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MOTS CLÉS Résumé L’os est un matériau anisotrope et viscoélastique. Il se forme et se résorbe en
Os ; fonction des contraintes mécaniques qu’il subit (loi de Wolff). Sa résistance varie en
Biomécanique ; fonction de la direction suivant laquelle la charge est appliquée. L’os est plus fragile en
Consolidation ; tension qu’en compression. L’activité musculaire modifie les contraintes supportées par
Ostéosynthèse les os in vivo. La consolidation osseuse est influencée par des facteurs mécaniques : la
statique ;
question la plus importante est le choix entre une fixation stable ou une fixation instable.
Ostéosynthèse
dynamique ;
L’ostéosynthèse est statique si sa raideur ne change pas pendant la durée de la consoli-
Ostéosynthèse stable dation. Si le foyer de fracture a été ouvert une ostéosynthèse statique doit être stable.
L’ostéosynthèse est dynamique quand on fait varier sa raideur pendant la consolidation,
pour améliorer la formation du cal ou pour réduire le risque de fracture itérative (clou et
fixateur externe). L’ostéosynthèse dynamique peut être relativement instable pendant
5 ou 6 semaines pour favoriser le cal périosté, et après cela stable jusqu’à la fin de la
consolidation. Le degré d’instabilité qui favorise la consolidation pendant les premières
semaines est encore inconnu. L’expérience montre qu’elle doit rester modérée.
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS Abstract Bone is a living anisotropic and viscoelastic material. Bone remodels in response
Bone; to the mechanical demands placed upon it (Wolff’s law). Bone strength varies according
Biomechanics; to the direction in which the load is imposed. Bone is weaker in tension than in
Fracture healing; compression. Muscle activity alters the in vivo stress pattern in bone. Bone healing is
Static osteosynthesis; influenced by mechanical factors. The most extensive question is the choice between
Dynamic stable or unstable fixation: the osteosynthesis is static if the stiffness never changes
osteosynthesis;
during the fracture healing. In an open fracture site a static osteosynthesis must be
Stable osteosynthesis
stable. The osteosynthesis is dynamic when its stiffness vary during the fracture repair in
order to improve the callus formation or to reduce the risk of refracture (nail and external
fixator). The dynamic osteosynthesis can be slightly unstable during 5 or 6 weeks in order
to enhance the periosteal callus and after that stable until the end of the fracture
healing. The amount of instability which improves the healing is still unknown. The
experience suggests that it must be moderate.
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : jp.meyrueis@wanadoo.fr (P. Meyrueis).
Introduction
Les fractures peuvent être traitées en suivant les
principes émis par certaines écoles renommées. Le
chirurgien doit cependant garder l’esprit ouvert
aux nouvelles idées, sans succomber aux modes
passagères. Il doit pour cela s’appuyer sur les no-
tions fondamentales concernant la consolidation
osseuse et ses bases mécaniques.
Les notions essentielles concernant la consolida-
tion osseuse ont été exposées dans un autre article 1 2 3
de ce traité.
Ce travail qui lui fait suite est consacré aux
caractéristiques mécaniques de l’os et à la biomé-
canique de la consolidation. Nous espérons que le
lecteur trouvera dans ces pages les règles qui gui-
deront ses choix thérapeutiques.
Biomécanique de l’os
Caractéristiques mécaniques des matériaux
4 5 6
Un bref rappel des notions de base est indispensable Figure 1 Différents types de charges et de force. 1. Tension ; 2.
avant d’envisager les propriétés mécaniques de l’os, compression ; 3. flexion ; 4. cisaillement ; 5. torsion ; 6. charge
tissu vivant de structure complexe, et celles des combinée torsion-compression.
implants utilisés pour l’ostéosynthèse des fractures.
conserverons donc ces unités. Le lecteur obtiendra
les résultats en MPa en multipliant les chiffres
Définitions
indiqués par 10.
Forces et contraintes peuvent être classées en
Force
tension (traction), compression, flexion, torsion et
Une force est une action ou une influence telle
cisaillement (Fig. 1).
qu’une traction ou une pression qui, appliquée à un
La tension tend à allonger le matériau et à le
corps libre, tend à l’accélérer ou à le déformer
rétrécir. Inversement, la compression le raccourcit
(force = masse × accélération). Elle se définit par son
et l’élargit. Les deux agissent perpendiculairement
point d’application, sa direction et son intensité.
à la surface du matériau.
Un newton est une force qui, appliquée à une
Le cisaillement (shear stress) agit parallèlement
masse de 1 kg lui donne une accélération de 1 m par
à cette surface.
seconde carrée.
La torsion provoque dans le matériau des
contraintes perpendiculaires à l’axe neutre de la
Contrainte
structure.
Une contrainte (stress) peut être définie comme la
résistance interne à la déformation, ou la force
Déformation relative
interne produite dans un matériau par l’application
La déformation relative que les Anglo-Saxons dési-
d’une charge extérieure.
gnent sous le terme de strain est la déformation
Contrainte = charge / surface d’application de la charge d’un matériau résultant de l’application d’une
Suivant le système international, les contraintes force ou d’une charge.
sont exprimées en newtons par mètre carré Il existe deux types de déformations relatives :
(1 N/m2 = 1 Pa), parfois en N/mm2 (1 N/mm2 = 1 mé- • les déformations en tension ou en compression
gapascal ou MPa). Toutefois, de très nombreuses qui s’expriment le plus souvent en pourcentage
publications expriment encore les contraintes en de la longueur initiale (DL/L) ou en centimè-
kilogrammes-force par millimètre carré (kgf/mm2). tres par centimètre (Fig. 2) ;
1 kgf/mm2 = 9,81 MPa, c’est-à-dire en pratique • les déformations en cisaillement qui représen-
10 MPa. tent le pourcentage de déformation angulaire
Une grande partie des mesures concernant l’os du matériau et qui s’expriment en radians
ont été effectuées en utilisant les kgf/mm2. Nous (Fig. 3).
