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Résumés
Cet article propose de faire une étude du personnage masculin dans l’œuvre théâtrale
Ópera do Malandro de Chico Buarque de Hollanda, dramaturge, romancier et musicien
brésilien. Pour développer une analyse à partir des figures référentielles de Max et
Duran comme représentants centraux de notre intrigue, il nous faut d’abord essayer
d’esquisser une typologie du malandro, à notre point de vue, élément catalyseur dans
cette pièce. En ce sens, nous avons se concentrer sur l’univers sociologique de l’Ópera
do Malandro. Les signes, les rapports sociaux et la genèse du personnage malandro sont
focalisés d’une façon telle que nous pouvons avoir une perception de sa représentation
comme élément allégorique. Pour conclure, nous allons présenter au lecteur quelques
pistes pour de futures recherches sur les études intertextuales et rhétoriques dans cette
magnifique l’œuvre de Chico Buarque de Hollanda.
Abstract
This article aims to propose a study of the masculine character in the play Ópera do
Malandro by Chico Buarque de Hollanda, the Brazilian playwright, novelist, and
musician. In order to carry out an analysis based on Max and Duran’s referential figures
as main representatives of our drama, we will write an essay to outline a malandro’s
typology, who is, from our point of view, the catalysing element of this play. For this
reason, we will concentrate on the sociological universe of Ópera do Malandro. The
symbolic elements, the social references and the genesis of the Malandro character are
portrayed in such a way that we can reach a perception of this representation as an
allegorical element. To conclude, we will present to the reader any hints that will
contribute to future works on the intertextual and rhetorical studies of this magnificent
Chico Buarque de Hollanda's play.
Resumo
Este artigo se propõe fazer um estudo do personagem masculino da peça teatral Ópera
do Malandro de Chico Buarque de Hollanda, dramaturgo, romancista e músico
brasileiro. Para desenvolver uma análise a partir das figuras referenciais de Max e
Duran como representantes centrais do nosso drama, faremos um ensaio para esboçar
uma tipologia do malandro, do nosso ponto de vista, elemento catalisador desta peça.
Neste sentido, vamos nos concentrar no universo sociológico da Ópera do Malandro. Os
elementos simbólicos, as referências sociais e a gênese do personagem malandro são
focalizados de modo que nós possamos ter uma percepção desta representação como
elemento alegórico. Para concluir, vamos apresentar ao leitor quaisquer pistas que
contribuirão para as futuras pesquisas sobre os estudos intertextuais e retóricos desta
magnífica obra de Chico Buarque de Hollanda.
D’abord, la pièce est présentée au spectateur par son auteur, le malandro João
Alegre. Habillé d’un costume blanc, un chapeau blanc et la cravate enluminée, João
Alegre va inviter Mme Vitória, pour lui dire qu’il offrira au nom de la compagnie
Théâtrale le guichet intégral de la soirée à la maison de la « Morada da Mãe
Solteira ».
Administré pour Fernandes Duran, la « Morada da Mãe Solteira » est l’un des
bordels gérés par la famille Duran, composée aussi par Vitória Régia et Teresinha -
leur fille qui devait trouver un mariage avantageux dans la haute société de Rio de
Janeiro.
D'aboord nous nous interrogeons sur les raisons qui à certains moments
historiques ont motivé l’utilisation du malandro1 comme le symbole d’une culture
propre au carioca, symbole d’une nation, et comment il devient le représentant de
couches sociales opprimées et exclues. Ce que nous pouvons remarquer, c’est que
l’abordage exclusivement symbolique de la malandragem2, n’arrive pas à trouver sa
place dans notre imaginaire, sans qu’il n’y ait une remise en question des prémisses.
L’origine du personnage malandro tel qu’il est perçu dans la pièce en question est
à chercher dans les années 20 comme une expression du danseur de samba ou
« sambista » pendant la saison du carnaval. Ensuite les écoles de samba sont le résultat
d’une récupération de l’Etat de cette catégorie d’« artistes » considérés comme des
exclus puisqu’ils n’arrivaient pas à travailler de façon régulière. Dans ce sens, une
1
Le dictionnaire Aurélio de Hollanda définit le malandro comme un « indivíduo dado à abusar da
confiança dos outros » et encore un « indivíduo esperto, vivo, astúcio ».
