concernés par les questions de chômage, leur soutien poli-
tique est plus sensible aux variations du taux de chômage. Les partis de droite sont eux
supposés bénéficier du soutien politique des groupes professionnels les plus sensibles aux
taux d’inflation. Une analyse des partisans des partis de centre-gauche devrait les trouver
plus sensibles aux questions de chômage, et ceux des partis de centre-droit plus sensibles à
l’inflation. Une augmentation du taux de chômage réduit le pourcentage de démocrates qui
appuient la performance du président de deux à trois fois plus qu’elle ne réduit le soutien
aux républicains. D’un autre côté, une augmentation du taux d’inflation réduit davantage
l’appui présidentiel des républicains que des démocrates, bien que les différences soient
moins prononcées (Hibbs, 1982a, tableau 4 ; 1987, pp. 175-82).

19.3.1 Politique partisane en présence d’électeurs


aux jugements rétrospectifs
Le politologue V.O. Key, Jr est souvent présenté comme le fondateur de l’hypothèse de
l’électeur rationnel.
« Les principaux modèles de flux d’électeurs volatiles reflètent de manière imagée
la fonction décisive de l’électorat comme expert des événements passés, du bilan
et des politiques passées. Il évalue rétrospectivement ; il décide prospectivement
seulement dans la mesure où il exprime soit de l’approbation soit de la désappro-
bation au regard de ce qui s’est déroulé auparavant. » 8

Le premier développement d’un modèle électoral avec des électeurs rétrospectifs


est cependant attribué à Fiorina (1977a, 1981). Hibbs (1981, 1982a,b,c, 1987, 1992, 1994,
2000) suit la même approche avec des électeurs rationnels et rétrospectifs dans son modèle
de cycle politico-économique partisan. En décidant pour quel parti voter, l’électeur évalue
la performance des partis en lice sur les enjeux les plus saillants pour lui. Pour les groupes
à faible revenu, le chômage est l’enjeu prioritaire ; alors que pour les groupes à haut revenu,
l’inflation est un enjeu dominant. Les premiers seront rationnellement attirés vers les partis
de gauche ou centre-gauche étant donné leur capacité à réduire le chômage. Les seconds
convergeront vers les partis de droite ou de centre-droit étant donné leur capacité à réduire
l’inflation.
Ces postulats peuvent être résumés par le modèle suivant. Chaque électeur évalue
la performance du parti sortant en accordant un poids différent à l’inflation (β) et au
chômage (α). Soit E it , l’évaluation de la performance économique du parti sortant par
l’électeur i à la période t, nous avons :
   
n  n
E it = αi λ Ut− j + βi
j
λ Pt− j
j
(19.1)
j=1 j=1

8 Key (1966, p. 61). Voir la discussion par Keech (1995, chap. 6).
Compétition politique et performance macroéconomique 513

où Ut− j et Pt− j sont respectivement les niveaux de chômage et d’inflation au temps t − j .


Si l’électeur i appartient à un groupe socio-économique moins favorisé que l’électeur k,
alors :
αi > αk et βi > βk (19.2)

Chaque électeur évalue la performance du parti sortant au moment de l’élection et


vote pour le parti sortant si l’évaluation qu’il fait est meilleure que celle qu’il anticipe pour
le parti d’opposition.
Étant donné les différences de pondération accordées en matière de chômage et
d’inflation, les partis de gauche et de centre-gauche obtiendront une plus grande part des
votes des électeurs à faibles revenus. Il faut noter que le modèle tient compte d’une forme
de bonus pour la compétence. Si un parti de droite ou de centre-droit gouverne de telle sorte
qu’il réduise les niveaux de chômage et d’inflation, il captera des votes auprès des électeurs
de gauche car l’évaluation de la performance des partis de droite sera supérieure à celle
anticipée par ces électeurs pour les partis de gauche.
Il devrait aussi être observé que, même si les électeurs sont supposés agir de
manière rétrospective, ils ne sont pas nécessairement considérés comme des électeurs irra-
tionnels ou myopes. Les électeurs et partis politiques sont plutôt engagés dans une relation
de type principal-agent. Comme les électeurs ne peuvent pas écrire un contrat qui engage
les partis à être performants lorsqu’ils seront au pouvoir, toutes les incitations pour une
bonne performance seront affichées au moment de la campagne électorale avec la réélec-
tion comme enjeu pour les partis. Une bonne performance est donc récompensée par une
réélection ; une mauvaise performance sanctionne le parti sortant (Ferejohn, 1986).
Enfin, le degré de myopie des électeurs rétrospectifs dépend des paramètres n et λ
dans l’équation 19.1.

19.3.2 Politique partisane en présence d’électeurs prospectifs


Le premier article à tenir compte d’anticipations rationnelles dans un modèle de cycle poli-
tico-économique partisan est l’œuvre de Minford et Peel (1982). Toutefois, c’est le modèle
d’Alesina publié en 1987 qui a reçu le plus d’attention. Nous présenterons ici la formula-
tion de ce modèle tel qu’il apparaît dans le travail d’Alesina et Rosenthal (1995) 9.
Le premier problème rencontré dans la construction d’un modèle macroécono-
mique d’économie politique avec anticipations rationnelles concerne la disparition de la
courbe de Phillips et du cycle politico-économique (Dekten et Gärtner, 1992). Les électeurs
anticipent et neutralisent toute action partisane ou opportuniste du gouvernement. Pour
réintroduire une dimension politique, il faut relâcher d’une certaine manière le postulat
d’anticipations rationnelles. C’est le pari tenté par Alesina et Rosenthal dans leur modèle
décrivant la vie politique américaine. Les auteurs admettent que les électeurs (ainsi que les
syndicats de travailleurs et les employeurs) sont incertains du résultat du scrutin au moment
où ils votent. Les conventions de salaires signées avant une élection sont établies sur un
taux d’inflation anticipé qui se situera quelque part entre le taux d’inflation favorisé par le
9 Voir aussi Alesina (1988a, b) et Alesina, Roubini et Cohen (1997).
514 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Nombre d’électeurs

G med D

Figure 19.5
Distribution des préférences électorales et positions du parti politique.

parti de gauche et celui défendu par le parti de droite. Si la gauche emporte l’élection, elle
peut adopter une politique temporaire de stimulation de l’économie et de réduction du
chômage au prix d’une inflation plus élevée. Une victoire de la droite impliquera une
réduction de l’inflation au prix d’une contraction de l’économie. Lorsque les élections de
mi-mandat approchent, il n’y a plus d’incertitude à propos de qui gouverne à la Maison
Blanche. Le modèle avec anticipations rationnelles prend donc tout son sens.
Le modèle d’Alesina et Rosenthal propose alors des prédictions très spécifiques
sur la tendance du taux de chômage et taux d’inflation dans une perspective de cycle élec-
toral à 4 ans. Si une administration démocrate est en place, le chômage devrait diminuer
après l’élection et retourner à son taux naturel jusqu’à la fin du cycle. Une victoire des
républicains débouche sur une tendance exactement opposée après les deux premières
années, mais l’économie revient au même niveau à la prochaine élection.
L’avantage du modèle d’Alesina et Rosenthal réside dans la manière de traiter le
jeu de réciprocité entre le Congrès et le Président. Observons ce que cela implique sur la
figure 19.5. La compétition électorale est représentée dans un espace à une dimension. Pour
simplifier la démonstration, considérons que le chômage est cette dimension unique. Les
préférences des électeurs sont caractérisées par une distribution unimodale avec deux partis
politiques (G : gauche et D : droite) qui adoptent des positions à gauche et à droite de la
politique préférée par l’électeur médian (med). Si le parti de gauche est en place à la
Maison Blanche et au Congrès, alors il adopte sa politique préférée en G. Si la droite détient
les pouvoirs exécutif et législatif, elle adopte une politique en D. En cas de cohabitation,
par exemple, la gauche détient la Maison Blanche et la droite le Sénat, Alesina et Rosen-
thal considèrent qu’un compromis de politique macroéconomique sera recherché et le taux
Compétition politique et performance macroéconomique 515

de chômage s’établira entre G et D. Cela signifie que certains électeurs qui préfèrent un
taux de chômage situé entre G et D seront plus favorables à une forme de gouvernement de
cohabitation plutôt que de confier le pays aux mains d’un seul parti.
Ce raisonnement permet à Alesina et Rosenthal de tenir compte du vote partagé
(split-ticket voting) et du cycle de mi-mandat. Un électeur qui préfère un taux de chômage
entre G et D devrait rationnellement voter pour installer un parti à la tête de la Maison
Blanche et un autre parti à la tête du Congrès. Si un parti, par exemple de gauche, gagne
l’élection présidentielle, un déplacement d’électeurs vers le parti de droite est attendu lors
des élections de mi-mandat car certains électeurs situés au centre de la distribution vont
essayer de renforcer le parti de droite au Congrès et ainsi rééquilibrer les pouvoirs.
Regardons maintenant comment ces modèles politico-économiques ont été validés
empiriquement.

19.4 VALIDATION EMPIRIQUE


19.4.1 Est-ce que les politiciens essayent de manipuler
les conditions macroéconomiques ?
La manière la plus simple de respecter le postulat de l’électeur égoïste est de supposer que
le revenu est le seul argument dans sa fonction d’utilité et que, comme Tufte (1978, p. 29)
l’a noté, « la façon la plus rapide de produire une augmentation des revenus disponibles
réels est, pour le gouvernement, d’envoyer les plus gros chèques possibles par la poste au
plus grand nombre de citoyens possible ». Tufte (1978, ch. 2) montre de manière convain-
cante la possibilité d’utiliser des paiements de transferts publics pour gagner des votes aux
États-Unis et au Royaume-Uni. Ce travail a cependant été grandement critiqué par Brown et
Stein (1982) et Alt et Chrystal (1983), et plusieurs études subséquentes n’ont pas pu faire la
preuve de l’existence de cycles de dépenses, de taxation, ou de transferts reliés au cycle élec-
toral (Paldam, 1979, 1981a, b ; Golden et Poterba, 1980 ; Lowery, 1985 ; Sorensen, 1987).
Comme Blais et Nadeau (1992, pp. 391-2) le soulignent, les coefficients des varia-
bles clés dans ces études correspondent souvent au signe prédit et leur manque de signifi-
cativité statistique peut simplement être dû au nombre insuffisant d’observations avec les
séries temporelles disponibles. Blais et Nadeau contournent le problème en utilisant des
données portant sur les dix provinces canadiennes de 1951 à 1984. Ils notent une hausse
considérable des dépenses pour les routes et les services sociaux tout comme des dépenses
totales ainsi qu’une hausse des déficits budgétaires lors de l’année d’élection. Leurs résul-
tats ont été corroborés par Reid (1998) qui utilise des données provinciales entre 1962 et
1992. Hibbs (1987, chap. 7 et 9) fournit davantage de preuves au sujet de l’utilisation des
transferts publics aux États-Unis pour gagner des suffrages. Bhattacharyya et Wassmer
(1995) trouvent que les dépenses des gouvernements municipaux augmentent et que les
taxes diminuent lors des années électorales. Yoo (1998) démontre que le parti libéral démo-
crate du Japon diminue systématiquement les taxes lors des années électorales entre 1953
516 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

et 1992. Van Dalen et Swank (1996) observent des hausses considérables des dépenses de
sécurité publique, telles que les dépenses de la défense, et celles des administrations
publiques lors des années électorales. Finalement, Schuknecht (2000), utilisant des données
provenant de 24 pays de l’OCDE, et Alesina, Roubini et Cohen (1997, ch. 7), utilisant des
données de 18 pays de l’OCDE, observent une hausse des dépenses publiques et des défi-
cits juste avant les élections.
La marge de manœuvre des politiques fiscales laissées à la discrétion des gouver-
nements est assurément limitée et, par conséquent, les hausses de dépenses et les baisses de
fiscalité durant les périodes d’élection ont tendance à être modestes – généralement de
l’ordre de 1 à 3 pourcent. Face à de si petites variations et à un comportement hétérogène,
il est tout à fait possible qu’une relation statistiquement significative ne puisse pas être
trouvée dans un ensemble de données, particulièrement lorsque celui-ci est petit. Cepen-
dant, les études plus récentes disposant de plus longues séries temporelles et utilisant des
données en panel semblent confirmer les travaux précédents de Tufte, et Frey et Schneider.
Il est difficile de ne pas en conclure que certains politiciens distribuent des fonds publics
avant certaines élections pour obtenir des votes 10.
Les résultats montrant que les gouvernements utilisent la planche à billet juste
avant les élections sont plus controversés, mais ils penchent encore dans la direction de
hausses opportunistes de l’offre de monnaie, habituellement mesurée par l’agrégat M1, à
l’aube des élections. Des preuves en ont été apportées pour les États-Unis par Allen (1986),
Richards (1986), Grier (1987, 1989a), Havrilesky (1987), Chappell et Keech (1988),
Heynes et Stone (1989), Williams (1990), et Carlsen (1997) ; pour l’Allemagne par Berger
et Woitek (1997) ; et pour 18 pays de l’OCDE par Alesina, Roubini et Cohen (1997, ch. 7).
Les contre-exemples, tous pour les États-Unis, viennent de Golen et Poterba (1980), Beck
(1984, 1987) et Hibbs (1987). Une fois de plus, les données en séries temporelles sont
souvent restreintes et, même là où la hausse opportuniste de la demande de monnaie est
démontrée, la significativité statistique et/ou économique n’est pas importante. Même dans
les pays comme les États-Unis et l’Allemagne, où l’indépendance de la banque centrale est
incontestée, les banques centrales ne sont pas complètement insensibles aux enjeux électo-
raux de leurs gouvernements.

19.4.2 Existe-t-il des biais partisans ?


Jusqu’ici, nous avons passé en revue une littérature indiquant que les groupes à faible
revenu ont tendance à être plus inquiétés par le chômage, alors que les groupes à revenu
élevé sont plus concernés par les questions d’inflation. Les groupes à faible revenu ont
traditionnellement appuyé les partis de gauche et les groupes à revenu élevé ceux de droite.

10 Ce geste pourrait aussi être interprété comme cohérent avec les cycles politico-économiques avec anticipations
rationnelles de Rogoff et Sibert (1988) et Rogoff (1990). Toutefois, l’une des prévisions de ce modèle est que
« le leader politique sortant a une incitation à biaiser la politique budgétaire pré-électorale par des dépenses
publiques de consommation visibles et non des dépenses d’investissement » (Rogoff, 1990, p. 21). Plusieurs
études ont trouvé cependant que l’investissement est l’une des dépenses gouvernementales qui augmente juste
avant les élections (Blais et Nadeau, 1992 ; van Dalen et Swank, 1996 ; Schuknecht, 2000), encore plus que
les dépenses de consommation finale (Reid, 1998).
Compétition politique et performance macroéconomique 517

Cette allégeance partisane est-elle rationnelle ? Est-ce que les partis de gauche promettent
d’en faire davantage en ce qui concerne le chômage que ne le font les partis de droite ? Est-
ce vrai dans les faits ? Les réponses à ces deux dernières questions sont un « oui » très clair.
Une analyse du contenu du Rapport (annuel) économique du président et du
Conseil des conseillers économiques combinée aux plateformes des partis révèle une
importance plus grande accordée au chômage par les démocrates contre une attention plus
forte pour l’inflation par les républicains (Tufte, 1978, pp. 71-83). D’autres recherches
démontrent que les mêmes différences existent ailleurs dans le monde (Kirschen, 1974).
Ces différences en rhétorique vont de pair avec les différences dans le choix des
politiques. Utilisant des données trimestrielles pour la période de 1953-1990, Hibbs estime
les taux de croissance cible sous les administrations démocrates et républicaines et conclut
que le taux de croissance après inflation visée par les démocrates est typiquement d’envi-
ron 6 à 7 pourcent plus élevé que la moyenne historique. Sous les républicains au contraire,
la demande agrégée est à peine suffisante pour maintenir un taux de croissance moyen
(Hibbs, 1994, p. 10).
De plus, la politique monétaire des États-Unis a été plus expansionniste quand les
démocrates contrôlent les comités bancaires clés au Congrès et/ou occupaient la Maison
Blanche, bien que les différences de politiques ne sont pas uniformes à travers les admi-
nistrations (Hibbs, 1977, 1987 ; Beck, 1982c ; Chappell et Keech, 1988 ; Grier, 1991,
1996 ; Havrilesky, 1993 ; Caporale et Grier, 1998). Alogoskougis, Lockwood et Philippo-
poulos (1992) ont aussi trouvé que les gouvernements travaillistes menaient des politiques
monétaires plus expansionnistes au Royaume-Uni que les conservateurs ; et Alogoskougis
et Philippopoulos (1992) ont noté la même différence en Grèce. Alesina, Roubini et Cohen
(1997, ch. 7) ont prouvé la présence de biais partisans dans la politique monétaire dans leur
étude portant sur 18 pays de l’OCDE. Toutefois, Berger et Woitek (1997) n’ont pas été en
mesure de détecter un tel biais partisan dans la politique monétaire allemande.
À l’intérieur de l’échantillon de 18 pays de l’OCDE, Alesina, Roubini et Cohen
(1997, ch. 7) n’ont pas retrouvé de déficits budgétaires plus importants lorsque des partis
de centre-gauche étaient au pouvoir. Cependant, Blais et Nadeau (1992) ont observé des
dépenses inférieures et des déficits plus petits au sein des provinces canadiennes contrôlées
par des gouvernements de droite. De Haan et Sturm (1994) ont constaté que les pays de
l’Union européenne contrôlés par des gouvernements de gauche dépensent plus. Van Dalen
et Swank (1996) ont constaté que les gouvernements de gauche aux Pays-Bas allouent plus
de fonds à la sécurité sociale et aux soins de santé ; les gouvernements de droite dépensant
plus pour les infrastructures et la défense. Allers, de Haan et Sterks (2001) observent des
impôts fonciers locaux plus élevés dans les municipalités néerlandaises contrôlées par des
partis de centre gauche.
L’idéologie du parti au pouvoir semble donc influencer les politiques choisies.
Quelles différences ces politiques font-elles ? Puisque la portée de la littérature sur
les grandes politiques macroéconomiques politiquement orientées s’articule autour de l’ar-
bitrage chômage/inflation, il est naturel de regarder ces indicateurs de performance macro-
économiques. Le tableau 19.4 présente le taux de chômage U et le taux d’inflation P pour
les quatre années de chaque mandat présidentiel depuis 1952. La partie centrale du tableau
518 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Tableau 19.4
Performance macroéconomique de l’économie américaine (1952-2000).

Année U P Année U P
1952 3.0 0.9 1980 7.1 12.4
1956 4.1 2.9 1984 7.5 3.9
1960 5.5. 1.5 1988 5.5 4.4
1964 5.2 1.2 1992 7.5 2.9
1968 3.6 4.7 1996 5.4 3.3
1972 5.6 4.4 2000 4.0 3.2
1976 7.7 4.8

Variation de U et P pour chaque parti présidentiel


Républicains Démocrates
∆U ∆P ∆U ∆P
Mandat ABS. % ABS. % Mandat ABS. % ABS. %
52-56 +1.1 +31 +2.0 +105 60-64 –0.3 –6 –0.3 –22
56-60 +1.4 +29 –1.4 –64 64-68 –1.6 –36 +3.5 +119
68-72 +2.0 +43 –1.3 –32 76-80 –0.6 –8 +7.6 +88
72-76 +2.1 +32 +1.4 +34 92-96 –2.1 –33 +0.4 +13
80-84 +0.4 +5 –8.5 –104 96-00 –1.4 –26 –0,1 –3
84-88 –2.0 –31 +0.5 +12
88-92 +2.0 +31 –1.5 –41
Moyenne +1.0 +20 –1.4 –13 –1.2 –22 +2.2 +39

Variations de U et P pour des mandats présidentiels ininterrompus


∆U ∆P
Administrations républicaines
Eisenhower (1952-60) +2.5 +0.6
Nixon-Ford (1968-76) +4.1 +0.1
Reagan (1980-88) –1.6 –8.0
Bush (1988-92) +2.0 –1.5
Cumulé +7.0 –8.8
Administrations démocrates
Kennedy-Johnson (1960-68) –1.9 +3.2
Carter (1976) –0.6 +7.6
Clinton (1992-2000) –3.5 +0.3
Cumulé –6.0 +11.1

Source : Council of Economic Advisors, Economic Report of the President. Washington, D.C. : US Government Printing Office, 1989, 2001. Les
chiffres pour 2000 sont non verifies.
Compétition politique et performance macroéconomique 519

indique que chacun des sept mandats présidentiels républicains a conduit en moyenne à une
hausse de 1 point de pourcentage du taux de chômage, une hausse de 20 pourcent par
rapport au taux de l’année précédant le début du mandat présidentiel. D’un autre côté, l’in-
flation a été réduite en moyenne de 1,4 point de pourcentage. Les cinq mandats présiden-
tiels démocrates ont abaissé le chômage en moyenne de 1,2 point de pourcentage par
mandat, alors que l’inflation a augmenté de 2,2 points de pourcentage.
Peut-être que les chiffres les plus révélateurs sont au bas du tableau pour les quatre
administrations républicaines et les trois administrations démocrates. Depuis 1952, les
administrations républicaines ont augmenté de 7 points de pourcentage le taux de chômage
et réduit de 8,9 points de pourcentage le taux d’inflation. À l’inverse, les démocrates ont
contribué à une hausse de 11,1 points de pourcentage du taux d’inflation et diminué de 6
points de pourcentage le taux de chômage.
Un résultat similaire est obtenu par Hibbs à partir du modèle en séries temporelles
pour la prévision du chômage et des niveaux de production réelle. Utilisant les données
trimestrielles à partir de 1953 :1 jusqu’à 1983 :2, Hibbs estime que les administrations
démocrates ont un impact à long terme sur l’économie qui tend à réduire le taux de
chômage de 2 points de pourcentage et à augmenter la production réelle d’environ 6 pour-
cent 11.
On pourrait faire valoir que les républicains se concentrent sur l’inflation quand ils
entrent en fonction parce qu’il s’agit du problème macroéconomique le plus important
auquel le pays fait face à ce moment et que les démocrates se concentrent sur le chômage
pour la même raison. Mais puisque les républicains reprennent le pouvoir aux démocrates,
et les démocrates aux républicains, cette observation ne contredit guère l’hypothèse du
biais partisan. La performance de l’administration Reagan est particulièrement révélatrice
à cet égard. On peut reconnaître que le chômage (7,1 %) et l’inflation (12,4 %) consti-
tuaient de sérieux problèmes lorsque Reagan a pris le pouvoir, mais finalement c’est l’in-
flation qui a monopolisé l’attention. À la deuxième année du mandat de l’administration
Reagan, l’inflation avait été réduite de plus de 65 %, alors que le chômage avait augmenté
à son niveau le plus élevé depuis la Deuxième Guerre mondiale, soit 9,5 %. Il a fallu atten-
dre six années avant que le taux de chômage ne tombe en dessous du niveau précédant l’in-
vestiture de Reagan.
Une dichotomie similaire est évidente dans d’autres pays. Hibbs (1977) présente
les données sur les taux de chômage et d’inflation au sein de douze démocraties occiden-
tales (Belgique, Canada, Danemark, États-Unis, Finlande, France, Italie, Norvège, Pays-
Bas, Royaume-Uni, Suède et Allemagne de l’Ouest) et les compare sur la période 1945 à
1969 pour les périodes durant lesquelles les partis socialistes-travaillistes étaient au
pouvoir. La corrélation entre un gouvernement de centre-gauche et le chômage est -0,68.
La corrélation entre un gouvernement de centre-gauche et l’inflation est +0,74 (voir aussi
Beck, 1982b ; Beetsma et van der Ploeg, 1996 ; Oatley, 1999).
Ces différences de performance dans le traitement du chômage ne passent pas
inaperçues pour les électeurs. Aux États-Unis, les personnes davantage touchées par le
chômage, ou qui perçoivent le chômage comme un problème national important, sont,

11 Hibbs (1987, pp. 224-32). Voir aussi Hibbs (1994, tableau 1, p. 4).
520 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

ceteris paribus, plus enclins à voter pour les démocrates (Kiewet, 1981, 1983 ; Kuklinski
et West, 1981). En Allemagne, un taux de chômage élevé augmente le pourcentage de vote
pour le parti social-démocrate de centre gauche (Rattinger, 1981). En France, un taux de
chômage élevé augmente la part des votes allant aux partis de centre-gauche, alors qu’au
contraire, un revenu élevé diminue leur part (Rosa, 1980).
Ainsi, la compétition pour les votes ne mène pas les partis opposés à converger
vers la même cible en matière de taux de chômage et d’inflation. La prédiction d’une forme
simple du théorème de l’électeur médian appliquée aux politiques macroéconomiques n’est
pas démontrée. Comment expliquer cette situation ?
Une première explication possible tient à ce que la distribution des préférences de
l’électeur n’est pas unimodale. Hibbs a mis l’accent sur l’importance des classes écono-
miques dans l’explication du soutien électoral des partis politiques et le lien entre cet appui
et les politiques macroéconomiques. L’existence de distinction de classes significative
pourrait être interprétée comme le résultat d’une distribution bi- ou multimodale des préfé-
rences des électeurs en matière de taux de chômage et d’inflation. Si les électeurs s’ab-
stiennent de soutenir un parti qui se positionne trop loin de leur position préférée, la
compétition pour le vote peut éloigner les plateformes des partis l’une de l’autre vers les
modes de la distribution (voir Downs, 1957, pp. 118-22 ; Davis, Hinich et Ordeshook,
1970 ; et le chapitre 11 de ce volume). Le traitement de l’abstention est susceptible d’être
particulièrement efficace dans les régimes parlementaires à représentation proportionnelle,
alors que l’électeur a souvent l’option de partis à la fois sur la gauche et la droite d’un parti
donné, et de nouveaux partis peuvent plus facilement émerger que dans les systèmes bipar-
tisans. Ainsi, on trouve des partis européens plus idéologiques que les deux partis améri-
cains, et des électeurs liés de plus près à leurs partis (pour un exemple, Hibbs, 1982c).
Une deuxième explication réside dans le fait que les plateformes des partis et les
identités des candidats sont déterminées par les militants des partis, et que ces militants ont
tendance à se retrouver plus dans la queue de distribution des électeurs qu’au centre 12 ce
qui entraînerait des choix de dirigeants de partis dont les différences de positionnement
sont plus marquées.

19.4.3 Quelles théories correspondent le mieux


aux données ?
Puisque les modèles de cycles politico-économiques opportunistes prédisent que les deux
partis se comportent de manière identique, les éléments de preuve examinés dans la sous-
section précédente semblent les discréditer. Néanmoins, nous allons examiner leurs prédic-
tions et les preuves empiriques les appuyant en même temps que les deux principaux
modèles de cycles politico-économiques partisans.
Chaque modèle propose des prévisions assez précises sur les tendances du
chômage, de l’inflation et de la croissance au cours du cycle électoral. Avant de discuter

12 Pour poursuivre cette discussion et avoir d’autres explications sur les raisons qui expliquent pourquoi les partis
choisissent des positions politiques distinctes, voir Alesina et Rosenthal (1995, pp. 40-1).
Compétition politique et performance macroéconomique 521

d’économétrie pour chacun, il est utile de comparer leurs prévisions avec l’expérience des
États-Unis. Dans le tableau 19.5, les prévisions de chaque hypothèse sont résumées. En
présence d’un électeur rationnel, le modèle des cycles politico-économiques opportunistes
prédit seulement les politiques au moment de l’élection. Le modèle de Nordhaus et MacRae
(NM) prédit évidemment la même tendance quel que soit le parti au pouvoir – le chômage
augmente jusqu’à un sommet atteint dans la deuxième année du cycle, puis il baisse de
manière à ce que le parti s’engage en campagne électorale avec un chômage à son
minimum.
Les cycles politico-économiques partisans de Hibbs prédisent un chômage conti-
nuellement à la baisse sous les gouvernements démocrates et continuellement à la hausse
sous les républicains 13.
Le modèle Alesina et Rosenthal fait des prédictions tellement fortes qu’il est diffi-
cile de faire une juste comparaison avec les deux autres modèles. En termes de taux de
croissance, il prévoit une croissance au même rythme naturel pour les deux dernières
années pour les deux administrations, avec une croissance plus rapide pour les démocrates
et plus lente pour les républicains dans les deux premières années 14. Puisque le taux de
chômage s’ajuste lentement, le tableau 19.5 retranscrit ces prédictions en un mouvement
ascendant (hausse) du taux de chômage sous une administration républicaine qui culmine
dans la deuxième année pour ensuite converger vers le taux de chômage naturel. La même
tendance, mais opposée, est appliquée aux administrations démocrates. Cette tendance
correspond aux changements tendanciels dans le PIB estimé par Alesina, Roubini et Cohen
(1997, tableau 4.1, p. 76) et semble être une représentation raisonnable de cette classe de
modèles de cycles politico-économiques rationnels. Notons que quand les républicains
gouvernent, le modèle de Nordhaus et MacRae et le modèle d’Alesina et Rosenthal font
essentiellement les mêmes prédictions.
Avec le modèle d’Alesina et Rosenthal, il y a toutefois des complications supplé-
mentaires provenant de la spécification du taux de chômage naturel. Jusqu’aux années
1960, le plein emploi s’accompagnait souvent d’un taux de chômage proche de 4 %. Après
l’épisode de stagflation des années 1970, certains économistes ont révisé leurs estimations
de ce chiffre à 6 %. La performance de l’économie durant les années 1990 a laissé suggé-
rer que le chiffre de 4 % était en fait plus approprié. Définir le taux de chômage naturel
comme étant situé entre 4 % et 6 % semblerait biaiser ce concept de toute valeur prédic-
tive. Ainsi, dans un souci de comparaison, le taux de chômage naturel est défini dans une
fourchette allant de 4 % à 5 %. La colonne la plus à droite du tableau 19.5 nous indique
combien de fois les prédictions de chaque modèle correspondent aux chiffres réels du
chômage indiqués dans les colonnes de gauche. De manière cohérente avec les chiffres du
tableau 19.4, les prédictions du modèle partisan de Hibbs correspondent le mieux aux
données effectives. Le taux de chômage semble diminuer lorsque les démocrates sont à la
Maison Blanche, et augmenter lorsque les républicains occupent le bureau ovale.
Les modèles de Nordhaus et MacRae et d’Alesina et Rosenthal sont aussi perfor-
mants sous une administration républicaine. Il est intéressant d’observer que, même si les
13 Bien sûr, si plusieurs administrations démocrates se succèdent, le chômage arrêtera éventuellement de dimi-
nuer.
14 Voir Alesina et Rosenthal (1995, pp. 171-8, et particulièrement la figure 7.1 à la page 175).
522 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

modèles originaux de Tufte et Nordhaus étaient probablement inspirés par les actions de la
première administration Nixon (si « inspiré » est le mot juste), la performance de l’écono-
mie durant les deux administrations Nixon ne correspond pas pour aucune de ces années

Tableau 19.5
Scores des modèles de cycles politico-économiques.

Année Y1 Y2 Y3 Y4
Modèle Démocrates
Cycle électoral NM Hausse Max Baisse Min
Cycle partisan Hibbs Max Baisse Baisse Min
Cycle partisan AR Baisse Min Hausse Naturel

Scores
Administration Chômage NM Hibbs AR
Truman, 1949-52 5.9 5.3 3.3 3.0 3 4 0
Kennedy/Johnson, 1961-64 6.7 5.5 5.7 5.2 2 3 1
Johnson, 1965-68 4.5 3.8 3.8 3.6 2 4 2
Carter, 1977-80 7.1 6.1 5.8 7.1 1 3 1
Clinton, 1993-96 6.9 6.1 5.6 5.4 2 4 1
Clinton, 1997-2000 4.9 4.5 4.2 (4.0)a 2 4 2
Total Moyenne 4.7 12 22 7

Année Y1 Y2 Y3 Y4
Modèle Républicains
Cycle électoral NM Hausse Max Baisse Min
Cycle partisan Hibbs Min Hausse Hausse Max
Cycle partisan AR Hausse Max Baisse Naturel

Scores
Administration Chômage NM Hibbs AR
Eisenhower, 1953-56 2.9 5.5 4.4 4.1 2 2 3
Eisenhower, 1957-60 4.3 6.8 5.5 5.5 3 2 3
Nixon, 1969-72 3.5 4.9 5.9 5.6 0 3 0
Nixon/Ford, 1963-66 4.9 5.6 8.5 7.7 0 3 0
Reagan, 1981-84 7.6 9.7 9.6 7.5 4 1 3
Reagan, 1985-88 7.2 7.0 6.2 5.5 2 0 1
Bush, 1989-92 5.3 5.6 6.8 7.5 0 4 0
Total Moyenne 6.2 11 15 10
Total (2 partis) 23 37 17
aestimation
NM : modèle de Nordhaus et MacRae ; AR : modèle d’Alesina et Rosenthal
Source : Council of Economic Advisers, Economic Report of the President. Washington, D.C. : US Government Printing Office, 1989, 2000.
Compétition politique et performance macroéconomique 523

aux prédictions du modèle de Nordhaus et MacRae. Toutefois, la meilleure correspondance


du modèle de Nordhaus et MacRae survient durant les premières années de l’administra-
tion Reagan 15. Par contraste, le modèle de Hibbs caractérise parfaitement les tendances du
taux de chômage sous quatre administrations démocrates et une seule républicaine.
La performance relativement faible du modèle d’Alesina et Rosenthal est en partie
due aux fortes prédictions qu’il fait. En particulier que sous les deux types d’administra-
tions, l’économie croît au même rythme, c’est-à-dire au taux naturel durant les deux derniè-
res années du cycle électoral. Ceci suppose que le taux de chômage atteint un niveau
naturel (4 % à 5 %) durant la dernière année d’un cycle électoral. Une échelle plus géné-
reuse pour ce taux naturel (4 % à 6 %) donnerait plus de 5 points de plus au score de
correspondance du modèle d’Alesina et Rosenthal, lui permettant presque de rejoindre le
modèle de Nordhaus et MacRae. Mais la différence dans la performance de l’économie
observée durant la dernière année d’un mandat présidentiel reste une limite du modèle
d’Alesina et Rosenthal. En effet, il prédit des performances identiques pour chacun des
partis durant la quatrième année du cycle électoral, alors qu’en fait, le taux de chômage
moyen sous les administrations républicaines était de 6,2 % cette année-là et plus de 1,5 %
au-dessus de la moyenne sous une administration démocrate 16.
Le tableau 19.5 présente les prédictions pour chaque hypothèse dans leur forme la
plus restrictive. La tendance prédite par Alesina et Rosenthal, par exemple, dépend en
partie du degré de surprise par rapport au résultat de l’élection présidentielle. La formula-
tion la plus récente de Nordhaus (1989) d’un modèle opportuniste intègre des aspects parti-
sans. La formulation la plus récente d’un modèle partisan par Hibbs (1994) permet un
ajustement entre les objectifs des partis au pouvoir et les résultats économiques atteints.
Aucun gouvernement ne pourrait gérer parfaitement une économie pour obtenir les
niveaux de chômage et d’inflation souhaités à chaque étape du cycle électoral. Les taux de
chômage et les taux d’inflation aux États-Unis depuis la Deuxième Guerre mondiale ont été
affectés par la guerre de Corée et la guerre du Vietnam, la hausse des prix du pétrole des
années 1970, et d’autres chocs. Une meilleure manière de tester chaque modèle nécessite
une formulation explicite et des tests économétriques rigoureux. De nombreux auteurs ont
mené de tels tests, et chacun a observé un soutien empirique pour leur version du modèle
de cycles politico-économiques 17. Une analyse complète du travail empirique de chaque
auteur demanderait au moins un autre chapitre, sinon un autre livre. Une stratégie alterna-
tive est d’examiner comment chaque modèle a été testé empiriquement par les autres cher-
cheurs.
Malheureusement, seul le modèle opportuniste CPE de Nordhaus et MacRae a été
soumis à des tests extensifs par d’autres chercheurs. Le tableau 19.6 présente les résultats
en distinguant les travaux validant et ceux réfutant le modèle original.

15 Il est intéressant de noter que quand Nordhaus (1989) retourne après plus de deux décennies pour examiner la
manière dont son modèle se comporte face aux modèles concurrents, il se concentre sur les données durant les
années Reagan.
16 Le modèle d’Alesina et Rosenthal fonctionnerait mieux si la croissance du revenu servait de mesure de perfor-
mance économique et moins bien avec une variable de changements de prix. Voir Drazen (2000, pp. 260-8).
17 Voir Nordhaus (1975, 1989) ; Hibbs (1977, 1986, 1987, 19992, 1994) ; Alesina et Sachs (1988) ; Alesina et
Rosenthal (1995) ; et Alesina et Roubini avec Cohen (1997).
524 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Tableau 19.6
Études testant le CPE de Nordhaus et MacRae.

Soutien Rejet
Lächler (1978) McCallum (1978)
Tufte (1978) Golen et Poterba (1980)
Maloney et Smirlock (1981) Dinkel (1982)
Richards (1986) Beck (1982a,b,c)
Pack (1987) Brown et Stein (1982)
Keil (1988) Alt et Chrystal (1983)
Haynes et Stone (1989) McGavin (1987)
Lewis-Beck (1988)
Berger et Woitek (1997)

Hibbs a mobilisé trois ensembles de preuves pour valider sa théorie partisane : (1)
les différences systématiques entre les choix politiques des partis de centre-gauche et de
centre-droit, (2) les différences systématiques dans les résultats politiques des partis, et (3)
les fonctions de réaction de l’électeur telles que présentées dans (19.1) dans lesquelles les
électeurs font preuve d’une mémoire relativement longue avec des poids relativement
élevés (λ) portant sur les résultats électoraux en début de cycle électoral. Nous avons
amplement illustré les travaux empiriques validant ces deux premières catégories. Nous
allons maintenant discuter des preuves se rapportant à la troisième catégorie 18. Puisque les
modèles avec électeur rationnel (Alesina, 1987) supposent le même type de différences
dans les politiques partisanes que Hibbs, la plupart des preuves empiriques soutenant les
modèles d’Alesina peuvent être interprétées comme soutenant le modèle partisan rationnel.
La principale différence entre les deux concerne le calendrier du changement de politique.
Dans les modèles d’Alesina, toutes les actions viennent dans les deux premières années du
cycle électoral. Indirectement, Paldam (1979, 1981 b) a été le premier à valider empiri-
quement un tel modèle, presque une décennie avant qu’il ne soit formulé, en montrant que
les plus grands changements dans les variables principales sont survenus durant les deux
premières années suivant une élection, et que ces changements ne correspondent générale-
ment pas avec les prédictions du modèle de Nordhaus et MacRae. Alesina et Rosenthal
(1995, pp. 178-87) et Alesina, Roubini et Cohen (1997, pp. 83-93) nous apportent encore
plus de preuves. Par exemple, considérons les résultats de l’estimation d’Alesina, Roubini
et Cohen (1997, p. 92) :

Ut = 0, 27∗∗ + 1, 66Ut−1 − 0, 89∗∗ Ut−2 + 0, 19∗∗ Ut−3 + 0, 13∗∗ D R6 + 0, 01D R6+,


R 2 = 0, 96 (19.3)

L’équation est estimée avec des données trimestrielles pour la période 1947 :1 à 1993 :4.
Le taux de chômage est significativement relié au taux de chômage des trois derniers
trimestres et à une variable dichotomique, DR6, qui prend la valeur 1 pour la période du
deuxième au septième trimestre d’une administration républicaine (** indique un niveau de
18 Voir aussi Beck (1982b) et Swank (1993) qui valident le modèle partisan.
Compétition politique et performance macroéconomique 525

signification à 99 %). L’équation (19.3) prédit que le chômage va être significativement


plus élevé pour approximativement la première moitié du mandat de l’administration répu-
blicaine. Le modèle partisan rationnel ne prédit aucune différence importante du taux de
chômage entre les administrations pour les deux dernières années du cycle électoral. DR6+
est une variable dichotomique qui prend la valeur 1 pour les huitièmes trimestres et
suivants d’une administration républicaine. Alesina, Roubini et Cohen prédisent un coeffi-
cient de zéro pour cette variable, mais affirment que si les prévisions de Hibbs sont correc-
tes, les coefficients de DR6 et DR6+ devraient être les mêmes. Ils ne sont clairement pas
les mêmes, et ceci peut être interprété comme une preuve en faveur de la version du modèle
de cycle partisan d’Alesina, Rosenthal, Roubini et Cohen.
D’un autre côté, la lecture du tableau 19.5 révèle que le taux de chômage continue
généralement à diminuer durant les deux dernières années d’une administration démocrate,
mais à un rythme moins soutenu. Cet effet de ralentissement de l’effet partisan des poli-
tiques économiques tout au long du cycle électoral est plutôt cohérent avec une version
précédente du modèle de Hibbs dans laquelle chaque parti essaie d’atteindre une position
différente le long d’une courbe de Phillips comme celle représentée sur le graphique 19.1.
Si une administration démocrate entre en fonction quand le taux de chômage est élevé et
que l’inflation est faible, les impacts initiaux de ces politiques de stimulation de l’écono-
mie vont produire une diminution substantielle du taux de chômage pour un coût d’infla-
tion modeste. Toutefois, alors que l’économie se déplace le long de la courbe de Phillips,
chaque réduction du taux de chômage s’accompagne d’une inflation plus élevée. Plus on
est avancé dans le cycle électoral, et plus la diminution prédite du taux de chômage sous
une administration démocrate devrait baisser. On peut s’attendre à une sorte d’effet de
ralentissement inversé quand une administration se déplace le long d’une courbe de
Phillips 19.

19.4.4 Des preuves additionnelles pour le modèle d’Alesina


et Rosenthal
Le livre d’Alesina et Rosenthal est un effort ambitieux de modéliser le comportement de
l’électeur américain et les effets d’interaction entre le Congrès et la Maison Blanche à
propos des politiques macroéconomiques. En plus de faire des prédictions plutôt précises à
propos des tendances de croissance économique et d’inflation au cours du cycle électoral,
ils font plusieurs prévisions de vote.
Un aspect intéressant de leur théorie est qu’elle implique que, pour certains élec-
teurs, un gouvernement de cohabitation est un résultat intéressant et qu’en conséquence ils
vont essayer de le provoquer. Un important groupe d’électeurs, avec des préférences situées
entre les points L et R sur le graphique 19.5, va essayer de provoquer une division du
contrôle du Congrès et de la Maison Blanche dans l’espoir d’obtenir une politique macro-
économique se situant entre ces deux extrêmes. Pour y parvenir, une stratégie consiste à
accorder son vote lors des élections présidentielles au candidat d’un parti et son vote lors
19 Voir Hibbs (1992, pp. 369-70 ; 1994). Pour des tests plus anciens allant à l’encontre du modèle de l’électeur
partisan rationnel, voir Sheffrin (1989), et pour une étude plus récente, voir Heckelman (2001).
526 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

des élections du Congrès au candidat de l’autre parti. Un avantage de la théorie d’Alesina


et Rosenthal est qu’elle tient compte d’un tel comportement, ce qui peut sembler de prime
abord schizophrénique de la part de l’électeur rationnel.
Un autre avantage est qu’elle tient compte du cycle de mi-mandat. La proportion
des votes nationaux allant au parti du président a diminué pour 19 des 20 élections de mi-
mandat depuis 1918 20. L’explication d’Alesina et Rosenthal de ce phénomène est que les
électeurs sont incertains de l’identité du prochain président lors de leur participation à
l’élection présidentielle, mais ce n’est pas le cas pour une élection de mi-mandat. Ainsi, un
électeur modéré sait à l’élection de mi-mandat qu’il doit voter contre le parti du président
lors de l’élection au Congrès pour équilibrer le pouvoir de la Maison Blanche, et ceci
explique le cycle de mi-mandat. Aucun autre modèle de CPE n’offre d’explication pour ce
cycle. Ainsi, cette prédiction clairement validée doit être considérée comme la principale
contribution de la théorie d’Alesina et Rosenthal.
Néanmoins, on doit aussi observer que tous ces changements partisans dans une
élection à mi-mandat ne s’alignent pas aussi bien que le souhaiteraient Alesina et Rosen-
thal. Leur modèle ne prédit aucun cycle de mi-mandat si les électeurs sont certains du résul-
tat de la prochaine élection présidentielle. D’ailleurs, on pourrait s’attendre à une volatilité
importante de votes à mi-mandat lorsque les élections présidentielles précédentes ont été
particulièrement serrées, et annoncent ainsi une prochaine élection également serrée.
Aucun résultat électoral au cours du XXe siècle n’a été une plus grande surprise que la
victoire d’Harry Truman en 1948, mais le mouvement de votes de mi-mandat en 1950 était
plus ou moins identique à la moyenne observée des mouvements de votes. La victoire écra-
sante de Roosevelt en 1936 était facile à prévoir, et pourtant, elle a été suivie par le second
mouvement le plus important de votes sur la période étudiée. Pour autant, les données sur
les cycles de mi-mandat doivent quand même être considérées comme un soutien satisfai-
sant à la théorie d’Alesina et Rosenthal.
En revanche, leur tentative d’expliquer les décisions des électeurs lors d’élections
présidentielles en tant que réponses rationnelles au jugement qu’ils portent sur la compé-
tence du parti sortant semble moins réussie. Les données rejettent cette formulation du
modèle d’Alesina et Rosenthal (1995, p. 206) et les auteurs sont amenés à conclure que « le
postulat de la rationalité de l’électeur est à remettre en question suite à nos résultats puisque
l’électorat américain semble mettre trop de poids sur l’état de l’économie dans une année
d’élection présidentielle ».

19.4.5 Discussion
Le comportement apparemment irrationnel de l’électeur tel qu’il est décrit par Alesina et
Rosenthal dans la phrase ci-dessus est, bien sûr, le type de comportement que le modèle de
Nordhaus et MacRae suppose. Même si ce modèle a fait l’objet de l’examen empirique le
plus exhaustif parmi tous les modèles de CPE, et enregistré la plus longue liste d’auteurs
qui le rejettent, nous avons toujours l’impression quand nous consultons la littérature que
20 Écrivant dans le début des années 1990, Alesina et Rosenthal auraient pu affirmer que leur prédiction d’une
perte de terrain pour le parti du président dans une élection partielle a toujours été confirmée. Mais l’élection
de 1998 a contredit ce résultat parfait.
Compétition politique et performance macroéconomique

Moyenne = –3,75

Variation des votes à partir de l’année d’élection (en %)


Figure 19.6
Le cycle de mi-mandat (1918-96). Le graphique illustre la variation de la part des votes du parti du président.
527

Source : Alesina and Rosenthal (1995, p. 84) for elections through 1990 ; Statistical Abstract of the United States, 1995, 1999 for the 1994 and 1998 elections.
528 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

ce résultat n’est pas totalement en désaccord avec les données. Une hypothèse plus naïve
que celle modélisée par Nordhaus et MacRae à propos du comportement politique oppor-
tuniste devrait être que les présidents vont tenter d’améliorer l’état de l’économie l’année
de l’élection. La littérature sur les changements à court terme dans les dépenses publiques,
les transferts, les taxes et la politique monétaire soutient largement cette hypothèse. Un
nouveau coup d’œil au tableau 19.5 révèle que le chômage a diminué entre la troisième et
la quatrième année de dix des treize mandats présidentiels depuis 1948. Seulement à deux
reprises, un Président se présentant pour sa réélection a perdu : J. Carter en 1980 et G. Bush
en 1992. À partir de ces chiffres, il est facile de conclure que les présidents ont essayé de
diminuer le chômage en période électorale et qu’ils ont été bien avisés de le faire.
Le modèle opportuniste de CPE prédit que chacun des partis va adopter le même
ensemble de politiques macroéconomiques. Dans sa critique féroce de l’article de Kramer
(1971), Stigler (1973) a écarté les résultats de Kramer en partie parce qu’« il n’y a aucune
différence entre les républicains et les démocrates dans ce qui a trait à la poursuite achar-
née d’un haut niveau d’emploi et des taux élevés et stables de croissance du revenu ».
Empiriquement, ceci doit être l’une des observations les moins bien fondées de Stigler. Les
travaux empiriques discutés plus tôt indiquent de manière univoque que les partis de droite
et de gauche poursuivent généralement des buts différents et produisent des politiques
macroéconomiques différentes.
Quelle conclusion tirer de ces résultats ? Quel modèle correspond le mieux aux
données ? Le modèle le moins satisfaisant est clairement la forme rigide du modèle d’anti-
cipations rationnelles qui prédit que les politiques économiques gouvernementales ne
peuvent pas affecter les variables économiques réelles, parce que ces politiques sont correc-
tement anticipées et parfaitement escomptées. Les gouvernements démocratiquement élus
ne semblent pas croire qu’il est futile d’essayer d’influencer le taux de chômage et de crois-
sance à travers des politiques macroéconomiques. Et les études empiriques suggèrent que
chaque parti au pouvoir a connu un certain succès à atteindre ses buts idéologiques.
En ce qui concerne les modèles CPE qui sont en concurrence, il semble qu’il y ait
un soutien empirique pour chaque CPE opportuniste et surtout ceux qui mettent l’accent
sur les différences partisanes. Pourtant, les postulats sur lesquels ces deux ensembles de
modèles reposent sont plutôt différents. Les modèles CPE opportunistes sont compatibles
avec Downs (1957, p. 28) en postulant que « les partis formulent des politiques pour gagner
des élections, plutôt que de gagner des élections dans le but de formuler des politiques ».
À l’inverse, les modèles CPE partisans « supposent que les partis gagnent des élections
pour formuler des politiques » (Chappell et Keech, 1986, p. 881 ; voir aussi Alesina et
Rosenthal, 1995, pp. 16-19). Une différence plus fondamentale dans les points de départ
semble impossible, mais peut-être que les deux points de départ sont partiellement corrects.
Downs défend son postulat de base en arguant qu’un parti politique ne pourrait poursuivre
aucun but s’il ne gagnait pas en premier lieu les élections. Le fait de gagner une élection
est la condition nécessaire à la poursuite de tous les objectifs supplémentaires et cela peut
expliquer la raison pour laquelle certains politiciens à un moment donné entreprennent des
actions opportunistes afin de remporter des élections.
Ayant gagné une élection, un parti peut se sentir libre de mettre en application
certains objectifs idéologiques et son degré de liberté peut varier en fonction de la marge
Compétition politique et performance macroéconomique 529

de sa victoire électorale, son avance dans les sondages et du délai jusqu’à la prochaine élec-
tion. Chaque postulat comportemental peut être correctement caractérisé par la motivation
des différents partis sur différents points dans le temps.
Une des contributions pionnières de la littérature des CPE a fait exactement ce type
de supposition. Frey et Lau (1968) postulent que les gouvernements de gauche devraient
dépenser plus que les gouvernements de droite lorsque leur popularité est élevée, mais
qu’ils essaieraient de diminuer le chômage et d’augmenter le revenu national à l’approche
des élections ou lorsque leur popularité converge vers une valeur critique (estimée dans leur
travail empirique à 52 %). Des taux de chômage en moyenne plus faibles et des taux d’in-
flation en moyenne plus élevés pour les gouvernements de centre-gauche se déduisent du
modèle de Frey et Lau comme une conséquence de leur tendance idéologique à dépenser
plus. Le comportement opportuniste des politiciens en poste pourrait aussi être observé à
quelques occasions. Le soutien empirique pour ce modèle alternatif, modifié pour prendre
en compte les spécificités économiques et les facteurs institutionnels, a été testé aux États-
Unis (Frey et Schneider, 1978 a), au Royaume-Uni (Frey et Schneider, 1978b, 1981 a) et
en Allemagne de l’Ouest (Frey et Schneider, 1983). Certains de leurs résultats empiriques
furent remis en question (Chrystal et Alt, 1981) et le modèle semble avoir été rejeté avec
les premiers modèles CPE.
Toutefois, ce modèle a été récemment redécouvert par nombre d’auteurs qui l’ont
amélioré par rapport à sa première formulation et l’ont validé empiriquement (Blais et
Nadeau 1992 ; Davidson, Fratianni et von Hagen, 1992 ; Carlsen 1997 ; Price, 1997). Par
exemple, Davidson et al. présentent un modèle satisfaisant qui inclut des différences parti-
sanes, mais dans lequel une administration présidentielle adopte des politiques pour dimi-
nuer le chômage dans la quatrième année d’un cycle électoral si le taux de chômage
augmente durant la troisième année. Ils valident empiriquement leur modèle en utilisant
des données pour les élections présidentielles américaines depuis 1916.
Tout modèle combinant des objectifs idéologiques et des comportements opportu-
nistes, substitue au comportement de maximisation des préférences, la myopie aux antici-
pations rationnelles, et ainsi, est critiqué au motif de son caractère ad hoc (i.e. consacré à
un but ou une fin particulière). Le but ou la fin particulière de cette littérature est l’expli-
cation de l’impact de la politique sur les variables macroéconomiques, et les effets de la
macroéconomie sur les résultats politiques. Si un modèle admet une maximisation étroite
et tournée vers l’avenir, le comportement rationnel n’explique pas toutes les données, et
alors peut-être qu’un ou plusieurs de ses postulats doivent être assouplis. Notre lecture des
résultats empiriques obtenus jusqu’à maintenant suggère que les modèles hybrides
correspondent mieux aux données que les alternatives extrêmes.

19.5 COMPORTEMENT DE L’ÉLECTEUR


19.5.1 Myopie, perception rétrospective, rationalité
Les différents modèles CPE formulent des hypothèses plutôt divergentes à propos du type
d’information que l’électeur utilise quand il décide de sa manière de voter. Ces modèles
530 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

varient de l’électeur complètement myope qui tient seulement compte de l’état de l’écono-
mie avant de voter à un électeur très rationnel qui utilise les performances économiques
récentes pour juger de la compétence d’un parti ou d’une administration pour prédire ses
performances futures. Entre ces deux extrêmes se situe l’électeur disposant d’une rationa-
lité rétrospective qui garantit que son représentant va bien exécuter sa mission dans le futur
en le récompensant des bonnes performances du passé.
La preuve empirique en faveur d’une forme ou d’une autre de l’hypothèse de
l’électeur rétrospectif consiste en des enquêtes où les électeurs sont interrogés sur la
manière dont ils forment leurs choix électoraux, et des études de fonctions de vote et de
popularité. Comme les tableaux 19.1 et 19.2 le suggèrent, l’hypothèse de l’électeur
rétrospectif est largement confirmée. Le principal enjeu non traité dans ces études serait de
prendre en compte le poids des événements d’un passé lointain par rapport à celui des
événements d’un passé récent. Certaines études, à l’instar de celles de Fair (1978), Nord-
haus (1989, pp. 28-39) et Borooah et Borroah (1990), suggèrent que seuls les événements
actuels ou les plus récents concernant le chômage, l’inflation, etc., sont importants dans
l’explication du vote ou de la popularité d’un Président.
D’autres comme Hibbs (1982 c, 1987, 2000) et Peltzman (1990) ont estimé des
poids positifs et ayant un sens économique sur les performances du passé durant l’ensem-
ble du cycle électoral. En considérant les résultats pour les élections présidentielles, par
exemple, Peltzman (1990, p. 42) tire les conclusions suivantes : « ces résultats ne sont pas
cohérents avec la notion d’électeur myope qui accorderait de manière myope beaucoup
d’importance aux événements les plus récents. (…) L’attention maximale ne survient
jamais avec un décalage de deux ans mais généralement avec un décalage de quatre ans ».
Le tableau 19.1 présente les estimations d’un tel décalage de quatre années.
Hibbs (2000) tire aussi la conclusion que les données pour les 48 mois précédant
une élection sont évaluées par les électeurs au moment du vote. Son estimation de 0,95
pour le paramètre λ dans l’équation (19.1) implique, bien sûr, seulement un petit décalage
dans les poids accordés aux événements économiques passés. Si nous modélisons les déci-
sions d’un électeur en utilisant (19.1) et que nous supposons que les paramètres sont stables
à travers le temps, plutôt élevés dans ce cas-ci puisque la stabilité du paramètre n’a pas été
un des points centraux de la littérature, alors le coefficient de la variable dépendante retar-
dée dans une fonction de vote ou de popularité avec les valeurs actuelles des autres varia-
bles devient simplement une estimation de λ. Un retour sur les chiffres des tableaux 19.1
et 19.2 révèle que plusieurs des paramètres λ estimés de cette façon sont plutôt élevés ;
même si, bien sûr, plusieurs demeurent modestes. Alors que toutes les études ne corrobo-
rent pas les positions extrêmes de Peltzman et Hibbs, il y a certainement des preuves
supplémentaires confirmant leur modèle dans d’autres études.
Peu d’études utilisant des données de panel ont trouvé que les anticipations à
propos des conditions économiques futures améliorent davantage le modèle explicatif du
choix de l’électeur que les niveaux actuels ou passés (Kuklinski et West, 1981 ; Hibbing,
1987). Ces résultats confirment le postulat de l’électeur rationnel. Malheureusement, ces
études semblent être plutôt l’exception que la règle. La généralisation la plus sûre à partir
de cette littérature semble être que certaines formes de l’hypothèse de l’électeur rétrospec-
Compétition politique et performance macroéconomique 531

tif sont massivement confirmées sur le terrain empirique, mais avec une incertitude à
propos du nombre de mois ou d’années passés dont l’électeur tient compte lorsqu’il vote.

19.5.2 Sociotropique ou égotropique


L’étude des fonctions de vote et de popularité utilise des mesures agrégées de l’inflation et
d’autres variables économiques pour expliquer comment les individus votent ou expriment
leurs opinions. Est-ce que les gens sanctionnent une administration qui produit un taux
d’inflation élevé parce qu’ils ont été personnellement touchés par cette inflation ou parce
qu’ils considèrent des taux d’inflation élevés comme préjudiciables pour la société ? Après
une analyse méticuleuse des réponses de sondage, Kinder et Kiewiet (1979) ont conclu que
les individus évaluent durement les Présidents à cause de taux d’inflation ou de chômage
élevés, et à cause de leurs inquiétudes par rapport à ce qu’ils jugent comme bon pour le
pays. C’est-à-dire qu’une personne peut voter contre un candidat à l’élection présidentielle
parce qu’elle croit que les politiques du président sortant ont nui au pays même si person-
nellement son sort s’est amélioré.
Ce comportement est maintenant connu sous le nom de vote sociotropique en
contraste avec un vote égotropique où l’électeur juge à partir de sa propre situation écono-
mique. L’étude de Kinder et Kiewiet a initié une sévère critique de Kramer (1983), mais
leurs résultats ont généralement été confirmés par des travaux s’appuyant sur un très grand
nombre d’observations aux États-Unis et dans d’autres pays (Kinder et Kiewiet ; Hibbing,
1987 ; Lewis-Beck, 1988 ; Markus, 1988). Certaines études ont toutefois trouvé que les
positions économiques personnelles et les perceptions des problèmes nationaux expliquent
tous les deux significativement les préférences vis-à-vis des partis politiques (Fiorina,
1978, 1981 ; Kiewiet, 1981, 1983 ; Kirchgässner, 1985).

19.6 POLITIQUE ET INFLATION


19.6.1 Hypothèses
Dans la section 19.2.1, nous avons décrit un scénario dans lequel la concurrence électorale
entre partis conduit à un CPE stable tel que MacRae en a fait l’hypothèse (1977). Ce
modèle suppose cependant l’existence d’une courbe de Phillips ayant la forme d’un L
comme représentée sur les figures 19.1 et 19.2. L’existence d’un tel compromis est géné-
ralement rejetée en faveur d’une courbe de Phillips qui est une ligne verticale droite,
comme sur la figure 19.7. Même devant l’absence d’un compromis à long terme, il est tout
de même possible qu’un agent économique soit dupé temporairement. Supposons par
exemple que le gouvernement peut adopter des politiques économiques à court terme (en
commençant au point M), le chômage peut être réduit en se déplaçant le long de S1 S1
jusqu’au point 1. Un gouvernement maximisant les votes en présence d’électeurs myopes
pourrait ensuite augmenter ses chances de gagner à court terme en allant au point 1. Les
agents économiques devraient ensuite ajuster leurs prévisions des taux d’inflation futurs à
532 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Figure 19.7
Équilibre en l’absence de courbe de Phillips.

la hausse et on retournerait sur LL à un point plus élevé, N. Si un nouveau gouvernement a


la chance de surprendre de nouveau les agents économiques, l’économie se déplacerait au
point 2, et ensuite par exemple au point O. Tant que les gouvernements peuvent trouver de
nouvelles manières de duper les agents économiques, le taux d’inflation se déplacerait vers
le haut jusqu’à ce qu’on atteigne un point comme E où le taux d’inflation devient tellement
haut qu’il n’y a plus de gains à court terme liés à la diminution du chômage, ou bien jusqu’à
ce que les agents économiques ne puissent plus être dupés. Cette version dynamique des
CPE admet une inflation constante à travers le temps qui se stabilise éventuellement à un
niveau permanent élevé (Nordhaus, 1975).
Le scénario précédent repose sur un certain degré de myopie de l’électeur. La poli-
tique peut introduire un biais d’inflation dans les résultats économiques même sans myopie
de l’électeur, grâce au « problème d’incohérence temporelle » (Kydland et Prescott, 1977).
Pour en évaluer les conséquences, supposons encore l’existence d’une courbe de Phillips
verticale à long terme telle que le graphique 19.7 nous le montre. Tous les citoyens préfé-
reraient être au point M sur la courbe que sur des points plus élevés. Un gouvernement
maximisant les votes pourrait s’engager dans des politiques macroéconomiques promettant
une combinaison de chômage et d’inflation. Cependant et parce que les gouvernements ne
peuvent pas vraiment s’engager à respecter leurs promesses, les acteurs économiques
doivent toujours anticiper que ceux-ci peuvent essayer de manière opportuniste de stimu-
ler l’économie et de produire temporairement des niveaux bas de chômage au prix d’une
inflation future plus élevée. Ainsi, quand ces électeurs-travailleurs vont négocier des
contrats de travail, ils ne vont pas demander des augmentations de salaire fondées sur une
prévision d’inflation stable au point M, mais vont formuler leurs demandes sur des taux
Compétition politique et performance macroéconomique 533

d’inflation plus élevés tels qu’un gouvernement opportuniste produirait à long terme. Ainsi,
le gouvernement ne doit pas déclencher une élection au point M, mais plutôt au point E,
rendant caduque sa stratégie d’agir de manière opportuniste. Ainsi, l’économie connaît des
taux d’inflation plus élevés de manière permanente en raison de l’incapacité du gouverne-
ment à s’engager dans des politiques macroéconomiques plus responsables.

19.6.2 Les faits


Le tableau 19.7 présente les taux d’inflation et de chômage ainsi que les déficits budgétai-
res en pourcentage du PIB pour les principaux pays industrialisés pour lesquelles des
données satisfaisantes sont disponibles entre 1951 et 1998. Deux éléments ressortent des
données sur l’inflation : il existe une grande variation entre les pays dans le temps, et une
accélération importante des taux d’inflation parmi tous les pays au début des années 1970.
Cette accélération est bien sûr due en grande partie à l’augmentation des prix du pétrole des
pays de l’OPEP, mais l’impact direct des augmentations des prix pétroliers sur l’inflation

Tableau 19.7
Déficits publics, inflation et taux de chômage de 23 pays industrialisés, 1951-98.

1951-55 1956-60 1961-65 1966-70 1971-75


Da P U D P U D P U D P U D P U
Australie 1,5 9,1 . 0,6 2,9 a –1,7 1,8 . –1,5 3,2 1,4 –0,4 10,3 2,5
Autriche –0,2 9,3 7,2 –1,8 2,0 4,8 –1,4 4,0 2,8 –2,0 3,2 2,7 –2,1 7,3 1,8
Belgique . 2,2 10,5 –4,1 1,8 7,6 –2,7 2,5 3,0 –2,4 3,4 3,5 –3,5 8,5 4,1
Canada 0,9 2,6 3,5 –0,9 1,9 5,6 –0,9 1,6 5,4 –0,5 3,9 4,6 –2,1b 7,4 6,1
Danemark –0,7 4,5 9,8 0,9 2,4 6,5 1,0 5,0 3,4 1,3 5,0 3,4 1,4 9,3 2,6
Finlande 0,2 3,2 . 0,0 6,8 2,3b –1,4 8,4 1,4 –0,1 4,6 2,6 0,6 11,8 2,2
France –4,7 5,8 . –3,1 4,6 . –1,1 3,7 . –0,5 4,5 . –1,2 8,9 .
Allemagne 0,6 2,0 7,4 –0,6 1,8 2,9 –0,4b 2,8 0,7 –0,5 2,7 1,2 –2,1 6,1 2,1
Grèce . . . . . . . . . . . . . . .
Islande 0,8b 7,4 . 0,1 6,0 . 0,8 10,9 . . 12,3 3,8b –4,2b 26,2 0,5
Irlande –6,3 4,9 8,2 –4,0 2,7 8,0 –6,0 4,2 5,8 –5,7 5,3 6,6 –8,5 13,4 8,5
Israël . 21,0 . –5,2 4,0 . –6,9 7,1 3,4 –17,1 4,1 6,4 –18,9 24,8 3,0
Italie –4,1 4,2 9,6 –2,1 1,9 8,9 –2,6 4,9 4,7 –3,4 3,0 5,6 –11,3b 11,5 5,9
Japon . 6,4 1,3 1,4 1,9 1,3 –0,8 6,2 1,3 –1,2 5,5 1,2 –2,5 11,7 1,4
Pays-Bas 1,8 3,6 2,3 0,3 2,7 1,5 –1,0 3,4 0,9 –2,4 5,0 1,5 1,1b 8,7 3,0
Nouvelle-Zélande –2,4 7,1 . –3,3 2,9 . –3,6 2,7 . –2,5 3,4 . –4,4 10,3 .
Norvège –2,9b 6,3 1,3 –1,4 2,8 1,8 1,0 4,1 1,4 –2,0 5,0 0,9 –2,9 8,4 1,0
Portugal . . . . . . . . . . . . . . .
Espagne . 2,9 . . 8,3 . –1,0 5,4 1,7b –1,8 5,1 1,0 –1,2 12,1 2,5
Suède –1,3 2,6 2,4 –2,0 3,7 1,9 0,2 3,7 1,5b –2,0 4,4 1,9 –3,8 8,0 2,3
Suisse 0,1 1,7 0,8 0,8 1,2 . 0,3 3,2 . 0,0 3,5 . –0,6 7,7 .
Royaume-Uni –2,3 5,4 1,6 –0,3 2,7 1,8 –0,3 3,1 1,8 –0,3 4,6 2,2 –4,9 13,2 3,2
États-Unis 0,0 2,2 3,7 –0,4 2,2 5,2 –0,8 1,3 5,5 –0,9 4,2 3,9 –1,8 6,6 6,1
Moyenne –1,1 4,7 5,0 –1,0 3,4 4,3 –1,2 4,5 3,0 –1,5 4,6 2,8 –2,8 10,8 3,3
534 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

1976-80 1981-85 1986-90 1991-95 1996-98


Da P U D P U D P U D P U D P U
Australie –3,1 10,6 5,8 –2,3 8,3 7,9 0,6 9,3 7,3 –2,2 2,3 9,9 –0,3b 1,2 8,4
Autriche –5,0 5,3 2,0 –4,4 4,9 3,7 –4,5 2,3 5,3 –4,9 2,9 6,3 –4,1b 1,4 7,1
Belgique –6,7 6,4 8,2 –11,9 7,0 11,0 –7,0 2,2 9,7 –5,2 2,9 12,5 . 1,6 13,2
Canada –4,0 8,8 7,7 –5,4 7,2 8,5 –3,2 4,9 8,4 –4,0b 3,3 10,6 . 1,4 9,1
Danemark –1,0 10,4 6,4 –6,6 7,9 9,8 2,0 4,2 8,8 –1,8 2,3 11,4 . 1,3 7,7
Finlande –1,6 10,8 5,7 –1,5 9,6 5,9 0,2 5,5 4,4 –11,0 2,0 14,8 –6,2b 1,1 14,1
France –1,8 10,5 . –3,1 8,4 8,7 –2,2 3,3 9,9 –4,7 2,7 8,9 –3,6b 3,3 12,2b
Allemagne –3,5 4,0 4,2 –3,3 3,9 7,1 –1,1 1,4 8,5 –2,0 3,3 10,3b –1,7b 1,4 12,2
Grèce . . . –8,5 . . –11,3 24,5 7,4 –13,0 11,3 9,1 –9,8b 6,5 10,3b
Islande –2,7 42,2 0,4 –2,7 49,7 . –2,8 30,0 1,0 –3,8 3,2 3,7 –0,6b 2,0 3,7
Irlande –11,2 14,1 10,9 –13,2 12,4 14,8 –4,7 3,5 16,2 –1,1 2,3 16,2 0,4b 1,9 .
Israël –13,8 65,2 3,8 –14,9 212,2 . –4,4 58,2 7,6 –4,2 9,1 9,3 –4,0b 9,3 8,0
Italie –11,5 16,4 7,3 –13,5 13,8 9,1 –11,1 6,4 11,7 –9,4 4,3 11,2 –3,7 2,7 12,2b
Japon –6,8 6,6 2,1 –6,1 2,7 2,5 –3,0 1,4 2,5 0,1b 1,3 2,6 . 0,8 3,6
Pays-Bas –3,6 6,1 5,3 –7,4 4,2 11,5 –4,4 0,7 9,1 –2,3 2,5 6,2 –1,2 2,1 6,0b
Nouvelle-Zélande –5,9 14,8 . –7,2 12,1 . 1,2b 12,8 5,7 1,4 1,9 8,9 4,7b 1,4 6,4b
Norvège –7,3 8,4 1,3 0,3 9,1 2,7 0,5 7,1 3,3 –2,9 2,2 5,5 5,1b 2,1 4,5b
Portugal . . . . . . –6,7 14,2 5,5 –5,1 5,9 5,6 –2,3b 2,8 7,1b
Espagne –2,9 18,1 7,9 –6,3 12,4 17,8 –2,5 7,4 19,0 –4,7 4,5 10,9 –3,0 2,5 21,5b
Suède –4,9 10,5 1,9 –8,9 9,0 3,0 –0,3 6,0 1,8 –8,4 3,6 6,6 –1,5 0,3 7,5
Suisse –0,4 2,3 . –0,3 4,3 . 4,3 2,6 0,7 –1,3 2,9 3,4 –0,8 0,4 4,6
Royaume-Uni –5,6 14,4 6,2 –3,5 7,2 10,3 0,7 6,7 8,4 –4,6 3,1 9,2 . 3,1 6,0
États-Unis –2,9 8,9 6,7 –4,7 5,5 9,6 –3,6 4,1 5,9 –3,5 2,0 6,6 –0,2 2,3 5,0
Moyenne –4,6 11,5 5,3 –6,8 10,0 8,5 –2,7 7,3 7,6 –4,2 3,6 9,1 –1,8 2,3 8,7

Note : D = déficit public en % du PIB ; P=% de variation de l’indice des prix à la consommation ; U= taux de chômage ; « . » signifie données
manquantes.
a Les données de déficit concernent le déficit public pour les années disponibles, le déficit du gouvernement central a été pris en compte pour

les années manquantes.


b Les données tous les 5 ans n’étaient pas disponibles. La moyenne est calculée pour les années disponibles.

Sources : Déficit, inflation et taux de chômage viennent du FMI, Financial Statistics, Octobre 1986

d’un pays était beaucoup plus petit que celui observé dans la réalité. Et les niveaux anor-
malement élevés ont perduré dans certains pays jusque dans les années 1980, longtemps
après que les prix du pétrole se soient stabilisés. Pourquoi les taux d’inflation de l’Autri-
che, de l’Allemagne et de la Suisse ont-ils plus ou moins retrouvé leur niveau d’avant le
choc pétrolier au début des années 1980, alors que le Danemark, la Finlande, l’Espagne et
la Suède enregistraient des taux deux fois supérieurs à ceux d’avant le choc ? Et pourquoi
Israël a-t-il fait l’expérience de niveaux d’inflation aussi élevés pour l’essentiel de la
période suivant la Deuxième Guerre mondiale ?
Une réponse partielle à ces questions a déjà été exposée dans notre discussion sur
les CPE et la politique partisane. Certains gouvernements ont gonflé leur offre de monnaie
juste avant des élections ; les gouvernements de gauche poursuivent généralement des poli-
tiques monétaires moins rigides et produisent des niveaux d’inflation plus élevés. Mais
Compétition politique et performance macroéconomique 535

nous allons maintenant considérer certaines pistes de réponses qui s’intéressent en particu-
lier à la question suivante : pourquoi des pays qui sont similaires économiquement expéri-
mentent des taux d’inflation aussi significativement différents ?

19.6.3 L’indépendance de la banque centrale


L’explication pour l’inflation fondée sur les problèmes d’incohérence temporelle suppose
que le gouvernement ne peut pas s’engager de manière crédible à limiter les périodes de
chômage en intervenant sur les données macroéconomiques. Il en ressort une popularité
inférieure pour le gouvernement et un niveau moins élevé de bien-être pour la société. Une
amélioration parétienne est possible si le gouvernement se lie les mains pour s’empêcher
de jouer avec la conjoncture économique. La création d’une banque centrale (BC) indé-
pendante peut être une façon de parvenir à ce résultat (Rogoff, 1985). Le gouvernement,
qui est l’agent des citoyens, crée de manière efficace un autre agent pour lui confier une
tâche qu’il est incapable d’effectuer correctement, c’est-à-dire une politique monétaire
produisant peu d’inflation.
Mais si le gouvernement ne peut pas s’engager à ne pas intervenir sur les politiques
macroéconomiques en général, comment peut-il s’engager de manière crédible à ne pas
intervenir sur la BC ? Comment une institution créée par et en fonction du gouvernement
peut-elle demeurer indépendante ?
Le problème n’est pas tout à fait similaire à celui de créer un système judiciaire
indépendant. Une approche possible pour créer une banque centrale indépendante (BCI) a
été de rendre l’élection de sa direction semblable à celle d’un poste de juge avec des nomi-
nations à long terme et des salaires fixés par des formules 21.
Une seconde forme de protection pour une BCI réside dans des systèmes démo-
cratiques disposant d’un système de contre-pouvoir efficace. Quand l’autorité de la BC est
partagée, et que les responsables diffèrent dans leurs objectifs de politique monétaire,
chacun peut bloquer l’autre laissant la BC libre de poursuivre sa politique monétaire préfé-
rée (Moser, 2000, ch. 10 et 11).
La protection ultime pour une BCI est de l’écrire dans la constitution, pour que
celle-ci garantisse une indépendance judiciaire efficace. C’est la voie que l’Union Moné-
taire Européenne a choisie de facto lorsqu’elle a créé la Banque Centrale Européenne,
même si les pays membres peuvent toujours exercer une certaine influence sur le proces-
sus de nomination des directeurs.
Empiriquement, les BCI semblent être positivement corrélées à travers les pays
avec les indices de liberté et de stabilité politique (Cuckierman, 1992 ; Cuckierman et
Webb, 1995 ; de Haan et van’t Hag, 1995 ; de Haan et Siermann, 1996 ; Bagheri et Habibi,
1998). Moins les libertés politiques d’une nation sont garanties et plus l’instabilité politique
est grande, plus il est probable qu’un parti ou qu’un leader d’un parti trouve avantage à

21 Pour une discussion des coûts et bénéfices de cette solution, voir Waller et Walsh (1996). Pour une discussion
générale sur la création des agences gouvernementales indépendantes et responsables, voir Mueller (1996a,
ch. 19).
536 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

contourner les institutions protégeant l’indépendance des BC et à imprimer de l’argent pour


augmenter sa popularité.
De nombreux indices d’indépendance des banques centrales ont été construits pour
déterminer si les BCI sont reliées à la stabilité des prix. La majeure partie des études ont
trouvé une corrélation positive, même si la force de cette mesure dépend de la banque
centrale étudiée 22. Moser (2000, pp. 146-150) a découvert que les taux d’inflation les plus
bas sont observés dans les pays comme l’Allemagne et les États-Unis qui disposent tous les
deux de BCI fortes et de contre-pouvoirs forts sur les actions législatives, ce qui renforce
au final les BCI. Ces études illustrent de manière plutôt claire le rôle important que les
institutions politiques peuvent jouer pour s’assurer que la concurrence politique ne nuise
pas aux citoyens, mais qu’au contraire ceux-ci puissent en bénéficier.

19.7 DÉFICITS
19.7.1 Les faits
Le tableau 19.7 présente les chiffres des déficits budgétaires pour la majorité des pays
industrialisés depuis la Deuxième Guerre mondiale. Tout comme pour les chiffres de l’in-
flation, il existe une variation considérable au sein des pays. Néanmoins, une tendance
générale se dégage clairement. La première période de 5 ans (1951-1955) présente plus de
pays avec des surplus budgétaires que n’importe quelle autre période de 5 ans. Les déficits
importants en France, Irlande et Italie augmentent légèrement la moyenne des déficits pour
les années 1956-1960. À partir de cette période de 5 ans, la moyenne de déficit augmente
constamment jusqu’au début des années 1980 où elle se situe à presque 7 % du PIB. Ce qui
est vrai pour la moyenne des pays est aussi vrai pour les pays considérés au niveau indivi-
duel. Au cours de la première période de 15 ans, plus de la moitié des pays a fait l’expé-
rience soit de surplus budgétaires soit de déficits équivalents à moins de 1 % du PIB. Au
début des années 1980, un seul pays, la Norvège, disposant d’importants revenus pétroliers,
réalise des surplus budgétaires. La moyenne des déficits a diminué depuis 1985, mais il
reste vrai qu’une forte majorité de pays industrialisés continue d’accumuler des déficits au
cours des années 1990. Pourquoi la tendance des finances publiques à travers les 50 derniè-
res années a-t-elle changé au point de transformer la pratique des déficits budgétaires en
une norme 23 ? Dans la prochaine sous-section, nous allons présenter certaines hypothèses
explicatives.

22 Voir Grilli, Dourato et Tabellini (1991) ; Cukierman (1992) ; Alesina et Summers (1993) ; Havrilesky et
Granato (1993) ; Al Marhubi et Willett (1995) ont des difficultés à mettre en relation les taux d’inflation aux
différents indices d’indépendance des banques centrales proposés par Cukierman (1992). Des huit différentes
mesures examinées par Oatley (1999) une simple dichotomie entre les BCI fortes et modérément fortes d’un
côté et faibles de l’autre donne un résultat aussi bon que toutes les autres alternatives.
23 Weber et Wildavsky (1986, ch. 5 et p. 562 et suivante) prétendent que les états ont été confrontés à des problè-
mes de revenus plus faibles que leurs dépenses à travers toute leur histoire.
Compétition politique et performance macroéconomique 537

19.7.2 Hypothèses
19.7.2.1 Illusion budgétaire et la désillusion keynésienne
À travers le XIXe et la première moitié du XXe, les électeurs ont tenu les politiciens respon-
sables des budgets équilibrés. Même Roosevelt a promis l’équilibre budgétaire lors de sa
première campagne présidentielle. Ensuite, durant les années 1960, Buchanan et Wagner
(1977) affirment que la « révolution keynésienne » a changé l’attitude des économistes et
celle du public envers les dettes publiques. Puisque les Américains détiennent la majorité
de la dette fédérale, ils sont donc à la fois créditeurs et débiteurs, alors cela implique que
la dette publique n’a pas vraiment imposé de fardeau fiscal à la population. La logique de
l’économie keynésienne implique que de plus grands déficits pourraient être favorables à
l’économie parce que cela stimule l’activité économique et réduit le chômage.
L’individu rationnel manque d’incitatifs pour calculer de manière rationnelle les
conséquences des politiques gouvernementales. Un chèque reçu par courrier, une annonce
de réduction de fiscalité, ou une diminution dans le taux de chômage peuvent être facile-
ment observés et sont des manifestations grandement publicisées par les gouvernements.
L’inflation future ou les dettes futures que les politiques de déficit public laissent présager
demeurent obscures pour la majorité des électeurs. Ainsi, comme on leur a dit que les défi-
cits étaient en vérité une bonne chose pour l’économie, les citoyens ont arrêté de punir les
politiciens pour des déséquilibres et la compétition électorale a favorisé le déséquilibre
entre les recettes et les dépenses, impliquant des déficits budgétaires et de l’inflation
(tableau 19.7).

19.7.2.2 Cycles politico-économiques


Même si les explications de Buchanan et Wagner concernant la croissance des déficits
budgétaires aux États-Unis sont une tentative d’expliquer un seul changement au cours du
XXe siècle, sa dépendance au concept d’illusion budgétaire introduit une forme de myopie
de l’électeur et rend ainsi cette explication quelque peu dépendante des modèles CPE tradi-
tionnels. Ce modèle avec le postulat de l’électeur myope et de l’électeur rationnel prédit
des dépenses déficitaires à la veille d’une élection et peut ainsi représenter des variations
historiques dans les déficits si le gouvernement ne réussit pas à changer de politique après
les élections.

19.7.2.3 Effets partisans


Les gouvernements de centre-gauche font des déficits ; les gouvernements de centre-droit
font des surplus (ou de plus petits déficits).

19.7.2.4 La paralysie gouvernementale


La majorité de la littérature sur les CPE suppose de manière implicite et même souvent de
manière explicite un système électoral bipartisan. Si l’électeur n’est pas content des
538 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

niveaux de chômage et d’inflation, il peut voter pour le parti d’opposition. S’il dispose d’un
revenu élevé, il est plus enclin à voter pour les partis de droite. Dans un tel système bipar-
tisan, le parti sortant peut toujours être tenu responsable de la situation macroéconomique
au moment du scrutin.
Toutefois, la majorité des pays européens évoluent dans un système multipartisan
qui mène souvent à un gouvernement formé par une coalition de deux ou plusieurs partis.
Dans une telle coalition, des différends à l’intérieur des gouvernements sur des choix poli-
tiques, comme par exemple la réponse appropriée à un choc économique, peuvent se
produire. Chaque parti a ses propres électeurs et aucun ne veut donner l’impression de
céder à un compromis qui se ferait au détriment de ses propres électeurs face à ceux des
autres membres de la coalition. Une forme de « guerre d’usure » en découle, dans laquelle
chaque parti s’accroche à l’espoir que les autres membres de la coalition vont céder les
premiers (Alesina et Drazen, 1991). Il en résulte que les politiques visant à gérer les chocs
économiques sont retardées et que l’économie en souffre.
Ce type d’argument peut expliquer pourquoi certains pays ont été capables de
s’ajuster plutôt rapidement aux chocs économiques et de réduire le niveau d’inflation pour
un retour à la normale, alors que d’autres s’ajustent plus lentement. Notons que cette hypo-
thèse, contrairement aux deux précédentes, nous offre aussi des prédictions claires à propos
des causes des différences d’ampleur des déficits entre les pays.

19.7.2.5 Règles budgétaires


La paralysie gouvernementale décrite dans l’hypothèse précédente survient en général
parce qu’aucun parti ne veut prendre la responsabilité de choix économiques difficiles.
Toutefois, dans tous les systèmes parlementaires, il y a un premier ministre et un ministre
des finances qui est au moins par son titre responsable des performances économiques du
gouvernement. Ils ont en théorie des incitations à voir le gouvernement adopter des poli-
tiques économiques responsables. Leur capacité à appliquer ces politiques va toutefois
dépendre de leur autorité sur les autres ministres, des règles gouvernant les amendements
au budget par le parlement, etc. (von Hagen, 1992).

19.7.3 Validation empirique


Buchanan et Wagner (1977) nous donnent une explication de l’augmentation importante du
déficit fédéral américain à partir des années 1960. Même si les électeurs peuvent s’être fait
duper et ont voté pour des politiciens qui ont généré d’importants déficits jusque dans les
années 1980, l’électeur américain semblait, au début des années 1990, retourner au même
type de conservatisme budgétaire que celui que Buchanan et Wagner ont vu disparaître
durant les années 1960 24. Une clause importante dans le « contrat avec l’Amérique » de
Newt Gingrinch qui a mené à la victoire écrasante des républicains en 1994 était la
promesse d’éliminer le déficit fédéral. Bill Clinton a aussi remarqué qu’il y avait des gains
24 Voir aussi Peltzman (1992).
Compétition politique et performance macroéconomique 539

politiques à adopter une position fiscale conservatrice et vers la fin des années 1990, le
déficit fédéral avait disparu. Les électeurs américains semblent s’être débarrassés de leurs
illusions à propos du déficit.
Certaines des études citées en appui au modèle des CPE ont découvert que la dette
du gouvernement croît à la veille d’une élection (Blais et Nadeau, 1992 ; Alesina et Roubini
avec Cohen, 1997, ch. 9 ; Franzese, 2000 ; Schuknecht, 2000). Des biais partisans ont été
observés dans certaines de ces études (Blais et Nadeau, 1992), mais pas pour d’autres (de
Haan et Sturm, 1994 ; Alesina et Roubini avec Cohen, 1997, ch. 9) et au moins une étude
a démontré un biais inverse (Franzese, 2000).
Roubini et Sachs (1989) ont trouvé que les déficits publics étaient plus grands dans
des pays où les coalitions gouvernementales tendent à être de courte durée et composés de
plusieurs partis. Leurs résultats ont été confirmés par quelques études (Grili et al., 1991 ;
Alesina et Perotti, 1995 ; Franzese, 2000) 25, mais pas dans d’autres (de Haan et Sturm,
1994 ; de Haan, Sturm et Beekhuis, 1999).
La démonstration de von Hagen (1992) sur l’importance des institutions budgétai-
res dans l’explication des déficits a été corroborée par plusieurs autres études (par exemple,
de Haan et Sturm, 1994 ; Helland, 2000 ; Strauch, 2000).
Ainsi, comme c’est souvent le cas lorsque des hypothèses concurrentes sont
testées, les preuves sont plutôt équivoques quant aux déterminants du déficit public. Clai-
rement, aucune hypothèse seule ne peut tenir compte de toutes les différences.

19.8 RÉFLEXIONS
Le modèle de base abordé dans ce chapitre s’appuie sur des postulats différents à propos
du comportement de l’électeur, des partis et de l’économie. Sans surprise, ces modèles
génèrent souvent des prédictions divergentes. En effet, des différences importantes dans les
opinions des promoteurs de ces modèles existent quant à savoir comment les données vali-
dent leurs prédictions.
Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, nous pouvons peut-être expliquer les
difficultés des chercheurs à trouver un modèle qui soit compatible avec toutes les données
par le fait que plus d’un modèle soit nécessaire. Certains auteurs du modèle original du
CPE opportuniste semblaient avoir les politiques macroéconomiques de Richard Nixon en
tête quand ils ont écrit leur modèle, et certainement Richard Nixon était l’idéal-type de
l’opportunisme. Cependant, d’autres Présidents se sont peut-être comportés différemment
de Nixon.
Juan Perron a déjà offert le conseil suivant au Président du Chili :
« Mon cher ami : donne au peuple, particulièrement aux travailleurs, tout ce qui
est possible. Quand il semble que tu as déjà trop donné, donne-leur encore plus.
Tu vas voir les résultats. Tout le monde va essayer de te faire peur avec le spectre

25 Edin et Ohlson (1991) affirment que ce sont les gouvernements minoritaires plutôt que les gouvernements de
coalition qui produisent de plus importants déficits.
540 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

d’une économie qui va s’effondrer. Mais tout ça, ce sont des mensonges. Il n’y a
rien de plus élastique que l’économie dont tout le monde a peur parce que
personne ne la comprend. » (cité dans Hirschman, 1979, p. 65)

Peron a testé à plusieurs reprises l’élasticité de l’économie de l’Argentine, et


plusieurs autres chefs d’Amérique latine ont suivi son conseil. Même si les programmes de
dotation financés par une dette publique grandissante ou par l’émission de monnaie garanti
par le passé une popularité élevée et contribué à des victoires électorales en Amérique
latine, aujourd’hui cela semble ne plus être le cas. Les électeurs semblent être devenus plus
sophistiqués dans leur compréhension de la macroéconomie : les politiciens d’Amérique
latine sont donc devenus plus responsables dans leurs choix politiques.
Les preuves présentées par Suzuki (1994) tendent à montrer que les électeurs japo-
nais sont devenus moins myopes depuis la période de l’après-guerre. Suzuki corrobore la
théorie du CPE opportuniste pour les premières années du règne du parti libéral démocra-
tique, mais à partir des années 1980 celle-ci a disparu. Dans cette perspective, il est inté-
ressant de noter la manière dont pratiquement tous les gouvernements européens ont été
capables de satisfaire aux exigences strictes en matière d’inflation et de déficits publics au
milieu des années 1990, conditions sine qua non de l’entrée dans l’Union Économique et
Monétaire (UEM). En dépit d’avoir commencé avec des niveaux d’inflation et des déficits
budgétaires extrêmement disparates (tableau 19.7), chacun des 12 pays désirant intégrer
l’UEM a été capable, à l’exception de la Grèce, de remplir ces critères dès 1998 et même
la Grèce a réussi à les remplir à l’horizon 2001 même si l’histoire retiendra que la sincérité
des finances publiques grecques était fragile. Ainsi, si les enjeux sont suffisamment élevés,
les politiciens peuvent contrôler l’inflation et les déficits publics.
Tous les modèles passés en revue dans ce chapitre ont une chose en commun : ils
supposent que les seules politiques gouvernementales qui affectent les élections sont reliées
à la macroéconomie, et que les élections sont gagnées ou perdues sur la base de politiques
qui affectent la macroéconomie 26. Cette caractéristique rend ces modèles plutôt différents
du reste de la littérature sur la théorie des choix publics et d’une certaine façon entrent en
conflit avec elle.
Par exemple, Alesina et Rosenthal (1995) supposent qu’un électeur démocrate
modéré, quand il décide de voter pour son représentant démocrate sortant au Congrès dans
une élection de mi-mandat, peut voter contre lui, même s’il a une excellente réputation et
même s’il a contribué à améliorer le sort de sa circonscription, parce que l’électeur cherche
à contrecarrer les politiques macroéconomiques libérales de l’actuel Président démocrate
par un Congrès républicain. Cette supposition est à contre-courant d’une partie importante
de la littérature sur la théorie des choix publics et de la science politique selon laquelle les
électeurs sont uniquement intéressés par les activités électoralistes (de type pork-barrel) de
leurs représentants au Congrès et par les représentants « abusant » de ces activités (Fere-
john, 1974 ; Fiorina, 1977b).
26 Des études économétriques qui ont essayé de prédire les résultats électoraux, comme Fair (1982) et Hibbs
(2000), ajoutent d’autres variables pour améliorer la précision de leur prédiction, mais leur travail est remar-
quable pour la rareté des variables supplémentaires incluses. Hibbs, par exemple, ajoute seulement une varia-
ble (le nombre de militaires qui ont été tués au combat) en plus de la croissance du revenu pour prédire les
élections du dernier demi-siècle.
Compétition politique et performance macroéconomique 541

Le calcul supposé des électeurs semble aussi remettre en question le postulat de


l’électeur rationnel. Même si l’électeur souhaite un Président démocrate et un Congrès
républicain, il va, selon toute vraisemblance, calculer que l’affiliation partisane de son
candidat au Congrès, puisqu’il ne compte que pour une voix parmi 435, aura un impact plus
faible sur les politiques macroéconomiques futures que sur l’afflux de dollars fédéraux
dans sa circonscription. Ainsi, même si l’électeur considère les enjeux macroéconomiques
comme étant beaucoup plus importants que les enjeux locaux et s’il est véritablement
rationnel, il va probablement voter pour la réélection de son représentant sortant au
Congrès et tirer profit des projets que le représentant attire sur sa circonscription, plutôt
qu’essayer d’influencer les politiques macroéconomiques nationales en contribuant à sa
défaite électorale.
Il faut noter aussi l’absence surprenante du rôle des groupes d’intérêts dans les
modèles de CPE. Leur prise en compte peut aider à expliquer certains des résultats ambigus
de la littérature. Par exemple, plusieurs études citées plus tôt ont remarqué une augmenta-
tion dans certains services publics et des réductions de fiscalité juste avant une élection.
Ces politiques sont cohérentes avec les prédictions de certains modèles CPE. Toutefois, les
variations dans les taxes et les dépenses tendent à être marginales, et ainsi, il est beaucoup
plus difficile d’observer le CPE prédit dans les données de chômage et d’inflation que dans
les dépenses ou la fiscalité. Peut-être que l’enjeu des variations budgétaires n’est pas d’af-
fecter les variables macroéconomiques, mais plutôt de faire bénéficier certains groupes
d’intérêt des décisions budgétaires car ils ont promis de soutenir le gouvernement par l’in-
termédiaire de votes ou de financement de leur campagne électorale. La prise en considé-
ration des groupes d’intérêt dans ces modèles peut améliorer grandement leur pouvoir
heuristique 27, mais bien sûr au prix d’une plus grande complexité.
Un des éléments les plus intéressants provenant de la plupart des modèles CPE est
leur pouvoir explicatif combinée à une stratégie empirique relativement simple et économe
en variables. Il est cependant important de rappeler au lecteur que les modèles sont souvent
des simplifications extrêmes de la réalité, et qu’ils laissent parfois de côté plusieurs facet-
tes importantes d’une problématique. Une des omissions les plus importantes est certaine-
ment les groupes d’intérêt. Dans le prochain chapitre, nous allons examiner les activités de
ces groupes. En effet, nous allons étudier des modèles qui supposent que toutes les activi-
tés gouvernementales consistent à « vendre » des décisions publiques aux groupes d’inté-
rêt et que toutes les élections sont déterminées par les volontés et les actions de ces intérêts
organisés. Les politiques macroéconomiques qui affectent tous les citoyens vont être
temporairement mises de côté.

27 Frans van Winden (1983) a développé et simulé un modèle d’interactions entre le secteur privé et le secteur
public qui permet de séparer le rôle du travail, des firmes, des bureaucraties publiques, des groupes d’intérêt
et des partis politiques.
542 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Cette littérature est immense et a mené à des publications d’au moins un manuel de plus de 800 pages.
Le livre de Drazen (2000), Political Economy in Macroeconomics, est une excellente introduction
à la littérature scientifique, même si ce livre est quelque peu mal intitulé, puisqu’il discute de prati-
quement tous les sujets de la littérature des choix publics.
Plusieurs auteurs des principaux modèles de CPE ont écrit leur propre revue de la littérature (Schnei-
der, 1978, 1982 ; Schneider et Frey, 1988 ; Nordhaus, 1989 ; Hibbs, 1992 ; Alesina, 1988a ;
Alesina, Roubini et Cohen, 1997).
Des revues additionnelles incluent Paldam (1981a, 1997), Alt et Chrystal (1983), Borooah et van der
Ploeg (1984), Gärtner (1994, 2000), Keech (1993) et Nannestad et Paldam (1994).
On peut également citer en langue française les travaux d’Auberger (2001) et Dubois (2005) pour une
revue de littérature exhaustive sur les cycles politico-économiques, et Dubois (2007) pour une esti-
mation microéconométrique des fonctions de vote en France en 1976 et 2006.
Aubin et Lafay (1995) estiment une fonction de réaction du taux d’intérêt de court terme sur la
période 1973-1993 (données mensuelles) en France. Ce travail met en relation la probabilité de
défaite électorale à partir des seuils de popularité des gouvernants.
Auberger et Dubois (2005) testent à l’aide d’un estimateur 3SLS l’influence des conditions écono-
miques nationales et locales sur le résultat des élections législatives françaises entre 1981 et 1997.
Enfin, au niveau local, Foucault et François (2005) démontrent empiriquement l’existence de cycles
politico-économiques opportunistes (et non partisans) pour le choix de dépenses publiques des
municipalités françaises de plus de 50 000 habitants.
20
GROUPES D’INTÉRÊT,
CONTRIBUTIONS DE CAMPAGNE
ET ACTIVITÉS DE LOBBYING

20.1 La logique de l’action collective 544


20.2 Les modèles du comportement des groupes d’intérêt 547
20.3 Les études empiriques des causes et conséquences des contributions
de campagne 553
20.4 Le lobbying 569
20.5 Les effets en termes de bien-être de l’activité des groupes d’intérêts 570
544 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Karl Marx considérait que la société était divisée en deux classes antagonistes. Depuis,
cette idée a fait son chemin. En effet, de nombreux théoriciens de la politique ont observé
que les orientations idéologiques des partis, comme le vote des électeurs, répondaient à une
logique de classe. Plusieurs modèles de cycles d’affaires politiques font d’ailleurs l’hypo-
thèse qu’un parti s’adresse à la classe ouvrière et se donne comme objectif premier la
réduction du chômage, alors que l’autre, favorable à la classe capitaliste, cherche à main-
tenir les taux d’intérêts à leurs plus bas niveaux.
Il y a plus de 200 ans, James Madison a également observé que « les intérêts des
propriétaires et de ceux qui ne le sont pas divergent au sein de la société ». Mais il poursuit
en identifiant les divers intérêts des créanciers et des débiteurs : « l’intérêt foncier, l’inté-
rêt à produire, l’intérêt mercantile, l’intérêt financier, (et) beaucoup d’autres intérêts
mineurs ». Comme semble le suggérer Madison, dans une démocratie moderne, la politique
ne se réduit pas à un affrontement entre deux classes économiques antagonistes, mais s’ap-
parente plutôt à une lutte opposant une multitude de groupes aux intérêts divergents. Dans
ce chapitre, nous allons nous concentrer sur l’étude de ces groupes. Nous commencerons
par examiner les hypothèses relatives aux groupes d’intérêt, que proposent Olson (1965)
dans l’un des classiques de la littérature des choix publics.

20.1 LA LOGIQUE DE L’ACTION COLLECTIVE


Les groupes d’intérêt existent sous différentes formes institutionnelles et sont de tailles
variables. Certains cherchent à atteindre directement les objectifs de leurs membres,
comme par exemple les syndicats et plus particulièrement les syndicats agricoles, les asso-
ciations de professionnels (médecins, dentistes, comptables), les associations représentant
les commerces de détail (épicerie, quincaillerie, alcool) et les associations professionnelles
industrielles (pétrole, ciment, charbon). D’autres cherchent à influencer les politiques
publiques ou l’opinion publique, notamment sur la question des externalités et des biens
publics, à l’instar des groupes pacifistes, des groupes environnementaux et de la National
Rifle Association (association consistant à faire du lobby en faveur des armes aux États-
Unis). Le plus souvent, un groupe est créé afin de poursuivre un objectif particulier, puis,
une fois qu’il est parvenu à s’organiser, il se tourne vers d’autres formes d’activités qui
servent ses membres. Les syndicats ont par exemple été créés dans le but d’améliorer le
pouvoir de négociation des travailleurs vis-à-vis de leurs dirigeants. Mais une fois que le
coût initial de l’organisation, qui est très élevé, a été surmonté, les syndicats se sont
engagés dans d’autres activités qui servent les intérêts de leurs membres, comme des acti-
vités de pression pour la mise en place de lois améliorant leurs conditions de travail. Il
existe également des groupes qui cherchent à représenter les intérêts d’un ensemble de
personnes partageant une certaine affinité sociale, qu’elle soit religieuse, géographique ou
ethnique (Kristov, Lindert et McClelland, 1992). Plus récemment, des groupes ont été créés
afin de promouvoir les intérêts de personnes d’un même sexe ou d’une certaine orientation
sexuelle. Dans tous les cas, le moteur de la formation d’un groupe d’intérêt est la convic-
tion que ses membres ont des intérêts et des objectifs communs, qu’il s’agisse de revendi-
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités de lobbying 545

cations salariales pour une association professionnelle ou de mesures de précaution ou


d’hygiène pour une association de consommateurs (pp. 26-29) 1.
La convergence des objectifs des différents membres du groupe d’intérêt fait de la
réalisation de ces objectifs un bien collectif pour le groupe (c’est-à-dire un bien de club) et
peut donc inciter ses membres à adopter des comportements de passager clandestin, inhé-
rents à toutes situations du dilemme du prisonnier appliqué à un bien collectif. Chaque
entreprise de métallurgie bénéficiera, comme l’ensemble du secteur, de la mise en place
d’une barrière douanière sur l’acier, qu’elle ait ou non contribué aux efforts pour l’obtenir
(pp. 29-38).
Deux conclusions importantes peuvent être tirées de cette observation : (1) il est
plus facile de former un groupe d’intérêt lorsque le nombre de membres potentiels est
faible que lorsqu’il est élevé (pp. 29-28, 44-88). Il est en effet plus facile d’organiser un
groupe d’intérêt efficace pour la vingtaine d’entreprises qui constituent le secteur de la
métallurgie que pour ses deux cent mille ouvriers et (2) l’apparition d’organisations capa-
bles de représenter efficacement un grand nombre d’individus requiert l’existence d’incita-
tions « sélectives » et « indépendantes » de la fourniture du bien collectif, visant à éliminer
les comportements opportunistes (p. 73, en italique dans la version originale). Les syndi-
cats offrent des exemples types de recours aux incitations sélectives. Certains d’entre eux
se sont, par exemple, battus pour que les employeurs déduisent des salaires, les cotisations
d’adhésion au syndicat. Les contrats de « closed-shop » interdisant aux employeurs d’em-
baucher des salariés non syndiqués sont un autre exemple d’incitation sélective. Dans les
pays où les syndicats ont obtenu ce type de contrat, comme aux États-Unis et en Europe, le
taux de syndicalisation et les salaires ont été très élevés. En France, où les syndicats n’ont
pu obtenir ce type de requête, le taux de syndicalisation est beaucoup plus faible 2. Ce qui
prouve indubitablement que ces incitations sont nécessaires pour qu’un salarié décide d’ad-
hérer à un syndicat, c’est l’importance que les leaders syndicaux attachent à la mise en
place de contrats de « closed-shop » ou plus généralement à une législation favorable aux
syndicats, la solidarité des travailleurs n’étant pas suffisante.
Quand les bénéfices de l’action collective ne sont pas les mêmes pour tous les
membres du groupe, « on constate une tendance systématique à l’exploitation du grand par
le petit » (p. 53). C’est ce que nous montre l’exemple suivant. Considérons que l’industrie
automobile possède quatre entreprises qui produisent les quantités de voitures indiquées ci-
dessous.
X G = 4 000 000 voitures
X F = 2 000 000 voitures
X C = 1 000 000 voitures
X A = 500 000 voitures
Pour se conformer aux standards fixés par la Commission européenne, les entre-
prises sont amenées à augmenter leurs coûts de production de 10 euros en moyenne. Les
entreprises envisagent chacune de leur côté d’ouvrir un bureau à Bruxelles pour faire pres-
1 Les pages citées dans cette section qui ne sont pas précédées du nom de l’auteur se réfèrent systématiquement
à Olson (1965) dans la deuxième édition de sa traduction française (1987).
2 Pour une étude sur la France dans le cadre des travaux d’Olson, se référer à Asselain et Morrison (1983).
546 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

sion sur les commissaires européens pour que l’application de la nouvelle législation soit
retardée d’un an. Le coût d’un bureau destiné au lobbying est de 1,5 million de dollars. La
probabilité que le lobbying soit efficace augmente avec le nombre de bureaux ouverts. Elle
est de 0,25 pour un bureau, 0,4 pour deux bureaux, 0,5 pour trois bureaux et 0,55 pour
quatre bureaux. L’entreprise G réalise que si elle ne tire aucun bénéfice de l’ouverture d’un
bureau, alors aucune entreprise n’en bénéficiera non plus. Le bénéfice qu’elle attend de
l’ouverture d’un bureau est de 0,25 fois 40 millions, ce qui est supérieur au 1,5 million que
nécessite la création d’un bureau. L’entreprise F se rend compte qu’elle ne tirera aucun
profit à ouvrir un bureau sauf si G en ouvre un également et calcule donc les bénéfices
qu’elle tire à ouvrir un deuxième bureau. La probabilité de réussite de cette activité de
lobbying supplémentaire de 0,15, une fois multipliée par les coûts de productions écono-
misés par F (20 millions), représente pour F une augmentation du profit espéré de
3 millions. Ce qui est supérieur au 1,5 million nécessaire à l’établissement d’un bureau.
Étant donné que G et F ont ouvert des bureaux, ni C ni A ne trouvent rentable d’en faire
autant. Ces deux dernières entreprises choisissent alors d’adopter un comportement de
passager clandestin. Elles vont donc profiter des efforts de lobbying de G et F en réalisant
des bénéfices respectifs de 4 millions € et 2 millions €. De cette façon, les faibles vont donc
exploiter les forts.
Il est également important de constater que le montant des dépenses de lobbying,
lorsqu’elles sont fixées par chaque entreprise indépendamment des autres, n’est pas
optimal du point de vue de l’ensemble du secteur. Un troisième et un quatrième bureau
rapporteraient respectivement 7,5 et 3,75 millions € de bénéfices pour l’industrie automo-
bile. Mais ces bureaux supplémentaires ne seront ouverts que si G et F ont la possibilité de
soudoyer C et A pour qu’ils le fassent. En outre, étant donné que C et A savent que G et F
ouvriront des bureaux quoi qu’il arrive, C et A peuvent réclamer des subventions à G et F
pour que ces premiers ouvrent un bureau 3. Verser une subvention serait dans l’intérêt de G
et F qui augmenteraient leur espérance de profit.
Une des prédictions contre-intuitives de la théorie d’Olson est que les groupes d’in-
térêt de petite taille parviennent plus facilement à obtenir des faveurs du gouvernement que
les grands groupes. Les politiques agricoles nationales corroborent cette hypothèse. Dans
les pays pauvres, où le secteur agricole est important et les membres de la classe moyenne
habitant dans les villes sont peu nombreux, les agriculteurs reçoivent des subventions à la
production faibles, voire négatives. Les gouvernements font en sorte que les agriculteurs
reçoivent moins que les prix du marché mondial. Dans les pays riches, où les agriculteurs
représentent une partie infime de la population active, ceux-ci reçoivent souvent d’énormes
subventions. Van Bastelaer (1998) étudie le niveau de subventions que reçoivent les agri-
culteurs sur la période 1955-1980. Elles vont de – 26,9 au Ghana à 85,9 pourcent en Suisse.
L’étude économétrique de Van Bastelaer confirme l’hypothèse d’Olson avec des données
sur 31 pays 4. On pourra trouver d’autres preuves de l’hypothèse d’Olson dans la littérature
expérimentale qui traite du problème du passager clandestin, abordée dans le chapitre 2.
3 Prenons le cas où C est d’accord pour payer seulement 1/7 des coûts du lobbying et G et F payent 6/7, ce qui
correspond à leurs bénéfices et A est d’accord pour payer seulement 1/15 des coûts de son bureau, avec les 3
autres qui se partagent les bénéfices. Au final A et C récupèrent respectivement 6,7 % et 13,3 % des bénéfices
retirés du lobbying mais en ne supportant que 1,7 % et 6,9 % des coûts.
4 Bastelaer prend une partie de ses données chez Krueger, Schiff et Valdés (1991).
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités de lobbying 547

Bien qu’Olson ait focalisé ses travaux sur la question des groupes d’intérêts, il n’a
cependant pas proposé de véritable modélisation de leur fonctionnement dans le processus
politique et de leurs effets sur les décisions politiques. Cette lacune a cependant été
comblée par un grand nombre de chercheurs qui ont développé et testé des modèles poli-
tiques du comportement des groupes d’intérêts. Nous allons maintenant étudier ces
modèles.