66 P. Meyrueis et al.
Lo 1 2 3
Contrainte
(kg/mm2)
σB B
σD D C
σC
σA
A
Lo + L
F D'
O
εD εA εB εC
Déformation (%)
L
l’éprouvette. On parle alors de la contrainte
(stress) nominale de traction : a = F/S, qui s’ex-
prime en (MPa) ou en kgf/mm2.
De la même façon, l’allongement DL est rapporté
à la longueur initiale L pour donner la déformation
(strain) linéaire DL/L, qui s’exprime en pourcen-
T tage.
T
On obtient ainsi la courbe
(contrainte/déformation) caractéristique du maté-
riau.
ϕ
En examinant un exemple de courbe
(contrainte/déformation) (Fig. 4), on observe trois
zones distinctes.
eA est la déformation produite par rA ; c’est la Un matériau est cassant s’il se rompt rapidement
plus grande déformation élastique du matériau dès que sa limite élastique est atteinte. Sa plasti-
(yield strain). cité est faible ou nulle. C’est le cas du titane.
La ductilité ou malléabilité caractérise un maté-
Zone de déformation plastique (partie AB riau apte à se déformer dans la zone de plasticité,
de la courbe) comme par exemple le cuivre.
Au-delà du point A, la pente de la courbe diminue
jusqu’à s’annuler. C’est-à-dire qu’à une faible aug- Essais en flexion
mentation de la contrainte appliquée correspond
Il existe différentes techniques de tests en flexion.
une forte augmentation de la déformation.
Elles varient en fonction du mode d’appui [encas-
En outre, cette déformation n’est plus entière-
ment réversible. Si pour un niveau de contrainte rD trement ou appui simple du nombre d’appuis]
la charge est lentement réduite, il en résulte une [flexion trois points (Fig. 5) ou quatre points
décharge le long de D’D, pratiquement parallèle à (Fig. 6)] et du mode de chargement. Les éprouvet-
OA. Lorsque la contrainte est ramenée à zéro, il tes doivent être longues et portent dans ce cas le
subsiste une déformation résiduelle eD (on parle de nom de poutres. Nous ne pouvons pas entrer dans le
déformation plastique). C’est ce que le chirurgien détail de la théorie des poutres. Nous indiquons
réalise très souvent en modelant une plaque d’os- seulement quelques notions essentielles : en sou-
téosynthèse. C’est également le cas pour l’incurva- mettant une poutre (mais aussi l’os, un implant ou
tion d’un des deux os de l’avant-bras de l’enfant le composite os-implant) à des tests en flexion, on
lorsque l’autre os est fracturé. provoque une déformation de cette poutre. Sa face
Si l’on effectue une nouvelle mise en charge à supérieure devient plus courte que sa face infé-
partir du point D’, on constate une évolution élas- rieure. La face supérieure est en compression et la
tique le long de D’D, puis une évolution plastique le face inférieure en flexion. La poutre est en fait
long de DB. La limite élastique du matériau est soumise à un gradient linéaire de contraintes allant
maintenant rD (supérieure à rA) ; les propriétés du de la compression à la flexion. Il y a donc une zone
matériau ont donc été modifiées. On dit que le de la poutre dans laquelle les contraintes sont
matériau a été écroui ou qu’il a subi un écrouissage nulles. Cette zone correspond à un plan de symétrie
(strain hardening). horizontal appelé plan neutre de la poutre.
Écrouir un métal ou un alliage consiste donc à le
travailler sous des efforts supérieurs à sa limite
d’élasticité pour le transformer en un autre corps à
limite d’élasticité accrue, mais à domaine plasti-
que réduit.
L’écrouissage peut être obtenu en métallurgie
par forgeage, étirage ou laminage à froid. Le ré-
chauffement à forte température de ce métal
écroui lui rend ses qualités initiales. C’est le phé- F
nomène du recuit. L’usinage d’un implant entraî-
nant des écrouissages locaux, il est assez souvent
recuit pour lui rendre ses propriétés initiales.
Limite de
fatigue
δ = P a (312 - 4a2)
EI 24 Nombre de cycles à la rupture
e
EI = P a (312 - 4a2) Figure 7 Courbe de Woehler.
L
δ 24
connue, on relève le nombre de cycles pour lequel
Figure 6 Essai de flexion quatre points. La flexion d est inverse- la rupture de l’éprouvette survient. La courbe
ment proportionnelle à la rigidité en flexion EI. La rigidité en (charge/nombre de cycles à la rupture) obtenue est
flexion dépend du module d’élasticité (E) du matériau et du appelée courbe de Woehler.
moment d’inertie (I), qui dépend lui-même des dimensions de En examinant un exemple de courbe de Woehler
l’éprouvette rectangulaire. EI : rigidité en flexion ; E : module (Fig. 7), on constate généralement que :
d’élasticité du matériau de la poutre ; I = Le3 / 12.
• le nombre de cycles que supporte un matériau
Essais en torsion avant rupture diminue quand la charge appli-
Un cylindre subit une contrainte en torsion lorsque quée augmente ;
ses extrémités sont soumises à un couple (forces • il existe une valeur de la charge en deçà de
parallèles travaillant dans des directions opposées) laquelle, quel que soit le nombre de cycles la
dont le plan est perpendiculaire à l’axe du cylindre. rupture ne se produit pas.
