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L’univers sociologique de l’Ópera do Malandro de Chico Buarque de Hollanda

André Luiz Ramalho Aguiar


Professeur-Lecteur de l'Université National de Assunción (UNA) - Paraguay
Master Études Portugaises, Bresiliennes et de l'Afrique Lusophone
(Paris III – Sorbonne Nouvelle)
aramalho2011@gmail.com

Résumés

Cet article propose de faire une étude du personnage masculin dans l’œuvre théâtrale
Ópera do Malandro de Chico Buarque de Hollanda, dramaturge, romancier et musicien
brésilien. Pour développer une analyse à partir des figures référentielles de Max et
Duran comme représentants centraux de notre intrigue, il nous faut d’abord essayer
d’esquisser une typologie du malandro, à notre point de vue, élément catalyseur dans
cette pièce. En ce sens, nous avons se concentrer sur l’univers sociologique de l’Ópera
do Malandro. Les signes, les rapports sociaux et la genèse du personnage malandro sont
focalisés d’une façon telle que nous pouvons avoir une perception de sa représentation
comme élément allégorique. Pour conclure, nous allons présenter au lecteur quelques
pistes pour de futures recherches sur les études intertextuales et rhétoriques dans cette
magnifique l’œuvre de Chico Buarque de Hollanda.

Mots-clés : Ópera do Malandro ; interdiciplinalité ; intertextualité ; théorie du


Personnage ; théâtre et théâtralité.

Abstract

This article aims to propose a study of the masculine character in the play Ópera do
Malandro by Chico Buarque de Hollanda, the Brazilian playwright, novelist, and
musician. In order to carry out an analysis based on Max and Duran’s referential figures
as main representatives of our drama, we will write an essay to outline a malandro’s
typology, who is, from our point of view, the catalysing element of this play. For this
reason, we will concentrate on the sociological universe of Ópera do Malandro. The
symbolic elements, the social references and the genesis of the Malandro character are
portrayed in such a way that we can reach a perception of this representation as an
allegorical element. To conclude, we will present to the reader any hints that will
contribute to future works on the intertextual and rhetorical studies of this magnificent
Chico Buarque de Hollanda's play.

Keywords : Ópera do Malandro; interdisciplinarity; intertextuality; character theory;


theatre and theatricality.

Resumo

Este artigo se propõe fazer um estudo do personagem masculino da peça teatral Ópera
do Malandro de Chico Buarque de Hollanda, dramaturgo, romancista e músico
brasileiro. Para desenvolver uma análise a partir das figuras referenciais de Max e
Duran como representantes centrais do nosso drama, faremos um ensaio para esboçar
uma tipologia do malandro, do nosso ponto de vista, elemento catalisador desta peça.
Neste sentido, vamos nos concentrar no universo sociológico da Ópera do Malandro. Os
elementos simbólicos, as referências sociais e a gênese do personagem malandro são
focalizados de modo que nós possamos ter uma percepção desta representação como
elemento alegórico. Para concluir, vamos apresentar ao leitor quaisquer pistas que
contribuirão para as futuras pesquisas sobre os estudos intertextuais e retóricos desta
magnífica obra de Chico Buarque de Hollanda.

Palavras-chave: Ópera do Malandro; interdisciplinaridade; intertextualidade; teoria do


personagem; teatro e teatralidade.

Géographique : Rio de Janeiro, Brésil.

1. L’Opéra do Manlandro: une synopsis de la pièce

Rendant hommage au caractère social typiquement Brésilien du malandro,


l’Opéra do Malandro fait référence au genre musical américain transposé dans le
Rio de Janeiro imaginaire de la Deuxième Guerre Mondiale.

Le texte de L’Opéra do Malandro va présenter une histoire où les exploiteurs


et les exploités vont vivre en pleine harmonie dans un univers capitaliste du Brésil
des années 40.

D’abord, la pièce est présentée au spectateur par son auteur, le malandro João
Alegre. Habillé d’un costume blanc, un chapeau blanc et la cravate enluminée, João
Alegre va inviter Mme Vitória, pour lui dire qu’il offrira au nom de la compagnie
Théâtrale le guichet intégral de la soirée à la maison de la « Morada da Mãe
Solteira ».

Administré pour Fernandes Duran, la « Morada da Mãe Solteira » est l’un des
bordels gérés par la famille Duran, composée aussi par Vitória Régia et Teresinha -
leur fille qui devait trouver un mariage avantageux dans la haute société de Rio de
Janeiro.

La surprise viendra de l’amour naissant de Teresinha Duran pour Max


Overseas, un malandro typique d’un quartier bohème de la Ville (Lapa), et
responsable d’un réseau de contrebande. Cependant Teresinha s’éprend du
contrebandier et décide sans l’accord de ses parents de se marier avec le malandro.
Quand Fernandes Duran se rend compte de ce qu’a fait sa fille, il prend la
décision de séparer le couple. Aussi, Duran utilise Chaves pour tenter de prendre
Max et de l’éliminer par la suite.

Le commissaire Chaves - responsable de maintenir la morale et l’ordre public,


est habitué à recevoir de petits cadeaux venant de Duran c'est pourquoi il devra faire
exécuter ses ordres.

Teresinha prend connaissance du piège de son père, et demande à Max de


partir de la ville jusqu’à ce que la situation se stabilise. A ce moment-là, Teresinha
transformera l’activité de contrebande en une firme d’importation, avec registre
juridique, impôts à jour, etc. : de cette façon Max adhérera au capitalisme moderne
et sortira de l’illégalité. A la fin de la pièce, João Alegre revient sur la scène pour
inviter tous les spectateurs à participer du « happy end », en disant que dans l’Opéra
do Malandro, ils ont tous le droit à une fin heureuse, qu’ils soient exploiteurs ou
exploités.

2. L’univers sociologique de l’Ópera do Malandro

D'aboord nous nous interrogeons sur les raisons qui à certains moments
historiques ont motivé l’utilisation du malandro1 comme le symbole d’une culture
propre au carioca, symbole d’une nation, et comment il devient le représentant de
couches sociales opprimées et exclues. Ce que nous pouvons remarquer, c’est que
l’abordage exclusivement symbolique de la malandragem2, n’arrive pas à trouver sa
place dans notre imaginaire, sans qu’il n’y ait une remise en question des prémisses.