20.2 LES MODÈLES DU COMPORTEMENT DES GROUPES


D’INTÉRÊT
Un groupe d’intérêt entre dans le processus politique pour servir les intérêts de ses
membres. Cet objectif peut être atteint en fournissant aux candidats de l’information sur cet
intérêt commun et en offrant les voix du groupe à un candidat qui promet de défendre les
intérêts en question une fois qu’il sera élu. Le moyen le plus important et le plus visible ces
dernières années consiste à verser de l’argent à un candidat qu’il va ensuite utiliser pour
gagner les élections 5. Cette dernière activité est de loin l’activité la plus controversé, tant
d’un point de vue positif que normatif. Nous allons étudier en premier lieu cette question
dans une perspective normative et nous reviendrons par la suite aux débats normatifs 6.
Ce qui est incontestable, c’est que les candidats utilisent les contributions qu’ils
reçoivent pour être (ré)élus. En effet, aux États-Unis, c’est la seule utilisation qui peut être
faite de ces fonds. Ainsi, les contributions de campagne se transforment nécessairement en
dépenses de campagne. Un modèle ne peut donc étudier séparément contributions et
dépenses de campagne. Selon une certaine interprétation, le seul but des contributions et
des dépenses de campagne serait d’influencer le résultat des élections. Les candidats sélec-
tionnent en premier lieu leurs programmes, puis les groupes d’intérêt viennent apporter
leur soutien financier aux candidats qui ont les positions les plus proches des leurs. Enfin,
l’élection détermine les programmes et candidats gagnants parmi l’ensemble des options
présélectionnées. Cette interprétation des contributions de campagne correspond à la
théorie de « l’homme politique » (Welch, 1976), dans laquelle les donateurs sont assimilés
à des « consommateurs » ; ils consomment de manière passive les programmes choisis par
les candidats (Snyder, 1990). En revanche, dans le modèle de « l’homme économique »,
les donateurs sont assimilés à des « investisseurs » qui achètent les programmes des candi-
dats. Dans ce dernier modèle politique, il y a un échange entre le groupe d’intérêt, qui
contribue financièrement à la campagne électorale d’un candidat et ce candidat qui
« fournit » au groupe un programme qui lui est favorable (Welch, 1976). La question qui
émerge est alors de savoir lequel des ces deux modèles du processus politique est le plus
proche de la réalité.

5 Il peut évidemment en faire une autre utilisation, ce qui est courant en politique bien qu’illégal dans la plupart
des pays. On discutera cependant de la corruption plus loin dans le chapitre.
6 Austen-Smith (1997, pp. 312-20) fait une revue de la littérature sur les groupes d’intérêts qui ont pour seule
activité la transmission d’information.
548 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

20.2.1 Les campagnes d’information dans un modèle


de Downs
Une grande partie des dépenses de campagne sert aujourd’hui à acheter des spots publici-
taires à la télévision (aux États-Unis du moins). Il est possible de faire une analogie entre
cette « publicité politique » et la publicité grand public (pour un produit quelconque).
D’ailleurs, plusieurs auteurs ont traité les dépenses de campagne comme une forme de publi-
cité 7. Dans la littérature sur la publicité, la distinction est souvent faite entre information et
persuasion (« informative and persuasive advertising »). Dans un modèle de Downs
basique, à une seule dimension portant sur la question x, il y a publicité politique à caractère
informatif lorsque le candidat fournit une information pour signaler aux électeurs sa posi-
tion sur la question x. Si les électeurs informés votent pour le candidat dont la position sur
x est la plus proche de la leur et que les électeurs mal informés s’abstiennent, alors chaque
candidat aura intérêt à informer les électeurs les plus proches de sa position. Plus il y a
d’électeurs informés, plus le candidat dont la position est la plus proche de celle de l’élec-
teur médian gagnera une part importante des suffrages. Les campagnes à caractère informa-
tif augmentent la probabilité de victoire du candidat qui se rapproche le plus de l’électeur
médian. Elles ont donc tendance à conduire les deux candidats à viser la position médiane 8.
Si les deux candidats adoptent la position de l’électeur médian, alors tous les élec-
teurs seront indifférents quant à l’identité du vainqueur. Personne ne sera incité à soutenir
un candidat pour qu’il puisse augmenter les chances de se faire élire. Les groupes d’intérêt
qui ont des positions situées à gauche de celle de l’électeur médian pourraient être incités
à soutenir financièrement le candidat L s’il se déplaçait vers la gauche le long du spectre
politique. Mais si L abandonne la position médiane et en informe les électeurs, il diminuera
alors ses chances de victoire. Une stratégie intéressante consisterait à informer uniquement
les électeurs de gauche, mais les groupes positionnés à droite seraient alors incités à finan-
cer la campagne de R afin qu’il informe ses sympathisants potentiels de son positionnement
sur l’échiquier politique. Il est donc difficile d’expliquer le modèle de « l’homme écono-
mique » à partir d’un modèle de Downs basique qui ne tient compte que des campagnes à
caractère informatif. En effet, aucun groupe ne sera incité à contribuer financièrement à la
campagne des candidats si aucun d’eux ne se démarque des autres. Aucun candidat, non
plus, n’a d’incitation à quitter la position médiane et à lever des fonds de campagne pour
informer les électeurs qu’il a quitté la position médiane.

20.2.2 Les campagnes de propagande dans un modèle


de Downs
Lors d’une campagne de publicité politique à caractère purement informatif, en informant
les électeurs sur son positionnement, un candidat augmente la probabilité que certains élec-
7 On pourra se référer plus particulièrement à Paldz (1973, 1975) et Thomas (1989, 1990). La démonstration ci-
dessus est tirée de Mueller et Stratmann (1994).
8 Pour des modèles formels qui aboutissent à ce résultat, on pourra consulter Austen-Smith (1987) et Baron
(1994).
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités de lobbying 549

teurs votent pour lui mais diminuent en même temps celle que d’autres électeurs lui
donnent leur voix. Évidemment, la situation idéale serait que la campagne d’information
augmente sa probabilité de succès dans l’absolu, que tous les électeurs qu’il informe votent
pour lui. En reprenant l’analogie avec la publicité, ces dépenses de campagne idéales s’ap-
parenteraient à des campagnes de persuasion ou à de la propagande. Quand une entreprise
de sodas informe ses consommateurs potentiels qu’elle lance une boisson aromatisée au
citron, elle augmente la probabilité que ceux qui aiment le citron achètent la boisson, mais
réduit la probabilité que ceux qui préfèrent l’orange, la cerise ou la vanille achètent cette
boisson. Par contre, quand cette même entreprise communique sur le fait que sa boisson « a
un meilleur goût » ou qu’elle « est meilleure que les autres boissons », elle augmente la
probabilité que tous les consommateurs potentiels l’achètent.
Cela s’applique tout à fait à un certain type de publicité politique. En effet, tous les
citoyens préfèrent des hommes politiques honnêtes plutôt que corrompus, compétents
plutôt qu’incompétents, etc. Un homme politique peut donc essayer de convaincre via la
publicité politique qu’il est plus honnête que son rival et ainsi augmenter la probabilité que
l’ensemble des électeurs vote pour lui. Cela vaut quelle que soit sa position sur le sujet x.
Dans cette section, nous allons nous pencher sur les implications qui découlent de l’exis-
tence de ce type de publicité politique 9.
Soit π J la probabilité qu’un membre du groupe i vote pour le candidat J. Soit I C J
et PC J , les dépenses de campagne d’information et de propagande de J. En supposant que
des membres du chaque groupe soient incertains quant à la position des deux candidats, la
probabilité qu’un membre du groupe i vote pour le candidat J est une fonction de la posi-
tion des deux candidats et de leurs dépenses d’informations et de persuasion.

πi J = πi J (x L , x R , I C L , I C R , PC L , PC R ) (20.1)

où i = 1, 2, …, m et J = L , R. La différence entre une campagne d’information et de


persuasion tient au signe de la dérivée partielle de πi J par rapport aux quatre types de
dépenses de campagne. Une augmentation des dépenses de campagnes de persuasion de L
augmente la probabilité que tous les membres de i votent pour L, tout comme une augmen-
tation des dépenses de persuasion par R diminue la probabilité qu’un membre de i vote pour
L.
∂πi J /∂ PC L > 0, ∂πi J /∂ PC R > 0, pour tout i. (20.2)

D’un autre côté, les dépenses d’information augmentent la probabilité que certains groupes
votent pour un candidat, tout en diminuant la probabilité que d’autres groupes votent pour
lui. Notons f les groupes qui préfèrent L quand ils sont parfaitement informés et r les
groupes qui préfèrent R, ce qui nous donne :

∂π f L /∂ I C L > 0, ∂πr L /∂ I C L < 0, ∂π f R /∂ I C R < 0, ∂πr R /∂ I C R > 0. (20.3)

Les dépenses de propagande sont évidemment plus intéressantes que les dépenses en infor-
mation. Ces dernières, à moins d’être ciblées, réduisent la probabilité que certains groupes
9 Austen-Smith (1987) attribue une fonction similaire aux dépenses de campagne, tout en conservant l’hypo-
thèse qu’elles sont de nature informationnelle. Il suppose pour cela que, grâce à l’information qu’il reçoit, tout
électeur opposé au risque bénéficiera d’une réduction de l’incertitude concernant le programme d’un candidat.
550 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

soutiennent un candidat, tout en augmentant la probabilité qu’ils soutiennent l’autre candi-


dat. En revanche, les dépenses de propagande augmentent à coup sûr la probabilité d’obte-
nir des voix de la part de tous les groupes.
Compte tenu de cette caractéristique, il est possible de représenter la probabilité,
π j , que J gagne l’élection, comme une fonction des dépenses de campagne, C J , de celles
de son adversaire et des positions des deux candidats.

π L = π L (x L , x R , C L , C R ), π R = π R (x R , x L , C R , C L ) (20.4)

avec ∂π L /∂C L > 0, ∂π L /∂C R < 0, ∂π R /∂C R > 0, ∂π R /∂C L < 0 .


Considérons maintenant la décision d’un membre du groupe i de verser une contri-
bution à un candidat. Soit xi , son point idéal sur la question x et vi sa consommation de
biens privés.
Ui = Ui (x, vi ), ∂Ui /∂vi > 0, ∂ 2 Ui /∂vi2 < 0. (20.5)

Supposons pour commencer que l’électeur pense que la position des deux candidats est
fixée et que sa contribution aura pour seul effet de changer la probabilité de victoire du
candidat. L’électeur i choisit la contribution Ci qui maximise son utilité espérée E(Ui ),
sous la contrainte budgétaire (yi = vi + Ci ) où yi est le revenu de i. 10

E(Ui ) = π L Ui (x L , vi ) + (1 − π L )Ui (x R , vi ). (20.6)

Si i soutient uniquement L et ∂Ui (x L , vi )/∂vi ≈ ∂Ui (x R , vi )/∂vi , alors les conditions de


premier ordre issues de la maximisation de (20.6) par rapport à Ci et vi impliquent que : 11

∂Ui (x L , vi )
∂π L /∂C L [Ui (x L , vi ) − Ui (x R , vi )] = (20.7)
∂vi

Le membre de droite de l’équation (20.7) représente l’utilité marginale de la consomma-


tion de biens privés, qui est positive. L’équation possède une solution, avec C L > 0, seule-
ment si Ui (x L , vi ) > Ui (x R , vi ).
Une contribution de campagne faite par un électeur augmente son utilité espérée
uniquement si les programmes des candidats sont différents et, si les programmes sont fixés
à l’avance, l’électeur apportera son soutien financier uniquement au candidat dont le
programme lui procure une augmentation de son utilité. L’électeur financera L tant que la

10 Pour simplifier l’explication nous ignorons la part de i sur les coûts de x.


11 E(Ui ) = π L Ui (x L , vi ) + (1 − π L )Ui (x R , vi ) + λ(yi − vi − Ci , où π L (x L , x R , C L , C R ) .
Si l’on maximise cela en fonction de Ci et vi , il vient :
∂ E(Ui ) ∂π L ∂π L
= Ui (x L , vi )– Ui (x R , vi ) − λ = 0
∂Ci ∂C L ∂C L
∂ E(Ui ) ∂Ui (x L , vi ) ∂Ui (x R , vi )
= πL + (1 − π L ) −λ=0
∂vi ∂vi ∂vi
Si l’on élimine λ de chaque équation et en faisant l’hypothèse que ∂Ui (x L , vi )/∂vi = ∂Ui (x R , vi )/∂vi , on
obtient (20.7).
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités de lobbying 551

hausse de l’utilité espérée qu’il retire de l’augmentation des chances de victoire de son
candidat favori est supérieure à la désutilité engendrée par la baisse de son revenu.
Plaçons-nous désormais du point de vue d’un candidat. Si, durant la campagne, il
adopte le même programme que son adversaire, les contributions qu’il recevra seront
nulles. Il aura 50 pourcent de chance de remporter les élections. En s’écartant du
programme de son adversaire, il va pouvoir obtenir des contributions qui vont lui permet-
tre d’augmenter ses chances de victoire. Cependant, il doit également garder à l’esprit
qu’en se démarquant de son adversaire, il fournira des contributions de campagne à son
adversaire. Alors que la concurrence pour les voix au sens de Downs fait converger les
candidats vers l’électeur pivot, au contraire, la concurrence pour les contributions de
campagne les amènera à s’éloigner de cette position médiane. En réalité, la concurrence
pour les voix conduit à la concurrence pour les contributions et cette dernière mène à une
différenciation des programmes.
Donc en choisissant x L , L doit prendre en compte les effets de son choix à la fois
sur ses propres dépenses de campagne et sur celles de son adversaire, c’est-à-dire que
C L = C L (x L , x R ) et que C R = C R (x L , x R ). Si x R reste fixe, le x L qui maximise les
chances de succès de L, π L , satisfait :

∂π L ∂C L ∂π L ∂π L ∂C R
=− − (20.8)
∂C L ∂ x L ∂ xL ∂C R ∂ x L

où π L est donné par (20.4). Si les contributions de campagne versées aux deux candidats
sont nulles, chacun choisira un programme qui maximise la probabilité de gagner les élec-
tions, c’est-à-dire la position médiane. En revanche, si un candidat gagne plus de voix en
dépensant les contributions de campagne qu’il reçoit et en s’éloignant des positions de son
adversaire, il sera alors effectivement amené à quitter la position médiane. L’équation
(20.8) montre que L va choisir le point où l’augmentation marginale de la probabilité de
succès, engendrée par les contributions supplémentaires qu’il obtient en se démarquant de
R, égalise la diminution de la probabilité de succès provoquée par cette stratégie de diffé-
renciation, qui augmente également les contributions reçues par R. Ainsi, si les dépenses de
campagne génèrent des voix supplémentaires et que les contributions de campagne dépen-
dent des programmes que proposent les candidats, ces derniers devront déterminer leur
programme en tenant compte des contributions potentielles que leurs positions entraîne-
raient. L’argent affectera donc à la fois l’identité du vainqueur et les programmes sélec-
tionnés par les deux candidats.
Nous pouvons voir que lorsque les dépenses de campagne amènent des voix
supplémentaires, la distinction entre « l’homme politique » et « l’homme économique »
disparaît. Une augmentation marginale des contributions de campagne d’un euro modifiera
à la fois le nombre de voix espérées par chaque candidat et les programmes qu’ils adopte-
ront. Sachant que ces programmes dépendent des contributions qu’ils vont entraîner, les
donateurs vont prendre en compte non seulement l’effet de leur contribution sur la proba-
bilité de victoire de leur candidat mais aussi l’effet qu’elle aura sur les programmes des
deux candidats. La probabilité que L gagne peut s’écrire de la manière suivante
π L [x L (C L , C R ), x R (C L , C R ), C L , C R ] et Ui devient Ui [x L (C L , C R ), vi ] ou
Ui [x R (C L , C R ), vi ] qui dépend de l’identité du vainqueur. En remplaçant ces fonctions
552 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

dans (20.6) et en maximisant par rapport aux contributions que i verse à L et vi , on obtient :
 
∂π L ∂ x L ∂π L ∂ x R ∂xR
+ + [Ui (x L , vi ) − Ui (x R , vi )]
∂ x L ∂C L ∂ x R ∂C L ∂C L
∂Ui (x L , vi ) ∂ x L ∂Ui (x R , vi ) ∂ x R
+ πL + (1 − π L ) (20.9)
∂ xL ∂C L ∂xR ∂C L
∂Ui (x L , vi )
= .
∂vi
Le premier terme de l’équation (20.9) représente la variation de l’utilité espérée de i s’il
contribue à la campagne de L. Cette variation provient de l’effet de sa contribution sur la
probabilité de victoire de L. Si i préfère R, c’est-à-dire si Ui (x L , vi ) − Ui (x R , vi ) < 0, le
premier terme sera négatif et i devrait ne rien donner à L, sous l’hypothèse que les postions
de L sont fixées 12. Mais si la probabilité que L gagne (π L ) est élevée et que l’augmenta-
tion de l’utilité que i retire d’une variation de x L est importante, alors le second terme de
(20.9) est grand et positif et pourrait compenser le premier terme, incitant i à contribuer à
L, même s’il préfère R 13. Ainsi, lorsque les candidats sélectionnent leurs programmes en
fonction des contributions de campagne, i pourrait verser des contributions aux deux candi-
dats, afin de rapprocher davantage l’un vers sa position optimale et de réduire la distance
qui le sépare de l’autre. Un électeur soutiendra financièrement les deux candidats seule-
ment si les programmes des candidats sont influencés par les contributions de campa-
gne. Ainsi, le fait que certains Comités d’Action Politique (« Political Action Committee »),
CAP, et groupes d’intérêt financent les deux candidats à la fois lors d’une élection implique
que ces derniers modifient bel et bien leurs programmes afin d’obtenir le plus de contribu-
tions possibles 14.
Les résultats que nous venons de présenter ont été établis par différents auteurs à
partir d’hypothèses différentes. Grossman et Helpman (1996) supposent, par exemple,
l’existence de deux groupes d’électeurs au lieu de deux types de dépenses électorales. Il y
a le groupe des électeurs mal informés et celui dans lequel les électeurs sont informés et
votent, conformément à un modèle de Downs, pour le candidat proposant le programme le
plus proche de leur position idéale. En revanche, les électeurs mal informés sont « influen-
çables ». Ils « peuvent être influencés par les messages qu’ils reçoivent au cours de la
campagne » (p. 268.). Les contributions électorales du modèle de Grossman-Helpman ont
donc les mêmes caractéristiques que les campagnes de propagande décrites précédemment.
Elles ont à la fois un effet sur les probabilités de victoire de chaque candidat et sur les posi-
tions qu’ils prennent 15.
12 Le premier facteur dans le premier terme est positif. Si la contribution de i versée à L augmente x L , il rappro-
che x L de x R augmentant π L . Si la contribution de i à L réduit x L , il réduit aussi π L . Le même raisonnement
tient pour le deuxième terme du facteur et ∂π L /∂C L > 0.
13 Le signe du troisième terme est ambiguë, car R peut être à droite ou à gauche du point idéal de I et donc sa
contribution à L peut éloigner R de ce point ou alors l’en rapprocher.
14 Voir Jacobson et Kernell (1983, p. 36). Poole et Romer (1985, p. 95) fournissent un soutien modeste à cette
prévision.
15 Voir aussi Ben-Zion et Eytan (1974) ; Bental et Ben-Zion (1975) ; Kau et Rubin (1982) ; Kau, Keenan et Rubin
(1982) ; Jacobson et Kernell (1983) ; Denzau et Munger (1986) ; Austen-Smith (1987) ; Congleton (1989) ;
Hinich et Munger (1989, 1994, chap 9 et 10) ; Morton et Cameron (1992) ; Grossman et Helpman (1994) et
Ball (1999).
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités de lobbying 553

Bien que nous ayons illustré, avec un modèle unidimensionnel, les principales
relations inhérentes au financement de la vie politique, le rôle important joué par l’incerti-
tude dans ce modèle simplifie la prise en compte des groupes d’intérêt et des contributions
de campagne dans le modèle de vote probabiliste du chapitre 12. Plusieurs articles que nous
venons de citer ont d’ailleurs établi l’existence d’un équilibre dans un espace multidimen-
sionnel (portant sur plusieurs questions) en utilisant des variantes du modèle du vote proba-
biliste.
Les modèles de contributions de campagne ont produit de nombreuses prévisions
ainsi qu’une littérature pléthorique qui s’est donnée pour objectif de tester ces prévisions.

20.3 LES ÉTUDES EMPIRIQUES DES CAUSES


ET CONSÉQUENCES DES CONTRIBUTIONS DE CAMPAGNE
Les modèles théoriques de contributions de campagne fournissent trois types de prévi-
sions : (1) les positions prises par les candidats dans le passé, leur idéologie et probable-
ment leur capacité à aider les groupes d’intérêt dans le futur devraient affecter le montant
des contributions qu’ils reçoivent. (2) Les dépenses de campagnes engagées par un candi-
dat devraient augmenter le nombre de voix qu’il reçoit. (3) Le vote des représentants poli-
tiques, une fois élus, devrait être influencé par l’importance et la provenance des fonds
qu’ils ont reçus.
La deuxième prédiction est centrale. Si la publicité politique ne permet pas
d’« acheter » des voix, aucun candidat n’aura alors intérêt à y recourir. Les groupes d’inté-
rêt n’auront guère plus de raisons de financer un candidat. Au vu des sommes astrono-
miques engagées lors des campagnes, on peut légitimement penser que la proposition (2)
est vraie, et c’est d’ailleurs la plus étudiée des trois prédictions. Nous allons commencer
par examiner les études empiriques qui testent cette seconde prévision.

20.3.1 Les voix obtenues par un candidat dépendent


de ses dépenses de campagne
Pour tester la deuxième proposition, il faut partir de l’équation (20.4). Cette équation nous
indique que le nombre de voix obtenues par un candidat est une fonction de ses dépenses
de campagnes, de celles de son adversaire et des positions de chacun sur certaines ques-
tions. En plus d’être dépendante des caractéristiques de son adversaire, la relation entre les
dépenses d’un candidat et les voix qu’il obtient peut aussi résulter de ses caractéristiques
personnelles et de celles de sa circonscription. Par exemple, l’efficacité de la publicité poli-
tique peut varier avec le niveau d’éducation et de revenu d’une circonscription. Des candi-
dats catholiques peuvent, par exemple, mieux réussir dans des circonscriptions où il y a une
large majorité de citoyens catholiques. Ces considérations nous amènent à penser qu’un test
empirique de (20.4) en coupe instantanée pourrait prendre une forme non linéaire plutôt
complexe (Coates, 1998,1999).
554 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Plus particulièrement, on peut penser que la relation entre les dépenses et les voix
gagnées n’est pas linéaire. Pour démontrer cela, la comparaison avec les dépenses publici-
taires est toujours pertinente. L’objectif des campagnes publicitaires des grandes marques
de soda est, dans un premier temps, de se faire connaître du grand public, puis, dans un
second temps, de rappeler l’existence de leur marque, de manière à ce que, lorsque l’on
commande une boisson dans un bar, on pense immédiatement à leur marque en particulier.
On peut s’attendre à ce que les ventes engendrées par ce type de publicité suivent une
courbe en S. Plus la population est inondée de publicités et plus la productivité marginale
des messages publicitaire diminue, c’est-à-dire que chaque nouveau message attirera un
peu moins de nouveaux consommateurs.
Le même raisonnement s’applique à la publicité politique. La principale difficulté
rencontrée par les nouveaux arrivants en politique est de se faire un nom. À moins d’être
fils de président ou ancien champion de judo, le candidat démarre au début de la fonction
en S décrite dans (20.1) 16. Au début de la campagne, ses dépenses sont très productives.
En effet, les électeurs de gauche voteront pour le candidat de gauche dès lors qu’ils auront
des informations pour l’identifier. Mais plus les citoyens reçoivent d’informations supplé-
mentaires et plus le nombre de voix que le candidat peut gagner par euro investi dans la
campagne diminuera, pour arriver à zéro au point C z sur le graphique.
Nous pouvons tirer deux enseignements de ce graphique. Premièrement, sous l’hy-
pothèse que la courbe est toujours croissante, le candidat sera incité à dépenser toutes les
contributions récoltées lors de sa campagne. Deuxièmement, l’objectif du candidat est de
récolter suffisamment d’argent pour atteindre C z , le point où le retour sur investissement
des dépenses du candidat en termes de voix est nul.
Une autre prédiction importante peut être déduite de l’analogie entre la publicité
politique et celle des entreprises. La publicité procure un capital intangible 17. Une marque,
comme Coca-Cola, déjà bien installée sur le marché des sodas, aura besoin de dépenser
beaucoup moins pour maintenir son capital qu’un nouvel entrant pour se constituer un
capital. Cette asymétrie crée une barrière à l’entrée sur le marché des sodas et procure un
avantage substantiel au candidat sortant sur le marché politique. Quand un nouvel entrant
sur la scène politique se lance dans la campagne pour les élections régionales, il commence
à l’origine dans le graphique, alors qu’un député sortant, commence à un point Ci et a donc
un avantage significatif sur son challenger.
Toutes ces prévisions relatives aux dépenses de campagne ont reçu un large
soutien empirique. L’étude de Grier (1989) portant sur les élections au Congrès américain
de 1978 à 1984 prend en compte les principales caractéristiques du modèle de dépenses de

16 Ce graphique vaut pour un niveau donné de dépenses des autres candidats.


17 Voir Grier (1989) et Lott (1991). Il est à nouveau important de distinguer les dépenses à caractère informatif
et de propagande. Le capital intangible provenant d’une campagne informative se déprécie beaucoup plus rapi-
dement que du capital intangible acquis par une campagne de persuasion. La publicité faite par une marque de
soda pour informer d’une réduction du prix de ses bouteilles aura des effets limités dans le temps. En revan-
che, une publicité qui met en avant les valeurs de la marque aura un impact beaucoup plus diffus dans le temps.
La position d’un candidat sur une augmentation de la TVA pendant une campagne en t n’influencera que très
marginalement les voix qu’il recevra aux élections suivantes en t +1… Par contre le fait qu’il apparaisse
comme un candidat honnête aura un impact significatif sur ses résultats aux élections suivantes. Voir Mueller
et Stratmann (1994).
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités de lobbying 555

campagne. Son résultat majeur est donné par la régression suivante, avec laquelle il
explique les voix (Vt ) obtenues par les candidats sortants :

Vt = 48, 3 + 4, 37D8284 + 0, 19Vt−1 − 11, 42S − 0, 0760CHAL


10, 95 2, 99 2, 81 3, 12 7, 65

+ 0, 00059CHAL2 + 0, 0287INC − 0, 00016INC2 , R 2 = 0, 55


5, 07 5, 01 4, 26
D8284 étant une variable dummy pour les deux années 1982 et 1984, S, une variable
dummy qui prend la valeur 1 lorsqu’un sénateur sortant a été impliqué dans un scandale
durant cette période. CHAL et INC sont respectivement les dépenses de campagne du chal-
lenger et du sortant. Comme dans d’autres études, la partie résiduelle du vote est incluse et
sert à représenter les caractéristiques spécifiques de la circonscription en question. Enfin,
le fait de mettre au carré les dépenses de campagne des deux candidats capte la prédiction
qu’elles auront une productivité négative. Ces deux variables sont significatives. Une
augmentation des dépenses de campagne du challenger a un effet négatif sur le pourcen-
tage de voix obtenues par le candidat sortant. Ce pourcentage décroît à la marge au fur et
à mesure que les dépenses du challenger augmentent. Les dépenses du sortant ont, quant à
elles, un effet positif sur le pourcentage de voix qu’il reçoit. Cet effet est lui aussi décrois-
sant à la marge. L’équation indique également que, lorsque le niveau des dépenses est bas,
les dépenses du challenger ont un effet marginal beaucoup plus important que celles du
sortant 18. Le tableau 20.1 résume ses résultats, en insistant sur les effets « marginaux » des
dépenses des deux candidats. Alors qu’il aurait été profitable à 91 % des challengers de
dépenser davantage, cela n’aurait été productif pour aucun sortant. Coates évalue d’ailleurs
que pour 14 % des sortants, des dépenses additionnelles auraient des effets marginaux
négatifs 19.

Tableau 20.1
Les effets marginaux des dépenses de campagne du sortant et du challenger sur la part de voix obtenues par le sortant,
élections à la chambre des Représentants 1984.

Significativement < 0 Non significativement ≠ 0 Significativement > 0


Sortant 0,14 0,86 0,000
Challenger 0,91 0,08 0,006

18 Abromowitz (1988) obtient des résultats similaires à ceux de Grier pour les élections au Sénat sur la période
1974-86. Welch (1976) et Jacobson (1985) obtiennent aussi des résultats qui suggèrent une baisse de rende-
ment marginal des dépenses de campagne.
19 Des rendements marginaux négatifs sont également possibles si la courbe du graphique 20.1 était décroissante
à partir d’un certain niveau de dépenses. Coates explique que ces points peuvent exister et qu’il est probable
que les candidats engagent des dépenses supérieures à ceux-ci, car ils ne savant pas où ces points se situent.
Levitt (1994) adopte une stratégie ingénieuse qui consiste à éliminer toutes les caractéristiques spécifiques aux
circonscriptions et aux candidats en incluant dans son échantillon seulement les élections dans lesquelles les
deux candidats ont été face à face au moins deux fois. Levitt trouve que les dépenses du sortant n’ont aucun
effet marginal et celles des challengers ont un effet quasi nul. On peut cependant remettre en question sa
démarche car elle ne prend pas en compte les effets d’interaction entre les dépenses et les caractéristiques du
candidat ou de sa circonscription.
556 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Même si le modèle de Grier confirme nos principales prédictions, on peut lui


reprocher de ne pas corriger correctement les différences issues des caractéristiques person-
nelles des candidats et de leurs circonscriptions. Comme nous l’avons fait remarquer ci-
dessus, ces corrections nécessitent des modèles non linéaires relativement compliqués.
Coates (1998) évalue un de ces modèles qui contient de nombreuses variables d’interaction
entre les dépenses et les caractéristiques des candidats et des circonscriptions, menées prin-
cipalement aux États-Unis. En analysant les résultats pour les élections législatives fran-
çaises de 1997, Foucault et François (2002) ne trouvent pas en première analyse de résultats
significatifs (tableau 20.2).

Tableau 20.2
Dépenses et voix dans les élections législatives françaises de 1997.

(S = sortant) Voix (%) Dépenses*


Résultats électoraux des sortants
Victoires (287) 35,99 234 682,7
Défaites (216) 28,22 257 679,5
Rang en suffrages à l’issue du 1er tour
Si Sortant = 1 (356) 35,24 240 670,5
Si Sortant = 2 (113) 27,75 259 714,3
Si Sortant > 2 (6) 17,56 231 287,4
Affiliation partisane
Si S appartient à un parti de droite (421) 32,30 249 911,6
Si S appartient à un parti de gauche (82) 34,49 217 072,5

* exprimées en FF
Le tableau 20.3 présente les résultats d’un échantillon d’études représentatives sur
le sujet. La majorité d’entre elles conclut à un effet marginal important des dépenses de
campagne engagées par les challengers. Et même lorsqu’elles mettent en évidence un effet
marginal significatif des dépenses des sortants, elles concluent que les dépenses des chal-
lengers restent plus productives.
La forte corrélation des dépenses des deux candidats (Jacobson, 1978 et 1985)
explique également la difficulté à estimer les effets des dépenses de campagne. Ce
problème est amplifié dès lors que l’on tient compte des effets rétroactifs des voix obtenues
par les candidats sur les dépenses qu’ils engagent. Il semblerait que la plupart des sortants
gagnent les élections. Une étude de Glantz, Abromowitz et Burkart (1976), qui s’intéresse
aux élections à la Chambre des Représentants en Californie, montre que seuls 16 députés
sortants sur 511 perdent leurs sièges. La plupart d’entre eux sont quasiment certains de leur
réélection, quel que soit le niveau de leurs dépenses. Ils reçoivent donc relativement peu de
contributions et ont des dépenses assez faibles. Les sortants qui font face à des élections
serrées recevront davantage de fonds, mais le montant qu’ils doivent dépenser pour gagner
une voix reste inférieur à celui de leur challenger. Il est possible qu’une régression en coupe
instantanée qui inclut les deux types de sortants ne parvienne à capter la relation positive
qui existe entre les dépenses et les voix gagnées dans une élection serrée. Le problème de
la circularité de la relation dépenses-voix gagnées peut expliquer le résultat surprenant
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités de lobbying 557

observé par Palda et Palda (1998) pour les élections parlementaires en France en 1993. Ils
trouvent que même si, de manière générale, les dépenses de campagne augmentent le
nombre de voix obtenues par le sortant et le challenger, les sortants qui financent leur
campagne de leur poche réussissent beaucoup moins bien. L’interprétation de Palda et
Palda est que les électeurs sanctionnent les sortants qui essayent « d’acheter leur réélec-
tion ». Une autre interprétation est que les sortants n’ont pas utilisé leurs fonds propres
lorsque leur challenger ne représentait pas une menace sérieuse et que la variable « fonds
propres » approxime uniquement le caractère plus ou moins serré d’une élection, ce qui
peut expliquer son coefficient négatif dans la régression en coupe instantanée 20.

Tableau 20.3a
Résumé des résultats des principaux articles qui étudient la relation entre les voix obtenues par les candidats et leurs
dépenses de campagne, aux élections préseidentielles, à la Chambre des Représentants et au Sénat des États-Unis.

Effet des dépenses engagées par :


Type d’élection Challenger Sortant Article
Chambre des Représentants
1972 sig. (significatif) Non sig. G lantz et al. (1976)
1972, 1974 sig. sig. (1974, moindre carré linéaire) Jacobson (1978)
1978 sig. sig. (négatif) Kau, Keenan et Rubin a (1982)
1972-82 sig. (souvent) non sig. Jacobson (1985)
1972-90 sig. non sig. Levitt
1984 sig. non sig. Coates (1998)
1980 sig. non sig. Kau et Rubin b (1993)
Dem Rep
1972 sig. sig. Welch (1974, 1981)
1980-86 sig. sig. c Snyder (1990)
Sénat
1972, 1974 sig. sig. (1972) Jacobson (1978)
1972-82 sig. (souvent) non sig. Jacobson (1985)
1974-86 sig. sig. Abramowitz (1988)
Dem Rep
1972 sig. sig. Welch (1974, 1981)
Présidentielle
1972 sig. sig. Nagler et Leighly (1992)

a. Kau, Keenan et Rubin (1982) et Kau et Rubin (1993) font une régression de la marge de victoire du vainqueur sur ses dépenses et celles du
perdant. Mueller attribue les taux de victoire élevés des sortants à leur qualité de sortant.
b. Les échantillons sont limités aux élections dans lesquelles les deux candidats sont opposés plus d'une fois. Les coefficients attribués aux dépen-
ses du challenger sont beaucoup plus faibles que dans les autres études.
c. Snyder fait une régression de la part des voix obtenues par les démocrates sur leur part dans les dépenses totales. La « significativité » des
dépenses des républicains est déduite de la « significativité » de la part des dépenses des démocrates dans les dépenses totales.
20 Johnson (1978) met l’accent sur la difficulté à évaluer la relation entre les dépenses et les voix gagnées avec
des données en coupe transversale. Welch (1981) et Jacobson (1985) font une revue de la littérature qui traite
de la question de la simultanéité.
558 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Tableau 20.3b
Résumé des résultats des principaux articles qui étudient la relation entre les voix obtenues par les candidats et leurs
dépenses de campagne, à d’autres élections.

Effet des dépenses engagées par :


Type d’élection Challenger Sortant Candidats Article
Élections provinciales
Quebec, 1966, 1970 sig. Palda a (1973, 1975)
Manitoba, 1973 sig. Paldaa (1975)
Assemblée de Californie, 1972, 1974 sig. sig. (1974) Glantz et al. (1976)
Sièges au Parlement
Écosse et Pays de Galles, 1974 mixte Johnston (1978)
Élections provinciales
Canada, 1973-7 sig. Chapman et Palda (1984)
Élections fédérales au Canada
(Ontario), 1979 sig. Palda et Palda (1985)

a. Palda (1973, 1975) utilise le vote de tous les candidats comme variable dépendante. Le fait d'être sortant est traité comme une variable
dummy (qui est significative).

Votes

Dépenses
0 CI CZ de campagne

Figure 20.1
Relation entre votes obtenus par les candidats et leurs dépenses de campagne.

Une étude de Nagler et Leighley (2002) montre bien la circularité de la relation qui
existe entre le caractère plus ou moins serré d’une élection et le niveau des dépenses élec-
torales. Ils testent l’hypothèse de Snyder (1989) selon laquelle les candidats à l’élection
présidentielle (américaine) engageront des dépenses électorales plus importantes dans les
États indécis où les élections seront serrées. Ils évaluent un modèle à deux équations qui
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités de lobbying 559

expliquent, d’une part, la répartition des dépenses pour les élections présidentielles améri-
caines de 1972 et, d’autre part, la relation entre dépenses et voix obtenues. Leur modèle
prédit l’allocation des dépenses de campagne de Nixon et de McGovern pour chaque État
et trouve que les dépenses des deux candidats ont bien des effets marginaux élevés.
Enfin, lorsque les membres du Congrès américain votent au sujet d’une loi visant
à réduire les dépenses de campagne, ils semblent être guidé par la « croyance » que ces
dépenses agissent différemment sur leurs chances de réélection (Bender, 1988 et 1991).

20.3.2 Les déterminants des contributions de campagne


L’équation (20.9) a trois conséquences concernant la répartition des contributions entre les
candidats et les montants distribués : (1) un donateur financera le candidat dont le
programme se rapproche le plus de sa position, (2) un donateur financera le candidat qui est
prêt à modifier son programme pour se rapprocher de la position de ce donateur ; (3) plus
un candidat recevra de contributions de campagne, plus sa probabilité de gagner les élections
sera élevée. Ces trois prédictions ont reçu un large soutien empirique dans la littérature 21.
La prédiction que les candidats ayant le plus de chances d’être élus reçoivent
davantage de contributions est confirmée par le résultat communément admis que les
sortants ont généralement une probabilité très élevée d’être réélus et que ceux-ci reçoivent
en général le plus de dons (Welch, 1980).
Dans une étude remarquable, à la fois, pour la méthodologie qu’elle utilise et pour
la taille de son échantillon, Poole et Romer (1985) ont trouvé une relation forte entre les
positions idéologiques des donateurs et celles des candidats qu’ils financent. Les Comités
d’Action Politique (CAP) liés aux entreprises et ceux en faveur du libre échange financent
les candidats conservateurs alors que les syndicats soutiennent plutôt les démocrates. De
plus, à l’intérieur même de ces grandes catégories de groupes d’intérêt, la répartition des
contributions électorales répond à différents schémas idéologiques. Certains CAP liés aux
entreprises financeront, par exemple, uniquement les candidats les plus conservateurs. Les
résultats obtenus pas Poole et Romer concernant la répartition des contributions électora-
les des CAP selon les candidats ont été corroborés par Kau, Keenan et Rubin (1982) ; Kau
et Rubin (1982, 1993) ; Munger (1989) ; Grier, Munger et Torrent (1990) ; Grier et Munger
(1991) ; Stratmann (1991, 1992a, 1995, 1996b, 1998) ; Bennett et Loucks (1994) ; et
Kroszner et Stratmann (1998).
La plupart de ces études semble montrer que les donateurs n’essayent pas unique-
ment d’augmenter la probabilité de succès du candidat qu’ils soutiennent mais qu’ils
essaient également d’influencer certains points du programme de leur candidat favori ou
21 Ben-Zion et Eytan (1974) ; Bental et Ben-Zio (1975) ; Crain et Tollison (1876) ; Jacobson (1978, 1985), Welch
(1980, 1981) ; Kau et Rubin (1982, 1993) ; Kau, Keenan et Rubin (1982) ; Palda et Palda (1985) ; Poole et
Romer (1985) ; Poole, Romer et Rosenthal (1987) ; Munger (1989) ; Grier, Munger et Torrent (1990) ; Snyder
(1990, 1992) ; Grier et Munger (1991) ; Stratmann (1991, 1992a, 1995, 1996b, 1998) ; Bennett et Loucks
(1994) ; Kroszner et Stratmann (1998) et Hersch et McFougall (2000). On pourra également consulter à ce
sujet les études qui trouvent que les contributions totales d’une entreprise ou d’un secteur sont positivement
corrélées aux gains qu’ils retirent d’une politique en particulier (Pittman, 1976, 1977 ; Mann et McCormick,
1980 ; et Zardkoohi, 1985).
560 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

d’obtenir certaines « faveurs politiques » (Snyder, 1990). Stratmann (1992a) montre que les
CAP agricoles seront davantage enclins à financer les députés indécis qui n’ont pas une
opinion arrêtée sur les questions agricoles. Grier et Munger (1991) font l’hypothèse que les
députés se sentiront davantage redevables envers leurs donateurs lorsque les élections sont
serrées. Sachant cela, ces derniers seront incités à verser des contributions plus importan-
tes en cas d’élections disputées. Ils auront également tendance à financer en priorité les
députés venant de circonscriptions dont les caractéristiques idéologiques et économiques
compliquent leur réélection (Stratmann, 1996b). Poole et Romer (1985) établissent aussi
que les candidats sortants reçoivent des contributions importantes lors d’élections serrées
et concluent, en citant Jacobson (1985) et Kau et Rubin (1982), que « ce résultat, comme
celui relatif aux contributions faites au challenger, semble être le plus robuste de la littéra-
ture empirique sur les contributions électorales » (p. 101).
Le modèle de contributions de campagne de « l’homme économique », donateur-
investisseur recueille également un large soutien empirique. En effet, il est conforté par de
nombreuses études qui observent un lien systématique entre les intérêts économiques des
donateurs et les positions des destinataires des contributions 22. En s’appuyant sur la théorie
des commissions permanentes de Shepsle et Weingast (1987), Krozner et Stratmann (1998)
conjecturent l’existence d’une relation d’échange de long terme entre les membres des
comités permanents et les groupes d’intérêt réglementés par ces comités. Ils vont ensuite
tester leur intuition en utilisant des données sur les contributions faites par des banques de
détail et d’investissement, des entreprises dans le secteur de la sécurité et des assurances,
aux membres de la Chambre des Représentants de 1983 à 1992. Les résultats qui suivent
confirment leur prévision :
1. Les contributions les plus importantes sont destinées aux membres de la commis-
sion bancaire de la Chambre des Représentants (House Banking Committee).
2. Les contributions des lobbies dont les intérêts sont opposés à la législation de la
commission bancaire sont négativement corrélées pour les membres de cette
commission, mais positivement corrélées pour tous les autres députés.
3. Les contributions de ces lobbies à un membre de la commission en particulier
diminuent fortement quand il quitte son poste au sein de la commission bancaire.
4. Les députés de cette commission qui ne parviennent pas à obtenir des contributions
importantes ont tendance à la quitter.
Si les lobbies du secteur financier et les députés sont impliqués dans des relations
d’échange sur le long terme, les banques commerciales et les compagnies d’assurance sauront
« qui sont leurs alliés » dans les commissions et concentreront leurs contributions sur ces
derniers (résultat 2). Étant donné qu’il n’y a pas de relation d’échange de long terme entre les
entreprises du secteur financier et les députés qui ne sont pas dans la commission bancaire, les
22 Voir Munger (1989) ; Grier et Munger (1991) ; et Dow, Endersby et Menifield (1998). L’échec de Grier,
Munger et Torrent (1990) à mettre en évidence des schémas systématiques de contributions des groupes d’in-
térêt vers les sénateurs fournit indirectement un soutien empirique à l’existence d’une relation d’échange à
long terme entre les membres de la Chambre des Représentants et les groupes d’intérêt. Leur explication est
que les règles du Sénat sont très différentes de celles de la Chambre des Représentants et qu’elles diminuent
l’importance accordée à un sénateur faisant partie d’une commission de la Chambre des Représentants. Poole
et Romer (1985) trouvent cependant une faible corrélation entre les contributions de campagne et les commis-
sions dans lesquelles se trouvent les députés à la Chambre des Représentants.
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités de lobbying 561

lobbies financiers répartiront leurs contributions de manière égale entre tous les autres
membres du Congrès. Les montants de ces contributions seront donc nécessairement peu
élevés. Les résultats 3 et 4 confortent bien l’hypothèse de l’existence de relations d’échange 23.
Snyder (1992) démontre également que les lobbies établissent des relations de long
terme, dites « d’investissement » avec les députés. Un lobby donné a tendance à financer
toujours les mêmes députés d’une année à l’autre. Ceci est d’autant plus vrai pour les
lobbies à vocation économique que pour les lobbies idéologiques. Étant donné que les
députés les plus âgés ont plus de chance de quitter leur poste (retraite ou décès), ils reçoi-
vent moins de contributions que les plus jeunes députés, toutes choses égales par ailleurs.
C’est sans doute Stratmann (1995 et 1998) avec ses travaux sur le choix du
moment opportun pour faire une contribution, qui a mis le mieux en évidence le caractère
intéressé de la relation entre les groupes d’intérêt donateurs et les députés. Si les donateurs
prenaient les positions des députés comme données et finançaient simplement ceux qui ont
les positions qui leur sont le plus favorables, on pourrait s’attendre à des contributions régu-
lières tout au long du cycle électoral, ou qui suivent un schéma conforme à ce cycle. D’un
autre côté, si les groupes d’intérêt essayaient d’influencer le vote des députés sur certaines
questions, on pourrait s’attendre à des montants de contribution plus importants dans deux
cas. Soit juste avant que ces questions soient soumises au vote afin de « rappeler » aux
députés la relation d’échange implicite que les lie, soit juste après le vote, en guise de
récompense. Stratmann (1998) montre, en effet, que les contributions du lobby agricole
arrivent majoritairement au moment de votes clés sur les questions agricoles.

20.3.3 Les déterminants du vote des députés


et des contributions de campagne
Si les contributions de campagne étaient rationnelles, les donateurs devraient pouvoir tirer
profit de leurs contributions grâce aux votes du candidat gagnant qu’ils ont soutenu sur les
questions qui relèvent de leurs intérêts. D’après la sous-partie précédente, les groupes d’in-
térêt s’attendent bel et bien à ce que le vote des députés soit influencé par leurs contribu-
tions. Mais ces attentes sont-elles justifiées ? La manière la plus simple de tester cette
hypothèse est d’étudier des votes pour lesquels les enjeux économiques sont clairement
identifiables pour certains donateurs, comme dans le cas de la législation sur un salaire
minimum. Plusieurs études empiriques ont mené avec succès ce genre de tests 24.
Il existe aussi certaines études qui montrent que des lobbies qui n’ont pas un intérêt
économique restreint essayent néanmoins d’influencer le vote des députés par l’intermé-
23 Bennett et Loucks (1994) étudient également les contributions versées par les institutions financières et les
caisses d’épargne aux membres de la commission bancaire de la Chambre des Représentants (House Banking
Committee). Ils trouvent aussi que la majeure partie de ces contributions se concentre sur les membres de cette
commission.
24 Voir Silberman et Durden (1976) ; Chappell (1981) ; Kau, Keenan et Rubin (1982) ; Kau et Rubin (1982,
1993) ; Peltzman (1984) ; Frendreis et Waterman (1985) ; Marks (1993) ; Stratmann (1991, 1995, 1996b) ;
Kang et Greene (1999) et Baldwin et Magee (2000). En revanche, Chappell (1982), Grenzke (1989), Wright
(1990) et Dow et Endersby (1994), ne sont pas parvenus à établir un lien significatif entre les contributions
des groupes d’intérêt et les votes des législateurs.
562 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

diaire de leurs contributions. Langbein (1993) a, par exemple, étudié le schéma des contri-
butions de la National Rifle Association (favorable au port des armes à feu) et de l’asso-
ciation citoyenne Handgun Control (pour le contrôle des armes à feu) aux États-Unis. On
pourrait s’attendre à ce que l’idéologie soit un déterminant important de la décision d’un
individu d’adhérer et de financer un de ces lobbies et donc que le modèle de « l’homme
politique » ou du « donateur-consommateur » s’applique à ce cas de figure. Mais Langbein
(1993) trouve au contraire que la NRA finance aussi bien les députés pro-armes que ceux
qui sont pour le contrôle des armes. Comme on peut s’y attendre, plus un député pro-armes
reçoit de contributions de la part de la NRA, plus il aura tendance à soutenir les intérêts de
ce lobby. Mais, plus étonnant, plus un député pour le contrôle des armes est financé par la
NRA, plus il s’éloigne de sa position initiale. Les contributions financières sont donc déci-
sives même pour des questions aussi chargées idéologiquement et émotionnellement que le
contrôle des armes à feu.

20.3.4 Les déterminants du vote des députés : comportement


idéologique ou stratégie de survie ?
« Acheter » la voix d’un député via une contribution électorale n’est qu’une manifestation
des intérêts économiques. Mais même si les contributions de campagne étaient interdites
ou, comme le prétendent certains économistes, elles n’influençaient pas le vote des
députés, il est impensable que les décisions des députés ne soient pas guidées par des consi-
dérations économiques. Si les électeurs effectuent un « vote de portefeuille », les élus pren-
dront alors en compte les intérêts économiques de leur électorat dans le choix des lois. Par
exemple, les députés à la tête de circonscriptions comportant de nombreux producteurs
laitiers voteront pour des prix de soutien du lait, alors que les députes des circonscriptions
industrielles y seront opposés. Les études qui ont testé l’effet des contributions sur le vote
des élus incluent toutes des variables permettant de prendre en compte les intérêts écono-
miques et les préférences idéologiques de la circonscription des différents élus. Ces études
qui soutiennent que les contributions affectent le vote des députés, montrent, après avoir
contrôlé les caractéristiques de leur circonscription, que cet effet est très important. Les
études qui montrent que les contributions électorales n’affectent pas le vote des députés,
trouvent que c’est seulement les caractéristiques de la circonscription qui ont un impact
significatif sur le vote des députés.
De nombreux modèles comprennent uniquement des variables représentant l’inté-
rêt économique et les préférences idéologiques de la circonscription des élus. Lorsque le
vote porte sur une loi pour laquelle les intérêts économiques antagonistes sont clairement
définis, les intérêts économiques des circonscriptions se sont toujours révélés être un déter-
minant important du vote des élus 25. De plus, les intérêts économiques étroits de la
circonscription semblent également influencer la manière de voter des élus sur des ques-
25 En plus des études précédemment citées, on pourra se référer à Richardson et Munger (1990) qui expliquent
les votes des députés relatifs à la loi sur la sécurité sociale ; à Harper et Aldrich (1991) sur les lois sur le sucre ;
Marks (1993) et Irwin et Kroszner (1999) sur les lois relatives au libre échange ; Kahane (1996) sur des
accords commerciaux au sein de l’ALENA ; Basuchoudhary, Pecorino et Shughart II (1999) sur le finance-
ment d’un accélérateur de particules ; Fishback et Kantor (1998) sur des lois salariales ; et Jenkins et Weiden-
mier (1999) sur la Banque des États-Unis de 1811 à 1816.
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités de lobbying 563

tions aux effets économiques plus diffus (en dehors de leur circonscription). On pourrait
s’attendre à ce qu’une loi interdisant le travail des enfants ait des conséquences écono-
miques assez larges et à ce qu’elle comporte une composante idéologique importante.
Davidson, Davis et Ekelund (1995) trouvent pourtant que les votes au Sénat sur le Child
Labor Act de 1937 sont fortement corrélés aux impacts économiques restreints de la légis-
lation sur chacun des États. Les sénateurs des États pénalisés par la loi (comme les États
ayant beaucoup d’entreprises exportatrices, dans le secteur du textile ou dans les services
domestiques, c’est-à-dire dans les secteurs qui emploient le plus d’enfants) se sont majori-
tairement prononcés contre le Child Labor Act. Les sénateurs des États qui étaient favori-
sés ont voté pour son adoption. Libeacp (1992) et Ramirez et Eigen-Zucchi (2001) ont
obtenu des résultats similaires en étudiant respectivement le vote des sénateurs sur le
Sherman Antitrust Act de 1890 et le Clayton Act de 1914 26.
Dans un papier extrêmement ambitieux, Peltzman (1985) se propose d’expliquer
« le vote des membres du Congrès américain au cours du vingtième siècle ». Il montre que
« les changements politiques profonds » survenus au cours du siècle peuvent être « large-
ment attribués à l’évolution des intérêts économiques » (p. 669). Autrement dit, l’évolution
des intérêts économiques des États et des circonscriptions des membres du Congrès
explique les grandes tendances du vote dans les deux chambres parlementaires. Peltzman
identifie également « des caractéristiques historiques persistantes » dans la manière de
voter des députés des différents États et régions. Ces caractéristiques peuvent être associées
à des différences idéologiques sous-jacentes. De plus, Peltzman limite son analyse aux lois
relatives à la fiscalité et au budget, questions pour lesquelles on peut légitimement penser
que le vote des élus est principalement motivé par des intérêts économiques. On peut
imaginer que des questions, a priori plus marquées idéologiquement, telles que la prohibi-
tion, les droits civiques, le contrôle des armes, etc., pourraient révéler des différences idéo-
logiques régionales encore plus persistantes.
Il apparaît ainsi que le vote d’un élu est influencé par les intérêts économiques et
les préférences idéologiques. On peut modéliser le vote d’un député r sur une question i de
la manière suivante :
Vri = α Ic + β E Ic + µi (20.10)
où Ic est un vecteur mesurant la préférence idéologique des différentes circonscriptions et
E ic est un vecteur qui mesure leurs intérêts économiques. Il émerge de notre discussion
précédente qu’il n’y a aucune raison de supposer qu’un unique ensemble de variables idéo-
logie/intérêts économiques puisse expliquer le vote sur toutes les lois. Le pourcentage de
producteurs de lait dans une circonscription peut expliquer le vote d’un élu sur la question
des subventions agricoles mais pas sur celle de l’avortement. Inversement, le taux de
pratique religieuse d’une circonscription peut nous permettre d’expliquer le vote d’un élu
sur la question de l’avortement mais pas sur celles des subventions agricoles. Il est plus que
possible que les variables et les coefficients de (20.10) varient selon les situations.
Un modèle de Downs basique prédirait que seuls les intérêts économiques et les
préférences idéologiques d’une circonscription expliquent le vote de son élu. Les députés
auraient pour unique objectif de se faire réélire et suivraient les préférences de leur circons-
cription par peur de la sanction électorale. Les travaux de Peltzman (1984 et 1985) sont
26 Voir aussi Delorme, Frame et Kamerschen (1997).
564 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

conformes à cette interprétation darwinienne de la compétition politique, dans laquelle


l’élu doit s’adapter ou disparaître.
Une conception alternative considère que la compétition politique est moins
darwinienne dans la réalité. La probabilité élevée de réélection dont jouissent les sortants
leur confère une certaine marge de manœuvre à l’intérieur du processus politique. Les
députés peuvent donc à certains moments s’écarter du contrat démocratique qui les lie à
leur électorat et voter selon leurs propres préférences, qui peuvent parfois être en contra-
diction avec celles de leurs électeurs 27. Une manière de tester cette hypothèse serait de
construire un vecteur de variables qui captent les intérêts économiques et l’idéologie
personnels (Ir ) d’un député, puis l’ajouter à l’équation (20.10).
La plupart des études qui ont cherché à rendre compte de l’idéologie des députés
n’ont pas suivi cette approche. Elles ont plutôt utilisé les notes attribuées aux députés par
différents groupes d’intérêt sur la base de leurs votes passés sur des questions clés, consi-
dérées comme idéologiques. Une des difficultés de cette méthode est que la note idéolo-
gique attribuée à un député peut simplement refléter les préférences économiques et
idéologiques de sa circonscription. Dans ce cas, il peut y avoir une corrélation importante
entre Ir et les autres variables de l’équation (20.10).
Kalt et Zupan (1990) ont traité Ir comme une partie du résidu (µi ) de l’équation
(20.10) et ont cherché à tester si elle agissait systématiquement, comme cela devrait être le
cas si l’idéologie du député jouait un rôle dans le vote. Ils ont d’abord défini un vecteur de
variables pour l’inclure dans (20.10) et l’ont ensuite utilisé pour prédire le vote des séna-
teurs lors de la période législative de 1977-8. Ils ont ensuite additionné les résidus de cette
régression et les ont testés pour voir s’ils étaient systématiquement conformes au classe-
ment idéologique de l’American for Democratic Action (ADA) sur les questions politiques
de la période étudiée. Ils ont trouvé que les résidus n’était pas aléatoires. Certains sénateurs
votaient systématiquement de manière plus conservatrice ou bien plus libérale que les
caractéristiques de leur circonscription ne l’auraient laissé croire. Goeorge McGovern, le
candidat démocrate à l’élection présidentielle de 1972 qui a essuyé une défaite cinglante
face à Richard Nixon, votait de manière plus libérale que ne l’auraient voulu les préféren-
ces de sa circonscription du Dakota du Sud. Inversement, Barry Goldwater le candidat
républicain à l’élection présidentielle de 1964, qui a subi lui aussi une lourde défaite face
à Lyndon Johnson, votait de manière plus conservatrice que ce que l’on aurait pu prévoir
au vu des préférences idéologiques et économiques de l’Arizona 28.
Comme Higgs (1989) l’a fait remarquer, le fait que deux sénateurs d’un même État
votent souvent différemment sur diverses questions semble invalider le modèle darwinien
de compétition politique. En effet, il trouve que 37 % des votes des sénateurs d’une même
circonscription diffèrent sur 465 questions liées à la défense sur l’année 1987. Étant donné
que les caractéristiques des circonscriptions sont identiques dans l’équation (20.10) pour
deux élus d’un même État, cette équation devrait prédire que ces deux élus voteront de la
même façon sur chaque question. Or un tel écart (37 %) nous amène à douter de la possi-
bilité d’expliquer le vote des élus à partir des seules caractéristiques d’un État.
Un moyen de défendre les modèles darwiniens de compétition politique et de nier
l’importance de l’idéologie personnelle des élus serait de faire remarquer que le vote de
27 Voir Kau et Rubin (1979), Kau, Keenan et Rubin (1982) et Kalt et Zupan (1984, 1990).
28 Voir aussi Carson et Oppenheimer (1984), Kalt et Zupan (1984) et Garrett (1999).
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités de lobbying 565

deux sénateurs d’un même État diffère uniquement parce qu’ils représentent des circons-
criptions différentes de cet État (Peltzman, 1984 ; Dougan et Munger, 1989 ; Lott et Davis,
1992). Mais dès lors que l’on considère les habitants d’une circonscription comme des élec-
teurs potentiels, cet argument ne tient plus ou alors il occulte tous les travaux empiriques qui
ont cherché à expliquer le vote des membres du Congrès à partir des caractéristiques de la
population de chaque État ou circonscription 29. En effet, un moyen d’identifier les circons-
criptions où le sortant se représente, consiste à utiliser la même méthode d’examen des
résidus de (20.10) que celle qui a servi à mesurer l’idéologie des élus (Stratmann, 1996b).
Une manière d’expliquer pourquoi deux sénateurs d’un même État votent diffé-
remment consiste à différencier les circonscriptions géographiques d’électeurs potentiels des
circonscriptions économiques et idéologiques de groupes d’intérêts qui font pression sur les
élus et financent les candidats de leur choix 30. Ce dernier type de circonscription ne com-
prend pas uniquement les groupes d’intérêt installés dans l’État du sénateur, il peut égale-
ment inclure des intérêts provenant d’autres États. Il convient alors d’ajouter à l’équation
(20.10) un vecteur supplémentaire, CAP, qui mesure l’intensité des contributions de campa-
gne et donc les efforts de pression exercée par les groupes d’intérêt, ce qui nous donne :

Vri = α Ic + β E Ic + δ Ir + γ C A P + µi . (20.11)
L’équation (20.11) prédit que toute divergence entre les votes de deux sénateurs d’un même
État proviendra soit de leur idéologie personnelle soit de leur relation avec les différents
groupes d’intérêt.
Plusieurs études ont essayé de tester l’importance de l’idéologie personnelle des
députés, en s’intéressant à la manière de voter d’un élu qui annonce sa retraite, afin de voir
s’il vote différemment lors de son dernier mandant. Une fois qu’un député annonce sa
retraite, il se libère à la fois du contrat implicite qui le lie aux groupes d’intérêt et de la
nécessité de satisfaire les préférences de sa circonscription. Les variables Ic , E Ic et C A P
sortent alors de l’équation (20.11), laissant l’idéologie du député, Ir , comme seule variable
explicative de son vote. Certaines études ayant réalisé ce test sont parvenues à la conclu-
sion que les députés ne votent pas différemment lors de leur dernier mandat 31, alors que
d’autres prétendent le contraire 32. Tien (2001), qui se trouve dans la deuxième catégorie,
utilise un indice amélioré d’idéologie et montre ainsi que les membres du Congrès qui ont
pris leur retraite volontairement entre 1983 et 1990 se dérobent à leurs obligations. Besley
29 En suivant Peltzman (1984), on serait tenter d’ajuster les données des États pour prendre en compte les diffé-
rentes tendances de vote des groupes, mais ceci ne serait pas suffisant pour obtenir de nouvelles prévisions
concernant le vote de deux sénateurs d’un même État.
30 Voir, par exemple, Fort, Hallagan, Morong et Stegner (1993)
31 Voir Lott (1987, 1990), van Beck (1991), Lott et Davis (1992), Lott et Bronars (1993) et Poole et Romer
(1993)
32 Un des problèmes liés à l’étude de la dernière période de vote est que les élus ont tendance à voter beaucoup
moins fréquemment une fois qu’ils ont annoncé leur départ en retraite (Lott, 1987, 1990). Si les caractéris-
tiques de la circonscription d’un candidat impliquent qu’il s’oppose à la loi sur les crédits pour la défense, mais
que son pacte implicite avec les groupes d’intérêt implique qu’il se prononce en faveur de cette loi, dès lors
qu’il vote, il décevra nécessairement soit sa circonscription géographique, soit sa circonscription « financ-
ière ». Par contre, s’il s’abstient, il évitera d’offenser ouvertement les deux groupes. Le fait que les représen-
tants dévient de leurs obligations lors de leur dernier mandat peut révéler un choix non aléatoire des questions
sur lesquelles ils choisissent de s’abstenir. On trouve un soutien empirique à cette interprétation chez Calca-
gno et Jackson (1998). Ils montrent à cette occasion que le taux de participation des sénateurs augmente avec
les contributions qu’ils reçoivent des groupes d’intérêts.
566 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

et Case (1995) trouvent aussi des différences significatives dans la manière de voter des
élus qui ne briguent pas de mandat supplémentaire en raison des limitations constitution-
nelles sur le nombre de réélections possibles 33.
Une autre manière de vérifier si les députés dévient de leurs obligations consiste à
tester si les membres du Congrès qui sont assurés de conserver leur siège s’écartent davan-
tage des préférences de leur circonscription que ceux qui seront soumis à une forte concur-
rence pour être réélus. Coates (1995) mène ce type d’études pour la question du vote au
Congrès sur les déchets radioactifs et Coates et Munger (1995) s’intéressent à la question
de la législation sur les mines à ciel ouvert. Les deux études ont trouvé des différences
significatives dans la manière de voter des élus qui sont sûrs de conserver leur siège. Elles
trouvent également que les variables représentant les intérêts économiques sont significa-
tives. Enfin, Figlio (2000) trouve que les députés ont tendance à dévier des préférences de
leur circonscription plus souvent au début de leur mandat qu’à l’approche d’une nouvelle
élection. Ce comportement semble rationnel puisque Figlio (2000) trouve aussi que les
sénateurs qui dévient des préférences de leur circonscription en début de mandat sont
moins sanctionnés par les électeurs. Pour conclure, il ressort de toutes ces études que les
élus suivront d’autant plus leurs propres préférences idéologiques qu’ils n’ont pas à en
supporter les coûts aux élections suivantes.

20.3.5 Évaluation
Le modèle des groupes d’intérêt repose sur trois fondements pour rendre compte de la
compétition politique : (1) une équation qui explique la manière dont les groupes d’intérêt
allouent leurs contributions de campagne, (2) une équation qui explique les effets de ces
contributions sur le vote des députés et (3) une équation qui explique les effets des contri-
butions sur les élections. Les trois fondements de ce modèle ont reçu un certain soutien
empirique mais ils ont également été remis en cause par une autre partie de la littérature
empirique. L’hypothèse qui semble être la moins controversée est celle selon laquelle les
lobbies et autres donateurs distribuent leurs contributions de campagne de manière sélec-
tive. Même s’il existe certains désaccords concernant les caractéristiques des députés qui
déterminent la répartition et le montant des contributions, il y a un consensus pour dire que
les contributions ne sont pas faites de manière aléatoire.
Si les donateurs sont rationnels et que leurs anticipations le sont également, le fait
qu’ils orientent leurs contributions de manière sélective valide une autre sinon les deux
autres hypothèses du modèle des groupes d’intérêt. Les donateurs, à travers leurs contribu-
tions, espèrent nécessairement influencer l’issue d’une élection ou le vote d’un élu 34.
Le fait que les dépenses de campagne augmentent significativement les chances de
succès d’un candidat est également largement admis, au moins pour le challenger face au
candidat sortant et lorsque les élections sont ouvertes. L’effet mineur des dépenses des
sortants sur leur chance de réélection peut également être interprété comme une preuve de
la robustesse du modèle des groupes d’intérêt, car les sortants reçoivent des fonds tellement
33 Voir aussi Kalt et Zupan (1990) et Zupan (1990).
34 Ce qui est remis en question par l’hypothèse de Synder (1990) selon laquelle le donateur achète des faveurs
qui ne sont pas législatives.
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités de lobbying 567

importants qu’ils se situent probablement au maximum de la courbe vote/dépense


(figure 20.1), au point où la productivité marginale d’un euro dépensé est nulle.
La principale pomme de discorde porte sur les déterminants du vote d’un député,
à savoir les intérêts de sa circonscription, les contributions qu’il reçoit et son idéologie
personnelle. À un extrême, on trouve les études qui comprennent uniquement des variables
mesurant les intérêts économiques de chaque État ou circonscription et qui supposent
implicitement que l’idéologie du représentant et de sa circonscription n’ont aucune
influence. Or, à partir du moment où l’on montre que l’idéologie des électeurs influence
leur vote, même un modèle de Downs basique prédit que le vote des élus aura une compo-
sante idéologique. Une interprétation de l’équation (20.11) conforme au modèle de Downs
considérerait Ic et E Ic comme des variables droite/gauche. Il semble que la plupart des
observateurs s’accordent à dire que l’idéologie des électeurs joue un rôle important dans la
politique et donc que Ic est un déterminant légitime du vote des élus 35.
Le modèle des groupes d’intérêt prédit que les candidats modifieront certains
points de leurs programmes afin de lever davantage de fonds dans la mesure où ils peuvent
les utiliser pour augmenter leur chance de réélection. Les études qui trouvent que les dépen-
ses des sortants ont un impact positif sur leurs probabilités de réélection appuient l’hypo-
thèse que les contributions des lobbies influencent le vote des élus. Plusieurs études
soutiennent directement cette hypothèse, alors que d’autres l’infirment. Le fait que les
contributions soient plus importantes au moment où les questions clés sont votées au
Congrès suppose que les donateurs s’attendent à un effet de leurs contributions sur le vote
des législateurs.
Le facteur le plus controversé de l’équation (20.11) est incontestablement l’idéo-
logie de l’élu, Ir . Les études qui soutiennent que les élus ne changent pas leur manière de
voter après avoir annoncé leur retraite partent du principe que Ir est la seule variable
susceptible d’expliquer le vote d’un élu qui se retire, car toutes les autres variables dispa-
raissent alors de (20.11). Si l’indice ADA est une bonne mesure de la manière dont vote un
député et qu’il mesure aussi Ir , il suffit alors d’avoir la note ADA en t − 1 d’un élu pour
expliquer sa note ADA en t. Krehbiel (1993) prend une telle position et suggère que cela
découle directement des travaux de Poole et Rosenthal (1997) qui établissent l’importance
d’une approche unidimensionnelle du vote idéologique des membres du Congrès. Tien
(2001), en revanche, enregistre une baisse significative du coefficient attribué à la note
ADA d’un élu, une fois qu’il annonce son départ.
Même si le vote d’un député dépend fortement de ses votes précédents, il n’est pas
forcément en contradiction avec une vision darwinienne de la concurrence politique.
Supposons que les deux seuls facteurs que prend en compte un citoyen lorsqu’il décide de
voter pour ou contre le candidat sortant i lorsqu’il se représente, sont l’ensemble des posi-
tions passées de i au sein de la législature, Vi , et ses dépenses de campagne. Si les contri-
butions de campagne reçues par i dépendent, elles aussi, uniquement de ses précédents
votes au Congrès, la probabilité de succès pour un candidat sortant dépendra uniquement
de ses votes passés.
πi = f (Vi ) + µi . (20.12)

35 Hinich et Munger (1994) placent l’idéologie au cœur de leur théorie.


568 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Lorsque la compétition politique est suffisamment forte, seuls les candidats sortants dont
les votes passés maximisent (20.12) survivront. Les deux cas extrêmes où, d’un côté, les
candidats sont dépourvus de toute idéologie et votent de manière à maximiser (20.12) et où,
à l’opposé, ils sont totalement guidés par leur idéologie personnelle et ne peuvent survivre
en tant qu’élus que si leur idéologie se réalise et leur permet, d’une manière ou d’une autre,
de maximiser (20.12), ne peuvent expliquer le vote des députés sur le long terme. Dans ces
deux cas, Vi dépendra uniquement des variables Ic , E Ic et PAC dans (20.11). La note idéo-
logique obtenue à partir des votes passés, comme celle que propose ADA, s’expliquera
aussi uniquement à partir des variables Ic , E Ic et P AC . Ainsi Ir , approximée par la note
des élus, devrait apparaître comme un résidu aléatoire déterminé par Ic , E Ic et PAC. On
devrait pouvoir expliquer les votes passés d’un élu à partir d’une équation qui inclut soit
Ic , E Ic et PAC soit Ir , sous réserve que le niveau de concurrence politique soit suffisam-
ment élevé.
Plusieurs études ont testé la robustesse de ce processus darwinien en utilisant les
résidus d’équations telles que (20.11) qui excluent Ir pour expliquer la probabilité de
réélection des candidats sortants. Elles trouvent toutes que les élus sont « fortement punis »
lorsqu’ils dévient de leurs obligations. Lott et Davies (1992, p. 470) trouvent que « les
candidats qui n’ont pas été réélus ont dévié des intérêts de leurs électeurs sur 1,27 pourcent
des questions » 36.
Pour que ces déviations soient sanctionnées par les électeurs, il faut bien qu’elles
se produisent de temps à autre. Lorsque l’équation (20.11) est estimée sans variable Ir , nous
obtenons un résidu corrélé avec l’idéologie des élus (Carson et Oppenheimer, 1984 ; Kalt
et Zupan, 1984 et 1990). Même si plusieurs études, comme celle de Lot et Davies, mont-
rent que le phénomène de déviation est marginal dès lors que l’on considère un grand
nombre de votes, il est possible que quand ces déviations se produisent, elles concernent les
questions les plus marquées idéologiquement. En effet, l’idéologie des élus s’avère déter-
minante pour expliquer leur vote sur des questions telles qu’un amendement constitution-
nel interdisant de brûler les drapeaux (Lascher, Kelman et Kane, 1993) ; la création d’un
fond spécial pour traiter les déchets toxiques (Gibson, 1993) ; le financement d’un accélé-
rateur de particules (Basuchoudhary, Pecorino et Shughart II, 1999) ; une législation protec-
tionniste (Nollen et Iglarasch, 1990) ou sur l’avortement (Brady et Schwartz, 1995) 37.
On peut raisonnablement conclure que l’idéologie personnelle d’un élu affecte sa
manière de voter sur au moins certaines questions. Les interrogations portent alors sur le
nombre et la nature de ces questions. Comme l’ont très justement fait remarquer Jackson et
Kingdon (1992), étant donné que l’idéologie est nécessairement mesurée comme le résidu
d’une équation, elle ne représente qu’une mesure de notre ignorance et donc une source
d’interrogations. Ce que nous prenons pour une préférence idéologique d’un élu peut tout
simplement être un intérêt économique persistant des électeurs de sa circonscription ou de
36 D’autres preuves sont fournies par Kau et Rubin (1993), Lott et Bronars (1993) et Wright (1993). Cependant,
Figlio (2000) observe que seuls les sénateurs qui dévient de leurs obligations lors des deux dernières années
de leur mandat sont sanctionnés.
37 Brady et Schwartz montrent que le vote des élus sur la loi pour l’avortement est beaucoup plus proche des
préférences de leur circonscription quand elles sont ajustées de manière à prendre en compte le fonctionne-
ment des élections primaires. L’ajustement de Brady et Schwartz réduit le pouvoir explicatif de l’idéologie
personnelle d’un élu sur la manière dont il vote, mais sans l’éliminer complètement.
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités de lobbying 569

groupes d’intérêt, que l’on aurait oublié de prendre en compte. Tant que nous ne dispose-
rons pas d’un ensemble de variables capables d’expliquer le vote des élus sans laisser
systématiquement un résidu pouvant être relié à un indicateur de mesure de l’idéologie,
nous devrons reconnaître que l’idéologie des élus est un déterminant plausible de leur vote.

20.4 LE LOBBYING
Dans son étude détaillée sur le vote des membres du House Agricultural Committee et du
Ways and Means Committee, Wright (1990) trouve que la pression exercée par les groupes
d’intérêt joue un rôle plus important que les contributions électorales dans l’explication du
vote des membres de ces deux commissions. Les groupes d’intérêt semblent investir davan-
tage dans l’activité de pression, aussi appelée lobbying, que dans les contributions de
campagne. L’activité de pression des groupes d’intérêt est donc un facteur supplémentaire
permettant d’expliquer le vote des élus.
Le lobbying ou l’activité de pression désigne essentiellement la transmission d’in-
formations à sens unique des groupes d’intérêt vers les membres du gouvernement. Cette
information peut porter sur les préférences du groupe d’intérêt ou sur « les états du
monde ». Bien que les groupes d’intérêts n’aient aucune incitation à falsifier les informa-
tions relatives à leurs préférences, si ce n’est en les exagérant, ils peuvent, en revanche,
dans certains cas, être incités à déformer les informations qu’ils possèdent sur « les états du
monde ». Supposons que la limitation de vitesse sur autoroute soit de 100 km/h pour les
camions et que cela fasse subir aux transporteurs un coût de 200 millions d’euros dû aux
pertes de temps. En faisant pression sur les législateurs pour qu’ils augmentent cette limi-
tation, les transporteurs informent ces derniers que l’industrie gagnerait à une éventuelle
réforme des limites de vitesse, ce qui pourrait se traduire par des voix et des contributions
financières supplémentaires pour les législateurs. Mais les transporteurs peuvent aller plus
loin en fournissant une estimation des gains possibles d’une telle mesure pour les camion-
neurs et pour le reste de la population. Ils peuvent également proposer une présentation des
coûts, comme par exemple une estimation du nombre d’accidents mortels, liés à cette
nouvelle limitation de vitesse. C’est à ce moment que le lobby des transporteurs routiers
peut être incité à déformer les faits, afin d’augmenter l’intérêt d’une loi augmentant la
vitesse minimum.
Cependant, si le lobby des transporteurs déforme systématiquement la réalité, les
législateurs n’auront aucune incitation à accorder de l’importance aux informations fournies
par ce lobby. Étant donné que l’activité de pression est coûteuse, aucun groupe d’intérêt n’a
intérêt à exercer cette activité si celle-ci est ignorée par les législateurs. Les lobbies sont
donc incités à transmettre, au moins de temps en temps, des informations correctes pour que
les législateurs prennent en considération les informations communiquées. Lorsque des
faits liés à la réalisation de certains états du monde peuvent modifier la législation en faveur
d’un groupe d’intérêt, ce groupe sera incité à faire pression sur le législateur en lui fournis-
sant des informations correctes sur les états du monde effectivement réalisés 38.

38 Mais ce n’est pas tout le temps le cas, car les coûts à rassembler et à fournir l’information peuvent parfois
excéder largement l’impact qu’ils peuvent avoir sur la probabilité d’influencer une politique.
570 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Si le lobby des transporteurs pense que les législateurs vont rehausser la limitation
de vitesse, qu’il fasse pression sur ces derniers ou non, les transporteurs n’entreprendront
alors aucune activité de pression en raison du coût que présente une telle activité. De la
même manière, les transporteurs ne feront pas de lobbying s’ils pensent qu’une vitesse plus
faible est préférable pour des raisons de sécurité. Donc, aussi bien les efforts de lobbying
que l’absence de toute activité de pression d’un secteur fournissent des informations
exactes aux législateurs. Quand un secteur n’entreprend pas d’activité de lobbying pour
obtenir un changement de politique, les législateurs peuvent interpréter cela de deux maniè-
res. Soit le secteur ne tirera aucun bénéfice d’un changement de la législation en vigueur,
soit il est conscient que l’information dont il dispose ne lui permettra pas de changer la
législation en faisant du lobbying.
Potters et van Winden (1992) et Potters (1992) ont modélisé la décision d’entre-
prendre une activité de pression pour un groupe d’intérêt. Austen-Smith et Wright (1992)
ont, quant à eux, proposé une modélisation de la décision de faire du lobbying pour deux
groupes d’intérêt aux intérêts opposés. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les
groupes d’intérêt sont souvent incités à fournir des informations correctes à travers leur
activité de lobbying. L’activité de pression, lorsqu’elle est exercée par deux groupes aux
intérêts divergents, a même tendance à améliorer la qualité de l’information fournie aux
législateurs. Austen-Smith et Wright (1994) ont trouvé un soutien empirique à leur modèle
en étudiant l’effet du lobbying sur le vote des sénateurs concernant la nomination de Robert
Bork à la Cour Suprême des États-Unis.

20.5 LES EFFETS EN TERMES DE BIEN-ÊTRE DE L’ACTIVITÉ


DES GROUPES D’INTÉRÊTS
Le montant total des dépenses de campagne pour les élections législatives (au Congrès
américain) sur la période 1999/2000 s’élevait à plus de 1 milliard de dollars, alors qu’il
n’était que de 740 millions pour le cycle électoral 1997/98. Il faut ajouter à cela les
500 millions dépensés pour les élections primaires de 2000. Puis, parmi les trois derniers
candidats en course pour l’élection présidentielle, chacun a dépensé en moyenne
1,5 milliard de dollars en deux ans, en cumulant les campagnes pour les élections législa-
tive et présidentielle 39. Si l’hypothèse de Wright (1990, p. 420), selon laquelle les dépen-
ses de lobbying sont dix fois plus élevées que les dépenses de campagne faites par les
candidats au Congrès, est vérifiée, cela voudrait dire que pas moins de 5 milliards de
dollars sont dépensés chaque année pour influencer les décisions et les probabilités de
réélection des députés. Il faut ajouter à cela un demi-milliard de dollars dépensés par les
candidats aux présidentielles lors des années d’élection. On peut également ajouter le coût
des activités de lobbying exercées à des échelons inférieurs, comme lors des élections des
gouverneurs et plus généralement les élections législatives au niveau des États, des élec-
39 Les chiffres proviennent du site Internet Federal Elections Committee. Il faut noter qu’aux États-Unis les
dépenses ne sont pas plafonnées, alors qu’elles le sont dans beaucoup d’autres pays. De plus, certains pays
limitent les dons que les partis ou les candidats peuvent recevoir et, dans le cas de la France, les dons sont tota-
lement interdits.
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités de lobbying 571

tions municipales, au niveau des comtés, pour les shérifs, pour les comités scolaires, etc. Si
l’on tient compte des activités de lobbying exercées à ce niveau, les dépenses totales
peuvent facilement atteindre des montants proches de 10 milliards de dollars. Quelles sont
les effets de ces dépenses sur la représentativité démocratique des gouvernements ? Est-ce-
que les contributions électorales et les activités de lobbying des entreprises, des associa-
tions en faveur du libre échange, des associations professionnelles, des syndicats et de tous
les autres groupes représentant des intérêts économiques ou idéologiques particuliers
permettent de mettre en place de meilleures politiques, et si c’est le cas, en quoi sont-elles
meilleures ?
Un moyen de définir ce qui est meilleur ou même optimal est de passer par une
fonction de bien-être social. La question consiste alors à savoir si l’activité des groupes
d’intérêt permet de nous rapprocher du maximum de cette fonction. Pour répondre à cette
question, revenons au cas où chaque individu i a une fonction d’utilité concave, Ui (x),
définie sur une dimension correspondant à une question x. Soit xi la valeur de x lorsque
Ui (x) atteint son maximum, qui correspond au point idéal de i. Si notre fonction de bien-
être social est une fonction de Bentham pondérée, nous avons :

W = α1 U1 + α2 U2 + … + αi Ui + … + αn Un (20.13)

L’optimum, x ∗ , satisfera la condition de premier ordre suivante :

α1 U1 + α2 U2 + … + αn Un = 0 (20.14)

où αi est le poids, positif, attribué à l’utilité de l’électeur i dans la fonction de bien-être


social.
Il est important de souligner qu’il n’y a aucune raison pour que x ∗ coïncide avec
xm , le point idéal de l’électeur médian. L’équation (20.14) implique que l’optimum social
s’éloignera de xm , dans la direction des électeurs ayant soit un αi élevé, soit une utilité
marginale élevée relative à une variation de x. Si on fait l’hypothèse que les groupes, qui
retirent les plus grands gains d’utilité à ce que x s’éloigne de xm , vont investir le plus de
ressources dans les activités de pression ou dans les contributions de campagne. L’activité
de lobbying pourrait alors se justifier d’un point de vue normatif dans la mesure où elle
rapproche le choix social de l’optimum de bien-être social.
Dès lors que nous suivons la théorie d’Olson qui nous dit que tous les groupes
n’ont pas la même capacité d’organisation et ne font pas non plus la même utilisation de
leurs ressources, il apparaît que les conséquences des dépenses de campagne et de lobbying
sont moins graves que prévu. Le choix social de x se déplace vers la quantité optimale que
souhaitent les groupes d’intérêt les plus efficaces et les mieux organisés. Les dépenses de
campagne et le lobbying ont le même effet sur le processus politique si l’utilité des groupes
les mieux organisés ont plus de poids dans la fonction de bien-être social benthamienne
implicitement maximisée.
Si notre définition du résultat social optimal nécessite de remplir la condition d’op-
timum de Pareto, l’activité des groupes d’intérêt n’aura alors aucune importance normative,
car à la fois le x optimal de l’électeur médian et tout autre choix qui apparaît comme le
résultat de l’activité des groupes de pression satisfont la condition d’optimum de Pareto
572 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

dans notre monde simplifié à une dimension. En fait, tous les choix de x parmi les points
idéaux des électeurs sont Pareto-optimaux. On peut aboutir aux mêmes conclusions à partir
d’un espace multidimensionnel sous l’hypothèse que la concurrence politique mène aux
équilibres prévus par les modèles probabilistes du vote 40.
Les dépenses de campagne et l’activité de lobbying ne font pas qu’influencer le
choix de x. Elles utilisent des ressources au cours du processus de détermination de x et sont
donc, à ce titre, une forme de recherche de rente. Dans le modèle simple de recherche de
rente, la concurrence entre les groupes d’intérêt se fait pour l’obtention d’un monopole qui
va générer un rectangle de rente (voir le chapitre 15). La rente représente la perte d’utilité
d’un groupe transférée à un autre groupe ainsi que le manque à gagner des consommateurs
capté par le propriétaire du monopole. Lorsque les activités de lobbying des groupes d’in-
térêt modifient les politiques, c’est-à-dire qu’elles changent x, elles contribuent également
à transférer une partie de l’utilité d’un groupe vers un autre et les ressources utilisées lors
de son transfert sont potentiellement gaspillées.
Pour mesurer le gaspillage de ressources engendré par ce transfert, considérons la
matrice 20.1. Par souci de simplification, nous faisons l’hypothèse que chaque candidat a
seulement deux options : lever des fonds et les dépenser entièrement ou alors lever des
fonds mais ne pas les dépenser. Si les deux candidats ne dépensent rien, le sortant récoltera
alors 65 % des suffrages. Si le sortant ne dépense rien alors que le challenger dépense les
fonds qu’il a levés, les probabilités de victoire sont de 50 % pour chacun des candidats. Si
les deux dépensent l’intégralité de leurs fonds, le challenger n’a plus que 35 % de chance
de succès et le sortant, 65 %. La matrice prend la forme d’une matrice du dilemme du
prisonnier dans laquelle les deux candidats choisissent la stratégie dominante, à savoir
lever des fonds et les dépenser entièrement même si cela n’a aucun effet sur l’issue des
élections. La situation d’équilibre où « A dépense tout » / « B dépense tout » est inférieure
au sens de Pareto à la situation où les candidats ne dépensent rien, car on a fait l’hypothèse
que les dépenses de campagne n’affectaient pas les probabilités de victoire des deux candi-
dats et donc tout l’argent dépensé est gaspillé.

Matrice 20.1
Les résultats d’une élection avec et sans dépenses électorales de campagne.

Challenger
Dépense tout Ne dépense rien
Sortant
Dépense tout 1 4
(65, 35) (75, 25)
Ne dépense rien 2 3
(50, 50) (65, 35)

40 On peut attribuer un rôle plus attrayant aux groupes d’intérêt en faisant l’hypothèse que les candidats ignorent
certaines dimensions sur des questions. Des optimums de Pareto peuvent alors apparaître, si l’activité de
lobbying permet de fournir des informations aux gouvernements concernant la fourniture de biens collectifs
qui amélioreraient le bien-être de tous les citoyens.
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités de lobbying 573

Il est en effet probable que les dépenses des candidats affectent sensiblement leur
probabilité de victoire. Cependant, la conclusion selon laquelle il serait préférable pour
l’ensemble de la société qu’aucun des candidats ne dépense d’argent ne serait probable-
ment pas infirmée si les chances de succès étaient de 62 et 38 dans le cas où les deux candi-
dats dépenseraient tout. Les taux de réélection étant de plus de 97 % à la Chambre des
Représentants et de plus de 90 % au Sénat, il ne semble pas que les challengers qui dépen-
sent moins hypothèquent complètement leurs chances d’être élus 41.
On peut arriver à des conclusions similaires pour les contributions de campagne.
Celles-ci ont pour vocation d’influencer les politiques plus que de déterminer le choix des
élus. Si des groupes d’intérêt sont situés de part et d’autre de la position idéale de l’élec-
teur médian, leurs tentatives d’influencer x s’annuleront mutuellement. Il est possible que
des fonds importants soient versés aux candidats puis dépensés lors des campagnes sans
pour autant avoir un effet significatif sur x. De la même manière, les dépenses en publi-
cité/communication de Coca-Cola et Pepsi peuvent s’annuler et n’avoir quasiment aucun
effet sur leurs parts de marché. Mais la tendance au gaspillage des ressources est encore
plus marquée sur le marché politique que sur les marchés des biens car Coca-Cola et Pepsi
peuvent faire un autre usage des sommes qu’ils consacrent à la publicité comme par
exemple les redistribuer à leurs actionnaires sous forme de dividendes ou alors augmenter
le salaire des employés. Il y a dans ce cas un coût d’opportunité des dépenses. Mais quand
les candidats dépensent les contributions qu’ils reçoivent de groupes d’intérêts, ils ne
peuvent en faire aucun autre usage. Ils sont incités à tout dépenser jusqu’à ce que l’effica-
cité marginale de ces dépenses soit négative 42.
Au-delà des effets sur le choix des élus et des politiques publiques, les contribu-
tions de campagne et l’activité de lobbying ont peut-être une « valeur sociale » car elles
permettent d’« éduquer » les électeurs. La question des dépenses de campagne est plus
complexe que ne le suggère la matrice 20.1. Mais d’un autre coté, l’activité des groupes
d’intérêt peut être assimilée à de la recherche de rente, et la publicité politique, comme la
publicité « commerciale », présente les mêmes caractéristiques qu’un jeu du dilemme du
prisonnier. Pendant le cycle électoral de 1997/8, des sommes deux fois plus importantes ont
été dépensées que lors du cycle de 1981/2. Et de 1988 à 1976, les dépenses ont été multi-
pliées par six. Même si nous ne disposons pas de données antérieures aux années 1970, on
peut raisonnablement conjecturer que les dépenses de campagne pour les élections prési-
dentielles et au Congrès pour l’année 2000 ont été dix fois plus importantes que celles de
l’année où J.F. Kennedy a été élu. Au vu de la croissance des dépenses électorales depuis
40 ans, on ne peut que se demander si le processus démocratique aux États-Unis a été dans
le bon sens.

41 Voir Levitt (1994) qui discute des gains sociaux potentiels d’une limitation des dépenses de campagne.
42 Nous faisons bien sûr abstraction des coûts que les candidats supportent pour la collecte de fonds.
574 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Hinich et Munger (1994) ont justifié l’importance de l’idéologie comme déterminant du vote et l’ont
intègrée dans un modèle spatial de compétition politique.
Morton et Cameron (1992), Potters et Sloof (1996), Austin-Smith (1997) et van Widen (1999) ont
passé en revue la littérature sur les groupes d’intérêt et les contributions de campagne. Bender et
Lott (1996) ont fourni une revue critique de la littérature sur les élus qui dévient des préférences
de leur circonscription pour consommer leur idéologie personnelle. Grosman et Helpman (2001)
ont présenté une approche théorique très détaillée de l’activité des groupes d’intérêt.
Alors que la majeure partie de la littérature sur les groupes d’intérêt s’est intéressée à la répartition
entre les candidats et au montant des contributions de campagne, ainsi qu’à leurs effets sur la légis-
lation, Lohmann (1993) a étudié la manière dont certains groupes d’intérêt influençaient les poli-
tiques publiques en signalant la nature et l’intensité de leurs positions sur certaines questions.
Le texte d’Olson (1978) a été traduit en français. On peut également consulter une étude sur l’in-
fluence des dépenses de campagne sur l’issue électorale (Foucalt et François, 2005) ainsi que sur
les stratégies de financement des partis (François et Sauger, 2006) et des candidats (François, 2006)
avant l’interdiction des dons des entreprises en 1995. Pour une présentation générale des effets de
la réglementation française sur le financement politique, voir François (2003) et François et Phélip-
peau (2010). Une analyse de l’exploitation des cycles électoraux par les groupes de pression et de
ses effets sur la production législative a été fournie par Magni Berton (2008). Toutes ces études
portent sur la France. Hors France, une étude sur le vote des sénateurs américains et l’influence des
groupes d’intérêt a été fournie par Martin (1995). Pour une étude sur les dépenses de campagnes
au Canada, voir Eagles (1993).
21
LA TAILLE DE L’ÉTAT

21.1 Les faits 576


21.2 Explications de la taille et de la croissance de l’État 581
21.3 Conclusion 606
576 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

« Les politiciens sont les mêmes partout. Ils promettent de construire


des ponts, même là où il n’y a pas de rivière. »
Nikita Khrouchtchev

Beaucoup d’attention a été portée autant dans le discours académique que dans la société
en général sur la question de la taille de l’État et des raisons qui expliquent sa croissance.
L’analyse économique des institutions politiques apparaît comme l’outil naturel pour
répondre à ces questions.

21.1 LES FAITS


Que l’État ait grossi, et de manière importante qui plus est, ne peut être remis en doute. Les
dépenses totales de l’État français en 2006 en termes de produit national brut (PNB) attei-
gnaient 53,4 % par rapport à 41,1 % en 1950 et 21,9 % en 1930 (voir le tableau 21.1). Cette
croissance n’est pas confinée seulement à l’État central ni à ce siècle. Les dépenses
publiques des collectivités locales représentaient seulement 2,8 % du revenu national en
1872 et atteignent aujourd’hui 11,1 % du PIB. La particularité de la croissance de la taille
de l’État français tient principalement à l’augmentation des dépenses de sécurité sociale au
cours du XXe siècle. En 1930, elles représentaient 0,2 % du PIB. En l’espace de 70 ans, ces
dépenses ont explosé et ont été multipliées par 100 (soit 23,9 % du PIBen 2006).
Cette croissance du secteur public a aussi été observée pour l’ensemble des écono-
mies développées et peut remonter jusqu’au XIXe siècle. Le tableau 21.2 présente les
données de Tanzi et Schuknecht (2000) pour 17 pays. Comme on peut aisément le remar-
quer, la taille du secteur public augmente substantiellement dans plusieurs pays tels que
l’Autriche, la France, l’Allemagne entre 1870 et le début de la Première Guerre mondiale.
Durant cette guerre, l’augmentation générale des dépenses de l’État se poursuit, reflétant
ainsi les besoins liés aux conflits militaires. Mais après 1918, les secteurs publics ne se
contractent pas pour revenir à leur niveau d’avant-guerre, bien au contraire. En 1937, la
taille de l’État était plus grande qu’en 1913 pour 13 des pays de la comparaison 1.
Cependant, l’accélération la plus importante de la croissance du secteur public
s’est faite autour de 1960. Si la taille moyenne de l’État augmente de 22 % pour la période
allant de 1937 à 1960, cette moyenne passe à 54 % au cours des vingt années suivantes.
Aucun des 17 pays du tableau 21.1 n’a un secteur public de taille plus petite en 1980 qu’en
1960. De plus, dans plusieurs cas, la croissance est plutôt spectaculaire. En Belgique, au
Japon, en Suède et en Suisse, la taille de l’État double presque entre 1960 et 1980.
Après 1980, cette croissance spectaculaire s’interrompt. La taille moyenne du
secteur public dans l’échantillon de pays augmente seulement de 6 % entre les années 1980

1 Dans une des contributions pionnières autour de la question de la croissance de l’État, Peacock et Wiseman
(1961) émettent l’hypothèse qu’il existe un effet de levier lié aux guerres. Une fois que la taille de l’État s’ac-
croît à la suite d’une guerre, elle ne retrouve pas son niveau d’origine. Même s’il existe un lien apparent pour
cette hypothèse dans le tableau 21.2, elle n’a pas été confrontée à des tests économétriques plus rigoureux
(Henrekson, 1990).
Tableau 21.1
Dépenses publiques mesurées en termes nominaux et en % du PIB, France, 1872-2008.

(3) Total (4) Total (5) Dépenses (6) Dépenses (7)Total


(1) Dépenses Dépenses Dépenses publiques publiques Dépenses
La taille de l’État

État (millions (2) Dépenses publiques locales publiques locales Sécurité sociale Sécurité sociale publiques
Année Euros) État (% PIB) (millions Euros) (% PIB) (millions Euros) (% PIB) (1 + 3 + 5)
1872 3,78 8,2 2,8 – 0 5,10 11,0
1880 4,78 11,0 3,6 – 0 6,37 14,6
1890 4,80 10,5 3,8 – 0 6,53 14,3
1900 5,42 10,4 4,0 – 0 7,51 14,4
1906 5,39 9,8 4,4 – 0 7,79 14,2
1912 6,50 8,8 3,8 – 0 9,28 12,6
1920 58,68 27,8 5,0 – 0 69,27 32,8
1930 86,83 16,4 5,3 0,2 115,93 21,9
1938 120,97 20,1 5,5 0,9 159,47 26,5
1947 1 442,85 29,0 3,7 8,1 2 032,75 40,8
1950 3 756,19 28,9 5,3 6,9 5 339,06 41,1
1955 7 317,09 34,8 6,4 9,2 10 593,83 50,4
1960* 8 667,50 18,7 2 200 4,7 5 518,48 9,9 16 385,98 35,4
1965 14 937,06 19,7 4 000 5,3 10 852,89 12,6 29 789,95 39,4
1970 23 146,25 18,6 6 900 5,5 20 144,76 14,3 50 19,10 40,3
1975 43 643,98 18,7 15 000 6,4 46 334,73 17,6 104 978,71 45,0
1980 98 803,22 22,2 34 000 7,6 70 618,70 20,4 203 421,92 45,7
1985 190 421,90 25,6 60 300 8,1 134 484,90 22,3 385 206,80 51,8
1990 234 360,76 22,7 88 800 8,6 187 934,30 21,5 511 095,06 49,5
1995 289 930,97 24,3 112 000 9,4 248 665,97 23,9 650 596,94 54,5
2000 334 021,00 23,2 141 400 9,8 268 879,00 22,7 744 300,00 51,6
2006 401 588,00 22,1 199 600 11,1 355 717,00 23,9 956 905,00 53,4
577

Source : pour la période 1872-1955, Delorme et André (1983), L’Etat et l’économie, Paris : Seuil. Pour la période 1959-2006, INSEE, Finances Publiques.
578 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Tableau 21.2
Évolution des dépenses publiques globales, 1870-1996 (% PIB).