2
Le dictionnaire Aurélio Edition « Milênio » va proposer deux significations pour le terme
malandragem: « 1. Súcia de malandro. 2. Qualidade, ato, dito, modos ou vida de malandro ».
tentative de définition de cette catégorie sociale n’est pas tellement aisée car il s’agit
d’une personnalité qui combine des traits antagoniques revendiquant à la fois son
caractère d’exclusion et l’envie de se surpasser. C’est ainsi que nous arriverons à cerner
ce personnage, icône d’une certaine idée d’identité brésilienne trouvant ses sources
littéraires dans l’œuvre Mémoires d’un Sergent de la Milice de Manuel Antonio de
Almeida, analysée par Candido selon ce qu’il appelle la dialectique de la malandragem.
Symbole, oui, mais dans quelle intention? A quoi cela répond-il ? Quels sont ses
constituants ? De quelle couche de la population le malandro est-il vraiment le
représentant ? Et quelle liaison peut-on faire avec la musique ? Toutes ces réponses
peuvent se trouver dans la genèse de l’image du malandro et comment cela est
représenté dans une pièce comme Ópera do malandro déjà représentative de cette
catégorie littéraire.
3
Nous pouvons consulter utilement : Matos Cláudia op. cit. et Menezes Adélia, Figuras do feminino na
cançăo de Chico Buarque., Săo Paulo, Ateliê Editorial, 2001.
4
Cité par Travancas Isabel, De Pedro Pedreira ao Barão da ralé – o trabalhador e o malandro na
música de Chico Buarque, PPGAS du Musée National de Rio de Janeiro, 1999, p. 102.
présente dans les plus divers moments historiques. Et l´ensemble avec le football et les
beautés naturelles servent d’image au niveau international.
L’image du malandro s’est formée dans les années 20, à Rio de Janeiro, et elle
était liée à celle du « sambista ». On trouve la samba et le carnaval carioca comme des
célébrations « spontanées », « naturelles », qui traduisent l’esprit de fête et d’amitié du
Brésilien, spécialement le carioca. Le carnaval, tel qu’on le connaît actuellement, est un
événement né dans les années 20 et 30. Au moment où la samba carioca devient
chanson officielle du carnaval, les écoles de samba commencent à apparaître, recevant
ainsi l’appui officiel de l’Etat et des médias. Pour l’instant, il serait judicieux de se
5
Le DIP (Departamento de imprensa e propaganda – Département de la Presse et de la publicité) a été
créé en 1938 afin de contrôler la publicité contre le gouvernement de Getúlio Vargas.
6
Soulignons qu’il y avait différentes raisons pour faire adhérer les « sambistas » au projet de l’Etat. Il y
avait l’adhésion étique et politique au régime pour des raisons idéologiques mais on ne peut exclure
l’intérêt économique, car le DIP payait très bien celui qui acceptait de coopérer avec le régime.
focaliser sur la formation de la samba carioca comme étant une « tradition inventée » :
une rencontre entre des communautés qui souhaitaient établir des identités distinctes, et
la formation d’un idéal national de fond populaire, qui à l’époque était représenté par le
gouvernement de Getúlio Vargas7.
7
On a suivi les pas de Cláudia Matos avec Acertei no Milhar – Samba e Malandragen no Tempo de
Getúlio Rio de Janeiro, Paz e Terra, 1982. Pour une discussion sur l’invention ou non de la samba, voir
C. Sandroni, Feitiço Descente-Transformações do samba do Rio de Janeiro (1917-1933). Rio de
Janeiro, Zahar, 2001.
8
Cabral Sérgio. As Escolas de Samba do Rio de Janeiro. Rio de Janeiro. Fontana, 1974. p. 28.
9
Interview d’Ismael Silva au Musée de l’image et du Son à Rio de Janeiro, le 29/09/66.