3. Genèse du personnage malandro

L’origine du personnage malandro tel qu’il est perçu dans la pièce en question est
à chercher dans les années 20 comme une expression du danseur de samba ou
« sambista » pendant la saison du carnaval. Ensuite les écoles de samba sont le résultat
d’une récupération de l’Etat de cette catégorie d’« artistes » considérés comme des
exclus puisqu’ils n’arrivaient pas à travailler de façon régulière. Dans ce sens, une

1
Le dictionnaire Aurélio de Hollanda définit le malandro comme un « indivíduo dado à abusar da
confiança dos outros » et encore un « indivíduo esperto, vivo, astúcio ».
2
Le dictionnaire Aurélio Edition « Milênio » va proposer deux significations pour le terme
malandragem: « 1. Súcia de malandro. 2. Qualidade, ato, dito, modos ou vida de malandro ».
tentative de définition de cette catégorie sociale n’est pas tellement aisée car il s’agit
d’une personnalité qui combine des traits antagoniques revendiquant à la fois son
caractère d’exclusion et l’envie de se surpasser. C’est ainsi que nous arriverons à cerner
ce personnage, icône d’une certaine idée d’identité brésilienne trouvant ses sources
littéraires dans l’œuvre Mémoires d’un Sergent de la Milice de Manuel Antonio de
Almeida, analysée par Candido selon ce qu’il appelle la dialectique de la malandragem.

Symbole, oui, mais dans quelle intention? A quoi cela répond-il ? Quels sont ses
constituants ? De quelle couche de la population le malandro est-il vraiment le
représentant ? Et quelle liaison peut-on faire avec la musique ? Toutes ces réponses
peuvent se trouver dans la genèse de l’image du malandro et comment cela est
représenté dans une pièce comme Ópera do malandro déjà représentative de cette
catégorie littéraire.

4. La musique populaire brésilienne et la voix malandra

La musique populaire brésilienne est objet d’étude dans plusieurs secteurs


académiques depuis quelques années, principalement en Sciences Sociales et en
Littérature3. Cela est lié à l’influence de la musique dans la construction de l’identité
brésilienne. Le choix de l’étude de la samba et du malandro comme catégorie d’analyse
dans l’œuvre de Chico Buarque de Hollanda est associé à la manière dont il construit sa
poésie.

Nous chercherons la samba et le malandro comme catégories représentatives dans


la musique populaire brésilienne car elle est un locus privilégié de l’expression des
valeurs, de l’idéologie et des sentiments nationaux. Par ailleurs la musique joue un rôle
fondamental dans la culture brésilienne. Non sans raison l’écrivain et critique littéraire
Silviano Santiago affirme que « o Brasil um país musical e sua música tem uma função
importante na construção da identidade da nação, semelhante ao que acontece com a
literatura na França »4. Elle fait partie de la vie sociale brésilienne, elle est donc

3
Nous pouvons consulter utilement : Matos Cláudia op. cit. et Menezes Adélia, Figuras do feminino na
cançăo de Chico Buarque., Săo Paulo, Ateliê Editorial, 2001.
4
Cité par Travancas Isabel, De Pedro Pedreira ao Barão da ralé – o trabalhador e o malandro na
música de Chico Buarque, PPGAS du Musée National de Rio de Janeiro, 1999, p. 102.
présente dans les plus divers moments historiques. Et l´ensemble avec le football et les
beautés naturelles servent d’image au niveau international.

Selon les données historiques l’Etat Nouveau (1937-1945) avait un intérêt


particulier à transformer le sambista en allié plutôt que de le réprimer. On peut
comprendre ainsi la logique du DIP5 : plus que réprimer le mouvement des sambistes,
l’objectif était de promouvoir une propagande au profit de l’Etat, et il fallait gagner
l’appui des sambistes en cherchant à les rapprocher du gouvernement. Transformer
l’ennemi en allié était mieux que de s’en délivrer. De cette manière l’Etat cherchait à
avoir le maximum des secteurs de la musique de variété à ses côtés, comme des
auxiliaires pour sa propre idéologie.

La création de droits d’auteur a constitué une des mesures qui a rapproché le


milieu artistique à l’Etat. Ainsi que les lois concernant les travailleurs rapprochaient de
Vargas la classe ouvrière, la loi sur les droits d’auteur a créé une image favorable de
Vargas dans le milieu artistique. Malgré la censure, le gouvernement favorisait les
musiciens, créait une forme alternative d’expression, attelée au gouvernement et au
profit du pays. C’est dans cette perspective que l’Etat va rechercher une voie directe
pour essayer d’insérer complètement les malandros dans le scénario national, comme
des individus régénérés de la société brésilienne. La proposition du DIP n’était pas
seulement de censurer mais aussi de proposer une autre voie à ces malandros, les
transformant en individus en faveur de l’Etat, auxiliaires du développement du pays6.

L’image du malandro s’est formée dans les années 20, à Rio de Janeiro, et elle
était liée à celle du « sambista ». On trouve la samba et le carnaval carioca comme des
célébrations « spontanées », « naturelles », qui traduisent l’esprit de fête et d’amitié du
Brésilien, spécialement le carioca. Le carnaval, tel qu’on le connaît actuellement, est un
événement né dans les années 20 et 30. Au moment où la samba carioca devient
chanson officielle du carnaval, les écoles de samba commencent à apparaître, recevant
ainsi l’appui officiel de l’Etat et des médias. Pour l’instant, il serait judicieux de se

5
Le DIP (Departamento de imprensa e propaganda – Département de la Presse et de la publicité) a été
créé en 1938 afin de contrôler la publicité contre le gouvernement de Getúlio Vargas.
6
Soulignons qu’il y avait différentes raisons pour faire adhérer les « sambistas » au projet de l’Etat. Il y
avait l’adhésion étique et politique au régime pour des raisons idéologiques mais on ne peut exclure
l’intérêt économique, car le DIP payait très bien celui qui acceptait de coopérer avec le régime.
focaliser sur la formation de la samba carioca comme étant une « tradition inventée » :
une rencontre entre des communautés qui souhaitaient établir des identités distinctes, et
la formation d’un idéal national de fond populaire, qui à l’époque était représenté par le
gouvernement de Getúlio Vargas7.

En 1928, apparaît à Rio de Janeiro, plus précisément dans un quartier du centre de


la ville appelé Estácio de Sá, proche du terrain du Mangue et de la Cidade Nova, la
première École de Samba : « A Deixa Falar ». Fondée par les compositeurs Alcebíades
Barbosa (Bide), Ismael Silva, Heitor dos Prazeres et Nilton Barros entre autres, l’école
est très vite devenue un sujet de discorde. « É que quando começei, o samba da época
não dava para os grupos os grupos carnavalescos andarem na rua … O estilo não dava
pra andar »8. La liaison qui aujourd’hui nous semble évidente - la samba est faite pour
danser -, était synonyme de rupture radicale avec les premiers exécutants du genre
musical. Le nom « Deixa Falar », comme nous relate Ismael Silva, apporte
implicitement cette division entre les nouveaux « sambistas » de l’Estácio et la tradition
musicale des maisons des « baianas » de la Cidade Nova, avec leurs « sambas de
terreiro ».