Avant – Après Avant – Après


1re Guerre mondiale 2e Guerre mondiale
Autour de 1870 1913 1920 1937 1960 1980 1990 1996
Dépenses publiques
Australie 18,3 16,5 19,3 14,8 21,2 34,1 34,9 35,9
Autriche 10,5 17,0 14,7 20,6 35,7 48,1 38,6 51,6
Canada – – 16,7 25,0 28,6 38,8 46,0 44,7
France 12,6 17,0 27,6 29,0 34,6 46,1 49,8 50,0
Allemagne 10,0 14,8 25,0 34,1 32,4 47,9 45,1 49,1
Italie 13,7 17,1 30,1 33,1 30,1 42,1 53,4 52,7
Irlande – – 18,8 25,5 28,0 48,9 41,2 42,0
Japon 8,8 8,3 14,8 25,4 17,5 32,0 31,3 35,9
Nouvelle-Zélande – – 24,6 25,3 26,9 38,1 41,3 34,7
Norvège 5,9 9,3 16,0 11,8 29,9 43,8 54,9 49,2
Suède 5,7 10,4 10,9 16,5 31,0 60,1 59,1 64,2
Suisse 16,5 14,0 17,0 24,1 17,2 32,8 33,5 39,4
Royaume-Uni 9,4 12,7 26,2 30,0 32,2 43,0 39,9 43,0
États-Unis 7,3 7,5 12,1 19,7 27,0 31,4 32,8 32,4
Moyenne 10,8 13,1 19,6 23,8 28,0 41,9 43,0 45,0
Dépenses État central
(1870-1937), dépenses
générales après
Belgique – 13,8 21,1 21,8 30,3 57,8 54,3 52,9
Pays-Bas 9,1 13,9 13,5 19,0 33,7 55,8 54,1 49,3
Espagne – 11,0 8,3 13,2 18,8 32,2 42,0 43,7
Moyenne 9,1 11,3 14,6 18,0 27,6 48,6 50,1 48,6
Moyenne totale 10,7 12,7 18,7 22,8 27,9 43,1 44,8 45,6

et 1996, et pour deux d’entre eux l’État était plus petit en 1996 qu’en 1980 (Belgique et
Pays-Bas).
Il est également intéressant de noter que les chiffres du tableau 21.2 tendent à mini-
miser l’impact fiscal du gouvernement dans chaque pays en ne prenant pas en compte leurs
dépenses de taxe. Par dépenses de taxe, nous entendons les transferts à différents groupes
sous la forme d’une déduction ou d’un crédit d’impôt plutôt que par des transferts budgé-
taires 2. Pour apprécier les implications de ce phénomène, considérons l’exemple suivant.
Prenons les pays A et B qui possèdent chacun un revenu national brut de 100. Chacun

2 On parle également de « niches fiscales » ou de » dépenses fiscales ».


La taille de l’État 579

impose une taxe sur le revenu de 50 %. Cette taxe augmente les revenus de l’État A de 50,
qui alloue son budget de la manière suivante :

Pays A Calcul officiel Calcul effectif


Dépenses de consommation 20 20
Transferts aux retraités 20 20
Transferts aux enfants 10 10
Dépenses 50 50
Ressources fiscales 50 50

Les dépenses de consommation du gouvernement (la défense, l’éducation, etc.)


représentent 40 % des recettes fiscales et des dépenses du gouvernement. Un autre 40 %
est un transfert sous forme de pensions et les 20 % restants sont un transfert monétaire aux
familles qui ont des enfants d’un certain âge. Le total des revenus d’imposition est de 50 et
correspond au total des dépenses gouvernementales définies pour inclure la consommation
du secteur public et les transferts monétaires.
Maintenant, considérons le pays B. Il prélève aussi 50 % de taxe sur tous les
revenus, mais il permet aux citoyens qui ont des enfants de faire des déductions avant de
payer leurs taxes d’un montant de 10. La consommation de l’État et les transferts de
pension sont exactement les mêmes que dans le pays A. Les allocations de ressources du
pays B sont les suivantes :

Pays B Calcul officiel Calcul effectif


Dépenses de consommation 20 20
Transferts aux retraités 20 20
Transferts aux enfants 10
Dépenses 40 50
Ressources fiscales 40 50

Parce que B a choisi de subventionner les citoyens avec des enfants en leur accor-
dant des exemptions fiscales plutôt que de prélever des impôts, et ensuite de transférer cet
argent aux familles, comme les deux pays le font pour les retraités, le montant des revenus
fiscaux prélevés officiellement et dépensés dans le pays B semble être moindre que dans le
pays A. Mais manifestement, l’impact fiscal de l’État est identique dans les deux pays.
Dans les deux cas, l’État a la mainmise sur plus de 50 % du revenu national, et il alloue les
fonds de la même manière entre consommation, transferts pour les enfants et transferts pour
les retraités. Le fait que, dans un cas, l’allocation prenne la forme d’un transfert de revenus
de fiscalité perçue, alors que dans l’autre cas l’allocation prend la forme de taxes non
perçues, est peu important dans la détermination de qui reçoit quoi. La taille de l’État dans
les deux pays devrait être jugée de la même manière et le chiffre le plus approprié est
évidemment 50 % du revenu national.
Pour calculer la taille totale de l’État, on doit additionner aux dépenses et aux
transferts les dépenses implicites que l’État accorde via les exemptions de taxes. Le
580 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Tableau 21.3
Recettes, dépenses et transferts publics (en % du PNB) pour 22 pays de l’OCDE en 1992.

Pays T0 T Tmax Année2 R0 R Rmax Année S0 S Smax Année


Australie 24 46 51 (1985) 30 52 58 (1985) 36 58 64 (1985)
Autriche 41 59 61 (1983) 44 60 63 (1984) 50 68 71 (1986)
Belgique 34 63 73 (1984) 46 74 78 (1985) 54 82 92 (1984)
Canada 32 53 54 (1982) 38 60 61 (1991) 45 67 71 (1991)
Danemark 44 63 71 (1982) 51 71 77 (1986) 55 74 82 (1982)
Finlande 60 70 70 (1992) 49 59 66 (1988) 60 76 76 (1992)
France 39 56 58 (1986) 44 61 63 (1986) 49 66 68 (1986)
Allemagne 40 54 56 (1982) 43 57 60 (1985) 48 62 64 (1982)
Irlande 33 52 71 (1983) 41 61 67 (1985) 45 65 86 (1985)
Italie 36 54 58 (1987) 43 62 62 (1992) 55 73 73 (1992)
Japon 26 40 43 (1986) 29 43 45 (1986) 31 45 50 (1986)
Luxembourg 45 69 69 (1992) 36 59 59 (1984) 47 71 71 (1992)
Pays-Bas 42 51 67 (1983) 47 56 65 (1983) 53 62 79 (1983)
Nouvelle-Zélande 36 41 60 (1975) 37 43 55 (1976) 44 49 67 (1975)
Norvège 43 53 68 (1988) 48 58 72 (1986) 48 58 75 (1979)
Portugal 27 35 47 (1985) 38 47 51 (1988) 41 50 64 (1985)
Espagne 32 47 50 (1990) 36 51 53 (1989) 42 56 58 (1990)
Suède 42 49 75 (1980) 52 59 74 (1976) 56 63 84 (1982)
Suisse 28 42 44 (1984) 31 45 48 (1986) 32 46 48 (1984)
Turquie 23 46 50 (1985) 23 46 47 (1985) 33 53 55 (1985)
Royaume-Uni 28 40 55 (1975) 35 38 56 (1975) 40 52 67 (1975)
États-Unis 19 28 37 (1978) 29 47 47 (1978) 34 42 49 (1978)

Note : T0, R0, S0 = Transferts officiels, Impôts, et Dépenses. T, R, S = Transferts effectifs, Impôts, et Dépenses. Tmax, Rmax, Smax = Maximum
des transferts complets, Impôts et Dépenses.
a : année durant laquelle le maximum est atteint.

Source : Hanson et Stuart (à venir, Tableau 1 et 3).

tableau 21.3 présente une série d’estimations de ce type faites par Hansson et Stuart (2003)
pour 1992. Le tableau 21.3 présente les transferts officiels (T 0 ), les revenus de l’impôt
(R 0 ) et les dépenses (S 0 ) pour chaque pays, et les niveaux effectifs de transferts compara-
bles, T, de revenu fiscal, R, et les dépenses, S. Le tableau montre aussi la valeur maximale
de chaque « estimation effective » et l’année correspondante. Comme nous pouvons le voir
facilement, les chiffres officiels du budget minimisent l’impact fiscal de l’intervention
publique de manière considérable. Même si les transferts semblent représenter seulement
39 % du PNB de la France en 1992, ils représentent 56 % du PNB lorsque nous ajoutons
La taille de l’État 581

aux sommes allouées par le gouvernement du fait des exemptions fiscales attribuées à
différents groupes. Les dépenses totales s’élèvent alors à près de 66 % du PNB. En suivant
cette technique, le Japon, la Suisse et les États-Unis conservent leur titre de pays possédant
le plus petit secteur public. Seules ces trois nations et la Nouvelle-Zélande conservent des
dépenses gouvernementales totales en deçà du seuil des 50 % du PNB. L’Australie et la
Turquie, qui semblent avoir un secteur public relativement petit quand nous regardons les
chiffres officiels, atteignent des niveaux de dépenses publiques supérieurs à 50 % du PNB
une fois que les dépenses fiscales sont ajoutées.
Les pays situés dans les niveaux supérieurs de l’activité gouvernementale restent
les mêmes à l’exception de la Belgique et du Luxembourg qui se joignent au groupe des
pays les plus interventionnistes. Au contraire, la Suède tombe au dixième rang avec des
dépenses publiques s’élevant à « seulement » 63 % du PNB en 1992, soit à peine les trois
quarts des 82 % du PNB que les dépenses publiques totales de la Belgique atteignent cette
année-là. La Belgique gagne aussi la palme du niveau de dépenses publiques totales le plus
élevé entre 1972 et 1992, soit 92 % en 1984.
Les chiffres du tableau 21.3 illustrent un déclin récent des dépenses et des transferts
pour plusieurs pays en dehors de la Belgique. Ces chiffres, avec ceux des tableaux 21.1 et
21.2, soulèvent quatre questions : quelles sont les causes de la taille croissante de l’État au
cours des deux derniers siècles ; quelles sont les causes de la croissance accélérée de la taille
de l’État après la Seconde Guerre mondiale ; pour quelle raison l’État, tel que mesuré par
son impact fiscal total, s’est-il arrêté de croître et dans certains cas a-t-il commencé à décroî-
tre durant les dernières années ; et enfin qu’est-ce qui explique les importantes différences
enregistrées dans la taille des secteurs publics entre les pays développés ? Ce chapitre
présente quelques-unes des réponses qui ont été apportées à ces questions.

21.2 EXPLICATIONS DE LA TAILLE ET DE LA CROISSANCE


DE L’ÉTAT
Les mêmes explications qui ont déjà été avancées à propos de l’émergence des États
devraient être mobilisées pour comprendre pourquoi ces derniers atteignent une certaine
taille dans un pays et pas dans un autre et pourquoi leur croissance augmente à un temps
donné. Ainsi, en faisant un tour d’horizon des causes possibles de la taille et de la crois-
sance de l’État, on passe essentiellement en revue les explications de l’origine des gouver-
nements. Si chaque explication est représentée par une variable ou un ensemble de
variables, alors les différences dans la taille et le taux de croissance doivent être expliquées
par les différences dans ces variables.

21.2.1 Le gouvernement comme fournisseur de biens publics


et comme correcteur d’externalités
L’explication traditionnelle de l’existence des États repose sur leur capacité à offrir des
biens publics et à éliminer ou à réduire les externalités. Supposons qu’il s’agit là de la seule
582 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

fonction d’un État. On peut alors imaginer que chaque citoyen a une demande pour des
biens publics, qui est une fonction du revenu de l’individu, du prix du bien public face au
bien privé et d’autres variables relatives à ses préférences. Si nous supposons que d’une
part l’élection se déroule sous une règle majoritaire et que d’autre part les citoyens fondent
leur décision de vote en fonction de l’enjeu de la dépense publique qui serait le seul enjeu
décisif, nous pouvons appliquer le théorème de l’électeur médian et écrire les dépenses de
l’État comme une fonction des caractéristiques de l’électeur médian 3. Soit X, un bien privé
et G, un bien public (avec Px et Pg étant leurs prix respectifs), Ym le revenu de l’électeur
médian, et Z un paramètre de préférence individuelle, alors on peut écrire la fonction des
dépenses de l’État (sous forme logarithmique) pour l’électeur médian :

ln G = a + α ln Pg + β ln Ym + γ ln Z + µ (21.1)

Une explication de la croissance relative de l’État peut être obtenue à travers (21.1) si une
des conditions suivantes est satisfaite :
–- La demande de biens publics est inélastique (−1 < α < 0), et Pg augmente rela-
tivement à Px .
– La demande de biens publics est élastique (−1 > α) et Pg diminue relativement à
Px .
– Parce que Ym croît à travers le temps, β doit être plus grand que 1.
– Certaines variables de goût peuvent changer de manière appropriée, en fonction du
signe de γ 4.

21.2.1.1 Les variables de « préférence » pour la dépense publique


Commençons par la dernière possibilité. Dans le chapitre 3, nous avons étudié comment la
redistribution gouvernementale peut être une forme d’assurance qui bénéficie à tous les
citoyens et ainsi être caractérisée comme un bien public ex ante, même si ex post ce type
de programme d’assurance constitue pour l’essentiel une forme de redistribution. Rodrik
(1998) a démontré empiriquement cette explication de la croissance de l’État. L’auteur met
l’accent sur les risques pour les revenus individuels dans une économie ouverte, dans
laquelle les prix à l’importation et à l’exportation peuvent varier radicalement, produisant
de grandes variations dans les revenus et dans l’emploi. La colonne 1 du tableau 21.4
présente les résultats de l’une de ces estimations pour un échantillon de 97 pays dévelop-
pés et en voie de développement. « OPEN » est la mesure classique d’ouverture de l’éco-
nomie (exportations + importations divisées par le PIB). TTRISK mesure les risques de
variation dans les termes d’échange (la variance entre les prix d’exportation et les prix
d’importations). La variable dépendante est la consommation publique (dépenses adminis-
tratives, police, défense nationale, santé, éducation, etc.).

3 Voir Barr et Davis (1966), Davis et Haines (1996), Borcherding et Deacon (1972) Bergstrom et Goodman
(1973) et Deacon (1977 a,b).
4 Pour une discussion de ces possibilités relatives à la problématique de croissance du gouvernement, voir
Borcheding (1977a,1985), Buchanan (1977) et Bennett et Johnson (1980b, pp. 59-67).
La taille de l’État 583

Tableau 21.4
Risque lié aux échanges internationaux et taille de l’État.

Pays développés
Pays développés
et en Pays de l’OCDE
et en développement
développement
Variable
dépendante Consommation Sécurité sociale Consommation Sécurité sociale Consommation
en % du PIB de l’état 1990-2 + welfare 1985 de l’état 1985 + welfare 1985 de l’état 1985
Variable (1) (2) (3) (4) (5)
indépendante
OPEN –0,003 –0,170 *** –0,005 –0,018 –0,002
(0,002) (0,043) (0,010) (0,013) (0,003)
TTRISK –3,053 *** –134,09 *** –9,371 * –16,484 *** –2,953 **
(1,087) (22,15) (5,198) (5,665) (1,391)
OPEN × TTRISK 0,053 *** 1,869 *** 0,069 0,183 * 0,48 **
(0,017) (0,431) (0,101) (0,096) (0,023)
Obs. 97 19 19 68 68
R2 0,44 0,75 0,35 0,48 0,50

Notes : les équations des colonnes 1, 4 et 5 omettent les autres variables de contrôle. Les variables indépendantes pour la colonne 1 sont les
moyennes pour la période de 1980 à 1989 et pour les colonnes 2 à 5 pour la période 1975 à 1984.
Les erreurs-types des coefficients sont entre parenthèses. *, ** et *** correspondent à un niveau de significativité de respectivement 90, 95 et
99 %.
Source : Rodrik (1998, tableaux 4 et 6).

Les économies ouvertes présentant des risques élevés de variation des termes de
l’échange ont un niveau de dépenses publiques significativement plus grand. Même si les
variables OPEN et TTRISK ont des effets positifs sur la consommation publique, leurs
deux coefficients deviennent négatifs lorsqu’une variable interactive entre ces deux varia-
bles est ajoutée au modèle. C’est donc la présence simultanée d’une économie fortement
intégrée et des risques élevés de variation des termes de l’échange qui tirent vers le haut les
dépenses gouvernementales.
On pourrait s’attendre à ce que les programmes gouvernementaux compensant de
tels risques dans une économie ouverte puissent prendre la forme d’une prestation de
chômage ou tout autre programme de protection sociale. Rodrik (p. 1019) affirme que
plusieurs pays en voie de développement manquent toutefois de capacités administratives
pour gérer de tels programmes, et cherchent donc à augmenter l’emploi dans le secteur
public, plus stable, pour réduire le risque de chômage. Les colonnes 2 à 5 dans le
tableau 21.4 appuient cette interprétation. Le terme d’interaction (OPEN-TTRISK) est
positivement et significativement lié aux paiements de prestations sociales dans le sous-
ensemble des pays riches de l’OCDE mais les dépenses gouvernementales de consomma-
tion ne sont pas reliées de manière significative à cette variable dans ces pays. Dans cet
échantillon quelque peu réduit, les dépenses de sécurité sociale et de welfare ainsi que les
584 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

dépenses gouvernementales sont positivement et significativement corrélées au terme d’in-


teraction entre ouverture commerciale et risque des termes de l’échange.
Les résultats empiriques de Rodrik sont impressionnants 5. Toutefois, plusieurs
historiens des économies européennes pourraient douter de la pertinence des hypothèses de
Rodrik comme étant l’explication principale de la croissance des États européens. Les
programmes de redistribution ou d’assurance qu’il est possible d’associer à l’État-provi-
dence trouvent leur origine dans les « luttes de classes » du XIXe siècle en Europe, et
semblent être mieux expliqués par l’effort consenti vers les travailleurs contre les risques
de chômage et de pauvreté inhérents à la société industrielle. De la même manière, les prin-
cipaux programmes d’assistance sociale aux États-Unis ont été introduits durant la Grande
Dépression en réponse à l’effondrement de l’économie domestique qui fut aggravé par un
effondrement simultané du commerce mondial. Une interprétation cohérente des résultats
de Rodrik avec ces événements pourrait être qu’une fois les institutions de base de l’État-
providence mises en place, une plus grande exposition aux risques liés aux échanges inter-
nationaux conduit à une plus grande croissance du secteur public 6.
Une autre explication plausible concernant la variable de « préférence » dans
l’équation de demande de biens publics porte sur la densité de la population. Les défini-
tions mêmes des biens publics et des externalités impliquent une dimension de proximité
géographique. La fumée d’une usine nuit à plus d’individus dans une communauté densé-
ment peuplée que dans une communauté fortement dispersée autour de celle-ci. Si un parc
est facilement accessible, alors la probabilité qu’il soit utilisé est plus grande dans une
communauté densément peuplée que dans une zone rurale. L’urbanisation a suivi son cours
tout au long du siècle dernier dans tous les pays développés. L’urbanisation et la densité de
la population sont donc des choix évidents pour une variable Z avec un signe que l’on peut
prévoir positif. Il est alors surprenant de trouver si peu de validation empirique pour une
telle hypothèse 7. Aucune autre variable de « préférence » n’a réussi à être convaincante a
priori et à être validée par des données empiriques.

5 Pour des travaux empiriques corroborant celui de Rodrik, voir Cameron (1978), Saunders et Klau (1985) et
Rice (1986) Katsimi (1998) développe un modèle qui suppose une plus grande volatilité du marché de l’em-
ploi dans le secteur privé par rapport au secteur public pour expliquer les préférences des électeurs pour un
secteur public important et offre des preuves empiriques consistantes avec le modèle pour la Grèce.
6 On peut s’interroger sur la raison pour laquelle les risques que font peser les échanges internationaux sur l’em-
ploi (Rodrik) ou sur le secteur privé en général (Katsimi), amènent les travailleurs à rechercher une protection
sur le marché politique avec un coût d’action collective élevé, plutôt que sur le marché du travail, où chaque
travailleur peut agir seul. Si les risques pour l’emploi sont importants par rapport au secteur public, pourquoi
plus de travailleurs ne recherchent-ils pas tout simplement un emploi dans le secteur public ? Au fur et à
mesure que le nombre de travailleurs disponibles du secteur public augmente, les salaires du secteur public
devraient baisser par rapport à ceux du secteur privé. En prenant en compte que la demande pour les services
du secteur public semble être inélastique par rapport au prix (voir la discussion qui suit), cette variation dans
les salaires relatifs devraient, ceteris paribus, réduire la taille relative du secteur public.
7 Voir Borcherding (1977a, 1985), Deacon 1977b) et Holsey et Borcherding (1997) et pour une critique de cette
littérature, Oates (1988a). La plupart des travaux qui estiment l’équation (21.1) a été faite au niveau du gouver-
nement local alors que plusieurs des problèmes de biens publics et d’externalités peuvent être résolus à un
niveau supérieur d’agrégation gouvernementale. Pour autant, Mueller et Murrell (1985) n’ont pas relevé de
relation positive entre les dépenses gouvernementales et l’urbanisation dans tous les pays, et Rodrik (1998,
tableau 1, p. 1003) a relevé une relation négative contraire à celle attendue.
La taille de l’État 585

21.2.1.2 Le revenu
Pour que les augmentations du revenu puissent expliquer les augmentations dans la taille
relative de l’État, l’élasticité-revenu de la demande pour des services gouvernementaux
doit être supérieure à un. Même si certaines estimations de β respectent cette condition 8,
un plus grand nombre ne la respectent pas, et très peu d’estimations de β sont significati-
vement supérieures à 1 9.
Toutes les études existantes estiment le paramètre β en utilisant les données du
gouvernement central et des gouvernements locaux 10. Cependant, l’essentiel de la redistri-
bution se réalise au niveau national et la redistribution est l’une des composantes des
dépenses fédérales ayant connu la hausse la plus rapide. Les estimations de β à partir des
dépenses des gouvernements centraux et locaux pourraient donc ne pas être des approxi-
mations raisonnables de l’élasticité-revenu des dépenses de redistribution au niveau natio-
nal. Malgré cela, les estimations de l’élasticité-revenu des contributions de charité tendent
aussi à rester inférieures à un, ce qui suggère que cet ajustement n’influencerait pas l’aug-
mentation de la taille des États (Clotfelter, 1985, ch. 2).

21.2.1.3 L’effet Baumol


La dernière explication de la croissance de l’État est l’élasticité-prix de la demande. La
plupart des estimations de α suggèrent qu’il est significativement plus grand que −1, impli-
quant ainsi une croissance relative de l’État s’il y a une augmentation relative des prix.
Baumol (1967a) affirme que nous devrions nous attendre à une augmentation relative du
prix des biens qui sont fournis par l’État étant donné que plusieurs d’entre eux (éducation,
protection policière) sont des services. Parce que l’augmentation de la productivité provient
8 Deacon (1977b) a noté que, dans la plupart des études, les dépenses pour les parcs et les loisirs apparaissent
comme étant élastiques par rapport au revenu.
9 Il y a de bonnes raisons de penser que les estimations existantes de l’élasticité de revenu de la demande pour
G, basé sur des données étatiques, locales et en coupe instantanée sont biaisées à la baisse. La plupart des
études supposent que le coût de fournir des services gouvernementaux est le même selon les communautés.
Cependant, un niveau donné de sécurité peut être fourni de manière bien plus économique dans les commu-
nautés riches que dans les pauvres. Ainsi, le prix de la sécurité est inférieur dans les communautés prospères
et en prenant en compte le fait que l’élasticité-prix de ce service est inférieure à l’unité, les communautés
prospères vont en consommer moins toutes choses égales par ailleurs. Avec le prix des services gouverne-
mentaux rendu constant à travers les communautés, cet effet richesse/prix est transféré à l’élasticité du revenu,
le biaisant à la baisse (Hamilton, 1983). Schwab et Zampelli (1987) ont observé une variation de β de proche
de zéro vers l’unité lorsque cette relation entre le prix et le revenu est estimée de manière appropriée. Pour
autant et en termes de prise en compte de la croissance à long terme du gouvernement, cet ajustement ne fait
que transférer les explications de la croissance du gouvernement utilisant l’équation (21.1) du terme des prix
au terme des revenus. La critique Hamilton Schwab-Zampelli implique que la croissance du revenu devrait,
toutes choses étant égales par ailleurs, baisser le coût de fourniture des services gouvernementaux, écartant
ainsi en partie l’effet de Baumol sur les prix discutés dans la prochaine sous-section. L’effet total des varia-
tions du revenu sur les dépenses mesuré par Schwab et Zempelli est à peu près nul.
10 Mueller et Murrell (1986) ont estimé la taille du gouvernement par rapport au PIB au niveau national. Même
positifs et souvent significatifs, les coefficients sur le revenu dans leurs équations étaient trop petits pour
fournir une explication pertinente de la croissance de la taille de l’État. Rodrik (1998) a relevé une relation
constamment négative et parfois significative entre le PIB par habitant et la consommation gouvernementale
en pourcentage du PIB.
586 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

principalement des évolutions technologiques dont les innovations sont typiquement


présentes dans l’équipement en capital, les chances d’augmentation de la productivité dans
le secteur des services publics sont plus faibles.
Même si l’argument peut sembler plausible, il n’est pas certain qu’il puisse être
généralisé. Par exemple, les services militaires sont plutôt intensifs en capital aujourd’hui
et dépensent des montants importants en R&D pour améliorer leur productivité. De plus,
les ordinateurs, la xérographie et autres innovations ont entraîné une augmentation de la
productivité du travail des cols blancs. Ainsi, il n’est pas évident a priori que la producti-
vité de l’État ne puisse pas rejoindre celle du secteur privé. Pour autant, il semble que cela
ne se soit pas produit. Un consensus raisonnable, observé dans les études sur la producti-
vité du secteur public, suggère que l’État est moins productif que le secteur privé avec des
taux de productivité proches de zéro voire même négatifs 11. Comme Buchanan (1977,
pp. 8-9) l’a noté, le retard de productivité du secteur public est peut-être plus symptoma-
tique de pourquoi la croissance du gouvernement est problématique plutôt que la cause de
cette croissance.
Peu importe les causes de cette croissance relative des prix des biens et services
publics fournis, elles ne semblent rendre compte que partiellement de la croissance de la
taille de l’État. Des estimations significatives de « l’effet Baumol » ont été obtenues pour
les États-Unis (Tussing et Henning, 1974 ; Berry et Lowery, 1984 ; Ferris et West, 1996),
la Suisse (Pommerehne et Schneider, 1982), la Suède (Henrekson, 1988) et l’Autriche
(Neck et Schneider, 1988). Lybeck (1986, ch. 5) offre un soutien empirique à l’effet
Baumol sur un panel de 12 pays de l’OCDE, ainsi que parmi 9 des 12 pays examinés indi-
viduellement : Australie, Autriche, Belgique, Canada, la République Fédérale d’Allemagne
(faible), Italie, Pays-Bas, Norvège, et Royaume-Uni. L’effet n’a pas été observé pour la
France, la Suède et les États-Unis.
Même si Ferris et West (1996) ont trouvé des preuves de l’effet Baumol, cela n’ex-
plique pas la totalité de la croissance dans les coûts des services gouvernementaux par
rapport à ceux des biens privés entre 1959 et 1984 aux États-Unis, mais seulement les deux
tiers. Un tiers de la croissance des coûts des services publics est dû à l’augmentation rela-
tive des salaires dans le secteur public. Ici, nous avons un exemple de « la mainmorte du
monopole » à l’œuvre dans le secteur public. Le monopole ou le quasi-monopole que l’État
possède dans la fourniture de certains services publics, comme l’éducation et la santé,
permet de faire passer les augmentations de coûts aux citoyens/consommateurs et encou-
rage les syndicats du secteur public à demander des salaires plus élevés. Ferris et West
(1996) en apportent la preuve en montrant que les augmentations de salaire des enseignants
sont plus importantes dans les juridictions où les écoles sont syndicalisées par rapport à
celles où elles ne le sont pas. Leur travail illustre le point mentionné plus tôt : toute
augmentation relative dans le coût des services publics ne peut pas être supposée détermi-
née de manière exogène.
En supposant qu’un effet Baumol existe, quelle part attribuer à cet effet dans l’ex-
plication de la croissance de l’État ? Certaines parties du budget gouvernemental (par
exemple, les transferts purs et les paiements d’intérêts) sont difficiles à concevoir comme
11 Voir en particulier Fuchs (1968), Gollop et Jorgenson (1980), Ross et Burkhead (1974, ch. 6) et la discussion
dans Pommerehne et Schneider (1982, pp. 312-13).
La taille de l’État 587

des « biens » dont les prix augmentent relativement aux biens privés. L’élément du budget
pour lequel l’effet Baumol semble être le plus approprié est peut-être ce que l’OCDE appelle
la « consommation finale », c’est-à-dire les biens et services qui sont finalement absorbés
par le gouvernement. Les dépenses de consommation finale pour les pays de l’OCDE entre
1960 et 1995 sont présentées dans le tableau 21.5. Tous les pays sauf un, les États-Unis en
l’occurrence, ont vu leurs dépenses de consommation publique augmenter en pourcentage
du PIB au cours de cette période. Les estimations de cette augmentation due à l’effet
Baumol tournent autour de 1,5 % par année 12. Au cours de la période de 1960 à 1995, une
augmentation de 1,5 % revient à une augmentation de 68,4 % dans les coûts des services
gouvernementaux relativement aux biens privés. Supposons une élasticité-prix de la
demande pour les services du gouvernement de –0,5 13, l’effet Baumol devrait alors entraî-
ner une augmentation relative de 29,8 % dans les dépenses de consommation finale. Vingt
des vingt-cinq pays du tableau 21.5 ont connu une augmentation plus importante (en pour-
centage) dans la consommation finale que ce chiffre (dernière colonne du tableau). Et huit
pays ont connu une augmentation deux fois supérieure à ce chiffre. Ainsi, l’effet Baumol
semble être capable d’expliquer l’augmentation totale des dépenses de consommation finale
pour seulement une poignée de pays de l’OCDE, même si cela n’explique probablement
qu’une partie de cette augmentation pour tous 14.

21.2.2 Le gouvernement comme redistributeur de revenus


et de richesses
Le gouvernement donne d’une main ce qu’il reprend de l’autre. Plusieurs auteurs ont criti-
qué la perspective d’un État dont l’existence est justifié par sa capacité à fournir des biens
publics et réduire les externalités, affirmant que c’est principalement une vision normative
du gouvernement, c’est-à-dire une théorie de ce que le gouvernement doit faire, et non une
description de ce qu’il est réellement. Ces auteurs affirment qu’une théorie positive du
gouvernement doit analyser la nature redistributive de ses activités. Aranson et Ordeshook
(1981) ont articulé de la manière la plus convaincante cette critique, en mettant l’accent sur
toutes les dépenses gouvernementales qui ont une composante redistributive. Les routes
doivent être construites dans un endroit ou un autre. Les contrats de construction sont attri-
bués à un ensemble d’entreprises au détriment de toutes les autres. Selon Aranson et Ordes-
hook, il est indispensable analyser les activités redistributives de l’État pour comprendre la
raison d’être du gouvernement et la raison pour laquelle il croît.

12 Voir Holsey et Borcherding (1997, p. 568) pour les références et la discussion.


13 Ce chiffre semble raisonnable par rapport aux études recensées par Borcherding (1997a, p. 49 ; 1985, pp. 364-
5).
14 Une large composante de la baisse de la consommation gouvernementale aux États-Unis entre 1960 et 1995
provient des dépenses en armement. Dans le contexte de l’équation (21.1) cette diminution doit être interpré-
tée comme une variation dans la demande gouvernementale due à un changement de « goûts » provenant de
la fin de la Guerre Froide plutôt que comme une répudiation de l’effet Baumol. Pour les autres composantes
de la consommation gouvernementale américaine, comme l’éducation (Ferris et West, 1996), l’effet Baumol
reste significatif.
588 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Tableau 21.5
Dépenses publiques de consommation finale, 1960-1995 (en % du PIB).

Pays 1960 1968 1974 1985 1990 1995 % variation


États-Unis 16,6 18,5 17,6 17,8 17,6 15,8 –4,8
Japon 8,0 7,4 9,1 19,6 9,0 9,8 22,5
Allemagne 13,7 15,9 19,8 20,5 19,4 19,5 42,3
France 14,2 14,8 15,4 19,4 18,0 19,3 35,9
Italie 12,3 13,9 14,0 16,7 17,6 16,3 32,5
Royaume-Uni 16,4 18,8 20,5 21,1 20,6 21,3 29,9
Canada 13,4 16,9 18,1 20,1 20,3 19,6 46,3
Moyenne 14,9 16,2 16,4 17,1 16,6 16,0
Australie 11,1 14,1 15,6 18,5 17,2 17,3 55,9
Autriche 13,1 14,9 15,9 19,3 18,6 20,2 54,2
Belgique 12,4 13,6 14,7 17,0 14,1 14,8 19,4
Danemark 13,3 18,6 23,4 25,3 25,3 25,2 89,5
Finlande 11,9 15,3 15,2 20,2 21,1 21,9 84,0
Grèce 8,3 9,1 9,8 14,4 15,3 14,1 69,9
Islande 10,4 12,9 15,9 17,5 19,2 20,8 100,0
Irlande 11,9 12,8 16,5 17,8 14,8 14,7 23,5
Luxembourg 8,3 10,2 9,7 13,3 13,4 13,1 57,8
Mexique 5,7 6,9 8,3 9,0 8,4 10,4 82,5
Pays-Bas 12,2 14,4 15,7 15,8 14,5 14,3 17,2
Nouvelle-Zélande 10,5 13,0 14,7 16,2 17,0 14,3 36,2
Norvège 12,4 16,0 17,7 18,2 20,8 21,1 70,2
Portugal 9,7 12,1 13,0 14,3 15,7 18,1 86,6
Espagne 8,4 9,1 9,9 14,7 15,6 16,6 97,6
Suède 16,1 20,0 23,5 27,9 27,4 25,8 60,2
Suisse 9,6 11,3 12,7 14,5 14,6 15,0 56,2
Turquie 7,6 9,0 10,2 8,9 11,0 10,8 42,1
Moyenne 10,4 12,2 13,4 15,4 15,2 15,6
Total UE 15 13,7 15,2 16,8 19,0 18,5 18,7
Total OCDE 14,2 15,5 15,8 16,8 16,3 15,9

Source : OECD Economic Outlook : Historical Statistics, 1960-1995, p. 70.

21.2.2.1 Le modèle de Meltzer et Richard


Meltzer et Richard (1978, 1981, 1983) ont peut-être présenté la plus simple et pourtant la
plus élégante des analyses en théorie des choix publics sur la croissance de l’État. Leur
modèle suppose que toutes les activités gouvernementales consistent en une redistribution.
Cette redistribution survient à travers une allocation directe per capita de r, financée par
une taxe proportionnelle de t prélevée sur l’ensemble des revenus. Si y est la moyenne des
La taille de l’État 589

revenus par tête, un budget public équilibré implique :

r = ty (21.2)

L’utilité d’un individu dépend de sa consommation c et de son niveau de loisir l. En défi-


nissant n comme la part du temps total de travail, nous obtenons les équations suivantes :

l =1−n (21.3)
c = (1 − t)y + r (21.4)

Meltzer et Richard supposent que le revenu dépend d’une habilité ou d’un facteur de
productivité x, qui est distribué aléatoirement à travers la population. Pour un nombre
d’heures données qu’un individu travaille, son revenu sera plus élevé si le facteur x est plus
grand :
y = nX (21.5)

Pour t et r donnés, le seul choix offert à un individu est le nombre d’heures de travail qu’il
effectue, n. En maximisant U (c, l) en fonction de n, étant donné (21.3) et (21.5), on obtient
les conditions de premier ordre :

Uc (1 − t)x = Ul (21.6)

Ul
= (1 − t)X (21.7)
Uc

Le taux marginal de substitution entre le loisir et la consommation est égal au taux margi-
nal de productivité net d’imposition du temps d’un individu. À partir de (21.7) on peut
obtenir le nombre d’heures qu’un individu travaille. Dans le cas spécifique d’une fonction
d’utilité de type Stone-Geary, U = ln(c + γ ) + a ln(l + λ) , on obtient pour un nombre
d’heures optimal :
(1 − t)(1 + λ)x − a(r + γ )
n= (21.8)
(1 − t)(1 + a)x

Le dénominateur de (21.8) doit être positif, mais si x est assez petit, le numérateur peut être
négatif. Évidemment, n ne peut pas être négatif ; ainsi, il y a un niveau d’habileté critique,
x0 , pour lequel à l’optimum n = 0 ; nous pouvons déduire de (21.8) que :

a(r + γ )
x0 = (21.9)
(1 − t)(1 + λ)

Même si r et t sont exogènes du point de vue d’un individu, ils sont endogènes au système
politique. Substituons (21.8) dans la fonction d’utilité de l’individu pour montrer que l’uti-
lité d’un individu dépend ultimement de r et t. Quand nous choisissons e et t, l’électeur
rationnel le prend en considération ainsi que la relation entre r et t donnée par (21.2). Main-
tenant ∂ y/∂t < 0 , c’est-à-dire que le revenu moyen diminue au fur et à mesure que le
niveau de taxation augmente à cause des effets incitatifs négatifs d’une taxe plus impor-
590 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

tante sur l’effort 15. Ainsi, r est une fonction de t, augmentant à un taux décroissant jusqu’à
−d y/dt = y/t et ensuite décroît (voir le graphique 21.1). Les électeurs qui travaillent ont
des courbes d’indifférences qui ont une pente positive comme U 1 et U 2 (U 2 > U 1 ),
puisque des taxes plus élevées diminuent l’utilité et qu’un accroissement des subventions
l’augmente. Les électeurs qui ne travaillent pas ne voient pas leur utilité affectée par un
changement en t. Leurs courbes d’indifférence sont des droites horizontales comme U 3 et
U 4 , avec U 4 > U 3 . Chaque électeur rationnel reconnaît que r = yt constitue un ensemble
d’opportunités en choisissant t (ou r). Chaque électeur choisit la combinaison de t et r le
long de la courbe r = yt qui maximise son utilité. Les électeurs qui ne travaillent pas choi-
sissent le taux t0 qui maximise les transferts en argent. L’électeur avec x > x0 va favoriser
un t plus petit que t0 . Si tous les électeurs ont la même fonction d’utilité et se distinguent
seulement dans leur facteur d’habilité, x, les électeurs avec un plus grand x ont des courbes
d’utilité plus pentues et vont favoriser un t plus bas. Les électeurs sont par essence confron-
tés à un seul choix avec t qui définit uniquement r. Une variante du théorème de l’électeur
médian, qui fut démontré pour la première fois par Roberts (1977), peut être utilisée pour
établir l’existence d’un équilibre sous la règle de la majorité. Si U 1 et U 2 sont les courbes
d’indifférence pour l’électeur médian, alors tm − rm est la combinaison taxe-subvention
optimale.

Figure 21.1
Choix optimal de t.

15 Il est à noter que quand t augmente, plus d’individus choisissent de ne pas travailler :
∂ x0 a(r + γ )
= > 0.
∂t (1 + γ )(1 − t)2
La taille de l’État 591

21.2.2.2 Hypothèses additionnelles sur les liens entre redistributions


et la croissance de l’État
Trois hypothèses additionnelles reliant la taille de l’État et la redistribution doivent être
mentionnées. L’hypothèse la plus proche de Meltzer et Richard est celle de Cusack (1997).
Les gouvernements de centre-gauche sont censés favoriser une plus grande redistribution
et des budgets plus importants que les gouvernements de centre-droit. Des régressions en
données de panel pour 15 pays de l’OCDE pour la période de 1955 à 1989 confirment cette
prédiction. Bien sûr, l’hypothèse ne peut pas expliquer la croissance séculaire de l’État sans
une hypothèse supplémentaire qui stipule que les positions idéologiques des partis (et des
électeurs) se sont déplacées avec le temps vers la gauche du spectre politique.
Au lieu de voir la redistribution comme un simple transfert involontaire des riches
vers les pauvres, Kristov, Lindert et McClellan (1992) voient la redistribution comme le
résultat de l’affinité sociale entre les différents groupes dans la distribution des revenus.
Leurs hypothèses sont proches de l’optimum de Pareto et de l’idée d’une redistribution aux
motifs d’assurance sociale. Elles reposent aussi sur le modèle de l’électeur médian, et
partent du postulat que plus la classe moyenne a des affinités avec la classe supérieure, plus
l’écart entre les revenus des classes supérieures et moyennes diminue. Ainsi, l’ampleur de
la redistribution publique est une fonction positive de cet écart. De manière similaire,
quand la classe moyenne a plus d’affinité avec les pauvres, l’écart entre les revenus des
classes pauvres et moyennes diminue. Ainsi, l’ampleur de la redistribution publique est une
fonction négative avec la taille de cet écart. Ils affirment aussi que moins il y a d’affinité
sociale avec les plus pauvres, moins il y a de redistribution des revenus, et plus les revenus
augmentent rapidement. Kristov, Lindert et McCelland (1992) prédisent qu’il y a une rela-
tion entre la forme de la distribution des revenus et le montant de redistribution, mais cette
relation n’est pas la même que celle proposée par Meltzer et Richard.
Peltzman (1980) a présenté une autre explication de la croissance de l’État qui
dépend de la forme de la distribution des revenus. À la différence des modèles précédents,
l’explication de Peltzman ne s’appuie pas sur le théorème de l’électeur médian. Une forme
de gouvernement représentatif est envisagée, dans laquelle les candidats sont en concur-
rence pour les suffrages en promettant de redistribuer les revenus vers les groupes d’élec-
teurs qui acceptent de se joindre à la coalition des partisans du candidat. Peltzman pense
que plus la distribution des revenus parmi les partisans potentiels d’un candidat est égali-
taire, plus la force de négociation du groupe sera importante. Ainsi, plus la distribution
initiale des revenus entre les électeurs est égalitaire, plus le candidat doit promettre un plus
grand montant de redistribution. Peltzman accorde de l’importance au niveau d’éducation
comme facteur augmentant l’égalité des revenus avant les transferts ; l’éducation devient
alors un facteur explicatif de la croissance de la taille de l’État. L’hypothèse de Peltzman
dépend de l’égalité grandissante des revenus entre les membres potentiels de la coalition,
alors que l’hypothèse de Meltzer et Richard repose sur l’inégalité croissante dans la distri-
bution des revenus entre les électeurs non partisans.
592 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

21.2.2.3 Quelques difficultés logiques et/ou empiriques avec l’hypothèse


reliant redistribution et croissance de l’État
Les articles de Meltzer-Richard et Peltzman discutent du rôle du gouvernement comme si
l’État était exclusivement engagé dans des activités de redistribution. Aranson et Ordes-
hook (1981), Brunner (1978) et Lindbeck (1985) se sont aussi concentrés sur les activités
de redistribution de l’État, mais si la redistribution est une activité essentielle de l’État, il
reste que certains arguments logiques supplémentaires manquent pour expliquer la crois-
sance dans la taille de l’État telle qu’observée aujourd’hui dans plusieurs pays. En effet, les
activités de l’État ne sont pas exclusivement redistributives.
L’État s’est développé beaucoup plus qu’il est nécessaire pour assurer seulement
une fonction de redistribution. Si un groupe ou une coalition de groupes utilise les institu-
tions démocratiques pour s’emparer d’une part plus grande de la redistribution, alors on
pourrait supposer que ce groupe pour obtenir cette situation dépensera un montant de
ressources inférieur à la redistribution obtenue. Le nombre de programmes et de personnes
qui composent le gouvernement semble bien plus important que nécessaire pour assurer la
politique de la redistribution.
Meltzer et Richard, Peltzman et dans une certaine mesure Kristov, Lindert et
McClelland (1992) supposent que toute redistribution est un transfert des riches vers les
pauvres 16. Mais cette vision de la redistribution gouvernementale n’est pas réaliste empi-
riquement. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 3, les bénéficiaires de ces transferts
sont situés tout le long de la distribution des revenus, avec pour certains pays un quintile
supérieur recevant plus de transferts que le quintile inférieur 17. En effet, si toute activité de
l’État peut être caractérisée par une certaine forme de redistribution, l’élément le plus
saillant est probablement l’absence de mouvements unidirectionnels (Aranson et Ordes-
hook, 1981 ; Brunner, 1978).
Le caractère multidimensionnel de la redistribution rend difficile la rationalisation
de toute activité étatique comme étant purement motivée par un principe de redistribution.
Si tous les programmes publics consistent à prendre à un groupe pour donner à un autre, et
si tous les citoyens sont positionnés aux deux extrémités du processus de redistribution, qui
est le gagnant de ce processus ? Pourquoi les citoyens n’abolissent-ils pas simplement
l’État, évitant ainsi d’énormes pertes sèches dues à une redistribution à somme nulle ? Soit
il existe certaines personnes qui sont gagnantes dans ce processus de redistribution (c’est-
à-dire susceptibles de maintenir et/ou d’étendre leurs gains), soit toute activité gouverne-
mentale n’est pas seulement motivée par un principe de redistribution. Si cette dernière
possibilité explique la croissance de l’État, alors qui sont les gagnants de ce processus et
comment atteignent-ils leur but en respectant les règles du processus démocratique ? Si une
proportion significative de l’activité gouvernementale n’est pas purement motivée par un
principe de redistribution, mais plutôt par exemple par la fourniture de biens publics, alors
la logique explicative de la croissance de l’État comme étant le résultat d’une lutte pour une
redistribution reste problématique. Quand nous avons admis qu’une partie importante des
16 Peltzman (1980) prend ses distances vis-à-vis de cette supposition à la fin de son article (pp. 285-7).
17 Dans leur discussion sur la croissance de l’État en Italie, Frantianni et Spinelli (1982) mettent l’accent sur l’im-
portance grandissante des programmes spéciaux pour aider les entreprises.
La taille de l’État 593

dépenses publiques était dédiée à la fourniture de biens publics, alors tous les objectifs de
redistribution peuvent être atteints simplement en modifiant le partage fiscal entre les indi-
vidus ou entre les groupes d’individus 18. On n’a pas généralement besoin de dépenser des
montants monétaires en faveur d’un groupe pour lui permettre d’acheter des biens privés.
Un des postulats des modèles de Meltzer-Richard et Peltzman établit que les béné-
ficiaires de la croissance de l’État encouragent cette croissance. Dans le modèle de Meltzer-
Richard, tous les électeurs avec un revenu inférieur à la médiane sont en faveur de
l’augmentation des transferts gouvernementaux. Pourtant, les enquêtes nous montrent que
les plus grands bénéficiaires de cette croissance, comme notamment les employés de la
fonction publique et les prestataires de l’aide sociale, n’ont pas de préférences significative-
ment différentes par rapport aux autres électeurs concernant les propositions de limitation de
la charge fiscale (Courant, Gramlich et Rubinfield, 1981 ; Gramlich et Rubinfield, 1982b).

21.2.2.4 Tests empiriques directs de l’hypothèse du lien entre redistribution


et taille de l’État
Une des preuves que Meltzer et Richard avancent pour soutenir leur thèse est l’expansion
constante du droit de vote depuis les deux derniers siècles. Justman et Gradstein (1999) ont
développé un modèle de participation électorale et de politiques de redistribution publiques
qui va dans le même sens que les hypothèses de Meltzer et Richard autour de la fameuse
relation en U inversé de Kuznets (1955) entre l’inégalité des revenus et les revenus par tête.
Cette forme en U inversé s’applique parfaitement à l’histoire de la Grande-Bretagne 19.
Justman et Gradstein affirment que les revenus de l’électeur médian sont au-dessus de la
moyenne en Grande-Bretagne au début du XIXe siècle, puisque seulement un sixième de la
population était autorisée à voter. Les politiques de redistribution à cette époque étaient
régressives et ont accru les inégalités de revenus. L’augmentation du revenu moyen observé
au cours du XIXe siècle provient d’une extension continue du droit de vote à une plus
grande partie de la population, jusqu’à ce que ce que le revenu de l’électeur médian
converge vers la moyenne et que les politiques de redistribution deviennent progressives.
Husted et Keeny (1997), Abrams et Settle (1999) et Lott et Kenny (1998) offrent
aussi des explications de la croissance de l’État en tenant compte des changements dans le
droit de vote et dans la participation des électeurs qui conduisent les citoyens les plus
pauvres vers les bureaux de vote, et ainsi, augmentent la demande pour des services
gouvernementaux. Husted et Kenny soulignent l’impact de la disparition de la taxe sur le

18 Voir Mueller et Murell (1985). Évidemment, ces groupes qui ne paient pas de taxes pour financer la part des
biens publics dans le budget public peuvent être en outre subventionnés par un programme de dépense ou de
transfert, mais il n’y a pas assez de groupes pour expliquer les activités actuelles du gouvernement dans la
plupart des pays. On pourrait objecter que les réductions d’impôt ne peuvent pas toujours être conçues pour
bénéficier à des groupes spécifiques, mais le nombre de niches fiscales et la complexité des législations contre
de telles niches démentent ce point. Hettich et Winer (1988, 1999) analysent les effets de la pression politique
pour obtenir une redistribution de la structure fiscale.
19 Cela correspond aussi à quelques autres pays (voir p. ex. Linbert et Williamson, 1985), mais en général les
recherches qui en découlent ne vont pas dans le sens de « l’hypothèse de Kuznets » (voir Anand et Kanbur,
1993 ; Deininger et Squire, 1996).
594 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

vote (poll tax) et des tests d’alphabétisation dans le Sud des États-Unis, alors qu’Abrams
et Settle et Loft et Kenny sur l’extension du droit de vote des femmes en Suisse et aux
États-Unis.
Une difficulté logique avec les hypothèses de Meltzer-Richard-Justman-Gradstein-
Abrams-Settle-Lott-Kenny est qu’en accordant le droit de vote à une plus grande partie de
la population au cours des XIXe et XXe siècles, l’électeur médian se met dans une situation
qui lui est désavantageuse 20. Pourquoi, par exemple les électeurs, par leur représentant au
Parlement, ont-ils voté pour le Second Reform Act de 1867 qui a accordé le droit de vote
aux travailleurs plus qualifiés, en conséquence de quoi le nouvel électeur médian dispose
d’un revenu familial inférieur au revenu moyen par foyer mais également une préférence
pour la redistribution, ce qui annonce le début d’un changement radical dans les politiques
économiques en faveur de la redistribution et qui culmine avec la fondation de l’État-
providence moderne à la fin du siècle » ? Une réponse possible est que l’électeur médian
de 1867 a craint que l’alternative à l’affaiblissement de sa position au sein du processus
démocratique soit un changement radical de sa situation à travers une voie notamment
révolutionnaire. De manière similaire, l’électeur médian masculin dans chacune des démo-
craties a peut-être semblé fatigué au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle de voir
sa femme et les autres femmes de son voisinage protester dans la rue et à la maison, et a
éventuellement opté pour la paix à court terme contre une perte d’avantages économiques
à long terme en accordant le droit de vote aux femmes. Mais l’histoire démocratique ne
peut être entièrement comprise par un modèle qui suppose que ce sont uniquement les
préférences d’un électeur médian égoïste qui dicte les résultats politiques.
Un test plus direct et rigoureux de l’hypothèse de Meltzer-Richard est de vérifier
les prédictions concernant une relation positive entre le ratio du revenu moyen sur le revenu
médian (y/ym ) et la taille du gouvernement. Meltzer et Richard (1983) ont testé cette hypo-
thèse à partir de séries temporelles sur les États-Unis entre 1938 et 1976. La stratégie empi-
rique de leur modèle implique des régressions de plusieurs mesures de transferts
gouvernementaux en pourcentage du PIB ajustées par le ratio de dépendance, F, la partie
de la population qui ne paie pas de taxes, sur (y/ym ) et (1/ym ). Cette équation est une
approximation linéaire de l’expression compliquée des transferts que l’on peut déduire de
leur modèle. Les trois mesures de transferts sont :
t2 = fourniture publique de biens privés
t3 = transferts
t = t2 + t3
Le ratio y/ym devrait avoir un coefficient de 1. Son coefficient estimé est inférieur
à 1, mais positif et significatif pour les trois définitions de transferts, validant d’une certaine
manière l’hypothèse de Meltzer-Richard (voir le tableau 21.6a).
Le ratio y/ym est essentiellement une mesure de l’asymétrie de la distribution des
revenus. Comme Tulock (1983) l’a montré, le ratio est plus ou moins resté constant depuis
la Seconde Guerre mondiale, expliquant de facto une partie significative de la croissance
de l’État. Meltzer et Richard testent essentiellement les montants en régressant une varia-
20 Cette difficulté logique ne peut pas survenir avec l’argument de Husted-Kenney dans la mesure où il dépend
de l’abolition de la poll tax et des tests d’analphabétisme dans le Sud des États-Unis et du fait que ces chan-
gements ont été imposés aux États du Sud par la Cour fédérale.
La taille de l’État 595

ble de tendance de long terme sur une autre. Toute autre variable de tendance à long terme
peut produire une corrélation similairement élevée. Un meilleur test pour leur hypothèse
serait d’utiliser des données de panel qui ne sont pas dominées par des tendances.
Gouveia et Masia (1998) ont réalisé un tel test en utilisant des données pour 50
États entre 1979 et 1991. Ces données sont particulièrement adéquates pour tester l’hypo-
thèse de Meltzer et Richard, parce qu’il y a des variations importantes dans la distribution
des revenus entre les États durant cette période. De plus, en utilisant des données pour des
entités politiques d’un même pays, Gouveia et Masia éliminent une partie de l’hétérogé-
néité culturelle et institutionnelle qui nuit aux comparaisons transnationales. Trois des
régressions de Gouveria et Masia sont présentées dans le tableau 21.6b. Le signe de (y/ym )
est contraire à celui attendu pour les trois estimations, et statistiquement non significatif
pour deux d’entre elles. Même si l’asymétrie de la distribution des revenus ne semble pas
être reliée significativement à la redistribution entre les 50 États, l’hypothèse relative au
lien entre redistribution et taille de l’État est confirmée par la présence de coefficients posi-
tifs et significatifs sur (1/ym ). Les transferts augmentent au fur et à mesure que le revenu

Tableau 21.6a
Estimations du modèle Meltzer-Richard sur données américaines, 1937-40, 1940-76.

Variables indépendantes
Variable dépendante ln (y/ym–1) 1/ym R2
ln t (1 – F ) 0,57 –1,081 0,80
(9,1) (5,0)
ln t2 (1 – F ) 0,48 28,3 0,73
(9,2) (0,16)
ln t3 (1 – F ) 0,67 –3,461 0,79
(5,5) (–8,1)

Source : Meltzer et Richard (1983, tableau 1)

Tableau 21.6b
Estimations du modèle Meltzer-Richard sur données américaines, 1937-40, 1940-76.

Variables indépendantes
Variable dépendante ln (y/ym–1) 1/ym R2
ln t(1 – F) –0,05 9,879 0,93
(5,77) (11,96)
ln t2(1 – F) –0,007 4,29 0,91
(0,52) (3,43)
ln t3(1 – F) –0,076 12,175 0,92
(6,91) (12,32)

Note : y signifie revenu moyen, ym signifie revenu médian ; F = taux de dépendance ; t2 = fourniture publique de biens privés ; t3 =
transferts de revenu ; t = t2 + t3 ; les t de Student sont entre parenthèses.
Source : Gouveia et Masia (1998, tableau 4)
596 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

de l’électeur médian diminue, tout en gardant l’asymétrie de la distribution des revenus


constante.
Kristov, Lindbert et McClelland (1992) ont aussi obtenu des coefficients négatifs,
et dans un cas un coefficient significatif, à une variable proxy du ratio de la moyenne du
revenu médian dans leurs régressions utilisant des données pour 13 des pays de l’OCDE
(1960-1981). Par contre, l’écart entre les revenus des classes supérieures et moyennes et
l’écart entre les revenus des classes pauvres et les classes moyennes ont des coefficients
respectivement positif et négatif comme le prévoit l’équation qui tente d’expliquer les
transferts pour les pauvres. Une autre confirmation pour l’hypothèse de l’affinité sociale est
fournie par le coefficient négatif et significatif de la croissance dans l’équation. Même si
Peltzman (1980) a observé une relation négative entre l’asymétrie de la distribution des
revenus et l’ampleur de la redistribution comme son hypothèse le prédit, les résultats de
Kristov, Lindert et McClelland soutiennent faiblement cette explication.
Même si des difficultés logiques apparaissent au cœur des théories qui expliquent
la taille de l’État comme étant strictement motivée par la redistribution, combinées avec
une validation empirique mitigée voire contradictoire, il est difficile de rejeter complète-
ment leurs apports à l’explication de la croissance de l’État, en particulier au regard de la
redistribution des dépenses publiques (tableau 21.7 et discussion dans Tanzi et Schuknecht,
2000, p. 30-2). Mais ces arguments et preuves montrent sans aucun doute que les hypothè-
ses mises en avant jusqu’à maintenant sont inadéquates. Certains éléments supplémentai-
res sont indispensables pour compléter l’histoire. Parmi eux, les groupes d’intérêt et les
bureaucrates constituent de sérieux déterminants à la croissance de l’État.

21.2.3 Les groupes d’intérêt et la croissance de l’État


L’analyse pionnière de la théorie des choix publics sur la question de la taille de l’État est
peut-être l’argument classique de Tullock (1959) sur la loi de la majorité. Tullock a utilisé
un exemple dans lequel une communauté de 100 fermiers vote sur des propositions en vue
de réparer des routes d’accès, chacune d’elles bénéficiant seulement à quelques fermiers.
En présence d’une règle de décision de type majorité simple, une coalition victorieuse de
51 voix est prédite, impliquant que seules les routes qui desservent les 51 fermiers vont être
réparées. Parce que ces 51 fermiers paient seulement 51 pourcent des coûts de réparation
de leurs routes, ils votent pour maintenir un niveau d’entretien plus élevé que s’ils avaient
dû assurer l’ensemble des coûts. Ainsi, nous pouvons dire que la règle majoritaire débou-
che sur un niveau de dépenses gouvernementales excessif, relativement à un niveau
correspondant à l’optimum de Pareto atteint sous une règle d’unanimité. Si la loi de l’una-
nimité était en vigueur, il n’y aurait aucune incitation pour qu’un gouvernement (c’est-à-
dire la communauté à laquelle les 100 fermiers appartiennent) répare les routes. Chaque
groupe de fermiers pourrait s’entendre pour réparer leurs propres routes. La réparation des
routes d’accès ne serait pas un enjeu public dans cette communauté de 100 personnes 21.

21 Pour deux modèles plutôt différents du processus de « pork-barrel » ou favoritisme territorial, mais qui néan-
moins impliquent d’importants budgets inefficaces, voir Weingast, Shepsle et Johnsen (1981), et Schwartz
(1994).
La taille de l’État 597

Alors que cet exemple de Tullock illustre comment le gouvernement peut devenir
trop gros en présence d’une loi majoritaire, il illustre aussi certaines des questions trou-
blantes soulevées plus tôt. Si une coalition de 51 fermiers peut imposer des taxes à leurs
voisins sans que ces derniers en bénéficient, pourquoi les 51 fermiers ne prennent-ils pas
simplement l’argent sous forme de transfert monétaire et ne réparent-ils pas leurs routes
eux-mêmes au niveau optimal, plutôt que de déléguer au gouvernement des réparations
trop importantes qui se révéleront sous-optimales ?
Dans le chapitre précédent, nous avons examiné la manière à partir de laquelle les
groupes d’intérêts peuvent influencer les législations à travers leurs contributions aux
campagnes électorales et leurs efforts de lobbying. Il a déjà été démontré l’influence des
groupes d’intérêt sur la législation en matière de soutien aux prix agricoles, de tarifs et de
réglementations, qui réduit la concurrence. Toutefois, aucune des interventions de l’État
n’affecte sa taille, ses dépenses ou le niveau d’impôts par rapport au PIB, comme nous
l’avons vu dans ce chapitre 22. Une mesure idéale de la taille de l’État devrait inclure son
impact réglementaire sur l’économie, toutefois personne n’a encore construit un tel indica-
teur.
Si nous limitons notre analyse à la taille de l’État mesurée par les dépenses et les
impôts, nous obtenons des prédictions contradictoires. Certains groupes d’intérêt vont
favoriser de plus grandes dépenses gouvernementales (les conducteurs d’automobiles ou de
camions font pression pour un budget plus substantiel d’infrastructures de transports), mais
d’autres favorisent des dépenses moindres (les groupes environnementalistes s’opposent à
de nouvelles constructions d’autoroutes par exemple). Chacun préfère recevoir des subven-
tions plus importantes, mais veulent acquitter un minimum d’impôts. Certains groupes
d’intérêt sont efficaces dans l’obtention des deux. De tels efforts peuvent simplement
déplacer la charge de l’impôt et le bénéfice des subventions sans changer l’effet net total.
L’effet net des groupes d’intérêt sur la taille de l’État ne peut donc pas être déterminé a
priori. C’est une question empirique.
À première vue, les groupes de pression sont couronnés de succès dans la réduction
de leur charge fiscale. Par exemple et jusqu’à récemment, la production de pétrole en Europe
de l’Ouest était insignifiante relativement à celle des États-Unis et les taxes sur les produits
pétroliers en Europe de l’Ouest étaient beaucoup plus élevées. De même, les États produc-
teurs de tabac ont des taxes sur les cigarettes plus faibles que les États non producteurs.
Hunter et Nelson (1989) ont apporté des preuves concernant la Louisiane qui établissent que
les fermiers et les riches propriétaires terriens sont capables de réduire leur charge fiscale.
Rice (1986) a présenté des résultats qui suggèrent que les syndicats de travailleurs
ainsi que d’autres groupes d’intérêt sont en mesure de forcer le gouvernement à introduire
des programmes qui compensent les difficultés économiques. Ces mêmes programmes sont
source d’explication de la croissance de l’État dans les pays européens entre 1950 et 1980.
Naert (1990) a aussi montré que de 1961 à 1984 les syndicats de travailleurs belges ont
réussi à obtenir des augmentations significatives dans certains postes budgétaires dont
bénéficient leurs membres, comme les services sociaux ou de santé publique. Congleton et
Bennet (1995), d’un autre côté, ont trouvé que l’influence des groupes d’intérêt sur les
22 Bien sûr, un programme de soutien aux prix agricoles peut déboucher sur un ministère de l’agriculture plus
important, mais ces effets indirects sur la taille de l’État ont peu de chances d’être significatifs.
598 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

dépenses d’autoroutes d’État était très importante. Les conducteurs de camions réussissent
à influencer le niveau de dépenses, et les conducteurs de trains étaient encore plus effica-
ces pour réduire les mêmes dépenses. Mais prises ensemble, les variables caractérisant l’ac-
tivité des groupes d’intérêt n’ont pas apporté une valeur ajoutée considérable au pouvoir
explicatif du modèle de l’électeur médian sur les dépenses autoroutières.
Plusieurs études ont tenté de lier la puissance des groupes d’intérêt à la taille de
l’État. Par exemple, North et Wallis (1982) proposent un parallèle entre la croissance de
l’État et celle des postes de cols blancs et des postes de direction dans le secteur privé. Ces
deux phénomènes ont été vus comme une réponse à des coûts de transaction plus élevés
pour organiser l’économie de marché fondée sur une spécialisation grandissante (voir aussi
North, 1985) : « la spécialisation grandissante crée aussi un nombre considérable de
nouveaux groupes d’intérêt » (North et Wallis, 1982, pp. 340). Les demandes de ces
groupes ne visent pas seulement la redistribution des richesses, mais aussi la réduction des
coûts de transaction que ces groupes supportent au sein d’une société qui se spécialise
toujours plus. Ainsi, l’influence des groupes d’intérêt sur les activités publiques agit à la fois
du côté d’une allocation plus efficace mais aussi en termes de redistribution. North et Wallis
ont élargi leur argument par l’emploi de données qui montrent qu’en excluant la défense et
les transferts, les dépenses publiques de l’État central ont crû plus rapidement que le secteur
public depuis la Deuxième Guerre mondiale, et presque aussi vite que les transferts.
L’explication par les coûts de transactions pour comprendre la croissance de l’État
est la plus générale. Le chapitre 2 a rappelé que l’existence d’externalités et de biens
publics n’est pas suffisante pour justifier la création de l’État. L’État a plutôt émergé
comme une institution réduisant les coûts de transaction associés à la fourniture de biens
publics et à la correction des externalités. Alors logiquement, l’augmentation des efforts
gouvernementaux pour réduire les coûts de transaction semble la meilleure explication de
la croissance de l’État. Mais la généralité du concept de coût de transaction rend plus diffi-
cile une définition précise de certains coûts de transaction particuliers qui doivent être
réduits en identifiant les postes budgétaires alloués à cet objectif. Par exemple, tous les
pays industrialisés peuvent mettre en place une imposition sur le revenu, pourtant cette
collecte de ressources crée des secteurs publics de taille très différente au Japon et en Suisse
en comparaison avec la Suède et les Pays-Bas. Est-ce que les coûts de transactions inhé-
rents aux groupes d’intérêt diffèrent grandement entre pays ?
Mueller et Murell (1985, 1986) ont démontré empiriquement que les groupes d’in-
térêt affectent la taille de l’État. Ils ont décrit le processus politique par lequel les partis
politiques accordent des faveurs à des groupes d’intérêt en échange de leur soutien électo-
ral. Quand ces faveurs prennent la forme de biens/services publics ciblés à un groupe, mais
avec des retombées pour d’autres groupes, l’État croît davantage. Le nombre de groupes
d’intérêt dans un pays a un effet positif et significatif sur la taille relative du secteur public
dans un échantillon en coupe instantanée des pays de l’OCDE pour l’année 1970.
Lybeck (1986, pp. 88-96) a trouvé que la taille relative du gouvernement en Suède
varie à travers le temps en rapportant la part des employés qui étaient membres de groupes
d’intérêt. McCormick et Tollison (1981, pp. 45-9) ont trouvé que le nombre de réglemen-
tations économiques à l’intérieur d’un État est influencé directement par le nombre d’as-
sociations commerciales (chambres de commerce) enregistrées dans l’État.
La taille de l’État 599

Pour expliquer la croissance de l’État à travers le temps en utilisant une de ces


hypothèses, on doit bien sûr supposer soit que les groupes d’intérêt ont un pouvoir de négo-
ciation qui a cru à travers les années, soit que les gouvernements se sont désunis à travers
le temps, ou une combinaison des deux.
L’étude mentionnée ci-dessus n’apporte toutefois pas de preuve de changements
séculaires. Olson (1982) a discuté des conditions qui favorisent la croissance des groupes
d’intérêt, que Murell a validées empiriquement. La stabilité de l’environnement écono-
mique et politique dans les pays développés de l’Ouest après la Deuxième Guerre mondiale
a facilité la croissance de ces groupes d’intérêt, selon les thèses d’Olson, croissance qui à
son tour explique les performances macroéconomiques relativement faibles de plusieurs
pays européens dans le dernier quart du XXe siècle. Si le nombre de groupes d’intérêt effi-
caces dans les pays développés a augmenté depuis la Seconde Guerre mondiale, alors leur
croissance peut contribuer à expliquer la croissance relative de l’État 23. La croissance de
l’État et les inefficacités macroéconomiques devraient, à leur tour, être liées ensemble.
Cette relation est discutée dans le prochain chapitre.

21.2.4 L’administration et la croissance du gouvernement


Les programmes gouvernementaux ne sont pas simplement apparus du fait de l’activité de
certains groupes d’intérêt. Ils font avant tout l’objet d’un long processus de « fabrication ».
Le plus souvent, l’initiateur d’un programme est une partie du gouvernement : une agence
ou un bureau gouvernemental. L’État peut croître non seulement à cause de dépenses gran-
dissantes sollicitées par les citoyens, les groupes d’intérêts et les législateurs, mais aussi
parce demandées par les administrations responsables de la mise en œuvre des programmes
publics. Les bureaucraties sont alors une force indépendante qui participe aussi à la crois-
sance de l’État.
Dans le chapitre 16, nous avons examiné plusieurs hypothèses pour expliquer
pourquoi les bureaucrates peuvent souhaiter de plus gros budgets et apporté des preuves
empiriques de la capacité des bureaucrates à établir l’agenda politique dans certains contex-
tes. Ainsi, les bureaucrates semblent être une source non négligeable d’expansion du
secteur public.
Néanmoins, l’application de la théorie de la bureaucratie pour expliquer la taille de
l’État et sa croissance n’est pas exempte de certaines difficultés logiques. Le modèle de
Niskanen (1971) prédit un budget presque deux fois supérieur à ce qui est demandé. Il est
facile de voir pourquoi une administration souhaiterait obtenir un budget plus élevé pour
une politique publique donnée. Ce budget supplémentaire pourrait être utilisé pour offrir
des primes salariales, plus de temps de loisir (grâce à un personnel plus important), plus de
privilèges spéciaux, et tout un tas d’avantages qui rendent la vie d’un bureaucrate plus agré-
able pendant et après le travail. Mais le pouvoir d’obtention de ces bénéfices ne doit pas
être exagéré. Les augmentations de salaire sont des mesures très visibles du pouvoir de la

23 Mueller et Murell (1985, 1986) tiennent compte des groupes d’intérêt et de la taille de l’État comme étant des
variables endogènes.
600 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

bureaucratie ; les voyages et autres privilèges spéciaux peuvent aussi être contrôlés. Une
assemblée élue devrait être en mesure d’exercer un certain contrôle sur de tels postes
budgétaires.
Une autre perspective parfois mobilisée pour justifier des budgets plus élevés est
d’étendre les prérogatives de l’administration, et ainsi demander des salaires plus élevés
pour permettre à l’administration de satisfaire les nouveaux besoins engendrés par ces
missions plus larges. Niskanen (1971, p. 38) a postulé que le « salaire d’un bureaucrate et
les privilèges spéciaux de l’administration, la réputation publique, le pouvoir [et] le patro-
nage » sont tous positivement liés à la taille de l’administration. Niskanen part de ce postu-
lat pour analyser les conséquences de la maximisation par les bureaucrates de la taille de
leurs budgets. Sans surprise, le modèle implique des budgets plus importants que souhai-
tés par les législateurs. L’analyse de Niskanen est devenue un cadre théorique incontour-
nable de la littérature sur la croissance de l’État.
Le modèle de bureaucrates maximisant leur budget a une certaine résonance avec
les modèles de la firme soutenant que les cadres supérieurs maximisent la taille de leur
firme, sa croissance, et toute autre variable reliée à la taille telle que le nombre de cols
blancs (Baumol, 1959 ; Marris, 1964 ; Williamson, 1964).
Le cadre supérieur d’une compagnie dont les ventes atteignent 10 milliards d’euros
peut être capable de justifier auprès du conseil d’administration et des actionnaires un
salaire plus élevé qu’il ne pourrait le faire si la firme avait un chiffre d’affaires de 1 milliard
d’euros. La taille de la firme et les compensations managériales ont alors une corrélation
positive. Mais le directeur d’une administration publique avec un budget de 10 milliards
d’euros ne reçoit pas nécessairement un salaire plus élevé que celui qui dirige un budget de
1 milliard d’euros. Les salaires entre les administrations gouvernementales tendent à être
beaucoup plus uniformes que les salaires d’une firme. De plus, les hauts fonctionnaires
dans une administration sont habituellement nommés à ces postes pour quelques années
tout au plus. Ainsi, l’expansion de la taille de l’administration, même si la taille et les salai-
res sont reliés positivement, ne bénéficierait pas nécessairement aux fonctionnaires qui sont
responsables de cette expansion. Si la croissance des administrations profite aux hauts
fonctionnaires, cette récompense sera généralement non pécuniaire.
Même pour les cadres intermédiaires d’une administration, les salaires ne varient
pas beaucoup. Mais les chances de promotion dans une administration en expansion sont
certainement plus grandes que dans une administration en déclin. Ainsi les bureaucrates de
niveau intermédiaire ont un intérêt financier à promouvoir une croissance rapide de leur
administration parce que cela augmente leur chance d’être promu à des rangs supérieurs.
Des bureaucrates de carrière ont aussi plus de chances d’être dans une administration suffi-
samment longtemps pour bénéficier directement de cette expansion, contrairement aux
cadres supérieurs qui sont en place pour une courte période.
Bien que cette analyse offre un raisonnement rationnel de la croissance de la taille
des administrations, il reste à comprendre pourquoi ces fonctionnaires parviennent à satis-
faire leurs desseins personnels au détriment de ceux de la collectivité dans son ensemble.
Si les bureaucrates des administrations les plus importantes ne bénéficient pas de la crois-
sance de la taille de leur administration, pourquoi ne limiteraient-ils pas le processus d’ex-
pansion ? Est-ce que les bureaucrates intermédiaires seraient capables de tromper leurs
La taille de l’État 601

superviseurs à l’intérieur de l’administration ainsi que les décideurs publics à propos des
vrais budgets nécessaires et des coûts unitaires des programmes 24 ?
Les bureaucrates et les groupes d’intérêt se trouvent tous les deux en tête du
palmarès des causes de la croissance de l’État et la majorité des études de cas confirment
ces hypothèses. Par exemple, l’étude de Miller (1981, ch. 3) sur les firmes du comté de Los
Angeles nous révèle que les bureaucrates de la ville et du comté sont motivés par l’objec-
tif d’étendre la taille et les compétences de leurs juridictions et cherchent à résister aux
tentatives inverses.
Dans le même esprit, Johnson et Libecap (1991) affirment que les fonctionnaires
peuvent retirer un bénéfice à voter, ce qui explique le niveau de participation plus élevé des
fonctionnaires par rapport aux citoyens exerçant dans le secteur privé. Dans une structure
fédérale, les auteurs interprètent les plus grand taux de participation pour les fonctionnai-
res locaux et d’État comparativement aux employés fédéraux comme une nouvelle confir-
mation de cette hypothèse. En effet, la probabilité que le vote des fonctionnaires soit décisif
est plus grande lors des élections locales ou d’État que dans une élection fédérale en raison
de la taille plus petite de l’électorat à ces niveaux administratifs inférieurs. Johnson et
Libecap ne sont toutefois pas parvenus à démontrer que les fonctionnaires locaux et d’État
ont la capacité de convertir leur pouvoir de vote en avantages personnels. Les employés
fédéraux gagnent des salaires plus élevés que leurs collègues à des niveaux de gouverne-
ment décentralisé malgré un taux de participation électorale plus élevé pour ces derniers.
Plusieurs études ont testé l’hypothèse selon laquelle le pouvoir de vote des bureau-
crates mène à des budgets gouvernementaux plus élevés. Plus le gouvernement accroît sa
taille, plus la proportion d’électeurs travaillant pour ce gouvernement augmente. Et s’ils
perçoivent que leurs intérêts sont promus par l’augmentation de la taille de l’État, la parti-
cipation sera encore plus grande. Borderding, Bush et Spann (1977) ont peut-être été les
premiers à tester cette hypothèse et à la valider empiriquement pour les États-Unis. Lowery
et Berry (1983) et Berry et Lowery (1984) utilisent des données pour les États-Unis qui
contredisent toutefois cette hypothèse. Ferris et West (1996) répliquent cette étude en
données de séries temporelles pour les États-Unis de 1959 à 1989 et soutiennent cette hypo-
thèse mais les mêmes auteurs ne trouvent pas de relation significative entre le nombre de
fonctionnaires et la taille de l’État sur la période 1949-1989 (Ferris et West, 1999).
D’autres travaux apportent des résultats contradictoires. Henrekson (1988) trouve
que le nombre de fonctionnaires est positivement lié aux dépenses publiques de consom-
mation des gouvernements locaux suédois, mais un résultat inverse pour les transferts.
Mais Renaud et van Winden (1987b) sont arrivés à des résultats complètement différents
pour les Pays-Bas. Neck et Schneider (1988) ne parviennent pas à valider la même hypo-
thèse avec des données autrichiennes, alors que Frey et Pommerehne (1987) ne trouvent
aucun effet mesurable du pouvoir des fonctionnaires municipaux suisses.
Santerre (1993) a réussi à discerner l’influence des bureaucrates municipaux du
Connecticut sur les résultats politiques. Mais ici l’impact des fonctionnaires sur le proces-
sus démocratique reste complexe et seulement mesuré par leur participation active lors des
réunions municipales. Le nombre d’employés des écoles publiques est étroitement relié à
24 Pour une discussion critique plus en profondeur de l’hypothèse qui met en relation la taille de l’État à celle de
la bureaucratie, voir Musgrave (1981, pp. 91-95).
602 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

la taille des budgets des écoles là où la démocratie directe s’impose lors des réunions muni-
cipales ; ce qui n’est pas vrai lorsqu’une démocratie représentative est en place. À travers
cette participation active observée lors de réunions municipales, les bureaucrates semblent
avoir réussi à influencer le vote des autres citoyens, et donc le résultat du processus élec-
toral.
Les modèles de la bureaucratie de Niskanen (1971), Romer et Rosenthal (1978,
1979 b, 1982) demeurent toutefois statiques. En effet, ils expliquent 1- pourquoi le gouver-
nement est plus grand que ce que le pouvoir législatif souhaiterait s’il connaissait le coût
unitaire des politiques publiques et 2 – pourquoi la quantité de programmes publics est plus
élevée que la quantité préférée par l’électeur médian. Ils n’ont donc pas expliqué directe-
ment pourquoi l’État accroît sa taille.
Néanmoins, ils ont peut-être indirectement offert une explication. L’habilité de la
bureaucratie à augmenter le budget au-delà du montant demandé par l’Assemblée élue ou
les citoyens dépend en partie de sa capacité à ne pas révéler les vrais prix et vraies quanti-
tés de biens fournis publiquement. Cette asymétrie d’information va probablement dépen-
dre à son tour de la taille et de la complexité du budget. Plus la bureaucratie est imposante,
plus il va être difficile pour les personnes extérieures de surveiller ces activités, et plus les
personnes de l’intérieur vont pouvoir augmenter la taille de la bureaucratie. Ainsi, la crois-
sance de la bureaucratie va probablement être déterminée par sa taille absolue.
Pour étayer cette relation, définissons G t comme le montant de biens fournis
publiquement et réellement demandés par l’Assemblée élue ou les citoyens. Définissons Bt
comme la taille totale du budget. Bt est plus grand que G t dans la mesure où la bureaucra-
tie est capable d’attirer un volume plus élevé que nécessaire de ressources, c’est-à-dire :
Bt = αt G t , αt ≥ 1. (21.10)
Maintenant avec :
αt = ea Bt (21.11)
et supposons que le montant demandé de biens fournis publiquement augmente à un taux
constant n qui est égal au taux de croissance du revenu national :
G t = cent (21.12)
alors
Bt = cea Bt ent (21.13)
Et la croissance du budget, g, se définit donc
g = ln Bt − ln Bt−1 = a(Bt − Bt−1 ) + n (21.14)
Le taux de croissance du budget excède la croissance du revenu national, n, et augmente
avec la différence absolue entre cette période et la période précédente. D’autres relations
fonctionnelles pour αt vont produire d’autres relations entre g et Bt aussi longtemps que αt
augmente avec la taille du budget. Toutefois, on peut s’attendre à ce que la taille du budget
augmente avec sa taille absolue.
Les modèles bureaucratiques nous conduisent naturellement à penser que les
bureaucrates exercent leur pouvoir en augmentant la production de leurs bureaux. Ferris et
La taille de l’État 603

West (1996) montrent que la production réelle de l’État américain a en fait diminué depuis
1959. C’est seulement sa taille nominale qui a pris de l’expansion. Les bureaucrates
gouvernementaux ont réussi à augmenter leurs salaires et leurs budgets, en même temps
qu’ils ont réduit leur production. Plusieurs travaux montrent que les bureaucraties ont un
coût unitaire de production plus élevé qu’une firme privée quand elles fournissent des biens
qui sont mesurables et comparables, tels que les tonnes de déchets ramassés. Borcherding
(1977, p. 62) décrit ce phénomène comme « la règle de deux de la bureaucratie », c’est-à-
dire que le transfert d’une activité du secteur privé vers le public s’accompagne d’un
doublement du coût de production unitaire 25. Si les coûts unitaires sont à ce point élevés
comparativement à ceux du secteur privé, de combien augmenteraient-ils lorsque la
bureaucratie sait qu’elle ne peut pas être comparée aux alternatives du secteur privé ?
Une preuve supplémentaire des capacités bureaucratiques à utiliser son pouvoir
face aux autorités de tutelle pour augmenter la masse salariale est fournie par Ferris et West
(1999). En utilisant des données en séries temporelles pour les États-Unis de 1949 à 1989,
ils ont été les premiers à confirmer l’hypothèse de Kau et Rubin (1981, 1999) selon laquelle
les coûts décroissants de la collecte d’impôts ont favorisé la croissance de la taille de l’État.
Aussi, ils font un lien entre les augmentations de salaires des fonctionnaires et ses réduc-
tions de coûts. Les bureaucrates ont réussi à convertir les réductions possibles en impôts ou
la « surproduction » publique en des augmentations de leurs propres revenus.

21.2.5 Illusion budgétaire


L’hypothèse qui stipule que le pouvoir bureaucratique accroît la taille de l’État suppose que
les bureaucrates ne révèlent pas la vraie structure des coûts de fourniture des différents
biens et programmes publics. L’hypothèse de l’illusion budgétaire implique pour sa part
que l’Assemblée élue trompe les citoyens à propos de la vraie taille du gouvernement.
L’argument de l’illusion budgétaire pour expliquer la taille de l’État suppose que
les citoyens apprécient la taille de l’État par l’ampleur des projets de lois de finances. Pour
provoquer une augmentation de la taille de l’État pour laquelle les citoyens ne sont pas
disposés à payer volontairement, les assemblées élues ou le pouvoir exécutif doivent
accroître le fardeau budgétaire des citoyens de manière à ce que les citoyens ignorent qu’ils
auront à payer plus de taxes, tout en évitant le coût politique du mécontentement des
citoyens à la prochaine élection. Si le fardeau budgétaire peut être ainsi déguisé, les
citoyens ont alors l’illusion que la charge fiscale est plus petite qu’elle n’est réellement et
le gouvernement peut dépenser à un niveau supérieur à celui souhaité par les citoyens.
L’hypothèse de l’illusion budgétaire suit logiquement le postulat que les électeurs
sont rationnellement ignorants (Congleton, 2001). Imaginons un locataire qui ne paie pas
directement d’impôt foncier. S’il est un électeur rationnellement ignorant, il ne va peut-être
pas réunir suffisamment d’information à propos des finances publiques pour savoir qu’un
impôt foncier existe. Même s’il sait que les impôts fonciers existent, il ne va peut-être pas
consacrer autant de temps et d’efforts pour déterminer dans quelle mesure la taxe que son
25 Pour un résumé de ces travaux, voir Orzechowski (1977) ; Borcherding, Pommerehne, et Schneider (1982) ;
et cf. chapitre 16.
604 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

propriétaire paie lui est ensuite répercutée. Il peut donc voter pour augmenter un budget
financé par une augmentation de l’imposition foncière sans réaliser qu’il va payer plus
d’impôt.
Même si l’argument semble convaincant, du moins pour l’intégrer dans un modèle
explicatif de la taille de l’État, d’autres formes de taxation déguisées doivent être prises en
considération. Mill (1861) avait l’intuition que les taxes directes étaient plus visibles et la
croissance excessive de l’État reposait sur la part des taxes indirectes. Tout comme les
citoyens de Boston ne se sont pas laissés berner à propos de la charge de la taxe britannique
sur le thé il y a deux siècles, on peut affirmer qu’un employeur qui retient à la source l’im-
position sur le revenu, ou encore les banques qui retiennent l’impôt foncier sur les paie-
ments d’hypothèque, rend ces formes de taxation moins visibles que certains types de taxes
directes comme celles pesant sur les cigarettes ou l’alcool. L’enjeu consiste à valider empi-
riquement quelle source de revenu est moins visible pour les citoyens et quelle est l’am-
pleur de l’illusion budgétaire.
Dans sa revue détaillée de la littérature empirique sur l’illusion budgétaire, Oates
(1988b) a identifié cinq catégories d’illusion : (1) la charge de la taxe est plus difficile à
juger dans une structure de taxation complexe ; (2) les locataires sont moins aptes à évaluer
la part de taxes locales sur la propriété que les propriétaires ; (3) des augmentations fisca-
les incorporées dans la progressivité de l’impôt sont moins clairement perçues que les
changements de législation, rendant la structure élastique de l’impôt plus favorable à la
croissance de l’État que les structures inélastiques ; (4) les charges budgétaires inhérentes
à l’émission de dette publique sont plus difficiles à évaluer qu’un impôt équivalent
courant ; (5) les citoyens ne considèrent pas les subventions monétaires forfaitaires à leur
gouvernement comme ils considèrent une subvention à eux-mêmes (effet « flypaper »).
Chacune de ces catégories implique que la relation entre la taille ou la croissance de l’État
et une variable d’illusion budgétaire est pertinente. Oates a examiné attentivement le bien-
fondé empirique de sa typologie et a conclu que « même si chacun des cinq cas est
conforme avec une hypothèse d’illusion budgétaire, aucune étude n’a validé empirique-
ment cette hypothèse » (Oates, 1988b). La logique de l’effet « flypaper » est convaincante,
mais les preuves empiriques manquent encore. Les subventions de l’État central semblent
être considérées par les niveaux inférieurs de gouvernement comme des « cadeaux du ciel »
et afin de ne pas « offenser » l’État central, elles restent « collées à l’endroit où elles atter-
rissent » 26.
Des preuves directes de l’illusion budgétaire ont été récemment apportées au cours
d’expériences menées par Tyran et Sausgruber (2000). Les auteurs ont conçu une expé-
rience de marché impliquant des propositions de type imposition/transfert. Une taxe peut
être imposée soit à l’acheteur soit au vendeur avec une partie des revenus de la taxe qui est
transférée à l’acheteur et l’autre partie allant au vendeur. La demande prévue est parfaite-
ment inélastique et, dans les deux cas, la taxe incombe donc en totalité à l’acheteur et il est
préférable pour l’acheteur de rejeter la proposition. La majorité des acheteurs perçoivent
correctement qu’ils seraient dans une situation désavantageuse si la taxe leur était imposée
et ont donc voté contre. Une partie significative a voté pour la proposition seulement
lorsque la taxe était prélevée sur les vendeurs. La façon dont la dimension fiscale de la
26 Les preuves empiriques à propos de l’effet de « flypaper » sont recensées au chapitre 10.
La taille de l’État 605

proposition était formulée a eu un impact significatif sur le vote des participants à l’expé-
rience (effet de cadrage). Les résultats de Tyran et Sausgruber ont des implications éviden-
tes sur la probabilité que l’illusion budgétaire existe pour l’impôt foncier des propriétés
louées, sur les cotisations emploi payées par les employés, etc.
Il est intéressant de noter que Peter Swann a établi une forte relation entre l’élas-
ticité du système de taxation australien et la croissance de la taille de l’État. Swann affirme
qu’essentiellement toute la croissance relative de l’État australien depuis la Deuxième
Guerre mondiale peut être expliquée par des augmentations de taxes déguisées dérivant de
l’inflation et ayant pour conséquence de déplacer les individus dans une tranche d’imposi-
tion plus élevée et d’ainsi générer des revenus plus importants pour l’État. Malheureuse-
ment, les résultats de Swann en données de séries temporelles pour l’Australie – comme
ceux de Meltzer et Richard (1983) – n’ont pas été confirmés en utilisant des données de
panel pour la Flandre (Heyndels et Smolders, 1994) et les États-Unis (Hunter et Scott,
1987 ; Greene et Hawley, 1991).
Le manque de validation empirique pour l’hypothèse d’illusion budgétaire, malgré
son intérêt intuitif, peut s’expliquer par sa définition imprécise et sa modélisation approxi-
mative dans la littérature. Par exemple, il n’est pas clair si l’illusion budgétaire est une sorte
de myopie à court terme de la part de l’électeur qui accepte des augmentations de dépen-
ses temporaires, ou une astigmatie permanente qui obstrue indéfiniment la vue de la vraie
taille de l’État. Cette dernière est évidemment une hypothèse beaucoup plus forte. Les
révoltes fiscales en Europe et aux États-Unis dans les années 1970 et « le contrat réussi
avec l’Amérique » de Newt Gringrich pour réduire les taxes et le déficit aux États-Unis au
début des années 1990, suggèrent que l’illusion budgétaire ne semble pas affecter la vision
de l’électeur. Vers la fin du XXe siècle, le déficit fédéral des États-Unis avait disparu (avant
de remonter depuis 2002), et la part des dépenses publiques dans le PIB avait cessé de
croître. Éventuellement, les citoyens peuvent être capables de reconnaître la véritable
ampleur du Léviathan et agir politiquement pour le limiter.

21.2.6 L’élasticité fiscale


Notre dernière hypothèse à propos de la croissance de l’État n’est pas tellement liée à la
motivation de ceux qui ont provoqué cette croissance, mais plutôt aux mécanismes de sa
mise en œuvre. Kau et Rubin (1981, 1999), dont les travaux ont déjà été mentionnés, suppo-
sent que l’offre de services publics et de transferts est effectuée par ceux qui cherchent à
maximiser la taille de l’État comme dans le modèle du Léviathan de Brennan et Buchanan
(1980) ou dans le modèle de la bureaucratie de Niskanen (1971). La contrainte la plus
importante à laquelle font face les agents maximisateurs de budget est de nature technique :
comment peuvent-ils extraire le maximum de revenus de la population ? Heureusement,
pour les maximisateurs de budget, plusieurs évolutions sociales et économiques au cours
du dernier siècle ont facilité leur tâche. Le mouvement d’exode des ouvriers agricoles vers
les usines ou l’entrée massive des femmes sur le marché du travail ont permis au gouver-
nement de mesurer et de taxer plus facilement leurs revenus. Dans un travail empirique plus
récent, Kau et Rubin (1999) trouvent que les variables qui mesurent ces changements expli-
606 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

quent les deux tiers de la variation de la taille de l’État aux États-Unis au cours de la période
de 1947-1993. En revanche, la prise en compte de l’idéologie des membres du Congrès
n’explique pas les changements dans la demande en biens publics.
Hansson et Stuart (2003) ont aussi mis l’accent sur l’importance de l’élasticité du
système de taxation quand ils ont tenté d’expliquer pourquoi la taille de l’État a diminué
dans plusieurs pays de l’OCDE après les sommets atteints durant les années 1980. Les
auteurs affirment que, dans ces pays, le gouvernement a surestimé l’élasticité des revenus
d’imposition et a augmenté les taxes au-delà du niveau auquel il aurait pu se maintenir
indéfiniment. Nous discutons de certains de ces facteurs qui déterminent les limites de la
taxation dans le prochain chapitre.

21.3 CONCLUSION
Les six ensembles explicatifs de la taille de l’État passés en revue dans ce chapitre provien-
nent de deux perspectives plutôt différentes de ce qu’est l’État. Les trois premières hypo-
thèses (le gouvernement comme fournisseur de biens publics et correcteur d’externalités,
l’État comme redistributeur de revenu et de richesse, et l’activité des groupes d’intérêt) sont
essentiellement dérivées de la théorie classique de l’État démocratique (Pateman, 1970).
L’ultime autorité appartient au citoyen. L’État existe pour accomplir la volonté du peuple.
Par exemple, les politiques publiques des juridictions locales reflètent les préférences indi-
viduelles des électeurs. Dans la littérature de la théorie des choix publics, l’État apparaît
simplement comme une règle de vote qui transforme des préférences individuelles en choix
politiques. Les travaux les plus classiques de la théorie des choix publics (en commençant
avec Arrow (1951), Downs (1957), Black (1958) et Buchanan et Tullock (1962)) s’appuient
sur cette vision de la vie politique où le citoyen domine l’État, et cette tradition se perpé-
tue dans la littérature plus récente qui emploie le modèle de l’électeur médian, les modèles
de vote probabiliste, etc.
Les trois dernières hypothèses placent cette fois-ci l’État au-dessus des citoyens.
Ce sont les préférences de l’État, ou des membres du gouvernement, qui sont décisives. Les
préférences des citoyens et les institutions politiques constituent au maximum des contrain-
tes vagues contre lesquelles les leaders politiques et les bureaucrates poursuivent leurs
propres intérêts. En effet, dans cette version extrême de la vision de l’État, la seule
contrainte obligatoire est sa capacité à prélever des impôts. La vision qui donne primauté à
l’État plutôt qu’au citoyen, est à la base du travail de Puviani (1903) et caractérise celui de
Niskanen (1971) et Brennan et Buchanan (1980).
Si l’une de ces deux conceptions de l’État est parfaitement acceptable 27, alors
l’autre doit être rejetée, y compris les hypothèses correspondantes discutées dans ce chapi-
tre. Mais chacune de ces visions est recevable jusqu’à un certain point. Les hauts fonction-
naires et les bureaucrates peuvent avoir un certain pouvoir discrétionnaire pour promouvoir
leurs propres intérêts aux dépens des citoyens. Mais les préférences des citoyens, telles que
prises en compte par les institutions politiques, peuvent aussi constituer une contrainte
27 Tanzi (1980) a discuté de ces deux conceptions de l’État – et même d’une troisième, l’État paternaliste – dans
le contexte de l’enjeu sur l’illusion budgétaire.
La taille de l’État 607

substantielle. Si cela est vrai, alors les six hypothèses peuvent aider à expliquer la taille et
la croissance de l’État. Il est aussi vraisemblable que la croissance de la redistribution dans
le budget de l’État peut être expliquée par une certaine combinaison des hypothèses passées
en revue : (1) l’assurance contre les risques de revenus en vivant dans des économies haute-
ment développées et interdépendantes, (2) l’assurance contre les risques de revenus pour
ceux vivant dans des économies fortement dépendantes du commerce international, (3) la
redistribution involontaire de ceux qui sont au-dessus du revenu médian vers ceux qui sont
en dessous du revenu médian, (4) la redistribution involontaire des groupes avec un faible
pouvoir politique vers ceux qui ont plus de pouvoir.
Plusieurs études ont testé la force des facteurs de demande et d’offre pour expli-
quer la croissance de l’État. Henrekson (1988) a démontré l’existence d’un effet Baumol et
d’un pouvoir électoral des bureaucrates dans son analyse empirique de la Suède. Même si
les variables d’illusion budgétaire ne se sont pas révélées robustes, les facteurs d’offre
semblent avoir, dans une certaine mesure, plus de pouvoir explicatif que les facteurs de
demande.
Ferris et West (1996) ont estimé les équations d’offre et de demande en utilisant
des données en séries temporelles pour les États-Unis. Ils ont aussi inclus une troisième
équation pour expliquer le niveau d’emploi dans le secteur public. Ni le prix, ni le revenu
n’étaient significatifs dans l’équation de demande. Ce dernier résultat contredit donc la loi
de Wagner. Le nombre de fonctionnaires et la population agricole apparaissaient comme
des groupes d’intérêt significatifs « proxy de la variable préférence » dans l’équation de
demande. La variable caractérisant l’effet Baumol était significatif dans l’équation d’offre.
Lybeck (1986) a estimé un modèle intégré d’offre et de demande du gouvernement
pour 12 pays de l’OCDE. Les facteurs de demande semblent dominer en Suède et au
Royaume-Uni, alors que les facteurs d’offre prédominent pour le Canada, la France et les
États-Unis. À l’inverse, les facteurs d’offre et de demande étaient d’importance égale pour
les autres pays (Australie, Autriche, Belgique, Allemagne, Italie, Pays-Bas et Norvège).
L’effet Baumol ressort massivement. La force des groupes d’intérêt, telle que mesurée par
le nombre de groupes d’intérêt dans une analyse temporelle pour la Suède (Lybeck, 1986,
pp. 58-82) et par le degré de syndicalisation dans une analyse en données de panel des 12
pays (pp. 96-106) était fortement significative. Le nombre d’employés dans le secteur
public, une autre mesure des groupes d’intérêt, s’est révélé significatif pour plusieurs pays.
Dans les estimations en coupes instantanées, la taille de la population (négativement corré-
lée) et le taux de chômage (positivement corrélé) sont les deux autres variables significati-
ves. La taille de la population apparaît du côté de la demande et implique que la taille de
l’État diminue au fur et à mesure que la population croît (on pourrait imaginer ici une
production publique sous forme de biens publics purs). Le taux de chômage apparaît du
côté de l’offre tel que formulé dans les modèles de cycles politico-économiques. Les autres
hypothèses (loi de Wagner, redistribution, illusion budgétaire) ont reçu un soutien très
mitigé.
Pommerehne et Schneider (1982) ont intégré les deux visions de l’État dans leur
modèle. La demande d’intervention publique pour 48 municipalités suisses opérant sous un
régime de démocratie directe a été estimée en premier. Les coefficients estimés dans cette
équation ont été utilisés pour simuler quel aurait été le niveau de dépenses publiques pour
608 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

les 62 municipalités suisses qui ont une démocratie représentative. Ils ont trouvé que toutes
les catégories de dépenses étaient sous-estimées pour les démocraties directes. Les démo-
craties représentatives dépensent en moyenne 28 pourcent de plus que les démocraties
directes. Une forme de gouvernement représentatif change la nature des résultats politiques
de manière substantielle, rendant le gouvernement considérablement plus grand que si
c’étaient les citoyens qui déterminaient directement les résultats politiques. De plus, dans
les municipalités suisses où la démocratie représentative existe, la taille de l’État est plus
petite si les citoyens ont le droit de réclamer un référendum et donc d’annuler une décision
gouvernementale. Ces résultats de Pommerehne et Schneider suggèrent qu’une dose de
démocratie représentative augmente considérablement la taille du secteur public. Ils
semblent donc soutenir la vision d’un État dominant les citoyens et ils interprètent leurs
résultats comme une illustration de l’importance de l’offre dans les services publics locaux.
L’étude de Santerre sur les banlieues du Connecticut va plus loin que l’analyse de
Pommerehne et Schneider. Les banlieues avec des démocraties représentatives concentrent
des budgets plus importants que celles gouvernées par une démocratie directe avec des
réunions municipales, mais dépensent moins en éducation qui est la composante majeure
du budget local. D’un autre côté, Farnham (1990) n’a pas observé de meilleure représenta-
tion que le modèle de l’électeur médian dans les petites communautés américaines qui
mobilisent d’autres instruments de démocratie directe comme l’initiative populaire, les
référendums et le renvoi des gouvernements locaux.
Il est par ailleurs possible que l’existence d’une démocratie représentative facilite
la réalisation de gains privés pour des groupes d’intérêts. Peltzman (1980) et Mueller et
Murell (1985, 1986) ont analysé la croissance de l’État comme étant un sous-produit de la
concurrence électorale entre les candidats et les partis politiques. À travers ces modèles, la
croissance de l’État (et sa taille) dépend de la nature représentative du processus démocra-
tique même si les modèles admettent que les préférences des citoyens, orientées par la
représentation des groupes d’intérêt, sont le principal curseur des programmes gouverne-
mentaux.
Les travaux de Roubini et Sachs (1989), Cusack (1997) et Persson et Tabellini
(1999, 2000b) suggèrent que la taille du secteur public est non seulement affectée par la
démocratie représentative, mais aussi que la structure des institutions d’une démocratie
représentative a son importance. Roubini, Sachs et Cusack affirment que le manque de
cohésion gouvernementale dans les systèmes multipartites et/ou le système présidentiel
conduit à plus de marchandage et à des budgets plus élevés. Persson et Tabellini font
presque exactement la prédiction opposée. Ils affirment que les poids et les contrepoids à
l’œuvre dans un système présidentiel entraînent une plus grande concurrence au sein des
différentes branches du gouvernement et permettent de limiter les activités de recherche de
rente. Ils prédisent aussi de plus petits budgets pour des systèmes majoritaires (à deux
partis) que pour des systèmes multipartis parce que la concurrence électorale dans un
système majoritaire se concentre davantage sur certaines circonscriptions que sur l’ensem-
ble du pays, et ainsi les politiciens tendent à faire des promesses plus ciblées dans des systè-
mes majoritaires.
Même si presque toujours le cadre théorique sous-jacent à ces modèles est plus
impressionnant que leur validation empirique, ce travail sur l’importance des systèmes
La taille de l’État 609

électoraux, dans la même lignée que les résultats de Pomerehne et Schneider, apparaît à
bien des égards comme la contribution la plus significative de la théorie des choix publics :
les règles du jeu politique affectent les résultats politiques. Les institutions comptent. En
Suisse, plus les citoyens ont une influence directe sur les résultats politiques, plus la taille
de l’État est petite. Parmi les pays développés, les citoyens suisses sont capables d’avoir un
contrôle plus efficace sur le gouvernement que nulle part ailleurs. Seule la Suisse utilise la
démocratie directe et les référendums, et dispose d’un fédéralisme parmi les plus forts au
monde. C’est aussi le plus petit secteur public d’Europe de l’Ouest (voir tableau 21.2). Les
résultats de Pommerehne et Schneider comme ceux de Santerre (1986, 1989) suggèrent que
ces faits sont reliés. Il est démontré que plus il y a de contrôle direct des citoyens sur l’État,
plus les gouvernements fédéralistes ou décentralisés sont associés avec des secteurs publics
plus petits et qui grossissent moins 28. Au niveau national, les effets du fédéralisme sur la
taille de l’État sont presque impossibles à mesurer, trop peu de pays peuvent être qualifiés
de réellement fédéraux, où les citoyens sont représentés à chaque niveau de gouvernement
et leurs représentants peuvent décider des dépenses et des taxes à chaque niveau. Dans les
États soi-disant fédéraux d’Europe, comme l’Autriche et l’Allemagne, des niveaux plus bas
de gouvernement ont une autorité limitée pour choisir leur propre niveau d’imposition, et
ainsi les citoyens ne peuvent pas exercer de pression pour une imposition plus faible. Seul
un pays d’Europe de l’Ouest dispose d’une structure fédérale dans laquelle les citoyens
peuvent déterminer les dépenses de l’État et les impôts à chaque niveau de gouvernement :
il s’agit de la Suisse, qui a le secteur public le plus faible d’Europe de l’Ouest. Dans le
monde, des quatre pays développés avec un faible secteur public, trois sont une fédération :
la Suisse, les États-Unis et l’Australie (tableau 21.2). Le Canada semble apporter un contre-
exemple puisqu’il remplit les critères d’une fédération, mais le potentiel disciplinaire du
fédéralisme canadien a été sérieusement écorné depuis la Deuxième Guerre mondiale par
la mise en place de programmes fédéraux introduisant une uniformité des taxes au sein des
provinces. Grossman et West (1994) affirment que ce programme a été le fruit d’une collu-
sion entre les gouvernements provinciaux, et a eu pour conséquence d’augmenter la taille
de l’État canadien.
Blankart (2000) relate une histoire similaire pour l’Allemagne. Les gouvernements
régionaux allemands ont permis au gouvernement fédéral d’usurper leur autorité d’imposi-
tion au cours des 50 dernières années parce que la centralisation des taxes a fait disparaitre
la compétition entre eux et augmenter la taille de leur budget. Blankart affirme que cette
centralisation de la compétence d’imposition explique en partie une croissance plus grande
du secteur public allemand par rapport à la Suisse 29. À la lumière des exemples canadien
et allemand, la réponse des gouvernements de l’Union européenne face à la « menace » de
concurrence fiscale générée par une plus grande intégration de leurs économies a consisté
à faire pression pour éliminer cette concurrence à travers une harmonisation fiscale au sein
de l’Union européenne.