Le carnaval étant promu fête « officielle » les écoles de samba seront sa
représentation centrale. Etant donné son caractère démocratique, l’école absorbe les
La clarté du discours d’Ismaël Silva nous permet de voir combien il était conscient
de la place sociale et culturelle que la samba occupait auprès des communautés. Faire
populaire, d’où la nécessité d’être un habile malandro. Passer à travers les fentes et
marcher sur les frontières - selon l’expression de Cláudia Matos - et de cette façon
fondation de « Deixa Falar », comme l’affirme Ismael Silva, « o malandro pôde brincar
malandro », les années 70 sont un espace pour une réflexion sur l’importance de ce
10
Interview d’Ismael Silva au Musée de l’image et du Son à Rio de Janeiro, le 29/09/66.
disciplina, mais uma problemática sócio-histórica, gerada pelo funcionamento de um
5. Le malandro et la Malandragem
11
Ciscati Márcia, Malandros da terra do trabalho: Malandragem e boêmia na cidade de São Paulo. São
Paulo, Annablume editora, 2001, p.100
12
Interview de Chico Buarque avec la journaliste Maria Amélia. Magazine Isto é. 02/08/1978.
13
Gonçalvez Marcos, « Se segura malandro! », Folha de São Paulo, Domingueira, s.d. p. 107.
territoire des classes populaires, elles deviennent immédiatement négatives. À la place
d’une telle « malandragem que não existe mais », on s’est institué le « o malandro
regular, oficial », si on paraphrase Chico Buarque de Hollanda lui-même.
Le malandro qui n’appartient pas aux classes exploitées, est une figure combattue.
Il devient synonyme de corruption institutionnalisée, de gain abusif et de la certitude
que les travailleurs vont continuer à être exploités. Dans l’analyse de ces malandros
officiels, possesseurs de tout l’équipage à leurs côtés, on perd la nostalgie de l’individu
marginal et on a la certitude que les malandragens au Brésil sont restreintes à certaines
couches sociales.
Cette ambivalence passionnée dans l’analyse de la malandragem finit par
construire un sentiment dialectique entre un malandro marginalisé et celui incorporé au
système. Selon certains intellectuels, artistes et écrivains, le malandro marginalisé -
celui des « beaux jours » - s’est lié aux « sambistas » et est issu des classes populaires.
Le second type représenterait certainement la malandragem née de la victoire du
capitalisme, faisant ainsi de l’ombre à la classe populaire. Entre ces deux extrêmes, il y
a des moments où la malandragem reçoit un statut positif. Tandis qu’elle acquiert des
contours d’une corruption officielle, ceux qui sont obéissants aux lois et aux règles, ne
risquent pas d’être considérés comme des sots.
14
Da Matta Roberto, Carnavals, Bandits et Héros, Paris, Seuil, 1983. p. 263.
15
Ciscati Márcia, op. cit., p. 21.
16
En général, le trickster est un héro dupeur, rusé, comique, protagoniste d’exploits et dépendant du récit
où il se trouve : dans un passé mystique ou dans le temps présent.
comme « le paradigme du malandro »17, l’anthropologue Da Matta fait de manière
évidente l’option du modèle correspondant à ceux qui arrivent seulement à voir un
malandro comme un Noir en costume blanc.
Cependant nous pouvons remarquer qu’à partir des années 70, le terme malandro
va faire l’objet de recherches académiques dans plusieurs domaines – anthropologique,
echerche musicale, littéraire, etc. – « o malandro surge como um caminho de leitura da
nação »19.
Tivemos uma série de motivos para situar o texto em 40. Achamos que
há uma coincidência entre o momento em que agente está vivendo a
aquela época. Entre 43, quando se vislumbrava o fim do Estado Novo,
e 78 há muitas semelhanças. Um outro motivo foram os problemas que
gente ia ter de enfrentar com a censura se nos fixássemos nos dias de
hoje. Ao colocarmos um chefe de polícia ou policiais em cena, em
plena década de 70, alguém poderia se sentir ofendido.20
17
Da Matta Roberto, op. cit. p. 264.
18
Queiroz Renato, « O herói trapaceiro - reflexões sobre a figura do trickster » in Tempo Social. Rev.