Bem, fundei, no Estácio, com os bambas de lá, a primeira escola de


samba, a Deixa Falar. Era costume, no carnaval, a disputa, que sempre
degenera em briga; a polícia batia, nós revidávamos – não era bom
para ninguém, não é? A Deixa Falar nasce do desejo de não apanhar
da polícia. Alguns dizem que o samba se modifica, se adapta ao mundo
social por isso. E podia ser diferente? Samba não é folclore, tem de se
modificar. É a parte viva da nação. O sambista interrage, anda nas
brechas do permitido e vai vai se afirmando, se aprimorando....
Deixa Falar, porque éramos atacados. Como fizemos modificações no
modo de desfilar, para a segurança do grupo, os tradicionalistas
disseram-se não. Por outro lado, as mudanças promovidas ao longo dos
tempos trouxe uma dinâmica de desfile, onde liberdade e salvo-
conduto para brincar o carnaval, sem apanhar, resultou numa maior
socialização das camadas populares. A coisa é bem bolada. Tivemos
relações contrárias de um e outro lado.9

7
On a suivi les pas de Cláudia Matos avec Acertei no Milhar – Samba e Malandragen no Tempo de
Getúlio Rio de Janeiro, Paz e Terra, 1982. Pour une discussion sur l’invention ou non de la samba, voir
C. Sandroni, Feitiço Descente-Transformações do samba do Rio de Janeiro (1917-1933). Rio de
Janeiro, Zahar, 2001.
8
Cabral Sérgio. As Escolas de Samba do Rio de Janeiro. Rio de Janeiro. Fontana, 1974. p. 28.
9
Interview d’Ismael Silva au Musée de l’image et du Son à Rio de Janeiro, le 29/09/66.
Le carnaval étant promu fête « officielle » les écoles de samba seront sa

représentation centrale. Etant donné son caractère démocratique, l’école absorbe les

classes populaires. Et s’est transformée de façon pragmatique en fonction des règles

préétablies. La politique permettra aux écoles de samba d’avoir une organisation

officielle, elles seront donc contrôlées par l’Etat.

La clarté du discours d’Ismaël Silva nous permet de voir combien il était conscient

de la place sociale et culturelle que la samba occupait auprès des communautés. Faire

face à la police n’améliorerait en rien la condition du « sambista » ou celle du danseur

populaire, d’où la nécessité d’être un habile malandro. Passer à travers les fentes et

marcher sur les frontières - selon l’expression de Cláudia Matos - et de cette façon

s’affirmer socialement et culturellement. En réalité, l’école de samba a été un acte

pragmatique qui allait servir d’impulsion sociale à l’intégration noire. À partir de la

fondation de « Deixa Falar », comme l’affirme Ismael Silva, « o malandro pôde brincar

seu carnaval, sem ser incomodado, como os brancos »10.

Le malandro apparemment intégré aux normes « comme les Blancs », pouvait-il


alors avoir des perspectives d’ascension sociale ? Obéir aux normes du Blanc ne signifie
pas seulement qu’elle devait se soumettre aux Blancs, mais que la samba pouvait jouir
d’une certaine mobilité au sein de la société. Et c’est cette samba composée par les gens
de l´Estácio, loin de cette fête en plein air, plus proche de la ville moderne et urbaine,
qui sera considérée comme la samba officielle de Rio de Janeiro et se répandra partout
dans le pays pour devenir le symbole d’une nation métisse et démocratique.

Si les années 30 et 40 forment le scénario de la popularisation de la « samba

malandro », les années 70 sont un espace pour une réflexion sur l’importance de ce

personnage et de ses stratégies dans la construction de l’imaginaire national. Ainsi, le

malandro va apparaître comme un représentant presque officiel des classes populaires

en réaction à l’exploitation du prolétariat. Comme soutient Márcia Ciscati, « o que

sustenta o pressuposto de que não se trata de uma questão de estilos, moda ou

10
Interview d’Ismael Silva au Musée de l’image et du Son à Rio de Janeiro, le 29/09/66.
disciplina, mais uma problemática sócio-histórica, gerada pelo funcionamento de um

sistema excludente, que beneficia minorias privilegiadas em sociedade cuja « ordem » e

« coerência » são abstrações retóricas »11.

5. Le malandro et la Malandragem

Sachant que notre réflexion concerne l’univers représenté par le malandro et la


malandragem à partir des années 20 au Brésil, l’image du malandro carioca n’est plus à
identifier dans cette œuvre car comme son auteur l’a exprimé à l’époque de sa première
représentation « é malandro o narrador, é malandro o produtor e săo malandros todos os
personagens que compõem a peça na decadente Lapa dos anos 40, reduto da eterna
malandragem »12.

D’une manière générale, il existe une dévotion particulière à la fierté du carioca.


Etre carioca est synonyme de ruse, de modernité, de créativité, d’« adresse ». Ainsi
l’affirme Marcos Gonçalves :

A cidade do Rio de Janeiro sempre deveu parte de seu magnetismo ao


jeito singular de seus habitantes. Plantados à beira-mar, num cenário de
real grandeza, os cariocas têm uma conhecida inclinação para o “easy
going”. Um modo fresco de viver, de contornar problemas, de filtrar a
vida, de contornar a vida através de humor. Inimigo do mundo da
produção, amante da música, do jogo, da boêmia, ele levava a vida na
esperteza, aplicando pequenos golpes, cometendo contravenções, como
o “barão da ralé”. A malandragem, de fato, constituiu uma espécie de
aristocracia do lúmpen. Teve seus fumos de dandismo, seus dias de
glória, e virou uma referência nacional. Mas fortemente enraizada no
Rio, onde transformou-se em um valor.13

Cette représentation du carioca est présente partout au Brésil faisant de ce


stéréotype une référence de la malandragem.

La malandragem n’est pas considérée comme un problème de formation d’un pays


mais plutôt comme une circonstance fortuite de certaines classes sociales, affectées par
le manque de considération séculaire de l’Etat. La malandragem est vue de manière
presque « positive », une voie créative, ludique, intelligente, échappant ainsi au contrôle
social. D’un autre côté, si les ressources stratégiques de la malandragem se dérobent du

11
Ciscati Márcia, Malandros da terra do trabalho: Malandragem e boêmia na cidade de São Paulo. São
Paulo, Annablume editora, 2001, p.100
12
Interview de Chico Buarque avec la journaliste Maria Amélia. Magazine Isto é. 02/08/1978.
13
Gonçalvez Marcos, « Se segura malandro! », Folha de São Paulo, Domingueira, s.d. p. 107.
territoire des classes populaires, elles deviennent immédiatement négatives. À la place
d’une telle « malandragem que não existe mais », on s’est institué le « o malandro
regular, oficial », si on paraphrase Chico Buarque de Hollanda lui-même.