Les contraintes de torsion se manifestent en spira- Cette valeur de la charge est appelée limite de
les continues tout le long de l’objet. fatigue ou limite d’endurance. Pour les alliages
Si on applique un couple de torsion (Fig. 3) aux habituellement utilisés en orthopédie, elle varie
extrémités d’une éprouvette, on observe sur la autour de 50 % de la charge de rupture.
courbe (couple appliqué/angle de torsion) un com- Soumis à une charge supérieure à la limite de
portement identique à celui obtenu lors de l’essai fatigue, le matériau casse inéluctablement après
en traction. La courbe présente une partie linéaire un certain nombre de cycles. Soumis à une charge
élastique, puis une zone plastique non linéaire inférieure à la limite de fatigue, il ne casse pas.
jusqu’à rupture. L’endurance d’un implant augmente avec le taux
Si en traction, pour une section circulaire de d’écrouissage. Un implant recuit, très plastique, a
l’éprouvette, la contrainte dans celle-ci est inver- une limite de fatigue basse.
sement proportionnelle au carré du diamètre, en Compte tenu des charges qu’ils supportent, une
torsion elle est inversement proportionnelle au plaque d’ostéosynthèse ou un clou centromédul-
cube de ce diamètre. laire sont au-dessous de la limite de fatigue lors-
Pour un cylindre creux et pour une même sec- que la fracture est consolidée. Dans ces conditions,
tion, ce cylindre est d’autant moins contraint en ils ne cassent pas. Ils cassent en revanche obliga-
torsion que le diamètre extérieur est important. toirement pour un nombre de cycles prédéterminé
si la fracture ne consolide pas, car l’implant tra-
Essais en fatigue vaille au-dessus de sa limite de fatigue.
Un matériau peut se rompre sous une contrainte On estime habituellement à 2 millions le nombre
inférieure à sa limite élastique s’il est soumis à des de cycles de contraintes supportés par un implant
du membre inférieur en 1 an.
contraintes cycliques : c’est le phénomène de fati-
Le lecteur intéressé peut trouver plus de détails
gue.
sur les caractéristiques mécaniques des matériaux
Un des essais les plus pratiqués pour déterminer
utilisés pour la fabrication des implants destinés à
le comportement en fatigue d’un matériau consiste
l’ostéosynthèse, dans notre article de l’Encyclopé-
à soumettre une éprouvette à un essai en torsion
die Médico-Chirurgicale.42
alternée et flexion rotative. Afin que les fibres du
matériau soient successivement comprimées puis Caractéristiques mécaniques de l’os
tendues, l’extrémité de l’éprouvette est soumise à
une rotation cyclique, tandis qu’une charge est La connaissance des caractéristiques mécaniques
appliquée à l’autre extrémité. La charge étant de l’os est indispensable pour la compréhension du
Biomécanique de l’os. Application au traitement des fractures 69
∆ l = 1,25·10-3 mm/mm
l
Contraintes
Déformation
A
N
C. a j T.
i
Contraintes
b
c g h
d e f
A B
˚
30
Contraintes
˚ N N
60
Déformations
N N
A A
Déformation
Anisotropie Viscoélasticité
Matériau composite élastique, l’os a de nombreuses L’os vivant est viscoélastique. Ses propriétés méca-
autres caractéristiques. En 1958, Evans19 a montré niques varient avec la vitesse d’application de la
qu’il est anisotrope, c’est-à-dire qu’il n’a pas les charge. Il perd en partie cette propriété à l’état
mêmes propriétés dans tous les plans. Les résistan- sec. Grâce à cette caractéristique, il résiste mieux
ces en traction que nous avons indiquées sont celles aux efforts rapides qu’aux efforts lents. La viscoé-
qui s’appliquent suivant l’axe longitudinal de l’os. lasticité de l’os lui permet de mieux s’adapter aux
Transversalement ou obliquement, cette résistance contraintes :58
est plus faible (Fig. 11). • si on applique une charge sur un os, il se
La résistance et la raideur de l’os sont maximales déforme instantanément ; si la charge est
dans les directions correspondant aux contraintes maintenue, l’os continue à se déformer pen-
les plus élevées. En 1975, Reilly et Burstein52 ont dant 55 jours ;
présenté la première étude systématique de l’ani- • après 55 jours, la déformation atteint 153 % de
sotropie de l’os. Ils ont montré que le module celle qui avait été obtenue après les 2 premiè-
d’élasticité longitudinal était en moyenne 50 % plus res minutes.
élevé que le module transversal. Konirsch26 a mon- Le serrage d’une vis illustre bien cette viscoélas-
tré, grâce aux extensomètres électriques à grande ticité. Après l’avoir serrée à fond, il est toujours
amplification, que le module d’élasticité varie no- possible de donner un quart ou un demi-tour après
tablement suivant la face de l’os et suivant qu’on quelques minutes.
l’étudie en traction longitudinale, en compression
ou en flexion. Il diminue de l’endoste au périoste, Autres propriétés
ce qui tend à égaliser les contraintes intraosseuses Tissu vivant, l’os a en outre deux propriétés consi-
(Fig. 12) : dérables qui le distinguent des autres matériaux :
• à proximité de l’endoste : 2 600 kgf/mm2 • en réponse à des demandes fonctionnelles, il
(26 000 MPa) ; peut changer ses propriétés mécaniques loca-
• sous le périoste : 1 400 kgf/mm2 (14 000 MPa). les et les adapter aux contraintes. Il existe une
L’os étant plus résistant en compression qu’en « fenêtre de contraintes admissibles » ; si l’os
traction, c’est de préférence sa face soumise à des est soumis à un excès de contrainte, il va
contraintes en traction qu’il faut renforcer lors s’adapter en augmentant de volume et en mo-
d’une ostéosynthèse. Fort heureusement, les mé- difiant sa texture. Si les contraintes devien-
taux utilisés comme implants pour l’ostéosynthèse nent excessives, il se nécrose ou se fracture
possèdent une bonne résistance en traction. (fractures de fatigue). Si au contraire il est
Biomécanique de l’os. Application au traitement des fractures 73
T C
0
C T
10
15
20
25
2 Membre supérieur
C’est aux faces postérieures de l’humérus et des
3 deux os de l’avant-bras que siègent généralement
les contraintes de traction.
