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I nterpretation des anomalies biologiques autour de cas cliniques

Amylases et lipases

Re  sume 
How to interpret Le seul dosage utile est celui de la lipas emie qui n’est pas plus cou ^teux que celui
amylase and lipase de l’amylas emie. Il est le plus sensible et surtout le plus sp
ecifique. Ce dosage ne
dosages? doit ^etre fait qu’en cas de suspicion clinique de pancr eatite aigu€
e. La lipas
emie
ne doit pas ^etre dos ee dans le cadre d’un check-up, de d epistage de pancr eatite
ou de cancer du pancr eas ou pour  evaluer la gravit e d’une pancr eatite. La
lipasemie doit donc ^ etre dos ee une fois, le plus souvent aux urgences d’un
vy
Philippe Le
^pital Beaujon, Po
^le ho^pital.
DHU UNITY Ho
des Maladies de l’Appareil Digestif, Service s : lipase, amylase, pancreatite aigu€e, pancreatite chronique
n Mots cle
de Pancr
eatologie-Gastroenterologie,
92118 Clichy Cedex, France
Abstract
e-mail : <philippe.levy@bjn.aphp.fr> The only dosage useful is that of lipasemia which is not more exensive than that
of amylasemia. Lipasemia is more specific and sensistive than amylasemia. The
only circumstance in which lipasemia has to be measured is clinical suspicion of
acute pancreatitis. It is not useful for check-up, pancreatitis or pancreatic cancer
screening and to evaluate pancreatitis severity. Lipasemia should be measured
once, when arriving at emergency ward.
n Key words: lipase, amylase, acute pancreatitis, chronic pancreatitis

‘‘
Je ne tiens jamais le dosage de l’amylas emie et de la
compte des résultats d’un lipas
emie sont respectivement co ^t
es
examen que je n’aurais pas 2,16 s et 2,43 s. Il serait int
eressant
demandé ^ts induits
de connaı̂tre le total des cou
Jean-Pierre Benhamou, par ces deux dosages et de les
chef de service du Service comparer aux services rendus et aux
d’Hépatologie, Hôpital effets collat
eraux.

’’
Beaujon, Clichy

‘‘
Il serait intéressant
de connaitre le total
il est vrai que nous creusons
S’ notre tombe avec nos dents, il
des cou^ ts induits par
les dosages de l’amylasémie
est aussi exact que nous creusons et de la lipasémie et
le trou de la S ecurit
e sociale avec de les comparer aux services
des prescriptions inutiles d’examens

’’
rendus
compl ementaires voire suppl emen-
taires. Ces examens sont parfois
peu chers  a titre individuel mais Nous allons tenter de l’illustrer par ce
leur rep etition et leur multiplication court cas clinique.

a l’
echelon national augmentent sen- Mme W., 62 ans, vient consulter un
siblement les d epenses de sant e sans professeur de gastroent erologie dans
doi: 10.1684/hpg.2013.0918

aucun retentissement sur la qualit e de un CHU du nord ouest de Paris ayant


la prise en charge. A  titre d’exemple, quelques connaissances dans les
HEPATO GASTRO
y

et Oncologie digestive
Pour citer cet article : Philippe L. Amylases et lipases. Hepato Gastro 2013 ; 20 : 650-655. doi :
10.1684/hpg.2013.0918
Tir
es 
a part : P. Levy

650 HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive


vol. 20 n8 8, octobre 2013
Amylases et lipases

‘‘
affections pancr eatiques. Elle a comme ant ec
edents Le seuil de trois fois la normale
signifiant une chol ecystectomie il y a 10 ans pour lithiase pour la lipasémie est retenu dans tous
asymptomatique, une dyspepsie et des troubles fonction- les consensus comme étant significatif