28 Voir Cameron (1978), Saunders (1986), Schneider (1986), Nelson (1987), Zax (1989), Marlow (1988), Joul-
faian et Marlow (1990) et Vaubel (1996). Ici, comme c’est souvent le cas, on peut citer des preuves contra-
dictoires (voir encore la discussion d’Oates, 1988b).
29 Joulfian et Marlow (1990) nous apportent une preuve additionnelle de l’effet de collusion en utilisant des
données américaines.
610 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Ainsi, nous voyons que toutes les institutions démocratiques, comme les règles
électorales, la démocratie directe et les institutions fédéralistes, jouent un rôle prépondérant
dans la détermination de la taille de l’État. Ces institutions diffèrent selon les pays, et leur
efficacité évolue avec le temps puisque l’environnement économique et politique d’un pays
évolue également. Le rôle d’un citoyen dans une démocratie représentative est plus passif
que dans une démocratie directe, et même cette différence semble donner un vrai coup de
main à la croissance de l’État. Les citoyens d’aujourd’hui, confrontés aux structures
gouvernementales plus étendues et complexes au niveau local, régional et fédéral, doit
sentir qu’il est un observateur plus passif du processus démocratique. Quelle part de la
croissance de l’État durant ces années d’interventionnisme peut être expliquée par un relâ-
chement de la contrainte citoyenne ; quelle part des préférences individuelles sont réelle-
ment reflétées par le processus politique ?

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Holsey et Borcherding (1997) ont fait une recension de la littérature de la théorie des choix publics
sur la croissance de l’État. Tanzi et Schuknecht (2000) ont collecté une richesse de données sur la
taille et la composition des taxes et des dépenses gouvernementales dans différents pays à partir de
la fin du XIXe siècle jusqu’à maintenant, et ont analysé les causes et les conséquences de ces déve-
loppements budgétaires.
Quelques travaux anciens ou plus récents peuvent être consultés par le lecteur désireux d’approfon-
dir certaines dimensions sur la question de la taille de l’État en langue française :
Carry, A. (1999), « Le compte satellite rétrospectif de l’éducation en France (1820-1996) », Econo-
mies et Sociétés, Série AF, n°25, février-mars.
Fontvielle, L. (1976), « Évolution et croissance de l’État Français 1815-1969 », Economies et Socié-
tés, Série « histoire économique quantitative », septembre-octobre-décembre.
André, C. et Delorme, R. (1978), « L’évolution séculaire des dépenses publiques en France »,
Annales, Histoire, Sciences Sociales, 33°(2), 255-278.
Semedo, G. (2007), « L’évolution des dépenses publiques en France : Loi de Wagner, Cycle électo-
ral et contrainte européenne de subsidiarité », L’Actualité économique, vol. 83(2), 123-162.
Cassette, A. et Paty, S. (2006), « La concurrence fiscale entre communes est-elle plus intense en
milieu urbain ouen milieu rural ? », Cahiers d’Economie et de Sociologie Rurales, 78, 5-30.
Tellier, G. (2009), « Les déterminants des recettesfiscales des gouvernements provinciaux canadiens
: une étudeempirique », Canadian Public Administration, 52(4), 591-612.
Tellier, G. (2005), Les dépenses des gouvernements provinciaux : l’influence des partis politiques,
des élections et de l’opinion publique sur la variation des budgets publics. Sainte-Foy : Presses de
l’Université Laval.
Sine Alexandre (2006), L’ordre budgétaire. Economie politique des dépenses de l’Etat. Paris:Econo-
mica.
Théret Bruno. (1995), « Régulation du déficit budgétaire et croissance des dépenses de l’Etat
enFrance de 1815 à 1939 », Revue Economique, 46(1), 57–90.
22
TAILLE DE L’ÉTAT
ET PERFORMANCE
ÉCONOMIQUE

22.1 Impôt et perte de bien-être 612


22.2 Taille de l’État et marché noir 617
22.3 Taille de l’État et corruption 623
22.4 Taille du gouvernement et productivité économique 625
22.5 Taille de l’État et croissance économique 628
22.6 Activité de l’État et déclin économique des nations 637
22.7 Conclusions 642
612 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Dans le chapitre précédent nous avons décrit comment la taille de l’État n’a cessé de croître
dans le monde et en Europe. L’État absorbe désormais plus de la moitié du revenu national
dans de nombreux pays. Quelles ont été les conséquences de cette croissance pour le bien-
être des citoyens de l’ensemble de ces pays ? Quelles ont été les conséquences sur leurs
performances économiques ? La première question est bien sûre la plus importante.
Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis ont consacré des
milliards de dollars au budget de la défense. Si l’on considère que ces dépenses ont permis
d’empêcher une troisième guerre mondiale, d’endiguer le communisme en Europe de l’Est,
de préserver les démocraties libérales à l’Ouest et d’accélérer l’effondrement de l’Union
soviétique, il est probable que les citoyens américains estimeront que leurs ressources n’ont
pas été gaspillées. Si, au contraire, tous ces évènements étaient survenus sans aucune
dépense militaire, ils auraient l’opinion inverse. Ils seraient persuadés que l’on a gaspillé
des milliards de dollars.
La nature non marchande de la plupart des services produits par les gouvernements
rend cependant l’évaluation des effets des dépenses publiques sur le bien-être social diffi-
cile. On peut mesurer le montant d’argent donné dans les systèmes d’indemnisation
chômage et de sécurité sociale, mais comment peut-on mesurer la crainte d’être au
chômage ou la sérénité de tous les salariés qui n’ont pas connu cette situation ou la satis-
faction de l’ensemble des citoyens qui savent qu’ils ne vivront plus dans la pauvreté de
leurs aïeuls.
Les économistes des choix publics n’ont pas essayé de répondre à ces questions.
Ils ont plutôt focalisé leur attention sur les causes économiques de la popularité des gouver-
nements à travers les théories des cycles politico-économiques. Ils ont aussi étudié les
conséquences sur la croissance de l’augmentation de la taille de l’État. Leurs travaux ne
couvrent, pour cette raison, qu’une petite partie des effets de l’intervention de l’État sur les
performances économiques d’un pays. Ce chapitre présente un certain nombre de ces
conséquences. Il débute par les conséquences microéconomiques pour conclure par les
effets macroéconomiques.

22.1 IMPÔT ET PERTE DE BIEN-ÊTRE


On peut soutenir que l’impôt nuit à la croissance aussi bien à partir d’arguments théoriques
formalisés ou purement logiques que d’arguments empiriques.
L’argument logique est le suivant. Un individu a, en effet, le choix entre l’autarcie
(les activités ne sont pas taxées) et l’échange. Un producteur de blé sait qu’une heure de
travail peut lui rapporter 10 euros. S’il produit lui-même son pain, il doit y consacrer une
demi-heure. Cela lui coûte donc 5 euros car au lieu de produire du blé, il consacre son
temps à produire du pain. S’il achète son pain, en revanche, le boulanger lui vend 3,3 euros
une quantité équivalente. Il préfère alors affecter vingt minutes de son temps à la produc-
tion de blé afin d’acheter son pain chez le boulanger. Il profite des effets de la division du
travail, autrement dit des gains de productivité que permet la spécialisation. Il quitte l’au-
tarcie et s’engage sur le marché. L’introduction d’une taxe sur le revenu du producteur de
Taille de l’État et performance économique 613

blé de 50 % conduit à modifier le calcul du contribuable. Le producteur de blé sait qu’il ne


touchera que 5 euros puisqu’il devra contribuer, à hauteur de 50 % de son revenu, aux
dépenses publiques. Désormais, son heure de travail ne lui rapporte plus que 5 euros. Le
prix du pain n’a pas changé. En revanche, le coût d’opportunité de la production de pain
par le producteur de blé n’est plus le même. 30 minutes ne lui coûtent plus que 2,5 euros
puisqu’il ne gagne plus que 5 euros de l’heure. Il a alors intérêt à retourner à l’autarcie. Sa
décision provoque une baisse du chiffre d’affaires du boulanger et de la quantité de blé
disponible puisqu’il produit moins de blé pour produire son pain. L’introduction de l’impôt
favorise ainsi un retour en arrière dans le processus de spécialisation et de division du
travail. Ce retour traduit le désir des contribuables d’éviter l’impôt. Ils peuvent atteindre cet
objectif en délaissant les marchés légaux au profit des marchés parallèles, en se délocali-
sant dans des pays où les taux marginaux d’imposition sont moins élevés, en mettant en
place des stratégies d’évasion et de fraude fiscale ou en répercutant l’impôt sur les prix ou
les salaires selon les élasticités. Une trop forte fiscalité réduit l’activité productive, le
processus d’accumulation du capital et favorise, par la même occasion, une mauvaise affec-
tation des ressources.
Toutes les taxes, à l’exception des impôts forfaitaires font supporter à la société
une perte sociale sèche, biaisent les comportements individuels et réduisent le bien-être.
Prenons l’exemple d’un impôt sur la consommation. Sur la figure 22.1a, on observe la
demande compensée pour le bien x. Ce bien est produit à un coût marginal constant c et
dans des conditions de concurrence pure et parfaite. À l’équilibre, xc unités de bien sont
vendues au prix Pc . Introduisons un impôt t1 afin d’évaluer l’effet d’un impôt sur l’équili-
bre prix-quantité pour le bien x. Le prix augmente de t1 . Le gouvernement capte une partie
du surplus du consommateur. La perte sociale sèche est mesurée par le triangle L 1 et
s’avère plus petite que l’augmentation du revenu fiscal pour l’État. L’État capte le long
rectangle entre t1 et Pc .
Le revenu fiscal maximum que le gouvernement peut capter est tm . En tm le prix
du bien x incluant l’impôt, correspond à la situation où le monopole maximise ses profits.
Le gouvernement capte alors le rectangle Rm entre tm et Pc . La perte de bien-être induite
par les effets de distorsion de l’impôt est représentée par le triangle L m . Cette perte est
égale à la moitié des gains fiscaux pour le gouvernement. La perte de bien-être relative à
l’augmentation des revenus fiscaux augmente.
On peut aussi présenter l’effet d’un impôt sur la consommation de manière mathé-
matique. Le programme de demande compensée pour le bien x s’écrit :
p = a − bx, (22.1)

En concurrence pure et parfaite, le prix égalise le coût marginal :

Pc = c = a − bx. (22.2)

xc étant la quantité de concurrence :

a − (c + t)
xc = . (22.3)
b
614 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Si on introduit un impôt t on obtient alors la quantité xt :

a − (c + t)
xt = . (22.4)
b
Le revenu fiscal pour l’État est :

a − (c + t) (a − c)t − t 2
R= t= . (22.5)
b b
L’État maximise ce revenu (22.5) et fixe l’impôt au niveau t ∗ . En t ∗ , le revenu de l’impôt
est maximum :
a−c
t∗ = , (22.6)
2
il prend la valeur suivante :
(a − c)2
R∗ = . (22.7)
4b
La perte de bien-être provoquée par l’impôt est égale à la moitié de la variation de
la production qu’il provoque. La variation de la production induite par l’introduction de
l’impôt est égale à :
(a − c) a − (c + t) t
xt = − = . (22.8)
b b b
Avec une perte de bien-être de :
1 t t2 t2
L= . .t = = . (22.9)
2 b 2b 2b
Les recettes collectées par l’État grâce à l’impôt sont une fonction quadratique de t qui
atteint un maximum en t ∗ . La perte de bien-être provoquée par l’impôt croît de manière
exponentielle avec t.
Si on suppose que le gouvernement ne met pas en place une taxe supérieure au
niveau qui maximise son revenu, la perte de bien-être provoquée par l’impôt ne peut pas
être supérieure à la moitié des recettes fiscales lorsque la concurrence pour la production
de x est parfaite et que le taux d’amortissement est linéaire. La perte de bien-être liée à
l’impôt augmente néanmoins si le producteur du bien x possède un pouvoir de marché.
Si le producteur est en situation de monopole sur x en l’absence de tout impôt, il
égalise son revenu marginal et son coût marginal et vend xm au prix Pm , suivant l’équation
(22.10) :
a−c
xm = . (22.10)
2b
Le profit de monopole pour le producteur est :
a − (c + t)
xm+1 = . (22.11)
2b
Taille de l’État et performance économique 615

Figure 22.1
Les effets distorsifs de l’impôt.
616 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Les recettes du gouvernement sont désormais :

a − (c + 1) (a − c).t − t 2
R= .t = . (22.12)
2b 2b
Si le gouvernement maximise ses recettes, il doit fixer le niveau de son impôt à t*. On
retrouve ainsi le résultat déterminé précédemment :
a−c
t∗ = . (22.6)
2
a − (c + a−c
) a−c
xm+1 = 2
= . (22.14)
2b 4b
Cela est illustré sur la figure 22.1b. Le producteur en situation de monopole vend au prix
Pm+t , la quantité xm+t avec un impôt t. Les recettes fiscales du gouvernement sont repré-
sentées par le rectangle Rm . Les pertes de bien-être issues de l’impôt excèdent maintenant
les revenus qu’il permet de collecter. Cette perte de bien-être est égale au rectangle ABtm D
qui représente les profits que le monopole peut gagner sur chaque unité de production x qui
provoque maintenant des invendus induits par l’impôt, plus le triangle de surplus du
consommateur, L m+1 , ces unités invendues. Quand Rm égalise ABtm D, la perte de bien-
être excède les recettes fiscales données par le triangle L m+1 .
Ces résultats pour le monopole constituent une borne supérieure pour les pertes
provoquées par l’impôt. Il représente une approximation des pertes du monopole par
rapport à une situation de concurrence pure et parfaite. La plupart des entreprises se trou-
vent entre ces deux extrêmes. Les résultats indiquent cependant que les pertes de bien-être
induites par l’impôt peuvent devenir relativement importantes lorsque le gouvernement
cherche à maximiser ses revenus fiscaux et que les entreprises assujetties à l’impôt possè-
dent un important pouvoir de marché.
Un impôt sur la consommation crée une perte de bien-être parce qu’il déforme le
schéma de consommation des consommateurs. Un impôt sur la consommation modifie les
choix entre consommation et loisir. L’impôt sur le revenu modifie l’arbitrage entre travail
et loisir, etc. Un impôt entraîne toujours une distorsion dans les choix et une perte de bien-
être.
Les études empiriques n’observent pas de relations statistiques entre la pression
fiscale et le taux de croissance (Padovano et Galli, 2001). Elles rappellent aussi que les
effets de l’impôt ne sont pas les mêmes dans les pays riches et dans les pays pauvres 1, qu’il
ne faut pas, pour ces raisons, choisir des échantillons où les deux types de pays sont mélan-
gés.
Cette absence de relation s’explique par le fait qu’il ne faut pas utiliser la pression
fiscale moyenne, autrement dit le ratio Prélèvement Public Obligatoire sur Produit Intérieur
Brut pour mesurer la pression fiscale car ce ratio pose des problèmes de colinéarié avec les
dépenses publiques. Il est préférable d’étudier l’effet des taux marginaux d’imposition sur
la croissance économique.

1 Elles utilisent sur ce point les résultats de l’étude de Garrison C.B. et Lee F-Y. (1992).
Taille de l’État et performance économique 617

Ces études empiriques montrent, en revanche, l’existence d’effets distorsifs de


l’impôt ainsi que des taux marginaux d’imposition élevés sur la croissance. En calculant
une variable pour approximer les taux marginaux d’imposition de 20 pays de l’OCDE sur
la période 1950-1990, Padovano et Galli montrent que de hauts taux de fiscalité et une forte
progressivité fiscale sont négativement corrélés sur le long terme aux taux de croissance
économique 2.
Browning (1987) utilise un modèle microéconomique similaire à celui qui vient
d’être présenté pour prédire des effets distorsifs de l’impôt sur l’offre de travail. Il a calculé
les pertes de bien-être occasionnées par la mise en place d’un impôt sur les revenus du travail
aux États-Unis. Logiquement, le montant de cette perte dépend de l’élasticité de l’offre de
travail à la variation du taux d’imposition. Elle varie entre 10 et 300 % selon les hypothèses
faites sur l’élasticité de l’offre de travail, le niveau de l’impôt et d’autres variables. Brow-
ning estime cependant que les hypothèses les plus réalistes conduisent à penser que les pertes
de revenu pour les travailleurs américains sont comprises entre 31,8 % et 46,0 %. Des études
similaires avec des résultats presque identiques ont été menées par Stuart (1984) et Ballard,
Shoven et Whalley (1985). Ng (2000) estime cependant que ces fourchettes sont trop impor-
tantes. Même s’il existe un débat sur leur ampleur, il semble acquis que les pertes de bien-
être provoquées par l’impôt sont importantes aux États-Unis. On peut alors penser que ces
pertes sont encore plus importantes en Europe où le niveau de l’impôt est plus élevé. Si les
pertes de bien-être augmentent de manière exponentielle avec le taux d’impôt, les pertes de
bien-être issues des impôts sur les revenus du travail doivent être plus élevées en Europe
qu’aux États-Unis. Alesina et Perotti (1997) proposent ce type d’estimations pour l’Europe
à partir d’une méthode un peu différente de celle de Browning. Ils mettent en évidence un
effet distorsif très important de l’impôt sur le travail. L’impôt provoque le chômage et fait
supporter aux pays européens une perte importante de compétitivité.

22.2 TAILLE DE L’ÉTAT ET MARCHÉ NOIR


La section précédente a montré l’effet négatif de l’impôt et plus particulièrement de taux
marginaux d’imposition élevés sur la croissance et le bien-être social. L’impôt favorise
l’apparition de stratégies visant à éviter l’impôt. Le contribuable préfère gagner moins
plutôt que payer plus d’impôt. Il peut aussi choisir de ne pas déclarer tous ses revenus. La
fraude fiscale est une manière d’éviter l’impôt. Andreoni, Erard et Feinstein (1998, p. 819)
estiment qu’environ 17 % des recettes fiscales de l’État fédéral américain ont été perdues
de cette manière. On peut dire de manière encore plus générale que les individus vont réagir
à l’impôt et à la réglementation de leurs activités en sortant de la légalité et en choisissant
l’illégalité. L’intervention de l’État conduit ainsi les contribuables à s’orienter vers le
marché noir et à délaisser les marchés légaux. Le marché noir comprend à la fois les indi-
vidus qui paient un pot de vin sur les marchés réglementés par l’État et sur les marchés illé-
gaux. Les marchés noirs ont aussi été appelés économie souterraine, secteur informel,
économie grise et, pour quelques activités bien particulières, secteur criminel 3.
2 Padovano et Galli (2001, p. 46).
3 Pour une discussion de l’ensemble de ces notions, voir Feige (1989b) et Thomas (1992).
618 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Les activités économiques décrites pas ces termes sont souterraines dans le sens où
les individus qui s’y engagent, les demandeurs et les offreurs, essayent de concilier leur
activité et celle du gouvernement. Ils entrent dans l’économie souterraine pour éviter
d’avoir à payer une licence, de se soumettre à des réglementations trop strictes et/ou à payer
des taxes trop élevées qui rendraient leurs activités non profitables.
Le développement de l’économie souterraine a plusieurs effets négatifs sur l’effi-
cacité économique d’une nation.
L’économie souterraine apporte avec elle ses propres biais. L’acheteur est par
exemple obligé d’effectuer de grandes distances pour acheter le bien qu’il recherche. Il doit
engager d’importantes ressources en temps pour organiser l’échange. Il n’a pas les mêmes
garanties que lorsqu’il procède à des échanges sur les marchés légaux. Quand la sécurité
des échanges et le contexte réglementaire sont contournés, le bien-être social est réduit à
travers des risques plus grands pour le consommateur ou des charges supplémentaires pour
l’employeur, ou des dommages sur l’environnement.
1. L’État perd le montant de l’impôt et les revenus issus de la vente des licences. Ces
pertes peuvent obliger l’État à imposer plus fortement les activités restées légales
et favoriser en plus le développement des marchés illégaux.
2. L’importance de l’économie souterraine est difficile à mesurer. Les gouvernements
peuvent prendre de mauvaises décisions de politique économique parce qu’ils ont
une vision fausse des résultats de leur économie. Supposons, par exemple, que les
systèmes d’indemnisation du chômage et de financement de la sécurité sociale
favorisent le travail au noir. Les chômeurs continuent de faire croire qu’ils cher-
chent du travail, refusent de prendre le travail qui leur est offert et touchent les
indemnités publiques. Ces individus sont bien des chômeurs volontaires. Ils
conduisent l’État à surestimer le taux de chômage et à engager des fonds publics
dans la réduction du taux de chômage qui ne sont peut-être pas justifiés.
3. Chaque individu qui participe à l’économie souterraine enfreint une loi ou une
règle instituée par le gouvernement et peut-être par la communauté. Une fois qu’un
individu a enfreint la loi, il peut être tenté de l’enfreindre une deuxième fois et
surtout il peut être incité à ne plus respecter aucune loi, même si ce dernier point
est essentiel à la vie en communauté. L’économie souterraine favorise ainsi la
généralisation des incivilités.
Quelle est la taille de l’économie souterraine ? Il est malheureusement très diffi-
cile de répondre à cette question. Plusieurs techniques ont été proposées pour approcher le
phénomène : les enquêtes, la quantité de monnaie, le niveau de la consommation d’électri-
cité.
La théorie prévoit que les individus soient réticents aux enquêtes. Ils vont donc
toujours dissimuler une partie de leurs revenus, même si l’anonymat est assuré. Il est
supposé que les chiffres dont l’on dispose sous-estiment le phénomène. Ce biais est d’au-
tant plus important que l’on cherche à évaluer des activités pour lesquelles il existe de
fortes sanctions sociales et juridiques, autrement dit tous les biens pour lesquels il y a inter-
diction d’achat et de vente (comme la drogue). Il n’est pas étonnant, par conséquent, que
les estimations de la taille de l’économie souterraine fondées sur des enquêtes aient
tendance à avoir des résultats inférieurs aux estimations faites à partir d’autres données.
Taille de l’État et performance économique 619

Pour pallier ces insuffisances, on peut évaluer la taille de l’économie souterraine


en identifiant un fait facilement observable dans un premier temps et mesurer, dans un
deuxième temps, l’activité ou la production de biens qui sont complémentaires à la fois sur
les marchés légaux et sur les marchés souterrains. On utilise pour cela la quantité de
monnaie. Supposons que la théorie quantitative soit correcte ; M = k.Y , avec M la masse
monétaire, Y la production et k une constante représentant l’écart entre la quantité de
monnaie et la production. Supposons, ensuite, qu’à un moment (t − n), le niveau de l’éco-
nomie souterraine soit nul. En t, le niveau de l’économie souterraine devient positif. Suppo-
sons, enfin, que la valeur de la constante k soit la même en t et en (t − n). Sous ces
hypothèses, les données sur la production intérieure brute (Y = PIB) et la masse monétaire
(M) à la période t − n peuvent être utilisées pour mesurer la valeur de k. Étant donné la
valeur de la constante k et le niveau observé de la masse monétaire en t, nous pouvons
prédire la croissance de la production (PIB) en t. Cela donne une estimation de la taille des
économies officielles et souterraines. La différence entre ces mesures et les mesures du PIB
officiel représente une mesure approximative de la taille de l’économie souterraine.
On peut adresser plusieurs critiques à cette technique d’évaluation de l’économie
souterraine 4. L’économie souterraine peut avoir été positive en t − n 5. k peut différer selon
les secteurs, ou évoluer dans le temps. On peut imaginer bien d’autres possibilités pour la
valeur de k. Une troisième technique d’estimation peut être utilisée. Elle consiste à évaluer
le niveau de l’économie souterraine par la consommation d’électricité. L’électricité est un
facteur de production de base de nombreuses activités de production et de consommation.
Si (E t ) est le montant de l’électricité consommée en t, et (Yt ) la production intérieure brute
en t, alors la consommation d’électricité peut être donnée par l’équation, E t = kYt . L’esti-
mation par la consommation d’électricité repose sur les mêmes bases que l’approche par la
demande de monnaie. Le paramètre k est estimé au point (t − n), quand l’économie souter-
raine est définie comme la variable X où Y peut être égale à zéro. La consommation d’élec-
tricité au temps t est alors utilisée pour prédire (Yt ), en supposant que k ne varie pas. La
différence entre la Produit Intérieur Brut prédit avec l’utilisation de la consommation
d’électricité et le PIB officiel nous donne la taille de l’économie souterraine.
Comme les techniques précédentes, celle-ci a également ses faiblesses. Schneider
et Enste (2000) discutent des mérites et des défauts de neuf techniques d’estimation présen-
tes dans la littérature.
Nous ne détaillerons pas chacune de ces approches 6. Il nous suffit de dire ici qu’el-
les donnent d’importantes informations sur l’économie souterraine dans différents pays.
Les enquêtes auprès des ménages donnent généralement des chiffres inférieurs aux varian-
tes par la monnaie ou l’électricité. L’économie souterraine en % du PIB pour le Canada à
la fin des années 1980 aurait été de 21,2 %, si on utilise une mesure par les échanges. Les

4 Voir Porter et Bayer (1989) et Schneider et Enste (2000).


5 On peut utiliser la technique d’estimation et supposer que l’économie souterraine n’est pas nulle en t − n, mais
que l’estimation en t serait très sensible à cette hypothèse.
6 Cette approche utilise une variante de la théorie quantitative de la monnaie, M V = P T où M est la quantité
de monnaie, V sa vitesse de circulation, P le niveau général des prix et T le nombre des échanges. La taille de
l’économie souterraine est estimée en comparant le nombre des transactions effectif et le nombre des transac-
tions prédit.
620 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

estimations pour l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie et/ou les États-Unis trouvent des
résultats similaires (Schneider et Enste, 2000, tableau 8).
En dépit de ces grandes différences entre les approches, deux conclusions à peu
près certaines peuvent être faites à partir de la littérature. La première est que la taille rela-
tive de l’économie souterraine est beaucoup plus importante dans les économies en transi-
tion que dans les pays développés de l’OCDE. Le tableau 22.1 présente trois groupes de
pays. L’économie souterraine dans les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine repré-
sente en moyenne 40 % de la production intérieure brute alors qu’elle représente seulement
15 % pour les pays de l’OCDE. Le niveau moyen pour les pays en transition serait entre
ces deux groupes de pays.

Tableau 22.1
Taille moyenne de l’économie souterraine dans les pays en transition, les pays de l’OCDE et les pays en transition.

Pays Poids de l’économie souterraine 1990-1993


Pays en voie de développement
Afrique 39-76 % du PIB
Amérique centrale et du Sud 25-60 % du PIB
Asie 13-70 % du PIB
Pays en transition
Ex-URSS 29-43 % du PIB
Europe centrale 9-28 % du PIB
Pays de l’OCDE 8-30 % du PIB

Source : Schneider et Enste (2000, tableau 2)


Note : estimations construites sur les approches par l’électricité et la demande de monnaie.

La deuxième conclusion est que l’économie souterraine tend à voir sa taille


augmenter. Le tableau 22.2 présente un certain nombre d’estimations pour les pays déve-
loppés de l’OCDE à différentes périodes 7. Dans chacun des 15 pays, l’économie souter-
raine a vu sa taille augmenter. En Norvège et en Suède, la croissance a été forte puisque
l’économie souterraine serait passée de 1 à 2 % du PIB en 1960 à environ 18 % du PIB en
1994. Le pays où l’économie souterraine est la plus élevée est l’Italie avec un niveau estimé
à 25 %.
Ces résultats suggèrent les mêmes questions que celles soulevées par la taille de
l’État dans le chapitre précédent. Ils ne sont pas non plus sans effet sur la manière dont on
estime l’effet de la taille du gouvernement sur la croissance de la production.
Il existe aussi une importante littérature sur les causes du développement de cette
économie souterraine. L’individu qui décide d’entrer dans l’économie souterraine n’est pas
irrationnel. Il évalue les coûts potentiels et les avantages d’une telle décision. La taille rela-
tivement importante de l’économie souterraine dans les économies développées pourrait
par conséquent s’expliquer par les coûts élevés des réglementations publiques et de la fisca-

7 Le tableau 22.2 est repris du document de travail de Schneider et Enste (2000) car il contient plus de pays et
d’années.
Taille de l’État et performance économique 621

Tableau 22.2
Estimation de la taille de l’économie souterraine dans un certain nombre de pays de l’OCDE, 1960-1994.

Estimation du poids de l’économie souterraine par la demande de monnaie en % du PIB officiel par année
Pays 1960 1970 1975 1978 1980 1990 1994
Autriche 0.4 1.8 1.9 2.6 3.0 5.1 6.8
Belgique 10.4 15.2 16.4 19.6 21.4
Canada 5.8-7.2 10.1-11.2 13.6 14.6
Danemark 3.8-4.8 5.3-7.4 6.4-7.8 6.7-8.0 6.9-10.2 9.0-13.4 17.6
Allemagne 2.0-2.1 2.7-3.0 5.5-6.0 8.1-9.2 10.3-11.2 11.4-12.0 13.1
France 3.9 6.7 6.9 9.4 14.3
Irlande 4.3 6.9 8.0 11.7 15.3
Italie 10.7 16.7 23.4 25.8
Pays Bas 4.8 9.1 12.9 13.6
Norvège 1.3-1.7 6.2-6.9 7.8-8.2 9.6-10.0 10.2-10.9 14.5-16.0 17.9
Espagne 18.0 21.0 22.3
Suède 1.5-1.8 6.8-7.8 10.2-11.2 12.5-13.6 11.9-12.4 15.8-16.7 18.3
Suisse 1.2 4.1 6.1 6.2 6.5 6.6 6.9
Grande-Bretagne 2.0 6.5 7.8 8.4 10.2 12.4
États-Unis 2.6-4.1 2.6-4.6 3.5-5.2 3.7-5.3 3.9-6.1 5.1-8.6 9.4

Source : Schneider et Enste (1998, tableau 3.3.2).

lité dans chacun de ces pays. Dans ce contexte, les bénéfices de l’économie souterraine
seraient élevés alors que le niveau des sanctions serait faible.
Ces prédictions ont été testées par Johnson, Kaufman et Zoido-Lobation (1998),
qui décrivent, dans leurs articles, différentes mesures, d’une part, de la taille de l’économie
souterraine par rapport au PIB et différents indices, d’autre part, de réglementation, de
charges fiscales et de corruption dans 439 pays d’Amérique latine, d’Union soviétique et
de l’OCDE. Ils trouvent que la taille de l’économie souterraine est d’autant plus grande que
le niveau de réglementation (régulation) est élevé, que les charges fiscales sont fortes, que
les droits de propriété ne sont pas bien respectés et que la corruption dans les administra-
tions publiques et chez les hommes politiques est généralisée. Les deux premiers résultats
estiment les bénéfices individuels de l’économie souterraine alors que les deux derniers
évaluent plutôt les coûts. Moins les droits de propriété sont respectés, plus la corruption est
forte et plus il est probable que les individus achètent le pouvoir des acteurs de l’État pour
éviter leurs sanctions. Les prédictions de Johson, Kaufman et Zoido-Lobaton sont corro-
borées par Johnson, Kaufman et Shleifer (1997) pour 15 pays de l’ancien bloc soviétique.
Johnson, Kaufman et Shleifer (1997, pp. 209-210) identifient trois types d’économie en
transition en Europe de l’Est et dans l’ancien empire soviétique.
Il y a tout d’abord les pays où le pouvoir politique contraint fortement l’économie
avec des niveaux de fiscalité hautement discrétionnaires, et des quantités de biens publics
plutôt faibles. La taille de leurs économies souterraines s’avère encore faible. Il y a, ensuite,
les pays où la fiscalité est plutôt juste, le niveau de réglementation publique faible, une
forte fiscalité sur les revenus et une production de biens collectifs relativement satisfai-
622 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

sante. Le troisième groupe se constitue de pays où les taxes sont injustes, les réglementa-
tions relativement onéreuses, les niveaux d’imposition bas et où les quantités de biens
collectifs sont faibles. Ce groupe se compose essentiellement des anciens pays de l’Union
soviétique. Les pays du deuxième et du troisième groupe ont une économie souterraine
moins importante et des taux de croissance plus forts.
La dernière observation permet de dégager une relation entre taille de l’économie
souterraine et performance économique d’un pays. Elle permet de renouveler la manière
dont on explique le sous-développement, la corruption dans le secteur public et le caractère
oppressif de leur système fiscal. La relation plutôt négative entre corruption et faiblesse de
la croissance économique confirme ce résultat (Mauro, 1995) 8. Plus récemment, Tanzi et
Davoodi (2000) 9 constatent qu’il existe une corrélation négative et significative pour 97
pays pour l’année 1997 entre un index de perception de la corruption (données Transpa-
rency international) 10 et le PIB par habitant ainsi que le taux de croissance du PIB par
habitant de 1997 pour ces mêmes pays (figure 22.2). Ils observent aussi un coefficient de
corrélation de 0,32 statistiquement significatif entre le taux de croissance du PIB par habi-
tant de 1997 et l’indice de perception de la corruption.
Croissance du PIB par habitant 1997

Indice de perception de la corruption

Figure 22.2
Corruption et croissance dans 97 pays pour l’année 1997.

Source : Tanzi et Davoodi (2000).

8 Voir plus généralement sur les indicateurs de qualité des gouvernements (Clague, Keefer, Knack et Olson
(1996) ainsi que Keefer et Knack (1995).
9 Tanzi V. et Davoodi H.R. (2000).
10 Pour une présentation des débats et des critiques autour de cette mesure de la corruption, voir Cartier-Bresson
(2008, pp. 50-52).
Taille de l’État et performance économique 623

À la question « pourquoi l’économie souterraine croît-elle rapidement dans de


nombreux pays depuis 1960 ? », il est possible de répondre que la principale cause de ce
développement est la croissance de la taille de l’État. Le tableau 22.2 tend à confirmer cette
proposition. La taille de l’État est beaucoup moins grande en Suisse et aux États-Unis que
dans d’autres pays et ces deux pays sont aussi les pays où l’économie souterraine est la
moins importante puisqu’elle représenterait moins de 10 % du Produit Intérieur Brut. L’Au-
triche infirme, cependant, cette conclusion puisqu’elle a une économie souterraine qui ne
dépasse pas 10 % de son PIB et un État de taille moyenne relativement à l’échantillon du
tableau 22.2. La croissance de la taille du gouvernement a été identique en Suède et aux
Pays-Bas, mais l’économie souterraine semble beaucoup plus importante en Suède qu’aux
Pays-Bas. Cette explication reste cependant fragile et fait encore l’objet d’importants
travaux.

22.3 TAILLE DE L’ÉTAT ET CORRUPTION


Les transactions passées par les citoyens dans l’économie souterraine représentent une acti-
vité illégale tout comme la corruption à laquelle peuvent s’adonner les membres du gouver-
nement.
L’objet de cette section n’est pas de faire le point sur la littérature désormais
importante sur l’économie politique de la corruption. Il s’agit plus modestement de présen-
ter quelques résultats et théories sur la relation entre taille de l’État et corruption. Cela
correspond bien à l’esprit initial de l’école des choix publics et est lié à la théorie de la
recherche de rente (chapitre 15, p. 334).
Après être restée dans l’ombre, l’étude du phénomène de la corruption est
devenue, depuis les années 1990, un sujet d’études majeur aussi bien pour les médias que
pour les sciences économiques (Cartier-Bresson, 2008). Les premiers à avoir investi ce
champ appartiennent à l’école des choix publics, à l’école de Chicago et à l’école de Virgi-
nie. Ils ont ensuite été suivis par l’élaboration d’une microéconomie de la corruption (Rose-
Ackerman, 1978, 1999) 11 ainsi que par le développement au sein de la Banque mondiale
de modèles néo-institutionnalistes (Kaufmann, Kraay et Zoido-Lobaton, 1999b, modèle
KKK) et de travaux consacrés à la mesure de la corruption afin de faire des comparaisons
entre les pays et de pouvoir évaluer les effets de ce phénomène sur la croissance. Les
enquêtes ont alors été abandonnées pour laisser place à des indicateurs comme celui de
l’association à but non lucratif Transparency International ou l’indicateur de gouvernance
proposée par l’équipe de la banque mondiale (KKK, 1999).
Si on s’en tient à l’école des choix publics et à la relation taille de l’État - corrup-
tion, il faut rappeler que le pot de vin, dans cette perspective, a la nature d’une rente.
Murphy, Shleifer et Vishny (1993) distinguent deux types de rente : les rentes privées et les
rentes publiques. Les rentes privées sont définies comme des actes de piraterie, des litiges
et plus généralement des transferts entre individus privés (Murphy, Shleifer et Vishny,
1993, p. 412). Les rentes publiques correspondent à un transfert fiscal du privé vers le
public et à l’ensemble des stratégies engagées par les groupes de pression pour obtenir des
11 Rose-Ackerman (2004, 1999, 1978).
624 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

transferts et/ou corrompre un partenaire. Parmi les rentes publiques, il y a les pots de vin.
Les effets de la dépense de rente ne doivent pas, pour cette raison, être cantonnés aux
dépenses des lobbies, mais être étendus à l’étude des effets de la corruption, par exemple,
sur les choix institutionnels et in fine l’arbitrage que les entrepreneurs font entre recherche
de rente et recherche de profit. La corruption a au moins deux effets. Elle augmente les
coûts de l’échange et tend à orienter les ressources vers l’économie souterraine. Lorsque
l’on se contente d’étudier la relation taille de l’État - corruption, on se focalise sur les
causes de la corruption politique et politico-administrative (Cartier-Bresson, 2008, pp. 79-
109), autrement dit de la corruption lors de l’octroi d’un marché public ou d’un traitement
privilégié. Il est logique, dans ces conditions, de lier taille de l’État et corruption. Les occa-
sions de corruption sont d’autant plus nombreuses que le nombre de personnes dépositai-
res de l’autorité publique s’accroît et que les prérogatives attachées à leur fonction, à leur
mission et à leur mandat sont importantes (Facchini, 2004, p. 30). Le dépositaire de l’au-
torité publique est d’autant plus sollicité qu’il peut infliger des pertes ou accroître les
profits de entrepreneurs. Les entrepreneurs vont alors chercher à obtenir la protection des
hommes du gouvernement en finançant, par exemple, leurs campagnes électorales et leurs
partis politiques. La bureaucratisation de l’économie crée ainsi des processus de recherche
de gain inattendus et non désirés (Kirzner, 1985, p. 145). De telles occasions n’existent que
parce que les individus peuvent devenir des preneurs de règles. Ils peuvent, grâce à leur
action politique, modifier les prix, la qualité et/ou les quantités. Les nouvelles règles du jeu
qu’ils imposent aux autres joueurs induisent alors pour tout le monde de nouvelles occa-
sions de pur gain (rente) mais aussi l’élimination d’autres occasions de profit qui, en l’ab-
sence de changements dans les règles du jeu, auraient existé (Kirzner, 1985, p. 144). Une
forme d’occasion de gain, naissant de l’intervention publique à laquelle on peut s’attendre,
est la corruption des hommes politiques et des administrations publiques. La corruption est
l’occasion de saisir un gain pur généré par l’intervention publique (Kirzner, 1985, p. 145).
Elle conduit à une dépravation de la vie publique et des affaires qui accroît les coûts de la
protection légale des droits de propriété et suscite logiquement une demande de plus en
plus exigeante de la part des chercheurs de rente qui souhaitent que leurs investissements
en influence politique aient un rendement suffisant.
Un certain nombre de travaux empiriques ont développé cette théorie. On peut
citer les travaux de Sanchez et Walters (1974), Banfield (1975) et Rottenberg (1975) ainsi
que l’étude Goel et Nelson (1998) sur les États-Unis 12. Cette dernière utilise un travail
d’enquête sur les opinions des individus à propos des abus des administrations publiques
pour mesurer la corruption. Elle trouve que la corruption augmente avec la taille de l’État
et qu’elle est inversement liée aux salaires des employés de l’État. Acemoglu et Verdier
(2000) ont théorisé ce résultat. Ils traitent de la corruption comme un type de coût de trans-
action. L’intervention de l’État se justifie par les défaillances du marché, mais n’est pas
neutre sur les coûts de transaction (leur montant est d’autant plus important que les échecs
du marché sont forts).
Pour mieux comprendre leur résultat et leur raisonnement, prenons un exemple, la
production d’un bien collectif comme un pont. Les élus votent pour la construction d’un

12 Voir aussi la synthèse en français de Lafay (1990).


Taille de l’État et performance économique 625

pont. L’assemblée nationale ou locale doit, à cette fin, voter l’émission d’obligations afin
de financer cette infrastructure. Le pont sera, à l’avenir, financé par un péage. Il faut dési-
gner un producteur à partir d’une procédure de marché public. Un fonctionnaire (bureau-
crate) payé par l’État est chargé de ces opérations. Il doit choisir une entreprise privée
parmi plusieurs. Les élus, les citoyens et le bureaucrate sont liés par une relation de type
principal-agent (bureaucrate). En l’absence d’informations complètes sur l’ensemble des
offres des différentes entreprises, les élus sont incapables de savoir si le bureaucrate a
choisi la bonne entreprise, autrement dit celle qui proposait la meilleure combinaison prix,
quantité, qualité. Les élus ne sont pas non plus en mesure de déterminer si le choix des
bureaucrates est déterminé par les caractéristiques de l’offre ou par la taille du pot de vin
qui l’accompagne. La corruption est, en ce sens, presque une conséquence inévitable de
l’existence d’une relation d’agence 13.
Person et Tabellini (2000c) soutiennent que la corruption est d’autant plus impor-
tante que le système électoral est organisé selon un mode de scrutin proportionnel. La
corruption serait d’autant plus importante que les hommes politiques sont faiblement
responsables individuellement des décisions politiques. Ils pensent que la représentation
proportionnelle favorise la corruption car elle rend les élus moins responsables devant les
électeurs que d’autres systèmes de représentation.
Une meilleure connaissance des causes de la corruption politique et politico-admi-
nistrative permet d’agir sur son niveau. La corruption est une défaillance de l’État. Elle
justifie les politiques de libéralisation. Moins d’État conduirait à moins de corruption. Si la
corruption trouve ses origines dans une relation d’agence, il est possible de réduire la
probabilité que le bureaucrate sacrifie l’intérêt public à ses intérêts en lui offrant un salaire
supérieur à ce qu’il trouverait dans le secteur privé. Le bureaucrate craint de perdre sa place
et de devoir accepter une place dans le secteur privé moins bien rémunérée. Le coût de la
corruption est accru. L’élu arbitre, alors, entre le coût d’une telle mesure et le coût d’avoir
un bureaucrate corrompu. Si les coûts de la lutte contre la corruption sont plus élevés que
ses bénéfices, il est préférable de laisser la corruption se développer. Cela explique l’exis-
tence de la corruption 14. Si la corruption est liée à la taille de l’État, moins d’État devrait
permettre de réduire la corruption. De même, si plus de proportionnel réduit la corruption,
une réforme des modes de scrutin peut avoir un effet sur les comportements de prévarica-
tion des élus et des bureaucrates.

22.4 TAILLE DU GOUVERNEMENT ET PRODUCTIVITÉ


ÉCONOMIQUE
Le gouvernement doit fournir les biens et services capables de mener une société d’un état
d’anarchie à une situation de prospérité économique et d’améliorer le bien-être collectif.

13 Pour une présentation plus précise des modèles d’agence appliqués à la corruption, voir Cartier-Bresson (2008,
p. 64).
14 Voir Acemoglu et Verdier (2000) pour plus d’information sur la discussion et les résultats.
626 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

De nombreux biens publics peuvent avoir un effet direct et positif sur l’efficacité
de l’économie du secteur privé. Les routes, les canaux, les aéroports facilitent le transport
des biens. Un système judiciaire limite les coûts de l’échange et la mise en œuvre des
contrats. L’éducation peut également améliorer la productivité du travail, etc.
À côté de ces effets directs sur la productivité, l’activité de l’État peut entraîner une
augmentation de la productivité par (1) la hausse du taux d’utilisation du stock de capital
existant dans le pays en combattant la stagnation et le chômage, (2) la réduction des conflits
sociaux en limitant les inégalités et la pauvreté et (3) l’augmentation du temps de travail
obligatoire afin de suppléer à la perte de revenu provoquée par une forte pression fiscale 15.
Bien sûr, l’activité de l’État peut également avoir des effets négatifs sur la produc-
tivité économique (1) parce qu’une fiscalité élevée entraîne un effet de substitution en ce
sens que les individus ne sont pas incités à travailler ni à épargner, (2) parce que l’inter-
vention étatique peut orienter l’activité des entrepreneurs vers la recherche de rente au
détriment de la recherche de profit et (3) parce qu’elle évince l’investissement et la produc-
tion privée (Hansson et Henrekson, 1994, p. 384).
Ces considérations suggèrent l’existence d’une courbe en U inversé entre l’activité
de l’État et la productivité économique. La figure 22.3 présente cette relation. Quand la
taille de l’État est faible, les routes et autres infrastructures sont insuffisantes et entraînent
une faible productivité. Lorsque la taille de l’État augmente, cela permet d’améliorer les
infrastructures et la productivité augmente. Si la taille de l’État va au-delà de g ∗ (figure
22.3), il est probable que son activité nuise à la productivité des facteurs et que les effets
négatifs de son activité l’emportent sur les effets positifs. Lorsque la totalité du produit
intérieur brut (PIB) est consacrée à la construction de routes et autres biens publics, la
productivité reste faible.
Peden (1991) a établi une relation entre productivité du travail et taille de l’État à
partir de données agrégées pour les États-Unis de 1929 à 1986. Son travail révèle l’exis-
tence d’une courbe en U inversé de la forme de la courbe représentée sur la figure 22.3. Il
existerait un pic de productivité pour un État pesant 17 % du PIB. Durant la première
période étudiée, la taille du gouvernement était inférieure à sa taille optimale. La croissance
des dépenses publiques a été favorable à la productivité des facteurs. Durant les années
1930 et la politique du New Deal, le niveau des dépenses publiques est devenu supérieur à
son niveau optimal et la croissance de la productivité a été freinée. Peden attribue la baisse
de la productivité américaine à la fin des années 1960 à l’augmentation rapide des dépen-
ses publiques aux États-Unis depuis les années 1930 16.
Hansson et Henrekson (1994) ont étudié la relation entre l’activité du gouverne-
ment et la productivité dans le secteur industriel. En se concentrant sur la productivité dans
le secteur privé, ils évitent le problème posé par une régression de la production étatique.
Leurs données portent sur 14 secteurs industriels et 14 pays de l’OCDE sur la période
1965-1982 et 1970-1987. Hanson et Henrekson n’estiment pas une relation non linéaire
entre la productivité des facteurs et les dépenses publiques. Mais, étant donné leur échan-
tillon, on peut supposer qu’aucun de ces 14 pays de l’OCDE n’avait un secteur étatique
inférieur à la taille optimale. En faisant ensuite l’hypothèse d’une relation non linéaire entre
15 Pour une discussion et quelques références sur ce thème, voir Hansson et Henrekson (1994, pp. 382-383).
16 Voir aussi les travaux de Peden et Bradley (1989).
Taille de l’État et performance économique 627

taille du gouvernement et productivité, la figure 22.3 illustre leur hypothèse et la valide. Ils
estiment désormais que les pays de leurs échantillons ont atteint un niveau de dépenses
publiques qui a un effet négatif sur la productivité de leurs combinaisons productives.
L’équation 22.15 donne un exemple assez représentatif du travail d’Hansson et
Henrekson (1994, tableau 5) pour la période 1965-1982. (le t de student est donné sous
chaque coefficient).
TFPG = 0,042 + 0,023k̇ + 6905l˙ – 0,001CATCH
4,52 2,26 9,34 2,69
(22.15)
– 0,168(GC – GE) + 0,278GE – 0,050GI – 0,083GTR
4,24 2,01 0,45 2,76

La variable dépendante est la productivité totale des facteurs (TFPG). Les variables k et l
sont la part pondérée exprimée en pourcentage de variation du capital et du travail. Ils
prédisent des signes positifs. CATCH est le log du ratio de productivité (TFP) pour l’in-
dustrie dans l’échantillon. La variable CATCH sert à saisir l’hypothèse de « catch up ». Il
s’agit de calculer la productivité la plus basse pour une industrie (TFP) dans un pays donné
et de la comparer à sa valeur la plus élevée pour cette même industrie dans un autre pays.
Les auteurs de ce modèle prévoient que cette variable aura un signe négatif.
Ce qui nous intéresse principalement, néanmoins, est l’effet de la variable dépen-
ses publiques :
GC-GE = les dépenses de consommation de l’État moins ses dépenses d’éducation
GE = les dépenses d’éducation de l’État
GI = les dépenses d’investissement de l’État
GTR = les dépenses de transferts de l’État

On constate que les dépenses de transfert et les dépenses de consommation de


l’État moins ses dépenses d’éducation ont un effet négatif sur la croissance de la producti-
vité dans l’industrie. Une augmentation de 10 points des dépenses publiques hors dépenses
d’éducation réduit la hausse de la productivité totale des facteurs de 1.68 par année. D’autre
part, une augmentation de 10 points des dépenses publiques d’éducation augmente la crois-
sance de la productivité totale des facteurs de 2,78 % par an. Les 14 pays de l’OCDE de
l’échantillon de Hansson et Henrekson apparaissent ainsi assez bien suivre la courbe en U
inversée de la figure 22.3. Le coefficient correspondant aux investissements publics est non
significatif 17.
Les résultats de Peden, et Hanson et Henrekson révèlent que les dépenses
publiques peuvent avoir à la fois des effets positifs et négatifs sur la productivité des
facteurs et que cela dépend de la taille de l’État et de la nature des dépenses publiques. À
l’exception des dépenses d’éducation, le niveau des dépenses publiques semble avoir
dépassé le niveau au-delà duquel elles maximisent la productivité des facteurs.
La plupart des pays en développement ont une taille de l’État faible et seraient par
conséquent dans la première phase de la courbe en U inversé de la figure 22.3. Tous les
17 Les 14 pays de l’échantillon de Hanson et Henrekson sont : Australie, Belgique, Canada, Danemark, Finlande,
France, Italie, Japon, Pays Bas, Norvège, Suède, Royaume-Uni, États-Unis et Allemagne de l’Ouest.
628 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Productivité

Taille de l’État

Figure 22.3
Relation entre productivité et taille de l’État.

gouvernements n’ont cependant pas le même niveau de corruption et ne sont pas tous de la
même qualité. Oslan, Sarna et Swamy (2000) montrent pour un échantillon de pays en voie
de développement que la croissance de la productivité est positivement corrélée à la qualité
de l’État 18.

22.5 TAILLE DE L’ÉTAT ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE


La relation entre taille de l’État et croissance économique peut être à la fois simple et diffi-
cile à observer. Cela est plutôt facile si les indicateurs de mesure de la croissance et de la
taille de l’État sont acceptés. En revanche, cela se complique à partir du moment où les
indicateurs sont rediscutés et que l’on cherche à différencier les effets des dépenses
publiques selon les types de dépenses. Cette section n’a rien d’original par rapport à la
macroéconomie des dépenses publiques et aux débats issus de la théorie de la croissance
endogène. Les travaux sur l’inefficacité bureaucratique (chapitre 16), la théorie de la

18 Ils utilisent un indice de risque pays qui combine différentes caractéristiques des politiques publiques qui
concernent les investisseurs et mesurent ainsi la qualité de l’État.
Taille de l’État et performance économique 629

recherche de rente (chapitre 15) ou la théorie de la sclérose institutionnelle (chapitre 22.6)


expliquent que l’on observe une relation plutôt négative entre taille de l’État et croissance
économique du PIB. Cela ne veut pas dire, cependant, que l’intervention publique a un effet
toujours négatif sur la croissance économique. C’est l’autre version de la théorie. Si l’État
investit dans l’éducation ou les infrastructures, par exemple, il est probable qu’il soutienne
la croissance. Cela conduit à proposer une relation non linéaire entre taille de l’État et crois-
sance. C’est l’hypothèse d’une relation en U inversé.

22.5.1 Problèmes méthodologiques


L’hypothèse d’une relation en U inversé entre dépenses publiques et taille de l’État est
raisonnable si l’on suppose que la taille de l’État de chaque pays est déterminée de manière
exogène ou du moins que les pays ne cherchent pas à maximiser leur niveau de croissance
économique.
Les pays avec un secteur public de petite taille manquent d’infrastructures pour
atteindre le niveau maximum de croissance (voir figure 22.4.a - chaque point représente
une observation pour un pays). Il peut s’agir des pays en voie de développement, qui
manquent d’infrastructures pour dégager un niveau d’impôt suffisant pour offrir les servi-
ces publics nécessaires à leur développement (Kau et Rubin, 1981). D’autres pays sont
plutôt dans la phase de la courbe en U inversé où la taille de l’État est un handicap pour
leur croissance économique. Cette situation est peut-être le résultat du choix des citoyens
qui ont opté pour la sécurité à travers une large politique de redistribution de l’État et des
stratégies des bureaucrates qui ont réussi à fixer les dépenses publiques au-delà de la
demande des citoyens ou peut-être pour d’autres raisons discutées dans ce livre. La courbe
en U inversé est une hypothèse qui ne donne aucune explication sur les raisons politiques
d’un niveau d’intervention publique déficient en matière de croissance économique.
Les leaders politiques ou les citoyens peuvent choisir la taille de l’État qui maxi-
mise le taux de croissance de leur pays. L’existence d’une courbe inversée suppose cepen-
dant qu’il existe pour tous les pays une même taille de l’État maximisant leur potentiel de
croissance économique. Les différences entre les secteurs étatiques des différents pays
reflètent alors de simples chocs aléatoires. Les données sont regroupées autour du sommet
de la courbe. Aucune relation statistique ne peut être observée entre les deux variables 19.
Étant donné que les ratios dépenses publiques sur PIB varient de 20 % à plus de 70 %, cette
hypothèse paraît cependant peu probable, du moins en ce qui concerne le niveau global des
dépenses publiques.
Une troisième possibilité est qu’il existe plusieurs types de relations entre la taille
du gouvernement et la croissance économique. Cette relation peut dépendre d’une multi-
tude de facteurs, comme le niveau de développement économique d’un pays. Cette possi-
bilité est illustrée par la figure 22.4.b. La courbe n’est plus en U inversé mais en L pour les
pays en voie de développement, en M pour les pays en voie d’industrialisation et en H pour
les pays développés. Les pays en voie de développement ont des niveaux d’analphabétisme
élevés, un secteur agricole important et d’autres caractéristiques qui limitent leurs taux de
19 Voir Barro (1990, pp. 120-1) et pour une discussion méthodologique générale Slemrod (1995, pp. 381-389).
630 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Figure 22.4
Relations entre taille de l’État et croissance économique.
Taille de l’État et performance économique 631

croissance potentielle. Produire les services publics (infrastructures) qui favorisent la crois-
sance dans les pays en voie d’industrialisation n’aurait pas les mêmes effets dans les pays
en voie de développement. Les pays en voie d’industrialisation ont un potentiel de crois-
sance plus grand. Ils peuvent plus facilement jouer sur l’effet catch up et adopter les tech-
nologies des pays les plus développés. Les plus pauvres, en revanche, ne peuvent pas jouer
sur cet effet (catch up) et leur potentiel de croissance est plus limité.
Si pour chaque niveau de développement, il est possible de placer les pays le long
de la courbe comme cela est montré sur la figure 22.4, chaque paramètre de la courbe peut
être estimé et les pays peuvent être regroupés selon leurs caractéristiques. Toute estimation
faite sur un échantillon agrégé serait fallacieuse.
Cela vaut aussi si la taille du gouvernement est choisie par chaque pays en vue de
maximiser le taux de croissance de l’économie. On peut illustrer cette hypothèse par l’exis-
tence de groupes de pays placés sur des courbes différentes, comme cela est représenté sur
la figure 22.4 (b). Si les trois courbes étaient positionnées comme celles de la figure 22.4
(b), il est possible d’estimer la relation entre taille de l’État et croissance. Les conséquen-
ces de ces estimations sont que, pour les pays en voie de développement, les taux de crois-
sance augmenteraient plus vite avec un État de plus grande taille relativement aux autres
pays. En revanche, pour les pays développés, la croissance augmenterait moins vite si le
poids de l’État est important. Chaque pays aurait une taille de l’État optimale qui
correspondrait à son niveau de développement.
Cette conclusion suggère que toutes les relations systématiques qui existent entre
taille de l’État et croissance économique seraient difficiles à soutenir sur la base d’études
en coupe transversale sur des données nationales. Pour cela, il faut prendre soin d’intégrer
dans la recherche de corrélation les bonnes variables de contrôle, comme le niveau de déve-
loppement économique. La section suivante présente les principaux résultats de la littéra-
ture économétrique sur cette relation.

22.5.2 Preuves empiriques


Il existe une importante littérature empirique sur la relation taille de l’État – croissance.
Ram (1986) et Aschauer (1989) mettent en évidence un effet positif des dépenses publiques
sur la croissance. Kormendi et Meguire (1985), Easterly et Rebelo (1993) et Agell, Lindh
et Ohlsson (1997) trouvent, en revanche, qu’il n’existe aucune relation entre ces deux gran-
deurs. Agell, Linddh et Ohlsson critiquent très durement les techniques économétriques des
premières études. Fölster et Henrekson (1999, 2001), sur la base de méthodes renouvelées,
concluent à nouveau que, pour les pays de l’OCDE, une forte pression fiscale et un poids
élevé de l’État dans l’économie ont des effets négatifs sur la croissance. Ils rejoignent les
résultats de Landau (1983), Weede (1984), Grier et Tullock (1989), Scully (1989), Grosman
(1990), Fölster et Henrekson (1999, 2001), Mueller et Stratmann (2000), Gwartney,
Holcombe et Lawson (1998), Bernolz (2000), Barro (2000) et Tabellini (2005). La
figure 22.5 illustre ce résultat par un fait stylisé sans variable de contrôle. Elle montre une
relation statistique négative et significative entre la taille de l’État mesurée par le ratio
dépenses publiques sur PIB et le taux de croissance moyen pour chaque décennie de 1960
632 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

10
Growth = 7.14 – 0.100 (Govt.)
Pourcentage du taux de croissance

(8.10)
moyen pour chaque décennie

R2 = 0.42

0
10 20 30 40 50 60
Ratio dépenses publiques sur PIB pour les décennies
1960 –1970, 1970 – 1980, 1980 – 1990, 1990 – 1996

Figure 22.5
La hausse des dépenses publiques réduit la croissance économique des pays de l’OCDE.

Source : Gwartney et al. (1998, p. 10).

à 1996 pour les 23 pays de l’OCDE 20. Elle conduit à penser qu’une hausse de 10 points de
la part des dépenses gouvernementales dans le PIB réduit le taux de croissance annuel d’un
point. La lecture attentive des articles cités permet d’approfondir ce point et de prendre
connaissance des variables de contrôle utilisées.
Les études d’Alesina et Rodrik (1994) et de Persson et Tabellini (1994) corrobo-
rent indirectement cette affirmation. Elles soutiennent que la fiscalité et l’ensemble des
interventions de l’État jouant sur les inégalités de revenus sont susceptibles d’avoir un effet
sur la croissance qui est d’autant plus grand que les inégalités initiales de revenu sont
grandes. Les politiques de redistribution introduisent des distorsions qui nuisent à la crois-
sance. Une relation négative entre inégalité de revenu et croissance économique est prédite
et observée. Persson et Tabellini trouvent que la relation négative entre inégalités de revenu
et croissance économique n’existent que pour les démocraties 21. Ce résultat est plausible,
les groupes d’intérêt constitués d’individus pauvres étant sans doute plus puissants en
démocratie que dans les régimes autoritaires. Ce débat renvoie aux études sur la relation
qui unit démocratie et croissance. Elles seront présentées dans le chapitre 18. Elles ne
seront que brièvement discutées dans cette section.

20 Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Islande, Irlande, Italie,
Japon, Luxembourg, Pays-Bas, Nouvelle Zélande, Norvège, Portugal, Espagne, Suède, Suisse, Grande-Breta-
gne et États-Unis.
21 Alesina et Rodrik trouvent que la relation est robuste quel que soit le régime politique.
Taille de l’État et performance économique 633

Ce résultat est d’autant plus juste que le calcul du PIB est très favorable aux États
dépensiers. L’ensemble des activités de recherche de rente et de contre-recherche de rente
sont intégrées dans le calcul du PIB. Les salaires des lobbyistes, la fourniture des pancar-
tes lors des manifestations ou l’édition des tracts lors des grèves, participent à la formation
du PIB. Cela conduit à surestimer le PIB et à sous-évaluer les effets des dépenses publiques
sur le PIB (Wagner, 1980). Le calcul du PIB, ensuite, surestime la croissance des pays à
fortes dépenses publiques (Buchanan et Fort, 1961). Les biens publics ne sont pas vendus
sur le marché. Ils n’ont pas de prix de marché pour les évaluer. Ils sont ajoutés, pour cette
raison, aux coûts. Holcombe (2004, pp. 394-395) note à la suite de Buchanan et Forte ou
Rothbard (1970) que les conventions de la comptabilité nationale devraient conduire les
comptables nationaux à ne pas inclure les biens publics dans le PIB. Par convention, la
comptabilité nationale définit le PIB comme la valeur de marché de tous les biens et servi-
ces produits dans une économie durant une période d’un an (en général). Pour calculer ce
PIB, la comptabilité nationale n’utilise que des valeurs de marché. Si on s’en tenait à ce
principe, l’apport du secteur public à la production nationale devrait être nul.
Toujours par convention, la comptabilité nationale n’inclut que les biens finaux et
exclut pour cette raison les biens intermédiaires 22. Les biens publics sont généralement des
biens intermédiaires. Ils ne devraient donc pas être intégrés dans le calcul du PIB. L’argu-
ment est le suivant. Si la production totale d’acier était additionnée au total de la produc-
tion automobile, l’acier serait comptabilisé deux fois. Une première fois, quand l’acier est
produit et une seconde fois au moment du calcul de la valeur des automobiles. De la même
manière, ajouter les coûts des biens publics qui sont des biens intermédiaires provoque un
doublon dans le calcul. Si un commerçant passe un contrat avec un vigile pour assurer la
sécurité de son magasin, cela est inclus dans son coût de production. La prestation du vigile
est un bien intermédiaire. Il devrait en être de même pour l’officier de police nationale
(Holcombe 2004, p. 395). Comme le soutenait Kuznets (cité par Forte et Buchanan, 1961,
p. 113), la manière dont la comptabilité nationale mesure le PIB conduit donc à surestimer
le PIB et l’apport des biens publics à la richesse nationale. Holcombe (2004, pp. 395-396)
en tire quelques conséquences de politique économique. Si la taille du secteur public croît,
cette croissance est ajoutée statistiquement au revenu qui mesure la croissance. En période
de baisse de la croissance, l’augmentation des dépenses publiques favorise de manière
comptable la croissance du PIB, sans que cela ait un résultat effectif avéré sur la croissance
de la production. La croissance des dépenses publiques masque alors d’autant plus la réces-
sion que la comptabilité nationale introduit un biais en ne comptabilisant pas une partie des
biens publics comme des biens intermédiaires. La corrélation significative et négative entre
dépenses publiques et croissance est d’autant plus nette que le mode de calcul du PIB est
favorable à la dépense publique.
Ce résultat ne milite cependant pas en faveur de la disparition de l’État. Après la
théorie de la croissance endogène, Gwartney et al. (1998) soutiennent qu’il faut recentrer
l’État sur les tâches qui ont le meilleur retour sur investissement, autrement dit qui favori-
sent l’activité entrepreneuriale. Il cite, alors, classiquement, la sécurité, la justice, la
défense nationale, les infrastructures et l’éducation. Tabellini (2005, p. 293) estime cepen-
dant qu’il existe une relation statistique positive et significative entre les infrastructures de

22 Voir l’utilisation de cet argument par Facchini (2008).


634 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

communication / transport et la croissance mais que la corrélation entre les dépenses d’édu-
cation ou de santé et la croissance n’est pas robuste (Tabellini 2005, p. 293). Barro (2000),
au contraire, dans son étude sur 104 pays estime que la consommation publique globale a
un effet nettement négatif sur la croissance, dépenses d’éducation et de défense exclues. Il
en conclut qu’un pays qui fait respecter la loi, réduit la consommation publique et stabilise
les prix, encourage la croissance économique en stimulant l’investissement (Barro, 2000,
p. 35).
Barro (1991) testait initialement, à la fois l’effet de la taille de l’État et de la stabi-
lité politique sur la croissance du PIB par habitant pour 98 pays sur la période 1960-1985.
Il a inspiré d’importants travaux sur l’effet des régimes politiques sur la croissance.
Les résultats les plus significatifs de l’étude de Barro sont présentés dans le
tableau 22.3.

Tableau 22.3
Croissance du revenu par habitant et croissance de la taille de l’État (la variable à expliquer est le taux de croissance du
PIB par habitant, 1960-1985).

Coefficient (erreurs standard) Variables explicatives


0.0345 Constante
(0.0067) Variables de contrôle culturelles et économiques
–0.0068 PIB réel par habitant (1960)
(0.0009)
0.0133 Taux de scolarisation dans le secondaire (1960)
(0.0070)
0.0263 Taux de scolarisation dans le primaire (1960)
(0.0060)
–0.014 Variable muette pour les pays africains
(0.0039)
–0.0129 Variable muette pour les pays d’Amérique du Sud
(0.0030)
Variables politiques
–0.094 Ratio dépenses publiques sur PIB
(0.026)
–0.0167 Révolutions par année
(0.0062)
–0.0201 Assassinats politiques par millions d’habitants et par année
(0.0131)
–0.0140 Index de distorsion de prix
(0.0046)
R2 = 0.62, n=98

Source : Barro (1991, tableau 1, eq. 14).

Barro utilisait comme variables de contrôle le revenu initial et le niveau d’éduca-


tion de la population dans le primaire et le secondaire. Il a montré l’existence d’une relation
Taille de l’État et performance économique 635

positive entre taille de l’État et croissance quand le gouvernement produit un niveau suffi-
sant d’éduction primaire et secondaire. En tenant compte de ces variables et en supposant
les variables politiques constantes, il apparaît que cela explique une partie de la faible crois-
sance des pays d’Afrique et d’Amérique du Sud. L’introduction d’autres variables explica-
tives modifiait ce résultat. Il montrait alors que les politiques réglementaires pouvaient
distordre les prix (indice de distorsion de prix) et avoir un effet négatif sur la croissance. Il
mesurait l’instabilité politique par le nombre de révolutions et d’assassinats. Il trouvait que
l’instabilité politique avait aussi un effet négatif sur la croissance. Il n’observait en revan-
che aucune relation entre dépenses d’investissement de l’État et croissance économique
dans ses analyses en coupe transversale. Cette conclusion de Barro est contre-intuitive et
peut susciter des doutes quant à la pertinence de ce type d’analyse en coupe transversale.
Grosman (1987, 1988a, 1988b) teste directement l’hypothèse d’une courbe en U
inversée. Il montre, lui aussi, qu’il existe un effet négatif de la croissance de la taille de
l’État sur la croissance, mais que si l’on isole la variable fiscale du modèle des dépenses
publiques (dépenses d’éducation et de défense nationales comprises), l’effet devient positif
sur la croissance. Il a aussi proposé des études sur les États-Unis et l’Australie qui confir-
ment la thèse d’une courbe en U inversé pour ces pays. Il rejoint les résultats de Peden
(1991) qui montrait pour les États-Unis que la taille de l’État avant 1929 était inférieure à
la taille optimale. Grossman complète ce résultat en soutenant qu’après 1940, la taille de
l’État américain serait trop élevée.
À la suite des travaux de Barro, quelques études ont distingué l’effet de la taille de
l’État sur la croissance selon les régimes démocratiques et non démocratiques, d’autres ont
construit des indices de libertés économiques et politiques. Comme pour la relation taille
du gouvernement – croissance, il existe des études qui observent une relation négative entre
démocratie et croissance et d’autres qui montrent l’existence d’une relation positive ou
l’absence de toute relation 23.
La position la plus sage est sans doute de dire que la démocratie est corrélée au
niveau de développement économique (PIB par habitant), mais pas au taux de croissance
(Feng, 2003, chapitre 4, p. 74). Cette littérature sera traitée au chapitre 18 de manière plus
précise. On peut juste dire ici que la relation entre liberté et croissance est très sensible à la
mesure des libertés et de la démocratie ainsi qu’aux variables de contrôle utilisée (Levine
et Renelt, 1992 ; de Haan et Sierman, 1995, 1998 ; Heckelman et Stroup, 2000).
Si on délaisse la relation démocratie - croissance, on peut aussi dire qu’il existe une
relation positive et significative entre liberté économique et croissance (Abrams et Lewis,
1995 ; Knack, 1996). De nombreux articles permettent de s’en assurer (Berggren 2003 24 ;
Doucouliagos et Ulubasoglu 2006). L’article de Doucouliagos et Ulubasoglu (2006) estime

23 Les effets positifs de la démocratie et/ou de la liberté sur la croissance ont été trouvés par Pourgerami (1988,
1992), Scully (1988, 1989, 1992), Grier et Tullock (1989), Dasgupta (1990), De Vanssay et Spindler (1994),
Abrams et Lewis (1995), Keefer et Knack (1995), Knack (1996) et Heckelman et Stroup (2000). Les effets
négatifs ont été observés par Landau (1983, 1986), Sloan et Tedin (1987) et Barro (1997). On peut citer les
travaux de Komendi et Meguire (1985), Marsch (1988), Levine et Renelt (1992) et Haan et Siermann (1995)
pour les études qui ne constatent aucune relation entre les deux grandeurs.
24 Pour une synthèse de la littérature et de nouvelles études sur cette relation, voir le numéro spécial de la revue
European Journal of Political Economy, vol.19, (2003), pp. 395-403, Special Issue « Economic freedom ».
636 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

sur la base d’une technique de méta-analyse la robustesse des travaux statistiques sur la
relation liberté économique – croissance. Le principal résultat de cette méta-analyse de la
littérature est de montrer que la corrélation positive et significative entre liberté écono-
mique et croissance est robuste. L’introduction d’un indicateur de liberté économique
(GLB) augmente la significativité des explications classiques de la croissance de 0,29 à
0,42 (R2) (les variables initiales sont le capital humain, la croissance de la force de travail,
l’investissement et le revenu initial). La liberté économique favorise la croissance par le
biais d’un volume d’investissement plus important et de niveau d’investissement des indi-
vidus en capital humain plus élevé.
Cette relation est d’autant plus forte que les pays ont un niveau de revenu faible.
Pour mesurer l’effet des institutions du marché sur la croissance, Knack utilise l’indice de
l’International Country Risk (ICR). En utilisant cet indice il obtient les résultats suivants
pour un échantillon composé des 24 pays les plus riches n’appartenant pas à l’OCDE en
1960 :

GR6089 = 1.98 – 0.179logGDP60, R = –0,04


(22.16)
(0,20)

avec GR6089, la croissance du revenu par habitant sur la période 1960-1989, GRP60, le
revenu par habitant en 1960. Le chiffre entre parenthèses en dessous du log est le T de
Student.
Sans l’indice de l’ICR, il n’y a aucune trace de rattrapage. Quand l’indice est intro-
duit un tel effet est observé et apparaît même significatif. Cela conduit à soutenir que les
institutions du marché ont un effet positif sur la croissance économique.

GR6089 = 1.43 – 1.93 log GDP60 + 0,09 ICR


(22.17)
(2.49) (4.89)

L’effet significatif de cet indice peut contenir une partie de la variable éducation utilisée par
Barro. Les travaux de Barro, Abrams, et Lewis et Knack peuvent conduire à soutenir que
l’effet positif de la taille de l’État dans les pays en développement est d’autant plus impor-
tant que le niveau d’éducation est élevé, et que les institutions du marché sont protégées.
Pour conclure cette brève revue de littérature, on peut citer le travail de Haan et
Siermann (1998) qui trouvent une relation positive entre liberté économique et croissance.
Cette relation apparaît robuste et peu sensible aux types de mesure des libertés écono-
miques. Il existe, dans ces conditions, peu de raison de douter de l’existence de cette rela-
tion 25.

25 Voir aussi Wu et Davis (1999) et Leschke (2000).


Taille de l’État et performance économique 637

22.6 ACTIVITÉ DE L’ÉTAT ET DÉCLIN ÉCONOMIQUE


DES NATIONS
22.6.1 La théorie
La littérature sur les liens entre démocratie, libertés économiques et croissance traite des
raisons qui conduisent les pays en développement à ne pas choisir les bonnes institutions
et, de ce fait, à ne pas rattraper les pays riches. Olson (1982) propose une théorie du déclin
des nations, autrement dit d’un pays riche qui devient pauvre. La nouveauté de ce livre inti-
tulé Grandeur et décadence des Nations est de proposer une théorie du déclin économique.
L’hypothèse d’Olson est fondée sur sa théorie des groupes d’intérêt. Cette théorie sera
traitée dans le chapitre 20. La plupart des groupes d’intérêt ont des objectifs redistributifs.
Les associations d’entrepreneurs, de marchands et de personnes appartenant à une même
profession composent généralement ces groupes qui parfois forment des syndicats. La
plupart du temps, ces groupes cherchent à créer ou à préserver une position de monopole
sur les marchés. Les associations de médecins cherchent à restreindre l’entrée dans les
écoles de médecine et à réglementer l’entrée sur le marché français des médecins formés à
l’étranger. Les syndicats cherchent à obtenir le monopole de l’embauche en obligeant les
employeurs à prendre des membres de leurs syndicats. Ils tentent de déterminer le niveau
des salaires et l’ensemble des gains attenant à un emploi. Les associations d’entrepreneurs
et les syndicats recherchent, l’un comme l’autre, à protéger leurs membres de la concur-
rence afin d’obtenir des tarifs préférentiels ou des quotas à l’exportation. Ils veulent que le
gouvernement protège leurs marchés de la concurrence extérieure et favorise la production
nationale ainsi que les travailleurs nationaux (protectionnisme, lutte contre la délocalisa-
tion, etc.). La plupart des stratégies des groupes d’intérêt relève de la recherche de rente
(Olson, 1982, p. 44).
De nombreux groupes d’intérêt ont aussi des objectifs redistributifs. Ils ne cher-
chent pas seulement à se protéger de la concurrence. Ils font pression sur le gouvernement
pour obtenir des mesures discriminatoires en faveur des handicapés, des personnes âgées,
etc. La discrimination positive en faveur des femmes et/ou de certains groupes ethniques
relève de cette catégorie.
L’attention portée à l’action des groupes d’intérêt à leurs objectifs redistributifs a
pour conséquence de ne pas modifier la frontière des possibilités de production. L’action
des groupes en faveur de la redistribution n’accroît pas la taille du gâteau. Elle a en fait
tendance à la réduire car le montant des ressources engagées pour faire pression n’est pas
utilisé à des fins productives. Ce qui in fine réduit la taille du gâteau.
Olson explique les différentiels de croissance par cet effet négatif des politiques
redistributives sur l’efficacité. Les activités des groupes d’intérêt qu’Olson nomme des
coalitions en faveur de la redistribution (distributional coalitions) déplacent la frontière des
possibilités de production vers l’intérieur et retardent le moment où cette frontière va
croître, se déplacer vers l’extérieur. Les groupes d’intérêt fonctionnent généralement sur le
principe un homme/une voix (en démocratie). Leur procédure de décision est, pour cette
raison, lente. Ils sont très lents à s’adapter aux changements de leurs environnements. Ils
638 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

favorisent généralement le statu quo. La coalition en faveur de la redistribution ralentit


donc la capacité d’adaptation d’une société aux changements technologiques (adopter une
nouvelle technique). Elle bloque aussi la réaffectation des ressources vers les secteurs les
plus performants. Elle a ainsi un effet négatif sur la croissance économique. Olson (1982,
pp. 61-65) rejoint à ce sujet les travaux de Hicks (1983) et le questionnement de Bowles et
Eatwell (1983) sur la notion d’efficacité dynamique versus efficacité statique.
De cette conclusion, Olson déduit que les différentiels de croissance entre les pays
s’expliquent par l’activité plus ou moins forte des groupes d’intérêt. Il faut du temps aux
individus et aux groupes pour surmonter le paradoxe de l’action collective (stratégie de
passager clandestin) et comprendre l’intérêt qu’ils ont à se coaliser pour demander des poli-
tiques de redistribution en leur faveur. Sur le long terme, cependant, la stabilité politique
aidant, les individus découvrent l’intérêt qu’il y a à s’organiser en groupe de pression. Les
périodes de stabilité sociale et politique sont donc favorables à l’émergence des groupes
d’intérêt et à leur renforcement. Les conflits provoqués par la demande de redistribution se
multiplient et la croissance se ralentit. À l’inverse, les pays où les groupes d’intérêt ont été
démantelés ou institutionnellement limités auront tendance à avoir de forts taux de crois-
sance. Olson utilise cet argument pour expliquer les différences de taux de croissance
durant les vingt-cinq années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, entre les pays qui
ont gagné la guerre (Australie, Grande-Bretagne, Nouvelle-Zélande, États-Unis) et ceux
qui l’ont perdue (Italie, Allemagne et Japon). La perte de la guerre a démantelé les groupes
d’intérêt et placé les perdants de la guerre dans de bonnes conditions. À l’inverse, les pays
qui ont gagné la guerre sont restés prisonniers de l’activité des groupes d’intérêt. Ils sont
entrés dans une période de déclin des années 1950 jusqu’aux années 1970. Les travaux de
Pryor (1983, tableaux 5.3 et 5.4, p. 99) confirment cette thèse pour le taux de croissance de
ces pays jusque dans les années 1970.
La pertinence de l’hypothèse d’Olson vient du fait qu’elle permet d’expliquer
pourquoi ce fait ne serait pas surprenant. C’est précisément parce que les groupes d’intérêt
formés avant la guerre dans les pays anglo-saxons n’ont pas été démantelés que ces pays
ont enregistré des performances économiques relativement moins bonnes que les pays qui
avaient perdu la guerre.
Olson emploie aussi ce raisonnement pour expliquer, d’une part, la formation de
fédérations économiques plus efficaces (chapitre 5) et d’autre part la mise en place de
pratiques discriminatoires (chapitre 6). Il illustre son propos par l’exemple de l’Inde. Olson
explique la pauvreté de l’Inde de l’époque par la rigidité de son système de castes. Les
castes sont issues d’une forme de corporatisme professionnel (guildes). Elles fonctionnent
comme une forme de coalition en faveur de politiques discriminatoires aux effets redistri-
butifs importants. Elles protègent les membres de chaque caste de la concurrence et entre-
tiennent les situations de monopole et/ou de monopsone de ses membres. Elles restreignent
les mariages avec un membre d’une autre castre et élèvent des barrières à l’entrée afin de
contrôler la taille du groupe et de protéger les situations de monopole. Le système des
castes a alors eu le même effet sur la croissance indienne que les conflits entre les groupes
d’intérêt en Grande-Bretagne (Olson, 1982, pp. 152-161).
Taille de l’État et performance économique 639

22.6.2 Les preuves empiriques


Plusieurs tentatives ont été faites pour tester empiriquement l’hypothèse d’Olson. La plus
grande difficulté consistait à mesurer l’activité des groupes d’intérêt (Abramovitz, 1983 ;
Pryor, 1983). Dans sa thèse initiale, Olson soutenait que l’Italie, l’Allemagne et le Japon
avaient de bonnes performances économiques après la Deuxième Guerre mondiale parce
que leurs groupes d’intérêt avaient été détruits par la guerre et la période d’occupation. Ces
exemples suggèrent que l’hypothèse d’Olson pourrait être mesurée par le temps qui s’est
écoulé entre le moment de sa création ou de sa renaissance suite à une guerre ou à une révo-
lution et sa situation actuelle. La plupart des études qui ont cherché à tester l’hypothèse ont
utilisé une telle variable approximative de l’activité des groupes d’intérêt. Choi (1983) a
construit un indice de sclérose institutionnelle pour 18 pays de l’OCDE fondé (1) sur le
moment où les groupes d’intérêt ont pu se former, (2) sur le moment où ils ont été déman-
telés et (3) sur le temps durant lequel ils ont pu se développer et prospérer. L’équation 22.8
présente le résultat de son étude.

Y = 7.75 – 0.074 IS R 2 = 0,59, n = 18.


(22.18)
(8.81) (4.78)

La variable à expliquer est le taux de croissance du revenu par habitant sur la période 1950-
1973. La variable explicative est la sclérose institutionnelle (IS). Il s’agit de définir l’effet
du temps d’activité des groupes d’intérêt sur la croissance.
L’effet négatif et significatif de la variable IS résiste bien à la manière dont cette
variable a été mesurée, au choix de la variable à expliquer et à la composition de l’échan-
tillon.
Le meilleur exemple de sclérose institutionnelle est celui de la Grande-Bretagne
après la Deuxième Guerre mondiale. Le meilleur exemple de nation régénérée par la
destruction de ses groupes d’intérêt est donné par les trois nations de l’axe : Allemagne,
Italie, Japon.
Murrell (1983) présente des études plus précises encore sur les cas de l’Allemagne
de l’Ouest (RFA) et de la Grande-Bretagne. Son apport est d’avoir proposé une analyse
sectorielle. Il a estimé que l’effet des groupes d’intérêt est moins fort dans les jeunes indus-
tries que dans les secteurs anciens en Grande-Bretagne. Il a comparé les performances des
entreprises britanniques et allemandes par secteur et a tenté de montrer qu’elles étaient
identiques lorsqu’ils s’agissaient de jeunes industries, mais que ces premières étaient infé-
rieures à ces dernières lorsque l’on était en présence de « vieilles » industries.
Il teste son hypothèse en comparant les taux de croissance des jeunes (j) et des
vieilles (k) industries dans les deux pays : Grande-Bretagne et Allemagne et en standardi-
sant les taux à la moyenne (A) pour chaque pays. L’hypothèse était que le taux de crois-
sance en Grande-Bretagne était supérieur dans les jeunes industries que dans les vieilles
industries. Il observait cette relation sur la période 1969-1973 :

G Uj K − G Uk K GW
j
G
− G kW G
> (22.19)
G UA K GW
A
G
640 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

Les proportions de cas dans lesquels l’équation 22.19 est vérifiée sont significatives à
hauteur de 0.5. Murrell en conclut que son hypothèse est vérifiée pour les vieilles indus-
tries en Grande-Bretagne (1982).
Olson obtient des résultats analogues à Choi pour 48 États. L’équation 22.20 est un
exemple représentatif de son travail empirique (équation 24, tableau 4.1, p. 104).

Y = 10.01 – 2.69 STACIVI R 2 = 0,52, n = 48


(22.20)
(7.02)

La variable à expliquer est le taux de croissance des revenus non agricoles par habitant
durant la période 1965-1978. STACIVI est le nombre d’années depuis la naissance des
États, divisé par 178, tous les États confédérés étant supposés renaître en 1865. Conformé-
ment aux résultats de Choic, il apparaît une relation négative et significative entre la taille
de l’État et son âge. Ce résultat apparaît relativement robuste lorsque l’on change les varia-
bles dépendantes et indépendances (Olson, 1982, pp. 98-108).
Ces travaux autour de la théorie du déclin des nations d’Olson a néanmoins suscité
d’importantes réserves.
Comme Pryor (1997, pp. 223-224) l’a fait remarquer, on aurait pu s’attendre à ce
que la théorie d’Olson conduise à supposer que la croissance des États du Sud aurait
commencé au moment de leur défaite lors de la Seconde Guerre mondiale et non avant. Les
États du Sud ont pourtant été moins performants que ceux du Nord dans les années 1930.
En général, les tests de la théorie d’Olson utilisant les données pour les États-Unis ont
plutôt rejeté ces prédictions. Gray et Lowery (1986) ont soutenu de leur côté que la théorie
d’Olson échouait à expliquer la croissance de la taille de l’État lorsque l’on considérait
d’autres périodes de temps et que l’on introduisait d’autres variables, comme l’ont fait
Wallis et Oates qui ont pris en compte la croissance démographique dans le modèle
d’Olson.
Nardinelli, Wallace et Warner (1987) estiment aussi que la thèse d’Olson n’est pas
très robuste. Les travaux de Dye (1980), Vedder et Gallaway (1986) renforcent cette posi-
tion.
L’usage de données en coupe transversale a eu cependant tendance à confirmer la
thèse d’Olson. Lane et Ersson (1986) trouvent que la mesure de Choi de la sclérose insti-
tutionnelle reste significative lorsque d’autres variables sont placées à ses côtés et que la
variable à expliquer est mesurée sur d’autres périodes de temps. Des études supplémentai-
res telles que celles de Whiteley (1983), Paloheimo (1984a, b), Weede (1984, 1986, 1987),
Datta et Nugent (1985), Lange et Garrett (1985), Lehner (1985), Goldsmith (1986), McCal-
lum et Blais (1987), Jankowski (1993) et Heckelman (2000b) confirment cette tendance.
Quiggen (1992) soutient que l’hypothèse devrait prendre plutôt le niveau de revenu que le
taux de croissance et rejette l’hypothèse forte d’Olson en utilisant des données en coupe
transversale et une variable revenu 26.

26 On peut citer ici les travaux de Pryor (1984). Ce dernier ne teste pas, cependant, l’impact de la stabilité sur la
croissance mais l’impact de plusieurs variables additionnelles à la croissance : taille de la population, droit de
nature communiste, hétérogénéité ethnique et religieuse. Ces dernières variables ont aussi un effet significatif
sur le taux de croissance.
Taille de l’État et performance économique 641

Une dimension importante de l’hypothèse d’Olson est que la force des groupes
d’intérêt augmente avec le temps et la stabilité politique. Kennelly et Murrell (1987)
soutiennent cette partie de la théorie en montrant que les groupes d’intérêt sont plus puis-
sants dans les secteurs industriels où les gains de politique redistributive sont potentielle-
ment plus grands. Murrell (1984) a aussi montré que le nombre des groupes d’intérêt
organisés dans un pays est positivement corrélé au nombre des années durant lesquelles un
pays a eu un système politique sensible aux attentes des groupes d’intérêt. En revanche,
Gray et Lowery (1986) ne retrouvent pas de relation entre âge de l’État et nombre des
groupes d’intérêt. Leur résultat peut être expliqué par la manière dont ils ont ventilé les
données sur les États utilisés.
De nombreuses objections à la théorie d’Olson viennent à la fois de la fragilité des
observations faites sur les pays et les difficultés qu’il y a à mesurer la structure des groupes
d’intérêt, et de la simplicité de sa théorie et du désir de la complexifier (Asselain et Morri-
son, 1983 ; Lehner, 1983 ; Rogowski, 1983 ; Shuck, 1984 ; Gustafsson, 1986 ; Rasch et
Sorensen, 1986 ; Pryor, 1987 ; Quiggin, 1992). L’un des cas particuliers qui ne correspond
pas à la théorie d’Olson est celui de la Suisse. La Suisse a le quatrième indice le plus élevé
de sclérose institutionnelle dans la liste de 18 pays de l’OCDE (1983, p. 70) et a une struc-
ture de ses groupes d’intérêt très diversifiée et pluraliste (Lehner, 1983, p. 204). On peut
ajouter que les barrières à l’entrée tarifaires étaient plus basses dans les 18 pays de l’OCDE
(Olson, 1982, p. 134) et que leurs taux de croissance étaient supérieurs à la moyenne dans
les années 1950 et 1960 (Lehner, 1982, p. 70). L’explication de ces apparentes contradic-
tions de la théorie d’Olson trouve ses origines dans la nature originale de la structure poli-
tique suisse et dans l’importance de la démocratie directe et des référendums dans la
décision politique. Les groupes d’intérêt ne peuvent pas, dans ce contexte, conclure un
marché avec les partis du Parlement ou avec des membres des groupes politiques les plus
influents pour obtenir des rentes (redistributions) au détriment de la majorité des citoyens,
car ces derniers doivent in fine ratifier les décisions.
La procédure de référendum rend les stratégies de coalition précaires et oblige le
pouvoir législatif à rechercher le consensus (Lehner, 1983). Le résultat est que la concur-
rence pour la rente est limitée dans la vie politique suisse en dépit de la structure de ses
groupes d’intérêt.
On peut conclure sur le cas suisse en disant qu’il ne contredit pas la théorie
d’Olson. Les institutions politiques de la Suisse protègent ce pays des conséquences indé-
sirables de la concurrence pour la rente et des effets de la fragmentation de la société en
groupes d’intérêt opposés. En revanche, l’exemple de la Suisse met en évidence une impor-
tante lacune de la théorie d’Olson. Olson focalise son attention exclusivement sur les
groupes d’intérêt et délaisse la question des conditions du succès des stratégies des groupes
et notamment l’étude des effets des institutions sur ces dernières (Ploheimo, 1984a ;
Lehner, 1985).
L’article de Tang et Hedley (1998) a en partie répondu à ce dernier point. Tang et
Hedley critiquent Olson, notamment pour négliger l’effet de la croissance sur les politiques
des gouvernements lorsque les groupes d’intérêt sont faibles. L’hypothèse d’Olson de sclé-
rose institutionnelle ne sera vérifiée que pour les pays où les États ont la possibilité et la
volonté de jouer un rôle actif sur la croissance économique. Ils soutiennent cette hypothèse
642 APPLICATIONS ET TESTS EMPIRIQUES

à partir d’un échantillon de pays d’Asie et d’Amérique latine. Les taux de croissance les
plus élevés dans les pays d’Asie au cours des dernières décennies sont attribués à l’État et
à sa stratégie de croissance ainsi qu’à la faiblesse des groupes d’intérêt dans ces pays.
Dans son livre de 1982, Olson argue que le succès de l’économie allemande, après
sa défaite en 1945, s’explique par la destruction des groupes d’intérêt. Il attribue le succès
de la Suède à la coopération entre les groupes d’intérêt. Dans le dernier quart du XXe siècle,
les taux de croissance de l’Allemagne et de la Suède n’ont pas été plus élevés que ceux de
la Grande-Bretagne et des États-Unis. Le Japon a, en revanche, été marqué par des signes
évidents de sclérose institutionnelle et de faibles taux de croissance dans les années 1990.
Si la théorie d’Olson est juste, nous devons conclure que les groupes d’intérêt se sont
reconstitués en Allemagne et ont été moins coopératifs en Suède 27. On peut étayer cet
argument en faveur de l’interprétation olsonienne du déclin de ces pays, en soutenant que
les politiques conduites par Reagan et Thatcher aux États-Unis et en Grande-Bretagne
avaient fait le diagnostic qu’il fallait détruire les groupes d’intérêt pour rétablir la confiance
et la croissance.

22.7 CONCLUSIONS
Dans ce chapitre, nous avons examiné plusieurs effets possibles des politiques du gouver-
nement sur l’activité économique. L’accent a plutôt été mis sur l’effet négatif de l’inter-
vention publique sur la croissance économique.
Il est apparu que les études empiriques ne parlent pas d’une voix univoque et
unique. Néanmoins, les résultats présentés nous permettent de proposer un certain nombre
d’affirmations : (1) L’impôt influence les choix et peut réduire le bien-être. (2) L’économie
souterraine a, comme la taille de l’État, eu tendance à croître à la fois dans les pays déve-
loppés et les pays en développement depuis les années 1960. Dans la plupart des pays en
développement, elle représente une part aussi importante que le secteur public. Le haut
niveau de réglementation, la forte pression fiscale, l’existence de réglementations
publiques arbitraires et la corruption expliquent le développement de cette économie
souterraine. (3) La relation entre la taille de l’État (dépenses publiques/PIB) et les perfor-
mances économiques mesurées soit par la productivité du secteur privé ou par le PIB par
habitant semble dessiner une courbe en U inversé. Un État trop petit peut nuire aux perfor-
mances d’un pays par manque d’infrastructures et de dépenses publiques d’éducation
(faiblesse du capital humain). Au-delà d’un certain point, les effets de l’intervention du
gouvernement et des dépenses publiques deviennent négatifs. Ces effets négatifs l’empor-
tent sur les effets positifs. Il est apparu que la plupart des pays développés ont une taille du
secteur public supérieure à la taille qui leur permettrait de se placer sur leur courbe des
possibilités de production la plus haute.
Il faut ajouter que la démocratie a un effet sur les performances économiques. Les
gouvernements autoritaires et bureaucratiques peuvent engager des politiques plus perfor-

27 Pour une discussion du déclin allemand, on peut lire Giersch, Paque et Schmieding (1994). Pour une discus-
sion sur la faiblesse de la coopération entre les groupes d’intérêt en Suède, on peut lire Lindbeck (1997).
Taille de l’État et performance économique 643

mantes que les démocraties parlementaires. Ce résultat dépend cependant de la manière


dont les régimes politiques sont définis et classés et de la composition des échantillons. La
littérature sur les effets à long terme de la stabilité politique des démocraties sur la crois-
sance économique tend aussi à montrer que la démocratie favoriserait l’émergence de situa-
tions de sclérose institutionnelle. Alors que l’hypothèse d’Olson décrit assez bien
l’évolution d’un certain nombre de pays après la Deuxième Guerre mondiale, l’application
de cette thèse à d’autres pays et à d’autres périodes ne semble pas toujours satisfaisante.
Moins contestable est la proposition selon laquelle les libertés économiques accé-
lèrent la croissance économique. Indépendamment du fait de savoir si les gouvernements
sont choisis démocratiquement ou non, les pays qui mettent en place des institutions qui
protègent les droits de propriété et font appliquer les contrats, ont des taux de croissance de
leur PIB par habitant plus élevés.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
La synthèse de Bardhan (1997) est intéressante pour mieux appréhender la corruption dans les pays
en développement. Voir aussi Vornetti P. (1998), « Recherche de rente, efficacité économique et
stabilité politique », Mondes en Développement, tome 26, pp. 102-113.
Sur l’économie de la corruption voir Jean Cartier-Bresson (2008). Économie politique de la corrup-
tion et de la gouvernance, Paris, L’Harmattan, coll. Éthique économique.
Barro (1997) est une bonne introduction aux déterminants économiques de la croissance. Barro R.
(2000), Les facteurs de la croissance économique. Une analyse transversale par pays, Economica,
traduction française de Richard Layard, Determinants of Economic Growth. A Cross-Country
Empirical Study, Cambridge, Massachusetts, MIT Press Edition.
Aghion, Caroli et Garcia-Penalosa (1999) proposent une bonne synthèse sur la littérature consacrée
à la relation entre la croissance et les inégalités.
On pourra enfin se référer à Bourguignon F. (1998), « Équité et croissance économique : une nouvelle
analyse ? », Revue française d’économie, vol.13, n° 3, pp. 25-84.
PARTIE
5

ANALYSE NORMATIVE
DES CHOIX PUBLICS

Chapitre 23. Les fonctions de bien-être social 647


Chapitre 24. L’impossibilité d’un ordre social 669
Chapitre 25. Un contrat social juste 685
Chapitre 26. La constitution comme un contrat utilitariste 705
Chapitre 27. Le droit libéral et les choix sociaux 735
23
LES FONCTIONS
DE BIEN-ÊTRE SOCIAL

23.1 La fonction de bien-être social de Bergson et Samuelson 648


23.2 Les fonctions de bien-être social axiomatique 653
23.3 Quel type de fonction de bien-être social est préférable ? 664
648 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Plutôt que de parler de la théorie positive des choix publics, fondée sur l’hypothèse de
l’homo oeconomicus, il serait plus juste de parler des théories normatives des choix publics
car il est possible d’attribuer plusieurs objectifs à l’État. Ces approches ont, cependant, été
l’objet de nombreuses critiques des positivistes qui invoquent le principe de la neutralité
axiologique. En effet, la science économique peut légitimement porter son attention sur
l’explication et la prédiction de certains phénomènes mais doit laisser aux hommes poli-
tiques le soin de déterminer les objectifs d’une société. Dans le champ des politiques
économiques, en revanche, il est moins légitime d’adopter une telle position. Cela explique
l’intérêt des chercheurs et des économistes en particulier pour la manière dont le processus
politique va rendre compte des valeurs fondamentales d’une société. L’enjeu d’une théorie
normative consiste, alors, à développer des théorèmes portant sur l’expression et la mise en
œuvre de ces valeurs, à partir de postulats généralement acceptés, de la même façon que la
théorie positive a développé des théorèmes explicatifs et prédictifs fondés sur les hypothè-
ses de rationalité et d’égoïsme des individus. La partie V de ce livre fait la synthèse des
théories qui se sont donné pour tâche de relever ces défis de l’économie normative.

23.1 LA FONCTION DE BIEN-ÊTRE SOCIAL DE BERGSON


ET SAMUELSON
Pour représenter les valeurs de la communauté, l’analyse économique utilise généralement
une fonction de bien-être social. L’article fondateur sur les fonctions de bien-être social est
dû à Abraham Bergson (1938). Les explications ultérieures les plus importantes ont été
fournies par Paul Samuelson (1947, chapitre 8). On peut écrire comme suit la fonction de
bien-être social de Bergson et Samuelson :

W = W (z 1 , z 2 , …, z n )

Où W est une fonction à valeur réelle de toutes les variables susceptibles d’influer sur le
bien-être social. Les z i et W sont choisis de façon à représenter les valeurs éthiques de la
société, ou des individus qui la composent (Samuelson, 1947, p. 221) 1. L’objectif consiste
à définir une fonction W , un ensemble de z i ainsi que leurs contraintes afin d’aboutir à des
conditions pertinentes du premier et du second ordre assurant la maximisation de W . Même
si, en principe, n’importe quelle variable liée au bien-être de la société (comme le taux de
criminalité, les données météorologiques, le nombre d’années d’études) peut être incluse
dans la fonction de bien-être social, les économistes ont surtout retenu des variables écono-
miques. Ainsi, les travaux relatifs à la fonction de bien-être social ont adopté les mêmes
hypothèses, à propos des consommateurs, des fonctions de production, etc., que celles qui
sous-tendent le corps de la théorie économique et de la théorie des choix publics, et en ont
fait le centre de leur analyse.
Le seul jugement de valeur qui a pu réunir un consensus est le postulat de Pareto.
Ce postulat suffit à la mise au jour d’un ensemble de conditions nécessaires pour que W

1 On peut trouver une traduction française de ce texte fondateur dans J. Généreux (1996).
Les fonctions de bien-être social 649

soit maximisé. Il limite les décisions sociales aux points situés le long de la frontière géné-
ralisée de Pareto. Pour faire apparaître ces conditions, il suffirait de démontrer que des
déplacements de points extérieurs à la courbe des contrats vers des points situés sur celle-
ci sont des améliorations au sens de Pareto. En ce qui concerne la production, ces condi-
tions sont les suivantes :
∂ X i /∂ V1i ∂ X i /(∂ Vmi Txk
=…= = , (23.1)
∂ X k /∂ V1k ∂ X k /∂ Vmk Txi
où ∂ X i /∂ Vmi est le produit marginal du facteur Vm dans la production du produit X i , et où
T est la fonction de transformation définie sur l’ensemble des produits et des facteurs
(Samuelson, 1947, pp. 230-233).
« En d’autres termes, cela prend la forme suivante : les facteurs de production ont
une affectation correcte si le rapport entre la productivité marginale d’un facteur
donné dans une activité et la productivité marginale du même facteur dans une
seconde activité est identique au rapport entre la productivité marginale d’un
autre facteur dans la première activité et la productivité marginale de ce même
autre facteur dans la seconde activité. On peut montrer que la valeur du facteur
commun de proportionnalité est égale au coût du premier bien, exprimé dans les
termes (de la quantité à laquelle il faut renoncer) du deuxième bien » (Samuelson,
1947, p. 233, en italique dans la version originale).