Le malandro qui n’appartient pas aux classes exploitées, est une figure combattue.
Il devient synonyme de corruption institutionnalisée, de gain abusif et de la certitude
que les travailleurs vont continuer à être exploités. Dans l’analyse de ces malandros
officiels, possesseurs de tout l’équipage à leurs côtés, on perd la nostalgie de l’individu
marginal et on a la certitude que les malandragens au Brésil sont restreintes à certaines
couches sociales.
Cette ambivalence passionnée dans l’analyse de la malandragem finit par
construire un sentiment dialectique entre un malandro marginalisé et celui incorporé au
système. Selon certains intellectuels, artistes et écrivains, le malandro marginalisé -
celui des « beaux jours » - s’est lié aux « sambistas » et est issu des classes populaires.
Le second type représenterait certainement la malandragem née de la victoire du
capitalisme, faisant ainsi de l’ombre à la classe populaire. Entre ces deux extrêmes, il y
a des moments où la malandragem reçoit un statut positif. Tandis qu’elle acquiert des
contours d’une corruption officielle, ceux qui sont obéissants aux lois et aux règles, ne
risquent pas d’être considérés comme des sots.

Les définitions usuelles du malandro carioca le montrent donc comme quelqu’un


qui vit de façon déplacée en dehors des règles formelles de la société, fatalement exclu
du marché du travail – même totalement réfractaire au travail – et fortement
individualisé par sa manière de marcher, de parler ou de s’habiller14 » ou encore comme
un individu qui « vive do jogo, das mulheres que o sustentam e dos golpes que aplica
nos otários »15. Ce sont des éléments qui apparaissent déjà totalement incorporées à nos
imaginaires.

Selon la conception de Da Matta, le malandro va acquérir des contours


archétypiques, semblable à celui d’un « tricsker ».16 Quand il utilise Pedro Malasartes

14
Da Matta Roberto, Carnavals, Bandits et Héros, Paris, Seuil, 1983. p. 263.
15
Ciscati Márcia, op. cit., p. 21.
16
En général, le trickster est un héro dupeur, rusé, comique, protagoniste d’exploits et dépendant du récit
où il se trouve : dans un passé mystique ou dans le temps présent.
comme « le paradigme du malandro »17, l’anthropologue Da Matta fait de manière
évidente l’option du modèle correspondant à ceux qui arrivent seulement à voir un
malandro comme un Noir en costume blanc.

C’est donc créer un paradoxe comme le souligne Da Matta : ce qui caractérise le


malandro c’est son habileté à demeurer « dans les interstices du domaine social ».
Comment peut-on l’insérer dans un modèle paradigmatique ? Renato Queiroz affirme à
propos du « trickster » : « não é nada fácil, para um ocidental, admitir a combinação de
traços absolutamente antagônicos na feitura de um único personagem »18.

Ainsi, le malandro brésilien glisse parmi des conditions antagoniques, restreint le


regard académique traditionnel, désireux presque toujours, indépendamment du
domaine de recherche, d’établir des concepts précis et paradigmatiques.

Cependant nous pouvons remarquer qu’à partir des années 70, le terme malandro
va faire l’objet de recherches académiques dans plusieurs domaines – anthropologique,
echerche musicale, littéraire, etc. – « o malandro surge como um caminho de leitura da
nação »19.

Chaque auteur, à sa manière et dans sa spécialité, va créer un pont entre le passé


d’une dictature civile comme celle des années 1937-1945 et le présent d’une dictature
militaire comme celle des années 1964-1984. Pour un pays qui revivait un régime anti-
démocratique, où la censure régnait, la reconstruction du malandro constitue la voix
d’un peuple, un élément capable de dribbler l’autoritarisme de l’Etat. Et c’est pour ça
que nous pouvons donner comme exemple direct l’oeuvre analysée dans ce travail.

Tivemos uma série de motivos para situar o texto em 40. Achamos que
há uma coincidência entre o momento em que agente está vivendo a
aquela época. Entre 43, quando se vislumbrava o fim do Estado Novo,
e 78 há muitas semelhanças. Um outro motivo foram os problemas que
gente ia ter de enfrentar com a censura se nos fixássemos nos dias de
hoje. Ao colocarmos um chefe de polícia ou policiais em cena, em
plena década de 70, alguém poderia se sentir ofendido.20

17
Da Matta Roberto, op. cit. p. 264.
18
Queiroz Renato, « O herói trapaceiro - reflexões sobre a figura do trickster » in Tempo Social. Rev.
Sociologia da USP. São Paulo: 1991. N°3. p. 93-107
19
On peux citer comme exemple Antonio Camdodo, « Dialética da Malandragem » (1970), Roberto
Da Matta Carnavais, Malandros e Heróis (1979) et Cláudia Matos (1982), op cit.
20
Interview à Chico Buarque. Magazine Isto é. 02/08/1978.
Ainsi, suivant la même ligne du discours ci-dessus, nous pouvons citer Silviano
Santiago dont la préface du livre Acertei no Milhar, de Cláudia Matos, indique
clairement l’intention politique de l’analyse du discours malandro : « o samba, é um
tema apaixonante para melhor determinação da reação das classes populares às
ideologias do progresso: a malandragem em Samba & Malandragem, vistos em
perspectivas históricas, isto é, no próprio contexto sócio-político e econômico que
indiretamente os gerou, e na perspectiva de geração de Cláudia Matos, geração que se
viu tolida pelos processos de governo autoritário, responsáveis pelo desenvolvimento à
partir de 64 »21.

6. La vision dialectique de Candido

Considéré comme l’une des premières études littéraires proprement dialectiques


au Brésil, Antonio Candido présente dans son essai Dialética da Malandragem22 « uma
perspectiva diferente sobre nossa cultura e literatura, que permitia de identificar, batizar
e colocar em análise uma linha de força inédita até então para a teoria, a linha da
malandragem »23.

Pour Roberto Schwarcz, la dialectique chez Candido devient la base de lecture


dans la formation de la nation brésilienne. L’avantage de la dialectique en tant que
méthode est qu’elle signale une issue à la paralysie conceptuelle à laquelle était soumise
le Brésil, en particulier dans le domaine littéraire, qui était vu comme une imitation de
l’Europe. En ressortant les oppositions : ordre et désordre, progrès et retard,
l’autochtone et l’universel l’article de Candido, ouvre le champ d’exploration du monde
des frontières entre les pôles cités.