’’
nels sur un mode de constipation chronique. Dans sa pour le diagnostic de pancréatite aigue
famille, un cousin au second degr e est d ec
ede d’un
adenocarcinome pancr eatique d’embl ee m etastatique a
l’^age de 72 ans. Il n’y a aucun autre ant ecedent familial
signifiant.
L’amylase
A la question de la raison de la chol ecystectomie, il est L’amylas emie s’e le
ve dans les heures suivant le debut des
repondu que, d eja 
a l’epoque, elle avait les enzymes sympto ^mes et se normalise rapidement en moins de
pancreatiques  a un niveau tr es elev
e et que cela pouvait 5 jours. Des taux normaux d’amylase peuvent ^ etre not
es 
a
^etre tres grave, dit-elle. Depuis, il lui est prescrit entre 5 et l’admission jusque dans 19 % des cas [1, 2], en particulier
10 fois par an un bilan sanguin comportant les dosages de en cas de pancr eatite alcoolique, les malades retardant
l’amylasemie et de la lipas emie. Ces deux valeurs sont souvent leur ni eme admission.
constamment  elevees, la plupart du temps entre 2 et 4 L’amylase a un poids mol eculaire de 50 000. Elle hydrolyse
fois la normale (N). A  une occasion, le dosage de les liaisons internes alpha-1,4 des sucres, r esultant en la
l’amylase a atteint 10 N. Le laboratoire a appel e le production de maltose et d’oligosaccharides. L’amylas emie
prescripteur qui a fait hospitaliser Mme W. Elle a alors eu est le reflet de la balance entre la production d’amylase par
un dosage des deux enzymes tous les jours pendant les 5 tous les organes qui en contiennent et son catabolisme ou
jours de l’hospitalisation. Un scanner abdominal, fait son epuration du plasma.
apres trois jours de jeu ^ne, s’est r ev
ele normal. Les L’amylase pancr eatique peut gagner le plasma via trois
enzymes pancr eatiques  etant redescendues en dessous voies theoriques :
de 2 N, elle a  et
e autoris ee a manger selon un r egime
a) par le biais des acini ou des ductules directement dans
progressif puis  a sortir.
les vaisseaux perfusant le pancr eas ;
La pancreato-IRM et l’ echoendoscopie r ealis
ees apres sa
b) par la circulation lymphatique ;
sortie etaient normales. Un dosage de l’ elastase fecale au
c) 
a partir de la lumi ere intestinale dans les vaisseaux
decours d’une gastroent erite etait a 548 mg/g de selles
perfusant la muqueuse. La constatation d’un taux
(normale > 250 mg/g de selles) traduisant une fonction
d’amylas emie tr es diff
erent (20-40 %) entre l’affluent
exocrine normale. Apr es son hospitalisation, Mme W. a
arteriel et l’effluent veineux pancr
 eatiques est en faveur
demande et obtenu un dosage mensuel des enzymes
d’un passage direct dans les vaisseaux sanguins
pancreatiques qui oscillent toujours entre les m^ emes
peripancreatiques.
valeurs, comme avant et apr es la cholecystectomie, avant,
pendant et apr es l’hospitalisation, et ce, ind ependamment Chez les malades n’ayant pas de pancr eatite aigu€e,
des sympto ^mes fonctionnels. Il lui a  et
e propos e une la concentration de l’amylase dans le canal thoracique
nouvelle echoendoscopie et une sphinct erotomie endos- est  a peine sup erieure a celle du plasma, rendant
copique dans l’hypoth ese d’une dysfonction du sphincter l’hypoth ese d’un passage lymphatique peu probable
d’Oddi. Pour que son dossier soit complet, Mme W. arrive chez le sujet sain. Plusieurs travaux utilisant de l’amylase
avec un nouveau scanner, normal. marqu ee  a l’iode radioactif ont montr e que la
Ce cas clinique peut ^etre juge caricatural. Il ne l’est pas tant r
eabsorption intestinale de celle-ci  etait tr
es faible chez
que cela, raison pour laquelle il  etait important d’aborder l’homme sain. La premiere hypoth ese semble donc la plus
a nouveau ce probl eme du dosage des enzymes vraisemblable, du moins en dehors d’une pouss ee de
pancreatiques dans une session de formation m edicale pancr eatite aigu€e.
continue. Dans un mod ele de pancr eatite exp erimentale chez
le chien, il apparaı̂t que la voie sanguine directe est
predominante au stade initial de la pouss ee mais qu’une
Petits rappels physiopathologiques voie lymphatique et p eriton
eale se met en place dans les
jours suivants.
En cas de pancr eatite aigue€, de nombreuses enzymes La demi-vie plasmatique de l’amylase est br eve (1  a
acinaires sont largu es dans le s
erum. Les deux principales 2 heures chez le babouin et 1 heure et demi chez le lapin).
sont l’amylase et la lipase, et leur concentration  elevee est De ce fait, le d
ebit de production doit ^
etre 
eleve pour que le
un des criteres diagnostiques utilis
es. Le seuil de trois fois la taux serique se maintienne. Compte tenu du volume de
normale est retenu dans tous les consensus comme  etant distribution plasmatique, de sa demi-vie et de son taux
significatif. Toute el
evation inf
erieure a ce seuil doit ^ etre normal, on peut calculer que la production d’amylase chez
consideree comme non signifiante. l’homme doit ^ etre de l’ordre de 100 U/h.