Ces conditions garantissent que l’économie se situera sur la frontière des possibi-
lités de production. Si ces conditions n’étaient pas satisfaites, il serait alors possible d’ob-
tenir une quantité plus grande d’un produit sans renoncer à des unités d’un autre produit en
transférant des facteurs de production d’une activité à une autre. Mais le principe de Pareto
exclut ces possibilités.
Les conditions nécessaires relatives à la consommation sont que le taux marginal
de substitution entre deux biens privés, i et j, est identique pour tous les consommateurs :

∂U1 /∂ X i ∂U2 /∂ X i ∂Us /∂ X i


=…= = (23.2)
∂ X 1 /∂ X j ∂U2 /∂ X j ∂Us /∂ X j

où (∂U1 /(X i )/(∂ X 1 /(X j ) est le taux marginal de substitution entre i et j de l’électeur k
(Samuelson, 1947, pp. 236-238). Si l’équation (23.2) n’était pas satisfaite, des échanges
conduiraient potentiellement à des gains mais le principe de Pareto serait à nouveau violé.
Ainsi, le choix ne porte qu’entre des points situés sur la frontière des possibilités de produc-
tion, c’est-à-dire des répartitions des produits finaux qui égalisent le taux marginal de trans-
formation d’un produit en un autre et les taux marginaux de substitution de tous les
individus (Samuelson, 1947, pp. 238-240).
Grâce à un ensemble approprié d’impôts et de transferts forfaitaires, il est possible
de conserver un équilibre concurrentiel en tout point de la frontière des possibilités de
production. Ainsi, le problème normatif que nous permet de résoudre l’utilisation d’une
fonction de bien-être social consiste à choisir le point optimal de la frontière généralisée des
possibilités de Pareto ainsi que l’ensemble des impôts et des subventions forfaitaires qui lui
est associé. Pour résoudre ce problème, aussi bien Bergson que Samuelson pensent qu’il est
650 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

nécessaire d’utiliser une variante de la fonction de bien-être social, dans laquelle les indices
d’utilité de tous les individus sont des arguments directs de la fonction de bien-être :
W = W (U1 , U2 , …, Us ). (23.3)
La question est alors de savoir quelle forme prend W et quelles sont les caractéristiques des
fonctions d’utilité individuelles. On souhaite savoir plus particulièrement si des fonctions
d’utilité ordinale sont suffisantes ou s’il est nécessaire de recourir à des indices d’utilité
cardinale, et dans ce cas, si des comparaisons interpersonnelles sont nécessaires. Étant
donné que la théorie de l’utilité a évolué au cours du dernier siècle dans le sens d’un rejet
quasi unanime des fonctions d’utilité cardinale et de la possibilité de faire des comparai-
sons interpersonnelles d’utilité, il serait préférable que nous puissions nous en dispenser.
Mais ce n’est malheureusement pas le cas.
En effet, considérons cet exemple basique : six pommes sont à répartir entre deux
individus. À partir de notre connaissance sur la situation des deux individus, de leur goût
pour les pommes et des valeurs éthiques ainsi que des normes de la communauté, nous
croyons que le bien-être social sera maximisé avec une répartition égale des pommes. La
question est alors de savoir s’il est possible de construire une représentation ordinale des
préférences des individus 1 et 2 qui conduise toujours à ce résultat. Considérons la fonc-
tion de bien-être additive
W = U1 + U2 . (23.4)
Nous voulons choisir U1 et U2 de manière à ce que l’on ait :
U1 (3) + U2 (3) > U1 (4) + U2 (2) (23.5)
Cette inégalité implique :
U2 (3) − U2 (2) > U1 (4) − U1 (3). (23.6)
Si U1 est une fonction d’utilité ordinale, on peut la transformer en une fonction ordinale
équivalente en la multipliant par k. Mais cette transformation multiplie le membre de droite
de (23.6) par k, et, pour tout choix d’une valeur finie de U2 , il est toujours possible de
trouver un k qui renverse le sens de l’inégalité (23.6), à supposer que U1 (4) − U1 (3) > 0.
On obtient le même résultat si W est une fonction multiplicative. Nous cherchons
donc des fonctions U1 et U2 telles que :
U1 (3).U2 (3) > U1 (4).U2 (2) (23.7)
Ce qui équivaut à :
U2 (3) U1 (4)
> (23.8)
U2 (2) U1 (3)
Néanmoins, U2 reste ordinale si on lui ajoute une constante, si bien que (23.8) devrait conti-
nuer à être vérifiée pour :
U2 (3) + k U1 (4)
> (23.9)
U2 (2) + k U1 (3)
Mais le membre de gauche de (23.9) tend vers 1 à mesure que k augmente et l’inégalité
s’inverse lorsque k est suffisamment grand, si l’individu 1 retire une utilité positive de la
consommation d’une quatrième pomme.
Les fonctions de bien-être social 651

W peut prendre d’autres formes algébriques, mais la souplesse d’une fonction


d’utilité ordinale ne peut évidemment pas conduire au maximum de (3,3), quelle que soit
la transformation à laquelle elle serait soumise. Les mêmes arguments valent pour la
comparaison entre les répartitions (4,2) et (5,1), et entre les répartitions (5,1) et (6,0). Le
seul moyen pour parvenir à un résultat déterminant à partir d’une fonction de bien-être
social, dont les arguments sont des indices d’utilité ordinale, est de la définir de façon lexi-
cographique. Cela consiste à affirmer que la société préfère n’importe quel accroissement
de l’utilité de 1, même petit, à tout accroissement de l’utilité de 2, même grand et que cela
vaut quels que soient les niveaux d’utilité initiaux (quelle que que soit la répartition initiale
du revenu et des biens). Cela revient à dire que, pour déterminer de façon cohérente un
résultat unique, une fonction de bien-être social, définie à l’aide d’indices d’utilité sociale,
doit être dictatoriale. Ce résultat a été établi par Kemp et Ng (1976) et par Parks (1976) sur
la base d’une argumentation inspirée du théorème d’impossibilité d’Arrow, présenté au
chapitre 24 (voir aussi Almond, 1976 ; Roberts, 1980c).
Alors que les fonctions d’utilité ordinale conviennent parfaitement à l’analyse des
décisions individuelles, elles ne permettent pas de rendre compte des décisions sociales, qui
incluent la perspective d’arbitrages inter-individuels. Pour effectuer ces arbitrages, il faut
soit directement comparer, à l’aide des normes éthiques de la communauté, les situations
relatives des individus selon la quantité de biens auxquels ils ont accès, soit, si l’on utilise
des indices d’utilité, définir ces situations de manière à rendre possibles des comparaisons
cardinales entre individus.
Tout cela devrait être clair depuis un certain temps. Même si l’introduction des
fonctions de bien-être social par Bergson semble avoir entraîné une certaine confusion
concernant la nécessité de recourir à des utilités cardinales et à des comparaisons interper-
sonnelle d’utilité 2, Lerner (1944, ch. 3) a clairement insisté sur cette nécessité, tout comme
Samuelson (1947, p. 244) dès ses premières recherches sur la fonction de bien-être social :
« Il existe une infinité de situations de ce type [de points situés le long de la courbe
généralisée des contrats], de celle où tous les avantages sont obtenus par un indi-
2 À plusieurs reprises, Bergson insiste sur le fait que seuls des indices d’utilité ordinale sont nécessaires à l’ob-
tention des conditions d’optimalité pour la fonction de bien-être social. Il affirme directement : « À mon avis,
le calcul de l’utilité introduit par des économistes de Cambridge (c’est-à-dire cardinale) n’est pas un instru-
ment utile dans l’économie du bien-être » (1938, p. 20). Ces affirmations sont sans aucun doute à l’origine de
l’opinion selon laquelle Bergson soutenait que des jugements sur le bien-être pouvaient être prononcés à partir
d’indices d’utilité ordinale. Nous constatons, par exemple, qu’Arrow écrit : « C’est le grand mérite de l’arti-
cle de 1938 de Bergson que d’avoir introduit le même principe [le principe de Leibnitz de l’identité des discer-
nables] dans l’analyse du bien-être social. La fonction de bien-être social ne devait dépendre que des cartes
d’indifférence ; en d’autres termes, les jugements relatifs au bien-être ne devraient se fonder que sur le
comportement observable des individus » (1963, p. 110). Mais les affirmations qui précèdent et qui suivent les
mots « en d’autres termes » ne sont pas équivalentes. Et, en réalité, Bergson poursuit son attaque de l’emploi
de l’utilité cardinale par les économistes de Cambridge, non pas en plaidant pour l’utilité d’indices d’utilité
ordinale ou du « comportement observable des individus », mais pour des comparaisons entre individus des
« situations économiques relatives » et des « différentes marchandises ». Ainsi, lorsqu’il rejette l’utilité cardi-
nale, Bergson n’opte pas en faveur d’une fonction W définie avec des U ordinales, mais pour une fonction W
définie avec des unités physiques réelles, c’est-à-dire pour la fonction W (z 1 , z 2 , …, z n ). Au mieux, le statut
d’une fonction W définie avec des indices individuels d’utilité ordinale en reste indéterminé. Dans sa présen-
tation du théorème d’Arrow, en 1954, Bergson affirme très clairement la nécessité de comparaison d’utilités
cardinales entre individus (voir en particulier sa présentation de la répartition du vin et du pain, pp. 244-245,
et n.8), mais Arrow ne serait pas d’accord (1963, pp. 111-112).
652 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

vidu, à celle où un autre individu bénéficie de tous les avantages, en passant par
des situations de compromis. Sans une fonction W bien définie, c’est-à-dire sans
hypothèse sur les comparaisons interpersonnelles d’utilité, il est impossible de
déterminer lequel de ces points est le meilleur. Si et seulement si nous disposons
d’un ensemble donné de critères éthiques, permettant de définir une fonction de
bien-être (en italique dans le texte original), il est possible de déterminer le
meilleur point d’une courbe généralisée des contrats. » (1947, p. 244).

Samuelson nous montre ensuite que la cardinalité n’est pas suffisante : elle doit
nécessairement être accompagnée de la possibilité de faire des comparaisons interperson-
nelles d’utilité. La question de savoir si les arguments de la fonction de bien-être social
peuvent être des indices d’utilité ordinale semble être définitivement résolue depuis la
parution des articles de Kemp et Ng, et de Parks. Pourtant, ces articles ont déclenché une
controverse portant précisément sur la question de la cardinalité et de l’ordinalité, contro-
verse qui implique curieusement Samuelson (et indirectement Bergson). Étant donné les
personnages impliqués dans ce débat et les questions qui y sont discutées, il vaut sans doute
la peine de s’attarder un moment sur les arguments qu’ils proposent.
La critique de Samuelson (1977) à l’égard des théorèmes de Kemp et Ng et de
Parks avait principalement pour objet, comme le titre de sa note l’indique, de réaffirmer
qu’il était possible de définir des fonctions de bien-être social « raisonnables », à la
Bergson-Samuelson. Cette note avait été motivée par le fait que Kemp et Ng, et Parks
déclarent avoir démontré l’existence de théorèmes d’impossibilité. Samuelson critique
leurs théorèmes en concentrant ses attaques sur la forme particulière de l’axiome que Kemp
et Ng utilisent pour représenter l’ordinalité dans une fonction de bien-être social à la
Bergson-Samuelson. Cet axiome implique que la fonction de bien-être social soit lexico-
graphique. Samuelson a évidemment raison de rejeter un axiome qui fait d’un individu un
« dictateur moral », mais cela ne valide pas pour autant sa critique des théorèmes de Kemp
et Ng et de Parks. En effet, comme le montre encore plus clairement Parks lui-même, toute
fonction de bien-être social à la Bergson-Samuelson, fondée sur des préférences ordinales,
fait nécessairement d’un individu un dictateur moral.
Une lecture attentive des articles de Kemp et Ng et de Parks montre qu’ils ne
prétendent pas qu’il n’existe aucune fonction raisonnable de bien-être social à la Bergson-
Samuelson, mais simplement qu’il est impossible de définir des fonctions dont les argu-
ments sont des indices d’utilités individuelle, ordinale. Il est assez intéressant de constater
que Kemp et Ng citent Samuelson lui-même comme l’un de ceux qui soutiennent « l’idée,
apparemment fort répandue, selon laquelle les fonctions de bien-être à la Bergson-Samuel-
son peuvent être déduites d’utilité individuelles ordinales » (1976, p. 65). Ils citent la
page 228 des Foundations, celle que reprenait justement Arrow pour indiquer que la fonc-
tion de bien-être social est fondée sur des utilités ordinales (1963, p. 10, n ; p. 110, n. 49).
On y trouve le paragraphe suivant :
« Pour additionner des utilités, encore faut-il que nous disposions de ces utilités
mais tout cela est inutile. Si l’on fait l’hypothèse (5) [les préférences des individus
« comptent »], les utilités cardinales apparaissent dans la fonction W comme des
variables indépendantes. Mais on ne peut déterminer la fonction W elle-même de
Les fonctions de bien-être social 653

façon uniquement ordinale. En effet, une infinité d’indices conviendraient. Ainsi,


si l’on considère une telle fonction :
W = F(U1 , U2 , …)
et si l’on transformait un ensemble d’indices cardinaux des utilités individuelles
en un autre ensemble (V1 , V2 , …), il n’y aurait que la forme de la fonction T de
changée mais toutes les décisions sociales resteraient inchangées. »
Ce passage affirme clairement que W est une fonction ordinale, et semble égale-
ment impliquer qu’il n’est pas nécessaire que les arguments représentés par les utilités indi-
viduelles puissent donner lieu à des comparaisons interpersonnelles d’utilité. Mais ce
passage intervient dans la section où sont déduites les conditions nécessaires à la définition
des points situés le long de la frontière des optima de Pareto et semble avoir été oublié au
profit du passage ultérieur de la p. 244, cité ci-dessus et dans lequel Samuelson indique
clairement qu’il faut « saisir » les utilités individuelles et les comparer afin de choisir un
point unique de l’ensemble de Pareto. Cependant, ces déclarations ultérieures ainsi que son
attaque acerbe des théorèmes de Kemp-Ng-Parks militent davantage en faveur de la possi-
bilité de définir une fonction de bien-être social à la Bergson-Samuelson, même lorsqu’el-
les ont pour argument les fonctions d’utilités ordinales des individus 3. Les théorèmes de
Kemp et Ng (1976), Parks (1976), Hammond (1976), Roberts (1980c), et d’autres auteurs
s’opposent à cette interprétation. Il faut plutôt conclure (1) que les fonctions d’utilité ordi-
nale sont des arguments suffisants de W lorsqu’il s’agit de déduire les conditions nécessai-
res pour atteindre un optimum de Pareto, (2) que des arguments cardinaux, comparables
d’un individu à un autre, sont nécessaires pour choisir le meilleur point, unique, parmi l’in-
finité des optima de Pareto.

23.2 LES FONCTIONS DE BIEN-ÊTRE SOCIAL AXIOMATIQUE


Kemp et Ng (1976) et Parks (1976) établissent leur théorème d’impossibilité en démontrant
qu’il est impossible d’avoir une fonction de bien-être social (FBS) qui satisfait un ensem-
ble particulier d’axiomes ; impliquant, entre autres, que les arguments de la fonction sont
des fonctions d’utilité ordinale. Leur théorème conduit naturellement à s’interroger sur la
nature des axiomes dont nous avons besoin pour obtenir des fonctions de bien-être social
raisonnables. Dans cette section, nous allons passer en revue quelques réponses avancées
pour résoudre cette question.

23.2.1 La fonction de bien-être social de Fleming


Fleming (1952) est le premier à avoir étudié les fonctions de bien-être social de manière
axiomatique. Il a montré que les fonctions de bien-être social qui satisfont le principe paré-

3 Voir Samuelson (1967, 1977, 1981). Samuelson attribue aussi cette position à Bergson (Samuelson, 1967,
pp. 44-45, 48-49), mais voir la discussion proposée dans ce livre à la note 1 de ce chapitre.
654 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

tien et l’axiome de l’élimination des individus indifférents doivent avoir la forme suivante :

W = f 1 (U1 ) + f 2 (U2 ) + … + f s (Us ) (23.10)

Axiome de l’élimination des individus indifférents : Prenons au moins trois individus, supposons
que i et j sont indifférents entre les alternatives x et x', et entre y et y', mais i préfère x à y, et j préfère
y à x. Supposons également que tous les autres individus sont indifférents entre x et y, et x' et y' (mais
non nécessairement entre x et x', et y et y'), alors les préférences sociales doivent toujours venir de
la même manière entre x et y qu’elles le font entre x' et y' (énoncé qui suit la présentation de Ng,
1981b).

L’axiome de l’élimination des individus indifférents possède deux propriétés


importantes. (1) Comme son nom l’indique, il élimine les individus qui sont indifférents
entre x et y. (2) Il faut que, quelles que soient les règles utilisées pour savoir si les préfé-
rences de i sur x et y outrepassent celles de j, on doit aussi pouvoir décider de la paire
(x  , y  ), étant donnée l’indifférence de i et j entre x et x  , et y et y  . Toute convention visant
à décider quelle préférence privilégier conduirait, cependant, à une forme de dictature. Une
convention alternative serait de poser une fonction d’utilité cardinale pour i et j permettant
de faire des comparaisons interpersonnelles d’utilité.
La valeur de W dans (23.10) est évidemment indépendante de l’ordre des indivi-
dus de la séquence (1, s). Le théorème vérifie donc l’axiome sur le caractère anonyme. En
revanche, le théorème ne nous donne pas d’information sur la forme de la fonction W. En
particulier, si nous avons :
f i (Ui ) = ai .Ui , (23.11)

la fonction W de (23.10) devient alors une fonction additive. En revanche, si :


f i (Ui ) = log(Ui ), (23.12)
W prend la forme d’une fonction multiplicative 4. Mais on ne peut rien dire de plus sans
axiome supplémentaire.

23.2.2 Les fonctions de bien-être social d’Harsanyi


Harsanyi (1953, 1955, 1977) obtient une fonction de bien-être social à partir des trois hypo-
thèses suivantes :
1. Les préférences personnelles des individus respectent les axiomes de Neumann-
Morgenstern-Marschak sur les choix en présence de risque.
2. Les préférences éthiques des individus obéissent aux mêmes axiomes de l’action.
3. Si tous les individus sont indifférents entre deux perspectives P et Q, celles-ci sont
alors équivalentes d’un point de vue social.
4 La somme des log de Ui est égale aux log de leur produit. La transformation donnée par l’équation (23.12)
rend alors W égale au logarithme du produit des utilités des individus. Étant donné que log (x) atteint un
maximum uniquement quand x en admet un, que W soit défini comme le produit des fonctions d’utilité de s
individus ou comme le log de ce produit aura les mêmes effets sur les valeurs optimales des arguments des
fonctions d’utilité individuelle.
Les fonctions de bien-être social 655

Les préférences personnelles d’un individu sont celles qu’il utilise lorsqu’il prend
des décisions au quotidien. En revanche, il utilise ses préférences éthiques plus rarement,
uniquement lorsqu’il fait des choix moraux ou éthiques. Ces derniers impliquent qu’il
évalue les conséquences de ses décisions sur les autres individus. Il se livre alors à des
comparaisons interpersonnelles d’utilité.
De ces trois postulats, Harsanyi établit le théorème suivant concernant la fonction
de bien-être social, W :

Théorème : W est la somme pondérée des utilités individuelles et prend la forme


suivante :
W = a1 U1 + a2 U2 + … + as Us , (23.13)
où ai correspond à la valeur de W quand U j = 0, pour tout j ≠ i
(Harsanyi, 1995, p. 52).

Ce résultat est étonnamment puissant, au regard des trois postulats qui sont posés.
Comme toujours, lorsqu’un résultat aussi fort est obtenu à partir d’hypothèses apparem-
ment faibles, ces hypothèses doivent être réexaminées pour s’assurer qu’elles ne contien-
nent pas de vices cachés.
La première hypothèse garantit simplement une forme de rationalité individuelle
face au risque et semble plutôt neutre en tant que telle. En effet, quand un individu doit
choisir entre aller à la plage et rester chez lui, il commence par évaluer l’utilité qu’il reti-
rera de sa journée à la plage. Si πr est la probabilité qu’il pleuve, πs la probabilité qu’il
fasse beau temps, Ur et Us , l’utilité qu’il retire de ces deux états du monde, alors l’utilité
espérée d’aller à la plage est U B = πr Ur + πs Us . Les individus rationnels iront à la plage
uniquement si leur utilité espérée excède l’utilité (que nous supposons) certaine de rester
chez eux.
La seconde hypothèse étend le concept de rationalité face au risque des préféren-
ces personnelles aux préférences morales. Lorsqu’un individu rationnel est face à un choix
moral comme celui de donner ou non 50 € à un nécessiteux, il cherche à évaluer l’utilité
qu’il retirerait s’il était pauvre et recevait 50 € et celle qu’il retirerait s’il avait 50 % en
moins, puis affecte à chaque alternative une probabilité. L’hypothèse selon laquelle les
préférences d’un individu satisfont les axiomes du choix de von Neumann-Morgenstern-
Marschak implique la prise en compte d’utilités individuelles dans les choix éthiques.
Ce second axiome de la théorie d’Harsanyi est critiquable. On peut y voir une
extension illégitime de la rationalité individuelle au choix collectif. C’est justement ce que
Pattanaik (1968) a reproché à la fonction de bien-être social de Harsanyi. Buchanan
(1954c) a critiqué de la même manière la fonction de bien-être social d’Arrow, ce que nous
verrons au chapitre suivant. Cette objection semble, cependant, moins pertinente lors-
qu’elle est adressée à Harsanyi que lorsqu’elle vise Arrow. Ce premier fait l’hypothèse que
les individus font des évaluations individuelles des différents états sociaux dans les deux
cas, alors que la fonction de bien-être social d’Arrow n’implique aucune volonté collective
ou entité organique, même implicitement. Dans la théorie de Harsanyi, W est subjectif dans
l’esprit des individus. Étant donné la subjectivité des évaluations de chacun, les W ne seront
pas les mêmes pour tout le monde. Un W collectif ne devrait donc pas exister.
656 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Sous l’hypothèse que les individus font leurs choix en maximisant leurs utilités
espérées, Ng (1984a) a établi une équivalence entre l’indice d’utilité cardinale de von
Neumann-Morgenstern et les indices d’utilité subjective. Harsanyi introduit, tout d’abord,
la possibilité de faire des comparaisons interpersonnelles d’utilité à travers la fonction de
bien-être social 5.
Le troisième postulat introduit les valeurs individualistes qui sous-tendent la fonc-
tion de bien-être social de Harsanyi. Son théorème est remarquable en ce sens que Harsa-
nyi conçoit une fonction de bien-être social additive à partir d’un ensemble d’hypothèses
plutôt modeste.
La découverte de l’additivité de la fonction de bien-être social n’est, néanmoins,
qu’une première étape dans la détermination d’un résultat socialement optimal. Il reste à
décider des pondérations à attribuer à chaque individu. Il faut également évaluer les indices
d’utilité eux-mêmes. C’est à ce moment que Harsanyi fonde sa fonction sur des bases
éthiques. Il suggère que les individus évaluent la fonction de bien-être social pour chaque
état du monde possible en se mettant dans la peau des autres individus. Pour que la sélec-
tion des états du monde soit impartiale, chaque individu fera l’hypothèse qu’il a la même
probabilité de se retrouver à la place de n’importe quelle autre personne (Harsanyi, 1955,
p. 54).
Le choix d’un état du monde s’apparentera à une loterie, les utilités (évaluées
d’après nos propres préférences) de chacun ayant toutes la même probabilité d’être tirées.
« Mais cela implique, sans qu’aucun autre postulat éthique ne soit nécessaire, que les
préférences impersonnelles d’un individu, si elles sont rationnelles, doivent obéir aux
axiomes de Marschak et définir en conséquence une fonction de bien-être social cardinale,
égale à la moyenne arithmétique des utilités de tous les individus dans la société » (Harsa-
nyi, 1955, p. 55). Ainsi, le Gedankenexperiment, qui consiste à supposer que chacun a la
même probabilité d’hériter à la fois des goûts et de la situation de n’importe quelle autre
personne, résout nos deux problèmes : les fonctions d’utilité sont évaluées à l’aide des
préférences subjectives propres à chaque individu, et les pondérations attribuées à chacune
d’elles, les ai , sont toutes égales. La fonction de bien-être social peut s’écrire simplement
comme la somme des utilités de tous les individus :

W = U1 + U2 + … + Us (23.14)

Cela pose tout de même un problème majeur : comment inciter les individus à s’engager
dans une sorte d’expérience mentale consistant à évaluer les états du monde en adoptant les
préférences subjectives d’autres personnes ? Harsanyi (1955, pp. 55-59, 1977, pp. 57-60) a
bien conscience de cette difficulté. Il soutient, néanmoins, l’idée qu’avec une connaissance
suffisante des autres individus, les êtres humains pourraient adopter mentalement les préfé-
rences d’autrui et que, dans l’évaluation du bien-être social faite par chaque individu, les
Ui convergeraient. Ainsi, l’expérience mentale qui consiste à adopter les préférences des
autres individus, associée à l’hypothèse d’équiprobabilité, aboutirait à l’homogénéité des
préférences morales et à l’unanimité en ce qui concerne le choix du meilleur état du monde
(Harsanyi, 1955, p. 59). Tous les individus arriveraient à la même fonction de bien-être
social, impartiale. Plus tard, Rawls (1971) ainsi que Buchanan et Tullock (1962) introdui-
5 Voir aussi Binmore, 1994, chapitre 4.
Les fonctions de bien-être social 657

ront l’hypothèse d’incertitude sur les positions futures pour permettre la formation d’un
consensus portant respectivement sur la définition d’un contrat social et de règles constitu-
tionnelles. Leurs travaux sont traités plus en détail aux chapitres 25 et 26.

23.2.3 Deux critiques de la fonction de bien-être social


d’Harsanyi
23.2.3.1 Doit-on tenir compte des attitudes individuelles face au risque ?
Arrow a émis une critique de la fonction de bien-être social d’Harsanyi avant même que ce
dernier ne présente ses travaux sur le sujet.
Il avait totalement anticipé que les indices d’utilité cardinale, que venaient d’in-
venter von Neumann et Morgenstern, pourraient servir à construire une fonction de bien-
être social (Arrow, 1951, deuxième édition, 1963, pp. 9-11).
« Ce théorème de von Neuman-Morgenstern est très utile dans le cadre d’une
théorie économique descriptive du comportement face à des événements aléatoi-
res, mais ne correspond en aucun cas à des considérations en termes de bien-être,
comme lorsque l’on s’intéresse essentiellement au choix social entre des politiques
qui ne font intervenir aucun élément aléatoire. Prétendre l’inverse serait affirmer
que la répartition du revenu social doit être régie par les goûts des individus pour
les jeux de hasard » (Arrow, 1963, p. 10).

Plus généralement, comme l’indique Sen, l’utilisation des axiomes de von


Neumann et Morgenstern introduit un certain arbitraire, qui est inhérent à toute cardinali-
sation des utilités (Sen, 1970a, p. 97).
Savoir si les décisions sociales devraient dépendre des attitudes des individus à
l’égard du risque est une question épineuse. Si l’attitude de Jeanne face au risque affecte sa
décision lorsqu’elle choisit entre aller à la plage et rester chez elle, alors cette attitude doit
aussi influencer sa décision de donner 50 € ou non au nécessiteux, sous l’hypothèse qu’elle
se plie à l’expérience mentale que la fonction de bien-être social d’Harsanyi impose à tout
individu. L’attitude face au risque aura également un impact sur la manière dont l’individu
se positionne vis-à-vis des politiques de redistribution lorsqu’il vote. Cela signifie que la
distribution du revenu social n’est pas seulement déterminée par les goûts des électeurs. Le
spectre d’un « planificateur social » décidant de la distribution du revenu social selon ses
propres préférences réapparaît.
Plus généralement, si l’on décide de ne pas tenir compte de l’attitude d’un individu
face au risque, il faut également se demander lesquelles de ses autres préférences nous
allons ignorer. Celles en matière de pornographie ? D’éducation ? On voit bien ici l’oppo-
sition entre, d’un côté, le point de vue de l’élite sur les choix sociaux, souvent représenté
dans un modèle de planificateur bienveillant qui décide en utilisant une fonction de bien-
être social et, de l’autre, le point de vue individualiste qui résulte du vote et qui tient compte
des préférences de tous les individus.
658 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Le fait de savoir que Jeanne paierait X pour avoir une probabilité p de gagner Y,
nous donne des indications sur ses préférences pour X et Y, tout comme le fait de savoir
qu’elle préfère X à Y. La première information est en réalité plus riche que la seconde, elle
ne semble pas a priori foncièrement moins bonne que la connaissance des seuls ordres de
préférence. Du moins, il faudrait, semble-t-il, expliquer en quoi la première information est
moins bonne 6.

23.2.3.2 Les individus peuvent-ils s’entendre sur une valeur de W ?


Le fait que les W déterminés au niveau individuel dépendent des préférences des individus
en matière de risque a conduit Pattanaik (1968) et Sen (1970a, pp. 141-146) à s’interroger
sur la possibilité que les individus qui s’engagent dans une expérience d’équiprobabilité à
la Harsanyi choisissent unanimement l’état du monde qui maximise W.
Pour mesurer l’ampleur du problème, considérons l’exemple suivant. Imaginons
une communauté composée de deux personnes, un riche (R) et un pauvre (P), et deux états
possibles du monde, l’un comportant un impôt progressif (T) et l’autre sans impôt (W). Le
tableau 23.1 nous donne l’ensemble des résultats possibles, les revenus étant exprimés en
euros.

Tableau 23.1
Résultats en euros.

État du monde T W
Personne 60 100
R 40 10
P

Dans un souci de clarté, nous avons représenté dans le tableau 23.2 les indices
d’utilité de von Neuman et Morgenstern de R et P, pour chaque niveau de revenu, mesurée
de manière à permettre des comparaisons entre individus. On suppose l’utilité marginale de
R constante et celle de P décroissante. Si chaque individu suppose maintenant qu’il a une
probabilité égale d’être R ou P dans chaque état du monde, le postulat de rationalité de von
Neumann et Morgenstern impose les évaluations suivantes des deux états possibles :

WT = 0,5(0,6) + 0,5(0,4) = 0,5


WW = 0,5(1) + 0,5(0,2) = 0,6

L’état du monde excluant un impôt progressif fournit la plus grande utilité escomptée et
serait, d’après Harsanyi, choisi par tous les individus impartiaux. Pattanaik et Sen répli-

6 Pour d’autres critiques et débats du rôle joué par les préférences en matière de risque dans la fonction de bien-
être social de Harsanyi, voir Diamond (1967), Pattanik (1968), Sen (1970a, pp. 143-145). Pour une défense de
l’usage de l’utilité de von Neumann-Morgenstern dans l’analyse du choix social, voir Binmore (1994, pp. 51-
54, 259-299).
Les fonctions de bien-être social 659

quent que P pourrait facilement ne pas être d’accord. Sa situation est nettement plus
mauvaise dans l’état W que dans l’état T et son utilité double lorsqu’il passe de W à T, alors
que R perd moins de la moitié de la sienne. Les indices d’utilité du tableau 23.2 montrent
que P n’aime pas le risque.

Tableau 23.2
Résultat en termes d’utilité.

État du monde T W
Personnelles 0,6 1
R 0,4 0,2
P

Face à un choix donné, il pourrait refuser de s’engager dans un jeu de hasard équi-
table qui distribuerait les niveaux d’utilité de chacun selon les états T et W, comme une
personne adverse au risque refuserait de participer à des jeux d’argent équitables dans
lesquels des récompenses monétaires sont en jeu. Bien que la fonction de bien-être de
Harsanyi incorpore l’aversion pour le risque de chaque individu dans l’évaluation de Ui ,
elle ne permet pas de distinguer les différents degrés d’aversion parmi les observateurs
impartiaux qui déterminent les valeurs de la fonction de bien-être social. Or, si leurs préfé-
rences à l’égard du risque diffèrent, leurs évaluations du bien-être social dans les différents
états possibles du monde ne seront pas les mêmes. Il sera donc impossible de parvenir à un
accord unanime sur la fonction de bien-être social (Pattanaik, 1968).
La critique de Pattanaik-Sen met en cause l’hypothèse d’Harsanyi selon laquelle
les axiomes de von Neumann-Morgenstern-Marschak valent toujours pour les choix
éthiques dans un monde où les futures positions de chaque individu sont incertaines. Il est
en effet possible de soutenir que cet axiome vaut pour les préférences morales à cette étape
de l’analyse en supposant que l’attitude des individus face au risque est déjà contenue dans
les arguments de la fonction de bien-être social W. Pour répondre à la critique de Sen-Patta-
naik, on peut également soutenir que les individus n’utilisent pas leurs propres préférences
à l’égard du risque, mais qu’ils font l’hypothèse qu’ils ont la même probabilité d’avoir les
préférences de n’importe quel autre individu. Supposons que, dans notre exemple, l’un des
individus est neutre face au risque (N) et que l’autre n’aime pas le risque (A). Leurs évalua-
tions des différents états possibles du monde pourraient alors correspondre aux chiffres du
tableau 23.3).

Tableau 23.3
Résultats en termes d’utilité (seconde étape de recherche de la moyenne).

État du monde T W
Personnelles 0,5 0,6
N 0,44 0,42
A
660 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Les éléments de la ligne N représentent simplement les valeurs escomptées d’une


concrétisation des états T et W, lorsqu’un individu a une probabilité égale d’être R ou P et
lorsqu’il est indifférent face au risque. La ligne A fournit les évaluations, plus faibles, qu’un
individu qui n’aime pas le risque donnerait aux mêmes états, s’ils venaient à se matériali-
ser. Les niveaux de bien-être social, avec ces deux états du monde, et à supposer que
chaque individu ait une probabilité égale d’être riche ou pauvre et d’être indifférent ou
hostile au risque, deviendraient :

WT = 0, 5(0, 5) + 0, 5(0, 44) = 0, 47


WW = 0, 5(0, 6) + 0, 5(0, 42) = 0, 51.

L’état du monde sans impôt est alors à nouveau préféré mais avec une plus faible intensité.
L’objection émise à l’encontre du premier résultat peut tout à fait s’appliquer dans
ce cas. Un individu qui n’aime pas le risque se rendra compte que la situation fiscale favo-
rable au riche a davantage de chances d’advenir lorsque les individus ne sont pas opposés
au risque. Il pourrait, alors, s’opposer à ce qu’on le contraigne à participer à un jeu qui lui
laisse autant de chances d’être indifférent ou hostile au risque, de la même manière qu’il
pourrait refuser un jeu équitable, qui lui procurerait le niveau d’utilité du riche ou du
pauvre. Mais on peut parer cette objection de la même manière que la précédente. On pour-
rait procéder à une réévaluation des états du monde, en supposant que tous les individus ont
une probabilité égale d’être indifférents ou hostiles face au risque, en utilisant comme argu-
ment de la fonction d’utilité à cette étape les niveaux d’utilité de l’étape précédente du
processus de recherche de la moyenne. Si les fonctions d’utilité sont régulières et convexes,
on peut s’attendre à une convergence vers un ensemble unique de valeurs de WT et WW 7.
Ici le lecteur commence peut-être à croire qu’on abuse de sa patience et de sa
crédulité. On fait non seulement l’hypothèse que notre citoyen qui fait un choix d’ordre
éthique est capable d’adopter les préférences subjectives de tous les autres citoyens, mais
ces préférences doivent concerner à la fois des unités physiques comme des pommes ou de
l’argent et des unités cardinales comparables d’un individu à l’autre. Il faut également que
notre citoyen s’engage dans un processus interminable d’expérience mentale pour arriver à
l’évaluation du bien-être social qui reçoit l’accord de tous les individus impartiaux. C’est
payer cher l’unanimité.
Bien qu’il ne soit pas aisé d’écarter ce type de critique, il ne faut pas oublier que
nous ne cherchons pas ici une formule d’évaluation des résultats sociaux que chaque indi-
vidu pourrait appliquer pour parvenir à un résultat unique. Nous cherchons plutôt une
manière de conceptualiser le problème des décisions sociales, sur laquelle nous pourrions

7 Vickrey (1960, pp. 531-532) a été le premier à proposer l’idée qu’un processus répété de recherche de la
moyenne pouvait aboutir à un consensus sur les fonctions d’utilité (1960, pp. 531-532). Mueller (1973) et
Mueller, Tollison et Willett (1974) ont proposé une utilisation explicite de cette technique pour parer les objec-
tions que Pattanaik et Sen avaient formulées contre la fonction de bien-être social : choisir un ensemble de
règles pour une communauté dans laquelle on est sur le point d’entrer, sans avoir de certitude sur sa position
au sein de cette communauté. Ce contexte est manifestement très proche de celui qui est envisagé par Harsa-
nyi. Il n’est donc pas surprenant que Vickrey prône une somme pondérée de fonctions d’utilité du type von
Neumann-Morgenstern (ou du type de Bernoulli). Il recourt à une procédure répétée de la moyenne dans le cas
où des désaccords apparaissent sur les valeurs de ces sommes pondérées.
Les fonctions de bien-être social 661

tous nous accorder et qui pourrait nous aider à parvenir à un accord sur les décisions socia-
les réelles, au cas où nous devrions appliquer les principes qui émergent de cette expérience
mentale. La différence entre une application rigoureuse de la fonction de bien-être social
d’Harsanyi et la version modifiée à la suite des critiques de Pattanaik et Sen porte unique-
ment sur la pondération à attribuer aux utilités des individus qui sont adverses au risque. Si
dans la communauté un individu applique le critère du maximin en matière de risque, un
processus répété de recherche de la moyenne aboutira au choix de l’état du monde qui
maximise le bien-être de l’individu le plus mal loti (Mueller, Tollison et Willett, 1974a).
Une fonction de bien-être social qui attribue une pondération suffisante à la fonction de
préférence de l’individu qui aime le moins le risque reflète à la limite ce même degré
extrême d’aversion pour le risque. Il y a en ce sens une grande proximité entre Harsanyi et
Rawls. Ils recherchent l’un et l’autre un moyen de trouver un résultat social juste et cher-
chent l’un et l’autre à ce que l’incertitude de leurs situations assure l’impartialité de leurs
choix. Rawls (1971), cependant, contrairement à Harsanyi, n’utilise pas de calcul d’utilité.
Les questions que l’on peut se poser pour évaluer le réalisme de la démarche
d’Harsanyi sont les suivantes :
1. Peut-on imaginer que les individus acquièrent suffisamment d’informations sur les
situations et la psychologie des autres individus pour qu’ils soient en mesure de
procéder aux comparaisons entre individus que suppose cette démarche ?
2. Les individus peuvent-ils adopter une attitude impartiale à l’égard de tous les
autres individus de la communauté et se mettre d’accord sur l’ensemble des pondé-
rations (une attitude commune envers le risque) à accorder aux situations de divers
individus lorsqu’il faudra prendre les décisions sociales ?
Si pour un certain nombre de choix sociaux il est raisonnable de supposer que la
réponse est oui, la fonction de bien-être social d’Harsanyi peut être un outil analytique
utile.

23.2.4 La fonction de bien-être social de Ng


Ng (1974) a aussi construit une fonction de bien-être social additive dans laquelle les utili-
tés de chaque individu sont mesurées en unité de « sensibilité restreinte » (finite sensibility
unit). Le concept d’unité de sensibilité restreinte est construit sur la « reconnaissance du
fait que l’on ne peut différencier à l’infini les êtres humains » (Ng, 1974, p. 545).
Alors pour un nombre assez petit de changements de x à x  , un individu est indif-
férent entre x et x’ même si x = x  . Les individus sont capables de percevoir les change-
ments de x seulement pour des intervalles discrets de x. Ces évolutions discrètes de la
perception du changement de x deviennent des éléments constitutifs d’un indice d’utilité
cardinale mesuré par des unités de sensibilité restreinte. Ng ajoute, ensuite, le critère de la
préférence majoritaire faible

Critère de préférence majoritaire faible : Si une majorité préfère x à y, et que tous les membres de
la minorité sont indifférents entre x et y, alors la société préfère x à y.
662 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Le critère de préférence majoritaire faible incorpore les valeurs éthiques construi-


tes sur la base de la fonction de bien-être social. Il s’agit évidemment d’une combinaison à
la fois du principe de Pareto et du principe majoritaire. Contrairement au critère de Pareto,
le critère de préférence majoritaire faible permet à la majorité d’être décisive face à la
minorité si cette dernière est indifférente. En dépit de cette faiblesse, ce critère permet de
proposer une fonction de bien-être social benthamienne dont les arguments ne sont pas
pondérés par les utilités individuelles mesurées en unités de sensibilité restreinte, comme
l’équation (23.14) l’indique. Pour ceux qui reprochent au théorème d’Harsanyi, qui justifie
l’équation (23.14), d’introduire l’attitude face au risque à travers l’usage d’un indice d’uti-
lité de type Morgenstern-von Neumann, le théorème de Ng offre une alternative très effi-
cace pour justifier les fonctions benthamiennes de bien-être social qui ne tiennent pas
compte de l’aversion au risque.
Dans la perspective des choix publics, les théorèmes d’Harsanyi et Ng sont les plus
importants pour justifier l’additivité des fonctions de bien-être social. Les axiomes sous-
jacents sont faciles à interpréter et facilement intégrables à un ensemble de règles constitu-
tionnelles. Dans le cas de la fonction d’Harsanyi, les hypothèses de base sont très proches
des postulats de la théorie du contrat social de Buchanan, Tullock et Rawls. Les différen-
ces et les similitudes seront étudiées au chapitre 26.

23.2.5 Fonction de bien-être social de Nash et autres


fonctions multiplicatives
Alors que les fonctions additives de bien-être social sont associées à Jeremy Bentham, les
fonctions multiplicatives renvoient plutôt aux travaux de Nash (1950). L’objectif de Nash
n’était pas, cependant, de définir une fonction de bien-être social, mais plutôt d’apporter
une solution à un problème de négociation entre deux individus. Si l’on veut, néanmoins,
la généraliser à s personnes, la solution de Nash peut être interprétée comme une fonction
de bien-être social multiplicative (Luce et Raiffa, 1957, pp. 349-350).

W = (U1 − U1∗ )(U2 − U2∗ )…(Us − Us∗ ) (23.15)

L’utilité contenue dans la fonction de bien-être social est déterminée par rapport à une
situation de statu quo dans laquelle Ui = Ui∗ . Cette formulation est naturelle pour le
problème de négociation posé initialement par Nash. Si la négociation n’a pas de solution,
le statu quo est le résultat du jeu. Tous les gains du jeu sont mesurés relativement à cette
situation de statu quo.
Les axiomes pour obtenir la fonction de bien-être social de Nash sont relativement
peu nombreux et anodins. Ces fonctions de bien-être social doivent être cardinales, respec-
ter le critère de Pareto, une propriété de non-contradiction α et une condition de symétrie.

Propriétés α : si x fait partie de l’ensemble des choix définis parmi l’ensemble des solutions possi-
bles S, alors x fait partie de l’ensemble des choix de tous les sous-ensembles de S auxquels il appar-
tient (Sen, 1969).
Les fonctions de bien-être social 663

Condition de symétrie : Si une version abstraite d’un jeu de négociation place les joueurs dans une
situation totalement symétrique, la valeur arbitrée atteindra celle des utilités marginales gagnées, où
l’utilité est mesurée dans une unité qui rend le jeu symétrique (Luce et Raiffa, 1957, p. 127).

La solution proposée par Nash au problème de la négociation a été présentée plus


comme une description de ce qu’était le résultat du jeu que comme une prescription de ce
que devrait être le résultat. En revanche, Nash soutient bien que le résultat est juste, car
l’équité est inhérente au résultat, qui devrait être évident pour les deux parties, et apparaît
comme la solution de l’équation (23.15) (Luce et Raiffa, 1957, pp. 128-132).
Néanmoins, la délimitation des gains à partager est sensible aux choix du point
représentant le statu quo. En accordant un rôle primordial au statu quo, la fonction de bien-
être social de Nash s’est exposée à la critique, émise par Sen (1970a, pp. 118-121), d’être
une construction purement normative. Si la négociation sur les choix sociaux a lieu avec
des revenus et des richesses déterminés par le marché et des droits de propriété définis, le
champ de la redistribution sera alors largement restreint.
Il est utile, d’autre part, de dire que la conceptualisation du problème de la sélec-
tion des règles sous la forme d’un jeu de négociation représente plutôt bien la rédaction
d’une constitution ou d’un contrat social entre les individus qui ne sont certains ni de leurs
préférences futures ni de leurs positions. Si on considère le contrat social comme étant l’en-
semble des règles sélectionnées à partir d’un état hypothétique ou réel d’anarchie, le statu
quo pourrait être défini comme la répartition naturelle de la propriété en situation d’anar-
chie (Bush, 1972 ; Buchanan, 1975a). Les gains de la coopération seraient, alors, énormes
et un partage plutôt égalitaire de ces gains, comme l’implique la fonction de bien-être social
de Nash, pourrait être considéré comme étant juste, comme Nash le pensait.
Définir le statu quo comme la répartition initiale des droits conduit au théorème de
Kaneko et Nakamura (1979), qui reprend la fonction de bien-être social de Nash de l’équa-
tion (23.15), mais (U ∗ , U2∗ , …, Us∗ ) ne se définit plus comme la situation de statu quo, mais
comme le pire état possible imaginable pour chaque individu. En effet, il n’est pas certain
que, si l’homme moderne était plongé dans l’anarchie totale, son utilité serait beaucoup
plus élevée que celle envisagée par Kaneko et Nakamura. Leur fonction de bien-être social
satisfait tous les postulats d’anonymat et de Pareto. Kaneko et Nakamura supposent, aussi,
une forme d’indépendance de l’axiome des possibilités incohérentes, qui sera examiné plus
en détail au prochain chapitre. Ils font, enfin, l’hypothèse fondamentale que nous évaluons
le bien-être social en considérant une augmentation relative du bien-être des individus par
rapport à leur niveau initial (p. 426). Cette hypothèse, combinée à l’utilisation d’indices
d’utilité de von Neumann-Morgenstern, oblige à comparer les ratios d’utilité entre indivi-
dus plutôt que les différences absolues. Elle conduit évidemment à construire des fonctions
de bien-être social multiplicatives.
La forme la plus générale de la fonction de bien-être social multiplicative a été
proposée par DeMeyer et Plott (1971). Ces auteurs utilisent des ratios d’utilité pour
mesurer les différentiels d’intensité (utilité relative) et en déduisent une fonction de bien-
être social du type :
W = U1K .U2K …UsK , (23.16)
où K est un nombre réel.
664 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

23.3 QUEL TYPE DE FONCTION DE BIEN-ÊTRE SOCIAL


EST PRÉFÉRABLE ?
Nous avons vu jusqu’à maintenant qu’il était possible de dériver de quelques axiomes
basiques de l’action, des fonctions additives ou multiplicatives de bien-être social. Dans les
deux cas, nous avons besoin de supposer que leurs arguments sont d’une forme cardinale,
que les utilités individuelles sont comparables, que les institutions politiques optimales sont
connues et font partie des choix possibles. Les deux types de fonction de bien-être social
satisfont à la fois le postulat de Pareto et le critère d’anonymat. En revanche, chaque type
diffère de l’autre pour d’autres propriétés axiomatiques. Plutôt que d’analyser chaque
axiome en détail, nous allons terminer ce chapitre en prenant quelques exemples pour illus-
trer les propriétés de chaque type de fonction. Nous concentrons notre attention sur les
formes les plus simples de fonctions additives et multiplicatives.

W = U1 + U2 + … + Us (23.17)
W = U1 .U2 . … .Us (23.18)

Considérons, maintenant, le tableau 23.4. Chaque entrée du tableau représente les utilités
cardinales, comparables d’un individu à l’autre, de deux personnes i et j dans deux états du
monde possibles G et M. En cas de diminution de l’utilité marginale du revenu, le revenu
de i dans l’état G peut être de 3, 4 ou 10 fois supérieur à ce qu’il aurait été dans l’état M,
même si son niveau d’utilité en G est seulement le double de celui qu’il atteindrait en M.
Si un choix social devait être fait entre G et M, lequel serait choisi ? Une fonction de bien-
être social additive sélectionnerait M alors qu’une fonction multiplicative retiendrait G.

Tableau 23.4

i j
G 2 3
M 1 5

Il est, par exemple, évident que chaque lecteur de ce livre peut faire des choix
différents, voire opposés. Pour comprendre ce point, supposons que i et j sont une seule et
même personne à deux moments différents de sa vie et que G et M sont deux choix de
carrières. G représente un poste dans la fonction publique avec un revenu faible et une
utilité supérieure en début de carrière qu’à la fin. M représente une carrière de médecin
avec une faible utilité initialement mais une plus forte utilité que celle offerte par la fonc-
tion publique en fin de carrière. Étant donné les gains d’utilité, pour chaque carrière
choisie, on peut tout à fait imaginer que des individus rationnels choisissent la bureaucra-
tie publique, alors que d’autres se dirigent vers la médecine. Si cela est vrai, certains indi-
vidus préféreront les fonctions de bien-être social additives, alors que d’autres préféreront
les fonctions multiplicatives.
Les fonctions de bien-être social 665

Tableau 23.5

Individus
1 2 3 4 5
A 1 1 1 1 1
États B 0,0001 10,000 1 1 1
C 0,0001 10 10 10 10

Comme nous le suggère cet exemple, le choix d’une fonction de bien-être multi-
plicative dépendra probablement des croyances de chacun en ce qui concerne le degré
d’égalité de la distribution des services publics. Rappelons que les entrées dans le
tableau 23.4 sont des utilités et non des revenus. Si l’utilité marginale des revenus supplé-
mentaires décline, le différentiel des niveaux d’utilité retirée par i et j est inférieur au diffé-
rentiel de leur revenu. Un choix de l’état du monde G plutôt que M indique une forte
préférence pour les résultats égalitaristes.
Avec une fonction de bien-être social multiplicative, un doublement de l’utilité de
i est compensé par une division de l’utilité de j par deux. Une hausse de l’utilité de i de 100
à 200 est compensée par la baisse de l’utilité de j de 100 à 50. Ng (1981b) a critiqué le fait
que de tels arbitrages se produisent dans la fonction de bien-être social, au motif que cela
pouvait conduire certains individus à faire de très grands sacrifices pour éviter de très
petites baisses absolues d’utilité pour les autres. Supposons, par exemple, qu’une société
de cinq individus doive faire un choix entre trois états du monde possible, A, B et C comme
dans le tableau 23.5. À l’état A, tous les cinq retirent un niveau de bien-être relativement
bas. En B, l’un des individus est totalement défavorisé (au bord du suicide), deux autres
sont comblés de bonheur, et les trois autres sont dans la situation A. En C, un individu est
à nouveau totalement lésé, mais les quatre autres sont dix fois mieux qu’en A. Une fonc-
tion de bien-être social additive classe B devant C et ces deux états devant A. En revanche,
les états A, B et C reviennent au même avec une fonction de bien-être social multiplicative.
Ceux qui militent pour B plutôt que pour A soutiennent que l’usage d’une fonction
de bien-être social additive dans cette situation permet d’utiliser l’individu 1 pour augmen-
ter les gains de 2 en violant la maxime fondamentale de Kant 8. En effet, avec une fonction
de bien-être social additive W, un maximum pourrait exister et auquel des individus pour-
raient avoir des utilités négatives ou nulles. Par exemple, tuer un riche, malade, pour redis-
tribuer ses biens aux pauvres pourrait facilement augmenter le bien-être social dans une
fonction additive.
Si j était sadique, alors un monde où j torturerait i de manière à rendre son utilité
négative pourrait se produire sous W. Avec une fonction de bien-être multiplicative W,
aucune situation de ce genre où Ui ≤ 0 ne pourrait être choisie tant qu’il existe des états où
tous les Ui > 0.

8 Voir en particulier, Rawls (1971). La critique du welfarisme faite par Sen s’applique aussi ici. Rawls ne préco-
nise pas une fonction de bien-être multiplicative, mais plutôt une fonction lexicographique (mettant de côté sa
critique de l’utilitarisme). La théorie de Rawls est discutée dans le chapitre 25.
666 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Comme contre-argument à toutes ces critiques, il faut noter que, bien que l’aug-
mentation de W puisse provenir d’actes de torture ou d’assassinats, ces situations sont
moins plausibles que les autres. Si i n’est pas masochiste, il existe certainement des maniè-
res moins coûteuses (en termes de comparaison interpersonnelle d’utilité) d’augmenter U j ,
lorsque j torture i.
La même logique arithmétique qui fait de A et B deux mondes équivalents dans le
cadre d’une fonction multiplicative W, ne fait pas de C un meilleur état du monde que A,
bien qu’ici un échange visant à améliorer l’utilité de quatre individus au détriment de celle
(en valeur absolue) du cinquième peut sembler raisonnable. Notons que chacun a cons-
cience qu’il peut être victime de cet arbitrage. Si à l’âge de 21 ans, le lecteur avait le choix
entre passer les 50 prochaines années de sa vie dans des conditions médiocres et vivre
10 ans dans la misère la plus extrême puis 40 ans dans l’opulence, il est probable qu’il fasse
un choix faustien et choisisse la deuxième solution. Si ces options sont fidèles aux utilités
correspondant aux situations A et C du tableau 23.5, pour prendre sa décision, le lecteur
peut alors utiliser un critère qui est plus proche de celui utilisé par les fonctions additives
que par les fonctions multiplicatives. Si le lecteur faisait ses choix de cette manière, en
ajoutant implicitement des niveaux d’utilité différents à chaque étape, pourquoi ne pour-
rait-on pas procéder de la même manière au niveau des choix sociaux ?
Une manière de répondre à cette question est de soutenir que, bien qu’il soit parfai-
tement acceptable pour un individu de faire des choix en ajoutant ses niveaux d’utilité à
différentes périodes car il fait des choix qui ne concernent que lui et peut comparer ses utili-
tés aux périodes de son choix, lorsqu’il s’agit de comparer le niveau de bien-être de diffé-
rentes personnes, les arbitrages inhérents à la fonction de bien-être social additive sont
inacceptables pour les raisons de moyen et de fin données plus haut. Pour les choix de bien-
être interpersonnel, nous avons besoin d’un autre critère, capable de protéger les droits
individuels comme le fait une fonction de bien-être multiplicative W. C’est dans ce genre
de situations qu’il peut être raisonnable ou acceptable de faire des comparaisons interper-
sonnelles d’utilité.
Cette réponse renforce indirectement le problème du contexte dans lequel les fonc-
tions de bien-être social sont utilisées. Beaucoup d’observateurs semblent penser que les
fonctions de bien-être social comme instrument analytique pour les décideurs politiques,
qui connecte les Ui et les maximise, consistent à donner à un tiers le pouvoir de prendre
des décisions pour l’ensemble de la société. Dans ce cadre, la question est de savoir
comment les utilités Ui sont mesurées et quels arbitrages entre les utilités individuelles sont
possibles. Les contraintes pesant sur les choix afin que le bien-être des individus ne soit pas
réduit au profit d’autres membres de la société, ce qui apparaît dans les fonctions multipli-
catives de bien-être social, présentent également un intérêt majeur.
Une autre manière de voir les fonctions de bien-être social, W, est de les concevoir
comme des repères pour la rédaction des Constitutions, de l’ensemble des règles qui
permettent à la société de prendre des décisions collectives. Si l’on considère que ces règles
sont choisies par des individus égoïstes, en situation d’incertitude concernant leur position
future, le choix n’est plus interpersonnel, mais intrapersonnel. L’individu doit choisir des
règles qui maximisent son propre bien-être étant donné qu’il n’est pas certain de sa posi-
tion. Dans ces conditions, une fonction de bien-être social additive W semble appropriée si
Les fonctions de bien-être social 667

les choix individuels ont tendance à être faits en comparant les niveaux d’utilité à diffé-
rentes périodes du temps.
Le contexte dans lequel la fonction de bien-être social W doit être utilisée pose
aussi la question de savoir comment les utilités cardinales devront être mesurées. Les réti-
cences des économistes au concept d’utilité cardinale proviennent de la crainte que certains
bureaucrates prennent ce prétexte pour distribuer les utilités et prendre des décisions à la
place des individus. L’existence d’études en psychologie sur la construction d’indices de
sensibilité des utilités cardinales peut renforcer ces craintes.
Si l’on considère, en revanche, les fonctions de bien-être social comme des cons-
tructions servant à guider le choix individuel dans la rédaction d’une constitution sous un
voile d’ignorance, toute la question est de savoir si les gens peuvent penser la situation de
l’esclave et du propriétaire d’esclaves et comparer leurs utilités. Si cela est possible, ils
peuvent choisir un ensemble de règles afin de choisir une fonction de bien-être social et de
faire des choix collectifs. C’est dans cette optique que Rawls (1971) et Buchanan et Tullock
(1962) envisagent la notion de contrat social et l’ensemble des règles constitutionnelles.
C’est également dans ce contexte que la littérature sur les fonctions de bien-être social
semble la plus utile à l’étude de la prise de décision collective. Nous reviendrons sur ces
questions au cours des chapitres 25 et 26.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Pour une présentation synthétique des fonctions de bien-être social on peut consulter l’article de
Maurice Salles (2001, pp. 59-65), « Bien être social et choix social », Dictionnaires des sciences
économiques, sous la direction de Claude Jessua, Christian Labrouse, Daniel Vitry, Damien
Gaumont, Paris, PUF.
Dans la lignée des articles pionniers de Parks (1976) et Kemp et Ng (1976), plusieurs travaux ont
cherché à réaffirmer l’impossibilité de concevoir une fonction de bien-être social à la Bergson-
Samuelson avec des arguments d’utilité ordinale ou la nécessité d’utiliser des utilités cardinales, un
indice d’utilité donnant lieu à des comparaisons interpersonnelles (D’Aspremont et Gevers, 1977 ;
Pollack, 1979 ; Roberts, 1980a, b, c). Voir Sen (1977b) pour un résumé sur ce point.
À la lecture de Bergson (1938) et Samuelson (1947, chapitre 8) sur les fonctions de bien-être social,
Mueller se dit convaincu, dans la version originale de cet ouvrage, qu’il est possible de proposer
une fonction capable de déterminer une solution Pareto-optimale. Cette opinion est d’ailleurs
probablement partagée par la grande majorité des théoriciens du choix public. Les articles de Kemp
et Ng (1976) et Parks (1976) apparaissent importants non pas parce qu’ils apportent des résultats
complètement nouveaux mais parce qu’ils démontrent de manière formelle ce qui était su ou
simplement pressenti depuis longtemps. C’est pourquoi la nature et le ton du débat qui oppose
Samuelson (1977, 1981) et Kemp et Ng (1977, 1987) peuvent paraître excessifs.
La contribution fondatrice d’Harsanyi est apparue en 1953 et 1955. Son argumentation a été réexa-
minée par la suite et des preuves supplémentaires du théorème d’Harsanyi (1977, chapitre 4) ont
été apportées.
Sugden et Weale (1979) lient leur théorème des fonctions de bien-être social directement à la littéra-
ture sur le contrat constitutionnel. Leur théorème est proche de celui de Fleming (1952).
668 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Le théorème original de Ng, que nous venons d’étudier, et ses complexifications ultérieures (1981b,
1982, 1983, 1984b, 1985a, 2000) constituent les arguments les plus rigoureux en faveur des fonc-
tions additives de bien-être social.
La littérature sur les mesures expérimentales de l’utilité est présentée par Vickrey (1960) et Ng
(1975).
Pour le développement de l’axiomatique des fonctions de bien-être social à la Nash (1960), on pourra
se référer à Luce et Raiffa (1957, pp. 124-132, 349-350) et Sen (1970a, pp. 118-121, 126-128).
La section 23.3 reprend largement Ng (1981b). Voir aussi Bergson (1938), Samuelson (1947), Little
(1957), Sen (1979) et Ng (1981a).
Binmore (1994, 1998) dans ces deux volumes traite amplement des indexes d’utilité, de l’utilité
cardinale et ordinale et de leurs usages normatifs.
24
L’IMPOSSIBILITÉ
D’UN ORDRE SOCIAL

24.1 Logique de la preuve 670


24.2 Un affaiblissement des postulats 673
24.3 Les fonctions de bien-être social imperméables aux stratégies 680
24.4 Implications pour les théories du choix social 683
670 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

La fonction de bien-être social de Bergson-Samuelson a été construite par analogie avec la


fonction d’utilité individuelle. De même que les individus choisissent un panier de biens
pour maximiser leur utilité, la société doit choisir une distribution de biens parmi les indi-
vidus qui maximisent son bien-être. Le fait que les consommateurs font des choix pour
maximiser leur utilité est déduit de façon presque tautologique de la définition de rationa-
lité. Mais avec l’extension de cette idée de maximisation d’une fonction objective au
niveau de la société, il faut présupposer plus que la simple rationalité. Les caractéristiques
de la fonction de bien-être, ainsi que la nature des éléments qui y sont intégrés, constituent
des jugements de valeur qui donnent un contenu normatif à la fonction de bien-être social,
comme cela a été mis en lumière par Bergson (1938) et Samuelson (1947, chapitre 8).
Une autre façon d’analyser le comportement individuel consiste à supposer diffé-
rentes hypothèses concernant la rationalité individuelle suffisantes pour définir un ordre
des préférences et pour prédire quel panier de biens chaque individu choisira en fonction
de son environnement. De nouveau par analogie, on peut poser différents postulats sur la
prise de décision collective et analyser les décisions de la société en termes d’ordres de
préférences sociales. Quel choix devrait faire une société en fonction de son environne-
ment ? Ici encore, en passant du niveau individuel au niveau sociétal, nous devons passer
de postulats sur la rationalité simple à des considérations sur les normes éthiques de la
communauté. Il est important de retenir ce point, car quelques axiomes ont l’air d’exiger
simplement une rationalité collective et quelques chercheurs les ont interprétés à tort de
cette façon. Ce n’est bien sûr pas le cas ici. En discutant chaque axiome, nous en soulignons
le contenu normatif.
Arrow, en 1951, fit la première tentative et la plus importante, pour définir une
fonction de bien-être social comme un ordre social qui satisfait un ensemble étroit et
basique d’axiomes éthiques. Bien que certains développements qu’Arrow propose semblent
mélanger des considérations sur l’éthique et sur la rationalité, la priorité de son étude est
essentiellement normative. Arrow, lui-même, a accepté l’interprétation qui a été faite de ses
axiomes, comme indicateurs des jugements de valeurs basiques qui doivent être intégrés
dans le contrat social ou dans la constitution d’une communauté 1. C’est peut-être même la
meilleure façon de les voir. La question est alors : quelles normes éthiques devons-nous
imposer à une procédure de choix social, et quelles procédures de choix collectif satisfont
ces axiomes ? La réponse est décevante. Avec des axiomes peu nombreux et éthiquement
peu exigeants, aucune procédure (de vote, de marché et autres) ne peut les satisfaire tous.
Nous commencerons par une brève description de ces axiomes pour prouver cette
impossibilité, après quoi nous examinerons plus en détail chaque axiome.

24.1 LOGIQUE DE LA PREUVE


Nous allons suivre la reformulation par Vickrey (1960) des postulats et de la preuve, puis-
qu’elle est plus simple et plus brève.

1 Cette interprétation a été pour la première fois avancée par Kemp et Asimakopoulos (1952) et a été par la suite
reprise par Arrow (1963, pp. 104-105).
L’impossibilité d’un ordre social 671

1. Unanimité (le postulat de Pareto) : Si la préférence d’un individu ne s’oppose à


aucune autre préférence d’un autre individu, cette préférence est conservée dans
l’ordre social.
2. Non-dictature : Aucun individu ne bénéficie d’une position telle que, s’il exprime
une préférence entre deux options alors que tous les autres individus expriment la
préférence opposée, sa préférence sera toujours conservée dans l’ordre social.
3. Transitivité : La fonction de bien-être social donne un ordre cohérent de toutes les
options possibles. Autrement dit, (a préféré à 2 b préféré à c) → (a préféré à c), et
(a indifférent à b indifférent à c) → (a indifférent à c).
4. Universalité (domaine non restreint) : Il y a quelques options « universelles » u
telles que, pour toute paire d’autres options x et y et pour tout individu, chacun des
six ordres possibles de u, x et y est contenu dans quelque classement acceptable de
toutes les options pour un individu 3.
5. Indépendance des options non pertinentes : Le choix social entre toute paire d’op-
tions doit dépendre seulement des ordres des individus sur ces deux options, et non
de leur ordre par rapport à d’autres options 4.
La condition 4 exige certainement quelques mots d’explication. La notion d’option
universelle n’est pas cruciale ici. Ce qu’implique cet axiome d’universalité est que la procé-
dure de choix social doit permettre tout ordre possible des trois options x, y et u. La procé-
dure ne doit pas être établie de manière à pouvoir exclure des ordres possibles.
Le théorème établit qu’aucune fonction de bien-être social ne satisfait ces cinq
postulats. Pour comprendre la signification de ce théorème, il est utile de passer par sa
preuve telle qu’elle est fournie par Vickey. Nous définissons tout d’abord un ensemble
décisif D.
Définition d’un ensemble décisif : Un ensemble d’individus D est décisif pour les options x et y et
dans une fonction de bien-être social donnée, si la fonction produit une préférence sociale pour x sur
y, quand tous les individus en D préfèrent x à y, alors que tous les autres préfèrent y à x.

2 « Préféré à » sera noté P par la suite et « indifférent à » |.


3 La formulation d’Arrow de cet axiome est la suivante : Parmi toutes les options, il y a un ensemble S de trois
options telles que, pour chaque ensemble d’ordres individuels T1 , …, Tn des options en S, il y a un ensemble
acceptable d’ordres individuels R1 , …, Rn de toutes les options tels que pour chaque individu i, x Ri y si et
seulement si x Ti y pour x et y dans S (Arrow, 1963, p. 24).
4 Vickrey formule ce postulat un peu différemment, mais sa preuve repose sur celui présenté ici. Cette formu-
lation de l’axiome diffère aussi de la formulation originale d’Arrow, et de bien d’autres dans la littérature. La
formulation d’Arrow est la suivante : Soit R1 , …, Rn et R1 , …, Rn deux ensembles d’ordres individuels et soit
C(S) et C  (S) les fonctions correspondantes de choix social. Si pour tous les individus i et pour tous les x et
y dans un environnement donné S, x Ri y si et seulement si x Ri y, quand C(S) et C  (S) sont les mêmes (Arrow,
1963, p. 27). Pour une formulation similaire de cet axiome et une preuve d’impossibilité qui repose sur lui,
voir Sen (1970a).
672 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Preuve :
Étape Justification
1. Soit D un ensemble d’individus décisifs pour x et y Hypothèse
2. Pour tous les membres de D, x P y Pu, et pour tous Universalité
les autres (ceux de C) y Pu P x
3. Pour la société x P y Définition de D
4. Pour la société y Pu Unanimité
5. Pour la société x Pu Transitivité
6. Mais pour les seuls membres de D, x Pu Hypothèse
7. La société doit préférer x à u même lorsqu’il y a des Indépendance
changements dans le classement de y (ou d’autres options)
8. D est décisif pour x et u Définition
9. D est décisif pour toutes les paires d’options Répétition des étapes 2-8
10. D doit comprendre deux personnes ou plus Non-dictature
11. Divisons D en deux sous-ensembles non vides A et B Hypothèse
12. Dans lesquels pour A : x  P y  Pu  Universalité
pour B : y  Pu  P x 
pour C : u  P x  P y 
13. Puisque pour les membres de A et B, y  Pu  , pour Définition de D
la société y  Pu 
14. Si pour la société y  P x  , B est décisif pour y  et x  Définition de D
15. Si pour la société x  P y  , alors pour la société x  Pu  Transitivité
16. Mais alors A est décisif pour x  et u  Définition de D
Dans tous les cas, un des sous-ensembles de D est décisif pour deux enjeux, et par
conséquent par l’étape 9 pour tous les enjeux. Les étapes 10-16 peuvent être répétées pour
ce nouvel ensemble décisif et on continuera ainsi jusqu’à ce qu’un ensemble décisif
contiene un seul membre, ce qui contredit le postulat de non-dictature 5.
L’intuition qui sous-tend la preuve est la suivante : le postulat d’universalité
permet toute combinaison possible de préférences ordinales. Lorsqu’une option unanime-
ment préférée n’émerge pas, une méthode pour choisir parmi les options Pareto-préférées
doit être trouvée. Le postulat d’indépendance restreint l’attention sur les préférences ordi-
nales des individus à toute paire d’options pour lesquelles ils ont à choisir. Mais, comme
nous l’avons vu dans notre discussion sur la règle de la majorité, il est bien trop facile de
construire des règles qui produisent des choix entre deux options, mais produisent un cycle
lorsque trois choix successifs entre deux options sont faits. En revanche, le postulat de
transitivité exige un choix entre les trois. La procédure du choix social ne peut rester irré-
solue (Arrow, 196, p. 120). Toutefois, avec l’information disponible qui porte sur les clas-
sements ordinaux faits par les individus pour chaque paire d’options, il n’y a aucune
méthode pour faire un choix qui ne soit ni imposé ni dictatorial.

5 Cette littérature est remplie de ce type de preuves en « boîtes chinoises » pour découvrir le dictateur. Pour une
variante importante avec un nombre infini de votants, voir Kirman et Sondermann (1972).
L’impossibilité d’un ordre social 673

24.2 UN AFFAIBLISSEMENT DES POSTULATS


Afin d’éviter le résultat d’impossibilité, les postulats doivent être relâchés. Toutefois, avant
de le faire, analysons les implications du théorème tel qu’il est, car sa signification provient
précisément de la faiblesse des postulats que nous avons présentés. Bien que ces axiomes
soient un peu plus forts que ce qu’il semble à première vue, ils sont largement plus faibles
que ce qu’on voudrait imposer à l’étape constitutionnelle pour satisfaire de raisonnables
notions élémentaires d’équité distributive. Par exemple, il n’y a rien dans ces axiomes qui
exclut qu’un groupe d’individus, pour autant qu’il ait plus qu’un seul membre, puisse
tyranniser les autres si cela reste sur la frontière parétienne 6. Même en permettant plusieurs
violations de notre idée d’équité, nous ne pouvons pas trouver une procédure pour choisir
parmi un ensemble Pareto-optimal d’options capables de satisfaire ces axiomes.
Des contraintes d’espace ne nous permettent pas de faire une revue complète de
toutes les modifications des postulats qui ont été proposées pour produire des théorèmes de
possibilité ou de nouveaux résultats d’impossibilité. Nous allons plutôt nous concentrer sur
les modifications qui ont une pertinence particulière pour les choix publics.
Si on affaiblit les axiomes d’unanimité et de non-dictature, cela vaut la peine de
discuter pour savoir si les idéaux d’individualisme et de souveraineté populaire pourraient
être maintenus 7. Ces deux axiomes illustrent clairement que nous nous sommes engagés
dans un exercice normatif. Il n’y a rien de particulièrement irrationnel à vouloir sélection-
ner un individu pour lui permettre de prendre toutes les décisions qui concernent la commu-
nauté. En effet, des arguments en faveur d’un dictateur éclairé ont été défendus au moins
depuis la défense éloquente de Platon de cette option dans la République 8. Mais de telles
positions sont inconsistantes avec nos plus élémentaires idéaux démocratiques. Une
mention spéciale devrait être faite concernant la défense de Hobbes de la monarchie (1651).
Pour Hobbes, il y avait un enjeu sur lequel toutes les préférences étaient identiques : la vie
dans l’anarchie est terrible et moins souhaitable que la vie sous un dictateur unanimement
accepté. Si on ajoute les postulats ci-dessus au contrat hobbesien, on peut construire une
nouvelle défense de l’autocratie ; et, bien sûr, la solution dictatoriale aux incertitudes et aux
impasses liées au choix social est dans les faits très répandue. Empiriquement, il peut être
intéressant de rechercher la fréquence avec laquelle les gouvernements dictatoriaux
remplacent les démocraties, en se concentrant sur les échecs de ces dernières découlant des
paradoxes du vote. Les trois autres axiomes exigent une discussion plus détaillée.

24.2.1 La transitivité
Les raisons d’Arrow pour exiger que la procédure de choix social produise un ordre social
cohérent semblent être (1) « que les choix sociaux doivent pouvoir être faits dans tout envi-

6 Voir l’exemple amusant de Sen (1977a, p. 57).


7 Cependant, voir Little (1952).
8 Bell (1973) présente une version moderne de cette position. Après avoir cité la preuve d’Arrow à plusieurs
moments pour indiquer la difficulté que les processus démocratiques ont pour parvenir à des décisions, il opte
pour faire choisir par des élites d’experts technocratiques les règles dans les sociétés postindustrielles.
674 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

ronnement » (1963, p. 118), et (2) « que ce choix doit être indépendant du chemin pour y
parvenir » (p. 120). Ce sont, en fait, les deux exigences d’Arrow, et aucune ne requiert stric-
tement la transitivité.
L’exigence que la procédure du choix social doit être capable de faire des choix
dans tous les environnements semble la plus aisée à défendre, car les impasses de la démo-
cratie sont une invitation ouverte à la dictature. Mais pour parvenir à ce but, nous n’avons
pas besoin de postuler l’existence d’un ordre des préférences sociales défini sur la base des
ordres de préférences individuels. Pour faire des choix, on a seulement besoin d’une fonc-
tion de choix qui permette de sélectionner la meilleure option parmi un ensemble d’options
potentielles (Sen, 1970a, pp. 47-55 ; Plott, 1971, 1976). La transitivité n’est pas requise.
Une quasi-transitivité ou l’absence de cycles suffiront (Sen, 1970a, pp. 47-55). Ces deux
conditions sont plus faibles que la transitivité. La quasi-transitivité exige la transitivité dans
les relations de préférences, mais non dans les relations d’indifférence ; l’absence de cycles
permet à x1 d’être « au moins aussi bon » que xn même si x1 P x2 P x3 , …, xn−1 P xn . Des
théorèmes de possibilité ont été montrés en remplaçant la transitivité par l’un de ces deux
axiomes tout en retenant les autres axiomes d’Arrow. Mais Gibbart (1969) a montré qu’u-
tiliser un ordre quasi transitif à la fonction de choix social produit une oligarchie qui peut
imposer ses préférences unanimes au reste de la communauté. Brown (1975) a montré que
l’absence de cycle donne un droit de veto à tous les membres d’un sous-ensemble du comité
que Brown appelle un « collège » 9. Donc, lorsqu’on affaiblit l’exigence de transitivité et
qu’on la remplace par la quasi-transitivité ou l’absence de cycles, les pouvoirs dictatoriaux
s’éparpillent et se transforment, mais ne disparaissent pas entièrement. Exiger que la procé-
dure de choix social soit, en un certain sens, décisive, implique qu’un individu ou qu’un
sous-ensemble d’individus a le pouvoir de prendre, ou de bloquer, toute décision 10.
Bien que l’affaiblissement de l’axiome de transitivité ait l’avantage d’éparpiller le
pouvoir dictatorial, il comporte un coût additionnel en introduisant un degré d’arbitraire
dans le processus (Sen, 1970a, pp. 47-55). Avec la quasi-transitivité, par exemple, a I b et
bI c peuvent exister à côté de a Pc. Donc, dans un choix entre a et b, la société peut choisir
les deux, mais si on ajoute c à l’ensemble, la société ne choisit plus que a. Si a, b et c sont
des points situés sur la frontière parétienne, ce choix aura des conséquences distributives.
Ceux qui veulent l’option b peuvent mettre en cause le fondement éthique d’une procédure
qui rend leur destin dépendant d’une chose aussi contingente qu’est l’ensemble des options
prises en considération.
L’avantage d’affaiblir l’axiome de transitivité se réduit par la suite si on prend en
considération les restrictions qui peuvent être mises en place sur la façon dont les indivi-
dus ordonnent leurs préférences pour être sûrs qu’il y ait quasi-transitivité ou absence de
cycle. Pour la règle de la majorité, au moins, les conditions nécessaires et suffisantes pour
qu’il n’y ait pas de cycle sont les mêmes que celles requises pour qu’il y ait quasi-transiti-
vité, et celles-ci, à leur tour, permettront d’assurer la transitivité lorsque le nombre des indi-
vidus est impair 11. Donc, si on maintient la propriété selon laquelle une décision doit être

9 Voir aussi Blau et Deb (1977).


10 Pour une discussion ultérieure de ce point, voir Brown (1973), Plott (1976, pp. 543-6) et Sen (1977a, pp. 58-
63).
11 Voir Sen et Pattanaik (1969), Inada (1970) et Sen (1977a).
L’impossibilité d’un ordre social 675

prise dans chaque environnement, on ne perd pas grand-chose à conserver l’exigence de


pleine transitivité.
L’intuition qui sous-tend l’idée que le résultat final doit être indépendant du
chemin par lequel on y parvient est un peu différente. Pour commencer, il faut évidemment
supposer qu’il y a un chemin pour parvenir au choix final. C’est-à-dire qu’un choix n’est
pas fait directement à partir de l’ensemble des candidats, mais il est fait avec une procédure
qui sélectionne les gagnants de plusieurs sous-ensembles appartenant à l’ensemble
complet. Ceux-ci, à leur tour, sont opposés les uns contre les autres d’une façon qui
permette de parvenir au résultat final 12. L’exigence que la procédure de choix social doit
être indépendante du chemin revient à dire que l’ensemble final des options doit être indé-
pendant de la manière dont les sous-ensembles initiaux sont formés à partir de l’ensemble
complet (Plott, 1973).
L’indépendance du chemin implique de fait une autre condition qui a reçu une
grande attention dans la littérature : la propriété α de Sen (1969), déjà introduite dans le
chapitre 23. La propriété α établit que si x est un élément de l’ensemble de choix défini par
un ensemble complet d’options S, alors x est un élément d’un ensemble de choix d’un sous-
ensemble de S duquel il fait partie. La propriété α est l’une des propriétés de contraction-
consistance que nous avons présentées 13. Puisque l’ensemble d’options est contracté, x doit
continuer à être choisi aussi longtemps qu’il reste l’une des options disponible. L’idée intui-
tive est peut-être évidente : si x est le meilleur joueur d’échecs du monde, alors il doit égale-
ment être le meilleur joueur d’échecs de Belgique. L’indépendance du chemin dans ce
contexte exige que x soit champion indépendamment de la manière selon laquelle l’ordre des
matchs a été fixé. Cette dernière exigence est évidemment plus forte que la précédente, qui
expliquait pourquoi l’indépendance du chemin implique la propriété α, mais non l’inverse.
En complément à α et aux autres propriétés de contraction-consistance, il y a un
ensemble de propriétés d’expansion-consistance avec la propriété β (Sen, 1969, 1970a,
1977a). Cette propriété β établit que, si x et y sont des éléments du sous-ensemble S1 de
l’ensemble complet S, alors x sera un élément de l’ensemble de choix S seulement si y l’est
également. Revenons à notre exemple du champion d’échecs : si x et y sont à égalité dans
le championnat de Belgique, alors la propriété β exige qu’ils soient également à égalité
dans le championnat du monde. Comme le souligne Sen, il est totalement plausible, dans
les exemples qui portent sur deux individus qui sont à égalité entre eux dans une compéti-
tion locale, d’en voir un qui bat tous les autres et devient champion. Donc, bien que β
puisse être une contrainte raisonnable pour toute procédure de choix lorsque les concurrents
sont mesurés sur une seule dimension, elle l’est beaucoup moins lorsqu’ils sont mesurés ou
sont en concurrence sur plusieurs dimensions. Puisque les enjeux qui concernent le choix
social prennent probablement cette dernière forme, il est possible qu’une procédure de
choix social viole la propriété β sans pour autant sembler irrationnelle ou injuste.
Donc des deux types de propriétés, l’intuition soutient davantage les propriétés de
contraction-consistance ou d’indépendance du chemin que les propriétés d’expansion-

12 Un exemple classique est le système électoral uninominal à deux tours français. Le vote lors des élections
primaires est un exemple de « chemin ».
13 Voir Sen (1977a, pp. 63-71).
676 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

consistance de type β. Ce que nous cherchons est un choix social, ou un ensemble de choix,
qui soit préféré à tous les autres. Si nous trouvons ce choix, cela nous conforterait de savoir
que sa sélection est indépendante de la façon hasardeuse établissant la compétition initiale
(indépendance du chemin) et que s’il était mis encore en compétition avec un autre sous-
ensemble de perdants, il continuerait à être choisi (propriété α). Malheureusement, l’indé-
pendance du chemin et les propriétés α, même dans leurs formes les moins exigeantes,
mènent à un ordre de préférences sociales dictatoriales ou oligarchiques : les seuls théorè-
mes de possibilité qui ont été prouvés imposent uniquement les propriétés d’expansion-
consistance de type β 14.
Considérons maintenant les enjeux supplémentaires d’un abandon de l’axiome de
transitivité. Exiger que la procédure de choix social satisfasse cet axiome est motivé en
partie par le désir d’éviter l’inconsistance et l’arbitraire. Mais ce désir semble à son tour
provoqué par la croyance qu’afficher un ordre de préférences incohérent est irrationnel
pour un individu, de même ce sera injuste pour une société. Buchanan (1954a) attaque très
tôt l’extension que fait Arrow du concept de rationalité individuelle aux processus de choix
collectifs en se concentrant précisément sur cet axiome, alors que Plott (1972) a généralisé
ce type de critique. Si l’axiome de transitivité doit avoir une place dans l’ensemble des
contraintes constitutionnelles que nous voulons imposer aux processus des choix sociaux,
alors il faut démontrer que le résultat arbitraire issu des ordres de préférences cycliques
viole une norme éthique fondamentale. Cela n’est pas nécessairement vrai. Des petits
comités laissent souvent le hasard choisir les solutions à des enjeux conflictuels directs tels
que faire pile ou face ou tirer à la courte paille. Bien qu’arbitraire, le succès des procédu-
res de choix par le hasard pour résoudre des problèmes de conflits suggère que
leur « équité » peut reposer sur une norme éthique plus fondamentale que la norme impli-
quée par l’axiome de transitivité pour ce genre de décision. On pourrait alors remplacer la
notion de rationalité collective d’Arrow par l’exigence que le processus de décision collec-
tive doit être équitable. La transitivité pourrait alors être affaiblie simplement en déclarant
que la société est indifférente à toutes les options qui se situent sur la frontière parétienne.
Tout choix parmi l’ensemble sera un peu arbitraire, mais il peut être compatible avec l’ac-
ceptation générale. Les champions d’échecs, de tennis et de tous les sports qui fonctionnent
par tournois à élimination directe, savent que leur victoire peut dépendre du tableau parti-
culier (les chemins) qui est tiré au sort. Mais cela ne semble pas remettre en cause l’ac-
ceptation de cette forme de tournoi pour déterminer le « meilleur » joueur, puisque la
méthode par laquelle on détermine la séquence des matches est perçue comme équitable,
et la nature du processus exclut la possibilité de déterminer quels concurrents sont, en fait,
dépendants du chemin.
Donc, il est possible qu’une procédure de décision collective intransitive ou
dépendante du chemin, ait d’autres propriétés désirables telles que l’équité et puisse être
largement acceptée. S’il y a un accord plus général concernant ces règles là par rapport à
la transitivité ou à d’autres propriétés de consistance, le problème d’Arrow est alors résolu
(Kemp, 1954).

14 Plott (1976, pp. 569-575) ; Sen (1977a, pp. 71-75).


L’impossibilité d’un ordre social 677

24.2.2 L’universalité
La justification pour exiger cet axiome est un peu semblable à celle pour la liberté de choix
ou d’expression. Chaque individu devrait être libre d’avoir un ordre de préférences à sélec-
tionner, et le processus collectif devrait être capable de refléter ces préférences en accord
avec les autres axiomes. Même si la liberté de choix est un enjeu délicat, nous avons vu la
rapidité avec laquelle des conflits peuvent naître quand les individus ont des ordres de
préférences différents, même lorsqu’il s’agit de savoir comment utiliser un espace public.
Un ensemble de préférences cycliques est toujours possible, et si nous exigeons aussi la
transitivité, nous sommes bien sur la voie du résultat d’impossibilité. Il devrait être évident
que certains ordres de préférences sont diamétralement opposés à d’autres. Cela devrait
suivre presque nécessairement de l’axiome 1, qui limite le choix aux points situés sur la
frontière parétienne, c’est-à-dire sur les enjeux purement distributifs. Établir un comité
pour résoudre ces problèmes, sans contraindre en aucune façon les préférences que les indi-
vidus peuvent exprimer, semble voué à l’échec dès le départ. En effet, Saari (1994, p. 327)
a observé que la combinaison des axiomes d’universalité et d’indépendance des options
non pertinentes permet aux ordres de préférences individuelles d’être intransitifs. Est-il
étonnant que l’ordre social puisse violer la transitivité ?
Il y a deux façons de voir ce problème. La première est de remplacer l’universa-
lité par d’autres axiomes qui limitent les ordres de préférences possibles que la procédure
de choix social peut envisager. Dans le contexte des choix publics, cela implique de mettre
en place des contraintes constitutionnelles sur le genre d’enjeux qui peuvent émerger avant
toute procédure collective. Une protection de certains droits de propriété est un exemple de
ce type de contrainte. Tout le monde peut être membre de la communauté, mais toutes les
préférences ne peuvent être satisfaites ni même nécessairement prises en compte par la
procédure de choix collectifs. La solution alternative est de restreindre l’entrée dans la
communauté aux individus qui ont des ordres de préférences qui rendent possibles les
choix collectifs.
La première chose à souligner dans ce contexte est qu’exiger la transitivité des
préférences individuelles ne résout pas notre problème. Quelque chose de plus, comme une
restriction extrême, est requis 15. L’unimodalité assure que la règle de la majorité produise
le résultat médian et qu’associée aux quatre autres axiomes, elle produit une fonction de
bien-être social non dictatoriale. Mais cette sortie du dilemme exige de fortes restrictions
sur la sélection des enjeux qui peuvent être discutés et les votants qui peuvent les choisir
(Slutsky, 1977b). Les enjeux doivent tous être unidimensionnels : le nombre de pistolets,
le nombre de livres scolaires, etc. Les votants ne peuvent pas simultanément voter pour le
nombre et le type de livres scolaires ; et leurs préférences doivent être unimodales dans
cette seule dimension. Si le hasard nous fournit des votants de ce type, ce genre de problè-
mes peut être résolu par la règle de la majorité sans violer les autres axiomes, et ce, bien
que nous restions toujours assaillis par une pléthore de problèmes multidimensionnels à
résoudre d’une autre manière. Si des préférences individuelles sont plurimodales, ces indi-
vidus doivent être isolés et exclus de la communauté de quelque façon que ce soit, ou alors
un résultat d’impossibilité va encore émerger.
15 Voir le chapitre 5.
678 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Les conditions d’unimodalité et d’extrême restriction introduisent implicitement


un postulat sur le degré d’homogénéité des goûts, pour qu’il y ait un consensus sur la façon
dont les choix sociaux sont ordonnés sur une dimension gauche-droite 16. Plus générale-
ment, les travaux expérimentaux sur les cycles dans la règle majoritaire présentés au chapi-
tre 5, indiquent que la probabilité qu’un cycle se produise diminue à mesure que les
préférences des votants deviennent plus « homogènes », et augmente avec l’accroissement
de l’antagonisme entre votants (Plott, 1976, p. 532). Ces résultats suggèrent de rechercher
les moyens de réserver l’appartenance à des communautés à ceux qui ont des préférences
suffisamment homogènes et complémentaires pour éviter ce résultat d’impossibilité. Les
théories des clubs et du vote avec les pieds décrivent des processus par lesquels peuvent
émerger des groupes de personnes avec des goûts homogènes. En l’absence d’externalités
entre les clubs (des communautés territoriales, par exemple) et avec une mobilité parfaite,
une entrée libre et ainsi de suite, le processus pourrait permettre d’éviter le problème
d’Arrow. Mais, comme nous l’avons vu, lorsque des effets de débordement entre les
communautés existent, des décisions doivent être prises par la population globale agrégée
des différentes communautés, et le résultat d’impossibilité s’appliquera, même si elle est
« résolue » à des niveaux inférieurs. Dans ces circonstances probables, l’homogénéité des
préférences peut être obtenue seulement si les citoyens adoptent ou ont déjà en commun un
ensemble de valeurs (Bergson, 1954). L’appel à la raison à la Kant, ou l’incertitude à la
Rawls (1971) ou à la Harsanyi (1955), poursuivent cet objectif.

24.2.3 L’indépendance des options non pertinentes


De tous les axiomes, l’indépendance des options non pertinentes est l’axiome qui a été le
plus discuté et critiqué 17. En justifiant son axiome, Arrow (1963, p. 110) a utilisé l’argu-
ment suivant :
La condition de l’indépendance des options non pertinentes étend d’un cran l’exi-
gence d’observabilité. Étant donné l’ensemble des options disponibles à choisir
par la société, on peut penser qu’idéalement, on pourrait observer toutes les préfé-
rences parmi les options disponibles, mais il n’y aurait aucune façon d’observer
des préférences parmi des options non réalisables par la société. (…) Clairement,
les procédures de décision sociale indépendante des options non pertinentes ont
un grand avantage pratique. Après tout, chaque système électoral connu satisfait
cette condition.

Ici, Arrow défend l’axiome pour limiter l’attention uniquement aux options réali-
sables, et cet objectif a conduit Plott (1971, 1976) à reformuler et renommer l’axiome en
termes d’options irréalisables. Mais, dans la discussion originale de cet axiome, Arrow
présente un exemple basé sur l’ordre avec classement ou méthode de Borda discutée dans
le chapitre 7, dans laquelle les candidats sont classés par rapport à leurs positions dans
l’ordre de préférence de chaque votant. Dans l’exemple d’Arrow (1963, p. 27), x gagne
parmi une liste de x, y, z et w, mais termine à égalité avec z quand y est enlevé de la liste.
16 Arrow (1963, p. 80) et Sen (1970a, pp. 166-171).
17 Comme il a été dit à la note 3, la formulation de l’axiome d’Arrow et celle présente ici diffèrent.
L’impossibilité d’un ordre social 679

Donc, avec la méthode de Borda, le résultat dépend de la composition de la liste des candi-
dats. Un des objectifs d’Arrow pour invoquer l’axiome d’indépendance, consisterait à
éliminer les procédures comme la méthode de Borda, car « connaître les choix sociaux faits
dans des comparaisons par paires détermine à son tour l’ordre social entier et par consé-
quent la fonction de choix social pour tout environnement possible » (p. 28). Or cela est
précisément ce que l’axiome d’indépendance énoncé ci-dessus (condition 5) permet en
éliminant effectivement les procédures comme la méthode de Borda de la liste des procé-
dures acceptables. Notre utilisation de l’axiome d’indépendance sous cette forme semble
alors être parfaitement cohérente avec les objectifs d’Arrow 18. La question est alors :
quelle est la valeur normative de cette manière de limiter le contenu informationnel ?
Avec la méthode de Borda ou d’autres procédures similaires, les résultats dépen-
dent d’un ensemble spécifique (et complet) d’options à choisir. Donc, l’abandon de
l’axiome d’indépendance rend plus important le processus qui sélectionne les options à
choisir, alors que son acceptation limite cette importance. Quand on peut faire un choix
entre x et y en prenant en considération les préférences des votants uniquement sur x et y,
le reste de l’agenda n’a pas besoin d’être connu. Cette propriété de l’axiome d’indépen-
dance a l’intérêt de la simplicité, mais c’est elle qui offre la possibilité à des cycles sans fin
entre les autres options dans l’agenda.
En restreignant le choix entre deux options pour permettre l’information sur les
classements des individus sur ces deux options, l’axiome d’indépendance exclut toute
information avec laquelle on pourrait cardinaliser les utilités et permettre une comparaison
interpersonnelle (Sen 1970a, pp. 89-91). Arrow a été initialement motivé par le désir d’éta-
blir une fonction de bien-être qui ne se fondait pas sur les comparaisons interpersonnelles
d’utilité (Arrow 1963, pp. 8-11, 109-111). Il y aurait deux justifications distinctes pour
vouloir exclure l’information sur les utilités cardinales dans un processus de choix collec-
tif. La première est que la mesure des utilités cardinales est difficile et arbitraire, et qu’un
processus qui reposerait sur des utilités à la fois comparables interpersonnellement et cardi-
nales serait vulnérable à l’abus de ceux qui établissent les mesures d’utilité. Ce point
semble être la crainte principale d’Arrow (pp. 8-11). Il repose sur la perspective d’Arrow
selon laquelle le processus de choix collectif est une procédure dans laquelle l’information
est réunie par des fonctionnaires qui font ensuite les choix pour la collectivité (pp. 106-
108). En permettant à ces fonctionnaires d’utiliser des comparaisons interpersonnelles
d’utilité cardinale, on leur donnerait un grand pouvoir discrétionnaire, ce qui pourrait être
quelque chose à éviter.
Mais le danger d’un abus de pouvoir discrétionnaire disparaît si l’information sur
l’utilité cardinale est fournie par les votants eux-mêmes, comme lorsqu’ils participent à une
procédure du type du vote par points, discuté dans le chapitre 8. Mais alors, un problème
différent surgit. Ces procédures sont vulnérables à la déformation stratégique des préféren-
ces. L’axiome d’indépendance élimine non seulement ces procédures sujettes aux compor-
18 Comme Plott (1971, 1976) et Ray (1973) l’ont montré, la formulation originale de l’axiome par Arrow, rappor-
tée dans la note 3, n’exclut pas la procédure de Borda limitée aux résultats dans l’ensemble des options réali-
sables. Il n’élimine la procédure de Borda que quand le classement est fait sur l’ensemble des options
possibles, réalisables ou non, et donc elle limite un peu le but de la procédure concernant le comportement
stratégique (Plott, 1976). Pour des commentaires ultérieurs sur cet axiome, voir Bergson (1954), Blau (1972),
Hansson (1973), Kemp et Ng (1987) et Saari (1994).
680 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

tements stratégiques, mais aussi toutes les procédures de vote qui sont sensibles aux stra-
tégies. Cette dernière propriété est suffisamment importante pour mériter un traitement à
part.

24.3 LES FONCTIONS DE BIEN-ÊTRE SOCIAL IMPERMÉABLES


AUX STRATÉGIES
Dans la discussion précédente, nous avons souligné que l’objectif d’Arrow – lorsqu’il a
imposé l’axiome d’indépendance des options non pertinentes – était d’éliminer la possibi-
lité que les individus puissent améliorer leur situation dans une procédure de décision
collective en cachant leurs vraies préférences pour manipuler le processus de décision
collective. Vickey (1960, pp. 517-519) pensait que l’immunité à la manipulation straté-
gique et l’axiome d’indépendance étaient logiquement équivalents, et par la suite cette
intuition a été rigoureusement établie par Gibbard (1973) et Satterthwaite (1975).
La relation entre l’indépendance des options non pertinentes (IONP) et l’imper-
méabilité aux stratégies (IS) a été prouvée avec le plus de clarté par Blin et Satterthwaite
(1978).
Imperméabilité aux stratégies (IS) : Soit Mi un message i qui influence la procédure de vote lors-
qu’il transmet ses vraies préférences. Soit M1 un message mensonger sur les préférences de i. Soit x
le résultat social de la procédure de vote quand i transmet Mi et tous les autres votants j transmet-
tent leurs vraies préférences M j . Soit y le résultat social quand i transmet Mi et tous les autres
votants transmettent leurs vraies préférences M j . Alors, une procédure de vote est imperméable aux
stratégies si et seulement si pour tout Mi possible, il n’existe aucun y tel que y Pi x .

Une autre façon de concevoir l’imperméabilité aux stratégies est que chaque profil
de préférences sincères doit être un équilibre de Nash sous la procédure de vote employée
(Blin et Satterthwaite, 1978, p. 257, note 10).
Blin et Satterthwaite prouvent dans un premier temps une théorie d’impossibilité
du type de celle d’Arrow avec les trois axiomes suivants : la non-dictature (ND), la Pareto-
optimalité (PO) et IONP, plus deux autres que nous n’avons pas encore définis : la ratio-
nalité (R) et l’association positive (AP). R établit simplement que la procédure de vote doit
définir un ordre transitif de préférences sociales. AP requiert que si x est choisi avec une
configuration de préférences individuelles, alors il doit aussi être choisi avec une seconde
configuration des préférences qui diffère de la première seulement en ce que x est mieux
classé dans l’ordre de préférences d’un ou plusieurs individus 19.
Ils montrent alors que les trois axiomes R, IONP et AP sont équivalents à R et IS.
Donc, IS et IONP ne sont pas équivalents, mais elles sont proches de l’être si on exige que
le processus de vote soit rationnel, au sens où il définit un ordre social cohérent.

19 Il faut noter que cet axiome n’est pas le même que l’axiome de réactivité positive (RP) utilisé dans le théo-
rème de May (1952) sur la règle de la majorité (discuté dans le chapitre 6). Il ressemble plutôt à une réactivité
non négative telle qu’elle est définie par Sen (1970, pp. 68-69, 74-77).
L’impossibilité d’un ordre social 681

Tableau 24.1
Ordres possibles (6 de 36) des préférences des deux votants sur 3 options possibles.

1 2 1 2 1 2 1 2 1 2 1 2
x x x x x y x y x z x z
y y y z y x y z y x y y
z z z y z z z x z y z x

Puisque R, IONP et AP sont équivalentes à R et IS, et qu’il est impossible qu’une


procédure de vote satisfasse R, IONP, AP, ND et PO, il est également impossible qu’elle
satisfasse R, IS, ND et PO. Pour envisager la logique de ce résultat, considérons un exemple
simple, où nous n’avons que deux votants et trois options (x, y, z) 20. Chaque votant peut
ordonner les trois options de six manières différentes. Donc il y a 36 combinaisons possi-
bles des ordres de préférences des deux votants, parmi lesquels six sont présentées dans le
tableau 24.1. Les préférences du votant 1 sont les mêmes dans les six cas, x P1 y P1 z, et les
préférences de 2 reflètent les six ordres possibles. Dans la première des deux combinaisons,
les deux votants classent x en premier. Alors, selon le principe de Pareto, x doit être le choix
social si les deux votants manifestent leurs ordres de préférences. Si on applique le même
principe parétien aux six combinaisons de préférences, on obtient

x x x ou y x ou y x ou z x ou y ou z

Les préférences du votant 1 sont les mêmes dans les six cas. Si 1 manifeste honnê-
tement ses préférences, alors des différences dans le résultat qui suivra ne pourront qu’être
attribuées aux différences des préférences manifestées par le votant 2. Or considérons le
troisième cas, où les préférences de 2 sont y P2 x P2 z. Cet ordre de préférences, associé avec
celui de 1, doit produire soit x soit y comme choix social cohérent avec le principe de
Pareto. Supposons que dans ce troisième cas le résultat social soit x. Le votant 2 dans ce
troisième cas préfère y à x. Si ce sont ses vraies préférences, et si la procédure de vote est
telle que y pourrait être choisi si 2 manifeste l’un des ordres de préférences 4, 5 ou 6, alors
la procédure ne sera pas imperméable aux stratégies. Dans ce cas, le votant 2 pourrait en
effet manifester l’ordre de préférences que produit y, à la condition bien sûr que 1 continue
à manifester honnêtement ses préférences. Donc, étant donné que x est le résultat social
dans le cas 3, u ne peut pas être le résultat dans les cases 4, 5 et 6, et nous obtenons là la
contrainte suivante sur le choix social imposée par l’imperméabilité aux stratégies.

x x x x x ou z x ou z

Avec la configuration de préférences du cas 4 (y P2 z P2 x), 2 préfère z à x. Si ce sont


ses vraies préférences et si z était le choix social dans les cas 5 ou 6, alors 2 serait incité à

20 Avec cet exemple nous suivons l’exposition de Fledman (1979, pp. 465-472). Kalai et Muller (1977) ont
montré qu’une fonction de bien-être social imperméable aux stratégies existe pour un groupe n > 2, si et seule-
ment si elle existe pour un groupe de deux. Donc, une imperméabilité complète dans un comité de deux
personnes suffira pour pouvoir généraliser.
682 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

modifier l’affichage de ses préférences dans le cas 4, pour les ordonnées comme s’il était
en 5 ou en 6. Donc, l’imperméabilité aux stratégies requiert que x soit le choix social pour
les deux ordres de préférences dans les cas 5 et 6. Mais cela implique que x soit le choix
social lorsque les préférences de 1 sont x P1 y P1 z, quelles que soient les préférences de 2,
ce qui veut dire que 1 est le dictateur.
Si nous avions supposé que y était le résultat de la case 3, nous aurions pu montrer
que 2 serait le dictateur. Les 30 cas restants peuvent être traités d’une façon semblable.
La proximité entre l’imperméabilité et l’indépendance des options non pertinentes
apparaît clairement dans cet exemple. Dans la troisième combinaison de préférences indi-
viduelles représentée dans le tableau 24.1, les deux individus sont en désaccord seulement
sur la priorité à donner entre x et y. L’axiome d’indépendance limite le choix social à
l’usage de cette seule information sur les classements de deux individus entre les deux
seules options lorsqu’ils choisissent le résultat socialement préféré. Si la procédure de
choix social sélectionne x dans cette situation, elle rend la préférence de 1 dominante sur
celle de 2, et 1 devient le dictateur. Si au contraire c’est y qui l’emporte, le dictateur sera 2.
Si la sélection d’une option par une procédure de vote est sensible à la manifesta-
tion des préférences d’un votant dans la configuration 3, ou dans d’autres configurations,
par rapport à l’ensemble des configurations possibles, la possibilité d’une manipulation
stratégique existe toujours, à moins qu’un votant soit traité comme un dictateur. Le dicta-
teur est incité à être honnête, car les préférences des autres votants n’ont pas d’influence
sur le résultat. Lorsque la procédure de vote transmet comme information des préférences
individuelles et ordinales sur des paires d’options, comme cela est requis par l’axiome d’in-
dépendance, et que la procédure est positivement réactive, les votants transmettront honnê-
tement leurs vraies préférences. Mais l’information sur les préférences ordinales sur des
paires d’options ne suffit pas en général à déterminer un ordre social des préférences cohé-
rentes de toutes les options possibles. Il faut transformer un individu en dictateur pour s’as-
surer des préférences sociales transitives.
La littérature sur les choix sociaux établit le postulat comportemental que les indi-
vidus poursuivent rationnellement et obsessionnellement leur intérêt égoïste. Lorsque le
résultat d’une procédure de vote peut être manipulé en trichant, ce postulat exige de présup-
poser que les votants tricheront. Ainsi, les découvertes sur les procédures de vote imper-
méables à la tricherie, et les théorèmes établissant l’impossibilité de trouver ces procédures
sont très importantes dans la littérature sur les choix sociaux.
Mais l’aspect négatif de ces théorèmes ne devrait pas être exagéré. Nous avons dit
dans le chapitre 14 que le postulat de rationalité égoïste ne nous offre pas une théorie qui
prédit très bien le comportement électoral. Les individus semblent se comporter de façon
différente que ne le prédit la définition étroite du comportement rationnel et égoïste. Il n’est
pas évident par exemple de voir dans quelle mesure un électeur qui voterait par « devoir
civique » pourrait voter stratégiquement, même s’il perçoit clairement la stratégie efficace 21.
Les procédures de vote plus sophistiquées discutées au chapitre 8 requièrent des
stratégies de manipulation difficiles à percevoir pour la plupart des électeurs. La stratégie

21 Cox (1997) présente des preuves importantes qu’une fraction petite mais non triviale de citoyens vote straté-
giquement dans quelques élections.
L’impossibilité d’un ordre social 683

la plus évidente qui consiste à surcharger ses points de vote pour le candidat préféré est
freinée dans la version du vote par points de Hylland et Zeckhauser (1979) à cause de
l’usage d’une procédure d’agrégation par la racine carrée. Cette procédure de révélation de
la demande est imperméable à la stratégie, mais peut être non Pareto-optimale 22. Le vote
par veto est imperméable aux stratégies, mais il ne définit pas un ordre social des préfé-
rences 23. L’importance des résultats d’impossibilité par rapport à l’imperméabilité aux
stratégies doit être examinée dans chaque cas. Le résultat expérimental de Vernon Smith
(1977) montre que les étudiants qui utilisent une méthode de vente aux enchères pour voter
ne se comportent pas stratégiquement. Les résultats comme celui-ci montrent qu’on peut
prouver des possibilités hypothétiques, mais cette possibilité hypothétique ne se réalise pas
toujours et pas nécessairement.