C’est Candido lui-même qui suggère cette lecture dialectique du moment qu’il
choisit comme personnage de ce mouvement pendulaire entre l’ordre et le désordre la
représentation du malandro chez Almeida. La flexibilité du personnage du malandro
fait qu’on lui donne une préférence comme référentiel d’analyse. Et choisir la

21
Santiago Silvano, Préface in Claudia Matos, op. cit., 1982.
22
« Dialética da Malandragem » est un article paru en 1970 qui a comme objectif d’analyser le roman de
Manuel Antonio de Almeida Mémoire d’un Sergent de la milice et de trouver sa caractérisation en tant
que genre littéraire.
23
Schwarcz Roberto, Pressuposto, salvo engano da dialética da malandragem in Esboço de figura –
homenagem a Antonio Candido, São Paulo: Duas Cidades, 1979, p. 133.
dialectique comme méthode permet de faire apparaître des individus contradictoires au
sein de la culture et de la littérature brésilienne ; cela fait ressurgir la dualité avec
laquelle Candido, tout autant que Shwarcz lisent le Brésil à partir de la formation
littéraire nationale.

Sous cette perception du processus dialectique sous-jacent dans le roman


d’Almeida, l’évidence ne semble pas s’appuyer sur une vision d’exclusion mais
d’assimilation dans la mesure où ce personnage est proche du Brésilien moyen. On
trouve des domaines d’interférence entre deux univers apparemment opposés – un
monde supposé d’ordre qui se trouve parfois dans un univers du désordre. Et l’on va
prendre le point de vue d’Antonio Candido pour observer dans Ópera do Malandro, le
personnage de Duran au profil contradictoire tout à fait caractéristique.

Fernandes Duran, un « commerçant » très connu dans le quartier Lapa, fait partie
du pôle d’ordre dans la société d’Ópera do Malandro, un homme travailleur, qui paye
ses impôts correctement. Même si son commerce consiste à exploiter des femmes dans
les bordels qu’il gère, c’est considéré selon la logique de la pièce comme quelque chose
de normal. Mais ne voulant pas accepter le mariage de sa fille Teresinha avec le
contrebandier Max, Duran exige de la part du commissaire Chaves qu’on donne un
ordre de emprisonnement aux hors-la-loi. Et si ses ordres ne sont pas exécutées, Duran
menacera le commissaire de le dénoncer pour corruption publique. En effet, Duran
sortira d’un pôle d’ordre positif à un négatif, sans altérer cependant son image devant
les autres personnages. Duran n’est pas le seul personnage à être caractérisé par son
changement d’attitude. Teresinha, par exemple, est considérée comme une fille très bien
élevée, charmante et avec un futur prometteur. Mais Teresinha tombe profondément
amoureuse du contrebandier Max, avec lequel elle prend la décision de se marier sans
l’accord de ses parents. A partir du moment où elle devient la femme d’un
transgresseur, Teresinha abandonne le pôle positif de l’ordre pour le pôle négatif du
désordre. Cela est vrai non seulement pour des personnages comme Duran et Teresinha,
mais pour presque tous les autres car ils vont transiter entre ces deux pôles, dont les
extrêmes se rapprochent. L’ordre et le désordre ne seront plus une référence pour les
valeurs morales.
Quand Candido affirme que Manuel Antonio de Almeida n’émet aucun
jugement de valeur sur le comportement de ses personnages, il attire l’attention sur le
fait que son article met en place « um Mundo sem culpas »24 dans le Romantisme
brésilien. Les opposés disparaissent et, à la place, apparaît un univers qui ressemble à un
paradis, loin de l’erreur et de tous les péchés. Un univers sans culpabilité morale comme
peut l’être « A Brasileira », le bordel de Duran dans lequel les prostituées vivent à coté
du monde du pouvoir, à coté d’une société qui vit de l’exploitation des uns sur les
autres, où seul compte la richesse individuelle. Elles sont conscientes de la façon dont
Duran les exploite, ce qui n’empêche qu’elles puissent faire de leur corps un instrument
de plaisir, plein d’amour et de sentiments, tout en recherchant leur propre satisfaction.
Et dans cet univers, il paraît impossible l’existence d’un Mal ou d’un Bien absolu.

Cette oscillation des personnages d’un pôle à l’autre qu’Antonio Candido nous
relate, peut être extrapolée dans Ópera do Malandro comme conséquence de l’absence
de jugement moral de la part de Chico Buarque de Hollanda par rapport à sa
construction poétique, en utilisant un mélange de ironie, satire et cynisme pour
présenter au spectateur une relative équivalence entre l’univers de l’ordre et du
désordre, entre ce qu’on appelle conventionnellement le Bien et le Mal. Ópera do
Malandro échappe à cette règle idéologique de la société dont la valeur est définie par
rapport à la nécessité de choisir entre le licite ou l’illicite, le vrai ou le faux, le moral ou
l’immoral, etc.

7. Série archétypique et série sociologique

Dans l’essai de Candido, il y a une unité empirique qui lie la première étape de
la caractérisation « roman Malandro » à la deuxième étape « roman representativo ».
Selon Candido, Mémoires d’un Sargent de la Milice va présenter deux directions
narratives que vont s’influencer l’une l’autre d’une façon dynamique. Cette dynamique
nous permettra d’un coté la « série archétypique » qui nous conduira à la représentation
de ce qu’il y a de plus universel concernant la culture : la fable et l’irréel, l’imaginaire et
le folklorique. Et d’un autre coté, celle de la « série sociologique » qui dans le sens
inverse, nous amènera à la représentation d’une société concrète, historiquement
délimitée, au travers d’un réalisme qui intervient à partir d’un regard social.

24
Candido Antônio, « Dialética da malandragem » in Revista do Instituto de Estudos Brasileiros. N° 8.
São Paulo : USP, 1970, p. 83.
La première perspective, la « série archétypique », se réfère à la typification des
personnages selon les paramètres du folklorique et de la littérature comique et satirique
du Brésil de la première moitié du XXème siècle. La deuxième perspective ou « série
sociologique » va se centrer sur une dynamique sociale de l’époque, qu’on peut
comprendre à partir du résultat de cette « tension », la construction d’une liaison pour
établir le concept de malandragem. Ce qu’il y a de commun entre « le premier grand
malandro qui pénètre dans le romanesque brésilien »25 et la dialectique de l’ordre et du
désordre, constitue un « continuum » sentencieux où l’idée de malandragem passe d’un
plan individuel à un plan social.