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La clairance de l’amylase plasmatique est assure e par moins l’^
age de 80 ans ou , pour une raison mal connue,
plusieurs voies. Environ un tiers est excr
et
e dans les urines son taux s’
el
everait de 40 %. Il n’y a pas de diff
erence du
sous forme intacte, ce qui constitue le fondement du taux normal entre les sexes. Le taux des enzymes
dosage de l’amylasurie. Une partie est catabolis ee pancreatiques n’est pas modifi e en postprandial. Il a
directement par le rein au niveau tubulaire. Au total, le 
et
e sugger
e que le taux basal de l’amylas emie etait deux
rein serait responsable de la moiti e de la clairance fois plus elev
e chez les fumeurs que chez les non-
plasmatique de l’amylase. Les autres voies cataboliques fumeurs. Ceci n’a jamais  et
e confirme et il est possible
ne sont pas connues mais le syst eme r eticulo-endothelial qu’une grande part de cette  el
evation soit en fait
serait impliqu
e. Il ne semble pas que le foie soit impliqu e d’origine salivaire.
comme cela a  et
e demontr
e chez le lapin h epatectomis e.
 Maladies ou circonstances associées à une élévation
 Organes contenant de l’amylase du taux plasmatiques des enzymes pancréatiques
De nombreux organes ou se cre
tions contiennent de Il existe de nombreuses circonstances dans lesquelles le
l’amylase dont l’activit
e est dos
ee par les kits commerciaux. taux d’enzymes pancr eatiques depasse la valeur sup erieure
L’activite amylasique dans les tissus est tr es vari
ee. Les de la normale. La situation la plus banale est repr esentee
concentrations trouv ees dans le pancr eas ou les glandes par les heures qui suivent un cath et
erisme r etrograde
salivaires sont plusieurs dizaines de fois superieures 
a celles endoscopique des voies biliaires et pancr eatiques. En
des autres organes. De fait, l’amylase plasmatique est l’absence de tout signe de pancr eatite, les enzymes
presque exclusivement originaire de ces deux organes. Des pancr eatiques sont  elevees dans plus de 75 % des cas.
quantites elev
ees d’amylase ont et
e d
ecrites dans l’intestin Ce chiffre montre combien il est inutile de doser ces
gr^ele mais il semble que celle-ci est en fait adh erente a la enzymes dans cette situation, y compris chez les malades
muqueuse digestive. L’ el
evation de l’amylas emie comme algiques, en raison de leur absence d’int er^
et diagnostique.
on peut l’observer au cours de l’infarctus m esent
erique ou En cas de doute sur une pancr eatite iatrog ene ou une
d’une occlusion du gr^ ele est due 
a une augmentation de la perforation r etro-p eritoneale, seule la scanographie per-
permeabilite intestinale et  a un passage de l’amylase mettra de trancher.
luminale vers le plasma. Une migration lithiasique est souvent accompagn ee d’une

elevation des enzymes pancr eatiques, diminuant rapide-
ment dans les 48 heures suivantes, sans qu’aucune l esion