24.4 IMPLICATIONS POUR LES THÉORIES DU CHOIX SOCIAL


Le théorème d’Arrow repose sur cinq axiomes qui apparaissent comme des restrictions
plutôt modérées et raisonnables aux procédures de choix social. Le théorème établit qu’il
n’existe aucune procédure qui satisfait les cinq axiomes simultanément. En modelant une
procédure de choix social à écrire dans la constitution politique, nous sommes obligés de
violer un ou plusieurs axiomes, bien que ce faisant nous pouvons satisfaire les autres, alors
qu’il y aurait bien plus d’exigences à avoir pour choisir cette procédure.
Dans la perspective de l’école des choix publics, il y a deux chemins prometteurs
à suivre face au paradoxe d’Arrow. Le premier consiste à renoncer à l’axiome de transiti-
vité et à abandonner la recherche du meilleur choix possible, de la préférence sociale. À sa
place on peut exiger que la procédure de choix collectif soit équitable ou en accord avec
d’autres valeurs démocratiques basiques. Par exemple, l’une des procédures de vote proba-
biliste avec des propriétés normatives désirables comme le vote par veto pourrait rempla-
cer les procédures déterministes (voir note 21). Le second chemin, si un choix social doit
être fait, suppose alors que les axiomes d’indépendance et d’universalité doivent être affai-
blis.
Affaiblir l’axiome d’universalité en ne permettant que des préférences unimodales
ne paraît pas être une façon très prometteuse de sortir du paradoxe, puisque peu d’enjeux
peuvent être considérés comme unidimensionnels. Le théorème de Caplin et Nalebuff
(1988) montre que si les décisions collectives sont limitées à la fourniture de biens publics,
la restriction des préférences a des chances d’être efficace, et des cycles peuvent être évités
en exigeant que l’option passe des majorités égales à 64 pourcent ou plus. Mais pour les
enjeux distributifs, on aurait besoin d’autres règles de vote.
22 La procédure de révélation de la demande viole également le postulat d’universalité en plaçant certaines
contraintes sur les préférences individuelles ; par exemple, on préfère payer moins d’impôts plutôt que plus.
Voir Sugden (1981, pp. 164-165).
23 Le vote par veto donne des probabilités à des résultats dans un ensemble réalisable, plutôt que de définir un
ordre social de ces résultats (Mueller, 1984). En général, les règles de vote probabiliste qui satisfont le postu-
lat d’association positive, comme le vote par veto, s’en tirent beaucoup mieux concernant l’imperméabilité aux
stratégies par rapport aux règles déterministes. Voir Gibbard (1977) et Barbera (1977). Il faut également noter
la similarité entre ces résultats et ceux des modèles de compétition politique (chapitres 11 et 12).
684 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

On peut également penser une constitution permettant que la révélation de préfé-


rences pour les biens publics se fasse à travers des associations volontaires dans des clubs
privés et locaux. Cette solution résout la difficulté en imposant une forme d’unanimité,
mais elle laisse encore de côté tous les problèmes distributifs, et les problèmes liés aux
différences d’opinion sur des biens publics globaux qui concernent l’ensemble des clubs.
Dans les cas où le comportement stratégique ne pose pas de problème, on peut
utiliser une des procédures qui rassemblent l’information sur les préférences des votants sur
l’ensemble des options possibles, telles que la procédure de Borda ou le vote par point.
Pour autant et comme nous l’avons noté dans le chapitre 8, les propriétés normatives de ces
procédures dépendent fortement des décisions qu’on a le droit ou non de prendre. Donc, en
affaiblissant les axiomes d’universalité et d’indépendance des options non pertinentes, la
question se pose de savoir quelles décisions on a le droit de prendre, qui décide, et, parmi
ceux qui décident, quelles préférences pondérer et quelles pondérations utiliser. Ces choix
impliquent directement ou indirectement, des comparaisons interpersonnelles d’utilité.
Celles-ci ne peuvent être évitées si on proclame l’existence d’une préférence sociale et d’un
choix social 24.
Nous terminons donc notre discussion de la fonction de bien-être social basée sur
les axiomes d’Arrow au même point où nous en étions avec la fonction de bien-être social
réellement évaluée de Bergson et Samuelson.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
La différence entre la fonction de bien-être social d’Arrow et celle de Bergson et Samuelson a été très
discutée (Arrow, 1963, pp. 23-24 ; Samuelson, 1967 ; Sen, 1970a, pp. 33-36).
Il y a de nombreuses présentations de la littérature, sous forme de livres ou d’articles, ainsi que de
nombreuses extensions du résultat d’impossibilité initialement établi par Arrow. Voir en particulier,
Riker (1961, 1982b), Rothenberg (1961), Arrow (1963, chapitre 8), Sen (1970a, 1977a, b, 1999),
Pattanaik (1971, 1997), Taylor (1971), Fishburn (1973), Plott (1976), Kelly (1978), McKay (1980),
Suzumura (1983), et Saari (1994).
Le livre d’Arrow a été réédité en livre de poche (1997). Sen a également été beaucoup traduit en fran-
çais. Pour le propos de ce chapitre, on peut consulter un utile recueil de ses articles dans Sen
(1993).
Il existe une abondante littérature en français sur ce sujet. Voir Fleurbaey (1996), Fleurbaey et
Mongin (1998), Salles (2000) ainsi que le numéro spécial de Mathématiques et sciences humaines
coordonné par Monjardet et Hudry (2003)

24 Kemp et Asimakopoulos (1952), Hildreth (1953), Bergson (1954), Sen (1970a, pp. 123-125, 1974, 1977b).
25
UN CONTRAT SOCIAL JUSTE

25.1 Le contrat social 687


25.2 Les deux principes de justice 688
25.3 Extension de la théorie aux autres étapes de choix collectifs 691
25.4 Critique du contrat social rawlsien 691
25.5 Deux défenses utilitaristes du principe du maximin 699
25.6 Le contrat social comme constitution 701
686 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Une des études les plus influentes de la première étape du processus du choix social a été
la Théorie de la justice (1971) de Rawls. Ce livre est à la fois une contribution à la morale
et à la philosophie politique. Rawls utilise les travaux et les résultats établis dans plusieurs
branches des sciences sociales et applique sa théorie aux principaux enjeux contemporains.
Pour cette raison, le travail de Rawls a été largement lu et discuté et a eu un impact consi-
dérable sur la littérature économique en général, et sur les choix sociaux en particulier.
La théorie de Rawls diffère de celles que nous avons discutées jusqu’ici en ceci
qu’elle est autant centrée sur la procédure ou le contexte dans lequel les décisions sont
prises, si non plus, que sur les résultats de ces procédures. Le but est d’établir un ensemble
d’institutions justes dans lesquelles les décisions collectives peuvent être prises. Aucune
présupposition n’est faite que ces institutions ou les décisions qui émergent de celles-ci
maximiseront le bien-être social, quel que soit le sens qu’on donne à ce concept (pp. 58-
59, 626-627) 1. Ici on peut voir une rupture claire avec l’approche fondée sur une fonction
de bien-être social. Plus généralement, le pari de Rawls est de produire une théorie alter-
native à la philosophie utilitariste qui sous-tend la méthodologie de la fonction de bien-être
social qui a dominé les débats sur ces sujets pendant deux siècles 2.
Rawls entreprend de développer un ensemble de principes qui puissent s’appliquer
à la « structure sociale de base ; ils commandent l’attribution des droits et des devoirs et
déterminent la répartition des avantages économiques et sociaux » (p. 92). Ces principes
constituent la fondation du contrat social et la théorie de Rawls est clairement l’une des
plus importantes reconstructions modernes de l’argument contractualiste. La théorie
comporte deux parties. Dans la première, Rawls développe les arguments en faveur d’une
démarche contractualiste. Il y discute les caractéristiques de la position originelle d’où le
contrat social émerge. La base morale du contrat social repose sur la nature de la procédure
de décision qui intervient dans la position originelle, et qui à son tour dépend du cadre dans
lequel la position originelle est présentée. La seconde partie de l’argument théorique déve-
loppe les principes réels incorporés dans le contrat social. Rawls insiste sur l’indépendance
de ces deux arguments. Il est possible d’accepter chacun d’eux sans s’engager à accepter
l’autre (p. 42 et ss.). Il importe de garder ce point à l’esprit, parce que les différentes parties
ont été attaquées de différentes façons, et parce qu’on pourrait se sentir plus à l’aise avec
une argumentation qu’avec l’autre. Cette décomposition en deux parties offre un cadre
naturel à la discussion de la théorie de Rawls. Après cette présentation, nous étudierons
certaines des critiques qui ont été portées à l’encontre de la théorie.

1 Les numéros de pages de la théorie de Rawls correspondent à la traduction française (1987).


2 Bruce Ackerman (1980) a critiqué aussi bien l’utilitarisme que le contractualisme comme approches pour
dériver des principes de justice. Plutôt, il met en avant le dialogue comme procédure par laquelle ces princi-
pes sont établis. Sa critique de la théorie du contrat semble exagérée, cependant. À moins que le dialogue
conduise à un consensus sur les principes qui est au fondement de l’État libéral, ce dernier ne peut jamais appa-
raître. Si un contrat sur les principes est finalement stipulé, ce contrat devient une forme de contrat social qui
attache ensemble les citoyens d’un État libéral. Le dialogue est une partie importante de la procédure par
laquelle un contrat est stipulé, mais il ne peut substituer le contrat.
Un contrat social juste 687

25.1 LE CONTRAT SOCIAL


La façon la plus simple de considérer le rôle que le contrat social joue dans la théorie de
Rawls consiste peut-être à penser à un groupe d’individus qui se réunissent pour définir
ensemble les règles d’un jeu de hasard, disons un jeu de cartes, auquel ils participeront par
la suite 3. Avant le début du jeu, chaque individu ignore quelles cartes lui seront distribuées,
et demeure incertain sur ses talents par rapport à ceux des autres joueurs. Alors, chacun sera
vraisemblablement en faveur de règles neutres et équitables, respectant les chances de
chaque joueur, et on peut s’attendre à ce que tous se mettent d’accord sur un ensemble
unique et équitable de règles du jeu. Ici encore, l’incitation à « poursuivre le jeu » peut
encourager l’accord unanime.
Dans la théorie de Rawls, la vie est un jeu de hasard dans lequel la Nature distri-
bue les talents et les positions sociales de façon aléatoire ou accidentelle (pp. 42, 104, 132
et ss.). Or cette répartition naturelle des talents et des chances et cette détermination aléa-
toire des positions sociales ne sont ni justes, ni injustes (p. 132). Mais il est injuste que la
société accepte purement et simplement ces résultats aléatoires, ou adopte des institutions
qui les perpétuent et les amplifient (pp. 132-133). Ainsi, un ensemble d’institutions équita-
bles atténue les effets du hasard sur les positions des individus dans la structure sociale.
Pour déterminer cet ensemble d’institutions, les individus doivent se départir de la
connaissance de leurs propres talents et positions sociales, en passant pas un voile d’igno-
rance qui recouvre tous les faits susceptibles de permettre à un individu de prédire sa posi-
tion et ses avantages qui suivraient l’adoption d’un ensemble donné de principes (p. 168 et
ss.). Une fois soumis au voile d’ignorance, tous les individus se retrouvent dans une posi-
tion originelle de totale égalité en ceci que chacun possède les mêmes informations sur les
effets probables de différentes institutions sur sa propre position. La position originelle crée
un statu quo d’égalité universelle, à partir de laquelle on peut choisir le contrat social
(pp. 44-48).
Les individus qui se trouvent dans la position originelle pour choisir un ensemble
de principes et créer le contrat social, ressemblent à des individus qui cherchent à établir
les règles d’un jeu de hasard, à une importante différence près. Les individus qui choisis-
sent les règles d’un jeu de hasard sont ignorants par nécessité de leurs positions futures. On
peut donc penser qu’ils choisiront des règles équitables sans être égoïstes. Les individus qui
se trouvent dans la position originelle ignorent leurs situations actuelles et leurs situations
futures probables, parce qu’ils suppriment consciemment ces informations en passant
volontairement par le voile d’ignorance. Bien qu’une fois qu’ils se trouvent dans la posi-
tion originelle, ils sont en mesure de choisir des institutions sans être égoïstes, l’acte qui
consiste à entrer dans la position originelle est un acte moral, dont le contenu éthique
repose sur l’argument d’après lequel l’information sur la répartition de certains facteurs est
« arbitraire d’un point de vue moral » (p. 104). La justice est introduite dans le contrat
social grâce à l’impartialité contenue dans la procédure de décision collective du fait de la
nature des informations dont disposent les individus dans la position originelle. Ainsi
émerge la notion fondamentale de justice en tant qu’équité.
3 L’analogie entre un contrat social ou une constitution et la fixation des règles d’un jeu de société est souvent
utilisée par James Buchanan. Voir, par exemple, Buchanan (1966), Buchanan et Tullock (1962, pp. 79-80).
688 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Quelle est alors la nature des informations couvertes par le voile d’ignorance ? Les
idées de Rawls sont là-dessus assez strictes. Non seulement il empêche les individus de
connaître leur talent, leur goût, leur position sociale, leur revenu et leur richesse, mais aussi
les informations relatives à la génération à laquelle ils appartiennent, à l’état de dévelop-
pement économique et politique de leur société, et d’autres informations diverses, dont
Rawls soutient qu’elles pourraient biaiser le choix d’un individu vers un ensemble de prin-
cipes plutôt qu’un autre. Par exemple, la connaissance de la génération dans laquelle vit un
individu pourrait le conduire à favoriser un type particulier d’investissements publics, ou
un certain taux d’escompte, qui avantageraient sa génération au détriment des autres. Étant
donné la nature très générale des informations que possèdent les individus dans la position
originelle, il est plausible d’admettre que les principes sur lesquels ils s’accordent soient
impartiaux quant aux avantages qu’ils procurent, non seulement à des individus particu-
liers, ou à des individus dont les positions sont bien définies, mais aussi aux individus issus
de générations différentes et de systèmes économiques et politiques différents. Puisque tous
les individus ont accès aux mêmes informations une fois qu’ils sont passés par le voile
d’ignorance, tous parviendront aux mêmes conclusions sur l’ensemble des principes justes
qui devraient être insérés dans le contrat social. L’égalité, dans la position originelle,
conduit à l’unanimité sur le contrat social.

25.2 LES DEUX PRINCIPES DE JUSTICE


Étant donné l’information disponible dans la position originelle, Rawls soutient que les
deux principes suivants seront choisis comme piliers du contrat social juste :

En premier lieu : chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus
étendu de libertés de base égales pour tous qui soit compatible avec le même
système pour les autres.
En second lieu : les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de
façon à ce que, à la fois, (a) l’on puisse raisonnablement s’attendre à qu’elles
soient à l’avantage de chacun et (b) qu’elles soient attachées à des positions et à
des fonctions ouvertes à tous (p. 91). Ces deux principes sont un cas particulier
d’une conception de la justice plus générale qui peut être exprimée de la façon
suivante : toutes les valeurs sociales – liberté, possibilités offertes à l’individu,
revenu et richesse ainsi que les bases sociales du respect de soi-même – doivent
être réparties également à moins qu’une répartition inégale de l’une ou de toutes
ces valeurs ne soit à l’avantage de chacun » (p. 93).

Il est peut-être évident que quelque chose comme la « conception de la justice plus
générale » de la page 93 émergerait d’une procédure de décision collective dans laquelle les
individus ignoreraient leurs positions futures et seraient ainsi incités à agir de façon impar-
tiale. D’une certaine façon, la conception de la position originelle ressemble au problème
familier du partage du gâteau, où un individu découpe le gâteau et l’autre choisit le premier
morceau. Par analogie avec cet exemple, on s’attendrait à ce que les principes qui émergent
de la position originelle aient une tonalité égalitaire conformément à la conception plus
Un contrat social juste 689

générale. Mais Rawls a ajouté de la chair à sa théorie, en déduisant les deux principes, plus
spécifiques, mentionnés ci-dessus, comme des éléments d’une conception particulière de la
justice, censée s’imposer dès lors qu’une société est parvenue à un degré de rareté modérée,
et en soutenant aussi que ces deux principes seront choisis dans un ordre lexical. Le premier
principe a toujours la priorité sur le second (pp. 92 et ss., 181 et ss., 268-269).
Rawls défend comme suit l’ordre lexical de ces deux principes :

« J’ai fait l’hypothèse que, si les personnes dans la position originelle savent qu’el-
les peuvent exercer efficacement leurs libertés de base, elles n’échangeront pas une
moindre liberté contre plus d’avantages économiques (§ 26). C’est seulement
quand les conditions sociales n’en permettent pas le plein exercice que nous
pouvons accepter la limitation de ces droits. Les libertés égales pour tous ne
peuvent être refusées que lorsque cela est nécessaire pour changer la qualité de la
civilisation afin que, à la longue, chacun puisse jouir de ces libertés. La réalisation
efficace de toutes les libertés dans une société bien ordonnée représente la tendance
à long terme des deux principes et des règles de priorité quand ils sont suivis de
manière régulière dans des circonstances suffisamment favorables » (p. 584).

Ainsi, Rawls voit la société comme mieux à même d’ « offrir » l’extension de


libertés égales à tous les citoyens à mesure qu’elle se développe. Il considère donc que la
liberté est essentiellement un bien de luxe dans la fonction des préférences de chaque indi-
vidu. Avec l’augmentation du niveau du revenu, la priorité de la liberté sur les autres
besoins physiologiques et matériels s’accroît, jusqu’à un certain niveau de développement,
où elle acquiert une priorité totale sur tous les autres besoins.
Le second principe de justice, que Rawls appelle le principe de différence,
comporte lui aussi un ordre lexical. Le bien-être de l’individu le plus mal loti doit être maxi-
misé avant celui de tous les autres, et la seule manière de justifier les inégalités consiste à
accepter celles qui peuvent améliorer le sort de cet individu, ou du groupe, le plus mal loti.
Par simple extension, dès lors que l’individu le plus mal loti atteint sa meilleure position,
le bien-être du second individu le plus mal loti sera maximisé, et ainsi de suite. Le principe
de différence aboutit à un ordre lexical des niveaux de bien-être des individus, du plus bas
au plus élevé. Il importe ici de souligner que Rawls définit les niveaux de bien-être non pas
en termes d’indices d’utilité ou d’un concept subjectif similaire, mais en termes de biens
premiers. Ces biens premiers sont « les droits et les libertés, les pouvoirs et les possibilités
ouvertes, le revenu et la richesse » de base que la société a à répartir (p. 93, voir aussi
pp. 121-125). Nous avons ici un autre exemple de la rupture que Rawls tente d’opérer entre
sa théorie et l’utilitarisme classique. Les principes incorporés dans le contrat social doivent
être généraux. Ils doivent s’appliquer à tous et être compréhensibles par tous (p. 164). Cette
exigence limite la complexité qu’on peut admettre pour caractériser les principes de base
du contrat social. La nature lexicale du principe de différence, et sa définition en termes de
biens premiers, objectivement discernables, le rendent facile à appliquer.
Le principe de différence est étroitement lié à la stratégie maximin de la théorie de
la décision. Cette stratégie exige qu’un individu doive toujours choisir l’option qui offre
l’avantage minimum le plus élevé, quels que soient les autres avantages, ou les probabili-
tés de les obtenir. On peut facilement saisir la force de la stratégie à l’aide d’un exemple
690 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

que Rawls utilise lui-même pour présenter son principe (pp. 187-188). Soient W et B deux
états possibles du monde, par exemple le fait de tirer une boule blanche ou une boule noire
dans une urne. Soient S1 et S2 les options stratégiques, dont les avantages sont donnés dans
le tableau 25.1. La stratégie maximin exige qu’on choisisse toujours la stratégie S2 , quelle
que soit la valeur de n et quelle que soit la probabilité p qu’une boule blanche soit tirée, tant
que n < ∞ et que p > 0. On ne payera jamais quoi que ce soit, même une petite somme,
pour gagner le prix, même s’il est énorme.

Tableau 25.1
Possibilités de gains.

W B
S1 0 n
S2 1/n 1

Étant donné le conservatisme inhérent à la règle du maximin, Rawls a beaucoup


de difficultés à rationaliser l’intégration de cette règle dans son principe fondamental de
justice distributive. Il avance trois raisons :

« Tout d’abord, puisque la règle ne prend pas en considération les probabilités


qu’ont les circonstances de se produire, il doit y avoir une raison pour tenir très
peu compte des évaluations de celles-ci. (p. 185)
Le voile d’ignorance exclut toute connaissance des probabilités. Les partenaires
n’ont aucune base pour déterminer la nature probable de leur société ou de leur
place dans la société. Ainsi, ils ne disposent pas des bases nécessaires à l’utilisa-
tion du calcul des probabilités. D’autre part, ils doivent tenir compte du fait que
leur choix des principes devrait paraître raisonnable à d’autres, en particulier à
leurs descendants dont les droits seront profondément affectés par ce choix
(p. 186).
Le second trait qui suggère la règle du « maximin » est le suivant : la personne qui
choisit a une conception du bien qui fait qu’elle se désintéresse presque totalement
des gains au-dessus du revenu minimum dont elle peut s’assurer effectivement en
suivant la règle du « maximin ». Cela ne vaut pas la peine de prendre de risques
au nom d’un avantage supplémentaire, surtout si elle en vient à perdre une bonne
partie de ce qui est important pour elle. Ceci nous conduit au troisième trait, à
savoir que les options rejetées ont des résultats pratiquement inacceptables. La
situation comporte de gros risques » (p. 186).

Les arguments de Rawls en faveur du principe de différence sont fortement subor-


donnés à ses postulats sur les informations disponibles dans la position originelle et aux
conditions économiques auxquelles la société fait face. La société est dans une situation de
« rareté modérée », les pauvres pouvant améliorer leur sort sans que les riches fassent de
grands sacrifices (p. 160). L’hypothèse de rareté modérée joue également un rôle important
dans la justification de la priorité lexicale accordée au principe de liberté sur le principe de
Un contrat social juste 691

différence, comme nous l’avons déjà souligné (p. 268 et ss.). Évidemment, on pourrait
envisager des situations où un individu souhaiterait abandonner un peu de liberté pour
accroître ses biens matériels, ou risquer de devenir un peu plus pauvre pour avoir une
chance de devenir beaucoup plus riche. Rawls suppose cependant que l’utilité marginale
des gains matériels décline rapidement avec l’augmentation de la prospérité, et que la
société est déjà suffisamment riche pour que ces arbitrages et ces paris en faveur des
chances inconnues n’aient plus d’attrait.

25.3 EXTENSION DE LA THÉORIE AUX AUTRES ÉTAPES


DE CHOIX COLLECTIFS
Rawls étend sa théorie aux caractéristiques des prochaines étapes du processus politique :
l’étape constitutionnelle, l’étape parlementaire et les étapes administratives et judiciaires.
À chaque étape, le voile d’ignorance est levé progressivement, et les individus disposent
d’informations supplémentaires pour prendre des décisions collectives. Par exemple, à
l’étape constitutionnelle, il est permis aux individus de connaître le type de système écono-
mique auquel ils auront à faire, le niveau de développement économique, etc. Mais quelle
que soit l’étape, les individus ne disposent pas de l’information sur leurs positions et sur
leurs préférences spécifiques lorsqu’ils auront à prendre des décisions collectives. L’im-
partialité est ainsi préservée, et les deux principes de justice restent, à chaque étape succes-
sive du processus politique, rigoureusement identiques à ce qu’ils étaient au moment du
contrat social. Donc, le contrat social est le fondement éthique de toutes les étapes poli-
tiques successives. Comme à l’étape du contrat social, Rawls n’envisage pas des processus
politiques réellement à l’œuvre, mais plutôt une forme d’expérience de pensée dans
laquelle les individus réfléchissent aux principes qui doivent fonder le contrat social, la
constitution et les stades suivants. Dans la position originelle, telle qu’elle est définie pour
le stade constitutionnel, une hypothétique constitution juste est décidée de la même façon
qu’un hypothétique contrat social juste avait été signé à l’étape précédente par les indivi-
dus. Cette constitution juste, une fois établie et conceptualisée, peut alors être comparée
aux constitutions réelles, pour déterminer sous quels aspects elles sont en accord avec les
principes éthiques contenus dans cette constitution hypothétique. Évidemment, après que
les principes qui fondent la constitution équitable aient été spécifiés, et si on suppose que
tous les individus peuvent les accepter, on serait libre de réécrire les constitutions réelles,
pour les rendre plus conformes à ces principes. Mais il se peut que la distance soit grande
entre les constitutions hypothétiques formulées de façon introspective et des constitutions
réelles écrites par des individus soumis à de réels conflits d’intérêts.

25.4 CRITIQUE DU CONTRAT SOCIAL RAWLSIEN


La théorie de la justice a engendré tellement de discussions et de critiques que nous ne
pouvons pas présenter tout ce matériel ici. Nous nous limiterons plutôt aux questions les
692 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

plus pertinentes dans la littérature du choix social. À nouveau, le plus commode est d’or-
ganiser la discussion autour des arguments que Rawls présente en faveur de la démarche
contractualiste, et les deux principes sous-jacents au contrat.

25.4.1 Le contrat social


Jusqu’à la parution du livre de Rawls, la théorie du contrat social était tombée en discrédit.
La version historique de la théorie avait été totalement discréditée depuis plus d’un siècle,
et les versions purement théoriques qui justifiaient l’existence de l’État étaient souvent
considérés superflues 4. Cette dernière critique est certainement valide dans la perspective
des choix publics. La théorie des biens publics, le dilemme du prisonnier, les externalités,
l’existence de risques assurables et d’autres concepts du même genre suffisent à expliquer
pourquoi des individus peuvent sortir d’un stricte égoïsme pour parvenir à des accords
collectifs unanimes. Or un contrat n’est rien de plus qu’un accord collectif unanime sur les
clauses qu’il contient. Ainsi, toute décision qui peut s’expliquer par la création d’un contrat,
peut probablement s’expliquer tout aussi bien par une décision collective unanime (un
vote). Mais bien sûr, toutes les situations où sont en cause des biens publics et où se pose
le dilemme du prisonnier n’exigent pas l’existence de l’État. Mais il n’y a pas besoin de
beaucoup réfléchir pour trouver des biens publics qui présentent des propriétés suffisam-
ment fortes d’offre conjointe et d’impossibilité d’exclusion pour requérir la participation de
tous les résidents d’une zone géographique donnée. Si de tels biens publics existent, alors
nous avons une explication de l’accord unanime pour les fournir 5.
Mais nous avons vu à quel point la fourniture des biens publics est vérolée par le
problème du resquillage : la solution coopérative du jeu du dilemme du prisonnier est
dominée. La notion de contrat social, avec sa connotation d’obligations mutuelles, de
peines et récompenses liées à l’acceptation du contrat, peut servir comme instrument utile
pour obtenir l’adhésion aux clauses de l’accord collectif.
Rawls se préoccupe beaucoup, dans les dernières parties de son livre, du problème
que pose l’obtention d’une société stable, bien ordonnée et juste (pp. 495-552). Pour y
parvenir, il est nécessaire que les individus acceptent les principes de justice intégrés au
contrat social, non seulement dans la position originelle, mais aussi, globalement, dans leur
vie quotidienne, alors qu’ils connaissent leur position réelle. L’un des avantages importants
des principes tirés de la position originelle est, prétend-on, qu’ils ont une plus grande
chance d’être respectés dans le monde réel que tous leurs concurrents (pp. 206-212). Mais,
pour que cela soit vrai, il faut que les principes soient formulés de telle façon que les indi-
vidus puissent déterminer assez facilement les règles de conduite autorisées, et bien sûr,
que tous soient poussés par la nature des argumentations à respecter des principes fondés
sur le consensus obtenu dans la position originelle.
Pour se rendre compte que la première condition est susceptible de poser un
problème dans le système de Rawls, considérons l’exemple suivant avancé par Hart (1973).

4 Pour une présentation d’ensemble de ces écrits, voir Gough (1957).


5 Pour une démonstration, faite à regret, qu’il en est au moins ainsi pour une catégorie de biens publics, voir
Robert Nozick (1974).
Un contrat social juste 693

L’application du premier principe de Rawls exige qu’une liberté ne soit limitée que par le
progrès d’une autre (pp. 237-241). Cela nécessite que les individus arbitrent, dans la posi-
tion originelle, entre les avantages liés au progrès d’une liberté et les coûts de la limitation
d’une autre. La propriété privée, y compris le droit à posséder une terre, est l’une des liber-
tés possibles qu’autorise Rawls dans son système. Mais on pourrait définir le droit à possé-
der une terre de façon à ce qu’il comprenne le droit d’expulser les intrus, qui entrerait à son
tour en conflit avec le droit de libre circulation. Ainsi, les droits d’exclusion des intrus et
de libre circulation font partie des droits entre lesquels il faudrait arbitrer dans la position
originelle. Supposons maintenant qu’un agriculteur et un chasseur entrent en conflit sur le
droit du chasseur de traverser le champ de l’agriculteur. La priorité du principe de liberté
ne permet pas de promouvoir l’acceptation du contrat social, si l’agriculteur et le chasseur,
ou deux personnes quelconques choisies au hasard, n’ont aucune chance de se mettre d’ac-
cord sur celui des deux droits qu’il faut conserver selon un cadre réfléchi exigé dans la posi-
tion originelle. Telle qu’elle est définie, la position originelle ne semble pas contenir assez
d’informations pour donner une priorité à une liberté sur une autre, et on ne peut présumer
l’acceptation complète du contrat social 6.
On pourrait résoudre ce type de conflit dès la position originelle si les individus
disposaient alors de plus d’informations. S’ils connaissent la superficie des terres disponi-
bles, la densité de population, l’effet du passage d’intrus sur la productivité agricole, les
solutions alternatives à ce passage et leurs coûts, etc., ils seraient en mesure de préciser si
le droit à sa propre propriété a ou non la priorité, ou même d’imaginer des situations mixtes
où le passage serait interdit sur les terres inférieures à une certaine surface, alors que des
sentiers publics devraient passer sur des terres plus grandes. Mais si on autorisait des infor-
mations de ce type, les individus seraient en mesure de faire des calculs de probabilité, et
c’est précisément ce qui est interdit dans la position originelle à cause des caractéristiques
du voile d’ignorance. Ainsi, au niveau de généralité où ils sont déduits, il se peut que les
principes inhérents au contrat social de Rawls soient un guide imparfait à l’acceptation de
ceux-ci.
Le problème de l’acceptation peut être associé à l’existence d’un cœur dans un jeu
où les individus placés derrière un voile d’ignorance choisissent les principes qui gouver-
neront la distribution des ressources une fois que le voile est enlevé. Si un cœur existe,
aucun individu ou coalition d’individus ne choisira de retourner derrière le voile d’igno-
rance pour choisir de nouveaux principes. Howe et Roemer (1981) montrent que le prin-
cipe de différence, défini comme la maximisation des revenus du groupe le plus mal loti,
produit un cœur dans le jeu, si tous les individus sont extrêmement opposés au risque dans
le sens où ils vont rejoindre une nouvelle coalition seulement s’ils peuvent s’assurer un
plus haut revenu. Une aversion au risque moins extrême conduit à des principes de justice
moins extrêmes (moins égalitaires).
Rawls rejette explicitement une défense du principe de différence fondée sur les
attitudes individuelles à l’égard du risque et d’autres concepts utilitaristes de ce type
(pp. 201-202). Plutôt, il justifie une plus grande acceptation de son contrat social par

6 Ackerman soulève une critique similaire de la thèse selon laquelle les principes justes sont ceux qui sont
acceptés par un observateur impartial ou éthique, toujours en supposant que nous sommes capables d’adopter
une façon de penser impartiale (1980, pp. 327-342).
694 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

rapport aux principes issus de théories utilitaristes, par l’idée qu’on ne peut pas s’attendre
à l’acceptation de la part des pauvres de principes qui leurs demandent de faire des sacrifi-
ces pour les riches, comme cela pourrait se produire avec des principes utilitaristes
(pp. 206-214). Au contraire, avec le principe de différence, on demande aux riches de faire
des sacrifices (peut-être importants) au profit (peut-être très petit) des pauvres. Cela pour-
rait conduire à un problème de refus de la part des riches 7. Rawls a répondu à cette forme
de critique en soulignant que « ceux qui sont dans la meilleure position (…) sont, après
tout, plus riches et ils en tirent bénéfice ; tant qu’ils évaluent leur situation par rapport à
celle des autres, ils renoncent à beaucoup moins » (1974, p. 144). Aussi plausible que soit
cet argument, il ne semble pas adéquat pour défendre le principe de différence si on se place
dans le cadre théorique de Rawls. Celui-ci semblerait imposer que l’exigence d’acceptation
se fonde sur la justice (l’équité) inhérente à l’application de ce principe et à la proposition
selon laquelle les riches auraient accepté ce principe quand ils étaient placés derrière le
voile d’ignorance. Mais nous rencontrons ici une difficulté. Les avantages des riches ne
sont pas pris en considération dans différentes répartitions possibles, parce que l’informa-
tion sur les probabilités est exclue de la position originelle.
Cependant, on ne peut pas défendre entièrement l’exclusion des informations sur
les probabilités au nom du fait qu’elles conduiraient à des principes qui favorisent un indi-
vidu au détriment d’un autre. Connaître le nombre de riches et de pauvres dans un pays,
mais sans connaître son propre revenu, conduit à choisir un ensemble de règles impartiales
sur sa propre situation future. Mais ces règles ne comporteraient certainement pas le prin-
cipe de différence 8. Comme l’indiquent les trois arguments de Rawls en faveur du principe
de différence, avec une connaissance générale des probabilités, on choisirait quelque chose
de plus proche d’un principe de répartition utilitariste, qui donnerait un certain poids aux
intérêts des riches à côté de ceux des pauvres. Il semblerait donc que la principale raison
de Rawls, pour écarter dans la position originelle les informations relatives aux probabili-
tés, soit d’éliminer les calculs rationnels qui porteraient sur une sorte d’utilité moyenne.
Mais, comme Thomas Nagel l’a souligné (1973, pp. 11-12), l’élimination des principes
concurrents est censée être une conséquence du concept de justice en tant qu’équité, et non
un présupposé de l’analyse 9. Soulignons également ici que, dans la position originelle,
Rawls permet aux individus l’accès à certaines informations particulièrement favorables au
choix de ses deux principes : par exemple, qu’ils vont vivre dans une période de rareté
modérée, et les individus se soucient peu de ce qu’ils reçoivent au-delà du minimum de
base. Un utilitariste pourrait demander que ces informations soient exclues dans la position
originelle en même temps que les informations sur les probabilités générales, qui servent à
entraver le choix des règles utilitaristes. En toute circonstance, la structure des arguments
favorables au principe de différence est telle qu’un individu mieux loti que l’individu le
plus mal loti de la société, pourrait se demander si ses intérêts ont été traités de façon équi-
table dans la position originelle. S’il se le demande, nous nous heurtons à un problème
d’acceptation. Le contrat social de Rawls et les arguments par lesquels il le défend,

7 Nagel (1973, p. 13) ; Scanlon (1973, p. 198 et ss.) ; Klevorick (1974) ; Mueller, Tollison et Willett (1974a) ;
Nozick (1974, pp. 189-197).
8 Nagel (1973) ; Mueller, Tollison et Willett (1974a) ; Harsanyi (1975a).
9 Voir également Hare (1973, pp. 90-91, 102-107) ; Lyons (1974, p. 161 et ss.).
Un contrat social juste 695

semblent être entièrement construits pour être acceptés par un seul groupe, celui des indi-
vidus les plus mal lotis (pp. 206-214).
Des problèmes d’acceptation pourraient également surgir parmi les différents
candidats à la situation la plus mal lotie (Klevorick, 1974). Comme Arrow (1973) et Harsa-
nyi (1975a) l’ont souligné, celle-ci a des chances d’inclure les malades mentaux ou
physiques et les handicapés à côté des individus très pauvres. Mais, avec un ensemble de
biens de première nécessité, défini selon plusieurs dimensions, des individus seront
contraints, dans la position originelle, à faire des comparaisons d’utilité entre personnes du
type même que Rawls cherchait à éviter (Arrow, 1973). Si les individus ne s’accordent pas
sur le même classement, un problème d’acceptation pourrait à nouveau surgir, puisque ceux
qui ne parviennent pas à être considérés comme les plus mal lotis, dans le cadre du prin-
cipe de différence de Rawls, n’ont plus aucun poids particulier sur le résultat final. Si quel-
qu’un croyait vraiment que le handicap dont il souffre était le pire qu’il puisse arriver à
quelqu’un, on voit difficilement quel argument pourrait le convaincre que sa situation avait
été ignorée dans la définition de la justice sociale parce que, dans la position originelle, où
il ne savait pas qu’il était atteint d’un tel handicap, il l’aurait considéré moins important que
d’autres handicaps. Car, de fait, il a ce handicap, et la connaissance qu’il en a le convainc
qu’il est l’individu le plus mal loti.
Inévitablement, lorsqu’on cherche à justifier toute mise en œuvre du principe et à
obtenir le l’acceptation de celui-ci, on est conduit à inviter un individu à l’accepter en lui
montrant un autre individu dont la situation est sans conteste plus mauvaise. Cela ressem-
ble à la suggestion de Varian (1974, 1976), consistant à définir le principe de différence en
termes d’envie : l’individu le plus mal loti est celui qu’on n’envie pas. Là encore, évidem-
ment, des conflits peuvent apparaître. L’aveugle peut envier ceux qui sont paralysés mais
qui peuvent voir, et ces derniers peuvent envier ceux qui peuvent marcher, mais qui sont
aveugles. Même si derrière le voile d’ignorance, la relation d’envie était transitive, on
court le risque de sélectionner, pour l’individu le plus désavantagé, une personne dont la
situation est vraiment épouvantable – quelqu’un qui ressemble peut-être à la créature
pathétique du livre de Trumbo, Johnny s’en va-t-en guerre. Une application littérale du
principe à une personne qui se trouve dans cette situation, pourrait conduire à dépenser des
ressources énormes pour ne parvenir qu’à une très légère amélioration de son bien-être
individuel. Arrow a sans doute raison lorsqu’il soutient que c’est le type de cas particulier
auquel les principes de Rawls ne sont pas censés s’appliquer (1973). Mais il est vraisem-
blable que le nombre de cas particuliers soit grand, et il est extrêmement difficile d’exclure
de l’application des principes de justice ces cas souvent pitoyables et moralement délicats,
précisément parce qu’on aimerait que ces types de situations soient traités par une théorie
morale.
Ces problèmes sont tous des variantes du problème général d’acceptation qui a été
soulevé dans l’exemple des riches et des pauvres. Une bonne partie de la présentation du
principe de différence de Rawls semble reposer sur une comparaison entre les riches et les
pauvres, comme s’il n’y avait que deux groupes à comparer et un seul critère pour les
comparer. Mais dans la réalité, il y a de nombreuses façons de regrouper les individus, et
on peut définir leur bien-être selon de nombreuses dimensions. Ainsi, on est obligé de
tracer une ligne de démarcation, à partir d’une sorte de comparaison interpersonnelle d’uti-
696 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

lités, autour de ceux qui sont rangés dans la catégorie des individus les plus défavorisés. À
moins qu’il y ait un consensus équitable sur la place de cette ligne de démarcation, il se
peut que l’acceptation des principes de justice ne suive pas (Klevorick, 1974), car le prin-
cipe de différence traite tous ceux qui se situent à l’extérieur de cette ligne de démarcation,
qu’ils soient riches ou moins riches, comme s’ils étaient également riches. Cela peut
conduire à des problèmes d’acceptation par les très riches, qui doivent faire des grands
sacrifices pour les plus défavorisés, et par les personnes relativement pauvres, qui ne reçoi-
vent aucune considération spéciale. À cet égard, un principe utilitariste, qui pondérerait le
bien-être de chaque individu, pourrait être à l’origine d’une plus grande acceptation que le
principe de différence, qui ignore le bien-être de tous les groupes sauf un (Harsanyi,
1975a).

25.4.2 Les deux principes de justice


Même si nous acceptons les critiques précédentes de la partie de la théorie de Rawls qui
concerne le contrat social, il reste possible de considérer que les deux principes de justice,
qui dérivent de la l’argument de la justice en tant qu’équité, sont susceptibles d’expliquer
un ensemble d’institutions politiques. La question est alors de savoir s’il est possible de
défendre les arguments qui justifient ces deux principes.
La force morale de ces deux principes provient de l’impartialité qui caractérise la
position originelle, et de l’unanimité qui en découle. Mais la position originelle est-elle
alors véritablement impartiale par rapport à tous les principes de justice concurrents ?
Lorsqu’on pose le problème en termes d’assentiment volontaire de « personnes égales et
libres » aux principes qui vont gouverner leur vie, la liberté semble obtenir dès le départ un
statut prééminent 10. Il n’est donc peut-être pas surprenant que la liberté soit « choisie »
comme principe de première priorité dans la position originelle.
Robert Nozick (1974) a avancé un argument du même ordre à l’encontre du prin-
cipe de différence : « une procédure qui trouve des principes de la justice distributive sur
l’accord auquel arriveraient des gens rationnels qui ne savent rien d’eux-mêmes, ni de leur
histoire, garantit que des principes de justice qui portent sur l’état final seront considérés
comme fondamentaux » (pp. 198-199, p. 247 de la tr. fr. Les italiques figurent dans l’origi-
nal). Puisque les individus ne connaissent rien de la structure économique de la société, du
mode de production des biens de première nécessité et des autres produits issus des activi-
tés économiques et sociales, ils n’ont pas d’autre choix que d’ignorer ces stades intermé-
diaires, ainsi que les principes de justice qui pourraient les gouverner, pour se concentrer
sur les résultats finaux, la répartition finale des biens premiers. Nozick soutient que cette
conceptualisation du cadre dans lequel sont choisis les principes de la justice, exclut la prise
en considération de principes qui devraient gouverner les processus des interactions écono-
miques et sociales. En particulier, elle exclut la prise en compte d’un principe de justice
distributive d’habilitation, par lequel les individus seraient habilités à conserver leurs biens
dès lors que ceux-ci proviendraient de transferts volontaires, d’échanges et d’une activité
productive coopérative, autrement dit, de biens acquis par des moyens légitimes (pp. 150-
10 Nagel (1973, pp. 5-11). Les mots cités sont de Rawls (1971, p. 39).
Un contrat social juste 697

231, 188-285 de la tr. fr.). Pour choisir un tel principe, il faudrait avoir quelques informa-
tions sur le fonctionnement de la société dans laquelle on vivra, qui ne sont pas disponibles
dans la position originelle.
Il est peut être possible de comprendre la portée des critiques de Nagel et de
Nozick en revenant à notre exemple de définition de règles d’un jeu de cartes. Dans cet
exemple, il est très peu probable que les joueurs choisissent des règles qui conduisent à des
répartitions particulières dans l’état final. S’ils le faisaient, ils tomberaient probablement
d’accord pour que tous les joueurs terminent avec un nombre égal de jetons ou de points.
Mais cela détruirait en grande partie l’intérêt du jeu, qui réside sans doute dans la confron-
tation des talents de chaque joueur ou de chaque couple de joueurs contre ceux des autres
joueurs, compte tenu de la répartition aléatoire des cartes. Le plaisir du jeu réside dans le
fait de jouer, et toutes les règles doivent établir le processus par lequel les gagnants sont
sélectionnés, et non les positions finales des gagnants.
Le propos ne consiste pas ici à soutenir que la vie est semblable à un jeu de cartes,
et à défendre de ce fait la théorie de l’habilitation de Nozick. Mais il est correct de penser
que les individus puissent vouloir considérer le contexte ou les processus qui déterminent
les résultats, peut-être à côté de ces résultats, lorsqu’ils choisissent des principes de
justice 11. De façon assez ironique, la théorie de Rawls, qui tire sa conception de la justice
de la procédure par laquelle les principes sont choisis, élimine toute prise en compte des
principes qui concernent les processus ultérieurs des interactions sociales (à l’exception de
ceux qui comportent le principe d’égale liberté (Nozick, 1974, pp. 207, 257 de la tr. fr.). De
fait, la théorie fondée sur la notion de justice en tant qu’équité semble exclure le choix d’un
principe de justice qui accorderait à chaque individu le droit de conserver tout ce qu’il a
acquis par des moyens équitables, principe qui ressemble au principe d’habilitation de
Nozick.
Même si nous acceptons les limites que Rawls impose aux informations disponi-
bles dans la position originelle, et considérons que le problème consiste à choisir un prin-
cipe de répartition dans l’état final, il n’est pas évident que le principe de différence soit
nécessairement retenu. Comme Harsanyi (1975a) et Binmore (1994, pp. 327-333) l’ont
souligné, en l’absence d’informations sur les probabilités objectives, nous appliquons
implicitement et presque instinctivement des estimations de probabilités subjectives, ou
agissons comme si nous le faisions, lorsque nous prenons des décisions. Pour reprendre
notre exemple, supposons que le prix à gagner si l’on identifie correctement la couleur de
la boule tirée d’un sac soit de 5 euros, et que rien ne soit payé, ni prélevé, si la couleur n’est
pas devinée. Puisque le jeu est gratuit, même une personne, opposée au risque et maximin,
jouera. Si elle choisit la boule blanche, elle suppose implicitement que la probabilité pour
qu’une boule blanche sorte est égale ou supérieure à 0,5. Si elle choisit la couleur noire,
elle fait le postulat inverse. Si elle est indifférente au choix de la couleur et fait peut-être
pile ou face pour prendre une décision, elle applique implicitement le principe de raison
suffisante. Il est difficile de croire que les individus placés dans la position originelle ne
11 « La suppression de la connaissance requise pour obtenir l’unanimité n’est pas équitable de la même façon pour
toutes les parties. (…) (Elle est) moins utile pour réaliser des idées selon lesquelles une vie bonne ne peut être
vraiment atteinte que dans certains types de structures sociales bien définis, ou dans une société qui œuvre de
façon concertée pour que certaines des meilleures potentialités humaines se réalisent alors que les pires seraient
éliminées, ou encore dans certains types de relations économiques entre les hommes » (Nagel, 1973, p. 9).
698 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

fassent pas ce type d’estimations sur les probabilités, peut-être pour éliminer les cas parti-
culièrement délicats de maladie mentale et physique discutés ci-dessus. Et s’ils le font, il
est improbable qu’ils choisiront la règle du maximin 12.
Il est aussi possible, avec les hypothèses que fait Rawls sur la position originelle,
que l’utilitarisme parvienne à des résultats assez semblables à ceux issus du système de
Rawls 13. L’hypothèse selon laquelle « la personne qui choisit a une conception du bien telle
qu’elle accorde peu d’importance (ou aucune) à ce qu’elle pourrait gagner au-dessus du
revenu minimum dont elle peut s’assurer effectivement en suivant la règle du maximin »,
est équivalente à une utilité marginale du revenu (des biens premiers) rapidement décrois-
sante. Insérée dans des indices d’utilité de von Neumann-Morgenstern, cette utilité décrois-
sante impliquerait une aversion extrême au risque et conduirait certainement à des règles
de redistribution assez égalitaires, mais probablement pas au principe de différence tant que
les individus se soucient un tant soit peu de ce qui dépasse le minimum. Plus généralement,
dans les conditions économiques relativement favorables qui existent lorsqu’on choisit la
conception particulière de la justice, qui contient le principe de différence et l’ordre lexical
des deux principes, il est probable que l’utilitarisme favoriserait également beaucoup la
liberté et la redistribution. Arrow (1973) a souligné qu’une fonction de bien-être social
additive classerait la liberté lexicalement au-dessus de tous les autres besoins, si tous les
individus sont assez riches, ou s’ils pouvaient donner assez de richesses. Les arguments de
Rawls, selon lesquels l’utilitarisme conduirait à des résultats très différents, comme l’es-
clavage, semblent souvent reposer sur l’hypothèse que l’utilitarisme fonctionne dans un
environnement économique plus pénible, dans lequel seule la conception générale de la
justice rawlsienne s’applique. Mais cette conception générale de la justice permet égale-
ment des arbitrages entre la liberté et les avantages économiques, et ressemble dans cette
mesure à l’utilitarisme (Lyons, 1974).

25.4.3 Preuves expérimentales


Les critiques du principe du maximin discutées dans la section précédente, tournent autour
de la plausibilité du postulat que les individus choisiraient ce principe derrière un voile
d’ignorance. Une façon de ne pas se limiter à spéculer sur ce que les individus choisiraient
est de faire des expérimentations pour voir ce qu’ils choisissent.
Frohlich, Oppenheimer et Eavery (1987) présentent à des étudiants quatre règles
possibles de redistribution (la règle rawlsienne de maximisation du seuil minimum, la
maximisation de la moyenne, la maximisation de la moyenne sous contrainte de plancher
minimum, la maximisation de la moyenne sous contrainte d’écarts maximum). Les
étudiants étaient familiarisés avec l’impact sur les distributions de chaque règle, avaient à
disposition du temps pour discuter les mérites et les démérites de chaque règle. Parmi les
44 expériences où les étudiants étaient incertains sur leurs positions futures dans la distri-

12 Pour une critique ultérieure du critère du maximin même avec les postulats que fait Rawls, voir Sen (1970a,
pp. 135-141) ; Arrow (1973) ; Hare (1973) ; Nagel (1973) ; Mueller, Tollison et Willett (1974a) ; Hasanyi
(1975a) et Binmore (1994, pp. 315-333).
13 Arrow (1973) ; Lyons (1974) ; Harsanyi (1975a).
Un contrat social juste 699

bution des revenus, cinq étudiants dans chaque expérimentation sont parvenus à un accord
unanime sur la règle redistributive pour déterminer le résultat final. Pas un seul groupe n’a
choisi la règle de maximisation du seuil minimum de Rawls. La règle la plus populaire,
choisie 35 fois sur 44, était la maximisation de la moyenne avec une contrainte de plancher.
Des expérimentations similaires ont été conduites au Canada, en Pologne et aux États-Unis,
et ont toutes trouvé que (1) les individus peuvent s’accorder unanimement sur une règle
redistributive, et (2) la règle maximin de Rawls n’est presque jamais choisie, mais plutôt
certaines règles plus utilitaristes comme la maximisation de la moyenne sous contrainte de
plancher (Frohlich et Oppenheimer, 1992).
Hoffman et Spitzer (1985) ont également trouvé que les étudiants placés en condi-
tions expérimentales, utilisent un principe de justice distributive qui n’est cohérent ni avec
l’égalitarisme rawlsien, ni avec l’utilitarisme simple. Plutôt, dans le cadre de leur expéri-
mentation, les étudiants employaient ce qui semblerait un principe de « juste dessert »,
cohérent avec le principe du droit d’acquisition de Nozick. Quelques résultats expérimen-
taux de Frohlich et Oppenheimer (1992, chapitre 9) peuvent aussi être interprétés comme
cohérents avec la sélection d’un principe de juste dessert derrière le voile d’ignorance.

25.5 DEUX DÉFENSES UTILITARISTES DU PRINCIPE


DU MAXIMIN
25.5.1 Maximin comme moyen pour obtenir de l’acceptation
Comme nous l’avons exposé tout au long du chapitre, Rawls accorde une grande impor-
tance à inclure un contenu au contrat social qui puisse produire, par la suite, son accepta-
tion. Son rejet total des calculs utilitaristes est largement motivé par ce but d’acceptabilité.
Binmore (1994) a développé une théorie du contrat social qui – comme celle de
Rawls – accorde une grande importance à son acceptabilité, mais suit Harsanyi en postu-
lant que les individus sont capables de faire des comparaisons interpersonnelles d’utilité
cardinale et de calculer les probabilités sur les positions qu’ils pourront occuper une fois
que le voile d’ignorance sera levé. D’une autre côté, il essaye également de distinguer sa
théorie du contrat social des autres.

En particulier, le terme « contrat social » ne doit pas être compris dans le sens
quasi légal adopté, par exemple, par Harsanyi et Rawls. Je ne pense certainement
pas que les membres de la société aient une obligation ou un devoir a priori d’ho-
norer le contrat social. Au contraire, je soutiendrai que les seuls candidats viables
pour devenir le contrat social soient ces accords, explicites ou implicites, qui s’ap-
pliquent par eux-mêmes. Rien n’impose aux gens un tel contrat social auto-appli-
qué au-delà de l’intérêt bien compris de ceux qui se voient comme une partie de
la communauté (Binmore, 1994, p. 30, les italiques figurent dans l’original).

Binmore présuppose un voile d’ignorance fin qui n’efface que les identités futures
de ceux qui négocient dans la position originelle. Chaque personne connaît son niveau
700 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

d’utilité actuel, le niveau d’utilité de toutes les futures personnes dans tous les états du
monde possibles, et chaque personne peut calculer la probabilité d’être l’une de ces person-
nes. Donc, toute l’information nécessaire pour maximiser la fonction de bien-être social de
Harsanyi est présente dans la position originelle, et les individus rationnels écriraient ce
type de contrat social qui parviendrait à ce but, si le contenu de ce contrat pouvait être
appliqué. Mais il n’est pas possible d’appliquer ce contrat, donc un nouveau contrat social
doit être écrit de telle façon qu’il s’auto-applique lorsque les individus suivent leur intérêt
bien compris (Binmore, 1994, pp. 52-53).
Pour illustrer la structure des arguments de Binmore, considérons l’exemple
suivant impliquant une communauté de deux personnes. Dans l’absence d’un contrat
social, Adam et Ève expérimentent les niveaux d’utilité de 1 et 2, respectivement. En
acceptant de coopérer dans des situations de dilemme du prisonnier, trois états du monde
différents sont possibles – x(6, 8), y(5, 10), et z(4, 12) – où le premier nombre entre paren-
thèses est le niveau d’utilité d’Adam et le second celui d’Ève 14. Puisque Adam et Ève sont
dans une situation de négociation, ils ne prennent en considération que les gains d’utilité
que chaque état du monde possible va offrir. Donc, en l’absence de toute incertitude, ils
pourraient s’attendre à parvenir au résultat prédit par la solution au problème des négocia-
tions de Nash (1950) – le résultat qui maximise la fonction de bien-être social de Nash (voir
chapitre 23). Les valeurs pour les trois systèmes sociaux possibles sont

W N (x) = (6 − 1)(8 − 2) = 30,


W N (y) = (5 − 1)(10 − 2) = 32, (25.1)
W N (z) = (4 − 1)(12 − 2) = 30.

Adam et Ève sélectionneraient y s’ils étaient certains de leurs identités futures et s’ils
étaient certains que chacun respectera le contrat dans le futur.
Si Adam et Ève pouvaient s’engager à respecter le contrat dans le futur, mais en
supposant qu’ils aient une probabilité égale d’être l’un ou l’autre, ils abandonneraient les
statu quo pour sélectionner la distribution z qui maximise la fonction de bien-être social de
Harsanyi :
W H (x) = 6 + 8 = 14,
W H (y) = 5 + 10 = 15, (25.2)
W H (z) = 4 + 12 = 16.

Cependant, puisque Adam et Ève ne peuvent pas s’engager mutuellement à respecter les
termes du contrat à l’avenir, ils sélectionneront le contrat social qui entraine x – le résultat
maximin en termes d’accroissement d’utilité – puisque le contenu de ce choix, selon
Binmore, est auto-applicatif.
Binmore, tout comme Rawls, suppose que la menace pour la stabilité du contrat
social ne peut venir que de l’individu le plus mal loti. Adam ne violera pas le contrat qui
produit x parce que son gain serait plus petit avec les deux autres contrats concurrents. Mais

14 Bien évidemment, nous utilisons ici des utilités cardinales interpersonnellement comparables. Binmore (1994,
1998) offre une discussion très importante des avantages et des inconvénients de ces mesures.
Un contrat social juste 701

Ève ne pourrait-elle pas rompre le contrat, une fois qu’elle connaîtra son identité, parce que
son gain sera plus grand avec un autre contrat social ? Notez que x est le choix maximin
même si le gain d’Ève avec le contrat y était de cent ou d’un milliard. Raisonnablement, il
pourrait y avoir avec un autre contrat une utilité pour Ève suffisamment grande pour l’in-
citer à faire replonger la communauté dans l’état d’anarchie, dans l’espoir qu’un autre
contrat sera choisi. Si on accepte l’objection, alors la défense du critère maximin comme
garantie d’acceptation échoue. Nous présenterons maintenant quelques autres critiques de
l’approche de Binmore.

25.5.2 Maximin comme un principe de redistribution


Considérons maintenant la théorie de la redistribution Pareto-optimale proposée pour la
première fois par Hochman et Rodgers (1969). Le riche Mutt donne au pauvre Jeff, parce
que l’utilité de Jeff est un argument dans la fonction d’utilité de Mutt. En supposant que
l’utilité de Jeff est corrélée positivement avec son revenu, nous pouvons écrire l’utilité de
Mutt comme une fonction des revenus de Mutt et de Jeff :

U M = U (Y M , Y j ) (25.3)

Étant donnée une telle fonction d’utilité, nous pouvons nous attendre à ce que le riche Mutt
transfère volontairement ses revenus au pauvre Jeff si l’utilité de ce dernier a un poids
suffisant dans la fonction d’utilité de Mutt. Dans un monde où il y a plus qu’un Jeff, Mutt
recevra l’utilité marginale la plus élevée en donnant un euro au Jeff le plus pauvre. Donc,
bien que l’approche Pareto-optimale à la redistribution ne justifie pas pleinement le prin-
cipe maximin, il justifie une politique de redistribution qui concentre son attention sur l’in-
dividu ou le groupe le plus mal loti (von Furstenberg et Mueller, 1971). Un utilitariste
altruiste, comme le Rawlsien, ne prend en considération dans la société que le bien-être de
l’individu le plus mal loti 15.

25.6 LE CONTRAT SOCIAL COMME CONSTITUTION


Dans la perspective des choix publics, l’un des aspects les plus intéressants dans la littéra-
ture sur les contrats sociaux réside dans l’idée que de ce que les contractants aperçoivent
suit l’organisation de la société politique. Si nous accordons à Rawls que les institutions de
base de la société, institutions politiques incluses, devraient être sélectionnées derrière un
voile d’ignorance, à quoi ces institutions pourraient-elles ressembler ? Quel est l’enjeu des
deux principes de justice de Rawls par rapport au modèle optimal de constitution ?
Les implications du premier principe semblent assez claires. Le contrat social et
par extension logique la constitution devraient protéger la liberté. Le droit d’expression, le
droit à la vie privée et d’autres droits de ce type viennent aisément à l’esprit comme incar-
nation politique du principe d’égale liberté de Rawls.

15 Pour deux autres défenses utilitaristes du principe de différence, voir Buchanan (1976) et Chu et Liu (1998).
702 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Qu’en est-il du second principe ? Quel ensemble d’institutions politiques incarne-


raient l’exigence du principe de différence ? Ce principe a des conséquences assez éviden-
tes pour la distribution du revenu et des richesses ou, comme dit Rawls, des biens premiers,
ou encore pour la discussion qui en est faite par Rawls ou Binmore. Mais les questions sur
la distribution ne sont pas les seuls problèmes sociaux qu’il faut résoudre. Quelles sont les
implications du principe de différence ou du critère du maximin en ce qui concerne la four-
niture de biens publics ou les problèmes de résolutions de conflits qui ne sont pas inclus
dans la distribution du revenu ou des biens premiers ? Quelle règle de vote est préconisée
par le principe de différence ?
L’application la plus directe du principe de différence pour choisir une règle de
vote qui décidera des problèmes liés aux biens publics consisterait à choisir la règle de
l’unanimité. La personne la plus mal lotie lorsqu’un bien public est fourni avec la règle de
la majorité qualifiée, serait une parmi celles qui ont voté contre sa fourniture. Puisqu’il est
toujours possible de déterminer un ensemble de répartitions de taxes et de quantités de bien
public de façon à ce que chaque personne améliore sa situation, maximiser le bien-être de
l’individu le plus défavorisé semblerait impliquer une reformulation continue du problème
jusqu’à ce qu’on trouve une répartition de taxes et une quantité de bien public que tout le
monde approuve. Mais toutes les objections à l’encontre de la règle de l’unanimité peuvent
être levées contre cette interprétation du principe de différence.
Considérons à présent un problème simple de conflit – la vitesse maximum qui
doit être permise sur les voies publiques. À qui les limites de vitesse nuisent-elles ? Aux
personnes blessées dans un accident, avec, pour les plus mal loties, celles qui en meurent.
Quelle limite de vitesse maximiserait le bien-être de l’individu le plus mal loti ? La réponse
est simple : une limite très basse, telle qu’elle puisse prévenir tout accident sérieux. L’aver-
sion extrême au risque qui caractérise le critère du maximin comme principe pour faire des
choix face à l’incertitude, est facile à percevoir dans cet exemple. Il est très improbable
qu’on puisse l’appliquer dans chaque problème spécifique de conflit, ou recourir à son rôle
de guide pour choisir une règle de vote capable de résoudre de tels problèmes.
La même chose peut être dite de l’utilisation par Binmore du critère du maximin.
Rappelons que l’optimalité de ce critère, chez Binmore, ne repose pas sur les attitudes indi-
viduelles à l’égard du risque, mais découle plutôt de l’importance qu’il donne à éviter les
défections concernant le contenu du contrat social, une fois que le voile d’ignorance est
levé. Cet objectif semblerait également justifier l’application de la règle de l’unanimité à
l’étape post-contrat. Qui sont ceux qui ont plus de chances de faire défection lors d’une
décision prise sous une règle de majorité qualifiée quelconque ? Les perdants, sous cette
règle, sont ceux qui sont « tyrannisés » par l’application d’une règle moins exigeante que
l’unanimité, quand l’unanimité est possible. Qui sont ceux qui ont le plus de chances de
faire défection après la décision de permettre aux voitures d’aller à une vitesse suffisante
pour produire des accidents mortels ? Ceux qui n’ont pas de voiture et ne perçoivent que
les coûts de cette décision. Pour éviter la possibilité de futures défections, nous devons
éviter de créer des perdants de ces décisions, ce qui implique l’usage de la règle de l’una-
nimité quand le consensus est possible.
Ces observations ne visent pas à critiquer les théories du contrat social de Rawls
et Binmore, car ces théories n’avaient pas pour but de produire des principes qui permet-
Un contrat social juste 703

tent à la société de réglementer les limites de vitesse ni même de choisir une règle de vote
pour déterminer les limites de vitesse. Mais ces exemples clarifient le fait que ces théories
du contrat social ne vont pas nous aider beaucoup pour prendre des décisions collectives
sur beaucoup de problèmes courants. En effet, lorsque Rawls en vient à discuter pourquoi
la règle de la majorité simple devrait être incluse dans une constitution écrite qui soit en
accord avec ses principes de justice, il ne démontre pas comment cette règle se réclame
logiquement de ses principes. Au contraire, Rawls suppose que tous les citoyens et législa-
teurs ont déjà accepté un contrat social juste, de sorte que « le débat législatif doit être
conçu non comme un combat d’intérêts, mais comme un effort pour trouver la meilleure
décision conformément aux principes de la justice. Je suppose alors, dans la théorie de la
justice, que le seul désir d’un membre impartial du corps législatif est de prendre la déci-
sion correcte à cet égard, étant donné les faits généraux qu’il connaît » (p. 398). Si tous les
législateurs étaient pleinement informés, ils sauraient quelle est la bonne décision, et la
règle de l’unanimité pourrait être utilisée. La seule raison pour laquelle elle ne l’est pas, est
que les législateurs ne sont pas pleinement informés. Par conséquent, Rawls opte pour la
règle de majorité simple en utilisant la défense originale de cette règle de Condorcet. Elle
est utilisée comme procédure d’échantillonnage pour agréger les intentions des législateurs
impartiaux afin d’obtenir le « meilleur jugement » (pp. 398-399) 16.
Nous supposons que très peu de lecteurs qui ont lu le manuel jusqu’ici partagent
l’avis de Rawls selon lequel les législateurs sont des individus impartiaux à la recherche de
la décision correcte pour la communauté, et que la seule tâche de la politique est de décou-
vrir en quoi consistent ces décisions correctes 17. Nous avons besoin de penser que les insti-
tutions politiques sont choisies derrière un voile d’ignorance, avec le postulat que la
politique est un « combat d’intérêts », et d’entretenir l’idée que ces intérêts sont étroitement
définis. C’était, en fait, l’exercice que Buchanan et Tullock (1962) ont proposé, quand ils
ont écrit le Calculus of Consent. Nous le reprendons dans le chapitre 26.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Daniels (1974) rassemble une excellente série d’articles qui analysent et critiquent Rawls. Les livres
de Nozick (1974), Wriglesworth (1985), Gauthier (1986) et Barry (1989) peuvent être considérés
comme s’inspirant de la théorie de Rawls. Le traité en deux volumes de Binmore relie la théorie
des jeux moderne aux théories classiques du contrat social qui vont de Hobbes jusqu’à Rawls. Il
montre aussi la relation entre ce travail et la fonction de bien-être social de Harsanyi. Il contient
une discussion exhaustive des indices d’utilité de von Neumann et Morgenstern et des comparai-
sons interpersonnelles d’utilité cardinale. Les dernières réflexions de Rawls sur la justice sociale
sont présentées dans le livre de 1999.
En français, la Théorie de la justice a été bien sûr traduite, par Catherine Audard (1987). L’ouvrage
de Nozick a également été traduit (1988), même si la traduction laisse à désirer. Dans les présen-
tations brèves et générales de la théorie de Rawls, on peut citer Arnsperger et Van Parijs (2000) et
Kymlicka (1999). Pour approfondir, notamment l’argument du voile d’ignorance, on peut consul-
ter l’excellent Dumitru (2010).
16 L’argument de Condorcet est étudié dans le chapitre 6.
17 Sans surprise, Rawls ne considère pas le public choice comme une méthodologie adéquate pour déterminer le
modèle optimal d’institutions politiques justes, comme le révèle la remarque suivante : « L’application de la
théorie économique au processus constitutionnel réel souffre de graves limitations, dans la mesure où le
comportement politique est affecté par le sens humain de la justice » (p. 401).
26
LA CONSTITUTION COMME
UN CONTRAT UTILITARISTE 1

26.1 Le contexte constitutionnel 707


26.2 Les cas de deux acteurs 708
26.3 Le contrat constitutionnel 710
26.4 Interdictions et obligations symétriques et asymétriques 716
26.5 Actions continues avec des utilités interdépendantes 717
26.6 Les coûts de la prise de décision 719
26.7 Droits et obligations 723
26.8 Constitution : contrats ou conventions ? 726
26.9 Conclusions sur les théories à deux étapes du choix social 731
26.10 D’une théorie des constitutions normative et à deux étapes
à un test des hypothèses 733

1 Ce chapitre s’inspire fortement de Mueller (2001).


706 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

La conception idéale de la fonction publique est celle dans laquelle l’intérêt du


fonctionnaire coïncide entièrement avec son devoir.
John Stuart Mill

Nous avons déjà discuté plusieurs travaux qui admettent l’incertitude sur les positions
futures pour en déduire une théorie normative du choix social. La théorie de Rawls (1971),
discutée au chapitre 25, utilise l’incertitude sur les positions futures pour déduire les prin-
cipes de justice qui doivent être inclus dans un contrat social. Harsanyi (1953, 1955, 1977)
les utilise pour déduire une fonction additive de bien-être social (voir chapitre 23).
Buchanan et Tullock (1962) ont développé une théorie du gouvernement constitu-
tionnel dans laquelle la constitution est écrite dans un cadre qui ressemble à celui décrit par
Harsanyi et Rawls. Les individus sont incertains par rapport à leurs positions futures et ils
sont donc conduits à sortir de leur intérêt individuel pour sélectionner les règles qui déter-
minent les positions de tous les autres individus (Buchanan et Tullock, 1962, pp. 77-80) 2.
La théorie de Buchanan et Tullock est à la fois positive et normative. Les auteurs déclarent
que « l’incertitude requise pour que les individus soient guidés dans leur propre intérêt à
accepter des contraintes constitutionnelles qui sont généralement avantageuses pour tous
les individus ou tous les groupes, semble être présente à toutes les étapes de la discussion
constitutionnelle » (Buchanan et Tullock, 1962, p. 78). Et le ton de leur livre est fortement
positif par rapport, disons, aux travaux de Rawls ou Harsanyi. Mais ils reconnaissent égale-
ment l’inspiration normative de leur approche dans les travaux de Kant et des contractua-
listes (voir, particulièrement, Buchanan et Tullock, 1962, appendice 1). En effet, ils
soutiennent que le contenu normatif de leur théorie repose précisément sur l’unanimité
atteinte à l’étape constitutionnelle (p. 14). Une des plus importantes contributions du livre
de Buchanan et Tullock est qu’il démontre l’utilité conceptuelle de la distinction entre
l’étape constitutionnelle et l’étape parlementaire des décisions en démocratie. Si un contrat
unanime peut être atteint sous le voile d’incertitude qui enveloppe l’étape constitutionnelle,
alors un ensemble de règles peuvent être écrites à ce stade, qui permettra aux individus de
poursuivre leur propre intérêt à l’étape parlementaire en pleine possession des connaissan-
ces de leurs propres goûts et positions dans la société. Cela requiert bien évidemment que
toute redistribution mise en place sera entreprise dans l’étape constitutionnelle, où l’on
suppose une incertitude sur les positions futures (Buchanan et Tullock, 1962, ch. 13). Ici la
similarité avec Rawls est frappante. Mais contrairement à Rawls, Buchanan et Tullock ne
supposent pas que les individus aient simplement davantage d’informations sur eux-mêmes
à l’étape parlementaire. Ils supposent une information complète.
Les différences dans le degré d’incertitude supposées par Harsanyi, Rawls, et
Buchanan et Tullock les conduisent dans des directions assez différentes autour de la
description des principes et institutions optimaux pour faire des choix sociaux. Dans ce
chapitre, nous décrirons dans le détail ces différences et tirerons leurs implications. Ce
faisant, nous ébaucherons une théorie générale des choix constitutionnels basée sur le mode
d’analyse de Buchanan et Tullock.

2 Leibenstein (1965) parvient au même effet en envisageant que les décisions collectives soient faites par un
groupe d’individus âgés pour leurs descendants. Vickrey (1960) imagine que des gens se retrouvent dans une
île et sont incertains sur leurs positions sur l’île.
La constitution comme un contrat utilitariste 707

26.1 LE CONTEXTE CONSTITUTIONNEL


Chaque individu R entreprend une des n actions possibles, ar j , j = 1, n. Celles-ci peuvent
être rangées à partir des actions très privées telles que se gratter l’oreille, jusqu’à des
actions très publiques telles que détruire le bistrot du coin. Parmi l’ensemble de ces actions
il peut y avoir le paiement d’une taxe pour fournir un bien public pur. Donc, tout problème
d’action collective peut être vu comme des décisions concernant des actions individuelles.
Une loi pour interdire la conduite à plus de 130 km par heure restreint la liberté de chacun
de conduire vite. Une taxe sur l’essence pour financer la construction d’autoroutes à la fois
restreint la capacité de chacun à acheter de l’essence et augmente les opportunités pour
chacun de conduire. Tous les choix collectifs sont des décisions qui concernent les actions
individuelles.
Toute action peut être rangée dans l’une de ces trois catégories : les actions neutres
qui affectent seulement le bien-être de l’acteur ; les externalités négatives, actions qui
entraînent une dégradation de la situation d’autres individus ; et les externalités positives,
actions qui améliorent la situation d’autres personnes. Depuis que nous traitons les situa-
tions qui impliquent du risque ou de l’incertitude, nous postulons que les fonctions d’uti-
lité individuelles satisfont les axiomes de l’utilité de von Neumann-Morgenstern et donc
que les utilités individuelles peuvent être vues comme des indices cardinaux (Ng, 1984a ;
Binmore, 1994, ch. 4).
La collectivité peut prendre trois décisions mutuellement exclusives concernant
chaque individu R et son action ar j : (1) elle peut autoriser R à entreprendre une action ou
à ne pas l’entreprendre, (2) elle peut interdire à R d’entreprendre une action, ou (3) elle peut
obliger R à l’entreprendre. L’interdiction d’une action peut être vue comme l’attribution
d’un prix infini à l’action.
Chaque action qui crée une externalité peut conduire à un conflit à l’étape post-
constitutionnelle si elle doit être interdite ou contrainte, et à l’étape constitutionnelle sur les
institutions politiques qui doivent être mobilisées pour résoudre ce conflit post-constitu-
tionnel. Ce type de conflit à l’étape constitutionnelle peut empêcher l’unanimité sur le
contrat constitutionnel. En suivant Harsanyi (1955), Rawls (1971) et Buchanan et Tullock
(1962), l’unanimité peut être obtenue en supposant une incertitude sur les positions futures
à l’étape constitutionnelle. Chacun de ces auteurs défend ce postulat de différentes façons
et, du moins en ce qui concerne Harsanyi et Rawls, ils postulent une épaisseur différente
du voile d’ignorance, qui empêche les informations sur le futur de passer. Les postulats
qu’on peut faire sur l’« épaisseur » du voile d’ignorance, c’est-à-dire les informations que
les citoyens ont à l’étape constitutionnelle, ont des conséquences importantes sur les types
d’institutions contenues dans la constitution.
À l’étape constitutionnelle les individus choisissent les interdictions, les obliga-
tions et les règles de vote pour maximiser leur utilité espérée. Le contrat sur la constitution
doit être unanime et la présence de l’incertitude assure que cette unanimité soit obtenue. À
l’étape post-constitutionnelle, les individus savent qui ils sont, ils connaissent leurs préfé-
rences et ainsi de suite. Toutes les actions privées ont pour but de maximiser l’utilité de
même que toutes les actions collectives établies par des procédures de vote choisies dans la
constitution. Il est, bien sûr, possible qu’un individu vote pour interdire une action à l’étape
708 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

constitutionnelle, quand il est incertain sur ses futures préférences, et puis dans l’étape post-
constitutionnelle, où il connaît ses préférences, essaiera de violer l’interdit. Donc, la collec-
tivité doit évidemment inclure dans la constitution des institutions qui assurent qu’on se
conforme à elles. Ce problème de la conformité est abordé dans la section 26.8.

26.2 LES CAS DE DEUX ACTEURS


Supposons qu’il y a seulement deux groupes d’individus, les lignes (L) et les colonnes (C).
Chacun peut entreprendre l’une des n actions possibles, ar j , j = 1, n. Chaque individu d’un
groupe a une fonction d’utilité identique définie à partir de ses propres actions et les actions
des membres de l’autre groupe, Ui (al j , ack ), i = L, C. Puisque tous les L ont des fonctions
d’utilité identiques, si un L expérimente une plus grande utilité en entreprenant l’action al j ,
alors tous les L l’expérimentent aussi, de sorte que nous pouvons penser que Ui (al j , ack )
correspond à l’utilité qu’un i expérimente lorsque tous les L entreprennent al j et tous les C
entreprennent acn . Chaque individu entreprend seulement une action à la fois. Les actions
aln et acn sont définies comme des non-actions, donc sont supposées ne pas produire d’ex-
ternalités.
Maintenant, considérons les conséquences possibles des L et des C quand ils
entreprennent les actions al j et acj plutôt que les non-actions aln et acn . L’action al j a trois
possibles conséquences pour un L : (1) elle augmente son utilité par rapport à l’action aln
– nous représentons cette situation comme u l j > 0 ; (2) L’action al j ne change pas l’utilité
des L, u l j = 0 ; ou alors (3) l’action al j réduit l’utilité des L, u l j < 0. Ces changements
d’utilité peuvent être conçus comme l’effet combiné sur L de son propre gain ou perte de
l’action al j , ainsi que tout gain ou perte qu’il expérimente en regardant l’effet que cette
action a sur les C. Par exemple, supposons que al j est le fait que L fume un cigare bien qu’il
sache que cela dérange C. Si L souffre une désutilité suffisante de la connaissance que C
souffre de sa fumée de cigare, alors u l j < 0 pour cette action, même si, en l’absence de tous
les C, L recevrait une utilité positive en fumant le cigare. Les mêmes trois possibles résul-
tats en termes d’utilité existent pour l’action acj par les C.
Chaque action par un L ou un C peut n’avoir aucun effet sur l’autre groupe, ou
alors une externalité positive ou négative. Appelons el j le changement d’utilité qu’un C
expérimente de l’action al j par les L. Une externalité positive implique donc que el j > 0,
avec el j = 0 et el j < 0 qui représentent respectivement les actions neutres et les externali-
tés négatives. Pour commencer, nous simplifierons en postulant que les fonctions d’utilité
sont séparables. Sous ce postulat, les effets de l’action de L, a j , et les effets externes de l’ac-
tion de C, c j , sont tous les deux constants, et leur effet combiné sur l’utilité de L est simple-
ment la somme des deux effets u l j + ecj .
L’action al j a trois conséquences possibles sur l’utilité de chaque L, et trois effets
externes possibles, ce qui fait neuf combinaisons d’effets propres et d’externalités. La
même chose vaut pour les C, ce qui donne 81 combinaisons de distributions (payoffs) d’uti-
lités prises en compte à travers les actions possibles et l’interaction des deux groupes. Le
La constitution comme un contrat utilitariste 709

Matrice 26.1
Possibilités d’actions collectives quand les effets externes sont séparables.

Colonnes
1 2 3 4 5 6
ucj > 0 ucj > 0 ucj ≤ 0 ucj ≤ 0 ucj > 0 ucj ≤ 0
Lignes ecj > 0 ecj = 0 ecj < 0 ecj = 0 ecj < 0 ecj > 0
1 ucj > 0 NN NN NN NN NI NO
ecj > 0
2 ucj > 0 NN NN NN NN NI NO
ecj = 0
3 ucj ≤ 0 NN NN NN NN NI NO
ecj < 0
4 ucj ≤ 0 NN NN NN NN NI NO
ecj = 0
5 ucj > 0 IN IN IN IN II IO
ecj < 0
6 ucj ≤ 0 ON ON ON ON OI OO
ecj > 0

Notes : N = aucune intervention n’est requise ; I = une action est interdite ; O = une action est rendue obligatoire. La première lettre
correspond aux lignes, la seconde aux colonnes.

nombre de combinaisons peut être réduit à 36, cependant, si nous postulons qu’un L n’en-
treprend pas volontairement al j quand u l j < 0, et pareillement pour C si u cj < 0. Les 36
combinaisons restantes sont représentées dans la matrice 26.1.
De ces 36 situations possibles, 16 n’exigent aucune action collective. La matrice a
été construite de façon à ce que les cases apparaissent en haut à gauche de la matrice, et
sont indiquées par NN. Le premier N signifie qu’il n’y a pas besoin qu’une décision collec-
tive soit prise concernant l’action des Lignes, al j ; les seconds N indiquent la même chose
mais concernant les actions des Colonnes. Dans la ligne 3, au niveau de la colonne 1, par
exemple, les actions entreprises par les L al j créeront une externalité négative pour les C,
pendant qu’une action entreprise par les C al j crée une externalité positive pour les L.
Puisque u l j ≤ 0 et u cj > 0, les L trouvent dans leur propre intérêt de ne pas entreprendre
l’action, alors que les C pensent qu’il est de leur intérêt de l’entreprendre, de sorte que le
résultat optimal arrive sans le besoin d’une décision collective 3.
Pour toutes les cases qui contiennent un B, une interdiction sur l’action entreprise
par un groupe peut être optimale. Dans la ligne 5, colonne 1, par exemple, les L obtiennent
une utilité positive de leur propre action, u l j > 0, mais l’action produit aussi une externa-
lité négative, el j > 0. Si el j est assez grand par rapport à u l j , une interdiction sur l’action
entreprise par les L peut être socialement optimale. Notons que lorsque les C agissent de
3 Rappelons, cependant, que la raison pour laquelle u l j ≤ 0 peut être que les L souffrent une désutilité s’ils
créent une externalité négative, c’est-à-dire parce que el j < 0.
710 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

manière identique, cela produit une externalité positive, de sorte que pour qu’une interdic-
tion dans cette situation soit optimale, elle doit être asymétrique et ne concerner que les L.
Les cases qui contiennent un O désignent des situations dans lesquelles des obligations
peuvent être optimales à cause de l’existence d’externalités positives, avec les deux cases
OI et IO qui représentent les cas rares où des interdictions et des obligations simultanées et
asymétriques seraient optimales. Nous reviendrons sur tous ces cas asymétriques plus loin.
Les 16 cases avec un NN désignent des situations dans lesquelles l’action collec-
tive n’est jamais requise, parce que chaque groupe agissant indépendamment des autres
produit le résultat optimal. Les 20 autres cases désignent des situations dans lesquelles les
interdictions ou les obligations peuvent être optimales. Il est bien sûr concevable qu’aucune
action collective ne soit nécessaire. Un individu L et un C vivent sur une île si luxuriante
qu’aucune action collective ne produit de bénéfices qui excèdent les coûts, et assez grande
pour que chaque action produise de très faibles externalités négatives par rapport au gain
produit par l’action elle-même. Une telle merveilleuse anarchie est logiquement possible.
Dans des communautés plus peuplées et dans des environnements moins généreux,
on peut s’attendre à des gains potentiels de l’action collective. Nous allons explorer main-
tenant comment des contrats collectifs optimaux peuvent émerger d’un processus constitu-
tionnel à deux étapes dans lequel les individus à la première étape sont incertains sur leurs
positions futures.

26.3 LE CONTRAT CONSTITUTIONNEL


Dans le cadre d’un processus démocratique à deux étapes, l’incertitude peut prendre diffé-
rentes formes. Le minimum d’incertitude nécessaire pour produire un accord unanime sur
une constitution qui puisse couvrir l’ensemble des actions possibles qui portent sur les
identités futures. Nous postulons que chaque individu à l’étape constitutionnelle peut se
projeter sur toutes les actions collectives futures possibles et sur leurs conséquences, c’est-
à-dire sur les entrées dans la matrice 26.1 ainsi que sur toutes les autres matrices similaires
pour toutes les autres paires d’actions futures, incluant les gains et les pertes d’utilité des
différents joueurs. Puisque chaque « état du monde » possible est une paire d’actions entre-
prises par Ligne et Colonne, ce postulat est équivalent à supposer que chaque individu à
l’étape constitutionnelle peut envisager tous les états du monde futurs possibles. Chaque
individu à l’étape constitutionnelle connaît u l j , u cj , el j et ecj dans la matrice 26.1 pour
chaque possible paire d’actions, ainsi que les nombres de joueurs en Ligne et en Colonne,
nl et n c . Chaque individu à l’étape constitutionnelle connaît en somme tout concernant le
futur, sauf s’il sera un joueur de ligne ou de colonne. Nous nous référons à cette situation
comme situation d’incertitude identitaire. Une façon de concevoir l’incertitude identitaire
consiste à se représenter des individus qui choisissent une constitution pour leurs futurs
enfants. Si L sont les femmes et C sont les hommes, il peut être possible d’envisager les
utilités qui seront expérimentées par les femmes et les hommes d’une paire d’actions
données ainsi que le nombre d’hommes et de femmes dans le futur. Mais il sera impossi-
ble à l’étape constitutionnelle de prédire le sexe de nos enfants futurs. Si cet exemple est
vraisemblable, alors l’incertitude identitaire peut réellement exister.
La constitution comme un contrat utilitariste 711

Si les individus à l’étape constitutionnelle connaissent le nombre de joueurs en


ligne et en colonne, le nl et le n c , alors ils peuvent calculer les probabilités en L ou en C.
L et C peuvent représenter des groupes ethniques et la croissance des futures populations
de chaque groupe est inconnue. Nous nous référerons à ce concept avec le terme d’incerti-
tude numérique.
Le degré d’incertitude augmente encore davantage si l’on postule que les indivi-
dus à l’étape constitutionnelle sont incertains sur leurs utilités futures – u l j , u cj , el j et ecj –
dans des situations différentes. Cette situation sera appelée incertitude des gains. Une
personne à l’étape constitutionnelle peut ne pas connaître la probabilité de souffrir d’un
futur esclave, ni la satisfaction qu’en retirera son maître.
Chacune de ces incertitudes conduit à différentes solutions institutionnelles pour
résoudre les problèmes d’action collective.

26.3.1 Action collective optimale avec seulement


de l’incertitude identitaire
Chaque individu à l’étape constitutionnelle peut envisager les types de problèmes qu’il
rencontrera dans le futur, le nombre d’individus dans chaque groupe et l’utilité qu’ils rece-
vront. Il est incertain seulement sur le fait qu’il sera un L ou un C. Donc, chaque individu
à l’étape constitutionnelle peut prédire pour toute paire de futures actions possible (al j , acj )
la case correspondante de la matrice 26.1. Si la case fait partie de celles qui contiennent un
NN, aucune décision collective n’est nécessaire. La probabilité est élevée que des actions
tombent dans ces 16 cases, aussi élevée que celle des personnes qui décident que la cons-
titution inclue une clause qui permette à chacun de faire ce qu’il veut sauf si la constitution
ou une loi en accord avec la constitution interdit ou oblige explicitement une action, et tant
que les actions possibles d’un individu n’affectent pas le bien-être d’un autre individu ou
une externalité positive sur les autres.
Maintenant, considérons une action dans une des 20 cases restantes, disons la case
5, dans la colonne 1. L’action de Colonne crée une externalité positive et donne à Colonne
une utilité positive. Donc, C n’a pas besoin d’être obligé d’entreprendre l’action et devrait
ne pas être interdit de la faire. L’action de Ligne, par contre, crée une externalité négative
bien qu’elle donne à Ligne une utilité positive. L’individu rationnel à l’étape constitution-
nelle, placé dans l’incertitude sur son identité de L ou de C, choisit d’interdire les futures
L d’entreprendre cette action si l’utilité attendue d’une telle interdiction est positive. La
probabilité qu’un individu soit un L est πl = nl /(nl + n c ), alors que la probabilité qu’il soit
un C est πc = n c /(n c + nl ). Son utilité espérée de cette action est donc :

ε (U ) = πl u l j + πc el j . (26.1)

Si (26.1) est négative pour une action qui mène à la case de la ligne 5, la constitution devrait
interdire à L d’entreprendre cette action. Si (26.1) est négative, alors (26.2) le sera aussi,
qui n’est autre que (26.1) multipliée par (nl + n c ).

nl u l j + n c el j < 0. (26.2)
712 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

La condition (26.2) révèle la proximité entre la maximisation de l’utilité espérée dans les
choix d’un individu à l’étape constitutionnelle et la fonction de bien-être sociale bentha-
mienne ; la décision collective optimale concernant l’action al j maximise la somme des
changements d’utilité produits par cette action.
Si (26.3) se maintient pour une action qui mène à une case quelconque dans la
ligne 6, les personnes qui doivent choisir la constitution devraient s’accorder pour obliger
L à entreprendre l’action.
nl u l j + n c el j > 0. (26.3)

Des inégalités analogues concernant les entrées dans les colonnes 5 et 6 définissent les
conditions sous lesquelles les actions de C devraient être interdites ou rendues obligatoires.
Notez que seulement les cases dans (ligne 5, colonne 5) et (ligne 6, colonne 6) peuvent
éventuellement conduire à des interdictions ou à des obligations symétriques pour tous les
citoyens. Nous discuterons les interdictions et les obligations symétriques et asymétriques
dans la prochaine section.
Si la seule information manquante à l’étape constitutionnelle était la connaissance
de qui seraient les futurs citoyens, alors la constitution pourrait contenir toutes les inter-
dictions et les obligations dont on pourrait avoir besoin. À strictement parler, une telle
situation contient seulement le risque knightien, plutôt que de la vraie incertitude, et les
individus placés dans l’étape constitutionnelle ont toute l’information dont ils ont besoin
pour calculer leurs utilités espérées pour chaque paire d’actions entreprises par les Lignes
et les Colonnes (Knight, 1921). Si après 20 ou 100 ans, la menace d’une inondation exige-
rait la construction d’une digue, ceux qui écrivent la constitution pourraient prévenir cet
événement, prédire les préférences futures des citoyens, pour finalement déterminer les
taxes et les obligations de chacun. Aucune seconde étape dans le processus démocratique
ne serait nécessaire. Du point de vue des individus placés à l’étape constitutionnelle, la
constitution pourrait résoudre de façon optimale tous les problèmes qui se présenteront à
l’avenir.
Proposition 1 : L’incertitude identitaire combinée avec une connaissance complète des préférences
et du nombre de tous les citoyens futurs, permet aux individus placés à l’étape constitutionnelle de
spécifier toutes les futures interdictions et obligations de façon à maximiser leur utilité espérée dans
l’étape post-constitutionnelle. Aucune seconde étape de prise de décision collective n’est nécessaire.

Les postulats de la Proposition 1 sont essentiellement ceux que Harsanyi (1955,


1977) a établis pour déterminer les principes des choix moraux. Chaque individu peut
concevoir l’utilité de tout individu dans tout futur état possible du monde, ainsi que les
chances d’être l’un ou l’autre individu. Il choisit alors un état social, c’est-à-dire une
combinaison d’actions pour les Lignes et les Colonnes qui maximise leur utilité attendue.
Le choix maximise la somme des utilités futures de la communauté, et elle peut donc être
vue comme une fonction benthamienne de bien-être social. 4 Si à l’étape constitutionnelle

4 Avec quelques axiomes supplémentaires, Harsanyi (1955) prouve que les choix éthiques des individus, qui
consistent à maximiser leur utilité espérée sous le postulat qu’ils ont une probabilité égale d’être n’importe
quel citoyen, sont équivalents à la maximisation de la fonction de bien-être social benthamienne. Voir le chapi-
tre 23.
La constitution comme un contrat utilitariste 713

il n’y a que de l’incertitude identitaire, alors la constitution spécifie toutes les actions pour
tous les citoyens futurs de façon à maximiser la somme benthamienne des utilités indivi-
duelles. Le contrat social, ou constitution, spécifie toutes les actions nécessaires des
membres de la communauté. Aucune seconde étape au processus politique n’est requise.

26.3.2 Action collective optimale avec incertitude identitaire


et numérique
Nous continuons à postuler que les individus placés dans l’étape constitutionnelle connais-
sent et peuvent comparer u l j , u cj , el j et ecj associées à toutes les actions futures des
membres des deux groupes. Donc, la décision collective optimale concernant l’action de L
qui mène à la case qui est dans les lignes 5 et 6 dans la matrice 26.1, doit toujours satisfaire
les équations (26.2) ou (26.3). L’équation (26.2) requiert que la condition suivante soit
satisfaite :
nl /n c < −el j /u l j (26.4)

Et concernant l’interdiction de acj ,


n c /nl < −ecj /u cj (26.5)
Puisque les termes du côté droit de (26.4) et (26.5) sont supposés être connus, les choix
collectifs optimaux peuvent être faits une fois le nombre des individus dans les deux
groupes connu. Cette information peut être obtenue simplement par le vote des citoyens
dans une seconde étape du processus politique. C’est dans l’intérêt de L de voter contre une
interdiction de acj , et dans l’intérêt de C de voter en sa faveur. Ceux qui ont fait la consti-
tution peuvent être sûrs que le choix collectif optimal sera fait concernant l’interdiction de
l’action de L s’ils ont prévu que la décision sera prise par un référendum avec une majorité
des voix en faveur d’une interdiction satisfaisante (26.4). Par exemple, si le gain d’utilité
pour un L issu de acj est équivalent à trois fois la perte d’utilité imposée à C par cette action
(u l j = −3el j ), alors l’utilité espérée par les fondateurs de constitution est maximisée s’ils
exigent que la future interdiction de l’action entreprise par les Lignes ne passe qu’avec les
trois quarts de la majorité ou plus.
Proposition 2 : Avec u l j > 0, u cj > 0, el j > 0 et ecj > 0, la combinaison des incertitudes identitai-
res et numériques et d’une connaissance complète des préférences de tous les futurs citoyens, permet
aux individus placés à l’étape constitutionnelle de maximiser leur utilité espérée en spécifiant une
règle de vote pour la seconde étape de la prise de décision collective pour décider toutes les futures
interdictions de al j (acj ) de façon à ce que la condition (26.4) [(26.5)] soit satisfaite.

À partir de (26.3) nous pouvons dériver de façon analogue les conditions pour
rendre al j et acj obligatoires :
nl /n c > −el j /u l j (26.6)
n c /nl > −ecj /u cj , (26.7)
À partir desquelles nous obtenons :
714 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Proposition 3 : Avec u l j > 0, u cj > 0, el j > 0 et ecj > 0, la combinaison des incertitudes identitai-
res et numériques et d’une connaissance complète des préférences de tous les futurs citoyens, permet
aux individus placés à l’étape constitutionnelle de maximiser leur utilité espérée en spécifiant une
règle de vote pour la seconde étape de la prise de décision collective pour décider toutes les futures
obligations à al j (acj ) de façon à ce que la condition (26.6) [(26.7)] soit satisfaite.

Dans le cas particulier où u l j = el j > 0, l’utilité espérée d’un individu à l’étape


constitutionnelle est maximisée si l’interdiction de al j est décidée en utilisant la règle de la
majorité simple. Cela correspond essentiellement au théorème de Rae-Taylor en faveur de
la règle de la majorité simple, que nous avons discutée dans le chapitre 6, et repose claire-
ment sur le postulat d’égale intensité des préférences des deux côtés de l’enjeu 5.
Lorsque la condition d’égale intensité des préférences se réalise concernant les
externalités négatives et symétriques, c’est-à-dire u l j = el j < 0 et u cj = ecj < 0, alors la
règle de la majorité simple est la règle de vote optimale pour décider si les Colonnes ont le
droit d’interdire l’action al j et les Lignes l’action acj . Si les Lignes sont majoritaires, elles
voteront pour interdire acj et pour permettre à elles-mêmes d’entreprendre al j . La logique
implacable de la maximisation de l’utilité espérée, associée au postulat de l’égale intensité
des préférences conduit à la « tyrannie de la majorité » comme résultat optimal du proces-
sus de choix d’une règle de vote qui maximise l’utilité espérée d’un citoyen placé dans
l’étape constitutionnelle. La majorité vote pour se permettre à elles-mêmes de faire ce
qu’elle interdit à la minorité.
Proposition 4 : Avec des externalités négatives (positives) et symétriques et des préférences d’égale
intensité des deux côtés d’un enjeu (c’est-à-dire que u l j = −el j et u cj = −ecj ), l’incertitude identi-
taire et numérique combinée avec la connaissance complète des préférences des futurs citoyens
implique que la règle de la majorité simple est la règle de vote optimale pour décider d’interdire (ou
rendre obligatoires) les actions al j et acj par les futurs joueurs en Ligne et en Colonne. L’application
de cette règle de vote dans la seconde étape de la prise de décision collective, soumise à ces postu-
lats, doit conduire à une interdiction (obligation) asymétrique des actions al j et acj . (Notez que le
postulat d’égale intensité des préférences implique que la partie de droite des équations (26.4) et
(26.5) est égal à 1. Pour qu’une interdiction symétrique soit optimale, nl /n c < 1 et n c /nl < 1 serait
nécessaire en même temps, ce qui est impossible.)

À l’inverse, une interdiction symétrique peut être optimale avec l’incertitude iden-
titaire et numérique, seulement quand les gains de chacun sont connus et sont tels que des
règles de vote optimales, différentes pour les interdictions respectives, peuvent être impo-
sées. Par exemple, si u l j > 0, u cj > 0, −el j /u l j = 1 et −ecj /u cj = 2, alors la règle de la
majorité simple serait optimale pour interdire al j , alors que pour interdire acj il suffirait
qu’un tiers de la communauté le veuille. Si 1 < n c /nl < 2, les Colonnes ont le droit d’in-
terdire al j mais elles ne peuvent pas empêcher les Lignes d’interdire acj .
Les conditions (26.4) et (26.5) exigent que plus la majorité requise pour interdire
une action est grande et plus le gain en utilité d’un individu favorable à l’interdiction est
petit, par rapport au gain d’utilité pour la personne à laquelle il est permis d’agir. À la
5 Voir Rae (1969), Taylor (1969) et Rae et Schickler (1997). Buchanan et Tullock (1962, pp. 128-130) souli-
gnent aussi l’importance de postuler des préférences d’égale intensité dans le choix de la règle de la majorité
simple.
La constitution comme un contrat utilitariste 715

limite, dans la mesure où la partie droite des équations (26.4) et (26.5) approche l’infini,
ceux qui écrivent la constitution permettraient une interdiction future seulement si la
communauté vote unanimement en sa faveur.
À l’inverse, dans la mesure où −el j grandit par rapport à u l j , la convention cons-
titutionnelle cherchera à établir une présomption contre l’action al j . Cela peut être réalisé
à travers une interdiction constitutionnelle sur al j avec la clause que celle-ci peut être levée
avec une majorité de m j ≥ −el j /(−el j + u l j ). À la limite, dans la mesure où la perte d’uti-
lité d’une Colonne devient très importante par rapport au gain d’une Ligne, l’interdiction
constitutionnelle d’une action pourrait être levée seulement par un vote unanime de la
communauté.
Des considérations analogues, encore une fois, s’appliquent également aux obli-
gations.

26.3.3 Action collective optimale avec incertitude identitaire,


numérique et des gains
Pour la plupart des actions possibles, le postulat le plus réaliste à faire est qu’un individu à
l’étape constitutionnelle est incertain concernant l’identité, le nombre et l’utilité future des
résultats de ces actions. Par exemple, Pierre Joseph Buc Hoz écrivit en 1787 sa Disserta-
tion sur le tabac et sur ses bons et mauvais effets. Il compara l’utilité qu’un fumeur rece-
vait de fumer avec l’externalité négative que cette action entraînait à ce moment-là. Mais
il n’aurait pas pu pleinement envisager les futures utilités et désutilités des citoyens provo-
quées par le tabac, ou le nombre de fumeurs ou, non-fumeurs. Plus généralement, il n’au-
rait pas pu anticiper si d’autres stimulants similaires au tabac seraient découverts, leurs
effets positifs et négatifs, et ainsi de suite. Les e j et les u j dans les formules (26.2) et (26.3)
sont alors inconnues.
Si ceux qui font la constitution peuvent envisager que la distribution des utilités
change suite à une action particulière, alors nous pouvons simplement substituer les valeurs
attendues des e j et les u j dans nos conditions d’optimalité, et procéder comme nous l’avons
expliqué précédemment. Cependant, si nous concevons la constitution comme devant
réguler les décisions collectives d’une communauté sur une longue période, même ce
postulat peut être discutable. D’un autre côté, si tous les éléments dans les équations qui
définissent les conditions d’optimalité sont inconnus, aucune règle de vote qui maximise
l’utilité espérée de quiconque à l’étape constitutionnelle, et qui de ce fait puisse spécifier
la qualification de la majorité pour faire les futurs choix collectifs, ne peut être écrite dans
la constitution.
Donc, lorsqu’on ne peut pas faire des prédictions raisonnables sur les gains et les
pertes d’utilité que les actions particulières peuvent entraîner, la constitution pourrait
simplement rester muette sur ce que les futures générations devront décider. Bien que cette
approche soit intellectuellement honnête, elle impose aux futures générations la double
tâche ardue de choisir et d’appliquer les règles de vote qui puissent résoudre beaucoup de
conflits potentiels, alors que leurs préférences sont pleinement connues.
716 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Plutôt que laisser ce fardeau aux générations futures, ceux qui choisissent la cons-
titution peuvent faire « une estimation éclairée » sur la taille de −e j et u j , et bâtir sur cette
estimation une règle de vote. Mais qu’est-ce qu’une estimation raisonnable ? Est-il plus
raisonnable de penser que −el j soit la moitié de u l j , plutôt que trois fois plus grand ?
L’égale grandeur serait une estimation qui correspond au point de Schelling, ou encore une
application du principe de raison suffisante à ce problème. Avec −el j égal à u l j , la condi-
tion (26.4) exige que toute interdiction d’une action qui correspondrait à la ligne 5 peut être
choisie avec la règle de la majorité simple. La condition (26.6) requiert également la règle
de la majorité simple pour les obligations dans des situations qui correspondent à la ligne
6. Nous avons alors une justification normative pour l’utilisation universelle de cette règle
de vote. S’ils sont incapables d’estimer les chances de gain et de perte issues des décisions
collectives, ceux qui écrivent la constitution supposent qu’elles sont égales et optent pour
la règle de vote qui maximise leur utilité espérée avec ce postulat.

26.4 INTERDICTIONS ET OBLIGATIONS SYMÉTRIQUES


ET ASYMÉTRIQUES
Bien que les interdictions ou les obligations aient des chances d’être optimales à partir du
point de vue d’un individu placé à l’étape constitutionnelle, incertain sur son identité
future, elles sont souvent infaisables. Supposez que les joueurs en Lignes et en Colonnes
tirent de l’utilité du fait d’être libres de conduire plus vite que 130 km/h, lorsqu’ils choi-
sissent (u l j > 0 et u cj > 0). Les Lignes sont des conducteurs adroits et prudents et ne
conduisent à cette vitesse que lorsqu’il n’y a pas le moindre danger de blesser qui que ce
soit (el j = 0). Les colonnes sont, en revanche, des conducteurs maladroits et imprudents
(ecj < 0). Derrière le voile d’ignorance, la communauté peut unanimement s’accorder pour
interdire aux Colonnes de conduire à plus que 130 km/h, alors qu’elle va autoriser les
Lignes à conduire à la vitesse qu’ils souhaitent. Mais à moins de pouvoir identifier Lignes
et Colonnes avant qu’ils se mettent au volant, une telle interdiction serait inapplicable.
Puisque Lignes et Colonnes préfèrent avoir la liberté de conduire très vite, les Colonnes
prétendront simplement être des Lignes. Étant donné l’impossibilité d’appliquer une inter-
diction asymétrique, une interdiction symétrique peut être optimale. Elle le sera lorsque
l’utilité attendue d’une interdiction totale par quelqu’un à l’étape constitutionnelle sera
positive, c’est-à-dire lorsque (26.8) est satisfaite :
nl u l j + n c el j + n c u cj + nl ecj < 0. (26.8)
Lorsque (26.8) n’est pas satisfaite, la règle optimale sera une liberté symétrique de conduire
aussi vite qu’on le désire. Une condition analogue est nécessaire avec les rapports inversés
appliqués aux obligations symétriques en présence d’externalités positives. Donc, à cause
des coûts de transactions liés à l’application des interdictions ou des obligations asymé-
triques, des règles plus nombreuses que ne l’indique la matrice 26.1 doivent s’appliquer de
façon symétrique.
Cela dit, identifier ceux qui ont des préférences différentes ou qui génèrent les
différentes externalités est toujours faisable. Beaucoup d’interdictions sont donc asymé-
La constitution comme un contrat utilitariste 717

triques, telles que l’interdiction de permis de conduire pour ceux qui ont moins de 18 ans.
Par conséquent, une constitution qui maximise l’utilité espérée impose des interdictions
asymétriques toutes les fois que les différences dans les gains d’utilités et les effets exter-
nes des actions peuvent être aisément identifiés.
La ligne 6, colonne 5, ainsi que la ligne 5, colonne 6 dans la matrice 26.1 offrent
une configuration qui peut sembler hautement improbable, une interdiction et une obliga-
tion simultanée pour les deux groupes concernant la même action. Cependant, un tel trai-
tement asymétrique des différents groupes est non seulement logiquement possible, mais
aussi observable en pratique. Un exemple archaïque et sexiste de ce type d’asymétrie serait
une obligation constitutionnellement définie pour les hommes de faire le service militaire,
associé à une interdiction pour les femmes de le faire. Un tel traitement asymétrique de ces
deux groupes peut se produire si les hommes reçoivent une utilité négative du fait de servir
l’armée, mais que leur service apporte une externalité positive, alors que les femmes qui
ont envie d’être militaires génèrent des externalités négatives. Sous ces conditions, les
citoyens qui sont incertains de leur futur sexe pourraient unanimement décider pour une
interdiction et une obligation asymétrique concernant le service militaire.