Ce qui est intéressant dans cette analyse, c’est qu’avec le discours que tient
Candido, on verra que la construction de l’imaginaire de la malandragem carioca
demeure répétitive. C'est quelque chose qu’on connaît, on devine ses personnages et
jusqu’où ils peuvent aller. Ainsi, le malandro est fondé sur quelque chose de fictif, pour
aboutir à une forme proche du réel. Bref, l’intellectuel utilise des éléments fictifs dans
l’élaboration de son apparence afin d’avoir un résultat final de réalité. On part du
malandro imaginaire et on arrive au malandro réel ; comme l’affirme Chico Buarque de
Hollanda à travers une fine ironie : « o que dá de malandro regular, profissional /
malandro com aparato de malandro oficial / malandro candidato a malandro federal /
malandro com retrato na coluna social »26. Finie l’irrégularité du travail, le malandro
accède à des statuts officiels et arrive même à des postes politiques. Il peut même faire
partie des clases sociales aisées qui se font photographier dans les « pages sociales ». En
effet, cette « malandragem » peut appartenir à toutes les couches sociales, et les valeurs
positives ou négatives se confondent et parfois sont complémentaires.

Parfois la réalité dépasse la fiction. Lilia Moritz27 en parlant de la malandragen


comme éthos donne cet exemple « Romário, notre plus récent “phénomène” [en tant que
footballeur], lorsque son père a été séquestré (début 1994) ne s’est pas gêné, afin de le
retrouver, pour faire appel à la fois à d’autres gangs et à l’esprit civique et national
(« Sans mon père, pas de Coupe du monde ») ».

25
Gotto Roberto, Malandragem revisada, uma leitura ideológica da « Dialética da Malandragem ».
Campinas/Pontes, 1988 p. 29.
26
Buarque de Hollanda Chico, op.cit., p. 85.
27
Moritz Lilia, « Le complexe de Zé Carioca. Notes sur une certaine identité métisse et malandra » in
Lusotopie. Karthala, 1997, p. 260
L’article d’Antonio Candido permet de percevoir cette médiation entre le réel et
l’apparence qui se traduit à travers le discours du malandro. Ce discours n’est ni positif,
ni négatif, ni totalement réel, ni purement fictif. Et nous pouvons apercevoir dans ce jeu
d’ordre et de désordre que les personnages passent d’un pôle à l’autre. Si par contre à un
moment donné les personnages décidaient de cesser ce mouvement pendulaire, ce sera
au contexte de la narration d’offrir ce processus transitoire.

Roberto Gotto surenchérit : « a malandragem caracteriza o romance em todos os


seus níveis: é malandro seu personagem principal, pelo caráter e modo de agir; são
malandros os personagens em geral, em seu sistema de relações; é malandro o narrador,
pelo amoralismo e pela flutuação de seus pontos de vista »28.

Ainsi c'est par Mémoires d’un Sergent de la Milice que Candido nous amène à la
création du « roman malandro ». Ce genre va établir les nouvelles caractéristiques
consacrées au burlesque et au réaliste, à partir du moment où il y aura une transition
entre le réel et la fiction. Dans ce sens, le « roman malandro » a pour but non pas de
reproduire les aventures d’un malandro, mais surtout d’exprimer sa propre structure
dialectique : ne pas se limiter à un seul style d’époque, ni produire de stéréotypes.

C’est donc à partir des années 30 et associé à la thématique de la samba, que le


malandro va définitivement être incorporé à l’imaginaire national et fera partie de
différentes expressions artistiques. La figure de ce malandro de chapeau blanc, de
costume blanc et de chemise en soie va correspondre à sa représentation carnavalesque.
Cette carnavalisation, suivant les termes de Da Matta, est capable de se distinguer et de
révéler son vrai visage. Cette distinction va le différencier du groupe social auquel il
appartient et va révéler à partir de son propre inconscient, que son souhait d’ascension
sociale le réduira à la caricature d’un petit bourgeois, dont les avantages se résument à
échapper au contrôle des représentants de la loi et de l’ordre.

L’exemple le plus éloquent dans Ópera do Malandro est Max qui, malgré sa
capacité de ruse et les tours qu’il joue à la police, finit par tomber dans son propre
piège : il sacrifie son amour avec Lúcia pour se marier avec la fille du patron des
prostituées et faire partie de la classe dominante abandonnant de la sorte le seul vrai
sentiment qu’il avait développé. Ce mariage le fait entrer dans le monde de l’ordre, il va
rendre légales ses affaires louches, et pense ainsi cesser d’être un malandro. Le jeu des

28
Gotto Roberto, op.cit. p. 29-30.
apparences s’élève à sa plus haute expression. Max ne fait que reproduire le monde
d’illusions que lui impose sa propre réalité.

8. Le malandro contemporain de Chico Buarque de Hollanda

Donner de l’importance à l’« être malandro », nous semble beaucoup plus


complexe que d’essayer de comprendre des définitions déterminées et des
caractéristiques paradigmatiques. Qui est finalement ce personnage tellement commun
dans les rues et dans la culture de Rio de Janeiro, et qui arrive à échapper si facilement à
un simple concept ? Pourquoi ce personnage est une référence dans la poésie chez Chico
Buarque de Hollanda ? Dans la mesure où nous essayons de construire un concept pour
le malandro, nous tâcherons d’utiliser ses propres méthodes, notamment son discours,
et ses mots réduits à une fonction métaphorique.

Et nous attachant à cet univers rhétorique, nous pouvons faire allusion à la scène
où la femme de Duran, Vitória, discute avec lui sur la perspective du mariage de
Teresinha :
Vitória

“Você tá subestimando a cabecinha da tua filha, Dudu. Eu que falo


com ela, e muito, sei que ela não há de aceitar proposta de casamento
sem estar muito bem coberta….”

Duran

“Queria acreditar nisso, Vitória, mas tenho medo. Em nossa família


não pode caber um sanguessuga.”

Acte I, scène 1.

Que des parents se soucient du mariage de leur fille, on n’y voit rien d’anormal, le
problème c'est qu’ils croient appartenir à la noblesse et qu’un roturier pourrait
déshonorer leur famille.

La personnalité du malandro a recours au chantage, à la tromperie, par son


pouvoir de persuasion, et de séduction, à partir du moment où il recherche comme une
stratégie de négociation pour arriver à son objectif. Comme sur la scène qui se passe au
commissariat entre Max et Lúcia, où notre malandro utilise des tours de parole pour
contrer la jalousie de sa maîtresse, et en même temps, pour échapper à la prison :
Lúcia :

“Vai dizer que não casou com ela, vai? Vai dizer, vai???