‘‘
De nombreux organes ou sécrétions du pancr eas ne soit visible ni en scanographie ni en per-
contiennent de l’amylase dont l’activité op eratoire. Ceci peut ^ etre d enomm e « pancr eatite

’’
est dosée par les kits commerciaux biologique » ou « r eaction pancr eatique », deux termes
tout aussi inappropri es dont le substratum anatomique ne
La distinction des contributions relatives du pancre as et correspond  a rien.
des glandes salivaires est possible gr^ ace aux propri et
es En cas de perforation abdominale, d’occlusion ou d’infarctus
physicochimiques de ces diff erentes enzymes en fonction m esenterique, on peut noter une  elevation generalement
de leur origine, en particulier leur migration sur des mod er
ee (< 3 N) des enzymes pancr eatiques plasmatiques
colonnes iso electriques. Leur poids mol eculaire (environ due a une absorption des enzymes  a travers la paroi digestive
55 000 daltons) et leur composition en acides amin es dont la perm eabilit
e a augment e. Cette el
evation est le fait
(> 92 % d’homologie) sont grossi erement identiques. Les 
de l’amylase pancreatique.
differences proviennent de modifications post-transcrip- Toutes les affections des glandes salivaires peuvent
tionnelles portant sur la d eamidation et la glycosylation. s’accompagner d’une  el
evation de l’amylas emie. Il s’agit
L’amylase pancr eatique a une clairance r enale superieure alors de l’amylase salivaire. Ceci peut se rencontrer en cas
a celle d’origine salivaire. L’amylase ayant un point d’infection ourlienne, de tumeur, de traumatisme, d’irra-
iso-electrique a 7,0 est sp ecifique du pancr eas. On diation ou d’obstruction des canaux excr eteurs des glandes
considere ainsi qu’ a l’
etat normal, l’amylase pancr eatique salivaires.
represente 30  a 50 % de l’amylase sanguine. Ceci est Chez 10 % des malades alcooliques chroniques, on note
bien su ^r radicalement diff erent en cas de pancr eatique une  el
evation de l’amylas emie d’origine salivaire qui est la
aigu€e. cons equence de l esions mod er
ees des glandes salivaires
provoqu ees par la prise de quantit es importantes d’alcool
(souvent associ ees au tabagisme). L’amylasemie d epasse
 Variations physiologiques de l’amylasémie
rarement 3 fois la normale. Dans ce contexte, la prescrip-
L’amylasemie est faible chez les enfants et atteint son taux tion inappropri ee de ce dosage peut conduire  a des erreurs
« adulte » a l’^
age de dix ans qui reste constant jusqu’a au diagnostiques.

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Amylases et lipases

En cas d’acidose m etabolique, des taux parfois tr es 


eleves pourcentage de re sultats anormaux et la s everit
e de
d’amylasemie ont  ete rapportes. En cas d’acidose lactique, l’insuffisance r enale. Le maximum atteint pour l’amy-
l’hyperamylas emie est le plus souvent d’origine salivaire. lasemie et la lipas
emie etait respectivement 6 et 5 fois la
Dans les acidoc etoses, une  el
evation de l’amylas emie limite sup erieure de la normale. Bien que le poids
salivaire, pancr eatique ou des deux a  et
e d ecrite. mol eculaire de ces enzymes interdise qu’elles aient une
Cependant, de v eritables cas de pancr eatite aigu€ e qui clairance dialytique, le taux plasmatique de l’amylase et de
semblent ^etre la cons equence pluto ^t que la cause de la lipase diminue apr es dialyse dans respectivement 23 %
l’acido-cetose ont  ete publies. Ces pancr eatites peuvent et 56 % des cas. Le m ecanisme de cette diminution est
^etre severes. Il faut donc ^ etre prudent avant de n’attribuer inconnu. L’insuffisance r enale terminale est associee a un
qu’a la cetose l’origine de douleurs abdominales et r ealiser risque accru de v eritables pancreatites parfois sev
eres.
une scanographie en cas de doute. Celles-ci seraient plus fr equentes en cas de dialyse
Certaines affections gyn ecologiques ont  et
e associ ees a peritoneale que d’hemodialyse.
une elevation de l’amylas emie, habituellement de type
salivaire. Il s’agit de grossesses extra-ut erines rompues, de