4
HS FF HO S
HO TO Résistance globale des os
Figure 18 Contraintes sur la corticale antéroexterne du tibia
Elle a été étudiée par Yamada.66 Le Tableau 1
pendant la marche (1,4 m/s). HS : appui du talon ; FF : appui donne un résumé de ces résultats.
plantaire ; HO : soulèvement du talon ; TO : soulèvement du gros
orteil ; S : déplacement du pied soulevé. Poutres composites os-muscle
Comme l’ont souligné Rabischong et Avril en
12 1965,49 os et muscles s’associent pour augmenter la
résistance d’un segment déterminé à des efforts
10 parfois considérables. Ils forment ensemble une
poutre composite beaucoup plus résistante que les
Tension
8 Compression os isolés. Les poutres composites sont l’association
Cisaillement (rotation externe) de deux matériaux différents unis solidairement et
Cisaillement (rotation interne)
qui partagent les contraintes en fonction de leur
Contraintes (MN/m2)
oooooo
6
module d’élasticité et de leur moment d’inertie.
Reprenons l’exemple de Rabischong, c’est-à-dire
4
les contraintes qui s’exercent sur les deux os de
l’avant-bras lorsqu’une charge de 20 kg est placée
2
dans la main. Si l’on considère que le coude est
oooooooo
maintenu plié à 90° par les fléchisseurs du coude
oo ooooo
0 o
Tableau 1 Résistance globale des os entiers d’après Yamada66 rapporté par Sedel58.
Os Charge de rupture Résistance à la Déflexion Charge de Résistance à Angle avant
en flexion (kg) rupture en flexion (mm) rupture en la rupture en rupture
(kg/mm2) torsion torsion (degrés)
(kg/cm) (kg/m2)
Fémur 250 19,3 11,1 1400 4,62 1,5
Tibia 262 20,1 9 1000 4,43 3,4
Péroné 40 20,1 14,3 116 4,01 35,7
Humérus 136 19,3 8,8 606 4,95 5,9
Radius 53 21,3 9,3 208 4,55 15,4
Cubitus 64 21,3 9,4 190 4,48 15,2
Biomécanique de l’os. Application au traitement des fractures 77
tique, c’est-à-dire que lorsque la contrainte d’une fracture est de savoir s’il doit réaliser une
cesse il reprend sa forme et ses dimensions fixation stable ou une fixation instable élastique. Il
initiales ; ne viendrait en effet à l’esprit de personne de
• dans un deuxième temps, pour des contraintes défendre une fixation instable plastique avec la-
plus importantes, son comportement devient quelle les contraintes entraîneraient une déforma-
plastique, c’est-à-dire qu’il reste déformé. La tion résiduelle permanente dans le foyer de frac-
limite entre la zone élastique et la zone plasti- ture.
que est la limite élastique ; Dans une récente conférence d’enseignement,46
• si les contraintes augmentent encore, l’im- P.-E.Ochsner utilise le terme de « stabilité rela-
plant entre dans la zone de rupture, c’est-à- tive » pour désigner la fixation élastique instable.
dire qu’il casse. Nous ne sommes pas favorables à cette appellation,
Un implant modelé en salle d’opération est donc qui remet en question un consensus toujours diffi-
relativement fragilisé. Il est préférable d’utiliser
cile à obtenir.
des implants prémoulés ayant subi en usine un
Pendant les trois premiers quarts du XXe siècle, la
temps de recuisson qui leur a redonné leurs pro-
majorité des ostéosynthèses recherchaient la stabi-
priétés métallurgiques initiales.
lité du foyer de fracture, le plus souvent sans y
parvenir. Cette ostéosynthèse stable fut ensuite
Fixation statique et fixation dynamique
remise en cause. Pour discuter du bien-fondé de ces
Il est de bon ton depuis une dizaine d’années de
parler de fixation dynamique. Pourtant, la défini- attitudes contradictoires, nous devons revenir un
tion de l’ostéosynthèse dynamique reste imprécise. moment sur le rôle des facteurs mécaniques dans
Pour l’AO, une fixation dynamique est celle qui les mécanismes de la consolidation.
utilise les forces musculaires pour stabiliser le
foyer, comme le fait par exemple un hauban. Biomécanique du cal
D’autres au contraire utilisent ce terme pour dési-
gner la remise en charge précoce des foyers de Tableau de Mac Kibbin
fracture transversaux encloués sans verrouillage ou En 1978, Mac Kibbin31 a parfaitement mis en évi-
verrouillés d’un seul côté. Tous les auteurs utilisent dence le rapport entre la mobilité du foyer de
le terme de dynamisation pour désigner la dérigidi- fracture et la formation d’un cal par les différentes
fication des fixateurs externes en cours de traite- couches osseuses. La connaissance de son tableau
ment. La recherche d’un consensus sur le sens est indispensable à la compréhension de l’ostéosyn-
même des termes utilisés était devenue indispen- thèse (Tableau 2).
sable. Après une courte phase de formation du cal
En l’absence de définition internationale pré- primaire, périoste, corticales et médullaire vont
cise, l’un des auteurs a donc proposé il y a quelques participer à la formation du cal de façon très diffé-
années35,41 de convenir que : rente.