Sociologia da USP. São Paulo: 1991. N°3. p. 93-107
19
On peux citer comme exemple Antonio Camdodo, « Dialética da Malandragem » (1970), Roberto
Da Matta Carnavais, Malandros e Heróis (1979) et Cláudia Matos (1982), op cit.
20
Interview à Chico Buarque. Magazine Isto é. 02/08/1978.
Ainsi, suivant la même ligne du discours ci-dessus, nous pouvons citer Silviano
Santiago dont la préface du livre Acertei no Milhar, de Cláudia Matos, indique
clairement l’intention politique de l’analyse du discours malandro : « o samba, é um
tema apaixonante para melhor determinação da reação das classes populares às
ideologias do progresso: a malandragem em Samba & Malandragem, vistos em
perspectivas históricas, isto é, no próprio contexto sócio-político e econômico que
indiretamente os gerou, e na perspectiva de geração de Cláudia Matos, geração que se
viu tolida pelos processos de governo autoritário, responsáveis pelo desenvolvimento à
partir de 64 »21.
C’est Candido lui-même qui suggère cette lecture dialectique du moment qu’il
choisit comme personnage de ce mouvement pendulaire entre l’ordre et le désordre la
représentation du malandro chez Almeida. La flexibilité du personnage du malandro
fait qu’on lui donne une préférence comme référentiel d’analyse. Et choisir la
21
Santiago Silvano, Préface in Claudia Matos, op. cit., 1982.
22
« Dialética da Malandragem » est un article paru en 1970 qui a comme objectif d’analyser le roman de
Manuel Antonio de Almeida Mémoire d’un Sergent de la milice et de trouver sa caractérisation en tant
que genre littéraire.
23
Schwarcz Roberto, Pressuposto, salvo engano da dialética da malandragem in Esboço de figura –
homenagem a Antonio Candido, São Paulo: Duas Cidades, 1979, p. 133.
dialectique comme méthode permet de faire apparaître des individus contradictoires au
sein de la culture et de la littérature brésilienne ; cela fait ressurgir la dualité avec
laquelle Candido, tout autant que Shwarcz lisent le Brésil à partir de la formation
littéraire nationale.
Fernandes Duran, un « commerçant » très connu dans le quartier Lapa, fait partie
du pôle d’ordre dans la société d’Ópera do Malandro, un homme travailleur, qui paye
ses impôts correctement. Même si son commerce consiste à exploiter des femmes dans
les bordels qu’il gère, c’est considéré selon la logique de la pièce comme quelque chose
de normal. Mais ne voulant pas accepter le mariage de sa fille Teresinha avec le
contrebandier Max, Duran exige de la part du commissaire Chaves qu’on donne un
ordre de emprisonnement aux hors-la-loi. Et si ses ordres ne sont pas exécutées, Duran
menacera le commissaire de le dénoncer pour corruption publique. En effet, Duran
sortira d’un pôle d’ordre positif à un négatif, sans altérer cependant son image devant
les autres personnages. Duran n’est pas le seul personnage à être caractérisé par son
changement d’attitude. Teresinha, par exemple, est considérée comme une fille très bien
élevée, charmante et avec un futur prometteur. Mais Teresinha tombe profondément
amoureuse du contrebandier Max, avec lequel elle prend la décision de se marier sans
l’accord de ses parents. A partir du moment où elle devient la femme d’un
transgresseur, Teresinha abandonne le pôle positif de l’ordre pour le pôle négatif du
désordre. Cela est vrai non seulement pour des personnages comme Duran et Teresinha,
mais pour presque tous les autres car ils vont transiter entre ces deux pôles, dont les
extrêmes se rapprochent. L’ordre et le désordre ne seront plus une référence pour les
valeurs morales.