‘‘
salpingites ou de kystes ovariens. L’insuffisance rénale est associée
Chez les malades ayant un ad enocarcinome pancr eatique, à une élévation des enzymes pancréatiques
on peut noter une  el
evation des enzymes pancr eatiques, qui ne dépassent habituellement pas 3 fois

’’
la normale
peut-^etre due  a une pancr eatite en amont de l’obstacle
tumoral. Il n’en reste pas moins que le dosage des enzymes
pancreatiques ne constitue un examen ni de d epistage, ni de La macroamylas emie re sulte d’une liaison entre l’amylase
diagnostic positif, ni de surveillance de ce type de maladie. serique et des prot eines s eriques sous la forme d’un
complexe de trop grand poids mol eculaire pour ^etre filtr
e
par les glomerules renaux. La taille des complexes prot

‘‘
Le dosage des enzymes pancréatiques eiques
ne constitue un examen ni de dépistage, va de 200 000  a 2 000 000 daltons. La nature de la prot eine
ni de diagnostic positif ni de surveillance li
ee 
a l’amylase est vari
ee : il peut s’agir ou non d’immuno-
globulines. L’amplitude de l’hyperamylas emie d

’’
de l’adénocarcinome pancréatique epend du
pourcentage de celle-ci qui est li ea la prot
eine. Les valeurs
seriques sont oscillantes entre une et 20 fois la normale alors
Il faut noter le cas particulier des exceptionnelles tumeurs que la lipas
emie et l’amylasurie sont normales. En pratique,
du pancreas  a cellules acinaires qui s ecretent habituelle- la recherche d’une macroamylas emie ne devrait plus avoir a
ment de tres grande quantit e d’enzymes pancr eatiques et ^
etre faite depuis la generalisation des dosages de lipas emie
qui peuvent se r ev
eler par un syndrome de Weber-Christian bien que de rares cas de macrolipas emie ont et
e decrits,
severe et un taux de lipasemie  a plusieurs centaines de fois parfois de façon simultan ee  a une macroamylas emie.
au-dessus de la limite sup erieure de la normale.
Certaines tumeurs non pancr eatiques sont susceptibles
La lipase
de contenir de fortes concentrations d’amylase. Il s’agit
des tumeurs pulmonaires, ovariennes, coliques, des La lipas
emie est plus sp
ecifique que l’amylas
emie. Elle peut
pheochromocytomes, des thymomes et des my elomes. cependant s’elever en cas d’insuffisance r
enale [3]. Des cas
Dans la plupart des cas, il s’agit d’une amylase de type de macrolipas emie ont  ete d
ecrits dans de nombreuses
salivaire et les etudes histochimiques ont montr e que ces circonstances, notamment la maladie cœliaque [4]. Le taux
tumeurs etaient particuli erement riches en amylase. de lipas
emie peut rester plus longtemps  elev
e que celui de
En situation postop eratoire et quelle que soit l’intervention, l’amylasemie [5].
une hyperamylas emie a ete notee dans 10 a 30 % des cas
et ceci a entraı̂n e des diagnostics abusifs de pancr eatite

‘‘
aigu€e. Cependant, dans la moiti e des cas, elle est de type La lipasémie est plus spécifique que

’’
^ l’amylasémie
salivaire. Il est vraisemblable que ceci est du a des l
esions
des glandes salivaires lors de l’intubation trach eale et 
a la
stagnation salivaire pendant l’intervention.
L’insuffisance r enale est associ ee a une  elevation des Une situation particulière : l’élévation
enzymes pancr eatiques qui ne d epassent habituellement chronique non pathologique des
pas 3 fois la normale. Dans un travail portant sur 47 enzymes pancréatiques
malades hemodyalis es, une hyperamylas emie et une
hyperlipasemie  etaient trouv ees chez respectivement 68 Cette situation a 
et
e appel
ee syndrome de Gullo en raison
et 62 % des patients avec une corr elation entre le du nombre incroyable d’articles publi
es par son principal