• une fixation est statique lorsque sa raideur Le périoste forme rapidement un cal volumineux
reste constante du début à la fin du traite- qui ponte le foyer de fracture et l’immobilise pro-
ment ; gressivement. Ce cal est susceptible de combler de
• elle est dynamique lorsqu’on fait varier sa rai- larges pertes de substance. Il nécessite le respect
deur dans le temps et de ce fait les contraintes des tissus mous qui entourent l’os. Le cal périosté
qui passent dans le foyer, pour favoriser la est stimulé par une mobilité du foyer de fracture.
formation du cal ou pour le renforcer : déver- La stabilité de ce foyer empêche au contraire sa
rouillage des clous, dynamisation des fixateurs formation. La formation de cal par le périoste est
externes. par ailleurs limitée dans le temps, ce qui, nous le
verrons, a des conséquences dans le concept d’os-
Fixation stable ou fixation instable élastique
téosynthèse dynamique. Le cal externe est le mé-
La question fondamentale que doit se poser le canisme de consolidation le mieux connu et le
chirurgien avant de commencer le traitement moins controversé.
Foyer fermé
Pendant des millénaires, les fractures fermées se
sont consolidées avec une immobilisation précaire.
C’est toujours le cas avec un plâtre, une extension
continue ou avec la technique de Sarmiento qui
réalisent une immobilisation instable.
Une ostéosynthèse réalisée à foyer fermé par un
fixateur externe, comme le préconise Burny, res-
pecte le périoste et l’hématome fracturaire. Un
montage élastique instable est alors justifié pour
stimuler le périoste. C’est le cal formé par celui-ci
qui va stabiliser le foyer. Les montages réalisés sont
l’équivalent d’un plâtre, avec l’avantage d’une
Figure 20 Cal médullaire à 6 semaines. Lorsque le foyer a été mobilisation articulaire précoce, mais les risques
stabilisé par le cal périosté ou par ostéosynthèse, le cal médul- septiques non négligeables que font courir les fi-
laire s’infiltre entre les fragments de corticale. ches.
Une fixation légèrement instable élastique cons-
titue un bon moyen d’immobilisation d’une frac-
La consolidation des corticales peut se produire
ture fermée.
« per primam » lorsque le contact entre les frag-
ments est parfait. Ce fut la base de la technique
Foyer ouvert
AO. Le plus souvent, il persiste des zones de Les choses sont totalement différentes lorsque le
contact imparfait, et l’ossification se fait non par foyer de fracture a été ouvert soit par le trauma-
passage direct des ostéons mais par ossification tisme, soit par le chirurgien. Celui-ci doit certes
venue du voisinage (gap healing). Dans les deux penser à la mécanique de son ostéosynthèse mais
cas, le cal cortical exige une stabilité absolue du aussi à la biologie de la consolidation.
foyer de fracture. Il est inhibé par la mobilité à son
niveau. Ostéosynthèse à foyer ouvert d’une fracture
Le cal venu de la médullaire est de formation fermée
assez lente. Il est peu sensible à la mobilité dans le Elle doit se faire avec un respect maximum des
foyer de fracture. éléments ostéoformateurs :
• l’évacuation de l’hématome fracturaire et du
Nouvelles études histologiques pouvoir ostéo-inducteur qu’il acquiert en
4 jours perturbe fortement la formation du cal.
Il y a quelques années, nous avons repris l’étude de
C’est en effet dans cet hématome que sont
ces cals.41 Ce travail nous a montré que le rôle du
libérées dans les premières 48 heures les sub-
cal médullaire a été jusqu’ici sous-estimé. Ilizarov
stances mitogènes puis les facteurs ostéo-
insistait déjà sur son importance. En site stable, les
inducteurs biochimiques tels que la bone mor-
cellules précurseurs de la moelle forment à 6 se-
phologic protein (BMP), les transforming
maines un disque biconcave d’os immature qui s’in- growth factors (TGF), etc. Il contient égale-
filtre entre les fragments de corticale (Fig. 20). La ment les cellules précurseurs indifférenciées,
pénétration du cal médullaire entre les fragments en cours de multiplication sous l’influence de
de corticale pour consolider celle-ci exige une sta- ces facteurs. Il est cependant possible de pré-
bilité parfaite du foyer. À 12 semaines, de nou- lever en début d’intervention le caillot fractu-
veaux systèmes de Havers se sont formés dans le cal raire et de le mettre en attente dans du sérum
périosté et dans les corticales. Ces systèmes sont additionné d’antibiotique. Il est ensuite remis
orientés dans tous les plans de l’espace suivant les en place autour du foyer avant fermeture ;
contraintes locales, conformément à la loi de • l’ouverture du périoste diminue ses propriétés
Wolff. Pour plus de détails, nous renvoyons le lec- de formation du cal. Il doit donc être ouvert a
teur intéressé à notre article sur la consolidation minima et les extrémités d’une plaque peuvent
osseuse dans le même traité. Le processus naturel parfaitement être placées sur un périoste res-
de consolidation passe par la formation rapide d’un pecté ;
cal périosté, stimulé par une immobilisation impar- • le curetage de la cavité médullaire est un geste
faite. Ce cal stabilise le foyer, qui est ensuite à proscrire absolument si la fracture était fer-
comblé par un cal venu de la médullaire. Le remo- mée avant son ouverture chirurgicale.
delage reconstitue ensuite progressivement les cor- Malgré ces précautions, à foyer ouvert, avec
ticales. ouverture du périoste, il ne faut plus compter sur le
Biomécanique de l’os. Application au traitement des fractures 81
Raideur du montage
les de Wu et al. de la Mayo Clinic65 confirment cette
notion. Elles ont en effet prouvé, en étudiant la
consolidation d’ostéotomies de chiens immobilisés
par des fixateurs de raideurs différentes, que la
consolidation et le remodelage d’une fracture sont
d’autant plus longs que le fixateur est plus flexible.