Max :

“Ah, ah, ah, já sei! Só pode ser arranjo daquele velho safado! Tá com
a filha encalhada na prateleira, o velho. Daí, só porque eu fui lá vez e
outra, tralala, trololo, coisa e tal, o velho espalha boato de casório pra
valorizar o material ”...

Acte II, scène 3.

Et encore :

Lúcia:

Você tem papel passado em cartório, que eu sei! (...)

Max :

“Deixa isso, baby, você sabe que eu sou louco por você. Quem já
deitou contigo não esquece, minha pombinha de veludo. Se eu
pudesse, comia você agora mesmo, com grade e tudo. (Agarra Lúcia)
Abre a porta, Lúcia. Eu te desejo! ”

Acte II, scène 3.

Ainsi, nous pouvons élargir le discours théâtral à un ensemble qui réunit non
seulement la manière de parler mais aussi celle de marcher, de s’habiller etc. qui est un
aspect sur lequel nous renseigne Da Matta.

En tant que concept, le malandro est réduit à un objet – limité et prisonnier. Dans
son aspect métaphorique, la multiplicité du discours évoque le caractère d’un
personnage mobile. Et c´est à partir de cette multiplicité que Chico Buarque de
Hollanda va s’inspirer pour créer sa poésie dans l’univers symbolique et magique de la
ville de Rio de Janeiro des années 40.

Chico Buarque de Hollanda cherche à rapprocher sa représentation du malandro


d’un personnage allégorique, en considérant les éléments qui produisent cette
représentation, à un moment historique donné et la façon dont cette représentation se
réfère aux images de la nation car « on peut considérer le personnage comme la
métonymie et/ou la métaphore d’un référent, et, plus précisément, d’un référent
historico-social »29.

De cette manière, on n’aura pas dans cette pièce un malandro type, idéal et
exemplaire, à suivre comme modèle pour ses personnages fictifs, mais des stratégies de
malandragem qui se déplacent, changent d’apparence avec les autres personnages de la
même manière que le malandro se déplace lui-même, se transforme non seulement pour
survivre mais aussi pour maintenir sa différence à l’intérieur de la société.

Comme l’affirme Matos « o malandro é um ser da fronteira, da margem. Seus


domínios geográficos não são nem o morro nem os bairros de classe média, mas os
lugares de passagem como a Lapa e o Estácio. Ele não se pode classificar nem como
operário bem comportado nem como criminoso comum: não é honesto mas também não
é ladrão, é malandro »30.

Le principe de cette interchangeabilité de classes que nous avons appelée « l’effet


de miroir » permet de montrer comment à la fois des bandits ressemblent à des
bourgeois et les bourgeois sont finalement des bandits. Voici un aspect que nous
pouvons identifier dans la manière que Teresinha a trouvé pour faire échapper Max au
contrôle de la justice :

Teresinha
“Max, enquanto você continuar com esses negócios escuros, tá sujeito
a viver fugindo da justiça”

Max

“Ah, asim năo. Eu năo me casei contigo pra você se meter na minha
vida profissional. Eu vou continuar trabalhando no que sempre me
orgulhei de trabalhar.”

Teresinha

“Mas é claro, querido, é claro. Ninguém ta pedindo pra você mudar de


atividade. Só dar um nome legal à tua organização. Põe um “esse-a”
ou um “ele-te-de-a” atrás do nome e pronto, constitui a firma. Firma
de importações por exemplo. É tão digno quanto contrabando e năo

29
Ubersfeld Anne, op.cit., p. 99.
30
Matos Cláudia, op.cit., p.54.
oferece perigo. Você passa a ser pessoa jurídica, igualzinho ao papai.
Pessoa jurídica não vai presa. Pessoa jurídica não apanha da polícia...
Acho até que é imortal, pessoa jurídica.”

Acte II, scène 1.

Alors que Teresinha le pousse à avoir une certaine légalité dans ses affaires, Max
lui demande de ne pas s’immiscer dans sa vie professionnelle. Teresinha lui explique
alors « ninguém tá pedindo pra você mudar de atividade. Só dar um nome legal à tua
organização ». On voit clairement que ce n’est pas son activité qu’elle met en cause
mais l’absence de nom légal. Ainsi elle voudrait qu’il entre dans le logique de la loi,
même s’il continue à être un bandit, ce qui sous-tend que dans sa classe sociale c’est
« la façon de faire ».

La poétique chez Chico Buarque de Hollanda prête une attention toute particulière
à la représentation du malandro et de la musique, en particulier, la samba. Il y a un
rapport de complicité entre les deux éléments. Il y a quelque chose de malandro dans la
musique, qui est toujours capable de construire un personnage séducteur et sympathique
comme le malandro. Et c'est à partir de cette complicité que nous pouvons être d’accord
avec Da Matta, quand il dit que « a música popular, em particular a “música de
carnaval” seriam “leituras” específicas da sociedade brasileira por ela mesma. São
manifestações concretas da sociedade brasileira »31.

C’est donc à travers cet univers symbolique et de multiples valeurs propres à la

ville de Rio de Janeiro à partir des années 20 que Chico Buarque de Hollanda fera son

approximation à la réalité pour construire de façon poétique une société avec des

personnages rhétoriques qui vont transcender les contours allégoriques.

9. Conclusion
C’est peut-être grâce à une réalité qui se reproduit dans tout univers social que
cette histoire de brigands et de prostituées est aujourd’hui encore adaptée et présentée
au public. A travers le texte de Gay, celui de Brecht, et pour la première fois à travers le
texte de Chico Buarque de Hollanda, cette histoire nous touche toujours autant.

D’ailleurs, à propos d’une nouvelle adaptation de l’Opéra des Gueux et de


l’Opéra de quat’sous, Chico Buarque de Hollanda avait écrit : « a magia de uma obra de

31
Da Matta Roberto, Conta de Mentiroso, Rio de Janeiro, Rocco, 1993, p. 36.
arte está relacionada a sua eternidade em atravessar o tempo e de ser vista sempre de
uma maneira inovadora, onde nós podemos descobrir através de suas estruturas os seus
próprios caminhos e reflexos ».32

Cette longévité et cette source inépuisable d’inspiration et de transformation


s’expliquent par le caractère intemporel des personnages tels que Max et Duran, et des
situations traitées. A n’importe quelle époque, comme dans n’importe quelle ville du
monde, il y a toujours ces luttes de pouvoir, ces trahisons, ces vols et ces complots entre
puissants comme entre miséreux.