Quand Candido affirme que Manuel Antonio de Almeida n’émet aucun
jugement de valeur sur le comportement de ses personnages, il attire l’attention sur le
fait que son article met en place « um Mundo sem culpas »24 dans le Romantisme
brésilien. Les opposés disparaissent et, à la place, apparaît un univers qui ressemble à un
paradis, loin de l’erreur et de tous les péchés. Un univers sans culpabilité morale comme
peut l’être « A Brasileira », le bordel de Duran dans lequel les prostituées vivent à coté
du monde du pouvoir, à coté d’une société qui vit de l’exploitation des uns sur les
autres, où seul compte la richesse individuelle. Elles sont conscientes de la façon dont
Duran les exploite, ce qui n’empêche qu’elles puissent faire de leur corps un instrument
de plaisir, plein d’amour et de sentiments, tout en recherchant leur propre satisfaction.
Et dans cet univers, il paraît impossible l’existence d’un Mal ou d’un Bien absolu.
Cette oscillation des personnages d’un pôle à l’autre qu’Antonio Candido nous
relate, peut être extrapolée dans Ópera do Malandro comme conséquence de l’absence
de jugement moral de la part de Chico Buarque de Hollanda par rapport à sa
construction poétique, en utilisant un mélange de ironie, satire et cynisme pour
présenter au spectateur une relative équivalence entre l’univers de l’ordre et du
désordre, entre ce qu’on appelle conventionnellement le Bien et le Mal. Ópera do
Malandro échappe à cette règle idéologique de la société dont la valeur est définie par
rapport à la nécessité de choisir entre le licite ou l’illicite, le vrai ou le faux, le moral ou
l’immoral, etc.
Dans l’essai de Candido, il y a une unité empirique qui lie la première étape de
la caractérisation « roman Malandro » à la deuxième étape « roman representativo ».
Selon Candido, Mémoires d’un Sargent de la Milice va présenter deux directions
narratives que vont s’influencer l’une l’autre d’une façon dynamique. Cette dynamique
nous permettra d’un coté la « série archétypique » qui nous conduira à la représentation
de ce qu’il y a de plus universel concernant la culture : la fable et l’irréel, l’imaginaire et
le folklorique. Et d’un autre coté, celle de la « série sociologique » qui dans le sens
inverse, nous amènera à la représentation d’une société concrète, historiquement
délimitée, au travers d’un réalisme qui intervient à partir d’un regard social.
24
Candido Antônio, « Dialética da malandragem » in Revista do Instituto de Estudos Brasileiros. N° 8.
São Paulo : USP, 1970, p. 83.
La première perspective, la « série archétypique », se réfère à la typification des
personnages selon les paramètres du folklorique et de la littérature comique et satirique
du Brésil de la première moitié du XXème siècle. La deuxième perspective ou « série
sociologique » va se centrer sur une dynamique sociale de l’époque, qu’on peut
comprendre à partir du résultat de cette « tension », la construction d’une liaison pour
établir le concept de malandragem. Ce qu’il y a de commun entre « le premier grand
malandro qui pénètre dans le romanesque brésilien »25 et la dialectique de l’ordre et du
désordre, constitue un « continuum » sentencieux où l’idée de malandragem passe d’un
plan individuel à un plan social.
Ce qui est intéressant dans cette analyse, c’est qu’avec le discours que tient
Candido, on verra que la construction de l’imaginaire de la malandragem carioca
demeure répétitive. C'est quelque chose qu’on connaît, on devine ses personnages et
jusqu’où ils peuvent aller. Ainsi, le malandro est fondé sur quelque chose de fictif, pour
aboutir à une forme proche du réel. Bref, l’intellectuel utilise des éléments fictifs dans
l’élaboration de son apparence afin d’avoir un résultat final de réalité. On part du
malandro imaginaire et on arrive au malandro réel ; comme l’affirme Chico Buarque de
Hollanda à travers une fine ironie : « o que dá de malandro regular, profissional /
malandro com aparato de malandro oficial / malandro candidato a malandro federal /
malandro com retrato na coluna social »26. Finie l’irrégularité du travail, le malandro
accède à des statuts officiels et arrive même à des postes politiques. Il peut même faire
partie des clases sociales aisées qui se font photographier dans les « pages sociales ». En
effet, cette « malandragem » peut appartenir à toutes les couches sociales, et les valeurs
positives ou négatives se confondent et parfois sont complémentaires.
25
Gotto Roberto, Malandragem revisada, uma leitura ideológica da « Dialética da Malandragem ».