À foyer ouvert, une ostéosynthèse statique doit
Ablation
impérativement être stable.
par ablation des vis de verrouillage d’un côté du savons maintenant qu’il faudrait faire l’inverse,
foyer vers le 3e mois, lorsque le cal tarde à se c’est-à-dire une fixation légèrement instable au
développer. Pratiqué trop précocement, ce déver- début pour stimuler le cal périosté, suivie vers la 6e
rouillage risque d’entraîner un tassement du foyer. semaine quand les possibilités de ce cal sont épui-
Réalisé en revanche lorsque le foyer est suffisam- sées, d’une stabilisation pour favoriser la minérali-
ment englué, il n’entraîne pas de mobilité anormale sation du cal périosté ainsi que la formation du cal
mais une augmentation des contraintes dans l’os, cortical et éventuellement médullaire.
favorable au renforcement du cal suivant la loi de En dehors des fractures comminutives pour les-
Wolff. La majorité des auteurs réservent mainte- quelles le maintien de la longueur est primordial, la
nant le déverrouillage aux évolutions défavorables. dynamisation des clous devrait se faire dans l’ordre
Les résultats de cette technique de dynamisation inverse, c’est-à-dire en reportant à la 6e semaine
ont été décevants pour ceux qui cherchaient à l’éventuel verrouillage d’appoint ! Le déver-
obtenir la consolidation. Cette déception était pré- rouillage tardif pour renforcer le cal avant l’abla-
tion totale du matériel conserve son intérêt pour
visible. La technique préconisait en effet une fixa-
renforcer un cal déjà existant.
tion stable au début, devenant ensuite instable
– Dynamisation des fixateurs externes
pour favoriser la formation du cal (Fig. 22). Nous
La fixation externe est le moyen d’ostéosynthèse
idéal pour la fixation dynamique. Dès le début des
années 1980, nous avons été nombreux à préconiser
et à utiliser la diminution progressive de la raideur
des montages en fin de traitement, pour renforcer
le cal et limiter le risque de fracture itérative. Ce
Raideur du montage
Renforcement
du cal • dans une première série, des mouvements
axiaux de 1 mm ont été appliqués pendant
20 minutes chaque jour, en commençant avant
A Temps le 7e jour ;
• dans la deuxième série, le fixateur était bloqué
en position de neutralisation.
Raideur du montage
délais de consolidation.
Verrouillage
Stimulation Renforcement nue dans le foyer variait de 0,2 à 0,9 mm, mais
cal périosté du cal
cette mobilité n’était pas purement axiale. Les
conclusions de cette nouvelle étude sont beaucoup
B 6 Temps
(semaines) plus prudentes, et se résument à préciser que de
nouveaux travaux sont souhaitables pour évaluer
Figure 22 Dynamisation de l’enclouage. l’importance, la fréquence et la direction des mou-
A. Au cours de la dynamisation classique, la raideur du montage
vements susceptibles d’influencer la consolidation.
est immédiatement à son maximum. Le déverrouillage vers le
deuxième mois ou plus tard ne peut plus stimuler le cal périosté. Ils ont pu constater, en effet, que la mobilisation
Il ne peut donc pas favoriser la formation du cal. Il peut en systématique prolongée d’une fracture complexe
revanche renforcer le cal si celui-ci existait déjà. aboutit le plus souvent à des impasses de la conso-
B. Le nouveau concept propose un enclouage initial non ver- lidation après épuisement du cal périosté. Les tra-
rouillé pour stimuler le cal périosté par une légère instabilité,
vaux de Noordeen et al.45 montrèrent la même
suivi d’un verrouillage vers la sixième semaine pour stabiliser le
foyer, et éventuellement d’un déverrouillage tardif pour renfor- année que la poursuite de micromouvements dans
cer le cal. Ce concept ne peut s’appliquer que si le rétablisse- le foyer au-delà de quelques semaines provoque la
ment de la longueur n’impose pas un verrouillage immédiat. formation d’une pseudarthrose.
Biomécanique de l’os. Application au traitement des fractures 83
Comment pouvons-nous envisager les choses à la effet positif sur la formation osseuse. Les expéri-
lumière de ces expériences ? mentations de Meadows et al.34 ne laissent persis-
Après 5 à 6 semaines, la mobilisation modérée du ter aucun doute à ce sujet. Mais la remise en charge
foyer par remise en charge intermittente précoce même limitée à 75 %, des foyers instables n’est pas
n’est plus susceptible de stimuler le cal périosté, envisageable avant le 50e jour au plus tôt.
dont les possibilités de formation s’épuisent avec le Quand enlever le fixateur ?
temps. Elle risque en revanche de détruire une La résistance du cal croît avec le temps, mais de
stabilisation précaire qui allait permettre la péné- façon assez brutale. Le foyer mobile se fige en
tration d’os immature entre les extrémités osseu- quelques jours. Les radiographies apprécient la
ses. La logique est donc en faveur d’un arrêt de la quantité de cal mais pas ses qualités mécaniques.
mobilisation du foyer à ce stade, avec au contraire Différents procédés ont été testés41 pour évaluer la
stabilisation permanente pendant les semaines de raideur du foyer. Nous citons celui publié en 1994 par
maturation du cal. Suivis par un certain nombre de Richardson et al.53 Ils évaluent la raideur du foyer :
confrères, nous avons proposé en 199641 de com- • soit directement en appliquant un goniomètre
mencer le traitement par une fixation élastique flexible de part et d’autre de la fracture ou sur
permettant la stimulation du cal périosté. À la 6e les fiches après ablation de l’appareil ;
semaine, lorsque les possibilités de formation de ce • soit indirectement par des jauges de
cal sont épuisées, le foyer est stabilisé pour favori- contrainte placées sur le fixateur en place.