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vol. 20 n8 8, octobre 2013
auteur sur cette situation sans aucun inte r^et clinique abdominale aigue €. Si l’anamne se et la biologie simple ne
[6-17]. permettent pas de d ebrouiller une situation clinique, il est
Ces articles semblent malheureusement l egitimer le bien demontr e que la r ealisation d’une scanographie en
dosage des enzymes pancr eatiques dans une population urgence (eventuellement sans injection de produit de
de malades asymptomatiques. A  partir d’une s erie de contraste en cas de doute sur la fonction r enale) est
18 malades ayant une  el
evation chronique de l’amylase l’examen le plus rentable en termes d’efficacit e, de rapidit
e
(1,4 a 4,1 fois la normale), de la lipase (1,5  a 7,7) et ^t 
et de cou a l’exclusion de tout autre examen radiologique
de la trypsine serique (1,6 
a 13,9) et apr
es un suivi moyen (radiographie sans pr eparation de l’abdomen ou
de 8 ans (5  a 17 ans), les taux d’enzymes s eriques 
echographie) [20, 21].
restaient elev
es de façon fluctuante et aucune affection
pancreatique n’ emergeait. L’electrophor ese de l’amylase . . .la macroamylase ? NON !
montrait que celle-ci  etait d’origine pancreatique (crit
ere
d’inclusion). Aucune explication claire de cette  el
evation Ici encore, cette question ne devrait plus ^ etre posee. Si
n’etait trouv
ee mais trois membres de la m^ eme famille malgre tout, on se la pose, la constatation d’une lipas
emie
avaient cette « anomalie » sugg erant un m ecanisme normale et/ou d’une amylasurie normale suffit  a faire
genetique. porter le diagnostic de macroamylas emie.

. . .la lipasémie ? OUI !

‘‘
Il ne faut pas doser les enzymes La r
eponse est ici clairement « oui » 
a condition de r
eserver
pancréatiques chez un malade ce dosage au diagnostic positif de pancr eatite aigu€
e.

’’
asymptomatique !
Autrement dit, ce dosage ne devrait ^ etre fait qu’une seule
fois, au moment d’une douleur aigu€ e, pour affirmer le
Il n’y a aucune indication dans cette situation a  chercher diagnostic de pancr eatite aigu€
e.
des anomalies g enetiques (CFTR, SPINK1, trypsinog ene
cationique [10, 15], ni  a faire des examens d’imagerie
cou ^teux et anxiog
enes [7]. Faut-il aussi doser la lipasémie...
Faute de mieux, ces travaux nous permettent de donner
une explication « fond ee sur les preuves » 
a nos malades et ...à plusieurs reprises au cours d’une
a nos correspondants inquiets. pancréatite aigue € ou pour en évaluer la
Apres ce bref rappel, revenons  a notre cas clinique et gravité ? NON !
repondons simplement  a quelques questions : La lipas
emie n’a aucun int er^
et comme  el
ement de surveill-
ance ou d’appr eciation de la gravit
e d’une pancr
eatite aigu€
e.
Elle n’est sortie comme facteur ind ependant de la gravite de
Faut-il encore doser. . . la pancreatite aigu€e dans aucune  etude.