Campinas/Pontes, 1988 p. 29.
26
Buarque de Hollanda Chico, op.cit., p. 85.
27
Moritz Lilia, « Le complexe de Zé Carioca. Notes sur une certaine identité métisse et malandra » in
Lusotopie. Karthala, 1997, p. 260
L’article d’Antonio Candido permet de percevoir cette médiation entre le réel et
l’apparence qui se traduit à travers le discours du malandro. Ce discours n’est ni positif,
ni négatif, ni totalement réel, ni purement fictif. Et nous pouvons apercevoir dans ce jeu
d’ordre et de désordre que les personnages passent d’un pôle à l’autre. Si par contre à un
moment donné les personnages décidaient de cesser ce mouvement pendulaire, ce sera
au contexte de la narration d’offrir ce processus transitoire.
Ainsi c'est par Mémoires d’un Sergent de la Milice que Candido nous amène à la
création du « roman malandro ». Ce genre va établir les nouvelles caractéristiques
consacrées au burlesque et au réaliste, à partir du moment où il y aura une transition
entre le réel et la fiction. Dans ce sens, le « roman malandro » a pour but non pas de
reproduire les aventures d’un malandro, mais surtout d’exprimer sa propre structure
dialectique : ne pas se limiter à un seul style d’époque, ni produire de stéréotypes.
L’exemple le plus éloquent dans Ópera do Malandro est Max qui, malgré sa
capacité de ruse et les tours qu’il joue à la police, finit par tomber dans son propre
piège : il sacrifie son amour avec Lúcia pour se marier avec la fille du patron des
prostituées et faire partie de la classe dominante abandonnant de la sorte le seul vrai
sentiment qu’il avait développé. Ce mariage le fait entrer dans le monde de l’ordre, il va
rendre légales ses affaires louches, et pense ainsi cesser d’être un malandro. Le jeu des
28
Gotto Roberto, op.cit. p. 29-30.
apparences s’élève à sa plus haute expression. Max ne fait que reproduire le monde
d’illusions que lui impose sa propre réalité.
Et nous attachant à cet univers rhétorique, nous pouvons faire allusion à la scène
où la femme de Duran, Vitória, discute avec lui sur la perspective du mariage de
Teresinha :
Vitória
Duran
Acte I, scène 1.
Que des parents se soucient du mariage de leur fille, on n’y voit rien d’anormal, le
problème c'est qu’ils croient appartenir à la noblesse et qu’un roturier pourrait
déshonorer leur famille.
“Vai dizer que não casou com ela, vai? Vai dizer, vai???
Max :
“Ah, ah, ah, já sei! Só pode ser arranjo daquele velho safado! Tá com
a filha encalhada na prateleira, o velho. Daí, só porque eu fui lá vez e
outra, tralala, trololo, coisa e tal, o velho espalha boato de casório pra
valorizar o material ”...
Et encore :
Lúcia:
Max :
“Deixa isso, baby, você sabe que eu sou louco por você. Quem já
deitou contigo não esquece, minha pombinha de veludo. Se eu
pudesse, comia você agora mesmo, com grade e tudo. (Agarra Lúcia)
Abre a porta, Lúcia. Eu te desejo! ”
Ainsi, nous pouvons élargir le discours théâtral à un ensemble qui réunit non
seulement la manière de parler mais aussi celle de marcher, de s’habiller etc. qui est un
aspect sur lequel nous renseigne Da Matta.
En tant que concept, le malandro est réduit à un objet – limité et prisonnier. Dans
son aspect métaphorique, la multiplicité du discours évoque le caractère d’un
personnage mobile. Et c´est à partir de cette multiplicité que Chico Buarque de
Hollanda va s’inspirer pour créer sa poésie dans l’univers symbolique et magique de la
ville de Rio de Janeiro des années 40.
De cette manière, on n’aura pas dans cette pièce un malandro type, idéal et
exemplaire, à suivre comme modèle pour ses personnages fictifs, mais des stratégies de
malandragem qui se déplacent, changent d’apparence avec les autres personnages de la
même manière que le malandro se déplace lui-même, se transforme non seulement pour
survivre mais aussi pour maintenir sa différence à l’intérieur de la société.