ser les cals médullaire et éventuellement cortical L’ordinateur calcule la raideur de la fracture en
(Fig. 23). N/m/degré. À l’issue de cette étude, les auteurs
Comment obtenir cette stabilisation ? ont adopté la rigidité de 15 N/m/degré comme
Le déblocage axial du fixateur peut dans certains limite au-delà de laquelle le fixateur peut être
cas être utilisé pour améliorer la stabilité. En effet enlevé sans risque de fracture itérative. Le temps
dans l’immense majorité des cas, ce déblocage nécessaire pour atteindre cette rigidité a été en
axial n’entraîne paradoxalement pas d’augmenta- moyenne de 13 semaines pour les fractures stimu-
tion de la mobilité dans le foyer. La suppression de lées par micromouvements, et de 18 semaines pour
l’effet ressort des fiches provoque un léger tasse- les fractures immobilisées statiquement.
ment de celui-ci et de ce fait une amélioration de la Le fixateur peut être enlevé en une seule fois
stabilité1. Le plus souvent, la stabilisation est obte- lorsque le cal a atteint une rigidité suffisante. Il
nue en raidissant le montage. Lorsque celui-ci com- existe un risque certain de fracture itérative. Pour
porte plusieurs appareils, ils sont en général mis en éviter cette complication, nous préconisons depuis
place lors de la première intervention mais certai- 198023 la dérigidification progressive des montages
nes parties sont enlevées jusqu’à la phase de stabi- pour renforcer le cal encore fragile par un passage
lisation. La reprise de l’appui a par elle-même un progressivement croissant des contraintes, confor-
du fixateur
Rigidité
(Stade 3)
Greffe osseuse
précoce après cicatrisation parties molles
interfragmentaire
= 1 mm A
Stimulation
cal périosté
6 Temps
(semaines)
I = Le 3 I = D 4 -d 4 Raideur du montage
12 64
Elle dépend de la raideur de la plaque mais aussi de
la qualité et des performances de la fixation de
e celle-ci à l’os, c’est-à-dire des vis et des contacts
d
os-plaque et os-vis.
L – Vis
D
Le nombre de vis indispensables pour fixer une
Figure 26 La raideur de l’implant dépend de ses dimensions. plaque à l’os dépend de la taille et du poids du
86 P. Meyrueis et al.
D A
X X = DxA
Y F
D
2
A
Y = DxA
Figure 33 Étude photoélasticimétrique de la compression. La 2
compression est asymétrique. Les contraintes sont très élevées
au niveau du foyer sous la plaque et nulles du côté opposé. Ce Figure 35 Avantage de la position du clou. Par sa position au
phénomène peut être diminué en courbant la plaque. La vis du niveau de l’axe neutre, le clou divise par deux la possibilité de
tendeur subit d’énormes contraintes. mouvement angulaire.
qui provoque de très fortes contraintes dans L’observation du clou de charpentier a permis à
l’os sous l’implant. La vis du tendeur de plaque Kuntscher d’élaborer le principe de l’enclavement
subit d’énormes contraintes qui la fragilisent. solide intramédullaire par l’emploi de clous spé-
Il est préférable de la jeter après usage ciaux à rainures en forme de feuille de trèfle, et
(Fig. 33) ; élastiques dans le sens du diamètre.
• la concentration des contraintes dans les vis On sait depuis longtemps qu’en fait l’appui se
proches du foyer et dans la partie centrale de fait en trois ou quatre points seulement, malgré
la plaque lorsque le foyer est large (Fig. 29) ; l’alésage. Par sa situation sur la ligne neutre, le
• le danger que représente un trou sans vis au clou ne permet que deux fois moins de mouvements
niveau d’un foyer large. Les contraintes angulaires du foyer qu’un implant identique qui
convergent à son niveau, provoquant rapide- serait vissé à la surface de l’os comme une plaque
90 P. Meyrueis et al.
(Fig. 35). Comme pour les plaques, on obtient la avec les clous de Russel-Taylor à 41 % avec les clous
stabilité du foyer en augmentant la raideur de AO.21 De 2 % à 5 % des clous se sont rompus. Ces
l’implant et celle du montage. complications mécaniques ont nécessité une re-
prise une fois sur deux.
Raideur du clou
La raideur du clou varie dans des proportions consi- Ostéosynthèse par fixateur externe
dérables suivant la présence ou l’absence d’une
fente. Les expérimentations montrent que la rigi- Les indications de la fixation externe concernant
dité en torsion est 20 fois plus élevée lorsque le clou essentiellement les fractures ouvertes, le chirur-
gien doit chercher à obtenir la stabilité du foyer.
n’est pas fendu, alors que la rigidité en flexion est
comparable. Pour un clou, si D est le diamètre
Fixateur simple, unilatéral
extérieur et d le diamètre intérieur :
En 1980, nous avons entrepris de chiffrer expéri-
I = (D4 - d4) / 64. mentalement l’influence mécanique des différents
Le clou est d’autant plus raide que le diamètre paramètres de la fixation externe, tels que le dia-
extérieur est plus grand et le diamètre intérieur mètre des fiches, leur écartement, leur position
plus petit. Cette formule n’est valable que pour un par rapport à la peau ...41. Les résultats de ce
clou non fendu. travail ont été repris, confirmés par d’autres publi-
cations et sont devenus « classiques ». Le lecteur
Raideur du montage intéressé les retrouvera en détail dans l’article de
La raideur d’un clou n’est à prendre en compte que Lortat-Jacob.30 Résumons-les en disant que, pour
s’il est parfaitement fixé aux fragments osseux. stabiliser le foyer, il faut choisir des fiches de gros
Deux techniques sont susceptibles d’améliorer diamètre, écartées au maximum. L’appareil doit
cette fixation du clou à l’os : l’alésage et le ver- être placé le plus près possible de la peau. La
rouillage. Sans alésage et sans verrouillage, un clou stabilité augmente de quatre fois en passant de
d’alignement ne stabilise pas la fracture en rota- 5 cm à 2 cm de la surface osseuse, et de sept fois en
tion. La série multicentrique de Benoit et al.4 rap- passant de 5 cm à 1 cm (Fig. 36).