26.5 ACTIONS CONTINUES AVEC DES UTILITÉS


INTERDÉPENDANTES
Les postulats d’actions binaires et d’effets externes séparables nous ont permis d’illustrer
plutôt simplement de nombreux traits fondamentaux des institutions politiques optimales
dans une constitution qui maximise l’utilité. De plus, ces postulats sont réalistes pour un
certain nombre de choix collectifs. L’esclavage, l’avortement ou les drogues légalisées sont
trois exemples d’enjeux que l’on pourrait voir comme des choix binaires. La perte d’utilité
que Colonne expérimente lorsque Ligne le vole, peut raisonnablement être supposée indé-
pendante de savoir si Colonne est aussi un voleur.
Néanmoins, dans d’autres situations, des relations plus complexes doivent être
prises en considération. Le risque de se blesser que L ressent lorsqu’il voit C conduire,
dépend aussi de la conduite de L. On peut conduire des voitures à des vitesses variables sur
une échelle continue. La quantité d’argent allouée pour la fourniture d’un bien public peut
être variable. Pour prendre en compte ces cas de figure, nous devons considérer a j comme
une variable continue. Pour voir ce qui est impliqué, supposons que Lignes et Colonnes ont
des fonctions d’utilité qui peuvent se différencier deux fois, définies sur deux échelles al j
et acj avec la forme suivante :
 
U L = U L (al j , acj ) et UC = UC acj , al j . (26.9)

Un individu à l’étape constitutionnelle désire maximiser son utilité espérée, qui équivaut
encore à maximiser la fonction benthamienne :
   
W = nl U L al j , acj + n c UC acj , al j , (26.10)
718 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

qui produit les conditions de premier ordre :

∂W ∂U L ∂UC
= nl + nc =0
∂al j ∂al j ∂al j
(26.11)
∂W ∂U L ∂UC
= nl + nc = 0.
∂acj ∂acj ∂acj

Si les deux fonctions d’utilité, ainsi que les nombres de personnes en Ligne et en Colonne
sont connues, nous obtenons encore essentiellement la situation initialement analysée par
Harsanyi (1955), et ceux qui décident de la constitution fixeront les niveaux de chaque
action (al j , acj ) de façon à maximiser la fonction de bien-être social en (26.10).
Lorsque les fonctions d’utilités U L et UC sont connues, mais que nl et n c ne le sont
pas, on pourrait vouloir choisir une règle de vote pour révéler les nl et n c . Lorsque U L et
UC sont des fonctions continues de al j et acj , cependant, une telle option n’est plus dispo-
nible. À partir de (26.11) nous pouvons obtenir la relation optimale entre le nombre d’in-
dividus dans chaque groupe et les utilités marginales de chaque action.

nl ∂UC /∂al j
=−
nc ∂U L /∂al j
(26.12)
nl ∂UC /∂acj
=−
nc ∂U L /∂acj

Si les utilités marginales produites par a j sont positives (∂U L /∂al j > 0 et ∂UC /∂acj > 0)
et simultanément les actions causent des externalités négatives, alors (26.12) définit les
conditions qui déterminent les niveaux optimaux des deux actions. Mais aucune règle de
vote ne conduit à un tel résultat. Si la règle de la majorité simple est utilisée pour choisir
les niveaux de al j et acj , et les Lignes sont majoritaires, ils ne choisiront pas les niveaux
requis de al j et acj pour satisfaire (26.12). Ils permettront plutôt à eux-mêmes une pleine
liberté d’agir, de façon à ce que ∂U L /∂al j = 0, et la partie de droite de la première équa-
tion dans (26.12) ira vers l’infini, alors que acj sera totalement interdit. Lorsqu’une action
comporte plusieurs degrés et que son utilité varie selon ces degrés, aucune règle de majo-
rité qualifiée seule ne peut être fiable pour déterminer le degré optimal de cette action.
Dans ces circonstances, la place pour une tyrannie de la majorité est évidemment
grande quand les degrés de l’action varient fortement. De plus, contrairement à la situation
où deux seuls choix existent – agir ou ne pas agir – avec une palette plus large de choix la
règle de la majorité simple a des chances de produire un résultat assez différent que celui qui
maximiserait l’utilité espérée d’un individu placé à l’étape constitutionnelle. Une approxi-
mation plus précise des degrés optimaux des actions pourrait être obtenue dans cette situa-
tion si la constitution associait le choix d’une majorité qualifiée qui déciderait le degré d’une
action, avec la contrainte de symétrie. Quel que soit le degré de l’action qui est permise (ou
imposée) à un groupe, le même degré doit l’être pour l’autre groupe. Avec cette condition
de symétrie, la règle de la majorité simple en vigueur, ainsi que le groupe majoritaire, disons
Lignes, pourrait entraîner un degré de a j tel que ∂U L /∂al j = −∂U L /∂acj , ce qui équivaut
à un degré qui égalise les dénominateurs de la partie de droite des deux équations dans
La constitution comme un contrat utilitariste 719

(26.12). Si les fonctions d’utilité des Lignes et des Colonnes étaient similaires, alors ce degré
d’activité égaliserait également les numérateurs, et les parties de droite de (26.12) seraient
égales à 1. Bien que les degrés de al j et acj ne maximiseraient pas (26.10), étant donné nl et
n c , ils auraient plus de chance d’approcher ce résultat, par comparaison à si un groupe peut
fixer les degrés différents de a j pour chaque groupe de façon à maximiser sa propre utilité 6.
Nous concluons qu’une convention constitutionnelle qui s’attend à ce que les
futurs membres de la communauté aient des fonctions d’utilité similaires définies sur des
degrés continus d’activités différentes pourrait parvenir à un niveau d’utilité espérée plus
élevé à l’étape constitutionnelle, si elle associe l’usage de la règle de la majorité simple à
l’exigence que les décisions prises avec cette règle s’appliquent uniformément à tous les
membres de la communauté.

26.6 LES COÛTS DE LA PRISE DE DÉCISION


Considérons encore les entrées dans la colonne 5 de la matrice 26.1. Les Lignes obtiennent
une utilité positive d’une action qui cause une externalité négative. Il est tentant de penser
qu’aucune action collective n’est nécessaire dans ces cas, et de faire confiance au théorème
de Coase pour être sûr qu’un résultat Pareto-optimal soit obtenu 7. Les Colonnes peuvent
simplement payer les Lignes pour ne pas agir.
La réflexion sur la résolution de ces conflits à l’étape constitutionnelle, cependant,
peut mener à considérer illégitime ce genre de solution, du moins en ce qui concerne les
quatre premières entrées dans la ligne 5. Pour empêcher les Lignes d’agir, les Colonnes
doivent leur offrir un pot-de-vin suffisamment élevé. Mais avec quoi les colonnes peuvent-
elles payer les Lignes si, à l’étape constitutionnelle, les droits de propriété ne sont pas
encore définis ? Donc, concernant ce genre de conflits représentés dans les quatre premiè-
res cases des lignes 5 et 6, il semble raisonnable de postuler que les solutions coasiennes
ne sont pas faisables, et que la constitution doit viser la résolution optimale de ces conflits.
Cet argument ne vaut pas pour les quatre cases dans le coin en bas à droite de la
matrice 26.1, où les lignes 5 et 6 croisent les colonnes 5 et 6. Maintenant, chaque personne
a quelque chose à échanger – leur liberté d’entreprendre l’action a j . Ces quatre cases
mettent en lumière des formes différentes de dilemme du prisonnier, dans lesquelles on
peut parvenir au résultat optimal en exigeant que des interdictions et des obligations de ces
actions soient imposées en même temps en utilisant la règle de l’unanimité. En discutant
les problèmes possibles qui émergent des coûts de la prise de décision, donc, nous distin-
guons entre les quatre cases de la matrice 26.1 celles qui mènent potentiellement à des
dilemmes du prisonnier (les intersections des lignes 5 et 6 avec les colonnes 5 et 6), et les
autres 16 cases, que nous appellerons les enjeux conflictuels.
6 Avec la diminution de l’utilité marginale issue du fait d’entreprendre al j , le gain de Ligne de passer d’une
contrainte au degré de al j , où ∂U L /∂al j = −∂U L /∂acj , à une situation où L est sans contrainte
(∂U L /∂al j = 0), tendra à être inférieur à la perte d’utilité si Colonne est contrainte et acj = 0. Buchanan et
Congleton (1998) présentent des exemples de situations dans lesquelles l’imposition d’une contrainte de symé-
trie peut améliorer l’utilité agrégée d’une communauté.
7 Voir Coase (1960), Bernholz (1997a) et la discussion dans le chapitre 2.
720 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

26.6.1 Dilemmes du prisonnier


Dans un dilemme du prisonnier, un accord unanime pour adopter des stratégies coopérati-
ves est possible sans incertitude sur l’identité des joueurs et sur les gains possibles de
chacun (Müller, 1998). Donc, même lorsqu’aucune des trois formes d’incertitudes n’est
présente à l’étape constitutionnelle, pour toute situation de dilemme du prisonnier, les
joueurs sont incités à se mettre d’accord pour agir de façon coopérative, et cet accord peut,
en principe, être écrit directement dans la constitution.
Malheureusement, dans les situations de dilemme du prisonnier, chaque individu
est incité à rompre l’accord à l’étape post-constitutionnelle. Pour parvenir aux gains issus
de la coopération dans un dilemme du prisonnier, les accords doivent alors inclure des inci-
tations à coopérer telles que, par exemple, des peines pour ceux qui ne coopèrent pas. Une
interdiction effective de voler doit entraîner l’imposition réelle d’une peine lorsque l’inter-
diction est violée. Les peines optimales pour inciter à ne pas voler un morceau de pain
peuvent différer de celles qui incitent à ne pas braquer une banque. Donc, les décisions
collectives dans beaucoup de situations de dilemme du prisonnier, n’impliquent pas simple-
ment d’identifier les actions qu’on désire que chacun entreprenne – ne pas voler – mais
aussi de multiples et différentes représailles de la part de la communauté.
Les contributions à la fourniture d’un bien public pur ont aussi les caractéristiques
d’un dilemme du prisonnier, mais dans ce cas l’action impliquée – la contribution de
chaque individu – est essentiellement une variable continue. La contribution optimale de
chaque citoyen dépend de ses préférences et de son revenu, et le nombre de groupes avec
des préférences différentes pour le bien public a de fortes chances d’excéder le nombre de
deux. Dans les communautés avec un grand nombre d’individus avec des préférences et des
revenus différents, les coûts de la décision pour déterminer la contribution de chaque indi-
vidu, la peine pour l’éventuelle non-contribution et ainsi de suite, seront très importants.
Lorsque ces coûts sont pris en considération, une règle de vote moins exigeante que l’una-
nimité peut s’avérer optimale.
Cependant, une fois que les décisions collectives ont été prises avec une règle de
majorité qualifiée, chaque individu perd la protection qu’il avait avec la règle de l’unani-
mité contre les décisions qui lui seraient nuisibles. Il sera alors exposé aux coûts externes
de la prise de décision collective 8. Donc, les coûts de la décision associés avec la règle de
l’unanimité modifient un jeu potentiellement coopératif pour trouver un ensemble d’actions
Pareto-préférées, en un conflit entre ceux qui sont dans la coalition gagnante qui obtiennent
des bénéfices nets de l’action collective, et ceux qui sont dans la coalition perdante qui
n’obtiennent pas ces bénéfices. L’incertitude réapparaît à l’étape constitutionnelle concer-
nant la coalition dans laquelle chaque individu se trouvera.
L’impact des coûts de décision sur le choix d’une règle de décision collective peut
être étudié en postulant encore deux groupes dans la communauté, les gagnants et les
perdants pour une décision collective donnée. Soit w le gain d’utilité qu’un individu placé
à l’étape constitutionnelle attend s’il fait partie de la coalition gagnante et s la perte qu’il
attend s’il fera partie de la coalition perdante. La probabilité qu’un individu se trouve dans

8 Voir Buchanan et Tullock (1962, pp. 63-91) et la discussion dans le chapitre 4.


La constitution comme un contrat utilitariste 721

la coalition gagnante est j, p(m j ) étant la fonction de la majorité requise pour gagner sur
un enjeu, m j , où p (m j ) > 0 et p (m j ) < 0 jusqu’à m j = 1. Un membre de la convention
constitutionnelle doit alors choisir le m j qui maximise :
    
ε (U ) = p(m j w − 1 − p m j s − d m j , (26.13)
que produit le m j qui satisfait :
   
p m j (w + s) = d m j . (26.14)
La partie gauche de la formule (26.14) est le gain marginal d’utilité espérée issu de l’aug-
mentation de la majorité requise ; la partie de droite correspond à l’augmentation marginale
des coûts de la prise de décision. La règle de vote qui maximise l’utilité espérée de quel-
qu’un à l’étape constitutionnelle compare ces gains et ces coûts marginaux dans chaque
type de majorité requise.
Si on conçoit le processus de vote comme une recherche d’information sur les
préférences individuelles, par exemple, la volonté de chaque individu de contribuer à la
fourniture d’un bien collectif, il est raisonnable de penser que les coûts marginaux de la
prise de décision collective augmentent proportionnellement à la majorité requise pour
faire un choix, puisqu’il devient de plus en plus difficile de découvrir un niveau de contri-
bution qui améliorerait la situation d’un individu avec des préférences très différentes de
celles des autres, et que les incitations à s’engager dans des manipulations stratégiques de
ses propres préférences augmentent. Une façon alternative d’envisager le processus est de
chercher les coalitions gagnantes. Chaque nouvelle proposition peut être un peu différente
que les précédentes et peut obtenir le soutien d’un ensemble d’électeurs légèrement diffé-
rent. Quand le processus de vote prend cette forme, la possibilité qu’un cycle apparaisse
doit être envisagée. Les coûts de la prise de décision pourraient alors totalement chuter
dans la mesure où la majorité requise monterait au-dessus d’un niveau quelconque de m j ,
parce qu’augmenter m j fait baisser la probabilité d’un cycle. Cela est particulièrement
probable si les options sur lesquelles on vote rassemblent les traits des biens publics purs,
et donc il est raisonnable de penser que les conditions nécessaires pour invoquer le théo-
rème de Caplin et Nalebuff (1988) sont remplies. Dans ce cas, on peut s’attendre à ce que
la probabilité qu’un cycle apparaisse chute dans la mesure où la majorité requise augmente,
atteignant zéro avec un m j de 0,64. Cela implique que les coûts marginaux de la prise de
décision ont une forme en U avec la partie en bas du U qui équivaut à quelque chose
comme 0,64 (voir la figure 26.1). Les bénéfices marginaux d’une augmentation de m j ,
p (m j )(w + s), couperont probablement d  (m j ) deux fois, avec le m ∗j optimal placé
quelque part autour de 0,64. Le fait de prendre en compte la possibilité de cycles et les
coûts de la prise de décision peut mener à une convention constitutionnelle qui rejette la
règle de la majorité simple pour les problèmes de bien public ou de dilemme du prisonnier
en faveur de règles de majorités plus hautement qualifiées 9.

9 Voir la discussion dans le chapitre 5.


722

Bénéfices
et coûts
marginaux
ANALYSE

Figure 26.1
Le choix d’une majorité optimale.
NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS
La constitution comme un contrat utilitariste 723

26.6.2 Conflits directs


Les 16 autres entrées des lignes et colonnes 5 et 6 de la matrice 26.1 contiennent des exter-
nalités unilatérales. Les cases dans les lignes et colonnes 5 incluent des problèmes d’exter-
nalités négatives comme fumer dans les places publiques ou conduire à des vitesses très
élevées ; les cases dans les lignes et colonnes 6 ont des externalités positives. Ces problè-
mes peuvent être conçus comme des prohibitions ou des obligations unidimensionnelles
qui peuvent aller de l’interdiction d’exercer un droit fondamental à une obligation qui
menace nos libertés. L’action collective inclut la résolution d’un conflit parmi les citoyens
et la sévérité optimale d’une interdiction ou d’une obligation. Il est raisonnable de penser
que, pour ce genre d’enjeux, les individus aient des préférences unimodales ; autrement dit,
chaque personne favorise une interdiction ou une obligation associée à un certain degré de
sévérité, de façon à ce que son utilité chute au fur et à mesure que la sévérité choisie
s’écarte de son niveau idéal. La règle de l’unanimité n’est pas une option pour résoudre de
tels conflits à moins que des ressources soient allouées de façon à s’assurer qu’il y ait un
échange coasien.
Avec un enjeu unidimensionnel, un individu est incité à voter sincèrement. Des
propositions pour restreindre une action peuvent prendre la forme d’une proposition d’aug-
menter les degrés de sévérité. La proposition gagnante avec une règle de majorité
m j -qualifiée, imposera une restriction qui correspondra au point idéal du votant situé au
m j -ème centile de la distribution des points idéaux des votants. Le choix de m j correspond
aux choix du centile de la distribution des points idéaux où la restriction devra porter. Le
temps requis pour sélectionner un centile ne devrait pas différer du temps pour en sélec-
tionner un autre ; d  (m j ) pourrait raisonnablement être postulé comme égal à zéro. La
convention constitutionnelle peut traiter les coûts de la prise de décision comme une cons-
tante basique de perte. Lorsqu’on choisit la majorité optimale pour résoudre les problèmes
de conflits unidimensionnels, on n’a besoin de pondérer que les effets de ce choix sur les
gains d’utilité espérée. Les coûts futurs de la prise de décision ne devraient pas être consi-
dérés comme un facteur à prendre en considération.

26.7 DROITS ET OBLIGATIONS


Considérons l’équation (26.4) encore une fois. Dans la mesure où sa partie de droite appro-
che de zéro, la majorité requise pour interdire al j approche l’unanimité. Or il y a deux
raisons pour lesquelles la partie droite de (26.4) pourrait converger vers zéro. Première-
ment, bien sûr, elle égalera zéro si el j = 0. Si l’utilité de C n’est pas affectée par al j , alors
L devrait être libre d’agir, et (26.4) exigera un vote unanime de la communauté à la
deuxième étape du processus politique pour interdire L d’agir. Mais il y a une myriade d’ac-
tions, al j , qui bénéficient à L et n’ont aucun impact sur les autres. Il serait impossible pour
une constitution de les lister toutes pour spécifier qu’elles pourraient être abrogées seule-
ment à travers un vote unanime de la communauté. Comme nous l’avons noté ci-dessus, de
724 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

telles actions semblent efficacement gérées par une clause qui permet toutes les actions qui
n’ont été explicitement prohibées.
Le ratio −el j /u l j approche également zéro même lorsque −el j > 0, dans la
mesure où u l j devient très grand. Dans ce cas, les individus placés à l’étape constitution-
nelle, qui pensent pouvoir être un futur L, ne pourront pas simplement compter sur une
liberté au sens large pour protéger leur future liberté de faire al j . En effet, les futurs C vont
recevoir une utilité décroissante de al j , et ils peuvent essayer d’empêcher les L de faire a j .
De telles restrictions peuvent être imposées par un vote à la majorité simple et entraîner une
perte nette d’utilité, si la liberté de L de faire a j n’était pas protégée. Dans l’incertitude de
savoir si on sera un L ou un C, les individus pourraient maximiser leur utilité espérée à
l’étape constitutionnelle en exigeant qu’une proposition pour restreindre la liberté de faire
a j doive passer par une supra-majorité qui pourrait aller jusqu’à l’unanimité (voir la
figure 26.2).
Les L subissent une forte perte d’utilité de ne pas faire a j , ils vont voter pour une
proposition qui restreint leur liberté de faire a j , seulement s’ils sont compensés pour cette
perte ou convaincus de l’accepter. Bien qu’on puisse imaginer que des groupes puissent
être convaincus d’abandonner leur pouvoir de veto dans de telles situations, on peut s’at-
tendre à ce que ce soit rare si la convention constitutionnelle a anticipé correctement les
gains relatifs de l’action lorsqu’elle a choisi de la protéger par la règle de l’unanimité. Les
L voteront donc presque toujours contre toute proposition de restriction. Le temps perdu à
débattre et à voter pour de telles restrictions serait ainsi gâché. Si l’on anticipe que la
plupart des propositions futures pour restreindre cette action seront perdantes avec la règle
de l’unanimité, les futurs coûts de la prise de décision pourraient être économisés en défi-
nissant un droit constitutionnel qui garantirait aux L la liberté de faire a j . Cette garantie
empêcherait toute future atteinte publique ou privée à la liberté des L d’entreprendre une
action particulière ou, si des conditions analogues valent également pour les C, garantirait
la liberté de tous. Puisqu’un droit porte toujours avec lui la liberté de ne pas entreprendre
une action, la communauté pourrait toujours essayer de corrompre ou de persuader un
groupe pour qu’il s’abstienne d’une action particulière, de sorte que les deux résultats
possibles avec la règle de l’unanimité, restent accessibles à la communauté d’après la défi-
nition de ce qu’est un droit.
Plusieurs caractéristiques des droits constitutionnels décrits par cette théorie
doivent être soulignées. Premièrement, des droits explicites sont définis seulement pour des
actions capables de générer des externalités négatives suffisamment importantes pour que
les membres de la communauté soient prêts à faire des efforts pour essayer de restreindre
ces actions. En l’absence de toute externalité négative, même des actions qui fourniraient
des bénéfices considérables à l’acteur ne seraient pas contestées et il n’y aurait donc pas
besoin qu’elles soient protégées. Deuxièmement, il y a une tension inhérente entre droits
constitutionnels et le principe de démocratie majoritaire. Lorsque l’institution de droits
explicitement définis et la règle de la majorité sont également présents dans la constitution
pour résoudre les conflits d’intérêt entre individus, ces situations entraîneront des diver-
gences dramatiques dans les pertes perçues imposées aux différents groupes autour de la
question de savoir s’il faut empêcher ou circonscrire des actions. La règle de la majorité
simple est optimale pour résoudre une externalité négative quand les individus placés à
Bénéfices
et coûts
marginaux
La constitution comme un contrat utilitariste

Figure 26.2
La règle de l’unanimité comme majorité optimale.
725
726 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

l’étape constitutionnelle s’attendent à ce que le gain d’utilité d’entreprendre une action est
équivalent aux pertes d’utilité que cette action entraîne. Les droits sont définis précisément
là où la règle de la majorité simple n’est pas optimale, parce que les gains et les pertes
espérés d’une interdiction sont dramatiquement différents, de sorte que ceux qui écrivent la
constitution préfèrent éviter qu’on en fasse usage. Puisque les droits seront définis seule-
ment lorsque des pertes significatives sont attendues pour ceux qu’on empêche d’agir, par
rapport aux pertes que l’action imposerait aux autres, des disputes sur les droits ont des
chances d’être émotionnellement chargées, parce qu’elles opposent parfois une majorité
substantielle qui se sent dérangée par cette action à une minorité intense qui bénéficie de
celle-ci 10.
Un droit protège la liberté d’un individu d’agir. Par conséquent, tous les droits
définis explicitement dans une constitution contiennent une obligation implicite pour tous
les individus à ne pas interférer lorsqu’un individu veut entreprendre une action constitu-
tionnellement protégée 11. Les obligations explicites, elles, rendent obligatoires certaines
actions. De même qu’un droit constitutionnel de faire a j peut être conçu comme une façon
de dire que toute restriction future de a j imposée par la communauté doit être approuvée à
l’unanimité, une obligation constitutionnelle de faire a j est une façon de dire que toute
exemption à cette obligation doit être approuvée à l’unanimité. Les deux clauses doivent
être appliquées seulement en situation de conflit. Cependant, il y a une différence très
importante entre un droit et une obligation. Un droit permet à un individu d’être libre de
faire a j , mais il n’exerce pas de contrainte sur son choix. L’individu reste libre de faire a j
ou de ne pas le faire. Donc, un droit étend et renforce la protection des libertés, dans la
mesure où la constitution que l’on a choisie le permet.
Une obligation explicite rend obligatoire a j . Elle ne laisse pas le choix à l’individu.
Une telle obligation est souhaitable lorsqu’un acteur peut subir une perte d’utilité au béné-
fice du reste de la communauté, c’est-à-dire seulement dans une situation de conflit. Donc,
une obligation est une forme d’asservissement à la communauté. On peut espérer, par
conséquent, que dans les communautés où les individus pensent obtenir des gains signifi-
catifs en laissant la liberté aux gens de faire leurs propres choix, le nombre de droits à agir
définis par la constitution excède largement les obligations à agir.

26.8 CONSTITUTION : CONTRATS OU CONVENTIONS ?


On peut faire remonter à Hobbes (1651) l’idée qu’une constitution est une sorte de contrat
parmi les membres d’une communauté pour établir les institutions de l’État. Comme nous
l’avons dit, c’est dans Calculus of Consent de Buchanan et Tullock que cette idée a pris une
place prépondérante dans la littérature sur les choix publics. Cette conception des constitu-
tions comme contrats a été fortement critiquée par plusieurs auteurs dans les vingt derniè-
10 Pour une discussion ultérieure de ces questions, voir Mueller (1991, 1996a, chapitre 14).
11 Le mot « droit » est souvent utilisé dans le sens du « droit à obtenir quelque chose ». De tels « droits écono-
miques » peuvent aussi être défendus par une clause constitutionnelle. Ici la définition d’une action doit inclure
le fait d’obtenir des soins médicaux, une nourriture adéquate et ainsi de suite. Voir Mueller (1991, 1996a,
chapitre 16) et la discussion dans le chapitre 3 de ce livre.
La constitution comme un contrat utilitariste 727

res années, qui préfèrent concevoir les constitutions comme conventions ou comme dispo-
sitifs pour coordonner les actions des membres de la société 12. Bien que ce problème soit
partiellement sémantique, il y a plus en jeu qu’une simple question de mots, puisque les
deux perspectives sont des perceptions différentes de ce que sont les constitutions et de ce
à quoi elles servent. Nous allons donc nous arrêter pour examiner les raisonnements qui
sous-tendent les deux perspectives.

26.8.1 Constitutions comme contrats


Depuis Hobbes, les contrats constitutionnels sont souvent vus comme un accord fait dans
un état d’anarchie (e.g. Buchanan, 1975a). Imaginons, par conséquent, une petite commu-
nauté qui vit dans l’anarchie et qui pense créer des institutions politiques pour faciliter les
futures prises de décisions collectives. La communauté est assez petite pour que tous ses
membres puissent se rencontrer dans une assemblée, pour décider d’une constitution. Il est
aussitôt décidé que les décisions collectives seront également prises dans une assemblée
composée de tous les membres de la communauté. La question de la règle de vote à utili-
ser dans le futur prend beaucoup de temps pour être résolue. Certains favorisent les règles
de la majorité simple, d’autres la majorité des trois quarts, quelques uns veulent l’unani-
mité. Après de nombreux débats, l’assemblée s’accorde, unanimement, à exiger la majorité
des deux tiers pour toute future décision collective.
Pourquoi la communauté devrait-elle exiger que le choix sur la règle future de vote
soit unanime lors de cette première rencontre ? Il y a au moins deux raisons. La première
est de résoudre le problème de la régression à l’infini. Quelle règle de vote devrait être
choisie pour choisir la règle de vote ? Si la communauté peut unanimement s’accorder sur
une règle de vote pour prendre les futures décisions collectives, la régression à l’infini est
arrêtée 13. La seconde raison pour exiger l’accord unanime à l’étape constitutionnelle est
d’augmenter la chance que les règles constitutionnelles soient acceptées et respectées dans
le futur. Si la règle de la majorité des deux tiers est choisie, alors il y aura quelqu’un qui
pourrait subir des dommages lors des futures décisions collectives. Comment peut-on s’as-
surer que chacun accepte les décisions de la communauté ? La réponse, évidemment, est
qu’on ne peut jamais être sûr, mais la chance est plus élevée si les perdants d’une décision
future acceptent au moins la règle de décision par laquelle la décision a été prise, parce
qu’en l’acceptant ils approuvent que cette procédure de décision collective puisse nuire à
quelques personnes, et acceptent au moins implicitement d’être parmi ces personnes 14.
Pour augmenter les chances d’acceptation, on pourrait imaginer que tous les
membres de la communauté signent la constitution qu’ils ont votée, comme ils signeraient
un contrat privé. En s’engageant par cet acte symbolique, chaque citoyen se contraindrait
lui-même à respecter la constitution.

12 Voir Hardin (1989, 1990) ; Ordeshook (1992) ; Binmore (1994, pp. 28-31) ; Kolmar (2000) ; et Filippov,
Ordeshook et Shvestova (2001).
13 Voir Buchanan et Tullock (1962, pp. 6-8).
14 Rawls (1971) est très attentif à la question de l’acceptation des principes dans sa théorie du contrat social, tout
comme Buchanan (1975a) dans sa théorie hobbesienne des constitutions.
728 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Ce point pourrait être étayé par une analogie entre une constitution et un
mariage 15. Aujourd’hui, deux personnes peuvent vivre longtemps ensemble sans être
mariées, après quoi elles peuvent décider de se marier même si cet acte ne change rien dans
leur vie quotidienne. Pourquoi affrontent-elles des soucis et des dépenses pour un mariage
formel ? Une explication est qu’elles ont décidé de s’engager plus profondément dans la
relation, et symbolisent cet engagement plus profond par une union légale. En agissant
ainsi, elles se communiquent réciproquement leur volonté de vivre ensemble pour long-
temps encore, « pour le meilleur et pour le pire », et ainsi de suite. Signer le contrat de
mariage peut renforcer l’engagement de chacun dans la relation, tout comme signer une
constitution – ou voter pour en ratifier une – peut renforcer l’engagement de chaque citoyen
à la respecter. Pour certains, de telles actions symboliques ont de l’importance.
Dans des communautés trop grandes pour fonctionner simplement par des institu-
tions de démocratie directe, une deuxième forme de problèmes d’acceptation surgit.
Comment s’assurer que les futurs représentants des citoyens prendront les décisions qui
avantagent les intérêts des citoyens et non simplement leur propres intérêts ? Ici encore
nous pouvons concevoir une constitution comme un contrat, en particulier comme contrat
entre principal et agent. Comme dans tout contrat entre un principal et un agent, la ques-
tion de créer des incitations pour les agents est centrale. Les élections compétitives consti-
tuent une solution évidente à cette question, la division des pouvoirs dans la constitution en
est une autre.
L’approche contractualiste des constitutions a trois avantages conceptuels possi-
bles : (1) elle résout le problème de régression à l’infini lié au choix d’une règle de vote,
(2) elle donne aux citoyens une raison pour accepter leur constitution et (3) elle met en
avant la structure de principal-agent du gouvernement représentatif et, par conséquent, le
besoin de penser des institutions qui fassent coïncider les intérêts des représentants avec
ceux des citoyens.

26.8.2 Constitutions comme conventions


Face au problème de la régression à l’infini décrit ci-dessus, Ordeshook écrit :

Mais si les contrats assurent que les gens fassent ce qu’autrement ils n’auraient
pas fait, il est difficile d’isoler la source ultime de la stabilité constitutionnelle. En
effet, ses articles peuvent être appliqués à travers un second contrat, qui serait
alors appliqué par un troisième et ainsi de suite. Ou alors sont-ils appliqués de
l’intérieur, par la police, la justice ou l’armée ? Ou alors ils devraient être appli-
qués en nous forçant à être administrés par une oligarchie qui serait en dehors des
limites de la constitution ? La première option est évidemment infaisable, alors
que la seconde ne fait que repousser le problème, qui se formulerait alors ainsi :
« comment les articles constitutionnels qui appliquent ces mécanismes d’applica-
tion, sont-ils appliqués ? » (Ordeshook, 1992, p. 144).

15 Bien que très critiques de l’approche contractuelle des constitutions, Filoppov, Ordeshook et Shvestova (2001)
utilisent la même analogie.
La constitution comme un contrat utilitariste 729

Selon Ordeshook, la seule solution à ce problème de la régression à l’infini est


qu’une constitution soit auto-appliquée. La constitution doit consister en un ensemble de
dispositifs ou conventions, qui fournissent les incitations pour son auto-application 16.
Tous ceux qui rejettent les perspectives contractualistes de la constitution souli-
gnent la structure théorique du jeu qui consiste à faire une constitution. La société est
confrontée à un grand nombre de dilemmes sociaux récurrents, et elle doit en quelque sorte
trouver un des nombreux équilibres possibles de ces super-jeux. Une constitution est un
mécanisme, un ensemble de conventions, qui sélectionnent un équilibre 17.
Un exemple d’une convention fréquemment utilisé est celui de la conduite à droite
ou à gauche de la rue. Young (1993) a utilisé la théorie des jeux évolutionnaires pour
démontrer comment une communauté convergerait sur un des deux équilibres possibles du
super-jeu, même sans aucune communication entre les citoyens. Une telle convergence a
des chances d’être beaucoup plus rapide, cependant, si les citoyens communiquent. On a
observé ce qui est arrivé dans d’autres communautés lorsque la voiture était introduite,
comment les citoyens se sont coordonnés pour éviter beaucoup d’accidents liés à la
conduite anarchique. Une rencontre a eu lieu pour décider de quel côté de la rue les voitu-
res auraient dû conduire.
Chaque personne qui se présente à cette rencontre a une préférence pour choisir le
côté droit ou gauche de la rue. Cependant, chacun sait également que si son côté favori ne
sera pas choisi, sa perte ne sera pas très grande. La première décision que les citoyens
doivent prendre est de choisir la règle de vote pour choisir le côté de la rue où ils condui-
ront. La communauté s’accorde unanimement pour utiliser la règle de la majorité simple
pour ce choix, parce que personne ne veut perdre trop de temps pour prendre cette décision.
Une motion a été proposée, puis votée. La décision pour choisir le côté de la rue où l’on
conduit a été très rapide.
Cet exemple simple illustre la caractéristique centrale de la perspective conven-
tionnaliste des constitutions. Il y a plusieurs équilibres (deux dans notre histoire) qui
peuvent être choisis. Une fois qu’un équilibre a été choisi, la règle s’applique par elle-même,
car personne n’est incité à rompre la convention. Notez également qu’il n’y aurait quasi-
ment pas d’avantages à penser que cette décision soit issue d’une sorte de contrat. Il est très
peu probable que quelqu’un suggère de faire signer par tous les citoyens un document offi-
ciel stipulant que tout le monde s’engage à conduire sur sa gauche. Il n’est besoin d’aucun
acte symbolique d’engagement à cause de la nature auto-applicative de la convention.

26.8.3 Discussion
Les constitutions sont des contrats. Les constitutions sont des conventions. Ces deux affir-
mations sont des métaphores et, comme toutes les métaphores, aucune n’est littéralement

16 Voir aussi Filippov, Ordeshook et Shvestova (2001, en particulier le chapitre 5).


17 Étant donné l’enthousiasme de Cooter (2000) pour la théorie des jeux comme instrument pour analyser les
constitutions, on peut s’attendre à ce qu’il défende une position conventionnaliste sur les constitutions. Mais
il reconnaît également l’avantage de la théorie contractualiste des constitutions pour expliquer son acceptation
future (pp. 273-276).
730 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

vraie. D’un autre côté, chacune offre un ensemble d’idées qui aident à révéler des impor-
tantes caractéristiques sous-jacentes des constitutions. Les constitutions ressemblent à la
fois à des contrats et à des conventions.
L’article d’une constitution qui dit que le chef de l’État doit être élu tous les cinq
ans convient élégamment à la métaphore selon laquelle les constitutions sont des conven-
tions. On peut choisir différentes durées d’un mandat électoral – quatre ans, cinq ans ou à
vie. Chacun peut être conçu comme le résultat d’un équilibre à long terme différent. En
choisissant conventionnellement cinq ans, la constitution sélectionne effectivement un de
ces équilibres. Une fois qu’il est établi, il a des chances de se maintenir par auto-applica-
tion. Il y a beaucoup d’éléments dans beaucoup de constitutions qui ressemblent à celui-ci.
Cependant, considérons une interdiction constitutionnelle du divorce. Un tel
article ne ressemble pas à une convention. Certainement, il n’est probablement pas auto-
appliqué. Parfois, les gens veulent divorcer, et si cet article de la constitution doit être appli-
qué, il le sera par la police, les juges ou l’armée. Si la constitution inclut des articles comme
celui-ci, elle devra également prévoir des agences pour leur application, et le problème de
la régression à l’infini soulevé par Ordeshook revient nous embêter. Une fois que la police,
les juges ou l’armée empêchent tous les divorces, qui les arrêtera s’ils veulent également
empêcher les naissances, les relations sexuelles hors du mariage, et beaucoup d’autres
actions qui ne sont pas interdites dans la constitution ?
Toutes les constitutions contiennent des articles qui requièrent des agents d’appli-
cation pour être respectés. Leur inclusion dans la constitution pousse immédiatement les
citoyens dans une relation de principal-agent avec l’État, et la métaphore des constitutions
comme contrats redevient pertinente. Mais pourquoi une constitution devrait-elle interdire
à jamais les divorces ? Pourquoi interdirait-elle pour toujours l’esclavage ? La théorie cons-
titutionnelle des deux étapes présentée dans ce chapitre donne un aperçu des réponses
qu’on peut donner à ces questions. Une communauté peut interdire les divorces ou l’escla-
vage si elle croit que les gains futurs des personnes qui veulent divorcer ou qui veulent un
esclave seraient très petits par rapport aux pertes que ces actions imposeraient aux autres.
Lorsque nous mettons de tels articles dans la constitution, les citoyens doivent aussi créer
des agents pour appliquer ces interdictions, et donc aussi inclure des articles qui incitent ces
agents à respecter le contrat constitutionnel. La structure du principal-agent du contrat
constitutionnel doit être reconnue 18.
Un danger de la conception des constitutions comme des conventions auto-appli-
cables est qu’on a l’impression que ces « mécanismes » ou « dispositifs » pour coordonner
les actions, seraient non modifiables après qu’ils ont été choisis. La valeur de la constitu-
tion comme contrat est qu’on peut reconnaître que ces contrats doivent souvent être repen-
sés pour qu’ils s’adaptent mieux aux situations qui changent, et on peut immédiatement
identifier qui a le droit de réécrire le contrat. Si la communauté au dix-huitième siècle
pensait que l’interdiction du divorce devait être inscrite dans la constitution, et si aujourd’-
hui elle pense différemment, alors elle devrait avoir la possibilité de changer la constitu-

18 Le problème de contraindre les agents de l’État est central dans l’approche contractualiste des constitutions de
Brennan et Buchanan (1980, 1985). Merville et Osborne (1990) mettent aussi l’accent sur la structure de prin-
cipal-agent du contrat constitutionnel, et soulignent que le contrat doit être auto-applicable. Donc, la nécessité
que la constitution soit auto-applicable n’est pas ce qui oppose les contractualistes aux conventionalistes.
La constitution comme un contrat utilitariste 731

tion. Cela à son tour implique que, quand la constitution est écrite pour la première fois, les
articles doivent être écrits de façon à permettre à la communauté de les changer lorsque les
conditions changent 19. Au contraire, la métaphore des constitutions comme conventions
décrit un processus évolutionnaire qui sélectionne les conventions et les équilibres, et qui
échappe à l’emprise des citoyens.
Bien que toutes les constitutions aient des propriétés contractuelles et convention-
nelles, elles diffèrent par la manière dont ces propriétés sont mises en évidence. La consti-
tution britannique ressemble presque à un ensemble de conventions qui servent à
coordonner l’activité politique de la nation. Sauf pour la signature de la Magna Charta en
1215, il n’y a pas de « moments constitutionnels » qui peuvent être identifiés comme des
exemples d’accord contractuel entre les citoyens 20. La structure non écrite de la constitu-
tion britannique lui donne une grande flexibilité pour répondre aux changements de l’en-
vironnement. Par exemple, la constitution a évolué par le fait qu’une élection nationale doit
être tenue au moins une fois tous les cinq ans, mais en temps de guerre ou de crise natio-
nale, les élections doivent être temporairement suspendues. La constitution britannique est
un ensemble de conventions flexible et capable d’évoluer.
À l’opposé, l’histoire des États-Unis contient un grand « moment constitutionnel »
à la fin du dix-huitième siècle, lorsque la constitution a été écrite et ratifiée. Comme le
disait Thomas Paine, la constitution a été perçue comme un contrat entre les Américains,
ce qui explique la révérence que beaucoup d’Américains ont pour leur constitution et sa
durée exceptionnelle.

26.9 CONCLUSIONS SUR LES THÉORIES À DEUX ÉTAPES


DU CHOIX SOCIAL
Dans ce chapitre, nous avons présenté les éléments basiques d’une théorie du choix social
à deux étapes, où les décisions dans la première étape sont prises derrière un voile d’igno-
rance, alors que les décisions dans la seconde étape sont prises par des individus connais-
sant parfaitement leurs préférences. Nous avons vu que les implications de cette théorie
dépendent fondamentalement de la nature de l’incertitude postulée lors de la première
étape. Si les participants à la convention constitutionnelle peuvent envisager les utilités de
chaque futur individu pour chaque future action, et sont incertains seulement concernant
l’identité de l’individu qu’ils seront, ils peuvent écrire toutes les règles qui régiront les
futures actions dans la constitution. La politique post-constitutionnelle disparaîtrait et la
constitution maximiserait la fonction harsanyienne de bien-être social. Le gouvernement ne
disparaîtrait pas entièrement, parce que les individus dans l’étape post-constitutionnelle
peuvent avoir des incitations à désobéir aux règles fixées dans la constitution, et une triche-
rie devra être punie. Cependant, aucun choix collectif additionnel, ni institutions politiques
particulières, n’ont besoin d’être définis.

19 Voir la proposition de Mueller (1996a, chapitre 21). Une des grandes faiblesses de certaines constitutions –
comme celle des États-Unis – est la difficulté de la changer. Voir Ackerman (1998).
20 Même la signature de la Magna Charta n’impliquait que le roi et quelques barons.
732 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

À l’autre extrême, si ceux qui écrivent la constitution manquent de toute informa-


tion pour calculer les probabilités et les utilités futures, ils sont dans l’impossibilité d’écrire
des règles constitutionnelles qui maximisent leur utilité espérée. Ils se retrouvent alors dans
le monde de Rawls, et quelques principes normatifs additionnels – comme les deux princi-
pes de justice de Rawls – doivent être invoqués pour sélectionner les institutions politiques
qui permettront de prendre les futures décisions collectives et de résoudre les futurs
conflits.
Si une incertitude intermédiaire est postulée – les individus peuvent juger les utili-
tés probables associées aux actions futures possibles, mais ne peuvent pas déterminer le
nombre d’individus qui seront avantagés ou désavantagés par chaque action –, il peut être
possible de sélectionner les règles de vote qui révèlent cette information dans l’étape post-
constitutionnelle. C’est dans cette incertitude intermédiaire que les principes des choix
publics peuvent jouer. Implicitement, c’était cette incertitude modérée que Buchanan et
Tullock (1962) postulaient dans leur analyse des choix des règles de vote et d’autres insti-
tutions politiques à l’étape constitutionnelle.
Bien que nous ayons été capables de dériver quelques conditions très précises pour
sélectionner une règle de vote ou pour spécifier un droit d’agir, nous l’avons fait avec des
postulats plutôt restrictifs – la présence de seulement deux groupes d’individus, leur capa-
cité de faire des comparaisons d’utilités cardinales, et ainsi de suite. Si nous devions élargir
le nombre des groupes avec des préférences différentes, notre capacité à définir une règle
de vote qui maximiserait l’utilité espérée des individus placés à l’étape constitutionnelle,
déclinerait rapidement (Mueller, 2001). Donc, la leçon réelle à retirer de cet exercice n’est
pas qu’il est possible, dans une théorie utilitariste des constitutions, de dériver les condi-
tions pour qu’une règle de vote, telle que la majorité simple, soit optimale, mais plutôt que
les postulats pour accomplir une telle tâche sont incroyablement restrictifs.
D’un autre côté, nous avons aussi limité l’attention aux familles des règles de
majorité qualifiée qui vont de la dictature à l’unanimité. La spécification potentielle des
règles de vote qui maximisent l’utilité espérée des individus placés à l’étape constitution-
nelle est largement accrue une fois qu’on permet à ceux qui écrivent la constitution de
prendre en considération quelques procédures pour révéler les préférences individuelles qui
existent actuellement. Par exemple, la procédure du vote par points, discutée au chapitre 8,
peut être choisie pour maximiser une fonction benthamienne de bien-être social et serait
donc une option attractive pour des individus placés à l’étape constitutionnelle qui
voudraient sélectionner une règle de vote qui puisse révéler leurs préférences pour les biens
publics dans l’étape post-constitutionnelle. Avec les postulats qui sous-tendent le modèle
probabiliste du vote discuté dans le chapitre 12, un ensemble de règles électorales qui
entraînerait un système bipartisan, maximiserait également une fonction de bien-être social.
Dans les cinquante ans qui ont suivi la sortie du Calculus of Consent de Buchanan et
Tullock, le public choice a produit un grand nombre d’institutions susceptibles d’être choi-
sies par un groupe d’individus qui chercheraient à écrire une constitution qui maximise leur
utilité espérée alors qu’ils sont incertains de leurs positions futures dans la société 21.

21 Voir Mueller (1996a).


La constitution comme un contrat utilitariste 733

26.10 D’UNE THÉORIE DES CONSTITUTIONS NORMATIVE


ET À DEUX ÉTAPES À UN TEST DES HYPOTHÈSES
Comme nous l’avons noté au début de ce chapitre, The Calculus of Consent de Buchanan
et Tullock peut être vu comme une théorie à la fois normative et positive des constitutions.
La plupart des analyses des théories des constitutions à deux étapes tendent à être norma-
tives, comme l’a été l’approche choisie dans ce chapitre. Avant de laisser les théories à deux
étages, nous allons brièvement discuter de la façon dont elles ont été testées empirique-
ment.
Il y a deux manières de tester les implications des théories constitutionnelles. La
première est de les prendre comme des théories concernant la manière dont les règles poli-
tiques ou institutionnelles se traduisent en résultats concrets.

Règles −→ Résultats

La plus grande partie de l’école des choix publics a développé et testé des théories portant
sur cet aspect de l’économie politique constitutionnelle. Par exemple, les théories concer-
nant la manière dont les règles électorales déterminent le nombre de partis représentés au
parlement, discuté dans le chapitre 13, tombent dans cette catégorie. Si un pays est bipar-
tite ou multipartite, avec un système présidentiel ou parlementaire, cela affectera à son tour
la taille et la composition des dépenses gouvernementales 22.
La deuxième façon d’évaluer les théories constitutionnelles correspond aux théo-
ries concernant la manière dont les préférences individuelles se traduisent dans des règles
politiques ; les préférences pertinentes dans ce cas sont celles des individus qui écrivent la
constitution.

Préférences −→ Règles

C’est cette façon de concevoir la théorie des constitutions qui est la plus fortement associée
à la théorie à deux étapes présentée ci-dessus. Par exemple, la théorie des constitutions à
deux étapes prédit que les individus introduisent des droits d’entreprendre des actions
spécifiques dans la constitution s’ils envisagent des pertes significatives de ceux qu’on
empêcherait d’entreprendre ces actions, par rapport à toutes les externalités qu’elles
peuvent produire, et s’ils ne savent pas si des futurs individus pourraient pousser la commu-
nauté à empêcher que ces actions soient entreprises. Les premières constitutions françaises,
à l’instar de la constitution des États-Unis, ont été écrites en partie par des personnes issues
de familles qui avaient vécu des persécutions religieuses et, au moment où elles ont été
écrites, beaucoup pouvaient encore avoir peur que quelque future majorité puisse essayer
de les empêcher de pratiquer leur religion, et donc que la liberté de le faire doive être proté-
gée en étant explicitement mentionnée dans la constitution. De même, beaucoup de person-
nes ont été arbitrairement arrêtés et pouvaient se sentir susceptibles de courir encore ce type
de danger. L’existence de beaucoup de droits d’agir protégés dans les constitutions est aisé-
ment compréhensible à partir de la théorie des constitutions à deux étapes.

22 Voir Persson et Tabellini (2000a) et la discussion dans le chapitre 21.


734 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

L’esclavage a également les caractéristiques requises par la théorie pour qu’on


puisse prédire une interdiction constitutionnelle – les pertes attendues par ceux à qui on
empêche d’avoir des esclaves sont minimes par rapport aux gains de ne pas être esclave.
Pourquoi alors les constitutions du dix-huitième siècle n’interdisent-elles pas l’esclavage ?
La réponse évidente est qu’il n’y avait aucune incertitude parmi ceux qui ont écrit et ratifié
ces constitutions, sur le fait qu’ils ne seront jamais réduits en esclavage. L’incertitude sur
les positions futures – réelles ou auto-imposées – est un élément essentiel de la théorie des
constitutions à deux étapes.
McGuire et Ohsfeldt (1986, 1989) et McGuire (1988) ont fourni une explication
brillante du vote lors de la convention de Philadelphie et de la ratification de ces conven-
tions, basée sur l’intérêt égoïste des participants. Bien que quelques-unes de leurs interpré-
tations des données puissent être critiquées (Mueller, 1996a, pp. 62-63), ils montrent de
façon convaincante que les pères fondateurs des États-Unis n’ont pas supprimé leur
égoïsme étroit lorsqu’ils ont écrit et ratifié la constitution. Malheureusement, les conven-
tions constitutionnelles sont des événements tellement rares que tester empiriquement des
hypothèses sur le vote des articles d’une constitution a des chances de rester une recherche
embryonnaire dans le champ des choix publics 23.

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Un grand nombre d’articles ont adopté implicitement l’étape constitutionnelle de décision. Voir, en
particulier, Rae (1969) ; Mueller (1971, 1973, 1996a) ; Mueller, Tollison et Willett (1974a, 1974b,
1976) ; et Abrams et Settle (1976). Le champ de l’économie politique constitutionnelle a désormais
son propre journal, Constitutional Political Economy, et le 90e volume du journal Public Choice
(1997) est entièrement dédié à ce sujet.
James Buchanan a exposé et défendu l’approche à deux étapes des constitutions dans de nombreux
essais. Un bon exemple est Liberty, Market and the State publié en 1986. Riley (2001) présente une
excellente analyse de l’approche à deux étapes des constitutions.
Coleman (1988) offre une discussion critique de l’économie politique à partir d’une perspective juri-
dique. Cooter (2000) utilise les concepts de la théorie des jeux pour l’analyse des institutions cons-
titutionnelles. Ferejhon, Rakove et Riley (2001) offrent plusieurs essais intéressants sur les enjeux
constitutionnels.
Beard, avec son livre de 1913, peut être vu comme un – sinon le – pionnier du public choice et de
l’économie politique constitutionnelle. Beard a clairement anticipé quelques hypothèses et résul-
tats de McGuire et Ohsfeldt (1986, 1989) et de McGuire (1988) et son livre partage avec toutes les
« théories économiques de la politique » un certain cynisme sur les motivations individuelles et sur
les effets sur la politique.
Voigt (1997, 1999) a été l’un de ceux qui ont le plus développé la dimension positive de l’économie
politique constitutionnelle.

23 Pour une tentative originale de tester les propositions concernant les choix constitutionnels en utilisant des
données sur les règlements de co-propriétés, voir Sass (1992).
27
LE DROIT LIBÉRAL
ET LES CHOIX SOCIAUX

27.1 Le théorème 736


27.2 La résolution du paradoxe 737
27.3 Des droits sur les états sociaux ou des droits sur des actions 743
27.4 Droits libéraux et obligations 745
27.5 Droit constitutionnel et droit libéral 745
736 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Dans le chapitre 26, nous avons exposé les raisons pour lesquelles les individus décidaient
de définir certains droits pour agir dans un cadre constitutionnel. On considère souvent
l’existence de ces droits protégés par la constitution comme une condition préalable essen-
tielle à la liberté d’une société. En effet, ces droits protègent la liberté de tous les citoyens.
Ils renvoient aux définitions traditionnelles du libéralisme comme celle proposée par John
Stuart Mill (1859). Dans une courte note publiée en 1970, le lauréat de prix Nobel Amartya
Sen (1970b) examinait la notion de libéralisme du point de vue des choix publics/sociaux.
Cette note a mené à un théorème d’impossibilité, semblable à celui mis en évidence par
Arrow et qui donna lieu à de longs et vigoureux débats portant à la fois sur les implications
du théorème et le concept de libéralisme lui-même. Dans ce chapitre, nous traitons certai-
nes questions soulevées par ces débats. Nous débutons par le théorème lui-même.

27.1 LE THÉORÈME
Le théorème d’Arrow soutient qu’il est impossible de respecter quatre contraintes du
processus de choix social sans placer une personne en position de dictateur pour tous les
choix collectifs (voir le chapitre 24). Sen (1970a, b) cherchait à donner à chacun la possi-
bilité d’être dictateur pour un unique choix « collectif », comme par exemple la couleur de
la peinture de sa salle de bain, mais aboutit malgré cela à un autre théorème d’impossibi-
lité.
Sen (1976, p. 217) cherchait à mettre en évidence une fonction de décision collec-
tive qui respecte la propriété suivante :

« Acceptation de la liberté personnelle : il existe certaines questions personnelles


pour lesquelles chacun doit être libre de décider de ce qu’il doit advenir. Pour tous
les choix relatifs à ces questions, ce que l’individu considère être le mieux pour lui
doit également être considéré comme ce qu’il y a de mieux pour la société dans
son ensemble, quelle que soit l’opinion des autres individus. »

Sen formalise cette condition en permettant à chaque individu d’être décisif pour
un unique choix collectif portant sur deux alternatives. Il montre ensuite que cette condi-
tion (du domaine non restreint) et le principe de Pareto suffisent à produire une fonction de
choix collectif à majorité cyclique (1970a,b). Comme celui d’Arrow, ce théorème est
remarquable en ce sens qu’il aboutit à un résultat décisif à partir de contraintes minimes. Il
n’implique ni la transitivité (l’absence de majorité cyclique seulement) ni l’indépendance
par rapport aux possibilités non pertinentes (mais voir les remarques faites auparavant).
Sen illustre son théorème par l’exemple suivant. Supposons qu’un seul exemplaire
du livre L’amant de Lady Chaterley (LCL) soit disponible à la lecture et que les trois états
sociaux suivants soient possibles :
a. A lit L’amant de Lady Chaterley, et B ne le lit pas.
b. B lit L’amant de Lady Chaterley, et A ne le lit pas.
c. Aucun des deux ne le lit.
Le droit libéral et les choix sociaux 737

A, l’individu prude, préfère que personne ne lise l’ouvrage, mais préférerait tout de
même le lire lui-même plutôt que B ne le lise. B, le luxurieux, préfère par-dessus tout que
A, le pudibond, lise le livre, mais préférerait le lire lui-même plutôt que personne ne le lise.
On a donc :
Pour A, c P a P b,
Pour B, a P b P c
Si on invoque la règle du libéralisme pour permettre à B de choisir de lire ou non le livre,
on obtient :
b P c.

Si on agit de même avec A, il vient :


c P a.

Mais A et B préférant tous deux a et b, le principe de Pareto implique alors que :


a P b,
et nous nous trouvons en présence d’un cycle.

27.2 LA RÉSOLUTION DU PARADOXE


27.2.1 Le respect des droits plutôt que du principe de Pareto
Il existe plusieurs issues pour sortir ou contourner ce paradoxe. Nous discutons ici de trois
d’entre elles.
La solution préférée par Sen consiste à privilégier le principe de Pareto au détri-
ment des droits libéraux dans certaines situations.

« Votre vice (B) ne vous autorise pas à porter atteinte à ma vertu (A). Je préfére-
rais ne pas m’adonner à une telle lecture (i.e. je préfère c à a) et que vous en
fassiez autant (i.e. je préfère c à b). Malgré cela, je choisis de « respecter » ou
plutôt de tolérer vos goûts dans les domaines que je considère comme votre vie
privée. J’accepte alors que ma préférence pour c plutôt que b ne soit pas prise en
compte. Je voulais tellement préserver votre vertu que j’aurais préféré lire l’œuvre
moi-même (i.e. je préfère a à b) mais comme je suis cohérent, je me rends bien
compte que si j’insiste pour que ma préférence pour c sur a compte autant que ma
préférence pour a sur b, il n’y aura alors aucune raison pour que je renonce à ma
préférence de c sur b. Je peux alors décider que ma préférence de a sur b ne soit
plus prise en compte, même si je ne suis pas totalement indifférent à votre choix
concernant la paire (a, b). »

Pour les mêmes raisons, vous pourriez ne plus accorder d’importance à votre
préférence pour a sur b car vous souhaitez avant tout que votre préférence pour b sur c soit
prise en compte et décideriez alors de renoncer à votre préférence de b sur c (car je reste le
738 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

principal concerné). Mais la préférence Pareto-optimale de a sur b est fondée sur la prise
en compte de mes préférences et des vôtres concernant a et b » (Sen, 1976, 1982, pp. 313-
4 ; avec une modification due à la terminologie nécessaire à notre exemple).
Sen résout ainsi le paradoxe en supposant que les individus, bien qu’intrusifs par
nature, ont des valeurs libérales qu’ils s’appliquent à eux-mêmes de manière à hypothéquer
une partie de leurs préférences ou à leur accorder moins d’importance. L’individu b, s’il est
libéral, pourrait par exemple affirmer que le seul choix pertinent à ses yeux est b ou c,
d’où :
Pour B libéral, b P c.

Alors que A devenant libéral affirmerait :


Pour A libéral, c P a.

Sous contrainte de respecter les valeurs du libéralisme, l’ordre social devient alors transitif
et peut déboucher sur un résultat tel que B lit LCL et pas A.
Pour définir l’optimum de Pareto, Sen choisit de traiter les préférences intrusives
de A et B comme leurs « vraies » préférences ; le libéralisme agissant comme une simple
contrainte sur les vraies préférences. Mais on pourrait considérer aussi bien l’intrusion et
le libéralisme comme deux éléments plus ou moins importants d’un ensemble unique de
préférences d’importances inégales (Mueller, 1996b).
L’individu libéral A pourrait très bien accepter le choix de B si celui-ci préfère lire
LCL plutôt que de s’abstenir. Son ordre de préférence entre b et c serait alors :
Pour A libéral, b P c.
De même :
Pour B libéral ; c P a.
L’individu A pudibond préfère ne pas lire l’exemplaire de LCL.
Pour A : c P a
Alors que pour b luxurieux : b P c.
Si l’on combine les préférences libérales de nos deux individus sur l’action d’au-
trui et leurs préférences personnelles relatives à leurs propres actions, on obtient :
Pour A et B : b P c P a.
Si A et B sont libéraux, ils reconnaissent tous deux que le meilleur résultat social est pour
l’individu luxurieux B de lire LCL et pour A de s’abstenir 1.
Par conséquent, on aboutit au même résultat si l’on suppose que le libéralisme fait
partie intégrante des préférences d’une personne ou agit seulement comme une contrainte
extérieure sur celles-ci. La manière dont on conçoit le problème n’est qu’une question de
choix méthodologique (Mueller, 1996b). Prenons un exemple. J’aime fumer une cigarette
1 Pour lever le paradoxe, il n’est pas nécessaire que les deux individus soient libéraux. Mais lorsqu’un seul des
deux l’est, le résultat du choix social ne sera pas le même si c’est A le pudibond ou bien B le luxurieux qui est
libéral.
Le droit libéral et les choix sociaux 739

après avoir diné mais je n’en fume qu’une seule lorsque je dîne seul. Ce soir, je dîne avec
vous et le fait que je fume vous dérange. Je décide alors de ne pas fumer. Mon choix de ne
pas fumer correspond-il au maximum sans contrainte de ma fonction d’utilité avec pour
arguments le plaisir que je prends à fumer et l’ennui que me cause votre désagrément, ou
bien au maximum de ma fonction d’utilité qui comprend seulement mon plaisir à fumer
mais dont la solution respecte la contrainte que je ne dois pas dégrader votre confort ?
La première manière de lever le paradoxe du libéralisme est de supposer que les
individus abandonnent consciemment certaines de leurs préférences afin d’éviter l’appari-
tion du paradoxe. Si les individus étaient résolument égoïstes et intrusifs, les principes du
libéralisme seraient en contradiction avec l’optimum parétien. Mais si les préférences de
nos deux individus A et B sont guidées par les principes du libéralisme, toute incohérence
avec le principe de Pareto (avec ou sans contrainte) n’a plus lieu d’être. La solution
suivante fait appel uniquement aux intérêts égoïstes des individus.

27.2.2 Des échanges d’actions parétiens


Dans notre exemple initial, il n’y a qu’un seul exemplaire de l’ouvrage et le choix collec-
tif consiste à déterminer qui des deux individus devra le lire. Cela rend quelque peu artifi-
cielle la présentation du choix qui s’offre aux deux individus, car ils ne peuvent lire
l’unique exemplaire en même temps. S’il y a un unique exemplaire de disponible, la déci-
sion qui consiste à désigner qui des deux lira l’ouvrage est par construction une décision
collective. Elle ne peut être une question d’ordre purement personnel pour les deux indivi-
dus à la fois (Buchanan, 1996 ; de Jasay et Kliemt, 1996).
Cette difficulté peut être contournée en supposant que deux exemplaires du livre
sont disponibles, et en redéfinissant l’axiome du libéralisme de façon à ce que chaque indi-
vidu ait un pouvoir de décision sur deux options (lire ou non L’amant de Lady Chaterley)
quel que soit l’état social considéré, c’est-à-dire qu’il n’est pas contraint par le choix de
l’autre individu 2. Les différentes décisions possibles peuvent désormais être représentées
par la matrice 27.1, à laquelle on ajoute la possibilité :
d. A et B lisent tous deux L’amant de Lady Chaterley.
Alors que la condition de Sen permet à A de choisir l’une ou l’autre ligne, à suppo-
ser que B soit condamné à la première colonne, la condition modifiée de libéralisme permet
à A de choisir n’importe quelle ligne, quelle que soit la colonne choisie par B, et donne à B
un droit identique sur le choix de la colonne.
Comme la nouvelle condition du libéralisme est plus générale que celle de Sen,
elle ne menace évidemment pas son théorème. Si on l’applique à A, on obtient :

(c, b) P (a, d)

2 Voir Bernholz (1974c) ; Seidl (1975), Breyer (1977) ; Craven (1982) ; Sugden (1985, 1993) ; Gaertner, Patta-
naik, et Suzumura (1992) ; Buchanan (1996) ; Fleurbaey et Gaertner (1996) ; Pattanaik (1996) ; et Suzumura
(1996).
740 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

et à partir de l’ordre de préférences de B, il vient :


(d, b) P (a, c).
L’intersection de ces deux ensembles de choix est b, inférieur à a au sens de Pareto. Souli-
gnons que l’optimum de Pareto a est le seul état social complètement éliminé par l’appli-
cation de ce principe modifié de libéralisme.

Matrice 27.1

B, le lascif
Ne lit pas LLD Lit LLD
A, le prude Lit LLD a d
Ne lit pas LLD c b

Bien que ce nouveau principe ne résolve pas le paradoxe du libéralisme, il suggère


tout de même un moyen d’y parvenir. La matrice 27.1 est une matrice du dilemme du
prisonnier et le résultat b, inférieur à l’optimum de Pareto, provient du fait que chaque indi-
vidu prend une décision indépendante pour exercer son propre droit libéral, sans tenir
compte des effets externes que sa décision représente pour l’autre individu (Fine, 1975 ;
Buchanan, 1996). Un moyen de sortir du dilemme, comme dans le cas des autres effets
externes, est d’invoquer un autre axiome du libéralisme : tous les individus sont libres de
procéder à des échanges mutuellement avantageux. Il suffit alors de permettre à A et B de
passer un contrat, dans lequel B s’engage à ne pas lire le livre si et seulement si A le lit
(Coase, 1962). Le pouvoir de passer ce type de contrat nécessite une redéfinition de
l’axiome du libéralisme, qui permette à un individu d’exercer les droits qui lui sont attri-
bués ou de les échanger, c’est-à-dire de renoncer à les exercer 3.
Sen (1986, pp. 225-8) s’oppose pour deux raisons à la possibilité de permettre aux
individus de céder leurs droits libéraux afin d’atteindre un optimum de Pareto. Première-
ment, même si A et B possèdent des valeurs libérales, il se peut qu’ils refusent de passer un
tel contrat même si cela paraît a priori mutuellement avantageux. L’intrusion inhérente à
un tel contrat constituerait une telle atteinte à la conception du libéralisme de A et B qu’ils
pourraient en venir à refuser ce contrat, même s’ils tiraient une plus grande utilité à sa réali-
sation 4. Dans ce cas, la solution privilégiée par Sen est l’unique manière de résoudre le
paradoxe, autrement dit les valeurs libérales doivent prévaloir sur les préférences purement
égoïstes. Considérer cette solution comme une violation ou bien une application cohérente
du principe de Pareto relève toujours d’un choix méthodologique : intégrer les valeurs libé-
rales de l’individu dans ses préférences ou bien les considérer comme une contrainte sur
ces préférences.
La seconde objection de Sen à la résolution du paradoxe par des négociations effi-
cientes qui respectent le principe de Pareto est que le contrat nécessaire est impossible ou
3 Voir Gibbard (1974) ; Kelly (1976) ; Buchanan (1996) ; Nath (1976) ; Breyer (1977) ; Barry (1986) ; Herel et
Nitzan (1987) ; Hardin (1988) ; de Jasay et Kliemt (1996) et Benrholz (1997a).
4 Voir aussi Suzumura (1991 et 1996) et Sen (1992 et 1996).
Le droit libéral et les choix sociaux 741

du moins difficile à appliquer. Il est fort probable que l’individu prude, A, feigne de lire
l’ouvrage en sautant les passages qui heurtent le plus sa sensibilité. Rien n’empêche non
plus l’individu luxurieux, B, de dévorer en toute discrétion les passages les plus juteux s’il
parvient à se procurer l’ouvrage sans que A le sache. En outre, l’application d’un tel contrat
par un tiers même impartial constituerait une violation au fondement des valeurs mêmes du
libéralisme. L’individu B devrait, par exemple, être surveillé en permanence pour que l’on
soit sûr qu’il ne lise pas l’exemplaire.
La seconde objection à la solution du paradoxe via la négociation est certainement
valide mais en l’acceptant, le paradoxe se délite puisqu’il devient alors possible d’atteindre
un optimum de Pareto. Lors de notre discussion relative aux externalités et aux biens
collectifs dans le chapitre 2, nous avons vu qu’une allocation Pareto-optimale des ressour-
ces est en principe toujours possible grâce à des accords à l’unanimité entre tous les partis
concernés. Il ne reste plus qu’à résoudre le problème des coûts de transaction. L’impossi-
bilité de parvenir à des allocations Pareto-optimales en présence de coûts de transaction ne
constitue pas un paradoxe en soi. C’est un simple fait, inhérent à la vie en société. Une allo-
cation des ressources ne peut être qualifiée de Pareto-optimale uniquement compte tenu des
coûts de transactions en présence (Dahlman, 1979).
Les coûts de définition et d’exécution d’un contrat pour aboutir au résultat a paré-
tien optimal peuvent empêcher sa réalisation même en l’absence de droits libéraux. Si la
moindre décision comme celle consistant à savoir qui lira quoi doit résulter d’un accord
collectif entre A et B et qu’aucun des deux ne peut agir sans avoir concerté l’autre, il appa-
raît des situations de type du dilemme du prisonnier. Cela va alors inciter A et B à faire
preuve d’opportunisme lors de l’accord qui doit mener au résultat a. Le problème de l’exé-
cution de tels contrats ne dépend donc pas de l’attribution de droits libéraux.

27.2.3 Les échanges parétiens des droits


La résolution du paradoxe du libéralisme que nous avons présentée dans la section précé-
dente attribue aux individus certains droits qu’ils choisissent d’exercer ou non en passant
des contrats. Ils peuvent ainsi choisir de céder leur droit lors d’un échange et d’ainsi aliéner
leur liberté d’entreprendre certaines actions. Harel et Nitzan (1987) ont proposé de résou-
dre le paradoxe en permettant aux individus de céder leurs droits dans le cadre d’un
échange.
Plus précisément, prenons à nouveau deux individus et A et B et quatre états possi-
bles de la nature :
x. A mange une pomme, B ne mange pas de pomme
y. A mange une orange, B ne mange pas d’orange
z. B mange une pomme, A ne mange pas de pomme
w. B mange une orange, A ne mange pas d’orange
A préfère manger une pomme plutôt qu’une orange et préfère voir B manger une orange
plutôt qu’une pomme. Les préférences de A sont donc :
Pour A : x P y P w P z
742 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

Et les préférences de B sont les suivantes :


Pour B : w P z P x P y.
Comme dans le théorème de Sen, une personne i a le droit libéral de décider entre les deux
états de la nature (u, v), si {u Pi v} → {u P v}et{v P u}. Chacun suppose que tous les états
de la nature, sur lesquels il ne peut agir en exerçant le droit qu’il s’est vu attribué initiale-
ment, peuvent se réaliser avec la même probabilité. Sous cette hypothèse, A accordera plus
de valeur à un droit sur la paire (x, z) que sur la paire (x, w) car A préfère w à z. Si A a le
droit de décider entre la paire (x − z), il a la certitude que l’état de la nature qu’il désire le
moins ne se produira pas. On peut ainsi considérer que chacun a des préférences bien défi-
nies concernant l’attribution des droits. Si l’on permet ensuite aux individus d’échanger ces
droits, ils ont alors la possibilité d’aboutir à de meilleurs résultats. Ils ne sont donc plus
condamnés au paradoxe du libéralisme.
Pour illustrer cela, supposons que l’on attribue initialement à A les droits de déci-
sion sur la paire (y, w) et à B ceux sur la paire (x, z). A peut alors décider qui de lui ou de
B devra manger la pomme. Et à B revient le droit de décider de celui qui mangera l’orange.
A préférant w à z, il préfère donc détenir le droit de décision sur la paire (y, z) plutôt que
sur (y, w). B préfère détenir le droit sur (x, w) plutôt que sur (x, z). A et B échangent w
contre z. Ce qui donne lieu a e nouvelles paires de droits : (y, z) pour A et (x, w) pour B.
Mais cette répartition des droits n’est toujours pas optimale. A et B échangent désormais y
et x, ce qui donne à chacun le droit de choisir entre leurs résultats préférés et ceux qu’ils
affectent le moins. La paire (x, z) revient donc à A et la paire (w, y) à B. A mangera une
orange et B une pomme. Harel et Nitzan ont étendu la définition du libéralisme pour rendre
possible ce type d’échanges et ont établi les conditions sous lesquelles on peut concilier
cette nouvelle acceptation du libéralisme avec le principe de Pareto, l’absence de restric-
tion du domaine et l’absence de cycles 5.
On remarquera toutefois que ce type d’échange des droits ne peut pas résoudre le
problème inhérent à l’exemple de Lady Chatterley de Sen. Supposons à nouveau que les
préférences de A et B soient comme suit :
Pour A : c P a P b P d
Pour B : d P a P b P c.

Attribuons à A le droit sur la paire (b, d) et à B le droit sur la paire (a, c), A, le pudibond,
peut choisir de lire l’ouvrage ou non à condition que B le lise alors que B aura le droit de
le lire ou non à condition que A ne lise pas l’ouvrage. A aimerait échanger ses droits sur b
contre soit ceux sur a soit ceux sur c, mais B préfère être titulaire des droits sur la paire
(a, c) plutôt que sur (a, b) ou (b, c). Aucune négociation n’est alors possible.
Nous observons également que A et B ne peuvent exercer tous les deux leurs droits
initiaux sur les paires des états de la nature, car seulement un des états est possible 6. A ne
peut pas choisir de ne pas lire le livre si B décide que tous les deux doivent le lire. Le choix
5 Voir néanmoins les critiques de Breyer (1990) et Seidl (1990).
6 Comme le montre notre exemple de la pomme et de l’orange, cette difficulté n’apparaît pas dans la formula-
tion de Harel et Nitzan des droits libéraux. Plusieurs états de la nature sont possibles. On peut ainsi envisager
des dotations de droits qui n’ont aucun sens.
Le droit libéral et les choix sociaux 743

d’un individu doit précéder celui de tous les autres. Autrement dit, un des acteurs doit être
désigné comme le dictateur social indépendamment du principe de Pareto 7. Cette diffi-
culté, qui émerge de l’exemple de Sen, tient à l’hypothèse que les individus ont des droits
sur le choix des états de la nature. Nous nous proposons d’examiner plus en détail cette
hypothèse.

27.3 DES DROITS SUR LES ÉTATS SOCIAUX OU DES DROITS


SUR DES ACTIONS
Sen lève le paradoxe en présentant la question comme un problème de choix social.
Comme dans le théorème d’Arrow qui aboutit à une impossibilité, toute la question est de
choisir un état de la nature capable de rendre compte de la position de chacun dans la
société. A porte une chemise bleue et lit LCL et B porte une chemise blanche et lit égale-
ment LCL. Dans ce contexte, il est tout à fait naturel de définir des droits en termes de
choix individuels sur les états de la nature.
Revenons à la formulation première de l’exemple de LCL utilisé par Sen. Soient
a, b et c les états de la nature suivants :
a. A lit LCL et B non.
b. B lit LCL et A non.
c. Aucun des deux ne lit l’œuvre.
A détient un pouvoir décisif sur la paire (a, c) et B sur la paire (b, c). Cela signifie que si
B ne lit pas LCL, A aura le choix de lire ou non l’ouvrage et si A ne le lit pas, B pourra
décider de le lire ou non.
Lorsque des droits portent sur des états sociaux, ils sont toujours conditionnels.
Étant donné que l’état social b décrit toutes les caractéristiques de l’environnement et
toutes les actions des individus se trouvant dans la situation b, l’attribution à un individu
du droit de choisir la situation b ou c implique nécessairement que tous les autres fassent
ce qui est prévu dans la définition des situations b et c. Si B parvient à rentrer en posses-
sion de l’unique exemplaire et le lit, A ne pourra plus exercer son droit sur l’ouvrage, qui
implique que B soit privé de cette lecture. La nature conditionnelle des droits et la possibi-
lité que les deux individus A et B choisissent l’option c sont deux choses qui posent
problème à Buchanan (1996) et de Jasay et Kliemt (1996). Si le droit de A implique que B
ne lise pas l’ouvrage, peut-on réellement dire que B est libre de choisir de le lire ou non ?
Gaertner, Pattanaik et Suzumura (1992) remarquent que cette formulation du libé-
ralisme ou des droits libéraux se heurte à l’idée la plus intuitive d’un droit, qui voudrait que
A soit libre de lire LCL indépendamment de ce que B peut faire. Les droits représentent des
libertés inconditionnelles. La meilleure manière de rendre compte de la conception la plus
7 Breyer (1996) reproche à Buchanan (1996) et de Jasay et Kliemt (1996) de concevoir les droits libéraux définis
par Sen comme permettant aux individus de faire des choix pour la société. Au lieu de cela, Breyer prétend
qu’ils devraient être interprétés comme un repère pour le planificateur social, responsable de choisir l’état
social optimal. Cette alternative ne lève cependant pas la difficulté car l’attribution de droits à A et B oblige le
planificateur social à privilégier un ou deux individus par rapport à tous les autres.
744 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

intuitive d’un droit est d’adopter une approche en termes de théorie des jeux et de définir les
droits comme des choix sur des actions acceptables. Envisageons un jeu à deux personnes,
avec les choix du joueur A représentés en ligne et celles du joueur B en colonne. Dans la
forme standard du jeu, une matrice représente les n actions possibles a Ai de A et une autre
les m possibilités a Bi de B. Si la société n’est composée que de ces deux individus, la
manière la plus évidente de concevoir les droits sera alors de supposer que A possède le droit
d’entreprendre ou non les actions a Ai de son choix et que B possède les mêmes droits sur les
actions a B j . S’ils choisissent tous deux d’exercer leurs droits en entreprenant les actions a Ai
et a B j , il en résultera l’état social défini par la paire d’actions (a Ai , a B j ). Ni A ni B n’a choisi
cet état social. Aucun d’eux n’a le pouvoir de le faire. Ils ont en revanche chacun le pouvoir
de choisir une composante de l’état social final qui est d’entreprendre ou non une action
particulière. Comme nous l’avons montré à l’aide d’une matrice du dilemme du prisonnier
dans la section précédente, lorsque l’on applique la théorie des jeux au libéralisme, il est
possible de concevoir des situations dans lesquelles le résultat social, qui résulte de la
confrontation des choix stratégiques de chaque joueur, n’est pas optimal au sens de Pareto 8.
Quelle est finalement la meilleure manière de conceptualiser les droits ? La
réponse à cette question dépend d’une part du caractère conditionnel des états sociaux rela-
tifs à la définition des droits et d’autre part du sens que nous donnons intuitivement au mot
« droit ». Dans de nombreux cas, notre intuition nous guiderait vers une liberté d’action
inconditionnelle, comme celle de lire les livres de notre choix ou de choisir la couleur de
notre chemise. Mais il existe d’autres cas pour lesquels un droit conditionnel semble plus
approprié. Par exemple, X a le droit d’embrasser Y si Y veut être embrassé par X 9.
Sen (1996) reconnaît que lorsque l’on assimile le libéralisme à l’attribution de
droits de décision sur des actions plutôt que sur des états sociaux, cela nous permet de
rendre compte de l’idée que l’on se fait d’un « droit ». Mais en même temps, cela nous
pousse à soutenir que la nécessité de définir et d’assurer des droits provient aussi du fait
que nos actions ne sont pas sans conséquences. Ces actions dépendent elles-mêmes des
caractéristiques des états sociaux qui résultent à leur tour du choix individuel de nos
actions. Sen donne l’exemple suivant :

« Lorsque John Stuart Mill (1859) aborde la question de la liberté d’individus de


différentes obédiences religieuses de manger du porc, tout en garantissant aux
non-musulmans celle d’en manger (Mill, 1859, pp. 152-5), un problème peut
provenir du fait qu’une personne ignore la composition d’un mets particulier. Pour
être sûr que les droits des musulmans et des non-musulmans soient respectés, il ne
suffit pas de garantir à chacun une liberté d’action. Dans ce cas précis, l’impli-
cation des droits est tout aussi importante pour l’accomplissement de la liberté… »
(Sen, 1996, p. 158)

Dans cet exemple, Sen insiste sur le fait que la possibilité pour un musulman
d’exercer son droit à ne pas manger de porc dépend en grande partie de l’information dont
il dispose concernant la composition des mets qu’il est susceptible de manger.
8 On pourra également voir Nozick (1974, pp. 165-6) à ce sujet.
9 On pourra se référer à Sen (1992) qui prend pour exemple le droit de chanter avec un groupe ou de se décou-
vrir la tête en public.
Le droit libéral et les choix sociaux 745

27.4 DROITS LIBÉRAUX ET OBLIGATIONS


La protection des droits individuels implique nécessairement des obligations pour le reste de
la société. Par exemple, mon droit de lire un livre en particulier implique que personne ne
tente de me le prendre ou de troubler mon attention, et le plus important dans un cadre cons-
titutionnel est que personne ne vote de lois interdisant la publication ou la lecture de ce livre.
Dans certains de ses exemples, Sen semble aller plus loin que cette notion d’obli-
gation passive consistant à ne pas empêcher une action de se produire lorsqu’elle est proté-
gée par un droit. Il parle également d’obligation sociale active. Dans l’exemple de la
religion, Sen sous-entend que la société a l’obligation d’informer les musulmans sur le
contenu de la nourriture pour que l’action de manger ait bien les conséquences escomptées.
Cette interprétation plus active des droits mène directement à ce que beaucoup appellent les
« droits économiques », qui donnent aux individus non seulement la liberté d’entreprendre
certaines actions mais également les ressources pour le faire. Pour en revenir à l’exemple
de la lecture, on peut dire que la liberté de lire ce que l’on veut n’a de sens que si chacun
a les moyens de se procurer des livres. Ainsi, la société a l’obligation d’associer les droits
relatifs à la liberté d’expression à la mise en place de bibliothèques publiques afin de
permettre aux plus démunis d’avoir accès à la lecture. La liberté de lire ce que l’on veut est
également dépourvue de sens pour celui qui est non voyant et de milieu modeste. La société
aura alors l’obligation d’associer la liberté d’expression à des subventions à la publication
d’ouvrages en braille ou éventuellement à l’embauche de personnes pour lire à voix haute
des livres pour les non-voyants. Dans notre exemple sur la religion, cela implique que la
société construise des mosquées s’il n’en existe pas pour que les musulmans puissent prati-
quer leur religion. Dans ce genre de situations, le but recherché dans la définition d’un droit
est étroitement lié à des éléments particuliers d’un état social, qui impliquent parfois certai-
nes obligations actives pour la société.
Alors que tout le monde s’accorde à dire que le droit de manger ce que l’on veut
n’a aucune valeur pour celui qui n’a pas les moyens de se nourrir, l’idée que tous les droits
relatifs au choix d’une action impliqueraient certaines obligations actives pour la société ne
fait pas l’unanimité. Nous reconnaissons tous que X est libre de voyager sur la lune, en
revanche nous ne sommes pas prêts à payer pour mettre une fusée à sa disposition.
Comment la société peut-elle déterminer les droits qui requièrent un engagement actif de
la société et ceux qui demandent uniquement son absence d’intervention ? Une manière
évidente de procéder est de déterminer les bénéfices pour l’individu disposant d’un droit
spécifique et les coûts qu’il fait peser sur le reste de la société. Cela nous ramène à une
analyse des droits constitutionnels en termes de bien-être, que nous avons effectuée dans le
chapitre 26. Nous achevons ce chapitre par l’application de cette analyse à la question des
droits libéraux.

27.5 DROIT CONSTITUTIONNEL ET DROIT LIBÉRAL


La littérature sur le paradoxe du libéralisme pose comme exogènes la dotation des droits
ainsi que les préférences des individus. L’application des droits initialement attribués aux
746 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

individus est considérée comme allant de soi et compte tenu des hypothèses faites sur les
préférences, il s’ensuit nécessairement un paradoxe. Mais d’où proviennent ces droits ?
S’ils sont inscrits dans la constitution, il nous faut alors expliquer comment les individus
ont pu parvenir à un accord concernant la définition de ces droits.
Pour mesurer ce problème, reprenons l’exemple de la pomme et de l’orange mais
supposons cette fois que les deux individus ont des préférences identiques, par exemple
qu’ils préfèrent tous deux les oranges aux pommes. Dans ce cas, aucun échange de droit
n’est possible. Celui qui se voit attribuer le droit de décider qui mangera l’orange choisira
inévitablement de la manger. De plus, aucun accord unanime sur l’attribution des droits ne
sera possible au niveau constitutionnel sans invoquer une certaine forme de voile d’igno-
rance qui dissimulerait l’identité des futurs titulaires des droits 10.
Après avoir compris que, dans un cadre constitutionnel, la dotation des droits était
elle-même soumise à un choix social, la question (posée par l’exemple de LCL) est de
savoir si des individus dotés de préférences intrusives, comme le pudibond A et le luxurieux
B, définiront toujours des droits de lire les livres qu’ils veulent, comme des œuvres telles
que Lady Chatterley, ou bien si, au contraire, une société peut être suffisamment libérale
pour garantir constitutionnellement à chacun le droit de lire le livre de son choix, tout en
sachant que cette société est constituée d’individus aux préférences intrusives, à l’origine
du paradoxe du libéralisme ? Cela revient plus simplement à se demander si des individus
rationnels et égoïstes chargés de l’élaboration de la constitution peuvent définir des droits
qui mènent à des résultats non efficients au sens de Pareto ?
La théorie des droits constitutionnels présentée lors du chapitre 26 nous permet
d’expliquer pourquoi des individus rationnels cherchant à maximiser leur utilité espérée au
niveau constitutionnel sont amenés à garantir une protection explicite de certains droits. La
protection explicite s’applique à toute action individuelle dont on pense qu’elle peut
augmenter de manière significative l’utilité d’un individu tout en produisant une externa-
lité négative assez importante pour que certains individus soient incités à engager une
action collective pour empêcher cette action. La protection explicite des droits empêche
toute majorité potentielle d’interdire l’action en question. Dans de nombreux pays, d’im-
portants efforts ont été engagés afin d’interdire la publication et même la lecture de certains
ouvrages. Si, derrière le voile d’ignorance, on estime que le gain d’utilité retirée de la
liberté de lecture et de publication est bien supérieur à la perte d’utilité que ces activités
feraient peser sur un parti tiers, une clause relative à la liberté d’expression pourra être
inscrite dans la constitution afin de protéger ce type d’actions.
Alors que certains exemples de la littérature sur le paradoxe du libéralisme,
comme celui de LCL, prennent comme référence des actions typiquement protégées par la
constitution, d’autres comme le choix du carrelage de notre salle de bain, de la couleur de
notre chemise, de la position dans laquelle nous dormons, portent sur des actions qui ne
sont jamais explicitement protégées constitutionnellement. D’après la théorie des droits
constitutionnels, ces actions ne sont pas explicitement protégées car il y a fort peu de
chances qu’elles génèrent un niveau d’externalités négatives suffisant pour que des efforts
soient entrepris pour les interdire. Si l’on ne prévoit pas qu’une majorité future pourra

10 Breyer (1990) insiste sur la difficulté de parvenir à un accord sur la dotation initiale des droits.
Le droit libéral et les choix sociaux 747

apparaître pour interdire aux gens de porter des chemises bleues, alors cette action ne sera
pas explicitement protégée par la constitution.
Si l’on fait les hypothèses que les individus agissent à la lumière de leur intérêt
personnel quand ils rédigent une constitution et que les individus qui exerceront les droits
libéraux s’accordent sur ceux-ci dans l’élaboration de la constitution, il n’y aura alors
aucune contradiction entre les droits libéraux et l’application ex ante du principe de Pareto.
Un contrat constitutionnel passé à l’unanimité par tous les citoyens sera Pareto-optimal.
Cependant, l’hypothèse des domaines de préférences non restreints implique que des situa-
tions telles que celles de l’exemple de LCL pourront éventuellement se produire. Lorsque
cela arrive, l’exercice de notre droit à lire les livres de notre choix s’oppose inévitablement
au principe de Pareto. Si pour une raison ou pour une autre, l’inefficacité parétienne ne peut
être résolue au moyen de contrats coasiens, celle-ci sera amenée à perdurer. Ce résultat ne
peut que conforter ceux qui pensent que les valeurs libérales devraient prévaloir sur les
préoccupations en termes de bien-être. Ceux qui accordent la priorité au bien-être peuvent
toujours se consoler avec l’idée que ces situations Pareto-sous-optimales peuvent être rares
si ceux qui élaborent la constitution identifient correctement les actions qui devraient être
protégées par une définition explicite des droits.
Dans ce cas, il n’apparaît aucune contradiction majeure entre l’existence de droits
à entreprendre certaines actions et l’hypothèse que les individus entreprennent des actions
collectives dans le but de maximiser leur utilité. Sous cet angle, une incompatibilité entre
l’exercice des droits libéraux et le principe de Pareto surviendra uniquement dans des cas
exceptionnels. Cette manière de concevoir les droits présente l’avantage de pouvoir les
intégrer aux modèles rationnels de l’action collective sans avoir à en changer les fonde-
ments. De plus, nous disposons à la fois d’une théorie normative des droits fondés sur leur
nature contractuelle et d’une théorie positive dans la mesure où les individus égoïstes parti-
cipent au processus de définition des droits.
Dans le débat sur les droits libéraux, Amartya Sen parmi d’autres préfère conce-
voir les droits comme des principes qui ne peuvent résulter d’un calcul de maximisation
d’utilité. Cette interprétation ne permet pas de concilier les droits et le principe de Pareto.
Et lorsqu’une contradiction survient, Sen privilégie l’exercice du droit au détriment du
principe de Pareto. Bien que cette approche présente certains avantages dans la mesure où
elle propose des préconisations relativement claires quant aux choix sociaux à faire lorsque
les droits sont clairement définis, elle reste muette sur l’origine de ces droits. Le choix de
la couleur de ma chemise est-il un droit qui doit être protégé ? Ce droit a-t-il la même
importance que le droit de lire le livre de notre choix ou de pouvoir pratiquer la religion de
notre choix ? D’où proviennent ces droits ? Face à ces différentes interrogations, la littéra-
ture sur les droits libéraux n’apporte aucune réponse. L’approche de l’économie politique
constitutionnelle développée dans le chapitre 26 fournit une explication ainsi qu’une carac-
térisation de ces droits. Cette théorie ne place cependant pas les droits au-dessus du prin-
cipe de Pareto. Elle en fait plutôt une conséquence de l’application de ce principe à un
niveau antérieur du processus de décision collective.
748 ANALYSE NORMATIVE DES CHOIX PUBLICS

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Les six pages initiales de la note de Sen qui posent le paradoxe ont donné lieu à une littérature abon-
dante. Sen (1976) passe en revue les résultats de cette littérature jusqu’en 1976. Wriglesworth
(1985) propose également une revue des travaux sur ce sujet. Pattanaik (1997) présente la littéra-
ture portant sur le théorème d’Arrow. Le numéro de septembre 1996 d’Analyse & Kritik est entiè-
rement consacré à ce sujet.
Riley (1985) envisage avec optimisme la possibilité d’intégrer des valeurs libérales à un ensemble
d’institutions démocratiques.
PARTIE
6

QU’AVONS NOUS APPRIS ?

Chapitre 28. Le courant du Public Choice a-t-il fait avancer


l’étude de la politique ? 751
28
LE COURANT DU PUBLIC CHOICE
A-T-IL FAIT AVANCER L’ÉTUDE
DE LA POLITIQUE ?

28.1 Les échecs du modèle du choix rationnel en sciences politiques 753


28.2 La modélisation de l’approche du choix rationnel 754
28.3 Les prévisions de la théories des cycles 757
28.4 Les prévisions des modèles spatiaux 759
28.5 Les prévisions concernant le vote et le comportement
de passager clandestin 762
28.6 La contribution du public choice à l’étude positive
des institutions politiques 764
28.7 La contribution du public choice à l’étude normative
de la politique 766
28.8 Conclusions 767
752 QU’AVONS NOUS APPRIS ?

Ce chapitre 28 conclut ce livre par une réflexion sur les divers débats et controverses susci-
tés par l’économie de la politique et, plus généralement des décisions publiques. Il fait écho
à l’introduction écrite par les économistes qui ont adapté et traduit la version originale de
D.C. Mueller. Il expose, en effet, un peu à l’image de ce qui a été fait en introduction dans
le cadre francophone, la réponse d’un tenant de l’empirisme logique et de la rationalité
substantive aux critiques que les politistes et notamment Green et Shapiro (1995) ont
adressé au Public Choice dans la Revue Française de Sciences Politiques et dans un livre
publié en 1994 en anglais, Pathologies of rational choice theories 1.
Depuis les travaux de Black (1948a,b), Buchanan (1949) et Arrow (1951), il y a
maintenant plus d’un demi-siècle, l’école des Choix Publics, par l’intermédiaire de sa
revue, mais aussi de la diffusion de ses théories dans les sciences économiques, a permis
de mieux comprendre la manière dont les décisions politiques étaient prises. La simple
comparaison de la taille des ouvrages Public Choice (1979), Public Choice II (1989) et
Public Choice III (2003) permet déjà de mesurer ces progrès. Et pourtant, cet ouvrage,
malgré sa taille, se révèle bien moins complet que pouvait l’être celui de 1979.
Le Public Choice n’a pas seulement fait progresser la connaissance. Il est aussi
devenu très populaire chez les économistes. Le développement de cette littérature reflète
l’augmentation du nombre de chercheurs travaillant dans ce champ. Cette croissance a été
reconnue par l’obtention de trois « prix Nobel » (Kenneth Arrow, James Buchanan et
Amartya Sen), mais aussi par un développement particulièrement important dans la disci-
pline des sciences politiques. Ces évolutions devraient pouvoir nous permettre de dire que
désormais le Public Choice et la rationalité économique des acteurs politiques sont accep-
tés par l’ensemble des sciences sociales et les sciences politiques en particulier.
On ne peut cependant pas conclure de la sorte, car comme l’a rappelé l’introduc-
tion de ce livre, tout le monde ne partage pas cet avis. Les apports du Public Choice à la
science politique et plus généralement à la science économique restent très controversés.
Depuis sa naissance, le Public Choice ou l’approche économique de la politique a ses
détracteurs, comme par exemple Stokes (1963) et Barry (1965, 1970). Les critiques de sa
contribution à l’explication des décisions politiques restent très fortes dans le monde fran-
cophone (voir introduction) et sont même devenues très virulentes ces dernières années
dans le monde entier.
C’est pourquoi, avant de clore ce livre, il convient de répondre à quelques-unes de
ces critiques. Que le lecteur se rassure, nous n’allons pas aborder toutes les critiques qui
ont été formulées à l’égard de l’approche du Public Choice, car cela nécessiterait un livre
aussi long que celui-ci. Nous nous concentrerons plutôt sur les critiques de deux politistes,
Green et Shapiro (1994), car elles constituent une attaque frontale à l’égard de l’approche
du Public Choice et englobent beaucoup de critiques formulées par d’autres détracteurs 2.
Précisons que ce chapitre ne présente pas un grand intérêt pour le lecteur persuadé que le
Public Choice a enrichi l’étude des phénomènes politiques, et non intéressé par les débats
méthodologiques.

1 Pour un bref état des lieux des débats, on pourra consulter Mayar (1997) en français.
2 Nous ferons désormais référence à ces deux auteurs avec l’abréviation G&S. Dans ce chapitre, lorsque nous
mentionnons simplement des pages sans référence, il s’agira toujours de l’ouvrage de Green et Shapiro.
Le courant du Public Choice a-t-il fait avancer l’étude de la politique ? 753

28.1 LES ÉCHECS DU MODÈLE DU CHOIX RATIONNEL


EN SCIENCES POLITIQUES
Green & Shapiro estiment, globalement, que :

« … l’engouement démesuré avec lequel le modèle du choix rationnel a été


accueilli dans les sciences politiques apparaît prématuré dès lors que l’on se pose
la question suivante : Quel est l’apport de cette littérature à notre compréhension
de la politique ? … En effet, une grande partie des conjectures des théoriciens du
modèle du choix rationnel n’a pas été vérifiée empiriquement. Quant aux tests qui
ont été menés, ils n’ont fourni aucun soutien empirique au modèle du choix ration-
nel. Ils ont tout au plus confirmé des propositions qui, à la réflexion, n’ont abso-
lument rien de novateur : ils ne font que reformuler des connaissances existantes
dans les termes du choix rationnel » (p. 6).

Pour soutenir cela, Green et Shapiro (G&S) se sont concentrés sur les trois ouvra-
ges majeurs de l’école du Public Choice : Social Choice anf Individual Values d’Arrow 3,
An Economic Theory of Democracy de Downs 4 et The Logic of Collective Action d’Olson 5.
Une chose est certaine. Si ces trois œuvres n’ont pas enrichi notre compréhension du
processus politique, il y a peu de chance pour que des œuvres moindres l’aient fait, ce qui
remet en cause l’argumentaire de G&S. L’apport de ces œuvres et de toute la littérature
qu’elles ont engendrée est-il réellement nul ou minime ?
G&S examinent l’étendue du soutien empirique que peuvent recevoir quatre
prédictions, qui selon eux, émergent des trois ouvrages ci-dessus : (1) l’apparition de cycles
est très répandue dans la législature (Arrow), (2) un citoyen rationnel vote uniquement
lorsque l’utilité matérielle qu’il espère retirer du résultat des élections est supérieur aux
coûts du vote (Downs), (3) dans les systèmes politiques bipartites, la compétition politique
conduit à l’uniformisation des programmes (Downs), (4) en l’absence d’incitation indivi-
duelle à rejoindre un groupe qui fournit un bien collectif, l’individu rationnel adopte un
comportement de passager clandestin (Olson).
G&S avancent que la littérature du Public Choice n’est parvenue à confirmer
empiriquement aucune de ses prévisions et « a pourtant été accueillie comme un projet
scientifique rigoureux ». Selon G&S, cela tient au fait que les tests des implications du
modèle du choix rationnel souffrent d’importantes « pathologies méthodologiques »
(p. 33), qui sont tout d’abord, (1) le caractère ad hoc des théories (pp. 34-8). Face à une
incohérence des prévisions de leur modèle, les défenseurs du choix rationnel introduisent
des hypothèses ad hoc pour sauver leur théorie et éviter qu’elle ne soit invalidée par les
données. G&S font allusion à l’introduction d’une « préférence pour le devoir civique »
dans le modèle de l’électeur rationnel de Downs afin de revenir sur la prévision quelque

3 Arrow K.J. (1951, 1963), Social choice and individual values, Cowles Foundation 1st. ed. 1951, 2nd 1963,
traduction française, Choix collectif et préférences individuelles, Paris, Calmann-Lévy.
4 Downs A. (1957), An Economic Theory of Democracy, New York : Harper.
5 Olson M. (1965, 1987), Logique de l’action collective, coll. Sociologie, Paris, PUF (traduit de l’américain par
Mario Levi).
754 QU’AVONS NOUS APPRIS ?

peu dérangeante que personne n’ira voter (p. 50 sv.). (2) La formulation de théories ne
pouvant être vérifiées empiriquement : « Celui qui cherche à tirer des propositions testa-
bles des modèles du choix rationnel, s’aperçoit très souvent… que ces théories sont
conçues de manière à se prémunir de toutes preuves n’allant pas dans leur sens » (p. 38).
(3) La présence de biais de sélection et/ou de confirmation. On reproche aux défenseurs du
choix rationnel de ne prendre en compte que les éléments qui confirment leurs théories
(pp. 42-3), de concevoir des preuves à partir de leurs théories (pp. 43-4), et de se restrein-
dre de manière arbitraire à des domaines où leurs théories peuvent s’appliquer (pp. 44-6).
Ce type de restriction consiste, par exemple, à avancer que le comportement de passager
clandestin dans la fourniture volontaire de biens publics ne peut être réfutée par l’existence
d’individus participant à des manifestations de masse, car ce comportement est « irration-
nel » et ne rentre donc pas dans le champ théorique des sciences du choix rationnel (p. 88).
Avant de discuter des critiques de G&S, il serait sans doute judicieux d’essayer de
comprendre en quoi consiste exactement la méthodologie de l’approche du choix rationnel.
Quelles sont ses capacités et ses limites ?