Teresinha
“Max, enquanto você continuar com esses negócios escuros, tá sujeito
a viver fugindo da justiça”
Max
“Ah, asim năo. Eu năo me casei contigo pra você se meter na minha
vida profissional. Eu vou continuar trabalhando no que sempre me
orgulhei de trabalhar.”
Teresinha
29
Ubersfeld Anne, op.cit., p. 99.
30
Matos Cláudia, op.cit., p.54.
oferece perigo. Você passa a ser pessoa jurídica, igualzinho ao papai.
Pessoa jurídica não vai presa. Pessoa jurídica não apanha da polícia...
Acho até que é imortal, pessoa jurídica.”
Alors que Teresinha le pousse à avoir une certaine légalité dans ses affaires, Max
lui demande de ne pas s’immiscer dans sa vie professionnelle. Teresinha lui explique
alors « ninguém tá pedindo pra você mudar de atividade. Só dar um nome legal à tua
organização ». On voit clairement que ce n’est pas son activité qu’elle met en cause
mais l’absence de nom légal. Ainsi elle voudrait qu’il entre dans le logique de la loi,
même s’il continue à être un bandit, ce qui sous-tend que dans sa classe sociale c’est
« la façon de faire ».
La poétique chez Chico Buarque de Hollanda prête une attention toute particulière
à la représentation du malandro et de la musique, en particulier, la samba. Il y a un
rapport de complicité entre les deux éléments. Il y a quelque chose de malandro dans la
musique, qui est toujours capable de construire un personnage séducteur et sympathique
comme le malandro. Et c'est à partir de cette complicité que nous pouvons être d’accord
avec Da Matta, quand il dit que « a música popular, em particular a “música de
carnaval” seriam “leituras” específicas da sociedade brasileira por ela mesma. São
manifestações concretas da sociedade brasileira »31.
ville de Rio de Janeiro à partir des années 20 que Chico Buarque de Hollanda fera son
approximation à la réalité pour construire de façon poétique une société avec des
9. Conclusion
C’est peut-être grâce à une réalité qui se reproduit dans tout univers social que
cette histoire de brigands et de prostituées est aujourd’hui encore adaptée et présentée
au public. A travers le texte de Gay, celui de Brecht, et pour la première fois à travers le
texte de Chico Buarque de Hollanda, cette histoire nous touche toujours autant.
31
Da Matta Roberto, Conta de Mentiroso, Rio de Janeiro, Rocco, 1993, p. 36.
arte está relacionada a sua eternidade em atravessar o tempo e de ser vista sempre de
uma maneira inovadora, onde nós podemos descobrir através de suas estruturas os seus
próprios caminhos e reflexos ».32
32
Interview de Chico Buarque avec la journaliste Maria Amélia. Magazine Isto é. 02/08/1978.
Dans le parcours de notre recherche, à partir de l’univers riche en éléments
référentiels proposé par Chico Buarque de Hollanda dans son Ópera do Malandro, on a
envisagé d’approfondir l’étude du personnage en tant qu’objet central. En s’attachant à
la dimension réelle de ces personnages et des transformations qu’ils subissent lors d’une
mise en représentation on peut approcher le processus de création en jeu dans Ópera do
Malandro.
Bibliographie
I. Le corpus
1- Oeuvre du corpus
Buarque de Hollanda, Chico. A Ópera du Malandro. –São Paulo : Círculo do livro,
1978.
Gay, John, L’Opéra des gueux.- Trad. De Renée Villoteau, en Répertoire pour un
théâtre populaire, n°. 18, Paris L’Arche Éditeur, 1959.
III. Articles et ouvrages de synthèse
Glaudes, Pierre et Reuter, Yves. Le Personnage, Paris, P.U.F., « Que sais je », 1998.
Pruner, Michel. L’analyse du texte de théâtre, - Paris, Nathan « Lettres 128 », 2003.
V. Entretiens :
Cabral, Sergio. As Escolas de Samba do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, Fontana, 1974.