portait 29 % de pseudarthroses avec cette techni-
que, réalisée à foyer ouvert, au niveau du fémur. Montages associant plusieurs fixateurs
Avec alésage et toujours à foyer ouvert, le pourcen- Dans une fracture transversale simple, la majorité
tage d’échec tombait à 5,5 %. Sans méconnaître le des contraintes passent dans l’os grâce au contact
rôle biologique des débris osseux produits par l’alé- des corticales. Les contraintes sur les fiches peu-
sage, il est certain que celui-ci agit essentiellement vent être réduites de 97 %. Un montage simple est
en stabilisant une grande partie des fractures alors suffisant pour obtenir l’indispensable stabi-
diaphysaires. La nécessité de stabilisation d’un lité. Le fixateur sert essentiellement à protéger le
foyer ouvert ne se discute donc pas. foyer réduit des contraintes extérieures.
Dans une fracture comminutive avec perte de
La technique de l’enclouage verrouillé a encore
substance osseuse, en revanche, toutes les
amélioré la stabilisation et de ce fait les résultats.
contraintes passent dans le fixateur. S’il est impos-
La série de Wiss et Stetson à Los Angeles publiée en
sible d’obtenir une stabilité absolue, il faut cher-
199562 rapportait 2 % de pseudarthroses dans l’en-
cher par tous les moyens à limiter l’instabilité en
clouage du tibia à foyer fermé avec alésage et
augmentant au maximum la rigidité du montage43.
verrouillage. Ce pourcentage passait à 15 % si la
De nombreuses études mécaniques comparatives
fracture était ouverte mais pour des raisons non
entre les fixateurs et entre les montages de fixa-
mécaniques. Le verrouillage stabilise le foyer, une
teurs ont été publiées au cours des 20 dernières
importante partie des contraintes passant grâce à
années40. Nous ne pouvons pas les reprendre ici, et
lui dans le clou et dans les vis de verrouillage. En
nous renvoyons le lecteur intéressé au volume n °58
compensation, clou et vis sont exposés aux ruptures
des cahiers d’enseignement de la Sofcot « Fixation
en fatigue car les contraintes qu’ils supportent sont
externe du squelette »41.
supérieures à la limite de fatigue de l’alliage dans
lequel ils ont été réalisés. Ces complications sont
surtout fréquentes lorsqu’il s’agit de clous pleins, Conclusion
de petit calibre, verrouillés, mis en place sans
alésage. Toutes les contraintes passent alors dans L’os est un matériau composite vivant hétérogène,
le clou et dans les vis de verrouillage. Dans ce cas, anisotrope et viscoélastique beaucoup plus com-
suivant les séries, les vis de verrouillage se sont plexe que les matériaux sur lesquels les ingénieurs
rompues dans un pourcentage de cas variant de 9 % travaillent habituellement.
Biomécanique de l’os. Application au traitement des fractures 91
A L B
d
O
F 5 cm
2 cm
1 cm
F = 13 PL3 I ~ 0,05d4
EI x1 x4 x7
P
Figure 36 Biomécanique de la fixation externe unilatérale. Le diamètre de la fiche joue un rôle primordial, ainsi que la distance
os-fixateur qui intervient par son cube. En partant de la rigidité-témoin d’un fixateur placé à 5 cm de l’os, on multiplie cette rigidité
par 4 en l’approchant à 2 cm et par 7 en le mettant à 1 cm. Les fiches doivent être espacées au maximum sur chaque fragment. Pour
trois fiches (A, B, C) de la figure C, la meilleure disposition est celle qui est représentée en C
Compte tenu de ses propriétés mécaniques et de en effet être modifiée dans le temps pour favoriser
la biomécanique de la consolidation, on peut rete- la formation du cal ou pour le renforcer. Favoriser
nir quelques règles fondamentales : une ostéosyn- la formation du cal nécessite une fixation légère-
thèse est statique lorsque sa raideur ne varie pas ment instable pendant 5 à 6 semaines, suivie d’un
pendant toute la période de consolidation. On peut retour à une stabilité totale. Renforcer le cal exige
au contraire modifier volontairement cette raideur une dérigidification progressive du moyen de fixa-
au cours du traitement. C’est le nouveau concept tion, afin que le cal soit soumis à une augmentation
de fixation dynamique ; à foyer fermé (traitement progressive des contraintes pour minimiser le ris-
orthopédique ou ostéosynthèse), la fixation d’une que de fracture itérative.
fracture peut laisser persister une très légère ins-
tabilité du foyer pour stimuler le cal périosté. La Ces notions sont le résultat d’observations clini-
formation de ce cal stabilise le foyer, ce qui permet ques. Les mécanismes cellulaires et moléculaires
à la consolidation de se compléter ; à foyer ouvert, de l’action de ces facteurs mécaniques sont encore
au contraire, une ostéosynthèse par plaque qui est inconnus. On évoque d’éventuels mécanorécep-
obligatoirement statique doit être stable. teurs de la membrane cellulaire. Les facteurs mé-
Le concept de fixation dynamique peut être ap- caniques agissent probablement en produisant un
pliqué lors des ostéosynthèses par clou ou par fixa- signal électrique qui entraîne la production de fac-
teur externe. La raideur de ces ostéosynthèses peut teurs ostéo-inducteurs.
92 P. Meyrueis et al.
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