Mais ce qui explique surtout cette prodigieuse modernité vient probablement du


pouvoir de stimulation que cette œuvre ne cesse de provoquer dans le théâtre. En effet,
si Chico Buarque de Hollanda a réussi à montrer à son public un gouvernement et un
système corrompu au travers d’un pouvoir de travestissement, il est par là arrivé à un
jeu subtil entre le réel et la représentation, ce qui reste encore aujourd’hui le principe
même de l’acte théâtral. L’auteur va refléter sans complaisance le désordre et la dérive
de notre société au moyen d’une surprenante diversité de langages et de styles
musicaux, recherchant à investir des personnages comme Duran et Chaves de la
représentation d’un système fragile et excluant. Il n’est pas facile de voir dans l’étude
des personnages masculins de l’Ópera do Malandro des caractéristiques positives.
Notons à ce propos qu’en tant que spectateur on est pourtant plus attaché à quelqu’un
comme Max et à la façon dont il articule son art de persuader qu’à un Duran et encore
moins à un Chaves.

Mais le pouvoir du dramaturge, n’est-il pas d’aller au-delà de ces considérations


sociales ? L’artiste ne doit-il pas, à travers son œuvre, poser le problème essentiel de la
création ? Et sur ce point, il convient de dire à la fin de cette étude que Chico Buarque
de Hollanda a réussi cette mission. En effet, l’Ópera do Malandro est une pièce qui
exalte à travers ses personnages la problématique de la brésilianité sans nous priver de
l’illusion inhérente à l’univers théâtral. Et c’est peut-être pour cela qu’elle est
considérée aujourd’hui comme une œuvre phare, que de nombreux metteurs en scène se
plaisent encore à monter et à adapter.

32
Interview de Chico Buarque avec la journaliste Maria Amélia. Magazine Isto é. 02/08/1978.
Dans le parcours de notre recherche, à partir de l’univers riche en éléments
référentiels proposé par Chico Buarque de Hollanda dans son Ópera do Malandro, on a
envisagé d’approfondir l’étude du personnage en tant qu’objet central. En s’attachant à
la dimension réelle de ces personnages et des transformations qu’ils subissent lors d’une
mise en représentation on peut approcher le processus de création en jeu dans Ópera do
Malandro.

Dans cette perspective, on peut développer et approfondir ce travail à partir


d’une vision intertextuelle de l’Ópera do Malandro non seulement avec John Gay et
Bertolt Brecht mais aussi dans les ouvrages existant dans la littérature Brésilienne. On
peut analyser l’œuvre de Chico Buarque de Hollanda en partant de certains éléments
rhétoriques : relations de coprésence (citation référence, allusion) et relations de
dérivation (parodie, satire, ironie)

On peut réfléchir à partir des mécanismes utilisés par l’auteur comme


compositeur et poète pour arriver à la construction de ses personnages : les sources
d’inspiration, les références de création, les outils extratextuels afin d’observer la
confrontation entre le réel et l’imaginaire qui engendre la transformation jusqu’à
l’invention du malandro comme catégorie littéraire.

Dans une recherche ultérieure, le choix de l’œuvre de Chico Buarque de


Hollanda visera également à observer le dialogue que l’auteur établit entre la littérature
et les autres arts comme centre de sa poétique de création et de son style d’écriture.

Bibliographie

I. Le corpus

1- Oeuvre du corpus
Buarque de Hollanda, Chico. A Ópera du Malandro. –São Paulo : Círculo do livro,
1978.

II. Pièces de théâtre

Brechet, Bertolt, L’Opéra de Quat’sous.- Trad. De Jean-Claude Hémery, en Théâtre


Complet, vol. 2, Paris L’Arche Éditeur, 1977.

Gay, John, L’Opéra des gueux.- Trad. De Renée Villoteau, en Répertoire pour un
théâtre populaire, n°. 18, Paris L’Arche Éditeur, 1959.
III. Articles et ouvrages de synthèse

Candido, Antonio. « Dialética da Malandragem, (caracterição das Memórias de um


Sargento de Milícias) », in Revista do Instituto de estudos brasileiros, n°. 8, São Paulo,
USP, 1970, p. 67–89.

Gonçalves, Marcos, « Se segura malandro ! », in Domingueira, Folha de São Paulo, São


Paulo,1982 , p. 107-108.

Queiroz, Renato. « O herói trapaceiro - reflexões sobre a figura do trickster », in Tempo


Social, Revista Sociologia da USP, São Paulo, 1991, N° 3, p.93-107.

Schwarz, Roberto. « Pressuposto, salvo engano, de Dialética da Malandragem’», in


Esboço de figura: homenagem a Antonio Candido, Vários autores. São Paulo, Duas
Cidades, 1979, pp. 133 – 154.

Travancas, Isabel S. « De Pedro Pedreira ao Barão da ralé – o trabalhador e o malandro


na música de Chico Buarque », in De Pedro Pedreira ao Barão da ralé – o trabalhador
e o malandro na obra de Chico, PPGAS do Museu Nacional, Rio de Janeiro,1999, p.
95-115.

Zeraffa, Michel. « Personnage, théâtre, théâtralité », in Oblique, n° 18/19, (Sartre),


1978, p. 123-127.

IV. Ouvrages théoriques

Abirached, Robert. « La crise du personnage dans le théâtre moderne », Paris, Grasset,


1978.

Ciscati, Márcia Regina. Malandros na terra do trabalho: Malandragem e boemia na


cidade de São Paulo (1930/1950), - Editora Annablumet/FAPESP, 2001.

Da Matta, Roberto. Carnavals, bandits et héros: Ambiguïtés de la société brésilienne,


Paris, Editions Seuil, Coll. Esprit, 1983. (Edition originale, Rocco 1979).

Glaudes, Pierre et Reuter, Yves. Le Personnage, Paris, P.U.F., « Que sais je », 1998.

Gotto, Roberto. Malandragem revisada: Uma leitura ideológica da dialética da


malandragem, Campinas/Pontes, 1988.

Hamon, Philippe. - « Pour un statut sémiologique du personnage » in Poétique du récit,


Paris, Seuil, 1977.
Matos, Cláudia. Acertei no Milhar: Malandragem e samba na terra de Getúlio, - Rio
de Janeiro, Editora Paz e Terra, 1982.

Pruner, Michel. L’analyse du texte de théâtre, - Paris, Nathan « Lettres 128 », 2003.

Ubersfeld, Anne. Lire le théâtre I, -Paris, Belin, 1996.

V. Entretiens :

Magazine Isto é : Entrevista com Chico Buarque de Hollanda, 02.08.1978, Rio de


Janeiro.

Musée de l’image et du son : Entretien à Ismael da Silva, 29.09.66, Rio de Janeiro.

Cabral, Sergio. As Escolas de Samba do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, Fontana, 1974.

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