. . .l’amylasémie ? NON !
...au cours de la pancréatite chronique ?
Rappelons que les conclusions du jury de la conf erence NON !
de consensus française sur la pancr eatite aigu€ e ont
Le dosage de la lipase mie au cours du suivi d’une
clairement  enonc e que, pour le diagnostic de la
pancreatite chronique (en dehors d’une p
eriode d’acutisa-
pancreatite aigu€ e, le dosage de la lipas emie seule  etait
tion) n’a aucun inter^
et.
superieur en termes de sensibilit e et de sp ecificit
e au
dosage de l’amylas emie, de l’amylasurie ou de toute
combinaison de ces trois dosages [18]. La sensibilit e et la

‘‘
Le dosage de la lipasémie au cours
specificite de la lipas
emie sont respectivement de 82-
du suivi d’une pancréatite chronique
100 % et 82-99 % [19]. Dans ces conditions, le dosage
(en dehors d’une période d’acutisation)
de l’amylas emie devrait disparaı̂tre de la liste des dosages ^t

’’
n’a aucun intére
possibles.

. . .les isoenzymes de l’amylase ? NON ! ...en cas de suspicion de cancer


pancréatique ? NON !
Cette situation ne devrait plus ^
etre rencontr
ee d
es lors
que l’on ne demande plus les dosages d’enzymes Le dosage de la lipas
emie a encore moins d’inter^
et (si cela
pancreatiques en dehors du contexte d’une douleur est possible) pour le d
epistage ou le diagnostic positif de

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Amylases et lipases

Références
T ake home messages Les r
ef
erences importantes apparaissent en gras.
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& Le seul dosage utile est celui de la lipas
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eee (!), la seule pr
ecaution 702.

a prendre est de v 13. Gullo L. Day-to-day variations of serum pancreatic enzymes in


erifier l’absence de tumeur pancr eatique 
a
benign pancreatic hyperenzymemia. Clin Gastroenterol Hepatol 2007 ; 5 :
cellules acinaires. Il s’agit habituellement d’une tumeur 70-4.
volumineuse et une simple  echographie suffit. En dehors de 14. Gullo L, Migliori M. Benign pancreatic hyperenzymemia in children. Eur J
ce contexte ou d’autres circonstances habituellement Pediatr 2007 ; 166 : 125-9.
evidentes comme une insuffisance r enale, il s’agit proba- 15. Gullo L, Mantovani V, Manca M, et al. Mutations of the CFTR gene in
blement d’une  el
evation chronique non pathologique des idiopathic pancreatic hyperenzymemia. Pancreas 2005 ; 31 : 350-2.
16. Gullo L, Migliori M, Tomassetti P, et al. Pancreatic hyperenzymaemia and
enzymes qui ne m erite ni inqui etude, ni surveillance, ni
hypertransaminasaemia in healthy subjects. Report of three cases Dig Liver Dis
imagerie iterative ou invasive, et encore moins une consul- 2003 ; 35 : 58-60.
tation specialis
ee. 17. Gullo L. Familial pancreatic hyperenzymemia. Pancreas 2000 ; 20 :
Finalement, que faut-il faire avec Mme W. ? La rassurer, lui 158-60.
remettre un tirea part de l’article princeps de Gullo et al. [22] 18. Conference de consensus : pancre atite aigue
€. Gastroenterol Clin
et en envoyer une copie aux diff erents m edecins pre- Biol 2001 ; 25 : 177-92.
19. Moreau J. Quel est le ‘‘gold standard’’ pour le diagnostic ? Gastroenterol
scripteurs des bilans pancr eatiques aussi inutiles que
Clin Biol 2001 ; 25 : 1S7-1S.
cou^teux.
20. Basak S, Nazarian LN, Wechsler RJ, et al. Is unenhanced CT sufficient for
De nombreuses  economies d’argent, de temps et evaluation of acute abdominal pain? Clin Imaging 2002 ; 26 : 405-7.
d’angoisse seront ainsi r ealis
ees. 21. Ahn SH, Mayo-Smith WW, Murphy BL, et al. Acute nontraumatic
abdominal pain in adult patients: abdominal radiography compared with CT
evaluation. Radiology 2002 ; 225 : 159-64.
Liens d’inte  re
^ts : l’auteur declare n’avoir aucun lien
22. Gullo L. Chronic nonpathological hyperamylasemia of pancreatic
d’inter^et en rapport avec l’article. & origin. Gastroenterology 1996 ; 110 : 1905-8.

HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive 655


vol. 20 n8 8, octobre 2013

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