28.2 LA MODÉLISATION DE L’APPROCHE DU CHOIX RATIONNEL


L’hypothèse fondamentale de l’approche du choix rationnel est que les individus sont
rationnels. Dans la majorité des applications, cela se traduit par l’hypothèse que les indivi-
dus sont des maximisateurs. Mais pour être maximisateur, encore faut-il avoir quelque
chose à maximiser. Ainsi, avant de modéliser le comportement humain, les praticiens du
choix rationnel ont à décider de ce que maximise l’individu dont ils cherchent à modéliser
le comportement. Ils doivent lui attribuer une fonction objectif.
La première chose à savoir à propos de la fonction objectif est que, pour être testée,
elle ne doit pas provenir de la théorie elle-même. La plupart du temps, les analystes du
choix rationnel choisissent les arguments à mettre dans cette fonction à partir de leurs
propres préoccupations ou de la fonction objectif elle-même, ce qui est devenu la norme
dans la littérature (les firmes maximisent leur profit, les travailleurs maximisent leur utilité
qui est fonction de leur revenu et de leur loisir). Mais certains se tourneront également du
côté de la sociologie et de la psychologie afin de faire des hypothèses plus réalistes sur les
groupes particuliers d’individus qu’ils étudient. Alors que certains économistes étudieront
l’Église catholique en postulant qu’elle maximise ses profits et le comportement des prêtres
en supposant qu’ils se soucient uniquement de leurs revenus et de leurs loisirs, d’autres
spécialistes plus audacieux et ambitieux essaieront de déterminer, à partir d’autres sources,
des hypothèses plus justes sur les objectifs de ces acteurs. L’approche du choix rationnel
n’interdit pas l’utilisation de connaissances provenant d’autres disciplines qui pourraient
nous aider à éclaircir les objectifs des individus.
La seconde étape de la construction d’un modèle du choix rationnel consiste à
définir les contraintes, lorsqu’il y en a, sous lesquelles l’acteur doit opérer. On retrouve à
nouveau des hypothèses standards concernant le choix des contraintes dans la modélisation
économique (le consommateur a une contrainte budgétaire). Mais en appliquant cette
Le courant du Public Choice a-t-il fait avancer l’étude de la politique ? 755

approche à de nouveaux domaines, il est impératif de concevoir des hypothèses plus adap-
tées. Ici aussi, faire appel à d’autres branches des sciences sociales peut s’avérer bénéfique.
Une fois que nous avons précisé les arguments de la fonction d’objectif et les
contraintes pertinentes, on peut maximiser cette fonction. On obtient, ainsi, une équation
(condition de premier ordre à partir du problème de maximisation) qui va nous permettre
de faire des prévisions. Dans certains cas, la condition de second ordre peut nous permet-
tre de faire des prévisions supplémentaires. Enfin, on dispose d’une capacité d’analyse
encore plus importante si l’on peut supposer que le comportement agrégé de tous les indi-
vidus à l’intérieur du système aboutit à une situation d’équilibre. Cela nous donne deux
équations au lieu d’une et renforce la possibilité de tirer des propositions testables. L’inté-
rêt de savoir si la compétition politique produira ou non un équilibre s’explique donc par
la supériorité analytique des modèles avec équilibre.
Grâce à ces deux équations, l’une définissant la fonction d’objectif et l’autre la
contrainte, on pourra dans l’idéal établir des prévisions à partir du modèle et les tester avec
des données adéquates. Cependant, dans bien des cas, une fonction objectif assez simple,
définie pour l’acteur et les autres éléments du modèle, mène à des prévisions trop généra-
les. Par exemple, l’hypothèse habituelle que les économistes font sur la fonction d’utilité
du consommateur mène à la prédiction que le programme de demande du consommateur a
une pente négative. Le consommateur achètera plus d’un bien lorsque son prix baisse. Cela
fait par exemple partie des prévisions « banales » du modèle de choix rationnel qui « ne
fait que reprendre à son compte des connaissances déjà existantes ». De plus, toute esti-
mation d’élasticité de la demande pour un bien comprise entre –0,001 et –1000 peut être
interprétée comme « cohérente par rapport aux prédictions de la théorie » et donc peut
corroborer les modèles du choix rationnel en général. Cette flexibilité des tests empiriques
est un élément qui dérange G&S. Cependant, pour obtenir des prévisions plus précises, les
modèles doivent être plus raffinés. La façon dont on choisit de modifier le modèle afin
d’obtenir des prévisions plus précises dépendra des questions que l’on veut traiter.
Considérons l’exemple suivant : supposons qu’un économiste de l’Université de
Strasbourg décide d’estimer le programme de demande de porc dans la ville de Strasbourg
et la partie du budget alimentaire des consommateurs destinée à l’achat de porc. Il réunira
alors des données sur le revenu des consommateurs, les prix et les quantités auxquelles le
porc se vend, le prix des produits substituables comme le bœuf, etc. et estime les paramèt-
res de son modèle. La justesse de ses données est telle qu’il est extrêmement confiant dans
la robustesse de ses estimations. Il monte, alors, une entreprise de conseil et utilise son
modèle de prévision des ventes de porc dans d’autres villes et d’autres pays. Il rencontre
un franc succès dans certains endroits, en revanche, le modèle ne parvient pas à prévoir les
ventes de porc en Israël et en Égypte. Un de ses amis, sociologue, lui suggère que c’est sans
doute parce que le judaïsme et l’islam interdisent de manger du porc.
Que faire ? Une première possibilité consisterait à ne pas utiliser le modèle dans
les pays à fortes populations juives ou musulmanes sous prétexte qu’un individu dont les
croyances religieuses affectent les habitudes alimentaires ne serait pas rationnel, or le
modèle de demande de l’économiste suppose que les individus ont un comportement
rationnel. Cela pourrait être un exemple de restriction que dénoncent G&S. Une réponse
plus pragmatique conduirait l’économiste à introduire des variables, comme le pourcentage
756 QU’AVONS NOUS APPRIS ?

de juifs et de musulmans dans la population totale, pour rendre compte des différentes
« préférences pour le porc » des consommateurs. G&S ne seraient, pourtant, toujours pas
satisfaits par cet amendement au modèle du choix rationnel visant à augmenter son pouvoir
explicatif. Ils le rejetteraient, qualifiant ces modifications d’hypothèses ad hoc auxquelles
les partisans du choix rationnel ont recours quand leurs modèles ne fonctionnent pas empi-
riquement. Selon eux, lorsque l’on a conçu un modèle de choix rationnel simplifié pour
expliquer un phénomène (les programmes de demandes ont des pentes négatives), on ne
peut plus les améliorer pour étendre leur pouvoir explicatif à des domaines spécifiques. Si
les seules variables pertinentes du modèle sont le revenu et les prix, alors celles-ci doivent
pouvoir expliquer la demande de la même manière pour tous les groupes d’individus et
pour tous les biens 6.
De nombreux économistes seraient d’accord avec G&S. Parmi les plus extrêmes,
Stigler et Becker (1977), cités par G&S, considèrent comme non scientifique toute tenta-
tive de changer les préférences pour remédier à des anomalies empiriques. Beaucoup
d’économistes considèrent également toute hypothèse sur les motivations du dirigeant,
autres que la maximisation du profit, comme ad hoc. Mais certaines décisions managéria-
les, comme le paiement de primes d’émission élevées pour acquérir des firmes dans des
industries éloignées de leur cœur de métier, peuvent difficilement être expliquées comme
une tentative du dirigeant pour maximiser son profit. Les activités d’investissement et de
fusion-acquisition des grands groupes s’expliquent plus facilement en supposant que les
managers maximisent une fonction objectif qui inclut la croissance de la firme. Certains
économistes ont choisi de prendre ce type de fonction objectif pour modéliser les activités
d’investissement et d’acquisition des grands groupes. Ces modèles font tout autant partie
de la littérature des choix rationnels que ceux qui supposent la maximisation des profits.
Dans la méthodologie du choix rationnel, rien ne nous oblige à conjecturer qu’il n’y ait
qu’un seul argument dans la fonction objectif, ni à reprendre impérativement les arguments
des modèles de nos prédécesseurs.
C’est ce point que nous devons garder à l’esprit lorsque nous voulons appliquer le
modèle du choix rationnel à la politique. Par exemple, que doit on mettre dans la fonction
objectif d’un bureaucrate ? Pour répondre à cette question, nous pouvons nous demander
quel objectif poursuivrions-nous si nous étions bureaucrates. Nous pourrions consulter des
ouvrages de sociologie et de psychologie qui traitent de ce sujet. Nous pouvons, par
exemple, nous référer à Franz Kafka ou à d’autres romanciers qui ont écrit sur le thème de
la bureaucratie, etc. Niskanen (1971), qui a travaillé dans le Département de la Défense des
États-Unis, arriva à la conclusion que les bureaucrates maximisent la taille de leur budget
et développa une théorie de la bureaucratie fondée sur cette hypothèse. Cette hypothèse
comportementale est très proche de celle utilisée ci-dessus pour expliquer certaines activi-
tés des grands groupes. Mais elle ne peut rendre compte du comportement de tous les
bureaucrates dans toutes les situations. Peut-être que si Niskanen avait travaillé dans une
autre administration avec d’autres contraintes et d’autres incitations, il aurait conclu que les
bureaucrates maximisent leur loisir ou la probabilité de conserver leur poste.
Niskanen a été le premier dans le courant du Public Choice à proposer un modèle
de la bureaucratie et une grande partie de ceux qui l’ont suivi ont repris l’hypothèse que les
6 Voir la discussion de Chong (1996) et Diermeier (1996).
Le courant du Public Choice a-t-il fait avancer l’étude de la politique ? 757

bureaucrates maximisent leur budget. Certains d’entre eux affirment avoir trouvé un
soutien empirique à cette hypothèse. Nous proposons d’examiner certaines de ces études.
Cependant, il serait faux de penser que, parce que Niskanen a été le premier à modéliser le
comportement bureaucratique et à supposer que les bureaucrates maximisent leur budget,
l’application de la méthodologie du choix rationnel requiert l’hypothèse que tous les
bureaucrates maximisent leur budget et uniquement leur budget. Nous aurions également
tort de penser que la moindre preuve qui ne corrobore pas les prévisions du modèle de la
bureaucratie invaliderait à la fois ses hypothèses et l’approche du choix rationnel appliquée
à l’étude de la bureaucratie.
Une bonne théorie positive est une théorie qui à partir d’un ensemble relativement
restreint d’hypothèses propose des prédictions fortes et testables. L’essai d’Arrow n’a pas
pour vocation de contribuer aux théories positives. Lui opposer des études empiriques est
quelque part trompeur ; ce que nous allons expliquer avec le test qui suit. Les travaux de
Downs et d’Olson sont des théories positives et remplissent les critères d’une bonne théorie
positive, en ce sens qu’ils formulent des prévisions fortes à partir de maigres hypothèses :
personne ne vote, deux candidats adoptent des programmes politiques identiques, personne
ne contribue à la fourniture de biens collectifs 7. G&S semblent rejeter ces deux théories
ainsi que l’application du modèle du choix rationnel à la politique, car les prévisions fortes
de ces théories ne sont pas soutenues par des données. Mais cette étape est prématurée.
L’économie néoclassique fait, elle aussi, des prévisions fortes. Par exemple, sous l’hypo-
thèse que les firmes maximisent leur profit et que la concurrence est assurée, aucune firme
ne devrait faire de profit. Doit-on rejeter pour autant toute l’économie néoclassique et l’ap-
proche du comportement humain en termes de choix rationnel si l’on observe que les
profits de certaines firmes ne sont pas nuls ?
Avant de faire cela, nous devons répondre à trois questions : (1) Les prédictions de
la théorie sont-elles si éloignées de la vérité qu’il nous est impossible d’imaginer que la
théorie pourra expliquer les données ? (2) Peut-on ajouter d’autres hypothèses plausibles
conformes à la méthodologie du choix rationnel qui peuvent expliquer les prévisions du
modèle et les preuves empiriques ? Par exemple, la concurrence sur certains marchés n’est
pas parfaite ou encore certains dirigeants maximisent des fonctions objectif incluant d’au-
tres arguments que le profit. (3) Existe-t-il une théorie alternative qui expliquerait davan-
tage les données ? Si les réponses à ces trois questions sont respectivement oui, non puis
oui, alors, l’abandon de l’approche du choix rationnel sera justifié. G&S prétendent que
c’est le cas pour les théories d’Arrow, Downs et Olson. Examinons plus en détail leurs
arguments.

28.3 LES PRÉVISIONS DE LA THÉORIES DES CYCLES


G&S citent Arrow (1951) comme étant à l’origine de la prévision que les démocraties sont
instables et plus particulièrement que la législature est soumise à des majorités cycliques.
7 Précisons que ni le modèle de Downs de l’électeur rationnel, ni celui d’Olson ne prévoient une participation
nulle. Le modèle de contribution volontaire à un bien collectif, présenté dans le chapitre 2, prévoit une contri-
bution positive lorsque la taille du groupe est limitée. Voir Lohmann (1996).
758 QU’AVONS NOUS APPRIS ?

Comme nous l’avons précisé plus haut, le livre d’Arrow est un apport à la théorie norma-
tive. Il ne fait aucune prévision sur ce que l’on peut observer dans la pratique. Le théorème
d’impossibilité affirme qu’il n’est pas possible de concevoir un processus d’agrégation des
préférences individuelles capable à la fois de définir un classement social et de satisfaire
les cinq fameux axiomes (voir chapitre 24). La seule prédiction empirique qu’il est possi-
ble de faire à partir de ce théorème est que tout système d’agrégation des préférences indi-
viduelles doit violer au moins un des cinq axiomes, à supposer que ce système définisse un
classement social. Étant donné qu’il y a peu de chance qu’un système politique définisse
réellement un classement social, c’est-à-dire un classement de tous les états sociaux possi-
bles, la théorie ne fournit aucune prédiction testable. Si, en revanche, on admet l’hypothèse
que tout système politique définit un ordre social, la théorie prédit uniquement qu’au moins
un des axiomes ne sera pas respecté. Le théorème d’Arrow prédit, d’une part, que tous les
systèmes politiques seront des dictatures, et d’autre part, qu’il se forme inévitablement des
majorités cycliques dans les systèmes législatifs. On peut conclure en rappelant que l’im-
portance des systèmes politiques dictatoriaux dans le monde et l’histoire des régimes poli-
tiques confirment « les prévisions » du modèle d’Arrow.
Lorsque les préférences sous-jacentes des membres d’un groupe de décideurs sont
telles qu’il apparaît des majorités cycliques pour toutes les solutions envisagées, il est
possible que le comité « tourne en rond » sans jamais parvenir à prendre une décision. Étant
donné que des individus rationnels ne voudront pas participer à des élections interminables,
on s’attend à ce qu’un comité composé d’individus rationnels établisse une procédure qui
élimine ou réduise la probabilité d’apparition de cycles. Les questions que soulève le théo-
rème d’Arrow à propos de ces procédures sont les suivantes : est-ce qu’elles éliminent réel-
lement les cycles ? Si oui, comment ? De manière arbitraire (le résultat choisi dépend du
hasard de l’agenda politique, c’est-à-dire de l’ordre dans lequel les questions sont votées) ?
De manière autoritaire, en manipulant sciemment l’agenda politique ? Ou en éliminant les
résultats Pareto-optimaux, l’agenda étant tellement restreint, de manière à éviter l’appari-
tion de cycles, qu’une potentielle issue parétienne n’a aucune chance d’être soumise au
vote ? G&S sont extrêmement critiques à l’égard des réponses apportées par les théoriciens
du choix rationnel à ces questions. Même si certaines de ces critiques sont légitimes, elles
n’enlèvent rien à l’importance de ces questions. Si Arrow (et Black) n’avait pas attiré notre
attention sur la formation potentielle de cycles et leurs dangers, nous ne pourrions même
pas poser les bonnes questions concernant les effets des procédures législatives. Il est donc
tout à fait légitime de laisser aux héritiers d’Arrow le soin de répondre à ces questions.
Il est également important de remarquer que la formation de cycles peut concerner
des institutions politiques qui n’ont pas été conçues pour empêcher ce phénomène. La
formation d’un cabinet ministériel dans un système multipartite présente les caractéris-
tiques d’un jeu à somme nulle. Il y a un nombre fixe de titres, et une coalition majoritaire
doit se former pour déterminer l’affectation de ces titres. Quand, au terme d’une élection,
au moins trois types d’affectations des sièges du cabinet sont possibles, un cycle apparaît.
Le renouvellement fréquent des gouvernements dans des pays comme l’Italie ou la France
de la Quatrième République correspond bien aux prévisions de la théorie des coalitions en
l’absence d’une autorité centrale.
Des études de simulations indiquent que la probabilité d’apparition d’un cycle
augmente avec le degré d’hétérogénéité des préférences des membres du comité et avec le
Le courant du Public Choice a-t-il fait avancer l’étude de la politique ? 759

nombre de décisions à prendre (voir le chapitre 4). Ainsi, le fait que la stabilité du cabinet
décline à mesure que le degré de fractionalisation et de polarisation des parlements multi-
partites augmente fait partie des résultats prévus par la théorie du choix rationnel 8. La
formation de cycles peut a fortiori toucher des systèmes politiques moins structurés,
comme le système législatif américain. Le Congrès américain est-il dans les faits le lieu de
majorités cycliques ? Si ce n’est pas le cas, comment expliquer cela ?

28.4 LES PRÉVISIONS DES MODÈLES SPATIAUX


Le modèle de Downs de concurrence bipartite unidimensionnelle prévoit que les deux partis
s’aligneront sur la position de l’électeur médian (voir le chapitre 11). La plupart des modèles
probabilistes de concurrence bipartite prévoient également que les partis convergent vers la
même position, qui est, dans la littérature actuelle, une sorte de moyenne des points idéaux
des électeurs (voir le chapitre 12). On pourrait leur reprocher de ne pas tenir compte du fait
que, par exemple, les deux candidats aux élections présidentielles américaines et les deux
principaux partis britanniques n’adopteront pas des programmes identiques. Encore une
fois, en raison de la précision de ses prédictions, le modèle du choix rationnel est pris à son
propre piège. Mais avant de rejeter ces modèles ainsi que la méthodologie du choix ration-
nel qu’ils utilisent, répondons aux trois questions que nous venons de nous poser pour les
théories d’Arrow, Downs et Olson : (1) Les prédictions de la théorie sont-elles si éloignées
de la vérité qu’il nous est impossible d’imaginer que la théorie pourra expliquer les
données ? (2) Peut-on ajouter d’autres hypothèses plausibles conformes à la méthodologie
du choix rationnel qui peuvent expliquer les prévisions du modèle et les preuves empi-
riques ? (3) Existe-t-il une théorie alternative qui expliquerait davantage les données ?
Commençons par la première question. Quelle doit être la proximité minimum des
programmes de deux candidats pour que l’on puisse dire que ces programmes sont suffi-
samment proches pour accepter la théorie ? Le premier problème que pose une telle ques-
tion est évidemment que les différences entre deux programmes ne peuvent être mesurées
aussi facilement que, par exemple, la distance entre deux vendeurs sur une plage. La proxi-
mité dépend d’une certaine façon de la position de l’observateur. G&S insistent justement
sur le fait que les théoriciens du choix rationnel n’ont pas la même position sur cette ques-
tion (pp. 153-4).
Laissons de côté ce problème de mesure et supposons que nous pouvons mesurer
objectivement la distance entre deux candidats. Une manière de savoir si les programmes
de deux candidats sont assez proches l’un de l’autre pour accepter la théorie du choix
rationnel est de comparer ses prédictions à celles d’une théorie de la compétition électorale
qui ne fait pas l’hypothèse de la rationalité des électeurs et candidats. Mais quel modèle
alternatif de compétition à deux parties conviendrait ? Qu’est-ce qu’une hypothèse
valable ?
Pour répondre à ces questions, il serait sans doute judicieux de commencer par
reprendre le premier problème auquel Hotelling (1929) a dû faire face dans son article clas-
sique sur la compétition spatiale. Bien que l’article d’Hotelling soit souvent cité comme
8 Voir Grofman et Van Roozendaal (1997) ainsi que le chapitre 13 de cet ouvrage.
760 QU’AVONS NOUS APPRIS ?

étant le premier modèle spatial de vote, ce n’est pas ce problème qu’il traite. Il soulève une
question a priori plus simple mais plus curieuse. Où le vendeur va-t-il choisir de s’instal-
ler dans un marché spatial ? Imaginons des baigneurs régulièrement répartis le long d’une
bande de plage d’une longueur d. Deux vendeurs de glace installent leur stand le long de
la plage. Où peut-on imaginer qu’ils vont installer leur stand ?
L’hypothèse la plus simple serait qu’ils choisissent un emplacement au hasard. On
s’attendrait alors à les trouver à un endroit différent chaque jour. La distance entre les deux
vendeurs, notée b, serait alors une variable aléatoire, mais au cours du temps, on pourrait
prédire que la moyenne de b serait égale à la moitié de d.
Une autre hypothèse serait que les vendeurs cherchent à minimiser la distance que
les baigneurs doivent parcourir pour acheter une glace. On pourrait l’appeler « la théorie
publique » de la vente 9. Cette hypothèse mène à la prévision que chaque vendeur s’instal-
lera à un quart de la distance d à partir des extrémités de la plage. On peut, alors, prévoir
que les vendeurs choisiront le même emplacement tous les jours et que b = d/2 tous les
jours.
Quelle autre prévision pouvons-nous envisager ? Si l’on décrivait ce problème
avec un échantillon aléatoire de personnes, il y a peu de chances pour qu’un grand nombre
d’entre eux prédisent le résultat d’Hotteling, autrement dit que les deux vendeurs choisi-
ront des emplacements éloignés du centre de la plage. Supposons maintenant que nous
sommes sur une plage d’une longueur de 100 mètres et que nous observons les deux
vendeurs situés chacun à cinq mètres de chaque extrémité de la plage. Faut-il rejeter le
modèle d’Hotelling sous prétexte que les vendeurs ne sont pas situés l’un à côté de l’autre
ou bien dire que le b observé est suffisamment inférieur à 50 (d/2) pour que nous puissions
privilégier ce modèle plutôt que les explications alternatives, tout en laissant la porte
ouverte à tous les modèles capables de faire de meilleures prévisions quant à l’emplace-
ment des vendeurs ?
Pour revenir à la question de la compétition bipartite, nous pensons qu’à partir des
estimations de b et d pour les systèmes à deux partis, il apparaîtra que b tend à être beau-
coup plus petit que d/2. Est-ce une raison suffisante pour accepter la version simplifiée du
modèle de Hotelling/Downs de compétition bipartite ? Il n’y a pas de consensus sur cette
question. Il y aura ceux qui voudront une prévision plus précise de b et ceux qui choisiront
la version simple du modèle.
Le modèle de Hotelling/Downs suppose qu’il y a une seule élection et que les
candidats sont libres de choisir n’importe quelle position dans l’espace des questions. Aux
États-Unis, une personne doit gagner deux « compétitions » pour devenir président, une
pour devenir le candidat de son parti et l’autre pour devenir président. Une extension
directe du modèle de Downs qui tient compte du processus de désignation des candidats
mène à la prévision que les candidats adopteront la position de l’électeur médian de leur
parti pour gagner les primaires, et se déplaceront ensuite vers l’électeur médian de l’en-
semble de l’électorat. Si l’on ajoute l’hypothèse qu’un candidat ne pourra pas parcourir
toute la distance qui sépare l’électeur médian de son parti de l’électeur médian national
9 Traduit de l’anglais « The public interest theory of vending ». Hotelling (1929, pp. 52-3) présente cette possi-
bilité comme le résultat auquel on pourrait s’attendre avec un gouvernement socialiste et la qualifie donc
d’« argument pour le camp socialiste ».
Le courant du Public Choice a-t-il fait avancer l’étude de la politique ? 761

durant le court laps de temps entre les élections primaires et finale, il vient alors les prévi-
sions suivantes : (1) avant les primaires, les candidats adoptent des programmes très éloi-
gnés les uns des autres, (2) après leur nomination, ils se repositionnent au centre, et (3) au
moment de l’élection, ils sont plus proches l’un de l’autre qu’au moment des primaires
mais ils n’adoptent pas des programmes identiques 10. Ces prévisions semblent correspon-
dre plutôt bien à la réalité des élections présidentielles américaines et s’appliqueraient
également aux élections présidentielles françaises. En effet, au premier tour, les candidats
des deux grands partis, le PS et l’UMP, adoptent des programmes très éloignés l’un de
l’autre, correspondant aux préférences de l’électeur médian de l’ensemble des sympathi-
sants respectivement de gauche et de droite. Le candidat du PS (respectivement de l’UMP)
vise l’électeur médian du groupe réunissant les sympathisants des partis d’extrême-gauche,
de gauche et centre-gauche (respectivement d’extrême-droite, de droite et centre-droit).
Une fois le premier tour passé, à l’approche du second tour, la différence entre les program-
mes s’atténue, les deux candidats se rapprochant de l’électeur médian national. G&S
n’abordent pas ces extensions du modèle de Downs par les théoriciens du choix rationnel,
mais on pourrait s’attendre à ce qu’ils les rejettent, les accusant d’être « des théories ad
hoc ».
Dans le chapitre 19, nous avons discuté de la tentative de développer au moyen du
modèle du choix rationnel un modèle de compétition bipartite qui tient compte explicite-
ment des différences idéologiques entre les partis, ce qui les mènerait à adopter des poli-
tiques différentes Nous faisons ici allusion aux travaux d’Alesina (1988b) et d’Alesina et
Rosenthal (1995). Le modèle d’Alesina et Rosenthal propose des prévisions extrêmement
précises concernant les cycles électoraux sous les administrations républicaines et démo-
crates, mais toutes leurs prévisions ne trouvent pas de soutien empirique. Ce modèle rend
pourtant compte de plusieurs phénomènes, comme les cycles de mi-mandat, que beaucoup
d’autres travaux ont eu le plus grand mal à expliquer.
G&S se concentrent sur les explications des résultats dans les systèmes bipartites
proposées par les théoriciens du choix rationnel. Le modèle spatial de Downs a été adapté
afin d’étudier la compétition électorale dans les systèmes multipartites avec un succès
considérable (voir la discussion du chapitre 13). Les travaux de Van Roozendaal (1990,
1992, 1993) prévoyant que « les partis centristes », lorsqu’ils sont au pouvoir, sont toujours
dans des gouvernements de coalition, est une extension directe du théorème de l’électeur
médian à la formation d’un gouvernement. Cette théorie est vérifiée dans à peu près 85 %
des cas (Laver et Schofield, 1990, p. 113). Est-ce qu’un taux de 85 % peut être considéré
comme un succès suffisant pour accréditer l’utilisation des modèles spatiaux et des théo-
ries de la coalition pour faire des prévisions sur la composition des gouvernements dans un
système multipartite ? Existe-t-il un modèle non spatial qui fasse mieux ?
Le modèle de Laver et Shepsle (1996) de formation des gouvernements applique
le modèle de l’électeur médian à un espace multidimensionnel. Le concept de « centre »
proposé par Schogield (1993a,b, 1995) est un autre développement utilisant la théorie
spatiale et le modèle du choix rationnel pour prévoir la composition des gouvernements
dans un système multipartite. La capacité de prévision de ces modèles semble suffisam-
ment forte pour justifier l’utilisation de l’approche du choix rationnel et de la théorie
10 Voir la discussion et les références du chapitre 11, section 11.1.
762 QU’AVONS NOUS APPRIS ?

spatiale pour l’étude de systèmes multipartites, en attendant l’apparition de modèles alter-


natifs qui auraient une plus grande force explicative 11.

28.5 LES PRÉVISIONS CONCERNANT LE VOTE


ET LE COMPORTEMENT DE PASSAGER CLANDESTIN
Au cours du chapitre 14, nous avons passé en revue la littérature du Public Choice qui
explique la participation électorale. Comme le lecteur s’en souvient, le modèle simple de
Downs de l’électeur rationnel, dans lequel l’électeur compare les bénéfices espérés de
l’élection de son candidat favori et les coûts à aller voter, ne peut expliquer pourquoi les
gens décident de voter. De plus, certaines tentatives de modification de la théorie par les
partisans de l’approche du choix rationnel soulèvent plus de problèmes qu’elles n’en résol-
vent. G&S accordent beaucoup d’importance à ces échecs de l’approche du choix ration-
nel et beaucoup de leurs remarques sont fondées (pp. 50-68).
G&S remettent également en question le soutien empirique de la prévision,
souvent associée à Olson (1965), que les individus ne contribueront pas d’eux-mêmes à la
fourniture d’un bien collectif pur s’ils peuvent en profiter sans avoir à participer à son
financement. Parmi les preuves qu’ils citent contre l’hypothèse du passager clandestin, il y
a les nombreuses expériences de fourniture de bien collectif dans lesquelles les participants
contribuent bien plus que ne le prévoit l’hypothèse du choix rationnel 12.
Ces résultats représentent sans aucun doute un défi important pour l’approche de
la politique en termes de choix rationnel. Beaucoup de praticiens de cette approche ont été
perturbés par ces résultats et se sont donnés beaucoup (trop) de mal pour tenter de les expli-
quer. Mais la réponse la plus appropriée à ces preuves n’est ni de les écarter en prétextant
qu’elles sont irrationnelles ni d’écarter l’approche du choix rationnel elle-même, ce que
G&S aimeraient que nous fassions. La meilleure solution est de reconsidérer les hypothè-
ses de base de cette approche et d’essayer de déterminer celles qui sont trop éloignées de
la réalité afin de rendre compte de ces échecs prévisionnels. Encore une fois, il est tout
aussi nécessaire de comparer le pouvoir prévisionnel du modèle du choix rationnel à celui
des approches alternatives.
Par exemple, quelle prévision ferait un étudiant en sciences politiques, qui n’est
pas un partisan de l’approche du choix rationnel, concernant la contribution d’un individu
soumis à une expérience de fourniture de biens publics ? Une possibilité serait bien sûr de
faire l’hypothèse qu’il n’y a pas de passager clandestin. Les individus suivent l’intérêt
public plutôt que leur intérêt personnel restreint. Si la contribution qui maximise le profit
du groupe est de 100 et celle qui maximise le profit d’un contributeur individuel est de 1,
le modèle de l’intérêt public prévoira une contribution individuelle de 100. Comme le
résultat classique d’une expérience de fourniture de bien public est une contribution
moyenne d’environ 50, la prévision du modèle de l’intérêt public est aussi éloignée de la
réalité que le modèle de l’individu égoïste, autrement dit du choix rationnel. L’un autant
11 Voir aussi Schofield (1996b).
12 Voir G&S (pp. 88-93) et notre discussion du chapitre 2.
Le courant du Public Choice a-t-il fait avancer l’étude de la politique ? 763

que l’autre a besoin d’être largement modifié pour rendre compte des résultats des expé-
riences de fourniture de bien collectif.
On s’aperçoit que le modèle de l’intérêt public, comme celui du choix rationnel,
suppose que l’on maximise une sorte de fonction objectif et permet donc des prévisions très
précises. En raison de leur capacité de précision, elles sont très faciles à falsifier. Mais
avant de rejeter l’un de ces modèles, nous devons à nouveau nous demander quelles sont
les prévisions des modèles rivaux ? Dire que les prévisions des contributions de l’approche
du choix non rationnel sont comprises entre 1 et 100 revient à favoriser artificiellement
cette approche. Et même cette interprétation dénuée de tout intérêt ne permet pas de prévoir
quels individus fourniront une contribution supérieure à 50 et ceux qui fourniront une
contribution inférieure 13.
Dans le chapitre 14, nous avons proposé de modéliser le comportement des indi-
vidus sous l’hypothèse qu’ils agissent comme si ils maximisaient une fonction objectif de
la forme suivante :

Oi = Ui + θi Uj . (28.1)
j=i

De nombreux types de comportement, comme les choix individuels en situation de marché,


peuvent être expliqués en supposant que θ est égal à zéro. Des contributions de 30 de la
part d’une personne et de 60 de la part d’une autre dans une expérience de fourniture de
bien collectif impliquent en revanche que les θ sont positifs et différents pour chacun.
Évidement un tel modèle nous permet simplement de proposer une rationalisation
ad hoc des anomalies prévisionnelles du modèle de l’acteur rationnel égoïste, sauf si l’on
peut expliquer pourquoi une personne a un θ de 0,3 est une autre de 0,6. De plus, pour cons-
truire une théorie générale capable de prévoir l’action humaine, nous devons être capable
d’expliquer pourquoi un individu donné agira dans une certaine situation comme si son θ
était nul et dans une autre comme s’il était égal à 1. On trouvera plus probablement ces
explications du côté de la psychologie que dans la littérature du choix rationnel. La diffé-
rence clef entre cette approche comportementale et l’application habituelle du modèle du
choix rationnel est que cette première oblige le chercheur à examiner le passé des indivi-
dus dont il veut expliquer le comportement et à ne plus se contenter de remplir les cellules
des matrices de gains. Cette approche considère que le comportement humain est adaptatif
et qu’il ne se réduit pas au comportement calculateur décrit par le modèle de l’acteur ration-
nel.
Cette approche adaptative atténue l’effet de surprise provoqué par certains résul-
tats expérimentaux comme ceux de Marwell et Ames (1981), qui ont établi, dans le cadre
d’une expérience de fourniture de bien collectif, que la contribution des étudiants en scien-
ces économiques était significativement inférieure à celle des autres étudiants ou ceux de
Blais et Young (1999) qui ont montré sur un échantillon d’étudiants canadiens que la proba-

13 Les ardents défenseurs de l’approche du choix rationnel se consoleront en apprenant qu’il existe des équili-
bres avec stratégies mixtes de ce type de jeu dans lesquels les contributions de participants sont supérieurs à
1 (Lohmann, 1996). G&S regretteront seulement qu’il s’agisse uniquement d’un exemple supplémentaire
d’échec des approches par la théorie des jeux à produire des hypothèses réfutables.
764 QU’AVONS NOUS APPRIS ?

bilité d’aller voter diminuait de manière significative après avoir assisté à une conférence
expliquant le modèle électoral de Downs.
De nombreux partisans de la modélisation par l’approche du choix rationnel, à
l’instar de Stigler et Becker (1977), rejetteraient toute tentative d’améliorer le pouvoir
prédictif du modèle du choix rationnel en rendant les préférences malléables. Riker (1990),
cité par G&S (pp. 185-6), rejettent explicitement le behaviorism comme alternative à la
modélisation par le choix rationnel. Ainsi, pour suivre le chemin que nous avons suggéré,
il faudrait prendre beaucoup de recul par rapport aux formes pures d’analyse du choix
rationnel et se rapprocher de l’approche préconisée par G&S, qui essaient d’identifier « les
facteurs cognitifs ou socio-psychologiques qui agissent sur le degré avec lequel les indivi-
dus suivent leurs impulsions, leurs habitudes, ou la tendance générale... » Mais cette
approche ne nécessite pas d’abandonner la recherche d’une théorie universelle du compor-
tement humain, comme semblent l’implorer G&S, ni de sacrifier la rigueur analytique que
procure la modélisation des individus maximisant des fonctions objectif explicitement défi-
nies.

28.6 LA CONTRIBUTION DU PUBLIC CHOICE À L’ÉTUDE


POSITIVE DES INSTITUTIONS POLITIQUES
Le livre de G&S est truffé d’exemples d’études empiriques menées par des auteurs du
Public Choice qui, selon eux, commettent des erreurs méthodologiques capitales privant
ainsi leurs travaux de toute valeur scientifique. En conclusion de leur ouvrage, ils propo-
sent à ces chercheurs de suivre le conseil suivant :

« Une démarche féconde et qui ne perdrait pas de vue le problème initial consis-
terait à ne plus se poser la question « comment une théorie du choix rationnel peut
expliquer X ? » mais plutôt « Qu’est ce qui explique X ? » » (p. 203).

Dans cette section, nous décrivons quelques études qui ont utilisé l’approche du
choix rationnel pour expliquer X et qui ont relativement bien réussi. Dans l’État de l’Ore-
gon, les comités des écoles locales sont libres de dépenser les sommes qu’ils veulent dans
la limite d’un montant défini par une formule spécifique. Cette limite fixée est appelée le
budget de réversion, R. Si un comité désire dépenser plus que son R, il doit obtenir l’ap-
probation des électeurs. Il arrive que certains comités proposent des montants supérieurs à
leur R. Et il arrive également que certaines de ces propositions soient largement supérieu-
res à R. Comment prévoir si un comité demandera un référendum pour faire approuver un
budget supérieur à R et de combien dépassera-t-il le budget de réversion ?
Romer et Rosenthal (1978, 1979b, 1982) traitent ces questions en utilisant l’ap-
proche du Public Choice 14. Ils ont dû commencer par poser une fonction objectif pour le
comité. S’inspirant de Niskanen (1971), ils ont fait l’hypothèse que les membres du comité
sont des bureaucrates qui maximisent leur budget. Romer et Rosenthal ont ensuite utilisé
le modèle de l’électeur médian pour prévoir le budget maximum qu’une commission peut
14 Voir le chapitre 16 pour une présentation détaillée de leurs travaux.
Le courant du Public Choice a-t-il fait avancer l’étude de la politique ? 765

obtenir par référendum. Une fois ces deux éléments posés, ils ont réussi à produire
quelques prédictions spécifiques comme par exemple : plus le budget proposé excède celui
préféré par l’électeur médian, plus R sera faible au regard du niveau de dépenses voulues
par l’électeur médian. Ils prévoient également que les commissions ne demanderont pas de
référendum lorsque R est supérieur au niveau de dépenses préféré par l’électeur médian.
Ces prévisions ont été confirmées empiriquement.
Notons que Romer et Rosenthal ont commis tous les péchés décriés par G&S. Ils
ont supposé que les bureaucrates maximisent leur budget et les électeurs leur utilité, que les
problèmes de choix collectif peuvent être analysés en utilisant un modèle spatial unidi-
mensionnel ainsi que le théorème de l’électeur médian.
Comment doit-on procéder si l’on ne veut pas tomber dans ces péchés ? Faut-il
attribuer un objectif au comité, et si oui, lequel ? Lane (1996, p. 123) reproche à l’appro-
che du choix rationnel de supposer « que les dirigeants des entreprises publiques sont
guidés par des intérêts personnels ». Au lieu de cela, il prétend que ces dirigeants intègrent
les objectifs de leurs organisations, citant Wolf (1988) à l’appui. Si nous appliquons cette
hypothèse aux comités des écoles, cela nous conduit à supposer que chacun d’eux cherche
à donner une « bonne éducation » aux étudiants de leur quartier. Si c’est bien le cas, quel
modèle utiliser pour prévoir la somme dont a besoin chaque quartier ? Doit-on procéder de
manière inductive et concevoir un modèle probabiliste pour prévoir quand un comité appel-
lera à un référendum et collecter des données sur toutes les variables adéquates possibles
(le nombre d’écoles, l’âge des enfants, le revenu dans chaque quartier, etc.) ? Avec beau-
coup d’application et de chance, on obtiendrait peut-être suffisamment de variables pour
coller aux données empiriques. Mais on ne comprendrait pas pour autant le comportement
des commissions. On ne pourrait pas non plus émettre de jugement sur la taille des budgets
de chaque commission. Sont-ils inférieurs ou supérieurs à ce qu’ils devraient être ? En
effet, en choisissant ce type de motivations pour les comités, nous faisons l’hypothèse que
la taille de chaque budget est optimale.
Un des avantages de l’approche du choix rationnel par rapport à une modélisation
purement inductive est que cette première peut souvent identifier si les résultats politiques
sont inefficients ou sous-optimaux. Si l’on soutient l’idée que le gouvernement devrait faire
ce que veut l’électeur médian, on devra alors conclure des travaux de Romer et Rosenthal
que les budgets des écoles de l’Oregon sont systématiquement plus grands que ce qu’ils
devraient être.
Dans The Theory of Political Coalitions, Riker (1962) a suivi à la lettre la procé-
dure recommandée par G&S. Il a choisi comme sujet d’analyse une question du monde
réel : pourquoi les grandes coalitions ont-elles une durée de vie très courte ? Ils s’écartent
cependant de leurs recommandations en appliquant l’analyse du choix rationnel à ce
problème. À partir de cette approche, ils développent la « théorie de la plus petite coalition
gagnante » 15. Il n’existe pour l’instant aucune meilleure analyse sur la question. G&S criti-
quent à plusieurs reprises les travaux de Riker qui appliquent le modèle du choix rationnel
à l’étude de la politique, mais, bizarrement, ils ne mentionnent à aucun moment cette appli-
cation, la contribution la plus importante de Riker à la littérature.

15 Traduit de l’anglais « theory of minimum winning coalitions ».


766 QU’AVONS NOUS APPRIS ?

Les observateurs de la politique américaine ont longtemps été persuadés que les
membres du Congrès s’échangeaient leurs voix pour faire passer les lois. Comment peut-
on vérifier si cela est vrai ? Est-ce que les échanges de voix, aussi appelés « logrolling »,
concernent toutes les lois ou seulement quelques-unes ? Si le logrolling ne porte pas sur
toutes les lois, comment déterminer celles qui résultent bel et bien d’un échange de voix ?
L’analyse du logrolling proposée par l’école du Public Choice propose un moyen
rigoureux de savoir quand ce phénomène se produit. À partir de la définition d’une situa-
tion de logrolling, nous faisons la prédiction que les options X et Y vont échouer, si les indi-
vidus déclarent leurs préférences réelles et que les votes sont le résultat d’échanges de
voix 16. Cette définition précise du logrolling conduit à la prévision que les échanges se
produisent uniquement pour des questions pour lesquelles le vote est serré et les chances
de victoire des options gagnantes dépendent de cet échange de voix. Ainsi, pour vérifier
empiriquement la présence de logrolling, nous avons d’abord besoin de construire un
modèle pour prévoir la manière dont vote un député en l’absence d’échanges. Cela néces-
site de modéliser le comportement électoral des députés et donc de faire certaines hypo-
thèses sur leurs motivations. Les travaux de Stratmann (1992b, 1995) indiquent que le
logrolling se produit uniquement pour certaines questions. Cela nous permet d’apporter des
réponses précieuses aux questions ci-dessus. On utilise évidemment les outils analytiques
de l’école du Public Choice pour répondre à ces questions.
On pourrait citer d’autres exemples appartenant à la littérature sur le vote-avec-les-
pieds (chapitre 9), la recherche de rente (chapitre 15), les contributions électorales (chapi-
tre 20), la taille de l’État (chapitre 21) et beaucoup d’autres 17. Ces exemples doivent suffire
à convaincre le lecteur que la méthodologie du Public Choice est capable de fournir des
tests empiriques rigoureux des phénomènes politiques et qu’au moins quelques auteurs du
Public Choice ont réalisé ces tests.

28.7 LA CONTRIBUTION DU PUBLIC CHOICE À L’ÉTUDE


NORMATIVE DE LA POLITIQUE
Une question tout aussi stimulante que de savoir pourquoi la taille de l’État diffère autant
d’un pays à l’autre, consiste à se demander pourquoi les choix des règles de vote sont aussi
uniformes d’un pays à l’autre. Pourquoi pratiquement toutes les législatures et d’autres
types de comités utilisent-ils la règle de la majorité simple pour la plupart, voire, pour
toutes les décisions collectives ? On ne peut évidemment pas répondre à cette question avec
une approche empirique, car il y a une trop faible variation de la variable à expliquer. La
réponse est plutôt à chercher du côté d’une analyse normative de la règle de la majorité
simple. Il faut supposer que la majorité simple est la meilleure règle électorale car elle est
celle préférée par tous les groupes en charge d’une décision collective. Mais en quoi est-
elle la meilleure ?

16 Voir le chapitre 5 pour une formulation complète de la définition et de la discussion.


17 Voir aussi les exemples de Fiorina (1996, p. 90), Ordeshook (1996, p. 176), Shepsle (1996, p. 218), Cox
(1999), et la discussion dans Mueller (1997b).
Le courant du Public Choice a-t-il fait avancer l’étude de la politique ? 767

Le Public Choice propose plusieurs réponses à cette question (voir les chapitres 4
et 6). La plus élégante d’entre elles est sans doute celle de May (1952) qui montre que la
règle de la majorité simple est équivalente aux quatre axiomes. Si l’on pense qu’une règle
électorale doit remplir ces quatre axiomes, alors, on peut préconiser l’utilisation de la règle
de la majorité simple pour produire des décisions collectives.
Le théorème de May ne vaut que pour des choix binaires. Si un comité doit choisir
entre trois options ou plus, il n’est pas à l’abri de l’apparition d’une majorité cyclique en
utilisant la règle de la majorité simple. L’argument en faveur de cette règle est affaibli et
nous revenons alors au théorème d’impossibilité d’Arrow (1951). Même si nous suppo-
sons, comme G&S, que la formation de majorité cyclique est plutôt rare dans certaines
législatures, comme le Congrès américain, cette observation ne diminue en aucun cas l’im-
portance du théorème d’Arrow. Ce « fait » attire simplement notre attention sur un autre
fait : au moins un des cinq axiomes du théorème doit généralement être violé.
De nouvelles démocraties apparaissent de temps en temps et doivent décider des
règles de vote à inscrire dans leur constitution. Il arrive aussi que des démocraties plus
anciennes amendent leur constitution. Doit-on leur recommander la règle de la majorité
simple, des règles traditionnelles comme la méthode de Borda ou d’autres plus récentes
comme la consultation citoyenne, le processus de révélation de la demande politique, le
vote avec droit de veto ? Il est impossible de répondre à cette question sans avoir saisi les
propriétés formelles de chaque règle de vote 18.

28.8 CONCLUSIONS
Imaginons que nous devons expliquer pourquoi les pays de l’Organisation des producteurs
de pétrole (OPEP) s’accordent parfois pour diminuer de manière significative la production
de pétrole et faire grimper les prix à des niveaux très élevés, et d’autres fois, pour augmen-
ter leur production faisant chuter les prix à des niveaux extrêmement bas. Ces décisions
sont celles de gouvernements et donc par définition ce sont des décisions publiques. Il n’est
pas difficile de les expliquer. Comment procéder ?
Nous devons en premier lieu nous renseigner sur ce qui motive les décisions de
chaque gouvernement. Nous savons que les revenus du pétrole augmentent avec les prix.
On pourrait donc postuler que les pays de l’OPEP cherchent à augmenter leurs revenus
lorsqu’ils diminuent leur production, faisant ainsi monter les prix. On peut commencer par
faire l’hypothèse que chaque pays de l’OPEP maximise son revenu et le rassemblement
périodique des représentants de chaque pays à Vienne a pour but de fixer la production de
manière à maximiser les revenus communs des pays membres de l’OPEP.
On peut, ensuite, astucieusement remarquer que les cartels ont les caractéristiques
d’un dilemme du prisonnier, et qu’ils peuvent donner lieu à des comportements de passa-
ger clandestin si chaque pays maximise son revenu. Une première étape serait de concevoir
ou de trouver dans la littérature un modèle comportemental des cartels prévoyant que ceux-
ci parviennent parfois à limiter leur production et à augmenter leur revenu mais qu’ils finis-
sent par éclater car leurs membres adoptent des comportements de passager clandestin.
18 Voir aussi Schofield (1996b, pp. 190-1).
768 QU’AVONS NOUS APPRIS ?

Ne devrions-nous pas tenir compte par ailleurs du fait que l’Arabie Saoudite est un
pays arabe musulman et le Venezuela un pays catholique, que le Koweït est riche alors que
le Nigeria est pauvre, que les dirigeants de certains partis construisent des empires alors que
d’autres se contentent de préserver leur monarchie ? Probablement. Mais avant cela, les
praticiens du choix rationnel préféreront d’abord tester la fiabilité d’un modèle plus simple,
celui qui prévoit que chaque pays cherche à maximiser son revenu et qu’une fois réunis, ils
font face à des situations récurrentes du dilemme du prisonnier. C’est seulement si ce
modèle ne parvient pas à expliquer la tendance des prix et des quantités qu’il est nécessaire
d’intégrer d’autres facteurs.
Les plus grands théoriciens apportent des réponses claires à des questions impor-
tantes qu’ils se posent non pas à la lecture du dernier numéro d’une revue technique mais
plutôt en observant le monde qui les entoure. Riker (1962) s’étonna de la courte durée de
vie des grandes coalitions et développa une théorie expliquant pourquoi elles disparaissent
aussi rapidement. Olson (1982) s’étonna du succès économique important des pays
perdants de la Seconde Guerre mondiale par rapport à celui des gagnants et développa une
théorie pour expliquer les meilleures performances des perdants. Dans les deux cas, ils ont
construit les réponses à ces questions en appliquant l’analyse du choix rationnel.
John Maynard Keynes (1936) était stupéfait par l’émergence d’un chômage de
masse et durable. Il ne construisit pas sa réponse à partir des modèles économiques de
l’époque fondés sur l’équilibre des marchés. Il compara les fondements de ces modèles
avec la réalité et mit en évidence de nouveaux fondements qui manquaient jusqu’alors. Les
salaires n’étaient pas aussi flexibles que ne le supposait le modèle de concurrence parfaite.
Les taux d’intérêt pouvaient rester coincés dans une « trappe à liquidité ». Les investisseurs
n’étaient pas ces individus rationnels, froids et calculateurs, qui apparaissaient dans les
modèles économiques mais plutôt de simples mortels qui pouvaient parfois se laisser
submerger par leurs « esprits animaux ». En abandonnant certaines hypothèses du para-
digme dominant, Keynes créa un modèle économique capable de rendre compte de la créa-
tion et de la persistance d’un chômage de masse. Ses modifications du paradoxe dominant
ont été vivement critiquées dès le début et les débats macroéconomiques ne sont toujours
pas clos. Quelle que soit l’opinion de chacun dans le débat, il faut reconnaître que l’appro-
che méthodologique de Keynes est la bonne : coller au modèle qui prévaut tant que celui-
ci est capable d’expliquer les phénomènes étudiés. Réexaminer ses fondements lorsqu’il
n’explique plus ces phénomènes et les remplacer par d’autres fondements plus réalistes.
Modifier le modèle existant jusqu’à ce qu’il nous permette d’expliquer la réalité. Aban-
donner l’ancien modèle, l’ancien paradigme, en faveur d’un nouveau si quelqu’un apporte
une meilleure solution à notre question.
Les chercheurs en sciences sociales qui veulent expliquer le comportement d’indi-
vidus tels que les consommateurs, les travailleurs, les électeurs, les prêtres, les politiciens,
les courtiers en bourse, les soldats, les toxicomanes, ont un large éventail d’options. À un
extrême, on trouve le modèle de l’acteur rationnel, universel, dans lequel tous les individus
maximisent une fonction objectif (O). Dans la forme la plus brute de ces modèles, la fonc-
tion objectif est composée d’une seule variable : tous les individus maximisent leur richesse
personnelle (W ),
O=W (28.2)
Le courant du Public Choice a-t-il fait avancer l’étude de la politique ? 769

Dans une version un peu plus générale de ces modèles, tous les individus maximisent une
fonction d’utilité qui inclut la richesse ainsi qu’une ou deux autres variables qui dépendent
du type de décision à analyser :

O = U (W, X 1 , X 2 , …). (28.3)

En s’éloignant un peu plus de la version brute de la théorie universelle, on obtient :

O = U (X 1 , X 2 , …). (28.4)

Tous les arguments de la fonction d’utilité sont laissés à la discrétion de l’analyste. En


s’éloignant encore davantage de la version la plus simple, nous avons l’approche suggérée
ci-dessus qui peut expliquer les comportements altruistes dans des situations où ce type de
comportement peut être anticipé :

Oi = Ui + θi Uj . (28.5)
j=i

Lorsque l’on tient compte du fait que l’analyste est également libre de choisir la forme de
la fonction d’utilité et l’ensemble des contraintes et des conditions supplémentaires sous
lesquelles le processus de maximisation se produit, on s’aperçoit qu’un modèle comporte-
mental, universel dans la mesure où il postule que les individus maximisent une fonction
objectif, peut être relativement flexible.
À l’autre extrême du spectre méthodologique, il y a les approches purement induc-
tives. Si l’on veut expliquer le comportement d’individus dans les dix situations que l’on
vient de lister, on devra construire dix modèles différents, chacun contenant l’ensemble des
variables qui expliquent le mieux le comportement du groupe en question. Le choix des
variables dans chaque cas est déterminé à partir d’un examen de la littérature en sociologie
et en psychologie, ce qui a « fonctionné » dans les études précédentes, au moyen d’un
processus d’essais et d’erreurs. En ajoutant des arguments supplémentaires à la fonction
objectif et en faisant de nouvelles hypothèses, la puissance de l’hypothèse de maximisation
est diluée et les modèles estimés par cette approche commencent à ressembler à ceux
obtenus par la méthode inductive. Le positionnement de chaque chercheur le long du
spectre allant des modèles représentés par l’équation (28.2) au modèle purement inductif
est une question de « goût scientifique ». Certains sacrifient le pouvoir explicatif d’un
modèle pour sa simplicité et sa beauté alors que d’autres préfèrent renoncer à la cohérence
et à la clarté d’un modèle pourvu que celui-ci explique toutes les situations
Nous avons traité dans ce chapitre de plusieurs exemples de comportements
comme celui du passager clandestin ou de l’électeur, qui ne pouvaient être correctement
expliqués avec une version simple du modèle de l’acteur rationnel égoïste. Nous proposons
de remplacer ce modèle dans ces situations précises par un modèle dans lequel les indivi-
dus agissent comme s’ils maximisaient une fonction objectif qui inclut leur propre utilité
ainsi que la somme pondérée des utilités de tous les autres individus. Ceci pourrait être
utilisé pour expliquer le comportement humain dans toutes les situations, même celles pour
lesquelles le modèle rationnel traditionnel fonctionne déjà, car le coefficient de pondéra-
tion attribué à l’utilité des autres individus peut être nul.
770 QU’AVONS NOUS APPRIS ?

Ce que nous proposons ici nous éloigne d’une forme pure de l’acteur rationnel,
mais conserve certains avantages de cette approche comme celui de pouvoir faire des
prédictions claires qui peuvent être falsifiées. Une étape plus radicale serait d’abandonner
totalement l’hypothèse de maximisation. Simon (1947) a reçu le « prix Nobel » pour ses
travaux sur le comportement organisationnel fondé sur le principe de satisfaction et non
plus de maximisation. G&S sont bien disposés envers l’approche de Simon (pp. 22, 29,
186) et Lane (1996, p. 126) vante les mérites d’ une de ses premières applications par Cyert
et March (1963) qui ont analysé une firme en formulant l’hypothèse qu’elle devait remplir
cinq objectifs distincts. Ce modèle a très bien réussi à expliquer le comportement de cette
firme, mais il est apparu qu’il faudrait peut-être un modèle pour chaque firme de l’écono-
mie. Malgré cela, Cyert et March n’ont pas été pourchassés par la profession. L’application
du principe de satisfaction à l’étude de la bureaucratie publique, par exemple, pourrait très
bien subir le même sort. Même si un groupe de chercheurs en économie, en psychologie et
dans d’autres sciences sociales possèdent suffisamment de questionnaires et de données
pour construire un modèle de simulation qui décrirait précisément les décisions du dépar-
tement de la Défense américain, rien ne nous garantit que ce modèle pourrait s’appliquer
aussi bien à d’autres départements. Une collection de dix modèles de simulation, chacun
adapté à un type de bureaucratie particulier, peut nous donner quelques pistes pour élabo-
rer une théorie générale de la bureaucratie mais les chances que cela apparaisse sont bien
maigres comparées aux coûts que représente la construction de dix modèles différents. Les
scientifiques rationnels qui disposent d’un temps et de ressources limités auraient intérêt à
ne pas suivre cette stratégie de recherche.
La plupart des parents exagèrent les succès de leurs enfants et minimisent leurs
échecs. Cela vaut aussi pour les scientifiques avec leur progéniture intellectuelle et la
méthodologie scientifique qu’ils utilisent. Comme le révèle la citation de Sir Francis Bacon
qui ouvre ce chapitre, ces faiblesses semblent être aussi anciennes que la science elle-
même ; ce qui n’est pas pour nous rassurer.
On peut reprocher à certains défenseurs de l’application du modèle du choix
rationnel à l’économie et à la politique d’exagérer le pouvoir explicatif de cette approche
et d’en ignorer les points faibles. Les accusations de prétention démesurée formulées par
G&S sont justifiées. Mais en concentrant leurs critiques sur l’approche du choix rationnel,
G&S ignorent les faiblesses des approches alternatives, qu’ils semblent préconiser implici-
tement. Ils reprochent aux praticiens du choix rationnel de vouloir développer et appliquer
un modèle universel pour expliquer le comportement des acteurs politiques. Bien que G&S
adressent de nombreuses critiques tout à fait recevables concernant la manière dont certains
chercheurs ont testé ces modèles, ils ne proposent aucune autre stratégie concrète de
recherche. Il est donc préférable que ceux qui travaillent dans le champ du Public Choice
continuent à employer les modèles de l’acteur rationnel pour l’étude de la politique et qu’ils
les modifient, si besoin, pour expliquer les actions des individus dans différentes situations.
Il serait également bénéfique que de nombreux jeunes chercheurs qui se lancent dans
l’étude des phénomènes politiques continuent de mobiliser l’approche du choix rationnel
parce qu’elle offre une explication des comportements politiques plus unifiée et plus
convaincante que ces approches rivales 19.

19 Ferejohn et Satz (1996) et Schofield (1996b) défendent la nécessité scientifique de théories universelles.
Le courant du Public Choice a-t-il fait avancer l’étude de la politique ? 771

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Friedman (1996) a réuni 14 essais, certains soutenant, d’autres s’opposant à G&S, auxquels il a joint
la réponse des deux auteurs en guise de conclusion. Hogarth et Reder (1987) reprennent les apports
de certains éminents partisans et opposants au modèle du choix rationnel lors d’un colloque. L’an-
thologie de Mansbridge (1990) comprend également une liste des contributions provenant majori-
tairement des détracteurs du modèle.
Frank (1988) et Thaler (1991) ont tous deux cherché à donner moins d’importance à la notion de
comportement rationnel afin de construire des modèles d’acteurs « quasi rationnels » qui sont plus
à même de rendre compte des comportements humains mis en évidence par la psychologie et la
littérature expérimentale.
Sen (1995) examine les concepts de rationalité individuelle et collective ainsi que l’importance de la
distinction entre préférences sociales et jugements sociaux dans le cadre du théorème d’impossibi-
lité d’Arrow.
L’introduction de ce livre donne, de plus, de nombreuses références en français sur les débats et
controverses suscités par la théorie des choix publics.
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INDEX

A C
Aliénation 268-270 Candidats
Anarchie 19, 43, 53, 484, 663, 673, 701, 710, 727 Entrant et sortant 280-281
Avec coopération 45 Objectifs des 266, 279-281, 321-323, 512-513, 562-
Distribution 63 568
Dictature 56 note 1 Centralisation de l’Etat 262-263
Attitudes de l’électeur Choix public, Public Choice
Envers la taille de l’Etat 594 Définition 8
Envers les conditions macroéconomiques 511-514 Critique 753-754, 757-763
Axiome de non-dictature 671-675, 682-684 Développement du champ 8-13
Axiome anonymat 153-155, 166, 175 Méthodologie 8-13, 757-763, 766
Axiome d’association positive 680 Et théorie politique normative 765-766
Axiome de neutralité, voir neutralité Tests du modèle de 764-766
Axiome de réceptivité positive 153 Coalition
Dans espace multidimensionnel 328
Dans espace unidimensionnel 324
B Gagnante minimale 324-328, 334-335
Biens premiers 689 Gagnante minimum 325-328, 334-335, 766
Biens publics Gagnante de minimum de connexion 325-328, 334-
Et allocation efficiente 27-34, 81-84 335
Caractéristiques des 18-22 Coase
Et jeu de la poule mouillée 25-26 Cœur 40
Clubs et fourniture de 210-214, 223-227 Résultats expérimentales 39-40
Et choix collectifs 18-26, 49-50, 73-78 Généralisation 42
Définition 19, 22 Avec plus de deux joueurs 46
Demande de 281-283, 582-588 Et droits de propriété 45
Et dilemme du prisonnier 18-22 Coûts de transaction et intervention publique 597-599
Théorie et développement du Choix Public 8-11 Cœur
Fourniture volontaire de 27-31, 51-53 Et théorème de Coase 30-32
Et voter-avec-les-pieds 215-218 Avec Clubs 186, 194-197
Et la technologie du maillon faible 31-34 Définition et principe de différence 689-694
Borda (règle) 154, 175-178 Corruption 625
Décompte de Borda 171, 173, 178-181 Cœur politique 328-331
Bureaucratie (Chapitre 16) Compétition de candidats 266-278
Efficacité 410-411 Comportement de l’électeur
Taille de l’Etat 255, 601-605 Hypothèse d’aliénation 268
Contrôle 422, 440, 443 Etudes empiriques 533-535
Objectif 414, 439, 446 Hypothèse d’indifférence 268
Dictature 473, 486 Rationalité 508-509, 513-515, 529-531
866 CHOIX PUBLICS

Attitude rétrospective 507-509, 529-531 Démocratie et performance économique 489-491


Attitude égoïste 531 Dépendance au sentier, du chemin 675
Attitude sociotropique 531 Dépenses électorales 547 et suivante
Split-ticket voting 515, 525-526 Déterminants 562, 560
Concurrence électorale et politiques macroéconomiques Evidence empirique 553-557
506-515, 526-529 Information 548
Conflits 719, 723 Persuasion 548-552
Constitutions Vote des candidats 553
Axiome d’Arrow 671, 683 Vote des élus 561-569
Contraintes sur bureaucratie et gouvernement 436 Effets sur le bien être 570-573
Comme contrat 706-707, 726-728 Dictateur (Chapitre 18)
Comme convention 728 Dilemme du prisonnier
Anarchie 663 Et dépenses de campagne 572-573
Justice 706 Et interventions du gouvernement 18-22
Obligation sous 723 Dans une situation de marchandage politique (logrol-
Droit libéral parétien 746 ling) 137-139
Justice selon Rawls 688 Et nombre de joueurs 20-22, 46-50, 544-546
Comme fonction de bien être social 711-712, 731 Et libéralisme parétien 741-743
Sous des contraintes asymétriques 715-716 Et biens publics 18-22, 46-56, 546
Incertitude 706 Superjeux 21
Règle de vote 713-714, 717, 719, 721 Droits constitutionnels 723-726
Contrat social Droits de propriété
Analyse positive des choix publics 701-703 Et théorème de Coase 45-46
Principe de différence 689-698 Et règle de majorité 154-155, 159-161, 164
Contractualisme 161, 165, 686-689 Et fonction de bien-être social multiplicative 662-663
Problème de l’acceptation 692-696, 708, 726-731 Origine des 19-20
Règles de processus vs. de résultat final 696-698 Droits libéraux
Théorie du 686-688, 692-696 Définition des 736-737
Contrôle de l’agenda (Chapitre 5) Paradoxe parétien 736-738
Référendum budgétaire 427 Rawlsiens 688-689, 691, 695-696
Bureaucratie 599, 412-413, 430 Résolution du paradoxe des 737-739, 743-744
Ordre social 679 Sur des actions 739-741, 743-744
Modèle de vote spatial 758 Versus les droits constitutionnels 745-748
Critère de Condorcet 144, 176
Cycle (s) E
De mi-mandat 515-517, 527-531
Marchandage politique (Logrolling) 104-107 Economie expérimentale
Sous une règle majoritaire 99-100, 113-114 Théorème de Coase 37 et suivante
Théorème libéral parétien 736 Cycle 143
Avec majorité qualifiée 117-121 Production de biens publics 51-52
Test 140-145, 753, 755-757 Effet Baumol 585-589, 600, 607
Sous une règle de majorité qualifiée 753, 749, 758 Effet fly-paper 254-257
Concurrence entre 2 partis 268, 288-291 Efficacité
Cycles politico-économiques De la bureaucratie 409-410, 413, 414, 421, 423, 425,
Validation empirique 517-531 429, 486, 632
Cycles opportunistes 506-509, 520-529 Du gouvernement 369, 370
Cycles partisans 509-515, 515-529 De la recherche de rente 383, 389, 390
Inefficacité recherche de rente 406
Dictature 487
D Démocratie 11
Déficit public 536-539, 603 Allocative 12, 132 (chapitre 2)
Degré de « publicness » 284-285 Allocative versus distributive 55-56, 63, 639
Démocratie directe 609 De la publicité politique 553
Démocratie représentative, le besoin de 266 Efficacité versus inefficacité macroéconomique 599
Voir aussi candidats, monopole de l’Etat, systèmes Efficacité et institution 116
multipartis, systèmes bipartisans Egoïste, l’hypothèse du vote 370-378
Index 867

Elections représentatives 561-568 biens publics, redistribution, coûts de transaction


Enjeux consensuels 277-278 Voir aussi taille du gouvernement
Ensemble découvert 273-278 Groupes d’intérêt
Envie Et dépenses de campagnes électorales, preuves empi-
Et principe de différence 695-696 riques 553-561
Equilibre induit par la structure 134, 135-139 Et dépenses de campagnes électorales, théorie 547-
Equité, voir justice 552
Externalités 35-37 Effet sur le bien-être social 570-574
Théorème de Coase 37-40 Effet sur la multiplication des états 637-642
Définition 35 Et équilibre électoral 292-295
Pareto optimalité 35-37 Formation des 544-547
Et lobbying 569-570
F Et recherche de rentes 395-396
Taille du gouvernement 596-599, 607
Fédéralisme
Affectation de compétences 242-245
Centralisation 262-263 H
Subventions 249-262 Hare, formule de 309, 311, 321
Marchandage politique 246-248 Hare, système de 170-175
Taille de l’Etat 246-248, 257-262, 608-609 Harsanyi, fonction de choix social de, voir fonction de
Fonction de bien-être social (Arrow) choix social
Axiomes sous-jacents 671, 673-677, 683-684 Hommes politiques, hypothèses sur les 550, 553-555
Voir aussi axiomes individuels Hypothèse de l’homo oeconomicus 266
Définition 670 Hypothèse d’indifférence des électeurs 267-268
Démonstration de l’impossibilité 671-672
Et fonctions de bien-être social à valeur réelle 670
Et imperméabilité aux stratégies 680-683
I
Fonction de bien-être social (Bergson-Samuelson) Idéologie
Additive (Benthamienne) 650 Et vote 576
Et fonction de bien-être social axiomatique 670 Et politiques publiques 509-514, 516-528, 539-540,
Définition 648-651 763
Impossibilité 650-653, 767 Et vote des représentants élus 562-568
Multiplicative (Nash) 650-651 Ignorance rationnelle 429, 436, 439, 455
Et optimalité parétienne 649-650 Illusion budgétaire 254-257, 603-605
Fonction de bien-être social (Fleming) 653-654 Imperméabilité aux stratégies 680-683
Fonction de bien-être social (Harsanyi) Imperiali, formule de 309, 311, 321
Axiomes sous-jacents 653 Indépendance des alternatives infaisables 680
Et constitution 666, 711-712, 731 Indépendance des options non pertinentes 672, 680-685
Définie 655 Indépendance de la banque centrale 262-263
Le réalisme de la 661 Indifférence des électeurs 268
Et risque 657-660 Inflation 531-535
Accord unanime sur la 658-661 Instabilité
Fonction de bien-être social (Nash) 662-667 Politique 271, 273, 280
Fonction de bien-être social (Ng) 661-662 Avec vote déterministe 288, 289
Fonction de choix 674
Fonctions de popularité 498-506 J
Fonctions de vote 498-404
Free-rider, voir passager clandestin Jeu (x)
De la poule mouillée 25-27
De coordination 23 et suivante, 34
G Évolutionniste 25-27
Gouvernement Stratégie dominante et ensemble découvert 273-277
Autocratique, voir dictature Marchandage et équilibre de Nash 680
Contraintes constitutionnelles du gouvernement 436- Justice
439 Deux principes de 688-691, 692-698
Efficacité du gouvernement 422-435 Et équité 687-688
Justifications du gouvernement, voir externalités, Conception générale de 688, 696-698
868 CHOIX PUBLICS

Institutions favorisant la 698-691 von Neumann-Morgenstern, solution de 99


Et fonction de bien-être social 657-663 Neutralité, axiome de 155
Conception spéciale de 688-691, 695
O
L Obligations constitutionnelles 723-726
Léviathan, modèle de gouvernement Ordre lexical
Preuves empiriques 439-445 Dans la fonction de bien-être social de Bergson-
Théorie 436-439 Samuelson 651-653
Liberté économique Dans le principe de différence 689-691, 693-695
Croissance 635-636 Dans les deux principes de justice 689, 693
Lobbying 569-570 Ouverture économique 582-584
Logrolling, voir marchandage politique
Loi de Duverger 313-319 P
Loi de Popitz 262-263
Loi de Wagner 607 Parti central 328
Partis, voir candidats, systèmes multipartis, systèmes
bipartisans
M Passager clandestin (free-rider) (principes du passager
Majorité, règle de la clandestin) 22, 46-50, 544-547, 753-754, 764-766
Et manipulation de l’agenda 130-132 Pic unique, Préférences à, voir préférences unimodales
Allocation efficiente sous la 162-164, 596-597 Pluralité, règle de 170-174, 180
Equivalence axiomatique 159-164 Point, vote par voir vote par point
Et théorème du jury de Condorcet 148-152 Popularité voir fonction de popularité
Cycles sous la 99-100 Position originelle 687-691
Définition de la 153 Postulat de Pareto 671, 673, 737-743
Equilibre sous la, avec préférences homogènes 114- Voir aussi allocation efficiente
120 Pouvoir 410-412, 426-428, 477
Equilibre sous la, avec préférences non spatialement Pouvoir judiciaire
définies 110-113 Objectifs du 462-465
Equilibre sous la, avec préférences spatialement défi- Interactions avec les autres pouvoirs 462
nies 102-109 Préférences face au risque, les effets des
Théorème de May 153-156 Sur le comportement des bureaucrates 421-422
Et coalition gagnante minimale 324-328, 334-336 Sur les préférences en matière de redistribution, le
Cas normatifs de la 91-92 contrat social 688-694
Théorème de Rae-Taylor sur la 156 Sur la redistribution 69-71
Redistribution sous la 65-68, 94-98, 159-164, 166- Sur la dissipation de la rente 687-689
167, 587-596 Sur le choix de la fonction de bien-être social 657-661
Tyrannie de la 122-125, 141 Sur le vote 351-352
Et règle d’unanimité, comparaison 159-169 Président de l’exécutif et pouvoir législatif
Majorités optimales 88-93 Contrôle du pouvoir législatif sur le président 455-
Marchandage politique (logrolling) 121 et suivante, 121- 457
130, 137-139, 246-248, 269, 766 Contrôle du président sur le pouvoir législatif 457-
Marché noir 619-620 460
Modèle de vote spatial Impasse 460
De concurrence des candidats 266-276, 751, 757-759 Principe d’annulation 175
De décision des comités 102-110, 114-119, 130-131, Prix fiscal de Lindhal
133-135 Et processus de révélation de la demande 194-195
Dans des systèmes multipartis 324-333, 759-761 Et fourniture de bien public 84-85, 227-228
Multiplication des états 628-642 Et fourniture publique d’un bien privé 96-97
Production d’information 548
N Protectionnisme
Déterminants 406
Nash, fonction de bien-être social de
Propriétés normatives 664-668
Et vote probabiliste 293 Q
von Neumann-Morgenstern, utilité de 657-658 Quasi-transitivité 674
Index 869

R Sincère, l’hypothèse du vote 138 (note de bas de page),


150-152
Rae-Taylor, théorème de 714 Sociotropique, vote 531-532
Rationnel hypothèse du vote Soixante-quatre pour cents, la règle de la majorité à 117-
Preuves 353-364 121
Théorie 348-352, 375-378 Solution à des conflits 721, 725
Recherche de rente Sophistiqué, vote 138 (note de bas de page), 150-152,
Concours de 389-391 178-179
Dissipation de la rente et entrée 384-387 Stabilité
Dissipation de la rente et rendements d’échelle 382- Des commissions 142
384 Du gouvernement 339
Dissipation de la rente et préférences face au risque
Statu quo
387-388
Et fonction de bien-être multiplicative 662-663
Et dépenses publiques 402-403
Et règle de l’unanimité 159-160, 164-165
Et groupes d’intérêt 395-401
Stratégie maximin 689-690, 699-701
Les raisons de la 382-384
Stratégique, vote 340-342
Réglementation et 392-396
Voir aussi sophistiqué, vote
L’importance de la 393-395, 400-401, 403-405
Subventions intergouvernementales 249-247
Et politique commerciale 396-401
Symétrie, axiome ou condition de 663
Redistribution
Symétrie, contrainte constitutionnelle de 716-717
Et efficience allocative 63-65, 159-167
Systèmes bipartisans
Principe de différence 689-698, 701-702
Résultats avec vote déterministe 266-278
Et distribution de revenu 71-73
Système de vote limité 312-313
Principe d’habilitation 696
Les preuves 69-71, 72-74 Systèmes multipartis
Et normes d’équité 61-63 Coalition dans des, espace politique à dimension
Et intervention de l’Etat 57-65 unique 324-328
Et taille de l’Etat 587-589 Coalition dans des, espace politique à plusieurs
Sous la fonction de bien-être social d’Harsanyi 657- dimensions 328-334
661 Mode de scrutin pour créer des 307-312
Comme assurance 57-59, 62-63 Nombre de partis sous des 313-318
Et groupes d’intérêts 72-74, 391-401, 596-600, 637- Proportionnalité sous des 319-321
639 Justifications des 306-308
Sous la règle majoritaire 65-68 Et stabilité social 340
Pareto optimale 59-63 Stabilité des 334-339
Sous la règle de l’unanimité 57-65, 143-144 Vote stratégique sous les 341-343
Et le vote-avec-les-pieds 221-223, 230-231, 232-234
Referendum, résultats du 293, 422-424, 607-608 T
Règle
Taille de l’Etat
Majoritaire, voir majorité
Effet Baumol 585, 607
Efficacité allocative 598-599
Bureaucratie 256-257, 599-603, 606-607
Redistribution 589-598
Demande de biens publics 581-587, 606
Electorale
Démocratie directe 607-609
Définition 307
Fédéralisme 246-248, 257-262, 606-607
Avec un degré de proportionnalité 319-320
Illusion budgétaire 603-605
Et nombre de partis 313-319
Groupes d’intérêt 596-599, 608-609
Regret minimax et participation, stratégie de 351
Redistribution 587-596
Régulation 391-395
Statistiques 576-581, 587-588
Représentation proportionnelle, voir systèmes multipartis
Elasticité fiscale 605-607
Révolution 745-747, Solution concurrentielle d’un jeu
Couts de transaction 597-658
134, 144-145
Taxation
Elasticité 605-606
S Harmonisation 609-610
Sainte-Lagué, la formule de 309-311, 321 Modèles de 297-300
Samuelson, la condition de 28, 33, 83 Taxe à la Pigou 37
Schelling, point de 24 Théorème de Condorcet 148-151
870 CHOIX PUBLICS

Théorème de l’électeur médian Et vote par véto 199


Positions des candidats 266-268 Procédure de révélation de la demande 191, 683
Tests empiriques 281-284
Redistribution 587-596 V
Dans un espace politique à dimension unique 102
Dans un espace politique à plusieurs dimensions 102- Vote (s)
111 Approbation 170, 179
Théorème libéral parétien, voir droits libéraux Éthique 367-370
Théorème de May 153-156, 160 Expression 365-367
Transitivité 673-676 Déterminants 567, 569
Déterminants du vote des députés 561
Déterministe 288-291
U Par point 195-198, 205-209, 682
Unimodales, préférences 102-103, 677-678, 683 Partagé 513-514, 523-524
Uninominal et non transférable, vote 313 Probabiliste 287-294
Uninominal et transférable, vote 311-312 Critique 300-302
Union européenne Equilibre 291-292
Budget 260-262 Validation empirique 299-300
Impôt 609 Groupes d’intérêt 294-297
Prise de décision 465-468 Caractéristiques normatives 292-297, 300-302
Redistribution 70-72, 261-262 Taxation 297-299
Universalisme 248 Rétrospectif 507-508, 529-531
Utilité ordinale Sociotropique 531
Et fonction de bien-être social d’Arrow 681, 684 Stratégique 340-342
Et fonction de bien-être social de Bergson-Samuelson Vote probabiliste, modèle de
648-653, 647-654, 667, 670, 684 Critique du 300-305
Et fonction de bien-être social de Bentham 571, 662, Equilibre dans un 291-292
712-713, 717, 732 Preuves empiriques en faveur de 299-300
Et fonction de bien-être social de Nash 664-665, 670 Et groupes d’intérêt 294-296
Et fonction de bien-être social Harsany 654-657 Caractéristiques normatives du 292-293, 300-301
Et théorème de May 153 Taxation dans un 297-299
TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos ......................................................................................................................................................... 5

CHAPITRE 1
Introduction ...................................................................................................................................................... 7

PARTIE 1
Les origines de l’État
CHAPITRE 2
La rationalité des choix collectifs : l’efficience allocative ....................... 17
2.1 Biens publics et dilemme du prisonnier .................................................................... 18
2.2 Jeux de coordination ................................................................................................................ 23
2.3 Biens publics et jeu de la poule mouillée ................................................................ 25
2.4 Fourniture volontaire de biens publics avec des rendements
d’échelle constants ...................................................................................................................... 27
2.5 Fournitures volontaires de biens publics en faisant varier
les technologies d’offre ........................................................................................................... 31
2.6 Les externalités ............................................................................................................................... 35
2.7 Le théorème de Coase ............................................................................................................. 37
2.8 Coase et le noyau ....................................................................................................................... 40
2.9 Une généralisation du théorème de Coase ........................................................... 42
872 CHOIX PUBLICS

2.10 Le théorème de Coase tient-il sans des droits


de propriété prédéfinis ? ....................................................................................................... 45
2.11 Les externalités en présence d’un grand nombre d’acteurs .................... 46
2.12 Externalité avec un grand nombre d’individus - une seconde fois .. 49
2.13 Résultats expérimentaux portant sur la fourniture volontaire
de biens publics ............................................................................................................................ 51

CHAPITRE 3
La raison des choix collectifs : la redistribution .................................................. 55
3.1 Redistribution comme assurance .................................................................................... 57
3.2 La redistribution comme bien public ........................................................................... 59
3.3 Redistribution pour satisfaire des normes d’équité ......................................... 61
3.4 La redistribution pour améliorer l’efficacité allocative ................................. 63
3.5 La redistribution comme prédation ............................................................................... 65
3.6 Transfert de revenu ..................................................................................................................... 69
3.7 Redistribution et distribution du revenu .................................................................... 70
3.8 La redistribution pour des intérêts spéciaux ......................................................... 72

PARTIE 2
Les choix publics dans les démocraties directes
CHAPITRE 4
Le choix de la règle de vote ...................................................................................................... 79
4.1 La règle de l’unanimité ........................................................................................................... 80
4.2 Critiques de la règle de l’unanimité ............................................................................ 85
4.3 La majorité optimale ................................................................................................................. 87
4.4 La majorité simple comme majorité optimale ..................................................... 90

CHAPITRE 5
Les propriétés positives de la règle majoritaire .................................................. 93
5.1 Règle majoritaire et redistribution ................................................................................. 94
5.2 L’apparition de cycles .............................................................................................................. 99
5.3 Le théorème de l’électeur médian – dans un espace
unidimensionnel ......................................................................................................................... 102
5.4 La règle majoritaire dans un espace multidimensionnel ........................ 102
Table des matières 873

5.5 Démonstration du théorème de l’électeur médian


dans le cas multidimensionnel ....................................................................................... 109
5.6 Les équilibres induits par la règle majoritaire lorsque
les préférences ne sont pas représentées dans l’espace ......................... 110
5.7 Démonstration du théorème de l’axiome de restriction
et de la règle majoritaire ................................................................................................... 112
5.8 Les restrictions sur les préférences, sur la nature et le nombre
des alternatives et sur les choix de la règle de vote, pouvant
conduire à un équilibre ....................................................................................................... 114
5.8.1 L’homogénéité des préférences .................................................................................................. 114
5.8.2 Préférences homogènes et règles à la majorité qualifiée ........................................................ 117
5.8.3 La relation entre le nombre de questions soumises au vote et d’alternatives
et la majorité requise pour adopter une proposition ................................................................ 121
5.9 Le marchandage politique ................................................................................................ 121
5.10 marchandage politique et cycle ................................................................................... 126
5.11 Les tests empiriques du marchandage politique ............................................ 127
5.12 La manipulation de l’agenda politique .................................................................. 130
5.12.1 Le contrôle de l’agenda dans la théorie spatiale du vote ......................................................... 130
5.12.2 Le contrôle de l’agenda dans un jeu de partage du gâteau .................................................... 132
5.13 Les explications de l’absence de cycle ................................................................... 133
5.13.1 Des débats publics à une dimension .......................................................................................... 134
5.13.2 Voter selon une dimension à la fois ........................................................................................... 135
5.13.3 Équilibre en présence de marchandage politique ..................................................................... 137
5.13.4 Les preuves empiriques de l’existence des cycles ..................................................................... 140
5.13.5 Les preuves expérimentales de l’existence de cycles ................................................................ 142

CHAPITRE 6
Les propriétés normatives de la règle majoritaire ........................................ 147
6.1 Le théorème du jury de Condorcet ............................................................................ 148
6.2 Le théorème de May sur la règle majoritaire ................................................... 153
6.3 Preuve du théorème de May de la règle de la majorité ......................... 155
6.4 Le théorème de Rae et Taylor sur la règle de la majorité ...................... 156
6.5 Les hypothèses qui sous-tendent la règle de l’unanimité ........................ 157
6.6 Comparaison entre les différentes hypothèses qui sous-tendent
les deux règles ............................................................................................................................ 159
6.7 Les conséquences d’une application des règles aux mauvaises
questions ........................................................................................................................................... 162
6.7.1 Décider d’améliorer l’efficacité allocative via la règle de la majorité ..................................... 162
874 CHOIX PUBLICS

6.7.2 La décision de redistribuer via la règle de l’unanimité ............................................................ 164


6.8 Conclusion ...................................................................................................................................... 165

CHAPITRE 7
Les alternatives simples à la règle majoritaire ................................................. 169
7.1 La liste des alternatives simples ? ............................................................................... 170
7.2 Comparaison des règles de vote et efficacité
au sens de Condorcet ? ...................................................................................................... 171
7.3 Comparaison des règles de vote et efficacité
au sens de la philosophie utilitariste ? ................................................................... 174
7.4 La règle de Borda ..................................................................................................................... 175
7.4.1 Les propriétés axiomatiques ....................................................................................................... 175
7.4.2 Décompte de Borda et tyrannie de la majorité ......................................................................... 177
7.4.3 Décompte de Borda et stratégie de manipulation ..................................................................... 178
7.5 Le vote par approbation ..................................................................................................... 179
7.6 Implications pour la réforme des règles de décision électorale ....... 180

CHAPITRE 8
Les alternatives sophistiquées à la règle majoritaire ................................ 183
8.1 La procédure de révélation de la demande ...................................................... 184
8.1.1 Présentation de la procédure et de son fonctionnement .......................................................... 184
8.1.2 Vernon Smith et le mécanisme d’enchère .................................................................................. 194
8.2 Le vote par point ....................................................................................................................... 195
8.3 Une explication de la procédure du vote par point
de Hylland-Zeckhauser ........................................................................................................ 196
8.4 Le vote par veto .......................................................................................................................... 199
8.5 Une comparaison des procédures ............................................................................. 205

CHAPITRE 9
Sortie, Protestation et Trahison ........................................................................................... 209
9.1 La théorie des clubs ................................................................................................................ 210
9.2 Voter-avec-les-pieds ............................................................................................................... 215
9.3 L’optimum global via le « vote-avec-les-pieds » ............................................ 218
9.4 Les clubs et le noyau .............................................................................................................. 223
9.5 Voter-avec-les-pieds : validation empirique ...................................................... 228
9.6 L’association volontaire, l’efficience allocative et l’équité
de répartition ................................................................................................................................ 232
9.7 La théorie de la révolution ................................................................................................ 235
Table des matières 875

PARTIE 3
Les choix publics dans les démocraties représentatives
CHAPITRE 10
Fédéralisme ............................................................................................................................................... 241
10.1 La logique du fédéralisme ................................................................................................. 242
10.1.1 Le problème de l’affectation des compétences .......................................................................... 242
10.1.2 Fédéralisme avec représentation par zone géographique ........................................................ 245
10.2 Pourquoi la taille des gouvernements peut être « trop grande »
dans un système fédéral ? ................................................................................................. 246
10.2.1 Le marchandage politique ou « logrolling » .............................................................................. 246
10.2.2 Universalisme .............................................................................................................................. 248
10.3 Subventions intergouvernementales dans un contexte
de fédéralisme ............................................................................................................................. 249
10.3.1 Subventions intergouvernementales et optimalité de Pareto ................................................... 249
10.3.2 Validation empirique de l’existence de subventions intergouvernementales .......................... 254
10.4 Pourquoi la taille des gouvernements reste-t-elle « trop
importante » ou « trop petite » dans un contexte fédéral ? ................ 257
10.5 Le problème de la centralisation dans un contexte
de fédéralisme ............................................................................................................................. 262

CHAPITRE 11
Théorie du vote déterministe ................................................................................................. 265
11.1 Les résultats dans un système bipartite .................................................................. 266
11.2 La compétition entre deux partis dans un espace politique
sous contraintes .......................................................................................................................... 273
11.2.1 L’ensemble découvert .................................................................................................................. 273
11.2.2 L’ensemble découvert en présence d’enjeux consensuels ......................................................... 277
11.3 Assouplissement des conditions du modèle de Downs ............................ 278
11.3.1 Les candidats ont des préférences sur le choix des politiques .................................................. 279
11.3.2 Les candidats peuvent entrer et sortir de la compétition .......................................................... 280
11.4 Tester l’hypothèse de l’électeur médian ................................................................. 281
11.5 Est-ce que les dépenses publiques locales sont des biens
publics ou privés ? ................................................................................................................... 284

CHAPITRE 12
Théorie du vote probabiliste .................................................................................................. 287
12.1 L’instabilité avec le vote déterministe ....................................................................... 288
876 CHOIX PUBLICS

12.2 L’équilibre sous le vote probabiliste .......................................................................... 291


12.3 Les caractéristiques normatives de l’équilibre .................................................. 292
12.4 Équilibres avec des groupes d’intérêts ................................................................... 294
12.5 Une application sur la fiscalité ...................................................................................... 297
12.5.1 La logique générale .................................................................................................................... 297
12.5.2 Les recherches empiriques .......................................................................................................... 299
12.6 Commentaires .............................................................................................................................. 300

CHAPITRE 13
les systèmes multipartis ............................................................................................................... 305
13.1 Deux approches de la représentation ..................................................................... 306
13.2 Sélectionner un corps représentatif de législateur ........................................ 307
13.3 La représentation proportionnelle en pratique ................................................ 308
13.4 Les règles électorales ............................................................................................................. 308
13.4.1 Les formules de Droop, Imperiali, d’Hondt et Sainte-Lagué .................................................... 309
13.4.2 Le vote uninominal et transférable (STV) .................................................................................. 311
13.4.3 Le scrutin de vote limité .............................................................................................................. 312
13.4.4 Les systèmes de scrutin uninominal et non transférable (SNTV) ............................................. 313
13.5 Les règles électorales et le nombre de partis .................................................... 313
13.6 Les règles électorales et le degré de proportionnalité .............................. 319
13.7 Les objectifs des partis politiques ................................................................................ 321
13.7.1 Les théories sur la coalition gouvernementale dans un espace politique unidimensionnel .... 324
13.7.2 Les théories des coalitions gouvernementales dans un espace politique bidimensionnel
ou multidimensionnel .................................................................................................................. 328
13.7.2.1 Le cœur politique .............................................................................................................. 328
13.7.2.2 La médiane dimension par dimension ................................................................................ 331
13.8 La stabilité des gouvernements ..................................................................................... 334
13.8.1 La durée des gouvernements ..................................................................................................... 334
13.8.2 La mort des gouvernements ....................................................................................................... 336
13.8.3 Résumé ....................................................................................................................................... 339
13.9 Stabilité sociale ........................................................................................................................... 340
13.10 Le vote stratégique ................................................................................................................... 340
13.10.1Le vote stratégique sous la règle de la majorité ....................................................................... 340
13.10.2Le vote stratégique dans un système multipartis ...................................................................... 341
13.11 Remarques conclusives ......................................................................................................... 343
Table des matières 877

CHAPITRE 14
Le paradoxe du vote ....................................................................................................................... 347
14.1 L’hypothèse de l’électeur rationnel ............................................................................. 348
14.1.1 La maximisation de l’utilité attendue ........................................................................................ 348
14.1.2 Un goût pour le vote ................................................................................................................... 349
14.1.3 Le vote comme un jeu du chat et de la souris .......................................................................... 350
14.1.4 L’électeur rationnel en stratège du regret minimax ................................................................. 351
14.2 L’hypothèse de l’électeur rationnel : les preuves empiriques ............... 353
14.3 L’hypothèse de l’électeur expressif ............................................................................. 365
14.4 L’hypothèse de l’électeur éthique ................................................................................. 367
14.5 Les préférences éthiques comme comportement égoïste ......................... 370
14.6 L’électeur égoïste ........................................................................................................................ 372
14.7 Résumé et implications ......................................................................................................... 375

CHAPITRE 15
La recherche de rente .................................................................................................................... 379
15.1 La théorie de la recherche de rente .......................................................................... 380
15.1.1 Le modèle de recherche de rente basique avec un nombre fixe de joueurs ........................... 382
15.1.1.1 Le cas des rendements décroissants ou constants, r ≤ 1 ..................................................... 383
15.1.1.2 Le cas des rendements croissants avec 1 < r ≤ 2 ............................................................... 383
15.1.1.3 Le cas des rendements croissants avec r > 2 ...................................................................... 384
15.1.2 Les effets de la libre entrée ........................................................................................................ 385
15.1.3 La recherche de rente avec investissements séquentiels .......................................................... 385
15.1.4 La modification des hypothèses .................................................................................................. 387
15.1.4.1 La neutralité vis-à-vis du risque ........................................................................................... 387
15.1.4.2 Les groupes et la recherche de rente .................................................................................. 389
15.1.4.3 La recherche de rente lorsque la probabilité de gagner n’est pas définie
par une fonction logit ........................................................................................................ 389
15.1.4.4 Les différents types de concours de recherche de rente ....................................................... 390
15.2 Recherche de rente et régulation ................................................................................ 391
15.3 Recherche de rente et processus politique .......................................................... 395
15.4 La recherche de rente avec droits de douanes et quotas ...................... 396
15.4.1 Les effets économiques des droits de douane, des quotas et des restrictions
d’exportation volontaires ............................................................................................................ 396
15.4.2 Les modèles endogènes de protectionnisme .............................................................................. 398
15.4.3 Les zones d’ombre qui demeurent ............................................................................................. 401
15.5 Les autres formes de recherche de rente .............................................................. 402
15.6 Quelle est l’importance des pertes de bien-être provenant
de la recherche de rente ? ................................................................................................ 403
878 CHOIX PUBLICS

CHAPITRE 16
La Bureaucratie ..................................................................................................................................... 407
16.1 Incertitude, information et pouvoir ............................................................................ 410
16.2 Le bureaucrate maximise son budget ..................................................................... 412
16.2.1 Environnement et incitation ........................................................................................................ 413
16.2.2 Le modèle .................................................................................................................................... 414
16.3 Les extensions du modèle .................................................................................................. 416
16.3.1 Les hypothèses institutionnelles alternatives ............................................................................. 416
16.3.2 Négociation entre la tutelle et l’administration ......................................................................... 419
16.4 Les hypothèses comportementales alternatives ............................................... 419
16.4.1 La maximisation du budget discrétionnaire .............................................................................. 419
16.4.2 L’aversion au risque des bureaucrates ....................................................................................... 421
16.5 Les tests empiriques ................................................................................................................. 422
16.5.1 Les travaux sur l’explication de Niskanen et ses alternatives proprement dites .................... 423
16.5.2 Le pouvoir lié à la maîtrise de l’agenda politique .................................................................... 426
16.5.3 Les différences de coût entre la production de services publics et privés ................................ 428
16.6 Le gouvernement comme Léviathan .......................................................................... 436
16.6.1 Théorie ......................................................................................................................................... 436
16.6.2 Tests empiriques - dépenses et fiscalité gouvernementale ....................................................... 439
16.7 Conclusion ...................................................................................................................................... 445

CHAPITRE 17
Pouvoir législatif, administration, exécutif et pouvoir judiciaire .. 449
17.1 Le modèle de la suprématie de l’assemblée législative ........................... 450
17.1.1 La domination de l’Assemblée sur la structure administrative ................................................. 450
17.1.2 La suprématie du Congrès sur la procédure administrative ..................................................... 452
17.2 Les effets de l’incertitude et des coûts de transaction ................................ 453
17.2.1 L’incertitude et la question de la responsabilité ........................................................................ 453
17.2.2 Incertitude, coûts de transaction et engagement ...................................................................... 454
17.3 L’Assemblée et le président .............................................................................................. 455
17.3.1 Le pouvoir législatif contrôle le président .................................................................................. 455
17.3.2 Le contrôle présidentiel sur le pouvoir législatif ....................................................................... 457
17.3.3 Le problème des blocages ........................................................................................................... 460
17.4 L’assemblée, le président et le pouvoir judiciaire ......................................... 462
17.4.1 Ajouter l’appareil judiciaire au modèle ...................................................................................... 462
17.4.2 Les objectifs de l’appareil judiciaire ........................................................................................... 464
17.5 La prise de décision législative dans l’Union européenne .................... 465
17.6 Conclusions .................................................................................................................................... 468
Table des matières 879

CHAPITRE 18
La dictature ................................................................................................................................................ 471
18.1 Les origines de la dictature .............................................................................................. 473
18.2 Les objectifs des dictateurs ................................................................................................ 476
18.2.1 La consommation du dictateur ................................................................................................... 476
18.2.2 Le pouvoir .................................................................................................................................... 477
18.2.3 La sécurité .................................................................................................................................... 477
18.3 Fonctionnement et survie des dictatures ................................................................ 478
18.3.1 Le dictateur maximisateur d’utilité ............................................................................................ 478
18.3.2 Les dictateurs fantoches et les dictateurs totalitaires ................................................................ 479
18.3.3 Les stratégies sélectives de survie .............................................................................................. 480
18.3.4 Le dilemme du dictateur ............................................................................................................. 482
18.3.5 Les limites du totalitarisme ......................................................................................................... 484
18.4 L’apogée et le déclin des dictatures .......................................................................... 484
18.5 Dictature et performance économique ................................................................... 487
18.5.1 Les avantages relatifs de la dictature et de la démocratie ....................................................... 487
18.5.2 La performance économique relative des dictatures et des démocraties ................................ 489
18.5.2.1 Un test direct du modèle de dictature de Wintrobe .............................................................. 491
18.6 Conclusions .................................................................................................................................... 492

PARTIE 4
Applications et tests empiriques

CHAPITRE 19
Compétition politique et performance macroéconomique ................... 497
19.1 Performance macroéconomique et succès électoral ................................... 498
19.1.1 Vote et fonctions de popularité ................................................................................................... 498
19.1.2 Qui les électeurs tiennent-ils responsables des conditions économiques ? .............................. 502
19.2 Politique et opportunisme .................................................................................................. 506
19.2.1 En présence d’électeurs myopes ................................................................................................. 507
19.2.2 En présence d’électeurs rationnels ............................................................................................. 508
19.3 Politique partisane ................................................................................................................... 509
19.3.1 Politique partisane en présence d’électeurs aux jugements rétrospectifs ............................... 512
19.3.2 Politique partisane en présence d’électeurs prospectifs ............................................................ 513
19.4 Validation empirique ............................................................................................................. 515
880 CHOIX PUBLICS

19.4.1 Est-ce que les politiciens essayent de manipuler les conditions macroéconomiques ? ............ 515
19.4.2 Existe-t-il des biais partisans ? ................................................................................................... 516
19.4.3 Quelles théories correspondent le mieux aux données ? ......................................................... 520
19.4.4 Des preuves additionnelles pour le modèle d’Alesina et Rosenthal ......................................... 525
19.4.5 Discussion ..................................................................................................................................... 526
19.5 Comportement de l’électeur ............................................................................................. 529
19.5.1 Myopie, perception rétrospective, rationalité ............................................................................ 529
19.5.2 Sociotropique ou égotropique ..................................................................................................... 531
19.6 Politique et inflation ................................................................................................................ 531
19.6.1 Hypothèses ................................................................................................................................... 531
19.6.2 Les faits ........................................................................................................................................ 533
19.6.3 L’indépendance de la banque centrale ....................................................................................... 535
19.7 Déficits ................................................................................................................................................ 536
19.7.1 Les faits ........................................................................................................................................ 536
19.7.2 Hypothèses ................................................................................................................................... 537
19.7.2.1 Illusion budgétaire et la désillusion keynésienne ................................................................. 537
19.7.2.2 Cycles politico-économiques ............................................................................................... 537
19.7.2.3 Effets partisans ................................................................................................................. 537
19.7.2.4 La paralysie gouvernementale ............................................................................................ 537
19.7.2.5 Règles budgétaires ............................................................................................................ 538
19.7.3 Validation empirique ................................................................................................................... 538
19.8 Réflexions ......................................................................................................................................... 539

CHAPITRE 20
Groupes d’intérêt, contributions de campagne et activités
de lobbying ............................................................................................................................................... 543
20.1 La logique de l’action collective ................................................................................... 544
20.2 Les modèles du comportement des groupes d’intérêt ................................ 547
20.2.1 Les campagnes d’information dans un modèle de Downs ........................................................ 548
20.2.2 Les campagnes de propagande dans un modèle de Downs ..................................................... 548
20.3 Les études empiriques des causes et conséquences
des contributions de campagne ................................................................................... 553
20.3.1 Les voix obtenues par un candidat dépendent de ses dépenses de campagne ....................... 553
20.3.2 Les déterminants des contributions de campagne ..................................................................... 559
20.3.3 Les déterminants du vote des députés et des contributions de campagne .............................. 561
20.3.4 Les déterminants du vote des députés : comportement idéologique ou stratégie
de survie ? ................................................................................................................................... 562
20.3.5 Évaluation .................................................................................................................................... 566
20.4 Le lobbying ..................................................................................................................................... 569
Table des matières 881

20.5 Les effets en termes de bien-être de l’activité


des groupes d’intérêts ........................................................................................................... 570

CHAPITRE 21
La taille de l’État .................................................................................................................................. 575
21.1 Les faits .............................................................................................................................................. 576
21.2 Explications de la taille et de la croissance de l’État ................................. 581
21.2.1 Le gouvernement comme fournisseur de biens publics et comme correcteur d’externalités . 581
21.2.1.1 Les variables de « préférence » pour la dépense publique ................................................... 582
21.2.1.2 Le revenu ......................................................................................................................... 585
21.2.1.3 L’effet Baumol .................................................................................................................. 585
21.2.2 Le gouvernement comme redistributeur de revenus et de richesses ....................................... 587
21.2.2.1 Le modèle de Meltzer et Richard ........................................................................................ 588
21.2.2.2 Hypothèses additionnelles sur les liens entre redistributions et la croissance de l’État ............ 591
21.2.2.3 Quelques difficultés logiques et/ou empiriques avec l’hypothèse reliant redistribution
et croissance de l’État ....................................................................................................... 592
21.2.2.4 Tests empiriques directs de l’hypothèse du lien entre redistribution et taille de l’État ............ 593
21.2.3 Les groupes d’intérêt et la croissance de l’État ......................................................................... 596
21.2.4 L’administration et la croissance du gouvernement .................................................................. 599
21.2.5 Illusion budgétaire ...................................................................................................................... 603
21.2.6 L’élasticité fiscale ......................................................................................................................... 605
21.3 Conclusion ...................................................................................................................................... 606

CHAPITRE 22
Taille de l’État et performance économique ......................................................... 611
22.1 Impôt et perte de bien-être ............................................................................................... 612
22.2 Taille de l’État et marché noir ........................................................................................ 617
22.3 Taille de l’État et corruption ............................................................................................. 623
22.4 Taille du gouvernement et productivité économique .................................. 625
22.5 Taille de l’État et croissance économique ............................................................. 628
22.5.1 Problèmes méthodologiques ....................................................................................................... 629
22.5.2 Preuves empiriques ..................................................................................................................... 631
22.6 Activité de l’État et déclin économique des nations .................................... 637
22.6.1 La théorie ..................................................................................................................................... 637
22.6.2 Les preuves empiriques ............................................................................................................... 639
22.7 Conclusions .................................................................................................................................... 642
882 CHOIX PUBLICS

PARTIE 5
Analyse normative des choix publics

CHAPITRE 23
Les fonctions de bien-être social ........................................................................................ 647
23.1 La fonction de bien-être social de Bergson et Samuelson ..................... 648
23.2 Les fonctions de bien-être social axiomatique ................................................. 653
23.2.1 La fonction de bien-être social de Fleming ................................................................................ 653
23.2.2 Les fonctions de bien-être social d’Harsanyi ............................................................................. 654
23.2.3 Deux critiques de la fonction de bien-être social d’Harsanyi ................................................... 657
23.2.3.1 Doit-on tenir compte des attitudes individuelles face au risque ? .......................................... 657
23.2.3.2 Les individus peuvent-ils s’entendre sur une valeur de W ? ................................................. 658
23.2.4 La fonction de bien-être social de Ng ........................................................................................ 661
23.2.5 Fonction de bien-être social de Nash et autres fonctions multiplicatives ................................. 662
23.3 Quel type de fonction de bien-être social est préférable ? .................. 664

CHAPITRE 24
L’impossibilité d’un ordre social ......................................................................................... 669
24.1 Logique de la preuve ............................................................................................................. 670
24.2 Un affaiblissement des postulats .................................................................................. 673
24.2.1 La transitivité ............................................................................................................................... 673
24.2.2 L’universalité ................................................................................................................................ 677
24.2.3 L’indépendance des options non pertinentes ............................................................................. 678
24.3 Les fonctions de bien-être social imperméables aux stratégies ........ 680
24.4 Implications pour les théories du choix social ................................................. 683

CHAPITRE 25
Un contrat social juste ................................................................................................................... 685
25.1 Le contrat social ......................................................................................................................... 687
25.2 Les deux principes de justice .......................................................................................... 688
25.3 Extension de la théorie aux autres étapes de choix collectifs ............ 691
25.4 Critique du contrat social rawlsien ............................................................................ 691
25.4.1 Le contrat social ........................................................................................................................... 692
25.4.2 Les deux principes de justice ...................................................................................................... 696
25.4.3 Preuves expérimentales .............................................................................................................. 698
25.5 Deux défenses utilitaristes du principe du maximin .................................... 699
Table des matières 883

25.5.1 Maximin comme moyen pour obtenir de l’acceptation ............................................................ 699


25.5.2 Maximin comme un principe de redistribution .......................................................................... 701
25.6 Le contrat social comme constitution ........................................................................ 701

CHAPITRE 26
La constitution comme un contrat utilitariste ....................................................... 705
26.1 Le contexte constitutionnel ................................................................................................. 707
26.2 Les cas de deux acteurs ...................................................................................................... 708
26.3 Le contrat constitutionnel .................................................................................................... 710
26.3.1 Action collective optimale avec seulement de l’incertitude identitaire ..................................... 711
26.3.2 Action collective optimale avec incertitude identitaire et numérique ....................................... 713
26.3.3 Action collective optimale avec incertitude identitaire, numérique et des gains ..................... 715
26.4 Interdictions et obligations symétriques et asymétriques ........................ 716
26.5 Actions continues avec des utilités interdépendantes ................................ 717
26.6 Les coûts de la prise de décision ................................................................................. 719
26.6.1 Dilemmes du prisonnier .............................................................................................................. 720
26.6.2 Conflits directs ............................................................................................................................. 723
26.7 Droits et obligations ................................................................................................................ 723
26.8 Constitution : contrats ou conventions ? ................................................................ 726
26.8.1 Constitutions comme contrats ..................................................................................................... 727
26.8.2 Constitutions comme conventions ............................................................................................... 728
26.8.3 Discussion ..................................................................................................................................... 729
26.9 Conclusions sur les théories à deux étapes du choix social ................ 731
26.10 D’une théorie des constitutions normative
et à deux étapes à un test des hypothèses ......................................................... 733

CHAPITRE 27
Le droit libéral et les choix sociaux ............................................................................... 735
27.1 Le théorème ................................................................................................................................... 736
27.2 La résolution du paradoxe ................................................................................................ 737
27.2.1 Le respect des droits plutôt que du principe de Pareto ............................................................. 737
27.2.2 Des échanges d’actions parétiens .............................................................................................. 739
27.2.3 Les échanges parétiens des droits ............................................................................................. 741
27.3 Des droits sur les états sociaux ou des droits sur des actions ............ 743
27.4 Droits libéraux et obligations ......................................................................................... 745
27.5 Droit constitutionnel et droit libéral ........................................................................... 745
884 CHOIX PUBLICS

PARTIE 6
Qu’avons nous appris ?

CHAPITRE 28
Le courant du Public Choice a-t-il fait avancer l’étude
de la politique ? ................................................................................................................................... 751
28.1 Les échecs du modèle du choix rationnel en sciences politiques .... 753
28.2 La modélisation de l’approche du choix rationnel ...................................... 754
28.3 Les prévisions de la théories des cycles ................................................................. 757
28.4 Les prévisions des modèles spatiaux ........................................................................ 759
28.5 Les prévisions concernant le vote et le comportement
de passager clandestin ........................................................................................................ 762
28.6 La contribution du public choice à l’étude positive
des institutions politiques .................................................................................................... 764
28.7 La contribution du public choice à l’étude normative
de la politique .............................................................................................................................. 766
28.8 Conclusions .................................................................................................................................... 767

Bibliographie ................................................................................................................................................... 773


Index ......................................................................................................................................................................... 865
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